Aristote : Morale à Eudème

ARISTOTE

 

MORALE A EUDEME

LIVRE SEPT : THEORIE DE L'AMITIE

CHAPITRE VII

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Morale à Eudème

 

 

 

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CHAPITRE VII

De la concorde et de la bienveillance. — Rapports et différences de la bienveillance et de l'amitié. — La bienveillance n'agit pas. — Rapports et différences de la concorde et de l'amitié. — La concorde est le véritable lien des États, en unissant les citoyens entr'eux.

[1241a] 1 Οἰκεῖον δὲ τῇ σκέψει θεωρῆσαι καὶ περὶ ὁμονοίας καὶ εὐνοίας. Δοκεῖ γὰρ τοῖς μὲν εἶναι ταὐτά, τοῖς δ´ οὐκ ἄνευ ἀλλήλων. στι δ´ ἡ εὔνοια τῆς φιλίας οὔτε πάμπαν ἕτερον οὔτε ταὐτόν. 2 Διῃρημένης γὰρ τῆς φιλίας κατὰ τρεῖς τρόπους, οὔτ´ ἐν τῇ χρησίμῃ οὔτ´ ἐν τῇ καθ´ ἡδονὴν ἐστίν. Εἴτε γὰρ ὅτι χρήσιμον, βούλεται αὐτῷ τἀγαθά, οὐ δι´ ἐκεῖνον ἀλλὰ δι´ αὑτὸν βούλοιτ´ ἄν, δοκεῖ δὲ ὥσπερ ** καὶ ἡ εὔνοια οὐκ αὐτοῦ εὔνοια τοῦ εὐνοϊζομένου εἶναι, ἀλλὰ τοῦ ᾧ εὐνοεῖ· εἰ δὴ ἦν ἐν τῇ τοῦ ἡδέος φιλίᾳ, κἂν τοῖς ἀψύχοις εὐνόουν. στε δῆλον ὅτι περὶ τὴν ἠθικὴν φιλίαν ἡ εὔνοια ἐστίν. 3 λλὰ τοῦ μὲν εὐνοοῦντος βούλεσθαι μόνον ἐστί, τοῦ δὲ φίλου καὶ πράττειν ἃ βούλεται. στι γὰρ ἡ εὔνοια ἀρχὴ φιλίας· ὁ μὲν γὰρ φίλος πᾶς εὔνους, ὁ δ´ εὔνους οὐ πᾶς φίλος.

4 ρχομένῳ γὰρ ἔοικεν ὁ εὐνοῶν μόνον, διὸ ἀρχὴ φιλίας, ἀλλ´ οὐ φιλία. ** Δοκοῦσι γὰρ οἵ τε φίλοι ὁμονοεῖν καὶ οἱ ὁμονοοῦντες φίλοι εἶναι. στι δ´ οὐ περὶ πάντα ἡ ὁμόνοια ἡ φιλική, ἀλλὰ περὶ τὰ πρακτὰ τοῖς ὁμονοοῦσι, καὶ ὅσα εἰς τὸ συζῆν συντείνει, οὔτε μόνον κατὰ διάνοιαν ἢ κατὰ ὄρεξιν (ἔστι γὰρ τἀναντία τὸ κινοῦν ἐπιθυμεῖν, ὥσπερ ἐν τῷ ἀκρατεῖ διαφωνεῖ τοῦτο), οὐ δεῖ κατὰ τὴν προαίρεσιν ὁμονοεῖν καὶ κατὰ τὴν ἐπιθυμίαν. 5 πὶ δὲ τῶν ἀγαθῶν ἡ ὁμόνοια· οἵ γε φαῦλοι ταῦτα προαιρούμενοι καὶ ἐπιθυμοῦντες βλάπτουσιν ἀλλήλους.

6 οικε δὲ καὶ ἡ ὁμονοία οὐχ ἁπλῶς λέγεσθαι, ὥσπερ οὐδ´ ἡ φιλία· ἀλλ´ ἣ μὲν πρώτη καὶ φύσει σπουδαία, διὸ οὐκ ἔστι τοὺς φαύλους ὁμονοεῖν, ἑτέρα δὲ καθ´ ἣν καὶ οἱ φαῦλοι ὁμονοοῦσιν, ὅταν τῶν αὐτῶν τὴν προαίρεσιν καὶ τὴν ἐπιθυμίαν ἔχωσιν. 7 Οὕτω δὲ δεῖ τῶν αὐτῶν ὀρέγεσθαι, ὥστε ἐνδέχεσθαι ἀμφοτέροις ὑπάρχειν οὗ ὀρέγονται. ν γὰρ τοιούτου ὀρέγωνται, ὃ μὴ ἐνδέχεται ἀμφοῖν, μαχοῦνται· οἱ ὁμονοοῦντες δ´ οὐ μαχοῦνται. 8 στι δ´ ἡ ὁμόνοια, ὅταν περὶ τοῦ ἄρχειν καὶ ἄρχεσθαι ἡ αὐτὴ προαίρεσις ᾖ, μὴ τοῦ ἑκάτερον, ἀλλὰ τοῦ τὸν αὐτόν. Καὶ ἔστιν ἡ ὁμόνοια φιλία πολιτική.  

