200. — A ATTICUS.
Rome, juin.
A. V, 9. Nous voici à Actium
depuis le 17 des kalendes de juin. A Corcyre et à Sybote, wous avons
fait chère de Saliens, grâce à votre munificence et aux bons soins
d'Arcus et de mon ami Eutychides qui nous avaient largement et
splendidement pourvus. J'ai préféré la route de terre; la traversée
aurait été fatigante et je répugnais à doubler la presqu'île de
Leucate; et puis abordera Fatras dansées chétives embarcations et
sans aucune suite, c'eût été peu convenable. Je n'oublie pas les
conseils que vous m'avez si souvent donnés pendant mes voyages ; je
les médite; j'en pénètre mes subordonnés et me fais une loi de les
suivre. Vous me verrez mettre dans mes fonctions autant de
modération que de désintéressement. Que les Parthes ne bougent point
; que la fortune me seconde, et je réponds de moi. Donnez-moi, je
vous prie, de vos nouvelles ; dites-moi où vous comptez aller;
combien de temps vous serez absent, dans quel état vous avez laissé
mes affaires à Rome, et surtout si vous avez fini l'affaire des
vingt mille et des neuf cent mille sesterces. Il ne faut pour me
satisfaire qu'une lettre bien remplie et qui me soit fidèlement
remise. 189 Ce n'est
pas tout cependant. Ne m'avez-vous pas écrit que durant votre
absence, il ne se ferait rien, et que vous arriveriez à temps pour
vous occuper de moi? Eh bien ! je réclame vos soins, le concours de
vos amis, d'Hortensius en première ligne; qu'on s'en tienne à la
durée d'un an; qu'on ne change rien au décret. Telles sont mes
instructions positives. J'ai même hésité si je ne vous prierais pas
d'empêcher qu'il y ait intercalation, mais je n'ai pas osé pousser
si loin l'exigence. J'insiste seulement pour qu'il n'y ait qu'une
année. Mon fils vous envoie un salut. C'est un enfant doux et
charmant. Il y a longtemps que j'aime Dyonisius, vous le savez;
mais, je l'aime chaque jour davantage, je vous le jure, en le voyant
vous chérir comme il le faut et vouloir toujours que nous parlions
de vous.
201. — A ATTICUS.
Athènes, juin.
A. V, 10. Je suis arrivé à
Athènes le 7 des kalendes de juillet. Voilà quatre jours que j'y
attends Pomptinius et je ne sais rien encore de son arrivée. Ma
pensée, je vous le jure, est toujours avec vous. De moi-même certes
je penserais à vous, mais en face de ce qui parle ici aux yeux,
comment ne pas y penser mille fois davantage? Que voulez-vous que je
vous dise? vous seul remplissez mes entretiens. Mais peut-être
souhaitez-vous savoir aussi un mot de ce qui me touche
personnellement. Je n'ai pas encore imposé la moindre charge pour
moi ou les miens ni aux villes, ni aux particuliers. Allocations
légales de la loi Julia, prestations bénévoles de mes hôtes, je
refuse tout. On comprend autour de moi combien cette réserve
intéresse ma gloire, et l'on s'y soumet. Aussi jusqu'ici tout va à
merveille. Je vois ma conduite appréciée par les Grecs qui ne
tarissent pas d'éloges sur mon compte. Je me prépare à suivre vos
conseils, en tout ce que j'aurai à faire. Mais attendons la fin ; il
sera temps alors déchanter victoire. Sous beaucoup d'autres
rapports, j'en suis au regret de n'avoir pas trouvé moyen d'échapper
à cette mission. Qu'elle va mal à mes habitudes! et qu'on a bien
raison de dire, chacun son métier. Je vous entends d'ici : « Mais à
peine en avez-vous tâté. » C'est possible, et je crois volontiers
que le plus fort me reste à faire. Cependant quoique je fasse assez
bien, ce me semble, bon cœur et bonne mine à mauvais jeu, au fond ,
je n'eu suis pas moins au supplice. Il y a tant de haine,
d'insolence, de sottise , d'orgueil dans tout ce qu'on dit et dans
tout ce qu'on ne dit pas. Si je suis si peu explicite , ne croyez
pas que je me cache de vous ; mais ce sont choses à renfoncer en
soi-même. A mon retour, si j'en réchappe, vous admirerez mon
impassibilité profonde. Je n'ai eu que trop d'occasions de mettre
cette vertu en pratique. Assez sur ce chapitre. Cependant que vous
écrire? Je ne soupçonne pas même ce que vous faites, ni en quel lieu
du monde vous respirez. Par Hercule, je ne suis jamais resté si
longtemps dans l'ignorance de mes affaires. Qu'y a-t-il de décidé
sur la créance de César; sur celle de Milon? Ici pas un voyageur,
pas même un vain bruit qui vienne me donner des nouvelles de la
république. Si vous savez quelque chose qui m'importe, vous
m'obligerez essentiellement dénie l'écrire. — Que vous dire encore?
Rien, sinon que dans Athènes tout me charme, la ville toute seule,
les monuments, 190
l'amour qu'on y a pour vous, la bienveillance qu'on me témoigne, et
par-dessus tout la philosophie. Si celle du pour ou du contre est
quelque part, c'est à coup sûr chez mon hôte Aristus. J'ai cédé à
Quintus, Xénon votre ami, notre ami veux-je dire. Mais nous sommes
voisins et nous passons nos journées l'un chez l'autre. Écrivez-moi
le plus tôt possible et dites-moi vos projets : que je sache ce que
vous faites, où vous êtes, et surtout quand vous serez à Rome.
202. A C.
MEMMIUS. Athènes, juin.
F. XIII, 1. Je ne saurais dire
si j'aurais eu plus de plaisir que de peine à vous rencontrer à
Athènes. Votre injuste disgrâce m'eût pénétré de douleur, votre
sagesse m'eût rempli de joie; décidément j'aurais voulu vous
rencontrer. Loin de vous, je ne suis pas moins sensible à vos maux,
et, certes, c'eût été une grande satisfaction pour moi de vous voir.
Aussi suis-je décidé à aller vous chercher aussitôt que j'y verrai
jour, sans trop de difficulté. En attendant, je vous écris encore au
sujet de la petite affaire dont je vous ai déjà entretenu, et qui
peut, j'espère, se terminer par correspondance. — Avant tout, je
vous le demande en grâce, ne faites rien par déférence et à
contre-cœur. Qu'il soit bien évident pour vous que ce que vous
accordez à mes intérêts ne porte aucun préjudice aux vôtres ; que
tout de votre part soit de bonne volonté, de propre mouvement. Vous
connaissez Patron l'épicurien; je puis dire qu'entre lui et moi tout
est commun , tout, excepté les principes philosophiques sur lesquels
nous sommes en guerre à mort. A Rome, il était des plus assidus près
de moi, à l'époque où il commença à vous faire la cour à vous et à
vos amis. Depuis, quand il n'eut plus qu'à vouloir pour obtenir
fortune et faveur de toute espèce, c'est encore moi qu'il proclamait
le premier de ses protecteurs et de ses amis. Plus anciennement
(j'étais fort Jeune encore et n'avais pas encore fait la
connaissance de Philon ), Patron me fut présenté et recommandé par
Phèdre que j'aimais déjà comme philosophe, et que j'aimai doublement
ensuite comme le plus honnête, le plus aimable et le plus obligeant
des hommes. Ce Patron m'avait écrit à Rome; il me priait de faire sa
paix avec vous, et de vous demander en son nom la concession de je
ne sais quelle partie de l'habitation d'Épicure. Je n'ai pas voulu
d'abord vous en écrire pour ne pas aller jeter une recommandation au
travers des projets de construction que je vous savais alors. Mais
j'arrive à Athènes et voilà que mon même Patron me renouvelle sa
même prière. Je ne puis lui tenir aujourd'hui rigueur, tous vos amis
m'assurant que vous avez renoncé à bâtir. S'il en est ainsi, et si
désormais vous n'avez plus d'intérêt dans la question, j'ai une
grâce ù vous demander pour le cas où la malveillance de quelques
personnes , je connais à fond ces gens-là, vous aurait indisposé
contre Patron : c'est de n'écouter que la bonté de votre cœur; je
vous le demande au nom de tout ce qu'il y a chez vous de
bienveillance naturelle pour les autres et, même, de considération
particulière pour moi. Que si vous voulez savoir ce que je pense au
fond du projet de Patron, je vous dirai que je ne comprends ni
comment il peut là-dessus se monter la tête, ni quel motif sérieux
vous pourriez avoir à le 191
contrarier. Seulement on lui passerait plus aisément qu'à vous de
mettre de l'importance à une bagatelle. Vous n'ignorez pas au
surplus, je le sais, comment il voit et entend lui-même son affaire.
Il dit qu'il ne s'agit rien moins que de l'honneur, du devoir, du
respect dû au droit des testateurs, puis rien moins que d'un vœu
sacré d'Épicure, de la recommandation suprême de Phèdre, enfin de
l'habitation, du séjour et du souvenir d'un grand homme. Il faudrait
vous moquer de la doctrine de Patron, de la philosophie qu'il
pratique, de tout l'homme en un mot, pour blâmer l'ardeur qui le
transporte. Mais, par Hercule, puisque nous ne sommes pas absolument
ses ennemis ou les ennemis de ceux qui font leurs délices des mêmes
principes, je ne sais pas si nous ne devons pas avoir compassion de
sa peine, surtout en considérant que s'il se trompe, c'est l'esprit
chez lui et non le cœur qui est en défaut. — Mais au fait, il faut
bien tout vous dire : j'aime Pomponius Atticus comme un second frère
; il n'est personne qui me soit plus cher au monde, personne dont
l'amitié me soit plus douce. Atticus n'appartient pas à cette secte
; il a trop étudié et son esprit est trop éclairé pour cela ; mais
il aime beaucoup Patron, il aimait beaucoup Phèdre; il n'y a pas
d'homme qui s'échauffe moins, qui soit moins indiscret. Eh bien ! il
est à cet égard pressant comme je ne l'ai jamais vu ; il ne met pas
en doute qu'au premier mot de moi vous ne donniez les mains à tout,
eussiez-vous, comme il le suppose, l'intention de bâtir. Or, s'il
venait à savoir que vous avez renoncé à ce dessein et s'il apprenait
du même coup que vous vous êtes refusé à ma prière, il ne croirait
point à votre désobligeance et se récrierait contre mon peu de zèle.
Je vous prie donc de mander chez vous qu'on peut passer outre à ce
décret des aréopagites qu'ils appellent
ὑπομνηματισμόν. — Encore une fois, j'aime mieux que vous ne
fassiez rien que de rien faire à contre-cœur. Tenez seulement pour
certain que je ne recevrai point sans la plus vive gratitude cette
marque de déférence et de bonté. Adieu !
203. — A ATTICUS.
Athènes, 6 juillet
A. V, 11. Quoi ! je viens
d'écrire à Rome lettre sur lettre et pas une pour vous ! on ne m'y
prendra plus. Mille fois plutôt perdre mes lettres que de manquer
désormais une occasion ! Qu'on ne me proroge pas au nom du ciel !
Vous êtes encore à Rome; empêchez-le à tout prix. II n'y a pas de
mots pour exprimer combien je soupire après Rome, et combien je suis
dégoûté de cette fade vie de province. — Marcellus a bien
indignement traité cet habitant de Côme ! Cet homme avait beau ne
pas être magistrat, il était transpadan, et cet acte n'irritera pas
moins notre ami que César : c'est son affaire après tout. — Comme le
dit Varron, je crois certainement à Pompée l'intention de partir
pour l'Espagne; et c'est ce que je n'approuve pas du tout. Il m'a
été facile de démontrer à Théophane que le mieux était de ne pas
s'éloigner; avis au Grec, lui dont l'influence est prépondérante
auprès de Pompée. — Je vous écris la veille des nones de juillet, au
moment de quitter Athènes. J'y suis depuis dix jours, tout autant.
Pomptinius est arrivé; avec lui, Cn. Volnsius; mon questeur s'y
trouve aussi. Il ne manque absolument que votre Tullius. J'ai des
vaisseaux plats de Rhodes, d'autres à double rang, de Mitylène, et
quelques bâtiments de transport. Aucune nouvel le des Parthes. Les
dieux me soient en aide jusqu'au bout ! — Je traverse la
192 Grèce aux cris
d'admiration des habitants. Je vous jure que ma suite en est encore
à me donner un sujet de plainte. Tous me connaissent; ils savent
quelle est ma position, et avec quelles intentions je suis parti. Us
ne songent qu'a me faire honneur; et il en sera ainsi jusqu'au bout,
s'il faut en croire le proverbe grec : tel maître, etc. ; car je ne
ferai certes rien dont ils puissent s'autoriser pour mal faire. Si
ce n'est pas assez, je saurai me montrer sévère. Jusqu'à présent les
moyens de douceur m'ont réussi; cependant, comme on ledit
quelquefois, je ne suis en fonds de vertu que pour un on. Poussez
donc ferme à mon rappel ; car si on me prorogeai! delà démon année,
je ne réponds plus de moi. — J'arrive maintenant à vos commissions :
à moins que je n'aie encore quelque excuse valable à vous présenter
pour ces préfets, nommez-moi ceux que vous désirez; vous ne me
trouverez pas inabordable pour tous comme pour Appuléius. Xénon
m'est aussi cher qu'à vous-même, et je suis sûr qu'il n'en doute
point. Je vous ai mis au mieux dans l'esprit de Patron et du reste
de la secte. C'était justice. N'aviez-vous pas vous-même à trois
reprises mandé à Patron qu'en me chargeant de son affaire je n'avais
d'autre but que de lui être agréable : c'est lui qui me l'a dit.
Patron désire que je demande à votre aréopage la révocation d'un
acte passé sous la préture de Polycharme. Xénon, et Patron en est
tombé d'accord, a cru qu'il fallait au préalable écrire à Memmius
qui était parti pour Mitylène, la veille de mon arrivée à Athènes,
et le prier d'envoyer son consentement à ses agents ; il affirme que
sans cela ou n'obtiendra rien de l'aréopage. Memmius a renoncé à ses
projets de constructions, mais il en veut à Patron. Aussi j'ai cru
devoir soigner ma lettre. Je vous en envoie copie. Dites, je vous
prie, à Pilia les choses les plus aimables pour la consoler... la
consoler de quoi? Voici le motif; mais gardez-moi le secret. Un
paquet m'a été remis, celui où était sa lettre. J'ai tout rompu,
tout ouvert, tout lu. Sa lettre est vraiment touchante. Peut-être
avez-vous reçu vos lettres de Brindes et rien de moi. Je n'étais pas
à mon aise. Vous n'aviez qu'à ne pas vouloir de mon excuse
νομαναδρίαν. Dites-moi, je vous prie, ce qui
se passe; et sur toutes choses, portez-vous bien.
204. A M. CÉLIUS.
Athènes, juillet.
F. II, 8. Quoi ! est-ce ainsi
que vous me comprenez! des histoires de gladiateurs, des
ajournements de procès, des compilations de Chrestus, toutes
rapsodies dont on n'oserait me dire mot quand je suis à Rome ! Vous
allez voir quelle opinion j'ai de vous; et par Hercule, ce n'est pas
sans raison, car je ne connais pas, en politique, de meilleure tête
que la vôtre. Ce que j'attends de vous, ce n'est pas que vous me
teniez au courant des affaires de la république, quelle que soit
leur importance, à moins que je n'y sois personnellement pour
quelque chose. Assez d'autres se chargeront de ce soin par lettre ou
de vive voix, et la renommée elle-même m'en apportera sa part. Je ne
vous demande donc ni le passé ni le présent; mais je veux qu'en
homme qui voit de loin, vous me parliez de l'avenir ; que votre
correspondance mette sous mes yeux comme un plan de la charpente
actuelle de la république, 193
d'après lequel je puisse juger de la forme que prendra plus tard
l'édifice. Je n'ai point encore à me plaindre ; vous ne pouviez être
meilleur prophète qu'aucun de nous, que moi surtout, qui viens de
passer plusieurs jours avec Pompée, ne parlant d'autre chose que des
affaires publiques, e ne puis ni ne dois confier à une lettre le
détail de nos entretiens. Apprenez seulement que Pompée est un
citoyen parfait, et que sa prévoyance , son courage, sa sagesse ne
sont en défaut sur rien. Livrez-vous à lui, il vous recevra à bras
ouverts, je vous en réponds. Il en est à ne tenir pour bons ou pour
mauvais citoyens que ceux que nous autres nous réputons tels. — Je
me suis arrêté ces dix jours-ci à Athènes, et j'y ai vu beaucoup
notre ami Gallius Caninius ; j'en pars aujourd'hui, veille des nones
de juillet, après vous avoir écrit cette lettre. Je vous recommande
tous mes intérêts sans exception, j'insiste surtout de la manière la
plus vive pour ne pas être prorogé dans ma province. Pour moi, tout
est là. Que faut-il faire, quand, et comment agir, quels ressorts
mettre en jeu, c'est ce que vous jugerez mieux que moi.
205. — A ATTICUS.
En pleine mer, loin de Délos, juillet.
A. V, 12. C'est une terrible
chose que la mer, et en juillet; encore six jours pour aller
d'Athènes à Délos! La veille des nones de juillet, nous n'allâmes
que du Pirée à Zosteros, ayant le mauvais vent qui nous retint toute
la journée du lendemain. Le 8 des ides, temps charmant pour arriver
à Céos. De Céos un vent violent, sans être contraire, nous a
conduits plus vite que nous ne voulions, d'abord à Gyaros, puis à
Scyros et enfin à Délos. Vous connaissez les vaisseaux plats de
Rhodes; rien ne résiste moins au gros temps. Aussi je ne veux point
me presser et ne quitterai Délos qu'après avoir bien consulté toutes
les girouettes. J'ai appris l'affaire de Messalla à Gyaros, et je
vous écris sur-le-champ. J'en ai dit également mon avis à
Hortensius, dont je partage là-dessus le chagrin. Mandez-moi ce
qu'on dit de ce jugement et faites-moi connaître où nous en sommes
en général. Je veux une lettre sentant l'homme politique qui a
feuilleté avec Thalumète ce que j'ai écrit sur ce sujet; une lettre,
dis-je, qui m'apprenne non pas seulement ce qui se passe, car votre
client Hélénius, l'homme impor1 tant s'il eu fut, pourrait en faire
autant, mais où je puisse voir les événements à venir. Au moment où
vous me lirez, on aura des consuls. Vous devez avoir une opinion
faite sur cela, sur Pompée, sur les tribunaux. Puisque vous restez a
Rome, soyez assez bon pour finir mes affaires. J'ai oublié de vous
parler de cet ouvrage en brique. Je vous le recommande. S'il y a
moyen d'avoir de l'eau, faites pour le mieux selon votre coutume.
J'y ai toujours tenu, j'y tiens bien plus depuis que je vous vois y
mettre tant de prix. Tâchez donc d'y réussir. Si Philippe recourt à
votre crédit, ne le refusez pas, je vous prie. Je vous écrirai plus
longuement quand je serai a demeure. En ce moment je suis au milieu
des flots.
206. — A ATTICUS.
Ephèse, juillet.
A. V, 13. Je suis arrivé à
Ephèse le 11 des kalendes d'août, cinq cent soixante jours après le
combat de BovilIa. Ma traversée a été sans dangers et sans nausées,
mais fort lente , 194
grâce aux bateaux plats de Rhodes. Vous aurez su, je pense, quel
concours de députations et de citoyens, quels flots de population se
sont portés à mon passage, d'abord à Samos, puis, de plus belle, à
Ephèse. Qu'importé au surplus! pourtant si. Écoutez ! j'ai trouvé
pour moi chez les fermiers publics et chez les Grecs d'Ephèse la
même ardeur que pour un gouverneur de la province et pour le préteur
de la ville. Mais comprenez que me voilà mis en demeure d'appliquer
ce que je professe depuis tant d'années. Eh bien ! j'ai été à votre
école et j'y ai profité, j'espère. Il y aura justice pour tous, et
d'autant plus aisément que, dans ma province, les villes et les
agents du trésor sont convenus d'abonnements fixes ; je ne puis vous
en dire plus long. Cestius part cette nuit et c'est à mon souper
seulement qu'il est venu m'avertir. — Je n'ai rien négligé pour vos
intérêts à Éphèse ; même avant mon arrivée, Thermus avait été
parfait pour vos amis. Je lui ai présenté Séius et Philogène, je lui
ai recommandé Xénon d'Apollonide. Il fait son affaire de toutes vos
affaires. J'ai donné de plus à Philogène le compte des avances que
vous m'avez faites, mais sur ce point aussi j'ajourne les détails.
Je reviens aux affaires de la ville. Par tous les Dieux ! puisque
vous restez à Rome, prenez bien vos précautions pour que l'on ne me
donne pas une seconde année, et même pour qu'il n'y ait pas cette
année d'intercalation. D'ailleurs, n'oubliez aucune de mes
commissions ; surtout si vous y pouvez quelque chose, celle qui
touche à mon intérieur et qui me pèse, vous entendez ; puis César à
qui je me suis livré : vous l'avez voulu et je ne m'en plains pas.
Enfin vous savez touchant les affaires politiques ! si je dois être
curieux de ce qui se fait; que dis-je, de ce qui se fait? je veux
que vous m'écriviez même ce qui est à faire, et de point en point.
