Plotin, Ennéades, traduit par Bouillet

PLOTIN

PRÉFACE.

NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE.

TRADUCTIONS.

TRAVAUX RELATIFS A PLOTIN.

Tome premier

PORPHYRE :  PRINCIPES DE LA THÉORIE DES INTELLIGIBLES

 

 

 

 

 

 

 

CV SOMMAIRES

VIE DE PLOTIN (a)

(§ I-III) Plotin ne voulait pas donner de détails sur sa famille et sa patrie, par dédain des choses terrestres. Il naquit [à Lycopolis (b)] la treizième année do règne de Septime-Sevère [205 après J.-C. (c)], et mourut de la peste en Campanie, à l'âge de soixante-six ans, ayant auprès de lui un seul de ses disciples, Eustochius, la deuxième année du règne de Claude II [270]. A l'âge de vingt-huit ans, il commença à suivre les leçons d'Ammonius Saccas à Alexandrie, et resta près de lui pendant dix ans [232-242]. Afln de connaître la philosophie des Perses et des Indiens, il accompagna l'empereur Gordien dans son expédition en Mésopotamie; il se sauta à Antloche après la mort de ce prince; puis il vint à Rome [244], où il passa dix années à instruire quelques disciples, mais sans rien écrire, pour observer la convention qu'il avait faite avec Hérennius et Origèoe de tenir secrète la doctrine d'Ammonius. C'est alors qu'Amélius vint fréquenter son école [240].

(IV-VI) Plotin commença à écrire la première année du règne de Gallien [254], et il avait déjà composé vingt et un livres quand Porphyre s'attacha à lui, dans son second voyage à Rome, à l'âge de trente ans, pour demeurer six ans auprès de lui [263-208]. Dans cet intervalle, Plotin écrivit vingt-quatre livres. Il en rédigea cinq autres pendant le séjour de Porphyre en Sicile, et les lui envoya la première année de Claude II [209]. Enfin, peu avant de mourir, il lui fit remettre les quatre derniers qu'il ait composés [270].

(VII-VIII). Les principaux disciples de Plotin furent Genlilianus d'Etrurie, surnommé Amélius, Eustochius d'Alexandrie, Zoticus, Zéthus d'Arable, Caslricius Firmus, qui reçut Plotin à sa campagne près de Minturnes, Sérapion d'Alexandrie, et plusieurs sénateurs, entre autres Rogatianus. Porphyre de Tyr fut le dernier disciple de Plotin. Celui-ci le chargea de revoir ses ouvrages, parce qu'il ne pouvait se relire, par suite de la faiblesse de sa vue, et qull négligeait l'orthographe à cause de l'attention exclusive qu'il accordait aux choses intellectuelles.

(IX) Plotin compta aussi quelques femmes au nombre de ses disciples. Enfin, quoiqu'il fût toujours plongé dans la méditation, il sut fort bien surveiller l'éducation et l'administration des biens de plusieurs jeunes gens dont la tutelle lui fut confiée par suite de la confiance qu'il inspirait.

(X-XII) Telle était la supériorité de son âme qu'il ne pouvait être ensorcelé par des opérations magiques; il avait d'ailleurs pour génie un dieu. Il savait avec une grande perspicacité pénétrer les pensées et le caractère de CVIII ceux qui l'entouraient. Il jouissait d'une grande considération auprès de l'empereur Gallien, mais une intrigue l'empêcha d'obtenir de lui la reconstruction d'une ville de Campanie qu'il voulait nommer Platonopolis et habiter avec ses disciples.

(XIII-XIV) Plotin ne s'exprimait pas toujours dans un langage correct, mais il parlait avec inspiration, quand il était animé par l'ardeur de la discussion. Il avait un style vigoureux et substantiel. Quant à sa pensée, elle était pleine d'originalité : quoiqu'il fît des emprunts aux Platoniciens, aux Péripatéticiens et aux Stoïciens, il avait un système qui lui était propre ; il suivait surtout les principes d'Ammonius (e).

(XV-XVI) Il combattit les fausses conséquences que certains rhéteurs voulaient tirer du système de Platon; il réfuta les erreurs des astrologues; enfin, il démontra longuement dans ses conférences les absurdités dans lesquelles les Gnostiques tombaient en altérant la doctrine de Platon par des idées orientales, à l'appui desquelles ils composaient des livres apocryphes.

(XVII) Les Grecs prétendaient à tort que Plotin s'était approprié les sentiments de Numénius. Cette erreur a été réfutée par Amélius dans un ouvrage intitulé: De la Différence entre les dogmes de Plotin et ceux de Numénius, ouvrage dont Porphyre cite l'introduction (f).

(XVIII-XXI) Bien éloigné de l'arrogance et de la vanité des sophistes, Plotin cherchait plutôt à faire bien comprendre sa doctrine à ses disciples qu'à les convaincre par une discussion en règle. L'originalité et la profondeur de la doctrine exposée dans ses écrits les faisaient fort estimer de Longin, quoique ce grand critique n'en trouvât pas le style correct, comme l'attestent la Lettre adressée par lui à Porphyre, et le Début de son traité De la Fin, où Plotin est déclaré supérieur à tous les philosophes de son siècle.

(XXIl-XXIII) La sainteté de Plotin et la divinité de son génie ont été proclamées par un oracle d'Apollon. D'après cet oracle, que Porphyre commente [et dont il paraît être lui-même l'auteur (g)], Plotin, après avoir joui plusieurs fois pendant sa vie de la vision du Dieu suprême, est allé rejoindre le chœur des bienheureux, parmi lesquels Pythagore, Platon, etc., jouissent d'une éternelle félicité.

(XXIV) Porphyre explique d'après quels principes il a revu et classé en six Ennéades tous les écrits de Plotin. Il annonce à la fin de la vie de notre auteur des commentaires, des arguments et des sommaires [travaux doot nous n'avons plus que des débris dans les Principes de la théorie des intelligibles, Ἀφορμαὶ πρὸς τὰ νοητά].

CIX PREMIÈRE ENNÉADE.

La première Ennéade contient tous les écrits de Plotin qui traitent de la Morale (01). Ces écrits se rapportent tous à une pensée commune, purification de l'âme ou séparation de l'âme et du corps (02). Or, pour enseigner à séparer l'âme du corps, il faut résoudre les questions suivantes :

1. Quelle partie de l'âme est séparable du corps, pendant cette vie ? Quelle partie de l'âme ne l'est pas? — Livre I.

2. Comment peut-on séparer l'âme du corps par la vertu, la philosophie, l'amour du beau? - Livres II, III, VI.

3. En quoi consiste le Bonheur auquel nous conduit la Séparation de l'âme et du corps ? — Livre V et VI.

4. Qu'est le Bien absolu, auquel nous ne pouvons nous unir que par la Séparation de l'âme et du corps? - Livre VII.

5. Qu'est-ce que le Mal absolu? Comment la Descente de l'âme dans le corps est-elle un mal relatif ? — Livre VIII.

6. Pourquoi le Suicide ne peut il amener la Séparation complète de l'âme et du corps ? - Livre IX.

LIVRE PREMIER.

QU'EST-CE QUE L'ANIMAL ? QU'EST-CE QUE L'HOMME (03) ?

Dans ce livre, Plotin s'est proposé de résoudre une question qui est énoncée CX dans le livre III de l'Ennéade lI (§ 16, p. 187) : Quelle partie de l'âme est séparable du corps pendant cette vie ? Quelle partie ne l'est pas ? question qu'il transforme en celle-ci : Qu'est-ce que l'animal ? Qu'est-ce que l'homme (04) ?

Pour la traiter, il analyse toutes les facultés qui constituent la nature humaine, et, d'après les caractères qui les distinguent, il les rapporte à trois principes essentiellement différents : l'intelligence, qui est toujours séparée du corps ; l'Âme raisonnable, qui est séparable du corps, et l'Âme irraisonnable, qui en est inséparable pendant la vie (05). A l'exposition de cette théorie se trouve joint nécessairement un résumé succinct de tout le système dont elle n'est qu'un corollaire.

Ce livre se divise en deux parties : dans la première (I-Vl ), Plotin discute les diverses hypothèses qui ont été faites sur le sujet qu'il traite, et il examine les idées exposées par Aristote dans le traité De l'Âme (06); dans la deuxième (VII-XIII), il explique sa propre doctrine.

(§ I) Pour déterminer ce que c'est que l'animal, ce que c'est que l'homme, il faut déterminer à quels principes appartiennent : 1° les passions et les sensations; 2° l'opinion et le raisonnement ; 3° la pensée intuitive.

CXI On doit aussi déterminer quel est le principe.qui pose ces questions et qui en donne la solution  (07).

(II) Les passions et les sensations n'appartiennent : 1° ni à l'âme pure, parce que, possédant par elle-même une activité innée, l'âme pure est, impassible (08); 2° (III-V) ni au composé de l'âme raisonnable et du corps organisé, parce que, si l'âme raisonnable est avec le corps dans le même rapport que l'artisan avec son instrument ou que le pilote avec le navire, les passions ne peuvent passer du corps dans l'âme raisonnable, qui en est la forme séparable, et qui, par conséquent, tout en étant présente au corps, y demeure impassible comme l'est la lumière répandue dans l'air (09), en sorte qu'elle n'éprouve pas les mêmes passions que le corps, ni des passions analogues ; 3° (VI) ni au corps organisé seul, si l'on admet que les facultés qui s'y rapportent ne ressentent pas ses passions.

(VII) Le seul moyen de résoudre les difficultés précédentes, c'est de reconnaître qu'il y a dans l'âme humaine trois partita, l'Âme irraisonnable, l'Âme raisonnable et l'Intelligence.

Âme irraisonnable. - Pour ezpliquerr la communication de l'une raisonnable, qui est impassible, avec le corps organisé, qui pâtit, il faut admettre que de l'âme raisonnable émane une puissance inférieure, l'âme irraisonnable: par sa présence dans le corps organisé, l'Âme irraisonnable constitue l'Animal ; c'est à elle qu'appartiennent les passions ainsi que les sensations (10).

Il y a d'ailleurs dans la sensation deux éléments fort distincts : la sensation extérieure ou passion, qui résulte de l'impression faite par l'objet extérieur sur l'organe, et qui appartient à l'âme irraisonnable; la sensation intérieures, qui est la perception de la passion, de la représentation sensible, et qui appartient à l'âme raisonnable.

Âme raisonnable. - La sensation intérieure, l'imagination intellectuelle, l'opinion et la raison discursive sont les facultés de l'âme raisonnable et constituent essentiellement l'Homme (11).

Intelligence. — La pensée intuitive appartient à l'Intelligence, à laquelle la raison discursive emprunté ses principes (12).

