Cicéron : Correspondance

CICÉRON

 

CORRESPONDANCE (lettres 200 à 249)

150-199 - 250-299

 

OEUVRES COMPLÈTES DE CICÉRON AVEC LA TRADUCTION EN FRANÇAIS PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE M. NISARD DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE; INSPECTEUR GÉNÉRAL DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR - TOME CINQUIÈME - PARIS - CHEZ FIRMIN DIDOT FRÈRES, FILS ET Cie. LIBRAIRES - IMPRIMERIE DE L'INSTITUT DE FRANCE - RUE JACOB, 56 - M DCCC LXIX

 

 

Cicéron

 

Correspondance : lettres 200 à 249

 

 




 


 

200. — A ATTICUS. Rome, juin.

A. V, 9. Nous voici à Actium depuis le 17 des kalendes de juin. A Corcyre et à Sybote, wous avons fait chère de Saliens, grâce à votre munificence et aux bons soins d'Arcus et de mon ami Eutychides qui nous avaient largement et splendidement pourvus. J'ai préféré la route de terre; la traversée aurait été fatigante et je répugnais à doubler la presqu'île de Leucate; et puis abordera Fatras dansées chétives embarcations et sans aucune suite, c'eût été peu convenable. Je n'oublie pas les conseils que vous m'avez si souvent donnés pendant mes voyages ; je les médite; j'en pénètre mes subordonnés et me fais une loi de les suivre. Vous me verrez mettre dans mes fonctions autant de modération que de désintéressement. Que les Parthes ne bougent point ; que la fortune me seconde, et je réponds de moi. Donnez-moi, je vous prie, de vos nouvelles ; dites-moi où vous comptez aller; combien de temps vous serez absent, dans quel état vous avez laissé mes affaires à Rome, et surtout si vous avez fini l'affaire des vingt mille et des neuf cent mille sesterces. Il ne faut pour me satisfaire qu'une lettre bien remplie et qui me soit fidèlement remise. 189 Ce n'est pas tout cependant. Ne m'avez-vous pas écrit que durant votre absence, il ne se ferait rien, et que vous arriveriez à temps pour vous occuper de moi? Eh bien ! je réclame vos soins, le concours de vos amis, d'Hortensius en première ligne; qu'on s'en tienne à la durée d'un an; qu'on ne change rien au décret. Telles sont mes instructions positives. J'ai même hésité si je ne vous prierais pas d'empêcher qu'il y ait intercalation, mais je n'ai pas osé pousser si loin l'exigence. J'insiste seulement pour qu'il n'y ait qu'une année. Mon fils vous envoie un salut. C'est un enfant doux et charmant. Il y a longtemps que j'aime Dyonisius, vous le savez; mais, je l'aime chaque jour davantage, je vous le jure, en le voyant vous chérir comme il le faut et vouloir toujours que nous parlions de vous.

201. — A ATTICUS. Athènes, juin.

A. V, 10. Je suis arrivé à Athènes le 7 des kalendes de juillet. Voilà quatre jours que j'y attends Pomptinius et je ne sais rien encore de son arrivée. Ma pensée, je vous le jure, est toujours avec vous. De moi-même certes je penserais à vous, mais en face de ce qui parle ici aux yeux, comment ne pas y penser mille fois davantage? Que voulez-vous que je vous dise? vous seul remplissez mes entretiens. Mais peut-être souhaitez-vous savoir aussi un mot de ce qui me touche personnellement. Je n'ai pas encore imposé la moindre charge pour moi ou les miens ni aux villes, ni aux particuliers. Allocations légales de la loi Julia, prestations bénévoles de mes hôtes, je refuse tout. On comprend autour de moi combien cette réserve intéresse ma gloire, et l'on s'y soumet. Aussi jusqu'ici tout va à merveille. Je vois ma conduite appréciée par les Grecs qui ne tarissent pas d'éloges sur mon compte. Je me prépare à suivre vos conseils, en tout ce que j'aurai à faire. Mais attendons la fin ; il sera temps alors déchanter victoire. Sous beaucoup d'autres rapports, j'en suis au regret de n'avoir pas trouvé moyen d'échapper à cette mission. Qu'elle va mal à mes habitudes! et qu'on a bien raison de dire, chacun son métier. Je vous entends d'ici : « Mais à peine en avez-vous tâté. » C'est possible, et je crois volontiers que le plus fort me reste à faire. Cependant quoique je fasse assez bien, ce me semble, bon cœur et bonne mine à mauvais jeu, au fond , je n'eu suis pas moins au supplice. Il y a tant de haine, d'insolence, de sottise , d'orgueil dans tout ce qu'on dit et dans tout ce qu'on ne dit pas. Si je suis si peu explicite , ne croyez pas que je me cache de vous ; mais ce sont choses à renfoncer en soi-même. A mon retour, si j'en réchappe, vous admirerez mon impassibilité profonde. Je n'ai eu que trop d'occasions de mettre cette vertu en pratique. Assez sur ce chapitre. Cependant que vous écrire? Je ne soupçonne pas même ce que vous faites, ni en quel lieu du monde vous respirez. Par Hercule, je ne suis jamais resté si longtemps dans l'ignorance de mes affaires. Qu'y a-t-il de décidé sur la créance de César; sur celle de Milon? Ici pas un voyageur, pas même un vain bruit qui vienne me donner des nouvelles de la république. Si vous savez quelque chose qui m'importe, vous m'obligerez essentiellement dénie l'écrire. — Que vous dire encore? Rien, sinon que dans Athènes tout me charme, la ville toute seule, les monuments, 190 l'amour qu'on y a pour vous, la bienveillance qu'on me témoigne, et par-dessus tout la philosophie. Si celle du pour ou du contre est quelque part, c'est à coup sûr chez mon hôte Aristus. J'ai cédé à Quintus, Xénon votre ami, notre ami veux-je dire. Mais nous sommes voisins et nous passons nos journées l'un chez l'autre. Écrivez-moi le plus tôt possible et dites-moi vos projets : que je sache ce que vous faites, où vous êtes, et surtout quand vous serez à Rome.

202. A C. MEMMIUS. Athènes, juin.

F. XIII, 1. Je ne saurais dire si j'aurais eu plus de plaisir que de peine à vous rencontrer à Athènes. Votre injuste disgrâce m'eût pénétré de douleur, votre sagesse m'eût rempli de joie; décidément j'aurais voulu vous rencontrer. Loin de vous, je ne suis pas moins sensible à vos maux, et, certes, c'eût été une grande satisfaction pour moi de vous voir. Aussi suis-je décidé à aller vous chercher aussitôt que j'y verrai jour, sans trop de difficulté. En attendant, je vous écris encore au sujet de la petite affaire dont je vous ai déjà entretenu, et qui peut, j'espère, se terminer par correspondance. — Avant tout, je vous le demande en grâce, ne faites rien par déférence et à contre-cœur. Qu'il soit bien évident pour vous que ce que vous accordez à mes intérêts ne porte aucun préjudice aux vôtres ; que tout de votre part soit de bonne volonté, de propre mouvement. Vous connaissez Patron l'épicurien; je puis dire qu'entre lui et moi tout est commun , tout, excepté les principes philosophiques sur lesquels nous sommes en guerre à mort. A Rome, il était des plus assidus près de moi, à l'époque où il commença à vous faire la cour à vous et à vos amis. Depuis, quand il n'eut plus qu'à vouloir pour obtenir fortune et faveur de toute espèce, c'est encore moi qu'il proclamait le premier de ses protecteurs et de ses amis. Plus anciennement (j'étais fort Jeune encore et n'avais pas encore fait la connaissance de Philon ), Patron me fut présenté et recommandé par Phèdre que j'aimais déjà comme philosophe, et que j'aimai doublement ensuite comme le plus honnête, le plus aimable et le plus obligeant des hommes. Ce Patron m'avait écrit à Rome; il me priait de faire sa paix avec vous, et de vous demander en son nom la concession de je ne sais quelle partie de l'habitation d'Épicure. Je n'ai pas voulu d'abord vous en écrire pour ne pas aller jeter une recommandation au travers des projets de construction que je vous savais alors. Mais j'arrive à Athènes et voilà que mon même Patron me renouvelle sa même prière. Je ne puis lui tenir aujourd'hui rigueur, tous vos amis m'assurant que vous avez renoncé à bâtir. S'il en est ainsi, et si désormais vous n'avez plus d'intérêt dans la question, j'ai une grâce ù vous demander pour le cas où la malveillance de quelques personnes , je connais à fond ces gens-là, vous aurait indisposé contre Patron : c'est de n'écouter que la bonté de votre cœur; je vous le demande au nom de tout ce qu'il y a chez vous de bienveillance naturelle pour les autres et, même, de considération particulière pour moi. Que si vous voulez savoir ce que je pense au fond du projet de Patron, je vous dirai que je ne comprends ni comment il peut là-dessus se monter la tête, ni quel motif sérieux vous pourriez avoir à le 191 contrarier. Seulement on lui passerait plus aisément qu'à vous de mettre de l'importance à une bagatelle. Vous n'ignorez pas au surplus, je le sais, comment il voit et entend lui-même son affaire. Il dit qu'il ne s'agit rien moins que de l'honneur, du devoir, du respect dû au droit des testateurs, puis rien moins que d'un vœu sacré d'Épicure, de la recommandation suprême de Phèdre, enfin de l'habitation, du séjour et du souvenir d'un grand homme. Il faudrait vous moquer de la doctrine de Patron, de la philosophie qu'il pratique, de tout l'homme en un mot, pour blâmer l'ardeur qui le transporte. Mais, par Hercule, puisque nous ne sommes pas absolument ses ennemis ou les ennemis de ceux qui font leurs délices des mêmes principes, je ne sais pas si nous ne devons pas avoir compassion de sa peine, surtout en considérant que s'il se trompe, c'est l'esprit chez lui et non le cœur qui est en défaut. — Mais au fait, il faut bien tout vous dire : j'aime Pomponius Atticus comme un second frère ; il n'est personne qui me soit plus cher au monde, personne dont l'amitié me soit plus douce. Atticus n'appartient pas à cette secte ; il a trop étudié et son esprit est trop éclairé pour cela ; mais il aime beaucoup Patron, il aimait beaucoup Phèdre; il n'y a pas d'homme qui s'échauffe moins, qui soit moins indiscret. Eh bien ! il est à cet égard pressant comme je ne l'ai jamais vu ; il ne met pas en doute qu'au premier mot de moi vous ne donniez les mains à tout, eussiez-vous, comme il le suppose, l'intention de bâtir. Or, s'il venait à savoir que vous avez renoncé à ce dessein et s'il apprenait du même coup que vous vous êtes refusé à ma prière, il ne croirait point à votre désobligeance et se récrierait contre mon peu de zèle. Je vous prie donc de mander chez vous qu'on peut passer outre à ce décret des aréopagites qu'ils appellent ὑπομνηματισμόν. — Encore une fois, j'aime mieux que vous ne fassiez rien que de rien faire à contre-cœur. Tenez seulement pour certain que je ne recevrai point sans la plus vive gratitude cette marque de déférence et de bonté. Adieu !

203. — A ATTICUS. Athènes, 6 juillet

A. V, 11. Quoi ! je viens d'écrire à Rome lettre sur lettre et pas une pour vous ! on ne m'y prendra plus. Mille fois plutôt perdre mes lettres que de manquer désormais une occasion ! Qu'on ne me proroge pas au nom du ciel ! Vous êtes encore à Rome; empêchez-le à tout prix. II n'y a pas de mots pour exprimer combien je soupire après Rome, et combien je suis dégoûté de cette fade vie de province. — Marcellus a bien indignement traité cet habitant de Côme ! Cet homme avait beau ne pas être magistrat, il était transpadan, et cet acte n'irritera pas moins notre ami que César : c'est son affaire après tout. — Comme le dit Varron, je crois certainement à Pompée l'intention de partir pour l'Espagne; et c'est ce que je n'approuve pas du tout. Il m'a été facile de démontrer à Théophane que le mieux était de ne pas s'éloigner; avis au Grec, lui dont l'influence est prépondérante auprès de Pompée. — Je vous écris la veille des nones de juillet, au moment de quitter Athènes. J'y suis depuis dix jours, tout autant. Pomptinius est arrivé; avec lui, Cn. Volnsius; mon questeur s'y trouve aussi. Il ne manque absolument que votre Tullius. J'ai des vaisseaux plats de Rhodes, d'autres à double rang, de Mitylène, et quelques bâtiments de transport. Aucune nouvel le des Parthes. Les dieux me soient en aide jusqu'au bout !  — Je traverse la 192 Grèce aux cris d'admiration des habitants. Je vous jure que ma suite en est encore à me donner un sujet de plainte. Tous me connaissent; ils savent quelle est ma position, et avec quelles intentions je suis parti. Us ne songent qu'a me faire honneur; et il en sera ainsi jusqu'au bout, s'il faut en croire le proverbe grec : tel maître, etc. ; car je ne ferai certes rien dont ils puissent s'autoriser pour mal faire. Si ce n'est pas assez, je saurai me montrer sévère. Jusqu'à présent les moyens de douceur m'ont réussi; cependant, comme on ledit quelquefois, je ne suis en fonds de vertu que pour un on. Poussez donc ferme à mon rappel ; car si on me prorogeai! delà démon année, je ne réponds plus de moi. — J'arrive maintenant à vos commissions : à moins que je n'aie encore quelque excuse valable à vous présenter pour ces préfets, nommez-moi ceux que vous désirez; vous ne me trouverez pas inabordable pour tous comme pour Appuléius. Xénon m'est aussi cher qu'à vous-même, et je suis sûr qu'il n'en doute point. Je vous ai mis au mieux dans l'esprit de Patron et du reste de la secte. C'était justice. N'aviez-vous pas vous-même à trois reprises mandé à Patron qu'en me chargeant de son affaire je n'avais d'autre but que de lui être agréable : c'est lui qui me l'a dit. Patron désire que je demande à votre aréopage la révocation d'un acte passé sous la préture de Polycharme. Xénon, et Patron en est tombé d'accord, a cru qu'il fallait au préalable écrire à Memmius qui était parti pour Mitylène, la veille de mon arrivée à Athènes, et le prier d'envoyer son consentement à ses agents ; il affirme que sans cela ou n'obtiendra rien de l'aréopage. Memmius a renoncé à ses projets de constructions, mais il en veut à Patron. Aussi j'ai cru devoir soigner ma lettre. Je vous en envoie copie. Dites, je vous prie, à Pilia les choses les plus aimables pour la consoler... la consoler de quoi? Voici le motif; mais gardez-moi le secret. Un paquet m'a été remis, celui où était sa lettre. J'ai tout rompu, tout ouvert, tout lu. Sa lettre est vraiment touchante. Peut-être avez-vous reçu vos lettres de Brindes et rien de moi. Je n'étais pas à mon aise. Vous n'aviez qu'à ne pas vouloir de mon excuse νομαναδρίαν. Dites-moi, je vous prie, ce qui se passe; et sur toutes choses, portez-vous bien.

204. A M. CÉLIUS. Athènes, juillet.

F. II, 8. Quoi ! est-ce ainsi que vous me comprenez! des histoires de gladiateurs, des ajournements de procès, des compilations de Chrestus, toutes rapsodies dont on n'oserait me dire mot quand je suis à Rome ! Vous allez voir quelle opinion j'ai de vous; et par Hercule, ce n'est pas sans raison, car je ne connais pas, en politique, de meilleure tête que la vôtre. Ce que j'attends de vous, ce n'est pas que vous me teniez au courant des affaires de la république, quelle que soit leur importance, à moins que je n'y sois personnellement pour quelque chose. Assez d'autres se chargeront de ce soin par lettre ou de vive voix, et la renommée elle-même m'en apportera sa part. Je ne vous demande donc ni le passé ni le présent; mais je veux qu'en homme qui voit de loin, vous me parliez de l'avenir ; que votre correspondance mette sous mes yeux comme un plan de la charpente actuelle de la république, 193 d'après lequel je puisse juger de la forme que prendra plus tard l'édifice. Je n'ai point encore à me plaindre ; vous ne pouviez être meilleur prophète qu'aucun de nous, que moi surtout, qui viens de passer plusieurs jours avec Pompée, ne parlant d'autre chose que des affaires publiques, e ne puis ni ne dois confier à une lettre le détail de nos entretiens. Apprenez seulement que Pompée est un citoyen parfait, et que sa prévoyance , son courage, sa sagesse ne sont en défaut sur rien. Livrez-vous à lui, il vous recevra à bras ouverts, je vous en réponds. Il en est à ne tenir pour bons ou pour mauvais citoyens que ceux que nous autres nous réputons tels. — Je me suis arrêté ces dix jours-ci à Athènes, et j'y ai vu beaucoup notre ami Gallius Caninius ; j'en pars aujourd'hui, veille des nones de juillet, après vous avoir écrit cette lettre. Je vous recommande tous mes intérêts sans exception, j'insiste surtout de la manière la plus vive pour ne pas être prorogé dans ma province. Pour moi, tout est là. Que faut-il faire, quand, et comment agir, quels ressorts mettre en jeu, c'est ce que vous jugerez mieux que moi.

205. — A ATTICUS. En pleine mer, loin de Délos, juillet.

A. V, 12. C'est une terrible chose que la mer, et en juillet; encore six jours pour aller d'Athènes à Délos! La veille des nones de juillet, nous n'allâmes que du Pirée à Zosteros, ayant le mauvais vent qui nous retint toute la journée du lendemain. Le 8 des ides, temps charmant pour arriver à Céos. De Céos un vent violent, sans être contraire, nous a conduits plus vite que nous ne voulions, d'abord à Gyaros, puis à Scyros et enfin à Délos. Vous connaissez les vaisseaux plats de Rhodes; rien ne résiste moins au gros temps. Aussi je ne veux point me presser et ne quitterai Délos qu'après avoir bien consulté toutes les girouettes. J'ai appris l'affaire de Messalla à Gyaros, et je vous écris sur-le-champ. J'en ai dit également mon avis à Hortensius, dont je partage là-dessus le chagrin. Mandez-moi ce qu'on dit de ce jugement et faites-moi connaître où nous en sommes en général. Je veux une lettre sentant l'homme politique qui a feuilleté avec Thalumète ce que j'ai écrit sur ce sujet; une lettre, dis-je, qui m'apprenne non pas seulement ce qui se passe, car votre client Hélénius, l'homme impor1 tant s'il eu fut, pourrait en faire autant, mais où je puisse voir les événements à venir. Au moment où vous me lirez, on aura des consuls. Vous devez avoir une opinion faite sur cela, sur Pompée, sur les tribunaux. Puisque vous restez a Rome, soyez assez bon pour finir mes affaires. J'ai oublié de vous parler de cet ouvrage en brique. Je vous le recommande. S'il y a moyen d'avoir de l'eau, faites pour le mieux selon votre coutume. J'y ai toujours tenu, j'y tiens bien plus depuis que je vous vois y mettre tant de prix. Tâchez donc d'y réussir. Si Philippe recourt à votre crédit, ne le refusez pas, je vous prie. Je vous écrirai plus longuement quand je serai a demeure. En ce moment je suis au milieu des flots.

206. — A ATTICUS. Ephèse, juillet.

A. V, 13. Je suis arrivé à Ephèse le 11 des kalendes d'août, cinq cent soixante jours après le combat de BovilIa. Ma traversée a été sans dangers et sans nausées, mais fort lente ,  194 grâce aux bateaux plats de Rhodes. Vous aurez su, je pense, quel concours de députations et de citoyens, quels flots de population se sont portés à mon passage, d'abord à Samos, puis, de plus belle, à Ephèse. Qu'importé au surplus! pourtant si. Écoutez ! j'ai trouvé pour moi chez les fermiers publics et chez les Grecs d'Ephèse la même ardeur que pour un gouverneur de la province et pour le préteur de la ville. Mais comprenez que me voilà mis en demeure d'appliquer ce que je professe depuis tant d'années. Eh bien ! j'ai été à votre école et j'y ai profité, j'espère. Il y aura justice pour tous, et d'autant plus aisément que, dans ma province, les villes et les agents du trésor sont convenus d'abonnements fixes ; je ne puis vous en dire plus long. Cestius part cette nuit et c'est à mon souper seulement qu'il est venu m'avertir. — Je n'ai rien négligé pour vos intérêts à Éphèse ; même avant mon arrivée, Thermus avait été parfait pour vos amis. Je lui ai présenté Séius et Philogène, je lui ai recommandé Xénon d'Apollonide. Il fait son affaire de toutes vos affaires. J'ai donné de plus à Philogène le compte des avances que vous m'avez faites, mais sur ce point aussi j'ajourne les détails. Je reviens aux affaires de la ville. Par tous les Dieux ! puisque vous restez à Rome, prenez bien vos précautions pour que l'on ne me donne pas une seconde année, et même pour qu'il n'y ait pas cette année d'intercalation. D'ailleurs, n'oubliez aucune de mes commissions ; surtout si vous y pouvez quelque chose, celle qui touche à mon intérieur et qui me pèse, vous entendez ; puis César à qui je me suis livré : vous l'avez voulu et je ne m'en plains pas. Enfin vous savez touchant les affaires politiques ! si je dois être curieux de ce qui se fait; que dis-je, de ce qui se fait? je veux que vous m'écriviez même ce qui est à faire, et de point en point. Avant tout , parlez-moi des procès jugés ou en instance. S'occupe-t-on aussi de mon eau? Philippe a-t-il fait quelque chose? Donnez-y un coup d'œil, je vous prie.

