Cicéron : Correspondance

CICÉRON

 

CORRESPONDANCE (lettres 550 à 599)

500-549  600-649

 

ŒUVRES COMPLÈTES DE CICÉRON AVEC LA TRADUCTION EN FRANÇAIS PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE M. NISARD DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE; INSPECTEUR GÉNÉRAL DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR - TOME CINQUIÈME - PARIS - CHEZ FIRMIN DIDOT FRÈRES, FILS ET Cie. LIBRAIRES - IMPRIMERIE DE L'INSTITUT DE FRANCE - RUE JACOB, 56 - M DCCC LXIX

 

 

AVERTISSEMENT.

LETTRES DE M. T. CICÉRON.

NOTA. Parmi les suscriptions ou adresses de ces lettres, ainsi que les formules ordinaires de politesse qui les commencent ou les terminent, nous n'avons conservé et traduit que celles qui nous ont paru se lier au contenu des lettres, et qui marquent une intention particulière de l'auteur. Ces exceptions même serviront à appeler l'attention, plus que l'on ne l'a fait jusqu'ici, sur les passâmes qui en seront l'objet.

Il n'y avait pas de motif, ni scientifique, ni de commodité, en publiant ces lettres par ordre chronologique, d'en partager le recueil en un certain nombre de livres, comme l'a fait Wieland, dans la traduction allemande qu'il en a donnée.  Il suffit, pour la clarté, qu'on trouve, en tête de chaque page le chiffre de l'année. C'est la division la plus naturelle, et la seule qui ne soit pas arbitraire.

Chaque texte porte, outre un numéro d'ordre, un numéro de renvoi à l'ancienne division des lettres en quatre recueils distincts, subdivisés eux-mêmes en livres. Ces renvois indiquent le titre du recueil, le numéro du livre, celui de la λettre. Ainsi, A. 1,2. signifie Lettres à Atticus, livre I, lettre 2; Q. signifie Lettres à Quintus; F., Lettres dites familières, et qui seraient plus proprement appelées Lettres à divers; B., Correspondance de Brutus et de Cicéron.

Les alinéa sont indiqués par des — sauf dans la très longue lettre en forme de traité, de Cicéron à Quintus, sur l'administration de l'Asie. Les signes A. DE. R.... AV. J. C... DEC...., qui sont répétés en tête de chaque année, veulent dire An de Rome.... Avant Jésus-Christ.... Age de Cicéron.

 




 

 

550. — A ATTICUS. Asture, mars.

A. XII, 20. Vous ne savez pas encore, je le vois, à quel point je me soucie peu d'Antoine, ni de quoi que ce soit en ce genre. Je vous ai parlé de Térentia dans ma lettre d'hier. Vous voudriez, et vous n'êtes pas le seul, dites-vous, me voir prendre un peu plus sur moi pour cacher ma douleur. Mais que puis-je faire de plus que de passer mes journées entières à écrire? Et cela non point, il est vrai, pour cacher ma peine, mais pour tenter sérieusement de la soulager et de la guérir. Si je n'y réussis pas, du moins fais-je assez pour le monde. - Ma lettre sera courte, parée que j'attends votre réponse à mes observations d'hier, principalement sur ce qui regarde le temple, et aussi sur Térentia. Faites-moi le plaisir de me dire dans votre plus prochaine lettre si le naufrage où périt Cn. Cépion, père de Servilia, femme de Claude, est arrivé du vivant ou après la mort de son père; et si c'est avant ou après le décès de son fils C. Cotta, qu'a eu lieu la mort de Rutilia. Ces questions se rapportent à l'ouvrage dont je m'occupe sur les consolations.

551. — A DOLABELLA. Asture, mars.

F. IX, 11. Ah! que n'a-t-on a vous expliquer mon silence par ma mort, plutôt que par le coup affreux dont je suis frappé! Ma douleur serait plus calme, si je vous avais près de moi. Votre sagesse et votre affection en adouciraient l'amertume. Mais je vous verrai bientôt sans cloute. Vous me trouverez encore bien triste, et votre présence me sera d'un grand secours. Dans mon accablement toutefois je n'oublie pas que je suis homme, et que je dois soutenir le poids de mon triste destin. Mais j'ai perdu cette gaieté, cet enjouement que vous aimiez plus que personne. Du reste, vous retrouverez en moi autant de constance et de fermeté que j'en eus jamais. Vous avez, dites-vous, beaucoup de luttes à soutenir pour mon compte. Je me soucie peu, je vous assure, qu'on impose silence à mes détracteurs. Ce qui me touche, c'est que vous m'aimiez, et le témoigniez hautement. Oh! pour cela, faites-le, faites-le : je vous le demanderai toujours. Pardonnez-moi de ne pas vous en écrire davantage. Nous allons nous voir bientôt ; et je suis à peine eu état d'écrire.

552. - A ATTICUS. Asture, mars.

A. XII, 21. J'ai lu la lettre de Brutus et je vous la renvoie. Il met assurément bien peu de convenance dans ses réponses à vos observations : c'est son affaire, mais il devrait rougir de son ignorance. Il croit que c'est Caton qui le premier ouvrit l'avis de la peine capitale ; mais avant Caton, tous, excepté César, avaient déjà voté dans ce sens: et quand César lui-même, qui ne siégeait alors qu'aux rangs des préteurs, tint un langage si sévère, il s'imagine qu'aux rangs consulaires les Catulus, les Servilius, les Lucullus, les Curions, les Torquatus, les Lépides, les Gellius, les Volcatius, les Figulus, les Cotta, les Lucius Césars, les Pisons, et même que, parmi les consuls désignés, les M'. Glabrion, les Silanus, les Muréna auraient montré plus d'indulgence! Pourquoi Caton a-t-il attaché son nom au décret? uniquement parce qu'en exprimant la même opinion que les autres, il y mit plus de développements et d'énergie Brutus me loue cependant, mais comme rapporteur de l'affaire. D'ailleurs pas un mot de la conjuration découverte, du mouvement imprimé au sénat, de l'arrêt que j'avais déjà rendu même avant de recueillir les voix ; toutes choses que Caton éleva jusqu'aux nues, et dont il voulut que mention spéciale fût insérée au décret; c'est ce qui fit que son vote emporta la décision, Brutus croit me faire beaucoup d'honneur en m'appelant un excellent consul. Mais un ennemi, je vous le demande, emploierait-il une expression plus sèche? Et comment répond-il sur le reste? Il vous prie seulement de rectifier ce qui se rapporte au sénatus-consulte. Quand il aurait pris leçon d'un Ranius, il ne parlerait pas autrement; mais, encore. une fois, c'est son affaire. — Puisque vous êtes d'accord avec moi sur les jardins, mettez-vous à l'œuvre, je vous prie. Vous connaissez ma situation. Si je parviens à tirer quelque chose de Fabérius, l'affaire ira toute seule; même sans cela je puis encore me mettre, sur les rangs. Les jardins de Drusus sont certainement à vendre, peut-être aussi ceux de Lamia et de Cassius. Je ne saurais rien dire de mieux sur Térentia que ce que vous m'en écrivez. Le devoir, le devoir avant tout! s'il y a des torts, j'aime mieux en laisser peser la responsabilité sur elle que sur moi. Cent mille sesterces sont à payer à Ovia, femme de C. Lollius. Éros dit ma présence indispensable; sans doute à cause de quelque estimation d'objets à prendre et a donner. Il aurait bien dû vous parler de cette affaire. Si tout est prêt, comme il me le mande (et, à cet égard, il ne dit rien qui ne soit vrai), vous pourriez me remplacer, faites-vous rendre compte de l'état des choses, je vous prie, et suppléez-moi. Moi, reparaître, au forum! au forum que j'avais abandonné avant même que ma fortune eût reçu aucune atteinte, Eh! qu'y ferais-je aujourd'hui! quand il n'y a plus de justice, plus de sénat ; quand il faudrait chaque jour me trouver face à face avec des gens dont la vue seule me révolte? L'opinion, dites-vous, me rappelle à Rome. On condamne mon absence; on ne veut pas du moins que je la prolonge. Eh bien! sachez d'abord qu'il y a un avis dont je fais plus de cas que de tous les autres ensemble, c'est le vôtre; que de plus je prétends, moi, ne pas me compter pour rien; enfin que j'ai ma manière de voir, crue je préfère à celle de tout le monde. Mon chagrin ne dépasse point les bornes qu'y mettent les philosophes, j'ai lu tout ce qu'ils disent sur ce sujet, et c'est déjà quelque chose pour un malade que de chercher le remède à ses maux. Mais ce n'est pas tout : j'ai fait passer la substance de leurs écrits dans le traité que je compose; ce qui n'est pas, ce me semble, la marque d'un esprit qui se laisse abattre et décourager. Gardez-vous donc d'interrompre ce régime de tranquillité, pour me rejeter dans la tourmente. Une rechute serait inévitable.

553. — A ATTICUS.

F. XII, 7. J'ai chargé Éros d'un billet qui répond I à toutes vos questions. Il est court, et pourtant il dit plus que vous n'en vouliez savoir. Cicéron y a trouvé place : c'est vous qui m'aviez mis sur la voie. Je lui ai parlé de façon à le satisfaire, et je voudrais, si l'occasion se présente, que vous le missiez vous-même sur ce chapitre : ou plutôt pourquoi vous faire attendre ce détail? je lui ai dit que c'était de mon aveu que vous l'aviez interrogé sur ses projets et ses besoins; que je connaissais son désir d'aller en Espagne et ses nécessités d'argent. Quant à l'argent, j'ai promis de le traiter à l'égal des fds de Publilius et de Lentulus le flamine. Quant à l'Espagne, j'ai élevé deux objections : la première que je vous ai faite à vous-même, c'est qu'il fallait craindre de se faire tort; que c'était déjà bien assez d'avoir quitte un drapeau, sans aller encore se ranger sous le drapeau contraire ; la seconde, que ce serait un supplice pour lui de voir son frère (son cousin, le fils de Quintus) devenu l'objet de toutes les préférences et de toutes les faveurs. J'ai ajouté qu'il me ferait plaisir en payant mes sacrifices par un peu de condescendance ; mais, après tout, je l'ai laissé le maître, car j'ai cru m'apercevoir que vous n'étiez pas très-opposé à son dessein. Je veux y penser et y repenser. Faites de même. Rester est le meilleur parti et le plus simple. L'autre est bien hasardeux. Enfin nous verrons. Je touchais aussi un mot de Balbus dans mon billet. Mon intention est d'attendre son retour, pourvu que son absence ne se prolonge pas trop. Sans cela, dans trois jours au plus tard. Ah ! j'oubliais de vous dire que Dolabella est ici avec moi.

554. — A ATTICUS. Asture, mars.

A. XII, 22. Me laisser l'embarras d'en finira avec Térentia! ah! je ne. reconnais pas là votre amitié, ce sont de ces plaies qu'on ne touche pas soi- I môme sans une extrême sensibilité. Votre médiation, je vous en conjure, votre médiation ! je ne demande rien que ce qui vous sera possible. Et pour savoir ce qu'il y a de bon à faire dans cette circonstance, il n'y a que vous. A l'égard de Rutilia, puisque vous n'êtes pas sûr de vos souvenirs, éclaircissez le fait et écrivez-moi ; mais le plus lot possible, je vous prie. J'ai besoin de savoir également si Clodia a ou non survécu à son fils D. Brutus le consulaire. Vous le saurez par Marcellus, ou mieux encore par Postumia. Adressez-vous pour l'autre ou à M. Cotla, ou à Syrus, ou à Satyrus. Et mes jardins, je vous en parle et reparlerai sans cesse. J'y emploierai toutes mes ressources, et j'ai des amis qui ne me manqueront pas. Mais j'espère y suffire seul. J'ai des valeurs d'une réalisation facile. Il est vrai que j'aimerais mieux ne rien vendre et servir des intérêts, en obtenant du temps du vendeur; un an, pas plus ; et j'aurai ce délai, pour peu que vous me secondiez. Ce qu'il y a de plus facile à acquérir sont les jardins de Drusus ; il veut vendre : après les siens, ceux de Lamia. Mais celui-ci est absent : auriez-vous moyen de pressentir ses dispositions? Silius en a aussi, et il n'en fait rien. Il se contenterait probablement d'une rente. Faites-en votre affaire, et ne vous arrêtez point, je vous prie, à des considérations tirées de ma position pécuniaire. Je ne m'en soucie nullement; ne considérez que ce que je veux et pourquoi je le veux.

