Plotin, Ennéades, traduit par Bouillet

PLOTIN

AVERTISSEMENT - SOMMAIRES DE LA 3ème et de la 4eme ENNEADE

Tome deuxième

ENNÉADE II, LIVRE IXENNÉADE III, LIVRE I

 

 

 

 

 

 

 

I  LES ENNÉADES DE PLOTIN

II AUTRES PUBLICATIONS PHILOSOPHIQUES DE M. BOUILLET :

ŒUVRES PHILOSOPHIQUES DE FRANÇOIS BACON,

Publiées d'après les textes originaux, avec Notices, Sommaires el Éclaircissements , . . . . 3 vol. in-8

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M. TULLII CICERONIS

OPERA PHILOSOPHICA,

Cum selectis veterum ac recentiorum notis,curante et amendante M.-N.Bouillet. (Faisant partie des OEuvres complètes deCicéron, daus la collection des
Classiques latins de Lemaire.) 7 vol. in-8.

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L. ANNAEI SENECAE

OPERA PHILOSOPHICA,

Quae recognovit et selectis, tum Lipsii, Gronovii, Gruteri, B. Rhenani, Ruhkopfli, aliorumque commentariis, tum suis, illustravit M.-N. Bouillet. (Dans la collection des Classiques latins de Lemaire.)... 6 vol. in-8.

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Paris. — Imprimerie de Wittersheim, 8, rue Montmorency.

III LES

ENNÉADES

DE PLOTIN

CHEF DE L'ÉCOLE NÉOPLATONICIENNE

TRADUITES POUR LA PREMIÈRE FOIS EN FRANÇAIS

ACCOMPAGNÉES DE SOMMAIRES , DE NOTES ET D'ÉCLAIRCISSEMENTS

ET PRÉCÉDÉES DE LA VIE DE PLOTIN

AVEC DES FRAGMENTS DE PORPHYRE, DE JAMBLIQUE,

ET AUTRES PHILOSOPHES NÉOPLATONICIENS

PAR M.-N. BOUILLET

Conseiller honoraire de l'Université, inspecteur de l'Académie de Paris

TOME DEUXIÈME

PARIS

LIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET CIE

RUE PIERRE-SARRAZIN,14

Près de l'École de Médecine

1859

IV

 

V AVERTISSEMENT

En remettant en lumière les écrits du chef de l'École néoplatonicienne, nous n'avons pu assurément avoir la pensée de faire revivre une philosophie qui a fait son temps ; mais nous avons voulu, comme nous l'annoncions dès le début, combler une lacune regrettable en rendant plus accessible un ouvrage dont la lecture, indispensable à quiconque veut étudier l'histoire de la philosophie, semblait être devenue le privilège d'un petit nombre d'érudits; nous avons voulu, en produisant les pièces du procès qui s'agite encore de nos jours au sujet de l'École néoplatonicienne, mettre chacun à portée de prononcer par lui-même, en pleine connaissance de cause, sur la valeur d'une doctrine si contestée; nous avons voulu aussi aider l'éclectique impartial à séparer d'avec des erreurs dont il a été depuis longtemps fait justice des vérités sublimes, vraiment dignes d'entrer dans la science et éminemment propres à élever l'âme, à la détacher du corps et des intérêts terrestres.

En même temps, nous nous étions proposé, dans le travail qui devait accompagner la traduction, d'éclaircir, à l'occasion, par un exposé de chaque partie de la doctrine néoplatonicienne, les points qui seraient restés obscurs, de faire saisir les rapports de cette philosophie avec celles qui l'ont précédée ou qui sont venues après elle, de retrouver dans les premières les éléments dont s'est composé l'éclectisme alexandrin, de suivre dans les secondes les traces de la doctrine néoplatonicienne à travers les âges et de signaler la puissante influence que cette doctrine a exercée sur tous les écrivains postérieurs, chrétiens comme païens.

A ces divers titres, le volume que nous publions aujourd'hui offre un intérêt qui surpasse de beaucoup celui que pouvait offrir le précédent. On y trouve, en effet, les solutions données par Plotin aux questions les plus graves, à celles qui de tout temps ont le plus vivement préoccupé le philosophe et le théologien, celles de la Providence et du Destin, du Temps et de l'Éternité, de l'essence de l'Âme, de ses facultés, de son origine, de son immortalité; de l'Unité ou de la Pluralité des êtres, et de la conciliation de l'une VI  avec l'autre. Ajoutons que les livres qui contiennent ces solutions sont peut-être les plus achevés que nous ait laissés Plotin, et que plusieurs peuvent aller de pair avec ce que les plus grands philosophes ont produit de plus solide, dans les temps modernes comme dans l'antiquité. Et en effet, nous ne craignons pas de le dire, le traité De la Providence peut sur bien des points soutenir la comparaison avec la Théodicée de Leibnitz; le livre Sur le Temps et l'Éternité, aussi remarquable par la méthode que par la profondeur, se place à côté de la célèbre correspondance de Clarke et de Leibnitz Sur le Temps et l'Espace; nulle part enfin la distinction de l'âme et du corps n'a été établie plus fortement que dans les livres Sur l'Âme et Sur l'Immortalité : ici Plotin le dispute à Descartes, si même il ne l'emporte sur l'auteur des Méditations (01).

Nous espérons que le travail que nous avons joint à la traduction des deux Ennéades contenues dans ce second volume ne sera pas non plus sans intérêt; nous avons fait du moins tous nos efforts pour qu'il ne fût pas indigne des livres qu'il devait accompagner.

A cet effet, nous avons dans ce volume, de même que dans le précédent, réuni tous les genres de secours qui nous ont paru propres à faciliter l'intelligence du texte.

Pour ceux des livres de Plotin où le sujet est traité complètement et avec assez de méthode, et qui par conséquent peuvent se suffire à eux-mêmes, nous nous sommes borné aux Sommaires, destinés à faire mieux saisir l'enchaînement des idées, et aux notes particulières, où sont expliquées les difficultés de détail ; mais, pour les livres où la doctrine n'était exposée qu'incomplètement et qui supposaient la connaissance des autres parties du système, nous avons, dans les Éclaircissements placés à la fin du volume, présenté un tableau aussi complet et aussi fidèle qu'il nous a été possible des opinions de notre auteur sur la matière, en recueillant dans les autres parties des Ennéades tous les passages qui se rapportaient au sujet en discussion : c'est ce que nous avons fait notamment pour la doctrine de Plotin sur la Providence et le Destin (02), sur l'Essence, les Facultés et la Destinée de l'Âme (03).

VII Non content d'expliquer ainsi notre auteur par lui-même, nous avons, dans un Appendice, donné des morceaux importants de Porphyre, de Jamblique et d'Énée de Gaza, dont nous devons la traduction à l'obligeance de M. Eugène Lévêque (04), et qui jetteront plus de jour sur la psychologie néoplatonicienne. Nous appellerons particulièrement l'attention sur le Traité de l'Âme par Jamblique : outre l'intérêt qu'il offre à l'histoire de la philosophie, parce qu'il renferme des documents qu'on ne trouve que là, cet écrit a l'avantage d'énumérer dans un ordre méthodique toutes les questions qui étaient posées sur l'âme dans l'école néoplatonicienne et de comparer la doctrine de Plotin sur ces questions avec celles des autres philosophes. Les fragments que nous donnons du Commentaire du même auteur Sur le Traité de l'Âme d'Aristote ont aussi leur importance, non seulement parce qu'ils complètent l'œuvre de Jamblique, mais encore parce que le Commentaire dont ils sont détachés a servi de guide à plusieurs écrivains postérieurs, à Plutarque d'Athènes, à Simplicius, à Priscien de Lydie. Enfin, le Théophraste d'Énée de Gaza, dont nous présentons l'analyse avec des extraits étendus, fera connaître tout à la fois la polémique des théologiens grecs contre quelques théories platoniciennes qui étaient en opposition avec le dogme chrétien et les emprunts que ces mêmes théologiens ont cru pouvoir faire sur d'autres points à l'École d'Alexandrie.

Nous avons en outre, dans ce volume, comme dans le précédent, recherché avec soin les sources où a puisé l'auteur des Ennéades, et nous avons également indiqué ce qu'il a fourni lui-même, soit aux philosophes de son école, soit aux écrivains chrétiens.

Les auteurs qui ont été le plus souvent mis à contribution dans la IIIe et la IVe Ennéade sont, comme pour les deux premières, Platon, Aristote et les Stoïciens, Chrysippe surtout (05); cependant, nous avons pu aussi, en plus d'une occasion, y saisir la trace du juif Philon (06); il y a même dans la IVe Ennéade quelques idées qui nous ont paru ne pouvoir être rapportées qu'à une origine chrétienne (07).

Pour les temps postérieurs à Plotin, nous nous sommes attaché à signaler, non seulement les emprunts qui lui ont été faits par ses VIII disciples et par les commentateurs arabes, mais aussi les nombreuses analogies qui se rencontrent entre certains auteurs chrétiens et notre philosophe (08); et peut-être cette dernière partie de notre tâche ne sera-t-elle ni la moins neuve ni la moins intéressante.

On savait bien, il est vrai, qu'une étroite affinité unit dès l'origine le Platonisme et le Christianisme, si bien que le savant et pieux Baronius a pu dire que l'Académie était le vestibule de l'Église, et que l'orthodoxe Baltus crut nécessaire de justifier les saints Pères à cet égard (09); on savait aussi, par les déclarations et les citations de quelques auteurs chrétiens (10), que les écrits de Plotin ne leur étaient pas inconnus; mais nous étions loin de soupçonner, avant les recherches dont nous consignons ici les résultats, jusqu'où s'étendaient les services que ces écrits ont pu leur rendre.

Pour ne parler que d'un seul des Pères, mais de celui qui est le plus important de tous, parce que c'est celui qui a le plus contribué à constituer l'enseignement théologique dans l'Église latine, pour ne parler, disons-nous, que de saint Augustin, nous avons pu reconnaître que ce Père, qui du reste ne cite jamais Plotin qu'avec honneur (11), lui a emprunté, non seulement quelques pensées détachées, mais la meilleure partie de sa doctrine sur la Providence (12), les principes de la théorie qu'il expose sur le Temps et l'Éternité (13), ainsi que presque toute sa doctrine psychologique (14).

Et qu'on ne s'étonne pas des nombreuses analogies qui se rencontrent entre le docteur de l'Église et le philosophe païen : saint Augustin lui-même va nous les expliquer. D'un côté, en effet, ce Père nous déclare que, dans son ardent désir d'atteindre la vérité, il est résolu à consulter la raison aussi bien que la foi, et ce sont les Platoniciens qu'il va consulter, avec la confiance de trouver chez eux des vérités qui soient d'accord avec les Saintes Écritures (15); IX de l'autre, nous avons pu établir, tant par son propre témoignage que par de légitimes inductions tirées de plusieurs passages de ses écrits, que, bien qu'il fût peu familier avec la langue grecque, il avait lu et profondément étudié les écrits de ceux qu'il appelle les Platoniciens par excellence et qui ne sont autres que Plotin et Porphyre ; et qu'il les avait lus à l'aide d'une traduction littérale faite en latin par un auteur qu'il nomme lui-même, par Marius Victorinus (16).

Qu'on n'aille pas non plus s'imaginer que la foi ait à s'alarmer de l'accord que nous avons plus d'une fois signalé entre notre philosophe et les Pères de l'Église. Cet accord, qui n'existe d'ailleurs que sur des matières qui sont du ressort de la raison et qui ne touchent en rien au dogme, ne peut qu'être à l'honneur de la religion aussi bien que de la philosophie, et il doit être un sujet de joie pour les amis sincères de l'une et de l'autre : il prouve en effet que, malgré tant de causes d'incertitude et d'erreur, il existe une vérité éternelle, perennis quaedam philosophia, comme disait Leibnitz, qui est indépendante des temps, des lieux et des écoles. Du reste, en nous livrant à ces rapprochements, nous n'avons fait que suivre la voie si bien tracée au dernier siècle par un des plus grands théologiens français, par le P. Thomassin, de l'Oratoire. Dans ses Dogmata theologica, ouvrage qui fait autorité en théologie, ce pieux et savant auteur interroge successivement sur chaque question les philosophes aussi bien que les Pères de l'Église, et, parmi les philosophes, les Platoniciens de préférence, ces patriciens de la philosophie, comme il les appelle en se servant d'une expression qu'il emprunte à Cicéron ; et, frappé de la justesse et de la profondeur des réponses qu'il obtient de quelques-uns d'entre eux, de Plotin surtout, il s'écrie: « Le lecteur ne pourra s'empêcher de ressentir une grande joie en songeant que des hommes dénués du secours de la foi aient pu pénétrer si avant dans les célestes mystères... Cette étude ne peut manquer d'offrir une grande utilité à cause de l'importance des secours qu'on y trouve pour éclairer et confirmer la vérité de la religion chrétienne (17). » Ailleurs, le même théologien, plein d'admiration pour la manière dont Plotin décrit l'état de l'âme qui s'est élevée au monde intelligible, s'écrie avec transport : « Il me semble entendre Augustin lui-même enseignant X comment le Bien suprême, Dieu le Père, engendre le verbe, la Vérité éternelle, qui éclaire les intelligibles et tout ce qui possède la vérité  (18).»