207. DE CÉLIUS A CICÉRON. Rome, juillet.

F. VIII, 2. Oui, vous dis-je, il est absous. J'étais au prononcé, et tous les ordres ont été pour lui, et il y a eu unanimité dans chaque ordre. Qu'y faire? allez-vous me répondre. Par Hercule! je ne me résigne pas si facilement. Non, jamais l'opinion ne fut plus déconcertée, jamais rien ne parut si indigne. Voyez un peu : moi son vieil ami qui étais tout à fait pour lui, moi qui m'apprêtais à le plaindre-, eh bien! je suis resté interdit et comme pris dans un piège. Jugez des autres. Les juges ont été accablés de*huées. On voulait leur faire entendre que c'était trop fort, et ils l'ont bien compris. Au fait, il échappe à la loi Licinia; mais sa position n'en est que pire. Ajoutez que le lendemain de son acquittement, Hortensius s'est montré au théâtre de Curion : sans doute il voulait nous faire partager sa joie ; mais au lieu de cela, « des cris, des trépignements, un bruit « de tonnerre, un horrible concert de sifflets, » oui de sifflets, et de sifflets d'autant plus sensibles que, suivant la remarque de chacun, Hortensius était arrivé à l'âge qu'il a, sans en essuyer un seul; mais il en a eu cette fois pour toute une vie, et il doit être aux regrets de son triomphe. — Je n'ai rien à vous mander sur les affaires publiques. Marcellus est bien 195 refroidi : ce n'est pas indolence, c'est calcul selon moi. On ne sait absolument que penser des comices consulaires. J'ai eu en tète deux compétiteurs, l'un noble, l'autre faisant le noble, M. Octavius flls de Cnéius, et C. Hirrus. tous deux sont sur les rangs avec moi. Je vous en parle, parce que je sais que votre tendre intérêt pour Hirrus vous rend impatient de connaître le résultat des comices. Quoi qu'il en soit, à la première nouvelle que je suis désigné, occupez-vous de mes panthères, je vous prie. Je vous recommande aussi le billet de Sittius. J'ai remis la première partie du journal de Borne à L. Castrinius Pétus. Vous recevrez la seconde par le porteur même de cette lettre.

208. DE CÉLIUS A CICÉRON. Rome, juillet.

F. VIII, 3. Eh bien! ai-je gagné la gageure? quoi que vous en ayez dit en partant, vous ai-je assez écrit? Certes pour peu que mes lettres vous arrivent, j'ai gagné. Je les multiplie d'autant plus que me voilà désœuvré, et que je ne trouve à nul autre délassement plus d'attrait qu'au plaisir de vous écrire. Quand vous étiez à Rome, j'avais une ressource assurée et la plus charmante du monde ; je pouvais passer avec vous les loisirs que me laissaient les affaires : heureux emploi du temps que je ne regrette pas à demi! Si vous saviez à quel point je me trouve seul, depuis votre départ, à quel point Rome elle-même me semble une solitude; et moi qui avec mon indolence, laissais souvent passer des jours entiers sans vous voir, je suis aujourd'hui au supplice de ne pas vous avoir là pour courir à chaque instant chez vous. Il est vrai que, grâce à mon rival, Hirrus, je suis bien plus encore tenté d'aller vous chercher à chaque instant du jour et de la nuit. Vous faites-vous une idée de sa figure, à cet ancien compétiteur de votre augurât, lorsqu'il se désole de ce que mes chances sont meilleures que les siennes, et qu'il n'en veut pourtant rien laisser paraître? Quant au résultat pour lequel vous faites des vœux et que vous êtes impatient d'ap: prendre, je le désire pour vous, je le jure, encore plus que pour moi, qui aurai dans ce cas à lutter contre un collègue plus riche. D'un autre côté, sa déconvenue, si elle arrive, aurait cela de bon qu'elle nous mettrait en fonds pour rire le reste de notre vie. Quoi ! à ce point? oui j par Hercule. Savez-vous que M. Octavius ne soulève pas beaucoup moins de haine qu'Hirrus, et vous savez comme partout on déteste Hirrus: — Mais parlons de la mission de l'affranchi Philolime et des biens de Milon. Je me suis arrangé pour que Philotime la remplît honorablement a la satisfaction de Milon absent et de ses amis, et pour que l'exactitude et la loyauté de votre agent fussent dignes de ce qu'on connaît de vous. Maintenant j'ai une grâce à vous demander : si vous avez du loisir, comme je l'espère, montre que je ne vous suis pas indifférent et dédiez-moi quelque ouvrage. Comment là-bas, allez-vous dire, cette pensée vous est-elle venue? Vous n'êtes pas maladroit ! Oui, je voudrais que parmi les nombreux monuments de votre génie, il y en eût un qui pût transmettre à la postérité le souvenir de. notre amitié. Mais encore quelle sorte d'ouvrage ? allez-vous me demander peut-être. Vous qui avez la science universelle, vous choisirez plus vite et mieux que je ne pourrais le faire ; j'insiste seulement pour que l'ouvrage soit en rapport avec ma personne, et d'un genre qui le 196 mette dans les mains de tout le monde. Adieu.

209. — A ATTICUS. Tralles, juillet.

A. V, 14. Tant que je ne poserai nulle part, Vous n'aurez que des lettres de quelques lignes et pas toujours de ma main. Mais une fois casé, je reprends mes habitudes. Nous cheminons par la chaleur et la poussière. J'ai daté précédemment d'Ephèse; cette fois, c'est de Tralles que je vous écris. Je compte arriver dans ma province le jour des kalendes d'août. Marquez, je vous prie, ce jour-là sur votre indicateur. Au surplus, d'après mes nouvelles tout se présente assez bien. D'abord, les Parthes ne remuent pas. En second lieu, les villes se sont abonnées. Enfin Appius a mis ordre à la sédition des troupes; elles sont payées jusqu'aux ides. — On me fait en Asie un accueil admirable. Personnellement j'ai eu soin de n'être à charge à qui que ce fût. Quant à ma suite, sa tenue me fait honneur. Toute ma crainte est qu'il n'en soit pas constamment de même; je l'espère néanmoins. Tous ont rejoint, excepté votre ami Tullius. Je me décide à aller droit au camp. Là je donnerai le reste de la campagne à l'administration militaire; et l'hiver sera consacré aux affaires civiles. — En fait de nouvelles politiques, ma curiosité égale au moins la vôtre. Événements, prévisions, écrivez-moi tout ; vous ne sauriez m'obliger davantage, à moins toutefois de m'apprendre que mes commissions sont faites; notamment cette affaire d'intérieur qui me touche de si près. Voilà qui sent terriblement la hâte et la poussière. Je mettrai plus d'ordre par la suite.

210. — A APPIUS PULCHER. Tralles.

F. III, 5. Je suis arrivé à Tralles le 6 des kaendes d'août. J'y ai trouvé L. Lucilius avec vos lettres et vos ordres. Vous ne pouviez choisir personne qui fût mieux disposé pour moi, mieux nstruit, ni plus capable de me mettre au fait de tout ce que je désirais savoir. J'ai lu votre lettre avec empressement et prêté grande attention à Lucilius. Quoique sensible aux témoignages de ma gratitude , vous trouvez qu'il était superflu d'évoquer des souvenirs si anciens. Oui, j'en conviens avec vous; une amitié qui a fait ses preuves, une confiance bien établie n'ont pas besoin qu'on énumère leurs titres. Eh bien ! je ne reviendrai plus sur le passé, mais au moins faut-il pour le présent souffrir les remercîments que je vous dois. Car je vois dans vos lettres une attention bienveillante à tout disposer, tout préparer, tout mettre en état, pour me rendre l'administration commode et facile. Ce service mo pénètre de gratitude, et la première conséquence à en tirer, c'est que vous n'avez pas et que vous n'aurez jamais de meilleur ami que moi. Chacun pourra le voir, mais je tiens surtout à vous le prouver, à-vous, aux vôtres; si pour certaines gens ce n'est pas encore chose sûre, c'est moins parce qu'ils en doutent que parce qu'ils s'en fâchent. Mais il faudra bien qu'ils se rendent. Les personnes sont en évidence : les choses le seront aussi, et l'on y verra clair. Mais agir en pareil cas vaut mieux que parler ou écrire. — Il paraît que vous doutez, d'après mon itinéraire, que nous puissions nous rencontrer dans la province. Voici comment les choses se sont passées : dans une 197 conversation que j'eus à Brindes avec Phanias votre affranchi, je vins à lui dire que si je savais en quel endroit de la province il vous conviendrait le plus de me voir, je m'empresserais de m'y rendre tout d'abord. Phanias me répondit que votre intention étant de revenir avec votre flotte, Je ne pourrais indubitablement rien faire de mieux pour vous que d'arriver par mer. C'est bien mon intention, ai-je dit. Et je n'y aurais pas manqué sans L. Clodius qui, à Corcyre, me dit de n'en rien faire, et que vous comptiez m'attendre à Laodicée.C'était une voie beaucoup plus courte, et dont je m'arrangeais mille fois mieux du moment qu'elle vous convenait à vous-même. — Mais il parait que depuis vous avez changé d'avis. C'est à vous, maintenant, à voir ce qui est possible, et à vous décider. Voici ma marche. Je serai, je pense, à Laodicée la veille des kalendes d'août. Je m'y arrêterai fort peu ; le temps de recevoir l'indemnité de déplacement qui m'est due. De là, je me rendrai à l'armée, afin de me trouver à Iconium vers les ides d'août. S'il y a quelque mécompte dans mes calculs (songez que je suis loin des affaires et des lieux), j'aurai soin, chemin faisant, de vous tenir, avec autant de célérité et d'exactitude que je le pourrai, au courant de mes journées et de mon itinéraire. Je ne prétends pas que vous vous gêniez pour mol. Je n'ai aucun droit de l'exiger; mais si cela se peut sans déranger votre plan, il nous importe à tous deux d'avoir une entrevue. Si le sort en décide autrement, ne laissez pas de compter sur moi comme si cette satisfaction m'était donnée. Je ne vous parle point de nos affaires, tant que je conserve l'espérance de vous voir. — Vous aviez, dites-vous, prié Scévola de se charger, à votre départ et en attendant mon arrivée, de l'intérim de la province. Je l'ai vu à Éphèse où j'ai passé trois jours avec lui ; il ne m'a pas dit un mot do. cette mission. J'aurais bien voulu qu'il lui eût été possible de l'accepter. Je ne saurais expliquer un refus de sa part.

211. — DE CÉLIUS A CICÉRON. Rome, août.

F. VIII, 4. J'envie votre sort; que de surprise pour vous chaque jour aux nouvelles que nous vous envoyons! Messalla absous; Messalla condamné ; C. Marcellus nommé consul ; M. Calidius débouté et aussitôt accusé par les deux Gallus; P. Dolabella quindécemvir. D'un autre côté je vous plains, vous avez manqué le plus beau des spectacles, la figure de Lentulus Crus au moment de sa déconvenue. Il fallait voir avec quel air de confiance, quelle assurance imperturbable il était arrivé. Dolabella lui-même s'en était ébranlé, et, par Hercule, si nos chevaliers n'avaient eu le coup d'œil aussi sûr, il l'emportait presque sans conteste. — Vous n'aurez pas été surpris, je pense, de la condamnation de Servius, tribun du peuple désigné. C. Curion se met-sur les rangs pour le remplacer. Ceux qui ne connaissent pas son caractère tremblent. Mais mon pressentiment, mon vœu, et sa propre attitude, me disent qu'il sera pour le sénat et les honnêtes gens. Quant à présent du moins, la bonne volonté lui sort par tous les pores. En voulez-vous savoir l'origine et la cause? C'est le dédain marqué de César, qui pourtant ne recule habituellement de- 198 vant aucun sacrifice pour se faire des partisans jusque dans les rangs les plus bas. Or il est arrivé quelque chose de charmant. Curion, ordinairement si pauvre tête, a montré dans cette occasion, et il n'est personne qui n'en ait été frappé, toute sorte de prudence et d'adresse à déjouer les ruses des adversaires de sa candidature; j'entends parler des Lélius, des Antoine et autres de cette trempe. — J'ai mis entre cette J2ttreet l'autre plus d'intervalle que de coutume, parce que la prolongation des comices m'a fort occupé et parce que j'en attendais la fin de jour en jour, pour vous annoncer les résultats. J'ai attendu jusqu'aux kalendes d'août. Des incidents ont retardé les comices prétoriens. Quant aux miens, je ne sais trop ce qui en adviendra. L'opinion s'était prononcée pour Hirrusd'une manière incroyable dans les comices des édiles du peuple. M. Célius Vinicianus s'est perdu en un clin d'œil par la proposition impertinente d'élire un dictateur, proposition que j'avais précédemment couverte de ridicule, et les huées ont accompagné sa retraite. Tout le monde se demandait s'il ne fallait pas en faire autant à Hirrus. Enfin je me flatte que sous peu, vous apprendrez ce que vous désirez pour moi et ce que vous osiez à peine espérer pour ce fameux personnage. — Je désespérais d'avoir quelque nouvelle politique à vous donner. Mais lors de l'assemblée du sénat, qui se tint le 11 des kalendes d'août au temple d'Apollon, pendant la discussion sur le subside de Cn. Pompée, on vint à parler de la légion qu'il a portée au compte de G. César, de son effectif et des motifs de ce déplacement. César est dans les Gaules, a répondu Pompée. Force lui fut cependant d'eu promettre le rappel, mai non immédiatement, de peur que par une déférence trop prompte il n'eût l'air de céder aux menaces de ses ennemis. Puis on lui a demandé son opinion touchant le remplacement de César. C'est justement pour cet objet, je veux dire le gouvernement de toutes les provinces, et afin qu'il soit présent à la discussion, qu'on l'a fait venir en toute hâte à Rome. Il allait à Ariminum rejoindre l'armée; il a tout laissé pour se rendre au désir du sénat. La question des gouvernements sera traitée, je le suppose, le jour des ides d'août, et je suis convaincu qu'on la réglera; ou il y aura quelque infamie pour l'empêcher. Car au milieu du débat, Cn. Pompée a laissé échapper ce mot, que chacun devait également obéissance au sénat. 11 n'est rien dont je ne sois plus curieux que de savoir comment Paullus le consul désigné se tirera d'affaire, lorsqu'il lui faudra parler le premier. Je vous rappel le encore le billet de Sittius. Persuadez-vous, je vous en prie, que pour moi c'est une chose importante; les panthères aussi. Stimulez les Cibyrates ; commandez-leur une chasse. On annonce la mort du roi d'Alexandrie. La nouvelle paraît certaine. Que dois-je faire? quelle est la situation du royaume? qui en a pris la direction provisoire? Écrivez-moi sur tous ces points.

212. — A ATTICUS. Laodicée, août.

A. V, 15. Je suis arrivé à Laodicée la veille des kalendes d'août. Mettez un clou à dater de ce jour. Jamais je ne vis empressement ni démonstrations pareilles. Mais vous ne sauriez croire combien je m'ennuie déjà de mon rôle. Il 199 n'y a pas là carrière pour cette activité, d'esprit que vous me connaissez. Mon mérite principal reste inutile. Juger les affaires de Laodicée, tandis quePlotius juge celles de Rome; commander deux misérables légions, tandis que notre ami se voit à la tête d'une si belle armée ; ce n'est pas tout cela au surplus qui cause mon regret. Le grand jour, Rome, ma maison, vous tous, voilà ce qui me manque. Je supporterai cet exil tant bien que mal, pourvu qu'il ne dure pas plus d'une année. S'il y a prorogation, c'en est fait de moi. Mais rien de plus facile que d'y parer, vous étant à Rome. — Vous me demandez comment je vis? à très-grands frais; et j'y prends, je vous assure, un plaisir infini. D'ailleurs désintéressement absolu , suivant vos maximes; à tel point que je crains que, pour vous rembourser, il ne faille que j'emprunte. Je n'élargis pas les plaies qu'Appius a faites ; mais elles sont si visibles! je ne puis faire qu'on n'ait des yeux. Je pars de Laodicée le 3 des nones d'août pour visiter mon camp dans la Lycaonie. De là je marche au mont Taurus, enseignes déployées, pour sommer Méragène de me rendre votre esclave. « Tout cela me va comme une selle à un bœuf. Le fardeau n'est pas fait pour mes épaules. » II faut le porter cependant; mais si vous m'aimez, faites que dans un an j'en sois quitte. Trouvez-vous là au moment et chauffez le sénat. Mon inquiétude est au comble. Voilà un siècle que je ne sais rien de ce qui se passe. Je vous renouvelle ma prière ; ne me laissez pas sans nouvelles politiques et autres. Je vous écrirais plus au long, mais cette lettre vous arrivera si tard. Je profite du départ d'un ami, d'un homme à mol, Andronicus de Pouzzol. Remettez vos dépêches aux messagère des fermiers publics. Elles m'arriveront par les préposés aux revenus des divers ressorts de la province.

213. — A ATTICUS. Eu route de Synnade au camp, août.

A. V, 16. Je me suis croisé en route avec les messagers des fermiers publics. Votre recommandation m'est alors revenue à l'esprit ; et, bien qu'en pleine marche, j'ai fait halte aussitôt pour vous tracer, sur le bord du chemin, ce peu de mots qui demanderait un plus long détail. — C'est la veille des kalendes d'août que je suis arrivé dans mon gouvernement, au milieu d'une attente des plus vives. J'ai trouvé la province ruinée, abîmée à ne s'en relever jamais. J'ai passé trois jours à Laodicée, autant à Apamée, autant à Synnade. Partout même concert de plaintes. Payement de la capitation impossible ! revenus engagés ! populations gémissantes, éplorées ! Un monstre et non un homme a passé par là. Que voulez-vous? ils en ont pris la vie en dégoût. — Du moins est-ce un soulagement pour ces pauvres villes de n'avoir à défrayer ni moi, ni mes lieutenants, ni mon questeur, ni qui quo ce soit des miens. Nous ne recevons point de fourrages, ni aucune des allocations de la loi Julia; pas même le bois. Dans les logements on nous fournit quatre lits, rien au delà, et le plus souvent nous couchons sous latente. Aussi quelle affluence prodigieuse des campagnes, des bourgs, de toutes les habitations ! Nous arrivons: ce peuple semble renaître; tout cela grâce à la justice, au 200 désintéressement, à l'humanité de votre Cicéron. Il a surpassé l'attente de tous. — Appius, à mon approche, s'est jeté à l'extrême frontière de la province. Il est à Tarse, où il tient ses assises. Point de nouvelles des Parthes. Cependant les barbares auraient maltraité notre cavalerie, disent les gens qui arrivent de la frontière. Bibulus ne fait pas encore mine d'aller prendre possession de sa province. On prétend que c'est pour y rester plus t.ird. Moi, je me hâte d'arriver à mon camp dont je ne suis plus qu'à deux journées.

214. — A ATTICUS. En route pour le camp, août.