555. — A ATTICUS. Asture, mars.

A. XII, 23. Quoique les affaires d'Espagne me. touchent fort peu, je m'attendais à des nouvelles, d'après le commencement de votre lettre. Vous ne vous occupez que de mes observations sur le forum et le sénat. Ma maison, dites-vous, sera mon forum : du moment qu'il n'y a plus de forum pour moi, qu'ai-je affaire de ma maison? La vie, mon cher Atticus, la vie est depuis longtemps éteinte chez moi ; elle l'est surtout depuis que j'ai perdu ce qui me la rendait chère. Aussi je cherche la solitude. Pourtant si je me trouvais ramené aux lieux où vous êtes, je me contraindrais, et je parviendrais môme à prendre assez sur moi pour dérober ma douleur à tous les yeux; aux vôtres même, s'il est possible. Autre motif pour rester : vous vous rappelez la démarche d'Alédius : je suis déjà persécuté ici; que serait-ce, si j'étais là-bas? — Faites pour Térentia tout ce que vous avez la bonté de m'écrire, et délivrez de ce surcroît d'amertume un cœur en proie à de cruelles souffrances. Cependant je veux vous prouver que la douleur ne m'absorbe pas. Vous avez consigné dans vos annales sous quels consuls Carnéade et les autres députés vinrent à Rome. Je voudrais savoir la cause qui les y amenait. L'affaire d'Orope, je le suppose ; mais je n'en suis pas certain. Dans ce cas, veuillez me rappeler leurs discussions; que je sache encore si, à cette époque, il y avait à Athènes quelque Épicurien fameux qui présidât au jardin, et quels philosophes politiques y étaient en renom. Je pense que vous pourrez trouver tout cela dans Apollodore. — J'apprends avec bien du regret qu'Attica est souffrante, mais son indisposition est légère, et j'espère qu'elle n'aura pas eu de suite. Ce que vous me dites de Gamala (fille de Ligus, morte) n'était pas douteux pour moi. Pourquoi donc Ligus serait-il un si heureux père? Que dirai-je, hélas ! de moi, que tout le bonheur du monde ne pourrait un moment consoler? — Le prix auquel les jardins de Dru-sus ont été acquis est bien celui dont on m'avait parlé, et je crois en avoir fait mention dans ma lettre d'hier. Mais coûte qui coûte; le prix n'est rien à qui ne peut se passer des choses. Quelle que soit a cet égard votre manière de voir, je sais ce qui est en moi, et je veux ôter ce poids de mon cœur. Ma douleur n'en diminuera pas; mais j'aurai payé une délie sacrée. Je viens d'écrire à Sica, parce que Cotta et lui se voient. Si rien ne se termine de l'autre côté du Tibre, il faudra voir, dans l'un des endroits les plus fréquentés d'Ostie, un bien qui appartient à Cotta. C'est très peu de chose, mais c'est plus que suffisant pour ce que je veux. Veuillez y réfléchir. Que le prix ne. vous fasse pas peur : les vaisselles, les ameublements, les maisons de plaisance ne sont pas un besoin pour moi; et ceci est un besoin. Je sais où m'adresser pour l'argent. Parlez donc a Silius : c'est ce qu'il y a de mieux. J'ai chargé également Sica de le voir. Sica me mande qu'il a pris jour; il m'écrira ce qu'il aura fait, et vous m'en direz votre avis.

556. — A ATTICUS. Asture, mars.

A. XII, 24. Silius m'a rendu service en transigeant, car je voulais répondre à sa confiance et je craignais de n'être pas en position. Soyez assez bon pour terminer avec Ovia, ainsi que vous me le marquez. Voyez, je crois, pour Cicéron le moment venu : mais une fois a Athènes, les fonds dont il aura besoin pourront-ils lui être comptés par la voie du change, ou sera-t-on obligé de lui envoyer des espèces? Examinez tout, je vous prie, et surtout le comment et le quand. Tous pourrez savoir d'Alédius si Publilius va en Afrique, et à quelle époque. Informez-vous-en, et écrivez-le-moi. Pour en revenir à mes impertinentes questions, je voudrais savoir si P. Crassus, fils de Vémiléia, est mort avant son père, P. Crassus le consulaire, comme je crois me le rappeler, ou seulement après. Je fais la même demande pour Régillus, fils de Lépide. Il me semble positivement que son père vivait quand il mourut. Ma mémoire est-elle fidèle? Tâchez d'éclaircir l'affaire de Cispius et de Précius. Je suis charmé des nouvelles d'Attica. Veuillez lui faire mes compliments, ainsi qu'à Pilia.

557. — A ATTICUS. Asture, mars.

A. XII, 25. Sica a été très-exact à me répondre sur Silius. Il m'annonce vous en avoir référé, et c'est ce que vous me mandez aussi. La chose et le prix, tout me convient ; mais j'aime mieux traiter argent comptant que par échange, car Silius ne voudrait pas d'une propriété de pur agrément ; et quant aux biens de rapport, si j'en ai assez, je n'en ai point trop. Reste à trouver l'argent. Vous pouvez d'abord demander à Hermogène ses six mille sesterces, c'est un cas de nécessité. J'en ai six mille autres chez moi. Pour ie reste, ou j'en servirai l'intérêt à Silius, en attendant Fabérius, ou je lui donnerai une délégation de Fabérius sur l'un de ses débiteurs. J'attends quelques antres rentrées d'ailleurs. C'est à vous, mon cher Atticus, a régler tout. Je préfère de beaucoup ces jardins-là à ceux de Drusus. Il n'y a pas de comparaison. Un seul motif me guide, croyez-le bien. Je conviens que cela touche à la manie, mais vous aurez pitié de moi jusqu'au bout. Quant à ce que vous me dites sur la vieillesse d'un citoyen, il ne s'agit plus de cela, et je pense à bien autre chose.

558. - A ATTICUS. Asture, mars.

A. XII, 26. D'après ce que me mande Sica, il arrivera le 10 des kalendes, même quand il n'aurait rien conclu avec Silius. J'accepte l'excuse de vos occupations, je les connais. Que vous ne répugniez pas à vivre avec moi; que vous le souhaitiez même et le désiriez avec ardeur: c'est ce dont je ne puis douter. Je ne suis pas en état de profiter de la bonté de Nicias : autrement, il n'y a personne dont je préférasse la société à la sienne; mais malheureusement la solitude et la retraite me sont imposées. Sica s'en arrangerait, et mon regret en est d'autant plus vif. Ensuite vous connaissez la pauvre santé de Nicias, ses habitudes de mollesse, les exigences de son régime. Pourquoi donc m'exposerais-je à ce qu'il fût mal chez moi, quand de son côté il ne pourrait m'être bon à rien? Je lui sais gré toutefois de son intention. 11 y a un article de votre lettre auquel je m'abstiendrai de répondre ; car je crois avoir obtenu de vous que vous m'épargneriez ce chagrin. Mes compliments a Pilia et à Attica.

559. — A ATTICUS. Asture, mars.

A. XII, 27. Je sais déjà quelles sont les conditions de Silius, si je traite avec lui; mais aujourd'hui, je le suppose, Sica m'en communiquera le détail. Vous ne connaissez pas. dites-vous, la propriété de Cotta ; elle est au delà des jardins de Silius, que vous connaissez, ce me semble. C'est une misérable et chétive habitation sans dépendances. Il n'y a place pour rien, ce n'est pas ce que je me propose. II me faut un endroit vivant. Au surplus, si on termine, c'est-à-dire si vous terminez avec Silius, car tout dépend de vous, nous n'aurons point à nous occuper de Cotta. Je suivrai votre conseil pour Cicéron. Je le laisserai maître du temps. Vous aviserez, n'est-ce pas, à lui faire passer, par la voie du change, l'argent dont il aura besoin. Si vous tirez quelque chose de cet Alédius dont vous me parlez, dites-le-moi. Je remarque dans vos lettres ce qui vous frappe sans doute dans les miennes, c'est que nous n'avons rien a nous dire. Nous nous répétons, et ne faisons que rebattre un fonds depuis longtemps usé. Moi, j'écris pour vous donner à écrire ; je ne puis m'en défendre. Parlez-moi de Brutus, si vous en savez quelque chose. On doit aujourd'hui je le pense, connaître le lieu où il attend Pansa. Si c'est, selon l'usage, à l'entrée de la province, il arrivera vers les kalendes. Plus tard me conviendrait mieux, car j'ai bien des motifs pour rester tout à fait loin de Rome. Je ne sais si même je ne devrais pas le payer de quelque excuse; j'en trouverais facilement. J'ai du temps pour y réfléchir. Mes compliments à Pilia et à Attica.

560. — A ATTICUS. Asture, mars.

A. XII, 28. Sica ne m'a absolument rien dit sur Silius de plus que ce qu'il m'avait écrit. Sa lettre était fort exacte. Si de votre côté vous pouvez rejoindre Silius, vous me manderez ce que vous en semble. Vous me parlez d'une personne chargée d'une mission pour moi; cette personne a-t-elle une mission, n'en a-t-elle pas, je l'ignore. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'elle ne m'en a pas ouvert la bouche. Continuez donc votre œuvre; et si, contre mon attente, vous obtenez un résultat, voyez s'il ne convient pas de mettre Cicéron en avant. Il importe qu'il montre ses bonnes intentions de ce côté : pour moi, une seule chose m importe ; vous la connaissez, elle est capitale. Vous désirez me voir reprendre mes habitudes : c'en est une déjà ancienne pour moi que de pleurer sur la république. Mais alors je pleurais sans être aussi malheureux. J'avais ou reposer mon cœur. Aujourd'hui il n'y a plus rien qui me fasse tenir à quoi que ce soit, ni même a la vie. A cet égard, l'opinion me touche peu. J'ai mon sentiment, que je mets au-dessus de tous les discours. J'ai cherché des consolations dans les lettres, et j'y ai gagné quelque chose, en apprenant à me contraindre; mais, au fond, nia peine est la même. Je ne puis la vaincre, et quand je le pourrais, je ne le voudrais pas. Vous avez bien deviné mes intentions pour Triarius; toutefois ne faites rien sans être d'accord avec eux. J'aimais ce pauvre homme qui n'est plus. Je suis tuteur de ses enfants, et mon attachement est grand pour toute sa famille. Quant à Castricius, s'il veut recevoir l'argent de ses esclaves et s'il consent à être payé, comme on paye aujourd'hui, il n'y a rien de plus simple assurément. Si au contraire on est convenu de les lui rendre, puisque vous m'en demandez mon avis, cela ne me paraît pas juste. Je ne veux pas qu'on donne de l'embarras à mon frère Quintus; si je vous ai bien compris, vous ne le voulez pas davantage. Puisque Publilius attend l'équinoxe de printemps comme Alédius l'annonce, c'est qu'il doit s'embarquer. Il m'avait dit seulement pour la Sicile. Décidément pour quel pays, et quand? je voudrais le savoir. Je voudrais bien aussi que de temps en temps, et sans vous gêner, vous pussiez aller voir le petit Lentulus (fils de Tullie et de Dolabella), et que vous eussiez la bonté de régler le nombre d'esclaves à lui laisser pour son service. Mes compliments à Pilia et à Attica.

561. — A ATTICUS. Asture, mars.

A. XII, 29. C'est aujourd'hui le rendez-vous avec Silius; demain donc, ou du moins aussitôt que vous le pourrez, vous m'écrirez ce qu'il y a de fait.  Je ne cherche point à éviter Brutus. Ce n'est pas que j'attende de lui la moindre consolation ; mais j'ai des raisons pour ne pas me montrer dans ces circonstances. Si ces raisons se prolongent, ce qui est vraisemblable, il faudra chercher quelque moyen de m'excuser près de lui. Suivez bien l'affaire des jardins, je vous prie; j'en ai en quelque sorte besoin pour moi-même. Je ne puis ni vivre au milieu du mouvement, ni vivre séparé de vous. II n'y a donc pas de situation dont le choix réponde mieux à mes intentions, et je vois bien tout ce que vous faites pour réussir. Je le vois surtout par les témoignages de vif intérêt qu'Oppius et Balbus vous ont paru disposés à me donner. Dites-leur, je vous prie, à quel point et pourquoi je suis désireux de cette acquisition ; mais que je ne puis la faire, si je ne termine auparavant avec Fabérius. Que me conseilleraient-ils? Devrais-je par exemple me résigner à un sacrifice, pour avoir, en argent comptant, tout ce qu'on pourrait tirer de lui? car c'est désormais une chimère de compter sur une rentrée complète. Enfin voyez jusqu'où vont leurs bonnes dispositions pour moi : s'ils me secondent, c'est un grand point. S'ils s'y refusent, nous chercherons une autre voie. N'oubliez pas qu'il s'agit de l'ornement de ma vieillesse, peut-être de la couronne de ma tombe. Ne pensons pins à Ostie. Si l'affaire de Silius manquait, comme il n'y a rien à espérer de Lamia, il faudrait sonder Damasippus.

