RETOUR À L’ENTRÉE DU SITE ALLER A LA TABLE DES MATIERES DE PLATON

 

Oeuvre numérisée par J. P. MURCIA

 

PLATON

 

LES LOIS

 

introduction I II III IV V VI VII VIII IX X XI XII

 

 

LIVRE IX

 


 

I

L'ATHÉNIEN L'arrangement de nos lois nous amène naturellement à traiter à présent des actions en justice qui viennent à la suite de toutes les affaires dont il a été question précédemment. Quant aux objets sur lesquels doivent rouler ces actions, nous en avons déjà parlé à propos de l'agriculture et de tout ce qui en dépend; mais nous n'avons rien dit encore des objets les plus importants, c'est-à-dire de la nature de chaque délit en particulier, de la peine qui doit le suivre, des juges qui doivent en connaître. C'est b de quoi nous avons à traiter maintenant.
CLINIAS Fort bien.
L'ATHÉNIEN On pourrait éprouver quelque honte à légiférer sur toutes les questions dont nous allons nous occuper, dans un État qui, selon nous, sera bien gouverné et parfaitement organisé pour la pratique de la vertu. Et en effet, admettre que dans un tel État, il puisse naître quelqu'un d'aussi méchant que le sont les plus grands criminels dans les autres États, au point qu'il soit nécessaire que le législateur prévienne et menace ceux qui pourraient devenir tels, et qu'il fasse des lois pour les détourner de ces crimes et les punir, s'ils s'en rendent coupables, comme s'ils devaient effectivement se commettre, c'est, comme je l'ai dit, une supposition injurieuse à certains égards. Mais, comme nous ne sommes pas dans le cas des anciens législateurs qui faisaient des lois pour les enfants des dieux, les héros, comme on dit aujourd'hui, et qu'eux-mêmes, étant issus des dieux, légiféraient pour d'autres, également fils de dieux, que nous ne sommes que des hommes et que nous donnons des lois aux enfants des hommes, on ne peut nous reprocher de craindre qu'il ne naisse parmi nos concitoyens des hommes indomptables, naturellement si durs qu'on ne saurait pas plus les amollir que ces semences, qui résistent au feu, et qu'ils sont réfractaires aux lois les plus fortes. C'est en vue de ces gens-là que je proposerai d'abord, en dépit que j'en aie, une loi sur le pillage des temples, si quelqu'un est assez hardi pour s'y livrer. Nous désirons, nous comptons bien qu'aucun des citoyens qui ont reçu une bonne éducation ne sera jamais atteint de cette maladie ; mais ses esclaves, les étrangers et les esclaves des étrangers pourraient souvent tenter de pareils attentats. C'est eux surtout que j'ai en vue ; néanmoins, comme je me défie en général de la faiblesse de la nature humaine, j'édicterai la loi sur le pillage des temples et sur tous les crimes de ce genre, dont la guérison est difficile ou même impossible.
Mais il faut, comme nous en sommes convenus plus haut, mettre à la tête de toutes ces lois un prélude, le plus court qu'il nous sera possible. On pourrait à celui qu'un désir criminel de piller quelque temple sollicite pendant le jour et tient éveillé la nuit adresser la semonce que voici : Mon étonnant ami, le vice qui te pousse à présent au pillage des temples n'est pas un mal humain ni envoyé par les dieux ; c'est comme un taon furieux, issu d'anciennes fautes qui n'ont pas été purifiées, une folie criminelle que l'on porte partout avec soi, et contre laquelle il faut réagir de toutes ses forces. Et comment réagir ? Je vais te le dire. Lorsque une pareille pensée te viendra à l'esprit, aie recours aux cérémonies propres à la conjurer, va supplier dans leurs temples les dieux qui détournent les maux, recherche la compagnie des hommes qui passent pour vertueux; écoute-les dire et tâche toi-même de dire que le devoir de tout homme est de respecter l'honnêteté et la justice; mais fuis sans te retourner la société des méchants. Si tu te conduis ainsi, tu trouveras peut-être quelque soulagement à ton mal ; sinon, considère qu'il est plus beau pour toi de mourir et débarrasse-toi de la vie.

II

Quand nous aurons chanté ce prélude à ceux qui trament toutes ces entreprises impies, qui causent la perte des États, quiconque obéira n'aura rien à craindre de la loi, mais à celui qui désobéira aux prescriptions du prélude nous dirons à haute voix : Toutes les fois qu'on aura pris un homme, esclave ou étranger, à piller un temple, on lui imprimera sur le visage et sur les mains la marque de son crime, on le fouettera d'autant de coups que les juges l'auront jugé bon, puis on le jettera nu hors des limites du pays. Peut-être, quand il aura payé sa peine, deviendra-t-il meilleur et plus sage; car ce n'est jamais pour faire souffrir que la loi punit, mais elle produit un de ces deux effets, ou bien elle améliore, ou bien elle rend moins mauvais celui qui a subi son châtiment. Si c'est un citoyen qu'on surprenne à oser un crime de ce genre, s'il a commis envers les dieux, ses parents ou l'État un de ces forfaits énormes, dont on ne peut parler sans horreur, le juge devra le traiter comme un homme inguérissable, en voyant qu'en dépit de l'instruction et de l'éducation qu'il a reçue dès son enfance, il ne s'est pas abstenu des plus grands crimes. Son châtiment sera la mort, le moindre des maux. Les autres profiteront de son exemple, en le voyant disparaître honteusement hors des frontières du pays. Quant à ses enfants et à sa famille, s'ils évitent de se conduire comme leur père, on les estimera et on parlera d'eux avec éloge, comme de gens qui ont noblement et courageusement quitté le chemin du vice pour celui de la vertu.
Pour les biens de ces criminels, il serait malséant de les confisquer au profit du trésor dans un État où les héritages doivent être les mêmes et rester égaux. Quand un homme sera convaincu d'un crime qui mérite une amende, s'il a quelque bien en surplus de son lot propre, et des meubles nécessaires, il paiera cette amende sur ce surplus, mais sans aller au delà. Les gardiens des lois relèveront exactement sur le registre des inscriptions l'état de ses biens et en feront chaque fois aux juges un rapport précis, afin qu'aucun héritage ne reste improductif faute d'argent. Si quelqu'un paraît mériter une amende plus forte que ses ressources et s'il n'a pas quelques amis disposés à le cautionner et à l'aider à payer pour être mis en liberté, on le mettra aux fers publiquement et pour un long temps, et on le traitera outrageusement.
Que personne n'échappe jamais à la punition, n'eût-il commis qu'une seule faute et ne s'enfuie hors des frontières. La mort, les fers, le fouet, la honte de se tenir assis ou debout dans une posture humiliante, de se tenir à l'entrée des temples à l'extrémité du pays, ou le paiement des amendes dont nous avons parlé précédemment, tels seront les châtiments qu'on appliquera. Les jugements à mort appartiendront aux gardiens des lois et à un tribunal composé des magistrats de l'année précédente choisi par ordre de mérite. Quand à l'introduction des instances, des citations en justice, de toutes les procédures de ce genre et de la manière dont il faut les conduire, c'est aux plus jeunes législateurs à s'en occuper ; notre tâche à nous, c'est de régler par la loi la manière de voter. Que les juges donnent leur suffrage à découvert et qu'ils siègent, rangés suivant leur âge en face et très près de l'accusateur et de l'accusé, et que tous les citoyens qui seront de loisir assistent avec attention à ces sortes de jugements. Chacun des plaideurs ne prononcera qu'un discours : l'accusateur parlera d'abord, l'accusé après lui. Après ces discours, le plus ancien des juges commencera à les interroger, jusqu'à ce qu'il se soit rendu exactement compte de ce qu'ils ont dit. A la suite du plus ancien, tous les autres devront poursuivre l'interrogatoire sur ce qu' ils désirent savoir encore après les discours des deux parties. Si l'un d'eux ne désire rien, il passera l'interrogatoire au suivant. De tout ce qui aura été dit, on cachettera ce qu'on jugera essentiel, et l'écrit, portant le sceau de tous les juges, sera déposé dans le temple de Hestia. Le lendemain, ils se réuniront de nouveau, poursuivront la procédure, en interrogeant de même les parties, et mettront encore leur cachet sur ce qui aura été dit. Enfin, après avoir fait la même chose trois fois et recueilli suffisamment les preuves et les dépositions, chacun d'eux apportera son suffrage sacré et s'engagera au nom de Hestia à juger de son mieux suivant la justice et la vérité, et c'est ainsi que l'on mettra fin au procès.

III

Des crimes contre les dieux passons aux attentats contre la sûreté de l'État. Quiconque, pour élever un homme au pouvoir, asservit les lois, soumet la ville aux factions et, portant partout la violence, excite la sédition et brave la loi doit être regardé comme le pire ennemi de la cité. Il faut mettre au second rang pour la méchanceté celui qui, revêtu des plus hautes charges de l'État, sans prendre part à ces menées, soit qu'il les ignore, soit qu'il les connaisse, pousse la lâcheté jusqu'à ne pas défendre sa patrie. Il faut même que, tout homme, si peu de valeur qu'il ait, dénonce aux magistrats et traîne en justice ceux qui trament un changement violent et illégal de la constitution. Ils seront jugés par les mêmes juges que les sacrilèges, et toute la procédure sera la même pour les uns que pour les autres, et les coupables seront condamnés à mort à la pluralité des suffrages. Je ne répéterai pas que l'opprobre et le châtiment du père ne suivront aucun de ses enfants, excepté si le père, l'aïeul et le bisaïeul du coupable ont été successivement condamnés à mort. En ce cas, l'État les renverra dans la partie de l'État, d'où ils sont venus jadis, avec le droit d'emporter leurs biens, à la réserve du fonds de terre et de tout ce qui en dépend. Ensuite ceux des citoyens qui auront plusieurs enfants mâles, qui ne soient pas au-dessous de dix ans, tireront au sort dix d'entre-eux parmi ceux que leur père on leur grand-père du côté paternel ou maternel auront désignés. On enverra à Delphes les noms qui seront sortis au tirage, et l'enfant qui aura pour lui la voix du dieu sera établi sous de meilleurs auspices héritier des citoyens bannis.
CLINIAS Fort bien.
L'ATHÉNIEN Ajoutons à ces lois une troisième, concernant les juges qui auront à les juger et la procédure à suivre à l'égard de ceux qui, accusés de trahison, seront traduits devant lui tribunal. On décidera de même si leurs descendants doivent rester ou quitter le pays et la même loi vaudra a pour les trois, le traître, le sacrilège et celui qui cherche à renverser par la violence les lois de la cité.
Quant an voleur, il n'y aura pour tous les vols, petits ou grands, qu'une même loi et un même châtiment : il sera d'abord contraint de rembourser au double ce qu'il a volé, s'il est convaincu de larcin, et s'il a pour s'acquitter assez de fortune en dehors de son lot ; sinon, on le tiendra en prison jusqu'à ce qu'il se soit acquitté. ou qu'il ait fléchi celui qui l'a fait. condamner. Si quelqu'un est convaincu d'avoir volé l'État, il ne sera délivré de ses fers que s'il fléchit la cité ou rembourse son vol au double.
CLINIAS Comment peux-tu dire, étranger qu'il n'y a pas de différence entre un vol grand ou petit, un vol fait dans un temple ou un lieu sacré quelconque et toutes les autres circonstances qui rendent les vols tout à fait dissemblables ? Le législateur doit se régler sur ces variétés et ne point les punir du même châtiment.