(VIII) Considéré dans ses rapports avec les trois hypostases divines (Dieu ou l'Un, l'Intelligence suprême, et l'Âme universelle), l'homme, par l'unité qui fait le fond de son être, se rattache à Dieu, à l'Un, qui plane sur le monde intelligible; par son Inteliigence, il entre en rapport avec l'intelligence su- CXII prême dont il tient ses idées; par l'essence de son âme, qui est tout à la fois indivisible et divisible (indivisible, en tant qu'elle est âme raisonnable ; divisible, en tant qu'elle est âme irraisonnable, en rapport avec les organes), il participe à l'essence de l'Âme universelle, qui est elle-même tout à la fois indivisible et divisible (indivisible, en ce qu'elle est une dans l'univers et qu'elle reste en elle-même tout en répandant partout la vie ; divisible, en ce qu'elle est la Puissance naturelle et génératrice, de laquelle procèdent les âmes sensitives et végétatives ou raisons séminales qui animent tous les corps vivants (13).

(IX) Considérée en elle-même, rime humaine est impeccable et infaillible ; si elle pèche ou si elle se trompe, c'est qu'elle cède aux passions et aux appétits de la nature animale (14) ou qu'elle est égarée par l'imagination sensible. Le caractère des faits qui se rapportent à la nature animale est de ne pouvoir se produire sans les organes; le caractère des faits propres à l'âme est de n'avoir pas besoin du corps pour se produire (15). La faculté essentielle et constitutive de l'âme, la raison discursive, est indépendante des passions : d'un côté elle perçoit les représentations sensibles, de l'autre elle s'exerce sur les pensées intuitives. (X) Nous désigne deux choses, ou l'âme avec la partie animale qu'elle illumine, ou la partie supérieure, l'homme, qui possède les vertus intellectuelles (16). (X1) Les facultés qui appartiennent à la nature animale s'exercent dans l'enfance, mais l'intelligence illumine alors rarement l'âme humaine, parce qu'il faut réfléchir à ce qu'on possède en soi pour le faire passer de la puissance à l'acte (17).

Quant au principe qui anime la bête c'est, ou la partie sensitive et végétative d'une âme. humaine qui a péché (partie qui est seule présente dans le corps de la bête), ou une raison séminale qui procède de l'Ame universelle (18).

(XII) Si l'âme humaine pèche et en est punie en passant dans de nouveaux corps (19), c'est qu'au lieu de rester pure, elle est descendue dans un corps, et CXIII qu'elle a incliné vers lui en y produisant une image d'elle-même, image qui est l'âme irraisonnable ou nature animale. Elle ne possède plus alors que la vertu active, tandis qu'en se tournant vers le monde intelligible elle possède la vertu contemplative, condition essentielle du bonheur (20).

(Xlll) Le principe qui examine et résout toutes les questions précédentes, c'est le principe que nous appelons Nous, c'est-à-dire l'âme, qui se considère elle-même par la réflexion (21).

Quant à l'intelligence, elle est notre en ce sens que l'âme est intelligente; mais la vie intellectuelle est pour nous une vie supérieure (22).

LIVRE DEUXIÈME.

DES VERTUS (23).

Dans ce livre, Plotin a pour but d'expliquer comment nous devenons semblables à Dieu par la vertu, dont il distingue quatre espèces : vertus civiles, vertus purificatives, vertus de l'âme purifiée, vertus exemplaires.

(§ I-II) Nous devenons semblables à Dieu par la vertu (24), quoique Dieu ne possède pas lui-même la vertu. On ne saurait en effet lui attribuer la première espèce de vertus, les vertus civiles : la prudence, qui se rapporte à la partie raisonnable de notre être, le courage, qui se rapporte à la partie irascible, la CXIV tempérance, qui est l'accord de la partie concupiscible et de la raison, la justice, qui consiste dans l'accomplissement par toutes ces facultés de la fonction propre à chacune d'elles (25). Cependant ces vertus nous rendent semblables à Dieu parce que, réglant nos appétits et nous délivrant des fausses opinions, elles donnent une mesure à notre âme comme une forme à une matière, et nous font participer ainsi à l'essence intelligible.

(III) Nous nous rapprochons encore plus de Dieu par le deuxième espèce de vertus, les vertus purificatives : la prudence, par laquelle l'âme pense par elle-même au lieu d'opiner avec le corps, la tempérance, par laquelle elle cesse de partager les passions du corps, le courage, par lequel elle ne craint pas d'être séparée du corps, et la justice, par laquelle l'intelligence commande et est obéie. Ces vertus rendent l'âme semblable à Dieu, parce qu'elles lui permettent d'être impassible et de penser les choses intelligibles.

(IV-VI) Quand l'âme est purifiée, il faut la tourner vers Dieu ; par cette conversion, l'âme éclaircit les idées qu'elle a en elle-même des objets intelligibles. En même temps, elle se sépare du corps, en réprimant ses passions et en n'accordant à ses besoins que ce qui leur est strictement nécessaire. Dans cet état, elle possède les vertus de l'âme purifiée: la prudence, qui est la contemplation des essences intelligibles, la justice, qui consiste à diriger l'action de l'âme vers l'intelligence, la tempérance, qui est la conversion intime de l'âme vers l'intelligence, le courage, qui est l'impassibilité par laquelle l'âme devient semblable â te qu'elle contemple .

(VII) Les vertus ont dans l'âme le même enchaînement qu'ont entre eux dans l'intelligence les types supérieurs ai la vertu (les vertus exemplaires) pour l'intelligence, la pensée est la prudence, la conversion vers soi-même est la tempérance, l'accomplissement de sa fonction propre est la justice, et la persévérance à rester en soi-même est le courage.

Quiconque possède les vertus de l'ordre supérieur possède nécessairement en puissance celles de l'ordre inférieur. Mais celui qui possède les inférieures ne possède pas nécessairement les supérieures.

C'est à la prudence qu'il appartient d'examiner la nature et les rapports des vertus (26).

L'homme vertueux ne se contentera pas de pratiquer les vertus civiles; il aspirera à la vie divine, en prenant pour modèle l'intelligence suprême qui contient les types des vertus.

CXV LIVRE TROISIÈME.

DE LA DIALECTIOUE OU DES MOYENS D'ÉLEVER

L'ÂME AU MONDE INTELLIGIBLE (27).

L'objet de ce livre est d'exposer par quelle méthode peut s'opérer le retour de  l'âme au monde intelligible.

(§ 1) Celui qu'on veut élever au monde intelligible doit, lors de la première génération, être descendu ici-bas pour former un Musicien, un Amant ou un Philosophe (28).

Le Musicien est sensible à la beauté de la voix et des accords. Il est nécessaire de lui apprendre à distinguer, dans les rythmes et les chants qui le charment, la matière de la forme, les simples sons de l'harmonie intelligible, dont la conception le conduira, avec l'aide du raisonnement, à reconnaître des vérités qu'il ignorait tout en le possédant instinctivement.

(II) L'Amant a quelque réminiscence du beau. On lui enseignera à ne pas se contenter d'admirer un seul corps, à reconnaître la beauté dans tous les corps où elle se trouve, à la distinguer même dans les arts, les sciences et les vertus; puis des vertus on l'élèvera à l'Intelligence et à l'Être.

(III) Quant au Philosophe, il suffit de lui indiquer la route à suivre pour s'élever au monde Intelligible : oh lui enseignera d'abord les Mathématiques, puis la Dialectique.

(IV-V) La Dialectique est la science qui étudie l'être véritable et le non-être, le bien et son contraire. Au moyen de la méthode platonicienne, elle discerne les idées, définit les objets, s'élève aux premiers genres des êtres, descend des principes an conséquences ou remonte des conséquences aux principes. Elle est fort supérieure à la Logique qui ne traite que des propositions et des arguments. Tirant ses principes de l'intelligence, elle saisit par intuition l'être réel en même temps que l'idée, et ne s'occupe qu'accidentellement de l'erreur ainsi que du sophisme (29).

(VI) La Dialectique est la partie la plus éminente de la Philosophie. La Physique a besoin de son secours et la Morale lui emprunte ses principes. Sans la sagesse, que donne la Dialectique, on ne saurait s'élever des vertus Inférieures aux vertus parfaites (30).

LIVRE QUATRIÈME.

DU BONHEUR (31).

(§ I) Les définitions qu'ont données du bonheur les Péripatéticiens, les Stoïciens, les Cyrénaïques et les Épicuriens ne sauraient satisfaire la raison : car, si le bien-vivre consiste soit dans l'accomplissement de sa fin propre, soit dans une vie conforme à la nature, soit dans le bien-être, soit dans l'ataraxie (l'imperturbabililé), on est obligé d'admettre que les animaux, que les plantes mêmes peuvent bien vivre.
(II) Quand on distingue le bonheur de la vie en général, qu'on le regarde comme supérieur à la vie végétative et même à la vie sensitive, qu'on le place dans la vie raisonnable (comme le fait Aristote) (32), il reste encore à dire pourquoi on accorde la prééminence à la vie raisonnable, à expliquer si on estime la raison pour elle-même ou seulement pour les objets qu'elle peut nous procurer afin de satisfaire les premiers besoins de la nature : car ce n'est pas dans la contemplation des objets sensibles que consistent l'essence et la perfection de la raison.

(Ill-IV) Le bonheur appartient à l'être vivant ; mais il n'appartient pas à tous les êtres vivants. Le bonheur consiste dans la vie parfaite, véritable et réelle, qui est la vie intellectuelle (33). Tout homme possède cette vie, soit en puissance, soit en acte. Dès qu'il la possède en acte, il est heureux : car il a son bien en lui-même ; il n'a plus rien à désirer ; aucune affliction ne peut atteindre la partie intérieure de son être, et la possession des objets propres à satisfaire les besoins du corps n'intéresse point l'homme véritable.

(V-VI) Il n'est point nécessaire (comme le croit Aristote (34)) d'ajouter à la vie parfaite les biens extérieurs, la santé, la richesse, etc. Le bonheur consiste dans la possession du véritable bien, abstraction faite de ses accessoires. Les objets propres à satisfaire nos besoins, la santé, la richesse, etc., sont des choses nécessaires plutôt que des biens, et ils ne doivent pas être comptés au nombre des éléments de notre fin (35).