A. V, 17. Je viens de recevoir un paquet de lettres de Rome, et pas une de vous ! Si vous n'êtes ni malade, ni absent, il y a, à coup sûr, de la faute de Philotime plutôt que de la vôtre. Je dicte en voiture, me dirigeant vers le camp dont jj ne suis qu'à deux journées. Dans peu je pourrai mettre mes lettres eu mains sûres, et je me réserve pour ce moment. — Voici ce qu'il vaudrait mieux que vous apprissiez par d'autres que par moi. Mais je veux que vous sachiez notre désintéressement, et que pas un des miens n'impose une obole à qui que ce soit : mes lieutenants , mes. tribuns et jusqu'à mes préfets, y tiennent la main. Tousse montrent jaloux de travailler à ma gloire. Votre Lepta est admirable. Mais le temps me presse. Je vous en écrirai plus long sous quelques jours. —Le jeune Déjotarus, récemment décoré du titre de roi par le sénat, vient d'emmener nos deux Cicérons dans ses états. J'ai pensé qu'ils seraient là au mieux, tandis que je tiendrai campagne. — Sextius m'a fait part de sa conversation avec vous et de votre manière de voir sur cette affaire de famille, mon plus grand souci. Ah ! veuillez vous en occuper sérieusement, je vous prie. Que je sache sur quoi compter et quel est votre avis en définitive. Sextius me mande aussi qu'Hortensias lui aurait dit je ne sais quoi sur la possibilité d'une prorogation. Lui, qui m'avait tant promis à Cumes de ne rien épargner pour mon rappel au bout de l'année. Parez à cela, si vous m'aimez. Les mots ne peuvent dire ce que je souffre loin de vous tous. Dans l'intérêt même de ma réputation d'intégrité et de désintéressement, il importe de ne pas prolonger mon séjour. Scévola eut cet avantage do n'avoir qu'un gouvernement de neuf mois en Asie. Dès que mon Appius a su que j'approchais , vite il s'est enfui de Laodicée jusqu'à Tarse. Il y rend encore la justice, nonobstant ma présence dans la province. Je lui passe volontiers cette usurpation. H m'a bien assez lai- - à faire pour guérir les plaies de son administration. Je travaille à sauver son honneur de mon mieux. Mais je veux que Brutus sache de vous qu'il s'est tenu loin de moi autant qu'il a pu. Cela n'est pas bien.

215. DE CÉLIUS A CICÉRON. Rome, août.

F. VIII,  5. J'ignore si vous avez de l'inquiétude pour la paix de votre province et des pays frontières. Pour moi, je suis loin d'être tranquille. Sans doute, s'il dépendait de nous que la guerre se fit précisément sur l'échelle de vos ressources présentes et seulement dans la mesure qu'il faut pour vous ménager quelque gloire et le triomphe au bout, sans risquer de lutte trop sérieuse et 201 trop acharnée, tout serait pour le mieux. Mais si une fois le Parthe remue, ce ne sera point une perlite affaire, et votre armée est à peine capable de défendre un fossé. Or, on n'entre ici dans aucune de ces considérations, et l'on exige tout des mandataires de la république, comme si rien ne lui était refusé de ce qui peut assurer le suc(vs. Ajoutez que probablement on ne pourra pas vous donner un successeur à cause du dissentiment qui existe pour le gouvernement des Gaules. Je crois que vous en avez pris votre parti. Et c'est précisément pour vous mettre en état de le prendre que, pressentant la difficulté qui se présente, je m'empresse de vous avertir. Vous connaissez la filière : la discussion s'engage sur le renouvellement pour les Gaules. Quelqu'un est là avec une opposition toute prête; un autre survient et ne veut pas qu'on s'occupe d'aucune province, tant que le sénat ne sera pas en mesure de statuer simultanément pour toutes. Le jeu se prolonge, et si bien que de chicane en chicane l'affaire peut traîner deux ans et plus. S'il y eût eu du nouveau , je n'eusse pas manqué de vous le mander avec mon exactitude ordinaire, vous exposant les faits et en tirant les conséquences; mais il y a stagnation complète. Marcellus presse toujours l'affaire des provinces. Seulement il n'a pu encore parvenir à avoir un sénat en nombre. Si l'année dernière, pendant le tribunal de Curion, la question eût été abordée, vous comprenez de reste qu'il eût été bien facile alors de s'opposera toutes les entraves et de passer pardessus les volontés de César, qui sacrifie le bien public à ses intérêts.

216. DE CÉLIUS A CICÉRON. Rome, 2 septembre.

F. VIII, 9. Traiter ainsi ce pauvre Hirrus? di tes-vous. Oui certes, et si vous saviez avec quelle facilité de ma part, avec quelle soumission de la sienne, vous seriez tout honteux qu'un tel homme ait jamais pu entrer en lice avec vous. Depuis le refus qu'il a essuyé, il est à mourir de rire. II joue le bon citoyen, déclame contre César,. se montre impatient de tout délai, et traite assez mal Curion. Il s'est opéré en lui une transformation. Vous savez qu'on ne l'avait jamais vu au forum, et qu'il est fort peu versé dans les affaires judiciaires. Eh bien I il plaide aujourd'hui des causes de liberté; rarement après midi, il est vrai. — Vous savez ce que je vous avais mandé des gouvernements de provincequi étaient à l'ordre du jour pour les ides d'août. Marcellus consul désigné a tout arrêté de son autorité privée. L'affaire est ajournée aux kalendes, faute par le sénat d'avoir pu se réunir en nombre. Je vous écris aujourd'hui 4 des nones de septembre, sans qu'on soit beaucoup plus avancé. J'entrevois, que tout en restera là jusqu'à l'année prochaine; et autant que ma divination peut s'étendre, je prévois que vous serez obligé de vous désigner vous-même un successeur provisoire. Ou ne nomme à aucun gouvernement, parce qu'il y a opposition pour les Gaules, et que l'on ne voudrait pas faire une exception pour celui-là. J'en parle avec certitude et je vous en écris pour vous préparer à tout. — Je vous ai parlé de panthères dans presque toutes mes lettres. Il serait honteux pour moi, quand Patiscus en a envoyé dix à Curion, de n'en pas recevoir un plus grand nombre de vous 202 qui en pouvez faire prendre en mille endroits. Curion m'a donné les dix de Patiscus et dix autres qu'il a reçues d'Afrique. Il ne borne pas ses générosités, vous le voyez, à donner des fonds de terre. Si vous n'avez pas oublié mes prières, si vous mettez en mouvement les Cibyrates, et si vous envoyez quelques ordres en Pamphylie, où l'on dit qu'on en prend beaucoup, vous en aurez tant que vous voudrez Je suis d'autant plus préoccupé à ce sujet qu'il me faudra, je le suppose , faire tous les préparatifs sans le concours de mon collègue. Faites de cela, je vous prie, votre affaire personnelle, car je sais que vous êtes comme moi assez disposé à négliger les détails. Mais ici tout consiste pour vous à donner ou faire donner des ordres. Les bêtes une fois prises, les gens que j'ai envoyés pour le billet de Sittius se chargeront de les nourrir et de les amener. Je me prépare d'ailleurs à envoyer du renfort pour peu que vos lettres me donnent bon espoir. — Je vous recommande M. Féridius, chevalier romain, fils de mon ami, excellent et brave jeune homme qui va là-bas pour ses affaires. Soyez assez bon pour le regarder comme un des vôtres. Il voudrait obtenir l'immunité des terres que les villes afferment. C'est une grâce qu'il vous est facile et qu'il est légitime d'accorder. Vous obligerez des hommes honorables qui en seront très reconnaissants. N'allez pas croire au moins que Favonius n'ait eu contre lui que des misérables. Pas un honnête homme n'a voté pour lui. Votre ami Pompée dit publiquement que César ne peut pas conserver sa province avec une armée et devenir consul; mais il déclare que le moment n'est pas venu de faire un sénatus-consulte. Scipion, au contraire, est d'avis de réserver la question pour les Ralenties de mars et de s'en occuper ce jour-là exclusivement; c'est ce qui afflige beaucoup Balbus Cornélius, et je sais qu'il s'en est plaint à Scipion. Canidius a fait preuve de beaucoup de talent tant qu'il a eu à se défendre ; mais quand il a voulu attaquer, il a été faible.

217. — A MARCUS CATON. Du camp d'Iconium, septembre.

F.  XV, 3. Des envoyés d'Antiochus de Commagène sont arrivés dans mon camp à Iconium le 3 des nones de septembre. Ils m'annoncent que le fils du roi des Parthes quia épousé la sœur du roi d'Arménie, s'est mis en marche vers l'Euphrate à la tête de forces très-considérables et d'un gros d'auxiliaires de diverses nations, et qu'il est en train de passer le fleuve. De plus, on assure que le roi d'Arménie prépare une invasion en Cappadoce. Je crois devoir à l'amitié qui nous lie de vous communiquer confidentiellement ces nouvelles. J'ai deux raisons pour ne point en écrire officiellement : la première, c'est que, suivant le rapport des envoyés, le roi de Commagène a expédié à l'instant des courriers avec des lettres au sénat; la seconde, c'est que, d'après mes calculs, le proconsul M. Bibulus s'étant embarqué à Éphèse pour la Syrie vers les nones d'août et ayant eu des vents favorables, a dû arriver à temps dans sa province, et que Je sénat aura par lui les détails et les informations les plus exacts. Dans de telles circonstances, avec une si terrible guerre, et une si grande insuffisance de forces, je n'ai qu'une chose à faire, et j'y donne tous mes soins, c'est d'agir par la douceur, par la justice, par l'influence de nos alliés fidèles. Ne 203 cessez pas, je vous prie, de m'aimer et de me défendre en mon absence.

218. — A APPIUS PULCIIER. De la Cappadoce. Septembre.

F. III, 6. Quand je compare mes procédés aux vôtres, quelque égale justice que je rende d'ailleurs aux intentions, je ne voudrais pas pour beaucoup changer de rôle avec vous. Je trouve à Brindes Phanias que je vous sais tout dévoué et que je suis fondé à croire fort avant dans votre confiance. Je lui demande par quel point de la province il vous convient le mieux que je fasse mon entrée, comme votre successeur. Il me répond que je ne pourrais rien faire de plus agréable pour vous que de débarquer à Sida. Eu égard au rang, on pouvait certes mieux choisir, et cette direction ne me convenait guère sous beaucoup d'autres rapports. Néanmoins je me décide à la prendre et je le dis à Phanias. Mais voilà que je rencontre, à Corcyre, L. Clodius, dont la liaison avec vous est si intime qu'en lui parlant je crois vous parler à vous-même. Je lui fais part de ma conversation avec Phanias et de mon intention d'entrer dans la province par le point qu'il m'avait indiqué. Clodius me remercie ; mais en m'engageant de la manière la plus pressante à me rendre directement à Laodicée, votre dessein étant, me dit-il, de vous rapprocher de la frontière, afin d'être plus tôt parti ; il ajouta même que si ce n'eût été moi, et le désir que vous aviez de me voir, vous auriez quitté la province sans attendre votre successeur. Les lettres que j'avais reçues de Rome, d'accord sur ce point, témoignaient toutes de votre impatience de revenir. Je répondis à Clodius que je suivrais son avis, et bien plus volontiers que celui de Phanias. Je changeai en effet de plan et je vous en fis part à l'instant dans une lettre de ma main, qui a dû vous arriver à temps, a en juger par votre réponse. — Voilà ma conduite dont je n'ai certes qu'à m'applaudir, car on ne peut faire davantage pour un ami; considérez maintenant la vôtre. Non seulement vous n'avez pas été où nous pouvions nous voir le plus tôt ; mais vous vous êtes éloigné si bien que les trente jours que vous accorde, je crois, la loi Cornélia, pour sortir de la province, ne m'auraient pas suffi pour vous rejoindre. Il en résulte que pour qui ne vous connaît pas, vous aurez agi, et j'adoucis les termes, comme un indifférent qui cherche à éviter une rencontre, et moi, comme un ami aussi tendre qu'empressé. — Cependant, avant d'arriver dans la province, on m'avait remis des lettres de vous qui, tout en annonçant votre départ pour Tarse, me donnaient positivement à espérer que nous nous joindrions quelque part. Là-dessus des malveillants (race qui ne manque guère et se glisse partout), ont trouvé matière à propos. Incapables d'apprécier mes sentiments, ils ont cherché à m'inspirer des préventions contre vous. Vous teniez, disaient-ils, cour de justice à Tarse, faisiez des règlements, rendiez des décrets, prononciez des jugements ; le tout sachant bien que vous étiez actuellement remplacé. Or cela ne se fait guère du moment qu'on attend un successeur. Rien de tout cela n'a fait impression. Il y a mieux, je vous le jure, je me regardais comme exonéré d'autant par votre activité officieuse, et au lieu d'une année, terme déjà si long, je me réjouissais de n'avoir plus que onze mois de charge, puisque le travail d'un mois 204 aurait été fait avant mon arrivée. Mais ce qui me touche beaucoup, je le dis avec sincérité, c'est de ne point trouver dans une province déjà si dégarnie les trois meilleures cohortes, et d'ignorer même où elles sont. Enfin il est pénible pour moi au dernier point de ne savoir où vous joindre; et je n'ai tardé à vous écrire que parce que j'attendais cette satisfaction de jour en jour. Vous m'avez laissé sans lettres, et dans «me ignorance absolue de ce que vous faites, du Heu où je dois vous rencontrer. Dans cette situation , je vous ai envoyé Antoine, préfet des rappelés, brave soldat et qui a toute ma confiance. Il a mission de recevoir de vous les cohortes, si vous jugez à propos de les lui remettre. Mon intention serait de profiter du reste de la campagne pour tenter quelque expédition. Vos lettres me font espérer à cet égard le secours de vos conseils et de votre bonne amitié. Je n'en désespère pas encore, mais si vous ne m'écrivez quand et où je puis vous voir, je ne saurais le deviner. Amis ou ennemis, personne, je vous le garantis , ne se méprendra sur ma vive amitié pour vous. Peut-être avez-vous donné quelque lieu à i:os ennemis de suspecter vos sentiments pour moi. Je vous saurai un gré infini de leur ôter celte pensée ; et pour vous donner la possibilité «le me voir sans violer la loi Cornélia, je n'ai mis le pied dans la province que la veille des kalendes de septembre ; je me rends en Cilicie par la CapI ndocc; enfin j'ai levé mon camp d'Iconium, la ville des kalendes de septembre. Maintenant, si d'après les calculs des jours et des distances, vous croyez une entrevue possible, c'est a vous de choisir et de m'indiquer et le jour et le lieu.

219. — A ATTICUS. Au camp de Cybistre en Capapdoce, septembre.

A. V, 18. Que je voudrais vous savoir à Rome ! Peut-âtre y êtes-vous encore. Tout ce que j'en sais, c'est que j'ai reçu deux lettres de vous datées du 14 des kalendes d'août m'annonçant votre intention de partir pour l'Épire vers les kalendes du même mois. Mais que vous soyez à Rome, que vous soyez en Épire, ce qui est certain, c'est que les Parthes, et à leur tête Pacorus, fils de leur roi Orode, ont passé l'Euphrate avec toutes leurs forces. On n'entend pas parler de la venue de Bibulus en Syrie. Cassius s'est renfermé dans Antioche avec son corps d'armée. Moi je suis campé à Cybistre près du Taurus, en Cappadoce. L'ennemi occupe la Cyrrestique, partie de la Syrie limitrophe de ma province. J'écris ces détails au sénat. Lisez ma lettre, si vous êtes encore à Rome; voyez s'il est bon qu'elle parvienne, et avisez à tout ce qu'il faut faire. Gare surtout qu'une extension de ma charge et de sa durée ne survienne tout à coup « entre la victime et le sacrificateur,» comme on dit. Si faible en troupes et en alliés, en alliés sûrs du moins, mon meilleur moyen de défense est l'hiver. L'hiver une fois venu avant toute irruption dans ma province, je n'ai plus qu'une crainte, c'est que l'état menaçant de la capitale n'empêche le sénat de laisser partir Pompée. Au surplus, vienne mon successeur au 205 printemps, je m'inquiète peu du reste. Le tout est d'éviter une prorogation quelconque. Voilà ce que je vous recommande, si vous êtes à Rome. Mais à Rome ou ailleurs, encore faut-il que vous sachiez où j'en suis. Le cœur ne me manque pas. Et comme mes mesures sont, je crois, bien prises, j'ai bon espoir, dût-on en venir aux mains. Je suis avantageusement posté, largement approvisionné, à portée de la Cilicie, maître de tous mes mouvements. Je n'ai qu'une poignée d'hommes, mais qui, si je ne m'abuse, me sont dévoués du premier au dernier. Mes forces vont être doublées par la jonction de Déjotarus avec tout son monde. La fidélité des alliés m'est assurée comme elle ne le fut jamais. Ils ne reviennent pas de ma douceur et de mon désintéressement. Je fais prendre les armes aux citoyens romains; on transporte le blé dans les places. Enfin me voilà prêt, suivant l'occurrence, ou à prendre l'offensive ou à faire bonne défense dans mes positions. Ainsi rassurez-vous, vous, dont Je vois d'ici tout comme si vous étiez devant mes yeux, la sollicitude et les alarmes. Mais je vous en prie, en supposant que le sénat n'ait rien décidé pour moi avant les kalendes de janvier, ne laissez point passer le mois sans revenir à Reine. Je ne crains rien, si je vous ai là. J'aurai pour moi les consuls ainsi que le tribun Furuius. Mais votre zèle, votre prudence, votre crédit sont mes plus sûrs auxiliaires. Mettez le temps à profit. Je serais honteux de dire un mot de plus. — Nos deux Cicérons sont auprès de Déjotarus. Je les enverrai ù Rhodes, au besoin. Si vous êtes à Rome, écrivez-moi aussi exactement que de coutume. Si vous êtes en Épire, ne laissez pas de m'envoyer un messager de temps à autre, afin que nous sachions réciproquement, vous ce qui m'arrive, mol ce que vous faites ou ferez. Je prends les intérêts de Brutus plus chaudement qu'il ne ferait lui-même. J'abdique la tutelle. Je renonce à défendre mon pupille. Ce sont des affaires qui ne finissent pas et dont il n'y a rien à tirer. Mais Brutus sera content. Vous le serez aussi, vous qui n'êtes pas si aisé à satisfaire. Vous le serez tous deux.

220. — A M. MARCELLUS, CONSUL DÉSIGNÉ. Camp de Cybistre, septembre.

F. XV, 7. Ma joie est extrême de vous savoir consul. Veuillent les Dieux rendre votre dignité prospère, et votre administration digne de votre père et de vous ! Tel est le vœu d'un homme qui n'a cessé de vous aimer, de vous chérir, qui vous a trouvé ami fidèle en toutes les phases de sa vie si mêlée, qui, lié à votre père par de nombreux bienfaits, défendu par lui dans la mauvaise fortune , secondé, célébré dans la prospérité à tous ces litres, est et doit être à vous sans réserve; ajoutez que je sais très-bien tout ce que votre excellente et respectable mère a fait dans l'intérêt de ma gloire et de ma conservation avec une énergie au-dessus de son sexe. C'est sous la protection de ces souvenirs que je vous demande plus que jamais de me conserver votre affection et vos bons offices pendant mon absence. Adieu.

221. — A C. MARCELLUS. Au camp de Cybistre, septembre.

F. XV, 8. Enfin votre Marcellus est consul, et voilà le plus cher de vos vœux accompli : ma joie en est extrême. J'en suis charmé pour lui, pour vous, pour vous qui méritez tant d'être heureux. J'ai toujours présents à la pensée les rares témoignages d'intérêt que j'ai reçus de Marcellus et dans mes disgrâces et dans mes prospérités. Il 206 n'est pas une occasion de ma vie où je n'aie trouvé toute votre maison empressée à défendre ma personne et ma gloire, et prête à tout pour me servir. Aussi, je vous en prie, faites-moi la grâce d'exprimer en mon nom mes félicitations les plus sincères à Junia, votre vertueuse et excellente femme. Je vous demande à vous de continuer à l'ami absent votre affection et vos bons offices.

222 A M. MARCELLUS, Consul. Au camp de Cybistre, septembre.

F. XV, 9. Vous recueillez aujourd'hui le fruit de votre pieuse tendresse pour les vôtres, de votre dévouement à la chose publique et des brillants et admirables travaux de votre consulat : C. Marcellus est consul désigné. Je m'en réjouis de toute mon âme, et je suis sûr de ce qu'on en pense à Rome. Pour moi, habitant des lointains pays, député par vous-même aux extrémités du monde, je rends au ciel les plus vives actions de grâces pour un tel bienfait. Comment ne le ferais-je point? Dès mes plus jeunes ans, je vous aimais déjà avec passion; et vous, vous avez toujours en tout désiré, appelé, favorisé ma grandeur. De pareilles dispositions jointes 4 la haute estime où vous tient le peuple romain, ont singulièrement accru la vivacité et l'énergie des sentiments que je vous porte. Aussi est-ce une très-grande joie pour moi quand j'entends dire à des hommes sages, à d'excellents citoyens, que nous sommes formés sur le modèle l'un de l'autre, moi sur vous ou vous sur moi, tant ils trouvent d'analogie entre notre langage, nos actions, nos goûts, et nos principes. — Vous avez fait de magnifiques choses dans votre consulat; il y eu aurait une encore à y ajouter, ce serait de m'envoyer le plus tôt possible un successeur, ou du moins de ne pas souffrir qu'on prolonge le terme que vous m'avez fixé par un décret et par une loi. Faites cela et je vous devrai plus qu'il n'est possible de le dire. Ayez soin de votre santé et continuez de m'aimer et de veiller à mes intérêts en mon absence. J'ai quelques informations touchant les Parthes; je ne les juge pas suffisantes pour en écrire officiellement , et il ne me semble pas que notre amitié même m'autorise à vous en parler. Écrivant à un consul, je donnerais par cela seul un caractère officiel à ma lettre.