Avant tout , parlez-moi des procès jugés ou en instance.
S'occupe-t-on aussi de mon eau? Philippe a-t-il fait quelque chose?
Donnez-y un coup d'œil, je vous prie.
207. DE CÉLIUS
A CICÉRON. Rome, juillet.
F. VIII, 2. Oui, vous dis-je,
il est absous. J'étais au prononcé, et tous les ordres ont été pour
lui, et il y a eu unanimité dans chaque ordre. Qu'y faire?
allez-vous me répondre. Par Hercule! je ne me résigne pas si
facilement. Non, jamais l'opinion ne fut plus déconcertée, jamais
rien ne parut si indigne. Voyez un peu : moi son vieil ami qui étais
tout à fait pour lui, moi qui m'apprêtais à le plaindre-, eh bien!
je suis resté interdit et comme pris dans un piège. Jugez des
autres. Les juges ont été accablés de*huées. On voulait leur faire
entendre que c'était trop fort, et ils l'ont bien compris. Au fait,
il échappe à la loi Licinia; mais sa position n'en est que pire.
Ajoutez que le lendemain de son acquittement, Hortensius s'est
montré au théâtre de Curion : sans doute il voulait nous faire
partager sa joie ; mais au lieu de cela, « des cris, des
trépignements, un bruit « de tonnerre, un horrible concert de
sifflets, » oui de sifflets, et de sifflets d'autant plus sensibles
que, suivant la remarque de chacun, Hortensius était arrivé à l'âge
qu'il a, sans en essuyer un seul; mais il en a eu cette fois pour
toute une vie, et il doit être aux regrets de son triomphe. — Je
n'ai rien à vous mander sur les affaires publiques. Marcellus est
bien 195 refroidi : ce
n'est pas indolence, c'est calcul selon moi. On ne sait absolument
que penser des comices consulaires. J'ai eu en tète deux
compétiteurs, l'un noble, l'autre faisant le noble, M. Octavius flls
de Cnéius, et C. Hirrus. tous deux sont sur les rangs avec moi. Je
vous en parle, parce que je sais que votre tendre intérêt pour
Hirrus vous rend impatient de connaître le résultat des comices.
Quoi qu'il en soit, à la première nouvelle que je suis désigné,
occupez-vous de mes panthères, je vous prie. Je vous recommande
aussi le billet de Sittius. J'ai remis la première partie du journal
de Borne à L. Castrinius Pétus. Vous recevrez la seconde par le
porteur même de cette lettre.
208. DE CÉLIUS
A CICÉRON. Rome, juillet.
F. VIII, 3. Eh bien! ai-je
gagné la gageure? quoi que vous en ayez dit en partant, vous ai-je
assez écrit? Certes pour peu que mes lettres vous arrivent, j'ai
gagné. Je les multiplie d'autant plus que me voilà désœuvré, et que
je ne trouve à nul autre délassement plus d'attrait qu'au plaisir de
vous écrire. Quand vous étiez à Rome, j'avais une ressource assurée
et la plus charmante du monde ; je pouvais passer avec vous les
loisirs que me laissaient les affaires : heureux emploi du temps que
je ne regrette pas à demi! Si vous saviez à quel point je me trouve
seul, depuis votre départ, à quel point Rome elle-même me semble une
solitude; et moi qui avec mon indolence, laissais souvent passer des
jours entiers sans vous voir, je suis aujourd'hui au supplice de ne
pas vous avoir là pour courir à chaque instant chez vous. Il est
vrai que, grâce à mon rival, Hirrus, je suis bien plus encore tenté
d'aller vous chercher à chaque instant du jour et de la nuit. Vous
faites-vous une idée de sa figure, à cet ancien compétiteur de votre
augurât, lorsqu'il se désole de ce que mes chances sont meilleures
que les siennes, et qu'il n'en veut pourtant rien laisser paraître?
Quant au résultat pour lequel vous faites des vœux et que vous êtes
impatient d'ap: prendre, je le désire pour vous, je le jure, encore
plus que pour moi, qui aurai dans ce cas à lutter contre un collègue
plus riche. D'un autre côté, sa déconvenue, si elle arrive, aurait
cela de bon qu'elle nous mettrait en fonds pour rire le reste de
notre vie. Quoi ! à ce point? oui j par Hercule. Savez-vous que M.
Octavius ne soulève pas beaucoup moins de haine qu'Hirrus, et vous
savez comme partout on déteste Hirrus: — Mais parlons de la mission
de l'affranchi Philolime et des biens de Milon. Je me suis arrangé
pour que Philotime la remplît honorablement a la satisfaction de
Milon absent et de ses amis, et pour que l'exactitude et la loyauté
de votre agent fussent dignes de ce qu'on connaît de vous.
Maintenant j'ai une grâce à vous demander : si vous avez du loisir,
comme je l'espère, montre que je ne vous suis pas indifférent et
dédiez-moi quelque ouvrage. Comment là-bas, allez-vous dire, cette
pensée vous est-elle venue? Vous n'êtes pas maladroit ! Oui, je
voudrais que parmi les nombreux monuments de votre génie, il y en
eût un qui pût transmettre à la postérité le souvenir de. notre
amitié. Mais encore quelle sorte d'ouvrage ? allez-vous me demander
peut-être. Vous qui avez la science universelle, vous choisirez plus
vite et mieux que je ne pourrais le faire ; j'insiste seulement pour
que l'ouvrage soit en rapport avec ma personne, et d'un genre qui le
196 mette dans les
mains de tout le monde. Adieu.
209. — A ATTICUS.
Tralles, juillet.
A. V, 14. Tant que je ne
poserai nulle part, Vous n'aurez que des lettres de quelques lignes
et pas toujours de ma main. Mais une fois casé, je reprends mes
habitudes. Nous cheminons par la chaleur et la poussière. J'ai daté
précédemment d'Ephèse; cette fois, c'est de Tralles que je vous
écris. Je compte arriver dans ma province le jour des kalendes
d'août. Marquez, je vous prie, ce jour-là sur votre indicateur. Au
surplus, d'après mes nouvelles tout se présente assez bien. D'abord,
les Parthes ne remuent pas. En second lieu, les villes se sont
abonnées. Enfin Appius a mis ordre à la sédition des troupes; elles
sont payées jusqu'aux ides. — On me fait en Asie un accueil
admirable. Personnellement j'ai eu soin de n'être à charge à qui que
ce fût. Quant à ma suite, sa tenue me fait honneur. Toute ma crainte
est qu'il n'en soit pas constamment de même; je l'espère néanmoins.
Tous ont rejoint, excepté votre ami Tullius. Je me décide à aller
droit au camp. Là je donnerai le reste de la campagne à
l'administration militaire; et l'hiver sera consacré aux affaires
civiles. — En fait de nouvelles politiques, ma curiosité égale au
moins la vôtre. Événements, prévisions, écrivez-moi tout ; vous ne
sauriez m'obliger davantage, à moins toutefois de m'apprendre que
mes commissions sont faites; notamment cette affaire d'intérieur qui
me touche de si près. Voilà qui sent terriblement la hâte et la
poussière. Je mettrai plus d'ordre par la suite.
210. — A APPIUS
PULCHER. Tralles.
F. III, 5. Je suis arrivé à
Tralles le 6 des kaendes d'août. J'y ai trouvé L. Lucilius avec vos
lettres et vos ordres. Vous ne pouviez choisir personne qui fût
mieux disposé pour moi, mieux nstruit, ni plus capable de me mettre
au fait de tout ce que je désirais savoir. J'ai lu votre lettre avec
empressement et prêté grande attention à Lucilius. Quoique sensible
aux témoignages de ma gratitude , vous trouvez qu'il était superflu
d'évoquer des souvenirs si anciens. Oui, j'en conviens avec vous;
une amitié qui a fait ses preuves, une confiance bien établie n'ont
pas besoin qu'on énumère leurs titres. Eh bien ! je ne reviendrai
plus sur le passé, mais au moins faut-il pour le présent souffrir
les remercîments que je vous dois. Car je vois dans vos lettres une
attention bienveillante à tout disposer, tout préparer, tout mettre
en état, pour me rendre l'administration commode et facile. Ce
service mo pénètre de gratitude, et la première conséquence à en
tirer, c'est que vous n'avez pas et que vous n'aurez jamais de
meilleur ami que moi. Chacun pourra le voir, mais je tiens surtout à
vous le prouver, à-vous, aux vôtres; si pour certaines gens ce n'est
pas encore chose sûre, c'est moins parce qu'ils en doutent que parce
qu'ils s'en fâchent. Mais il faudra bien qu'ils se rendent. Les
personnes sont en évidence : les choses le seront aussi, et l'on y
verra clair. Mais agir en pareil cas vaut mieux que parler ou
écrire. — Il paraît que vous doutez, d'après mon itinéraire, que
nous puissions nous rencontrer dans la province. Voici comment les
choses se sont passées : dans une
197 conversation que j'eus à Brindes avec Phanias votre
affranchi, je vins à lui dire que si je savais en quel endroit de la
province il vous conviendrait le plus de me voir, je m'empresserais
de m'y rendre tout d'abord. Phanias me répondit que votre intention
étant de revenir avec votre flotte, Je ne pourrais indubitablement
rien faire de mieux pour vous que d'arriver par mer. C'est bien mon
intention, ai-je dit. Et je n'y aurais pas manqué sans L. Clodius
qui, à Corcyre, me dit de n'en rien faire, et que vous comptiez
m'attendre à Laodicée.C'était une voie beaucoup plus courte, et dont
je m'arrangeais mille fois mieux du moment qu'elle vous convenait à
vous-même. — Mais il parait que depuis vous avez changé d'avis.
C'est à vous, maintenant, à voir ce qui est possible, et à vous
décider. Voici ma marche. Je serai, je pense, à Laodicée la veille
des kalendes d'août. Je m'y arrêterai fort peu ; le temps de
recevoir l'indemnité de déplacement qui m'est due. De là, je me
rendrai à l'armée, afin de me trouver à Iconium vers les ides
d'août. S'il y a quelque mécompte dans mes calculs (songez que je
suis loin des affaires et des lieux), j'aurai soin, chemin faisant,
de vous tenir, avec autant de célérité et d'exactitude que je le
pourrai, au courant de mes journées et de mon itinéraire. Je ne
prétends pas que vous vous gêniez pour mol. Je n'ai aucun droit de
l'exiger; mais si cela se peut sans déranger votre plan, il nous
importe à tous deux d'avoir une entrevue. Si le sort en décide
autrement, ne laissez pas de compter sur moi comme si cette
satisfaction m'était donnée. Je ne vous parle point de nos affaires,
tant que je conserve l'espérance de vous voir. — Vous aviez,
dites-vous, prié Scévola de se charger, à votre départ et en
attendant mon arrivée, de l'intérim de la province. Je l'ai vu à
Éphèse où j'ai passé trois jours avec lui ; il ne m'a pas dit un mot
do. cette mission. J'aurais bien voulu qu'il lui eût été possible de
l'accepter. Je ne saurais expliquer un refus de sa part.
211. — DE
CÉLIUS A CICÉRON. Rome, août.
F. VIII, 4. J'envie votre sort;
que de surprise pour vous chaque jour aux nouvelles que nous vous
envoyons! Messalla absous; Messalla condamné ; C. Marcellus nommé
consul ; M. Calidius débouté et aussitôt accusé par les deux Gallus;
P. Dolabella quindécemvir. D'un autre côté je vous plains, vous avez
manqué le plus beau des spectacles, la figure de Lentulus Crus au
moment de sa déconvenue. Il fallait voir avec quel air de confiance,
quelle assurance imperturbable il était arrivé. Dolabella lui-même
s'en était ébranlé, et, par Hercule, si nos chevaliers n'avaient eu
le coup d'œil aussi sûr, il l'emportait presque sans conteste. —
Vous n'aurez pas été surpris, je pense, de la condamnation de
Servius, tribun du peuple désigné. C. Curion se met-sur les rangs
pour le remplacer. Ceux qui ne connaissent pas son caractère
tremblent. Mais mon pressentiment, mon vœu, et sa propre attitude,
me disent qu'il sera pour le sénat et les honnêtes gens. Quant à
présent du moins, la bonne volonté lui sort par tous les pores. En
voulez-vous savoir l'origine et la cause? C'est le dédain marqué de
César, qui pourtant ne recule habituellement de-
198 vant aucun sacrifice
pour se faire des partisans jusque dans les rangs les plus bas. Or
il est arrivé quelque chose de charmant. Curion, ordinairement si
pauvre tête, a montré dans cette occasion, et il n'est personne qui
n'en ait été frappé, toute sorte de prudence et d'adresse à déjouer
les ruses des adversaires de sa candidature; j'entends parler des
Lélius, des Antoine et autres de cette trempe. — J'ai mis entre
cette J2ttreet l'autre plus d'intervalle que de coutume, parce que
la prolongation des comices m'a fort occupé et parce que j'en
attendais la fin de jour en jour, pour vous annoncer les résultats.
J'ai attendu jusqu'aux kalendes d'août. Des incidents ont retardé
les comices prétoriens. Quant aux miens, je ne sais trop ce qui en
adviendra. L'opinion s'était prononcée pour Hirrusd'une manière
incroyable dans les comices des édiles du peuple. M. Célius
Vinicianus s'est perdu en un clin d'œil par la proposition
impertinente d'élire un dictateur, proposition que j'avais
précédemment couverte de ridicule, et les huées ont accompagné sa
retraite. Tout le monde se demandait s'il ne fallait pas en faire
autant à Hirrus. Enfin je me flatte que sous peu, vous apprendrez ce
que vous désirez pour moi et ce que vous osiez à peine espérer pour
ce fameux personnage. — Je désespérais d'avoir quelque nouvelle
politique à vous donner. Mais lors de l'assemblée du sénat, qui se
tint le 11 des kalendes d'août au temple d'Apollon, pendant la
discussion sur le subside de Cn. Pompée, on vint à parler de la
légion qu'il a portée au compte de G. César, de son effectif et des
motifs de ce déplacement. César est dans les Gaules, a répondu
Pompée. Force lui fut cependant d'eu promettre le rappel, mai non
immédiatement, de peur que par une déférence trop prompte il n'eût
l'air de céder aux menaces de ses ennemis. Puis on lui a demandé son
opinion touchant le remplacement de César. C'est justement pour cet
objet, je veux dire le gouvernement de toutes les provinces, et afin
qu'il soit présent à la discussion, qu'on l'a fait venir en toute
hâte à Rome. Il allait à Ariminum rejoindre l'armée; il a tout
laissé pour se rendre au désir du sénat. La question des
gouvernements sera traitée, je le suppose, le jour des ides d'août,
et je suis convaincu qu'on la réglera; ou il y aura quelque infamie
pour l'empêcher. Car au milieu du débat, Cn. Pompée a laissé
échapper ce mot, que chacun devait également obéissance au sénat. 11
n'est rien dont je ne sois plus curieux que de savoir comment
Paullus le consul désigné se tirera d'affaire, lorsqu'il lui faudra
parler le premier. Je vous rappel le encore le billet de Sittius.
Persuadez-vous, je vous en prie, que pour moi c'est une chose
importante; les panthères aussi. Stimulez les Cibyrates ;
commandez-leur une chasse. On annonce la mort du roi d'Alexandrie.
La nouvelle paraît certaine. Que dois-je faire? quelle est la
situation du royaume? qui en a pris la direction provisoire?
Écrivez-moi sur tous ces points.
212. — A ATTICUS.
Laodicée, août.
A. V, 15. Je suis arrivé à
Laodicée la veille des kalendes d'août. Mettez un clou à dater de ce
jour. Jamais je ne vis empressement ni démonstrations pareilles.
Mais vous ne sauriez croire combien je m'ennuie déjà de mon rôle. Il
199 n'y a pas là
carrière pour cette activité, d'esprit que vous me connaissez. Mon
mérite principal reste inutile. Juger les affaires de Laodicée,
tandis quePlotius juge celles de Rome; commander deux misérables
légions, tandis que notre ami se voit à la tête d'une si belle armée
; ce n'est pas tout cela au surplus qui cause mon regret. Le grand
jour, Rome, ma maison, vous tous, voilà ce qui me manque. Je
supporterai cet exil tant bien que mal, pourvu qu'il ne dure pas
plus d'une année. S'il y a prorogation, c'en est fait de moi. Mais
rien de plus facile que d'y parer, vous étant à Rome. — Vous me
demandez comment je vis? à très-grands frais; et j'y prends, je vous
assure, un plaisir infini. D'ailleurs désintéressement absolu ,
suivant vos maximes; à tel point que je crains que, pour vous
rembourser, il ne faille que j'emprunte. Je n'élargis pas les plaies
qu'Appius a faites ; mais elles sont si visibles! je ne puis faire
qu'on n'ait des yeux. Je pars de Laodicée le 3 des nones d'août pour
visiter mon camp dans la Lycaonie. De là je marche au mont Taurus,
enseignes déployées, pour sommer Méragène de me rendre votre
esclave. « Tout cela me va comme une selle à un bœuf. Le fardeau
n'est pas fait pour mes épaules. » II faut le porter cependant; mais
si vous m'aimez, faites que dans un an j'en sois quitte.
Trouvez-vous là au moment et chauffez le sénat. Mon inquiétude est
au comble. Voilà un siècle que je ne sais rien de ce qui se passe.
Je vous renouvelle ma prière ; ne me laissez pas sans nouvelles
politiques et autres. Je vous écrirais plus au long, mais cette
lettre vous arrivera si tard. Je profite du départ d'un ami, d'un
homme à mol, Andronicus de Pouzzol. Remettez vos dépêches aux
messagère des fermiers publics. Elles m'arriveront par les préposés
aux revenus des divers ressorts de la province.
213. — A ATTICUS.
Eu route de Synnade au camp, août.
A. V, 16. Je me suis croisé en
route avec les messagers des fermiers publics. Votre recommandation
m'est alors revenue à l'esprit ; et, bien qu'en pleine marche, j'ai
fait halte aussitôt pour vous tracer, sur le bord du chemin, ce peu
de mots qui demanderait un plus long détail. — C'est la veille des
kalendes d'août que je suis arrivé dans mon gouvernement, au milieu
d'une attente des plus vives. J'ai trouvé la province ruinée, abîmée
à ne s'en relever jamais. J'ai passé trois jours à Laodicée, autant
à Apamée, autant à Synnade. Partout même concert de plaintes.
Payement de la capitation impossible ! revenus engagés ! populations
gémissantes, éplorées ! Un monstre et non un homme a passé par là.
Que voulez-vous? ils en ont pris la vie en dégoût. — Du moins est-ce
un soulagement pour ces pauvres villes de n'avoir à défrayer ni moi,
ni mes lieutenants, ni mon questeur, ni qui quo ce soit des miens.
Nous ne recevons point de fourrages, ni aucune des allocations de la
loi Julia; pas même le bois. Dans les logements on nous fournit
quatre lits, rien au delà, et le plus souvent nous couchons sous
latente. Aussi quelle affluence prodigieuse des campagnes, des
bourgs, de toutes les habitations ! Nous arrivons: ce peuple semble
renaître; tout cela grâce à la justice, au
200 désintéressement, à
l'humanité de votre Cicéron. Il a surpassé l'attente de tous. —
Appius, à mon approche, s'est jeté à l'extrême frontière de la
province. Il est à Tarse, où il tient ses assises. Point de
nouvelles des Parthes. Cependant les barbares auraient maltraité
notre cavalerie, disent les gens qui arrivent de la frontière.
Bibulus ne fait pas encore mine d'aller prendre possession de sa
province. On prétend que c'est pour y rester plus t.ird. Moi, je me
hâte d'arriver à mon camp dont je ne suis plus qu'à deux journées.
214. — A ATTICUS.
En route pour le camp, août.
A. V, 17. Je viens de recevoir
un paquet de lettres de Rome, et pas une de vous ! Si vous n'êtes ni
malade, ni absent, il y a, à coup sûr, de la faute de Philotime
plutôt que de la vôtre. Je dicte en voiture, me dirigeant vers le
camp dont jj ne suis qu'à deux journées. Dans peu je pourrai mettre
mes lettres eu mains sûres, et je me réserve pour ce moment. — Voici
ce qu'il vaudrait mieux que vous apprissiez par d'autres que par
moi. Mais je veux que vous sachiez notre désintéressement, et que
pas un des miens n'impose une obole à qui que ce soit : mes
lieutenants , mes. tribuns et jusqu'à mes préfets, y tiennent la
main. Tousse montrent jaloux de travailler à ma gloire. Votre Lepta
est admirable. Mais le temps me presse. Je vous en écrirai plus long
sous quelques jours. —Le jeune Déjotarus, récemment décoré du titre
de roi par le sénat, vient d'emmener nos deux Cicérons dans ses
états. J'ai pensé qu'ils seraient là au mieux, tandis que je
tiendrai campagne. — Sextius m'a fait part de sa conversation avec
vous et de votre manière de voir sur cette affaire de famille, mon
plus grand souci. Ah ! veuillez vous en occuper sérieusement, je
vous prie. Que je sache sur quoi compter et quel est votre avis en
définitive. Sextius me mande aussi qu'Hortensias lui aurait dit je
ne sais quoi sur la possibilité d'une prorogation. Lui, qui m'avait
tant promis à Cumes de ne rien épargner pour mon rappel au bout de
l'année. Parez à cela, si vous m'aimez. Les mots ne peuvent dire ce
que je souffre loin de vous tous. Dans l'intérêt même de ma
réputation d'intégrité et de désintéressement, il importe de ne pas
prolonger mon séjour. Scévola eut cet avantage do n'avoir qu'un
gouvernement de neuf mois en Asie. Dès que mon Appius a su que
j'approchais , vite il s'est enfui de Laodicée jusqu'à Tarse. Il y
rend encore la justice, nonobstant ma présence dans la province. Je
lui passe volontiers cette usurpation. H m'a bien assez lai- - à
faire pour guérir les plaies de son administration. Je travaille à
sauver son honneur de mon mieux. Mais je veux que Brutus sache de
vous qu'il s'est tenu loin de moi autant qu'il a pu. Cela n'est pas
bien.
