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table des matières de l'oeuvre d'Aristote

ARISTOTE

Thomas d’Aquin

Commentaire de saint Thomas d'Aquin

Docteur des docteur de l'Eglise

aux huit livres de la Physique d'Aristote

traduction par Yvan Pelletier 1999, Prologue et livres 1, 2 et 4.

Yvan Pelletier Yvan Pelletier (né en 1946) est professeur titulaire à la Faculté de philosophie de l'Université Laval, où il enseigne depuis 1975 et où il a complété sa formation philosophique jusqu'au doctorat, en s'attachant à l'enseignement de Mgr Maurice Dionne, de M. l'abbé Jasmin Boulay et de MM. Warren Murray, Alphonse Saint-Jacques et quelques autres professeurs d'une tradition aristotélico-thomiste initiée à cette faculté par M. Charles De Koninck. Son enseignement est agencé de façon à offrir aux étudiants du baccalauréat une présentation des principes fondamentaux et de la méthode de chacune des disciplines philosophiques de base - dans une perspective aristotélicienne : éthique, politique, physique, métaphysique - et aux étudiants de maîtrise et doctorat une réflexion critique sur les éléments du credo contemporain - démocratie, nouvelle morale, logique symbolique, dissociation de l'être et du devoir, primauté de la conscience, etc. - à partir de ces principes fondamentaux.   

Livre I  Livre II - Livre II (suite) Livre IV

LIVRE SECOND

Chapitre 1

(192b8-193a10) 92. Parmi les êtres, en fait, les uns existent par leur nature (01), les autres par d'autres causes; par leur nature, ce sont les animaux et leurs parties, les plantes et les corps simples, comme la terre, le feu, l'air et l'eau. Ces êtres, en effet, et ceux de même sorte, nous disons qu'ils existent par nature. Or, tous les êtres que nous venons de nommer diffèrent manifestement de ceux dont la constitution n'est pas due à leur propre nature. Tous les êtres dus à une nature, en effet, ont manifestement en eux-mêmes le principe de leur mouvement et de leur repos, les uns quant au lieu, les autres quant à l'augmentation et à la diminution, d'autres encore quant à l'altération. Au contraire, un lit et un manteau, et tout autre genre tel que s'y rencontre chaque attribution dans la mesure où elle est due à l'art, ne détiennent aucune impulsion innée au changement; ils n'en ont que dans la mesure où, par accident, ils sont en pierre ou en terre ou en quelque mélange de ces éléments. 93. Une nature, par conséquent, est un principe et une cause de mouvement et de repos en ce en quoi elle se trouve en premier, par soi et non par accident. 93bis. Je dis non par accident, parce qu'on pourrait, étant médecin, devenir pour soi-même cause de guérison. Pourtant, ce ne serait pas pour autant qu'on guérirait qu'on détiendrait la médecine; ce serait plutôt par accident que le même serait médecin et guérirait; c'est pourquoi aussi ces caractères ont souvent des sujets distincts. Il en va pareillement aussi de chacune des autres choses fabriquées; car aucune d'elles ne détient en elle-même le principe de sa fabrication. Au contraire, certaines le trouvent en des agents extérieurs: c'est ce qui arrive avec une maison, par exemple, et avec tout objet issu du travail de la main. D'autres, toutefois, ont bien en elles un principe de mouvement, mais non par elles-mêmes: ce sont toutes celles qui deviennent par accident causes pour elles-mêmes. Une nature, donc, c'est ce que nous avons dit. 94. Possède une nature, par ailleurs, tout ce qui possède un tel principe. Et tout être tel est une substance, car la nature est toujours une espèce de sujet et dans un sujet. 95. En outre, c'est tout être tel qui est conforme à une nature, ainsi que tout ce qui lui appartient par soi: par exemple, pour le feu, se porter vers le haut; cela, en effet, n'est pas la nature du feu; cela n'en a pas non plus la nature; mais cela est dû à sa nature et conforme à sa nature. Ce qu'est une nature (2), voilà qui est dit, ainsi que ce que c'est d'être à cause d'une nature et conforme à une nature. 96. Quant à essayer de démontrer que des natures existent (3), ce serait ridicule; il est manifeste, en effet, qu'il y a beaucoup d'êtres comme on a décrit. Or démontrer le manifeste par l'obscur, c'est le fait de qui n'est pas capable de discerner ce qui est connaissable par soi et ce qui ne l'est pas. Qu'on puisse être affecté de ce défaut, le constat n'en est pas trop difficile; c'est ainsi qu'un aveugle de naissance pourrait bien raisonner sur les couleurs. Le discours de pareilles gens, par suite, porte nécessairement sur les mots et ne représente rien (4).

Leçon 1

#141. — Auparavant, au premier livre, le Philosophe a traité des principes des choses naturelles; il traite ici des principes de la science naturelle. Or ce qu'il faut connaître en premier, dans une science, c'est son sujet et le moyen par lequel elle démontre. Aussi ce second livre est-il divisé en deux parties: dans la première, Aristote établit sur quoi porte la considération de la science naturelle; dans la seconde (194b16), il établit de quelles causes elle démontre. La première partie se divise en deux autres : dans la première, il montre ce qu'est une nature; dans la seconde (193b22), de quoi traite la science naturelle. La première partie se divise en deux autres : dans la première, il montre ce qu'est une nature; dans la seconde (193a10), de combien de manière on l'attribue. La première partie se divise en deux autres : dans la première, il montre ce qu'est une nature; dans la seconde (193a4), il exclut l'intention de gens qui s'essaient à démontrer que des natures existent. Sur le premier point, il en développe deux autres : il manifeste, en premier, ce qu'est une nature; en second (192b32), ce qu'on dénomme à partir d'une nature. Sur le premier point, il en développe trois autres : en premier, il enquête sur la définition d'une nature; en second (192b21), il la conclut; en troisième (192b23), il explique la définition elle-même.

#142. — Il dit donc, en premier, qu'entre tous les êtres, nous disons que certains existent par leur nature, et d'autres par d'autres causes, par exemple, par art ou par hasard. Nous disons qu'existent par leur nature tous les animaux, et leurs parties, comme leur chair et leurs os, et aussi les plantes et les corps simples, à savoir, les éléments qui ne se résolvent pas à des corps antérieurs : la terre, par exemple, et le feu, l'air et l'eau; on dit, de fait, que ceux-là et tous leurs pareils existent par leur nature. Aussi, tous ceux-là diffèrent de ceux qui n'existent pas par leur nature du fait que tous les êtres de la sorte semblent bien détenir en eux le principe de quelque mouvement et repos : certains en rapport au lieu, comme les êtres lourds et les légers, et aussi les corps célestes; d'autres en rapport à l'augmentation et à la diminution, comme les animaux et les plantes; et d'autres en rapport à l'altération, comme les corps simples et tous ceux qui sont composés d'eux. Par contre, les êtres qui n'existent pas par leur nature, comme un lit, un vêtement et autres semblables, qui reçoivent une attribution de la sorte en ce qu'ils sont dus à l'art, ne détiennent en eux-mêmes le principe d'aucun changement, sauf par accident, à savoir, pour autant que la matière et la substance des corps artificiels sont des choses naturelles. Ainsi donc, pour autant qu'il appartient par accident aux artefacts de se trouver en fer ou en pierre, ils détiennent une espèce de principe de mouvement en eux-mêmes, mais ce n'est pas en tant qu'ils sont des artefacts; le couteau, par exemple, détient en lui le principe d'un mouvement vers le bas, mais ce n'est pas en tant que c'est un couteau, c'est en tant qu'il est en fer.

#143. — Pourtant, il ne semble pas vrai que pour tout changement des choses naturelles le principe du mouvement se trouve en ce qui est mû. En effet, dans l'altération et la génération des corps simples, le principe tout entier du mouvement semble bien venir d'un agent extrinsèque. Par exemple, quand l'eau se réchauffe, ou que l'air se change en feu, le principe du changement vient d'un agent extérieur. Certains répliquent que même dans des changements de la sorte le principe actif du mouvement est en ce qui est mû, qu'il n'y est pas parfait, certes, mais imparfait, et qu'il assiste l'action de l'agent extérieur. Ils soutiennent, en effet, qu'il se trouve dans la matière une espèce de commencement de forme, dont ils disent que c'est une privation — ce troisième principe d'une nature —, et que c'est à partir de ce principe intrinsèque que l'on appelle naturelles les générations et les altérations des corps simples.  Mais il ne peut en être ainsi. En effet, rien n'agit sinon pour autant qu'il est en acte. Alors, le commencement de forme auquel on a fait allusion, comme ce n'est pas un acte, mais une espèce d'aptitude à un acte, ne peut pas être un principe actif. À part cela, même s'il était une forme complète, il n'agirait pas en son sujet pour l'altérer, car ce n'est pas la forme qui agit, mais le composé, lequel ne peut pas s'altérer lui-même, à moins qu'il n'y ait en lui deux parties, dont l'une altère et l'autre soit altérée.

#144. — Aussi doit-on dire, plutôt, que le principe de leur mouvement se trouve dans les choses naturelles de la manière dont le mouvement leur convient. Pour celles auxquelles il convient de mouvoir, donc, il y a en elles un principe actif de mouvement, tandis que pour celles auxquelles il appartient d'êtres mues, il y a en elles un principe passif, lequel est leur matière. Et ce principe, bien sûr, pour autant qu'il détient une puissance naturelle (5) à ce type de forme et de mouvement, fait que le mouvement soit naturel. C'est pour cette raison que les générations (6) des choses artificielles ne sont pas naturelles; en effet, bien que leur principe matériel soit en ce qui se trouve engendré (7), il ne détient cependant pas une puissance naturelle à pareille forme. C'est ainsi que même le mouvement local des corps célestes est naturel, bien qu'il soit dû à un moteur séparé, dans la mesure où, dans le corps même du ciel, il se trouve une puissance naturelle à pareil mouvement. Dans les corps lourds et légers, par contre, il y a un principe formel de leur mouvement. Un principe formel de la sorte, cependant, ne peut pas se désigner comme la puissance active de laquelle relève pareil mouvement; il est compris, plutôt, sous la puissance passive; la gravité, en effet, n'est pas, dans la terre, un principe de ce qu'elle meuve, mais davantage de ce qu'elle soit mue. C'est que de même que les autres accidents suivent la forme essentielle, de même aussi le lieu, et par conséquent le fait d'être mû vers un lieu. Toutefois, il n'en va pas de sorte que le moteur soit la forme naturelle; plutôt, le moteur, c'est ce qui engendre cette chose, et qui lui donne une forme de nature à ce que pareil mouvement s'ensuive.

#145. — Ensuite (192b21), à partir de ce qui précède, il conclut la définition de toute nature de la façon suivante: les choses naturelles diffèrent des choses non naturelles du fait qu'elles ont une nature; or elles ne diffèrent des choses non naturelles que par le fait d'avoir en elles-mêmes le principe de leur mouvement; donc, une nature n'est rien d'autre qu'un principe de mouvement et de repos en ce en quoi elle est en premier et par soi et non par accident. C'est principe, et non quelque chose d'absolu, qu'on met dans la définition de la nature, à titre de genre, parce que le nom de nature implique une relation de principe. En effet, on dit que naissent les êtres qui sont engendrés en se trouvant unis à celui qui les engendre, comme il appert dans les plantes et dans les animaux; c'est pour cela que le principe de leur génération ou de leur mouvement se nomme nature. Par conséquent, ils se rendent ridicules, ceux qui, dans l'idée de corriger la définition d'Aristote, se sont efforcés de définir nature par quelque chose d'absolu, en disant qu'une nature est une force innée des choses (8), ou quelque chose de la sorte. On dit par ailleurs principe et cause pour marquer que toute nature n'est pas de la même manière principe de tous les mouvements en ce qui est mû, mais de manières différentes, comme on l'a dit. On ajoute de mouvement et de repos, parce que les choses qui sont naturellement mues vers un lieu se reposent de même, ou encore plus naturellement, en ce lieu: en effet, le feu se meut naturellement vers le haut parce qu'il s'y trouve naturellement; or ce pourquoi chaque chose est telle est luimême davantage tel. On ne doit cependant pas comprendre qu'en tout ce qui est mû naturellement sa nature soit aussi un principe de repos, car un corps céleste est naturellement mû, certes, mais il ne se repose pas naturellement; cette précision est ajoutée seulement pour autant que certaine nature est non seulement principe de mouvement, mais aussi de repos. Il précise aussi en quoi elle est, à la différence des artefacts, où il n'y a mouvement que par accident. Il ajoute en premier, parce que la nature, même si elle est le principe du mouvement des composés, ne l'est cependant pas en premier. Par suite, que l'animal soit mû vers le bas, cela n'est pas dû à la nature de l'animal en tant que c'est un animal, mais à la nature de son élément dominant. Pourquoi, enfin, il ajoute par soi et non par accident, il l'explique ensuite (192b23). C'est qu'il arrive parfois qu'un médecin soit pour lui-même la cause de sa guérison (9); et alors le principe de sa guérison est en lui, mais par accident; aussi le principe de la guérison, en lui, n'est pas sa nature. En effet, ce n'est pas en tant qu'il guérit qu'il détient la médecine, mais en tant qu'il est médecin; or c'est par accident que c'est le même qui est médecin et qui est guéri; car il est guéri pour autant qu'il est malade. Aussi, comme c'est par accident que les deux sont réunis, ils sont parfois aussi séparés par accident, car il est possible que ce soit une personne le médecin et une autre le malade qui est guéri. Par contre, le principe d'un mouvement naturel se trouve dans le corps naturel qui est mû en tant qu'il est mû; en effet, c'est en tant que le feu a de la légèreté qu'il se porte vers le haut. Et cela ne peut pas se trouver séparé l'un de l'autre, de sorte que ce soit un corps qui soit mû vers le haut et un autre qui soit léger; c'est au contraire toujours le même et unique. Or comme il en va du médecin qui guérit, ainsi en va-t-il de tous les artefacts. Car aucun d'eux n'a en lui le principe de son devenir (10): au contraire, certains des devenirs qui lui arrivent sont dûs à un agent extérieur (11), comme la construction pour une maison et leur production pour les objets faits à la main; et d'autres sont dus à un principe intrinsèque, mais par accident, comme on a dit. Et ainsi, on a dit ce qu'est une nature.

#146. — Ensuite (192b32), il définit ce que l'on dénomme à partir de sa nature. Il dit que les êtres qui possèdent une nature sont ceux qui détiennent en eux-mêmes le principe de leur mouvement. Et tout ce qui est sujet à une nature est tel (12), car une nature est un sujet, pour autant qu'on appelle nature une matière, et elle est en un sujet, pour autant qu'on appelle nature une forme.

#147. — Ensuite (192b35), il explique ce que c'est d'être conforme à une nature. Il dit qu'on appelle conformes à leur nature tant les sujets dont l'être est dû à leur nature que même les accidents qui leur appartiennent et qui sont causés par un principe de la sorte; par exemple, se porter vers le haut n'est pas la nature même du feu, ni quelque chose qui a une nature, mais cela est causé par une nature. Voici donc qu'on a dit qu'est-ce qu'une nature, et qu'est-ce qui possède nature, et qu'est-ce d'être conforme à une nature.