223. — A L. PAULLUS, CONSUL DÉSIGNÉ. Au camp de Cybistre, septembre.

F. XV, 12. Je n'ai jamais douté que le peuple romain, touché de la grandeur de vos services et de l'éclat de votre maison, ne dût un jour vous élever par ses suffrages unanimes à la dignité de consul. Mais la nouvelle de votre élection ne m'en a pas moins comblé de joie. Puisse la faveur des Dieux et de la Fortune vous suivre dans ce haut rang! Puisse votre administration devenir digne de vous et de vos nobles ancêtres! Ah! que ne m'a-t-il été donné d'être présent à ce jour, objet de tous mes vœux ! que ne puis-je, à vos côtés, vous seconder, vous servir, comme vous l'avez fait vous-même si admirablement pour moi ! Ce gouvernement qui m'est tombé sur la tête si soudainement, si fort à l'improviste, me prive d'un tel bonheur. Faites au moins que je puisse vous voir exerçant à votre gloire la suprême magistrature. Faites par conséquent, je vous le demande avec instance , qu'on ne se joue pas de moi, et que mon 207 année ne soit pas prolongée d'une minute. Ce sera un nouveau titre ajouté à tous les droits que vous avez déjà à ma reconnaissance.

224.—AUX CONSULS, AUX PRÉTEURS, AUX TRIBUNS DU PEUPLE, AU SÉNAT. Au camp de Cybijtre, septembre.

F. XV, 2. Je suis entré dans ma province la veille des kalendes d'août. La difficulté des chemins et l'état de la mer ne m'ont pas permis d'arriver plus tôt. Mon devoir et l'intérêt de la république me commandaient de donner d'abord tous mes soins à l'armée et à l'administration militaire. Je pourvus à tout en suppléant par la vigilance et l'activité ce qui me manquait en ressources effectives. Et comme mes lettres et mes courriers me parlaient presque journellement d'une irruption des Parthes dans la Syrie, je résolus de diriger ma marche vers la Lycoonie, l'Isaurie et la Cappadoce. Il y avait grande apparence en effet que, si l'ennemi tentait une diversion sur la Cilicie, ce serait par la Cappadoce, pays ouvert, qu'il chercherait à y pénétrer. J'ai donc traversé avec mon armée la portion de la Cappadoce qui longe la Cilicie et j'ai assis mon camp près de Cybistre, au pied du Taurus. J'étais bien aise qu'Artuasdès, roi d'Arménie, quelles que soient au fond ses dispositions pour nous, vit à sa porte une armée romaine. Je voulais aussi pouvoir lier mes opérations avec Déjotarus, le meilleur ami et le plus fidèle allié de Rome, et faire profiter la république de ses conseils et de ses forcés. Cela fait, je détachai ma cavalerie en Cilicie, pour y répandre le bruit de mon arrivée, agir ainsi sur l'esprit des habitants et me tenir en même temps plus à portée des nouvelles de Syrie. Ayant trois jours devant moi, je songeai à les mettre à profit poui1 l'accomplissement d'un acte de devoir et d'intérêt public. Vous m'aviez expressément chargé de prendre sons ma protection le roi Ariobarzane, ce pieux et fidèle ami des Romains. Vous m'aviez remis le soin de sa personne, de ses intérêts, de son royaume. Enfin par une exception encore sans exemple, vous aviez proclamé dans un décret l'intérêt que lui portent le sénat et le peuple romain. J'avais à faire connaître au roi vos sentiments, à lui promettre mon appui, mon concours et mes services, et à lui demander ce que je pouvais faire comme chargé spécialement de veiller à sa sûreté. Il fut donc introduit dans mon conseil, et après avoir reçu mes communications, il commença par témoigner à la république , et même à moi, sa profonde et légitime reconnaissance, disant que tant de sollicitude de la part du sénat et du peuple romain était à ses yeux un fait immense et le comble de l'honneur. Il ajouta que mon empressement lui montrait quelle solide confiance méritaient de tels témoignages. Dans notre entretien, le prince me dit ensuite à ma grande satisfaction qu'il n'avait connaissance ni même soupçon d'aucune trame contre sa couronne ou sa vie. Je ne manquai pas de l'en féliciter, de lui en témoigner ma joie, mais en l'avertissant toutefois de ne pas oublier le meurtre horrible de son père, de ne rien négliger pour sa conservation, et de se rappeler toujours les bous avis du sénat. Là-dessus il prit congé et s'en fut à Cybistre. Le lendemain, je le vis revenir accompagné de son frère Ariarathe et des 208 plus anciens d'entre les amis de sou père. Le trouble se peignait sur son visage et des larmes étaient dans ses yeux. Son frère, ses amis, toute sa suite montraient le même désordre et la même tristesse. Il implora mes secours et votre appui. Je lui demandai avec étonnement la cause d'un changement si subit. Il me répondit que d'après les révélations qui venaient de lui Être faites, un grand complot était ourdi contre lui. Jusque-là le secret avait été gardé. La terreur enchaînait les langues. Mais depuis l'arrivée des Romains, l'espérance de mon appui avait engagé plusieurs personnes a parler hardiment ; son frère, son ami le plus tendre et le plus dévoué, lui avait ouvert son cœur, comprimé jusque-là par la crainte, et lui avait déclaré, ce qu'il répéta en effet devant moi, que plusieurs fois on lui avait proposé lu trône, dont la mort de son frère pouvait seule lui ouvrir l'accès. Après les avoir entendus, je dis au roi qu'il devait immédiatement prendre des mesures pour assurer sa vie, et rue tournant vers ses amis éprouvés sous les règnes du père et de l'aïeul, je leur rappelai le sort du feu roi et les engageai à aider le prince leur maître de leurs conseils et à lui faire un rempart de leurs corps. Ariobarzane me pria de mettre à sa disposition un corps de cavalerie et quelques légions. D'après le sénatus-consulte, il était dans mou droit, et dans mon devoir peut-être de déférer à cette demande ; mais je considérai les nouvelles que je recevais chaque jour de Syrie, l'intérêt pressant de la république, et je Vis que je devais me porter avant tout avec toutes mes troupes vers les frontières de la Cilicie. Il me parut d'ailleurs que le complot une fois découvert, le roi n'avait pas besoin de secours; qu'il avait assez de ses forces. Je lui dis qu'il fallait sauver sa tète en apprenant à régner ; qu'il connaissait les coupables et qu'il était roi; qu'il fallait faire des exemples sur quelques-uns et rassurer ensuite le reste; qu'il pouvait se servir démon armée pour agir sur les esprits, mais non contre les personnes ; que le décret du sénat était connu et que tout le monde sentirait du reste qu'en cas de besoin je ne manquerais pas, suivant vos ordres, d'arriver en force au secours du roi. Ariobarzane me quitta tout à fait rassuré. Je levai le camp et me mis en marche pour la Cilicie, ayant la satisfaction de penser que grâce à votre prévoyante sagesse, par un hasard incroyable et presque miraculeux, mon arrivée avait sauvé d'un péril imminent un roi à qui vous aviez spontanément prodigué les plus honorables témoignages, et dont vous aviez déclaré par décret la conservation digne de la sollicitude du peuple romain. Voilà les faits dont j'avais à vous rendre compte. En voyant quels attentats étaient si près de s'accomplir, vous vous applaudirez de votre sagesse qui, de si loin, avant l'événement, a tout prévu pour y parer. Je suis d'autant plus heureux de vous donner ces détails que le roi Ariobarzane m'a paru mériter par sou courage et ses talents, son dévouement et sa fidélité à la république, les témoignages insignes d'intérêt dont il a été l'objet.

225. — A ATTICUS. Cilicie, Septembre.

A. V, 19. Vous avez probablement reçu ma dernière lettre qui est de ma main et très-détaillée. Au moment où je la fermais est arrivé le messager d'Appius avec la vôtre du 11 des ka- 209 lendes d'octobre. Il a été quarante sept jours en route, et n'a pas perdu son temps. Quelle cruelle distance ! Vous aurez attendu, je le vois bien, que Pompée fût revenu d'Ariminum, et à présent vous ôtes parti pour l'Épire. Je vous crois sans peine, vous n'y serez pas plus tranquille que nous. J'ai écrit à Philotime de ne point assigner Messalla pour la dette d'Attilius. Je suis flatté que vous ayez su par la renommée l'accueil que j'ai reçu durant la marche ; mais je le serai encore plus si elle vous apprend le reste. Le cœur vous parle donc pour cette petite fille qui est restée à Rome. A la bonne heure 1 Je l'aime bien, moi qui ne l'ai jamais vue ; et je suis persuade qu'elle le mérite. Continuez à vous bien porter. Quant à Patron et à vos chers condisciples, vous voyez qu'au milieu de la guerre, je n'ai pas négligé les ruines de la demeure de votre Épicure, et je suis fort aise d'avoir pu vous être agréable en cela. Eh bien ! vous applaudissez donc à cette nouvelle déconvenue d'un homme jadis en concurrence avec l'oncle de votre neveu. Voilà une grande preuve d'amitié ; mais vous me faites penser a m'en réjouir. Je n'y songeais pas. Je n'en crois rien, me direz-vous. Tout comme il vous plaira. Je m'en réjouis en vérité, mais par esprit de justice et non par ressentiment, ce qui est tout autre chose.

226. — AUX CONSULS, AUX PRÉTEURS, AUX TRIBUNS DU PEUPLE, AU SÉNAT.

F. XV, 1. Des avis que j'avais lieu de croire fondés m'avaient annoncé le passage de l'Euphrate par les Parthes avec presque toutes leurs forces. Mais vous supposant informés de tout par la correspondance du proconsul M. Bibulus, je n'ai pas cru devoir vous faire une communication officielle sur des événements qui se passent dans la province d'un autre. Aujourd'hui la nouvelle est positive. Des témoignages irrécusables, les exprès que j'expédie, les courriers que je reçois, les rapports qui m'arrivent ne me permettent plus d'en douter. Les circonstances sont graves; l'arrivée de Bibulus en Syrie est encore incertaine. Ma responsabilité est engagée dans cette guerre qui me concerne autant que lui. Je prends donc sur moi de mettre les faits sous vos yeux. Les premiers avis me vinrent du roi Antiochus de Commagène: on disait les Parthes occupés à passer l'Euphrate avec de grandes forces. Comme Antiochus n'inspire qu'une confiance douteuse, je résolus d'attendre la confirmation de ces nouvelles. J'étais en marche avec mon armée pour la Cilicie et déjà sur la routière qui sépare la Lycaonie de la Cappadoce, lorsque le 13 des kalendes d'octobre, je reçus des lettres de Tarcondimotus, qui passe pour le plus fidèle de nos alliés et le meilleur de nos amis d'au delà du Taurus; il m'annonçait que Pacorus, fils d'Orode, roi des Parthes, avait passé l'Euphrate à la tête d'une cavalerie très nombreuse, qu'il campait à Tyba, et que son arrivée avait jeté la perturbation dans la Syrie Le même jour, je reçus d'autres lettres parfaitement identiques de Jamblichus, philarque des Arabes, qu'on regarde comme bien intentionné et comme sincèrement attaché à la république. Sans me dissimuler les dispositions chancelantes de nos alliés ni l'indécision que jetait dans les esprits la possibilité d'un changement de domina- 210 tion, je me flattais que les peuples qui s'étaient trouvés en contact avec moi et qui avaient pu juger de ma mansuétude et de mon intégrité, auraient pris de meilleurs sentiments pour nous, et que la Cilicic, notamment, une fois qu'elle aurait fait connaissance avec mon administration, serait plus ferme clans le devoir. Dans cette vue, et voulant d'ailleurs avoir raison de quelques Ciliciens révoltés, voulant de plus montrer à l'ennemi actuellement en Syrie qu'au lieu de reculer devant ces nouvelles, l'armée romaine voulait y voir de plus près, je me décidai à conduire la mienne au mont Taurus. Maintenant, si ma voix a quelque poids auprès de vous, le moment est venu de me le faire voir. Écoutez mon conseil et mon instante prière. Donnez à cette province une attention trop longtemps refusée. Vous m'avez envoyé dans ce gouvernement sous la menace d'une guerre formidable, et vous savez dans quelles conditions, avec quels moyens de défense. Je n'ai pas accepté en insensé, en aveugle. Je me suis fait un point d'honneur de ne pas refuser, car j'aime mieux m'exposer à tous les périls que de reculer devant un ordre du sénat. Mais les choses en sont ici au point que si vous n'y montrez sans retard un ensemble de forces aussi important que dans les plus grandes guerres, vous compromettez la possession de ces provinces, la plus belle source des revenus de l'empire. Aucun fonds à faire sur des levées provinciales. La population est faible et se cache depuis qu'il y a danger. Quant à la valeur de cette milice, rapportez-vous-en au meilleur juge qui soit en Asie, à M. Bibulus que vous aviez autorisé à faire une levée et qui n'en a pas voulu. Quant aux auxiliaires, grâce aux injustices et à l'oppression dont nous avons usé envers nos alliés, leurs contingents sont ou trop faibles pour compter, ou trop mal disposés pour qu'on s'en promette des services, ou même qu'on en attende le moindre secours. Pour Déjotarus, il est à nous, lui et les forces, telles quelles, dont il dispose. La Cappadoce est un désert. Le reste des rois ou princes n'a ni les moyens, ni la volonté d'agir. Si les troupes me manquent, le courage du moins ne me fera pas défaut, ni la tête non plus, j'espère. Qu'arrivera-t-il? nul ne saurait le dire. Puissent les Dieux assurer le succès de nos efforts! Je réponds que du moins l'honneur restera sauf.

227. — A APPIUS PULCHER. Mopsuheste, octobre

F. III, 8. Je vois par votre correspondance que vous ne lirez guère cette lettre qu'à votre station près de Rome, alors qu'il ne sera plus question des vains propos de la province. Mais vous insistez tant sur ces insinuations malveillantes que je crois vous devoir quelques mots d'explication. Je me trouve d'abord comme forcé de laisser sans réponse les deux premiers griefs énoncés dans votre lettre : c'est quelque chose de trop peu précis et de trop vague que d'accuser d'inimitié mon visage ou mon silence, et d'alléguer le témoignage de gens qui m'ont vu à mon tribunal ou parfois à table. Il est clair qu'au fond de cette accusation, il n'y a rien, et à rien je ne sais que répondre ; je sais seulement qu'on aurait pu vous rapporter avec plus de vérité une foule de mots qui ont eu de l'éclat, que j'ai dits, soit officiellement, soit en conversation, et qui tous 211 déposaient de ma haute estime et de l'amitié qui nous unit. En ce qui concerne les députations, n'était-il pas à la fois de bon goût et conforme à la stricte justice, d'en alléger les charges pour les villes les plus pauvres, sans aucun préjudice de l'honneur qu'on voulait vous faire; surtout quand je ne faisais que céder aux instances de ces villes elles-mêmes? Je ne connaissais pas encore la pensée de ces députations dont vous étiez l'objet. J'étais à Apamée lorsque les chefs d'un grand nombre de villes me firent représenter que les allocations faites aux députés étaient excessives et que les villes étaient hors d'état de payer. — Une foule de réflexions me vinrent à l'esprit. Appius, me dis-je surtout, homme sage, Romain de la ville, suivant l'expression du jour, ne peut avoir un goût si prononcé pour ces ambassades. Je me souviens d'avoir développé cette thèse à Synnade en plein tribunal. Je soutins premièrement que l'éloge d'Appius Claudius devant le sénat et le peuple romain avait été fait spontanément, et non sur le témoignage des habitants de Méda, comme on l'a consigné dans les registres de cette ville, et que, parmi beaucoup d'ambassades de ce genre que j'avais vues à Rome, il n'y en avait pas une seule, à mon souvenir, qui eût jamais obtenu d'audience ou prononcé l'allocution laudative; je rendis d'ailleurs hommage au zèle et aux inspirations de la reconnaissance, tout en déclarant en fait les députations complètement inutiles. J'ajoutai toutefois que si quelques personnes tenaient à vous témoigner leurs sentiments, je les louerais de faire le voyage à leurs frais; que je donnerais même les mains à toute indemnité raisonnable et légitime ; mais que je m'opposerais aux folles dépenses. Qu'y a-t-il à à me reprocher? mais, dites-vous, quelques personnes ont vu dans mon édit une intention réfléchie d'empêcher les députations. Eh bien, je le déclare, ceux qui articulent une accusation de ce genre me font moins injure à moi-même qu'à celui qui ouvrira les oreilles pour l'entendre. J'avais fait mon édit à Rome. Je n'y ai rien ajouté, si ce n'est quelques articles que les publicains m'ont prié à Samos de transporter du vôtre dans le mien. L'article qui traite de la diminution des charges des villes a été de ma part l'objet d'un soin tout particulier. Il contient des dispositions neuves, fort importantes pour les villes ; et je m'en applaudis vivement. Ce qu'il y a de bon, c'est que les choses dont on s'empare pour m'accuser sont littéralement transcrites de vous. Car je n'irai pas sans raison supposer des vues personnelles, un intérêt particulier, autre chose enfin que l'intérêt public à des députations adressées à un homme public, quand elles avaient mission avouée de vous complimenter, non pas, certes, en tête-à-tête, mais bien dans l'assemblée des maîtres du monde, je veux dire dans le sénat. Et il est vrai que la prohibition que j'ai portée contre toute députation non autorisée comprend même ceux qui étaient, selon vous, dans l'impossibilité de venir à mon camp, au delà du mont Taurus, me demande l'autorisation. J'ai souri, je le confesse, à ce passage de votre lettre, et il y avait de quoi. Qui donc en effet, je vous le demande, aurait pu avoir besoin de venir dans mon camp et de passer le Taurus, quand de Laodicée à Iconium j'avais réglé ma marche de manière que magistrats et députés 212 pussent venir à moi de tous les districts et de toutes les villes en deçà du Taurus? Dira-t-on que les députations n'ont commencé qu'après que j'eus laissé la montagne derrière moi? C'est une erreur. J'ai été à Laodieée, à Apamée, à Synnade, à Philomèle, à Iconium ; j'ai fait séjour partout; partout déjà les députations étaient organisées. Cependant, je le répète, pour que vous le sachiez bien, il n'y a pas eu une seule de mes décisions pour modération ou suppression des frais qui n'ait été provoquée par les chefs des villes, dont toutes les prétentions tendent à ce qu'on n'aggrave pas, par des exactions en pure perte, l'abus du trafic des impôts, et ces taxes déjà si oppressives par tête et par maison dont vous connaissez bien les effets. Une fois décidé par esprit de justice aussi bien que par pitié à pourvoir au soulagement de ces villes écrasées, et écrasées surtout par le fait de leurs magistrats, je ne pouvais faire bon marché d'une dépense qui, je le répète, n'a rien de nécessaire. Si on vous a fait des rapports a ce sujet, vous ne deviez point y ajouter foi, et si vous prenez simplement plaisir à dire à vos amis tout ce qui vous passe par la tête, c'est mal entendre l'amitié. Avec la pensée de vous nuire dans la province, je n'aurais pas été conférer avec votre gendre Lentulus, ni avec votre affranchi à Brindes, ni avec le chef de vos ouvriers à Corcyre, pour me faire assigner un renflez-vous à votre seule convenance. Croyez-moi, et je m'autorise ici de l'avis de savants auteurs qui ont écrit de si beaux livres sur l'amitié , entre nous plus de cette forme d'argumentation. Tu dis blanc, je dis noir. Tu affirmes, je nie.— Croyez-vous donc qu'on ne m'ait pas fait de rapports à moi ? qu'on ne m'ait pas fait remarquer par exemple que, quand vous m'engagiez à venir à Laodicée, vous passiez déjà le Taurus? que quand vous me donniez rendez - vous à Apamée, à Synnade, à Philomèle, vous étiez à Tarse? Je n'en dis pas plus. Je ne veux pas avoir l'air de vous chercher querelle par voie de représailles. Je vous dirai ce que je pense : si vous êtes persuadé vous-même de ce que vous avez entendu dire aux autres, vous êtes très-coupable. S'il n'en est rien, c'est déjà un tort que d'y prêter l'oreille. Dans ma conduite, vous reconnaîtrez l'ami fidèle et sérieux. Veut-on que j'aie joué au plus fin? La belle finesse! Je vous aurais constamment défendu pendant que vous étiez absent, sans même songer à la possibilité d'un échange de position ; et de gaieté de cœur j'irais vous donner le droit de m'abandonner quand je suis absent à mon tour ! — Je ne nie pas cependant qu'il n'ait été tenu certains propos assez indifférents pour vous, je crois. On a pu médire de quelqu'un de vos lieutenants ou préfets. Mais il n'a jamais été dit, moi présent, rien de plus fort ni de plus sale que ce qui m'a été rapporté par Clodius à Corcyre, où je l'entendis se lamenter sur ce que la conduite de certaines gens vous avait fait souffrir. Des propos de ce genre étaient dans toutes les bouches, mais n'y trouvant rien qui pût porter atteinte à votre réputation, je ne les ai encouragés ni réfutés. Croire qu'il n'est point de réconciliation sincère, c'est moins accuser autrui que faire un retour sur soi ; et celui qui en dirait autant de la nôtre témoignerait aussi peu d'estime pour 213 vous que pour moi. S'il y a des gens à qui mes règlements déplaisent, et qui s'irritent de quelque différence qu'ils peuvent offrir avec les vôtres, sans considérer que tous deux nous avons fait le bien, et que l'un n'était pas obligé de copier l'autre, ces gens-là, je le déclare, ne sont pas pour être de mes amis. — La générosité qui vous est propre, et qui va si bien à un homme de votre noblesse, a éclaté au loin dans la province. Je suis plus serré que vous ; vous même, grâce à la misère des temps, avez en dernier lieu un peu rabattu de vos manières grandes et libérales. Il ne faut donc point s'étonner qu'ayant toujours été ménager du bien d'autrui et sensible à tout ce qui peut toucher autrui, j'aie adopté pour devise : - d'être sévère avec moi-même pour être bien « avec ma conscience. » — Je vous remercie beaucoup et des nouvelles de Rome que vous m'avez données et de votre sollicitude pour mes recommandations. Ce que je vous demande par-dessus toutes choses, c'est de veiller à ce qu'on n'ajoute rien au fardeau de mon emploi ni à sa durée. Dites à Hortensius, notre collègue et ami, que si jamais il lui vint une bonne pensée pour moi, que si jamais il m'a rendu quelque service, il doit renoncer à l'idée de deux années, car il ne se peut rien faire de plus contraire à mes intérêts.— J'ai quitté Tarse aux nones d'octobre; je marche vers le mont Amanus.. Aujourd'hui, second jour après mon départ, je campe sous les murs de Mopsuheste. Si je fais quelque chose, vous le saurez. Je n'écrirai pas une seule fois chez moi sans donner une lettre pour vous. Je crois que les Parthes, dont vous me demandez des nouvelles, ne se sont montrés nulle part. Les Arabes qui avaient fait quelque démonstration, avec leurs accoutrements à demiParthes, se sont, dit-on, retirés. On assure enfin que nous n'avons pas un seul ennemi dans la Syrie. Vous me ferez un grand plaisir de me donner souvent des nouvelles de tout ce qui vous touche, de ce qui peut m'intéresser moi-même, et de l'ensemble de notre situation. Je suis plus inquiet de la république depuis que je vois par vos lettres que notre ami Pompée doit aller en Espagne.