562. - A ATTICUS. Asture, mars.

A. XII, 30. Que vous dire? je cherche et ne trouve rien. J'en suis là chaque fois que je vous écris. Mais vous avez été voir Lentulus, et je vous en sais un gré infini. Attachez, je vous prie, quelques esclaves à son service, et déterminez-en vous-même le nombre et le choix. Silius veut-il vendre? et quel prix demande-t-il? Vous paraissez craindre un refus ou des prétentions exorbitantes. Ce n'est pas là l'opinion de Sica, mais je m'en rapporte à vous. J'ai écrit à Egnatius comme Sica m'en avait prié. Silius désire que vous parliez à Clodius, faites-le; j'y donne entièrement les mains ; car j'aime beaucoup mieux n'avoir pas à lui écrire moi-même, comme Silius me l'avait demandé d'abord. Je crois qu'Egnatius n'a pas de meilleur parti à prendre que de transiger avec Castrieius pour ses esclaves, et vous croyez l'arrangement possible. Voyez, je vous en supplie, à terminer avec Ovia. La nuit vous a surpris l'autre jour, soit; mais demain j'en attends davantage.

563. — A ATTICUS. Asture, mars.

A. XII, 31. Sica s'étonne de ce que Silius a changé d'avis. Il y a une chose qui m'étonne Men plus, c'est qu'après avoir mis en avant le prétexte de son fils (et je trouve cela fort juste, puisque son fils lui donne toute satisfaction), Silius soit encore, dites-vous, tout prêt, malgré la déclaration, à traiter avec moi, moyennant me je lui achèterais en même temps d'autres ardins dont il veut se défaire. Vous me demandez mon dernier mot, et ce que j'y mettrais de plus qu'aux jardins de Drusus. Ces jardins, je ne les ai jamais vus; quant à la villa Caponiana, je la connais : bâtiments vieux et petits, mais bois superbes, .le ne sais ce que rapportent l'une et l'autre de ces propriétés, renseignement indispensable; mais c'est pour moi affaire de convenance plutôt que de spéculation. Seulement voyez si je suis en état ou non d'acheter. Liquidez ma créance de Fabérius. Je n'hésite pointa traiter, argent à la main, avec Silius, supposé qu'il se détermine à vendre. S'il s'y refuse, j'irai avec Drusus jusqu'à la somme à laquelle Egnatius vous a dit qu'il élevait ses prétentions. Hermogène me sera aussi d'un grand secours pour l'argent comptant. Ne me blâmez pas de me présenter en homme qui veut acheter; il faut me passer cette préoccupation ; toutefois elle n'est pas si forte, et je ne suis pas tellement dominé par le chagrin que je ne me laisse conduire entièrement par vous dans cette affaire. Egnatius m'a écrit. Si vous l'avez vu, mandez-moi ce qu'il vous aura dit : il n'y a personne de mieux placé pour me servir d'intermédiaire, et je crois qu'il faut agir de ce côté, car il n'y a pas d'apparence que Silius se décide. Mes compliments a Pilia et à Attica. Ceci est écrit de ma main. Avisez, je vous en conjure, à prendre un parti.

564. — A ATTICUS. Asture, mars.

A. XII, 32. Publilia m'écrit que sa mère se propose de venir me voir avec lui (c'est avec Publiîius qu'elle a voulu dire) et elle me demande la permission de les accompagner. Il n'y a sorte d'instances et de prières qu'elle ne me fasse pour obtenir mon consentement et avoir réponse. Voyez s'il y eut jamais rien de plus insupportable ! Je lui mande que je me sens encore plus accablé par le chagrin qu'au moment où je lui exprimai ma volonté d'être seul, et que dans ma situation il m'est impossible de consentir à la voir. Je me suis dit qu'en ne répondant point, j'allais voir arriver mère et fille; maintenant je ne le crois plus, d'autant qu'il est clair que sa lettre avait été dictée. Je pense bien cependant qu'elles viendront un jour ou l'autre. Il n'y avait qu'un moyen de l'éviter; c'était de dire non d'une manière absolue. Je ne l'ai pas voulu. Qu'en résulte-t-il? C'est que je vous demande d'être aux aguets pour savoir combien de jours encore je puis rester ici, sans crainte de surprise. Vous agirez avec discrétion, comme vous me le promettez. —Voici la proposition que je vous prie de faire à Cicéron, si elle vous parait juste : c'est qu'il se contente de dépenser, pendant son absence, ce qu'il aurait dépensé à Rome, s'il y eût loué une maison comme il voulait le faire, et qu'il prenne en conséquence pour base les revenus de mes propriétés d'Argilète et du mont Aventin. Cela fait, vous réglerez les détails, notamment la manière dont on lui fera passer les fonds à mesure de ses besoins. Je réponds que les Bibulus, les Aeidinus et les Messalla, qui vont aussi a Athènes, m'a-t-on dit, n'auront pas plus a dépenser que ce qu'on tire de ces propriétés. Soyez donc assez bon pour voir à qui l'on pourra louer et à quel prix. Puis veuillez trouver un moyen défaire passer l'argent à jours fixes; enfin procurez à Ci-eéron tout ce qui est nécessaire en espèces et effets pour le voyage. Il n'a certainement pas besoin de chevaux à Athènes. Quant à ceux qu'il lui faut en route, il y en a chez moi, comme vous l'observez avec raison, beaucoup plus qu'il n'en a besoin.

565. — A ATTICUS.

A. XII,8.  Je vois qu'on approuve mon plan pour Cicéron. Le compagnon est bien. Mais occupons-nous d'abord déserte première échéance : le jour approche et l'homme est pressé. Écrivez-moi, je vous prie, ce que Celer rapporte de César au sujet des candidats : est-ce aux champs Féniculaires (prairie dans l'Espagne extérieure) ou au champ de Mars qu'il songe (C'est-à-dire, César nominera-t-il les magistrats en Espagne, a son gré et militairement; ou laissera-t-il la liberté des élections?) ? Je désire savoir si je suis nécessaire à Rome pour les comices; car je veux contenter Pilia et Attica.

566. — A ATTICUS. Asture, avril.

A. XII, 33. Ainsi que je vous l'ai mandé hier, si les dispositions de Silius sont telles que vous le supposez, et si Drusus se montre trop difficile, je crois que vous devez sonder Damasippe. lia, je pense, divisé en lots de je ne sais combien d'arpents ce qu'il possède le long du rivage, et il veut établir des prix fixes pour chaque lot. Mais je ne les connais pas. Tenez-moi au courant. — La santé d'Attica m'inquiète beaucoup. Je crains qu'on ait quelques reproches à se faire. Cependant lorsque je songe à la probité de l'instituteur, à l'assiduité du médecin, au dévouement empressé de la maison entière, tout soupçon me devient impossible. Toujours est-il que vos soins lui sont nécessaires. Je ne puis malheureusement vous offrir que des vœux.

567. — A DOLABELLA. Asture, avril.

F. IX, 13. Caïus Subérinus de Calés est mon ami, et de plus intimement lié avec Lepta mon autre ami. Pour éviter la guerre, il était allé en Espagne avec Varron avant les hostilités, et il se trouvait dans cette province, où, depuis la défaite. d'Afranius, pas un de nous n'aurait supposé que la guerre dût être encore possible. Mais le mal dont il mettait tant de soins à se garantir l'a atteint à l'improviste; la guerre a éclaté. Commencée par Seapula, elle a pris bientôt sous Pompée un tel caractère, qu'il n'y a pas eu moyen pour lui de se préserver de son malheureux contact. Le même cas se présente pour Planius Hérès, de Cales comme Subérinus, et comme Subérinus l'ami de Lepta. Je vous les recommande tous deux a\cc plus d'empressement, d'intérêt et d'instance que je ne saurais dire. Je le fais pour eux d'abord, puis pour moi qui les aime tendrement; puis enfin par humanité. Lepta est dans une inquiétude mortelle pour sa fortune, qu'il croit compromise. Je comprends ses inquiétudes mieux que personne ; je puis dire même que je m'en tourmente tout autant que lui. Quoique vous m'ayez souvent prouvé votre affection, je vous prie pourtant de croire qu'il n'y a pas d'occasion où je puisse en mieux juger qu'eu ce moment. Je vous demande donc et, s'il le faut, je vous conjure de sauver des hommes qui ne sont qu'à plaindre, dont la volonté ne fut pas coupable, et qu'une de ces fatalités auxquelles personne ne peut se soustraire a seuls placés dans cette position critique. Que je puisse par mon entremise rendre ce bon office à mes deux amis, à la ville municipale de Calés, qui a des relations intimes avec moi, et enfin à Lepta, que je mets par-dessus tout. Un mot encore de peu d'importance peut-être dans cette affaire, mais qui ne saurait y nuire : c'est que l'un a bien peu de fortune, et l'autre possède à peine le cens pour être chevalier. Or, puisque dans sa générosité César déjà leur a accordé la vie (c'est-à-dire la seule chose à peu près qu'on aurait pu leur prendre), complétez ce bienfait eu obtenant leur retour, je vous en conjure, au nom de la vive amitié que vous avez pour moi. Ils sont bien loin, il est vrai ; maison ne s'effraye pas d'une longue route, quand il s'agit d'aller vivre au milieu des siens et de mourir sous son toit. Employez pour eux vos soins, vos efforts, ou plutôt faites ce qu'ils désirent, vous le pouvez, j'en suis convaincu, et je vous le demande avec les plus vives instances.

568. — A CESAR. Asture, avril.

F. XIII, 15. Je vous recommande tout particulièrement Précilius, dont le père est votre ami, mon inlime à moi-même, et le meilleur des hommes. Le jeune Précilius a su m'inspirer une très-vive affection par sa modestie, la bonté de son âme, et l'attachement singulier qu'il a pour moi. Puis, son père a toujours été de mes meilleurs amis; je le sais pour l'avoir vu à l'œuvre : c'était un de ceux qui ne cessaient de me plaisanter, et de me dire des injures, de ce que je n'allais pas vous rejoindre, moi que vous y invitiez en termes si magnifiques. « Mais je restai inaccessible a la persuasion. » J'entendais nos hauts personnages s'écrier : » Courage! courage! si tu veux mériter un regard de la postérité. » Un nuage épais troublait ma vue. Aujourd'hui encore ne cherchent-ils pas à m'exciter, à faire revivre en moi l'amour éteint de la gloire? Ils s'écrient que «je ne périrai pas lâchement et sans honneur, que je laisserai après moi le souvenir de quelque exploit qui retentira dans la postérité. » Paroles perdues, vous le voyez. Laissons là Homère et ses grands mots. Vive Euripide et la vérité ! « Pauvre sage qui ne sait pas être sage « pour lui-même! «Voila le vers par excellence, suivant le vieux Précilius, qui ajoute que « savoir  porter ses regards en avant et en arrière n'empêche pas de se tenir toujours dans la ligne de l'honneur et de s'élever au-dessus des autres. » — Mais je reviens a mon dire : cédez aux nobles penchants de votre cœur, et accordez vos bontés au jeune Précilius. Vous êtes déjà, je le suppose, très bien disposé pour cette famille. Que ma recommandation mette un poids de plus dans la balance; je vous en saurai un gré infini. Voila une lettre d'un nouveau genre. C'est que ma recommandation, veuillez le croire, n'est pas une recommandation vulgaire.

569. — A CÉSAR. Asture, avril.

