Morale à Eudème
MORALE A EUDÈME LIVRE I. DU BONHEUR.
CHAPITRE IV. |
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1 [20] Ἔσται δὲ φανερὰ τὰ πλεῖστα τῶν ἀμφισβητουμένων καὶ διαπορουμένων, ἂν καλῶς ὁρισθῇ τί χρὴ νομίζειν εἶναι τὴν εὐδαιμονίαν, πότερον ἐν τῷ ποιόν τινα μόνον εἶναι τὴν ψυχήν, καθάπερ τινὲς ᾠήθησαν τῶν σοφῶν καὶ πρεσβυτέρων, ἢ δεῖ μὲν καὶ ποιόν τινα ὑπάρχειν αὐτόν, μᾶλλον [25] δὲ δεῖ τὰς πράξεις εἶναι ποιὰς τινάς. 2 Διῃρημένων δὲ τῶν βίων, καὶ τῶν μὲν <οὐδ᾽> ἀμφισβητούντων τῆς τοιαύτης εὐημερίας, ἀλλ᾽ ὡς τῶν ἀναγκαίων χάριν σπουδαζομένων, οἷον τῶν περὶ τὰς τέχνας τὰς φορτικὰς καὶ τῶν περὶ χρηματισμὸν καὶ τὰς βαναύσους (λέγω δὲ φορτικὰς μὲν τὰς [30] πρὸς δόξαν πραγματευομένας μόνον, βαναύσους δὲ τὰς ἑδραίας καὶ μισθαρνικάς, χρηματιστικὰς δὲ τὰς πρὸς ἀγορὰς μὲν καὶ πράσεις καπηλικάς), τῶν δ᾽ εἰς ἀγωγὴν εὐδαιμονικὴν ταττομένων τριῶν ὄντων, τῶν καὶ πρότερον ῥηθέντων ἀγαθῶν ὡς μεγίστων τοῖς ἀνθρώποις, ἀρετῆς καὶ φρονήσεως καὶ [35] ἡδονῆς, τρεῖς ὁρῶμεν καὶ βίους ὄντας, οὓς οἱ ἐπ᾽ ἐξουσίας τυγχάνοντες προαιροῦνται ζῆν ἅπαντες, πολιτικὸν φιλόσοφον ἀπολαυστικόν. 3 [1215a] Τούτων γὰρ ὁ μὲν φιλόσοφος βούλεται περὶ φρόνησιν εἶναι καὶ τὴν θεωρίαν τὴν περὶ τὴν ἀλήθειαν, ὁ δὲ πολιτικὸς περὶ τὰς πράξεις τὰς καλάς (αὗται δ᾽ εἰσὶν αἱ ἀπὸ τῆς ἀρετῆς), ὁ δ᾽ ἀπολαυστικὸς περὶ τὰς [5] ἡδονὰς τὰς σωματικάς. Διόπερ <ἕτερος> ἕτερον τὸν εὐδαίμονα προσαγορεύει, 4 Καθάπερ ἐλέχθη καὶ πρότερον. Ἀναξαγόρας μὲν ὁ Κλαζομένιος ἐρωτηθεὶς τίς ὁ εὐδαιμονέστατος, "οὐθεὶς", εἶπεν, "ὧν σὺ νομίζεις· ἀλλ᾽ ἄτοπος ἄν τίς σοι φανείη"· τοῦτον δ᾽ ἀπεκρίνατο τὸν τρόπον ἐκεῖνος, ὁρῶν τὸν ἐρόμενον ἀδύνατον [10] ὑπολαμβάνοντα μὴ μέγαν ὄντα καὶ καλὸν ἢ πλούσιον ταύτης τυγχάνειν τῆς προσηγορίας, αὐτὸς δ᾽ ἴσως ᾤετο τὸν ζῶντα ἀλύπως καὶ καθαρῶς πρὸς τὸ δίκαιον ἤ τινος θεωρίας κοινωνοῦντα θείας, τοῦτον ὡς ἄνθρωπον εἰπεῖν μακάριον εἶναι. |
1
[20] La plupart des doutes et des questions qu'on soulève ici,
seront clairement résolus, si l'on définit d'abord avec précision ce
qu'il faut entendre par le bonheur. Consiste-t-il uniquement dans
une certaine disposition de l'âme, ainsi que l'ont cru quelque sages
et quelques anciens philosophes ? Ou bien, ne suffit-il pas que
l'individu lui-même soit moralement d'une certaine façon ? et ne
faut-il pas bien plutôt [25] encore qu'il fasse des actions d'une
certaine espèce ? 2
Parmi les divers genres d'existence, il y en a qui n'ont rien à voir
dans cette question de la félicité et qui n'y prétendent même pas.