IV

L'ATHÉNIEN Tu as fort bien fait, Clinias, de m'arrêter dans ma course : ton objection m'a réveillé et remis en mémoire une idée que j'avais déjà eue auparavant ; c'est, pour le dire ici, puisque l'occasion s'en présente, qu'on n'a jamais travaillé comme il faut à l'établissement des lois. Qu'est-ce que j'entends encore par là ? Je me suis servi d'une image assez juste, lorsque j'ai comparé à des esclaves soignés par d'autres esclaves tous ceux qui font des lois aujourd'hui. Car il faut bien savoir ceci, c'est que, si un de ces médecins qui exercent leur profession par routine et sans principes rencontre un médecin de condition libre s'entretenant avec un malade de condition libre comme lui, raisonnant avec lui presque en philosophe, prenant la maladie à son début et remontant aux principes généraux sur la constitution du corps humain, il éclaterait de rire sur-le-champ et tiendrait les mêmes propos que ces rencontres provoquent toujours chez ceux qu'on appelle médecins. Insensé, dirait-il, ce n'est pas là soigner son malade, c'est lui donner des leçons, comme pour en faire un médecin, au lieu de lui rendre la santé comme il le demande.
CLINIAS Ne parlerait-il donc pas juste, en tenant ce langage ?
L'ATHÉNIEN Peut-être, si du moins il était avec cela persuadé que parler des lois comme nous le faisons à présent, c'est instruire les citoyens et non légiférer. En ce cas, ne vous semble-t-il pas qu'il aurait raison en cela ?
CLINIAS Peut-être.
L'ATHÉNIEN Mais nous avons de la chance dans le cas qui nous occupe.
CLINIAS Quelle chance ?
L'ATHÉNIEN C'est que rien ne nous force à légiférer, et que, nous étant mis à examiner les formes générales du gouvernement, nous essayons de découvrir ce qu'il y a de meilleur et de plus nécessaire et de quelle manière on pourrait le réaliser. Et ainsi il nous est loisible à présent d'examiner, si nous voulons, ce qu'il y a de meilleur en fait de lois, ou, si nous préférons, ce qui est le plus nécessaire. Choisissons donc ce qu'il nous plaira.
CLINIAS Nous prêterions à rire, étranger, en nous proposant un tel choix, et nous ressemblerions tout bonnement à des législateurs qu'une nécessité pressante contraint à faire des lois sur-le-champ, parce qu'on ne peut les remettre au lendemain. Pour nous, grâce à Dieu, il nous est loisible, comme aux maçons ou à d'autres artisans qui commencent une construction, de rassembler pêle-mêle les matériaux pour y choisir ce qui servira à notre construction future et de faire ensuite notre choix à loisir. Considérons donc que nous sommes à présent, non pas de ceux qui bâtissent par nécessité, mais de ceux qui assemblent à loisir une partie des matériaux et emploient les autres, en sorte qu'il est juste de dire que certaines de nos lois sont déjà posées et les autres à pied d'oeuvre. 
L'ATHÉNIEN Il serait en tout cas, Clinias, plus naturel de prendre une vue d'ensemble des lois. Considérons donc, au nom des dieux, une chose au sujet des législateurs.
CLINIAS Quelle chose ?  
L'ATHÉNIEN C'est qu'il y a, dans les États, à côté des écrits et des discours des législateurs, des écrits et, dans ces écrits, des discours de beaucoup d'autres personnes.
CLINIAS Sans doute.
L'ATHÉNIEN Eh bien, est-ce aux écrits des autres, poètes et prosateurs qui ont laissé à la postérité les conseils qu'ils ont rédigés sur la conduite de la vie, ou aux écrits des législateurs que nous devons prêter attention ? N'est-ce pas avant tout à ces derniers ?
CLINIAS Si, et de beaucoup.
L'ATHÉNIEN N'est-ce pas même au législateur seul entre tous les écrivains qu'il appartient de donner des conseils sur le beau, le bien, le juste, d'expliquer en quoi consistent ces trois choses et comment. il faut les pratiquer pour être heureux ?
CLINIAS Assurément si.
L'ATHÉNIEN Serait-il plus honteux pour Homère, pour Tyrtée et les autres poètes de nous avoir mal instruits dans leurs écrits sur la vie et les devoirs qu'elle comporte que pour Lycurgue, Solon et tous les législateurs qui ont laissé des écrits ? Et n'est-il pas dans l'ordre que, de tous les écrits qui paraissent dans les États, ceux qui concernent les lois paraissent aux yeux des lecteurs les plus beaux et les meilleurs de beaucoup, et. que les autres ou soient, conformes à ceux-là, ou que, s'ils sont en désaccord avec eux, ils soient lui objet de risée ? Mettons-nous donc dans l'esprit que le législateur, en écrivant ses lois doit se montrer sous les traits d'un père et d'une mère pleins d'affection et de bon sens, ou sous la figure d'un tyran et d'un despote, qui ordonne et menace et se croit quitte, quand il a affiché ses lois sur les murs. Examinons donc à présent, nous aussi, si nous essayerons d'entrer dans ces sentiments en composant nos lois ; peut-être le pourrons-nous, peut-être non ; en tout cas, nous y mettrons tout notre zèle et, si, engagés dans cette voie, il nous faut supporter quelque déception, nous la supporterons. Mais, si Dieu le veut, la chose tournera bien.
CLINIAS C'est bien dit. Faisons comme tu dis.

V

L'ATHÉNIEN Il faut donc distinguer avec précision les lois sur les sacrilèges, sur toutes les espèces de vol et toutes les espèces de crimes. Et ne nous impatientons pas, si, au cours de notre besogne de législateurs, nous avons déjà adopté certaines lois, mais sommes encore en balance sur certaines autres ; car nous nous formons au métier de législateur, mais nous ne le sommes pas encore ; peut-être le deviendrons-nous. Si vous voulez examiner suivant ma méthode ce que j'ai dit, examinons-le.
CLINIAS Il n'y a pas à hésiter.
L'ATHÉNIEN Essayons de nous rendre compte en quoi nous sommes à présent d'accord avec nous-mêmes sur la nature du beau et du juste, et en quoi nous différons d'avis, nous qui prétendons, sinon l'emporter sur les autres, au moins y tâcher de tout notre zèle, et en quoi le vulgaire ne s'accorde pas avec lui-même. 
CLINIAS A quoi penses-tu, quand tu dis que nous sommes en désaccord entre nous ?
L'ATHÉNIEN Je vais essayer de vous l'expliquer. Sur la justice en général et tout ce qui est juste chez les hommes, dans les affaires et les actions, nous sommes à peu près tous d'accord que tout cela est beau, en sorte que, si quelqu'un soutenait que les hommes justes, fussent-ils laids de corps, sont beaux par leur parfait esprit de justice, en parlant ainsi, il ne paraîtrait pas mal parler.
CLINIAS Et n'aurait-il pas raison ?
L'ATHÉNIEN Sans doute ; mais si tout ce qui tient à la justice est beau, il faut se dire qu'il faut y comprendre aussi bien ce qu'on souffre que ce qu'on fait.
CLINIAS Sans doute.
L'ATHÉNIEN Mais une action juste participe à la beauté dans la mesure où elle participe à la justice.
CLINIAS Sans contredit.
L'ATHÉNIEN Il n'y a donc pas de contradiction à soutenir que, si la chose qu'on souffre est juste, elle est belle dans la même proportion.
CLINIAS C'est vrai.
L'ATHÉNIEN Mais si nous convenons que ce qu'on souffre est juste, mais laid, le juste différera du laid, puisque nous disons que le juste est très laid.
CLINIAS Comment dis-tu cela ?
L'ATHÉNIEN Ce n'est pas difficile à concevoir : les lois que nous avons portées tout à l'heure paraissent faire entendre tout le contraire de ce qui vient d'être dit.
CLINIAS Comment ?
L'ATHÉNIEN Nous avons posé en loi qu'il serait juste de punir de mort le sacrilège et l'ennemi des justes lois, et, au moment de poser un très grand nombre de lois semblables, nous nous sommes arrêtés, en considérant qu'il y avait là des peines infinies en nombre et en grandeur, qui sont à la fois les plus justes et les plus laides de toutes. Or, à ce compte, n'est-ce pas admettre que le juste et le beau sont, tantôt entièrement identiques, et tantôt aussi contraires que possible ?
CLINIAS Il y a apparence.
L'ATHÉNIEN C'est ainsi que la plupart des hommes, en séparant ici le beau du juste, sont en désaccord avec eux-mêmes.
CLINIAS C'est en effet ce qu'ils me paraissent faire.
L'ATHÉNIEN De notre côté, Clinias, voyons donc encore une fois ce qu'il en est de ce désaccord.
CLINIAS Quel désaccord et relativement à quoi ? 
L'ATHÉNIEN Je pense que je m'en suis nettement expliqué dans les discours précédents.
CLINIAS Comment ?
L'ATHÉNIEN Si je ne l'ai pas encore fait, prenez que je le dois à présent.
CLINIAS Quoi ?
L'ATHÉNIEN Que les méchants sont tous et en tout méchants involontairement. Ce principe posé, voici la conséquence qui s'ensuit forcément.
CLINIAS Quelle conséquence ?
L'ATHÉNIEN Que l'homme injuste est méchant sans doute, mais que le méchant est tel malgré lui. Or il est absurde de croire que ce qu'on fait malgré soi soit volontaire. Donc celui qui juge que l'injustice est involontaire trouvera que l'homme injuste l'est involontairement. Je suis forcé de le reconnaître ici moi-même et j'affirme avec les autres que toits les hommes injustes le sont involontairement. Si quelqu'un, par esprit de dispute ou pour se distinguer, admet qu'on est injuste involontairement, mais que néanmoins beaucoup le sont volontairement, je m'en tiens à ce que j'ai dit et je rejette leur assertion. Si donc vous me demandiez, Clinias et Mégillos, comment mes discours s'accordent avec eux-mêmes, et si vous me disiez : Si les choses sont ainsi, étranger, que nous conseilles-tu sur les lois à donner à l'État des Magnètes ? Leur en donnerons-nous ou non ? Sans doute, répondrais-je. Cela étant, distingueras-tu chez eux les injustices involontaires des injustices volontaires, et fixerons-nous pour les fautes et les injustices volontaires des punitions plus sévères et de moins sévères pour les autres, ou les mêmes pour toutes, puisqu'il n'y a point d'injustices absolument volontaires ?
CLINIAS Ce que tu dis est sensé, étranger, et là-dessus à quoi nous déciderons-nous ?
L'ATHÉNIEN Ta question vient à propos. Voici donc d'abord ce que nous ferons.
CLINIAS Quoi ?

