Aristote : Morale à Eudème

ARISTOTE

 

MORALE A EUDEME

LIVRE II : DE LA VERTU.

CHAPITRE V

chapitre IV- chapitre VI

 

 

 

Morale à Eudème

 

 

 

 MORALE A EUDÈME

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LIVRE II.

DE LA VERTU.

CHAPITRE V.

De la vertu morale. Elle est toujours un milieu, qui est tantôt dans le plaisir, tantôt dans la douleur. Difficulté de bien reconnaître l'excès et le défaut d'après lequel on doit caractériser le vice contraire a la vertu.

1 ἐπεὶ δ᾽ ὑπόκειται ἀρετὴ εἶναι ἡ τοιαύτη ἕξις ἀφ᾽ ἧς πρακτικοὶ τῶν βελτίστων καὶ καθ᾽ ἣν ἄριστα διάκεινται περὶ τὸ βέλτιστον, βέλτιστον δὲ καὶ ἄριστον τὸ κατὰ τὸν ὀρθὸν λόγον, τοῦτο δ᾽ ἐστὶ τὸ μέσον ὑπερβολῆς καὶ [10] ἐλλείψεως τῆς πρὸς ἡμᾶς: ἀναγκαῖον ἂν εἴη τὴν ἠθικὴν ἀρετὴν καθ᾽ αὑτὸν ἕκαστον μεσότητα εἶναι καὶ περὶ μές᾽ ἄττα ἐν ἡδοναῖς καὶ λύπαις καὶ ἡδέσι καὶ λυπηροῖς. 2 ἔσται δ᾽ ἡ μεσότης ὁτὲ μὲν ἐν ἡδοναῖς (καὶ γὰρ ὑπερβολὴ καὶ ἔλλειψις), ὁτὲ δ᾽ ἐν λύπαις, ὁτὲ δ᾽ ἐν ἀμφοτέραις. ὁ γὰρ [15] ὑπερβάλλων τῷ χαίρειν τῷ ἡδεῖ ὑπερβάλλει καὶ ὁ τῷ λυπεῖσθαι τῷ ἐναντίῳ, καὶ ταῦτα ἢ ἁπλῶς ἢ πρός τινα ὅρον, οἷον ὅταν μὴ ὡς οἱ πολλοί: ὁ δ᾽ ἀγαθὸς ὡς δεῖ.— 3 ἐπεὶ δ᾽ ἐστί τις ἕξις ἀφ᾽ ἧς τοιοῦτος ἔσται ὁ ἔχων αὐτὴν ὥστε τοῦ αὐτοῦ πράγματος ὃ μὲν ἀποδέχεσθαι τὴν ὑπερβολὴν ὃ δὲ [20] τὴν ἔλλειψιν, ἀνάγκη, ὡς ταῦτ᾽ ἀλλήλοις ἐναντία καὶ τῷ μέσῳ, οὕτω καὶ τὰς ἕξεις ἀλλήλαις ἐναντίας εἶναι καὶ τῇ ἀρετῇ. 4 συμβαίνει μέντοι τὰς ἀντιθέσεις ἔνθα μὲν φανερωτέρας εἶναι πάσας, ἔνθα δὲ τὰς ἐπὶ τὴν ὑπερβολήν, ἐνιαχοῦ δὲ τὰς ἐπὶ τὴν ἔλλειψιν.  5 αἴτιον δὲ τῆς ἐναντιώσεως, ὅτι [25] οὐκ ἀεὶ ἐπὶ ταὐτὰ τῆς ἀνισότητος ἢ ὁμοιότητος πρὸς τὸ μέσον, ἀλλ᾽ ὁτὲ μὲν θᾶττον ἂν μεταβαίη ἀπὸ τῆς ὑπερβολῆς ἐπὶ τὴν μέσην ἕξιν, ὁτὲ δ᾽ ἀπὸ τῆς ἐλλείψεως, ἧς <ὃς> πλέον ἀπέχει, οὗτος δοκεῖ ἐναντιώτερος εἶναι, οἷον καὶ περὶ τὸ σῶμα ἐν μὲν τοῖς πόνοις ὑγιεινότερον ἡ ὑπερβολὴ τῆς [30] ἐλλείψεως καὶ ἐγγύτερον τοῦ μέσου, ἐν δὲ τῇ τροφῇ ἡ ἔλλειψις ὑπερβολῆς. 6 ὥστε καὶ αἱ προαιρετικαὶ ἕξεις αἱ φιλογυμναστικαὶ φιλοϋγιεῖς μᾶλλον ἔσονται καθ᾽ ἑκατέραν τὴν αἵρεσιν, ἔνθα μὲν αἱ πολυπονώτεραι, ἔνθα δ᾽ αἱ ὑποστατικώτεραι, καὶ ἐναντίος τῷ μετρίῳ καὶ τῷ ὡς ὁ λόγος ἔνθα [35] μὲν ὁ ἄπονος καὶ οὐκ ἄμφω, ἔνθα δὲ [καὶ] ὁ ἀπολαυστικὸς [36] καὶ οὐχ ὁ πεινητικός. 7 συμβαίνει δὲ τοῦτο, διότι ἡ φύσις εὐθὺς οὐ πρὸς ἅπαντα ὁμοίως ἀφέστηκε τοῦ μέσου, ἀλλ᾽ ἧττον μὲν φιλόπονοι ἐσμέν, μᾶλλον δ᾽ ἀπολαυστικοί. 8 ὁμοίως δὲ ταῦτ᾽ ἔχει καὶ περὶ ψυχῆς. ἐναντίαν δὲ τίθεμεν τὴν [40] ἕξιν ἐφ᾽ ἥν τε ἁμαρτάνομεν μᾶλλον καὶ ἐφ᾽ ἣν οἱ πολλοί (ἡ δ᾽ ἑτέρα ὥσπερ οὐκ οὖσα λανθάνει: διὰ γὰρ τὸ ὀλίγον ἀναίσθητος ἐστίν), 9 οἷον ὀργὴν πραότητι καὶ τὸν ὀργίλον τῷ πράῳ. [1222b] καίτοι ἐστὶν ὑπερβολὴ καὶ ἐπὶ τὸ ἵλεων εἶναι καὶ τὸ καταλλακτικὸν εἶναι καὶ μὴ ὀργίζεσθαι ῥαπιζόμενον. ἀλλ᾽ ὀλίγοι οἱ τοιοῦτοι, ἐπ᾽ ἐκεῖνο δὲ πάντες ῥέπουσι μᾶλλον. διὸ καὶ οὐ κολακικὸν ὁ θυμός.