228. DE M. CÉLIUS A CICÉRON. Rome, octobre.

F. VIII, 8. J'ai bien des nouvelles à vous apprendre. Mais voici, je pense, qui vous réjouira plus que tout le reste : C. Sempronius Rufus, Rufus votre favori, votre ami de cœur, vient d'être atteint et convaincu de calomnie. Et tout le monde applaudit. Comment cela, me direz-vous. M. Tuccius l'avait accusé. Lui, à son tour, aussitôt après les jeux romains, s'est empressé d'accuser M. Tuccius de violence en vertu de la loi Plotia. Il avait réfléchi que s'il ne se présentait aucune cause extraordinaire, il serait obligé de se défendre cette année. Le résultat ne lui paraissait pas douteux. Ne sachant à qui faire ce cadeau, il a donné la préférence à son accusateur. Le voilà donc qui porte plainte contre Tuccius et pas une âme ne se joint à lui. J'apprends ce qui se passe, et sans être appelé, j'accours au banc de l'accusé. Je me lève, mais ne dis pas un mot de l'affaire. Au contraire, j'entreprends Sempronius de la tête aux pieds; je vais jusqu'à faire intervenir aussi Vestorius et à raconter cette histoire 211 que vous savez, et celte prétention de vous faire valoir par voie de compensation le bon office d'avoir nanti Vestorius. Il y a encore une autre grande lutte dont retentit le forum : M. Servilius, qui continue, comme il avait commencé, de se moquer de tous ses créanciers et de dénaturer ce qui lui reste de fortune, m'avait confié sa défense dans une affaire d'une fort vilaine nature; et le préteur Latérensis, déférant à mon opposition, avait refusé à Pausanias l'enquête pour cause de détournement. Là-dessus Pilius, l'ami de notre cher Atticus, intente une accusation formelle en concussion. Aussitôtgrand bruit par toute la ville. De tous côtés, on commençait à parler sérieusement de sa condamnation. Le jeune Appius, entraîné par le mouvement général, est venu déclarer que Servilius avait reçu de l'argent de son père, et qu'il ne lui avait pas été compté moins de quatre vingt-un mille sesterces pour le prix d'une honteuse prévarication. Imaginez-vous une telle démence! il fallait l'entendre à l'audience, dénoncer ainsi tout haut sa propre stupidité et la turpitude de son père! On renvoie l'affaire précisément aux mêmes juges qui avaient évalué le fonds : les voix se trouvent partagées : Latérensis , qui ne conçoit pas un mot des lois, proclame ce que chacun des ordres a jugé, et, à la fin, prononce la formule en usage :je n'ai rien à rédiger. Après s'être levé de son siège, lorsqu'on croyait Servilius absous, il se met à lire l'article 101 de la loi ainsi conçue : Ce que la majorité a décidé constitue le droit et le jugement : alors au lieu d'inscrire une absolution, il écrit tout au long l'avis de chacun des ordres. Appius forme aussitôt une nouvelle instance, mais il y a eu arrangement avec L. Lollius, et la sentence doit être inscrite. Ainsi Servilius qui n'est ni absous ni condamné se présentera, déjà blessé, pour répondre à la plainte en concussion de Pilius. Point de débat pour désigner l'accusateur. Appius avait déjà prêté serment, mais il s'est désisté devant les prétentionsde Pilius. D'ailleurs lui-même a répondu à pareille accusation que lui intentent les Servilius, et de plus à la plainte pour fait de violence d'un certain Tettius autrefois son affidé. Les deux font la paire. — J'arrive aux affaires publiques : il n'y a rien absolument de nouveau, parce qu'on attendait des nouvelles de la Gaule. Mais enfin, après plu- sieurs remises successives, la matière étant mûrement examinée, et la certitude bien acquise que Pompée au fond voulait le rappel de César pour les kalendes de mars, on a rendu le sénatus-consulte que je vous envoie avec les noms de ses auteurs. — Décret du sénat : « La veille des kalendes d'octobre, dans le temple d'Apollon, furent présents L. Domitius Ahénobarbus, fils de Cnéius;  Q. Cécilius, Fab. Métellus Pius Scipion, fils de Quintus; L. Villius Annalis, fils deLucius, de la tribu Pomptina; G Septimius, fils de Titus, de la tribu Quirina; Caius Luccéius Hirrus, fils de Gains, de la tribu Pupia ; G. Scribonius Curion, fils de Gaius, de la tribu Popilia; L. Atteins Capiton, fils de Lucius, de la tribu Aniensis ; M. Oppius, fils de Marcus, de la tribu Térentina. Le consul M. Marcellus ayant proposé l'affaire des gouvernements consulaires, il a été décidé ce qui suit « : Les consuIs L. Paulus et M. Marcellus, après leur entrée en « charge, à l'époque des kalendes de mars, qui se trouvent comprises dans leur exercice, feront leur rapport au sénat sur les provinces consulaires ; ils ne feront aucun autre rapport avant celui-là ni conjointement avec celui-là ; ils convoqueront le sénat pendant les jours de comices, rédigeront un sénatus-consulte; lorsque le rapport sera fait 215 au sénat par les consuls, il sera permis à six des trois cents juges de se rendre à l'assemblée; s'il est nécessaire de faire une communication au peuple romain ou au troisième ordre, les consuls actuels, Servius Sulpicius et M. Marcellus, les préteurs et les tribuns du peuple, ou ceux d'entre eux qu'on jugera à propos de désigner, seront députés à cet effet auprès du peuple romain, ou troisième ordre. Faute de quoi le rapport sera fait par leurs successeurs. » La veille des kalendes d'octobre, dans le temple d'Apollon, furent présents L. Domitius Ahénobarbus, fils de Cnéius; Q. Cécilius Métellus Pius Scipion, fils de Quintus; L Villius Annalis, fils de Lucius, de la tribu Pomptina; G. Septimius, fils de Titus, de la tribu Quirina; G. Scribonius Curion, fils de Gaius, de la tribu Aniensis; M. Oppius, fils de Marcus, de la tribu Térentiua : Le consul M. Marcellus, ayant proposé l'affaire des gouvernements , il a été décidé ce qui suit : « Le sénat est d'avis qu'aucun de ceux qui ont droit d'opposition ou d'ajournement ne doit mettre obstacle à ce qu'il soit fait un rapport au sénat, et à ce que le sénatus-consulte soit rendu ; si pourtant quelqu'un fait obstacle ou empêchement, l'avis du sénat est qu'il aura agi en ennemi de la république, et s'il intervient une opposition au sénatus-consulte, le bon plaisir du sénat est que cet acte reçoive la forme d'un acte de son plein droit et qu'il en soit référé tout ensemble au sénat et au peuple romain. » Sur ce, opposition de C. Célius, de L. Vinicius, de P. Cornélius , C. Vibius Pansa, tribuns du peuple. — Item, « le bon plaisir du sénat est qu'il lui soit fait un rapport touchant ceux des soldats de l'armée de César qui ont fait leur temps, ou ont des causes de dispense, afin qu'il soit tenu compte de leurs droits à des congés ou à des remises sur la durée du service. Le sénat entend qu'on recoure en cas d'opposition à la forme d'acte de plein droit, et qu'il en soit référé au sénat et au peuple romain». Ici nouvelle opposition de C. Célius et de Pansa, tribuns du peuple. « Item, le bon plaisir du sénat est que, pour la province de Cilicie et les huit autres provinces prétoriennes, les gouverneurs soient choisis au sort entre les préteurs qui n'ont point encore eu de gouvernement; que s'il ne s'en trouve point assez entre les derniers préteurs, on remonte aux préteurs précédents qui n'ont pas eu de gouvernement, et que le sort décide du choix des provinces entre eux; que si ceux-là ne suffisent point encore, on mette dans l'urne les noms de ceux qui les ont précédés immédiatement et qui n'auraient pas eu de gouvernement jusqu'à ce que le nombre suffisant soit rempli ; que si quelqu'un s'oppose à ce décret, on en fasse un acte de plein droit. » II y a eu encore à cet article opposition de C. Célius et de C. Pansa, tribuns du peuple. D'un autre côté, on a remarqué quelques paroles de Cn. Pompée qui ont donné beaucoup de confiance à certaines personnes, savoir qu'on ne pourrait sans injustice s'occuper du gouvernement de César, avant les kalendes de mars, et qu'à cette époque son opinion à lui serait faite. Mais s'il survient des oppositions? a-t-on dit. Il a répondu qu'il n' y avait pas, selon lui, de diffé- 216 rence entre un refus de César d'obéir au décret du sénat, et un empêchement au décret lui-même de la part de quelque affldé de César. Mais enfin, lui a-t-on dit encore, s'il prétend être consul et conserver son armée? Il s'est borné à répondre, et avec quel sang-froid ! Mais si mon fils lève le bâton sur moi? On a conclu de tout ceci qu'il y avait sous jeu quelque négociation entre César et Pompée. Je suppose que César acceptera l'une de ces deux conditions; garder sa province, sans qu'il soit question de lui cette année ; ou revenir a Rome, s'il peut se faire désigner consul. Curion prépare toutes ses forces pour l'attaquer. Réussira-t-il ? je l'ignore. Mais dût-il voir avorter ses efforts, un homme qui pense aussi bien se trouve toujours sur ses deux pieds. Curion a pour moi les meilleurs procédés; seulement je me trouve comme engagé par le cadeau qu'il m'a fait. Très certainement, sans les panthères qui lui étaient venues d'Afrique pour les jeux et qu'il m'a données, j'aurais pu surseoir aux miens. Enfin puisqu'il n'y a plus à reculer, je vous renouvelle mes instances déjà si souvent répétées, et je vous supplie de m'envoyer quelques bêtes de votre province. Je vous recommande aussi le billet de Sittius. Je fais partir pour la Cilicie mon affranchi Philon et le Grec Diogène, tous deux porteurs de mes ordres et de cette lettre. Veuillez accorder votre intérêt à l'objet de leur mission et leur en témoigner à eux-mêmes. Vous verrez par la lettre qu'ils vous remettront, a quel point le succès de leur voyage me touche.

229. — A M. CÉLIUS, ÉDILE CURULE DÉSIGNÉ. Mont Taurus.

F. II, 9. Je commence, car je le dois, par des félicitations, et je me réjouis à la fois de la dignité que vous venez d'obtenir et de celles qui vous attendent. Si je suis un peu en retard, ne vous en prenez pas à moi, mais bien à l'ignorance où je reste de toute chose. L'éloignement et le peu de sûreté des routes font que l'on est ici un siècle à avoir des nouvelles. Maintenant que je vous ai félicité, quels remercîments vous faire d'à voir si bien travaillé à nous ménager, comme vous le dites, de quoi rire tous deux le reste de nos jours ? Aussi, à votre premier mot, me suis-je mis à le contrefaire, vous savez qui (Hirrius). J'ai aussi mimé tour à tour toute cette fameuse jeunesse que notre homme vante à tout propos. J'aurais peine à vous rendre cette scène. Je vous supposais à mes côtés et vous tenais à peu près ce langage : « Vous ne savez pas quelle grande action et « quel grand exploit vous avez fait ! » Puis, dans la surprise où me jetait cette nouvelle inattendue, il m'est revenu cette exclamation : « Ah ! l'incroyable aventure ! » Alors c'a été de ma part, une explosion de joie délirante. Et comme on me grondait d'une hilarité qui allait jusqu'à l'extravagance, je répondais pour excuse: « La joie est plus forte que moi. » Que voulez-vous ? En me moquant de lui, je deviens presque son second tome. J'aurais encore beaucoup à dire sur vous et à votre sujet. Ce sera quand j'aurai un peu de loisir. Je vous aime pour bien des raisons, mon cher Rufus ; vous que la fortune m'a donné pour défendre mes intérêts, me venger de mes ennemis et même de mes envieux, et pour que justice fût faite de l'infamie des uns et de l'impertinence des autres.

217 230 — DE CÉLIUS A CICERON. Rome, 18 Novembre.

F. VIII, 10. Vraiment les lettres de G. Cassius et de Déjotarus nous ont mis aux champs. Cassius écrit que les Parthes sont en deçà de l'Euphrate ; Déjotarus, qu'ils se dirigent par la Commagène vers notre province. Toute ma crainte à moi qui sais l'état de vos forces, c'est que vous ne vous trouviez compromis dans cette bagarre. Si vos troupes étaient en mesure, je pourrais craindre pour votre vie. Mais leur petit nombre vous forcera de vous retirer, je le prévois; vous ne pourrez combattre. Et cette nécessité comment sera-t-elle jugée ici? Est-il bien sûr qu'on la reconnaisse? Tout cela me tourmente; et je ne serai tranquille que quand je vous saurai un pied en Italie.—A cette nouvelle du passage de l'Euphrate, chacun s'est mis à donner son avis : celui-ci veut qu'on envoie Pompée; celui-là que Pompée ne quitte point Rome dans de telles circonstances. L'un veut César et son armée; l'autre les consuls en personne. On ne prend pas le premier nom venu, je vous Jure, pour le mettre au sénatus-consulte. Les consuls redoutent un décret qui les oblige à revêtir le paludamentum et à partir, ou qui leur fasse l'affront de confier cette mission à d'autres, et ils s'abstiennent de toute convocation du sénat, au risque même de passer pour peu soucieux des affaires publiques. Mais que ce soit chez eux incurie ou maladresse, ou peur, comme je viens de le dire, ils se retranchent dans leur désintéressement; ils ne veulent pas de province. On n'a reçu aucune lettre de vous, et sans celles de Déjotarus on se serait figuré que la guerre n'était qu'une invention de Cassius, qui, pour mettre ses rapines sur le compte de l'ennemi, aurait fait entrer lui-même quelques Arabes dans la province, et en aurait fait des Parthes dans ses dépêches au sénat. Je vous conseille donc, quelle que soit la situation des affaires, d'en faire un rapport exact et d'y mettre du soin, si vous ne voulez pas qu'on vous accuse ou de complaisance coupable ou d'une réticence qui viendrait mal à propos. — Nous voici à la fin de l'année. C'est aujourd'hui le 14 des kalendes de décembre. Il n'y aura rien de fait, j'en suis convaincu, avant les kalendes de janvier. Vous connaissez Marcellus, comme il est lent et ne finit rien. Il en est de même de Servius, l'éternel temporiseur : que dites-vous de ces gens, dont les uns pourraient et ne veulent pas, et dont les autres veulent si mollement qu'on dirait qu'ils ne veulent pas non plus? Quant aux nouveaux magistrats , si nous avons la guerre avec les Parthes, pendant les premiers mois ils ne seront occupés d'autre chose. Si elle n'a pas lieu, ou s'il suffit pour la soutenir de vous envoyer un faible renfort à vous ou à vos successeurs, je vois d'ici Curion se mettre en quatre pour ôter à César et donner à Pompée si peu que ce soit. Paullus s'exprime en termes peu bienveillants sur la province, mais il trouvera dans notre ami Furnius à qui parler. Je suis au bout de mes conjectures. Vous pouvez compter sur celles-là. Mais dans l'avenir il y a peut-être plus que je n'ai prévu. Je n' ignore pas que le temps amène bien des choses ; qu'il s'en prépare même sous main. Mais voilà le cercle où tout roulera, quoi qu'il arrive. J'ajoute, en ce qui concerne Curion, qu'il a parlé des terres de Campanie. César, dit-on, s'y intéresse assez peu, mais Pompée ne voudrait à aucun prix que César les trouvât encore libres à son arrivée .Quant 218 à votre retour, mes efforts ne peuvent aller jusqu'à vous garantir un successeur. Mais je suis sûr d'empêcher qu'on vous proroge. C'est à-vous de considérer si, les circonstances l'exigeant, le sénat l'ordonnant, et m'ôtant ainsi tout moyen de refuser avec honneur, vous persisterez, vous, âne pas rester. Mon devoir à moi est de me souvenir seulement des instances que vous me fîtes au moment du départ pour conjurer ce résultat.

231. — A M. CÉLIUS ÉDILE CURULE DÉSIGNÉ. Pindenissum.