Il nous reste à acquitter deux dettes de reconnaissance :

L'une, envers M. Eugène Lévêque, qui, outre sa traduction des Fragments de Psychologie néoplatonicienne, que nous avons déjà mentionnée, nous a prêté pour tout ce volume, comme pour le précédent, un concours aussi utile qu'assidu;

L'autre, envers le public lettré, qui a fait à cette publication le plus bienveillant accueil.

Honorée des suffrages des juges les plus compétents, en tête desquels nous nous glorifions de pouvoir nommer les représentants les plus illustres de la philosophie et de la littérature en France ; accueillie avec faveur par l'Académie des Sciences morales et par l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, notre traduction des Ennéades a attiré l'attention des organes les plus graves et les plus sérieux de la presse (19) et a été appréciée avec toute la bienveillance que nous pouvions espérer.

Toutefois. cette bienveillance n'a pas été telle qu'elle dût empêcher un examen impartial. Quelques critiques ont été exprimées, dont les unes s'adressent à notre auteur et les autres à nous-même ; nous y répondrons en peu de mots.

On a reproduit contre Plotin les accusations de panthéisme et de XI mysticisme qui lui ont été si souvent adressées. Si l'on fait consister le panthéisme, comme on le doit, dans l'identification de la nature avec Dieu, de la créature avec le créateur, et non dans telle ou telle explication contestable de la création, dans la théorie de l'émanation, par exemple, personne n'est moins panthéiste que Plotin : car, bien qu'admettant que tous les êtres émanent ou procèdent de l'Un, c'est-à-dire du Dieu suprême, il maintient partout la personnalité et la liberté humaines ; il proteste avec force contre toute doctrine qui tendrait à les supprimer, et c'est avec cette arme puissante qu'il combat le panthéisme des Stoïciens et celui des Nouveaux Pythagoriciens (20), d'accord en cela avec la plus grande autorité théologique, avec saint Thomas, l'ange de l'École.

Quant au mysticisme, que l'on considère généralement comme étant le pivot de toute la doctrine de Plotin, nous pouvons dire que si l'on entend par là, non pas l'amour de l'idéal, la tendance vers les régions intellectuelles et le détachement des biens terrestres, mais la théorie de l'extase et de l'union avec Dieu, cette théorie, loin de faire le fond du néoplatonisme, y occupe si peu de place qu'elle semble n'y être qu'un hors-d'œuvre ou du moins un accessoire inutile. Dans les quatre premières Ennéades, on trouve à peine quelques lignes qui se rapportent à l'extase, et, si l'on considère l'ensemble de l'œuvre de Plotin, on peut dire hardiment que la plupart des livres dont elle se compose n'ont aucune espèce de rapport, ni direct ni indirect, avec le mysticisme. Bien plus, Plotin a combattu avec force le mysticisme des Gnostiques et il ne craint pas de signaler certaines exagérations de Platon lui-même à cet égard (21). Le mysticisme modéré qu'il admet ne dépasse en rien celui que professaient alors la plupart des Pères de l'Église, notamment saint Augustin, avec lequel il se trouve encore ici pleinement d'accord. Au reste, quelque opinion que l'on ait du mysticisme, ce qui peut se rencontrer de cette doctrine dans Plotin ne doit en rien affaiblir le mérite de ses observations sur les facultés de l'âme ou diminuer la valeur des preuves si solides qu'il a données de la Providence, de la spiritualité et de l'immortalité de l'Âme humaine.

On a aussi répété contre Plotin l'accusation d'avoir été l'ennemi du christianisme : nous ne pourrions répondre à cette imputation qu'en rappelant les hommages rendus à ce philosophe par plusieurs XII Pères de l'Église, ainsi que les nombreuses analogies que nous avons déjà signalées entre leur doctrine et la sienne, en un mot en répétant ce que nous avons dit à ce sujet dans la Préface de notre premier volume. Qu'il nous suffise d'y renvoyer (22).

Si la publication que nous avons entreprise peut rendre quelques services, ce ne sera pas sa moindre utilité d'avoir aidé à dissiper les préjugés que nous avons essayé de combattre, et de donner des idées plus exactes d'une grande et noble philosophie, qu'on a trop longtemps condamnée sans l'avoir entendue.

Venons-en aux critiques qui nous concernent. On nous a reproché d'avoir inutilement multiplié les citations textuelles, et d'avoir compris parmi les imitateurs de Plotin des écrivains qui ne paraissent pas l'avoir connu, comme Bossuet, Fénelon, Malebranche, Leibnitz.

Nous l'avons déjà dit (23) : Si nous avions cru devoir citer in extenso les passages qui donnaient lieu à des rapprochements, c'est que nous pouvions craindre, en nous bornant à des indications sommaires, que ces indications ne fussent stériles pour la plupart de nos lecteurs, qui n'eussent pu facilement recourir aux textes originaux, et que, par suite, les analogies signalées ne fussent acceptées avec défiance, faute de moyens de contrôle, ou même contestées. Les mêmes motifs nous ont déterminé à persister pour le présent volume dans la même méthode de citation.

Quant aux passages d'auteurs modernes que nous avons rapprochés de Plotin, nous n'avons jamais prétendu que ces auteurs eussent tous étudié Plotin lui-même, et qu'ils eussent puisé directement à la source des Ennéades. Seulement, nous avons dit (24) que, par l'étude approfondie qu'ils avaient faite de saint Augustin, de Boèce et des grands docteurs de la Scholastique, de saint Thomas surtout (25), qui avaient pris pour guide saint Augustin en même temps qu'Aristote, ces auteurs s'étaient approprié, même à leur insu, certaines idées que leurs devanciers avaient empruntées au chef de l'École néoplatonicienne. C'est ainsi que la psychologie de Bossuet se trouve être en grande partie d'accord avec celle de Plotin parce qu'elle est tirée de saint Augustin, qui était familiarisé avec la XIII doctrine de notre philosophe; c'est ainsi encore que la théorie de Fénelon sur le Temps et l'Éternité, inspirée également par saint Augustin, se trouve reproduire si fidèlement celle de Plotin que l'écrivain français semble souvent se borner à traduire l'auteur grec. Au reste, lors même que quelques-unes des transmissions d'idées que nous signalons pourraient être contestées, le fait de la coïncidence et de l'accord des doctrines n'en resterait pas moins, et un tel fait serait des plus dignes de remarque : il fournirait un témoignage de plus en l'honneur de la pénétration et de la profondeur de l'auteur profane, ainsi qu'en faveur de l'unité de l'esprit humain.

Ces critiques, on le voit, n'atteignent en rien la partie essentielle de notre travail, qui était la traduction d'un auteur réputé intraduisible et l'interprétation de doctrines proclamées inintelligibles. A cet égard, les représentants les plus accrédités de la presse, ainsi que les hommes les plus éminents dans la science et dans les lettres, se sont accordés pour reconnaître l'utilité et la difficulté de l'entreprise et pour rendre justice à nos efforts ; tous ont bien voulu nous adresser des paroles d'éloge et d'encouragement. Le succès qu'a obtenu ce livre auprès des juges compétents, seul succès que nous pussions ambitionner, a redoublé notre zèle : soutenu par le désir de justifier tant de bienveillance, nous avons poursuivi notre tâche avec courage et déjà nous avons pu en exécuter la plus grande et la plus difficile partie. Espérons, bien qu'arrivé aujourd'hui à l'âge du repos, que la Providence ne nous refusera pas le temps et les forces nécessaires pour l'achever.

Savigny-sur-Orge, le 31 octobre 1858.

XIV

XV SOMMAIRES

XVI

XVII TROISIÈME ENNÉADE

Porphyre a rassemblé dans la IIIe Ennéade, ainsi qu'il le dit dans la Vie de Plotin (§ 24, t. 1, p. 30), les livres qui se rapportent à la théorie du Monde, considéré surtout au point de vue théologique et métaphysique.

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LIVRE PREMIER

DU DESTIN

(I-II) Les essences premières n'ont point de cause parce qu'elles existent toujours. Les essences qui dépendent des essences premières tiennent d'elles aussi l'existence. Quant aux choses qui deviennent, elles ont toutes une cause. Seulement les philosophes en expliquent la production de diverses manières. Les uns rapportent tout aux atomes ou aux éléments, d'autres au Destin, qu'ils définissent de différentes façons, d'autres encore aux astres.

III) La doctrine des atomes ne peut rendre compte des faits qui se produisent dans le monde, parce qu'elle suppose que tout arrive par hasard. La doctrine des éléments soulève les mêmes objections.

(IV) On ne peut admettre (comme Héraclite) qu'une cause, appelée Destin, agisse seule dans l'univers : car un pareil système détruirait l'enchaînement des effets et des causes, puisqu'il n'existerait dès lors qu'un seul être, qui agirait dans tous les autres êtres.

(V-VI) Il ne convient pas davantage de rapporter tout ce qui arrive à l'action des astres, comme le font les astrologues. Sans doute les astres exercent une influence physique sur notre corps, mais ils ne peuvent rien sur notre âme. Nous devons d'ailleurs à nos parents beaucoup de nos qualités corporelles. Les astres ne sont donc pas les auteurs des événements ; ils n'en sont que les signes en vertu des lois de l'analogie.

(Vll) La doctrine (stoïcienne) que toutes choses dérivent l'une de l'autre par un enchaînement fatal détruit la liberté humaine, parce que, dans ce cas, toutes nos déterminations sont des impulsions que nous recevons du Destin.

(VIII-X) Pour sauver la liberté de l'homme sans détruire l'enchaînement et l'ordre des faits dans l'univers, il faut admettre deux espèces de causes : d'abord l'âme humaine, puis les causes secondes qui dépendent de l'Âme universelle. Quand l'âme humaine se détermine à un acte par l'influence que les choses extérieures exercent sur elle, elle n'est point libre. Ses actes ne sont vraiment indépendants que quand elle obéit à la raison pure et impassible, qu'elle n'est point égarée par l'ignorance ni dominée par la passion.

XVIII LIVRE DEUXIÈME

DE LA PROVIDENCE 1

(I-ll) Il ne suffit pas d'admettre que le monde doit son existence à une cause intelligente; il faut encore montrer comment les maux que nous voyons se concilient avec la sagesse de la Providence.

Le monde a pour cause, non une Providence particulière, semblable à la réflexion de l'artiste qui délibère avant d'exécuter son œuvre, mais une Providence universelle, savoir l'Intelligence, principe, archétype et paradigme de tout ce qui existe. D'abord, l'Intelligence constitue elle-même le monde intelligible, unité vivante et intelligente, permanente et immuable, type de la perfection et de la béatitude. Ensuite, en vertu d'une nécessité inhérente à son essence, elle engendre le monde sensible, qui est le théâtre de la pluralité, de la division, de la lutte des contraires, parce qu'il est un mélange de la matière et de la raison. L'harmonie qu'on y découvre lui est donnée par l'Âme universelle qui le gouverne.

(III) Quoique le monte sensible soit bien inférieur au monde intelligible, il est cependant le plus beau et le meilleur des mondes possibles où la matière entre comme élément: il procède nécessairement d'une cause excellente et divine; il est achevé, complet, harmonieux dans son ensemble et ses détails; enfin, il est bon, preuve que tout y aspire au Bien et y représente l'Intelligence selon son pouvoir.

(IV-V) Les parties du monde se transforment, mais ne périssent pas. Les âmes animent tour à tour des corps différents : de là naît la lutte des natures opposées, la mort, la transgression de la loi suprême. Les âmes qui écoutent les appétits du corps en sont justement punies; elles n'ont pas le droit de réclamer la félicité divine lorsqu'elles ne se sont pas élevées elles–mêmes à un état divin. Quant à la pauvreté, aux maladies et aux autres souffrances, elles sont indifférentes aux hommes vertueux et utiles aux méchants; elles rentrent dans l'ordre de l'univers, parce qu'elles nous forcent à lutter contre les obstacles, à distinguer le bien du mal. Ainsi, les maux qui sont inévitables dans la constitution de l'univers, puisque celui-ci doit être moins parfait que sa cause, ont cependant de bons résultats et se concilient parfaitement avec l'existence de la Providence: car le mal n'est qu'un défaut de bien (26).

(VI-VII) On demande comment il se fait que les hommes vicieux obtiennent si souvent tous les avantages auxquels on attache tant de prix, richesses, XIX honneurs, beauté, etc., et que les hommes vertueux aient une condition contraire. - Pour répondre à cette objection et à toutes celles qu'on peut élever contre la Providence, il faut remarquer en général que les choses sensibles ne sauraient atteindre à la perfection des choses intelligibles, et en particulier que Dieu n'est point responsable des actes volontaires et libres des âmes. D'ailleurs, l'homme n'occupe dans l'univers qu'un rang intermédiaire entre Dieu et la brute.