VI

L'ATHÉNIEN Rappelons, comme nous l'avons dit avec raison précédemment, que nos idées sur la justice sont pleines de confusion et de contradictions. Cela posé, faisons-nous à nous-mêmes cette question : Est-ce que, sans avoir trouvé de solution à ces difficultés, sans avoir défini en quoi consiste cette différence entre les fautes que dans tous les États tous les législateurs qui, ont existé jusqu'ici ont classées en deux espèces, les volontaires et les involontaires, et légiféré, en conséquence, si, dis-je, le discours que nous venons de tenir passera sans autre explication, comme s'il venait de la bouche d'un dieu et si, sans donner aucune raison pour prouver qu'il est juste, il fera passer des lois en quelque sorte contraires à celles des autres législateurs. Cela ne se peut pas, et il est indispensable, avant de légiférer, de montrer que les fautes sont de deux espèces, ainsi que leurs autres différences, afin que, quand nous infligerons à chaque espèce la punition qu'elle mérite, chacun suive le fil de nos discours, et soit à même de juger à peu près ce qui aura été bien ou mal ordonné dans nos lois.
CLINIAS C'est bien dit, à mon avis, étranger. Il faut, en effet, de deux choses l'une, ou ne pas dire que toutes les injustices sont involontaires, ou distinguer les unes des autres et montrer que nous avons eu raison de le dire.
L'ATHÉNIEN De ces deux choses, il y en a une que je ne saurais admettre, c'est de ne pas dire ce que je crois être la vérité : ce n'est pas dans mon caractère et je croirais commettre une impiété ; mais de quelle manière elles sont deux et si elles ne diffèrent pas entre elles en ce que les unes sont volontaires et les autres involontaires, de quelle autre manière elles diffèrent, voilà ce qu'il faut essayer de montrer d'une façon ou d'une autre.
CLINIAS Sans contredit, étranger; sur ce point, il ne nous est pas possible de penser autrement.
L'ATHÉNIEN Cela viendra. Voyons : il ne vous échappe pas que les citoyens, dans leur commerce et leurs rapports mutuels, se font souvent tort les uns aux autres et qu'en ces rencontres les torts volontaires et les torts involontaires sont également fréquents.
CLINIAS Sans doute.
L'ATHÉNIEN Il ne faut donc pas s'imaginer que tous les torts soient des injustices ni croire que dans ces torts il y a une double injustice, l'une volontaire et l'autre involontaire ; car, chez tous les citoyens, les torts involontaires ne sont pas moindres que les volontaires, ni pour le nombre, ni pour la grandeur. Mais voyez si ce que je vais dire est fondé ou ne mérite aucune attention. Je ne dis pas, moi, Clinias et Mégillos, que, si quelqu'un cause un dommage à un autre sans le vouloir et contre son gré, il commet une injustice, mais involontairement, et, dans ma loi, je ne rangerai pas ce dommage parmi les injustices involontaires ; je ne le considérerai même pas comme une injustice, quelque grand ou petit qu'il soit. Souvent même nous dirons, si mon avis l'emporte, que l'auteur d'un service malhonnête est coupable d'injustice. Ce n'est pas en effet, mes amis, parce que quelqu'un aura donné ou enlevé quelque chose à un autre, qu'il faut dire simplement que son action est juste ou injuste ; mais dans quel esprit, avec quelle juste intention on a rendu service ou causé un dommage, voilà ce que le législateur doit considérer, et il doit avoir égard à ces deux choses, l'injustice et le dommage. A l'égard du dommage, il doit dans la mesure du possible le réparer par ses lois, en restituant ce qui est perdu, en redressant ce qui est tombé par la faute de quelqu'un, en expiant la mort et guérissant les blessures, et s'efforcer toujours en établissant sa législation de réconcilier par des compensations celui qui a causé et celui qui a souffert le dommage, et de leur désaccord faire sortir l'amitié.
CLINIAS C'est parfait ainsi.
L'ATHÉNIEN Pour les dommages injustes et les gains qu'on peut procurer à autrui par une injustice, le législateur doit guérir tout ce qui peut être considéré comme une maladie de l'âme, et qui est guérissable, et pour cette guérison de l'injustice voici à quelle fin elle doit tendre.
CLINIAS Quelle fin ? 
L'ATHÉNIEN C'est que la loi se propose d'instruire l'auteur d'une injustice, grande ou petite et le contraindre absolument à l'avenir ou à ne plus jamais oser commettre volontairement de pareilles fautes, ou du moins à les commettre beaucoup plus rarement, en exigeant d'ailleurs le remboursement du dommage. De quelque manière qu'on s'y prenne, soit par des actes, soit par des paroles, par des plaisirs ou des peines, des honneurs ou des opprobres, des amendes pécuniaires ou des présents pour faire haïr l'injustice, pour faire aimer ou ne pas haïr la justice, ce ne peut être que l'ouvrage des plus belles lois. Mais pour ceux que le législateur aura reconnus inguérissables, quel châtiment et quelle loi portera-t-il ? Comme il sait que pour de telles gens il n'est plus avantageux de vivre et qu'en quittant la vie, ils peuvent procurer aux autres une double utilité, puisque par leur exemple ils les détournent de mal faire et qu'ils vident la cité d'hommes méchants, il infligera forcément la peine de mort contre ces sortes de crimes et de criminels, mais en aucun autre cas, jamais.
CLINIAS Ce que tu dis me paraît tout à fait approprié ; mais j'aurais plaisir à t'entendre expliquer plus clairement la différence que tu mets entre l'injustice et le tort, et les différents caractères du volontaire et de l'involontaire.

VII

L'ATHÉNIEN Il faut donc essayer de faire et de dire ce que vous demandez. Il est évident que, lorsque vous parlez de l'âme, vous dites et entendez dire aux autres qu'il y a en elle soit une affection, soit une partie de sa nature, qui est la colère, chose irritable et difficile à combattre, et qui fait de nombreux ravages par une violence irréfléchie.
CLINIAS Assurément.
L'ATHÉNIEN Il y a aussi l'attrait du plaisir, qui n'est pas la même chose que la colère, mais qui, par une force contraire à la sienne, se rend maître de l'âme, grâce à la persuasion mêlée d'une tromperie violente, et fait ce que sa volonté désire.
CLINIAS C'est certain.
L'ATHÉNIEN En ajoutant que l'ignorance est une troisième cause de fautes, on ne se trompera pas. Mais le législateur fera bien d'en reconnaître deux genres, l'ignorance simple, qu'il regardera comme la cause des fautes légères, et la double, qui a lieu quand on est dans l'erreur, non pas simplement par ignorance, mais parce qu'on se croit sage et qu'on croit savoir parfaitement ce qu'on n'entend pas du tout. Il attribuera à ces causes, lorsqu'elles sont secondées par la force et le pouvoir, les crimes énormes et grossiers, et, lorsqu'elles sont jointes à la faiblesse, les fautes des enfants et des vieillards, et les tenant pour de vraies fautes, il les punira par des lois, mais les plus douces de toutes et les plus indulgentes.
CLINIAS Cela paraît juste.
L'ATHÉNIEN A l'égard du plaisir et de la colère, nous disons à peu près tous que les uns en sont maîtres et que les autres s'y laissent vaincre, et la chose est ainsi.
CLINIAS Assurément.
L'ATHÉNIEN Mais, à l'égard de l'ignorance, nous n'avons pas encore entendu dire que les uns la maîtrisent et que les autres lui cèdent. 
CLINIAS C'est très vrai. 
L'ATHÉNIEN Mais nous disons que chacune de ces forces, nous tirant à elle, nous pousse souvent à des actes opposés entre eux.
CLINIAS Très souvent en effet.
L'ATHÉNIEN Maintenant je puis donc t'expliquer avec netteté et sans variante ce que j'entends par le juste et l'injuste. J'appelle carrément injustice la tyrannie qu'exercent sur l'âme la colère, la crainte, le plaisir, le chagrin, l'envie et les autres passions, qu'elles lèsent ou non autrui ; et quelle que soit l'idée que l'État ou des particuliers se forment du bien, si cette idée domine dans les âmes et règle tout l'homme, je dis que, même s'il lui échappe quelque erreur, il faut appeler juste toute action faite en conformité avec cette idée, ainsi que la soumission à ses ordres en vue de la meilleure direction de toute la vie humaine. Je sais bien que beaucoup de gens regardent les torts de ce genre comme des injustices involontaires, mais je n'ai pas à discuter sur les mots en ce moment, et, puisque nous avons reconnu trois espèces de fautes, il vaut mieux, avant d'aller plus loin, nous les remettre en mémoire. La première espèce est le chagrin, que nous appelons colère et crainte.
CLINIAS Fort bien.
L'ATHÉNIEN La seconde est celle qui regarde le plaisir et les désirs, la troisième est l'aberration de nos espérances et de nos opinions relativement au bien véritable. Celle-ci en comprend sous elle deux autres, ce qui fait que nous trouvons maintenant cinq espèces, pour lesquelles il faut édicter des lois différentes, en les réduisant à deux genres.
CLINIAS Lesquels ?
L'ATHÉNIEN L'un est celui des crimes qui s'exécutent par des voies violentes et ouvertes ; l'autre, celui des crimes commis dans l'ombre par des voies secrètes et frauduleuses, et quelquefois même par cette double voie, et c'est alors que les lois, pour être justes, doivent être les plus rigoureuses.
CLINIAS C'est naturel en effet.