215. DE CÉLIUS
A CICÉRON. Rome, août.
F. VIII, 5. J'ignore si
vous avez de l'inquiétude pour la paix de votre province et des pays
frontières. Pour moi, je suis loin d'être tranquille. Sans doute,
s'il dépendait de nous que la guerre se fit précisément sur
l'échelle de vos ressources présentes et seulement dans la mesure
qu'il faut pour vous ménager quelque gloire et le triomphe au bout,
sans risquer de lutte trop sérieuse et
201 trop acharnée, tout
serait pour le mieux. Mais si une fois le Parthe remue, ce ne sera
point une perlite affaire, et votre armée est à peine capable de
défendre un fossé. Or, on n'entre ici dans aucune de ces
considérations, et l'on exige tout des mandataires de la république,
comme si rien ne lui était refusé de ce qui peut assurer le suc(vs.
Ajoutez que probablement on ne pourra pas vous donner un successeur
à cause du dissentiment qui existe pour le gouvernement des Gaules.
Je crois que vous en avez pris votre parti. Et c'est précisément
pour vous mettre en état de le prendre que, pressentant la
difficulté qui se présente, je m'empresse de vous avertir. Vous
connaissez la filière : la discussion s'engage sur le renouvellement
pour les Gaules. Quelqu'un est là avec une opposition toute prête;
un autre survient et ne veut pas qu'on s'occupe d'aucune province,
tant que le sénat ne sera pas en mesure de statuer simultanément
pour toutes. Le jeu se prolonge, et si bien que de chicane en
chicane l'affaire peut traîner deux ans et plus. S'il y eût eu du
nouveau , je n'eusse pas manqué de vous le mander avec mon
exactitude ordinaire, vous exposant les faits et en tirant les
conséquences; mais il y a stagnation complète. Marcellus presse
toujours l'affaire des provinces. Seulement il n'a pu encore
parvenir à avoir un sénat en nombre. Si l'année dernière, pendant le
tribunal de Curion, la question eût été abordée, vous comprenez de
reste qu'il eût été bien facile alors de s'opposera toutes les
entraves et de passer pardessus les volontés de César, qui sacrifie
le bien public à ses intérêts.
216. DE CÉLIUS
A CICÉRON. Rome, 2 septembre.
F. VIII, 9. Traiter ainsi ce
pauvre Hirrus? di tes-vous. Oui certes, et si vous saviez avec
quelle facilité de ma part, avec quelle soumission de la sienne,
vous seriez tout honteux qu'un tel homme ait jamais pu entrer en
lice avec vous. Depuis le refus qu'il a essuyé, il est à mourir de
rire. II joue le bon citoyen, déclame contre César,. se montre
impatient de tout délai, et traite assez mal Curion. Il s'est opéré
en lui une transformation. Vous savez qu'on ne l'avait jamais vu au
forum, et qu'il est fort peu versé dans les affaires judiciaires. Eh
bien I il plaide aujourd'hui des causes de liberté; rarement après
midi, il est vrai. — Vous savez ce que je vous avais mandé des
gouvernements de provincequi étaient à l'ordre du jour pour les ides
d'août. Marcellus consul désigné a tout arrêté de son autorité
privée. L'affaire est ajournée aux kalendes, faute par le sénat
d'avoir pu se réunir en nombre. Je vous écris aujourd'hui 4 des
nones de septembre, sans qu'on soit beaucoup plus avancé.
J'entrevois, que tout en restera là jusqu'à l'année prochaine; et
autant que ma divination peut s'étendre, je prévois que vous serez
obligé de vous désigner vous-même un successeur provisoire. Ou ne
nomme à aucun gouvernement, parce qu'il y a opposition pour les
Gaules, et que l'on ne voudrait pas faire une exception pour
celui-là. J'en parle avec certitude et je vous en écris pour vous
préparer à tout. — Je vous ai parlé de panthères dans presque toutes
mes lettres. Il serait honteux pour moi, quand Patiscus en a envoyé
dix à Curion, de n'en pas recevoir un plus grand nombre de vous
202 qui en pouvez faire
prendre en mille endroits. Curion m'a donné les dix de Patiscus et
dix autres qu'il a reçues d'Afrique. Il ne borne pas ses
générosités, vous le voyez, à donner des fonds de terre. Si vous
n'avez pas oublié mes prières, si vous mettez en mouvement les
Cibyrates, et si vous envoyez quelques ordres en Pamphylie, où l'on
dit qu'on en prend beaucoup, vous en aurez tant que vous voudrez Je
suis d'autant plus préoccupé à ce sujet qu'il me faudra, je le
suppose , faire tous les préparatifs sans le concours de mon
collègue. Faites de cela, je vous prie, votre affaire personnelle,
car je sais que vous êtes comme moi assez disposé à négliger les
détails. Mais ici tout consiste pour vous à donner ou faire donner
des ordres. Les bêtes une fois prises, les gens que j'ai envoyés
pour le billet de Sittius se chargeront de les nourrir et de les
amener. Je me prépare d'ailleurs à envoyer du renfort pour peu que
vos lettres me donnent bon espoir. — Je vous recommande M. Féridius,
chevalier romain, fils de mon ami, excellent et brave jeune homme
qui va là-bas pour ses affaires. Soyez assez bon pour le regarder
comme un des vôtres. Il voudrait obtenir l'immunité des terres que
les villes afferment. C'est une grâce qu'il vous est facile et qu'il
est légitime d'accorder. Vous obligerez des hommes honorables qui en
seront très reconnaissants. N'allez pas croire au moins que Favonius
n'ait eu contre lui que des misérables. Pas un honnête homme n'a
voté pour lui. Votre ami Pompée dit publiquement que César ne peut
pas conserver sa province avec une armée et devenir consul; mais il
déclare que le moment n'est pas venu de faire un sénatus-consulte.
Scipion, au contraire, est d'avis de réserver la question pour les
Ralenties de mars et de s'en occuper ce jour-là exclusivement; c'est
ce qui afflige beaucoup Balbus Cornélius, et je sais qu'il s'en est
plaint à Scipion. Canidius a fait preuve de beaucoup de talent tant
qu'il a eu à se défendre ; mais quand il a voulu attaquer, il a été
faible.
217. — A MARCUS
CATON. Du camp d'Iconium, septembre.
F. XV, 3. Des envoyés d'Antiochus
de Commagène sont arrivés dans mon camp à Iconium le 3 des nones de
septembre. Ils m'annoncent que le fils du roi des Parthes quia
épousé la sœur du roi d'Arménie, s'est mis en marche vers l'Euphrate
à la tête de forces très-considérables et d'un gros d'auxiliaires de
diverses nations, et qu'il est en train de passer le fleuve. De
plus, on assure que le roi d'Arménie prépare une invasion en
Cappadoce. Je crois devoir à l'amitié qui nous lie de vous
communiquer confidentiellement ces nouvelles. J'ai deux raisons pour
ne point en écrire officiellement : la première, c'est que, suivant
le rapport des envoyés, le roi de Commagène a expédié à l'instant
des courriers avec des lettres au sénat; la seconde, c'est que,
d'après mes calculs, le proconsul M. Bibulus s'étant embarqué à
Éphèse pour la Syrie vers les nones d'août et ayant eu des vents
favorables, a dû arriver à temps dans sa province, et que Je sénat
aura par lui les détails et les informations les plus exacts. Dans
de telles circonstances, avec une si terrible guerre, et une si
grande insuffisance de forces, je n'ai qu'une chose à faire, et j'y
donne tous mes soins, c'est d'agir par la douceur, par la justice,
par l'influence de nos alliés fidèles. Ne
203 cessez pas, je vous
prie, de m'aimer et de me défendre en mon absence.
218. — A APPIUS
PULCIIER. De la Cappadoce. Septembre.
F. III, 6. Quand je compare mes
procédés aux vôtres, quelque égale justice que je rende d'ailleurs
aux intentions, je ne voudrais pas pour beaucoup changer de rôle
avec vous. Je trouve à Brindes Phanias que je vous sais tout dévoué
et que je suis fondé à croire fort avant dans votre confiance. Je
lui demande par quel point de la province il vous convient le mieux
que je fasse mon entrée, comme votre successeur. Il me répond que je
ne pourrais rien faire de plus agréable pour vous que de débarquer à
Sida. Eu égard au rang, on pouvait certes mieux choisir, et cette
direction ne me convenait guère sous beaucoup d'autres rapports.
Néanmoins je me décide à la prendre et je le dis à Phanias. Mais
voilà que je rencontre, à Corcyre, L. Clodius, dont la liaison avec
vous est si intime qu'en lui parlant je crois vous parler à
vous-même. Je lui fais part de ma conversation avec Phanias et de
mon intention d'entrer dans la province par le point qu'il m'avait
indiqué. Clodius me remercie ; mais en m'engageant de la manière la
plus pressante à me rendre directement à Laodicée, votre dessein
étant, me dit-il, de vous rapprocher de la frontière, afin d'être
plus tôt parti ; il ajouta même que si ce n'eût été moi, et le désir
que vous aviez de me voir, vous auriez quitté la province sans
attendre votre successeur. Les lettres que j'avais reçues de Rome,
d'accord sur ce point, témoignaient toutes de votre impatience de
revenir. Je répondis à Clodius que je suivrais son avis, et bien
plus volontiers que celui de Phanias. Je changeai en effet de plan
et je vous en fis part à l'instant dans une lettre de ma main, qui a
dû vous arriver à temps, a en juger par votre réponse. — Voilà ma
conduite dont je n'ai certes qu'à m'applaudir, car on ne peut faire
davantage pour un ami; considérez maintenant la vôtre. Non seulement
vous n'avez pas été où nous pouvions nous voir le plus tôt ; mais
vous vous êtes éloigné si bien que les trente jours que vous
accorde, je crois, la loi Cornélia, pour sortir de la province, ne
m'auraient pas suffi pour vous rejoindre. Il en résulte que pour qui
ne vous connaît pas, vous aurez agi, et j'adoucis les termes, comme
un indifférent qui cherche à éviter une rencontre, et moi, comme un
ami aussi tendre qu'empressé. — Cependant, avant d'arriver dans la
province, on m'avait remis des lettres de vous qui, tout en
annonçant votre départ pour Tarse, me donnaient positivement à
espérer que nous nous joindrions quelque part. Là-dessus des
malveillants (race qui ne manque guère et se glisse partout), ont
trouvé matière à propos. Incapables d'apprécier mes sentiments, ils
ont cherché à m'inspirer des préventions contre vous. Vous teniez,
disaient-ils, cour de justice à Tarse, faisiez des règlements,
rendiez des décrets, prononciez des jugements ; le tout sachant bien
que vous étiez actuellement remplacé. Or cela ne se fait guère du
moment qu'on attend un successeur. Rien de tout cela n'a fait
impression. Il y a mieux, je vous le jure, je me regardais comme
exonéré d'autant par votre activité officieuse, et au lieu d'une
année, terme déjà si long, je me réjouissais de n'avoir plus que
onze mois de charge, puisque le travail d'un mois
204 aurait été fait avant
mon arrivée. Mais ce qui me touche beaucoup, je le dis avec
sincérité, c'est de ne point trouver dans une province déjà si
dégarnie les trois meilleures cohortes, et d'ignorer même où elles
sont. Enfin il est pénible pour moi au dernier point de ne savoir où
vous joindre; et je n'ai tardé à vous écrire que parce que
j'attendais cette satisfaction de jour en jour. Vous m'avez laissé
sans lettres, et dans «me ignorance absolue de ce que vous faites,
du Heu où je dois vous rencontrer. Dans cette situation , je vous ai
envoyé Antoine, préfet des rappelés, brave soldat et qui a toute ma
confiance. Il a mission de recevoir de vous les cohortes, si vous
jugez à propos de les lui remettre. Mon intention serait de profiter
du reste de la campagne pour tenter quelque expédition. Vos lettres
me font espérer à cet égard le secours de vos conseils et de votre
bonne amitié. Je n'en désespère pas encore, mais si vous ne
m'écrivez quand et où je puis vous voir, je ne saurais le deviner.
Amis ou ennemis, personne, je vous le garantis , ne se méprendra sur
ma vive amitié pour vous. Peut-être avez-vous donné quelque lieu à
i:os ennemis de suspecter vos sentiments pour moi. Je vous saurai un
gré infini de leur ôter celte pensée ; et pour vous donner la
possibilité «le me voir sans violer la loi Cornélia, je n'ai mis le
pied dans la province que la veille des kalendes de septembre ; je
me rends en Cilicie par la CapI ndocc; enfin j'ai levé mon camp d'Iconium,
la ville des kalendes de septembre. Maintenant, si d'après les
calculs des jours et des distances, vous croyez une entrevue
possible, c'est a vous de choisir et de m'indiquer et le jour et le
lieu.
219. — A ATTICUS.
Au camp de Cybistre en Capapdoce, septembre.
A. V, 18. Que je voudrais vous
savoir à Rome ! Peut-âtre y êtes-vous encore. Tout ce que j'en sais,
c'est que j'ai reçu deux lettres de vous datées du 14 des kalendes
d'août m'annonçant votre intention de partir pour l'Épire vers les
kalendes du même mois. Mais que vous soyez à Rome, que vous soyez en
Épire, ce qui est certain, c'est que les Parthes, et à leur tête
Pacorus, fils de leur roi Orode, ont passé l'Euphrate avec toutes
leurs forces. On n'entend pas parler de la venue de Bibulus en
Syrie. Cassius s'est renfermé dans Antioche avec son corps d'armée.
Moi je suis campé à Cybistre près du Taurus, en Cappadoce. L'ennemi
occupe la Cyrrestique, partie de la Syrie limitrophe de ma province.
J'écris ces détails au sénat. Lisez ma lettre, si vous êtes encore à
Rome; voyez s'il est bon qu'elle parvienne, et avisez à tout ce
qu'il faut faire. Gare surtout qu'une extension de ma charge et de
sa durée ne survienne tout à coup « entre la victime et le
sacrificateur,» comme on dit. Si faible en troupes et en alliés, en
alliés sûrs du moins, mon meilleur moyen de défense est l'hiver.
L'hiver une fois venu avant toute irruption dans ma province, je
n'ai plus qu'une crainte, c'est que l'état menaçant de la capitale
n'empêche le sénat de laisser partir Pompée. Au surplus, vienne mon
successeur au 205 printemps,
je m'inquiète peu du reste. Le tout est d'éviter une prorogation
quelconque. Voilà ce que je vous recommande, si vous êtes à Rome.
Mais à Rome ou ailleurs, encore faut-il que vous sachiez où j'en
suis. Le cœur ne me manque pas. Et comme mes mesures sont, je crois,
bien prises, j'ai bon espoir, dût-on en venir aux mains. Je suis
avantageusement posté, largement approvisionné, à portée de la
Cilicie, maître de tous mes mouvements. Je n'ai qu'une poignée
d'hommes, mais qui, si je ne m'abuse, me sont dévoués du premier au
dernier. Mes forces vont être doublées par la jonction de Déjotarus
avec tout son monde. La fidélité des alliés m'est assurée comme elle
ne le fut jamais. Ils ne reviennent pas de ma douceur et de mon
désintéressement. Je fais prendre les armes aux citoyens romains; on
transporte le blé dans les places. Enfin me voilà prêt, suivant
l'occurrence, ou à prendre l'offensive ou à faire bonne défense dans
mes positions. Ainsi rassurez-vous, vous, dont Je vois d'ici tout
comme si vous étiez devant mes yeux, la sollicitude et les alarmes.
Mais je vous en prie, en supposant que le sénat n'ait rien décidé
pour moi avant les kalendes de janvier, ne laissez point passer le
mois sans revenir à Reine. Je ne crains rien, si je vous ai là.
J'aurai pour moi les consuls ainsi que le tribun Furuius. Mais votre
zèle, votre prudence, votre crédit sont mes plus sûrs auxiliaires.
Mettez le temps à profit. Je serais honteux de dire un mot de plus.
— Nos deux Cicérons sont auprès de Déjotarus. Je les enverrai ù
Rhodes, au besoin. Si vous êtes à Rome, écrivez-moi aussi exactement
que de coutume. Si vous êtes en Épire, ne laissez pas de m'envoyer
un messager de temps à autre, afin que nous sachions réciproquement,
vous ce qui m'arrive, mol ce que vous faites ou ferez. Je prends les
intérêts de Brutus plus chaudement qu'il ne ferait lui-même.
J'abdique la tutelle. Je renonce à défendre mon pupille. Ce sont des
affaires qui ne finissent pas et dont il n'y a rien à tirer. Mais
Brutus sera content. Vous le serez aussi, vous qui n'êtes pas si
aisé à satisfaire. Vous le serez tous deux.
220. — A M.
MARCELLUS, CONSUL DÉSIGNÉ. Camp de Cybistre, septembre.
F. XV, 7. Ma joie est extrême
de vous savoir consul. Veuillent les Dieux rendre votre dignité
prospère, et votre administration digne de votre père et de vous !
Tel est le vœu d'un homme qui n'a cessé de vous aimer, de vous
chérir, qui vous a trouvé ami fidèle en toutes les phases de sa vie
si mêlée, qui, lié à votre père par de nombreux bienfaits, défendu
par lui dans la mauvaise fortune , secondé, célébré dans la
prospérité à tous ces litres, est et doit être à vous sans réserve;
ajoutez que je sais très-bien tout ce que votre excellente et
respectable mère a fait dans l'intérêt de ma gloire et de ma
conservation avec une énergie au-dessus de son sexe. C'est sous la
protection de ces souvenirs que je vous demande plus que jamais de
me conserver votre affection et vos bons offices pendant mon
absence. Adieu.
221. — A C.
MARCELLUS. Au camp de Cybistre, septembre.
F. XV, 8. Enfin votre Marcellus
est consul, et voilà le plus cher de vos vœux accompli : ma joie en
est extrême. J'en suis charmé pour lui, pour vous, pour vous qui
méritez tant d'être heureux. J'ai toujours présents à la pensée les
rares témoignages d'intérêt que j'ai reçus de Marcellus et dans mes
disgrâces et dans mes prospérités. Il
206 n'est pas une occasion
de ma vie où je n'aie trouvé toute votre maison empressée à défendre
ma personne et ma gloire, et prête à tout pour me servir. Aussi, je
vous en prie, faites-moi la grâce d'exprimer en mon nom mes
félicitations les plus sincères à Junia, votre vertueuse et
excellente femme. Je vous demande à vous de continuer à l'ami absent
votre affection et vos bons offices.
222 A M.
MARCELLUS, Consul. Au camp de Cybistre, septembre.
F. XV, 9. Vous recueillez
aujourd'hui le fruit de votre pieuse tendresse pour les vôtres, de
votre dévouement à la chose publique et des brillants et admirables
travaux de votre consulat : C. Marcellus est consul désigné. Je m'en
réjouis de toute mon âme, et je suis sûr de ce qu'on en pense à
Rome. Pour moi, habitant des lointains pays, député par vous-même
aux extrémités du monde, je rends au ciel les plus vives actions de
grâces pour un tel bienfait. Comment ne le ferais-je point? Dès mes
plus jeunes ans, je vous aimais déjà avec passion; et vous, vous
avez toujours en tout désiré, appelé, favorisé ma grandeur. De
pareilles dispositions jointes 4 la haute estime où vous tient le
peuple romain, ont singulièrement accru la vivacité et l'énergie des
sentiments que je vous porte. Aussi est-ce une très-grande joie pour
moi quand j'entends dire à des hommes sages, à d'excellents
citoyens, que nous sommes formés sur le modèle l'un de l'autre, moi
sur vous ou vous sur moi, tant ils trouvent d'analogie entre notre
langage, nos actions, nos goûts, et nos principes. — Vous avez fait
de magnifiques choses dans votre consulat; il y eu aurait une encore
à y ajouter, ce serait de m'envoyer le plus tôt possible un
successeur, ou du moins de ne pas souffrir qu'on prolonge le terme
que vous m'avez fixé par un décret et par une loi. Faites cela et je
vous devrai plus qu'il n'est possible de le dire. Ayez soin de votre
santé et continuez de m'aimer et de veiller à mes intérêts en mon
absence. J'ai quelques informations touchant les Parthes; je ne les
juge pas suffisantes pour en écrire officiellement , et il ne me
semble pas que notre amitié même m'autorise à vous en parler.
Écrivant à un consul, je donnerais par cela seul un caractère
officiel à ma lettre.