(VIII-IX) Pour obtenir les avantages auxquels on attache du prix, il faut faire les actes de l'accomplissement desquels dépend leur possession. On ne peut raisonnablement demander à la Providence de venir à chaque instant suspendre les lois de la nature et en interrompre le cours, par son intervention. En effet, l'action de la Providence ne doit pas anéantir la liberté de l'homme : son rôle est d'assurer à chacun, soit ici-bas, soit après la mort, la récompense ou la punition qu'il a méritée par sa conduite. Elle rappelle d'ailleurs toujours l'homme à la raison et à la vertu par les moyens dont elle dispose.

(X) Les méchants sont pleinement responsables de leurs actions parce que ce sont eux qui les font. Leur méchanceté même leur est imputable, parce que c'est une disposition conforme à leur volonté.

(XI-XII) La Raison de l'univers n'a pas dû donner à tout une perfection uniforme, parce que les inégalités mêmes et les différences des êtres contribuent à la beauté de l'univers, que chacun d'eux pris séparément a ses différences propres qui constituent son individualité, et que tous pris ensemble réalisent toutes les essences contenues dans le monde intelligible.

(XIII-XIV) Pour juger le monde sensible, il ne suffit pas de considérer l'état présent des choses ; il faut encore embrasser toute la série des faits passés et futurs où s'exerce la justice distributive de Dieu. On découvre alors un ordre admirable. Si chaque individu, considéré isolément; laisse à désirer, c'est parce qu'il ne peut réunir en lui seul toutes les perfections de son espèce.

(XV) Quant aux objections particulières que soulève le spectacle du monde, on peut répondre que la destruction des animaux les uns par les autres est une des conditions de la vie universelle, que la guerre n'est qu'un jeu puisqu'elle n'anéantit pas l'âme, etc. En général, toutes les choses qui sont pénibles pour la partie animale de notre être constituent des incidents variés du drame immense dont la terre est le théâtre.

(XVI) Si l'on remonte aux principes, on voit que la Raison du monde procède de l'Âme universelle et de l'Intelligence divine. C'est un acte, une vie, dont l'unité consiste dans une harmonie formée par mille sous divers. La pluralité et l'opposition des contraires sont nécessaires dans le monde sensible parce qu'il est un tout, et que la totalité implique à la fois unité et variété.

(XVII-XVIII) La Providence accorde à chacun le rôle qu'il est le plus propre à remplir par ses dispositions naturelles, ses mérites et ses défauts, et, tout en donnant à l'univers sa perfection, exercé en même temps sa justice distributive. Ainsi, c'est des différences intrinsèques des âmes que naissent les inégalités des conditions. Quant aux inégalités des âmes, elles tiennent à ce que celles-ci occupent le premier, le deuxième ou le troisième rang dans le drame de la vie, où la nature, prévoyant le rôle que jouerait chaque acteur, lui a XX donné dans son plan une place convenable à ses dispositions. Ainsi, le bien qui est réalisé ici-bas vient de la Providence, le mal qu'on y rencontre tient aux écarts de la liberté humaine.

LIVRE TROISIÈME

DE LA PROVIDENCE II

(I-II) La Raison de l'univers contient en soi toutes les raisons séminales particulières; chacune de celles-ci contient à son tour toutes les actions qu'elle doit produire: car toute raison renferme la pluralité dans l'unité. L'harmonie des raisons particulières dans leur développement constitue l'unité du plan de l'univers. Tout ce qui arrive ici-bas découle directement ou indirectement de l'ordre établi par l'Âme universelle.

(III) Les actes de l'homme, quoiqu'il soit libre, sont compris dans le plan de l'univers, parce que la Providence a tenu compte de notre liberté. Notre imperfection morale n'est imputable qu'à nous seuls. Les infériorités relatives sont la conséquence de la pluralité des êtres.

(IV-V) Il y a deux règnes, celui de la Providence et celui du Destin. Il y a aussi deux vies pour l'homme : dans l'une, il exerce la raison et l'intelligence ; dans l'autre, l'imagination et les sens; dans la première, il est libre ; dans la seconde, il est soumis à la fatalité. Il dépend toujours de lui de mener l'une ou l'autre de ces deux espèces de vie. Il est donc juste qu'il subisse les conséquences de ses actions, qu'il soit récompensé ou puni par la Providence, selon qu'il se conforme à ses lois ou qu'il les viole.

(VI) C'est en vertu de l'enchaînement des faits que les astrologues et les devins peuvent prédire les événements futurs. Toute divination est fondée sur les lois de l'analogie qui règne dans l'univers.

(VII) En résumé, sans inégalités, il n'y aurait pas de Providence : car celle-ci, étant le principe suprême dont tout dépend, ressemble à un arbre immense dont toutes les parties constitueraient autant d'êtres différents et cependant unis entre eux (27).

XXI LIVRE QUATRIÈME

DU DÉMON QUI EST PROPRE A CHACUN DE NOUS.

(I-II) Pour préparer la solution de la question qui fait l'objet de ce livre, Plotin débute par quelques considérations sur la différence qui existe entre la manière dont l'Âme universelle exerce ses puissances et celle dont l'âme humaine développe les siennes.

L'Âme universelle engendre la Puissance sensitive et la Nature ou Puissance végétative, par laquelle elle communique la vie aux animaux et aux plantes. La Nature, à son tour, engendre la Matière, qui, étant absolument indéterminée, ne devient parfaite qu'en recevant la forme avec laquelle elle constitue le corps. C'est par la Puissance sensitive et la Nature que l'Âme Universelle prend soin, comme le dit Platon, de tout ce qui est inanimé.

Tandis que l'Âme universelle, par ses puissances inférieures, communique la vie au corps du monde sans incliner vers lui, l'âme humaine, au contraire, s'élève ou s'abaisse selon que, dans ses existences successives, elle exerce principalement sa raison, sa sensibilité ou sa puissance végétative : par là, elle reste dans le rang qui est assigné à l'homme, ou bien elle s'abaisse à la condition soit de la brute, soit du végétal (28).

(III-IV) Notre Démon est la puissance immédiatement supérieure à celle qui agit principalement en nous ; selon que nous vivons soit de la vie sensitive, soit de la vie rationnelle, soit de la vie intellectuelle, nous avons pour démon soit la Raison, soit l'Intelligence, soit le Bien. Nous choisissons donc notre démon, puisqu'il dépend de nous d'exercer principalement telle faculté à laquelle préside tel démon. Il dépend également de l'âme d'incliner vers le corps ou d'élever avec elle-même au monde intelligible sa puissance végétative.

(V) L'âme est toujours libre, parce que le caractère qu'elle a dépend uniquement de son choix et que les choses extérieures ne sauraient le changer. Elle n'est pas non plus contrainte par son démon, parce qu'elle en change en changeant de genre de vie.

(VI) Les âmes qui se sont élevées là-haut résident dans le monde sensible ou en dehors du monde sensible. Dans le premier cas, elles habitent dans l'astre qui est en harmonie avec la puissance qu'elles ont développée. Dans le second cas, elles demeurent dans le monde intelligible et y ramènent avec elle leur puissance végétative ; elles sont alors indépendantes du Destin, à l'influence duquel elles ne sont soumises que lorsqu'elles descendent ici-bas.

XXII LIVRE CINQUIÈME

DE L'AMOUR (29)

(I) L'amour considéré comme passion de l'âme humaine est le désir de s'unir à un bel objet. On souhaite tantôt posséder la beauté pour elle-même, tantôt y joindre le plaisir de perpétuer l'espèce en produisant dans le monde sensible une image temporaire des essences éternelles du monde intelligible.

(II) L'amour considéré comme dieu est l'hypostase (l'acte substantiel) de Vénus Uranie, c'est-à-dire de l'Âme céleste. Il est et l'œil par lequel elle contemple Cronos (qui représente l'Intelligence divine), et la vision même qui en naît.

(III-1V) L'amour considéré comme démon est fils de Vénus populaire, c'est-à-dire de l'Âme intérieure, engagée dans le monde ; il préside avec elle aux mariages. Il est le désir de l'intelligible et il élève avec lui les âmes auxquelles il est uni. En effet, comme l'Âme universelle, chaque âme particulière renferme en elle un amour inhérent à son essence : cet amour est un démon, si l'âme à laquelle il appartient est mêlée à la matière ; c'est un dieu, si l'âme à laquelle il appartient est pure.

(V) On ne peut admettre que l'Amour soit le monde [comme l'avance Plutarque de Chéronée] : les attributs que Platon lui prête dans le Banquet n'auraient aucun sens raisonnable dans cette hypothèse.

(VI) Les amours et les démons ont une origine commune. Ils occupent un rang intermédiaire entre les dieux et les hommes. Cependant, parmi les démons, ceux-là seuls sont des amours qui doivent leur existence au désir que l'âme humaine a du Bien. Les autres démons sont engendrés par les diverses puissances de l'Âme universelle pour l'utilité du Tout. Ils ont des corps aériens ou ignés.

(VII-IX) Reste à expliquer le mythe de la naissance de l'amour tel qu'il se trouve dans le Banquet de Platon. - L'Amour est, ainsi que les autres démons, mélangé d'indétermination et de forme : il participe à la fois à l'indigence (Penia) et à l'abondance (Poros), parce qu'il désire et qu'il fait acquérir le bien qu'il est destiné à procurer ; c'est en ce sens qu'il est fils de Penia et de Poros. Vénus est l'Âme, Jupiter, l'Intelligence. Poros représente les raisons ou idées qui passent de l'Intelligence dans l'Âme, et le jardin de Jupiter, la splendeur des idées.

Les mythes divisent sous le rapport du temps ce qu'ils racontent ; ils présentent comme séparées les unes des autres des choses qui existent simultanément, mais qui sont éloignées par leur rang ou par leurs puissances (30).

XXIII LIVRE SIXIÈME

DE L'IMPASSIBILITÉ DES CHOSES INCORPORELLES

Ce livre comprend deux parties : 1° De l'impassibilité de l'âme ; 2° De l'impassibilité de la matière et de la forme.

DE L'IMPASSIBILITÉ DE L'ÂME (31)  (I-III) Dans la sensation, il faut distinguer la passion et le jugement : la première appartient au corps : le second, à l'âme. Étant une essence inétendue et incorruptible, l'âme ne peut éprouver aucune altération qui impliquerait qu'elle est périssable. Si l'on dit qu'elle éprouve une passion, Il faut donner à ce mot un sens métaphorique, comme on le fait pour les expressions : arracher de l'âme un vice, y introduire la vertu, etc. En effet, la vertu consiste à ce que toutes les facultés soient en harmonie ; le vice n'est que l'absence de la vertu ; il en résulte que ni la vertu ni le vire n'introduisent dans l'âme quelque chose d'étranger à sa nature. En général, passer de la puissance à l'acte, produire une opération, n'a rien de contraire à l'inaltérabilité d'une essence immatérielle; pâtir en agissant n'appartient qu'au corps. Il en résulte que les opinions, les désirs et les aversions, et tous les faits qu'on appelle par métaphore des passions et des mouvements ne changent pas la nature de l'âme.

(IV) On nomme partie passive de l'âme celle qui éprouve les passions, XXIV c'est-à-dire les faits accompagnés de peine ou de plaisir. Il faut y bien distinguer ce qui appartient an corps et ce qui appartient à l'âme : ce qui appartient au corps, c'est l'agitation sensible qui se produit dans les organes, telle que la pâleur; ce qui appartient à l'âme, c'est l'opinion qui produit la peine ou le plaisir et qui se rattache elle-même à l'imagination. La partie passive est donc une forme engagée dans la matière ; elle ne pâtit pas elle-même ; elle est seulement la cause des passions, c'est-à-dire des affections éprouvées par le corps (32).

(V) Si, quoique l'âme soit impassible, on dit qu'il faut l'affranchir des passions, c'est que, par ses représentations, l'imagination produit dans le corps des mouvements d'où naissent des craintes qui troublent l'âme. Affranchir l'âme des passions, c'est la délivrer des conceptions de l'imagination. La purifier, c'est la séparer du corps, c'est-à-dire l'élever d'ici-bas aux choses intelligibles.

DE L'IMPASSIBILITÉ DE LA FORME ET DE LA MATIÈRE (VI) L'Être absolu est impassible: car, possédant de soi et par soi l'existence, il se suffit pleinement à lui-même, il est par conséquent parfait, éternel, immuable, possède la vie et l'intelligence. On se trompe quand on croit que le caractère de la réalité est l'impénétrabilité : cette propriété n'appartient qu'aux corps ; plus ils sont durs et pesants, moins ils sont mobiles, moins ils participent de l'être.