F. II, 10. Vous voyez vous-même combien de lettres me manquent, car on ne me persuadera jamais que vous ne m'ayez point écrit depuis votre nomination à l'édilité. C'était un si grand événement. II y a tant à se féliciter et pour vous d'une espérance satisfaite, et pour Hillus, (pardon, je bégaie) d'une attente trompée. Or, vous saurez que je n'ai reçu aucune lettre sur ces admirables comices qui m'ont fait bondir de joie ; aussi je crains qu'il n'arrive également malheur à mes dépêches. Je n'ai pas écrit une seule fois chez moi sans y joindre un mot pour vous, pour vous qui êtes ce que je connais au monde de plus aimable et ce que j'ai de plus cher. Mais je ne suis plus bègue ; revenons à mon sujet.—Vos vœux sont exaucés. Vous ne me désiriez d'affaire sur les bras que tout juste assez pour mériter un petit bout de laurier, et vous redoutiez les Par thés, ne me croyant pas assez fort. Eh bien! ton a été à souhait. Au premier bruit d'une inva sion parthe, favorisé par les nombreux défilés et le sol montueux de cette contrée, je marcha sur le mont Amanus. J'avais un assez bon renfort d'auxiliaires, et mon nom imposait à ceux qui ic m'avaient jamais vu. Car vous saurez qu'il a du retentissement ici. N'est-ce pas, dit-on, celui qui Rome...? celui que le sénat...? Vous achevez les phrases. Arrivé au pied de l'Amanus, dont a crête me sépare de Bibulus, et qui, par ses deux versants, appartient aux deux provinces, j'appris non sans une grande joie, que Cassius avait réussi à rejeter l'ennemi loin d'Antioche. Bibulus avait enfin pris possession. — Je profitai de l'occasion pour donner une sévère leçon aux peuplades de l'Amanus, les éternels ennemis du nom romain. J'en tuai ou pris en grand nombre. Le reste se dispersa. Grâce à la soudaineté de mon attaque, les châteaux forts purent être emportés et brûlés. La victoire étant complète, je fus salué imperator sur les bords de l'Issus, précisément où Alexandre défit Darius, ainsi que vous l'a raconté Clitarque, et que je vous l'ai entendu répéter maintes fois à vous-même ; je dirigeai alors mon armée vers les points les plus infestés de la Cilicie. Là, depuis vingt-cinq jours, j'assiège Pindénissum, qui est une ville très-forte. J'ai ouvert des tranchées, construit des parapets, des tours. Cette affaire exige tant d'appareil, un tel déploiement de forces, qu'il ne manquerait à ma conquête, pour me placer au faîte de la gloire, qu'un nom qui sonne mieux. Si je m'en rends maître, comme je l'espère, je ferai partir à l'instant des lettres officielles. Je vous écris provisoirement afin de vous donner l'avant-goût de l'accomplissement de vos vœux pour moi. Pour en revenir aux Parthes, cette campagne finit assez bien, mais on craint beaucoup pour l'année prochaine. Alerte donc, mon cher Rufus, et vite 219 un successeur! Que si comme vous le dites et comme je le conçois, on ne peut pas aller si rondement, faites du moins ce qui est facile, qu'on lie me proroge pas ici d'une minute. Je compte que désormais vos lettres me montreront mieux le fonds de la situation actuelle et ce que l'avenir nous réserve. Mettez un peu d'amitié, je vous en conjure, à me tenir au courant de tout. Adieu.

232. — A C. CURION, TRIBUN DU PEUPLE. Pindenissum.

F. II, 7. Une félicitation tardive n'en est pas plus mal accueillie quand la négligence n'y est pour rien. Je suis au bout du monde; les nouvelles m'arrivent bien tard. Enfin recevez mon compliment et tous les vœux que je fais, pour que vous suiviez la route qui peut rendre votre tribunal immortel. Je vous engage fort à ne vous diriger, à n'agir en tout que d'après vos propres lumières; à ne pas céder aux donneurs d'avis. Nul ne vous conseillera jamais mieux que vous-même ; écoutez vos inspirations et vous ne risquez pas de faillir. Ce ne sont pas là des mots en l'air. Je sais à qui je parle, je connais votre esprit, votre jugement. Je ne redoute de vous ni faute, ni faiblesse, ni erreur, quand vous ne soutiendrez que ce qui vous paraîtra juste. Vous arrivez a une époque, (ce n'est pas le hasard seul, c'est votre volonté qui vous a conduit au tribunal au milieu de circonstances si perplexes), vous arrivez à une époque où vous ne pouvez vous dissimuler que la violence est à l'ordre du jour, la confusion partout, les moyens de sortir d'embarras fort douteux, et où l'on ne peut guères compter sur personne. Que de pièges, que de déceptions sur votre route! Vous y avez bien réfléchi, je n'en doute pas. Ne formez de plan, je vous en conjure, n'ayez de règle que celle que je vous recommandais tout à l'heure; consultez-vous, délibérez en vous-même et suivez votre impulsion. Difficilement trouverait-on meilleur conseiller pour tout autre; pour vous certes, il n'en est aucun. Dieux immortels! Pourquoi faut-il que je ne sois pas là pour assister à vos succès, pour être le confident, l'associé, le ministre de vos volontés ! Vous n'avez besoin de personne assurément, mais peut-être sortirait-il quelques idées heureuses des inspirations de ma grande et vive amitié. Je vous écrirai bientôt plus au long. Je me propose d'expédier, sous peu de jours, un de mes gens en message auprès du sénat, et de lui rendre compte dans un seul rapport des opérations diverses de cette campagne où tout a réussi fort heureusement et selon mes calculs. Vous verrez par la lettre dont j'ai chargé Thrason, votre affranchi, combien de peines je me suis données pour la difficile affaire de votre sacerdoce que les circonstances compliquaient encore. En ce qui me concerne, mon cher Curion, par l'amitié que vous avez pour moi, par celle que je vous porte, je vous recommande une seule chose. Ne souffrez pas, je vous en conjure, qu'on prolonge pour moi ces ennuis de province et de gouverne ment. Vous savez ma pensée à cet égard. Je vous l'ai dite à une époque où j'étais loin de croire que vous seriez tribun cette année. Je parlais alors à un très-noble sénateur et à un très-gracieux jeune homme. Aujourd'hui je m'adresse à un tribun du peuple, et ce tribun est Curion. Je ne demande pas, (chose difficile!) qu'on fasse pour moi du nouveau. Bien de nouveau au contraire. Que le sénatus-consulte et les lois aient, grâce à vous, leur cours ordinaire, et que la condition qu'on m'a 230 faite à mon départ ne soit changée en rien. Voilà ce que je vous demande instamment.

233. — A ATTICUS. Au camp devant Pindenissum, Décembre.

A. V, 20. Pindénissum s'est rendu à moi le matin des Saturnales après quarante-sept jours de siège. Mais quoi, qu'est-ce? oui, qu'est-ce que Pindénissum? allez-vous dire ; c'est la première fois que j'entends ce nom-là. Que voulez-vous? Je n'y puis que faire. La Cilicie n'est pas une Étolie, une Macédoine, et mettez-vous bien dans l'esprit que je n'ai pas une armée à faire de ces merveilles. Je vais tout vous dire en abrégé. Votre lettre dernière m'autorise à être bref. Vous savez quelle entrée j'ai faite à Éphèse; j'ai même reçu vos félicitations sur cette glorieuse journée. Jamais je n'éprouvai de plaisir plus vif. De là, toujours mieux accueilli de ville en ville, j'arrivai à Laodicée, la veille des kalendes d'août. J'eus deux jours de véritable triomphe. Sans récriminer contre personne, j'ai réparé bien du mal. J'ai séjourné cinq jours à Apamée, trois à Synnade, cinq à Philomèle et dix à Iconium. Partout j'ai déployé dans l'exercice du pouvoir judiciaire toute l'équité, toute l'humanité, toute la dignité possible. Le 7 des kalendes de septembre, je joignis l'armée et passai une revue sous les murs d'Iconium. Là je reçus de fâcheuses nouvelles des Parthes, et je me dirigeai aussitôt sur la Cilicie, à travers la partie de la Cappadoce qui en est limitrophe. Cette marche avait pour but de faire croire au roi d'Arménie Artavasde, et aux Parthes eux-mêmes, que je voulais effectivement couvrir la Cappadoce. Après avoir campé cinq jours à Cybistre, j'eus la certitude que les Parthes étaient bien loin et qu'ils faisaient mine d'en vouloir à la Cilicie. Moi aussitôt de me porter vers la Cilicie en passant les défilés du Taurus.—J'arrivai le 3 des uones d'octobre à Tarse, d'où je m'avançai vers le mont Amanus qui sépare la Syrie de la Cilicie et présente un de ses versants à chacun des deux pays. Les peuplades qui l'habitent sont en guerre éternelle avec nous. Le 3 des ides d'octobre, j'eus avec eux un engagement où ils perdirent beaucoup de monde. Je leur pris et brûlai plusieurs forts à la suite d'une attaque opérée de nuit par Pomptinius, et d'une autre exécutée par moi à la pointe du jour. Mes soldats me saluèrent împerator. Je m'établis ensuite quelques jours près d'Issus sur l'emplacement même du camp d'Alexandre, qui était un autre général que vous et moi. Après avoir ravagé le mont Amanus cinq jours durant, j'opérai ma retraite. A la guerre, il y a, vous savez, ce qu'on appelle terreur panique, ce qui veut dire qu'on s'effraye à vide. Au bruit de mon approche, voilà le cœur qui revient à Cassius presque bloqué dans Antioche, et l'épouvante qui se met parmi les Parthes. Ils se retirent ; Cassius les suit et remporte un avantage signalé. Osace, général des Parthes, en grande considération chez eux, fut blessé dans cette retraite, et mourut peu de jours après. Mon nom est béni dans toute la Syrie. — Là-dessus Bibulus est arrivé au mont Amanus. Il ne voulait pas, je crois, paraître rester en arrière. Il désirait des lauriers et pensait n'avoir qu'à se baisser et en prendre. Loin de là, dans une rencontre au même mont Amanus, il a perdu sa première cohorte en entier, tous ses centurions au nombre desquels se trouve Asiuius Denton des primipi- 221 laires, l'officier le plus distingué du grade, et Scx. Lucilius tribun, fils de T. Gavius Cépion, homme riche et considéré. C'est un vilain échec et qui arrive mal.—De mon côté, j'allai mettre le siège devant Pindénissum, la plus forte de toutes les villes libres de la Cilicie, ennemie des Romains dans tous les temps, et dont la population féroce et aguerrie était au mieux préparée à se défendre. Je traçai mes lignes, ouvris la tranchée, construisis un tertre, des mantelets, une très-haute tour ; et à grand renfort de machines et de gens de trait, ne ménageant l'appareil ni les fatigues, j'en suis enfin venu à bout; mes blessés sont nombreux, mais je n'ai perdu personne. Voilà d'assez belles saturnales. J'ai abandonné aux troupes tout le butin, les chevaux exceptés. Au moment ou je vous écris, le troisième jour des saturnales, les esclaves sont en vente devant mon tribunal, et le produit s'élève déjà à douze millions de sesterces. L'armée hivernera sous les ordres de Quintus dans les cantons les plus remuants. Moi je vais me reposer à Laodicée.—Voilà pour le courant. Mais retournons un peu en arrière. Vous me conseillez absolument, et je vois que c'est chez vous une idée fixe, vous me conseillez de ne pas donner prise à la censure la plus maligne. Je vous jure sur ma tête, qu'il n'y a à mordre sur aucun point. Je ne veux plus appeler continence la vertu qui consiste à résister à la volupté. Car de ma vie je ne sentis de volupté plus douce qu'en restant ainsi maître de moi. Je jouis du bien que j'ai fait, plus encore que de l'honneur qui m'en revient; et pourtant l'honneur est immense. Que vous dirai-je ? C'était une occasion superbe. Je ne me connaissais pas moi-même. Je ne savais pas ce dont j'étais capable en ce genre. Maintenant je puis justement me pavaner. Certes, il n'y eut jamais rien au monde de plus beau ; et de la gloire au milieu de tout cela! Par moi, Ariobarzane vit et règne. Je n'ai fait que passer, mais ma voix, ma seule présence, et ma vertu inflexible , inabordable aux séductions de ses perfides ennemis, ont fait le salut d'un roi et d'un royaume. Je n'emporte pas une obole de la Cappadoce. Seulement, j'ai cherché autant que je l'ai pu à faire revivre certaines créances bien désespérées de ce Brutus qui m'est aussi cher qu'à vous ; j'allais dire aussi cher que vous. Enfin j'espère que mou année ne coûtera pas un denier à la province. Je vous ai tout dit. Je prépare mon rapport officiel pour le sénat. Il sera plus long et plus intéressant que si je l'eusse daté du mont Amanus. Mais quoi ! vous ne serez pas à Rome ! Si vous y-étiez du moins aux kalendes de mars ! Tout dépend de là; car je crains fort, quand on va s'occuper des provinces, de voir César résister, et moi par suite obligé de rester ici. Si vous étiez là, je serais tranquille. — Parlons de Rome. J'étais depuis longtemps sans nouvelles. Votre aimable lettre y a pourvu. Elle m'a été fidèlement remise, le 5 des kalendes de juin, par votre affranchi Philogène, après un long et dangereux voyage. Celle que vous avez confiée aux esclaves de Lénius ne m'est pas encore parvenue. Je vois avec plaisir le décret du sénat concernant César, et la confiance que vous montrez à ce sujet. S'il veut bien se soumettre, nous sommes sauvés. Séius s'est donc brûlé au même feu que Plétorius. Je n'en suis pas fâché. A quelle occasion Luccéius a-t-il donc fait cette sortie contre Q. Cassius? Je veux absolument connaître les détails.— Je suis chargé, à mon retour à Laodicée, de faire prendre 222 la robe virile à votre neveu Quintus. Je tâcherai de le maintenir un peu dans les voies de discrétion. Déjotarus, dont les secours m'ont été si utiles, doit amener les deux jeunes gens à Laodicée. J'attends des lettres d'Épire avec impatience. De vous, je veux tout savoir; affaires et loisirs. Nieanor fait bien son devoir ; et n'a pas à se plaindre de moi. J'ai l'intention de le charger de mon rapport au sénat; l'expédition en sera plus sûre, et puis j'aurai par lui des nouvelles de vous directement et indirectement. Je remercie votre Alexis des souvenirs que je ne manque presque jamais de trouver de lui dans vos .lettres. Mais pourquoi ne m'écrit-il pas lui-même, comme le fait pour vous, mou Alexis à moi? (Tiron). On est à la recherche d'un cor pour Phémius. Mais en voilà bien assez. Portez-vous bien et mandez-moi quand vous comptez être à Rome. Adieu, adieu. — J'ai fait toutes vos recommandations à Thermus en passant à Ephèse, et je les lui rappelle par écrit. Je suis certain qu'il vous porte un vif intérêt. Je vous ai déjà parlé de la maison de Pammène. Faites, je vous prie, qu'on ne lui enlève, sous aucun prétexte, un gage qu'il tient de vous et de moi. Nous devons nous en faire tous deux un point d'honneur, et ce sera m'obliger moi sensiblement.

234. - A VOLUMSIUS. Cilicie, décembre.

F.VII, 32. Vous n'aviez; pas mis votre prénom c'est tout simple ; vous m'écrivez sans cérémonie Mais moi, j'ai cru d'abord que la lettre était de Volumnius le sénateur, avec qui j'ai des rapports fréquents. Je vous ai reconnu aux grâces de votre style. Votre lettre me charme de tous points ; sauf votre indifférence à défendre la propriété de mes salines; vous mon intendant! Quoi! depuis mon départ, si je vous en crois, tout le sel, tous les bons mots de la ville, autant de 'mis sur mon dos? jusqu'à ceux de Sextius? Est-il possible! et vous le souffrez ! Et vous ne me défendez pas ! Et vous lâchez pied ! Je croyais, je l'avoue, qu'on ne pouvait se méprendre à mon cachet. Mais puisqu'à Rome on est encroûté à ce point qu'il ne paraît rien de si gauche où l'on ne trouve bon air; pour l'amour de moi, pour ma défense et tout ce qui n'est pas équivoque fine, élégante hyperbole, piquante allusion, trait vif et inattendu ; enfin pour tout ce qui n'est pas dans le goût de ce que je prête à Antoine au chapitre de la plaisanterie, deuxième livre de l'Orateur, jurez hardiment que ce n'est pas de moi. Vous pleurez sur le barreau. Eh! que m'importe? Périssent tous les accusés! Triomphe le talent de Sélius; jusqu'à prouver qu'il est libre! Bagatelles que tout cela! mais le sceptre de l'esprit et de l'urbanité, je vous en conjure, conservez-le-moi par toutes les voies de droit. Vous seul pourriez me le disputer. Je me ris de tous les autres. Vous croyez que je vous raille. Bon! je vois que le goût vous vient. Mais, plaisanterie à part, votre lettre est, sur ma foi, pleine d'esprit et de grâce. Vous y racontez les choses les plus gaies du monde, qui pourtant, de l'humeur où je suis, ne sauraient me faire rire. Je voudrais à notre ami (Curion) un peu plus de tenue sous sa robe de tribun. Je le voudrais, d'abord pour lui, qui est une de mes passions, puis pour la république, cette ingrate qu'on ne peut se défendre d'aimer. Allons, mon cher Volum- 223 nius, vous avez fait le premier pas et vous en voyez le succès. Eh bien ! continuez, écrivez-moi souvent; tenez-moi au courant des propos de la ville et des affaires de la république. C'est une si agréable causerie que celle de vos lettres ! Déplus, je vous recommande Dolabella que je vois très désireux de mon amitié, et dans les plus tendres dispositions pour moi. Entretenez -le dans ces bons sentiments et arrangez-vous pour me gagner son cœur tout à fait. Il n'y manque rien peut-être, mais on croit n'en jamais faire assez quand on désire vivement.

235. — A THERMUS, PROPRÉTEUR. Cilicie.

F. XIII, 53. Depuis longtemps déjà, je suis lié avec L. Genucilius Curvus, excellent homme et, de sa nature, fort sensible aux bienfaits. Je vous le recommande, et je vous prie de le prendre sous votre protection toute spéciale. Il faut d'abord favoriser ses intérêts de fortune; autant toutefois que le devoir et l'honneur vous Ie permettent. Mais, nulle difficulté sur ce point; car il ne vous demandera jamais rien de contraire à ses principes et aux vôtres. Je vous recommande en particulier les affaires qu'il a dans l'Hellespont. Il s'agit, en premier lieu, du maintien d'un droit que la ville de Parium lui a concédé sur son territoire, et dont il a toujours joui sans la moindre contestation. Il demande, en second lieu, la facilité de s'adresser à la justice locale pour les difficultés qu'il pourrait avoir avec les habitants. Mais à quoi bon ce détail, quand je vous le recommande en tout et pour tout? Un mot seulement et je finis : Tout ce que vous aurez d'attention et d'égards pour Curvus, autant de pris par moi pour mon propre compte ; je regarderai comme service personnel ce que vous aurez fait pour lui.

236. — A THERMUS, PROPRÉTEUR. Cilicie.

F. XIIl, 56. Cluvius de Pouzzol est un de mes amis les plus assidus et les plus familiers. Il a des intérêts dans votre province ; et il est persuadé que, s'il ne profite de votre présence et de ma recommandation pour tout terminer, c'est autant de perdu pour lui. Cette responsabilité que m'impose le plus serviable des hommes, j'ose me prévaloir de votre obligeance à mon égard, pour m'en décharger sur vous; pourvu toutefois que cela ne vous gêne en rien. Les gens de Mylase et d'Alabande doivent de l'argent à Cluvius. Euthydème m'avait dit, lors de mon passage à Éphèse, qu'il veillerait à ce qu'on envoyât à Rome des Ecdices mylasiens (questeurs grecs). On n'en a rien fait. On annonce seulement le départ de simples députés. Ce sont des Ecdices qu'il faudrait. On ne peut rien terminer sans eux. C'est pourquoi je vous demande d'ordonner aux gens de Mylase et d'Alabande d'en faire partir sur-le-champ. Outre cela, Philoclès d'Alabande a engagé ses biens en garantie à Cluvius. Le terme est échu. Veillez, je vous prie, à ce que le débiteur vide les biens hypothéqués, et les remette aux fondés de pouvoirs de Cluvius, ou bien à ce qu'il les dégage, en remboursant la dette. Les Heracléotes et les Bargylètes sont également ses débiteurs; faites qu'ils le payent en argent ou en nature. Il lui est encore dû par les Cauniens. Mais ceux-ci prétendent avoir consigné l'argent. Ren- 224 dez-moi le service de vérifier le fait; et si on reconnaît que le dépôt n'a point été effectué, en vertu d'édit ou de décret, obligez-les à verser dans la caisse que vous avez établie, les intérêts qui seraient dus à Cluvius. Je m'inquiète d'autant plus de tout cela qu'il s'agit des intérêts de notre ami, Cn. Pompée, et qu'il s'en tourmente beaucoup plus que Cluvius lui-même que je tiens vraiment à obliger. C'est donc avec les plus vives instances que je vous recommande ces divers objets.

237. — ATHERMUS, PROPRÉTEUR. Cilicie, décembre.