[5] 10 ἐπεὶ δ᾽ εἴληπται ἡ διαλογὴ τῶν ἕξεων καθ᾽ ἕκαστα τὰ πάθη, καὶ αἱ ὑπερβολαὶ καὶ ἐλλείψεις, καὶ τῶν ἐναντίων ἕξεων, καθ᾽ ἃς ἔχουσι κατὰ τὸν ὀρθὸν λόγον (τίς δ᾽ ὁ ὀρθὸς λόγος, καὶ πρὸς τίνα δεῖ ὅρον ἀποβλέποντας λέγειν τὸ μέσον, ὕστερον ἐπισκεπτέον), φανερὸν ὅτι πᾶσαι αἱ ἠθικαὶ ἀρεταὶ καὶ κακίαι [10] περὶ ἡδονῶν καὶ λυπῶν ὑπερβολὰς καὶ ἐλλείψεις εἰσί, καὶ ἡδοναὶ καὶ λῦπαι ἀπὸ τῶν εἰρημένων ἕξεων καὶ παθημάτων γίνονται. 11 ἀλλὰ μὴν ἥ γε βελτίστη ἕξις ἡ περὶ ἕκαστα μέση ἐστίν. δῆλον τοίνυν ὅτι αἱ ἀρεταὶ ἢ πᾶσαι ἢ τούτων τινὲς ἔσονται τῶν μεσοτήτων.