(VII) La matière est impassible, mais pour une autre raison que l'Être absolu ; elle est impassible, parce qu'elle est le non-être. N'étant ni être, ni intelligence, ni âme, ni raison séminale, ni corps, elle est une espèce d'infini; elle peut toujours devenir toutes choses indifféremment, parce qu'elle ne possède aucune forme, qu'elle n'est qu'une aspiration à l'existence. En recevant successivement des qualités contraires, elle n'est pas plus altérée qu'un miroir ne l'est par une image.

(VIII-X) Ce qui pâtit, c'est le corps, le composé de la forme et de la matière. Quant à la matière elle-même, elle demeure immuable au milieu des changements que les qualités contraires se font subir les unes aux autres, comme la cire garde sa nature en changeant de forme, comme un miroir reste toujours le même, quelles que soient les images qui viennent s'y peindre. En effet, étant le commun réceptacle de toutes choses, la matière ne peut être altérée en tant que matière.

(XI-XIII) Tout en participant aux idées, la matière reste impassible, parce que cette participation consiste dans une simple apparence : elle n'est affectée en aucune façon en recevant les formes; elle en est seulement le lieu.

(XIV-XV) Ne recevant rien de réel quand les images des idées entrent en elle, la matière demeure toujours insatiable à cause de son indigence naturelle. Les raisons séminales qui sont dans la matière ne se mêlent pas avec elle; elles y trouvent seulement une cause d'apparence.

(XVl-XVIII) La matière n'est pas la substance étendue. En recevant de la raison séminale la forme, elle en a reçu en même temps la quantité et la figure. Elle n'est grande que parce qu'elle contient les images de toutes les XXV idées, par conséquent l'image de la grandeur même. Ne possédant pas réellement la forme, elle ne possède pas nos plus réellement la grandeur, elle n'en a que l'apparence. La grandeur apparente de la matière doit son origine à la procession de l'Âme universelle qui, en produisant hors d'elle l'Idée de grandeur, a donné à la matière l'extension qu'elle possède dans son état actuel (33).

(XIX) La quantité et les qualités auxquelles la matière sert de sujet y entrent sans lui faire partager les passions qu'elles subissent elles-mêmes. La matière reste donc impassible au milieu de tous les changements produits par l'action que les contraires exercent les uns sur les astres. Aussi est-elle complètement stérile. La forme seule est féconde.

LIVRE SEPTIÈME

DE L'ÉTERNITÉ ET DU TEMPS

Tout le monde sait que l'Éternité se rapporte à ce qui existe perpétuellement, et le Temps, à ce qui devient. Il n'en est pas moins nécessaire d'approfondir ces notions pour s'en rendre compte et pour bien comprendre les désunions qu'en ont données les anciens philosophes.

ÉTERNITÉ (l-III) L'éternité est la forme de la vie qui est propre à l'Être intelligible : elle n'est ni l'Être intelligible ni le repos de cet être ; elle est la propriété qu'a sa vie d'être permanente, immuable, indivisible, infinie, et de posséder une plénitude perpétuelle qui exclut la distinction du passé et de l'avenir. Les choses engendrées, au contraire, ne sont rien sans leur futur, parce que leur existence consiste à réaliser continuellement leur puissance.

(IV-V) Nous concevons l'éternité en contemplant l'Être intelligible dans la perpétuité et la plénitude de sa vie parfaite. Nous voyons ainsi que l'éternité peut se définir : la vie qui est actuellement infinie parce qu'elle est universelle et qu'elle ne perd rien. Cette vie est immuable dans l'unité, parce qu'elle est unie à l'Un, qu'elle en sort et y retourne. Il en résulte qu'elle exclut toute succession, qu'elle est permanente, qu'elle est toujours, comme l'indique l'étymologie du mot αἰών, éternité, qui dérive de ἀεὶ ὄν, l'Être qui est toujours.

(VI) L'âme humaine conçoit l'éternité aussi bien que le temps, parce qu'elle participe à la fois à l'éternité et au temps. Pour se rendre compte de ce fait, il faut descendre de l'éternité au temps, afin d'étudier la nature de ce dernier.

TEMPS (VII-IX) 1° Le Temps n'est pas le mouvement en général, parce que le mouvement s'opère dans le temps, et que le mouvement peut s'arrêter tandis que le temps ne saurait suspendre son cours. Il n'est pas non plus le mouvement circulaire des astres, parce que les astres ne se meuvent pas tous avec la même vitesse.

XXVI 2° Le temps n'est pas non pas le mobile, c'est-à-dire, la sphère céleste, puisqu'il n'est même pas le mouvement de cette sphère.

3° Le temps n'est pas non plus quelque chose du mouvement.

a. Il n'est point l'intervalle du mouvement, que l'on donne au mot intervalle le sens d'espace ou celui de durée : car, dans le premier cas, on confond le temps avec le lieu ; dans le second cas, tous les mouvements n'ont pas la même vitesse. Si l'on dit que le temps est l'intervalle du mouvement même, cet intervalle est le temps, et l'on ne définit rien.

b. Le temps n'est point la mesure du mouvement, soit que l'on considère le temps comme une quantité continue, soit qu'on le regarde comme un nombre : car, dire que le temps est la mesure du mouvement, c'est faire connaître une de ses propriétés, ce n'est pas définir son essence ; d'un autre côté, prétendre que le temps est une quantité mesurée ou un nombre nombré, c'est supposer qu'il n'a point de réalité en dehors de l'âme qui le mesure ou qui le nombre.

c. Le temps n'est point une conséquence du mouvement : car cette définition n'a point de sens.

(X-XII) Le temps est l'image mobile de l'éternité immobile. De même que l'éternité est la vie de l'Intelligence, le temps est la vie de l'Âme considérée dans le mouvement par lequel elle passe sans cesse d'un acte d'un autre. Il apparaît donc dans l'Âme; il est en elle et avec elle. Son cours se compose de changements égaux, uniformes, et il implique continuité d'action. Il est engendré par la vie successive et variée qui est propre à l'Âme, et il a pour mesure le mouvement régulier de la sphère céleste : car le temps a la double propriété de faire connaître la durée du mouvement et d'être mesuré lui-même par le mouvement. Il est donc ce dans quoi tout devient, tout se meut ou se repose avec ordre et uniformité.

Le mouvement de l'univers se ramène au mouvement de l'Âme qui l'embrasse, et le mouvement de l'Âme se ramène lui-même au mouvement de l'intelligence.

Le temps est présent partout, parce que la vie de l'Âme est présente dans toutes les parties du monde. Il est présent aussi dans nos âmes, parce qu'elles ont une essence conforme à l'essence de l'Âme universelle.

LIVRE HUITIÈME

DE LA NATURE, DE LA CONTEMPLATION ET DE L'UN

L'objet de ce livre est de démontrer que toute production, toute action suppose une pensée. Pour produire, la Nature contemple les raisons séminales contenues dans l'Âme universelle, l'Âme universelle contemple les idées de l'Intelligence, et l'Intelligence contemple la puissance de l'Un.

(I-III) Pour produire, il ne faut à la Nature que la matière qui reçoit la XXVII forme. Dès qu'elle possède la matière, elle lui donne la forme sans le secours d'aucun instrument, parce qu'elle est une puissance qui meut sans être mue elle-même, c'est-à-dire une raison séminale. Étant une ration, la Nature est une contemplation. Sans doute, elle ne se contemple pas elle-même et elle ne délibère pas; son action n'en est pas moins une contemplation, parce qu'elle réalise une pensée. Seulement, la contemplation silencieuse et calme qui est propre à la Nature est inférieure è la pensée dont elle procède et qu'elle réalise : car l'action implique toujours faiblesse d'intelligence.

(IV) Placée au-dessus de la Nature, l'Âme universelle, par sa partie supérieure, contemple l'Intelligence divine, et, par sa partie inférieure, engendre un acte qui est l'image de sa contemplation ; mais, dans cette procession, la contemplation qui est engendrée est nécessairement inférieure à celle qui l'engendre.

(V) Toute action a pour origine et pour fin sa contemplation. On agit toujours en vue du bien, on veut le posséder, ce qui ramène l'action à la contemplation. Plus on a la confiance de posséder le bien, plus la contemplation est tranquille, plus elle s'approche de l'acte où la contemplation et l'objet contemplé ne font qu'une seule et même chose.

(VI) Dans le monde sensible comme dans le monde intelligible, tout dérive de la contemplation, tout y aspire. Si les animaux engendrent, c'est parce qu'une raison séminale agit en eux et les pousse à réaliser une pensée en donnant une forme à la matière. Les défauts de l'œuvre  tiennent à l'imperfection de la contemplation.

(VII) Puisque la contemplation s'élève par degrés, de la Nature à l'Âme, de l'Âme à l'Intelligence, il y a autant d'espèces de vie qu'il y a d'espèces de pensée. La pensée et la vie s'identifient de plus en plus à mesure qu'elles se rapprochent de l'Un et du Bien, qui est leur commun principe. La Vie suprême est l'Intelligence suprême, dans laquelle l'intellection et l'intelligible ne font qu'une seule et même chose.

(VIII-X (34)) Comme l'intelligence et l'intelligible, quoiqu'ils soient identiques dans l'existence, forment cependant deux termes pour la pensée, ils supposent au-dessus d'eux un principe absolument simple, l'Un, le Bien, qui est supérieur à l'Intelligence, et que nous ne connaissons point par la pensée, mais au moyen de ce que nous avons reçu de lui en y participant. Ce principe n'est pas toutes choses, il est au-dessus de toutes choses : il est la source de tous les êtres, la racine de ce grand arbre qui est l'univers. Chaque chose a pour principe une unité plus ou moins simple : en remontant d'unité en unité, on arrive à une unité absolument simple, au-delà de laquelle il n'y a plus rien à chercher, parce qu'elle est le principe, la source et la puissance de tout. Elle ne peut être saisie que par une intuition absolument simple. Sa grandeur se manifeste par les êtres qui en procèdent; c'est d'elle que l'Intelligence tient sa plénitude.

XXVIII LIVRE NEUVIÈME

CONSIDÉRATIONS DIVERSES SUR L'ÂME, L'INTELLIGENCE ET LE BIEN

Ce livre contient des pensées détachées sur les points suivants :

(I) 1° L'Animai qui est, dont Platon parle dans le Timée, est le monde intelligible, l'ensemble des idées; il est identique à l'Intelligence qui le contemple, en sorte que la chose pensée, la chose pensante et la pensée sont une seule et même chose. L'Âme universelle, au contraire, divise les idées qu'elle conçoit, parce qu'elle les pense d'une manière discursive (35).

(II) 2° L'Âme s'élève au monde intelligible en ramenant graduellement à l'unité chacune des facultés qu'elle possède (36).

3° L'Âme universelle communique la vie au corps de l'univers sans se détacher de la contemplation du monde intelligible. L'âme particulière au contraire se sépare de son principe quand elle entre dans un corps.

4° L'Un est présent partout par sa puissance.

5° L'âme reçoit sa forme de l'intelligence.

6° En nous pensant nous-mêmes, nous pensons une nature intellectuelle.

7° L'Un est supérieur au repos et au mouvement.

8° Ce qui passe de la puissance à l'acte ne peut exister toujours, parce qu'il contient de la matière. Ce qui est en acte et qui est simple est immuable.

9° Le Bien est supérieur à la pensée, en ce sens qu'il en est la cause.

XXIX QUATRIÈME ENNÉADE

Tous les livres qui composent la quatrième Ennéade se rapportent à l'Âme.

Voy. ci-après le Résumé général de la Psychologie de Plotin, p. 566-580).

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LIVRE PREMIER

DE L'ESSENCE DE L'ÂME

L'essence de l'intelligence est complètement indivisible; celle du corps est complètement divisible. L'âme a une nature intermédiaire ; elle est à la fois divisible et indivisible: divisible, parce qu'elle s'unit au corps; indivisible, parce qu'elle reste unie an monde intelligible.

LIVRE DEUXIÈME

COMMENT L'ÂME TIENT LE MILIEU ENTRE L'ESSENCE INDIVISIBLE ET L'ESSENCE DIVISIBLE.

(I) Entre l'essence empiètement divisible, dont chaque partie occupe un lieu différent, et l'essence empiètement indivisible, dont chaque partie est identique au tout et n'occupe aucun lieu, est une essence intermédiaire, qui, d'un côté, devient divisible dans le corps auquel elle s'unit (sans se partager cependant avec lui comme la forme matérielle), et, d'un autre côté, reste indivisible, parce qu'elle participe à l'indivisibilité de l'intelligence, dont elle procède (37). Il en résulte que l'âme est tout à la fois divisible et indivisible : divisible, parce qu'elle s'unit à toutes les parties du corps ; et indivisible, parce qu'elle est présente tout entière dans toutes les parties du corps, qu'elle ne se localise pas.

XXX (lI) 1° Si l'âme était uniquement divisible, il n'y aurait pas communauté d'affection dans chacun de nous, ni sympathie entre les âmes. On ne saurait admettre sur ce point l'hypothèse des Stoïciens que les sensations parviennent au principe dirigeant par transmission de proche en proche.