#148. — Ensuite (193a4), il exclut la présomption de gens qui veulent démontrer qu'il existe des natures. Il affirme qu'il est ridicule d'essayer de démontrer qu'il existe des natures, puisqu'il est manifeste au sens que bien des choses sont dues à une nature, ayant en elles le principe de leur mouvement. Vouloir démontrer du manifeste par du non manifeste, cela appartient à qui ne peut juger qu'estce qui est connu par soi et qu'est-ce qui n'est pas connu par soi; en effet, quand on veut démontrer ce qui est connu par soi, on en use comme s'il n'était pas connu par soi. Que cela puisse arriver à certains est manifeste; en effet, un aveugle de naissance raisonne parfois sur les couleurs. Pareilles gens, cependant, ne se servent pas de fait de connu par soi comme principe, car ils ne tiennent pas l'intelligence de la chose dont ils parlent; ils se servent au contraire seulement de noms. C'est que notre connaissance origine du sens; alors, à qui manque un sens manque aussi la science correspondante. Aussi, les aveugles-nés, qui n'ont jamais perçu la couleur, ne peuvent comprendre quoi que ce soit aux couleurs; c'est ainsi qu'ils usent de choses non connues comme si elles étaient connues. Or qu'il existe des natures, cela est connu par soi, dans la mesure où les choses naturelles sont manifestes au sens. Mais ce qu'est la nature de chaque chose, ou qu'elle soit principe de son mouvement, cela n'est pas manifeste. Aussi appert-il par cela que c'est irrationnellement qu'Avicenne s'est efforcé de réprouver le dire d'Aristote, et a voulu que ce puisse être démontré qu'il existe des natures, quoique non par le naturaliste, parce qu'aucune science ne prouve ses principes. Au contraire, l'ignorance des principes qui meuvent n'empêche pas que ce soit par soi connu qu'il existe des natures, comme on a dit.

(193a10-193b21) 193a10 97. À certains, la nature et l'essence des êtres qui existent à cause de leur nature semble être ce qui se trouve en premier en eux et qui en soi est informe; par exemple, la nature du lit, ce serait le bois, et de la statue, l'airain. Un signe en est, dit Antiphon, que si l'on enfouit un lit et que la putréfaction ait la force de faire pousser un rejeton, ce n'est pas un lit qui sera engendré, mais du bois; par conséquent, il y a dans la chose ce qui s'y trouve par accident, sa disposition suivant la loi et l'art, tandis que son essence, c'est ce qui demeure tout en subissant continuellement ces variations de disposition. Et si, pour chacun des êtres, son aspect plus permanent retrouve la même relation avec autre chose, comme l'airain et l'or en rapport à l'eau et les os et le bois en rapport à la terre, et pareillement n'importe quelle autre, les dernières seront la nature et l'essence des premières. C'est pourquoi les uns disent que le feu, d'autres que la terre, d'autres que l'air, d'autres que l'eau, d'autres que plusieurs d'entre eux, d'autres qu'eux tous constituent la nature des êtres. En effet, celui d'entre eux qu'ils adoptent, que c'en soit un que c'en soient plusieurs, ils disent que celui-là, à lui seul ou à eux tous, constitue l'essence universelle, tandis que tout le reste n'en est que les affections, habitus et dispositions. Et chacun d'eux serait éternel, car il n'y aurait pas de changement pour eux hors d'euxmêmes, tandis que le reste subirait à l'infini génération et corruption. D'une manière, donc, on attribue ainsi d'être la nature d'une chose à la première matière qui sert de sujet à chacun des êtres qui détiennent en eux-mêmes le principe de leur mouvement et de leur changement. 193a30 98. Mais, d'une autre manière, c'est à la forme et à l'espèce qu'on attribue d'être la nature, à l'espèce qui répond à sa définition (13). De même, en effet, qu'on attribue d'être l'art que comporte une chose à ce qu'elle a de conforme à un art et de technique, de même aussi on attribue d'être sa nature à ce qu'une chose a de conforme à une nature et de naturel. Or dans le premier cas, nous ne dirions pas qu'une chose a quoi que ce soit de conforme à un art, s'il s'agit d'un lit seulement en puissance, qui ne possède pas encore la forme d'un lit (14), ni qu'il y a là de l'art. Il en va de même pour ce qui se trouve constitué naturellement: en effet, la chair ou l'os en puissance n'ont pas encore leur propre nature ni même n'existent encore grâce à leur nature, avant de recevoir leur forme, celle qui répond à sa définition, celle que nous énonçons quand nous définissons ce qu'est de la chair ou de l'os. Par suite, de cette autre manière, pour ce qui détient en soi le principe de son mouvement, sa nature serait sa forme et son espèce, laquelle n'est pas séparable de sa matière, sauf pour sa conception (15). Cependant, le composé issu d'elles, n'est pas une nature, mais existe à cause d'une nature; l'homme, par exemple. En outre, la forme d'une chose est davantage sa nature que ne l'est sa matière; car on attribue l'être à une chose plutôt quand elle est tout à fait en acte que quand elle est en puissance. 193b8 99. En outre, c'est un homme qui est issu d'un homme, mais pas un lit d'un lit. C'est pourquoi ils disent que ce n'est pas sa figure sa nature, mais le bois, car, par bourgeonnement, il ne naîtrait pas un lit, mais du bois. Pourtant, s'il s'agit là d'art, la forme est bien nature, puisque c'est un homme qui naît d'un homme. 6 193b12 100. En outre, la nature, dite au sens de naissance, est une voie vers la nature proprement dite (16).Ce n'est pas comme pour la médication (17), dont on ne parle pas comme d'une voie vers la médecine, mais vers la santé, car nécessairement la médication est issue de la médecine et non pas orientée vers la médecine. Mais ce n'est pas ce rapport qu'il y a entre nature et nature; au contraire, il s'agit, pour ce qui naît, en tant même qu'il naît, d'aller vers autre chose. Vers quoi donc se tourne ce qui naît? Pas vers son origine, mais vers son résultat. C'est donc la forme d'une chose qui est sa nature. 193b18 101. C'est toutefois de deux manières qu'on attribue ainsi d'être la forme et la nature, car même la privation est de quelque façon forme. Toutefois, si la privation intervient encore ou non comme contraire dans la génération absolue, on devra l'examiner plus tard.

Leçon 2

#149. — Auparavant, le Philosophe a montré ce qu'est une nature; il montre ici de combien de façon on parle de nature. En premier, il montre qu'on parle de nature à propos de la matière d'une chose; en second (193a30), qu'on en parle à propos de sa forme. Sur le premier point, on doit savoir que les philosophes naturels anciens, incapables de parvenir jusqu'à la matière première, comme on l'a dit plus haut (#108), introduisaient un corps sensible comme matière première de toutes choses; par exemple, le feu, ou l'air, ou l'eau. Il s'ensuivait que toutes les formes advenaient à une matière comme déjà en acte, comme cela se passe avec les artefacts; en effet, la forme du couteau advient à du fer déjà en acte. Aussi se faisaient-ils, sur les formes naturelles, une opinion semblable à celle qu'ils avaient sur les formes artificielles. Aristote dit donc, en premier, que certains sont d'avis que l'essence (18) et la nature des choses naturelles, c'est ce qui se trouve en premier en chacune, et qui, regardé en soi, est informe. Comme si nous disions que la nature d'un lit est du bois, et que la nature d'une statue est de l'airain; car il y a du bois dans un lit, et, regardé en soi, il n'est pas formé. Antiphon en donnait comme signe que si on mettait un lit en terre, et que son bois, en pourrissant, avait le pouvoir de faire germer quelque chose, ce qui se trouverait engendré ne serait pas un lit, mais du bois. Étant donné que l'essence est ce qui demeure, et qu'il appartient à une nature d'engendrer du semblable à elle, il concluait que toute disposition qui suit une loi de raison ou un art est un accident, tandis que tout ce qui demeure est l'essence, laquelle subit continuellement le changement de ce type de dispositions. Il supposait donc que les formes des choses artificielles sont des accidents, et que c'est leur matière qui est leur essence. Ceci fait, il admettait une autre proposition: la manière dont le lit et la statue se rapportent à l'airain et au bois, c'est la même aussi dont chacun de ces derniers se rapporte à autre chose comme à sa matière. Par exemple, l'airain et l'or se rapportent ainsi à l'eau — car la matière de tout ce qui peut se liquéfier semble bien être de l'eau; les os et le bois se rapportent ainsi à la terre; et il en va pareillement de chacune des autres choses naturelles. De là il concluait que ces matériaux qui demeurent sous les formes naturelles sont leur nature et leur essence. Pour cette raison, d'aucuns ont soutenu que la terre est la nature et l'essence de toutes choses, à savoir, les premiers poètes théologiens; puis les philosophes postérieurs ont soutenu que c'était ou le feu ou l'air ou l'eau, ou certains d'entre eux, ou eux tous, comme il appert de ce qui précède (#13; 108). De fait, ils en soutenaient autant comme essence de toutes les choses qu'ils en recevaient comme principes matériels; pour tout le reste, ils affirmaient qu'il s'agissait de leurs accidents, c'est-à-dire des accidents des principes matériels, sous forme d'affection, d'habitus, de disposition, ou de quoi que ce soit d'autre qui se ramène au genre de l'accident. C'est là une différence qu'ils établissaient entre principes matériels et formels: ils affirmaient qu'ils différaient selon l'essence et l'accident. Et voici une autre différence: ils affirmaient qu'ils différaient selon le perpétuel et le corruptible. En effet, tout ce qu'ils donnaient comme principe matériel, parmi les corps simples mentionnés, ils affirmaient qu'il était perpétuel; ils ne disaient pas en effet qu'ils se transformaient les uns les autres. Quant à tous les autres, ils disaient qu'ils venaient à l'être (19) puis se corrompaient à l'infini. Par exemple, si l'eau est un principe matériel, ils disaient que l'eau ne se corrompt jamais, mais demeure en toutes choses comme leur essence, tandis que l'airain et l'or et les autres choses de la sorte, ils disaient qu'ils se corrompent et s'engendrent à l'infini.

#150. — Maintenant, cette position est vraie sous un aspect, et fausse sous un autre. En effet, quant à ce que leur matière soit essence et nature des choses naturelles, elle est vraie — car la matière entre dans la constitution de l'essence de toute chose naturelle; mais quant à ce qu'ils disaient que toutes les formes sont des accidents, elle est fausse. Aussi, à partir de cette opinion et de sa raison, il conclut ce qui est vrai, à savoir, que, d'une manière, on appelle nature la matière qui sert de sujet à chaque chose naturelle, laquelle détient en elle-même le principe de son mouvement — ou de son changement quelconque, car le mouvement est une espèce de changement, comme on le dira au cinquième livre.

#151. — Ensuite (193a30), il montre qu'on parle de nature à propos de la forme. À ce propos, il développe deux points: en premier, il montre son propos, à savoir, que la forme est nature; en second (193b18), il montre la diversité des formes. Il montre le premier point avec trois raisonnements. Il dit donc, en premier, qu'on appelle nature, d'une autre manière, la forme et l'espèce qui correspond à la définition, c'est-à-dire, à partir de laquelle on constitue la notion de la chose. Et cela, il le prouve avec un raisonnement comme suit. C'est de l'art, ce qui convient à une chose en tant qu'elle est conforme à un art et artificielle; de même, c'est de la nature, ce qui convient à une chose en tant qu'elle est conforme à une nature et naturelle. Or ce qui est seulement en puissance à devenir un objet d'art, nous ne disons pas que c'est de l'art, car il n'a pas encore la forme (20) d'un lit, par exemple. Donc, dans les choses naturelles, ce qui est en puissance de la chair et de l'os n'a pas non plus nature de chair et d'os avant d'en recevoir la forme, et c'est d'après elle qu'on conçoit la notion qui définit la chose — celle, c'est-à-dire, grâce à laquelle nous savons ce qu'est de la chair ou de l'os —; il n'y a pas encore non plus de nature en elle avant qu'elle n'ait cette forme. Donc, d'une autre manière, la nature des choses naturelles — celles qui ont en elles le principe de leur mouvement — est aussi leur forme. Cette dernière, quoique non séparée de la matière dans la réalité, appelle cependant une notion différente. En effet, l'airain et le fait d'être privé de figure, tout en constituant un sujet unique, appellent cependant des notions différentes; de même la matière et la forme. Il ajoute cette précision étant donné que si la forme n'appelle pas une notion différente de celle que demande la matière, ce ne seront pas deux manières différentes, celle suivant laquelle on appelle la matière nature, et celle suivant laquelle on appelle la forme nature.

#152. — Par ailleurs, on pourrait croire qu'étant donné qu'on appelle sa matière la nature d'une chose, et qu'on appelle de même sa forme aussi, le composé des deux puisse aussi s'appeler la nature de la chose; car on appelle substance à la fois la forme et la matière et le composé des deux. Mais il exclut cela, et dit que le composé de matière et de forme, par exemple, l'homme, n'est pas une nature, mais un être dû à une nature. C'est que la nature répond à la notion d'un principe, tandis que le composé répond à la notion de ce dont il y a principe.

#153. — Poursuivant à partir du raisonnement précédent, il va montrer que la forme d'une chose est plus sa nature que ne l'est sa matière. En effet, on désigne toute chose bien plus d'après ce qu'elle est en acte que d'après ce qu'elle est en puissance. Aussi, sa forme, d'après laquelle une chose est naturelle en acte, est-elle davantage sa nature que ne l'est sa matière, d'après laquelle elle n'est une chose naturelle qu'en puissance. 

#154. — Il présente ensuite son second raisonnement (193b8), qui va comme suit. Il dit là que, quoiqu'un lit ne soit pas issu d'un lit, comme Antiphon le remarquait, un homme, cependant, est issu d'un homme. Aussi est-ce vrai ce qu'ils disent, que la forme d'un lit n'est pas une nature, et que le bois en est une, du fait que si du bois germait, il n'en sortirait pas un lit, mais du bois. La forme qui ne revient pas par germination n'est pas une nature, mais de l'art; de même, donc, la forme qui revient par génération est une nature. Or la forme de la chose naturelle revient par génération; en effet, d'un homme sort un homme. Donc, la forme de la chose naturelle est sa nature.

#155. — Il présente ensuite son troisième raisonnement (193b12), qui va comme suit. Une nature peut se dire au sens d'une génération, si on pense, par exemple, qu'on appelle nature d'abord une naissance (21). Or une nature ainsi entendue comme une génération, c'est-à-dire comme une naissance, est une voie vers une nature proprement dite. C'est qu'il y a cette différence entre les actions et les passions, qu'on dénomme les actions par leurs principes, et les passions par leurs termes. On dénomme chacune, en effet, par l'acte qui est son principe, pour l'action, et son terme, pour la passion; aussi n'en va-t-il pas dans les passions comme dans les actions. Par exemple, on n'appelle pas la médication une voie vers la médecine, mais vers la santé; car nécessairement la médication est issue de la médecine, elle n'aboutit pas à la médecine. Au contraire, la nature entendue comme génération, c'està- dire comme naissance, ne se rapporte pas à la nature proprement dite comme la médication à la médecine; elle s'y rapporte plutôt comme à un terme, puisqu'elle est, elle, une passion. En effet, ce qui naît, en tant qu'il naît, vient de quelque chose et va à autre chose; aussi, on dénomme ce qui naît par ce à quoi il tend et non par ce d'où il vient. Or ce à quoi tend une naissance est une forme; la forme, donc, est nature.