223. — A L.
PAULLUS, CONSUL DÉSIGNÉ. Au camp de Cybistre, septembre.
F. XV, 12. Je n'ai jamais douté
que le peuple romain, touché de la grandeur de vos services et de
l'éclat de votre maison, ne dût un jour vous élever par ses
suffrages unanimes à la dignité de consul. Mais la nouvelle de votre
élection ne m'en a pas moins comblé de joie. Puisse la faveur des
Dieux et de la Fortune vous suivre dans ce haut rang! Puisse votre
administration devenir digne de vous et de vos nobles ancêtres! Ah!
que ne m'a-t-il été donné d'être présent à ce jour, objet de tous
mes vœux ! que ne puis-je, à vos côtés, vous seconder, vous servir,
comme vous l'avez fait vous-même si admirablement pour moi ! Ce
gouvernement qui m'est tombé sur la tête si soudainement, si fort à
l'improviste, me prive d'un tel bonheur. Faites au moins que je
puisse vous voir exerçant à votre gloire la suprême magistrature.
Faites par conséquent, je vous le demande avec instance , qu'on ne
se joue pas de moi, et que mon 207
année ne soit pas prolongée d'une minute. Ce sera un nouveau titre
ajouté à tous les droits que vous avez déjà à ma reconnaissance.
224.—AUX CONSULS,
AUX PRÉTEURS, AUX TRIBUNS DU PEUPLE, AU SÉNAT. Au camp de Cybijtre,
septembre.
F. XV, 2. Je suis entré dans ma
province la veille des kalendes d'août. La difficulté des chemins et
l'état de la mer ne m'ont pas permis d'arriver plus tôt. Mon devoir
et l'intérêt de la république me commandaient de donner d'abord tous
mes soins à l'armée et à l'administration militaire. Je pourvus à
tout en suppléant par la vigilance et l'activité ce qui me manquait
en ressources effectives. Et comme mes lettres et mes courriers me
parlaient presque journellement d'une irruption des Parthes dans la
Syrie, je résolus de diriger ma marche vers la Lycoonie, l'Isaurie
et la Cappadoce. Il y avait grande apparence en effet que, si
l'ennemi tentait une diversion sur la Cilicie, ce serait par la
Cappadoce, pays ouvert, qu'il chercherait à y pénétrer. J'ai donc
traversé avec mon armée la portion de la Cappadoce qui longe la
Cilicie et j'ai assis mon camp près de Cybistre, au pied du Taurus.
J'étais bien aise qu'Artuasdès, roi d'Arménie, quelles que soient au
fond ses dispositions pour nous, vit à sa porte une armée romaine.
Je voulais aussi pouvoir lier mes opérations avec Déjotarus, le
meilleur ami et le plus fidèle allié de Rome, et faire profiter la
république de ses conseils et de ses forcés. Cela fait, je détachai
ma cavalerie en Cilicie, pour y répandre le bruit de mon arrivée,
agir ainsi sur l'esprit des habitants et me tenir en même temps plus
à portée des nouvelles de Syrie. Ayant trois jours devant moi, je
songeai à les mettre à profit poui1 l'accomplissement d'un acte de
devoir et d'intérêt public. Vous m'aviez expressément chargé de
prendre sons ma protection le roi Ariobarzane, ce pieux et fidèle
ami des Romains. Vous m'aviez remis le soin de sa personne, de ses
intérêts, de son royaume. Enfin par une exception encore sans
exemple, vous aviez proclamé dans un décret l'intérêt que lui
portent le sénat et le peuple romain. J'avais à faire connaître au
roi vos sentiments, à lui promettre mon appui, mon concours et mes
services, et à lui demander ce que je pouvais faire comme chargé
spécialement de veiller à sa sûreté. Il fut donc introduit dans mon
conseil, et après avoir reçu mes communications, il commença par
témoigner à la république , et même à moi, sa profonde et légitime
reconnaissance, disant que tant de sollicitude de la part du sénat
et du peuple romain était à ses yeux un fait immense et le comble de
l'honneur. Il ajouta que mon empressement lui montrait quelle solide
confiance méritaient de tels témoignages. Dans notre entretien, le
prince me dit ensuite à ma grande satisfaction qu'il n'avait
connaissance ni même soupçon d'aucune trame contre sa couronne ou sa
vie. Je ne manquai pas de l'en féliciter, de lui en témoigner ma
joie, mais en l'avertissant toutefois de ne pas oublier le meurtre
horrible de son père, de ne rien négliger pour sa conservation, et
de se rappeler toujours les bous avis du sénat. Là-dessus il prit
congé et s'en fut à Cybistre. Le lendemain, je le vis revenir
accompagné de son frère Ariarathe et des
208 plus anciens d'entre
les amis de sou père. Le trouble se peignait sur son visage et des
larmes étaient dans ses yeux. Son frère, ses amis, toute sa suite
montraient le même désordre et la même tristesse. Il implora mes
secours et votre appui. Je lui demandai avec étonnement la cause
d'un changement si subit. Il me répondit que d'après les révélations
qui venaient de lui Être faites, un grand complot était ourdi contre
lui. Jusque-là le secret avait été gardé. La terreur enchaînait les
langues. Mais depuis l'arrivée des Romains, l'espérance de mon appui
avait engagé plusieurs personnes a parler hardiment ; son frère, son
ami le plus tendre et le plus dévoué, lui avait ouvert son cœur,
comprimé jusque-là par la crainte, et lui avait déclaré, ce qu'il
répéta en effet devant moi, que plusieurs fois on lui avait proposé
lu trône, dont la mort de son frère pouvait seule lui ouvrir
l'accès. Après les avoir entendus, je dis au roi qu'il devait
immédiatement prendre des mesures pour assurer sa vie, et rue
tournant vers ses amis éprouvés sous les règnes du père et de
l'aïeul, je leur rappelai le sort du feu roi et les engageai à aider
le prince leur maître de leurs conseils et à lui faire un rempart de
leurs corps. Ariobarzane me pria de mettre à sa disposition un corps
de cavalerie et quelques légions. D'après le sénatus-consulte, il
était dans mou droit, et dans mon devoir peut-être de déférer à
cette demande ; mais je considérai les nouvelles que je recevais
chaque jour de Syrie, l'intérêt pressant de la république, et je Vis
que je devais me porter avant tout avec toutes mes troupes vers les
frontières de la Cilicie. Il me parut d'ailleurs que le complot une
fois découvert, le roi n'avait pas besoin de secours; qu'il avait
assez de ses forces. Je lui dis qu'il fallait sauver sa tète en
apprenant à régner ; qu'il connaissait les coupables et qu'il était
roi; qu'il fallait faire des exemples sur quelques-uns et rassurer
ensuite le reste; qu'il pouvait se servir démon armée pour agir sur
les esprits, mais non contre les personnes ; que le décret du sénat
était connu et que tout le monde sentirait du reste qu'en cas de
besoin je ne manquerais pas, suivant vos ordres, d'arriver en force
au secours du roi. Ariobarzane me quitta tout à fait rassuré. Je
levai le camp et me mis en marche pour la Cilicie, ayant la
satisfaction de penser que grâce à votre prévoyante sagesse, par un
hasard incroyable et presque miraculeux, mon arrivée avait sauvé
d'un péril imminent un roi à qui vous aviez spontanément prodigué
les plus honorables témoignages, et dont vous aviez déclaré par
décret la conservation digne de la sollicitude du peuple romain.
Voilà les faits dont j'avais à vous rendre compte. En voyant quels
attentats étaient si près de s'accomplir, vous vous applaudirez de
votre sagesse qui, de si loin, avant l'événement, a tout prévu pour
y parer. Je suis d'autant plus heureux de vous donner ces détails
que le roi Ariobarzane m'a paru mériter par sou courage et ses
talents, son dévouement et sa fidélité à la république, les
témoignages insignes d'intérêt dont il a été l'objet.
225. — A ATTICUS.
Cilicie, Septembre.
A. V, 19. Vous avez
probablement reçu ma dernière lettre qui est de ma main et
très-détaillée. Au moment où je la fermais est arrivé le messager d'Appius
avec la vôtre du 11 des ka- 209
lendes d'octobre. Il a été quarante sept jours en route, et n'a pas
perdu son temps. Quelle cruelle distance ! Vous aurez attendu, je le
vois bien, que Pompée fût revenu d'Ariminum, et à présent vous ôtes
parti pour l'Épire. Je vous crois sans peine, vous n'y serez pas
plus tranquille que nous. J'ai écrit à Philotime de ne point
assigner Messalla pour la dette d'Attilius. Je suis flatté que vous
ayez su par la renommée l'accueil que j'ai reçu durant la marche ;
mais je le serai encore plus si elle vous apprend le reste. Le cœur
vous parle donc pour cette petite fille qui est restée à Rome. A la
bonne heure 1 Je l'aime bien, moi qui ne l'ai jamais vue ; et je
suis persuade qu'elle le mérite. Continuez à vous bien porter. Quant
à Patron et à vos chers condisciples, vous voyez qu'au milieu de la
guerre, je n'ai pas négligé les ruines de la demeure de votre
Épicure, et je suis fort aise d'avoir pu vous être agréable en cela.
Eh bien ! vous applaudissez donc à cette nouvelle déconvenue d'un
homme jadis en concurrence avec l'oncle de votre neveu. Voilà une
grande preuve d'amitié ; mais vous me faites penser a m'en réjouir.
Je n'y songeais pas. Je n'en crois rien, me direz-vous. Tout comme
il vous plaira. Je m'en réjouis en vérité, mais par esprit de
justice et non par ressentiment, ce qui est tout autre chose.
226. — AUX
CONSULS, AUX PRÉTEURS, AUX TRIBUNS DU PEUPLE, AU SÉNAT.
F. XV, 1. Des avis que j'avais
lieu de croire fondés m'avaient annoncé le passage de l'Euphrate par
les Parthes avec presque toutes leurs forces. Mais vous supposant
informés de tout par la correspondance du proconsul M. Bibulus, je
n'ai pas cru devoir vous faire une communication officielle sur des
événements qui se passent dans la province d'un autre. Aujourd'hui
la nouvelle est positive. Des témoignages irrécusables, les exprès
que j'expédie, les courriers que je reçois, les rapports qui
m'arrivent ne me permettent plus d'en douter. Les circonstances sont
graves; l'arrivée de Bibulus en Syrie est encore incertaine. Ma
responsabilité est engagée dans cette guerre qui me concerne autant
que lui. Je prends donc sur moi de mettre les faits sous vos yeux.
Les premiers avis me vinrent du roi Antiochus de Commagène: on
disait les Parthes occupés à passer l'Euphrate avec de grandes
forces. Comme Antiochus n'inspire qu'une confiance douteuse, je
résolus d'attendre la confirmation de ces nouvelles. J'étais en
marche avec mon armée pour la Cilicie et déjà sur la routière qui
sépare la Lycaonie de la Cappadoce, lorsque le 13 des kalendes
d'octobre, je reçus des lettres de Tarcondimotus, qui passe pour le
plus fidèle de nos alliés et le meilleur de nos amis d'au delà du
Taurus; il m'annonçait que Pacorus, fils d'Orode, roi des Parthes,
avait passé l'Euphrate à la tête d'une cavalerie très nombreuse,
qu'il campait à Tyba, et que son arrivée avait jeté la perturbation
dans la Syrie Le même jour, je reçus d'autres lettres parfaitement
identiques de Jamblichus, philarque des Arabes, qu'on regarde comme
bien intentionné et comme sincèrement attaché à la république. Sans
me dissimuler les dispositions chancelantes de nos alliés ni
l'indécision que jetait dans les esprits la possibilité d'un
changement de domina- 210
tion, je me flattais que les peuples qui s'étaient trouvés en
contact avec moi et qui avaient pu juger de ma mansuétude et de mon
intégrité, auraient pris de meilleurs sentiments pour nous, et que
la Cilicic, notamment, une fois qu'elle aurait fait connaissance
avec mon administration, serait plus ferme clans le devoir. Dans
cette vue, et voulant d'ailleurs avoir raison de quelques Ciliciens
révoltés, voulant de plus montrer à l'ennemi actuellement en Syrie
qu'au lieu de reculer devant ces nouvelles, l'armée romaine voulait
y voir de plus près, je me décidai à conduire la mienne au mont
Taurus. Maintenant, si ma voix a quelque poids auprès de vous, le
moment est venu de me le faire voir. Écoutez mon conseil et mon
instante prière. Donnez à cette province une attention trop
longtemps refusée. Vous m'avez envoyé dans ce gouvernement sous la
menace d'une guerre formidable, et vous savez dans quelles
conditions, avec quels moyens de défense. Je n'ai pas accepté en
insensé, en aveugle. Je me suis fait un point d'honneur de ne pas
refuser, car j'aime mieux m'exposer à tous les périls que de reculer
devant un ordre du sénat. Mais les choses en sont ici au point que
si vous n'y montrez sans retard un ensemble de forces aussi
important que dans les plus grandes guerres, vous compromettez la
possession de ces provinces, la plus belle source des revenus de
l'empire. Aucun fonds à faire sur des levées provinciales. La
population est faible et se cache depuis qu'il y a danger. Quant à
la valeur de cette milice, rapportez-vous-en au meilleur juge qui
soit en Asie, à M. Bibulus que vous aviez autorisé à faire une levée
et qui n'en a pas voulu. Quant aux auxiliaires, grâce aux injustices
et à l'oppression dont nous avons usé envers nos alliés, leurs
contingents sont ou trop faibles pour compter, ou trop mal disposés
pour qu'on s'en promette des services, ou même qu'on en attende le
moindre secours. Pour Déjotarus, il est à nous, lui et les forces,
telles quelles, dont il dispose. La Cappadoce est un désert. Le
reste des rois ou princes n'a ni les moyens, ni la volonté d'agir.
Si les troupes me manquent, le courage du moins ne me fera pas
défaut, ni la tête non plus, j'espère. Qu'arrivera-t-il? nul ne
saurait le dire. Puissent les Dieux assurer le succès de nos
efforts! Je réponds que du moins l'honneur restera sauf.
227. — A APPIUS
PULCHER. Mopsuheste, octobre
F. III, 8. Je vois par votre
correspondance que vous ne lirez guère cette lettre qu'à votre
station près de Rome, alors qu'il ne sera plus question des vains
propos de la province. Mais vous insistez tant sur ces insinuations
malveillantes que je crois vous devoir quelques mots d'explication.
Je me trouve d'abord comme forcé de laisser sans réponse les deux
premiers griefs énoncés dans votre lettre : c'est quelque chose de
trop peu précis et de trop vague que d'accuser d'inimitié mon visage
ou mon silence, et d'alléguer le témoignage de gens qui m'ont vu à
mon tribunal ou parfois à table. Il est clair qu'au fond de cette
accusation, il n'y a rien, et à rien je ne sais que répondre ; je
sais seulement qu'on aurait pu vous rapporter avec plus de vérité
une foule de mots qui ont eu de l'éclat, que j'ai dits, soit
officiellement, soit en conversation, et qui tous
211 déposaient de ma haute
estime et de l'amitié qui nous unit. En ce qui concerne les
députations, n'était-il pas à la fois de bon goût et conforme à la
stricte justice, d'en alléger les charges pour les villes les plus
pauvres, sans aucun préjudice de l'honneur qu'on voulait vous faire;
surtout quand je ne faisais que céder aux instances de ces villes
elles-mêmes? Je ne connaissais pas encore la pensée de ces
députations dont vous étiez l'objet. J'étais à Apamée lorsque les
chefs d'un grand nombre de villes me firent représenter que les
allocations faites aux députés étaient excessives et que les villes
étaient hors d'état de payer. — Une foule de réflexions me vinrent à
l'esprit. Appius, me dis-je surtout, homme sage, Romain de la ville,
suivant l'expression du jour, ne peut avoir un goût si prononcé pour
ces ambassades. Je me souviens d'avoir développé cette thèse à
Synnade en plein tribunal. Je soutins premièrement que l'éloge d'Appius
Claudius devant le sénat et le peuple romain avait été fait
spontanément, et non sur le témoignage des habitants de Méda, comme
on l'a consigné dans les registres de cette ville, et que, parmi
beaucoup d'ambassades de ce genre que j'avais vues à Rome, il n'y en
avait pas une seule, à mon souvenir, qui eût jamais obtenu
d'audience ou prononcé l'allocution laudative; je rendis d'ailleurs
hommage au zèle et aux inspirations de la reconnaissance, tout en
déclarant en fait les députations complètement inutiles. J'ajoutai
toutefois que si quelques personnes tenaient à vous témoigner leurs
sentiments, je les louerais de faire le voyage à leurs frais; que je
donnerais même les mains à toute indemnité raisonnable et légitime ;
mais que je m'opposerais aux folles dépenses. Qu'y a-t-il à à me
reprocher? mais, dites-vous, quelques personnes ont vu dans mon édit
une intention réfléchie d'empêcher les députations. Eh bien, je le
déclare, ceux qui articulent une accusation de ce genre me font
moins injure à moi-même qu'à celui qui ouvrira les oreilles pour
l'entendre. J'avais fait mon édit à Rome. Je n'y ai rien ajouté, si
ce n'est quelques articles que les publicains m'ont prié à Samos de
transporter du vôtre dans le mien. L'article qui traite de la
diminution des charges des villes a été de ma part l'objet d'un soin
tout particulier. Il contient des dispositions neuves, fort
importantes pour les villes ; et je m'en applaudis vivement. Ce
qu'il y a de bon, c'est que les choses dont on s'empare pour
m'accuser sont littéralement transcrites de vous. Car je n'irai pas
sans raison supposer des vues personnelles, un intérêt particulier,
autre chose enfin que l'intérêt public à des députations adressées à
un homme public, quand elles avaient mission avouée de vous
complimenter, non pas, certes, en tête-à-tête, mais bien dans
l'assemblée des maîtres du monde, je veux dire dans le sénat. Et il
est vrai que la prohibition que j'ai portée contre toute députation
non autorisée comprend même ceux qui étaient, selon vous, dans
l'impossibilité de venir à mon camp, au delà du mont Taurus, me
demande l'autorisation. J'ai souri, je le confesse, à ce passage de
votre lettre, et il y avait de quoi. Qui donc en effet, je vous le
demande, aurait pu avoir besoin de venir dans mon camp et de passer
le Taurus, quand de Laodicée à Iconium j'avais réglé ma marche de
manière que magistrats et députés
212 pussent venir à moi de tous les districts et de
toutes les villes en deçà du Taurus? Dira-t-on que les députations
n'ont commencé qu'après que j'eus laissé la montagne derrière moi?
C'est une erreur. J'ai été à Laodieée, à Apamée, à Synnade, à
Philomèle, à Iconium ; j'ai fait séjour partout; partout déjà les
députations étaient organisées. Cependant, je le répète, pour que
vous le sachiez bien, il n'y a pas eu une seule de mes décisions
pour modération ou suppression des frais qui n'ait été provoquée par
les chefs des villes, dont toutes les prétentions tendent à ce qu'on
n'aggrave pas, par des exactions en pure perte, l'abus du trafic des
impôts, et ces taxes déjà si oppressives par tête et par maison dont
vous connaissez bien les effets. Une fois décidé par esprit de
justice aussi bien que par pitié à pourvoir au soulagement de ces
villes écrasées, et écrasées surtout par le fait de leurs
magistrats, je ne pouvais faire bon marché d'une dépense qui, je le
répète, n'a rien de nécessaire. Si on vous a fait des rapports a ce
sujet, vous ne deviez point y ajouter foi, et si vous prenez
simplement plaisir à dire à vos amis tout ce qui vous passe par la
tête, c'est mal entendre l'amitié. Avec la pensée de vous nuire dans
la province, je n'aurais pas été conférer avec votre gendre Lentulus,
ni avec votre affranchi à Brindes, ni avec le chef de vos ouvriers à
Corcyre, pour me faire assigner un renflez-vous à votre seule
convenance. Croyez-moi, et je m'autorise ici de l'avis de savants
auteurs qui ont écrit de si beaux livres sur l'amitié , entre nous
plus de cette forme d'argumentation. Tu dis blanc, je dis noir. Tu
affirmes, je nie.— Croyez-vous donc qu'on ne m'ait pas fait de
rapports à moi ? qu'on ne m'ait pas fait remarquer par exemple que,
quand vous m'engagiez à venir à Laodicée, vous passiez déjà le
Taurus? que quand vous me donniez rendez - vous à Apamée, à Synnade,
à Philomèle, vous étiez à Tarse? Je n'en dis pas plus. Je ne veux
pas avoir l'air de vous chercher querelle par voie de représailles.
Je vous dirai ce que je pense : si vous êtes persuadé vous-même de
ce que vous avez entendu dire aux autres, vous êtes très-coupable.
S'il n'en est rien, c'est déjà un tort que d'y prêter l'oreille.