(VII-X) S'il arrive à l'homme vertueux quelque accident contre sa volonté, comme la perte d'un fils, la ruine de sa patrie, etc., son bonheur n'en est pas altéré (36). Un pareil homme ne se laisse pas affliger par les douleurs des autres, ni effrayer parla crainte de ce qui peut arriver. Quant à ses propres souffrances, il les supporte avec une âme inébranlable et impassible, ou bien il s'y soustrait par la mort (37). Dans quelque état qu'il se trouve, il est heureux tant qu'il continue d'être vertueux. La perte même de la raison n'anéantit pas le bonbeur, si elle n'empêche pas de posséder la sagesse en acte, d'exercer l'activité du principe intellectuel. Cette activité peut s'exercer sans être sentie : la conscience implique la réflexion ; mais la réflexion est si peu nécessaire à la pensée qu'elle semble au contraire en affaiblir l'énergie.

(XI-XIII) La volonté de l'homme vertueux a pour seul but la conversion de l'âme vers elle-même, abstraction faite des objets extérieurs. Son plaisir consiste dans une douce sérénité. Ses actions peuvent varier avec les vicissitudes de la fortune, mais ne sauraient être entravées par elle, parce que rien ne peut enlever à l'intelligence la contemplation du Bien.

(XIV-XV) Le bonheur est le privilège de l'âme raisonnable. Il est donc indépendant de toutes les choses qui n'agissent que sur le corps ou sur l'âme irraisonnable, qui ne se rapportent ni à la sagesse, ni à la vertu, ni à la contemplation du Bien. Le sage doit être impassible, sans cependant rester étranger à l'amitié.

(XVI) Le bonheur n'est donc point placé dans la vie du vulgaire. Pour devenir sage et heureux, il faut, comme le dit Platon, quitter la terre pour s'élever au Bien et tâcher de lui devenir semblable (38).

LIVRE CINQUIÈME.

LE BONHEUR S'ACCROÎT-IL AVEC LE TEMPS ?

Ce livre est le complément du précédent. L'auteur y pose et y résout dix questions qui sont destinées à éclaircir quelques-uns des points traités dans le livre IV (39).

(§ 1) Le bonheur ne s'accroît pas avec le temps parce qu'il consiste dans le présent, c'est-à-dire dans la contemplation de l'intelligible, contemplation qui n'admet point la distinction du passé et du futur. (II-IV) Il ne faut donc point placer le bonheur dans la satisfaction du désir de vivre et d'agir, ni croire que c'est un avantage de contempler plus longtemps le même spectacle ou de jouir plus longtemps du plaisir que procure cette contemplation. (V-Vl) La durée n'influe sur le bonheur et sur le malheur qu'autant qu'elle permet de faire un progrès dans la vertu ou qu'elle accroît la gravité du mal dont on souffre. (VII-X) On ne peut appliquer au bonheur les divisions du temps, parce que le bonheur consiste dans la vie intellectuelle, dont l'essence est l'éternité, c'est-à-dire un présent perpétuel. Il en résulte que le souvenir d'actes vertueux ne saurait influer sur notre condition. En effet, le bonheur ne dépend pas des belles actions, mais des dispositions de l'âme, de sa sagesse et de la concentration de son activité en elle-même (40).

LIVRE SIXIÈME.

DU BEAU (41).

Le but de ce livre est de montrer comment, par la vue du Beau, on peut, en purifiant l'âme et en la séparant du corps, s'élever du monde sensible au monde intelligible et contempler le Bien, qui est le principe du Beau (42).

(§ I-III) La beauté ne consiste pas dans la proportion ni dans la symétrie, comme l'enseignent les Stoïciens (43), mais dans l'idée, la forme ou la raison. Un corps est beau quand il participe à une idée, quand il reçoit du monde intelligible une forme et une raison, quand les parties qui le composent sont ramenées à l'unité. A l'aspect de ce corps, l'âme reconnaît l'image visible de la forme invisible qu'elle porte en elle-même, et elle éprouve un sentiment de sympathie pour la beauté qui frappe ses sens.

(IV-VI) Au-dessus des objets sensibles, qui ne sont beaux que par participation, existent les objets intelligibles, qui sont beaux par eux-mêmes : telles sont la vertu et la science, dont la contemplation inspire des sentiments d'amour et d'admiration. C'est que, par le vice et l'ignorance, l'âme s'éloigne de son essence et tombe dans la fange de la matière, tandis que, par la vertu et la science, elle se purifie des souillures qu'elle avait contractées dans son alliance avec le corps, et elle s'élève à l'Intelligence divine de laquelle elle tient toute sa beauté.

(VII-IX) En examinant à quel principe chaque être doit la forme qui constitue sa beauté, on remonte du corps à l'âme, de l'âme à l'intelligence divine, et de l'Intelligence divine au Bien. En effet, c'est au Bien que tout aspire, c'est du Bien que tout dépend, que tout tient la vie et la pensée; c'est lui qui, topa en demeurant immobile en lui-même, fait participer à sa perfection les êtres qui le contemplent. Pour avoir l'intuition de cette Beauté ineffable, auprès de laquelle tous les biens de la terre ne sont rien, il faut détourner nos regards des choses sensibles, qui n'offrent que de pâles images des essences intelligibles, et retourner dans la région qu'habite notre Père. Pour atteindre ce but, nous devons rentrer en nous-mêmes, purifier notre âme par la vertu et l'orner par la science ; puis, après avoir rendu notre âme semblable à l'objet qu'elle aspire à contempler, nous élever à l'Intelligence divine, en qui résident les idées ou formes intelligibles ; alors, au-dessus de l'Intelligence divine, nous rencontrerons le Bien, qui fait rayonner autour de lui la souveraine Beauté (44).

LIVRE SEPTIÈME.

DU PREMIER BIEN ET DES AUTRES BIENS.

(§ I) Le premier bien est la vie ; le second, la vie intellectuelle. Au-dessus de ces deux espèces de biens, il y a le Bien absolu, qui est supérieur à l'action et à la pensée. Le Bien a pour essence la permanence : tout dépend de lui, tout aspire à lui, mais lui-même reste dans le repos, ne regarde ni ne désire aucune autre chose, parce qu'il ne dépend de rien.

(II) Toutes les autres choses se rapportent au Bien par l'Âme et par l'Intelligence. Ce qui est inanimé se rapporte à l'Âme, en reçoit l'être et la forme, et participe ainsi à l'unité. L'Âme, à son tour, reçoit sa forme de l'Intelligence, en, tournant vers elle ses regards. Enfin, l'Intelligence reçoit elle-même sa forme du Bien qu'elle contemple.

(Ill) Il en résulte que l'existence n'est un bien qu'autant qu'elle se lie à l'exercice de l'intelligence. Or l'exercice de l'intelligence suppose la séparation de l'âme et du corps, soit par la philosophie, soit par la mort.

LIVRE HUITIÈME.

DE LA NATURE ET DE L'ORIGINE DES MAUX (45).

(I) Le Mal absolu, étant la négation de l'Être et de la Forme, ne peut être connu directement par lui-même. On ne peut le concevoir qu'indirectement, en se le représentant comme le contraire du Bien : d'où suit que pour déterminer la nature du Mal, il faut d'abord déterminer celle du Bien.

(II) Le Bien est le principe duquel tout dépend et auquel tout aspire ; il est complet et n'a besoin de rien (46). De lui procède l'Intelligence suprême, dans laquelle le sujet pensant, l'objet pensé et la pensée ne font qu'une seule et même chose (47). De l'Intelligence suprême procède l'Âme universelle qui la contemple. Ces trois hypostases sont complètement étrangères au Mal.

(III-V) Le Mal en soi est le non-être relatif, c'est-à-dire l'image trompeuse de l'être véritable, et l'infini en soi, c'est-à-dire le sujet de toute forme. Il est donc la même chose que la matière (48). Le mat relatif est la nature du corps, en tant qu'elle participe de la matière. Il en résulte que, par son union avec le corps, la partie irraisonnable de l'âme se trouve sujette à l'indétermination, c'est-à-dire aux vices, aux passions, aux fausses opinions (49). Les maux de l'âme ont pour cause, comme les maladies du corps, un excès ou un défaut.

(VI-VIII) L'existence du Mal est nécessaire pour plusieurs raisons : 1° il faut que le Bien ait son contraire ; 2° la Matière concourt à la constitution du monde, dont la nature est mêlée d'intelligence et de nécessité (50) (parce que chaque objet est composé de forme et de matière); 3° enfin, comme le Bien engendre, et que, les êtres engendrés étant toujours inférieurs aux principes générateurs, la puissance divine s'affaiblit graduellement dans la série de ses émanations successives, il y a un dernier degré de l'être au delà duquel rien ne peut plus être engendré ; ce dernier degré de l'être est la Matière ou le Mal.

Du Mal absolu dérive le mal relatif, le vice. Il a pour cause l'influence que le corps exerce sur l'âme.

(IX) Quant à la connaissance que nous avons du mal, elle suppose une espèce d'abstraction. Nous connaissons le vice en considérant ce qui manque pour constituer la vertu. Nous concevons le Mal absolu en faisant abstraction dé toute forme pour nous représenter la matière. Dans ces deux cas, l'âme devient elle-même informe et ténébreuse, parce qu'il doit y avoir analogie entre le sujet qui connaît et le sujet qui est connu.

(X-XI) La matière est mauvaise, parce qu'elle n'a pas de qualité. Cependant elle n'est pas la privation, parce qu'elle n'est pas une pure négation, mais seulement le dernier degré de l'être.

(XII-XIV) Le mal de l'âme n'est pas la privation absolue du bien, mais un simple défaut, qui consiste dans une possession incomplète du bien. La cause de ce défaut est l'union de l'âme avec le corps, union qui entrave les opérations de la raison et de laquelle naissent les vices. Placée entre l'intelligence et la matière, l'âme peut se tourner vers la première ou incliner vers la seconde. Si elle descend dans la matière pour y exercer sa puissance génératrice, elle expose ses facultés à être affaiblies et obscurcies jusqu'au moment où elle opère son retour dans le monde intelligible.

(XV) En résumé, le Mal absolu est le contraire du Bien absolu. Entre eux se trouve placée la nature mélangée de bien et de mal : c'est l'état de l'âme quand elle incline vers le corps et qu'elle en partage les passions ; elle ne s'en affranchit qu'en s'élevant au monde intelligible et en y restant solidement édifiée.

LIVRE NEUVIÈME.

DU SUICIDE (51).

Il ne faut pas séparer violemment l'âme du corps, mais attendre que les liens qui les unissent se rompent naturellement. Si par un acte illicite, on arrache l'âme du corps, elle conservera quelque chose du principe passif auquel elle était unie, et elle sera obligée de passer dans un nouveau corps.

D'ailleurs si le rang qu'on doit occuper là-haut dépend de l'état dans lequel on se trouve en quittant la terre, il ne faut pas sortir de la vie quand on peut encore faire des progrès (52).

 

DEUXIÈME ENNÉADE.