2° Si l'âme était uniquement indivisible, elle ne pourrait entrer en rapport avec le corps et l'animer tout entier.

Comme les âmes particulières, l'Âme universelle est à la fois une et multiple, parce qu'elle communique la vie à une multitude d'êtres qui forment une unité ; indivisible et divisible, parce qu'elle est présente à la fois dans toutes les parties du monde qu'elle administre.

LIVRE TROISIÈME

QUESTIONS SUR L'ÂME I

Dans les livres III, IV et V, Plotin pose et résout successivement diverses questions sur la nature, les facultés et la destinée de l'âme; sans suivre l'ordre méthodique qu'il eût sans doute adopté s'il eût voulu faire un traité complet de Psychologie (38).

INTRODUCTION (I) La connaissance de l'âme est la condition de la connaissance des principes dont elle procède et des choses dont elle est elle-même le principe. D'ailleurs, on ne peut posséder réellement la science si l'on ne sait ce qu'est l'instrument même de la science (39).

PREMIÈRE QUESTION. Toutes les âmes ne sont-elles que des parties d'une seule Âme  (40)?

Il est des philosophes qui soutiennent que nos âmes sont des parties d'une Âme totale et unique, de même que nos corps sont des parties du corps de l'univers. Ils invoquent à l'appui de leur opinion divers passages de Platon.

(II-III) De ce que nos âmes sont conformes et appartiennent au même genre, il en résulte, non qu'elles soient les parties d'une Âme unique, mais qu'elles procèdent d'un même principe. — Le mot partie ne peut se prendre ici dans le sens où on l'applique à une quantité, parce que dans ce cas l'Âme serait une grandeur corporelle. - Le mot partie ne peut davantage se prendre ici dans le sens où l'on dit qu'une notion est une partie d'une science : car ou l'Âme totale ne serait que la somme des âmes particulières, ou elle leur serait supérieure, ce qui détruit l'hypothèse combattue. - Le mot partie ne peut enfin se prendre ici dans le sens où l'on dit que la puissance sensitive qui est dans XXXI les doigts est une partie de l'âme totale de l'animal : car, dans a cas. il n'y aurait plus d'existence réelle que celle de l'Âme universelle, par conséquent, il n'y aurait plus de parties.

(IV) Voici la solution. - Les intelligences particulières sont distinctes les unes des autres, et subsistent cependant toutes ensemble dans l'Intelligence universelle. De cette Essence indivisible procèdent à la fois l'Âme universelle et les âmes particulières, qui, semblables à des rayons de lumière, divergent à mesure qu'elles s'éloignent de leur foyer.

(V) L'individualité des âmes est indestructible. Comme les intelligences particulières dont elles sont les raisons, les âmes particulières conservent toujours leur différence et leur identité : elles s'unissent, sans se confondre, dans le sein de l'Âme universelle dont elles procèdent.

(VI-VIl) L'Âme universelle, contemplant l'Intelligence universelle, a plus de puissance créatrice que les âmes particulières qui contemplent les intelligences particulières: celles-ci occupent d'ailleurs le premier, le deuxième ou le troisième rang, selon qu'elles sont en acte les intelligibles mêmes, ou qu'elles les connaissent ou qu'elles les désirent. Les passages qu'on cite de Platon sont conformes à la distinction de l'Âme universelle et des âmes particulières.

(VIII) Les âmes sont distinguées les unes des autres, abstraction faite des corps, par leurs opérations intellectuelles et leurs habitudes morales. Chaque âme est toutes choses en puissance, mais n'est en acte que ce qui occupe son attention, par conséquent, elle est caractérisée par la faculté qu'elle a principalement développée. Chacune enfin offre en elle unité et variété, et est coordonnée avec les autres dans l'unité et la variété de l'univers.

DEUXIÈME QUESTION. Pour quelle cause et de quelle manière l'âme descend-elle dans le corps? Il faut distinguer ici l'Âme universelle et l'âme humaine (41).

(IX-XI) L'Âme universelle n'est pas descendue dans le monde; mais, par sa procession, elle a produit l'espace, en engendrant à la fois la matière et la forme. Elle a ainsi déterminé, selon son essence propre, l'étendue que le monde occupe : car elle l'a engendré et ordonné de tout temps, non par choix ni par délibération, mais en vertu de sa nature. Étant souverainement maîtresse de la matière, elle l'a façonnée par les raisons séminales, et elle a fait participer tous les êtres à la vie qu'elle possède elle-même. Son rôle est en effet de transmettre à la Nature les idées qu'elle contemple dans l'intelligence divine; elle en est l'interprète: c'est par elle que tout descend du monde intelligible dans le monde sensible, c'est par elle que tout y remonte.

(XII-Xlll) Les âmes humaines viennent à s'unir à des corps parce qu'elles y voient leur image. Elles descendent du monde intelligible et y remontent à des époques qui sont déterminées par les périodes de la vie universelle, avec laquelle elles sont toujours dans un accord parfait. Elles viennent ici-bas par un mouvement qui n'est ni complètement libre, ni soumis à une contrainte extérieure : elles obéissent à l'impulsion irrésistible d'une loi qu'elles ont na- XXXII turellement en elles-mêmes et qui les porte à se rendre où les appelle leur destinée.

(XIV) Pandore, dotée d'un présent par chaque dieu, représente la matière qui, recevant de l'Âme ou de la Providence la vie universelle, et de chaque âme une vie particulière, devient le tout complet et harmonieux qu'on appelle le monde (κόσμος).

(XV-XVII) En quittant le monde intelligible, les âmes descendent d'abord dans le ciel; elles s'y fixent et y prennent un corps éthéré, ou bien elles passent de là dans des corps terrestres. Si elles s'attachent étroitement à ces corps terrestres, elles tombent sous l'empire du Destin. Tout ce qui leur arrive, soit en bien, soit en mal, rentre dans l'ordre de l'univers et dérive du principe de convenance qui y préside.

TROISIÈME QUESTION. L'âme fait-elle usage de la Raison discursive quand elle est hors du corps (42) ?

(XVIII) Le Raisonnement est une opération propre à l'âme dont l'intelligence est affaiblie par son union avec un corps. Quand l'âme est dans le monde intelligible, elle connaît tout par une simple intuition, sans le secours de la Raison discursive ni de la parole.

QUATRIÈME QUESTION. Comment l'âme est-elle à la fois divisible et indivisible (43) ?

(XIX) L'âme est indivisible en elle-même, quand elle produit les opérations qui relèvent de la Raison et de l'Intelligence; elle est divisible par son rapport avec le corps, quand elle exerce les Sens, la Concupiscence, la Colère, la Puissance végétative et nutritive, parce qu'elle a dans ce cas besoin des organes.

CINQUIÈME QUESTION. Quels sont les rapports de l'âme avec le corps (44) ?

(XX-XXIII) L'âme n'est pas dans le corps comme dans un lieu ou dans un vase, ni comme la qualité dans le sujet, ni comme la partie dans le tout, ni comme le tout dans les parties, ni comme la forme dans la matière : c'est au contraire le corps qui est contenu dans l'âme, comme l'effet passager dans la cause permanente. La comparaison de l'âme avec un pilote n'est pas non plus complètement satisfaisante. Il faut dire que l'âme est présente au corps comme la lumière est présente à l'air, c'est-à-dire que l'âme communique à chaque organe la puissance qui a besoin de le mettre en jeu pour produire ses opérations.

SIXIÈME QUESTION. Où va l'âme après la mort (45) ?

(XXIV) Après la mort, l'âme va dans le lieu que lui destine la justice divine : dans un autre corps, si elle a des fautes à expier; dans le monde intelligible, si elle est pure.

SEPTIÈME QUESTION. Quelles sont les conditions de l'exercice de la Mémoire et de l'Imagination (46) ?

XXXIII (XXV-XXVI) Étant la représentation d'une notion adventice et passagère, le souvenir implique variété, succession; par là, il est une opération moins parfaite que la pensée, acte simple et immanent, qui ne s'attache qu'à l'immuable et à l'éternel. D'un autre côté, le souvenir est supérieur à la sensation : car il n'a pas comme elle besoin des organes, parce qu'il se borne à reproduire la forme intelligible qu'elle a perçue.

(XXVII-XXVII) Il y a deux espèces de mémoire, la mémoire sensible et la mémoire intellectuelle : la première appartient à l'âme irraisonnable; la seconde, à l'âme raisonnable. L'une et l'autre ont pour principe l'imagination : d'un côté, quand la sensation a été perçue, l'imagination en garde la représentation, dont la conservation constitue le souvenir; d'un autre côté, la conception rationnelle accompagne toujours la pensée, et elle la transmet à l'imagination qui la réfléchit comme un miroir. Par là, elle fait arriver dans notre conscience et rester dans notre mémoire les actes de la partie supérieure de notre âme. Il y a ainsi deux espèces d'imagination, qui correspondent aux deux espèces de mémoire, l'imagination sensible et l'imagination intellectuelle : la première est subordonnée à la seconde : car, dans l'âme irraisonnable, le souvenir est une passion; dans l'âme raisonnable, un acte. Plus on s'applique à la pensée des choses intelligibles, moins on doit se rappeler les choses inférieures.

LIVRE QUATRIÈME

QUESTIONS SUR L'ÂME II

PREMIÈRE QUESTION. Quelles sont les limes qui font usage de la Mémoire et de l'Imagination, et quelles sont les choses dont elles se souviennent  (47) ?

(I-II) Quand l'âme s'élève au monde intelligible, elle n'exerce plus la mémoire, parce que cette faculté se rapporte aux choses temporaires et que le monde intelligible ne renferme que des essences. éternelles, entre lesquelles il n'existe d'autre distinction que celle de l'ordre. Tout entière à la contemplation de ces essences, l'âme ne fait point de retour sur elle-même ; mais elle se voit dans son principe, parce qu'en le pensant elle se pense elle-même en vertu de l'intuition qu'elle a de toutes choses.

(III-IV) Quand l'âme redescend du monde intelligible aux choses sensibles, elle se souvient de ces dernières et elle a conscience d'elle-même : car la mémoire ne consiste pas seulement à se rappeler ce qu'on a vu ou éprouvé, mais encore à être dans une disposition conforme à la nature de ce qu'on se rappelle.

(V) L'âme se représente les intelligibles plutôt par une intuition que par un souvenir. La mémoire proprement dite ne s'exerce dans l'âme que quand elle XXXIV redescend du monde intelligible dans le ciel. Là, elle se rappelle les choses humaines et elle reconnaît les âmes avec lesquelles elle a été liée jadis.

DEUXIÈME QUESTION. Les âmes des astres et l'Âme universelle ont-elles besoin de la Mémoire et du Raisonnement, ou se bornent-elles à contempler l'Intelligence suprême ?

(VI-VIII) Étant propre aux âmes qui changent, la mémoire ne convient pas aux âmes des astres, parce que celles-ci vivent d'une existence uniforme et identique. La contemplation de l'Intelligence suprême leur rend inutile la connaissance des choses particulières.

(IX-XII) Jupiter (l'Âme universelle) n'a pas besoin de la mémoire ni de la raison discursive : pour administrer le monde et y faire régner l'ordre, il lui suffit de contempler la Sagesse divine dont cet ordre est l'image ; il produit les choses muables chacune dans son temps, tout en restant lui-même immuable ; il connaît le futur comme le présent, parce qu'il en est le principe.

(XIII-XIV) Il en est de même de la Nature, parce qu'elle possède le dernier degré de la Sagesse propre à l'Âme universelle. N'ayant ni la pensée ni même l'imagination, elle imprime aveuglément à la matière les formes qu'elle reçoit des principes supérieurs. A la Nature finit l'ordre des essences. Après elle viennent immédiatement les corps qu'elle engendre, c'est-à-dire les éléments.

(XV-XVI) Quoique les choses engendrées soient toutes dans le temps, l'essence de l'Âme universelle est éternelle : c'est que la distinction du passé, du présent et de l'avenir ne s'applique qu'à ses œuvres, qui varient sans cesse, tandis qu'elle-même possède à la fois toutes les raisons séminales qu'elle réalise successivement.

TROISIÈME QUESTION. Quelles sont les différences intellectuelles entre l'Âme universelle, les âmes des Astres, l'Âme de la Terre et les âmes humaines (48) ?

(XV Ill) L'âme humaine ne peut, comme l'Âme universelle, jouir de l'exercice calme et uniforme de la pensée, parce qu'elle est troublée par les besoins et les passions qui naissent de l'union de l'âme avec le corps.

Quelles sont les facultés dont l'exercice dépend de l'union de l'âme et du corps ? — Voici quelles sont les lois qui président à l'influence que l'état du corps exerce sur celui de l'âme.