Dans ma conduite, vous reconnaîtrez l'ami fidèle et sérieux. Veut-on
que j'aie joué au plus fin? La belle finesse! Je vous aurais
constamment défendu pendant que vous étiez absent, sans même songer
à la possibilité d'un échange de position ; et de gaieté de cœur
j'irais vous donner le droit de m'abandonner quand je suis absent à
mon tour ! — Je ne nie pas cependant qu'il n'ait été tenu certains
propos assez indifférents pour vous, je crois. On a pu médire de
quelqu'un de vos lieutenants ou préfets. Mais il n'a jamais été dit,
moi présent, rien de plus fort ni de plus sale que ce qui m'a été
rapporté par Clodius à Corcyre, où je l'entendis se lamenter sur ce
que la conduite de certaines gens vous avait fait souffrir. Des
propos de ce genre étaient dans toutes les bouches, mais n'y
trouvant rien qui pût porter atteinte à votre réputation, je ne les
ai encouragés ni réfutés. Croire qu'il n'est point de réconciliation
sincère, c'est moins accuser autrui que faire un retour sur soi ; et
celui qui en dirait autant de la nôtre témoignerait aussi peu
d'estime pour 213 vous
que pour moi. S'il y a des gens à qui mes règlements déplaisent, et
qui s'irritent de quelque différence qu'ils peuvent offrir avec les
vôtres, sans considérer que tous deux nous avons fait le bien, et
que l'un n'était pas obligé de copier l'autre, ces gens-là, je le
déclare, ne sont pas pour être de mes amis. — La générosité qui vous
est propre, et qui va si bien à un homme de votre noblesse, a éclaté
au loin dans la province. Je suis plus serré que vous ; vous même,
grâce à la misère des temps, avez en dernier lieu un peu rabattu de
vos manières grandes et libérales. Il ne faut donc point s'étonner
qu'ayant toujours été ménager du bien d'autrui et sensible à tout ce
qui peut toucher autrui, j'aie adopté pour devise : - d'être sévère
avec moi-même pour être bien « avec ma conscience. » — Je vous
remercie beaucoup et des nouvelles de Rome que vous m'avez données
et de votre sollicitude pour mes recommandations. Ce que je vous
demande par-dessus toutes choses, c'est de veiller à ce qu'on
n'ajoute rien au fardeau de mon emploi ni à sa durée. Dites à
Hortensius, notre collègue et ami, que si jamais il lui vint une
bonne pensée pour moi, que si jamais il m'a rendu quelque service,
il doit renoncer à l'idée de deux années, car il ne se peut rien
faire de plus contraire à mes intérêts.— J'ai quitté Tarse aux nones
d'octobre; je marche vers le mont Amanus.. Aujourd'hui, second jour
après mon départ, je campe sous les murs de Mopsuheste. Si je fais
quelque chose, vous le saurez. Je n'écrirai pas une seule fois chez
moi sans donner une lettre pour vous. Je crois que les Parthes, dont
vous me demandez des nouvelles, ne se sont montrés nulle part. Les
Arabes qui avaient fait quelque démonstration, avec leurs
accoutrements à demiParthes, se sont, dit-on, retirés. On assure
enfin que nous n'avons pas un seul ennemi dans la Syrie. Vous me
ferez un grand plaisir de me donner souvent des nouvelles de tout ce
qui vous touche, de ce qui peut m'intéresser moi-même, et de
l'ensemble de notre situation. Je suis plus inquiet de la république
depuis que je vois par vos lettres que notre ami Pompée doit aller
en Espagne.
228. DE M.
CÉLIUS A CICÉRON. Rome, octobre.
F. VIII, 8. J'ai bien des
nouvelles à vous apprendre. Mais voici, je pense, qui vous réjouira
plus que tout le reste : C. Sempronius Rufus, Rufus votre favori,
votre ami de cœur, vient d'être atteint et convaincu de calomnie. Et
tout le monde applaudit. Comment cela, me direz-vous. M. Tuccius
l'avait accusé. Lui, à son tour, aussitôt après les jeux romains,
s'est empressé d'accuser M. Tuccius de violence en vertu de la loi
Plotia. Il avait réfléchi que s'il ne se présentait aucune cause
extraordinaire, il serait obligé de se défendre cette année. Le
résultat ne lui paraissait pas douteux. Ne sachant à qui faire ce
cadeau, il a donné la préférence à son accusateur. Le voilà donc qui
porte plainte contre Tuccius et pas une âme ne se joint à lui.
J'apprends ce qui se passe, et sans être appelé, j'accours au banc
de l'accusé. Je me lève, mais ne dis pas un mot de l'affaire. Au
contraire, j'entreprends Sempronius de la tête aux pieds; je vais
jusqu'à faire intervenir aussi Vestorius et à raconter cette
histoire 211 que vous
savez, et celte prétention de vous faire valoir par voie de
compensation le bon office d'avoir nanti Vestorius. Il y a encore
une autre grande lutte dont retentit le forum : M. Servilius, qui
continue, comme il avait commencé, de se moquer de tous ses
créanciers et de dénaturer ce qui lui reste de fortune, m'avait
confié sa défense dans une affaire d'une fort vilaine nature; et le
préteur Latérensis, déférant à mon opposition, avait refusé à
Pausanias l'enquête pour cause de détournement. Là-dessus Pilius,
l'ami de notre cher Atticus, intente une accusation formelle en
concussion. Aussitôtgrand bruit par toute la ville. De tous côtés,
on commençait à parler sérieusement de sa condamnation. Le jeune
Appius, entraîné par le mouvement général, est venu déclarer que
Servilius avait reçu de l'argent de son père, et qu'il ne lui avait
pas été compté moins de quatre vingt-un mille sesterces pour le prix
d'une honteuse prévarication. Imaginez-vous une telle démence! il
fallait l'entendre à l'audience, dénoncer ainsi tout haut sa propre
stupidité et la turpitude de son père! On renvoie l'affaire
précisément aux mêmes juges qui avaient évalué le fonds : les voix
se trouvent partagées : Latérensis , qui ne conçoit pas un mot des
lois, proclame ce que chacun des ordres a jugé, et, à la fin,
prononce la formule en usage :je n'ai rien à rédiger. Après s'être
levé de son siège, lorsqu'on croyait Servilius absous, il se met à
lire l'article 101 de la loi ainsi conçue : Ce que la majorité a
décidé constitue le droit et le jugement : alors au lieu d'inscrire
une absolution, il écrit tout au long l'avis de chacun des ordres.
Appius forme aussitôt une nouvelle instance, mais il y a eu
arrangement avec L. Lollius, et la sentence doit être inscrite.
Ainsi Servilius qui n'est ni absous ni condamné se présentera, déjà
blessé, pour répondre à la plainte en concussion de Pilius. Point de
débat pour désigner l'accusateur. Appius avait déjà prêté serment,
mais il s'est désisté devant les prétentionsde Pilius. D'ailleurs
lui-même a répondu à pareille accusation que lui intentent les
Servilius, et de plus à la plainte pour fait de violence d'un
certain Tettius autrefois son affidé. Les deux font la paire. —
J'arrive aux affaires publiques : il n'y a rien absolument de
nouveau, parce qu'on attendait des nouvelles de la Gaule. Mais
enfin, après plu- sieurs remises successives, la matière étant
mûrement examinée, et la certitude bien acquise que Pompée au fond
voulait le rappel de César pour les kalendes de mars, on a rendu le
sénatus-consulte que je vous envoie avec les noms de ses auteurs. —
Décret du sénat : « La veille des kalendes d'octobre, dans le temple
d'Apollon, furent présents L. Domitius Ahénobarbus, fils de Cnéius;
Q. Cécilius, Fab. Métellus Pius Scipion, fils de Quintus; L. Villius
Annalis, fils deLucius, de la tribu Pomptina; G Septimius, fils de
Titus, de la tribu Quirina; Caius Luccéius Hirrus, fils de Gains, de
la tribu Pupia ; G. Scribonius Curion, fils de Gaius, de la tribu
Popilia; L. Atteins Capiton, fils de Lucius, de la tribu Aniensis ;
M. Oppius, fils de Marcus, de la tribu Térentina. Le consul M.
Marcellus ayant proposé l'affaire des gouvernements consulaires, il
a été décidé ce qui suit « : Les consuIs L. Paulus et M. Marcellus,
après leur entrée en « charge, à l'époque des kalendes de mars, qui
se trouvent comprises dans leur exercice, feront leur rapport au
sénat sur les provinces consulaires ; ils ne feront aucun autre
rapport avant celui-là ni conjointement avec celui-là ; ils
convoqueront le sénat pendant les jours de comices, rédigeront un
sénatus-consulte; lorsque le rapport sera fait
215 au sénat par les
consuls, il sera permis à six des trois cents juges de se rendre à
l'assemblée; s'il est nécessaire de faire une communication au
peuple romain ou au troisième ordre, les consuls actuels, Servius
Sulpicius et M. Marcellus, les préteurs et les tribuns du peuple, ou
ceux d'entre eux qu'on jugera à propos de désigner, seront députés à
cet effet auprès du peuple romain, ou troisième ordre. Faute de quoi
le rapport sera fait par leurs successeurs. » La veille des kalendes
d'octobre, dans le temple d'Apollon, furent présents L. Domitius
Ahénobarbus, fils de Cnéius; Q. Cécilius Métellus Pius Scipion, fils
de Quintus; L Villius Annalis, fils de Lucius, de la tribu Pomptina;
G. Septimius, fils de Titus, de la tribu Quirina; G. Scribonius
Curion, fils de Gaius, de la tribu Aniensis; M. Oppius, fils de
Marcus, de la tribu Térentiua : Le consul M. Marcellus, ayant
proposé l'affaire des gouvernements , il a été décidé ce qui suit :
« Le sénat est d'avis qu'aucun de ceux qui ont droit d'opposition ou
d'ajournement ne doit mettre obstacle à ce qu'il soit fait un
rapport au sénat, et à ce que le sénatus-consulte soit rendu ; si
pourtant quelqu'un fait obstacle ou empêchement, l'avis du sénat est
qu'il aura agi en ennemi de la république, et s'il intervient une
opposition au sénatus-consulte, le bon plaisir du sénat est que cet
acte reçoive la forme d'un acte de son plein droit et qu'il en soit
référé tout ensemble au sénat et au peuple romain. » Sur ce,
opposition de C. Célius, de L. Vinicius, de P. Cornélius , C. Vibius
Pansa, tribuns du peuple. — Item, « le bon plaisir du sénat est
qu'il lui soit fait un rapport touchant ceux des soldats de l'armée
de César qui ont fait leur temps, ou ont des causes de dispense,
afin qu'il soit tenu compte de leurs droits à des congés ou à des
remises sur la durée du service. Le sénat entend qu'on recoure en
cas d'opposition à la forme d'acte de plein droit, et qu'il en soit
référé au sénat et au peuple romain». Ici nouvelle opposition de C.
Célius et de Pansa, tribuns du peuple. « Item, le bon plaisir du
sénat est que, pour la province de Cilicie et les huit autres
provinces prétoriennes, les gouverneurs soient choisis au sort entre
les préteurs qui n'ont point encore eu de gouvernement; que s'il ne
s'en trouve point assez entre les derniers préteurs, on remonte aux
préteurs précédents qui n'ont pas eu de gouvernement, et que le sort
décide du choix des provinces entre eux; que si ceux-là ne suffisent
point encore, on mette dans l'urne les noms de ceux qui les ont
précédés immédiatement et qui n'auraient pas eu de gouvernement
jusqu'à ce que le nombre suffisant soit rempli ; que si quelqu'un
s'oppose à ce décret, on en fasse un acte de plein droit. » II y a
eu encore à cet article opposition de C. Célius et de C. Pansa,
tribuns du peuple. D'un autre côté, on a remarqué quelques paroles
de Cn. Pompée qui ont donné beaucoup de confiance à certaines
personnes, savoir qu'on ne pourrait sans injustice s'occuper du
gouvernement de César, avant les kalendes de mars, et qu'à cette
époque son opinion à lui serait faite. Mais s'il survient des
oppositions? a-t-on dit. Il a répondu qu'il n' y avait pas, selon
lui, de diffé- 216
rence entre un refus de César d'obéir au décret du sénat, et un
empêchement au décret lui-même de la part de quelque affldé de
César. Mais enfin, lui a-t-on dit encore, s'il prétend être consul
et conserver son armée? Il s'est borné à répondre, et avec quel
sang-froid ! Mais si mon fils lève le bâton sur moi? On a conclu de
tout ceci qu'il y avait sous jeu quelque négociation entre César et
Pompée. Je suppose que César acceptera l'une de ces deux conditions;
garder sa province, sans qu'il soit question de lui cette année ; ou
revenir a Rome, s'il peut se faire désigner consul. Curion prépare
toutes ses forces pour l'attaquer. Réussira-t-il ? je l'ignore. Mais
dût-il voir avorter ses efforts, un homme qui pense aussi bien se
trouve toujours sur ses deux pieds. Curion a pour moi les meilleurs
procédés; seulement je me trouve comme engagé par le cadeau qu'il
m'a fait. Très certainement, sans les panthères qui lui étaient
venues d'Afrique pour les jeux et qu'il m'a données, j'aurais pu
surseoir aux miens. Enfin puisqu'il n'y a plus à reculer, je vous
renouvelle mes instances déjà si souvent répétées, et je vous
supplie de m'envoyer quelques bêtes de votre province. Je vous
recommande aussi le billet de Sittius. Je fais partir pour la
Cilicie mon affranchi Philon et le Grec Diogène, tous deux porteurs
de mes ordres et de cette lettre. Veuillez accorder votre intérêt à
l'objet de leur mission et leur en témoigner à eux-mêmes. Vous
verrez par la lettre qu'ils vous remettront, a quel point le succès
de leur voyage me touche.
229. — A M.
CÉLIUS, ÉDILE CURULE DÉSIGNÉ. Mont Taurus.
F. II, 9. Je commence, car je
le dois, par des félicitations, et je me réjouis à la fois de la
dignité que vous venez d'obtenir et de celles qui vous attendent. Si
je suis un peu en retard, ne vous en prenez pas à moi, mais bien à
l'ignorance où je reste de toute chose. L'éloignement et le peu de
sûreté des routes font que l'on est ici un siècle à avoir des
nouvelles. Maintenant que je vous ai félicité, quels remercîments
vous faire d'à voir si bien travaillé à nous ménager, comme vous le
dites, de quoi rire tous deux le reste de nos jours ? Aussi, à votre
premier mot, me suis-je mis à le contrefaire, vous savez qui (Hirrius).
J'ai aussi mimé tour à tour toute cette fameuse jeunesse que notre
homme vante à tout propos. J'aurais peine à vous rendre cette scène.
Je vous supposais à mes côtés et vous tenais à peu près ce langage :
« Vous ne savez pas quelle grande action et « quel grand exploit
vous avez fait ! » Puis, dans la surprise où me jetait cette
nouvelle inattendue, il m'est revenu cette exclamation : « Ah !
l'incroyable aventure ! » Alors c'a été de ma part, une explosion de
joie délirante. Et comme on me grondait d'une hilarité qui allait
jusqu'à l'extravagance, je répondais pour excuse: « La joie est plus
forte que moi. » Que voulez-vous ? En me moquant de lui, je deviens
presque son second tome. J'aurais encore beaucoup à dire sur vous et
à votre sujet. Ce sera quand j'aurai un peu de loisir. Je vous aime
pour bien des raisons, mon cher Rufus ; vous que la fortune m'a
donné pour défendre mes intérêts, me venger de mes ennemis et même
de mes envieux, et pour que justice fût faite de l'infamie des uns
et de l'impertinence des autres.
217 230 — DE CÉLIUS A CICERON.
Rome, 18 Novembre.
F. VIII, 10. Vraiment les
lettres de G. Cassius et de Déjotarus nous ont mis aux champs.
Cassius écrit que les Parthes sont en deçà de l'Euphrate ; Déjotarus,
qu'ils se dirigent par la Commagène vers notre province. Toute ma
crainte à moi qui sais l'état de vos forces, c'est que vous ne vous
trouviez compromis dans cette bagarre. Si vos troupes étaient en
mesure, je pourrais craindre pour votre vie. Mais leur petit nombre
vous forcera de vous retirer, je le prévois; vous ne pourrez
combattre. Et cette nécessité comment sera-t-elle jugée ici? Est-il
bien sûr qu'on la reconnaisse? Tout cela me tourmente; et je ne
serai tranquille que quand je vous saurai un pied en Italie.—A cette
nouvelle du passage de l'Euphrate, chacun s'est mis à donner son
avis : celui-ci veut qu'on envoie Pompée; celui-là que Pompée ne
quitte point Rome dans de telles circonstances. L'un veut César et
son armée; l'autre les consuls en personne. On ne prend pas le
premier nom venu, je vous Jure, pour le mettre au sénatus-consulte.
Les consuls redoutent un décret qui les oblige à revêtir le
paludamentum et à partir, ou qui leur fasse l'affront de confier
cette mission à d'autres, et ils s'abstiennent de toute convocation
du sénat, au risque même de passer pour peu soucieux des affaires
publiques. Mais que ce soit chez eux incurie ou maladresse, ou peur,
comme je viens de le dire, ils se retranchent dans leur
désintéressement; ils ne veulent pas de province. On n'a reçu aucune
lettre de vous, et sans celles de Déjotarus on se serait figuré que
la guerre n'était qu'une invention de Cassius, qui, pour mettre ses
rapines sur le compte de l'ennemi, aurait fait entrer lui-même
quelques Arabes dans la province, et en aurait fait des Parthes dans
ses dépêches au sénat. Je vous conseille donc, quelle que soit la
situation des affaires, d'en faire un rapport exact et d'y mettre du
soin, si vous ne voulez pas qu'on vous accuse ou de complaisance
coupable ou d'une réticence qui viendrait mal à propos. — Nous voici
à la fin de l'année. C'est aujourd'hui le 14 des kalendes de
décembre. Il n'y aura rien de fait, j'en suis convaincu, avant les
kalendes de janvier. Vous connaissez Marcellus, comme il est lent et
ne finit rien. Il en est de même de Servius, l'éternel temporiseur :
que dites-vous de ces gens, dont les uns pourraient et ne veulent
pas, et dont les autres veulent si mollement qu'on dirait qu'ils ne
veulent pas non plus? Quant aux nouveaux magistrats , si nous avons
la guerre avec les Parthes, pendant les premiers mois ils ne seront
occupés d'autre chose. Si elle n'a pas lieu, ou s'il suffit pour la
soutenir de vous envoyer un faible renfort à vous ou à vos
successeurs, je vois d'ici Curion se mettre en quatre pour ôter à
César et donner à Pompée si peu que ce soit. Paullus s'exprime en
termes peu bienveillants sur la province, mais il trouvera dans
notre ami Furnius à qui parler. Je suis au bout de mes conjectures.
Vous pouvez compter sur celles-là. Mais dans l'avenir il y a
peut-être plus que je n'ai prévu. Je n' ignore pas que le temps
amène bien des choses ; qu'il s'en prépare même sous main. Mais
voilà le cercle où tout roulera, quoi qu'il arrive. J'ajoute, en ce
qui concerne Curion, qu'il a parlé des terres de Campanie. César,
dit-on, s'y intéresse assez peu, mais Pompée ne voudrait à aucun
prix que César les trouvât encore libres à son arrivée .Quant
218 à votre retour, mes
efforts ne peuvent aller jusqu'à vous garantir un successeur. Mais
je suis sûr d'empêcher qu'on vous proroge. C'est à-vous de
considérer si, les circonstances l'exigeant, le sénat l'ordonnant,
et m'ôtant ainsi tout moyen de refuser avec honneur, vous
persisterez, vous, âne pas rester. Mon devoir à moi est de me
souvenir seulement des instances que vous me fîtes au moment du
départ pour conjurer ce résultat.
231. — A M.
CÉLIUS ÉDILE CURULE DÉSIGNÉ. Pindenissum.
F. II, 10. Vous voyez vous-même
combien de lettres me manquent, car on ne me persuadera jamais que
vous ne m'ayez point écrit depuis votre nomination à l'édilité.
C'était un si grand événement. II y a tant à se féliciter et pour
vous d'une espérance satisfaite, et pour Hillus, (pardon, je bégaie)
d'une attente trompée. Or, vous saurez que je n'ai reçu aucune
lettre sur ces admirables comices qui m'ont fait bondir de joie ;
aussi je crains qu'il n'arrive également malheur à mes dépêches. Je
n'ai pas écrit une seule fois chez moi sans y joindre un mot pour
vous, pour vous qui êtes ce que je connais au monde de plus aimable
et ce que j'ai de plus cher. Mais je ne suis plus bègue ; revenons à
mon sujet.—Vos vœux sont exaucés. Vous ne me désiriez d'affaire sur
les bras que tout juste assez pour mériter un petit bout de laurier,
et vous redoutiez les Par thés, ne me croyant pas assez fort. Eh
bien! ton a été à souhait. Au premier bruit d'une inva sion parthe,
favorisé par les nombreux défilés et le sol montueux de cette
contrée, je marcha sur le mont Amanus. J'avais un assez bon renfort
d'auxiliaires, et mon nom imposait à ceux qui ic m'avaient jamais
vu. Car vous saurez qu'il a du retentissement ici. N'est-ce pas,
dit-on, celui qui Rome...? celui que le sénat...? Vous achevez les
phrases. Arrivé au pied de l'Amanus, dont a crête me sépare de
Bibulus, et qui, par ses deux versants, appartient aux deux
provinces, j'appris non sans une grande joie, que Cassius avait
réussi à rejeter l'ennemi loin d'Antioche. Bibulus avait enfin pris
possession. — Je profitai de l'occasion pour donner une sévère leçon
aux peuplades de l'Amanus, les éternels ennemis du nom romain. J'en
tuai ou pris en grand nombre. Le reste se dispersa. Grâce à la
soudaineté de mon attaque, les châteaux forts purent être emportés
et brûlés. La victoire étant complète, je fus salué imperator sur
les bords de l'Issus, précisément où Alexandre défit Darius, ainsi
que vous l'a raconté Clitarque, et que je vous l'ai entendu répéter
maintes fois à vous-même ; je dirigeai alors mon armée vers les
points les plus infestés de la Cilicie. Là, depuis vingt-cinq jours,
j'assiège Pindénissum, qui est une ville très-forte. J'ai ouvert des
tranchées, construit des parapets, des tours. Cette affaire exige
tant d'appareil, un tel déploiement de forces, qu'il ne manquerait à
ma conquête, pour me placer au faîte de la gloire, qu'un nom qui
sonne mieux. Si je m'en rends maître, comme je l'espère, je ferai
partir à l'instant des lettres officielles. Je vous écris
provisoirement afin de vous donner l'avant-goût de l'accomplissement
de vos vœux pour moi. Pour en revenir aux Parthes, cette campagne
finit assez bien, mais on craint beaucoup pour l'année prochaine.