#156. — Ensuite (198b18), il montre que la nature qui est forme se dit de deux manières, à savoir, en rapport à une forme incomplète et à une forme complète. C'est ce qui appert dans la génération relative, par exemple, quand une chose devient blanche: la blancheur est la forme complète, et la privation de blancheur est aussi d'une certaine manière une forme, pour autant qu'unie à la noirceur, une forme imparfaite. Si maintenant il y a, dans la génération absolue, celle des substances, quelque chose qui soit à la fois privation et contraire, de sorte que les formes substantielles seraient contraires, ou si ce n'est pas le cas, on devra en traiter plus loin, au cinquième livre et au traité De la génération.

Chapitre 2

(193b22-194a12) …

Leçon 3

(194a12-194b15) … 112. À qui regarde les anciens, il semblera que c'est la matière dont traite la philosophie naturelle; car seuls Empédocle et Démocrite ont touché, bien peu, à la forme et à ce que ce serait d'être (22). 113. Mais si l'art imite la nature et si, jusqu'à un certain point, il relève du même art (23) de connaître la forme et la matière — par exemple, il relève du médecin de connaître à la fois la santé, et la bile et le phlegme en lesquels réside la santé; pareillement aussi, il relève de l'architecte de connaître à la fois la forme de la maison et la matière, à savoir, tuiles et bois; il en va de même aussi pour les autres arts —, alors relèvera de la philosophie naturelle de connaître l'une et l'autre natures.

Leçon 4 …

#169. — Ensuite (193b18), Aristote résout les difficultés qui précèdent, et surtout la seconde. Il montre qu'il relève de la même science naturelle de traiter de la forme et de la matière. C'est que la première question paraissait suffisamment résolue du fait d'avoir dit que la méthode naturelle ressemble à quand nous cherchons ce qu'est le camus. À ce propos, donc, il développe deux points. En premier, il présente ce que les anciens paraissent avoir pensé. Il dit que si on voulait regarder aux dires des anciens naturalistes, il semblerait que la science naturelle ne porte que sur la matière, puisqu'ils n'ont pratiquement rien traité quant à la forme, ou très peu. Par exemple, Démocrite et Empédocle y ont touché pour autant qu'ils ont soutenu qu'une chose naturelle était issue de plusieurs éléments selon une forme déterminée de mélange ou de combinaison.

#170. — En second (193b21), il montre son propos avec trois raisons, dont la première va comme suit. L'art imite la nature; nécessairement, donc, la science naturelle se rapporte aux choses naturelles comme la science artificielle aux choses artificielles. Or il appartient à la même science artificielle de connaître matière et forme jusqu'à une certaine limite. Par exemple, le médecin connaît la santé comme forme, et la bile et le phlegme et ainsi de suite comme la matière dans laquelle réside la santé. En effet, c'est dans un équilibre entre les humeurs que la santé consiste. Pareillement, le constructeur regarde à la forme de la maison, et aux briques et au bois, qui sont la matière de la maison. Et il en va ainsi dans tous les arts. Il appartient donc à la même science naturelle de connaître autant la matière et la forme des choses naturelles.

#171. — Que par ailleurs l'art imite la nature, la raison en est que le principe de l'opération de l'art est une connaissance. Or toute notre connaissance nous vient par nos sens des choses sensibles et naturelles; c'est pour cela que nous opérons dans les choses artificielles à la ressemblance des choses naturelles. En outre, les choses naturelles sont imitables par l'art parce que toute la nature est ordonnée par un principe intelligent à sa fin; en conséquence, l'œuvre de la nature est manifestement œuvre d'intelligence, puisqu'elle procède avec des moyens déterminés à réaliser des fins fixes. C'est cela que l'art imite dans son opération.

Chapitre 3

(194b16-195a27) 117. Ceci établi, on doit tourner l'examen sur les causes, pour définir leur essence et leur nombre. C'est que notre étude vise à connaître et que nous ne croyons connaître chaque chose qu'une fois saisi le pourquoi de chacune, c'est-à-dire sa première cause; il est donc évident que c'est ce que nous devons faire aussi touchant la génération et la corruption et tout le changement naturel. Ainsi, sachant quels sont leurs principes, nous nous efforcerons d'y ramener chacun des faits naturels sur lesquels nous enquêterons. 118. D'une manière, donc, la cause, on dit que c'est ce à partir de quoi une chose est faite et qui reste en elle; par exemple, l'airain est la cause de la statue et l'argent de la coupe, et leurs genres aussi. D'une autre manière, c'est l'espèce et le modèle — c'est-à-dire la raison, la notion qui exprime ce que serait l'être pour une chose (24) —, ainsi que ses genres. Ainsi, pour l'octave, c'est le rapport de deux à un, et, généralement, le nombre et les parties qui entrent dans la définition. C'est encore ce d'où se tire le principe du changement ou du repos, le premier principe. Par exemple, celui qui décide (25) est cause, et le père est cause de l'enfant, et, en général, l'agent l'est de ce qui se fait, et ce qui introduit une transformation l'est de la transformation introduite. C'est encore à la manière de la fin, c'est-à-dire ce en vue de quoi une chose se fait. Par exemple, la raison de se promener, c'est la santé; en effet, pourquoi se promène-t-il? c'est, dirons-nous, pour sa santé, et, avec cette réponse, nous pensons avoir donné la cause. En outre, est cause de la même manière tout ce qui, sous la motion d'autre chose, sert d'intermédiaire pour la fin; par exemple, en vue de la santé, l'amaigrissement, la purgation, les remèdes, ou les instruments; car tout cela est en vue de la fin, et ne diffère que comme résultats (26) et instruments. Les causes, donc, c'est à peu près d'autant de manières qu'on les attribue. 119. Mais comme on attribue ainsi les causes de plusieurs manières, il arrive qu'il y ait plusieurs causes pour la même chose, et cela non par accident; par exemple, pour la statue, il y a l'art de sculpter et l'airain, et cela non pas sous un autre rapport, mais en tant que statue, quoique non de la même manière, mais l'un comme matière, l'autre comme principe de mouvement. Il y a même des choses qui sont causes l'une de l'autre; par exemple, l'effort cause la bonne forme, et celle-ci cause l'effort, quoique non de la même manière, mais la bonne forme comme fin, l'effort comme principe de mouvement. En outre, la même chose est cause des contraires; en effet, ce qui, lorsque présent, est cause de telle chose, nous le faisons parfois, lorsque absent, cause du contraire; nous disons ainsi que l'absence du pilote est cause du naufrage du navire, et que sa présence eût été cause de son salut. 120. Bref, toutes les causes énumérées tombent très manifestement sous quatre modes: les lettres des syllabes, le bois des ustensiles (27), le feu et les autres éléments des corps, les parties du tout et les suppositions (28) de la conclusion sont causes comme ce à partir de quoi les autres sont faites. Entre elles, les unes se présentent comme le sujet — les parties, par exemple —, les autres comme ce qui allait être d'elles (29): le tout, la composition, l'espèce. D'autre part, la semence, le médecin, celui qui décide, et en général l'agent, tous sont ce d'où se tire le principe du changement ou du repos ou du mouvement. Les dernières, enfin, sont comme la fin et le bien des autres: car ce en vue de quoi les autres sont veut être ce qu'il y a de mieux pour les autres et leur fin; peu importe, quant à cela, de parler de bien en soi ou de bien apparent. Voilà donc quelles sont les causes, et combien il y en a, spécifiquement.

Leçon 5 

#176. — Auparavant, le Philosophe a montré de quoi traite la science naturelle; ici, il commence à montrer de quelles causes elle démontre. Cela se divise en deux parties: dans la première, il traite des causes; dans la seconde (198a22), il montre de quelles causes le naturaliste démontre. Sur le premier point, il en développe deux autres: en premier, il montre la nécessité de traiter des causes; en second (194b23), il commence à traiter des causes. Il affirme donc en premier qu'après avoir établi ce qui tombe sous la considération de la science naturelle, il reste à traiter des causes, quelles elles sont et combien il y en a. La raison en est que cette entreprise où nous entendons traiter de la nature n'est pas ordonnée à l'action, mais à la science; car nous ne pouvons produire les choses naturelles, nous pouvons seulement en élaborer la science. Or nous ne pensons savoir quoi que ce soit que lorsque nous en découvrons le pourquoi, c'est-à-dire la cause. Aussi est-il manifeste que nous devons observer cette façon de faire à propos de la génération et de la corruption et de tout changement naturel: que nous en connaissions les causes, et que nous ramenions chaque chose dont on cherche le pourquoi à sa cause prochaine. Il ajoute cette précision parce que traiter des causes en tant que telles est propre au philosophe premier. En effet, la cause, en tant qu'elle est une cause, ne dépend pas de la matière pour son être, du fait qu'on trouve la notion de cause même en ce qui est séparé de la matière. Par contre, le philosophe naturel entreprend la considération des causes en raison d'une nécessité précise; il n'entreprend de traiter des causes que pour autant qu'elles sont des causes de changements naturels.

#177. — Ensuite (194b23), il traite des causes. À ce propos, il développe trois points: en premier, il donne différentes espèces de causes manifestes; en second (195b30), il traite de certaines causes non manifestes; en troisième (198a14), il montre qu'il n'y en a ni plus ni moins. La première partie se divise en deux autres: dans la première, il traite des espèces des causes; dans la seconde (195a26), il établit les modalités des différentes causes en rapport à chaque espèce. Sur le premier point, il en développe deux autres: en premier, il introduit différentes espèces de causes; en second (195a15), il les ramène à quatre. Sur le premier point, il en développe deux autres: en premier, il présente la diversité des causes; en second (195a3), il explique certaines conséquences de la diversité présentée.

#178. — Aristote remarque donc que la cause, à ce qu'on dit d'une première manière, c'est ce à partir de quoi est faite une chose et qui reste en elle; par exemple, la cause de la statue, dit-on, c'est l'airain et la cause de la coupe, c'est l'argent; et les genres de ces matières, on les dit aussi les causes des mêmes choses: le métal, par exemple, ou le liquéfiable, et ainsi de suite. Par ailleurs, Aristote ajoute «et qui reste en elle», à la différence de la privation et du contraire. Une statue, certes, est faite à partir d'airain, et cet airain reste dans la statue une fois faite; elle est aussi faite à partir d'une privation de figure, mais cette privation ne reste pas dans la statue une fois faite. Aussi est-ce l'airain la cause de la statue, et non la privation de figure, puisqu'elle en est principe par accident seulement, comme on a dit au premier livre (#112).

#179. — La cause, à ce qu'on dit d'une seconde manière, c'est l'espèce et le modèle; on dit que c'est cela la cause parce que voilà la raison dont dépend ce qu'est la chose (30); voilà en effet par quoi nous savons de chaque chose ce qu'elle est. On a déjà mentionné, à propos de la matière, que les causes, ce sont aussi les genres de la matière, à ce qu'on dit; on dit de même que les causes ce sont aussi les genres de l'espèce. Il en donne pour exemple une consonance musicale appelée octave, dont la forme est une proportion double, celle de deux à un. Car ce sont les proportions numériques appliquées aux sons comme à leur matière qui constituent les consonances musicales; alors, comme deux ou le double est la forme de la consonance qu'est l'octave, le genre de deux, qui est le nombre, en est aussi cause. De même, en effet, que nous disons que la forme octave est la proportion de deux à un, une proportion double, de même nous pouvons dire que la forme octave est la proportion de deux à un, une multiplicité (31). C'est à cette façon d'être cause que se ramènent toutes les parties qui entrent dans la définition: en effet, les parties de l'espèce entrent dans la définition, mais non les parties de la matière, comme il est dit, Métaphysique, VII, 10. Et cela ne va pas contre ce qu'on a dit plus haut, que la matière entre dans la définition des choses naturelles: en effet, dans la définition de l'espèce, on ne met pas de matière individuelle, mais une matière commune; par exemple, dans la définition de l'homme entrent de la chair et des os, mais non pas telle chair et tels os. La nature de l'espèce, constituée de forme et de matière commune, se rapporte comme sa cause formelle à l'individu qui participe de pareille nature; et c'est dans cette mesure, ici, qu'on dit que les parties qui entrent dans la définition relèvent de la cause formelle. On doit aussi tenir compte qu'il a introduit sous deux noms ce qui concerne ce qu'est une chose, à savoir, son espèce et son modèle; c'est en raison d'opinions différentes qui circulaient sur les essences des choses. En effet, Platon soutenait que les natures des espèces étaient des formes séparées qu'il donnait comme des exemplaires et des idées; c'est pour cela qu'Aristote a introduit l'exemple ou le paradigme. À l'opposé, les philosophes naturels qui ont touché quelque chose de la forme parlaient de formes inhérentes à une matière. C'est pour cela qu'Aristote a aussi nommé espèce la cause formelle.

#180. — Par la suite, il dit que la cause, à ce qu'on dit d'une autre manière encore, c'est ce d'où le mouvement ou le repos tient son principe. Par exemple, la cause de l'action, dit-on, c'est le conseiller; et celle du fils, c'est le père; et pour tout changement, c'est ce qui l'introduit. À propos de causes de la sorte, on doit tenir compte qu'il y a quatre types de cause efficiente: l'agent, c'est à la fois l'exécutant, l'organisateur, l'assistant et le conseiller. L'exécutant, c'est celui qui complète le mouvement ou le changement; c'est, dans la génération par exemple, l'agent qui introduit la forme substantielle. L'organisateur, ou ordonnateur, c'est celui qui adapte la matière ou le sujet pour qu'on puisse porter à son terme le mouvement. L'assistant, par ailleurs, c'est celui qui n'opère pas pour sa propre fin, mais pour la fin d'un autre. Le conseiller, enfin, intervient chez les agents mus par un dessein: c'est lui qui fournit à l'agent la forme grâce à laquelle il agit. En effet, l'agent mû par un dessein agit grâce à sa science de ce qu'il faut faire, et il tient celle-ci de son conseiller; en comparaison, dans les choses naturelles, on dit que c'est ce qui les engendre qui meut les corps lourds et légers, puisqu'il leur donne la forme grâce à laquelle ils se meuvent.

#181. — Aristote introduit ensuite une quatrième manière d'être cause: la cause d'une chose, dit-on, c'est sa fin. C'est-à-dire, c'est ce en vue de quoi une chose vient à être; ainsi dit-on que la santé est la cause de la marche. Cela devient évident du fait que c'est ce qu'on répond à la question pourquoi ? Quand, en effet, on demande ‘pourquoi un tel marche’, on répond: ‘pour sa santé’. Et avec cette réponse, on pense donner la cause. La raison pour laquelle Aristote prouve plus fortement de la fin que des autres qu'elle est bien cause, c'est qu'elle le semblerait moins, du fait de venir en dernier dans la génération. Il ajoute par la suite que tout ce qui se trouve intermédiaire entre le premier moteur et la fin ultime est d'une certaine manière fin; par exemple, le médecin fait maigrir le corps pour lui restituer la santé, et là, la santé est la fin de l'amaigrissement; mais il produit l'amaigrissement grâce à une purgation, et la purgation grâce à une potion, et il prépare la potion à l'aide d'instruments. Toutes ces choses interviennent de quelque manière comme fin: car l'amaigrissement est la fin de la purgation, et la purgation de la potion, et la potion des instruments; même les instruments sont les fins dans la production ou la recherche qu'on en fait. Il appert ainsi que ces intermédiaires diffèrent entre eux du fait que certains sont des instruments et d'autres des résultats, résultats obtenus grâce aux instruments. Il introduit cette considération pour qu'on ne croie pas que c'est seulement ce qui est dernier qui constitue la cause en vue de quoi, étant donné que le mot fin semble bien impliquer quelque chose d'ultime. Toute fin est donc dernière non pas absolument, mais en rapport à autre chose. Il conclut finalement que c'est à peu près d'autant de manières qu'on parle de causes. Et il ajoute à peu près en raison des causes qui le sont par accident, comme le hasard et la chance.