Περὶ μὲν οὖν ὁμονοίας καὶ εὐνοίας εἰρήσθω τοσαῦτα·

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1 [1241a] Un sujet qui appartient encore à cette étude, c'est l'analyse de la concorde et de la bienveillance ; car l'amitié et la bienveillance sont des sentiments qui semblent à bien des gens se confondre, ou qui du moins semblent ne pas pouvoir exister les uns sans les autres. A mon avis, la bienveillance n'est pas la même chose tout à fait que l'amitié; et elle n'en est pas non plus tout à fait différente. 2 Ce qu'il y a de certain, c'est que, l'amitié se divisant en trois espèces, la bienveillance ne se trouve ni dans l'amitié par intérêt, ni dans l'amitié par plaisir. Si vous voulez en effet du bien à quelqu'un parce que cela vous est utile, vous ne le voulez plus alors pour cette personne même; vous ne le voulez que pour vous. Au contraire, il semble que la bienveillance, ainsi que l'amitié véritable, s'adresse non pas à celui qui la ressent, mais à celui pour qui on l'éprouve. D'autre part, si la bienveillance se confondait avec l'amitié par plaisir, on éprouverait de la bienveillance même pour des choses inanimées. Concluons donc évidemment que la bienveillance se rapporte à l'amitié morale. 3 Du reste, l'homme bienveillant ne fait pas plus que vouloir, tandis que l'ami doit aller jusqu'à faire eu réalité le bien qu'il veut ; car la bienveillance n'est que le commencement de l'amitié. Tout ami est nécessairement bienveillant; mais tout cœur bienveillant n'est pas un cœur ami. L'homme bienveillant ne fait guère que commencer à aimer; et voilà pourquoi l'on dit de la bienveillance, je le répète, qu'elle est le commencement de l'amitié. Mais ce n'est pas encore de l'amitié.

4 Les amis semblent être dans un parfait accord, tout aussi bien que ceux qui sont d'accord entr'eux semblent être des amis. Mais la concorde, tout amicale qu'elle peut être, ne s'étend pas à tout indistinctement ; elle s'étend seulement aux choses que doivent faire de concert les gens qui sont ainsi de bon accord, et à tout ce qui concerne leur vie commune. Ce n'est même pas uniquement de pensées, ni de goûts qu'ils sont d'accord; car il se peut qu'on désire, de part et d'autre, des choses contraires ; et qu'il en soit ici comme dans l'intempérant, où il y a désaccord fréquent. Mais il faut que des deux côtés la résolution et le désir de faire s'accordent complètement 5 La concorde d'ailleurs n'est possible qu'entre les gens de bien ; car les méchants, en désirant et en convoitant les mêmes choses, ne pensent qu'à se nuire mutuellement.

6 Il semble que le mot de concorde ne peut se prendre d'une manière absolue, non plus que celui d'amitié. Il y a plusieurs espèces de concorde. La première, et la vraie, est bonne également par sa nature, ce qui fait que les méchants ne sauraient jamais la connaître; l'autre peut se trouver aussi entre les méchants, quand par hasard ils poursuivent et désirent un même but. 7 Mais il faut, pour que les méchants s'entendent, qu'ils désirent en effet les mêmes choses, de façon à pouvoir tous deux les obtenir en même temps; car, pour peu qu'ils désirent une seule et même chose qu'ils ne puissent point avoir à la fois, ils n'hésitent pas à se battre pour se l'arracher ; et les gens qui sont vraiment  de bon accord ne se combattent jamais. 8 Il y a concorde réelle, quand il y a même sentiment, par exemple, en ce qui touche le commandement et l'obéissance ; non pas seulement pour que le pouvoir et l'obéissance soient alternatifs, mais parfois pour qu'ils ne changent pas de mains. Cette espèce de concorde est ce qui forme l'amitié sociale, l'union des citoyens entr'eux.

Voilà ce que nous avions à dire de la concorde et de la bienveillance.

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Ch. VII. Morale a Nicomaque, livre VIII, ch. 9, et livre IX, ch. 5 et 6 ; Grande Morale, livre II, ch. 14.

§ 1. Un sujet qui appartient encore. Transition un peu brusque.

La bienveillance n'est pas tout à fait la même chose. Observation très juste et très-délicate.

§ 2. La bienveillance ne se trouve ni,,.. Analyse simple et profonde, que nous avons trouvée déjà, quoique moins développée, dans la Morale à Nicomaque.

De la bienveillance même pour des choses inanimées. Puisqu'on peut aimer les choses, en ce sens qu'elles vous font plaisir.

A l'amitié morale. Expression remarquable, pour distinguer la véritable amitié des amitiés secondaires et fausses.

§ 3. Ne fait pas plus que vouloir. Le mot seul dans notre langue suffit à exprimer cette nuance; il n'en est pas tout à fait de même en grec

Qui commencer à aimer. Répétition de ce qui vient l'être dit

Je le répète. J'ai ajouté ces mots pour atténuer cette répétition à quelques lignes de distance. Ces intercalations m'ont paru nécessaires.

§ 4. Comme dans l'intempérant. Comparaison peu gracieuse pour des amis et qui obscurcit la pensée, loin de la rendre plus claire.

§ 5. Entre la gens de bien. Comme la véritable amitié. Seulement, pour l'amitié, on doit se connaître, tandis que pour la bienveillance on peut la ressentir à l'égard de gens qu'on n'a jamais vus

§ 6. D'une manière absolue. Et en une seule acception.

Entre les méchants. C'est plutôt un accord passager que de la concorde proprement dite.

§ 7. Ils n'hésitent pas à se battre. Le texte est moins précis ; mais le sens n'a rien de douteux.

§ 8. Le commandement et l'obéissance. Ce n'est plus dès lors la concorde dont on vient de parler; c'est la concorde civile, qui dut le repos et la force des États.

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