Alerte donc, mon cher Rufus, et vite
219 un successeur! Que si
comme vous le dites et comme je le conçois, on ne peut pas aller si
rondement, faites du moins ce qui est facile, qu'on lie me proroge
pas ici d'une minute. Je compte que désormais vos lettres me
montreront mieux le fonds de la situation actuelle et ce que
l'avenir nous réserve. Mettez un peu d'amitié, je vous en conjure, à
me tenir au courant de tout. Adieu.
232. — A C.
CURION, TRIBUN DU PEUPLE. Pindenissum.
F. II, 7. Une félicitation
tardive n'en est pas plus mal accueillie quand la négligence n'y est
pour rien. Je suis au bout du monde; les nouvelles m'arrivent bien
tard. Enfin recevez mon compliment et tous les vœux que je fais,
pour que vous suiviez la route qui peut rendre votre tribunal
immortel. Je vous engage fort à ne vous diriger, à n'agir en tout
que d'après vos propres lumières; à ne pas céder aux donneurs
d'avis. Nul ne vous conseillera jamais mieux que vous-même ; écoutez
vos inspirations et vous ne risquez pas de faillir. Ce ne sont pas
là des mots en l'air. Je sais à qui je parle, je connais votre
esprit, votre jugement. Je ne redoute de vous ni faute, ni
faiblesse, ni erreur, quand vous ne soutiendrez que ce qui vous
paraîtra juste. Vous arrivez a une époque, (ce n'est pas le hasard
seul, c'est votre volonté qui vous a conduit au tribunal au milieu
de circonstances si perplexes), vous arrivez à une époque où vous ne
pouvez vous dissimuler que la violence est à l'ordre du jour, la
confusion partout, les moyens de sortir d'embarras fort douteux, et
où l'on ne peut guères compter sur personne. Que de pièges, que de
déceptions sur votre route! Vous y avez bien réfléchi, je n'en doute
pas. Ne formez de plan, je vous en conjure, n'ayez de règle que
celle que je vous recommandais tout à l'heure; consultez-vous,
délibérez en vous-même et suivez votre impulsion. Difficilement
trouverait-on meilleur conseiller pour tout autre; pour vous certes,
il n'en est aucun. Dieux immortels! Pourquoi faut-il que je ne sois
pas là pour assister à vos succès, pour être le confident,
l'associé, le ministre de vos volontés ! Vous n'avez besoin de
personne assurément, mais peut-être sortirait-il quelques idées
heureuses des inspirations de ma grande et vive amitié. Je vous
écrirai bientôt plus au long. Je me propose d'expédier, sous peu de
jours, un de mes gens en message auprès du sénat, et de lui rendre
compte dans un seul rapport des opérations diverses de cette
campagne où tout a réussi fort heureusement et selon mes calculs.
Vous verrez par la lettre dont j'ai chargé Thrason, votre affranchi,
combien de peines je me suis données pour la difficile affaire de
votre sacerdoce que les circonstances compliquaient encore. En ce
qui me concerne, mon cher Curion, par l'amitié que vous avez pour
moi, par celle que je vous porte, je vous recommande une seule
chose. Ne souffrez pas, je vous en conjure, qu'on prolonge pour moi
ces ennuis de province et de gouverne ment. Vous savez ma pensée à
cet égard. Je vous l'ai dite à une époque où j'étais loin de croire
que vous seriez tribun cette année. Je parlais alors à un très-noble
sénateur et à un très-gracieux jeune homme. Aujourd'hui je m'adresse
à un tribun du peuple, et ce tribun est Curion. Je ne demande pas,
(chose difficile!) qu'on fasse pour moi du nouveau. Bien de nouveau
au contraire. Que le sénatus-consulte et les lois aient, grâce à
vous, leur cours ordinaire, et que la condition qu'on m'a
230 faite à mon départ ne
soit changée en rien. Voilà ce que je vous demande instamment.
233. — A
ATTICUS. Au camp devant Pindenissum, Décembre.
A. V, 20. Pindénissum s'est
rendu à moi le matin des Saturnales après quarante-sept jours de
siège. Mais quoi, qu'est-ce? oui, qu'est-ce que Pindénissum?
allez-vous dire ; c'est la première fois que j'entends ce nom-là.
Que voulez-vous? Je n'y puis que faire. La Cilicie n'est pas une
Étolie, une Macédoine, et mettez-vous bien dans l'esprit que je n'ai
pas une armée à faire de ces merveilles. Je vais tout vous dire en
abrégé. Votre lettre dernière m'autorise à être bref. Vous savez
quelle entrée j'ai faite à Éphèse; j'ai même reçu vos félicitations
sur cette glorieuse journée. Jamais je n'éprouvai de plaisir plus
vif. De là, toujours mieux accueilli de ville en ville, j'arrivai à
Laodicée, la veille des kalendes d'août. J'eus deux jours de
véritable triomphe. Sans récriminer contre personne, j'ai réparé
bien du mal. J'ai séjourné cinq jours à Apamée, trois à Synnade,
cinq à Philomèle et dix à Iconium. Partout j'ai déployé dans
l'exercice du pouvoir judiciaire toute l'équité, toute l'humanité,
toute la dignité possible. Le 7 des kalendes de septembre, je
joignis l'armée et passai une revue sous les murs d'Iconium. Là je
reçus de fâcheuses nouvelles des Parthes, et je me dirigeai aussitôt
sur la Cilicie, à travers la partie de la Cappadoce qui en est
limitrophe. Cette marche avait pour but de faire croire au roi
d'Arménie Artavasde, et aux Parthes eux-mêmes, que je voulais
effectivement couvrir la Cappadoce. Après avoir campé cinq jours à
Cybistre, j'eus la certitude que les Parthes étaient bien loin et
qu'ils faisaient mine d'en vouloir à la Cilicie. Moi aussitôt de me
porter vers la Cilicie en passant les défilés du Taurus.—J'arrivai
le 3 des uones d'octobre à Tarse, d'où je m'avançai vers le mont
Amanus qui sépare la Syrie de la Cilicie et présente un de ses
versants à chacun des deux pays. Les peuplades qui l'habitent sont
en guerre éternelle avec nous. Le 3 des ides d'octobre, j'eus avec
eux un engagement où ils perdirent beaucoup de monde. Je leur pris
et brûlai plusieurs forts à la suite d'une attaque opérée de nuit
par Pomptinius, et d'une autre exécutée par moi à la pointe du jour.
Mes soldats me saluèrent împerator. Je m'établis ensuite quelques
jours près d'Issus sur l'emplacement même du camp d'Alexandre, qui
était un autre général que vous et moi. Après avoir ravagé le mont
Amanus cinq jours durant, j'opérai ma retraite. A la guerre, il y a,
vous savez, ce qu'on appelle terreur panique, ce qui veut dire qu'on
s'effraye à vide. Au bruit de mon approche, voilà le cœur qui
revient à Cassius presque bloqué dans Antioche, et l'épouvante qui
se met parmi les Parthes. Ils se retirent ; Cassius les suit et
remporte un avantage signalé. Osace, général des Parthes, en grande
considération chez eux, fut blessé dans cette retraite, et mourut
peu de jours après. Mon nom est béni dans toute la Syrie. —
Là-dessus Bibulus est arrivé au mont Amanus. Il ne voulait pas, je
crois, paraître rester en arrière. Il désirait des lauriers et
pensait n'avoir qu'à se baisser et en prendre. Loin de là, dans une
rencontre au même mont Amanus, il a perdu sa première cohorte en
entier, tous ses centurions au nombre desquels se trouve Asiuius
Denton des primipi- 221
laires, l'officier le plus distingué du grade, et Scx. Lucilius
tribun, fils de T. Gavius Cépion, homme riche et considéré. C'est un
vilain échec et qui arrive mal.—De mon côté, j'allai mettre le siège
devant Pindénissum, la plus forte de toutes les villes libres de la
Cilicie, ennemie des Romains dans tous les temps, et dont la
population féroce et aguerrie était au mieux préparée à se défendre.
Je traçai mes lignes, ouvris la tranchée, construisis un tertre, des
mantelets, une très-haute tour ; et à grand renfort de machines et
de gens de trait, ne ménageant l'appareil ni les fatigues, j'en suis
enfin venu à bout; mes blessés sont nombreux, mais je n'ai perdu
personne. Voilà d'assez belles saturnales. J'ai abandonné aux
troupes tout le butin, les chevaux exceptés. Au moment ou je vous
écris, le troisième jour des saturnales, les esclaves sont en vente
devant mon tribunal, et le produit s'élève déjà à douze millions de
sesterces. L'armée hivernera sous les ordres de Quintus dans les
cantons les plus remuants. Moi je vais me reposer à Laodicée.—Voilà
pour le courant. Mais retournons un peu en arrière. Vous me
conseillez absolument, et je vois que c'est chez vous une idée fixe,
vous me conseillez de ne pas donner prise à la censure la plus
maligne. Je vous jure sur ma tête, qu'il n'y a à mordre sur aucun
point. Je ne veux plus appeler continence la vertu qui consiste à
résister à la volupté. Car de ma vie je ne sentis de volupté plus
douce qu'en restant ainsi maître de moi. Je jouis du bien que j'ai
fait, plus encore que de l'honneur qui m'en revient; et pourtant
l'honneur est immense. Que vous dirai-je ? C'était une occasion
superbe. Je ne me connaissais pas moi-même. Je ne savais pas ce dont
j'étais capable en ce genre. Maintenant je puis justement me
pavaner. Certes, il n'y eut jamais rien au monde de plus beau ; et
de la gloire au milieu de tout cela! Par moi, Ariobarzane vit et
règne. Je n'ai fait que passer, mais ma voix, ma seule présence, et
ma vertu inflexible , inabordable aux séductions de ses perfides
ennemis, ont fait le salut d'un roi et d'un royaume. Je n'emporte
pas une obole de la Cappadoce. Seulement, j'ai cherché autant que je
l'ai pu à faire revivre certaines créances bien désespérées de ce
Brutus qui m'est aussi cher qu'à vous ; j'allais dire aussi cher que
vous. Enfin j'espère que mou année ne coûtera pas un denier à la
province. Je vous ai tout dit. Je prépare mon rapport officiel pour
le sénat. Il sera plus long et plus intéressant que si je l'eusse
daté du mont Amanus. Mais quoi ! vous ne serez pas à Rome ! Si vous
y-étiez du moins aux kalendes de mars ! Tout dépend de là; car je
crains fort, quand on va s'occuper des provinces, de voir César
résister, et moi par suite obligé de rester ici. Si vous étiez là,
je serais tranquille. — Parlons de Rome. J'étais depuis longtemps
sans nouvelles. Votre aimable lettre y a pourvu. Elle m'a été
fidèlement remise, le 5 des kalendes de juin, par votre affranchi
Philogène, après un long et dangereux voyage. Celle que vous avez
confiée aux esclaves de Lénius ne m'est pas encore parvenue. Je vois
avec plaisir le décret du sénat concernant César, et la confiance
que vous montrez à ce sujet. S'il veut bien se soumettre, nous
sommes sauvés. Séius s'est donc brûlé au même feu que Plétorius. Je
n'en suis pas fâché. A quelle occasion Luccéius a-t-il donc fait
cette sortie contre Q. Cassius? Je veux absolument connaître les
détails.— Je suis chargé, à mon retour à Laodicée, de faire prendre
222 la robe virile à
votre neveu Quintus. Je tâcherai de le maintenir un peu dans les
voies de discrétion. Déjotarus, dont les secours m'ont été si
utiles, doit amener les deux jeunes gens à Laodicée. J'attends des
lettres d'Épire avec impatience. De vous, je veux tout savoir;
affaires et loisirs. Nieanor fait bien son devoir ; et n'a pas à se
plaindre de moi. J'ai l'intention de le charger de mon rapport au
sénat; l'expédition en sera plus sûre, et puis j'aurai par lui des
nouvelles de vous directement et indirectement. Je remercie votre
Alexis des souvenirs que je ne manque presque jamais de trouver de
lui dans vos .lettres. Mais pourquoi ne m'écrit-il pas lui-même,
comme le fait pour vous, mou Alexis à moi? (Tiron). On est à la
recherche d'un cor pour Phémius. Mais en voilà bien assez.
Portez-vous bien et mandez-moi quand vous comptez être à Rome.
Adieu, adieu. — J'ai fait toutes vos recommandations à Thermus en
passant à Ephèse, et je les lui rappelle par écrit. Je suis certain
qu'il vous porte un vif intérêt. Je vous ai déjà parlé de la maison
de Pammène. Faites, je vous prie, qu'on ne lui enlève, sous aucun
prétexte, un gage qu'il tient de vous et de moi. Nous devons nous en
faire tous deux un point d'honneur, et ce sera m'obliger moi
sensiblement.
234. - A
VOLUMSIUS. Cilicie, décembre.
F.VII, 32. Vous n'aviez; pas
mis votre prénom c'est tout simple ; vous m'écrivez sans cérémonie
Mais moi, j'ai cru d'abord que la lettre était de Volumnius le
sénateur, avec qui j'ai des rapports fréquents. Je vous ai reconnu
aux grâces de votre style. Votre lettre me charme de tous points ;
sauf votre indifférence à défendre la propriété de mes salines; vous
mon intendant! Quoi! depuis mon départ, si je vous en crois, tout le
sel, tous les bons mots de la ville, autant de 'mis sur mon dos?
jusqu'à ceux de Sextius? Est-il possible! et vous le souffrez ! Et
vous ne me défendez pas ! Et vous lâchez pied ! Je croyais, je
l'avoue, qu'on ne pouvait se méprendre à mon cachet. Mais puisqu'à
Rome on est encroûté à ce point qu'il ne paraît rien de si gauche où
l'on ne trouve bon air; pour l'amour de moi, pour ma défense et tout
ce qui n'est pas équivoque fine, élégante hyperbole, piquante
allusion, trait vif et inattendu ; enfin pour tout ce qui n'est pas
dans le goût de ce que je prête à Antoine au chapitre de la
plaisanterie, deuxième livre de l'Orateur, jurez hardiment que ce
n'est pas de moi. Vous pleurez sur le barreau. Eh! que m'importe?
Périssent tous les accusés! Triomphe le talent de Sélius; jusqu'à
prouver qu'il est libre! Bagatelles que tout cela! mais le sceptre
de l'esprit et de l'urbanité, je vous en conjure, conservez-le-moi
par toutes les voies de droit. Vous seul pourriez me le disputer. Je
me ris de tous les autres. Vous croyez que je vous raille. Bon! je
vois que le goût vous vient. Mais, plaisanterie à part, votre lettre
est, sur ma foi, pleine d'esprit et de grâce. Vous y racontez les
choses les plus gaies du monde, qui pourtant, de l'humeur où je
suis, ne sauraient me faire rire. Je voudrais à notre ami (Curion)
un peu plus de tenue sous sa robe de tribun. Je le voudrais, d'abord
pour lui, qui est une de mes passions, puis pour la république,
cette ingrate qu'on ne peut se défendre d'aimer. Allons, mon cher
Volum- 223 nius, vous
avez fait le premier pas et vous en voyez le succès. Eh bien !
continuez, écrivez-moi souvent; tenez-moi au courant des propos de
la ville et des affaires de la république. C'est une si agréable
causerie que celle de vos lettres ! Déplus, je vous recommande
Dolabella que je vois très désireux de mon amitié, et dans les plus
tendres dispositions pour moi. Entretenez -le dans ces bons
sentiments et arrangez-vous pour me gagner son cœur tout à fait. Il
n'y manque rien peut-être, mais on croit n'en jamais faire assez
quand on désire vivement.
235. — A
THERMUS, PROPRÉTEUR. Cilicie.
F. XIII, 53. Depuis longtemps
déjà, je suis lié avec L. Genucilius Curvus, excellent homme et, de
sa nature, fort sensible aux bienfaits. Je vous le recommande, et je
vous prie de le prendre sous votre protection toute spéciale. Il
faut d'abord favoriser ses intérêts de fortune; autant toutefois que
le devoir et l'honneur vous Ie permettent. Mais, nulle difficulté
sur ce point; car il ne vous demandera jamais rien de contraire à
ses principes et aux vôtres. Je vous recommande en particulier les
affaires qu'il a dans l'Hellespont. Il s'agit, en premier lieu, du
maintien d'un droit que la ville de Parium lui a concédé sur son
territoire, et dont il a toujours joui sans la moindre contestation.
Il demande, en second lieu, la facilité de s'adresser à la justice
locale pour les difficultés qu'il pourrait avoir avec les habitants.
Mais à quoi bon ce détail, quand je vous le recommande en tout et
pour tout? Un mot seulement et je finis : Tout ce que vous aurez
d'attention et d'égards pour Curvus, autant de pris par moi pour mon
propre compte ; je regarderai comme service personnel ce que vous
aurez fait pour lui.
236. — A
THERMUS, PROPRÉTEUR. Cilicie.
F. XIIl, 56. Cluvius de Pouzzol
est un de mes amis les plus assidus et les plus familiers. Il a des
intérêts dans votre province ; et il est persuadé que, s'il ne
profite de votre présence et de ma recommandation pour tout
terminer, c'est autant de perdu pour lui. Cette responsabilité que
m'impose le plus serviable des hommes, j'ose me prévaloir de votre
obligeance à mon égard, pour m'en décharger sur vous; pourvu
toutefois que cela ne vous gêne en rien. Les gens de Mylase et d'Alabande
doivent de l'argent à Cluvius. Euthydème m'avait dit, lors de mon
passage à Éphèse, qu'il veillerait à ce qu'on envoyât à Rome des
Ecdices mylasiens (questeurs grecs). On n'en a rien fait. On annonce
seulement le départ de simples députés. Ce sont des Ecdices qu'il
faudrait. On ne peut rien terminer sans eux. C'est pourquoi je vous
demande d'ordonner aux gens de Mylase et d'Alabande d'en faire
partir sur-le-champ. Outre cela, Philoclès d'Alabande a engagé ses
biens en garantie à Cluvius. Le terme est échu. Veillez, je vous
prie, à ce que le débiteur vide les biens hypothéqués, et les
remette aux fondés de pouvoirs de Cluvius, ou bien à ce qu'il les
dégage, en remboursant la dette. Les Heracléotes et les Bargylètes
sont également ses débiteurs; faites qu'ils le payent en argent ou
en nature. Il lui est encore dû par les Cauniens. Mais ceux-ci
prétendent avoir consigné l'argent. Ren-
224 dez-moi le service de
vérifier le fait; et si on reconnaît que le dépôt n'a point été
effectué, en vertu d'édit ou de décret, obligez-les à verser dans la
caisse que vous avez établie, les intérêts qui seraient dus à
Cluvius. Je m'inquiète d'autant plus de tout cela qu'il s'agit des
intérêts de notre ami, Cn. Pompée, et qu'il s'en tourmente beaucoup
plus que Cluvius lui-même que je tiens vraiment à obliger. C'est
donc avec les plus vives instances que je vous recommande ces divers
objets.
237. —
ATHERMUS, PROPRÉTEUR. Cilicie, décembre.
F. XIII, 55. Vous m'avez paru
on ne peut mieux disposé pour M. Annéius mon lieutenant, lorsque je
vous parlai de son affaire à Éphèse. Mais je lui porte trop
d'attachement pour rien négliger de ce qui lui est utile, et je
crois trop à votre affection pour ne pas être sûr qu'une lettre de
moi ajoutera beaucoup aux bonnes dispositions où vous êtes déjà. Il
y a longtemps que j'aime M. Annéius. On a pu voir le cas que je fais
de lui quand j'ai été le chercher pour en faire mon lieutenant, moi
qui en ai refusé tant d'autres. Il a fait la guerre avec moi, et
partout il a montré un courage, une prudence, une droiture, un
dévouement qui le placent au plus haut degré dans ma reconnaissance
et mon estime. Vous savez qu'il est en procès avec les Sardiens. Je
vous ai expliqué cette affaire à Éphèse. Mais ses communications de
vive voix vous la feront bien plus vite et bien mieux comprendre. En
vérité, je ne sais comment tourner ce qui me reste à dire. Votre
réputation d'intégrité est si bien établie, et jette un tel éclat 1
Et qu'avons-nous à vous demander, que de juger selon vos principes?