#182. — Ensuite (195a3), il manifeste trois conséquences, suite à la diversité de causes présentée. La première en est que, comme c'est de plusieurs manières qu'on attribue d'être cause, il se peut que pour une seule et même chose il y ait plusieurs causes par soi et non par accident. Par exemple, la cause de telle statue, c'est l'art de sculpter comme agent, et l'airain comme matière. Il s'ensuit que l'on donne parfois, pour une seule chose, plusieurs définitions, en rapport à différentes causes; mais la définition parfaite embrasse toutes les causes. La seconde conséquence est qu'il y a des choses qui sont causes les unes des autres en rapport à une espèce différente de cause. Par exemple, l'effort est la cause efficiente de la santé, tandis que la santé est la cause finale de l'effort. C'est que rien n'empêche une chose d'être à la fois antérieure et postérieure à une autre pour des raisons différentes: car la fin est antérieure pour la raison, mais postérieure dans l'être; pour l'agent, c'est l'inverse. Pareillement aussi, la forme est antérieure à la matière sous l'aspect de la perfection, tandis que la matière est antérieure à la forme quant à la génération et au temps, en tout ce qui passe de puissance à acte. La troisième conséquence est que la même chose est parfois cause des contraires. Par exemple, par sa présence, le pilote est la cause du salut du navire, tandis que, par son absence, il est cause de sa perte.

#183. — Ensuite (195a15), il ramène toutes les causes énumérées plus haut à quatre espèces. Il affirme que toutes les causes énumérées plus haut se ramènent à quatre modes, lesquels sont manifestes. En effet, les éléments, c'est-à-dire les lettres, sont les causes des syllabes; et pareillement, la terre est la cause des vases et l'argent celle de la coupe; puis, le feu et autres corps pareils, c'est-à-dire simples, sont les causes des corps; et pareillement, toutes les parties sont cause du tout; et les suppositions, c'est-à-dire les propositions du raisonnement, sont la cause des conclusions. Or toutes ces choses répondent à une seule notion de cause, celle selon laquelle on dit que la cause, c'est ce à partir de quoi une chose est faite: car cela est commun à tout ce qu'on vient d'énumérer. Toutefois, en toutes celles qu'on vient d'énumérer, des choses tenaient lieu de matière et d'autres de forme, cette forme qui est cause pour une chose de ce qu'elle est. Par exemple, toutes les parties tiennent lieu de matière, comme les éléments des syllabes et les quatre éléments des corps mixtes; mais celles qui impliquent tout ou composition ou n'importe quelle espèce tiennent lieu de forme; c'est ainsi que l'espèce renvoie aux formes des corps simples, tandis que le tout et la composition renvoient aux formes des composés.

#184. — Il semble toutefois surgir ici deux difficultés. En premier, certes, en rapport à ce qu'il dit, que les parties sont les causes matérielles du tout, alors qu'il a réduit plus haut les parties de la définition à la cause formelle. On peut répliquer que plus haut il parlait des parties de l'espèce, lesquelles tombent dans la définition du tout, tandis qu'ici il parle des parties de la matière, dans la définition desquelles tombe le tout, comme le cercle tombe dans la définition du demi-cercle. Mais il vaut mieux dire que, bien que les parties de l'espèce qui entrent dans la définition se rapportent au sujet de la nature par manière de cause formelle, elles se rapportent cependant à la nature même dont elles sont des parties comme sa matière; car toutes les parties se comparent au tout comme l'imparfait au parfait, laquelle comparaison en est une de matière à forme. En outre, il peut surgir une difficulté quant à ce qu'il dit, que les propositions sont la matière de la conclusion. La matière, en effet, reste en ce dont elle est la matière; aussi, plus haut, en manifestant la cause matérielle, a-t-il dit qu'elle est ce à partir de quoi une chose est faite et qui reste en elle. Or les propositions sont extérieures à la conclusion. Mais on doit répliquer que la conclusion est constituée des termes des propositions; aussi dit-on que les propositions sont la matière de la conclusion sous ce rapport précis: en tant que les termes qui constituent la matière des propositions sont aussi la matière de la conclusion, bien que ce ne soit pas sous le même ordre que celui qu'ils revêtent dans les propositions. De même, par exemple, on dit que la farine est la matière du pain, bien qu'il ne soit pas question qu'elle garde la forme de farine. Cependant, on dit avec plus de force que les propositions sont la matière de la conclusion que l'inverse, car les termes réunis dans la conclusion se présentent séparément dans les prémisses. Nous voilà donc avec deux manières d'être cause.

#185. — Par ailleurs, il y a des choses dont on dit que ce sont des causes pour une autre raison, à savoir, parce que ce sont le principe d'un mouvement et d'un repos. C'est de cette manière qu'on dit que la semence qui est active dans la génération est cause; et pareillement c'est de cette manière qu'on dit que le médecin est cause de la santé; le conseiller aussi est cause de cette manière, et de même tout agent. Une autre version dit: et les propositions. Car les propositions, bien sûr, sont quant à leurs termes la matière de la conclusion, comme on a dit; mais quant à leur force d'inférence, elles se ramènent à ce genre de cause; en effet, le principe du progrès que la raison fait dans la conclusion se tire des propositions. 

#186. — On trouve en d'autres causes encore une autre notion de cause, à savoir, pour autant que la fin ou le bien tient lieu de cause. Et cette espèce de cause est la plus puissante parmi les autres causes, car la cause finale est est la cause des autres causes. Il est manifeste, en effet, que l'agent agit à cause d'une fin; et pareillement, on a montré plus haut, que dans les choses artificielles les formes sont ordonnées à l'usage comme à leur fin, et les matières aux formes comme à leur fin. C'est pour autant qu'on dit que la fin est la cause des causes. Comme il a dit que cette espèce de cause répond à la notion de bien, et que parfois chez ceux qui agissent par choix il arrive que la fin soit un mal, il dit, pour écarter cette difficulté, qu'il n'y a pas de différence à ce que la cause finale soit vraiment bonne ou bonne en apparence, car ce qui paraît bon ne meut que parce que conçu comme bon. Ainsi conclut-il finalement qu'il y a autant d'espèces de causes qu'on en a présentées.

(195a25-b30) 121. Quant à leurs modalités, elles sont multiples, en nombre; mais résumées elles se réduisent. On parle, en effet, des causes en des sens multiples: par exemple, parmi les causes d'une même espèce, l'une est antérieure, l'autre postérieure: ainsi, pour la santé, le médecin et l'homme de l'art, pour l'octave le double et le nombre, et, toujours, les classes relativement aux individus; ou encore les unes sont par soi, les autres par accident, et leurs genres: par exemple, pour la statue, Polyclète est une cause, le statuaire une autre, parce que c'est un accident pour le statuaire d'être Polyclète; autres encore les classes qui embrassent l'accident, par exemple, si l'on disait que l'homme ou en général l'animal est cause de la statue. Du reste, entre les accidents, les uns sont plus loin, les autres plus près, par exemple, si l'on disait que le blanc et le musicien sont cause de la statue. D'autre part, toutes les causes, soit proprement dites, soit accidentelles, s'entendent tantôt comme en puissance, tantôt comme en acte, par exemple, pour la construction d'une maison, le constructeur et le constructeur construisant. Pour les choses dont les causes sont causes, il faut répéter la même remarque; par exemple, c'est de cette statue ou de la statue, ou en général de l'image, de cet airain, de l'airain, ou en général de la matière…; de même pour les accidents. En outre, les choses et les causes peuvent être prises suivant leurs acceptions séparées ou en en combinant plusieurs; par exemple, on dira non pas que Polyclète, ni que le statuaire, mais que le statuaire Polyclète est cause de la statue. Malgré tout, néanmoins, toutes ces acceptions se ramènent au nombre de six, chacune comportant deux sens: comme particulier ou genre, comme par soi ou accident (ou genre des accidents), comme combiné ou simple, chacune pouvant être prise en acte ou en puissance. (Traduction Carteron)

Chapitre 4

(195b30-196b9) D'autre part, on dit aussi que la fortune et le hasard sont des causes, que beaucoup de choses sont et s'engendrent par l'action de la fortune et celle du hasard. En quel sens la fortune et le hasard font partie des causes étudiées précédemment, si la fortune et le hasard sont identiques ou différents, et en général, quelle est l'essence de la fortune et du hasard, voilà ce qu'il faut examiner. Certains, en effet, mettent en question leur existence; rien évidemment, dit-on, ne peut être effet de fortune, mais il y a une cause déterminée de toute chose dont nous disons qu'elle arrive par hasard ou fortune; par exemple, le fait pour un homme de venir sur la place par fortune, et d'y rencontrer celui qu'il voulait, mais sans qu'il y eût pensé, a pour cause le fait d'avoir voulu se rendre sur la place pour affaires; de même, pour les autres événements qu'on attribue à la fortune, on peut toujours saisir quelque part leur cause, et ce n'est pas la fortune. D'ailleurs, si la fortune était quelque chose, il paraîtrait, à bon droit, étrange et inexplicable qu'aucun des anciens sages qui ont énoncé les causes concernant la génération et la corruption n'aient rien défini sur la fortune; mais, semble-t-il, c'est qu'eux aussi pensaient qu'il n'y a rien qui vienne de la fortune. Mais voici ce qui est surprenant à son tour: beaucoup de choses existent et sont engendrées par fortune et par hasard, qui, on ne l'ignore pas, doivent être rapportées chacune à une certaine cause dans l'univers, ainsi que le demande le vieil argument qui supprime la fortune; cependant, tout le monde dit de ces choses que les unes sont par fortune, les autres non. Aussi les anciens auraient-ils dû, en toute hypothèse, faire mention de la fortune: d'ailleurs, ce ne pouvait certes pas être pour eux une chose analogue à l'amitié, la haine, l'intelligence, le feu, ou tout autre chose pareille; donc, soit qu'ils en admissent l'existence, soit qu'ils la niassent, ils sont étranges de l'avoir passée sous silence; et cela d'autant plus qu'ils en font usage quelquefois. Ainsi, Empédocle dit que ce n'est pas constamment que l'air se sépare pour se placer dans la région la plus élevée, mais selon qu'il plaît à la fortune; jugez-en: il dit dans sa cosmogonie: «Il se rencontra que l'air s'étendit ainsi, mais souvent autrement.» Et les parties des animaux sont engendrées la plupart par fortune, à son dire. Pour d'autres, et notre ciel et tous les mondes ont pour cause le hasard; car c'est du hasard que proviennent la formation du tourbillon et le mouvement qui a séparé les éléments et constitué l'univers dans l'ordre où nous le voyons. Mais voici qui est particulièrement surprenant: d'une part, selon eux, ni les animaux ni les plantes n'existent ni ne sont engendrés par fortune, la cause de cette génération étant nature, intelligence, ou quelque autre chose de tel (en effet, ce n'est pas n'importe quoi qui naît, au gré de la fortune, de la semence de chaque être, mais de celle-ci un olivier, de celle-là un homme); tandis que, d'autre part, le ciel et les plus divins des êtres visibles proviennent du hasard et n'ont aucune cause comparable à celle des animaux et des plantes. Même s'il en était ainsi, cela valait la peine qu'on y insistât et il était bon d'en parler. Car cette théorie est certes, à d'autres égards, contraire à la raison, mais elle est rendue plus absurde encore par l'expérience que, dans le ciel, rien n'arrive par hasard, et qu'au contraire dans les choses qui, censément, n'existaient pas par fortune, beaucoup arrivent par fortune; à coup sûr, le contraire était plus vraisemblable. D'autres encore pensent que la fortune est une cause, mais cachée à la raison humaine, parce qu'elle serait quelque chose de divin et de surnaturel à un degré supérieur. Ainsi, il faut examiner ce que sont hasard et fortune, s'ils sont identiques ou différents, et comment ils tombent dans notre classification des causes. (Traduction Carteron)

Chapitre 5

(196b10-197a8) 138. Tout d'abord, alors que nous observons que des faits se produisent toujours et d'autres le plus souvent de la même manière; or, il est manifeste qu'on attribue à la chance d'être la cause ni des uns ni des autres et que ce qui est dû à la chance n'appartient ni à ce qui se produit par nécessité et toujours, ni à ce qui se produit le plus souvent. Cependant, il y a aussi des faits qui se produisent par exception à ceux-là, et tous disent qu'ils sont dus à la chance; il est évident, donc, que la chance et le hasard existent: car nous savons que de pareils faits sont dus à la chance et que ce qui est dû à la chance, ce sont de pareils faits. 139. Par ailleurs, parmi les faits, les uns se produisent en vue d'autre chose, les autres non. 140. Parmi les premiers, les uns par choix, les autres non par choix; les deux, toutefois, comptent dans ce qui se fait en vue d'autre chose. Par suite, il est évident que, même dans les faits qui sortent du nécessaire et du plus fréquent (32), il y en a auxquels il est possible qu'appartienne d'être en vue d'autre chose. Sont en vue d'autre chose tous ceux qui pourraient se faire à dessein et par nature. 141. De pareils faits, assurément, quand ils se produisent par accident, nous disons qu'ils sont dus à la chance. De même, en effet, que l'être est tantôt par soi tantôt par accident, de même est-ce possible aussi pour la cause; par exemple, la cause par soi de la maison, c'est l'art de construire, et sa cause par accident, c'est le blanc, ou le musicien. La cause par soi est déterminée, tandis que la cause accidentelle est indéfinie; car une infinité de caractères peuvent s'adjoindre comme accidents à une autre. 142. Donc, comme on l'a dit, quand cela se présente dans ce qui se fait en vue d'autre chose, alors on dit que c'est dû au hasard et à la chance. On devra discerner plus loin la différence entre eux deux. Mais dès maintenant, que cela soit manifeste: les deux relèvent de ce qui se fait en vue d'autre chose. Par exemple, si on avait su, on serait allé toucher de l'argent, recouvrant la dette d'un débiteur; de fait, on y est allé, mais non pour cela, et il s'est trouvé par accident qu'on y aille et qu'on le fasse pour recouvrer cette dette, et cela sans qu'on aille très souvent à cet endroit ni qu'on ait eu à s'y trouver nécessairement. En outre, la fin, à savoir, le recouvrement de la dette, ne compte pas parmi les causes immanentes, mais relève du choix et du dessein. Alors, on dit qu'on est allé là par chance. Par contre, si cela avait été par choix et en vue de cela, ou parce qu'on y va toujours ou qu'on y recouvre très souvent des dettes, ce n'aurait pas été par chance. 143. Il est donc évident que la chance est une cause par accident qui s'exerce en ce qui se fait par choix en vue d'autre chose. Qui agit à dessein et la chance aboutissent donc au même résultat, car choisir c'est agir à dessein.