Les livres qui composent la deuxième  Ennéade se rapportent, dit Porphyre, à la Physique, c'est-à-dire au Monde et aux choses qu'il embrasse. Ils sont liés entre eux moins étroitement que les livres qui forment la première ; cependant on peut les diviser en deux groupes d'après les considérations suivantes

I. Les éléments des êtres célestes sont la matière et la forme, par la nature desquelles Plotin explique la perpétuité, le mouvement circulaire et l'influence du ciel et des astres (livres I, II, III).

II. Les éléments des êtres contenus dans la région sublunaire sont également la matière et la forme : la matière est la puissance de devenir toutes choses, et la forme est l'acte et la qualité. Leur étude est l'objet des livres IV, V, VII, VII.

Quant au livre VIII (De la Vue), on peut le regarder comme une application des idées de Plotin sur la forme (53).

Enfin, les théories développées dans les livres précédents sont réunies et appliquées dans le livre IX, où, pour réfuter les Gnostiques qui enseignaient que le Démiurge est mauvais ainsi que le monde même, Plotin résume sa propre doctrine sur l'Âme universelle, la matière et la création.

LIVRE PREMIER.

DU CIEL (54).

(§ I-II) Le monde, être corporel, a toujours existé et existera toujours. Chez les animaux, l'espèce seule est perpétuelle, tandis que les individus meurent ; le monde, au contraire, possède à la fois la perpétuité de la forme spécifique et celle de l'individualité. C'est qu'il joint à une Âme parfaite un corps que sa constitution naturelle rend apte à l'immortalité (55).

(III-V) Quelles que soient les transformations que subissent les éléments contenus dans le monde, rien ne s'écoule hors de lui. Si l'on considère en particulier le feu, qui constitue l'élément principal du ciel, on voit qu'il demeure dans la région céleste, où il se trouve placé par sa nature, et qu'il se ment circulairement. En outre, il est contenu par l'Âme universelle, qui administre le monde avec une admirable puissance et qui doit le faire subsister toujours. Si les choses d'ici-bas n'ont pas la même durée que les astres, c'est qu'elles sont composées d'éléments moins parfaits, et qu'elles sont gouvernées par la partie inférieure de l'Âme universelle (par la Nature ou Puissance génératrice), tandis que les choses célestes sont gouvernées par sa partie supérieure (par la Puissance principale de l'Âme universelle) (56).

(VI-VIII) En examinant la nature des quatre éléments, on trouve que le ciel et les astres doivent être composés de feu, tandis que l'air, la terre et l'eau ne peuvent subsister que dans la région sublunaire (57). Il en résulte que le ciel et les astres ont des corps immortels, parce qu'ils ont pour matière un feu incorruptible, et qu'ils reçoivent leur forme de l'Âme universelle qui leur imprime un mouvement circulaire dans une région parfaitement pure (58).

LIVRE II,

DU MOUVEMENT DU CIEL (59).

(§ I-III) Le mouvement circulaire du ciel est l'image du retour eut soi-même qui constitue la réflexion. Il résulte à la fois de la nature de l'Âme et de celle du corps : le mouvement propre à l'Âme, c'est de contenir ; le mouvement propre au corps, c'est de se transporter en lieu droite ; de ces deux mouvements combinés résulte le mouvement circulaire, dans lequel il y a tout à la fois translation et permanence, et qui est en harmonie parfaite avec la nature du feu céleste.

Le mouvement circulaire du ciel est aussi une conséquence de la nature des trois hypostases. On peut se représenter le Bien comme un centre, parce qu'il est le principe duquel tout dépend et auquel tout aspire ; l'Intelligence, comme un cercle immobile, parce qu'elle possède et embrasse le Bien immédiatement ; l'Âme, comme un cercle mobile, mû par le désir, parce qu'elle aspire au Bien qui est placé au-dessus de l'Intelligence. La sphère céleste, possédant l'Âme, qui aspire ainsi au Bien, aspire elle-même, comme le peut un corps, au principe hors duquel elle est, c'est-à-dire cherche à s'étendre autour de lui pour le posséder partout, par conséquent tourne et se meut circulairement (60). Le mouvement circulaire, qui implique à la fois translation et permanence, est l'image du mouvement de l'Intelligence qui se replie sur elle–même.

Le pneuma (esprit éthéré), qui entoure notre Âme, a un mouvement circulaire comme le ciel ; mais ce mouvement est entravé par notre corps. Quand notre l'âme obéit à l'influence du désir et de l'amour, elle se meut elle-même, et, par une réaction naturelle, elle produit un mouvement dans le corps auquel elle est unie (61).

LIVRE III.

DE L'INFLUENCE DES ASTRES (62).

(§ I) Il est des hommes qui prétendent que les astres ne se bornent pas à annoncer les événements, mais que leur influence produit tout. Selon eux, pour expliquer tout ce qui arrive à un individu, il suffit de considérer dans le ciel cinq choses: les maisons, les signes du zodiaque, les planètes, les aspects et les étoiles (63).

(§ II-VII) Si les astres sont inanimés, ils ne peuvent exercer qu'une influence physique, par exemple, produire de la chaleur ou du froid. S'ils sont animés, ils doivent, en vertu de leur nature divine, ne pas nuire aux hommes qui n'ont rien fait pour s'attirer leur colère ; ils doivent encore, toujours en vertu de leur nature divine, n'éprouver aucune modification dans leur manière d'être par l'effet des aspects et des maisons. Les raisonnements que les astrologues font à ce sujet impliquent des contradictions étranges et conduisent à attribuer aux dieux les plus indignes passions.

En considérant l'Univers dans son ensemble, on voit qu'il constitue un vaste organisme, que tous les êtres sont des parties de ce Tout, et, par la sympathie qui les unit les uns aux autres, y constituent une harmonie unique. Les astres sont, comme tout le reste, subordonnés à la Puissance de l'Âme universelle qui gouverne l'Univers. En même temps qu'ils concourent par leur mouvement à la conservation de l'Univers, ils y remplissent un autre rôle : par les figures qu'ils forment, ils annoncent les événements en vertu des lois de l'analogie.

La raison en est que, l'Univers étant un animal un et multiple, tout y est coordonné, tout conspire à un but unique ; par conséquent, en vertu de cette liaison naturelle, chaque chose est signe d'une autre (64).

(VIII-X) L'Univers étant un animai use suppose un principe unique. Ce principe unique est l'Âme universelle qui fait régner dans l'univers l'ordre et la justice: l'ordre, parce qu'elle donne à chaque être un rôle conforme à sa nature ; la justice, parce qu'elle punit ou récompense les hommes par les conséquences naturelles de leurs actions. En effet, nous renfermons en nous deux puissances différentes, l'âme raisonnable et l'âme irraisonnable. Quand nous développons les facultés de l'âme raisonnable qui nous constitue essentiellement, alors nous nous affranchissons des passions par la vertu, nous nous élevons au monde intelligible par la contemplation, et nous sommes véritablement libres. Quand, au contraire, nous exerçons les facultés de l'âme irraisonnable plus que l'intelligence et la raison, alors nous nous égarons dans le monde sensible et nous sommes soumis à la fatalité, c'est-à-dire à l'action qu'exercent sur nous les circonstances extérieures, par conséquent, à l'influence des astres ; dans ce cas, nous partageons les passions du corps (65).

(XI-XII) Les maux que l'on voit ici-bas ne proviennent pas de la volonté des astres ; ils ont des causes diverses, telles que l'action des êtres les uns sur les autres, la résistance de la matière à la forme, etc.(66) La génération de l'homme ne s'explique pas non plus par l'influence seule des astres ; il faut y tenir compte du rôle des parents, des circonstances extérieures, de l'action de l'Âme universelle (67).

(XIII-XVI) Si l'on veut remonter au principe général de toutes les choses qui arrivent ici-bas, il faut dire : L'Âme gouverne l'Univers par la Raison, comme chaque animal est gouverné par la raison séminale qui façonne ses organes et les met en harmonie avec te tout dont ils sont des parties. Les raisons séminales de tous les êtres étant contenues dans la Raison totale de l'univers, il en résulte que tous les êtres sont à la fois coordonnés entre eux, parce qu'ils forment par leur concours la vie totale de l'univers, et subordonnés les uns aux autres, parce qu'ils occupent un rang plus ou moins élevé selon qu'ils sont animés on inanimés, raisonnables ou irraisonnables. La richesse et la pauvreté, la beauté et la laideur, etc., proviennent du concours des circonstances extérieures et des causes morales. C'est sous ce rapport que l'homme est soumis à la fatalité; il s'en affranchit, quand il exerce les facultés qui le constituent essentiellement. Pour bien comprendre ce point, Il faut résoudre les questions suivantes : 1° Qu'est-ce que séparer l'âme du corps? 2° qu'est-ce que l'Animal ? qu'est-ce que l'Homme (68) ? Elles seront discutées ailleurs (69).

Le rôle que la puissance de l'Âme joue dans l'univers donne lieu à plusieurs questions. On peut les résoudre par le développement du principe suivant : L'Âme gouverne l'univers par la Raison (70). Comme la raison séminale de chaque individu comprend tous les modes de l'existence du corps qu'elle anime, et que la Raison totale de l'univers comprend les raisons séminales de tous les individus, il en résulte que gouverner l'univers par la Raison, c'est, peur l'Âme, faire arriver à l'existence et développer successivement dans le monde sensible toutes les raisons séminales contenues dans la Raison totale de l'univers. Pour cela, elle n'a pas besoin de raisonner. Il lui suffit d'un acte d'imagination par lequel, tout en demeurant en elle-même, elle produit à la fois la matière et les raisons séminales qui, en façonnant la matière, constituent tous les êtres vivants. De là vient que toutes choses forment un ensemble harmonieux, et que même ce qui est moins bon concourt à la perfection de l'univers (71).

(XVII-XVIII) L'Âme universelle comprend deux parties analogues aux deux parties de l'Âme humaine : ce sont la Puissance principale de l'Âme et la Puissance naturelle et génératrice. La Puissance principale de l'âme contemple l'Intelligence divine et conçoit ainsi les idées ou formes pures dont l'ensemble constitue le monde intelligible. La Puissance naturelle et génératrice reçoit de la Puissance principale de l'Âme les idées sous la forme de raisons séminales, dont l'ensemble constitue la Raison totale de l'univers; elle transmet ces raisons à la matière, et donne ainsi naissance è tous les êtres. Il en résulte que le monde sensible est fait à la ressemblance du monde intelligible, et que c'est une image qui se forme perpétuellement.

LIVRE IV.