VIII

L'ATHÉNIEN Revenons maintenant au point d'où nous sommes partis pour en venir ici et achevons notre législation. Nous étions en train, je crois, d'édicter les lois qui concernent les pillards de temples, les traîtres et aussi ceux qui tournent les lois pour renverser le gouvernement établi. Or il peut arriver que l'on commette quelqu'un de ces crimes dans un accès de folie, ou par l'effet de quelque maladie ou d'une vieillesse extrême, ou d'un enfantillage qui ne diffère en rien de ces deux états. Si ceux qui auront été choisis pour juges en ont connaissance par le rapport du coupable ou de celui qui le défend, et qu'ils jugent qu'il était dans un de ces états, lorsqu'il a enfreint la loi, ils le condamneront tout simplement à payer le dommage qu'il aura pu causer et le tiendront quitte de toute autre punition, excepté pourtant s'il a tué quelqu'un et n'a pas les mains pures du sang qu'il a versé. En ce cas, qu'il s'en aille habiter une autre patrie et un autre lieu et s'expatrie pour un an. S'il revient avant le temps fixé par la loi, ou même s'il met le pied sur un point de son propre pays, que les gardiens des lois le gardent dans la prison publique pendant deux ans, après qu'il sera délivré de ses fers. 
Puisque nous avons commencé à traiter du meurtre, essayons d'aller jusqu'au bout et de faire les lois pour toutes les espèces de meurtres. Parlons d'abord des meurtres violents et involontaires. Si quelqu'un, dans un concours ou dans les jeux publics, a tué un ami sans le vouloir, que cet ami soit mort sur-le-champ ou plus tard des coups qu'il a reçus ; de même s'il l'a tué à la guerre ou dans les exercices militaires ordonnés par les magistrats pour s'y entraîner, sans armes ou avec des armes, et imiter la pratique de la guerre, il sera déclaré innocent, après qu'il aura été purifié selon la loi apportée de Delphes. Il en sera de même de tous les médecins : si l'un d'eux, soignant un malade, le laisse mourir sans le vouloir, qu'il soit pur selon la loi.
Quiconque aura tué un homme de sa main, mais involontairement, soit qu'il n'ait employé pour cela que ses membres, soit qu'il se soit servi d'un instrument ou d'un trait, ou qu'il lui ait donné un breuvage ou un aliment, ou qu'il l'ait fait périr par le feu ou le froid, ou qu'il lui ait ôté la respiration lui-même avec son propre corps ou au moyen de corps étrangers, il sera tenu pour un véritable homicide et payera les peines suivantes. S'il a tué un esclave, pensant que c'était un des siens, il dédommagera et indemnisera le maître du mort ; sinon, il sera condamné eu justice à payer le double du prix de l'esclave, selon l'évaluation qu'en feront les juges. Quant aux purifications, il en fera plus et de plus grandes que ceux qui d auront tué dans les jeux, et les exégètes désignés par le dieu seront maîtres d'en décider. Si c'est un esclave à lui qu'il a tué, il sera absous du meurtre, après qu'il aura été purifié.
Si quelqu'un a tué un homme libre sans le vouloir, il devra subir les mêmes purifications que celui qui a tué un esclave. De plus, qu'il ne néglige pas une antique tradition qui court. On dit en effet que celui qui a péri de mort violente, après avoir vécu avec les sentiments d'un homme libre, conserve, quelque temps encore après sa mort, du ressentiment contre son meurtrier; que, rempli de crainte et de terreur à cause de la violence qu'il a subie, et voyant celui qui l'a tué aller et venir dans les lieux qu'il avait l'habitude de fréquenter, il l'épouvante à son tour et fait tous ses efforts pour jeter en lui et dans ses actes le trouble dont il est lui-même agité, appelant à son secours la conscience du coupable. C'est pourquoi le meurtrier doit céder la place à sa victime pendant une année entière et vider tous les endroits de sa patrie qu'il fréquentait. S'il a tué un étranger, qu'il soit banni durant le même temps du pays de cet étranger. S'il se soumet à cette loi de son plein gré, que le plus proche parent du mort, qui se rend compte de tout ce qui est arrivé, lui pardonne et fasse sa paix avec lui, et sa modération méritera une entière approbation. Mais s'il désobéit à la loi et qu'avant d'être purifié il ose pénétrer dans les temples et offrir des sacrifices, si de plus il ne veut pas remplir le temps prescrit pour son exil, que le plus proche parent du mort le poursuive pour meurtre et que, s'il est condamné, on lui double toutes les pénalités. Si le plus proche parent du mort ne poursuit pas le meurtre, la souillure retombera sur lui, et le mort retournera sur lui son ressentiment, et le premier venu pourra le poursuivre en justice et le contraindre à s'absenter de sa patrie pendant cinq ans, conformément à la loi.
Si un étranger tue sans le vouloir un autre étranger établi dans l'État, le premier venu pourra le poursuivre en vertu des mêmes lois, el, s'il est domicilié, il sera banni pour un an ; s'il est complètement étranger, quelle que soit la victime, étranger, métèque ou citoyen, outre la purification, il sera chassé pour toute sa vie du pays où ces lois sont en vigueur. S'il revient malgré la loi, les gardiens des lois le puniront de mort, et, s'il a du bien, ils le donneront au plus proche parent du mort. S'il revient contre sa volonté, si la mer le rejette dans le pays, il dressera une tente sur le rivage, de façon qu'il trempe ses pieds dans d la mer, et il épiera ainsi l'occasion de se rembarquer. S'il est ramené par terre de vive force, le premier magistrat de l'État qui le rencontrera le mettra en liberté et le renverra sur la terre étrangère sans lui rien prendre.
Si quelqu'un tue de sa main une personne libre et que le meurtre ait été commis par colère, il faut d'abord ici distinguer deux cas. On agit par colère, lorsque, brusquement et sans dessein prémédité de tuer, on fait périr quelqu'un en le frappant ou par quelque violence semblable, sous le coup d'une colère subite, et qu'on se repent tout de suite de ce qu'on a fait. On agit aussi par colère, lorsque, insulté par quelqu'un en paroles ou par des actes outrageants, on en poursuit la vengeance et qu'on le tue ensuite délibérément, sans se repentir de son action. Il faut donc, semble-t-il, reconnaître deux espèces de meurtres, qui ont l'un et l'autre la colère pour principe et qu'on peut dire avec juste raison tenir le milieu entre le volontaire et l'involontaire, dont l'une et l'autre est une image. Celui qui garde son ressentiment et ne se venge pas brusquement et sur-le-champ, mais plus tard et de dessein formé, ressemble au meurtrier volontaire, tandis que celui qui, au lieu de couver sa colère, s'y abandonne sur-le-champ sans préméditation ressemble au meurtrier involontaire, quoique son acte ne soit pas tout à fait involontaire, mais soit l'image d'un acte involontaire. C'est pourquoi il est difficile de distinguer si les meurtres produits par la colère sont volontaires, ou s'il faut en classer quelques-uns dans la loi comme involontaires. Le mieux et le plus vrai c'est d'admettre que les deux en sont une image et d'en reconnaître deux espèces distinctes, selon qu'ils sont prémédités ou non, et d'infliger à ceux qui ont agi avec préméditation et colère tout à la fois les châtiments les plus rigoureux, et des châtiments plus doux à ceux qui ont agi sans préméditation par un mouvement soudain ; car ce qui ressemble à un mal plus grand doit être puni plus rigoureusement, à un mal plus petit, plus légèrement. C'est aussi ce que nous devons faire dans nos lois.
CLINIAS C'est tout à fait mon avis.