Leçon 8

#207. — Auparavant, le Philosophe a présenté les opinions des autres concernant la chance et le hasard; ici, il établit la vérité. Cela se divise en trois parties: dans la première, il montre ce qu'est la chance; dans la seconde (197a36), en quoi diffèrent le hasard et la chance; dans la troisième (198a2), il montre à quel genre de cause le hasard et la chance se réduisent. La première partie se divise en deux autres: dans la première, il montre ce qu'est la chance; dans la seconde (197a3), à partir de la définition de la chance, il donne la raison de ce que l'on dit sur la chance. Sur le premier point, il en développe trois autres: en premier, il présente certaines divisions en vue d'enquêter sur la définition de la chance; en second (196b29), il montre sous quels membres des divisions apportées la chance se trouve contenue; en troisième (196b5), il conclut la définition de la chance. Puisque la chance se présente comme une espèce de cause, et qu'en vue de la connaissance d'une cause il faut savoir de quoi elle est cause, il présente en premier une division du côté de ce dont la chance est cause; en second (196b23), il présente une division du côté de la cause même.

#208. — Sur le premier point, il présente trois divisions. La première en est que certains faits se produisent toujours, comme le lever du soleil, et d'autres le plus souvent, comme, pour l'homme, de naître avec des yeux; or d'aucun de tels faits on ne dit qu'il est dû à la chance. Cependant, il s'en produit d'autres à part ceux-là, c'est-à-dire par exception, comme, pour l'homme, de naître avec six doigts ou sans yeux; ce sont tous ceux-là que l'on dit se produire par chance ou malchance (33). Aussi est-il manifeste que la chance est quelque chose, étant donné qu'être dû à la chance et se produire par exception se convertissent. Cela, il le mentionne contre la première opinion, qui niait la chance.

#209. — Il semble, toutefois, que la division du Philosophe ne suffise pas, car certains faits sont également ouverts à se produire ou non. Aussi Avicenne a-t-il affirmé que, parmi les faits ouverts aux deux possibilités, il peut y en avoir dus à la chance, à la manière des faits exceptionnels. Et cela ne fait pas objection qu'on ne dise pas dépendre de la chance que Socrate s'assoie, alors que cela est également ouvert à se faire ou non; en effet, bien que ce soit indifférent au regard de la puissance motrice, ce ne l'est pas, cependant, au regard de la puissance affective, qui tend déterminément d'un côté, de sorte que si quelque chose arrivait à part cela, on dirait que cela est fortuit. Cependant, la puissance motrice, ouverte aux deux possibilités, ne passe à l'acte que si elle se trouve déterminée à l'une par la puissance affective; de même rien qui soit ouvert aux deux ne passe à l'acte sans se trouver déterminé à l'une par autre chose. C'est que ce qui est ouvert aux deux est comme un être en puissance; or ce n'est pas la puissance qui est principe d'action, mais seulement l'acte. Aussi, de ce qu'on soit ouvert aux deux, rien ne s'ensuit, sauf par l'intervention d'autre chose qui détermine à l'une des possibilités, et cela soit à la manière de ce qui se produit toujours, soit à la manière de ce qui se produit le plus souvent. C'est la raison pour laquelle, en divisant les faits, Aristote a laissé de côté ce qui est ouvert tant à se produire qu'à ne pas le faire.

#210. — On doit savoir aussi que d'aucuns ont défini comme nécessaire ce qui ne rencontre pas d'empêchement, et comme contingent ce qui se produit le plus souvent, lequel peut se trouver empêché exceptionnellement. Mais cela est irrationnel. On dit nécessaire, en effet, ce qui a dans sa nature de ne pas pouvoir ne pas être, et contingent ce qui se produit le plus souvent, mais peut ne pas être. Or ce qui concerne le fait d'avoir un empêchement, ou de ne pas en avoir, est contingent. En effet, la nature ne présente pas d'empêchement à ce qui ne peut pas ne pas être, car ce serait superflu.

#211. — Il présente ensuite sa seconde division (196b17). Il dit que certains faits se produisent en vue d'une fin, et d'autres non. Toutefois, cette division comporte une difficulté, du fait que tout agent agisse en vue d'une fin, qu'il agisse par nature ou qu'il agisse par intelligence. On doit savoir, par contre, qu'il dit que ceux-là ne se produisent pas en vue de quelque chose, qui se produisent pour euxmêmes, du fait de comporter en eux-mêmes un plaisir ou une honorabilité qui leur permette de plaire par eux-mêmes. Ou encore, il dit que ne se produit pas en vue d'une vin ce qui ne se produit pas en vue d'une fin délibérée; par exemple, se frotter la barbe, ou autre chose de la sorte, qui se fait parfois sans délibération, sous la motion de la seule imagination; ces faits ont donc une fin imaginée, mais non une fin délibérée.

#212. — Il présente ensuite sa troisième division (196b18). Il dit que parmi les faits qui se produisent en vue d'une fin, certains se produisent suivant la volonté, et d'autres non. Mais les deux se trouvent dans ce qui se fait en vue d'autre chose. Car ce n'est pas seulement ce qui est dû à la volonté qui se fait en vue d'autre chose, mais aussi ce qui est dû à la nature.

#213. — En outre, ce qui se produit par nécessité ou le plus souvent se produit par nature ou à dessein; il est donc manifeste que tant en ce qui se produit toujours qu'en ce qui se produit le plus souvent il y a des faits qui se produisent en vue d'une fin, du fait que tant la nature que le dessein agissent en vue d'une fin. Il appert ainsi que ces trois divisions s'incluent l'une l'autre. Car ce qui se produit à dessein ou par nature se produit en vue d'une fin; et ce qui se produit en vue d'une fin se produit ou toujours ou le plus souvent.

#214. — Ensuite (196b23), il présente une division tirée du côté de la cause. Il dit que lorsque de pareils faits — à savoir, de ceux qui se produisent à dessein, en vue d'autre chose, et par exception (34) — sont dus à une cause par accident, nous disons alors qu'ils sont dus à la chance. En effet, certains êtres sont par soi et d'autres par accident, et il en va de même aussi des causes; par exemple, la cause par soi d'une maison est l'art de la construction, et sa cause par accident est le blanc ou le musicien. On doit toutefois tenir compte que l'on attribue de deux manières à la cause d'être par accident: d'une manière du côté de la cause, de l'autre du côté de l'effet. Du côté de la cause, bien sûr, quand ce qu'on dit une cause par accident est rattaché à une cause par soi — par exemple, si on attribue au blanc ou au musicien d'être la cause d'une maison, parce qu'il est accidentellement rattaché au constructeur; mais du côté de l'effet, quand on regarde une chose rattachée acidentellement à l'effet — par exemple, si nous disons que le constructeur est la cause d'une discorde, du fait que par accident une discorde se produise à l'occasion de la construction de la maison. Or on dit que la chance est une cause par accident de cette manière, du fait que quelque chose se rattache par accident à un effet; par exemple, si au fait de creuser une tombe se rattache par accident la découverte d'un trésor. En effet, l'effet par soi d'une cause naturelle est ce qui s'ensuit en conformité à l'exigence de sa forme; et de même l'effet d'une cause qui agit à dessein est ce qui se produit selon l'intention de l'agent. Aussi, tout ce qui advient dans l'effet en dehors de cette intention arrive par accident. À condition que ce qui arrive en dehors de l'intention s'ensuive comme par exception; en effet, ce qui s'attache ou toujours ou le plus souvent à un effet tombe sous la même intention. Car il est stupide de dire qu'on a une intention, et qu'on ne veut pas ce qui s'y rattache le plus souvent ou toujours. Aristote présente ensuite une différence entre la cause par soi et la cause par accident: c'est que la cause par soi est limitée et déterminée, tandis que la cause par accident est infinie et indéterminée, du fait qu'une infinité de choses peuvent s'attacher par accident à une autre.

#215. — Ensuite (196b29), il montre sous quels membres des divisions précédentes se trouve contenue la chance et ce qui est dû à la chance. Il dit en premier que la chance et le hasard, comme on l'a dit plus haut, se trouvent parmi les faits qui se produisent en vue d'autre chose. On établira plus tard la différence entre le hasard et la chance. Mais cela doit maintenant devenir manifeste, que l'un et l'autre sont contenus dans ce qui se fait en vue d'une fin. Par exemple, si on savait qu'à la place on va recevoir de l'argent, on irait l'y chercher. Cependant, si on n'y vient pas dans ce but, c'est par accident que notre venue se fasse en vue de ce gain, c'est-à-dire qu'elle ait cet effet. Il appert ainsi que la chance est une cause par accident parmi les actions qui se font en vue d'autre chose. Il est manifeste, en outre, qu'elle est une cause parmi les faits qui se produisent par exception; car ce gain est réputé s'être produit par chance quand ce n'est ni par nécessité ni le plus souvent qu'on gagne à venir à la place (35). En outre, elle intervient en ce qui se fait à dessein; car le gain d'argent que l'on dit se produire par chance est la fin de certaines causes, non par soi, comme en ce qui se produit par nature, mais c'est la fin d'actions faites à dessein et avec intelligence. Par contre, si on allait à la place avec le dessein d'y gagner de l'argent, ou qu'on en gagne soit toujours ou le plus souvent quand on y vient, on ne dirait pas que c'est par chance. Par exemple, si, en allant en un lieu boueux, on se détrempe les pieds, même si ce n'est pas son intention, on ne dit tout de même pas que c'est par malchance.

#216. — Ensuite (197a5), il conclut de ce qui précède la définition de la chance. Il dit qu'il devient manifeste avec ce qui précède que la chance est une cause par accident en ce qui se produit à dessein en vue d'une fin mais par exception. Il en appert que la chance et l'intelligence portent sur les mêmes objets, car il convient d'agir par chance à ceux-là seulement qui ont intelligence; en effet, le dessein ou la volonté ne va pas sans intelligence. Pourtant, bien qu'agissent par chance ceux-là seulement qui ont intelligence, plus une chose dépend de l'intelligence, moins elle dépend de la chance.

(197a8-35) 144. En conséquence, elles sont nécessairement indéterminées les causes dont provient ce qui dépend de la chance. De là vient que la fortune donne l'impression de relever du domaine de l'indéterminé et de ne pas se laisser connaître par l'homme. 145. Pour cela aussi, on peut avoir l'impression que rien ne se produit par chance. Ce sont toutes des façons correctes de parler, parce que raisonnables. C'est qu'étant donné que ce qui se produit par chance se produit par accident et que la chance est une cause par accident, absolument elle n'est cause de rien. Par exemple, la cause de la maison, c'est l'architecte et, par accident, le joueur de flûte. En outre, du fait qu'en allant quelque part, sans que ce soit pour recouvrer une dette, on l'y a recouvré, il y a une infinité de causes: on voulait voir quelqu'un, on courait après, on le fuyait, on s'intéressait à un spectacle. 146. De même, dire que la chance est quelque chose de contraire à la raison, est correct: car la raison relève de ce qui est toujours pareil ou le plus souvent, tandis que la chance réside dans ce qui lui fait exception. Par suite, puisque des causes qui agissent ainsi sont indéterminées, la chance aussi est indéterminée. 147. Cependant, à considérer certains aspects, on doutera que vraiment n'importe quoi qui arrive par accident ne soit la cause de la chance. Par exemple, pour la santé, peut-être le souffle du vent ou la chaleur du soleil, mais pas la coupe de cheveux. C'est que, parmi les causes accidentelles, les unes sont plus proches que les autres. 148. Par ailleurs, on dit que la chance en est une véritable, quand c'est un bien qui arrive, et qu'il s'agit de malchance, quand c'est un mal. (36) 149. On ajoutera que l'on est chanceux ou malchanceux (37), quand il y a de la grandeur à ce qui nous échoit. C'est pourquoi, quand il s'en faut de peu qu'on ait éprouvé un grand mal ou un grand bien, on est encore qualifié de chanceux ou de malchanceux, parce que la pensée les exprime comme s'ils avaient existé, le peu s'en faut passant pour un écart nul. 150. C'est encore avec raison qu'on dit le chanceux en situation peu sûre, car la chance n'est pas sûre; en effet, rien de ce qui dépend de la chance n'est de nature à être toujours ou le plus souvent. 151. Comme on l'a dit, les deux sont des causes par accident, tant la chance que le hasard, pour des faits susceptibles de ne se produire ni absolument, ni le plus souvent, et en outre susceptibles de se produire en vue d'autre chose.

Leçon 9

#217. — Une fois établie la définition de la chance, Aristote, à partir de la définition en question, donne la raison des opinions qu'on formule sur la chance. En premier, de celles énoncées par les philosophes anciens; en second (197a18), de celles formulées par les gens du commun. Il a présenté plus haut (#199) trois opinions sur la chance et le hasard, dont il a réprouvé celle du milieu comme tout à fait fausse, à savoir, celle qui prétendait que la chance est la cause du ciel et de tout ce qu'il y a dans le monde. Aussi, faisant abstraction de cette opinion intermédiaire, il indique, en premier, quelle vérité comporte la troisième opinion, celle qui soutenait que la chance ne se laisse pas connaître et, en second (197a10), quelle vérité comporte la première opinion, qui soutenait que rien ne se produit par chance. Or on a dit plus haut que les causes par accident sont infinies en nombre; on a dit aussi que la chance est une cause par accident; aussi conclut-il de ce qui a été dit que ce qui dépend de la chance a des causes infinies en nombre. Comme l'infini, en tant qu'il est infini, ne se connaît pas, il s'ensuit que la chance ne se laisse pas connaître.

#218. — Ensuite (197a10), il montre quelle vérité comporte la première opinion. Il admet que d'une certaine manière il est vrai de dire que rien ne se produit par chance. Tout cela que d'autres ont dit sur la chance se dit correctement, d'une certaine manière, car cela se fonde sur quelque raison. En effet, du fait que la chance soit une cause par accident, il s'ensuit que se produise par chance quelque chose par accident; or ce qui est par accident n'est pas absolument; ainsi s'ensuit-il qu'absolument la chance ne soit cause de rien. Ce qu'il a dit de l'une et l'autre opinions, il le manifeste avec des exemples. Le constructeur, dit-il, est par soi la cause de la maison, et absolument, mais le joueur de flûte en est la cause par accident (38). Pareillement, qu'on aille quelque part non pas en vue de recouvrer de l'argent est cause par accident de pareil recouvrement. Mais cette cause par accident est infinie, car c'est pour une infinité d'autres causes qu'on peut aller à cet endroit; par exemple, pour visiter quelqu'un, ou à la poursuite d'un ennemi, ou pour fuir un poursuivant, ou pour voir un spectacle. Or toutes ces causes et n'importe quelles semblables sont la cause du recouvrement de l'argent qui se fait par chance.

#219. — Ensuite (197a18), il donne la raison des opinions formulées sur la chance par le commun. En premier, il donne la raison de ce qu'on dit de la chance, qu'elle est dépourvue de raison; en second (197a25), de ce qu'on dit, que la chance est bonne ou mauvaise. Sur le premier point, il en développe deux autres: en premier, il montre son propos; en second (197a21), il soulève une difficulté.