Appétit concupiscible (49). (XIX-XXI) Le corps reçoit de l'âme la force vitale appelée nature : en vertu de cette force vitale, il éprouve des passions, c'est-à-dire des impressions et des modifications physiques, que l'âme connaît, mais ne partage point. En effet, quand un organe souffre, c'est le corps qui pâtit par le fait de la lésion, tandis que l'âme se borne à sentir, c'est-à-dire à prendre connaissance de la douleur. Par là s'explique l'origine de l'Appétit concupiscible : indifférente par elle-même aux propriétés des objets extérieurs, l'âme les recherche ou les fuit à cause du corps auquel elle est unie.

Sensations (50). (XXII-XXVI1) Pour comprendre ce que peut être dans la XXXV Terre et dans les végétaux la puissance que nous appelons nature dans notre âme, il faut examiner quelles sont les conditions de la sensation.

Sentir, c'est percevoir les qualités inhérentes aux corps et se représenter leurs formes. La sensation suppose donc trois choses : l'objet extérieur, la faculté de connaître qui est propre à l'âme, enfin l'organe qui joue le rôle de moyen terme entre deux extrêmes, éprouvant une affection passive analogue à celle de l'objet extérieur et transmettant ensuite à l'âme une forme. L'âme ne peut donc sentir qu'avec le concours du corps. Mais, n'eût-elle pu besoin de ce concours, elle ne sentirait pas si elle n'était pas unie à un corps, parce que c'est pour lui seul qu'elle a besoin de connaître les objets extérieurs, et que, livrée à elle-même, elle se bornerait à contempler le monde intelligible.

Il en résulte que le Monde, n'ayant rien hors de lui, n'a rien à percevoir : il ne peut avoir que le sens intime de lui-même. Quant à ses parties, rien n'empêche qu'elles se sentent les unes les autres sans avoir d'organes. C'est ainsi que les âmes des Astres peuvent posséder l'ouïe et la vue ; cependant, elles n'ont pas besoin de ces deux sens pour connaître nos vœux : elles les exaucent par la sympathie qui nous unit à elles. Quant à la Terre, l'Âme qui lui communique la vie doit posséder des espèces de sens sans avoir cependant d'organes : aussi attribue-t-on à la Terre une Âme et une Intelligence, qui sont désignées sous les noms de Cérès et de Vesta.

Appétit irascible. (XXVIII) L'Appétit irascible a pour origine, comme l'Appétit concupiscible, la constitution du corps qui reçoit de l'âme la force vitale appelée nature. Il a pour siège le cœur, tandis que l'Appétit concupiscible a pour siège le foie.

Puissance végétative et générative. (XXIX) Quand l'âme quitte le corps, la force vitale qu'elle communiquait au corps abandonne celui-ci et remonte à sa source, comme la lumière remonte à sa source quand le soleil disparaît (51).

QUATRIÈME QUESTION. Quelle est l'influence exercée par les astres ?

(XXX-XXXI) Les facultés qui ont été précédemment accordées aux astres suffisent pour expliquer l'action qu'ils exercent : car cette action n'est point l'effet de leur volonté ni de leurs propriétés physiques, mais de la constitution générale du monde.

(XXXII-XXXIII) Le Monde est un grand Animal, dont l'Âme universelle pénètre toutes les parties : par son unité, il forme un tout sympathique à lui-même. Si l'être qui pâtit a une nature analogue à la nature de celui qui agit, il éprouve du bien ; dans le cas contraire, du mal. Les dispositions particulières de ces êtres sont d'ailleurs régies par l'ordre universel, comme, dans un chœur, les diverses attitudes de chaque danseur sont déterminées par la figure générale qui règle tous les mouvements particuliers.

(XXXIV-XXXVII) C'est par son corps seulement que l'homme subit l'influence des astres  (52). Cette influence dépend à la fois des figures que ceux-ci XXXVI forment par leurs mouvements et des choses que représentent ces figures. D'ailleurs, la puissance de produire des figures douées d'une certaine efficacité est commune à tous les êtres; tous, étant des membres du grand Animal, doivent, selon leur nature, produire ou subir une action : car la vie est répandue dans le monde entier sous des formes diverses, et tous les êtres tiennent de l'Âme universelle une puissance plus ou moins occulte, puissance qui se manifeste surtout dans les astres.

(XXXVIII-XXXIX) Les faits dont la production est naturelle ont pour cause la puissance végétative de l'univers. Ceux dont la production est provoquée soit par des prières, soit par des enchantements, doivent être rapportés, non aux astres, mais à la nature particulière de ce qui subit l'action. Si l'influence des astres semble quelquefois nuisible, c'est que les êtres qui y sont soumis ne peuvent point, par leur constitution propre, profiter de ce que cette action a de salutaire. Toutes choses sont d'ailleurs coordonnées dans l'univers : c'est pour cela qu'elles sont les signes les unes des autres. Elles relèvent d'une Raison supérieure aux raisons séminales, et elles concourent à la réalisation de son plan par leurs qualités comme par leurs défauts. En tout cas, les astres ne sont pas responsables des maux qui se produisent ici-bas.

En quoi consiste la puissance de la magie ? — (XL-XLI) Les considérations qui précèdent expliquent la puissance de la Magie. Elle est fondée sur la sympathie qui unit entre elles toutes les parties de l'univers, sur les attractions et les répulsions réciproques que la nature a établies entre les êtres. L'univers ressemble à une lyre, où, dès qu'une corde vibre, les autres vibrent à l'unisson. L'harmonie qui y règne est fondée aussi bien sur l'opposition que sur l'analogie des forces multiples qu'il contient. Si les choses se nuisent les unes aux autres, cela tient à leurs différences essentielles : ce n'est pas le vœu de la nature.

(XLII) Les astres n'exaucent nos prières que fatalement, en vertu des lois qui régissent l'univers. Les âmes des astres sont impassibles, aussi bien que l'Âme universelle: car elles ne sauraient subir d'affection physique et leurs corps sont inaltérables.

XLII-XLIV) La magie n’a point de prise sur l'âme du sage, mais seulement sur son corps. En effet, l'âme échappe aux influences de la magie quand, par la contemplation, elle se concentre en elle-même. Au contraire, si elle se livre à l'activité physique, elle cède dès lors à l'attrait qu'exercent nécessairement sur elle les autres êtres, elle se laisse séduire par les apparences du beau et du bien.

(XLV) Chaque être, par ses actions et ses passions naturelles, concourt à l'accomplissement de la fin de l'univers. Il donne et il reçoit, il est uni à tout XXXVII par la sympathie. Placé dans une condition intermédiaire, l'homme peut s'élever par la vertu ou s'abaisser par le vice : par les voies cachées que suit la justice distributive de la Providence divine, il obtient les récompenses ou subit les punitions qui sont nécessaires au bon ordre de l'univers (53).

LIVRE CINQUIÈME

QUESTIONS SUR L'ÂME III

(I-II) La perception de l'étendue tangible suppose contact entre le corps et l'objet extérieur. En est-il de même pour la vue et pour l'ouïe ? Y a-t-il un milieu entre l'œil  et l'objet visible, entre l'oreille et l'objet sonore ?

S'il y a un milieu entre l'œil et l'objet visible, ce milieu n'est pas affecté, ou l'affection qu'il éprouve n'a aucune analogie avec la sensation de la couleur. En tout cas, celle-ci est plus nette quand il n'y a pas de milieu interposé: car, s'il est obscur, il fait obstacle à la vision ; s'il est transparent, il se borne à ne pas nuire.

On a besoin d'un milieu, si l'on admet, comme les Péripatéticiens, que la lumière est une affection du corps diaphane, ou si, comme les Stoïciens, on explique la vision par une réflexion du rayon visuel. On n'a pas besoin d'admettre un milieu, si, comme Épicure, on rend compte de la vision par des images émanées des objets, ni si l'on admet avec Platon que la lumière émanée de l'œil se combine avec la lumière interposée entre l'œil et l'objet, ni si l'on explique la vision par une certaine sympathie entre l'œil et l'objet [ce qui est la doctrine propre à Plotin].

(III) La lumière n'est pas une affection de l'air, comme la chaleur : car, dans l'obscurité, on aperçoit les astres et les signaux de feu, sans voir les autres objets ; on voit, en outre, l'image tout entière de l'objet, tandis que, dans l'hypothèse d'une affection éprouvée par l'air, on ne devrait voir qu'une partie de cette image. C'est que la vision n'a pas lieu selon les lois de la nature corporelle, mais selon les lois supérieures de la nature animale. Entre l'œil et l'objet, il n'est pas besoin d'un autre milieu que la lumière : la vision s'explique par ce fait seul que le corps visible a le pouvoir d'agir et l'œil celui de subir son action.

(V) Quand on examine la sensation du son, on trouve que l'air est nécessaire pour le transmettre jusqu'à l'oreille, ou, dans certains cas, pour le produire par ses propres vibrations. Les différences qui existent entre les sons articulés ou inarticulés s'expliquent par la nature de l'action qu'exercent les objets qui résonnent. La perception du son suppose donc, ainsi que celle de la couleur, que les choses sont organisées de manière à entrer en rapport entre elles par la sympathie qui les unit comme les parties d'un seul animal.

XXXVIII (VI-VII) La lumière n'est ni un corps ni une modification de l'air : elle est l'acte du corps lumineux, sa forme et son essence (54). Elle apparaît et disparaît avec lui; elle modifie les objets éclairés sans s'y mêler, comme la vie est l'acte que l'âme produit dans le corps par sa présence. Quant à la couleur, elle résulte du mélange du corps lumineux avec la matière. Donc, dans tous les cas, la lumière est incorporelle quoiqu'elle soit l'acte d'un corps : elle subsiste aussi longtemps que lui, et cesse de se manifester dès qu'il disparaît.

(Vlll) Ce qui rend possible toute perception en général, et la perception de la couleur en particulier, c'est que l'objet sensible et le sujet sentant appartiennent au même monde, qu'ils sont faits l'un pour l'autre et qu'ils constituent des parties d'un seul organisme. Supposez détruite la conformité de l'objet et du sujet, et ils ne sauraient plus entrer en rapport; par conséquent, dans cette hypothèse, la perception est impossible.

LIVRE SIXIÈME

DES SENS ET DE LA MÉMOIRE

(I-II) La Sensation n'est pas une image imprimée à l'âme et semblable à l'empreinte d'un cachet sur la cire, mais un acte relatif aux objets qui sont de son domaine. Il faut ici distinguer la passion et la connaissance de la passion : la première est propre au corps, la seconde appartient à l'âme et constitue la Sensation.

(III) Il en est de même de la Mémoire : se souvenir, ce n'est pas garder une empreinte, mais réfléchir aux notions qu'on possède. Étant la raison de toutes choses, l'âme a l'intuition des choses intelligibles en s'y appliquant, en passant de la puissance à l'acte ; de même, elle a l'intuition des choses sensibles en éveillant les formes qu'elle en possède, en vertu de la puissance qu'elle a de les percevoir et de les enfanter (55). Le souvenir a pour principe l'activité de l'âme, qui, après avoir considéré un objet avec attention, en reste longtemps affectée et se le rappelle ensuite quand elle y réfléchit.

En général, tous les phénomènes qui se produisent dans l'âme procèdent de facultés essentiellement actives ; c'est ce qui les distingue profondément des phénomènes sensibles, auxquels certains philosophes ont tort de les assimiler.

XXXIX LIVRE SEPTIÈME

DE L'IMMORTALITÉ DE L'ÂME (56)

(I-V) Pour savoir si l'âme est immortelle, il faut examiner si elle est indépendante du corps.

A. L'ÂME N'EST PAS CORPORELLE

1° Ni une molécule matérielle ni une agrégation de molécules matérielles ne sauraient posséder la vie et l'intelligence. 2°Une agrégation d'atomes ne pourrait former un tout qui fût un et sympathique à lui-même. 3° Tout corps est composé d'une matière et d'une forme, tandis que l'âme est une substance simple. 4° L'âme n'est pas une simple manière d'être de la matière, parce que la matière ne saurait se donner à elle-même une forme. 5° Aucun corps ne subsisterait sans la puissance de l'Âme universelle. 6° Si l'âme est autre chose que la simple matière, elle doit constituer une forme substantielle. 7° Le corps exerce une action uniforme, tandis que l'âme exerce une action très diverse. 8° Le corps n'a qu'une seule manière de se mouvoir, tandis que l'âme a des mouvements différents. 9° L'âme, étant toujours identique, ne peut, comme le fait le corps, perdre des parties ni s'en adjoindre. 10° Étant une et simple, elle est tout entière partout, et elle a des parties identiques au tout; il n'en est pas de même du corps.