Mais un préteur peut tant de choses ! un préteur surtout en qui se
réunissent intégrité, capacité et douceur de caractère ; ce que tout
le monde proclame de vous. Tenez, je vous le demande, au nom de
notre amitié si constante, de cette réciprocité de bons offices qui
a toujours existé entre nous ; faites qu'Annéius voie clairement par
tous vos rapports officiels ou intimes non-seulement que vous lui
voulez du bien (il le sait, et me l'a dit cent fois) mais que vous
lui voulez plus de bien encore depuis que vous avez lu ma lettre.
Vous ne sauriez rien faire ni dans votre gouvernement, ni dans toute
province, qui pût m'être plus agréable. Vous n'ignorez pas
d'ailleurs, je pense, qu'il n'y a pas d'homme plus reconnaissant ni
meilleur qu'Annéius ; et que vous ne pouvez trouver mieux où placer
votre intérêt et rendre service.
238. — A P.
SILIUS, PROPRÉTEUR. Cilicie.
F. XIII, 61. Vous savez, je
crois, combien j'étais lié avec T. Pinnius. Son testament l'a bien
fait voir, puisqu'il m'institueà la fois tuteur de son fils, et
héritier en second. Ce fils est un jeune homme plein d'application,
de savoir et de modestie. Les habitants de Nicée lui doivent la
somme considérable de huit cent mille sesterces, et on m'assure
qu'ils ne demandent qu'à se libérer. Mes cotuteurs connaissent votre
attachement pour moi, et le jeune homme est persuadé qu'il n'est
rien que vous ne fassiez à ce titre. Vous m'obligerez donc beaucoup
d'intervenir autant que le permettront votre caractère et vos
devoirs pour 225
accélérer le recouvrement de cette créance sur les Nicéens.
239. — A P.
SILIUS, PROPRÉTEUR. Cilicie.
F. XIII, 62. Que vous avez été
aimable dans l'affaire d'Attilius! J'arrivais bien tard ; et pou
rtant vous avez sauvé cet honorable chevalier romain. Au fond, je
vous ai toujours regardé comme mon débiteur, va les rapports
d'intimité où je suis avec Lamia. C'est pourquoi je commence par
vous remercier de m'avoir tiré de cette inquiétude. Puis je viens
effrontément vous solliciter de plus belle. Patience ! je vous le
revaudrai. Jamais intérêts n'auront été par moi servis et défendus
avec plus de zèle. Si vous m'aimez, traitez mon frère Quintus comme
moi-même : ce bienfait couronnera l'autre.
240. — A P.
SILIUS, PROPRÉTEUR. Cilicie.
F. XIII, 64. Vous n'imaginez
pas quels remercîments mon ami Néron m'a faits pour vous ; c'est à
n'y pas croire. Il n'y a distinctions, à l'entendre , qu'il n'ait
reçues de vous. Vous en recueillez le fruit. C'estbien le cœur le
plus reconnaissant que ce jeune homme. Mais, par Hercule, vous
m'avez obligé moi-même en l'obligeant. Car dans toute notre jeune
noblesse, il n'est personne dont je fasse plus de cas. Aussi vous
saurai-je un gré infini de déférer encore à diverses recommandations
qu'il veut que je vous adresse. Il s'agit d'abord de suspendre
jusqu'à son arrivée l'affaire de Pausanias d'Alabande. II tient
beaucoup à ce délai, et je vous prie instamment de déférer à son
désir. Puis veuillez prendre sous votre protection particulière les
Nyséens avec lesquels Néron a des liaisons étroites, et dont il est
le défenseur et l'ami. Que cette ville reconnaisse, à vos bons
soins, ce que vaut le patronage de Néron. Je vous ai souvent parlé
pour Strabon Servilius. Je vous le recommande encore plus fortement
aujourd'hui qu'il a Néron pour protecteur. Tout ce que je vous
demande est de terminer son affaire, et de ne pas l'exposer, avec
son bon droit, à se voir rançonné par quelqu'un qui ne vous
ressemblerait pas. Vous me ferez le plus grand plaisir, et ce ne
sera, je crois, que suivre les inspirations de votre cœur. En un mot
(cette lettre n'a pas d'antre but) soyez toujours pour Néron ce que
vous avez été jusqu'aujourd'hui. Votre province, en cela bien
différente de la mienne, est un théâtre où notre jeune noblesse,
quand elle a des talents et des vertus, peut les exercer et les
mettre on relief. Avec l'appui qu'il trouvera, qu'il a déjà trouvé
en vous, il saura conserver et s'attacher par des i liens personnels
l'immense clientèle que lui ont léguée ses ancêtres. Et vous, en
continuant de lui prêter votre concours dans cette vue, vous aurez
bien placé vos bienfaits, et vous m'aurez rendu, moi, bien
reconnaissant.
241. —
A P. SILIUS, PROPRÉTEUR.
Cilicie.
F. XIII, 65. Je suis
étroitement lié avec Térentius Hispon vice-administrateur des fermes
publiques. C'est entre nous réciprocité, émulation de services. Il y
va de son honneur de conclure des traités avec toutes les villes.
J'ai voulu, je me le rappelle, faire une tentative pour lui à
Éphèse, et j'ai échoué devant la résistance opiniâtre des Éphé-
226 siens. Mais tout le monde est persuadé, et c'est mon
opinion aussi, que l'équité de votre administration , la douceur et
le charme de vos manières exercent sur les Grecs un ascendant
absolu; que, pour tout obtenir d'eux, vous n'avez qu'un signe a
faire. Employez donc cette influence, je vous en conjure, pour que,
dans cette affaire, Hispon et moi nous en venions tous deux à notre
honneur. Vous saurez que je m'intéresse à ses associés,
non-seulement par ce que la compagnie entière est sous ma
protection, mais encore par suite de liaisons contractées avec la
plupart de ses membres, Faites cela, et mon cher Hispon me sera
redevable d'un grand succès ; les obligations de la compagnie envers
moi en seront plus étroites ; et vous-même, vous trouverez le prix
de votre obligeance dans le dévouement du plus reconnaissant des
hommes et dans la gratitude d'un corps si bien composé. Enfin vous
m'aurez rendu à moi le plus grand des services. Il n'y a pas,
sachez-le bien, dans toute votre province et aussi loin (|«e votre
pouvoir s'exerce, de concession à me foire qui puisse me toucher
plus.
242. — A
CRASSIPÈS. Cilicie.
F. XIII, 9. Je vous ai
recommandé de vive voix et du mieux que j'ai pu la compagnie
bithynienne, et, soit déférence de votre part, soit inclination
naturelle, vous m'avez paru disposé à tout faire pour lui être
utile. Les intéressés se persuadent qu'une lettre de moi où je
consignerais de nouveau mes sentiments pour eux avancerait beaucoup
leurs affaires, et je m'empresse de me rendre à leur désir. Vous
savez que j'ai toujours été porté de cœur pour l'ordre des
publicains; que je dois d'ailleurs de la gratitude aux services sans
nombre que l'ordre équestre m'a rendus; que j'ai me tout
particulièrement la compagnie bithynienne, et qu'enfin cette
compagnie, qui appartient à un ordre puissant et qui secompose
d'hommes distingués, joue un grand rôle dans l'État. Elle est formée
en effet de membres pris dans les diverses sociétés, et le hasard
fait qu'ils sont presque tous mes amis, notamment l'homme qui en ce
moment a le plus fort intérêt dans l'entreprise et y joue le rôle
principal, P. Rupilius, fils de Publius, de la tribu Ménénia. Les
choses étant ainsi, je vous recommande de la manière la plus
instante Cn. Pupius, l'un des agents de la compagnie. Veuillez le
seconder, le servir, et faire, en tant qu'il dépendra de vous, tout
ce qu'il faut pour que ses opérations, vous le pouvez sans peine,
répondent aux vues de ses mandataires. Je sais quelle est
l'influence d'un questeur ; vous pouvez défendre bien utilement et
même faire prospérer les intérêts de la compagnie ; et c'est ce que
je vous supplie de faire. Vous me rendrez personnellement fort
heureux, et vous apprendrez en même temps, je vous le garantis par
expérience, que les intéressés de la compagnie bithynienne gardent
le souvenir du bien qu'on leur fait, et savent en témoigner leur
reconnaissance.
AN DE R. 704. — 50 AN. AV. J.
C. — DE C. 57.
Aemilius Paulus et Claudius
Marcellus, consuls.
243. — A M. CATON.
Cilicie, janvier.
F. XV, 4. L'autorité de votre nom est
si grande ; j'eus toujours une si haute idée de votre rare
227 vertu, que je crois ma
gloire intéressée à ce qu'il vous soit rendu compte de mes actes, à
ce que vous n'ignoriez pas avec quel esprit de justice et de
modération je maintiens nos alliés et gouverne ma province. Je me
flatte que, connaissant les faits, vous donnerez plus facilement
votre approbation à mes vues. J'arrivai dans ma province la veille
des kalendes d'août. A cette époque de la saison,' il était urgent
de rejoindre l'armée. Je ne restai que deux jours à Laodicée, quatre
à Apamée, trois à Synnade et autant à Philomélium ; partout je tins
de grandes assemblées ; où je déchargeai plusieurs cités de tributs
vexatoires. d'intérêts usuraires et même de redevances supposées.
Avant mon arrivée, une espèce de sédition avait comme éparpillé
l'armée. Cinq cohortes étaient restées à Philomélium sans
lieutenant, sans tribun, et même sans aucun centurion. Le reste
était en Lycaonie. J'ordonnai à M. Annéius, mon lieutenant, d'aller
prendre les cinq cohortes, de les conduire au gros de l'armée, et,
la réunion opérée, d'aller camper en Lycaonie près d'Iconium. Mes
ordres furent ponctuellement exécutés, et je me rendis au camp le 7
des kalendes de septembre. J'avais préalablement, et en vertu d'un
décret du sénat, réuni près de moi un bon corps de vétérans
rappelés, une cavalerie suffisante et les contingents volontaires
des nations libres et des rois nos alliés. Je passai une revue ; et
déjà j'étais en marche vers la Cilicie, lorsque le jour des kalendes
de septembre, des envoyés du roi de Commagène vinrent m'annoncer en
grand émoi, et non sans fondement, que les Parthes étaient entrés en
Syrie. Cette nouvelle me donna de vives craintes et pour la Syrie,
et pour ma province, et môme pour l'Asie tout entière. Je jugeai
donc à propos de diriger mon mouvement parcelle partie de la
Cappadoce qui touche à la Cilicie. Une fois en Cilicie, la défense
de la contrée me devenait facile par la position du mont Amanus. De
Syrie, ou n'y débouche que par deux défilés fort étroits que de
faibles postes suffisent pour défendre. Rien de mieux gardé par la
nature que la Cilicie du côté de la Syrie. Mais j'avais des
inquiétudes pour la Cappadoce, pays ouvert par la frontière
syrienne, et qui a pour voisins des rois peut-être amis des Romains,
mais non pas au point de se. compromettre ouvertement avec les
Parthes. J'établis en conséquence mon camp à l'extrémité de la
Cappadoce, non loin du mont Taurus, prés de la ville fortifiée de
Cybistre. De là couvrant la Cilicie, et occupant la Cappadoce, je
tenais en bride la politique des peuples voisins. Au milieu de ce
grand mouvement, et comme je m'attendais à voir à chaque instant
commencer une guerre redoutable, un homme de cœur que nous avons eu
bien raison de favoriser toujours, vous, le sénat, et moi, homme
aussi distingué par ses sentiments et sa fidélité envers le peuple,
romain que par son sang-froid, sa grandeur d'âme et sa sagesse, le
roi Déjotarus députa auprès de moi, pour m'annoncer son arrivée
prochaine à mon camp avec toutes ses forces. Vivement touché de ce
témoignage de son dévouement et de cet important service, je lui
répondis pour lui en témoigner ma gratitude et pour l'engager a
presser sa jonction. Les soins de la guerre me retinrent cinq jours
à Cybistre, Là j'eus occasion de préserver du complot le plus
imprévu le roi Ariobarzane, que le sénat avait, à votre
sollicitation, placé sous ma sauve-
228 garde. Et j'ai
non-seulement empêché sa ruine, mais assuré son autorité. Métras et
cet Athénée, que vous m'avez si chaudement recommandé, étaient dans
l'exil, grâce aux importunités d'Athénaïs: je leur ai fait rendre
leur rang et la faveur du roi. Enfin la Cappadoce était eu feu, si
le grand-prêtre en eût appelé aux armes, comme le faisaient craindre
la témérité de son âge, ses ressources en argent, les forces en
cavalerie et infanterie dont il pouvait disposer, et surtout
l'influence exclusive qu'il avait laissé prendre sur lui aux hommes
avides de changements. Je réussis à lui faire quitter le royaume, et
sans secousse ni sang répandu, tout est rentré dans l'ordre ; la
cour a repris l'autorité sans partage, et la couronne sa dignité. —
Je reçus vers le même temps des lettres et des courriers m'annonçant
que les Parthes et les Arabes s'étaient approches en force
d'Antioche, et qu'un corps nombreux de leur cavalerie, ayant pénétré
dans la Cilicie, avait été taillé en pièces par un gros de mes
escadrons, réuni à une cohorte prétorienne qui formait la garnison
d'Épiphania. , Alors voyant les Parthes tourner le dos à la
Cappadoce, et menacer les frontières de la Cilicie, je me portai à
marches forcées sur le mont Amanus. J'appris en arrivant que
l'ennemi avait fait retraite, et que Bibulus occupait Antioche. J'en
instruisis à l'instant Déjotarus, qui m'amenait un renfort
considérable en cavalerie et infanterie, se faisant suivre de toutes
ses forces. Je lui représentai que son absence de ses États était
désormais sans motif, et que, s'il survenait du nouveau, je lui
expédierais aussitôt lettres et courriers. — J'étais venu avec
l'intention d'opérer selon le besoin dans l'une et l'autre province,
et je n'en étais pas à m'apercevoir qu'il importait à toutes deux de
pacifier le mont Amanus et de purger son sol d'une population
éternellement hostile. C'est à quoi je m'appliquai. Je simulai un
mouvement en arrière de la montagne dans la direction d'un autre
point de la Cilicie, je m'éloignai ainsi d'une journée, et je campai
près d'Épiphania. Puis, le 4 des ides d'octobre, vers le soir, je
revins brusquement sur mes pas, marchant toute la nuit avec tant de
diligence que le 3 au point du jour, mon armée gravissait déjà les
pentes de l'Amanus. J'avais formé divers corps d'attaque de mes
cohortes et des auxiliaires. J'en commandais un conjointement avec
mon frère Quintus. Un autre était confié à C. Pomptinius; et le
reste à mes deux autres lieutenants M. Annéius et L. Tullius. Nous
tombâmes sur l'ennemi. La plupart saisis à l'improviste furent tués
ou pris, toute retraite ayant été coupée. Érana est le chef-lieu de
la montagne, et c'est moins un bourg qu'une ville. La défense y fut
longue et acharnée, ainsi qu'à Sepyra et à Commoris. Pomptinius qui
commandait de ce côté attaqua avant le jour. On se battit jusqu'à la
dixième heure; et après un grand carnage, la ville fut emportée. Six
forteresses subirent le même sort. Nous en brûlâmes un pi us grand
nombre. — Après cette expédition, je campai quatre jours au pied de
la montagne, près des autels d'Alexandre. J'employai tout ce temps à
balayer les hauteurs des débris qui s'y étaient jetés, et à ravager
toute la partie du territoire qui confine à ma province. De là je
conduisis mon armée a Pindénissum, ville de l'Éleuthéro-Cilicie.
Elle est située sur un pic très-élève, et
229 munie de formidables
défenses. Ses habitants n'ont jamais reconnu aucune domination. Ils
donnaient asile à tous les fugitifs, et je les savais impatients de
voir arriver les Parthes. Je crus qu'il fallait, pour l'honneur du
nom romain, châtier leur audace, et du même coup imposer aux autres
peuplades ennemies de la domination romaine. Je commençai par ouvrir
autour de la ville une tranchée continue, surmontée d'une redoute,
et garnie de six espèces de châteaux; donnant à mes lignes un
développement proportionné. L'assaut fut livré à l'aide de
mantelets, de fascines et de tours mobiles. Enfin à grand renfort de
machines et de traits, avec un labeur excessif pour moi, mais sans
dommage ni frais pour les alliés, je parvins le cinquante-septième
jour au but de mes efforts. La ville était de tous côtés abîmée ou
brûlée. Les habitants se rendirent à discrétion. Leurs voisins, les
Tibarans, étaient leurs émules en brigandage et en audace.
Pindénissum une fois en mon pouvoir, je reçus d'eux des otages. Cela
fait, mes troupes prirent leurs quartiers d'hiver. Je chargeai mon
frère de ce soin, lui recommandant de les distribuer dans les
cantons récemment occupés, ou d'une soumission douteuse. — Ce que
j'ai maintenant à vous dire, mon cher Caton, c'est que si ces
détails sont communiqués au sénat, votre suffrage sur les honneurs à
m'accorder serait pour moi la plus haute des récompenses. Il est
passé en usage entre les hommes les plus graves de recevoir et
d'adresser de pareilles prières. J'imagine faire mieux de m'en
abstenir avec vous et de me borner à l'exposé des faits. N'est-ce
pas vous en effet, de qui j'ai tant de fois rencontré l'appui,
lorsque mon nom s'est trouvé eu cause? vous qui, dans les
conversations familières comme dans les discours publics, devant le
sénat, comme devant le peuple, m'avez élevé au ciel par vos
louanges? vous dont la voix me paraît toujours si imposante, qu'un
seul mot d'éloges, tombé sur moi de votre bouche, a plus de prix à
mes yeux que tout le reste ensemble? vous qui, refusant un jour, je
m'en souviens, de voter des actions de grâces à un homme illustre, à
un excellent citoyen, vous déclariez prêt à y souscrire si l'on en
reportait l'honneur aux actes de son consulat? vous qui m'avez jugé
digne moi-même de cet honneur, quand je n'avais encore revêtu que la
toge, et qui voulûtes qu'à la formule banale pour services rendus,
on substituât un décret : pour avoir sauvé la république ? — Je ne
parle pas du zèle qui vous a fait offrir votre tête à la haine, aux
périls, à tous les orages qui ont menacé la mienne ; zèle dont il
n'aurait tenu qu'à moi de prolonger encore l'épreuve, et qu'il m'eût
été surtout difficile de méconnaître, lorsque vous déclarâtes que
mon ennemi était votre ennemi ; et, qu'après sa mort, vous vîntes en
plein sénat proclamer cette mort juste, et prendre en main la
défense de Milon. Les témoignages que je vous ai donnés de mon côté,
je ne les citerai point pour m'en faire un titre, mais pour vous
montrer que je ne suis pas resté le muet admirateur de vos éminentes
vertus. Qui ne vous admire, en effet? Mais dans mes discours, dans
mes opinions, dans mes plaidoyers, dans mes ouvrages, en grec, en
latin, sous toutes les formes d'expression de ma pensée, je vous ai
proclamé supérieur à tous nos contemporains, et même à tous les
personnages historiques. — Peut-être me demanderez-vous comment il
se fait que je tienne tant à ce je ne sais quoi de félicitations et
d'honneurs que j'attends du sénat. Je répondrai avec la franchise
230 que comportent nos
communes sympathies, les services que nous nous sommes mutuellement
rendus, notre vive amitié, la liaison de nos pères. S'il est un
homme au monde que sa nature et plus encore, je le sens, ses
réflexions et ses études éloignent du goût d'une vaine gloire et des
applaudissements du vulgaire, cet homme à coup sûr, c'est moi.
Témoin mon consulat où je n'ai cherché, comme dans tout le reste de
ma carrière , que ce qui donne la gloire solide. La gloire pour la
gloire ne m'a jamais tenté. Aussi m'a-t-on vu dédaigner une province
favorisée, et l'espoir assuré du triomphe. Je n'ai pas non plus
ambitionné le sacerdoce qu'il m'était, à votre avis du moins, si
facile d'obtenir. Mais aussi après l'injure que je reçus, injure
qualifiée par vous de calamité publique, et que je regarde, moi,
bien plutôt comme un titre d'honneur que comme une calamité
personnelle, on m'a vu mettre le plus grand prix et à l'opinion du
sénat et du peuple romain et aux témoignages qui la pouvaient mettre
en évidence. C'est ainsi qu'on m'a vu prétendre à l'augurât que
j'avais naguère dédaigné. C'est ainsi que ces honneurs que le sénat
décerne à la vertu militaire, honneurs dont j'étais si peu ambitieux
jadis, je les recherche aujourd'hui. C'est qu'il y a là comme un
reste de sentiment de mes anciennes blessures. Il me faut votre aide
pour achever de les guérir; et moi qui tout à l'heure déclarais ne
pas vouloir vous rien demander, je vous le demande au contraire de
la manière la plus formelle, en tant toutefois que mes titres ne
vous paraîtraient pas trop grêles et de trop misérable nature, mais
seraient de taille et d'importance à vous faire convenir que souvent
le sénat a décerné les plus grands honneurs à bien meilleur marché.
