Aristote : Morale à Eudème

ARISTOTE

 

MORALE A EUDEME

LIVRE III : ANALYSE DE QUELQUES VERTUS PARTICULIERES.

CHAPITRE VI

chapitre V- chapitre VII

 

 

 

Morale à Eudème

 

 

 

 MORALE A EUDÈME

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LIVRE III.

CHAPITRE VI.

De la magnificence. Elle s'applique uniquement à la dépense et à remploi de l'argent — Elle est une juste mesure entre les deux excès de la prodigalité et de la mesquinerie. — Exemple de Thémistocle. — La libéralité convient aux hommes libres.

1 στι δὲ καὶ ὁ μεγαλοπρεπὴς οὐ περὶ τὴν τυχοῦσαν πρᾶξιν καὶ προαίρεσιν, ἀλλὰ τὴν δαπάνην, εἰ μή που κατὰ μεταφορὰν λέγομεν· ἄνευ δὲ δαπάνης μεγαλοπρέπεια οὐκ ἔστιν. Τὸ μὲν γὰρ πρέπον ἐν κόσμῳ ἐστίν, ὁ δὲ κόσμος οὐκ [35] ἐκ τῶν τυχόντων ἀναλωμάτων, ἀλλ᾽ ἐν ὑπερβολῇ τῶν ἀναγκαίων ἐστίν. 2 δὴ ἐν μεγάλῃ δαπάνῃ τοῦ πρέποντος μεγέθους προαιρετικός, καὶ τῆς τοιαύτης μεσότητος καὶ ἐπὶ τῇ τοιαύτῃ ἡδονῇ ὀρεκτικός, μεγαλοπρεπής. 3 δ᾽ ἐπὶ τὸ μεῖζον καὶ παρὰ μέλος, ἀνώνυμος· οὐ μὴν ἀλλ᾽ ἔχει τινὰ γειτνίασιν, οὓς καλοῦσί τινες ἀπειροκάλους καὶ σαλάκωνας. [1233b] Οἷον εἰ εἰς γάμον δαπανῶν τις τοῦ ἀγαπητοῦ, πλούσιος ὤν, δοκεῖ πρέπειν ἑαυτῷ τοιαύτην κατασκευὴν οἷον ἀγαθοδαιμονιστὰς ἑστιῶντι, οὗτος μὲν μικροπρεπής, ὁ δὲ τοιούτους [5] δεχόμενος ἐκείνως μὴ δόξης χάριν μηδὲ δι᾽ ἐξουσίαν ὅμοιος τῷ σαλάκωνι, ὁ δὲ κατ᾽ ἀξίαν καὶ ὡς ὁ λόγος, μεγαλοπρεπής· τὸ γὰρ πρέπον κατ᾽ ἀξίαν ἐστίν· οὐθὲν γὰρ πρέπει τῶν παρὰ τὴν ἀξίαν. 4 Δεῖ δὲ πρέπον εἶναι (καὶ γὰρ τοῦ πρέποντος κατ᾽ ἀξίαν καὶ πρέπον) καὶ περὶ ὃ (οἷον περὶ οἰκέτου [10] γάμον ἕτερον τὸ πρέπον καὶ περὶ ἐρωμένου) καὶ αὐτῷ, εἴπερ ἐπὶ τοσοῦτον ἢ τοιοῦτον, οἷον τὴν θεωρίαν οὐκ ᾤετο Θεμιστοκλεῖ πρέπειν, ἣν ἐποιήσατο Ὀλυμπίαζε, διὰ τὴν προϋπάρξασαν ταπεινότητα, ἀλλὰ Κίμωνι. 5 δ᾽ ὅπως ἔτυχεν ἔχων πρὸς τὴν ἀξίαν [ὃ] οὐθεὶς τούτων.

Καὶ ἐπ᾽ ἐλευθεριότητος [15] ὡσαύτως· ἔστι γάρ τις οὔτ᾽ ἐλευθέριος οὔτ᾽ ἀνελεύθερος.