F. XIII, 16. Il n'y a personne dans notre jeune noblesse qui m'ait été aussi cher que P. Crassus ; dès son entrée dans la vie, il m'avait donné de lui des espérances qui se sont changées en estime, quand l'effet est venu justifier mes prévisions. J'avais de son vivant distingué son affranchi Apollonius. Il était si dévoué à son maître, il le secondait si bien dans ses nobles travaux ! Aussi Crassus l'aimait tendrement. Depuis sa mort, Apollonius s'est acquis de nouveaux droits à ma confiance et à mon amitié par les égards et le respect dont il s'est fait un devoir envers tous ceux que Crassus affectionnait, ou à qui Crassus était cher. C'est guidé par ce sentiment qu'il est venu me joindre en Cilicie, on il m'a été très-utile. Vous-même, dans la guerre d'Alexandrie, vous avez eu lieu, si je ne me trompe, d'être satisfait de son zèle et de son dévouement. Il se flatte que vous avez conserve bonne opinion de lui, et dans cette confiance le voilà parti pour vous rejoindre en Espagne. L'idée est de lui ; mais je l'approuve, .le ne lui ai pas proposé ma recommandation, non que je la croie sans valeur auprès de vous; mais i! vous a suivi à la guerre, il est à vous par le nom seul de Crassus, et il aurait des recommandations par milliers, s'il en voulait. Je lui ai promis seulement mon témoignage, auquel il tient beaucoup, et dont je sais par expérience que vous ne faites pas ii. C'est un homme instruit qui a toujours eu le goût de l'étude, et cela depuis sa jeunesse, qu'il a passée presque toujours chez moi, avec le stoïcien Diodote, l'homme le plus savant que je connaisse. il est aujourd'hui dans l'enthousiasme de vos actions, et se propose d'en composer l'histoire en grec. Je l'en crois très-capable; il a de l'esprit, il sait écrire, et s'exerce depuis longtemps dans le genre historique. Enfin sa passion est de payer dignement sa dette à votre gloire immortelle. Voilà ce que j'ai à vous dire de lui. Votre tact exquis le jugera. Quoi que j'en aie dit tout-à-l'heure, je vous le recommande, et j'aurai une gratitude extrême de ce que vous ferez pour lui.

570. — A ATTICUS. Asture. avril.

A. XII, 34. Tiron va mieux, et je me trouverais ici, même sans Sica, aussi bien que mes maux le permettent. Mais vous me donnez l'éveil sur la possibilité d'une surprise; j'en conclus que vous ne savez pas le jour précis du départ qui me menace, et je ne trouve dès lors rien de plus simple que d'aller vous joindre, d'autant que vous le désirez aussi, je le vois bien. Demain donc je serai aux portes de la ville, chez Sica, d'où, suivant votre conseil, je pense à me rendre du côté de Ficulea. Puisque j'arrive, je remets à causer de vive voix avec vous sur ce que vous m'écrivez. Laissez-moi vous dire seulement combien je suis émerveillé et touché de tout ce que je trouve en vous de bienveillante sollicitude, de sagesse et d'esprit de conduite, chaque fois qu'il se présente une affaire à traiter, une résolution à prendre, un conseil à donner.

571. — SERV. SlXPICIUS A CICÉRON. Athènes.

F. IV, 5. La mort de Tullie voire fille, dont on vient de me donner la nouvelle, devait me porter un coup rude et pénible; et je m'en suis afflige comme d'un malheur commun. Si j'eusse été à Rome, j'aurais couru près de vous et je vous aurais dit ma douleur. Sans doute il y a quelque chose de triste et d'amer dans ces consolations qui nous viennent de nos proches et de nos amis, tout empreintes du sentiment de peine qui les inspire, qu'on ne peut donner sans fondre soi-même eu larmes et sans montrer le besoin d'être affermi, plutôt que la force de soutenir les autres, .le veux pourtant vous soumettre en peu de mois quelques réflexions qui me sont venues; je sui: sûr qu'elles ne vous ont pas échappé : mais dans le trouble de votre âme vous n'en avez pas été assez frappé peut-être. Comment se peut-il qu'un chagrin domestique agisse sur vous avec tant de violence? Voyez comme la fortune nous a déjà traites: à tous elle a ravi ce que chacun doit aimer a l'égal de ses enfants, la patrie, l'honneur, les distinctions, les dignités. Qu'est-ce donc qu'une disgrâce déplus peut ajouter à la mesure de nos douleurs? Après tant d'assauts, comment ne pas se sentir abattu, et comment mettre encore du prix à quelque chose? Est-ce le sort de votre fille que vous déplorez,? mais que de fois, comme nous, n'avez-vous pas dû réfléchir qu'à l'époque ou nous vivons, l'échange tranquille de la vie contre la mort n'est pas le pire destin? Qu'y avait-il dans ces tristes temps qui pût lui rendre chère l'existence? quel présent? quel avenir? quelle consolante pensée? Était-ce dans le bonheur de passer ses jours unie à un époux jeune et distingué? Sans doute votre position vous permettait de choisir parmi notre brillante jeunesse des gendres à qui confier sans crainte le sort de vos enfants ! Était-ce dans la douceur de posséder à son tour des enfants, sortis de son propre sein; de jouir de leur prospérité, de penser qu'ils recueilleraient un jour l'héritage paternel; qu'ils arriveraient à leur tour aux honneurs, et qu'ils useraient de leurs droits d'hommes libres pour servir la république et pour protéger leurs amis? Mais lequel de ces biens dont on ne soit depuis longtemps privé? C'est un malheur sans doute de perdre ses enfants; mais un malheur plus grand peut-être, c'est d'avoir à souffrir et à endurer tant de maux ! — .le veux vous faire part d'une réflexion qui m'a été d'un grand secours, et ou vous puiserez peut-être quelque force. Je revenais d'Asie, laissant Égine et me dirigeant vers Mégare. Je me mis à considérer au loin les pays qui m'environnaient. Derrière était Égine; devant, Mégare; à droite, le Pirée; à gauche, Corinthe; ces villes autrefois si florissantes n'offraient à mes regards que désolation et ruines: cette vue me fit faire un retour su: moi-même. Eh quoi! me dis-je, pauvre espèce que nous sommes, nous dont la loi est de vivre comparativement si peu, jetterons-nous toujours les hauts cris en voyant mourir ou souffrir un de nos semblables, quand sur un seul point tant de cadavres de villes gisent amoncelés? Ne voudras-tu point, ô Servius, descendre en toi-même et reconnaître la condition de ton existence? Croyez-moi, Cicéron, cette réflexion ne fut pas pour moi d'un médiocre effet. Placez le même spectacle devant vos yeux, et faites-en vous-même l'épreuve. Une foule d'hommes illustres ont péri; l'empire a perdu sa grandeur et sa force; il n'est pas une province qui ne soit ébranlée jusqu'en ses fondements; et quand le faible souffle qui animait une faible femme vient à s'éteindre, vous en ressentez une telle commotion ! Supposé que son dernier jour ne fût pas encore venu, il ne lui en aurait pas moins fallu mourir dans quelques années, puisqu'elle appartenait à l'humanité. Éloignez donc de ce sujet votre esprit et votre pensée, et songez plutôt à soutenir la dignité de votre caractère ! Songez que la vie lui a été exactement mesurée; qu'elle a vu son père préteur, consul, augure ; que sa couche a été partagée par ce que la jeunesse de Rome a de plus illustre; qu'elle a presque épuisé la coupe du bonheur; et qu'enfin, je le répète, elle a quitte la vie au moment où la république rendait le dernier soupir. Quelles plaintes avez-vous donc l'un ou l'autre à élever contre la fortune? Ah ! rappelez-vous ce que vous êtes, mon cher Cicéron; n'oubliez pas que c'est de vous que le reste des hommes est accoutumé à recevoir l'impulsion et l'exemple. Répudiiez le rôle de ces mauvais médecins qui prétendent posséder l'art de guérir les autres, mais qui ne savent pas se guérir eux-mêmes ; et, retraçant à votre esprit les prescriptions que vous avez si souvent proclamées infaillibles, sachez vous y soumettre avec confiance et vous les appliquer à votre tour. Il n'y a pas de chagrin que le temps ne diminue et n'adoucisse à la longue. Eh bien! pour vous, c'est une honte d'attendre votre guérison du temps, et de ne pas la demander à la raison. D'ailleurs si tout sentiment ne s'éteint pas aux enfers, elle a trop de piété filiale, elle aime trop les siens, pour ne pas condamner l'état où vous vous réduisez. Au nom de votre fille qui n'est plus, au nom de vos amis, de vos clients que votre douleur afflige, au nom de la patrie elle-même, redevenez donc capable d'agir et de penser pour elle! Enfin, puisque la fortune nous met dans la position d'avoir cette crainte, craignez de laisser croire que ce n'est pas votre fille, et que c'est le malheur du temps, c'est le triomphe de nos ennemis qui fait couler vos larmes. Je me fais scrupule d'insister davantage : ce serait me délier de votre sagesse. Je n'ajoute qu'une réflexion, et je me tais : On vous a vu admirable dans la prospérité, et il vous en revient une gloire éternelle. Montrez maintenant que l'adversité n'a pas le pouvoir de vous abattre, et que le poids dont elle pèse sur vous n'est pas au-dessus de vos forces. Il ne faut pas que, de toutes les vertus, celle-là seule paraisse vous manquer. Quand vous serez plus calme, je vous entretiendrai de ce qui se passe et de l'état de ma province. Adieu.

572. — A LUCCEIUS, FILS DE QUINTUS. Asture, avril.

F. V, 13. Les consolations que vous m'adressez me touchent vivement. Elles respirent a la fois une exquise bonté et une haute raison. Mais ce dont je vous remercie le plus, c'est de m'y avoir montré un vertueux mépris des choses humaines, une âme préparée et comme armée contre les coups de la fortune. Ce que je prise surtout dans le sage, c'est son indépendance, c'est l'isolement absolu où il se place de toute influence extérieure, dans le jugement du bien et du mal. Cette manière d'être, je ne l'ai pas tout à fait perdue; elle avait en moi de trop profondes racines. Mais elle a reçu de rudes atteintes au milieu de tant de bouleversements, de tant d'assauts de tous les genres. Vous avez voulu la raffermir, j'en vois l'intention dans votre lettre, et j'en sens déjà les heureux, effets. Aussi, je vous le répète, et je ne saurais trop souvent et trop hautement vous le dire, jamais plus douce émotion ne toucha mon cœur. Quelque consolantes que soient les réflexions nombreuses et choisies que vous vous êtes plu à rassembler pour me les offrir, il n'y a rien d'aussi consolant pour moi que la contemplation de tout ce que votre âme possède d'énergie et d'élévation. Vous me donnez là un exemple que je rougirais de ne pas suivre. Mais il est uu point sur lequel je me crois plus de courage que vous qui m'en don nez des leçons : je vois que vous espérez un meilleur avenir. Voilà le sens de toutes vos comparaisons tirées des combats de gladiateurs et des vicissitudes qu'ils présentent: c'est là que tendent tous vos raisonnements. Je m'explique votre courage, si l'espérance le soutient; mais je ne m'explique pas l'espérance. Il n'est rien qui ne soit ébranlé nu point de menacer d'une chute prochaine. Regardez autour de vous, vous qui connaissez les ressorts de la république : en trouvez-vous un seul qui ne soit brise ou détendu ? Je ferais l'énumération de nos maux, si vous ne les connaissiez aussi bien que moi, cl si un pareil sujet n'était pas trop douloureux au moment ou vous me reprochez ma douleur. Ainsi que vous l'ordonnez, je saurai supporter mes chagrins domestiques; et quant aux malheurs de la patrie, je veux leur opposer un courage meilleur même que le vôtre, puisque l'espérance l'ait votre force, et que. j'aurai la même force sans la moindre espérance. Vous me retracez de bien doux souvenirs en rappelant les actions que j'ai faites, et aux» quelles vos conseils, je dois le proclamer, eurent tant de part. J'ai fait pour la patrie, je ne dirai pas plus je que ne devais, mais plus assurément qu'on n'a jamais exigé du courage ou de la prudence d'aucun homme, pardonnez-moi de parler ainsi de moi-même : c'est pour adoucir mes maux que vous avez voulu reporter mon esprit sur le passé, et je trouve du charme à m'y arrêter a mon tour. Je suivrai votre conseil ; j'écarterai, autant que possible, de ma pensée les images qui la blessent ou la déchirent. Je l'appliquerai uniquement aux objets qui embellissent la vie dans la prospérité et qui la consolent dans les revers. Je veux être avec vous autant que le permettent nos âges et nos santés ; et si une nécessité plus forte que mon penchant s'oppose trop souvent à l'accomplissement de. ce vœu, le rapport de nos esprits et la conformité de nos études ne nous laisseront jamais du moins un seul moment tout à fait séparés.