IX

L'ATHÉNIEN Retournons donc en arrière et disons : Si quelqu'un a tué de sa main un homme libre et qu'il ait agi sous le coup de la colère sans préméditation, il sera condamné aux mêmes peines qui sont réservées à celui qui a tué sans colère, mais il devra nécessairement passer deux ans en exil pour se punir de sa colère ; s'il a tué par colère, mais avec préméditation, il souffrira les mêmes peines que le précédent, mais sera condamné à trois ans d'exil, comme l'autre l'a été à deux, la durée de son châtiment étant proportionnée à la grandeur de sa colère. Sur le retour de ces deux meurtriers, voici ce que nous décidons. Il est sans doute difficile d'édicter ici des lois précises, car il y a des cas où celui des deux que la loi classe comme le plus cruel se trouve être le plus doux, et celui qu'elle a classé comme le plus doux est le plus cruel et a commis son homicide avec plus de sauvagerie, tandis que l'autre y a mis plus de douceur. Cependant les choses se passent généralement comme nous venons de le dire. C'est aux gardiens des lois à connaître tout cela. Quand le temps de l'exil sera fini pour l'un et pour l'autre, ils enverront aux frontières du pays douze juges choisis parmi eux, qui, après s'être enquis plus exactement encore des actions des exilés pendant ce temps, se prononceront sur la honte que les coupables ressentent de leur faute et sur leur retour ; et ceux-ci devront s'en tenir à l'arrêt de ces magistrats. Si plus tard, après leur retour, l'un ou l'autre, cédant à la colère, commet le même crime, il sera banni à perpétuité, et, s'il revient, il sera traité comme l'est en pareil cas l'étranger. 
Quiconque aura tué un esclave à lui n'aura qu'à se purifier ; mais si, dans un mouvement de colère, il a tué l'esclave d'un autre, il paiera au propriétaire le double du dommage. Si un meurtrier, quel qu'il soit, n'obéit pas à la loi, et, avant d'être purifié, souille de sa présence la place publique, les jeux et les lieux sacrés, le premier venu pourra le citer en justice, ainsi que le parent du mort qui l'aura laissé faire , et les contraindre à payer le double de l'amende et à s'acquitter des autres réparations, et il prendra l'amende pour lui conformément à la loi.
Si un esclave, dans un transport de colère, tue son maître, que les parents du mort en usent avec le meurtrier comme ils voudront, mais ne lui laissent jamais la vie : à ce prix ils seront regardés comme purs. Si l'esclave d'un autre, emporté par la colère, tue un homme libre, les maîtres livreront le meurtrier aux parents du mort, qui devront le mettre à mort, mais de la manière qu'il leur plaira. S'il arrive, ce qui peut arriver en effet, mais rarement, qu'un père ou une mère, dans un mouvement de colère, tuent leur fils ou leur fille en les frappant ou de toute autre manière violente, ils seront astreints aux mêmes purifications que les autres meurtriers et de plus à un exil de trois ans. Quand le meurtrier rentrera, la femme devra se séparer de son mari, ou le mari de sa femme ; ils ne s'uniront jamais plus pour avoir des enfants et ne partageront plus le foyer de ceux qu'ils auront privés d'un fils ou d'un frère et ne prendront plus part aux mêmes sacrifices. Quiconque, foulant aux pieds la piété, désobéira à ces prescriptions pourra être accusé d'impiété par le premier venu.
Si un mari, égaré par la colère, tue sa femme légitime ou si une femme traite de même son mari, ils feront les purifications ordinaires et se banniront pour trois années consécutives. A son retour, le coupable ne prendra point part aux sacrifices avec ses enfants et ne s'assoiera jamais à leur table. Si le père et l'enfant ne suivent point la loi, le premier venu pourra les citer en justice pour impiété.
Si un frère tue son frère ou sa soeur, ou si une soeur tue son frère ou sa soeur dans un mouvement de colère, ils devront se soumettre aux mêmes purifications et au même exil que les parents meurtriers de leurs enfants ; ils n'habiteront jamais sous le même toit et n'assisteront point aux mêmes sacrifices que ceux qu'ils ont privés d'un père ou d'un fils. S'ils n'obéissent pas, rien ne sera plus juste que de les traduire en justice pour impiété, conformément à la loi que nous avons édictée en ces matières.
Si quelqu'un est assez peu maître de sa colère à l'égard de ses père et mère qu'il ose, emporté par la fureur, tuer l'un d'entre eux, et si celui-ci, avant de mourir, l'absout volontairement du meurtre, quand il se sera purifié comme ceux qui ont commis un homicide involontaire et qu'il aura accompli les mêmes pratiques, il sera déclaré pur. Mais si sa victime ne lui pardonne pas le crime qu'il a commis, il sera asservi à beaucoup de lois ; il sera exposé aux peines les plus sévères dont on punit les voies de fait, l'impiété et le sacrilège qui lui a fait ôter la vie à qui la lui a donnée, en sorte que s'il était possible de faire mourir plusieurs fois le même homme, celui qui a tué son père ou sa mère mériterait fort justement de subir plusieurs fois la mort ; car de quelle autre manière la loi pourrait-elle infliger le châtiment qu'il mérite au seul homme à qui elle ne permet pas, même pour défendre sa vie menacée par ses parents, de tuer le père ou la mère qui lui ont donné le jour, et qui doit tout souffrir avant que d'en venir à cette extrémité ? En conséquence, nous décidons que celui qui aura tué son père ou sa mère dans un mouvement de colère sera puni de mort.
Si, dans un combat occasionné par une sédition ou dans quelque autre rencontre semblable, un frère tue son frère pour se défendre contre son attaque, il sera regardé comme pur, tout comme s'il avait tué un ennemi ; et il en sera de même, si un citoyen tue un citoyen, ou un étranger un étranger. Si un citoyen tue un étranger ou un étranger un citoyen, il sera de même déclaré innocent, et il en sera de même, si un esclave tue un esclave. Mais si un esclave tue un homme libre pour se défendre, il sera soumis aux mêmes lois que celui qui a tué son père. Et ce que nous avons dit du cas où le père pardonne le meurtre, s'appliquera également à tous les cas précédents, si la victime pardonne volontairement au meurtrier, quels q
u'ils soient l'un et l'autre : le meurtre sera alors considéré comme involontaire, et celui qui l'a commis s'en purifiera et s'exilera pour un an, selon la loi. J'en ai assez dit sur les homicides qui sont à la fois violents, involontaires et dus à un mouvement de colère. Il me faut parler à présent de ceux qui sont volontaires, où le crime est sans excuse et prémédité, parce qu'on a cédé au plaisir, à la passion, à l'envie.
CLINIAS Fort bien.

X

L'ATHÉNIEN Commençons par expliquer comme nous pourrons les causes qui les provoquent. La première et la plus considérable est la passion qui s'empare d'une âme abrutie par ses désirs, ce qui arrive surtout là où les désirs sont les plus nombreux et les plus forts, c'est-à-dire, chez la plupart des hommes, en qui l'attrait des richesses enfante mille désirs insatiables et sans bornes, soit à cause de leur caractère naturel, soit par suite d'une mauvaise éducation.
La cause de cette mauvaise éducation vient de l'estime mal entendue que les Grecs et les barbares professent pour la richesse, car, en lui donnant la préférence sur tous les biens, alors qu'elle ne vient qu'au troisième : rang, ils gâtent l'esprit et de leurs descendants et d'eux-mêmes. Rien ne serait plus beau et meilleur que de dire dans tous les États ce qui est vrai, que la richesse est faite pour le corps et le corps pour l'âme, et qu'elle, est au troisième rang après les qualités du corps et celles de l'âme. Ce discours apprendrait que, pour être heureux, il ne faut pas chercher simplement à s'enrichir, mais à s'enrichir par des voies justes et avec modération. Alors on ne verrait point dans les États de ces meurtres qui demandent à être purifiés par des meurtres. Mais aujourd'hui cette convoitise est une cause, et la plus importante, des procès les plus graves à propos des meurtres volontaires. La deuxième cause est l'état d'une âme ambitieuse, qui engendre des jalousies, hôtesses fâcheuses en premier lieu pour l'envieux lui-même, en second lieu pour les meilleurs citoyens. La troisième cause, ce sont les craintes lâches et injustes, qui produisent beaucoup de meurtres, quand on commet ou qu'on a commis des crimes dont on voudrait d que personne ne fût ou n'eût été le témoin ; on supprime alors ceux qui pourraient les révéler en les tuant, quand on ne peut le faire autrement. Ce que nous venons de dire sur tout cela n'est qu'un prélude. Il faut y joindre le discours que l'on tient dans la célébration des mystères et que beaucoup d'initiés qui s'intéressent à ces questions tiennent pour tout à fait véritable, à savoir que ces meurtres sont punis dans l'Hadès, et que, lorsqu'on revient sur cette terre, il faut nécessairement subir la peine de droit naturel, qui est d'éprouver ce qu'on a fait soi-même à autrui, c'est-à-dire de périr par la main d'autrui du même genre de mort.

XI

Pour qui obéit et craint vivement la peine dont le prélude même le menace, il n'est pas du tout besoin d'édicter la loi qui s'y rapporte ; mais, si l'on désobéit, nous mettrons par écrit la loi que voici. Quiconque aura tué de sa main délibérément. et injustement n'importe lequel de ses concitoyens, sera premièrement mis hors la loi et ne souillera de sa présence ni les temples, ni la place publique, ni les ports, ni aucune assemblée publique, qu'on lui en signifie ou non la défense ; car la loi l'interdit, et c'est une chose manifeste qu'elle l'interdit et l'interdira toujours au nom de tout l'État. Si les parents du mort, tant du côté maternel que du côté paternel, jusqu'aux cousins inclusivement, ne poursuivent pas le meurtrier, comme ils le doivent, ou ne lui signifient pas son interdiction, ils contracteront d'abord eux-mêmes la souillure et la haine des dieux, que la loi, par ses imprécations, fait passer sur leur tête ; et en second lieu, ils pourront être cités en justice par quiconque voudra venger le mort. Celui qui consentira il se charger de cette vengeance accomplira les purifications auxquelles il faut veiller en cette affaire et toutes les autres cérémonies ordonnées par le dieu ; il notifiera au meurtrier l'interdiction et le forcera à subir la peine imposée par la loi.
Il sera facile au législateur de montrer que ces cérémonies doivent consister en prières et en sacrifices offerts à certains dieux qui veillent à ce qu'il ne se commette pas de meurtres dans les États. Quels sont ces dieux et quelle est la manière la plus régulière au point de vue religieux d'introduire ces sortes de causes, c'est aux gardiens des lois, de concert avec les interprètes, les devins et l'oracle, de faire des lois pour engager ces procès. Ces procès seront portés devant les mêmes juges que nous avons chargés de prononcer souverainement sur le sacrilège. Si l'accusé est reconnu coupable, il sera puni de mort et ne sera pas enseveli dans le pays de sa victime, vu son impudence et son impiété. S'il prend la fuite et refuse de s'exposer au jugement, il sera banni à perpétuité, et, s'il met le pied quelque part dans le pays de celui qu'il a tué, le premier des parents du mort ou des citoyens qui le rencontrera pourra le tuer impunément, ou bien, après l'avoir garrotté, il le remettra entre les mains de ceux qui ont jugé le procès pour qu'ils le fassent mourir.
L'accusateur exigera en même temps caution de celui qu'il accusera. Celui-ci lui fournira des cautions jugées dignes de foi par les magistrats chargés de le juger; ces cautions, au nombre de trois, s'engageront à le faire comparaître au procès. S'il ne veut pas ou ne peut pas fournir de caution, les magistrats s'assureront de sa personne, le feront garder en prison, et le feront comparaître pour le jugement de son procès. Si un homme, sans avoir tué de sa main, a décidé d'en faire périr un autre, et si, par sa volonté et ses embûches préméditées, il est cause de sa mort et reste dans la cité sans avoir l'âme pure, il sera jugé comme le précédent, sauf qu'il n'aura pas de caution à fournir; il aura droit à une sépulture dans sa patrie ; mais, pour reste, il sera traité comme celui dont j'ai parlé précédemment. Il en sera de même pour le meurtre qu'un homme commet de sa propre main ou en tendant une embûche, qu'il s'agisse d'un étranger qui tue un étranger, de citoyens et d'étrangers qui se tuent les uns les autres, ou encore d'esclaves qui tuent des esclaves, exception faite pour la caution. Ils la fourniront, comme nous l'avons dit de ceux qui ont tué de leur main, et celui qui dénoncera le meurtre exigera en même temps d'eux des cautions.
Si un esclave tue volontairement un homme libre, soit de sa main, soit en complotant contre lui, et qu'il soit convaincu en justice, le bourreau de la cité le conduira à un endroit où ou aura vue sur le tombeau du mort ; il recevra autant de coups de fouet que son accusateur le commandera, et, si le meurtrier survit aux coups, il le mettra à mort.
Si quelqu'un tue lui esclave qui ne lui faisait aucun tort dans la crainte qu'il ne dénonce des actions honteuses et mauvaises, ou pour quelque autre motif semblable, il sera puni pour le meurtre de cet esclave comme il l'eût été pour avoir tué un citoyen.