DA LA MATIERE. (72)

(§ I) Les philosophes s'accordent à définir la matière la substance, le sujet, le réceptacle des formes. Mais les uns [les Stoïciens] regardent la matière comme un corps sans qualité; les autres [les Pythagoriciens, les Platoniciens, les Péripatéticiens] la croient incorporelle; quelques-uns de ces derniers en distinguent deus espèces, la substance des corps ou matière sensible, et la substance des formes incorporelles ou matière intelligible.

DE LA MATIÈRE INTELLIGIBLE - . (II-V) L'existence de la matière intelligible soulève plusieurs difficultés: il semble qu'il ne saurait y avoir dans Ie monde intelligible rien d'informe ni de composé. Pour répondre à ces objections, il suffit de remarquer qu'appliqués aux êtres intelligibles les termes d'informe et de composé n'ont qu'une valeur relative : par exemple, l'âme n'est informe que par rapport à l'intelligence qui la détermine. En outre, la matière intelligible est immuable et toujours unie à une forme. Pour expliquer son existence, il faut considérer que les idées ou essences ont quelque chose de commun et quelque chose de propre qui les différencie les unes des autres : ce qu'elles ont de commun, c'est leur matière; ce qu'elles ont de propre, c'est leur forme. Ainsi, la matière des idées est le sujet unique des différences multiples. Elle est le fond des choses ; et, comme la forme, l'essence, l'idée, la raison, l'intelligence sont appelées la lumière, la matière est assimilée aux ténèbres. Mais il y a une grande différence entre le fond ténébreux des choses intelligibles et celui des choses sensibles. La forme des intelligibles possédant une véritable réalité, leur substance a le même caractère; c'est une essence éternelle, immuable. Sa raison d'être est que chaque intelligible est informe ayant d'être déterminé par son principe générateur : c'est ainsi que l'Âme reçoit sa forme de l'Intelligence, et l'Intelligence de l'Un, qui est la source de toute lumière (73).

DE LA MATIÈRE SENSIBLE. — (VI-VIII) L'existence de la matière sensible, qui sert de sujet aux corps, se démontre par la transformation des éléments les uns dans les autres, par la destruction des choses visibles, etc. Elle n'est ni le mélange d'Anaxagore, ni l'infini d'Anaximandre, ni les éléments d'Empédocle, ni les atomes de Démocrite. La matière première (qu'il faut bien distinguer de la matière propre) est une, simple, sana qualité ni quantité. Elle reçoit sa quantité comme toutes ses qualités de la forme ou essence.

(IX-X) La matière n'a point de quantité parce que l'être est distinct de la quantité: par exemple, la substance incorporelle n'a point d'étendue. L'esprit peut d'ailleurs concevoir la matière sans quantité. Pour cela, Il n'a qu'à faire abstraction de la quantité et de toutes les qualités des corps; étant ainsi arrivé à un état d'indétermination, il conçoit la matière en vertu de cette indétermination même et il reçoit l'impression de l'informe.

(XI-XII) Pour composer les corps, il ne suffit pas de la quantité et des qualités ; il faut encore un sujet qui les reçoive. Ce sujet, c'est la matière première, qui n'a point d'étendue. Elle n'est point, comme on l'a avancé, la quantité séparée des qualités. Elle possède l'existence, quoique son existence ne soit pas claire pour la raison ni saisissable par les sens.

(XIII-XIV) Si la matière n'est pas la quantité, elle n'est pas non plus une qualité commune à tous les éléments. On ne saurait d'ailleurs regarder comme une qualité la privation, qui est l'absence de toute propriété. La matière n'est pas l'altérité, mais seulement une disposition à devenir les autres choses. Elle n'est pas non plus le non-être, mais seulement le dernier degré de l'être.

(XV-XVI) La matière n'est pas l'infini par accident ; elle est l'infini même, dans le monde intelligible comme dans le monde sensible. Cet infini, qui constitue la matière, procède de l'infinité de l'Un; mais entre l'infini de l'Un et l'infini de la matière il y a cette différence que le premier est l'infini idéal et le second l'infini réel. Ce caractère d'infini se concilie fort bien dans la matière avec la privation de toute quantité et de toute qualité.

Étant privée de la forme, qui est la source de toute beauté et de toute bonté, la matière est par cela même laide et mauvaise (74).

En résumé, dans le monde intelligible, la matière est l'être parce que ce qu'il y a au-dessus d'elle, l'Un, est supérieur à l'être; dans le monde sensible, la matière est le non-être, parce que ce qu'il y a au-dessus d'elle, l'Essence ou la Forme, est l'être véritable.

LIVRE V.

DE CE QUI EST EN PUISSANCE ET DE CE QUI EST EN ACTE (75).

Ce livre se rattache au précédent parce que Plotin y traite encore de la matière, qu'il considère comme la puissance de devenir toutes choses.

(§ I) Quand on dit qu'une chose est en puissance, c'est parce qu'elle peut devenir autre que ce qu'elle est : c'est ainsi, par exemple, que l'airain est en puissance une statue. — Être en puissance n'est pas d'ailleurs la même chose qu'être me paissance, si l'on entend la puissance productrice. La puissance est opposée à l'acte, être en puissance à être en acte. La chose qui est ainsi en puissance est le sujet des modifications passives, des formes et des caractères spécifiques, c'est-dire la matière.

(II) Ce qui est en puissance étant la matière, ce qui est en acte est la /orme. Une substance corporelle, comme l'airain, ne peut être à la fois en puissance et en acte une autre chose, par exemple une statue. Une substance incorporelle, comme l'âme, peut être à la fois en puissance et en acte une autre chose, pat exemple le grammairien.

On donne souvent le nom d'acte à la forme de tel ou tel objet. Ce nom conviendrait mieux à l'acte qui n'est pas la forme de tel ou tel objet, à l'acte correspondant d la puissance qui amène une chose à l'acte.

Quant à la puissance qui produit par elle-même ce dont elle est la puissance, elle est une habitude.

(III) Si l'on applique au monde intelligible les considérations précédentes, on voit, en examinant l'intelligence et l'âme, que tout intelligible est en acte et est acte.

(IV-V) Dans le monde sensible, au contraire, ce qui est une chose en puissance est sale autre chose en acte. Quant à la matière, elle est en puissance tous les êtres et elle n'est aucun d'eux en acte; on l'appelle l'informe par opposition à la forme, le non-être par opposition à l'être, dont elle n'est qu'une faible et obscure image. L'être de la matière est ce qui doit dire, ce qui sera, la puissance de devenir toutes choses.

LIVRE VI.

DE L'ESSENCE ET DE LA QUALITÉ (76).

Ce livre se rattache au précédent parce que l'essence est un acte.

(§ 1) Dans le monde intelligible, les qualités sont des différences essentielles dans l'être ou dans l'essence. Dans le monde sensible, il y a deux espèces de qualités : la qualité essentielle, qui est une propriété de l'essence, et la simple qualité, qui fait que l'essence est de telle façon et qui lui donne une certaine disposition extérieure. Ce qui constitue une quiddité dans le monde intelligible devient une qualité dans le monde sensible.

(Il-III) L'essence est la forme et la raison. La qualité est une disposition soit originelle, soit adventice dans l'essence. La qualité intelligible diffère de la qualité sensible en ce que la première est la propriété qui différencie une essence d'une autre essence, et que la seconde consiste dans une simple modification, un accident, une habitude, une disposition, qui ne fait point partie de l'essence d'un être.

LIVRE VII.

DE LA MIXTION OU IL Y A PÉNÉTRATION TOTALE (77).

Ce livre se rattache au précédent parce qu'il y est traité des qualités qui constituent l'essence corporelle.

(§ 1) La mixtion, qu'il ne faut pas confondre avec la juxtaposition, a pour caractère de former un tout homogène. Il y a à ce sujet deux opinions : selon les Péripatéticiens, dans la mixtion de deux corps, les qualités seules se mêlent et les étendues matérielles ne sont que juxtaposées ; selon les Stoïciens, deux corps qui constituent un mixte se pénètrent totalement (78).

(Il) On peut objecter aux Stoïciens que, si les qualités s'altèrent et se confondent dans la mixtion, il ne saurait en être de même des étendues corporelles; aux Péripatéticiens, que des qualités incorporelles peuvent pénétrer un corps sans le diviser, et que la matière ne possède pas plus, en vertu de sa nature propre, l'impénétrabilité que toute autre qualité.

(III) Si l'on examine l'essence du corps, on voit qu'il est le composé de toutes les qualités réunies avec la matière. Cet ensemble de qualités constitue la corporéité, qui est une forme, une raison.

LIVRE VIII.

DE LA VUE.

Pourquoi les objets éloignés paraissent-ils petits (79) ?

Le seul lien qui existe entre ce livre et les précédents, c'est que Plotin y traite de la couleur en la considérant exclusivement comme une forme.

(§ I-II) D'où vient que les objets paraissent plus petits dans l'éloignement ? C'est que, lorsqu'un corps est près de nous, nous voyons quelle est son étendue colorée, et que, lorsqu'il se trouve éloigné, nous voyons seulement qu'il est coloré. L'étendue, étant liée à la couleur, diminue proportionnellement arec elle ; en même temps que la couleur devient moins vive, l'étendue devient moins grande, et la quantité décroît ainsi avec la forme.

LIVRE IX.

CONTRE LES GNOSTIQUES (80).

(I-II) Il y a trois hypostases divines, l'Un ou le Bien, l'Intelligence, l'Âme universelle. — L'Un ou le Bien est, en vertu de sa simplicité même, le Premier et l'Absolu. On ne saurait donc distinguer en lui l'acte et la puissance [comme les Gnostiques ont distingué dans Bythos Ennoïa et Thelesis (81)]. L'Intelligence réunit en elle-même, jusqu'à la plus parfaite identité, le sujet pensant, l'objet pensé et la pensée même. Il en résulte qu'on ne saurait admettre avec les Gnostiques l'existence de plusieurs Intelligences, dont l'une serait en repos et l'autre en mouvement, ou dont l'une penserait et l'autre penserait que la première pense [comme le Nous et le Logos de Valentin (82)]. La Raison qui découle de l'Intelligence dans l'Âme universelle ne constitue pas non plus une hypostase distincte de l'Intelligence et de l'Âme et intermédiaire entre elles [comme le second Logos ou l'Éon Jésus de Valentin (83)]. -- Enfin, l'Âme universelle, à laquelle notre âme est unie sans se confondre avec elle, contemple le monde intelligible, et, sans raisonner ni sortir d'elle même, embellit le monde sensible avec une admirable puissance en faisant rayonner sur lui la lumière qu'elle reçoit elle-même de l'Intelligence.