J'ai observé (vous savez avec quel soin je recueille vos paroles)
que pour vous décider à accorder ou à refuser des honneurs, vous
faites moins acception des hauts faits du général que de l'ensemble
du caractère, des principes et de la conduite. Appliquez-moi cette
règle et vous verrez que presque sans année, sous la menace d'une
guerre formidable, je me suis fait fort et puissant par la justice
et la modération. J'ai obtenu dans cette voie des résultats que
toutes les légions du monde ne procureraient jamais. Nous avions des
alliés dont la fidélité était douteuse, j'en ai fait des amis pleins
de zèle. D'autres nous trahissaient; nous n'avons pas aujourd'hui de
serviteurs plus dévoués. Tous les esprits flottaient dans l'attente
d'un changement de domination, je les ai ramenés à l'habitude de
l'ancienne. — Mais c'est trop parler de moi, surtout à vous qui êtes
en possession presque exclusive de recevoir les doléances de nos
alliés. Vous saurez d'eux que mon administration leur a rendu la
vie. Ils n'auront qu'une voix pour rendre de moi les témoignages qui
peuvent le plus me flatter; et dans ce concours, vos deux clientèles
les plus considérables, l'île de Chypre et le royaume de Cappadoce,
ne resteront pas en arrière. Je ne pense pas non plus que le roi
Déjotarus fasse faute à ce concert d'hommages, lui qui vous est
attaché d'une amitié si intime. Si la véritable grandeur est là; et
si, dans le cours des siècles, il s'est trouvé plus d'hommes sachant
vaincre leurs ennemis, que d'hommes sachant vaincre leurs passions,
il est tout à fait digne de vous d'en apprécier, d'en estimer
davantage ce mérite militaire quand vous le trouvez associé à de
plus rares et de plus difficiles vertus. — Pour dernier
231 argument et comme en
désespoir de cause, je ferai appel auprès de vous à la philosophie
que j'ai toujours regardée comme ma meilleure amie, et comme le plus
beau présent des Dieux au genre humain. Oui cette communauté
d'études et de travaux auxquels nous nous sommes voués de concert
depuis notre enfance, cette ardeur mutuelle qui, par un exemple
resté jusqu'ici sans imitateurs, nous a fait introduire au forum, au
milieu des affaires publiques et jusque dans les camps, la véritable
et antique philosophie, que certaines gens ne croient bonne que pour
des désœuvrés et des oisifs; voilà ce qui vous parle en ma faveur,
et ce qu'il n'est pas permis à Caton de ne point écouter. Soyez
persuadé que si cette lettre vient à déterminer votre suffrage pour
la distinction que je sollicite, je croirai devoir à votre haute
influence et à votre amitié tout ensemble l'accomplissement du plus
cher de mes vœux.
244. A
C.MARCELLUS, CONSUL DÉSIGNÉ. Cilicie, janvier.
F. XV, 10. Puisque le ciel a
comblé l'un de mes vœux les plus chers, et donné aux Marcellus et
aux Marcellinus les admirables sentiments que tous ceux de leur race
et de leur nom ont toujours eus pour moi ; puisqu'il a permis qu'il
y eût coïncidence de mes actions et des honneurs que j'en puis
tirer, avec l'époque de votre consulat, je vous adresse une prière
dont l'accomplissement vous sera facile, pour peu que le sénat,
comme je m'en flatte, ne s'en montre pas éloigné. C'est que le
sénatus-consulte qui sera rendu après la lecture de mes dépêches
soit conçu dans les termes les plus honorables pour moi. Si j'étais
moins lié avec vous qu'avec les autres membres de votre famille,
j'invoquerais près de vous ceux dont vous me savez le plus
tendrement aimé. Que de oien m'a fait votre père! qui jamais fut
plus ardent à me pousser ou à me défendre? Et votre frère? Personne,
je crois, n'ignoré le cas qu'il fait, et a toujours fait de moi.
Dans votre maison ce fut toujours à qui me comblerait de bons
offices. Et sous ce rapport vous n'êtes en reste avec aucun d'eux.
Je vous demande donc avec instance de me porter le plus haut
possible; et tenez-vous pour dit que pour la supplication comme pour
le reste, je mets ma gloire entre vos mains.
245. — A L.
PAULLUS, CONSUL. Cilicie, janvier.
F. XV, 13. Que je voudrais être
avec vous à Rome! Les raisons ne me manquent pas. En première ligne,
vous m'auriez vu et dans la poursuite et dans l'exercice de votre
consulat, montrer pour vous un zèle trop légitime. Quoique je n'aie
pas douté un instant du succès de votre candidature, j'aurais tenu à
mettre moi-même la main à l'œuvre. Aujourd'hui que vous êtes en
charge, je vous souhaite assurément le moins de difficultés
possibles. Pourtant je souffre de voir qu'après avoir profité de
votre jeune ardeur, quand j'étais consul, je ne puis, aujourd'hui
que vous êtes consul à votre tour, mettre à votre service les fruits
de ma vieille expérience. — Mais il se fait, par je ne sais quelle
fatalité, que vous êtes toujours en position de me servir; et que je
ne puis jamais vous offrir en retour que des vœux impuissants. Vous
m'avez secondé brillamment pendant mon consulat, non moins bril-
232 lamment lors de mon
rappel. Enfin vous êtes consul au moment précis où ma gestion va
être jugée. Et quand votre haute dignité, l'éclat dont elle vous
entoure, l'intérêt même de ma réputation et de ma gloire
sembleraient justifier de ma part quelques efforts d'esprit et
d'éloquence pour vous prier de rendre un sénatus-consulte qui
m'exalte le plus possible, je n'ose employer ces grands moyens :
j'ai peur d'avoir l'air d'un homme qui oublie quels ont été
constamment vos sentiments pour moi, ou qui vous croit vous-même
capable de les oublier. — Je connais votre goût et je m'y conforme;
vous n'aurez donc que peu de mots de moi, vous à qui l'univers sait
que je dois tout. Avec d'autres consuls, je m'adresserais tout
d'abord à vous, Paullus, pour me les rendre favorables. Mais puisque
le pouvoir est entre vos mains, que vous exercez la suprême
influence et que notre amitié est un fait notoire, c'est à vous
directement que je demande un décret rédigé le plus honorablement
possible, et qui ne se fasse pas attendre trop longtemps. Les
lettres officielles que je vous ai adressées à vous, à votre
collègue et au sénat, vous feront connaître si ce que j'ai fait
mérite honneur et félicitations. Acceptez mandat de moi pour tous
mes intérêts, surtout pour celui de ma gloire. Et je vous en prie,
veillez notamment à ce que mes pouvoirs ne soient pas prorogés. Je
vous l'ai demandé déjà dans toutes mes lettres. Je veux vous voir
consul. Tant que vous Le serez, je me flatte de tout obtenir de loin
comme de près.
246. A C.
CASSIUS, PROQUESTEUR. Cilicie, janvier.
F. XV, 14. Vous me recommandez
Fabius, et cette recommandation me vaudra, dites-vous, son amitié.
Le beau présent que vous me faites, à moi, qui depuis des siècles, y
ai des droits et qui ai toujours aimé sa grâce et ses bonnes
manières! Mais puisque vous l'aimez tant, il faut bien que je l'aime
un peu plus. Sans doute votre lettre a fait beaucoup. Pourtant ce
qui fait plus encore, ce sont les sentiments dont il est animé pour
vous, et que j'ai été à même de reconnaître et d'apprécier. — Ne
doutez pas de mon empressement à répondre à votre désir; mais
pourquoi ne pas venir vous-même? j'avais tant de raisons de le
désirer. D'abord le plaisir de voir, après une séparation si longue,
un homme que j'estime si fort; puis celui de vous répéter de vive
voix des félicitations que je n'ai pu vous faire que par lettres, et
cette liberté de nous communiquer, moi à vous, vous à moi, tout ce
qui nous aurait passé par la tête. Enfin après une si longue
interruption de nos rapports , et de ces services mutuels qui nous
rendaient l'un à l'autre notre amitié si chère, nous en aurions
encore resserré les nœuds. — Puisque ce bonheur ne nous est pas
donné, s'écrire est un bien ; usons-en ; et ce que nous aurions fait
réunis , faisons-le tout absents que nous sommes. Ma première joie
eût été de vous voir; celle-là ne se remplace point par lettres. Mes
félicitations mêmes ne peuvent avoir la même effusion que si je vous
avais là devant moi pour les recevoir; je vous en ai déjà adressé
pourtant et je vous en adresse encore ici, soit pour avoir fait de
grandes 233 choses dans votre
province, soit pour l'avoir quittée à propos, avec gloire, et
emportant ses regrets. Quant à nos affaires, il est facile d'y
suppléer par écrit : je pense que sous plusieurs rapports, il vous
importe de hâter votre retour à Rome. On y était très-bien pour vous
à mon départ, et j'augure que, revenant après une grande victoire,
votre rentrée aura de l'éclat. Si la position de quelques-uns des
vôtres n'est pas nette, et si vous êtes en mesure de la débrouiller,
accourez vite, rien ne sera plus digne et ne vous fera plus
d'honneur. Mais si les choses sont trop graves, prenez garde;
n'allez pas vous compromettre en brusquant votre retour. En cela.
vous n'avez à prendre conseil que de vous-même. Vous seul savez ce
que vous pouvez faire. Êtes-vous sûr de vous? Osez. Il y a honneur
et popularité au bout. Ne l'êtes-vous pas? absent, on laisse aux
attaques moins de prise. — Pour moi, j'ai toujours la même prière à
vous faire : mettez tous vos efforts à ce qu'on n'allonge pas si peu
que ce soit la mission que la volonté du sénat et du peuple ne m'a
donnée que pour un an. C'est à quoi je tiens comme à mon existence.
Vous trouverez Paullus admirablement disposé; il y a aussi Curion;
il y a Furnius. Supposez qu'il y va de tout pour moi et agissez en
conséquence. — II me reste à parler de cette amitié dont je voulais
resserrer les chaînes : peu de mots suffiront. Jeune, vous me
recherchiez avec passion, et moi, j'ai toujours pensé que vous
seriez un des ornements de ma vie. Vous avez fait plus. Vous m'avez
défendu au temps de mes disgrâces. J'ajoute que depuis votre départ
je me suis lié étroitement avec votre cher Brutus. Il n'y a que
plaisir et honneur à se lier avec des gens de mérite et d'esprit
comme vous. Je compte de mon côté sur l'appui de votre amitié.
Répondez-moi de suite, et écrivez-moi de Rome aussi souvent que vous
le pourrez.
247. DE CÉLIUS
A CICÉRON. Rome. janvier.
F. VIII, 6. Vous le savez sans
doute, Dolabella accuse Appius qui certainement rencontre moins de
défaveur que je ne le supposais. 11 est vrai qu'il n'a pas été
maladroit. A peine Dolabella at-il paru au tribunal, qu'Appius est
entré dans Rome, renonçant ainsi au triomphe. Par là, il a coupé
court aux propos et dérouté Dolabella qui aura moins de prise sur
lui. Maintenant tout son espoir est en vous. Je sais que vous n'avez
pas de haine dans le cœur. II ne tient donc qu'à vous d'en faire
votre obligé au degré qu'il vous plaira. Sans vos altercations, vous
auriez aujourd'hui vos coudées plus franches. Seulement prenez
garde, en vous tenant trop strictement dans la ligne du droit, de
rendre suspectes la franchise et la sincérité de votre
réconciliation. Il est sans inconvénient au contraire de vous
montrer un peu favorable; on ne dira point que l'affection, le
sentiment vous ont écarté du devoir. Ah ! que je n'oublie pas de
vous le dire. Dans l'intervalle en tre la requête et la citation, la
femme de Dolabella l'a quitté. — Je me souviens de ce que vous me
dites en partant, et vous n'avez pas sans doute oublié ce que je
vous écrivis à mou tour. Le moment n'est pas venu d'en dire
davantage. Cependant je vous donnerai un conseil. Si la chose ne
vous déplaît pas, gardez-vous à présent d'en
234 rien laisser paraître
et attendez l'événement du procès. La moindre manifestation pourrait
devenir une arme contre vous. On ne manquerait pas de s'en emparer,
et de donner à l'instant une publicité aussi contraire aux
bienséances qu'à vos intérêts. Lui surtout aurait grand soin de
répandre un incident qui lui viendrait si à propos, et dont l'éclat
serait si favorable à sa cause; car il est homme à ne savoir se
taire même sur ce qui peut lui nuire le plus. — On dit que Pompée
s'intéresse vivement à Appius. On croit même qu'il vous enverra l'un
ou l'autre de ses fils. Ici, on acquitte tout le monde, et, par
Hercule, on ne voit que corruption, ignominie et saleté. Nous avons
des consuls d'une activité prodigieuse; ils ne sont pas encore
parvenus à faire un seul sénatus-consulte, sauf celui des fériés
latines. Le tribunal de notre ami Curion n'est pas moins à la glace.
Enfin on ne saurait dire à quel point ici tout languit et
s'affaisse. Sans mes démêlés avec les boutiquiers et les porteurs
d'eau, l'engourdissement gagnerait toute la ville. Que les Parthés
donnent donc un coup de fouet de votre côte, ou nous allons tomber
tous en léthargie. Tâchons cependant, quoi qu'il en soit, de nous
passer des Parthes. Bibulus a perdu quelques malheureuses petites
cohortes au mont Amanus. Ce sont les termes de la relation. — Ainsi
que je vous le disais tout à l'heure, Curion ne donnait signe de
vie. Le voilà qui se réveille. On le travaille sévèrement de tous
côtés. Dans sou humeur de n'avoir pas obtenu d'intercalation, il
s'est retourné avec une légèreté sans pareille du côté du peuple, et
s'est mis à parler pour César. Le voilà qui jette en avant une loi
sur les chemins dans le genre de la loi agraire de Rullus, et une
loi sur les subsistances qui prescrit aux édiles d'établir des
mesures. Rien de tout cela n'était encore fait au moment où je vous
écrivais la première partiede cette lettre. Soyez bon pour moi, et
si vous faites quelque chose pour Appius, que j'en aie près de lui
tout l'honneur. Ne vous laissez pas entamer touchant Dolabella; ce
que je vous conseillais tout à l'heure, votre considération et
l'opinion qu'on a de votre équité, vous le conseillent également.
Quelle honte pour vous, si je n'avais point de panthères de la Grèce
!
248. — DE
CÉLIUS A CICÉRON. Rome, janvier.
F. VIII, 7. Je ne sais s'il
vous-tarde de quitter ces contrées lointaines; il me tarde à moi de
vous en voir dehors; et d'autant plus que jusqu'ici la fortune vous
a souri. Tant que vous êtes là-bas, cette guerre des Parthes me
tourmente, et je ne puis rire de bon cœur de l'affaire en question.
Je n'ai que le temps de donner ce mot très-court au messager des
publicains qui est très-pressé, et qui me prend à ('improviste. Mais
je vous ai écrit très au long hier par votre affranchi. — Rien de
nouveau d'ailleurs; pourtant voici qui vous intéressera peut-être.
Le jeune Cornificius est fiancé à la fille d'Orestilla. Paulla
Valéria, sœur de Triarius, a fait divorce sans motif, et le jour
même où son mari devait être de retour de sa province. Elle doit se
remarier avec D. Brutus. Est-ce que ceci dérange vos calculs? Nous
avons de ces surprises-là en foule depuis votre départ. Servius
Ocella, par exemple, n'aurait pu se donner pour séducteur à personne
, si on ne l'eût pris sur le fait deux fois en trois jours. Avec qui
donc? direz-vous, par Hercule, avec qui? je n'en voudrais pas pour
mon compte; mais allez le demander à d'autres. Que j'aie un peu le
plaisir de voir un général vic-
235 torieux dire à tout venant : Avec quelle femme a-t-on
donc surpris un tel , s'il vous plait?
249. — A APP1US
PULCHER. Laodicée, janvier.
F. III, 7. Vous aurez une plus
longue lettre , quand j'aurai plus de loisir. Je vous écris bien
vite aujourd'hui pour profiter des esclaves de Brutus que je
rencontre à Laodicée et qui se rendent, disent-ils, à Rome en toute
hâte. Je ne leur remets de lettres que pour vous et pour Brutus. -
Les députés Appiens m'ont adressé tout un volume de plaintes fort
injustes sur ce que j'arrête la construction de leur édifice. Vous
me demandez de lever l'interdiction au plus vite, afin que l'hiver
ne survienne pas durant les travaux. Et là-dessus vous êtes venu à
bout de me faire un crime d'avoir suspendu toute perception jusqu'à
autorisation donnée par moi en connaissance de cause ; ce qui ne
serait qu'un calcul pour tout empêcher, mes informations ne pouvant
être prises avant l'hiver, époque où j'aurais quitté la Cilicie.
J'ai répondu à tout ; et vous verrez comme vos récriminations sont
justes. En premier lieu , on est venu à moi se plaindre d'impôts
intolérables. Ai-je eu tort de suspendre jusqu'à examen le
recouvrement de ces impôts? Mais je ne pouvais sciemment, ce sont
vos termes, procéder à cet examen avant l'hiver. Était-ce donc à moi
d'aller chercher les renseignements, ou était-ce à eux de me les
apporter? Il y a si loin? direz- vous. Eh quoi! quand vous leur
remettiez une lettre pour me prier de ne point les empêcher de bâtir
avant l'hiver, supposiez- vous qu'elle ne me parviendrait point?
Elle m'est parvenue en effet, mais c'était une dérision ; car les
premiers froids s'étaient déjà fait sentir quand ils sont venus,
cette lettre à la main, me demander la permission de bâtir pendant
l'été. Or, vous saurez que ceux qui refusent l'impôt sont bien plus
nombreux que ceux qui y consentent. Mais je n'en tâcherai pas moins
de vous complaire en cela. Voilà pour les Appiens. — J'ai entendu
dire à Pausanias, affranchi de Lentulus et mon accensus, que vous
vous étiez plaint à lui de ce que je n'avais pas été au-devant de
vous. J'aurais cru déroger sans doute, et l'on n'est pas plus
hautain que moi. Lorsque votre esclave vint, presqu'à la seconde
veille de la nuit et qu'il m'annonça que vous comptiez être à
Iconium avant le jour, sans me dire quelle route vous suiviez (il y
en a deux), j'envoyai à votre rencontre d'un côté Varron votre ami,
de l'autre Q. Lepta, intendant de mes ouvriers, avec ordre à chacun
de revenir me donner avis de votre rencontre, pour que je pusse me
porter moi-même au-devant de vous. Lepta revint tout courant
m'annoncer que déjà vous aviez laissé le camp derrière vous. Je me
rendis à l'instant à Iconium, vous savez le reste. Moi, ne pas aller
au-devant de vous! Au devant d'Appius; d'un impérator, quand c'est
un usage immémorial, et surtout quand cet Appius, cet imperator est
un ami? moi qui dans ces circonstances vais toujours au delà de ce
qui convient à mou rang et à mon caractère. Je n'en dirai pas plus.
Pausanias ajoute qu'il a entendu ces mots de votre bouche : comment
! Appius va au-devant de Lentulus; Lentulus au-devant d'Appius; et
Cicéron ne se dérange pas pour Appius ! Mais dites-moi, je vous
prie, vous que je reconnais pour un
236 homme si sage, si
instruit, vous qui avez surtout cette connaissance du monde , que
les Stoïciens ont bien raison d'appeler une vertu, est-ce que vous
croyez que l'avantage de s'appeler ou Appius ou Lentulus, que toute
cette friperie de noms passe à mes yeux avant le mérite propre de
l'individu? Avant même que j'eusse atteint ce qui est au-dessus de
tout dans l'opinion des hommes , je n'étais pas ébloui de tous vos
grands noms ; j'en reportais la gloire à ceux qui vous les ont
laissés. Aujourd'hui que j'ai obtenu et exercé les plus hauts
emplois de manière à ce qu'il ne me reste rien à acquérir, ce semble
, en fait de distinctions comme de gloire, je me flatte d'être
devenu non pas votre supérieur sans doute, maisbien votre égal. Et
certes, je ne connus jamais d'autre manière de voir ni à Cn. Pompée,
te premier des humains, ni à Lentulus que je mets bien audessus de
moi. Si ce n'est pas la vôtre , vous ne feriez pas mal de relire
avec soin ce qu'en dit Athénodore, fils de Sandon. Vous y apprendrez
ce que c'est que naissance et ce que c'est que noblesse. — Revenons.
Soyez persuadé que j'ai pour vous de l'amitié, beaucoup d'amitié.
Toute ma conduite vous le prouvera à n'en pas douter. Quant à vous,
si vous ne jugez pas devoir en mon absence faire autant pour moi que
j'ai fait pour vous, mettez- vous l'esprit en repos là-dessus. — «
Assez d'autres s'occuperont de moi , et Jupiter lui-même sera mon
conseiller. » S'il est dans votre humeur de vous plaindre; vous
aurez beau faire, vous ne changerez pas mes dispositions à votre
égard. Il arrivera seulement que je montrerai plus d'indifférence
sur la manière dont vous prenez ce qu'on fait pour vous. Je vous ai
parlé avec liberté, parce que j'ai la conscience des bons sentiments
qui m'animent. Ces sentiments, je les ai pris avec réflexion, et ils
vous sont acquis pour aussi longtemps que vous voudrez.
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