XII

S'il se produit des crimes sur lesquels il est triste et répugnant d'avoir à légiférer, quoiqu'on ne puisse s'en dispenser, des meurtres volontaires, entièrement criminels, meurtres que l'on commet de sa propre main ou par guet-apens, sur la personne de ses parents, qui arrivent le plus souvent dans les États mal gouvernés et où l'éducation est vicieuse, mais qui peuvent arriver même dans un pays où l'on ne s'y attendrait pas, il faut répéter ici le discours que nous avons tenu il y à quelques instants. Peut-être, en nous écoutant, sera-t-on plus disposé à s'abstenir de son plein gré de ces crimes abominables entre tous. C'est une fable, ou un discours, ou de quelque autre nom qu'il faille l'appeler, que d'anciens prêtres ont conté avec clarté. Ils disent que la justice, qui observe les actions des hommes et qui venge l'effusion du sang des parents, applique la loi que nous venons de dire, et qu'elle a établi que l'homme qui a commis un forfait de ce genre souffrira nécessairement le même traitement qu'il a fait à autrui ; que, s'il a tué son père, il devra se résigner à périr de mort violente dans un temps postérieur de la main de ses enfants, et que, s'il a tué sa mère, il renaîtra nécessairement sous la forme d'une femme, et qu'il périra dans cette vie nouvelle sous les coups de ses enfants ; car il n'y a pas d'autre moyen de se purifier du sang d'un parent qu'on a répandu, et la souillure refuse de s'effacer, jusqu'à ce que l'âme du coupable paye le meurtre par un meurtre semblable et apaise et endorme le ressentiment de toute sa parenté. La crainte d'être ainsi traité par les dieux doit engager les hommes à éviter de tels châtiments. Mais si quelqu'un est assez malheureux pour oser arracher volontairement et de dessein prémédité l'âme du corps de son père et de sa mère, de ses frères ou de ses enfants, le législateur mortel portera sur ce point la loi que voici. On lui signifiera d'abord que toute relation sociale lui est interdite, et il fournira les mêmes cautions que les meurtriers mentionnés plus haut. Et s'il est convaincu d'avoir tué l'un de ses parents dont nous avons parlé, les serviteurs des juges et les magistrats le mettront à mort et le jetteront tout nu dans un carrefour désigné hors de la ville. Tous les magistrats, au nom de tout l'État, portant chacun une pierre, la jetteront sur la tête du cadavre et purifieront ainsi toute la cité, après quoi, on le portera aux frontières du pays et on le jettera dehors sans sépulture, conformément à la loi.
Mais quelle peine faut-il porter contre celui qui aura tué son parent le plus proche, celui qu'on dit le plus cher, je veux dire contre celui qui se sera tué lui-même et se sera privé violemment de la part de vie que le destin lui réservait, alors qu'il n'est pas puni par ordre de l'État, qu'il n'y est pas contraint par un malheur excessivement douloureux et inévitable qui l'a surpris, ni par aucun opprobre qui lui rende l'existence insupportable et impossible, mais qui, par manque d'énergie et de virilité, s'impose à lui-même une peine injuste ? Pour celui-là, Dieu sait les cérémonies nécessaires pour la purification et la sépulture. Aussi les plus proches parents consulteront à ce propos à la fois les interprètes et les lois relatives à ce sujet, et feront ce qui leur sera prescrit. Ceux qui se seront ainsi détruits seront enterrés seuls, sans partager la sépulture de personne ; on les ensevelira sans honneurs dans des endroits incultes et sans nom sur les confins des douze parties du territoire, sans signaler leur tombe par aucune stèle ni aucun nom.
Si une bête de somme ou quelque autre animal tue un homme, les parents poursuivront pour meurtre la bête meurtrière, sauf si elle a commis son acte en luttant dans les jeux publics, et l'affaire sera tranchée par les agronomes, choisis à la volonté des parents et en tel nombre qu'il leur plaira. L'animal coupable sera tué et jeté hors des frontières du pays.
Si une chose inanimée, à l'exception de la foudre ou d'un autre trait pareil lancé par un dieu, ôte la vie à un homme, soit par la chute de l'homme, soit par sa propre chute, le parent du mort prendra pour juge son plus proche voisin ; il se purifiera en son propre nom et au nom de toute la parenté, et la chose inanimée reconnue responsable sera jetée hors des frontières, comme il a été dit pour les animaux.
Si un homme est trouvé mort et qu'on ne connaisse pas le meurtrier et qu'il reste introuvable malgré de soigneuses perquisitions, on fera les mêmes significations que pour les autres ; on citera celui qui aura commis le meurtre, et, après la sentence, un héraut proclamera dans la place publique que celui qui a tué, tel ou tel et qui sera condamné pour meurtre devra éviter de mettre le pied dans, les temples ni dans aucun endroit du pays de la victime, sous peine, s'il est découvert et reconnu, d'être mis à mort et jeté sans sépulture hors du pays du mort. Voilà la loi que nous mettrons en vigueur sur les meurtres. Nous n'en dirons pas davantage sur cette matière.
Voici maintenant les personnes qu'il est permis de tuer, et à quelles conditions le meurtre sera justifié. Si quelqu'un surprend la nuit un voleur qui pénètre dans sa maison pour lui voler son argent et s'il le tue, il sera tenu pour justifié. Il le sera aussi si, pour se défendre contre un détrousseur, il le tue. Si quelqu'un fait violence à une femme libre, ou à un enfant pour en abuser, il pourra être mis à mort impunément par celui à qui il aura fait violence, ou par son père, ou ses frères ou ses fils. Si un mari tombe sur un homme qui fait violence à sa femme légitime, et qu'il le tue à ce moment, il sera, selon la loi, pur du meurtre. Enfin, si quelqu'un pour sauver la vie à son père, à sa mère, à ses enfants, à ses frères, à sa femme qui n'ont commis aucun acte impie, tue un assassin, qu'il soit tenu pour entièrement justifié.