573. — A TORQUATUS. Asture, avril.

F. VI, 2. N'imputez pas a oubli, je vous en conjure, la rareté inaccoutumée de mes lettres. Il faut vous en prendre au mauvais état de ma santé, qui pourtant commence à se rétablir, et à mon éloignement de la ville, qui m'empêche d'être au courant des occasions. Sachez, une fois pour toutes, que je garde votre souvenir avec la plus tendre affection, et (pie ce qui vous touche me préoccupe autant que ce qui me touche moi-même. Si votre affaire éprouve plus de vicissitudes qu'on ne l'eût souhaité ou pu prévoir, croyez-moi, eu égard au temps, c'est un mal a prendre en patience. De trois choses l'une : ou la république sera en proie à des déchirements sans fin, ou les luttes seront suivies de quelques intervalles de repos, ou enfin tout s'écroulera de fond en comble. Si l'état de guerre continue, vous n'avez à craindre ni ceux de qui vous aurez reçu un refuge, ni ceux à qui vous aurez prêté votre appui. Qu'on dépose les armes par accommodement, que la lassitude les fasse tomber des mains, ou que la victoire les arrache aux partis, alors la cité respirera, et vous retrouverez à la fois rang et fortune. Si, au contraire, tout est bouleversé sans ressource, et si nous devons assister à ce jour funeste dont s'effrayait déjà M. Antonius, lorsque sa sage perspicacité pressentait l'orage épouvantable qui devait éclater sur nos têtes, j'avoue que je n'ai à vous offrir qu'une consolation qui est misérable, surtout pour un citoyen et un homme tel que vous, mais qui cependant est la seule : c'est qu'on ne doit pas s'affliger pour soi d'un malheur qui frappe également sur tous. Je n'ajouterai rien de plus : si vous réfléchissez, comme je n'en doute pas, au sens profond de ce peu de mots ; vous en conclurez, sans que je vous le dise, qu'il y a pour vous des motifs suffisants d'espérer, et que, dans l'une comme dans l'autre des hypothèses ou j'ai placé la république, il n'y a pas pour vous de quoi prendre l'alarme. Enfin, je le répète, si tout périt, comme vous ne voudrez ni même ne pourrez survivre à la république, vous devez vous résigner d'autant mieux que votre conscience est sans reproche. J'en ai dit assez. Donnez-moi, je vous prie, de vos nouvelles, et dites-moi où vous comptez aller, afin que je sache ou vous écrire, et au besoin où vous joindre.

574. — A ATTICUS. Antium, avril.

A. XII, 34, 2eme part., et 35. Ayez la bonté, le jour même de mon arrivée chez Sica, de me faire savoir ce que vous avez fait avec Silius, et notamment quelle portion du terrain il veut se réserver. Vous m'écrivez que c'est le bout ; mais il faut voir si ce n'est pas précisément la partie que j'ai en vue et qui m'a fait décider l'affaire. — Je vous envoie une bien aimable lettre que je viens de recevoir d'Hirtius. — Il ne me serait jamais venu dans l'esprit, avant notre dernière entrevue, qu'en dépensant pour un tombeau an delà de je ne sais quelle somme fixée par une loi, on fût exposé à une amende égale à l'excédant. Je m'en inquiéterais peu, si ce n'est que, sans trop savoir pourquoi, peut-être même sans raison, je ne veux absolument pas que ce tombeau soit autre chose qu'un temple, et je crains bien que pour un temple il ne faille un autre emplacement. Pesez cette difficulté, je vous prie : quoique moins abattu et revenu presque à mon état naturel, j'ai cependant besoin de vos conseils. Prenez celte affaire à cœur; je vous en supplie avec plus d'instance que ne le veut et ne le souffre d'ordinaire votre amitié.

575. — A ATTICUS. Antium, avril.

A. XII, 36. C'est un temple que je veux : rien au monde ne me fera changer. Quant a la ressemblance avec un tombeau, je chercherai à l'éviter, moins à cause de la pénalité de la loi que pour indiquer le plus possible, une apothéose. Si c'était dans l'intérieur d'une villa, point de difficulté; mais, comme je vous l'ai dit souvent, le changement de maître m'effraie. En plein champ, au contraire, n'importe ou, on peut compter sur le respect de la postérité. Voilà des folies, j'en conviens; il faut me les passer. Je m'ouvre avec vous plus librement qu'avec tout autre, peut-être qu'avec moi-même. Si vous approuvez le programme, le lieu et le plan, lisez la loi, je vous prie, et faites-la-moi passer. Puis s'il nous vient à l'esprit quelque biais pour en éviter l'application, nous le prendrons. — Quand vous écrirez à Brutus, sauf meilleur avis, grondez-le de n'être pas venu à dîmes et d'en avoir donné un pareil motif. Plus j'y réfléchis, plus je trouve que c'est tout à fait manquer d'égards. — Encore une fois, si vous voulez vous occuper du temple dans le sens que j'indique, je vous prierai de déterminer et de presser Cluatius ; car même avec un autre emplacement, j'aurais encore recours à ses soins et à ses avis. Demain peut-être vous serez à la villa.

576. — A ATTICUS. Antium, mai.

A. XII, 37. Hier m'ont été remises deux de vos lettres, toutes deux de la veille, l'une par Hila-rus, l'autre par un exprès; puis, le même jour, par mon affranchi Egypta, encore une autre lette; celle-ci m'apprend que Pilia et Attica sont tout à fait bien. Elle a treize jours de date. vous m'avez fait plaisir en me communiquant ce que vous a écrit Brutus. Il m'a écrit également : je vous envoie sa lettre, avec une copie de ma réponse. — Si vous ne trouvez pas de jardins poulie temple, (vous en trouverez pour peu que vous m'aimiez, et certes vous m'aimez ;, votre idée de Tusculum me sourirait beaucoup. Avec toute l'habileté que je vous connais, il ne fallait rien moins encore que la chaleur de votre indulgente amitié pour rencontrer si bien. Mais je tiens, avant tout, par je ne sais quelle secrète préférence, a un lieu ou l'affluence se porte. Procurez-mui donc des jardins. En fait d'affluence, il n'y a rien de mieux que ceux de Scapula. En outre, l'avantage d'être tout près de vous et de n'avoir pas à perdre une journée entière pour aller à votre villa! Tâchez d'avoir un rendez-vous avec Othon avant votre départ, s'il est à Rome. S'il n'y a rien à faire de ce côté, eh bien ! je veux pousser a bout votre complaisance pour mes faiblesses. Drusus est décidé a vendre; ne trouvant rien ailleurs, ce sera ma faute si je ne traite avec lui. Ne me laissez donc pas faire un mauvais marché, je vous en prie; et traitez avec Scapula, si c'est possible. Il n'y a que ce moyen. Dites-moi, je vous prie, combien de temps vous comptez rester a voire villa, près de Rome. — Vus bons offices et votre influence près de Térentia me sont très-nécessaires, mais vous agirez absolument comme vous l'entendrez. Je sais bien que, du moment ou mes intérêts seront en jeu, votre sollicitude s'éveillera plus vivement que la mienne propre, c'est votre coutume. Hirtius me mande que Sextus Pompée a abandonné Cordoue, et qu'il se retire vers l'Espagne citérieure, et que Cnéius est en fuite, je ne sais ou, et ne m'en soucie guère. Rien autre chose. Sa lettre est datée de Narbonne le 11 des kalendes de mai. Vous me parlez du naufrage de Caninius comme d'une chose douteuse. Si vous recevez quelque information positive, communiquez-la-moi. Je dois, dites-vous, surmonter ma tristesse; je le veux bien. Trouvez-moi un emplacement pour mon temple. Il me vient une foule d'idées sur l'apothéose; mais il faut un lieu pour bâtir. Voyez donc Othon.

577. — A ATTICUS. Antium, mai.

A. XII, 38. Vous avez été surchargé d'occupations, j'en suis sur, puisque vous ne m'avez pas écrit. Mais cet homme est un misérable de n'avoir pas attendu votre loisir, quand je ne l'envoyais que pour cela. A moins d'obstacle qui vous ait retenu, vous êtes maintenant, je le suppose, à votre villa près de Rome. Je passe ici les journées entières a écrire; non pour me consoler, du moins pour me distraire. Asinius Pollion m'a écrit au sujet de notre indigne parent. (Leur neveu Quintus.) C'est eu termes positifs ce que déjà Balbus le jeune et Dolabella m'avaient donné à entendre; le premier assez clairement, le second d'une manière détournée. J'en souffrirais, s'il y avait place dans mon cœur pour un nouveau chagrin. Vit-on jamais infamie pareille! Qu'un tel homme est à craindre! Quoique pour moi.... ; mais je retiens mon ressentiment. Comme il n'y a pas nécessité, ne m'écrivez que si vous avez un moment à vous. On commence à remarquer, dites-vous, mon peu de courage, et on en parle en termes bien plus forts que vous et Brutus. Eh bien ! que ceux qui me croient l'esprit abattu et affaibli viennent voir ce que j'écris et les sujets que je traite. Ils jugeront, pour peu qu'ils aient de sens, si l'homme dont la tête est assez libre pour aborder des questions si difficiles mérite le reproche d'abattement, et s'il n'y a pas à le louer plutôt d'avoir su faire à son chagrin une diversion si honorable et si digne d'un esprit éclairé. Mais quand je fais tout pour prendre sur moi, de votre côté achevez votre œuvre, cette couvre de votre sollicitude, je le vois, autant que de la mienne. Il me semble qu'une dette me pèse. Je ne serai soulagé que lorsque je pourrai m'acquitter, ou me voir en position de le faire; c'est-à-dire lorsque j'aurai trouvé le terrain que je veux. Si, comme Othon vous l'a dit, l'intention des héritiers de Scapula est de faire quatre parts et de liciter entre eux, il n'y a pas moyen de se présenter. S'ils vendent en bloc, c'est différent; on verra ce qu'on doit faire. On était venu me parler du champ Publicianus, qui appartient à Trébonius et à Cusinius. Mais vous savez que c'est un terrain nu; je n'en veux pas. La propriété de Clodia convient parfaitement. Malheureusement, je ne la crois pas à vendre. Quant aux jardins de Drusus, malgré votre répugnance, il faudra bien que j'y revienne, comme à ma dernière ressource, si vous ne me trouvez rien autre. Les constructions me touchent peu. Je n'y bâtirais absolument que ce que je serais obligé de bâtir partout ailleurs. J'ai lu Cyrus avec le même genre de plaisir que les autres ouvrages d'Antisthène, où il y a plus d'esprit que de fonds.

578. — A ATTICUS. Asture, mai.

A. XII, 39. Mon messager revient les mains vides ; c'est sans doute parce que vous m'aviez écrit la veille sur les divers objets auxquels j'ai répondu dans la lettre dont il était porteur. J'espérais pourtant quelques mots de vous, au sujet de celle d'Asinius Pollion; mais je juge trop de vos loisirs par les miens. Aussi, quoique je renvoie le messager, ne m'écrivez qu'au besoin, à moins que vous ne soyez bien désœuvré. J'enverrais des exprès, ainsi que vous me le conseillez, s'il se présentait des cas d'urgence, comme à l'époque où chaque jour, quoiqu'aux temps les plus courts de l'année, voyait partir la lettre et revenir la réponse. Alors nous avions de quoi fournir à notre correspondance. C'était Silius, c'était Drusus, mille autres encore. Aujourd'hui, sans Othon, il n'y aurait rien, et encore l'affaire est-elle différée. N'importe ! c'est un soulagement pour mot dans l'absence, quand je cause avec vous; et j'éprouve un plus grand bien-être encore, quand je lis vos lettres. Cependant vous n'êtes point à Rome, je le suppose; et dès lors puisqu'il n'y a pas nécessité d'écrire, faisons trêve à notre correspondance et attendons du nouveau.

579. — A S. SULPICIUS. Asture, mai.