(VI-VIII) 11° Le corps ne saurait posséder ni la sensation, ni la pensée, ni la vertu. — [Impossibilité pour le corps de sentir.] Le sujet qui sent doit être un, inétendu, pour percevoir l'objet sensible tout entier à la fois, pour être le centre auquel viennent aboutir toutes les sensations qu'il compare et qu'il juge. Si l'âme était corporelle, elle devrait avoir autant de parties que l'objet sensible et percevoir une infinité de sensations; de plus, chaque sensation serait une empreinte matérielle, ce qui rendrait la mémoire impossible. On peut en dire autant des affections : dans la douleur, il y a la souffrance qui est propre au corps, et le sentiment de cette souffrance qui appartient à l'âme; ce sentiment n'est pas transmis de proche en proche [comme l'enseignent les Stoïciens], mais produit instantanément, par conséquent, il suppose l'unité du principe qui sent. — [Impossibilité pour le corps de penser.] L'âme pense : or, la pensée de l'intelligible, qui est indivisible et incorporel, suppose un sujet de même nature. — [Impossibilité pour le corps de posséder la vertu.] La Beauté et la Justice, n'ayant pas d'étendue, ne peuvent être conçues et gardées que par un principe indivisible. Si l'âme était corporelle, les vertus, XL telles que la prudence, la justice, le courage, ne seraient plus qu'une certaine disposition du sang ou du souffle vivant; or, une pareille hypothèse est inadmissible.

12° Les corps n'agissent que par des puissances incorporelles qu'ils tiennent de l'âme. Celle-ci doit donc être elle-même une force incorporelle. 13° L'âme pénètre le corps tout entier, tandis qu'un corps tout entier ne peut pénétrer un autre corps tout entier. 14° Si [comme le prétendent les Stoïciens] l'homme était d'abord une habitude, puis une âme, enfin une intelligence, le parfait naîtrait de l'imparfait, ce qui est impossible.

B. L'ÂME N'EST PAS L'HARMONIE NI L'ENTÉLÉCHIE DU CORPS.

L'âme n'est pas l'harmonie du corps (57): car l'harmonie est un effet ; elle suppose donc une cause ; or cette cause n'est autre que l'âme.

L'âme n'est pas non plus l'entéléchie du corps naturel, organisé, qui a la vie en puissance. En effet, cette hypothèse soulève une foule de difficultés. D'abord, la pensée pure suppose un principe séparé du corps. Ensuite, le souvenir de la sensation, à moins d'être assimilé à une empreinte corporelle, doit être conçu comme indépendant de l'organisme. Enfin, les fonctions même de la vie végétative ne sauraient s'expliquer par une force complètement inséparable de la matière qu'elle façonne.

C. L'ÂME EST UNE ESSENCE INCORPORELLE ET IMMORTELLE.

(IX-X) Puisque l'âme n'est ni un corps ni une manière d'être d'un corps, et qu'elle est cependant le principe de la force active, il faut admettre qu'elle est une essence véritable, qui donne au corps le mouvement et la vie parce qu'elle se meut elle-même et qu'elle possède la vie par elle-même. Elle est donc immortelle. Pour s'en convaincre, il suffit de considérer l'affinité qu'elle a avec la nature divine et éternelle, lorsque, se séparant du corps, elle s'applique à penser et s'élève à Dieu (58).

XLI (XI-XII) La vie suppose un principe, et ce principe doit être impérissable : sans cela, il n'y aurait plus dans l'univers qu'une suite de phénomènes sans cause réelle. Si l'on veut que l'Âme universelle soit seule immortelle, tandis que l'âme humaine serait périssable, on avance une chose impossible : car, l'âme humaine étant un acte un, simple, indivisible, inaltérable, ne saurait périr par décomposition, division ou altération.

(XIII) Pure et impassible tant qu'elle reste dans le monde intelligible, l'âme déchoit uns doute quand elle vient ici-bas façonner une portion de la matière à l'image des idées qu'elle a contemplées là-haut ; amis, alors mime, par son intelligence, elle demeure encore impassible et indépendante du corps.

(XIV) L'âme n'est pas composée quoiqu'on y distingue plusieurs parties : car, lorsqu'elle se sépare du corps, elle ramène à elle les puissances qu'elle avait produites pour lui communiquer la vie (59).

Les âmes qui animent les corps des brutes sont également impérissables, quelle que soit leur nature.

(XV) Aux preuves précédentes, qui s'adressent uniquement à la raison, on peut, si on le désire, joindre des preuves historiques, comme les rites observés envers ceux qui ne sont plus, les réponses des oracles, etc.

LIVRE HUITIÈME (60)

DE LA DESCENTE DE L'ÂME DANS LE CORPS (61)

(I) La perfection que l'on découvre dans l'âme considérée en elle-même conduit à chercher comment elle a pu descendre dans un corps. Héraclite, Empédocle, Platon lui-même ne se sont pas expliqués sur ce point avec assez de clarté. Il reste donc encore à faire une étude attentive et complète de la question.

XLII (II) L'Âme universelle demeure impassible en s'unissant an monde parce que le corps du monde est parfait : elle le gouverne avec une autorité royale, par des lois générales, sans éprouver de peine ni de fatigue, sans être détournée de la contemplation des essences intelligibles. Il n'en est pas de même de l'âme particulière que son commerce avec le corps détourne des conceptions de l'intelligence et expose à la douleur.

(III) La descente des âmes particulières sur la terre est une des lois de l'univers. En effet, de même que l'Intelligence universelle enveloppe la pluralité des intelligences particulières ; de même, l'unité de l'Âme universelle contient la pluralité des âmes particulières, dont la destinée est de vivifier et de gouverner les corps, afin que le monde intelligible manifeste et développe toutes les puissances qu'il possède.

(IV-V) Tant que l'âme particulière se borne à exercer sa puissance intellectuelle, elle reste unie à l'Âme universelle. Quand elle développe ses puissances sensitive et végétative, elle entre dans un corps et elle en partage les infirmités ; elle peut cependant remonter au monde intelligible. Par là, on peut concilier les opinions diverses énoncées précédemment (§ I) : la descente de l'âme dans le corps n'est ni spontanée ni involontaire; elle résulte d'une loi providentielle qui n'abolit pas la liberté; elle n'est pas un mal en soi, puisqu'elle donne aux âmes l'occasion de développer leurs facultés, de les faire passer de la puissance à l'acte (62) ; elle n'est un mal que pour celles qui s'attachent au corps et oublient leur céleste origine. Dans ce cas, ces âmes sont soumises à un jugement et à un châtiment qui a pour but de les purifier (63).

(VI-VIII) C'est une loi universelle que toute puissance produise en raison XLIII même de sa perfection et de sa fécondité. C'est ainsi que, par une procession successive, l'Un engendre l'Intelligence, l'intelligence engendre l'Âme, et ainsi de suite, jusqu'à ce que les dernières limites du possible soient atteintes et que chaque chose participe du Bien autant que le comporte sa nature particulière. C'est en vertu de cette loi que l'âme particulière vient ici-bas pour manifester ses puissances et apprendre à mieux apprécier la félicité du monde intelligible par l'épreuve des contraires. Dans sa procession, elle se communique aux choses inférieures tout en conservant son intégrité; à quelque rang qu'elle s'abaisse, elle ne descend jamais dans le corps tout entière, elle reste toujours unie à l'Intelligence par sa partie supérieure. Il y a en effet en nous deux parties, dont l'une contemple l'Intelligence, et l'autre dirige notre corps : nous avons successivement conscience de chacune d'elles, en appliquant notre attention à ses actes.

LIVRE NEUVIÈME

TOUTES LES ÂMES FORMENT-ELLES UNE SEULE ÂME (64) ?

(I) De même que chaque âme particulière est, sans étendue et sans division, présente à tous les organes qu'elle anime, de même l'Âme universelle est présente à toutes les âmes particulières dont elle est la commune origine.

(II-III) De ce que toutes les âmes n'en forment qu'une, il n'en faudrait pas conclure qu'elles doivent éprouver les mêmes affections : car elles ne forment pas une unité numérique, mais une unité générique; or, dans des êtres différents, la même essence peut éprouver des affections diverses, et les mêmes puissances produire des actes variés. D'un côté, nous sympathisons les uns avec les autres, et cette sympathie prouve l'unité de tous les êtres, unité qui résulte de ce que l'Âme est une. D'un autre côté, les âmes particulières exercent des puissances diverses, ou développent d'une manière différente la même puissance, ce qui explique pourquoi elles éprouvent des affections diverses.

(IV-V) L'Âme universelle est l'unité dans la multitude ; mais ce n'est pas une masse homogène divisée en une multitude de parties, ni une forme identique imprimée à une multitude de sujets. L'Âme universelle se donne à la multitude des âmes particulières, dont elle est le principe, tout en demeurant elle-même une et identique. Ainsi, la science est à la fois unité et pluralité : elle est le tout en acte et les parties en puissance ; chaque partie à son tour est le tout en puissance et la partie en acte.


 

(01)   C'est ce qu'avait déjà reconnu un des écrivains les plus compétents, M. Jules Simon, qui s'exprime ainsi dans sa savante Histoire de l'École d'Alexandrie (t. I, p. 587) : « Plotin a employé tout un livre à établir la distinction de l'âme et du corps; et si l'on rapproche cet ouvrage de la Méditation de Descartes sur le même sujet, je ne sais laquelle des deux démonstrations on trouvera la plus complète. »

(02)  Voy. ci après, p. 507-519.

(03) Voy. ci-après, p. 566-581.

(04) Voy. p. 611 l'Avertissement en tête des Fragments de Psychologie néoplatonicienne.

(05)   Le savant Mémoire sur le Stoïcisme, de M. Ravaisson, nous a été d'un grand secours pour la détermination des rapports de Plotin avec le Stoïcisme, de même que l'Essai sur la Métaphysique d'Aristote du même auteur, pour les emprunts faits au Péripatétisme.

(06)Voy. notamment p. 231, note 1.

(07)  Voy. p. 288, note 4; p. 297, note 1.  

(08)   Voy. pour les Néoplatoniciens, p. 519, 542, 584, 606; pour les philosophes arabes, Maïmonide et lbn-Gébirol, p. 170, 597; pour les écrivains chrétiens, notamment pour S. Grégoire de Nysse, S. Denys l'Aréopagite, Théodoret, Némésius, Synésius, Énée de Gaza, p. 520, 552, 585; pour S. Augustin, Boèce, Cassiodore, p. 523, 552, 588, 593, 600, 607, etc.

(09) Défense des Pères accusés de Platonisme, par le P. Ballas, jésuite.

(10) Voy. à cet égard les indications déjà données dans la Préface de notre 1er vol., p. XXXII.

(11)    Voy. la Préface du 1er vol., p. XXX.

(12) Voy. ci-après, p. 523.  

(13)  Voy. ci-après, p. 549.  

(14)  Voy. ci-après, p. 588-592.

(15)  « Ita sum affectus ut quid sit verum non credendo solum, sed etiam intelligendo apprehendere impatienter desiderem; apud Platonicos me interim quod sacris nostris litteris non repugnet reperturum esse confido. » (Contra Academic., III, 19.)

(16)  Voy, à la fin du vol., p. 554-565, la dissertation que nous avons consacrée à ce sujet.

(17) Voy. ci-après le texte de ce passage, p. 544. Voy. aussi la Préface des Dogmata theologica et l'excellente thèse de M. Lescoeu sur la Théodicée du P. Thomassin, 1852.  

(18)  Voy. ci-après le texte de ce passage, p. 470, note 1.  

(19) Nous signalerons notamment, en suivant l'ordre de leur apparition, les articles de M. Ch. Jourdain, dans la Revue contemporaine (16 octobre 1867), de M. Is. Cahen, dans la Presse (26 octobre 1857), de M. Em. Saisset., dans la Revue des Deux-Mondes (15 décembre 1867), de M. Vacherot, dans la Revue de Paris (15 janvier 1868), de M. Ad. Franck, dans le Journal des Débats (2 février 1858), de M. l'abbé Hébert-Duperrou, dans le Journal général de l'Instruction publique (6 mars 1858), de M. Éd. Fournier, dans la Patrie (8 mars 1858), de M. Chassang, dans le Pays (29 mars 1858), de M. Marey, dans le Siècle (21 juin 1858), de M. Ch. Lévêque, dans le Journal des Savants (septembre 1858), de M. Michel Nicolas, dans le numéro de septembre du Disciple de Jésus-Christ, revue mensuelle publiée par M. J. Martin-Paschoud; de M. Rapetti, dans le Moniteur (26 novembre 1858). Nous signalerons également, à l'étranger, les comptes rendus publiés en octobre 1857 par la Bibliothèque universelle de Genève (bulletin littéraire), et, en mai 1858, par l'Eclectic Review de Londres et l'University Magazine de Dublin. Nous avons profité avec empressement de plusieurs des conseils qui nous étaient adressés; nous répondons ci-après à quelques critiques qui n'ont pas paru suffisamment fondées.

(20) Voy. notamment Ennéade IV, liv. III. § 4 et 5, et les rapprochements indiqués dans les notes de ces paragraphes, ainsi que les Éclaircissements p. 515 et 518.  

(21)  Voy. notamment Enn. IV, liv. VIII, § 11 p. 478-79.

(22) Voy. p. XXIX et suivantes.

(23)  Voy. la Préface du 1er vol., p. XXI.

(24)  Préface, p. XXXIII.