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1 On n'est pas magnifique pour une conduite et pour une intention quelconque indifféremment; on l'est uniquement en ce qui regarde la dépense et l'emploi de l'argent, du moins quand le mot de magnifique est pris dans son sens propre, et non pas en un sens détourné et métaphorique. Il n'y a pas de magnificence possible sans dépense. La dépense convenable qui constitue la magnificence, est celle qui est splendide; et la splendeur véritable [35] ne consiste pas dans les premières dépenses venues. Elle consiste exclusivement dans des dépenses nécessaires que l'on pousse à leur dernière limite. 2 Celui qui, dans une grande dépense, sait se fixer la grandeur qui convient, et qui désire garder cette juste mesure où il sait se complaire, c'est le magnifique. 3 Pour celui qui dépasse ces bornes, et qui fait plus qu'il ne sied, on n'a pas créé de nom particulier. Toutefois, il a quelque rapport de ressemblance avec les gens que l'on appelle assez souvent prodigues et dépensiers. [1233b] Citons des exemples divers. Si quelqu'un de riche ne croit devoir faire, pour les frais de la noce de son fils unique, que la dépense ordinaire des petites gens qui reçoivent leurs hôtes à la fortune du pot, comme on dit, c'est un homme qui ne sait pas se respecter, et qui se montre mesquin et petit. [5] Au contraire, celui qui reçoit des hôtes de ce genre avec tout l'appareil d'une noce, sans que sa réputation ni sa dignité l'exigent, peut à bon droit paraître un prodigue. Mais celui qui dans ce cas fait les choses comme il convient à sa position, et comme le veut la raison, est un magnifique. La convenance se mesure à la situation ; et tout ce qui choque ce rapport cesse d'être convenable. 4 Il faut avant tout que la dépense soit convenable, pour qu'il y ait magnificence. Il faut observer et toutes les convenances de sa position personnelle, et toutes les convenances de la chose qu'on doit faire. Le convenable n'est pas le même apparemment pour le mariage d'un esclave, [10] ou pour le mariage d'une  personne qu'on aime. Le convenable varie également avec la personne, selon qu'elle fait uniquement ce qu'il faut, soit en quantité, soit en qualité ; et l'on n'avait pas tort de trouver que la Théorie envoyée à Olympie par Thémistocle ne convenait pas à son obscurité antérieure, et qu'elle eût convenu bien mieux à l'opulence de Cimon. 5 Lui du moins pouvait faire tout ce que demandait sa position, et il était le seul à se trouver dans le cas où n'était aucun d'eux.

Je pourrais dire de la libéralité ce que j'ai dit de la magnificence ; c'est une sorte de devoir d'être libéral, quand on est né parmi les hommes libres.

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Ch. VI. Morale à Nicomaque, livre IV, ch. 2; Grande Morale, livre I, ch. 24.

§ 1. Le mot de magnifique. Il paraît que dans la langue grecque ce mot avait été, comme dans la nôtre, détourné de son acception directe.

Dans son sens propre. Le teste n'est pas aussi précis. J'ai dû rendre la pensée plus nette.

§ 3. On n'a pas créé de nom particulier. Parfois, la langue grecque oppose au magnifique, et comme contraire par excès, le fastueux.

Est un magnifique. Il faut se rappeler qu'il s'agit de quelqu'un de riche, et d'une aussi grande dépense.

§ 4. Avant tout que la dépense soit convenable. C'est une observation très-délicate d'avoir mis la convenance avant la grandeur même de la dépense. Le texte est ici quelque peu altéré.

Thémistocle. Cornélius Népos atteste que la jeunesse de Thémistocle fut très-orageuse, qu'il perdit sa fortune en dépenses extravagantes, et que son père dût le déshériter. Il parait qu'il avait conservé plus tard quelques-uns des goûts qui l'avaient jadis ruiné.

Cimon. Fils de Miltiade, enrichi par la colonisation de la Chersonèse. Voir Plutarque, Vie de Thémistocle, V, à, p. 136, édit. de Firmin Didot.

§ 5. Aucun  d'eux. C'est-à-dire aucun de ses contemporains et de ses rivaux ; le texte n'est pas aussi précis, et de plus, il est très-altéré ; j'ai dû inventer un sens plutôt que je n'ai traduit.

Libéral... parmi les homme» libres. Notre langue a conservé la trace de ce rapprochement, qui existait déjà, comme on le voit, dans la langue grecque.

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