F. IV, 6. Et moi aussi, mon cher Servius, j'aurais voulu vous avoir auprès de moi dans mon affreux malheur. Que de secours n'aurais-je pas tirés de vos consolations et même de vos larmes! J'en juge par le bien que me fait la simple lecture de votre lettre. C'est que vous dites tout ce qui est capable de me consoler, et qu'il n'y a pas en même temps une seule de vos consolations qui ne témoigne d'une vive douleur. Votre bon Servius, par son empressement dans cette triste circonstance, m'a montré combien il a de déférence, pour moi, et combien il attache de prix à ce qu'il suppose devoir vous plaire. Les témoignages que j'ai si souvent reçus de lui m'ont été quelquefois plus agréables ; jamais ils ne m'inspirèrent plus de gratitude. Quant à vous, ce ne sont pas seulement vos réflexions et la sympathie de votre douleur qui me consolent, c'est encore le caractère d'autorité qui appartient à votre langage. Oui, je comprends qu'il serait honteux pour moi de supporter mon malheur autrement que ne l'entend votre haute raison; mais il y a des moments ou la douleur m'accable, ou la force m'abandonne ; c'est que je n'ai pas les ressources qui ne manquèrent point dans une semblable infortune aux pères dont je propose l'exemple. Car enfin quand Q. Maximus perdit un fils consulaire, honoré par de brillantes qualités et de grandes actions; quand L. Paullus vit mourir deux enfants en sept jours, lors du malheur de votre ami Gallus; et quand M. Caton se vit enlever ce fils dont l'esprit était si distingué et la vert « si haute, c'était à une époque ou le caractère qu'ils tiraient de leur position dans la république était un dédommagement aux peines de leur cœur. Mais moi qui ai perdu ces distinctions que vous énumérez et que j'avais conquises par tant d'efforts, il ne me restait plus qu'une consolation, et elle m'est ravie. Rien ne vient distraire ma pensée, ni les intérêts de mes amis à défendre, ni les affaires de la république a gérer. Je m'étais interdit le forum. Je ne pouvais plus regarder la curie. Je considérais comme entièrement perdus et le fruit de mes travaux et les avantages de ma fortune. Mais lorsque je réfléchissais sur ces malheurs, qui nous sont communs et que tant d'autres partagent; lorsque je sentais mon âme brisée, et que je me faisais violence pour me vaincre, je savais au moins ou trouver un refuge, ou reposer mon triste cœur, ou goûter dans des entretiens pleins de charme l'oubli de mes soucis et de mes maux. Le coup horrible qui me frappe aujourd'hui rouvre mes blessures qui commençaient a se fermer. Tout ne m'était pas sensible autrefois. Dans mes chagrins politiques, mon intérieur me gardait des dédommagements; dans mes chagrins d'intérieur, la république me servait de refuge et le spectacle de son état prospère reposait mon âme. Maintenant il faut que je sorte à la fois et de ma maison cl du forum; de ma maison, qui n'a rien à me donner en échange des peines que me cause la république ; du forum, qui n'a point à m'offrir de consolation dans mes chagrins domestiques. Voilà pourquoi je vous appelle avec tant d'instance; pourquoi je suis si impatient de vous voir, rien ne me consolera mieux que votre amitié et la douceur de vos entretiens, Je me flatte que le moment de votre retour approche. Une foule de motifs, vous le concevez, me font désirer votre présence. Nous aurons d'abord à nous entendre sur la ligne de conduite qu'il convient d'adopter pour un temps ou tout se fait par la volonté' d'un homme sage, généreux, que je ne crois pas mal disposé pour moi, et qui me semble avoir beaucoup de penchant pour vous. Mais en prenant tout cela en considération, ce n'en est pas moins encore une grande affaire que de savoir quelle marche suivre, non pas pour jouer un rôle, mais pour vivre en repos, avec sa permission et sous son bon plaisir. Adieu.

580. — S. SULPICIUS A CICÉRON. Athènes, mai.

F. IV, 12. J'ai à vous annoncer une nouvelle bien fâcheuse : mais puisque les accidents fortuits et la fragilité de la vie sont une des premières conditions de notre être, il faut bien que je vous raconte ces tristes détails, au risque du chagrin qu'ils peuvent vous faire. J'arrivai par mer au Pirée le dixième jour avant les kalendes de juin, venant d'Epidaure. Là, je trouvai Marcellus, mon ancien collègue, et je m'arrêtai un jour pour avoir le plaisir de le passer avec lui. Le lendemain, je le quittai. J'avais à me rendre d'Athènes en Béotie, afin d'achever ma tournée judiciaire. Il allait, lui, me dit-il, s'embarquer pour l'Italie au-dessus de Malée. Le jour suivant, comme je me disposais à partir d'Athènes vers la dixième heure de la nuit, arrive P. Postumius, l'un des habitués de sa maison, qui m'annonce que Marcellus a été poignardé, la veille, après souper, par P. Magius Cilon, l'un de ses intimes; qu'il a reçu deux blessures, l'une dans l'estomac, l'autre à la tète le long de l'oreille; que néanmoins son état n'est pas désespéré ; qu'a présent le coup Mugius s'est tué; qu'il venait de la part de Marcellus lui-même pour m'informer de l'événement, et me demander des médecins. J'en envoyai chercher, et je partis sur leurs pas à la pointe du jour. A peu de distance du Pirée je rencontre un esclave d'Acidinus, porteur d'un billet de son maître : .Marcellus avait succombé quelques moments avant le jour, et Acidinius m'en faisait part. Ainsi vient de périr d'une manière tragique, sous les coups d'un scélérat, l'un de nos plus illustres citoyens; et l'homme dont le beau caractère avait désarmé ses ennemis trouve un ami pour lui donner la mort. Je ne laissai pas de poursuivre jusqu'à sa tente. J'y trouvai deux affranchis et un très-petit nombre d'esclaves. Les autres, disaient-ils, s'étaient enfuis, effrayés des conséquences de l'attentat, leur maître ayant été lue au devant de sa tente. Je fus forcé de faire placer le corps dans la litière même qui m'avait amené, et de le faire reconduire à la ville par mes propres porteurs. Là, je fis célébrer ses funérailles en grande pompe, eu égard à ce qu'on trouve de ressources en ce genre à Athènes. Je ne pus obtenir la permission de l'enterrer dans l'intérieur de la ville : les Athéniens m'objectèrent les prohibitions de leur culte, prohibitions auxquelles on n'a jamais dérogé pour personne. A cela près, ils me firent toutes les concessions possibles, en mettant à ma disposition celui de leurs gymnases qui me conviendrait le mieux pour placer la sépulture. Je choisis le plus célèbre de l'univers, le gymnase de l'Académie. On y brûla le corps, et je donnai ensuite des ordres pour que sur le lieu même les Athéniens lui élevassent un tombeau de marbre. Ainsi tous les devoirs qu'il dépendait de moi de rendre à un collègue, à un parent, je les lui ai rendus après sa mort comme pendant sa vie. Athènes, la veille des kalendes de juin.

581. — A ATTICUS. Antium, juin.

A. XII, 40. J'ai un avant goût de la réplique de César à mon éloge de Caton par l'écrit que m'envoie Hirtius, et où il a ramassé tout ce qu'il est possible de dire de pis contre Caton, en y mêlant des compliments infinis pour moi. J'ai envoyé ce livre à Musca, pour qu'il le remit à vos copistes; je veux le publier. Dites-leur un mot, je vous prie, pour les faire aller vile. Je songe souvent au morceau officiel. Il ne me vient rien. J'ai sous les yeux les discours adressés à Alexandre par Aristote et Théopompe. Mais quel rapport ! Leur langage était à la fois honorable pour eux et flatteur pour Alexandre. Croyez-vous que la position en permette un semblable aujourd'hui? En vérité, je ne sais comment m'y prendre. — Vous craignez, dites-vous, que l'excès de mon chagrin ne me nuise dans l'opinion publique, et n'affaiblisse la considération dont je jouis. Mais que me reproche-t-on et que me veut-on après tout? Que je ne sois pas triste? est-ce possible? Que je ne m'abandonne pas du moins tout à fait? Mais qui s'abandonne moins que moi? Ai-je refusé une seule visite, à l'époque où votre amitié donnait asile à ma douleur? Et y a-t-il une seule personne qui ait eu alors à se plaindre de ma réception? Je partis pour Astuce. Eh bien! je mets au délices gens au cœur joyeux de lire seulement l'équivalent de tout ce que j'ai écrit : bien ou mal, ce n'est pas là la question; toujours est-il que le sujet (pie j'ai choisi serait inabordable pour un esprit malade. J'ai passé trente jours à ma villa. Ma manière de recevoir et mon langage ont-ils laissé quelque chose à désirer? Maintenant encore je lis, j'écris tour-à-tour, et je vois ceux qui vivent avec moi plus en peine de supporter leur loisir que moi mon travail. Enfin, me dit-on, pourquoi ne suis-je pas à Rome? parce qu'il n'y a personne. Pourquoi pas dans celles de mes villas qui sont plus de la saison? parce que le trop grand monde ne me va point. Ne suis-je pas d'ailleurs là où l'homme qui avait la plus délicieuse de toutes les habitations de Baies (Probablement Lucullus) ne manquait jamais de passer le temps où nous sommes de l'année? Si j'allais à Rome, on ne trouverait à reprendre ni à mon maintien ni à mes paroles. Quant à ma gaieté d'autrefois, mon préservatif contre les misères du temps, elle m'a fui sans retour. Mais, je le répète, mon langage et mon maintien ne laisseront prise aucune. — Il nie semble (pie, moitié par votre crédit, moitié parle mien, nous pouvons obtenir qu'on mette en adjudication les jardins de Scapula. C'est le seul moyen de les avoir. Une fois les enchères ouvertes, toute la richesse d'Othon ne tiendra pas contre mon envie. Ce que vous dites de Lentulus ne fait rien à l'affaire. Assurons-nous de Fabérius. Ne vous relâchez pas de votre activité, nous en viendrons à nos fins. — Vous me demandez combien de temps je dois rester ici? très-peu. Mais mon départ n'est pas encore fixé. Quand il le sera, vous le saurez. Mandez-moi de votre côté combien de temps vous serez à votre villa des faubourgs. Aujourd'hui même, au moment où je vous écris, je reçois des lettres et des courriers qui me donnent absolument les mêmes nouvelles que vous de Pilia et d'Attica.

582.— LUCCÉIUS A CICÉRON. Rome

F. V, 14. Si votre santé est bonne, je m'en réjouis. La mienne est comme à l'ordinaire; pourtant un peu moins bonne. Je me suis souvent informé de vous. Je voulais vous voir. Lorsque j'ai su que vous n'aviez point paru à Rome, depuis votre malheur, mon étonnement a été grand; et je n'en reviens pas encore. A quels motifs attribuer votre retraite? Si c'est au goût de la solitude, aux exigences de quelque composition et au charme de nos études favorites, je vous en félicite, loin de vous en blâmer. C'est effectivement ce qu'il y a de mieux et dans les temps de deuil et de désastres, et dans les jours de calme et de prospérité. Cette vérité vous est doublement applicable, à vous dont l'esprit a besoin de se reposer de tant de grands travaux, et dont la pensée est si féconde dans l'intérêt de nos jouissances et de votre réputation. Si au contraire vous vous abandonnez encore comme au moment de votre départ, à la tristesse et aux larmes, je gémis sans doute de vous savoir en proie à la douleur et aux angoisses. Mais permettez-moi de laisser échapper ma pensée, et de vous dire que vous êtes bien coupable. Eh quoi ! avec cette pénétration qui découvre les choses les plus cachées, vous ne voyez pas ce qui frappe tous les yeux ! Vous ne comprenez pas que vous ne gagnez rien a répéter chaque jour les mêmes plaintes! Vous ne comprenez pas que vous ne faites que redoubler vos ennuis, quand votre sagesse devrait prendre à tâche de les diminuer. Je cherche à vous persuader par la raison ! si la raison ne peut rien, laissez-vous du moins gagner par mes prières. Pour l'amour de moi, rompez, rompez ces tristes liens; cessez de fuir la société de vos amis, et revenez aux habitudes que je partage avec vous, aux habitudes qui vous sont chères. Je ne voudrais pas vous fatiguer de mes obsessions, dans le cas où le zèle qui m'inspire vous déplairait. Je voudrais jeter un scrupule dans voire âme, et vous arrêter dans la voie fatale on vous êtes. Et comme ces deux choses contradictoires me troublent beaucoup, puissiez-vous ou me donner satisfaction sur l'une, ou ne pas vous offenser de l'autre !