 

 

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1 Après avoir reconnu que la vertu est en nous cette manière d'être morale qui nous fait agir le mieux possible, et qui nous dispose le plus complètement à bien faire; après avoir reconnu que le bien suprême dans la vie est ce qui est conforme à la droite raison, c'est-à-dire ce qui tient le juste milieu entre l'excès et [10] le défaut relativement à nous, il faut nécessairement reconnaître aussi que la vertu morale, pour chaque individu en particulier, est un certain milieu, ou un ensemble de certains milieux, en ce qui concerne ses plaisirs et ses peines, ou les choses agréables et douloureuses qu'il peut ressentir. 2 Parfois, le milieu ne sera que dans les plaisirs où se trouvent aussi l'excès et le défaut ; quelquefois, il ne sera que dans les peines ; et quelquefois, dans les deux ensemble. L'homme [15] qui a un excès de joie, a par cela même un excès de plaisir ; et celui qui a un excès de peine, pèche par un excès contraire. .Ces excès d'ailleurs peuvent être ou absolus, ou relatifs à une certaine limite qu'ils ne devraient pas franchir ; et c'est, par exemple, quand on éprouve ces sentiments autrement que tout le monde, taudis que l'homme bien organisé est celui qui sent les choses comme il faut les sentir. 3  D'autre part, comme il y a un certain état moral, qui fait que ceux qui sont en cet état, peuvent être pour une. seule et même chose ou dans l'excès ou [20] dans le défaut, il y a nécessité, ces extrêmes étant contraires, et l'un à l'autre réciproquement, et au milieu qui tes sépare, que ces états soient également contraires entr'eux et contraires à la vertu. 4 Il arrive cependant, tantôt que les oppositions extrêmes sont toutes deux très-évidentes, et tantôt que c'est l'opposition par excès, et quelquefois aussi l'opposition par défaut, qui l'est davantage. 5 La cause de ces différences, c'est que [25] l'on ne s'adresse pas toujours aux mêmes nuances d'inégalité, ou de ressemblance par rapport au milieu, mais que parfois on passe plus aisément de l'excès, et parfois du défaut, à l'état moyen, et que le vice parait d'autant plus contraire au milieu qu'il en est plus éloigné. C'est ainsi que, pour ce qui regarde le corps, l'excès de fatigue vaut mieux pour la santé que [30] le défaut d'exercice, et qu'il est plus voisin du milieu; tandis que pour l'alimentation au contraire, c'est le défaut plus que l'excès qui se rapproche du milieu. 6 Par suite aussi, les habitudes qu'on choisit à son gré, et, par exemple, les habitudes d'exercices gymnastiques contribuent plus à la santé dans l'un et l'autre sens, soit qu'on prenne un peu trop de fatigue, soit qu'on reste un peu au-dessous de ce qu'il faudrait L'homme qui sera contraire au juste milieu sous ce rapport, et qui résistera à la raison, [35] sera d'une part celui qui ne prend aucune fatigue et n'accepte l'exercice d'aucune des deux façons que je viens d'indiquer ; et d'autre part, celui qui se livre à toutes les langueurs de la mollesse et n'attend jamais la faim. 7 Ces diversités viennent de ce que la nature n'est pas en toutes choses également éloignée du milieu, et de ce que tantôt nous aimons moins le travail, et que tantôt nous aimons davantage le plaisir.  8 Il en est de même aussi pour l'âme. Nous regardons comme contraire [40] au juste milieu l'habitude ou la disposition qui nous fait faire en général le plus de fautes, et qui est la plus ordinaire; quant à l'autre, elle reste ignorée de nous, comme si elle n'existait pas; et elle passe inaperçue, à cause de sa faiblesse qui nous empêche de la sentir. 9 Ainsi, la colère nous parait le vrai contraire de la douceur ; et l'homme colérique, le contraire de l'homme doux. [1222b] Et cependant, il peut y avoir excès à être trop accessible à la pitié, à se réconcilier trop facilement, et à ne pas même s'emporter quand on vous soufflette. Il est vrai que ces caractères-là sont fort rares, et qu'en général on penche plutôt vers l'excès opposé, l'emportement n'étant guère disposé à se faire le flatteur de personne.