#220. — Il dit donc, en premier, qu'on dit correctement de la chance qu'elle est dépourvue de raison, car nous ne pouvons raisonner que sur ce qui est toujours ou souvent de la même façon; or la chance est en dehors des deux. Aussi, comme pareilles causes, qui se tiennent dans les exceptions, sont par accident et infinies et sans raison, il s'ensuit qu'à la chance il y a des causes infinies et sans raison; en effet, toute cause par soi produit son effet soit toujours, soit le plus souvent.

#221. — Ensuite (197a21), il soulève une difficulté; bien que, dit-il, on affirme que la chance est une cause par accident, cela fera défaut en quelques occasions, c'est-à-dire on en doutera. Il y a difficulté à savoir si tout ce à quoi il arrive d'être cause par accident doive se dire cause de ce qui se fait par chance. Par exemple, il appert que la cause de la santé peut par soi être soit la nature ou l'art de la médecine; mais on peut donner comme ses causes par accident tout ce dont l'existence accompagne la production de la santé; par exemple, l'esprit (39), c'est-à-dire le souffle du vent, et la grande chaleur, et la coupe de cheveux; est-ce donc que n'importe laquelle de ces circonstances compte comme cause par accident? Par contre, nous avons dit, plus haut, qu'on appelle surtout chance la cause par accident du côté de l'effet, à savoir, dans la mesure où on dit quelque chose cause aussi de ce qui se rattache accidentellement à son effet. Aussi, il est manifeste qu'une cause fortuite fait quelque chose à un effet fortuit, bien que ce ne soit pas lui qu'elle vise, mais autre chose de rattaché à cet effet. Sous ce rapport, le vent ou la grande chaleur peuvent se dire des causes fortuites de la santé, en tant qu'ils produisent une altération dans le corps, à laquelle s'ensuit la santé; mais la coupe de cheveux, ou autre chose de la sorte, ne fait manifestement rien à la santé. Cependant, parmi les causes par accident, certaines sont plus proches, et d'autres plus éloignées. Plus elles sont éloignées, moins elles semblent être des causes.

#222. — Ensuite (197a25), il rend compte pourquoi on dit, qu'il y a tantôt véritable chance et tantôt malchance (40). En premier, il rend compte pourquoi absolument on dit qu'il y a tantôt véritable chance et tantôt malchance. Il dit qu'on parle de chance véritable quand c'est un bien qui arrive; et de malchance, quand c'est un mal.

#223. — En second (197a26), il rend compte du chanceux et du malchanceux (41). Le chanceux et le malchanceux, dit-il, c'est quand on reçoit un bien ou mal qui comporte grandeur; car on appelle chanceux celui à qui échoit un grand bien et malchanceux celui à qui échoit un grand mal. Et comme être privé d'un bien est conçu comme un mal et être privé d'un mal est conçu comme un bien, quand on s'approche d'un grand bien, on est dit malchanceux si on le manque, tandis que si on est proche d'un grand mal, et qu'on s'en trouve libéré, on est dit chanceux. La raison en est que l'intelligence prend ce qui est proche comme s'il était déjà là et qu'on l'avait déjà.

#224. — En troisième (197a30), il rend compte de ce que le chanceux est en situation peu sûre. C'est, dit-il, que la situation du chanceux est de l'ordre de la chance, et que la chance est peu sûre, du fait de compter parmi les choses qui ne se produisent ni toujours ni le plus souvent, comme on a dit. Aussi s'ensuit-il que le chanceux soit en situation peu sûre.

#225. — En dernier (197b32), il conclut, à la manière d'une récapitulation, que l'un et l'autre, à savoir, le hasard et la chance, sont des causes par accident, que l'un et l'autre appartiennent à ce qui n'arrive pas absolument, c'est-à-dire ni toujours ni le plus souvent, et que l'un et l'autre appartiennent à ce qui se fait en vue d'autre chose, comme il appert de ce qu'on a dit.

Chapitre 6

(197a36-198a13) Mais ils diffèrent en ce que le hasard a plus d'extension; en effet, tout effet de fortune est de hasard, mais tout fait de hasard n'est pas de fortune. En effet, il y a fortune et effets de fortune, pour tout ce à quoi peut s'attribuer l'heureuse fortune et en général l'activité pratique. Aussi est-ce nécessairement dans les objets de l'activité pratique qu'il y a de la fortune. Une preuve en est qu'on regarde comme identique au bonheur, ou presque, la bonne fortune; or, le bonheur est une certaine activité pratique, puisque c'est une activité pratique réussie. Par suite, les êtres qui ne peuvent agir pratiquement ne peuvent, non plus, produire aucun effet de fortune. D'où résulte qu'aucun être inanimé, aucune bête, aucun enfant n'est l'agent d'effets de fortune, parce qu'il n'a pas la faculté de choisir; ils ne sont pas non plus susceptibles d'heureuse fortune ni d'infortune, si ce n'est par métaphore; ainsi Protarque disait que les pierres dont on fait les autels jouissaient d'une heureuse fortune parce qu'on les honore, tandis que leurs compagnes sont foulées au pied. En revanche, ces choses elles-mêmes peuvent, en quelque façon, pâtir par effet de fortune quand celui qui exerce sur elles son activité pratique agit par effet de fortune; autrement, ce n'est pas possible. Quant au hasard, il appartient aux animaux et à beaucoup d'êtres inanimés: ainsi, on dit que la venue du cheval est un hasard, quand par cette venue il a trouvé le salut, sans que le salut ait été en vue. Autre exemple: la chute du trépied est un hasard, si après sa chute il est debout pour servir de siège, sans qu'il soit tombé pour servir de siège. Par suite, on le voit, dans le domaine des choses qui ont lieu absolument en vue de quelque fin, quand des choses ont lieu sans avoir en vue le résultat et en ayant leur cause finale hors de lui, alors nous parlons d'effets de hasard; et d'effets de fortune, pour tous ceux des effets de hasard qui, appartenant au genre des choses susceptibles d'être choisies, atteignent les êtres capables de choix. Indice: nous parlons d'une cause vaine, lorsque ce qui est produit, ce n'est pas la fin visée par la cause, mais ce qu'aurait produit une autre cause, existant en vue de la fin qui a été réellement produite. Par exemple, on se promène en vue d'obtenir une évacuation; si, après la promenade, elle ne se produit pas, nous disons qu'on s'est promené en vain, et que la promenade a été vaine; on entend ainsi par vain ce qui, étant de sa nature en vue d'une autre chose, ne produit pas cette chose en vue de laquelle il existait par nature; car, si l'on disait que l'on s'est baigné en vain, sur ce prétexte que le soleil ne s'est pas ensuite éclipsé, on serait ridicule, cela n'étant pas en vue de ceci. Ainsi, le hasard, pour s'en rapporter à son nom même, existe quand la cause se produit par elle-même en vain. En effet, la chute d'une pierre n'a pas lieu en vue de frapper quelqu'un; donc, la pierre est tombée par effet de hasard, car autrement elle serait tombée du fait de quelqu'un et pour frapper. C'est surtout dans les générations naturelles que se distinguent faits de fortune et de hasard; car d'une génération contraire à la nature, nous ne disons pas qu'elle est effet de fortune, mais plutôt de hasard. Mais c'est encore autre chose, car la cause finale d'un effet de hasard est hors de cet effet, celle d'une telle génération est interne. On vient de dire ce qu'est le hasard, et la fortune, et leur différence. Comme modalités de causes, l'un et l'autre sont dans ce d'où vient le commencement du mouvement; toujours, en effet, ils sont une sorte de cause naturelle ou de cause par la pensée, mais le nombre de ces sortes de causes est infini. Mais, puisque le hasard et la fortune sont causes des faits dont l'intelligence ou la nature pourraient être causes, quand de tels faits ont une cause par accident, puisque d'autre part rien d'accidentel n'est antérieur au par soi, il est évident que la cause par accident n'est pas davantage antérieure à la cause par soi. Le hasard et la fortune sont donc postérieurs à l'intelligence et à la nature; par suite, si le 22 hasard est, ce qui serait le comble, cause du ciel, il faudra que, antérieurement, l'intelligence et la nature soient causes et de beaucoup d'autres choses et de cet univers. (Traduction Carteron)

Chapitre 7

(197b14-198a22) Qu'il y ait des causes et que le nombre en soit tel que nous le disons, c'est ce qui est évident: car c'est ce nombre qu'embrasse le pourquoi. En effet, le pourquoi se ramène, en fin de compte, soit à l'essence (à propos des choses immobiles, comme en mathématiques; en effet, il se ramène en fin de compte à la définition du droit, du commensurable, etc.), soit au moteur prochain (par exemple, pourquoi ont-ils fait la guerre? parce qu'on les a pillés); soit à la cause finale (par exemple, pour dominer), soit, pour les choses qui sont engendrées, à la matière. Voilà donc, manifestement, quelles sont les causes et quel est leur nombre. (Traduction Carteron)

Leçon 10

#226. — Auparavant, le Philosophe a traité de la chance et du hasard quant à ce en quoi ils se ressemblent; ici, il montre la différence qu'il y a entre eux. Cela se divise en deux parties: dans la première, il montre la différence entre la chance et le hasard; dans la seconde (197b32), il montre en quoi consiste surtout cette différence. La première partie se divise en deux autres: dans la première, il montre la différence qu'il y a entre le hasard et la chance; dans la seconde (197b18), il récapitule ce qui a été dit de l'une et de l'autre.

#227. — Sur le premier point, il en développe deux autres: en premier, il présente la différence qu'il y a entre hasard et chance: ils diffèrent, dit-il, en cela que le hasard a plus d'extension que la chance, car tout ce qui arrive par chance arrive par hasard, mais cela ne se convertit pas.

#228. — En second (197b1), il manifeste la différence donnée. En premier, il montre en quels cas il y a de la chance; en second (197b13), qu'il y a du hasard en plus de cas. Sur le premier point, il en développe deux autres: en premier, il montre en quels cas il y a de la chance; en second (197b6), il conclut en quels cas il n'y en pas.

#229. — Chance et fait dû à la chance, dit-il donc en premier, cela concerne ce pour quoi on dit que quelque chose peut se passer bien; car où il y a chance, il peut y avoir chanceux et malchanceux. Or on dit que quelque chose se passe bien pour celui à qui il revient d'agir. Et il revient proprement d'agir à qui a maîtrise sur son acte; car qui n'a pas maîtrise sur son acte est plutôt agi qu'il n'agit; aussi un acte n'est-il pas au pouvoir de qui est agi, mais plutôt de qui agit par lui-même. Comme aussi la vie pratique, ou active, appartient à qui a maîtrise sur son acte — c'est chez lui, en effet, qu'on trouve action en conformité à la vertu ou au vice —, la chance, nécessairement, concerne la vie pratique. Aristote en apporte comme signe que la chance semble bien être la même chose que le bonheur ou lui être proche; même qu'on appelle communément les gens heureux des chanceux. En effet, pour ceux qui pensent que le bonheur consiste dans les biens extérieurs, le bonheur est la même chose que la chance; mais pour ceux qui admettent au moins que les biens extérieurs, où surtout s'exerce la chance, servent d'instruments au bonheur, être chanceux c'est bien proche d'être heureux, car cela y contribue beaucoup. Aussi, comme le bonheur est une activité — c'est en effet une eupraxie, c'est-à-dire une activité bonne, à savoir, celle d'une vertu parfaite, comme il est dit, Éthique à Nicomaque, I, 8 —, il s'ensuit que la chance s'exerce chez ceux à qui il est possible de bien agir ou d'en être empêché. C'est cela bien se passer ou mal se passer. Comme, donc, on est maître de son acte en tant qu'on agit volontairement, il s'ensuit qu'il est possible qu'une chose ait lieu par chance seulement chez qui agit volontairement, et non chez les autres.

#230. — Ensuite (197b6), il conclut, à partir de ce qui précède, en quoi n'a pas lieu la chance. Du fait que la chance ne se produit que chez qui agit volontairement, dit-il, il s'ensuit que n'agissent par chance ni l'inanimé ni l'enfant ni les bêtes, puisqu'ils n'agissent pas volontairement, en tant que dotés du libre arbitre — qu'il appelle ici dessein. Aussi n'est-il pas question, pour eux, de chanceux ou de malchanceux, sauf par comparaison; par exemple, quelqu'un a dit que les pierres desquelles sont faites les autels sont chanceuses, car on leur montre honneur et révérence, alors que leurs semblables sont foulées aux pieds. Ce qu'on dit par cmparaison avec les hommes, chez qui ceux qui sont honorés paraissent chanceux, tandis que ceux qui sont foulés aux pieds sont dits malchanceux. Cependant, même s'il n'est pas possible à ceux qu'on vient d'énumérer d'agir par chance, rien ne les empêche de subir par chance, lorsqu'un agent volontaire agit à leur endroit; par exemple, nous disons qu'il y a chance quand on trouve un trésor, ou malchance quand on est frappé par une pierre qui tombe.

#231. — Ensuite (197b13), il montre qu'il y a aussi hasard ailleurs. À ce propos, il développe trois points: en premier, il montre qu'il y a aussi hasard ailleurs; en second (197b18), il conclut une conclusion à partir de ce qui a été dit; en troisième (198b22), il apporte un signe pour manifester cela.

#232. — Le hasard, dit-il donc en premier, n'a pas lieu seulement chez les hommes, qui agissent volontairement, mais aussi chez les autres animaux, et même dans les choses inanimées. Il présente un exemple chez les autres animaux: on dit qu'un cheval est venu par hasard, quand il a obtenu son salut en venant, même s'il ne venait pas en vue de son salut. Il présente un autre exemple, dans les choses inanimées: nous disons en effet qu'un trépied est tombé par hasard, du fait qu'il se trouve par hasard debout disposé pour qu'on s'y assoie, même s'il n'était pas tombé pour cette raison, de se trouver disposé à ce qu'on s'y assoie.

#233. — Ensuite (197b18), il conclut, à partir de ce qui a été dit, que c'est à propos de choses qui se produisent absolument en vue d'autre chose que nous disons qu'une chose arrive par hasard, quand les choses ne se produisaient pas en vue de ce qui arrive, mais en vue d'autre chose qui lui est extérieur. Mais, du nombre de ces choses qui arrivent par hasard, nous disons qu'arrivent par chance celles qui arrivent à qui a dessein.