583. — A LUCCÉIUS, FILS DE QUINTUS. Antium, juin.

F. V, 15. Il n'y a pas une ligne dans votre dernière lettre où votre affection pour moi ne se révèle tout entière. Cette affection m'était connue, mais les témoignages que vous m'en donnez, et que mon cœur attendait, n'en excitent pas moins ma gratitude : je dirais même qu'ils sont un bonheur pour moi, si je n'avais perdu à jamais le droit de me servir de ce mot. Le mal n'est pas seulement, comme vous semblez le croire, dans ce qui vous donne lieu de former contre moi, avec les termes, il est vrai, les plus doux et les plus tendres, une accusation au fond très-grave : il vient à la fois de ce que je porte une plaie profonde, et de ce. que je suis privé de tout moyen d'en adoucir l'amertume. Quelle ressource me reste-t-il? Des amis? presque tous les miens étaient les vôtres. Les uns ont disparu de la vie ; et, je ne sais pourquoi, le cœur des autres s'est glacé. Je puis, il est vrai, vivre avec vous, et je le souhaiterais ardemment. Conformité d'âge, de penchant, d'habitudes, de goûts; que de gages d'une union solide! Ne pouvons-nous donc pas nous rapprocher? je ne vois absolument rien qui s'y oppose. Pourtant nous ne l'avons pas fait, quand nous étions voisins à Tusculum et à Pouzzol. Je ne parle pas de Rome, où la vie commune du forum dispense d'autre rapprochement. J'ignore par quelle fatalité il se l'ait qu'au moment ou notre existence devrait être si brillante, nous en soyons au point de rougir même de vivre. Dépouillé comme je le suis de tout ce qui fait le charme et la consolation de la vie, soit au foyer domestique, soit au forum, où trouver un refuge? dans l'étude sans doute. L'étude, qui l'ail mon occupation continuelle et que rien ne pourrait remplacer, l'étude même, le croirez-vous? me refuse asile et repos. Elle me représente sans cesse, en quelque sorte, comme un reproche, cette existence que je conserve, et qui n'est qu'une prolongation de misères. Et vous seriez surpris de me voir éloigné d'une ville où je n'ai plus qu'une habitation dépouillée de sa parure, où le temps, les hommes, le forum, le sénat, tout m'est odieux! Cependant je me livre à l'étude; je lui donne toutes mes journées. Ce n'est pas, il est vrai, dans l'espoir de guérir mes maux pour toujours, c'est pour pouvoir un moment les oublier un peu. Si nous avions fait ce qui ne nous est pas même venu dans la pensée, à cause de nos continuelles alarmes, nous nous serions rapprochés l'un de l'autre, et nous n'aurions à nous tourmenter, ni moi de votre état de souffrance, ni vous de ma tristesse. Eh bien ! réalisons ce projet autant qu'il nous est possible. Car qu'y a-t-il de mieux pour vous et pour moi? Je compte donc vous voir au premier jour.

584. — A ATTICUS. Antium, juin.

A. XII, 41. Je n'ai rien à vous écrire : mais je veux savoir où vous êtes, si vous avez quitté la ville, si vous devez la quitter, et quand vous reviendrez. Dites-moi tout cela. De votre côte, vous me demandez quand je partirai d'ici. Je coucherai à Lanuvium le lendemain des ides; le jour suivant, je serai à Tusculum ou à Rome. Lequel des deux? vous le saurez au moment. Vous savez combien le malheur aigrit, non que je vous en aie fait faire l'expérience. Mais l'idée de ce temple me poursuit, et si je ne le vois s'élever, je ne dis pas en espérance, mais en réalité, je vous en avertis, et vous le prendrez, selon votre usage, en patience, mon humeur va retomber sur vous. A tort, je ne le nie pas; mais vous n'en aurez pas moins à la souffrir, comme tout ce que vous souffrez, comme tout ce que vous avez déjà souffert pour moi. Je vous ai montré mon βut et ma seule consolation : c'est là que doivent tendre tous vos efforts. Voulez-vous savoir l'ordre de mes préférences? D'abord Scapula; ensuite Clodia; puis, si Scapula ne veut pas vendre et si Drusus a des prétentions exorbitantes, Cusinius et Trébonius. Je crois qu'il y a un troisième propriétaire. Je suis sur du moins que Hébilus l'a été. Après tout, si l'idée de Tusculum vous plaît, comme vous me l'avez témoigné dans quelques lettres, j'y souscris. Mais, d'une façon on d'une autre, concluez, concluez, si vous voulez me soulager d'un grand poids, au lieu de m'accuser, comme vous le faites, avec une sévérité à laquelle votre indulgence ne m'a pas habitué. Cette sévérité, c'est votre amitié qui vous l'inspire, et peut-être ai-je mis votre patience à bout. Cependant, si vous voulez consoler mes peines, ce moyen est le meilleur de tous; pour dire la vérité, c'est le seul.— Avez-vous lu la lettre à Hirtius, qu'on peut regarder, ce me semble, comme un véritable échantillon de la diatribe de César contre Caton? Si vous avez le loisir, dites-moi ce que vous en pensez. - Je reviens à mon temple :si mon vœu n'est pas accompli cet été, voilà l'été qui commence à peine, il me semblera qu'un crime pèse sur ma conscience.

585. — A ATTICUS. Antium, juin.

A. XIII, 26. Rien de mieux que celle part de Virgilius. Allez donc en avant. Après cette affaire, celle de Clodia. Si la double négociation échoue, soyez sur que je me ruine et que je traite avec Drusus. Vous connaissez mon projet; l'impatience de l'accomplir me dévore. Je pense quelquefois aussi à Tusculum. Je suis détenniné à tout plutôt que de laisser passer labelle saison sans rien faire. Il n'est pas de séjour, dans la situation ou Je suis, qui me convienne mieux qu'Asture. Mais ma société sans doute s'accommode mal de ma tristesse; elle désire retourner à Rome. Quoique rien ne m'empêche de rester, j'aime mieux partir, ainsi que je vous l'ai déjà écrit, pour ne pas paraître délaissé. Maison irais-je? à Lanuvium ? Je voudrais avoir assez de force pour retourner à Tusculum. Je vous dirai ma résolution. De votre côté, ne manquez pas de m'écrire. C'est quelque chose d'incroyable que ce que j'écris, moi, dans une journée, et aussi dans mes nuits; je ne dors pas. Hier, je me suis occupé de la lettre à César. Vous le vouliez; il est bon qu'elle soit prête, si vous croyez que plus tard elle puisse être nécessaire. Quant à présent, il ne faudra certainement pas l'envoyer : cependant, sur ce point encore, je vous laisse juge. Je vous en enverrai une copie de Lanuvium, peut-être de Rome. Vous le saurez demain.

586. — A ATTICUS. Antium.

A. XII, 42. Je n'ai certes pas à me plaindre de votre exactitude. Chaque jour, je reçois de votre écriture; mais je vois et je comprends seulement que vous n'avez rien à m'écrire. Depuis le 6 des ides, vous avez dû vous absenter. Dès lors, plus de nouvelles ; je ne laisserai pas de vous envoyer un courrier tous les jours, à peu près. J'aime mieux lui faire faire une course inutile, que de vous laisser sans moyen de communication dans un cas de besoin. J'ai reçu votre lettre vide, du C des ides; qu'auriez-vous eu à m'écrire en effet? Mais je ne suis pas fâché de savoir même que vous n'avez rien à m'écrire. Cependant vous m'avez dit un mot de Clodia, je ne me rappelle plus quoi. Où est-elle? quand revient-elle? A défaut de la propriété d'Othon, la sienne est ce qu'il y a de mieux. Mais je doute qu'elle veuille vendre. Elle s'y plaît et elle est riche. Quant à Othon, vous ne savez que trop combien il y a de difficultés. Mais enfin faisons tous nos efforts, je vous en conjure, et arrivons au but. Il est probable que je partirai demain. J'irai à Tusculum ou à Rome; peut-être ensuite à Arpinum. Lorsque je serai décidé, je vous en ferai part. J'avais eu la pensée de vous conseiller précisément ce que vous faites. N'est-il pas tout simple de vous occuper de cela chez vous et de faire fermer votre porte?

587. — A ATTICUS. Antium, juin.

A. XII,43. C'est le lendemain des ides, comme je vous l'ai précédemment écrit, que je compte coucher à Lanuvium; j'irai de là à Rome ou à Tusculum. Je vous le dirai. Vous ne me dites pas si j'ai raison d'attacher des idées consolantes à l'accomplissement de mon projet : j'approuve votre, silence ; ce sont la, croyez-moi, des choses qu'il ne vous était pas possible de juger. Vous pouvez cependant avoir la mesure de mon impatience dans l'aveu que je vous eu fais, à vous que je ne crois pas partisan bien chaud des idées qui me préoccupent. Mais si je m'abuse, il faut vous y résigner, mon cher Atticus. Que dis-je, vous y résigner? il faut y donner les mains. Othon m'inquiète; mais je crains, peut-être parce que je désire. En vérité, cette affaire est au-dessus de mes forces, surtout avec un concurrent passionné, riche, et qui hérite. Immédiatement après Othon, Clodia ; et si nous no réussissons ni d'un côté ni do l'autre, vous chercherez ailleurs, je vous en prie. Je me regarde comme engagé par un vœu sacré, plus engagé qu'on ne fut jamais. Voyez aussi les jardins de Trébonius. Les propriétaires sont absents, mais qu'importe? Puis, comme je vous l'ai dit hier, pensez à Tusculum, de peur (pie l'été ne se passe ; c'est ce qu'il faut éviter a tout prix.

588. —  A ATTICUS. Antium, juin.

A. XII, 44. Hirtius vous a témoigné de la sympathie pour moi, c'est une attention dont je lui sais gré: mais je vous en sais plus encore de n'avoir pas voulu me communiquer sa lettre; c'est là surtout une attention délicate. Quant au livre qu'il m'a envoyé sur Caton, je veux que vos gens le répandent, afin que le contraste d'indignes diatribes fasse mieux ressortir l'éloge du grand citoyen. Vous faites bien d'employer Mustella : c'est un homme spécial, et qui m'est absolument dévoué depuis l'affaire de Pontianus. Tâchez d'arriver par lui au résultat. Que nous faut-il autre chose, sinon qu'on laisse le champ libre aux acheteurs? et pour cela il suffit de la volonté du premier venu parmi les héritiers. Mustella, par exemple, ne vous refuserait pas, je le suppose. Ainsi, je devrais à vos soins un lieu propice à l'accomplissement de mon vœu, et en même temps un asile pour ma vieillesse. Le bien de Silius et celui de Drusus n'ont, sous ce dernier rapport, rien qui convienne. Un propriétaire peut-il du matin au soir rester les bras croisés dans sa villa? Othon, Othon avant tout! Puis Clodia. A défaut de l'un et de l'autre, usons de ruse avec Drusus, ou revenons-en à Tusculum.C'est un parti sage de vous être enfermé chez vous. Mais hâtez-vous, je vous en conjure; redevenez libre, et qu'Atticus me soit rendu ! Ainsi que je vous l'ai déjà dit, j'irai d'ici couchera Lanuvium le lendemain des ides, et le jour suivant à Tusculum. J'ai lutté, et pour peu que cela dure, j'aurai, je crois, pris le dessus. Demain peut-être, ou après-demain, au plus tard, vous en pourrez juger. Mais qu'est-ce, je vous prie? voilà Philotime qui prétend que Pompée n'est pas cerné dans Cartéia ! Oppius et Balbus m'ont envoyé la copie d'une lettre à Clodius le Padouan, ou la nouvelle était donnée comme certaine. Philotime ajoute que la guerre a de quoi durer longtemps encore: mais vous savez que Philotime, c'est du Fulvius tout purs. Mandez-moi ce que vous en saurez, et n'oubliez pas de me dire aussi ce qui en est du naufrage de Caninius.

589. — A ATTICUS. Antium, juin.