XIII

Voilà donc les lois qui s'appliquent à la culture et à l'éducation de l'âme, éducation qui rend la vie précieuse à qui l'a reçue et malheureuse à qui l'a manquée, et aussi aux châtiments dont il faut punir les auteurs de morts violentes. Quant à la culture et à l'éducation du corps, nous en avons traité aussi. En suivant l'ordre des matières, il nous faut parler des actes de violence involontaires ou volontaires que l'on commet les uns contre les autres, et en spécifier aussi bien que possible la nature et le nombre, et les châtiments qui conviennent à chacun d'eux. Il est à propos, ce me semble, de les assujettir à des lois, comme les autres. 
Les blessures et les mutilations qui en résultent viennent pour la gravité après les meurtres, et le plus médiocre de ceux qui se mêlent de législation est capable de régler cette question. Pour les blessures, il faut, comme pour les meurtres, distinguer celles que l'on fait sans le vouloir, celles que l'on fait par colère et par crainte, et toutes celles que l'on fait volontairement et avec préméditation, et faire sur toutes ces espèces le prélude suivant. Les lois sont nécessaires aux hommes et ils doivent régler leur conduite sur elles, et en voici la raison : c'est qu'aucun homme, sortant des mains de la nature, n'est capable de connaître ce qui est utile aux hommes pour vivre en société, et s'il connaît ce qui est. le plus avantageux, d'avoir toujours assez de force et de bonne volonté pour le mettre en pratique. Car premièrement il est difficile de connaître que l'art politique véritable doit avoir en vue, non pas les intérêts particuliers, mais l'intérêt général, parce que l'intérêt général unit et que l'intérêt particulier divise les États, et que le public et les particuliers ont tous deux plus à gagner à la bonne administration du bien commun qu'à celle du bien particulier. En second lieu, même si l'on est assez habile pour se rendre compte que telle est la nature des choses, et qu'on ait à gouverner un État avec un pouvoir absolu et sans rendre aucun compte, on ne pourrait pas rester fidèle à cette maxime et faire passer pendant toute sa vie le bien commun de l'État au premier rang et le bien particulier au deuxième. Mais la nature mortelle portera toujours l'homme à vouloir plus que les autres et à s'occuper de ses intérêts privés, parce qu'elle fuit la douleur et poursuit le plaisir sans tenir compte de la raison, qu'elle les fera passer l'une et l'autre avant le plus juste et le meilleur, et, s'aveuglant elle-même, elle finira par se remplir, elle et tout l'État, de toutes sortes de maux. Car, si jamais un homme, né avec la faveur des dieux, était par sa nature capable de se rendre compte de cela, il n'aurait pas besoin de lois pour le commander, parce qu'aucune loi, aucun arrangement n'est supérieur à la science, et qu'il n'est pas dans l'ordre que l'intelligence soit sujette ni esclave de quoi que ce soit, étant faite pour commander, si elle est, conformément à sa nature, véridique et réellement libre. Malheureusement elle n'est telle aujourd'hui nulle part, sauf en de faibles proportions. Il faut donc avoir recours à ce qui tient le second rang, à l'ordre et à la loi, qui voit et envisage un grand nombre de choses, mais ne saurait étendre sa vue sur tout. Voilà ce que j'avais à dire à ce sujet.
Nous allons à présent régler les peines et les amendes que méritent les blessures et les torts faits à autrui. On peut naturellement et justement nous poser cette question à propos de chaque cas : de quelle blessure parles-tu, qui a été blessé, comment et quand ? Car ces cas varient à l'infini et sont très différents les uns des autres. S'en remettre aux juges pour trancher toutes ces questions, ou ne leur en laisser aucune à résoudre est également impossible. Il y en a toujours une en tous les cas où il faut s'en remettre à leur jugement, c'est à savoir si le fait a eu lieu ou n'a pas eu lieu. Quant à leur ôter toute décision sur l'amende ou la peine dont il faut frapper le délinquant et à édicter des lois nous-mêmes sur chaque cas, petit ou grand, c'est à peu près impossible.
CLINIAS Quel parti faut-il donc prendre après cela ?
L'ATHÉNIEN Celui de nous en remettre aux juges pour certaines choses, de nous réserver les autres, et de faire des lois pour elles.
CLINIAS Mais quelles sont les choses où il nous faut légiférer et celles qu'il faut laisser à la discrétion des juges ?

XIV

Ce qui me paraît le plus juste à dire sur ce point, le voici. Lorsque dans un État les tribunaux sont médiocres et muets, qu'ils cachent leur avis et tranchent les procès dans le secret, et, ce qui est pire encore, lorsqu'au lieu de garder le silence, on y mène grand bruit, comme au théâtre, qu'on applaudit à grands cris, ou qu'on critique tour à tour chacun des avocats et qu'on juge au milieu de ce fracas, il en résulte une conséquence fâcheuse pour toute la cité. C'est une malchance d'être contraint de faire des lois pour de pareils tribunaux ; mais, quand on ne peut s'en dispenser, il ne faut leur laisser régler les peines que sur les plus petits objets, et il faut régler soi-même la plupart des questions par des lois précises, quand on légifère pour un tel État. Au contraire, dans un État où les tribunaux ont été constitués avec toute la sagesse possible, où ceux qui sont destinés à juger ont reçu une bonne éducation et ont passé par les épreuves les plus rigoureuses, alors il est juste, il est bien, il est beau de laisser de tels juges décider dans la plupart des cas des peines et des amendes à imposer aux coupables. Pour ce qui nous regarde, on ne saurait nous blâmer de ne rien prescrire à nos juges dans les cas les plus importants et les plus nombreux, où des juges moins bien élevés seraient capables de voir juste et d'attribuer à chaque délinquant la peine que mérite son action. Et puisque nous sommes convaincus que ceux pour qui nous légiférons ne sont pas les moins propres à juger de ces choses, il faut nous en remettre à eux pour la plupart des cas. Cependant ce que nous avons dit et fait souvent en édictant nos lois précédentes et en donnant à nos juges une esquisse et des formules de châtiments pour leur servir de modèles et les empêcher de s'écarter de la justice, méthode qui nous a parue alors excellente, il faut le faire encore ici et retourner à nos lois.
Établissons ainsi celle qui regarde les blessures. Si quelqu'un, ayant prémédité de tuer un ami, j'excepte les cas où la loi le permet, manque son coup et se borne à le blesser, il ne faut pas avoir pitié d'un homme qui en a blessé un autre de dessein formé ; il faut le traiter comme s'il avait tué et lui imposer la peine réservée à un meurtrier. Il faut, néanmoins, par égard pour sa fortune qui n'est pas entièrement mauvaise et pour le démon qui, les prenant en pitié, a sauvé l'un d'une blessure inguérissable et l'autre d'une action maudite et d'un atroce malheur, il faut, dis-je, pour reconnaître et ne pas rejeter le bienfait du démon, épargner la mort à l'auteur de la blessure, mais le condamner à émigrer pour toujours dans la cité voisine, tout en lui laissant la jouissance de son bien. Quant au dommage qu'il aura pu causer à celui qu'il a blessé, il l'en indemnisera selon l'appréciation du tribunal appelé à juger la cause. Ce tribunal sera le même qui aurait jugé le meurtre, si le blessé était mort des coups qu'il a reçus.
Si un enfant blesse de même avec préméditation son père ou sa mère, ou un esclave son maître, la peine sera la mort. La même peine de mort s'appliquera au frère qui aura blessé son frère ou à la soeur qui aura blessé son frère ou sa soeur, s'ils sont reconnus coupables de préméditation. Si une femme blesse son mari ou un mari sa femme dans l'intention de la tuer, ils seront exilés pour toujours. Quant à leur bien, s'ils ont des fils ou des filles encore enfants, on le confiera à des tuteurs qui s'occuperont des enfants comme s'ils étaient orphelins. S'ils sont à l'âge d'hommes, les descendants de l'exilé ne seront pas tenus à le nourrir et ils garderont son bien. Si celui qui est tombé dans de tels malheurs est sans enfants, ses parents des deux côtés, paternel et maternel, jusqu'aux enfants des cousins, se réuniront avec les gardiens des lois et les prêtres pour délibérer et établir au nom de l'État un héritier dans la maison du banni, l'une des cinq mille quarante. Ils devront, penser et dire qu'aucune de ces cinq mille quarante maisons n'appartient autant à celui qui l'habite et à toute sa parenté qu'à l'État, dont elle est le bien propre. Or il faut que toutes les maisons de l'État soient, autant qu'il se peut, très saintes et très heureuses. En conséquence, lorsqu'une maison est tombée dans le malheur et l'impiété, au point que son propriétaire n'y laisse pas d'enfants et que, célibataire ou marié, il meurt sans héritier, condamné pour meurtre volontaire ou pour quelque autre crime envers les dieux ou les citoyens, auquel la loi applique en termes exprès la peine de mort ; ou bien, s'il est exilé à perpétuité et ne laisse pas d'enfants, la loi exige qu'on commence par purifier sa maison et à en détourner la malédiction par des conjurations ; qu'ensuite ses parents s'assemblent, comme nous venons de le dire, et qu'ils recherchent avec les gardiens des lois la famille qui est dans la cité à la fois la plus renommée pour la vertu et la plus heureuse et où il y a le plus grand nombre d'enfants ; puis qu'ils en fassent entrer un comme fils adoptif dans la maison du mort et des ancêtres de sa famille, puis que, pour débuter sous d'heureux auspices, ils lui donnent le nom de père, de gardien du foyer, d'observateur du culte et des cérémonies sacrées, en lui souhaitant d'être plus heureux que son père adoptif, et qu'après avoir prié les dieux, ils l'instituent héritier légitime, laissant le coupable sans nom, sans postérité, sans héritage, quand il aura eu le malheur de commettre de pareils crimes.

XV

Il n'arrive pas toujours, semble-t-il, que les limites des objets se touchent ; mais quand il y a entre elles un espace intermédiaire, cet espace, qui touche de part et d'autre à chacune des limites, se trouve exactement entre deux. C'est ce qui a lieu, avons-nous dit, entre les actes Involontaires et les actes volontaires produits par la colère. Si donc un homme est convaincu d'avoir blessé quelqu'un dans un mouvement de colère, il paiera le double du dommage, si la blessure est guérissable, et le quadruple, si elle est inguérissable. Si elle est guérissable, mais défigure gravement le blessé et l'expose aux outrages, il paiera le quadruple. Toutes les fois que l'auteur de la blessure aura lésé non seulement sa victime, mais encore la république, en mettant le blessé hors d'état de servir sa patrie contre l'ennemi, il paiera d'abord les autres amendes, ensuite le dommage fait à l'État : outre son service personnel comme soldat, il fera aussi celui de l'homme qu'il a mis dans l'incapacité de faire le sien, et il prendra sa place à la guerre. S'il ne le fait pas, le premier venu pourra le poursuivre conformément à la loi pour refus de service. Les juges qui l'auront condamné évalueront aussi la peine et décideront si elle doit être double, triple ou quadruple.
Si un membre de la famille blesse de même un autre membre de la famille, ses père et mère et ses proches du côté paternel et maternel, hommes et femmes, jusqu'aux enfants des cousins s'assembleront et, après l'avoir jugé, s'en remettront au père et à la mère pour évaluer la peine. S'ils ne s'accordent point dans cette évaluation, l'avis des parents du côté du père l'emportera. Si ces derniers eux-mêmes ne peuvent s'entendre, ils s'en remettront finalement aux gardiens des lois. Ceux qui jugeront ces sortes de blessures faites aux parents par leurs descendants devront avoir dépassé soixante ans et avoir des enfants, non pas adoptifs, mais légitimes. En cas de condamnation, ils décideront si le coupable doit mourir ou souffrir quelque autre peine supérieure ou un peu inférieure. Aucun des parents du coupable ne pourra le juger, même s'il est à l'âge voulu par la loi.
Si un esclave blesse par colère une personne libre, son maître le livrera au blessé pour en faire ce qu'il voudra. S'il ne le livre pas, il remédiera lui-même au dommage. S'il se plaint que c'est une feinte convenue entre l'esclave et le blessé, qu'il porte l'affaire en justice. S'il ne gagne pas sa cause, il paiera le triple du dommage ; s'il la gagne, il pourra poursuivre celui qui s'est entendu avec l'esclave pour avoir voulu s'approprier un esclave.
Quiconque aura blessé quelqu'un sans le vouloir, paiera simplement le dommage ; car aucun législateur ne peut commander le hasard. Quant aux juges, ils seront les mêmes qui ont été désignés pour juger les blessures faites aux parents par leurs descendants, et ils estimeront la valeur du dommage.