F. XIII, 55. Vous m'avez paru on ne peut mieux disposé pour M. Annéius mon lieutenant, lorsque je vous parlai de son affaire à Éphèse. Mais je lui porte trop d'attachement pour rien négliger de ce qui lui est utile, et je crois trop à votre affection pour ne pas être sûr qu'une lettre de moi ajoutera beaucoup aux bonnes dispositions où vous êtes déjà. Il y a longtemps que j'aime M. Annéius. On a pu voir le cas que je fais de lui quand j'ai été le chercher pour en faire mon lieutenant, moi qui en ai refusé tant d'autres. Il a fait la guerre avec moi, et partout il a montré un courage, une prudence, une droiture, un dévouement qui le placent au plus haut degré dans ma reconnaissance et mon estime. Vous savez qu'il est en procès avec les Sardiens. Je vous ai expliqué cette affaire à Éphèse. Mais ses communications de vive voix vous la feront bien plus vite et bien mieux comprendre. En vérité, je ne sais comment tourner ce qui me reste à dire. Votre réputation d'intégrité est si bien établie, et jette un tel éclat 1 Et qu'avons-nous à vous demander, que de juger selon vos principes? Mais un préteur peut tant de choses ! un préteur surtout en qui se réunissent intégrité, capacité et douceur de caractère ; ce que tout le monde proclame de vous. Tenez, je vous le demande, au nom de notre amitié si constante, de cette réciprocité de bons offices qui a toujours existé entre nous ; faites qu'Annéius voie clairement par tous vos rapports officiels ou intimes non-seulement que vous lui voulez du bien (il le sait, et me l'a dit cent fois) mais que vous lui voulez plus de bien encore depuis que vous avez lu ma lettre. Vous ne sauriez rien faire ni dans votre gouvernement, ni dans toute province, qui pût m'être plus agréable. Vous n'ignorez pas d'ailleurs, je pense, qu'il n'y a pas d'homme plus reconnaissant ni meilleur qu'Annéius ; et que vous ne pouvez trouver mieux où placer votre intérêt et rendre service.

238. — A P. SILIUS, PROPRÉTEUR. Cilicie.

F. XIII, 61. Vous savez, je crois, combien j'étais lié avec T. Pinnius. Son testament l'a bien fait voir, puisqu'il m'institueà la fois tuteur de son fils, et héritier en second. Ce fils est un jeune homme plein d'application, de savoir et de modestie. Les habitants de Nicée lui doivent la somme considérable de huit cent mille sesterces, et on m'assure qu'ils ne demandent qu'à se libérer. Mes cotuteurs connaissent votre attachement pour moi, et le jeune homme est persuadé qu'il n'est rien que vous ne fassiez à ce titre. Vous m'obligerez donc beaucoup d'intervenir autant que le permettront votre caractère et vos devoirs pour 225 accélérer le recouvrement de cette créance sur les Nicéens.

239. — A P. SILIUS, PROPRÉTEUR. Cilicie.

F. XIII, 62. Que vous avez été aimable dans l'affaire d'Attilius! J'arrivais bien tard ; et pou rtant vous avez sauvé cet honorable chevalier romain. Au fond, je vous ai toujours regardé comme mon débiteur, va les rapports d'intimité où je suis avec Lamia. C'est pourquoi je commence par vous remercier de m'avoir tiré de cette inquiétude. Puis je viens effrontément vous solliciter de plus belle. Patience ! je vous le revaudrai. Jamais intérêts n'auront été par moi servis et défendus avec plus de zèle. Si vous m'aimez, traitez mon frère Quintus comme moi-même : ce bienfait couronnera l'autre.

240. — A P. SILIUS, PROPRÉTEUR. Cilicie.

F. XIII, 64. Vous n'imaginez pas quels remercîments mon ami Néron m'a faits pour vous ; c'est à n'y pas croire. Il n'y a distinctions, à l'entendre , qu'il n'ait reçues de vous. Vous en recueillez le fruit. C'estbien le cœur le plus reconnaissant que ce jeune homme. Mais, par Hercule, vous m'avez obligé moi-même en l'obligeant. Car dans toute notre jeune noblesse, il n'est personne dont je fasse plus de cas. Aussi vous saurai-je un gré infini de déférer encore à diverses recommandations qu'il veut que je vous adresse. Il s'agit d'abord de suspendre jusqu'à son arrivée l'affaire de Pausanias d'Alabande. II tient beaucoup à ce délai, et je vous prie instamment de déférer à son désir. Puis veuillez prendre sous votre protection particulière les Nyséens avec lesquels Néron a des liaisons étroites, et dont il est le défenseur et l'ami. Que cette ville reconnaisse, à vos bons soins, ce que vaut le patronage de Néron. Je vous ai souvent parlé pour Strabon Servilius. Je vous le recommande encore plus fortement aujourd'hui qu'il a Néron pour protecteur. Tout ce que je vous demande est de terminer son affaire, et de ne pas l'exposer, avec son bon droit, à se voir rançonné par quelqu'un qui ne vous ressemblerait pas. Vous me ferez le plus grand plaisir, et ce ne sera, je crois, que suivre les inspirations de votre cœur. En un mot (cette lettre n'a pas d'antre but) soyez toujours pour Néron ce que vous avez été jusqu'aujourd'hui. Votre province, en cela bien différente de la mienne, est un théâtre où notre jeune noblesse, quand elle a des talents et des vertus, peut les exercer et les mettre on relief. Avec l'appui qu'il trouvera, qu'il a déjà trouvé en vous, il saura conserver et s'attacher par des i liens personnels l'immense clientèle que lui ont léguée ses ancêtres. Et vous, en continuant de lui prêter votre concours dans cette vue, vous aurez bien placé vos bienfaits, et vous m'aurez rendu, moi, bien reconnaissant.

241. — A P. SILIUS, PROPRÉTEUR. Cilicie.

F. XIII, 65. Je suis étroitement lié avec Térentius Hispon vice-administrateur des fermes publiques. C'est entre nous réciprocité, émulation de services. Il y va de son honneur de conclure des traités avec toutes les villes. J'ai voulu, je me le rappelle, faire une tentative pour lui à Éphèse, et j'ai échoué devant la résistance opiniâtre des Éphé- 226 siens. Mais tout le monde est persuadé, et c'est mon opinion aussi, que l'équité de votre administration , la douceur et le charme de vos manières exercent sur les Grecs un ascendant absolu; que, pour tout obtenir d'eux, vous n'avez qu'un signe a faire. Employez donc cette influence, je vous en conjure, pour que, dans cette affaire, Hispon et moi nous en venions tous deux à notre honneur. Vous saurez que je m'intéresse à ses associés, non-seulement par ce que la compagnie entière est sous ma protection, mais encore par suite de liaisons contractées avec la plupart de ses membres, Faites cela, et mon cher Hispon me sera redevable d'un grand succès ; les obligations de la compagnie envers moi en seront plus étroites ; et vous-même, vous trouverez le prix de votre obligeance dans le dévouement du plus reconnaissant des hommes et dans la gratitude d'un corps si bien composé. Enfin vous m'aurez rendu à moi le plus grand des services. Il n'y a pas, sachez-le bien, dans toute votre province et aussi loin (|«e votre pouvoir s'exerce, de concession à me foire qui puisse me toucher plus.

242. — A CRASSIPÈS. Cilicie.

F. XIII, 9. Je vous ai recommandé de vive voix et du mieux que j'ai pu la compagnie bithynienne, et, soit déférence de votre part, soit inclination naturelle, vous m'avez paru disposé à tout faire pour lui être utile. Les intéressés se persuadent qu'une lettre de moi où je consignerais de nouveau mes sentiments pour eux avancerait beaucoup leurs affaires, et je m'empresse de me rendre à leur désir. Vous savez que j'ai toujours été porté de cœur pour l'ordre des publicains; que je dois d'ailleurs de la gratitude aux services sans nombre que l'ordre équestre m'a rendus; que j'ai me tout particulièrement la compagnie bithynienne, et qu'enfin cette compagnie, qui appartient à un ordre puissant et qui secompose d'hommes distingués, joue un grand rôle dans l'État. Elle est formée en effet de membres pris dans les diverses sociétés, et le hasard fait qu'ils sont presque tous mes amis, notamment l'homme qui en ce moment a le plus fort intérêt dans l'entreprise et y joue le rôle principal, P. Rupilius, fils de Publius, de la tribu Ménénia. Les choses étant ainsi, je vous recommande de la manière la plus instante Cn. Pupius, l'un des agents de la compagnie. Veuillez le seconder, le servir, et faire, en tant qu'il dépendra de vous, tout ce qu'il faut pour que ses opérations, vous le pouvez sans peine, répondent aux vues de ses mandataires. Je sais quelle est l'influence d'un questeur ; vous pouvez défendre bien utilement et même faire prospérer les intérêts de la compagnie ; et c'est ce que je vous supplie de faire. Vous me rendrez personnellement fort heureux, et vous apprendrez en même temps, je vous le garantis par expérience, que les intéressés de la compagnie bithynienne gardent le souvenir du bien qu'on leur fait, et savent en témoigner leur reconnaissance.

 

AN DE R. 704. — 50 AN. AV. J. C. — DE C. 57.

Aemilius Paulus et Claudius Marcellus, consuls.

 

243. — A M. CATON. Cilicie, janvier.

F. XV, 4. L'autorité de votre nom est si grande ; j'eus toujours une si haute idée de votre rare 227 vertu, que je crois ma gloire intéressée à ce qu'il vous soit rendu compte de mes actes, à ce que vous n'ignoriez pas avec quel esprit de justice et de modération je maintiens nos alliés et gouverne ma province. Je me flatte que, connaissant les faits, vous donnerez plus facilement votre approbation à mes vues. J'arrivai dans ma province la veille des kalendes d'août. A cette époque de la saison,' il était urgent de rejoindre l'armée. Je ne restai que deux jours à Laodicée, quatre à Apamée, trois à Synnade et autant à Philomélium ; partout je tins de grandes assemblées ; où je déchargeai plusieurs cités de tributs vexatoires. d'intérêts usuraires et même de redevances supposées. Avant mon arrivée, une espèce de sédition avait comme éparpillé l'armée. Cinq cohortes étaient restées à Philomélium sans lieutenant, sans tribun, et même sans aucun centurion. Le reste était en Lycaonie. J'ordonnai à M. Annéius, mon lieutenant, d'aller prendre les cinq cohortes, de les conduire au gros de l'armée, et, la réunion opérée, d'aller camper en Lycaonie près d'Iconium. Mes ordres furent ponctuellement exécutés, et je me rendis au camp le 7 des kalendes de septembre. J'avais préalablement, et en vertu d'un décret du sénat, réuni près de moi un bon corps de vétérans rappelés, une cavalerie suffisante et les contingents volontaires des nations libres et des rois nos alliés. Je passai une revue ; et déjà j'étais en marche vers la Cilicie, lorsque le jour des kalendes de septembre, des envoyés du roi de Commagène vinrent m'annoncer en grand émoi, et non sans fondement, que les Parthes étaient entrés en Syrie. Cette nouvelle me donna de vives craintes et pour la Syrie, et pour ma province, et môme pour l'Asie tout entière. Je jugeai donc à propos de diriger mon mouvement parcelle partie de la Cappadoce qui touche à la Cilicie. Une fois en Cilicie, la défense de la contrée me devenait facile par la position du mont Amanus. De Syrie, ou n'y débouche que par deux défilés fort étroits que de faibles postes suffisent pour défendre. Rien de mieux gardé par la nature que la Cilicie du côté de la Syrie. Mais j'avais des inquiétudes pour la Cappadoce, pays ouvert par la frontière syrienne, et qui a pour voisins des rois peut-être amis des Romains, mais non pas au point de se. compromettre ouvertement avec les Parthes. J'établis en conséquence mon camp à l'extrémité de la Cappadoce, non loin du mont Taurus, prés de la ville fortifiée de Cybistre. De là couvrant la Cilicie, et occupant la Cappadoce, je tenais en bride la politique des peuples voisins. Au milieu de ce grand mouvement, et comme je m'attendais à voir à chaque instant commencer une guerre redoutable, un homme de cœur que nous avons eu bien raison de favoriser toujours, vous, le sénat, et moi, homme aussi distingué par ses sentiments et sa fidélité envers le peuple, romain que par son sang-froid, sa grandeur d'âme et sa sagesse, le roi Déjotarus députa auprès de moi, pour m'annoncer son arrivée prochaine à mon camp avec toutes ses forces. Vivement touché de ce témoignage de son dévouement et de cet important service, je lui répondis pour lui en témoigner ma gratitude et pour l'engager a presser sa jonction. Les soins de la guerre me retinrent cinq jours à Cybistre, Là j'eus occasion de préserver du complot le plus imprévu le roi Ariobarzane, que le sénat avait, à votre sollicitation, placé sous ma sauve- 228 garde. Et j'ai non-seulement empêché sa ruine, mais assuré son autorité. Métras et cet Athénée, que vous m'avez si chaudement recommandé, étaient dans l'exil, grâce aux importunités d'Athénaïs: je leur ai fait rendre leur rang et la faveur du roi. Enfin la Cappadoce était eu feu, si le grand-prêtre en eût appelé aux armes, comme le faisaient craindre la témérité de son âge, ses ressources en argent, les forces en cavalerie et infanterie dont il pouvait disposer, et surtout l'influence exclusive qu'il avait laissé prendre sur lui aux hommes avides de changements. Je réussis à lui faire quitter le royaume, et sans secousse ni sang répandu, tout est rentré dans l'ordre ; la cour a repris l'autorité sans partage, et la couronne sa dignité. — Je reçus vers le même temps des lettres et des courriers m'annonçant que les Parthes et les Arabes s'étaient approches en force d'Antioche, et qu'un corps nombreux de leur cavalerie, ayant pénétré dans la Cilicie, avait été taillé en pièces par un gros de mes escadrons, réuni à une cohorte prétorienne qui formait la garnison d'Épiphania. , Alors voyant les Parthes tourner le dos à la Cappadoce, et menacer les frontières de la Cilicie, je me portai à marches forcées sur le mont Amanus. J'appris en arrivant que l'ennemi avait fait retraite, et que Bibulus occupait Antioche. J'en instruisis à l'instant Déjotarus, qui m'amenait un renfort considérable en cavalerie et infanterie, se faisant suivre de toutes ses forces. Je lui représentai que son absence de ses États était désormais sans motif, et que, s'il survenait du nouveau, je lui expédierais aussitôt lettres et courriers. — J'étais venu avec l'intention d'opérer selon le besoin dans l'une et l'autre province, et je n'en étais pas à m'apercevoir qu'il importait à toutes deux de pacifier le mont Amanus et de purger son sol d'une population éternellement hostile. C'est à quoi je m'appliquai. Je simulai un mouvement en arrière de la montagne dans la direction d'un autre point de la Cilicie, je m'éloignai ainsi d'une journée, et je campai près d'Épiphania. Puis, le 4 des ides d'octobre, vers le soir, je revins brusquement sur mes pas, marchant toute la nuit avec tant de diligence que le 3 au point du jour, mon armée gravissait déjà les pentes de l'Amanus. J'avais formé divers corps d'attaque de mes cohortes et des auxiliaires. J'en commandais un conjointement avec mon frère Quintus. Un autre était confié à C. Pomptinius; et le reste à mes deux autres lieutenants M. Annéius et L. Tullius. Nous tombâmes sur l'ennemi. La plupart saisis à l'improviste furent tués ou pris, toute retraite ayant été coupée. Érana est le chef-lieu de la montagne, et c'est moins un bourg qu'une ville. La défense y fut longue et acharnée, ainsi qu'à Sepyra et à Commoris. Pomptinius qui commandait de ce côté attaqua avant le jour. On se battit jusqu'à la dixième heure; et après un grand carnage, la ville fut emportée. Six forteresses subirent le même sort. Nous en brûlâmes un pi us grand nombre. — Après cette expédition, je campai quatre jours au pied de la montagne, près des autels d'Alexandre. J'employai tout ce temps à balayer les hauteurs des débris qui s'y étaient jetés, et à ravager toute la partie du territoire qui confine à ma province. De là je conduisis mon armée a Pindénissum, ville de l'Éleuthéro-Cilicie. Elle est située sur un pic très-élève, et 229 munie de formidables défenses. Ses habitants n'ont jamais reconnu aucune domination. Ils donnaient asile à tous les fugitifs, et je les savais impatients de voir arriver les Parthes. Je crus qu'il fallait, pour l'honneur du nom romain, châtier leur audace, et du même coup imposer aux autres peuplades ennemies de la domination romaine. Je commençai par ouvrir autour de la ville une tranchée continue, surmontée d'une redoute, et garnie de six espèces de châteaux; donnant à mes lignes un développement proportionné. L'assaut fut livré à l'aide de mantelets, de fascines et de tours mobiles. Enfin à grand renfort de machines et de traits, avec un labeur excessif pour moi, mais sans dommage ni frais pour les alliés, je parvins le cinquante-septième jour au but de mes efforts. La ville était de tous côtés abîmée ou brûlée. Les habitants se rendirent à discrétion. Leurs voisins, les Tibarans, étaient leurs émules en brigandage et en audace. Pindénissum une fois en mon pouvoir, je reçus d'eux des otages. Cela fait, mes troupes prirent leurs quartiers d'hiver. Je chargeai mon frère de ce soin, lui recommandant de les distribuer dans les cantons récemment occupés, ou d'une soumission douteuse. — Ce que j'ai maintenant à vous dire, mon cher Caton, c'est que si ces détails sont communiqués au sénat, votre suffrage sur les honneurs à m'accorder serait pour moi la plus haute des récompenses. Il est passé en usage entre les hommes les plus graves de recevoir et d'adresser de pareilles prières. J'imagine faire mieux de m'en abstenir avec vous et de me borner à l'exposé des faits. N'est-ce pas vous en effet, de qui j'ai tant de fois rencontré l'appui, lorsque mon nom s'est trouvé eu cause? vous qui, dans les conversations familières comme dans les discours publics, devant le sénat, comme devant le peuple, m'avez élevé au ciel par vos louanges? vous dont la voix me paraît toujours si imposante, qu'un seul mot d'éloges, tombé sur moi de votre bouche, a plus de prix à mes yeux que tout le reste ensemble? vous qui, refusant un jour, je m'en souviens, de voter des actions de grâces à un homme illustre, à un excellent citoyen, vous déclariez prêt à y souscrire si l'on en reportait l'honneur aux actes de son consulat? vous qui m'avez jugé digne moi-même de cet honneur, quand je n'avais encore revêtu que la toge, et qui voulûtes qu'à la formule banale pour services rendus, on substituât un décret : pour avoir sauvé la république ? — Je ne parle pas du zèle qui vous a fait offrir votre tête à la haine, aux périls, à tous les orages qui ont menacé la mienne ; zèle dont il n'aurait tenu qu'à moi de prolonger encore l'épreuve, et qu'il m'eût été surtout difficile de méconnaître, lorsque vous déclarâtes que mon ennemi était votre ennemi ; et, qu'après sa mort, vous vîntes en plein sénat proclamer cette mort juste, et prendre en main la défense de Milon. Les témoignages que je vous ai donnés de mon côté, je ne les citerai point pour m'en faire un titre, mais pour vous montrer que je ne suis pas resté le muet admirateur de vos éminentes vertus. Qui ne vous admire, en effet? Mais dans mes discours, dans mes opinions, dans mes plaidoyers, dans mes ouvrages, en grec, en latin, sous toutes les formes d'expression de ma pensée, je vous ai proclamé supérieur à tous nos contemporains, et même à tous les personnages historiques. — Peut-être me demanderez-vous comment il se fait que je tienne tant à ce je ne sais quoi de félicitations et d'honneurs que j'attends du sénat. Je répondrai avec la franchise 230 que comportent nos communes sympathies, les services que nous nous sommes mutuellement rendus, notre vive amitié, la liaison de nos pères. S'il est un homme au monde que sa nature et plus encore, je le sens, ses réflexions et ses études éloignent du goût d'une vaine gloire et des applaudissements du vulgaire, cet homme à coup sûr, c'est moi. Témoin mon consulat où je n'ai cherché, comme dans tout le reste de ma carrière , que ce qui donne la gloire solide. La gloire pour la gloire ne m'a jamais tenté. Aussi m'a-t-on vu dédaigner une province favorisée, et l'espoir assuré du triomphe. Je n'ai pas non plus ambitionné le sacerdoce qu'il m'était, à votre avis du moins, si facile d'obtenir. Mais aussi après l'injure que je reçus, injure qualifiée par vous de calamité publique, et que je regarde, moi, bien plutôt comme un titre d'honneur que comme une calamité personnelle, on m'a vu mettre le plus grand prix et à l'opinion du sénat et du peuple romain et aux témoignages qui la pouvaient mettre en évidence. C'est ainsi qu'on m'a vu prétendre à l'augurât que j'avais naguère dédaigné. C'est ainsi que ces honneurs que le sénat décerne à la vertu militaire, honneurs dont j'étais si peu ambitieux jadis, je les recherche aujourd'hui. C'est qu'il y a là comme un reste de sentiment de mes anciennes blessures. Il me faut votre aide pour achever de les guérir; et moi qui tout à l'heure déclarais ne pas vouloir vous rien demander, je vous le demande au contraire de la manière la plus formelle, en tant toutefois que mes titres ne vous paraîtraient pas trop grêles et de trop misérable nature, mais seraient de taille et d'importance à vous faire convenir que souvent le sénat a décerné les plus grands honneurs à bien meilleur marché. J'ai observé (vous savez avec quel soin je recueille vos paroles) que pour vous décider à accorder ou à refuser des honneurs, vous faites moins acception des hauts faits du général que de l'ensemble du caractère, des principes et de la conduite. Appliquez-moi cette règle et vous verrez que presque sans année, sous la menace d'une guerre formidable, je me suis fait fort et puissant par la justice et la modération. J'ai obtenu dans cette voie des résultats que toutes les légions du monde ne procureraient jamais. Nous avions des alliés dont la fidélité était douteuse, j'en ai fait des amis pleins de zèle. D'autres nous trahissaient; nous n'avons pas aujourd'hui de serviteurs plus dévoués. Tous les esprits flottaient dans l'attente d'un changement de domination, je les ai ramenés à l'habitude de l'ancienne. — Mais c'est trop parler de moi, surtout à vous qui êtes en possession presque exclusive de recevoir les doléances de nos alliés. Vous saurez d'eux que mon administration leur a rendu la vie. Ils n'auront qu'une voix pour rendre de moi les témoignages qui peuvent le plus me flatter; et dans ce concours, vos deux clientèles les plus considérables, l'île de Chypre et le royaume de Cappadoce, ne resteront pas en arrière. Je ne pense pas non plus que le roi Déjotarus fasse faute à ce concert d'hommages, lui qui vous est attaché d'une amitié si intime. Si la véritable grandeur est là; et si, dans le cours des siècles, il s'est trouvé plus d'hommes sachant vaincre leurs ennemis, que d'hommes sachant vaincre leurs passions, il est tout à fait digne de vous d'en apprécier, d'en estimer davantage ce mérite militaire quand vous le trouvez associé à de plus rares et de plus difficiles vertus. — Pour dernier 231 argument et comme en désespoir de cause, je ferai appel auprès de vous à la philosophie que j'ai toujours regardée comme ma meilleure amie, et comme le plus beau présent des Dieux au genre humain. Oui cette communauté d'études et de travaux auxquels nous nous sommes voués de concert depuis notre enfance, cette ardeur mutuelle qui, par un exemple resté jusqu'ici sans imitateurs, nous a fait introduire au forum, au milieu des affaires publiques et jusque dans les camps, la véritable et antique philosophie, que certaines gens ne croient bonne que pour des désœuvrés et des oisifs; voilà ce qui vous parle en ma faveur, et ce qu'il n'est pas permis à Caton de ne point écouter. Soyez persuadé que si cette lettre vient à déterminer votre suffrage pour la distinction que je sollicite, je croirai devoir à votre haute influence et à votre amitié tout ensemble l'accomplissement du plus cher de mes vœux.