(III) Il est dans la nature des trois hypostases de communiquer chacune quelque chose de leurs perfections aux êtres inférieurs. Il en résulte que ces êtres sont perpétuellement engendrés par les trois hypostases. La matière elle-même existe de tout temps parce qu'elle résulte nécessairement des autres principes ; de tout temps aussi elle reçoit du monde intelligible les formes qui constituent les êtres sensibles. Elle n'est donc pas, comme l'imaginent les Gnostiques, une nature qui ait été créée à un moment déterminé et qui doive périr (84) ; elle n'occupe pas non plus une région qui soit entièrement séparée du monde intelligible par une limite infranchissable [l'Horus de Valentin (85)],

(IV) Les vérités précédentes ont été complètement méconnues par les Gnostiques. Ils prétendent que l'Âme [Achamoth] a créé par suite d'une chute, qu'elle s'est repentie, et qu'elle détruira le monde dès que les âmes individuelles auront accompli leur oeuvre ici-bas (86) ; car, dans ce système, le monde n'est qu'une oeuvre imparfaite.

(V) Les Gnostique croient que leur âme est d'une nature supérieure aux âmes des astres et à l'âme du Démiurge, laquelle est, selon eux, composée des éléments. Ils enseignent aussi qu'il existe un principe intermédiaire entre le monde intelligible et le monde sensible, et ils lui donnent les noms de Terre nouvelle et de Raison du monde. Ils disent qu'ils ont reçu dans leurs âmes une émanation de ce principe, et qu'ils iront se réunir à lui après leur mort. Mais on ne voit pas bien si, dans leur système, ce principe est antérieur ou postérieur à la création du monde, ni comment il est nécessaire au salut des âmes.

(VI) Les Gnostiques parlent encore d'empreintes, d'exils, de repentirs, de jugements, de métensomatoses. Tous ces mots pompeux ne servent qu'à déguiser les emprunts qu'ils ont faits à Platon. C'est à Platon qu'ils ont pris tout ce qu'ils enseignent sur le Premier [l'Un], sur l'existence du monde intelligible, sur l'immortalité de l'âme et sur la nécessité de la séparer du corps. Mais, en même temps ils défigurent la doctrine du sage auquel ils sont si redevables : ils font de l'Intelligence divine plusieurs hypostases [Nous, Logos] ; ils admettent qu'il existe en dehors de cette Intelligence d'autres essences intelligibles [les bons]. Pour donner du crédit à leurs idées, ils cherchent à rabaisser indignement la sagesse antique des Grecs. Cependant, ces innovations dont ils sont si fiers se bornent à supposer l'existence d'un grand nombre d'Éons, à se plaindre de la constitution de l'univers, à critiquer la puissance qui le gouverne, à identifier le Démiurge avec l'Ave universelle, et à donner à cette Âme les mêmes passions qu'aux âmes individuelles.

(Vil) Il y a de grandes différences entre l'Ave universelle et notre âme. Tandis que notre âme a été liée au corps involontairement, et souffre de l'union qu'elle a contractée avec lui, l'Âme universelle, au contraire, n'a pas besoin de se détourner de la contemplation du monde intelligible pour gouverner le monde sensible et lui communiquer quelque chose de ses perfections.

(VI il) Quant au monde sensible, son existence est nécessaire parce qu'il est dans la nature des principes intelligibles de créer pour manifester leur puissance. Inférieur au monde intelligible, il en offre une image aussi parfaite que possible, soit que l'on considère les astres mis en mouvement par des finies divines, soit que l'on abaisse ses regards sur la terre où, malgré les obstacles qu'elle rencontre à l'exercice de ses facultés, notre âme peut cependant acquérir la sagesse et mener une vie semblable à celle des dieux. D'ailleurs, la justice règne ici bas, si l'on tient compte des existences successives par lesquelles nous passons.

(IX-Xil) Les Gnostiques ont tort de ne pas vouloir reconnaître que l'univers manifeste la puissance divine, de s'imaginer qu'ils ont une nature supérieure, non seulement à celle des autres hommes, mais encore à celle des astres, de croire enfin qu'ils ont le privilège d'entrer seuls en communication avec le Bien [Bythos] et de jouir exclusivement de sa gràce. On ne peut voir sans étonnement avec quelle jactance ces hommes se vantent de posséder la science parfaite des choses divines: car il est facile de montrer combien leur doctrine soulève d'objections. Eu voici le résumé:

« L'Âme [Sophia supérieure] a incliné, c'est-à-dire a illuminé les ténèbres de la matière. De cette illumination de la matière est née la Sagesse [Achassoth] qui a incliné aussi. Les membres de la Sagesse [les natures pneumatiques] sont descendus en même temps ici-bas pour entrer dans des corps. En outre, après avoir conçu la Raison du monde ou la Terre étrangère, la Sagesse a créé et produit des images psychiques [les natures psychiques]. C'est ainsi qu'elle a donné naissance au Démiurge, qui est composé de matière et d'une image. Ce Démiurge lui-même, s'étant séparé de sa mère, a fait les êtres corporels à l'image des êtres intelligibles [des Éons]. il a formé successivement le feu et les trois autres éléments, les astres, le globe terrestre, enfin toutes les choses qui étaient contenues dans le type du monde. »

Si l'on examine attentivement en quoi consiste cette illumination des ténèbres par laquelle les Gnostiques expliquent la création de toutes choses, on peut amener ces hommes à reconnaître les vrais principes du monde, les forcer d'avouer que tous les êtres ont reçu des premiers principes leur matière aussi bien que leur forme, et que les ténèbres sont nées du monde intelligible comme la lumière elle-même.

(Xlll) On n'a donc pas le droit de se plaindre de la nature du monde puisqu'un enchaînement étroit unit les choses du premier, du second et du troisième rang, et descend jusqu'à celles du plus bas degré. Le mal n'est que ce qui, par rapport à la sagesse, est moins complet, moins bon, eu suivant toujours une échelle décroissante.

(XIV) Non seulement les Gnostiques méprisent le monde visible, mais ils prétendent par leur puissance magique commander aux êtres intelligibles aussi bien qu'aux démons. Leur but unique est d'imposer au vulgaire par leur jactance. Les gens sages ne sauraient donc trouver aucun profit à étudier un pareil système.

(XV) La morale des Gnostiques est encore pire que la doctrine qu'ils enseignent sur Dieu et sur l'univers. Ils retissent tout respect aux lois établies ici-bas et prétendent que les actions ne sont bonnes ou mauvaises que d'après l'opinion des hommes. Aux préceptes de vertu que nous ont légués les anciens, ils veulent substituer cette maxime : « Contemple Dieu. » Mais rien n'empêche de s'abandonner aux passions, comme ils le font, tout en contemplant Dieu. Sans la véritable vertu, Dieu n'est qu'un mot.

(XVl-XVII) La cause principale des erreurs dans lesquelles tombent les Gnostiques, c'est qu'ils méprisent les astres et qu'ils s'imaginent que le monde visible est complètement séparé du monde intelligible. Selon eux, Dieu prive l'univers de sa présence, et sa Providence ne s'étend qu'aux pneumatiques. Pour reconnaître leur erreur, il suffit de considérer la beauté du monde visible : car il ne peut être beau que parce qu'il participe aux perfections du monde intelligible et qu'il en offre une fidèle image. On a le droit d'en dire autant de la sphère céleste. Le mépris que les Gnostiques affectent pour les merveilles qui frappent tous les regards est une preuve de leur perversité.

(XVIII) C'est en vain que ces hommes prétendent que leur doctrine est supérieure aux autres en ce qu'elle inspire de la haine pour le corps. Ce n'est pas en critiquant l'oeuvre de l'Aine universelle, c'est en s'affranchissant des passions par la vertu qu'on devient semblable à Dieu et qu'on s'élève à la contemplation du monde intelligible.

N. B. Notre travail sur ce livre était terminé lorsque nous avons eu connaissance d'un curieux manuscrit gnostique annoncé dans le Catalogue d'une Collection d'antiquités égyptiennes laissée par M. Anastasi, consul général de Suède à Alezandrie, et vendue à Paris en juin 1831. Ce manuscrit, qui a été acquis par la Bibliothèque impériale, était décrit comme il suit, sous le na 1073, dans le Catalogue de la Collection, rédigé par M. François Lenormant :

« Ms. sur feuilles de papyrus pliées en livre, formant 33 feuillets écrits des deux côtés. Traité de Magie et d'Astrologie gnostique, en grec, supposé écrit par un nommé Néophtès et dédié au roi Psammétichus. Entre autres choses curieuses, il contient une série de prescriptions et de recherches pour faire les amulettes et les pierres magiques. En tête sont trois pages de Copte qui débutent par l'histoire d'un gâteau mystique, pour la composition duquel s'associent Osiris, Sabaoth, lao, Jésus et tous les Éons. Ce gâteau n'est autre que la Gnose. Écriture du second siècle de notre ère.

Nous aurions désiré, avant de livrer au public notre premier volume, prendre connaissance de ce manuscrit, afin de voir s'il n'ajouterait pas quelque chose â l'exposé que nous donnons de la doctrine des Gnostiques ; mais l'état de vétusté où il se trouve est tel qu'il tombe en lambeaux dès qu'on y touche, et qu'il ne peut être communiqué avant d'avoir reçu une restauration complète, qui entraînera d'assez longs retards.

Dès qu'il sera possible d'en prendre communication, nous en ferons une étude particulière, et, s'il y a lieu, nous exposerons dans la suite de cette publication le résultat de nos recherches.

FIN DES SOMMAIRES.
 

(a) Voy. les Notés et éclaircissements à la fin du volume, p. 315-317.

(b) Ibid., Notice d'Eunape, p. 316.

(c) Ibid., Tableau chronologique de la Vie de Plotin, p, 318.

(d) Voy. ci-dessus les fragments d'Ammonius, p. xciv.

(e) Voy. encore a ce sujet les fragments de Numénius, p.xcviii.

(f) Une des preuves que Porphyre est l'auteur de cet oracle, c'est que l'allégorie de la vie comparée au voyage d'Ulysse (p. 25-26) est la reproduction des idées que Porphyre développe sur ce sujet à la fin de son petit traité De l'Antre des Nymphes. Il paraît d'ailleurs avoir emprunté cette conception à Numénius, dont il parle en ces termes : « C'est avec raison, selon moi, que Numénius voit dans Ulysse l'image de l'homme qui passe par toutes les épreuves de la génération, et qui arrive ainsi auprès de gens éloignée des tempêtes et complétement étrangers à toute notion de la mer. »

(01) Voy. Porphyre, Vie de Plotin, § 24, p. 29.