(25) Nous avons signalé, p. 593-597, plusieurs points de ressemblance entre saint Thomas et Plotin. On sait du reste, d'après les recherches de M. Ch. Jourdain, que saint Thomas connaissait les Éléments de Théologie, où Proclus a résumé les idées du chef de son école.

(26) Voy. ci-après la Lettre de Jamblique à Macédonius sur le Destin, p. 670-672, et l'Analyse du Théophraste d'Énée de Gaza, § IV, p. 680-681.

(27)  Cette comparaison a inspiré à Simplicius le passage suivant, dont M. Dacier loue avec raison la beauté, mais dont il croit à tort que l'idée a été empruntée à saint Paul : « Quoique l'âme soit maîtresse de ses mouvements et de sa volonté, et qu'elle ait en elle-même les principes de ses biens et de ses maux, c'est Dieu qui lui a donné ces privilèges en la créant. C'est pourquoi, pendant qu'elle est attachée à sa cause comme à sa racine naturelle, elle est sauvée et elle a toute la perfection qu'elle a reçue de Dieu avec l'existence ; mais, si elle s'en détache, et qu'elle se sépare de sa racine autant qu'il est en son pouvoir, elle se sèche et se flétrit, elle perd sa force et sa beauté, jusqu'à ce qu'elfe opère sa conversion, s'unisse de nouveau à sa cause, et recouvre ainsi sa perfection première. » (Commentaire du Manuel d'Épictète : XXXI, fin.) Voy. encore ci-après les Extraits d'Énée de Gaza, p. 684, note 7.  

(28)  Voy. ci-après les Extraits d'Énée de Gaza, p. 677.  

(29) Aux dissertations que nous indiquons dans les Éclaircissements (p. 537-541), il faut ajouter celle de Fr. G. Starke : Plotini de Amore sententia, Neu-Ruppin, 1854; in-4, 10 pages. C'est une simple exposition de la doctrine que Plotin professe sur ce sujet.

(30) Voy Olympiodore, Comm. sur le Gorgias, fol. 72-74 (dans M. Cousin, Fragments de Philosophie ancienne, p. 322).

(31) Michel Psellos résume en ces termes la première partie de ce livre : « Plotin affirme que l'âme ne partage pas les passions du corps : car l'artisan ne sent pas ce qu'éprouvent ses instruments. L'âme a besoin des sens : car, pour exercer les fonctions qui exigent le concours des organes, elle se sert des sens afin de connaître par leur ministère les objets extérieurs. Mais, comme l'âme est incorporelle, les passions du corps ne l'affectent pas, ou du moins, si elles l'affectent, elles ne modifient pas son essence, mais seulement ses facultés et ses actes. » (De Omnifaria doctrina, § 28, dans Fabricius, bibliothèque grecque, t. V, éd. originale.) Dans le même ouvrage, Michel Psellos résume en ces termes le livre II de l'Ennéade I, sans toutefois nommer Plotin : Il y a trois espèces de vertus : les premières ornent l'homme, c'est-à-dire l'âme unie au corps ; les deuxièmes, nommées purificatives, détachent l'âme du corps et lui apprennent à rentrer en elle-même; les troisièmes, appelées intellectuelles, élèvent à la contemplation des intelligibles l'âme parfaitement purifiée. Autre est la vertu de Dieu, autre celle de l'ange, autre celle de l'homme, car les vertus diffèrent comme les essences. L'âme a pour essence d'être raisonnable; au-dessus d'elle est l'intelligence; au-dessous d'elle l'âme irraisonnable, qu'on appelle l'image de la première. Les diverses classes des anges, en suivant les degrés de leur hiérarchie depuis les Séraphins, possèdent les vertus qui sont en harmonie avec leur rang. Quant à Dieu, il est au-dessus de toutes les espèces de vertus et de biens; il est supérieur à toute perfection. » (ibid., § 48.)

(32) Voy. ci-après Jamblique, Traité de l'Âme, p. 640 et note 2.

(33) Voy. ci-après Jamblique, Traité de l'Âme, p. 627, note 3.  

(34)  Villoison a publié dans ses Anecdota graeca (t. II, p. 227-237) les paragraphes 8-10 de ce livre, parce qu'il les croyait inédits. Fr. Chr. Grimm a donné une édition spéciale de ce même morceau, en y joignant un commentaire, sous ce titre : Plotini De rerum principio, Lipsiae, 1788.  

(35)  On peut rapprocher de cette théorie le fragment suivant de Porphyre : « Il y a deux sortes de créations, l'une indivisible, l'autre divisée : à la première préside Jupiter, à la seconde Bacchus; c'est pour cela qu'il est mis en pièces. Chacun d'eux a sous lui une pluralité qui lui est propre : Bacchus a sous lui les Titans, et Jupiter les dieux olympiens. L'un et l'autre constituent une unité et une triade démiurgique. » (Fragment cité par Olympiodore, Comm. sur le Phédon, dans M. Cousin, Fragments de Philosophie ancienne, p. 460.)

(36) Voy. ci-après p. 640, note 6. Olympiodore dit à ce sujet : « La connaissance est la beauté de l'âme, à cause de son évidence et de son charme. Plus elle se dégage de la matière et par conséquent de l'ignorance, plus elle est belle, et sa beauté suprême est de s'unir à la lumière intellectuelle. » (Comm. sur le Phédon, dans M. Cousin, Fragments de Philosophie ancienne, p. 432.)

(37) Voy. ci-après Jamblique, Traité de l'Âme, p. 631.  

(38) C'est pour suppléer à ce manque d'ordre que nous donnons ci-après le résumé général de la Psychologie de Plotin, p. 566-580. Voy. aussi Jamblique, Traité de l'Âme, p. 665-672.

(39) Voy. ci-après Porphyre, Traité sur le précepte Connais-toi toi-même, p. 615-618.

(40) Voy. ci-après Jamblique, Traité de l'Âme, p. 646-647.  

(41) Voy. ci-après Jamblique, Traité de l'Âme, § XI-XII, p. 648-651.

(42) Voy. ci-après Jamblique, Traité de l'Âme, § V, p. 636; § XVIII, p. 660, et la note 4.

(43)  Voy. ci-après Jamblique, Traité de l'Âme, § VIII, p. 640.

(44)   Voy. ci-après Jamblique, Traité de l'Âme, § XIII, p. 651-653.

(45)   Voy. ci-après Jamblique, Traité de l'Âme, § XV-XVI, p. 687-661.

(46) Voy. ci-après Jamblique, Traité de l'Âme, § VI, p. 637-638; Comm. du Traité d'Aristote sur L'Âme, § XXI, p. 664-666.  

(47) Voy. ci-après Jamblique, Traité de l'Âme, § V, p. 636.  

(48) Voy. ci-après Jamblique, Traité de l'Âme, § IX, p. 641-644.

(49)  Voy. ci-après Jamblique, Traité de l'Âme, p. 640, et note 2.

(50) Voy. ci-après Jamblique, Comm. du Traité d'Aristote sur l'Âme, § XVIII, p. 662.  

(51)  Voy. ci-après Jamblique, Traité de l''Àme, § V, p. 636-637.

(52) Pour la doctrine de Plotin sur l'influence des astres, voy. les Éclaircissements du tome 1, p. 464. Olympiodore résume dans ce dilemme les objections que Plotin adresse aux astrologues : « Les astres sont animés ou inanimés. S'ils sont inanimés, ce qui n'est pas, comment peuvent-ils produire quelque effet, opérant sans âme ? S'ils sont animés, et que leur action soit divine, comment donnent-ils à l'un la richesse et tous les avantages de ce genre, à l'autre la pauvreté et toutes les autres sortes d'infortunes? » (Comm. sur le Gorgias, dans M. Cousin, Fragments de Philosophie ancienne, p. 375.) Voy. le développement de cet argument dans l'Ennéade II, livre III, § 3, t. I, p. 167.

(53) Voy. Olympiodore, Comm. sur le Gorgias (dans M. Cousin, Fragments de Philosophie ancienne, p. 302-309).

(54)   Voy. ci-après Jamblique, Comm. du Traité d'Aristote sur l'Âme, § XIX, p. 663.

(55) Voy. ci-après Jamblique, ibid., § XVIII, XXIIl, 662, p. 666.

(56) Voy. ci-après Porphyre, Traité de l'Âme, p. 619-624, et Jamblique, Traité de l'Âme, § XV, p. 654-656.

(57)   Voy. Olympiodore, Comm. sur le Phédon (dans M. Cousin, Fragments de Philosophie ancienne, p. 414).

(58)  C'est l'argument de la similitude, argument développé par Porphyre dans son Traité de l'Âme (Voy. ci-après. p. 619-621), et par Olympiodore dans son Commentaire sur le Phédon : « Olympiodore nous apprend, » dit M. Cousin, « que l'argument tiré de l'essence de l'âme, et fondé sur l'analogie de l'âme avec l'indissoluble, était considéré par tous les interprètes de Platon comme le seul argument vraiment démonstratif. Ici Jamblique est cité. Voici quel était son raisonnement : il s'appuyait sur ce principe de Plotin [Enn. IV, liv. VII, § 3, p. 438-439] que tout ce qui est détruit l'est d'une de ces deux manières, soit comme composé, soit comme accident et n'ayant d'existence que dans un sujet. Ainsi les corps périssent parce qu'ils sont composés, et les qualités intellectuelles périssent aussi parce qu'elles n'existent que dans un sujet. Or, l'âme n'étant point composée et n'existant pas non plus dans un sujet, puisqu'elle gouverne le corps, lui donne la vie et a en elle-même son principe d'action, ne peut périr d'aucune manière, ni comme composée, ni comme dépendante d'un sujet pour son existence. » (M. Cousin, Fragments de Philosophie ancienne, p. 411.)  

(59) Olympiodore résume en ces termes les opinions diverses des Néoplatoniciens sur cette question : « Parmi les philosophes, les uns font l'âme immortelle, en comprenant dans cette immortalité le principe vital, comme Numenius; les autres, comme Plotin s'exprime quelque part, y comprennent notre nature physique; ceux-ci comprennent la partie irraisonnable de notre être, comme Xénocrate et Speusippe parmi les anciens, Jamblique et Plutarque parmi les modernes; ceux-là y comprennent seulement la partie raisonnable, comme Proclus et Porphyre; d'autres enfin immortalisent l'âme tout entière, absorbant les parties dans le tout. » (Comm. sur le Phédon, dans M. Cousin, Fragments de Philosophie ancienne, p. 453.) Dans un autre passage, Olympiodore place encore Jamblique parmi ceux qui, exagérant et dénaturant la pensée de Platon, s'étaient imaginé que Platon regarde toute âme comme immortelle, l'âme des bêtes et l'âme des végétaux, aussi bien que l'âme raisonnable. (Cousin, ibid., p. 415.) Voy. ci-après p. 655-656.

(60) Nous avons omis de dire dans les Éclaircissements que ce livre a été traduit en anglais par Th. Taylor, Five Books of Plotinus, p. 249.

(61)  Voy. ci-après Jamblique, Traité de l'Âme, § XI-XII, p. 648-652.  

(62)   Olympiodore tire de cette doctrine les arguments par lesquels il prouve qu'il n'est pas permis de se donner la mort : « 1° Dieu ne se borne pas à la conscience de lui-même : il est la Providence de ce monde. Ainsi, le philosophe qui prend Dieu pour modèle (car la philosophie est la plus haute ressemblance avec Dieu), ne doit pas se borner à la réflexion ; rien ne l'empêche d'agir, d'exercer une sorte d'action providentielle sur les choses inférieures, sans perdre sa pureté. Après la séparation de l'âme et du corps opérée par la mort, il n'est pas difficile de vivre dans la pureté; mais c'est une belle chose de se conserver incorruptible pendant que l'on est assujetti au corps. 2° De même que Dieu est présent en toutes choses, de même l'âme doit être présente dans tout le corps et ne point s'en séparer. 3° Un lien volontaire doit être délié volontairement; un lien involontaire doit l'être involontairement. La vie physique est involontaire; c'est un lien qui doit être dénoué sans l'intervention de la volonté, c'est-à-dire par la mort naturelle, tandis que la vie des sens, que nous avons embrassée librement, doit avoir une fin volontaire, la purification de nous-mêmes. » (Comm. sur le Phédon, dans M. Cousin, Fragments de Philosophie ancienne, p. 397.) Sur ce dernier argument, Voy. Enn. I, liv. IX, t. I, p. 140.

(63) Cette opinion de Plotin est citée en ces termes par Olympiodore : « Les âmes qui n'ont commis que des fautes légères ne sont condamnées que pour peu de temps, et une fois purifiées elles s'élèvent, non par rapport aux lieux, ce qui est symbolique, mais moralement, par rapport à leur manière d'être. Aussi Plotin dit-il que l'âme est ramenée au monde intelligible, non en changeant de lieu, mais en changeant de vie. » (Comm. sur le Gorgias, dans M. Cousin, Fragments de Philosophie ancienne, p. 375.)

(64) Voy. ci-après Jamblique, Traité de l'Âme, § X, p. 646-648.