XVI

Tous les cas dont nous avons parlé jusqu'ici sont, dans la classe des actions violentes ; il faut ranger dans la même classe tous les genres de mauvais traitements. Il faut donc à ce propos que tous, hommes, enfants et femmes, aient toujours présent à l'esprit cette idée que la vieillesse est beaucoup plus respectée que la jeunesse chez les dieux et chez les hommes qui veulent pourvoir à leur sûreté et à leur bonheur, que c'est en conséquence un spectacle vilain et odieux aux dieux que la vue d'un vieillard maltraité par un jeune homme. Au contraire, il paraît séant qu'un jeune homme frappé par un vieillard supporte patiemment les effets de sa colère, se réservant la même déférence pour sa vieillesse. Faisons donc les lois suivantes : que tous honorent en actions et en paroles les gens plus âgés qu'eux, qu'ils regardent et révèrent comme un père ou une mère ceux ou celles qui les dépassent de vingt ans, et que, par respect pour les dieux qui président à la naissance, ils ne touchent pas à tous ceux qui pourraient les avoir engendrés et enfantés (34). Qu'ils ne touchent pas non plus à l'étranger, soit qu'il habite chez nous depuis longtemps, soit qu'il y soit venu depuis peu. Qu'ils ne soient jamais si hardis que de le châtier par des coups, soit en l'attaquant, soit en se défendant. S'ils croient devoir punir un étranger assez insolent et hardi pour les frapper, qu'ils l'arrêtent et le conduisent au tribunal des astynomes, mais qu'ils s'abstiennent de le frapper, afin de lui ôter à jamais l'audace de frapper un indigène. Les astynomes, s'étant emparés de lui, l'interrogeront avec les égards dus au dieu protecteur des étrangers, et, s'ils jugent qu'il a frappé injustement l'indigène, ils lui feront donner autant de coups de fouet qu'il en a donné, afin de mettre un terme à la hardiesse des étrangers. Si l'étranger est sans tort, après avoir menacé et réprimandé celui qui l'a traduit à leur tribunal, ils les renverront tous les deux.
Si quelqu'un frappe une personne de son âge ou plus âgée que lui, mais sans enfants ; si un vieillard frappe un vieillard, ou un jeune homme un jeune homme, que celui qui est attaqué se défende, selon le droit naturel, simplement avec ses mains, sans trait. Quiconque ayant dépassé quarante ans osera se battre contre qui que ce soit, soit qu'il attaque, soit qu'il se défende, sera traité d'âme grossière, basse et servile, et, en subissant ce honteux châtiment, il n'aura que ce qu'il mérite.
Celui qui suivra docilement ces instructions sera facile à gouverner; mais celui qui ne les suivra pas et ne tiendra pas compte de ce prélude doit être prêt à accepter la loi que voici. Si quelqu'un frappe une personne plus âgée que lui de vingt années ou plus, tout d'abord celui qui se trouvera présent, s'il n'est pas du même âge ni plus jeune que les combattants, devra les séparer, sous peine d'être déclaré méchant par la loi. S'il est du même âge ou plus jeune que la personne attaquée, qu'il la défende comme si c'était son frère, son père ou son ancêtre. En outre, que celui qui a osé frapper, comme j'ai dit, quelqu'un de plus vieux que lui, soit cité en justice pour voies de fait et, s'il est condamné, qu'on le tienne en prison au moins un an. Si les juges estiment que la peine doit être plus grande, il y restera tout le temps qu'ils auront marqué.
Si un étranger ou un métèque frappe quelqu'un plus âgé que lui de vingt ans ou plus, on appliquera la loi relative au secours que les passants doivent apporter à celui qui est frappé. Celui qui aura perdu son procès, si c'est un étranger non domicilié, sera puni de deux ans de prison ; si c'est un étranger domicilié qui désobéit aux lois, il restera en prison trois ans, si le tribunal ne juge pas d qu'il mérite. une peine plus longue. Celui qui, se trouvant là, n'aura pas prêté main forte à la personne maltraitée, comme la loi le commande, paiera une mine d'amende, s'il est de la première classe ; cinquante drachmes, s'il est de la deuxième ; trente, s'il est de la troisième ; vingt, s'il est de la quatrième. Le tribunal qui jugera ces sortes de procès sera composé des stratèges, des taxiarques, des phylarques et des hipparques.

XVII

Parmi les lois, les unes sont faites, semble-t-il, à l'usage des honnêtes gens afin de leur apprendre comment ils doivent se comporter entre eux pour vivre en bons termes, les autres pour ceux qui n'ont pas reçu d'éducation et dont le caractère est si dur que rien ne peut l'amollir, afin de les empêcher d'aller jusqu'au bout de la méchanceté. Ce sont ces derniers qui nous forcent à tenir les discours qui vont suivre ; c'est pour eux que le législateur est contraint de faire ses lois, tout en désirant qu'ils n'en fassent jamais usage.
Si quelqu'un ose porter la main sur son père, ou sa mère, ou encore sur quelqu'un de ses aïeux, en leur faisant violence et en les maltraitant, sans craindre la colère des dieux du ciel ni les châtiments qu'on dit exister sous terre ; si, au mépris des vieilles traditions ressassées par tout le sel monde, comme s'il était instruit de ce qu'il ignore absolument, il enfreint la loi, il est nécessaire d'employer des moyens extrêmes pour l'en détourner. Or la mort n'est pas le châtiment le plus fort et les peines qui! lui sont, dit-on, réservées dans l'Hadès sont encore plus rigoureuses, mais, bien qu'elles soient très réelles, elles n'ont aucun effet sur de telles âmes pour les détourner du mal. Autrement, jamais personne n'assassinerait sa mère, et personne ne serait assez impie pour frapper un parent. Il faut donc que les peines destinées ici à les punir de tels crimes pendant leur vie ne le cèdent en rien, s'il se peut, à celles de l'Hadès. En conséquence portons la loi suivante.
Si quelqu'un, sans être en proie d'une folie furieuse, frappe son père ou sa mère, ou leurs pères et mères, premièrement quiconque se trouvera là devra, comme dans les cas précédents, leur porter secours. Le métèque et l'étranger qui le feront seront appelés à la première place aux jeux publics. S'ils ne le font pas, ils seront bannis du pays pour toujours. L'étranger non domicilié sera loué s'il leur a prêté main-forte, et blâmé s'il ne l'a pas fait. Si c'est un esclave qui est venu à leur secours, qu'il soit mis en liberté, et, s'il ne l'a pas fait, qu'il reçoive cent coups de fouet par ordre des agoranomes, si la chose s'est passée dans la place publique ; si elle s'est passée hors de la place publique dans la ville, c'est l'astynome présent sur les lieux qui le punira, et, si elle s'est passée quelque part à la campagne, ce sera les chefs des agronomes. Si le passant est un indigène, enfant, homme fait ou femme, qu'il ne manque pas de repousser l'agresseur en criant à l'impie ; sinon, il encourra la malédiction de Zeus, protecteur de la famille et des ancêtres.
Si quelqu'un est condamné pour avoir maltraité ses père et mère, qu'il soit tout d'abord chassé pour toujours de la ville dans le reste du pays, et qu'il soit exclu de toutes les cérémonies sacrées. S'il ne s'en abstient pas, que les agoranomes le fassent battre de verges et le punissent de toutes les façons qu'ils voudront. S'il rentre dans la ville, qu'il soit puni de mort. Si une personne libre a mangé ou bu, ou si elle à eu quelque autre rapport du même genre avec lui, si même, l'ayant rencontré, elle l'a touché volontairement, qu'elle ne mette le pied dans aucun temple, ni dans la place publique, ni même dans la ville, avant de s'être purifiée, persuadée qu'elle a participé à la fortune du criminel. Si elle viole cette défense et souille contrairement à la loi les temples et la ville, celui des magistrats qui, s'en étant aperçu, ne la citera pas en justice s'exposera en rendant ses comptes à la plus grave accusation qu'on puisse porter contre lui.
Si un esclave frappe un homme libre, soit étranger, soit citoyen, celui qui se trouvera là devra lui porter secours ou payer l'amende marquée selon sa classe. Ceux qui interviendront garrotteront l'agresseur de concert avec le battu et le remettront entre ses mains pour le punir de son méfait. Celui-ci le prendra, le mettra dans des entraves, lui donnera tous les coups de fouet qu'il voudra, sans faire tort au maître, à qui il le remettra pour en user selon la loi. Or la loi est celle-ci : tout esclave qui aura frappé un homme libre sans en avoir reçu l'ordre des magistrats sera remis garrotté à son maître, qui ne le relâchera pas avant que l'esclave ait persuadé à celui qu'il a frappé qu'il mérite de vivre en liberté. Les mêmes règlements s'appliqueront aux femmes dans les mêmes cas, soit qu'elles se battent entre elles, soit qu'elles battent des hommes ou soient battues par eux.

(34)   Ces prescriptions rappellent celles que Platon fait au Ve livre de la République 461 d aux enfants nés de parents qu'ils ne connaîtront pas. "Glaucon : Par quel moyen distingueront-ils leurs pères, leurs filles et les autres parents dont tu viens de parler? - Socrate.  Ils ne les distingueront en aucune manière; mais du jour où un guerrier se sera uni à une femme, il traitera les enfants qui naîtront au sixième ou septième mois après, les mâles de fils, les femelles de filles. Ces enfants l'appelleront du nom de père, et leurs enfants seront ses petits-fils et l'appelleront, lui et sa femme, du nom de grand-père et de grand-mère, et du nom de soeurs et de frères les enfants liés dans le temps où leurs pères et mères enfantaient.