#234. — Ensuite (197b22), il manifeste ce qu'il a établi en conclusion, à savoir, que le hasard arrive aux choses qui sont en vue d'autre chose. Il en tire un signe de ce que l'on dit vain (42), nom qui, en grec, est proche de celui de hasard (43). Or on dit que quelque chose est vain, quand cela est en vue d'autre chose et que ne se produit pas sa cause, c'est-à-dire quand ne s'ensuit pas de cela ce en vue de quoi il est fait. Par exemple, si on marche pour accélérer son transit intestinal, si cela ne nous arrive pas, on dit qu'on a marché pour rien (44) et que notre marche a été vaine. Comme si cela était pour rien ou vain, qui est de nature à être fait en vue d'autre chose, lorsque ne se complète pas ce en vue de quoi il est de nature à être fait. Pourquoi il dit en vue de quoi il est de nature à être fait, il l'explique, en ajoutant que si on disait s'être baigné pour rien du fait qu'après s'être baigné le soleil ne s'est pas couché, on dirait quelque chose de ridicule; car le fait de se baigner n'était pas de nature à se faire en vue de ce que le soleil se couche. Aussi, le hasard, qui, en grec, se nomme automaton, c'est-à-dire par soi pour rien, arrive à des choses qui sont en vue d'autre chose, tout comme ce qui est pour rien ou vain; car par soi pour rien signifie par son nom cela même qui est pour rien, comme homme par soi signifie cela même qui est homme et bien par soi cela même qui est un bien. Il exemplifie en ce qui a trait à ce qui se produit par hasard: par exemple, si on raconte qu'une pierre a frappé quelqu'un en tombant; elle n'est cepenant pas tombé en vue de le frapper. Sa chute est donc due à ce qui est par soi vain ou par soi pour rien, car elle n'était pas de nature à tomber pour cela; bien que (45) parfois une pierre tombe lancée par quelqu'un en vue de frapper. Hasard et vain s'accordent en ce que l'un et l'autre relèvent de ce qui est en vue d'autre chose, mais ils diffèrent en ce qu'on dit une chose vaine du fait qu'elle n'obtienne pas ce qu'elle visait, tandis qu'on la dit un hasard du fait ce qu'elle obtienne autre chose, qu'elle ne visait pas. Aussi a-t-on parfois du vain et du hasard simultanément, par exemple, lorsque ne se produit pas ce qu'on visait, mais que se produise autre chose; mais on a parfois du hasard et non du vain, lorsque se produit à la fois ce qu'on visait et autre chose; enfin, on a parfois du vain mais non du hasard, quand ne se produit ni ce qu'on visait ni autre chose.

#235. — Ensuite (197b32), il montre où la différence est la plus grande entre le hasard et la chance. La différence est la plus grande, dit-il, en ce qui se produit par nature; car là a lieu du hasard, mais non de la chance. En effet, lorsque quelque chose se produit qui fasse exception à la nature, dans les opérations de la nature, par exemple lorsqu'on naît avec un sicième doigt, alors nous ne disons pas que cela est dû à la chance ou à la malchance, mais que ce l'est plutôt à ce qui est par soi pour rien, c'est-à-dire au hasard. Ainsi, nous puvons saisir une autre différence entre le hasard et la chance: pour ce qui est dû au hasard, la cause est intrinsèque, comme pour ce qui est dû à la nature, tandis que pour ce qui est dû à la chance, la cause est extrinsèque, comme pour ce qui se fait à dessein. En dernier, il conclut que voilà dit ce que c'est d'être par soi pour rien, c'est-à-dire, le hasard, et ce qu'est la chance, et comment ils diffèrent entre eux.

#236. — Ensuite (198a2), il montre à quel genre de cause on réduit le hasard et la chance: en premier, il montre son propos; en second (198a5), il réfute à partir de là une opinion présentée plus haut. Tant le hasard que la chance, dit-il donc en premier, se réduisent au genre de la cause motrice. En effet, le hasard et la chance sont causes soit de ce qui est dû à la nature, soit de ce qui est dû à l'intelligence, comme il appert de ce qu'on a dit. Aussi, comme la nature et l'intelligence sont causes comme ce d'où vient le principe du mouvement, la chance et le hasard aussi se réduisent au même genre. Cependant, comme le hasard et la chance sont des causes par accident, leur nombre est indéterminé, comme on l'a dit plus haut.

#237. — Ensuite (198a5), il exclut l'opinion de ceux qui ont prétendu que la chance ou le hasard est la cause du ciel et de toutes les choses du monde. Le hasard et la chance, dit-il, sont des causes par accident de celles dont l'intelligence et la nature sont des causes par soi; or une cause par accident n'est pas antérieure à celle qui est par soi, comme rien par accident n'est antérieur à ce qui est par soi; il s'ensuit que le hasard et la chance soient des causes postérieures à l'intelligence et à la nature. Aussi, si on prétend que le hasard soit la cause du ciel, comme certains l'ont prétendu, ainsi qu'on l'a dit plus haut, il s'ensuivra que l'intelligence et la nature seront auparavant la cause d'autres choses, et par après de tout l'univers. En outre, la cause de tout l'univers est manifestement antérieure à la cause d'une partie de l'univers, étant donné que toute part de l'univers est ordonnée à la perfection de l'univers. Il semble absurde qu'une autre cause soit antérieure à celle qui est la cause du ciel; aussi il est absurde que le hasard soit la cause du ciel.

#238. — D'ailleurs, on doit tenir compte que si ce qui arrive fortuitement ou par hasard, c'est-à-dire en dehors de l'intention de causes inférieures, se réduit à une cause supérieure qui l'ordonne, en rapport à celle cause-là, il ne peut se dire fortuit ou par hasard. Aussi ne peut-on attribuer à cette cause supérieure d'être de la chance.

#239. — Ensuite (198a14), il montre que les causes ne sont pas plus nombreuses que celles que l'on a énumérées. Il le manifeste comme suit. Quand on demande pourquoi, on s'enquiert de la cause; pourtant, à la question pourquoi on ne répondra que par l'une des causes énumérées; il n'y a donc pas plus de causes que celles que l'on a énumérées. C'est ce qu'il dit, qu'à la question pourquoi, il y a autant de réponses qu'on a énuméré de causes. Parfois, en effet, le pourquoi se réduit ultimement à ce qu'est la chose, c'est-à-dire à sa définition, comme il appert en tous les êtres immobiles, comme le sont les êtres mathématiques. Là, le pourquoi se réduit à la définition du droit ou du commensurable ou d'autre chose qu'on démontre en mathématiques. En effet, étant donné que la définition de l'angle droit est celui constitué par une ligne tombant sur une autre de manière à former deux angles égaux, si on demande pourquoi tel angle est droit, on répondra que c'est parce qu'il est constitué par une ligne de façon à former deux angles égaux de part et d'autre; et ainsi de suite. Parfois, le pourquoi se réduit au premier moteur; par exemple, pourquoi telles personnes ont-elles engagé un combat? parce qu'on les enragées. Voilà en effet ce qui les a incitées au combat. Parfois encore, il se réduit à la cause finale; par exemple, si nous demandons en vue de quoi telles personnes se battent, on répondra pour s'assurer la domination. Parfois enfin, il se réduit à la cause matérielle; par exemple, si on demande pourquoi tel corps est corruptible, on dépondra: parce qu'il est composé de contraires. Ainsi donc, il appert que voilà les causes, et qu'il y en a tant.

#240. — Nécessairement, il y a quatre causes. Une cause, c'est ce à quoi s'ensuit l'être d'autre chose; or l'être de ce qui a cause peut se regarder de deux manières. D'une manière: absolument; alors, la cause de son être est la forme par laquelle la chose est en acte. De l'autre manière, selon qu'il passe d'un être en puissance à un être en acte. Comme, par ailleurs, tout ce qui est en puissance se trouve réduit à l'acte par ce qui est déjà en acte, nécessairement, il faut deux autres causes, à savoir, une matière, et un agent qui réduise cette matière de la puissance à l'acte. Or l'action d'un agent tend à quelque chose de déterminé, de même qu'il procède d'un principe déterminé. En effet, tout agent agit ce qui lui convient; or ce à quoi tend l'action de l'agent s'appelle la cause finale. Ainsi donc, nécessairement, il y a quatre causes. Comme, néanmoins, la forme est la cause de l'être, absolument, et que les trois autres sont des caues de l'être pour autant qu'une chose reçoit l'être; il s'ensuit que chez les êtres immobiles on ne regarde pas les trois autres causes, mais seulement la cause formelle.

(198a22-b9) Puis donc qu'il y a quatre causes, il appartient au naturaliste de connaître de toutes et, pour indiquer le pourquoi en naturaliste, il le ramènera à elles toutes: la matière, la forme, le moteur, la cause finale. Il est vrai que trois d'entre elles se réduisent à une en beaucoup de cas: car l'essence et la cause finale ne font qu'un; alors que l'origine prochaine du mouvement est identique spécifiquement à celles-ci; car c'est un homme qui engendre un homme; et d'une manière générale, il en est ainsi pour tous les moteurs mus; quant à ceux qui ne sont pas mus, ils ne relèvent plus de la physique, car s'ils meuvent, ce n'est pas pour avoir en soi mouvement ni principe du mouvement, c'est en étant immobiles. Par suite, trois ordres de recherche: l'une sur les choses immobiles, l'autre sur les choses mues et incorruptibles, l'autre sur les choses corruptibles. Aussi le naturaliste a-t-il indiqué le pourquoi quand il l'a ramené à la matière, à l'essence, au moteur prochain. Et, en effet, pour la génération, c'est surtout ainsi que l'on cherche les causes; on se demande quelle chose vient après quelle autre, quel est l'agent et quel est le patient prochains, et toujours ainsi en suivant. Mais les principes qui meuvent d'une façon naturelle sont doubles, et l'un n'est pas naturel; car il n'a pas en soi un principe de mouvement. Tels sont les moteurs non mus, comme le moteur absolument immobile et le premier de tous, et l'essence et la forme; car ce sont là, fins, et choses qu'on a en vue; par suite, puisque la nature est en vue de quelque fin, il faut que le naturaliste connaisse une telle cause. C'est donc de toutes les façons qu'il doit indiquer la cause: par exemple, il dira que de telle cause efficiente nécessairement vient telle chose, soit absolument soit la plupart du temps; que, pour que telle chose arrive, il faut une matière, comme des prémisses la conclusion; que telle était la quiddité, et pourquoi cela est mieux ainsi, non pas absolument, mais relativement à la substance de chaque chose. (Traduction Carteron)

Leçon 11

#241. — Auparavant, le Philosophe a traité des causes; ici, il montre que le naturaliste démontre à partir de toutes les causes. À ce propos, il développe deux points: en premier, il dit sur quoi porte son intention; en second (198a24), il exécute son propos. Comme il y a quatre causes, dit-il donc en 26 premier, ainsi qu'on l'a dit plus haut, il appartient au naturaliste de les connaître toutes, et de démontrer naturellement par toutes, en réduisant la question pourquoi à n'importe laquelle des quatre causes énumérées, à savoir, la forme, le moteur, la fin et la matière. Ensuite (198a24), il exécute son propos. Sur ce point, il en développe deux autres: en premier, il présente d'abord des distinctions nécessaires en vue de montrer son propos; en second (198a31), il prouve son propos. Pour le premier point, il présente deux distinctions nécessaires en vue de sa preuve subséquente: le premier en concerne la relation des causes entre elles; le second (198a27) concerne la considération de la philosophie naturelle.

#242. — Il se peut de bien des façons, dit-il donc en premier, que trois causes se ramènent à une seule, de façon que la cause formelle et la finale n'en fassent qu'une seule numériquement. Cela, on doit le comprendre de la cause finale de la génération, mais non de la cause finale de la chose engendrée. En effet, la fin de la génération d'un homme est la forme humaine; cependant, la fin d'un homme n'est pas sa forme, mais il lui convient d'agir par le moyen de sa forme en vue de sa fin. Or la cause motrice est la même que l'une et l'autre de ces deux-là, spécifiquement. Et cela, principalement dans les agents univoques, dans lesquels l'agent produit un semblable à lui, spécifiquement; par exemple, un homme engendre un homme. Chez eux, en effet, la forme de ce qui engendre, qui est le principe de la génération, est la même spécifiquement que la forme de ce qui est engendré, qui est la fin de la génération. Cependant, chez les agents non univoques, la raison est différente: chez eux, en effet, ce qui est produit ne peut arriver à ce qu'il obtienne la forme de celui qui l'engendre selon la même notion spécifique; mais il participe d'une ressemblance de lui suivant ce qu'il peut, comme il appert dans ce qui est engendré par le soleil. L'agent n'est donc pas toujours le même spécifiquement que la forme, qui est la fin de la génération; ni non plus toute fin est forme; et c'est pour cela qu'il a précisé à propos de bien des façons. La matière, par contre, n'est pas la même chose ni spécifiquement ni numériquement que les autres causes; c'est que la matière, en tant que telle, est un être en puissance, tandis que l'agent est un être en acte en tant que tel, et que la forme ou la fin est l'acte ou la perfection.

#243. — Ensuite (198a27), il présente sa seconde distinction, qui porte sur le sujet de la considération naturelle. Tout ce qui meut qui est tel qu'il est mû lui aussi appartient à la considération du naturaliste; par contre, ce qui meut mais n'est pas mû ne relève pas de la considération de la philosophie naturelle, à qui il appartient de regarder les choses naturelles, qui ont en elle le principe de leur mouvement. Or pareils moteurs non mus ne détiennent pas en eux le principe de leur mouvement, puisqu'ils ne sont pas mus, mais sont immobiles; et ainsi, ils ne sont pas naturels, et par conséquent ne relèvent pas de la considération de la philosophie naturelle. De là il appert qu'il y a trois préoccupations, c'est-à-dire trois études et intentions de la philosophie, selon les trois genres d'êtres que l'on rencontre. Car il y a des choses immobiles, et à leur sujet il y a une étude de la philosophie; puis il y a une aure étude portant sur ce qui est mobile mais incorruptible, comme le sont les corps célestes; enfin, sa troisième étude porte sur ce qui est mobile et corruptible, comme le sont les corps inférieurs. La première préoccupation, certes, appartient à la métaphysique, tandis que les deux autres appartiennent à la science naturelle, à qui i revient de traiter de tous les êtres mobiles, tant des corruptibles que des incorruptibles. Aussi ils ont mal compris ceux qui ont voulu réduire ces trois préoccupations aux trois parties de la philosophie, à savoir, à la mathématique, à la métaphysique et à la physique. Car l'astronomie, qui, manifestement, porte sur les êtres mobiles incorruptibles, est davantage naturelle que mathématique, comme on l'a dit plus haut (#214); pour autant, en effet, qu'elle applique les principes mathématiques à une matière naturelle, c'est aux êtres mobiles qu'elle a regard. Cette division, plutôt, se conforme à la diversité des choses qui existent en dehors de l'âme, laquelle diversité ne se prend pas selon la division des sciences.

#244. — Ensuite (198a31), il montre son propos. Sur ce point, il en développe deux autres: en premier, il montre qu'il appartient au naturaliste de regarder à toutes les causes et de démontrer par elles, deux choses qu'il proposait plus haut; en second (198b10), il prouve certaines choses qu'il suppose dans la présente preuve. Sur le premier point, il en développe deux autres: en premier, il montre que le naturaliste regarde à toutes les causes; en second (198b5), il montre qu'il démontre par toutes les 27 causes. Sur le premier point, il en développe deux autres: en premier, il montre que le naturaliste regarde à la matière et à la forme et au moteur; en second (198b3), il montre qu'il regarde à la fin. Sur le premier point, il en développe deux autres: en premier, il présente son intention; en second (198a33), il la prouve. Il conclut donc d'abord, partant de ce qui précède, que le naturaliste fournit le pourquoi à la fois en réduisant à la matière, en réduisant à ce que c'est, c'est-à-dire, à la forme, et en réduisant au premier moteur.