On ne les cultive que parce qu'ils répondent à des besoins
absolument nécessaires ; et je veux dire, par exemple, [30] toutes
ces existences consacrées aux arts de luxe , aux arts qui ne
s'occupent que d'amasser de l'argent et les arts industriels.
J'appelle arts de luxe et inutiles les arts qui ne servent qu'à la
vanité. J'appelle industriels les métiers des ouvriers qui sont
sédentaires et vivent des salaires qu'ils gagnent. Enfin , les arts
de lucre et de gain sont ceux qui s'appliquent aux ventes et aux
achats des boutiques et des marchés. De même donc que nous avons
indiqué trois éléments du bonheur, et signalé plus haut ces trois
biens comme les plus grands de tous pour l'homme : la vertu, la
prudence et [35] le plaisir, de même aussi nous voyons qu'il y a
trois genres de vie que chacun embrasse de préférence, dès qu'il en
a le libre choix : la vie politique, la vie philosophique, et la vie
de plaisir et de jouissance. 3.
[1215a] La vie philosophique ne s'applique qu'à la sagesse et
à la contemplation de la vérité; la vie politique s'applique aux
belles et glorieuses actions, et j'entends par là celles qui
viennent de la vertu ; enfin la vie de jouissance se passe tout
entière dans les [5] plaisirs du corps. Ceci doit faire comprendre
pourquoi il y a tant de différences, comme je l'ai déjà dit, dans
les idées qu'on se fait du bonheur.
4 On demandait à Anaxagore
de Clazomènes quel était suivant lui l'homme le plus heureux :« Ce
n'est aucun de ceux que vous supposez, répondit-il ; et le plus
heureux des hommes selon moi vous semblerait probablement un homme
bien étrange. » Le sage répondait ainsi, parce qu'il voyait bien que
son interlocuteur ne pouvait pas s'imaginer qu'on dût mériter cette
appellation d'heureux, [10] sans être tout au moins puissant, riche
, ou beau. Quant à lui, il pensait peut-être que l'homme qui
accomplit avec pureté et sans peine tous les devoirs de la justice,
ou qui peut s'élever à quelque contemplation divine, est aussi
heureux que le permet la condition humaine. |
Ch. IV. Morale à Nicomaque, livre I, ch. 6; et livre X, ch. 6 ; Grande Morale, livre I, ch. 8. § 1. Quelques sages. Socrate et la plupart des sages de la Grèce. Et quelques anciens philosophes. Anaxagore entre autres. dont il sera parlé plus bas, § 4. Qu'il fasse des actions. C'est la théorie de la Morale à Nicomaque, livre 1, ch. 4, § 13. § 2. Il y en n qui n'ont rien à voir. Toute cette théorie résulte du mépris dans lequel toute l'antiquité grecque a tenu en général le travail. Les seules occupations des hommes libres étaient la politique et la philosophie. Le bonheur ne pouvait être que là, et surtout dans la dernière. C'était le renfermer dans de bien étroites limites. Toutes ces existences. A ce compte, et malgré ce qu'on vient d'en dire, la presque totalité des hommes devraient renoncer au bonheur. Que d'amasser de l'argent. La même doctrine se trouve dans la Morale à Nicomaque, livre I, ch. 2, § 15. Des boutiques et des marchés. Le même dédain est exprimé dans la Politique, livre I, ch. 3, § 23, de ma traduction, 2e édition. Et signalé plus haut. Voir plus haut, ch. 1, § 2. La vie politique... La vie politique répond, ce semble, à la prudence; la vie philosophique répond à la vertu; la vie de jouissances répond au plaisir. Mais l'explication qui suit contredit cette classification. § 3. S'applique aux belles actions. C'est se faire une haute idée de la politique ; mais en Grèce, non plus que chez les peuples modernes, la politique n'a jamais pu passer pour une école de vertu. § 4. Anaxagore de Clazomènes. Voir la même réponse attribuée à Anaxagore, Morale à Nicomaque, livre X, ch. 9, § 3. Quant à lui il pensait. Admirable appréciation d'Anaxagore et du bonheur permis à l'homme. Voir la Morale à Nicomaque, livre X, ch. 7, § 8. On se rappelle en quels termes Aristote parle d'Anaxagore dans la Métaphysique, livre 1, ch. 4, p. 985, a, 48, de l'éd. de Berlin. Voir aussi dans le chapitre suivant du présent traité, § 9, une autre réponse non moins belle d'Anaxagore; |