10 [5] En résumé, nous avons fait le catalogue des manières d'être morales suivant chaque passion, avec leurs excès et leurs défauts, et des manières d'être contraires, qui placent l'homme dans le chemin de la droite raison ;  nous réservant de voir plus tard ce qu'est précisément la droite raison, et quelle est la limite qu'il faut toujours avoir en vue pour discerner le vrai milieu. Par une conséquence évidente, on peut conclure que toutes les vertus morales et tous les vices [10] se rapportent soit à l'excès, soit au défaut des plaisirs et des peines, et que les plaisirs et les peines ne viennent que des manières d'être et des passions que nous avons indiquées. 11 Ainsi donc, la meilleure manière d'être morale est celle qui demeure au milieu dans chaque cas ; et par suite, il est clair aussi que toutes les vertus, ou du moins quelques-unes des vertus, ne seront que des milieux avoués par la raison.

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Ch. V. Morale à Nιcomaqne, livre II, ch. 6; Grande Morale, livre I, ch. 5 et 9.

§  1. Le bien suprême... conforme à la droite raison. Principe excellent, qui renferme toute la destinée de l'homme et tout son bonheur.

§ 2. Le milieu ne sera que dans les plaisirs. Pensée obscure, qu'il aurait été bon d'éclaircir par quelque exemple.

Un excès de joie... Un excès de plaisir. C'est presque une tautologie.

§ 3. Un certain état moral. Il eût peut-être été préférable de dire au pluriel : « certains états moraux », afin que la pensée fût puis claire.

§ 4. Il arrive cependant... On pourra voir, dans les analyses qui vont suivre, des exemples de ces cas particuliers.

§ 5. Pour ce qui regarde le corps. Ces régies d'hygiène attestent une observation profonde et très-exacte de l'organisation humaine. Il est Impossible de donner des préceptes plus sages et plus pratiques.

§ 6. Les habitudes qu'on choisit à son gré. Pensée vraie, mais qui n'est point ici développée autant qu'il le faudrait.

 — Sous ce rapport. J'ai ajouté ces mots.

D'une part... D'autre part... L'opposition ne parait pas très-bien marquée.

§ 7. Tantôt nous aimons le travail. Autre pensée, qui n'est pas suffisamment exprimée.

§ 8. Il en est de même aussi pour l'âme. Les exemples qui précèdent n'ont pas éclairci cette réflexion sur l'âme; loin de là; l'observation psychologique est certainement ici plus claire que les comparaisons par lesquelles l'auteur prétend la préparer.

§ 9. Il peut y avoir excès. Et c'est précisément cet excès qui est le contraire de la colère. Seulement, comme il est assez rare, on ne le remarque pas et l'on s'arrête à la douceur, qui est beaucoup plus fréquente et beaucoup plus connue.

§ 10. De voir plus tard. Il serait difficile de citer l'endroit de la Morale à Eudème auquel ceci se rapporte ; et la discussion promise ici n'est point ramenée par la suite des Idées. C'est peut-être un simple oubli de l'auteur; et ces omissions sont asses naturelles pour qu'on ne s'étonne point de celle-ci. Peut-être aussi faut-il rapporter ce passage au VIe livre, ch. 4, § 3 de la Morale à Nicomaque, qui est comme on sait le livre V de la Morale à Eudème. Voir la Dissertation préliminaire.

§ 11. Ou du moins quelques-unes. Il faut se rappeler les restrictions qu'Aristote a mises également à sa théorie dans la morale à Nicomaque, On a trop dit qu'il faisait consister la vertu dans le milieu ; ce qui est vrai, c'est qu'il n'a reconnu ce caractère qu'à un certain nombre de vertus qui le présentent incontestablement. Mais il n'a jamais prétendu rapporter toutes les vertus sans exception à cette mesure trop étroite.

Avoués par la raison. J'ai ajouté ces mots qui ressortent du contexte.

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