#245. — Ensuite (198a33), il prouve son propos comme suit. On a dit que le naturaliste regarde à ce qui se meut, s'engendre et se corrompt. Donc, tout ce qu'il y a à considérer sur la génération, il faut que ce soit considéré par le naturaliste. Or, concernant la génération, il faut regarder à la forme, à la matière et au moteur. En effet, qui veut, concernant la génération, regarder à ses causes s'y prend comme suit: en premier, il regarde à ce que c'est qui est produit après autre chose; le feu, par exemple, se trouve produit après l'air, puisque c'est d'air que le feu est engendré — et en cela, il regarde à la forme, moyennant laquelle se trouve engendré ce qui est. On regarde, en outre, qu'est-ce qui a agi en premier, c'est-à-dire qui a mû à la génération — et cela, c'est le moteur. En outre, qu'est-ce qui a soutenu la génération — et cela, c'est le sujet et la matière. De plus, concernant la génération, on ne regarde pas seulement au premier moteur et au premier sujet, mais aussi à ce qui s'ensuit. De la sorte, il appert qu'il appartient au naturaliste de regarder à la forme, au moteur et à la matière. Cependant, pas n'importe quels moteurs. Il y a, en effet, des principes moteurs de deux types, à savoir: certains sont mus, d'autres non. Entre eux, ceux qui ne sont pas mus ne sont pas naturels, n'yant pas en eux-mêmes de principe de leur mouvement. Tel est le principe moteur qui est tout à fait immobile et premier entre tous, comme on le montrera au huitième livre.

#246. — Ensuite (198b3), il montre que le naturaliste regarde aussi à la fin. La forme et ce qu'est la chose, dit-il, appartiennent à la considération du naturaliste aussi en tant qu'il s'agit de la fin et de ce en vue de quoi se fait la génération. On a dit plus haut, en effet, que la forme et la fin coïncident dans la même chose; or comme la nature opère en vue d'autre chose, comme il sera prouvé plus loin, il appartient nécessairement au naturaliste de regarder à la forme non seulement en tant qu'elle est forme, mais aussi en tant qu'elle est fin. Si par contre la nature n'agissait pas en vue d'autre chose, le naturaliste regarderait à la forme en tant qu'elle est forme, mais non en tant qu'elle est fin.

#247. — Ensuite (198b5), il montre comment le naturaliste démontre par toutes les causes. En premier, comment il démontre par la matière et le moteur, qui sont des causes antérieures dans la génération; en second (198b7), il montre comment il démontre par la forme; en troisième (198b8), comment il démontre par la fin. Dans les choses naturelles, dit-il donc en premier, on doit rendre le pourquoi complètement, c'està- dire selon tout genre de causes: que, étant donné que cela a précédé, qu'il s'agisse de la matière ou du moteur, nécessairement cela sera en conséquence; que, si une chose est engendrée de contraires, nécessairement elle sera corrompue, et que si le soleil s'approche du pôle septentrional, nécessairement, les jours deviendront plus longs et le froid diminuera et la chaleur augmentera chez ceux qui habitent dans la partie septentrionale. On doit cependant tenir compte que d'une matière ou d'un moteur antérieur, autre chose ne s'ensuivra pas nécessairement; parfois, au contraire, autre chose s'ensuit absolument, c'est-à-dire toujours, comme en ce qui a été dit; mais parfois, seulement le plus souvent, comme que d'une semence humaine qui meut à la génération, le plus souvent s'ensuit que ce qui est engendré a deux yeux, ce qui néanmoins fait parfois défaut. Et pareillement, du fait que la matière soit disposé de telle manière dans un corps humain, il se trouve que de la fièvre soit engendrée, à cause de la putréfaction; mais parfois, cependant, cela se trouve empêché.

#248. — Ensuite (198b7), il montre comment on doit, dans les choses naturelles, démontrer par la cause formelle. Pour le comprendre, on doit savoir que, lorsque de causes antérieures dans la génération, à savoir, de la matière et du moteur, autre chose s'ensuit par nécessité, alors on peut en tirer une démonstration, comme il a été dit plus haut; mais non quand autre chose s'ensuit le plus souvent. Alors, on doit tirer la démonstration de ce qui vient après dans la génération, pour qu'une chose s'ensuive nécessairement de l'autre, comme des propositions de la démonstration suit sa conclusion. De sorte qu'en démontrant nous procédions comme suit: si telle chose doit se produire, telle et telle chose sont requises; par exemple, si c'est un homme qui doit être engendré, il doit nécessairement y avoir une semence humaine qui agisse dans la génération. Par contre, si nous procédons à l'inverse: ‘il y a une semence humaine qui agit dans la génération’, cela ne s'ensuit pas: ‘donc, un homme sera engendré’, à la manière dont une conclusion s'ensuit de propositions. Or ce qui doit être produit, c'est-à-dire à quoi se termine la génération, c'était, selon ce qu'on a dit plus haut, ce qu'allait être la chose, c'est-à-dire la forme. Aussi est-il manifeste que, lorsque nous démontrons selon ce mode, ‘si telle chose doit se produire’, nous démontrons par la cause formelle.

#249. — Ensuite (198b8), il montre comment le naturaliste démontre par la cause finale. Le naturaliste, dit-il, démontre aussi parfois qu'une chose est parce qu'il est plus digne qu'il en soit ainsi. Par exemple, s'il démontre que les dents antérieures soit aiguisées parce qu'il en va mieux ainsi pour couper la nourriture, et que la nature fait ce qui est mieux. Cependant, elle ne fait pas ce qui est le mieux absolument, mais ce qui est le mieux selon ce qui concerne la substance de chaque chose; autrement, elle donnerait à n'importe quel animal une âme rationnelle, car elle est meilleure qu'une âme irrationnelle.

1 φύσει. On traduit généralement par nature. Le problème, en français, c'est que cela jette automatiquement le lecteur dans un contresens. Aristote, en effet, s'apprête à définir la nature comme un principe interne à chaque chose qui en dépend, alors que chaque fois qu'on parle de la nature comme d'une cause, on est porté à se la représenter comme un mégapersonnage extérieur, qui englobe tous les êtres naturels, en quelque sorte. 
2 Quand Aristote ou Thomas d'Aquin parlent de la nature, ils renvoient sur un mode universel à la nature distincte présente en chaque chose naturelle; quand un lecteur français entend parler de la nature comme cause, il pense, sur un mode collectif, lui, à une grande puissance qu'il conçoit plutôt comme extérieure aux choses naturelles individuelles. Pour éviter ce contresens, je traduirai plus concrètement en renvoyant à une nature, pour chaque chose, à sa nature, plutôt qu'à la nature. 
2 ῾Η φύσις. L'article défini renvoie ici à l'universel, c'est-à-dire, à la notion abstraite de ce qu'ont en commun les natures individuelles présentes dans les êtres individuels particuliers, non à une supernature qui leur serait extérieure. Voir supra, note 1, pour la justification de la traduction une nature. ὡς δ'ἐστιν φύσις. La traduction plurielle se justifie de la même façon. Voir supra, notes 1 et 2. 2 
4 ᾿Ανάγκη τοῖς τοιούτοις περὶ τῶν ὀνομάτων εἶναι τὸν λόγον, νοεῖν δὲ μηδέν 
5 Il est difficile de décrire la différence entre la capacité — le principe passif — que détient la matière en vue de la forme dont la revêt un agent naturel et celle qui l'habilite à recevoir la forme imposée par un artisan. En la qualifiant de naturelle, Thomas d'Aquin donne plutôt l'impression de répéter ce qu'il s'agit de définir. Il faut entendre ici ce naturelle au sens différent de prochaine. Car c'est ce qui nous frappe tout de suite, que la capacité à la forme naturelle est déjà là, tandis que celle à la forme artificielle demande à être ajoutée, préparée, complétée, et que malgré cela même la réception de la forme artificielle demandera une espèce de violence — scier, clouer, par exemple — qu'on n'observe pas dans un mouvement naturel. 
6 Factiones. Il est difficile de parler de devenir, pour les artefacts. On lirait plus facilement production ; mais il s'agit de leur entrée dans l'existence, et on garde mieux le lien avec le contexte en traduisant avec un mot assez commun pour recouvrir aussi l'entrée en existence des choses naturelles. 
7 In eo quod fit. Même remarque. 
8 Vis insita rebus. 
9 Sanitatis, santé. Comme son correspondant grec ὑγιεία, sanitas a aussi le sens de guérison, qu'impose le présent contexte. C'est pourquoi on trouvera plutôt sanationis, dans les lignes qui suivent. 
10 Factionis. Le contexte prend plus d'extension, ici, et couvre tout changement dont est susceptible un artefact: sa production comme son usure, son déplacement, tout ce qui lui arrive, par art ou par accident. 
11 Quaedam eorum fiunt ab extrinseco. 
12 Talia sunt omnia subiecta naturae. Thomas d'Aquin commente ici ce que Moerbeke a traduit: Sunt haec omnia subiecta. Mais la lettre d'Aristote parlait de substance, non de sujet : ἐστι πάντα ταῦτα οὐσια. 
13 ῾Η μορφὴ καὶ τὸ εἶδος τὸ κατὰ τὸν λόγον. 
14 Τὸ εἶδος τῆς κλίνης. 
15 Oü chôristòn œn äll' « katà tòn lógon. 
16 Appel à l'étymologie. φύσις vient de φύομαι , naître, et a donc comme premier sens naissance, avant de signifier, par extension, le résultat de la naissance: la nature, c'est alors ce qui est né; puis, selon une autre extension encore, c'est l'essence, et spécialement la forme, de ce qui est né.
 17 ᾿Ιάτρευσις, de ἰατρική, médecine. Cas opposé d'une étymologie qui s'explique par l'extension du nom de l'agent, alors que celle de φύσις s'explique par l'extension du nom du résultat. 
18 Substantia, en traduction d'οὐσία. 
19 Fieri. 
20 Speciem. 
21 Allusion à l'étymologie de natura, qui provient de nasci, dont le participe futur a probablement déjà été naturus, avant d'être «remplacé par nasciturus, sans doute formé d'après moriturus » (Ernout-Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, 429). Le premier sens de natura a donc été naissance, avant de désigner ce à quoi il était donné naissance, reconnaissable plus à sa forme qu'à sa matière. 
22 Τοῦ εἴδους καὶ τοῦ τί ἦν εἶναι. Il est très difficile de rendre exactement τοῦ τί ἦν εἶναι en français. Il s'agit certes de l'essence, de ce qui fait être, de ce en quoi consiste l'être d'une chose, mais l'usage de l'imparfait y pointe comme à une fin, à quelque chose qu'on visait dès le début de la génération, ce qui allait être, ce qui était à être. 
23 ᾿Επιστήμη signifie science, mais le mot est ici employé avec assez d'extension pour recouvrir l'art, la science artificielle. 
24 Τοῦτο δ'ἐστὶν - λόγος - τοῦ τί ἦν εἶναιi. Double difficulté: 1º la façon très spéciale de désigner l'essence d'une chose, ce qui fait qu'elle est ce qu'elle est (voir supra, note 22); 2º le passage au contexte de la connaissance — λόγος — alors qu'on est à définir le sujet d'une relation réelle — αἴτιον. Aristote nomme souvent ainsi une réalité par le nom de la notion qu'on s'en forme; cette métonymie est légitime — d'autant plus qu'Aristote en est à enquêter sur les principes de la science naturelle, non plus les principes de l'être mobile, comme au livre I —, qui nomme l'objet par sa représentation, mais ne doit pas nous porter à confondre les contextes. 
25 ῾Ο βουλεύσας. On peut penser à tout le processus de délibération — délibération, discernement, décision —, mais, bien sûr, c'est principalement l'aspect de décision, de commandement qui fait figure d'agent face à l'exécution de l'action, ce que ne rend peut-être pas assez bien en français le mot conseiller, que suggère la traduction latine de consilians.   
26 ῎Εργα . Moerbeke traduit opera. 
27 ῾Η ὑλη τῶν σκευαστῶν. Dans cette énumération d'exemples concrets, il faut garder à ὑλη  son sens premier, et traduire σκ ευαστῶν, qui renvoie vaguement à quelque chose de fabriqué, par quelque objet fait en bois. Moerbeke, pour sa part, en a fait terra vasorum, qui s'écarte des mots d'Aristote, mais en conserve la fonction paradigmatique. 
28  Αἱ ὑποθέσεις, les prémisses, appelées hypothèses en ce qu'on doit les considérer comme établies, comme acceptées, pour fonder sur elles l'inférence de la conclusion. 
29 Τὸ τί ἦν εῖναι. Voir supra, notes 22 et 24. 
30 Ratio quidditativa rei. 
31 Multiplicitas, synonyme de nombre. 
32 Καὶ ἐν τοῖς παρὰ τὸ ἀναγκαῖον καὶ το ὡς ἐπὶ πολύ 
33 Τύχη et fortuna se prennent plus facilement de manière générale, abstraction faite de ce que leur effet soit bon ou mauvais; mais cela ferait étrange de parler de chance en exemplifiant avec un effet mauvais. Aussi vaut-il mieux de traduire pareils cas en associant chance et malchance, ou en optant carrément pour la malchance. 
34 Le troisième caractère cadre mal avec les deux autres, étant donné la remarque précédente (#213), où Thomas d'Aquin vient d'identifier ce qui se fait à dessein et ce qui se fait en vue d'autre chose à ce qui se produit toujours ou le plus souvent. C'est que, dans la traduction de Moerbeke, notre commentateur fait face à un contresens. Là où Aristote, après avoir distingué ce qui se fait par choix de ce qui ne se fait pas par choix, à l'intérieur de ce qui se fait en vue d'autre chose, dit: « Καὶ ἐν τοῖς παρὰ τὸ ἀναγκαῖον καὶ τὸ ὡς ἐπὶ πολύ, même dans les faits qui sortent du nécessaire et du plus fréquent», Moerbeke traduit: «In iis quae sunt secundum necessarium, et quae sicut frequenter, dans les faits du nécessaire et plus fréquents», ignorant complètement le pará qui pointe vers l'exception. C'est pour saint Thomas l'occasion d'associer le nécessaire et le fréquent avec le naturel et l'à dessein, mais cela le prive du moyen terme entre l'accidentel et l'à dessein. 
35 Ad villam. J'ai ajusté sur in foro, supra.
36 La Τύχη est assez générale pour faire abstraction de ce que son rapport à la volonté soit celui d'un bien d'un mal; aussi peut-elle se spécifier en bonne et mauvaise. La chance aussi, mais pas assez clairement pour qu'on soit bien à l'aise de parler de mauvaise chance ou d'exemplifier la chance avec l'événement d'un mal. D'où la façon de spécifier en parlant de vraie chance, du côté du bien, et, du côté du mal, de malchance. Voir, supra, note 33. 
37 Il n'y a pas, en français, de nom spécifique pour désigner la grande chance ou la grande malchance, en correspondance avec l'εὐτυχία  et la δυστυχία. Mais on réserve ordinairement les termes de chanceux et de malchanceux à ceux qu'elles caractérisent. 
38 Or, strictement comme joueur de flùte, il n'intervient en rien dans la construction de la maison.
39 Spiritus, comme πνεῦμα, qu'il traduit, chez Moerbeke, signifie un souffle, d'abord le souffle concret du vent, puis la manifestation de l'intelligence, conçue analogiquement comme un souffle. Mais le contexte, ici, est celui, concret, du vent, ce à côté de quoi le lecteur français pourrait passer, le mot esprit prêtant d'abord à penser au contexte intellectuel. 
40 Voir, supra, note 36. 41Voir, supra, note 37. 
42 Τὸ μάτην. 
43  Τὀ αὐτόματον. 
44 Frustra. 
45 Enim. Le contexte oblige à lire comme une concession plutôt que comme une justification.