244. A C.MARCELLUS, CONSUL DÉSIGNÉ. Cilicie, janvier.

F. XV, 10. Puisque le ciel a comblé l'un de mes vœux les plus chers, et donné aux Marcellus et aux Marcellinus les admirables sentiments que tous ceux de leur race et de leur nom ont toujours eus pour moi ; puisqu'il a permis qu'il y eût coïncidence de mes actions et des honneurs que j'en puis tirer, avec l'époque de votre consulat, je vous adresse une prière dont l'accomplissement vous sera facile, pour peu que le sénat, comme je m'en flatte, ne s'en montre pas éloigné. C'est que le sénatus-consulte qui sera rendu après la lecture de mes dépêches soit conçu dans les termes les plus honorables pour moi. Si j'étais moins lié avec vous qu'avec les autres membres de votre famille, j'invoquerais près de vous ceux dont vous me savez le plus tendrement aimé. Que de oien m'a fait votre père! qui jamais fut plus ardent à me pousser ou à me défendre? Et votre frère? Personne, je crois, n'ignoré le cas qu'il fait, et a toujours fait de moi. Dans votre maison ce fut toujours à qui me comblerait de bons offices. Et sous ce rapport vous n'êtes en reste avec aucun d'eux. Je vous demande donc avec instance de me porter le plus haut possible; et tenez-vous pour dit que pour la supplication comme pour le reste, je mets ma gloire entre vos mains.

245. — A L. PAULLUS, CONSUL. Cilicie, janvier.

F. XV, 13. Que je voudrais être avec vous à Rome! Les raisons ne me manquent pas. En première ligne, vous m'auriez vu et dans la poursuite et dans l'exercice de votre consulat, montrer pour vous un zèle trop légitime. Quoique je n'aie pas douté un instant du succès de votre candidature, j'aurais tenu à mettre moi-même la main à l'œuvre. Aujourd'hui que vous êtes en charge, je vous souhaite assurément le moins de difficultés possibles. Pourtant je souffre de voir qu'après avoir profité de votre jeune ardeur, quand j'étais consul, je ne puis, aujourd'hui que vous êtes consul à votre tour, mettre à votre service les fruits de ma vieille expérience. — Mais il se fait, par je ne sais quelle fatalité, que vous êtes toujours en position de me servir; et que je ne puis jamais vous offrir en retour que des vœux impuissants. Vous m'avez secondé brillamment pendant mon consulat, non moins bril- 232 lamment lors de mon rappel. Enfin vous êtes consul au moment précis où ma gestion va être jugée. Et quand votre haute dignité, l'éclat dont elle vous entoure, l'intérêt même de ma réputation et de ma gloire sembleraient justifier de ma part quelques efforts d'esprit et d'éloquence pour vous prier de rendre un sénatus-consulte qui m'exalte le plus possible, je n'ose employer ces grands moyens : j'ai peur d'avoir l'air d'un homme qui oublie quels ont été constamment vos sentiments pour moi, ou qui vous croit vous-même capable de les oublier. — Je connais votre goût et je m'y conforme; vous n'aurez donc que peu de mots de moi, vous à qui l'univers sait que je dois tout. Avec d'autres consuls, je m'adresserais tout d'abord à vous, Paullus, pour me les rendre favorables. Mais puisque le pouvoir est entre vos mains, que vous exercez la suprême influence et que notre amitié est un fait notoire, c'est à vous directement que je demande un décret rédigé le plus honorablement possible, et qui ne se fasse pas attendre trop longtemps. Les lettres officielles que je vous ai adressées à vous, à votre collègue et au sénat, vous feront connaître si ce que j'ai fait mérite honneur et félicitations. Acceptez mandat de moi pour tous mes intérêts, surtout pour celui de ma gloire. Et je vous en prie, veillez notamment à ce que mes pouvoirs ne soient pas prorogés. Je vous l'ai demandé déjà dans toutes mes lettres. Je veux vous voir consul. Tant que vous Le serez, je me flatte de tout obtenir de loin comme de près.

246. A C. CASSIUS, PROQUESTEUR. Cilicie, janvier.

F. XV, 14. Vous me recommandez Fabius, et cette recommandation me vaudra, dites-vous, son amitié. Le beau présent que vous me faites, à moi, qui depuis des siècles, y ai des droits et qui ai toujours aimé sa grâce et ses bonnes manières! Mais puisque vous l'aimez tant, il faut bien que je l'aime un peu plus. Sans doute votre lettre a fait beaucoup. Pourtant ce qui fait plus encore, ce sont les sentiments dont il est animé pour vous, et que j'ai été à même de reconnaître et d'apprécier. — Ne doutez pas de mon empressement à répondre à votre désir; mais pourquoi ne pas venir vous-même? j'avais tant de raisons de le désirer. D'abord le plaisir de voir, après une séparation si longue, un homme que j'estime si fort; puis celui de vous répéter de vive voix des félicitations que je n'ai pu vous faire que par lettres, et cette liberté de nous communiquer, moi à vous, vous à moi, tout ce qui nous aurait passé par la tête. Enfin après une si longue interruption de nos rapports , et de ces services mutuels qui nous rendaient l'un à l'autre notre amitié si chère, nous en aurions encore resserré les nœuds. — Puisque ce bonheur ne nous est pas donné, s'écrire est un bien ; usons-en ; et ce que nous aurions fait réunis , faisons-le tout absents que nous sommes. Ma première joie eût été de vous voir; celle-là ne se remplace point par lettres. Mes félicitations mêmes ne peuvent avoir la même effusion que si je vous avais là devant moi pour les recevoir; je vous en ai déjà adressé pourtant et je vous en adresse encore ici, soit pour avoir fait de grandes 233 choses dans votre province, soit pour l'avoir quittée à propos, avec gloire, et emportant ses regrets. Quant à nos affaires, il est facile d'y suppléer par écrit : je pense que sous plusieurs rapports, il vous importe de hâter votre retour à Rome. On y était très-bien pour vous à mon départ, et j'augure que, revenant après une grande victoire, votre rentrée aura de l'éclat. Si la position de quelques-uns des vôtres n'est pas nette, et si vous êtes en mesure de la débrouiller, accourez vite, rien ne sera plus digne et ne vous fera plus d'honneur. Mais si les choses sont trop graves, prenez garde; n'allez pas vous compromettre en brusquant votre retour. En cela. vous n'avez à prendre conseil que de vous-même. Vous seul savez ce que vous pouvez faire. Êtes-vous sûr de vous? Osez. Il y a honneur et popularité au bout. Ne l'êtes-vous pas? absent, on laisse aux attaques moins de prise. — Pour moi, j'ai toujours la même prière à vous faire : mettez tous vos efforts à ce qu'on n'allonge pas si peu que ce soit la mission que la volonté du sénat et du peuple ne m'a donnée que pour un an. C'est à quoi je tiens comme à mon existence. Vous trouverez Paullus admirablement disposé; il y a aussi Curion; il y a Furnius. Supposez qu'il y va de tout pour moi et agissez en conséquence. — II me reste à parler de cette amitié dont je voulais resserrer les chaînes : peu de mots suffiront. Jeune, vous me recherchiez avec passion, et moi, j'ai toujours pensé que vous seriez un des ornements de ma vie. Vous avez fait plus. Vous m'avez défendu au temps de mes disgrâces. J'ajoute que depuis votre départ je me suis lié étroitement avec votre cher Brutus. Il n'y a que plaisir et honneur à se lier avec des gens de mérite et d'esprit comme vous. Je compte de mon côté sur l'appui de votre amitié. Répondez-moi de suite, et écrivez-moi de Rome aussi souvent que vous le pourrez.

247. DE CÉLIUS A CICÉRON. Rome. janvier.

F. VIII, 6. Vous le savez sans doute, Dolabella accuse Appius qui certainement rencontre moins de défaveur que je ne le supposais. 11 est vrai qu'il n'a pas été maladroit. A peine Dolabella at-il paru au tribunal, qu'Appius est entré dans Rome, renonçant ainsi au triomphe. Par là, il a coupé court aux propos et dérouté Dolabella qui aura moins de prise sur lui. Maintenant tout son espoir est en vous. Je sais que vous n'avez pas de haine dans le cœur. II ne tient donc qu'à vous d'en faire votre obligé au degré qu'il vous plaira. Sans vos altercations, vous auriez aujourd'hui vos coudées plus franches. Seulement prenez garde, en vous tenant trop strictement dans la ligne du droit, de rendre suspectes la franchise et la sincérité de votre réconciliation. Il est sans inconvénient au contraire de vous montrer un peu favorable; on ne dira point que l'affection, le sentiment vous ont écarté du devoir. Ah ! que je n'oublie pas de vous le dire. Dans l'intervalle en tre la requête et la citation, la femme de Dolabella l'a quitté. — Je me souviens de ce que vous me dites en partant, et vous n'avez pas sans doute oublié ce que je vous écrivis à mou tour. Le moment n'est pas venu d'en dire davantage. Cependant je vous donnerai un conseil. Si la chose ne vous déplaît pas, gardez-vous à présent d'en 234 rien laisser paraître et attendez l'événement du procès. La moindre manifestation pourrait devenir une arme contre vous. On ne manquerait pas de s'en emparer, et de donner à l'instant une publicité aussi contraire aux bienséances qu'à vos intérêts. Lui surtout aurait grand soin de répandre un incident qui lui viendrait si à propos, et dont l'éclat serait si favorable à sa cause; car il est homme à ne savoir se taire même sur ce qui peut lui nuire le plus. — On dit que Pompée s'intéresse vivement à Appius. On croit même qu'il vous enverra l'un ou l'autre de ses fils. Ici, on acquitte tout le monde, et, par Hercule, on ne voit que corruption, ignominie et saleté. Nous avons des consuls d'une activité prodigieuse; ils ne sont pas encore parvenus à faire un seul sénatus-consulte, sauf celui des fériés latines. Le tribunal de notre ami Curion n'est pas moins à la glace. Enfin on ne saurait dire à quel point ici tout languit et s'affaisse. Sans mes démêlés avec les boutiquiers et les porteurs d'eau, l'engourdissement gagnerait toute la ville. Que les Parthés donnent donc un coup de fouet de votre côte, ou nous allons tomber tous en léthargie. Tâchons cependant, quoi qu'il en soit, de nous passer des Parthes. Bibulus a perdu quelques malheureuses petites cohortes au mont Amanus. Ce sont les termes de la relation. — Ainsi que je vous le disais tout à l'heure, Curion ne donnait signe de vie. Le voilà qui se réveille. On le travaille sévèrement de tous côtés. Dans sou humeur de n'avoir pas obtenu d'intercalation, il s'est retourné avec une légèreté sans pareille du côté du peuple, et s'est mis à parler pour César. Le voilà qui jette en avant une loi sur les chemins dans le genre de la loi agraire de Rullus, et une loi sur les subsistances qui prescrit aux édiles d'établir des mesures. Rien de tout cela n'était encore fait au moment où je vous écrivais la première partiede cette lettre. Soyez bon pour moi, et si vous faites quelque chose pour Appius, que j'en aie près de lui tout l'honneur. Ne vous laissez pas entamer touchant Dolabella; ce que je vous conseillais tout à l'heure, votre considération et l'opinion qu'on a de votre équité, vous le conseillent également. Quelle honte pour vous, si je n'avais point de panthères de la Grèce !

248. — DE CÉLIUS A CICÉRON. Rome, janvier.

F. VIII, 7. Je ne sais s'il vous-tarde de quitter ces contrées lointaines; il me tarde à moi de vous en voir dehors; et d'autant plus que jusqu'ici la fortune vous a souri. Tant que vous êtes là-bas, cette guerre des Parthes me tourmente, et je ne puis rire de bon cœur de l'affaire en question. Je n'ai que le temps de donner ce mot très-court au messager des publicains qui est très-pressé, et qui me prend à ('improviste. Mais je vous ai écrit très au long hier par votre affranchi. — Rien de nouveau d'ailleurs; pourtant voici qui vous intéressera peut-être. Le jeune Cornificius est fiancé à la fille d'Orestilla. Paulla Valéria, sœur de Triarius, a fait divorce sans motif, et le jour même où son mari devait être de retour de sa province. Elle doit se remarier avec D. Brutus. Est-ce que ceci dérange vos calculs? Nous avons de ces surprises-là en foule depuis votre départ. Servius Ocella, par exemple, n'aurait pu se donner pour séducteur à personne , si on ne l'eût pris sur le fait deux fois en trois jours. Avec qui donc? direz-vous, par Hercule, avec qui? je n'en voudrais pas pour mon compte; mais allez le demander à d'autres. Que j'aie un peu le plaisir de voir un général vic- 235 torieux dire à tout venant : Avec quelle femme a-t-on donc surpris un tel , s'il vous plait?

249. — A APP1US PULCHER. Laodicée, janvier.

F. III, 7. Vous aurez une plus longue lettre , quand j'aurai plus de loisir. Je vous écris bien vite aujourd'hui pour profiter des esclaves de Brutus que je rencontre à Laodicée et qui se rendent, disent-ils, à Rome en toute hâte. Je ne leur remets de lettres que pour vous et pour Brutus. - Les députés Appiens m'ont adressé tout un volume de plaintes fort injustes sur ce que j'arrête la construction de leur édifice. Vous me demandez de lever l'interdiction au plus vite, afin que l'hiver ne survienne pas durant les travaux. Et là-dessus vous êtes venu à bout de me faire un crime d'avoir suspendu toute perception jusqu'à autorisation donnée par moi en connaissance de cause ; ce qui ne serait qu'un calcul pour tout empêcher, mes informations ne pouvant être prises avant l'hiver, époque où j'aurais quitté la Cilicie. J'ai répondu à tout ; et vous verrez comme vos récriminations sont justes. En premier lieu , on est venu à moi se plaindre d'impôts intolérables. Ai-je eu tort de suspendre jusqu'à examen le recouvrement de ces impôts? Mais je ne pouvais sciemment, ce sont vos termes, procéder à cet examen avant l'hiver. Était-ce donc à moi d'aller chercher les renseignements, ou était-ce à eux de me les apporter? Il y a si loin? direz- vous. Eh quoi! quand vous leur remettiez une lettre pour me prier de ne point les empêcher de bâtir avant l'hiver, supposiez- vous qu'elle ne me parviendrait point? Elle m'est parvenue en effet, mais c'était une dérision ; car les premiers froids s'étaient déjà fait sentir quand ils sont venus, cette lettre à la main, me demander la permission de bâtir pendant l'été. Or, vous saurez que ceux qui refusent l'impôt sont bien plus nombreux que ceux qui y consentent. Mais je n'en tâcherai pas moins de vous complaire en cela. Voilà pour les Appiens. — J'ai entendu dire à Pausanias, affranchi de Lentulus et mon accensus, que vous vous étiez plaint à lui de ce que je n'avais pas été au-devant de vous. J'aurais cru déroger sans doute, et l'on n'est pas plus hautain que moi. Lorsque votre esclave vint, presqu'à la seconde veille de la nuit et qu'il m'annonça que vous comptiez être à Iconium avant le jour, sans me dire quelle route vous suiviez (il y en a deux), j'envoyai à votre rencontre d'un côté Varron votre ami, de l'autre Q. Lepta, intendant de mes ouvriers, avec ordre à chacun de revenir me donner avis de votre rencontre, pour que je pusse me porter moi-même au-devant de vous. Lepta revint tout courant m'annoncer que déjà vous aviez laissé le camp derrière vous. Je me rendis à l'instant à Iconium, vous savez le reste. Moi, ne pas aller au-devant de vous! Au devant d'Appius; d'un impérator, quand c'est un usage immémorial, et surtout quand cet Appius, cet imperator est un ami? moi qui dans ces circonstances vais toujours au delà de ce qui convient à mou rang et à mon caractère. Je n'en dirai pas plus. Pausanias ajoute qu'il a entendu ces mots de votre bouche : comment ! Appius va au-devant de Lentulus; Lentulus au-devant d'Appius; et Cicéron ne se dérange pas pour Appius ! Mais dites-moi, je vous prie, vous que je reconnais pour un 236 homme si sage, si instruit, vous qui avez surtout cette connaissance du monde , que les Stoïciens ont bien raison d'appeler une vertu, est-ce que vous croyez que l'avantage de s'appeler ou Appius ou Lentulus, que toute cette friperie de noms passe à mes yeux avant le mérite propre de l'individu? Avant même que j'eusse atteint ce qui est au-dessus de tout dans l'opinion des hommes , je n'étais pas ébloui de tous vos grands noms ; j'en reportais la gloire à ceux qui vous les ont laissés. Aujourd'hui que j'ai obtenu et exercé les plus hauts emplois de manière à ce qu'il ne me reste rien à acquérir, ce semble , en fait de distinctions comme de gloire, je me flatte d'être devenu non pas votre supérieur sans doute, maisbien votre égal. Et certes, je ne connus jamais d'autre manière de voir ni à Cn. Pompée, te premier des humains, ni à Lentulus que je mets bien audessus de moi. Si ce n'est pas la vôtre , vous ne feriez pas mal de relire avec soin ce qu'en dit Athénodore, fils de Sandon. Vous y apprendrez ce que c'est que naissance et ce que c'est que noblesse. — Revenons. Soyez persuadé que j'ai pour vous de l'amitié, beaucoup d'amitié. Toute ma conduite vous le prouvera à n'en pas douter. Quant à vous, si vous ne jugez pas devoir en mon absence faire autant pour moi que j'ai fait pour vous, mettez- vous l'esprit en repos là-dessus. — « Assez d'autres s'occuperont de moi , et Jupiter lui-même sera mon conseiller. » S'il est dans votre humeur de vous plaindre; vous aurez beau faire, vous ne changerez pas mes dispositions à votre égard. Il arrivera seulement que je montrerai plus d'indifférence sur la manière dont vous prenez ce qu'on fait pour vous. Je vous ai parlé avec liberté, parce que j'ai la conscience des bons sentiments qui m'animent. Ces sentiments, je les ai pris avec réflexion, et ils vous sont acquis pour aussi longtemps que vous voudrez.