(02) Voy. les Notes et Éclaircissements, à la fin du volume, p. 380. Jamblique, dans un morceau qui nous a été conservé par Stobée (Eclogæ physicae, I, 52, p.1057, éd. Heeren), donne une définition exacte et concise de la séparation de l'âme et du corps : « Pour Plotin et la plupart des Platoniciens, la purification parfaite de l'âme [la séparation de l'âme du corps] consiste à s'affranchir des passions, à mépriser les connaissances acquises par les sens et tout ce qui appartient au domaine de l'opinion, à se détacher des conceptions qui se rapportent à des objets matériels, à se remplir de l'Être et de l'Intelligence, et à rendre le sujet pensant semblable à l'objet pensé. »

(03) Pour les Remarques générales et les Éclaircissements sur ce livre, voy. les Notes à la fin du volume, p. 319-397, avec la note de la page 101. Voy. aussi ci-dessus (p. LXXXVI-XCIII) un morceau de Porphyre (Des Facultés de l'âme), qui est très propre à servir d'introduction à ce livre. On y trouve expliqué avec clarté et précision le sens des mots partie et faculté de l' àme, mots dont la définition est absolument nécessaire à l'intelligence de la question traitée ici par Plotin.

(04)  Pour les Éclaircissements, Voy. Séparation de l'âme et du corps, p. 380.

(05) Voy. Facultés de l'Âme humaine, p. 324-326.

(06) Voy. Rapprochements entre la doctrine de Plotin et celle d'Aristote sur tes facultés de l'âme humaine, p. 330; Rapports de l'âme avec le corps, p. 356; Doctrine de Plotin sur la nature animale dans l'homme, p. 363 ; Rapprochements entre la doctrine de Plotin et celle d'Aristote, p. 368. Avant nous, K. Steinhart avait déjà signalé dans ses Meletemata plotiniana (p. 32) les rapports de la doctrine que Plotin professe sur les trois parties de l'âme avec celle qu'Aristote enseigne sur le même sujet : « Plotinus recte vidit Aristotelem naturam animae nondum ab omni parte accurate definivisse; qui, quum Mentem separabilem a corpore esse docuisset et prorsus diversam ab Anima statuisset, duplicem quasi animi humani naturam induxisse videbatur, ita ut anima corporis sit domina ac magistra, mens anima; quod quamvis contra physicos illos, qui mentem ab anima nunquam satis distinxerant, verissime monitum esset, minus tamen in hac dôctrina cognosci poterat quis mentis animaque sit nexus et quam mentis partem anima habeat ; et facile Dicaearchi aliorumque errores enasci poterant, qui, ne animum in duas diversas partes discerpere et quasi distrahere viderentur, solam animam aliquid esse neque hanc a corpore separabilem opinarentur. Instituit igitur Plotinus ostendere animam non esse a mente divulsam et vere diversam, sed efficaciam illam esse mentis necessariam, quae sua natura, sua vi, suo motu, totam rerum universitatem et gignat et formis vivis repleat... Quod ita fecit ut etiam animam, quae a mente illustrata de singulis rebus cogitet, a corpore separabilem esse affirmaret, et, quae Aristoteles de pura mente docuerat, de anima ratione praedita quoque dicendum esse ostenderet; aie et mentis et animae immortalitatem sibi videbatur satis demonstravisse. Sed neque Plotino contigit, ut duplicem hominis naturam ad veram omnino concordiam revocaret; nam quum Aristoteles supra animam mentem extulisset, ipse rationalem animam ab anima inferiori sive vitali sive sentiendi vi instructa discerni voluit et illam menti, hanc corpori proxime adhaerere existimavit, ita ut jam ipsius animae natura in duas diversas partes discedere videretur; quam difficultatem nullo modo solvere potuit, quia corpora terrestria non necessaria quaedam animas opificia atque instrumenta, sed vana simulacre esse putabat. »

(07) Voy. Facultés de l'âme humaine, p. 324-329; sensation, p. 333-336 ; pansions, p. 336; opinion, p. 33T ; imagination, p. 338-340; raison discursive, p. 341-343; intelligence, p. 344-352; conscience, p. 352-355.

(08)  Dans un fragment de son traité De l'Âme, Jamblique cite en ces termes la fin du § 2 de ce livre : « Plotin enlève à l'âme les facultés irrationnelles, la sensation, l'imagination, la mémoire, le raissonnement. La raison pure est la seule faculté qu'il attribue à l'essence pure de l'âme et qu'il regarde comme conforme à la nature de cette essence. » (Stobée, Eclogae physicae, I, 54; p. 881, éd. Heeren.)

(09) Voy. Rapports de l'âme avec le corps, p. 355-361.

(10) Voy. Âme irraisonnable, p. 324; Nature animale, p. 362-377.

(11) Voy. Âme raisonnable, p. 325-326.

(12) Voy. Intelligence, p. 326-328, 344-352.

(13)  Voy. Théorie des trois hypostases divines, p. 320-323; Rapports de l'âme humaine avec les trois hypostases divines, p. 329-330; Rapprochements entre la doctrine de Plotin et celle de Platon, p. 367. L'opinion que nous avons émise dans ce dernier éclaircissement sur la manière dont Plotin interprète un passage du Timée est complétement d'accord avec celle de K. Steinhart : « Plerumque Plotinus, quum de animae natura exponit, ea sequitur quae Plato in Timaeo docuerat. Sic, quum ibi invenisset Deum ex duabus diversis naturis, quarum una non possit in partes discedere, altera circum corpora divisa ac distributa sit, tertiam aliquam miscuisse et composuisse, in medio inter puram mentem et corpora loco collocatam, hoc divinum a Platone propositum aenigma judicat et ita recte explicat, ut dicat Animam universi esse istam compositam naturam : hanc enim in partes videri quidem divisam et in corpora dispersam, sed vere non esse divisam, neque, etsi infinitam singularium animarum complectatur multitudinem et varietatem, ipsam in multitudinem dilabi, sed unam esse in multis corporibus vires suas diversis modis ac formis exserentem. » (Meletemata plotiniana, p. 16.)

(14) Voy. Séparation de l'âme et du corps, p. 383-384.

(15) Voy. p. 360, 362, 368.

(16) Voy. p. 381-400.

(17)  Voy. p. 346-348.

(18) Voy. Nature animale dans la bête, p. 377-380.

(19) Voy. Métempsycose, p. 385-387, 454. K. Steinhart fait remarquer avec raison que, dans ce passage Plotin s'exprime d'une manière dubitative au sujet de la chute de l'âme et de la métempsycose : « Plotinus eo videtur inclinare ut omnem illam doctrinam et de animarum migratione et de primo earum lapsu, quae mali fuerit origo, in dubitationem vocare audeat; qua in re Platonis mentem multo rectius profecto perspexit quam reliqui omnes, qui illis temporibus et ante ilium et post eum Platonici nominabantur. » (Meletemata plotiniana, p. 17.) Il y a plus : dans son livre De la Descente de l'âme dans le corps, Plotin critique formellement la doctrine de Platon sur la chute de l'âme ; il écrit même ces paroles très remarquables : « L'âme, étant un dieu inférieur, descend ici-bas par suite d'une inclination volontaire, dans le but d'exercer sa puissance et d'orner ce qui est au-dessous d'elle. Si elle fuit promptement d'ici-bas, elle n'a pas à regretter d'avoir pris connaissance du mal et de savoir quelle est la nature du vice, ni d'avoir manifesté ses facultés et fait voir ses actes et ses oeuvres. Les facultés de l'âme seraient inutiles si elles sommeillaient toujours dans l'essence incorporelle sans passer à l'acte. L'âme ignorerait elle-même ce qu'elle possède, si ses facultés ne se manifestaient pas par la procession : car c'est l'acte qui partout manifeste la puissance; celle-ci, sans cela, serait complètement cachée et obscure, ou plutôt elle n'existerait pas et ne posséderait pas de réalité. (Enn. IV, liv. VIII, § 5.)

(20) Voy. p.415-417.

(21) Voy. Conscience, p. 352-355.

(22) Voy. Rapports de la Sensibilité, de la Raison discursive et de l'Intelligence, p. 326-330.

(23) Pour les Remarques générales et les Éclaircissements sur ce livre, Voy. les Notes à la fin du volume, p. 397.

(24) Voy., p. 427, le passage du Théétète de Platon auquel Plotin fait allusion.

(25) Voy., p. 397, le passage de la République de Platon auquel Plotin a emprunté la définition qu'il donne de cos quatre vertus. Il est également nécessaire de rapprocher de ce livre le commentaire qu'en a donné Porphyre dans ses Principes de la théorie des intelligibles (§ I, p. LI) et le résumé qu'en a fait Macrobe (résumé cité p. 401-403 de ce volume).

(26) Pour l'intelligence des considérations que Plotin indique dans ce passage, il est nécessaire de recourir aux explications qui se trouvent dans les Notes, p. 398-401.

(27) Pour les Remarques générales et les Éclaircissements sur ce livre, Voy. les Notes, p. 404.

(28) Pour les emprunts que Plotin a faits à Platon sur ce sujet, Voy. p. 404-406.

(29) Sur la Dialectique, sur la méthode de Platon et celle d'Aristote, Voy. p. 406-411. Voy. aussi la dissertation de K. Steinhart, De Dialectica ptotiniana, p.14.

(30)  Sur les rapports de la Dialectique avec la Morale, Voy. ci-après, p. 399-401.

(31) Pour les Remarques générales et les Éclaircissements sur ce livre, Voy. les Notes, p. 412.

(32) Voy. p. 413.

(33) Cette définition de la vie parfaite doit être comparée à celle qu'en donne Aristote. Voy. p. 416.

(34) Voy. p. 414.

(35) Voy. S. Basile, Homélie aux jeunes gens, § 9.

(36) Pour la comparaison de ces idées avec celles des Stoïciens, Voy. les Notes de ce volume, p. 418. Voy. aussi Sénèque, Lettres à Lucilius, 4, 70, 74, 74, 85, 92.

(37) Sur le suicide dans la doctrine des Stoïciens, Voy. M. Ravaisson, Sur le Stoïcisme (Mém. de l'Acad. des Inscriptions et Belles-Lettres, t. XXI, p. 84). Plotin est loin d'avoir professé à ce sujet les mêmes idées que les Stoïciens, puisqu'il détourna Porphyre de se donner la mort (vie de Plotin, § 11, p. 13) et qu'il écrivit à cette occasion un livre contre le Suicide. 

(38) Voy. S. Basile, Homélie sur le précepte : Observe-toi toi-même, § 3, 7.

(39) Pour les Remarques générales et les Éclaircissements sur ce livre, Voy. les Notes, p. 419-420. Sénèque a traité le même sujet dans ses Lettres à Lucilius, 92..

(40) Cette fin paraît dirigée contre la théorie d'Aristote (p. 419-420).