A. XII, 47. Eh bien! faites comme vous dites, et prenez votre temps. Vous pourrez m'écrire jusqu'à deux fois. D'ailleurs j'irai moi-même, s'il le faut. Consultez-vous. Parlez à Mustela, comme vous l'avez promis. Mais l'affaire est bien difficile, et je n'en suis que plus disposé à revenir à Clodia. Dans un cas comme dans l'autre, il est indispensable d'être payé par Fabèrius. Il n'y aurait pas de mal que vous en dissiez quelque chose à Balbus, et tout simplement ce qui en est ; que nous voulons acheter ; que nous ne le pouvons pas sans l'argent que nous doit Fabérius; que nous n'osons rien aventurer. Quand Clodia sera-t-elle à Rome? Et à combien portez-vous ses prétentions? Voilà ce qui me tient en suspens. Ce n'est pas que je ne préfère cette autre belle affaire. Mais l'objet est lourd et la lutte difficile avec un concurrent ardent, homme riche, et héritier. En fait d'ardeur, je ne le cède à personne, mais je ne suis pas de force sur le reste. Nous en parlerons. Oui, répandez l'écrit d'Hirtius. Ce que vous me mandez de Philotime est ce que j'en pensais. Savez-vous bien que votre maison va gagner beaucoup, ayant César pour voisin? J'attends aujourd'hui le retour de mon exprès. Il m'apportera des nouvelles de Pilia et d'Attica.

590. — A ATTICUS. Lanuvium près d'Antium, juin.

A. XII, 46. Oui, j'en aurai, je crois, le courage : je quitterai Lanuvium et je reverrai Tusculum. Comme tout en se modérant ma douleur restera éternellement la même, je dois renoncer à jamais à Tusculum, ou comprendre qu'il n'y a point de différence entre y aller aujourd'hui et y aller dans dix ans. Je n'y trouverai pas plus qu'ailleurs ces images cruelles qui me poursuivent jour et nuit, et qui me tuent. Mais quoi! direz-vous, les lettres et vos études ne vous servent donc à lien? Hélas ! tout au contraire; et peut-être sans elles serais-je moins sensible. Leur commerce anoblit le cœur, en lui ôtant sa rude écorce.

591. — A ATTICUS. Tusculum, juin.

A. XII, 45. Je viens d'achever ici deux longs traités. Le travail est pour moi le seul moyen d'échapper à ma misère. Quand bien même vous n'auriez rien à m'écrire, comme je le prévois, ne laissez pas que de le faire, ne fût-ce que pour me dire : Je n'ai rien à vous mander : seulement dites-le-moi en d'autres termes. Je suis charmé des nouvelles d'Attiea. Mais je n'aime point cette langueur dont vous souffrez, quoique ce ne soit rien, dites-vous. Je serai bien à Tusculum, pour avoir plus souvent de vos lettres et pour vous voir quelquefois. A tous autres égards, le séjour d'Asture me convenait mieux. Il y a des souvenirs qui bouleversent, et ils sont ici mille fois plus poignants. Au surplus, partout où je vais, mon mal me suit. — C'est d'après ce que vous me mandiez que j'ai appelé César votre voisin. D'ailleurs j'aime mieux qu'on l'ait logé avec Quirinus qu'avec la déesse Salus. Faites répandre l'écrit d'Hirtius. Je suis tout à fait de votre avis; on rendra hommage au talent de l'auteur. Mais l'idée d'attaquer Caton fera partout hausser les épaules.

592. — ATTICUS. Tusculum, juin.

A. XII, 48. Vous vous trouvez bien de rester chez vous, je le crois sans peine : mais dites-moi, je vous prie, ou vous en êtes et si vous avez fini. Je vous attends positivement à Tusculum, puisque vous avez annoncé à Tiron votre arrivée immédiate, en ajoutant que vous la croyiez nécessaire. Quand vous étiez là près de moi, je sentais combien votre présence m'était utile. Depuis votre départ, je le sens bien davantage encore. Aussi j'en reviens à ce que j'ai dit : Ou chez vous ou chez moi, suivant que le sort en décidera; mais nous ne pouvons être l'un sans l'autre.

593. — A ATTICUS. Tusculum, juin.

A. XII, 49. Hier, peu de temps après votre départ, des gens qui me parurent de bonne mine vinrent me trouver de la part de C. Marius, fils de Caius, petit-fils de Caius. Ils m'apportaient une lettre ou, dans un assez long préambule, i! me demande au nom de nos liens de famille, au nom de ce Marius que j'ai chanté, au nom de L. Crassus, son éloquent aïeul, de consentir à plaider pour lui. Puis, il entre dans l'exposé de son affaire. J'ai répondu qu'il n'avait pas besoin de défenseur, étant parent de César, le meilleur et le plus généreux des hommes, aujourd'hui tout puissant; que cependant je ne lui ferai pas faute. — Quel temps que celui ou il peut arriver qu'un Curtius ose songer au consulat! Je n'en dis pas davantage. Tiron m'inquiète; mais je vais avoir de ses nouvelles, car j'ai envoyé hier pour le voir. J'ai remis en même temps une lettre pour vous. Je vous ai transmis ma lettre à César. Mandez-moi, je vous prie, pour quel jour la vente des jardins est affichée.

594. — A ATTICUS. Tusculum, juin.

A. XII, 50. Autant j'ai eu de joie en vous voyant venir, autant j'ai de peine depuis que vous m'avez quitté. Revenez-moi donc aussitôt que possible, c'est-à-dire après que l'adjudication de Sextus n'exigera plus vos soins. Un jour, un seul jour passé ensemble m'est si utile, et, dirai-je aussi, m'est si doux ! J'irai à Rome rien que pour vous revoir ; mais il y a certaine chose sur laquelle je n'ai pas suffisamment encore pris mon parti.

595. — A ATTICUS. Tusculum, juin.

A. XII, 51. Tiron m'est revenu plus tôt que je ne l'espérais. J'ai Nicias aussi, et l'on m'annonce Valérius pour aujourd'hui. Voilà bien du monde : eh bien 1 je serai plus seul que si je n'avais que vous; mais l'affaire de Péducéus terminée, je vous attends; plus tôt même peut-être, dites-vous. Oh oui, plus tôt; tâchez. Soit : parlez à Virgilius; je voudrais seulement savoir à quand la vente. Vous croyez donc que la lettre à César peut passer? Que vous dirai-je? C'est aussi mon opinion, d'autant que je n'y ai rien mis qui ne soit d'un bon citoyen, mais d'un bon citoyen allant selon le temps, et suivant en cela le précepte de tous les écrivains politiques. Vous savez que je regarde comme indispensable de la communiquer d'abord à l'entourage. Veuillez vous en charger ; et si vous vous apercevez qu'elle ne soit pas entièrement goûtée, ne l'envoyez point. Vous verrez bien si leur approbation est naturelle ou feinte. Pour moi, j'interpréterais l'hésitation comme un blâme; mais vous saurez bien démêler le vrai. — En ce qui touche Cérellia, Tiron m'a dit votre pensée. Il ne me convient pas, suivant vous, d'être son débiteur. Vous préférez que je fasse un emprunt.

Il faut redouter l'un et ne pas craindre l'autre.

Nous en parlerons de vive voix, ainsi que de beaucoup d'autres choses. Je crois pourtant qu'il sera bon, sauf votre avis, d'ajourner le remboursement de Cérellia. Il faut d'abord que je sache à quoi m'en tenir sur mes débiteurs Milon et Fabérius.

596. — A ATTICUS. Tusculum. juin.

A. XII, 52. Vous connaissez L. Tullius Montanus, qui est parti avec Cicéron. Je reçois une lettre du mari de sa sœur. Il parait que Montanus est débiteur de Planeus, comme ayant garanti Flaminius pour vingt-cinq mille sesterces. Je ne sais pas précisément ce que désire de vous Montanus ; mais ne lui refusez pas, je vous en prie, ou de voir Plancus, ou de le seconder de toute autre façon. J'y suis engagé par devoir. Si vous en savez plus que moi, ou si vous croyez la démarche près de Plancus faisable, faites-moi la grâce de me l'écrire. Il faut que je sache ce qu'il en est, et quel est l'objet de cette démarche. J'attends le résultat de vos soins pour ma lettre à César. Je ne tiens pas aveuglément aux jardins de Silius, mais il faut que vous me fassiez avoir ceux de Scapula ou de Clodia. Je ne comprends pas votre hésitation au sujet de Clodia. Est-ce qu'elle ne vient pas à Rome, ou est-ce qu'elle ne peut pas vendre? Que vient-on de «n'apprendre, que Spinther divorce? Je vous parais donc bien hardi de traiter ce sujet en latin! Songez que le fond est d'emprunt; ce qui diminue beaucoup le travail. Je n'ai plus que les mots à trouver, et les mots sont toujours à mes ordres.

597. — A ATTICUS. Tusculum, juin.

A. XII, 53. Je n'ai rien à vous écrire, et je ne laisse pourtant pas que de le faire. Je crois causer avec vous. Nicias et Valérius sont ici. J'attends une lettre de vous ce malin; peut-être en aurai-je une seconde ce soir, si votre correspondance d'Épire ne vous en ôte pas la possibilité, et je ne veux pas me mettre au travers. Je vous envoie des lettres pour Marcianus et Montanus ; joignez-les à votre paquet, s'il n'est pas encore parti.

598. — A ATTICUS. Tusculum, juin.

A. XIII, 1. Votre lettre à Cicéron offre un mélange .inimitable de douceur et de sévérité. On ne pouvait mieux remplir mes intentions. Que de sagesse aussi dans votre langage aux Tullius! Ou il leur profitera, ou il faudra d'autres mesures. Je vois les bonnes dispositions que vous allez prendre ou plutôt que vous avez déjà prises pour les recouvrements. Si le succès les couronne, c'est à vous que je devrai mes jardins. Il n'y a pas, vous le savez, de genre de propriété que je préfère, surtout à cause du motif qui me le fait rechercher. Vous m'ôtez bien du souci en me donnant une espérance, je dirais même une assurance formelle pour la belle saison. Je ne pourrais nulle part couler moins péniblement ce qui me reste de jours. L'impatience de jouir me pousse quelquefois à vous harceler. Puis je me retiens, car je sais que, lorsque vous me connaissez un désir vif, votre impatience enchérit encore sur la mienne. Tenez-vous pourtant pour harcelé. Que dit-on dans le parti de la lettre à César? Nieios vous est attaché comme il le doit. Votre souvenir l'a vivement ému. J'ai beaucoup d'amitié pour Peduceus. Il a remplacé son père tout entier dans mon affection, et je l'aime à la fois pour lui-même et pour le nom qu'il porte. C'est vous qui avez formé cette liaison, et je vous en chéris davantage. Vous me ferez plaisir de donner un coup d'œil à ces jardins. Tenez-moi aussi au courant de ce qui concerne la lettre : ce me sera un sujet pour écrire. Dans tous les cas, je vous écrirai; la matière ne me manquera jamais.

599. — A ATTICUS. Tusculum, juin.

A. XIII, 2. Mille grâces de votre empressement, qui me touche plus que la chose même. Quelle indignité! Mais je suis fait à tout, et ma sensibilité est épuisée. J'attends une lettre de vous. Des nouvelles? Non. Quelles nouvelles en effet? Enfin, peut-être Faites porter cette lettre à Oppius et à Balbus, et si vous rencontrez Pison, parlez-lui de, cet or. A l'arrivée de Fabérius, ayez soin, s'il vous offre une assignation, qu'il me la donne pour tout ce qu'il me doit. Vous recevrez ce qu'Éros vous remettra. Ariarathes, fils d'Ariobarzane, est à Rome. Il vient sans doute marchander quelque royaume à César. Au point où en sont les choses, il n'a pas dans le sien de quoi reposer sa tète. Sextius, le pourvoyeur en titre, s'est déjà emparé de sa personne. Je n'en suis pas jaloux. Cependant je suis intimement lié avec les frères d'Ariarathes, à qui j'ai rendu les plus grands services ; je lui écris pour lui offrir ma maison. C'est pour ce motif que j'envoie Alexandre, et je le charge en même temps de ma lettre. Demain, la vente de Péducéus. Venez donc aussitôt que vous le pourrez ; peut-être Fabérius y fera-t-il obstacle, mais enfin quand vous serez libre. Dyonisius jette les hauts cris, et avec raison, de ce qu'on le tient si longtemps éloigné de ses élèves. Il m'a écrit une longue lettre, et sans doute vous en avez reçu une pareille. Je crains que son absence ne se prolonge; ce serait à mon grand déplaisir, car il me manque essentiellement.