(41) Pour les Remarques générales et les Éclaircissements sur ce livre, Voy, les Notes, p. 421.

(42) Voy. ibid., p. 421.

(43) Voy. M. Ravaisson, Sur le Stoïcisme, (Mém. de l'Acad. des Inscriptions et Belles-Lettres, t. XII, p. 42.)

(44) Les emprunts que Plotin a faits ici à Platon sont indiqués dans les Notes, p.443-444. Pour la théorie des trois hypostases rappelée ici par Plotin, Voy. p. 321.

(45) Pour les Remarques générales et les Éclaircissements sur ce livre, voy. les Notes, p. 437.

(46) Pour la théorie des trois hypostases, Voy. p. 321.

(47) Pour l'identité de l'Intelligence et de l'Intelligible, Voy. p. 259-251, 348-352.

(48) Pour le Mal en soi ou Mal métaphysique, voy. p. 431-433.

(49) Pour le Mal relatif ou Mal Moral, vroy. les Notes, p. 434.

(50) Les passages de Platon auxquels Plotin fait ici allusion se trouvent reproduits dans les Notes, p. 432-431.

(51) Pour les Remarques générales et les Éclaircissements sur ce livre, voy. les Notes, p. 439-443, auxquelles il faut ajouter la citation de Creuzer qui se trouve ci-dessus, p. XXXVI, note 3. Voy. aussi les Principes de la théorie des intelligibles de Porphyre, § II, III, p. LVII.

(52) Aux rapprochements que nous avons indiqués sur ce sujet dans les Notes (p. 439-443) il faut joindre un passage remarquable de Josèphe (Guerre des Juifs, VIII, 5). Dans le discours qu'il adresse à ses soldats pour les exhorter à se rendre aux Romains, il flétrit le suicide en ces termes : « Nos corps sont mortels; la matière dont ils se composent est périssable. Notre âme, au contraire, est créée pour l'immortalité ; portion de la Divinité, elle n'habite le corps que comme une maison de passage. Comment l'homme pourrait-il de son autorité privée chasser de son corps le principe qu'y a déposé la Divinité ? Une récompense éternelle attend ceux qui se séparent du corps conformément à la loi de la nature, purs et persévérants dans l'obéissance. L'espace le plus sacré du ciel est leur partage, et, après la révolution des siècles, ils habitent de nouveau des corps sacrés. Mais les âmes de ceux qui se portent à des excès contre eux-mêmes vont dans la plus sombre partie de l'enfer, et Dieu punit leurs crimes jusque sur leurs enfants. »  Voy. G. Brocher, L'Immortalité de l'âme chez les Juifs, trad. de M. Isidore Cahen, p. 69.

(53) Voy. plus loin, p. CXXXI, le sommaire de ce livre.

(54) Pour les Remarques générales et les Éclaircissements sur ce livre, Voy. les Notes, p. 444.

(55)  Pour les rapports de la théorie de Plotin avec celle de Platon et celle d'Aristote, voy. les Notes, p. 444-445.

(56) La différence qu'il y a entre la Puissance principale de l'Âme universelle et sa Puissance génératrice est expliquée p. 193, note 1. C'est la Puissance génératrice qui organise le corps de l'homme avant qu'il soit gouverné par l'âme raisonnable. Sur ce point obscur de la doctrine de Plotin, voy. p. 475-478.

(57)  K. Steinhart dit, dans ses Meletemata plotiniana (p. 20-21), que Plotin s'écarte ici de la doctrine de Platon.

(58)  Voy. dans les Notes, p. 446-447, ce que saint Augustin dit de cette théorie.

(59)  Pour les Remarques générales et les Éclaircissements sur ce livre, voy. les Notes, p. 440.

(60)  Pour les rapports qui existent sur ce point entre la théorie de Plotin et celle d'Aristote, voy. p. 449-451.

(61) Sur le mouvement de l'âme humaine et du pneuma, voy. p. 452-456. Les Kabbalistes ont admis aussi, comme Plotin, que l'âme est entourée d'un esprit éthéré:  « Dans leur état primitif, dit l'un d'eux, les âmes humaines sont unies à des corps fins et éthérés, de nature céleste, qui ne sont pas perceptibles au sens de la vue. Dès lors les âmes ne s'en séparent plus, ni avant, ni pendant leur vie terrestre, ni après qu'elles ont quitté leur corps terrestre. » (G. Brocher, L'Immortalité de l'âme chez les Juifs, p. 136 de la trad. de M. Is. Cahen . )

(62) Pour les Remarques générales et les Éclaircissements sur ce livre, voy. les Notes, p. 457.

(63) Pour l'exposition des principes d'astrologie judiciaire dont la connaissance est nécessaire à l'intelligence de cette discussion, voy. p. 457-464.

(64) La doctrine de Plotin sur l'influence des astres peut se formuler ainsi : 1° Les astres indiquent les événements futurs en vertu de l'ordre général de l'univers; 2° ils n'exercent qu'une influence physique par leur corps ou sympathique par leur dote irraisonnable. Pour le développement de ces deux propositions et pour toutes les remarques auxquelles elles donnent lieu, Voy. p. 464-468.

(65) Pour les explications qui sont nécessaires à l'intelligence de la doctrine de Plotin sur la liberté et la fatalité, la vertu et le vice, la récompense et la punition de l'âme humaine, voy. p. 471-413.

(66)  Les diverses causes des maux physiques sont énumérées p. 468.

(67)  Sur la génération de l'homme, Voy. p. 473-478. Les diverses hypothèses des anciens sur la génération de l'homme sont énumérées par Jamblique dans un fragment de son traité De l'âme (Stobée, Eclogae physicae, I. !91, p. 912, éd. Heeren).

(68) Voy. les Notes, p. 380-386.

(69) Voy. Enn. I, liv. I.

(70) Pour la doctrine de Plotin sur l'action providentielle de l'Âme universelle et sur ses rapports avec l'Âme humaine, Voy. p. 473-478.

(71) Voy. les Notes, p. 427-434.

(72) Pour les Remarques générales sur ce livre, Voy. les Notes, p. 481. Voici le jugement que K. Steinhart porte sur ce livre : « Plotinus recepit ab Aristotele ea quae ille accuratius et subtilius Platone de materia et forma disputaverat, quod verae totius doctrinae Aristotelicae fundamentum dicere possumus : nam nec materiam sine forma, nec sine materia formam aliquid esse rectissime cognoverat, et unam altera indigere, ut, utraque demum conjuncta, vera essentisae notio expleatur. Plotinus haec ita amplificavit, ut, Platonein cum Aristotele concilians, duplex istud omnium rerum externarum et sensibillium principium esse statueret, et quidquid in iis infinitum, malum, deforme esse videretur, id materiae attribueret, quidquid flnitum, bonum, pulchrum, formae supervenientis opus esse putaret; quamobrem tertium illud, quod in singulis rebus invenerat Aristoteles, principium, privationem, a materia, prima negationis omnis ratione, noluit distingui. (Meleternata plotiniana, p. 51.)
 

(73) Cette théorie de la matière intelligible e été reproduite presque littéralement par Ibn-Gebirol (Avicebron) dans le livre IV de la Source de la Vie. Foy. M. S. Munk, Mélanges de philosophie juive et arabe, p. 203.

(74) Voy. Enn.. I, liv. VI, VIII.

(75) 2 Pour les Remarques générales sur ce livre, Foy. les Notes, p. 486. Dans ses Melemata plotiniana (p. 31), K. Steinhart signale fort bien l'importance de ce livre : « Aristoteles, ad rerum vires et mutationes attendens, invenerat discrimen potentia et efficaciae, materate et formae discrimini non dissimile : nam quidquid fieri potest, materiam nominaverat; efficaciam vero illam, qua vere aliquid fit, formae assignaverat. Hoc discrimen nullum esse in mente aeterna, quae omnis semper efficiat quae facere possit, et ipsam animae vitam non, ut res inanimas, ab aliis rebus moveri atque impelli, sed suo motu efllcacem esse et potentiam suam agendo perpetuo exserere jam Aristoteles viderat. Plotinus librum exigui voluminis, sed gravissimi argumenti, de bis notionibus scripsit, quo diversas earum formas exposuit et ostendit in ipsa mente esse quidem et vim agendi et ipsam actionem, sed utramque cogitatione tantum discerni, vere non esse diversas. Eo magis admiramur quod Plotinum ita ab uberrima illa notione proprii et efficacis animae motus, quem Aristoteles entelecheiam nominaverat (quo verbo indicaverat animam ipsam et motus sui causam et finem esse), abhorrere videmus : nam, quanquam idem fore de animae natura docuit, acerrime tamen illud dogma, quod philosophiae Aristotelicae culmen quasi fuit, impugnavit; non alla fortasse causa quam quod Peripateticos quosdam, qui sententiam magistri minus recta perspexissent, in eorum errores recidisse viderat qui animam corporis aliquam harmoniam et vim effectricem esse putarent, non ipsam in se aliquam vitam vitalem habere censerent. »

(76) Pour les Remarques générales sur ce livre, Voy. les Notes, p. 487.

(77) Pour les Remarques générales et les Éclaircissements sur ce livre, Voy. les Notes, p. 488.

(78) Voici comment M. Ravaisson explique la doctrine des Stoïciens sur la pénétration totale: « Il y a dans tout être, suivant les Stoïciens, deux principes, l'un passif, la matière, qui forme la substance, l'autre actif, la cause ou qualité, qui fait de la matière telle ou telle chose déterminée... Comme la qualité constitutive ne peut faire défaut à aucune des parties de la matière en laquelle elle réside, elle est physiquement et corporellement coétendue à la matière; elle l'embrasse en tous ses contours, elle la parcourt et la pénètre dans toute sa profondeur; elle occupe, elle remplit avec elle l'espace. Ainsi se trouve renversé le principe que deux corps ne peuvent en même temps occuper le mémo lieue Par l'hypothèse de la pénétration absolue, les Stoïciens attribuent à un corps, pour lui faire jouer un rôle qui appartient à la cause incorporelle, une propriété qu'exclut l'idée môme du corps. » (Sur le Stoïcisme, Mém. de l'Acad. des Inscriptions et Belles-Lettres, t. XXI, p. 15-47.)

(79)  Pour les Remarques générales, Voy. les Notes, p. 480.

(80) Pour les Remarques générales et les Éclaircissements auxquels ce livre donne lieu, voy. les Notes placées à la fin du volume, p. 401-408.

(81Ibid., p. 520-521.

(82) Ibid., p. 521-522.

(83) Ibid., p. 522.

(84) Voy. ibid., p. 521.

(85) Ibid., p. 531.

(86) Ibid., p. 512, 518.