600
- A ATTICUS. Tusculum, juin.
A. XI11, 3. J'attends une lettre de
vous, pas si matin toutefois, car je me suis mis à écrire de bien bonne
heure. Les noms qu'on m'offre me paraissent solides. Une seule chose
m'inquiète , c'est votre hésitation. Je n'aime pas que vous en référiez
à ma décision? moi qui ne pourrais me passer de la vôtre , si je
traitais moi-même. Mais j'explique cette réserve de votre part, plutôt
comme l'effet de votre prudence ordinaire, que comme appréhension réelle
sur la solvabilité des répondants. Vous désapprouvez mon affaire avec
Célius, et vous ne voulez pas que j'aille plus loin. Je me soumets sur
ces deux articles. Il faut donc accepter ces délégations. Sans cela,
vous auriez été forcé de me prêter votre garantie. De cette manière, je
n'aurai besoin de personne. L'échéance des effets qu'on me délègue est
un peu éloignée ; mais commençons par tenir ce que nous avons en vue :
j'obtiendrai bien ensuite de mon côté, soit du préposé aux enchères,
soit des héritiers, ce délai nécessaire pour établir la coïncidence avec
mes recouvrements. Occupez-vous de Crispus et de Mustella ; je voudrais
savoir quelle est leur part à chacun. J'ai su l'arrivée de Brutus;
Égypta, son affranchi, m'a apporté des lettres de lui. Je vous en ai
envoyé une qui est assez convenable.
601 — A ATTICUS. Tusculum, juin.
A. XIII, 27 . J'avais bien raison
de tenir à ce que ma lettre à César fût communiquée à ses amis, avant
d'être remise. Agir autrement, c'eût été leur manquer et peut-être me
compromettre, dans le cas on la lettre aurait déplu. Les remarques ont
été franches , sans réticence , et je leur en sais gré. Mais le meilleur
est qu'on m'a indiqué des changements si nombreux qu'il faudrait
refondre ma lettre, et c'est une excuse toute trouvée. Touchant
l'expédition contre les Parthes, après tout, qu'avais-je à considérer,
sinon qu'elle entrait dans ses vues? Ma lettre avait-elle d'autre but
que d'abonder dans son sens? Si j'avais eu à faire prévaloir mes propres
idées , est-ce que les raisons m'auraient manque? Enfin la lettre n'a
plus d'objet. Quand on a d'un côté si peu d'avantages en perspective et
de l'autre tant d'inconvénients, à quoi boa courir la chance? Remarquez
d'ailleurs que de mon long silence antérieur, il aurait naturellement
conclu que je n'aurais pas écrit, si la guerre avait pris une autre
tournure. Il aurait pu encore me soupçonner d'avoir cherché un palliatif
a l'éloge de Caton. Que voulez-vous? L'effort me coûtait. On me
désapprouve. Rien de plus heureux. J'allais avoir sur les bras toute la
clique, et votre parent aussi bien que les autres. — Parlons des jardins
: pour peu que cela vous gêne, ne vous déplacez point, je vous en prie;
mais de toute façon occupons-nous sérieusement de Fabérius. Si vous
saviez le jour de la vente , il faudrait me le mander. Je fais partir
sur-le-champ le courrier de Cumes, qui vous donnera d'excellentes
nouvelles d'Attica , et qui est d'ailleurs , m'a-t-il dit , porteur
d'une lettre pour vous.
602. — A ATTICUS. Tusculum, juin.
A. Xlll, 28. C'est aujourd'hui que
vous devez visiter les jardins. Je saurai donc demain ce que vous en
pensez. Quant à Fabérius, j'attends que vous l'ayez vu. Vainement vous
me pressez d'écrire à César; je ne le puis, je vous le jure. Ce n'est
pas que j'en rougisse, et pourtant je n'en aurais que trop de cause. Car
si déjà pour moi la vie est un opprobre, quelle honte que la flatterie
qu'on me propose ! Toutefois le premier pas est fait. Ce n'est plus la
honte qui m'arrête. Et que n'est-il vrai! L'excuse serait plus digne.
Mais en vain je veux écrire, et je ne trouve rien. Quel était le langage
que tenaient à Alexandre les hommes les plus éloquents et les plus
sages? Sur quoi roulaient leurs discours? Cette jeune unie, avide de
vraie gloire, recherchait avec ardeur tout ce qui lui parlait
d'immortalité. Eh bien! ce sont des conseils dans ce sens qu'on lui
donne. Il y avait de la dignité a les faire entendre. Pour moi, que
puis-je? j'avais mis mon esprit à la torture pour en tirer quelque chose
qui eût forme humaine ; mais comme il s'y trouve cà et là des principes
un peu différents des actes et de la tendance d'aujourd'hui , on n'en
veut pas ; je m'en console. Je serais beaucoup moins facile à consoler,
soyez-en sûr, si la lettre était partie. Eh quoi ! ne savez-vous point
que l'élève d'Aristote, cet esprit si grand, ce caractère si modeste,
une fois qu'on l'eut appelé roi, ne fut plus qu'orgueil , cruauté,
emportement? Comment avez-vous pu vous flatter, après cela, qu'un homme
dont l'image est portée à côté de celle des Dieux dans le temple du
grand Quirinus, qu'un tel homme trouverait plaisir aux conseils de
modération que je lui donne? Après tout, qu'il en pense ce qu'il voudra,
me voila débarrassé de ce problème d'Archimède que je vous avais donné à
résoudre; et, j'en atteste les Dieux, ce que je craignais alors, j'en
suis plutôt à le désirer aujourd'hui : pour mieux dire, je me résigne à
tout. — Si rien ne vous empêche, venez, je vous attends. Nicias, pressé
par Dolabella dont j'ai vu la lettre, vient de me quitter à mon grand
regret, et pourtant avec mon autorisation. Ceci de ma main.
603. — A ATTICUS. Tusculum , juin.
A. XIII, 29. Je causais philosophie
avec Nicias, et, sans en avoir l'air, je fis tomber la conversation sur
Thalna. Nicias n'a pas une très-haute idée de son mérite. Il le regarde
comme un jeune homme honnête et rangé. Mais voici ce qui ne me plaît
guère. Nicias prétend savoir que Thalna a recherché la main de
Cornificia, la fille de Q. Cornificius, laquelle est bien vieille
assurément, et a été mariée nombre de fois. Les femmes n'en ont point
voulu, parce qu'elles ont découvert que toute la fortune de Thalna
consistait en huit cent mille sesterces. Il est bon, je crois, que
vous sachiez ce détail. J'apprends par votre lettre et par Chrysippe ce
que je voulais savoir sur les jardins. Je connaissais
la bizarre disposition de la villa, et je vois qu'on n'y a rien ou
presque rien changé. Chrysippe vante beaucoup les grands bains. Il dit
qu'on peut se servir des petits comme bains d'hiver. Seulement il faudra
construire un promenoir couvert qui manque : or, quand je le ferais
aussi grand qu'à Tusculum, l'acquisition me reviendrait encore à peu
près à moitié moins que l'autre. Je connaissais aussi le bois. Rien de
mieux pour le temple que je veux élever. Ce bois était tout a fait
désert ; mais on dit qu'il est aujourd'hui très fréquenté : voilà
précisément ce qui me charme. Il faut que vous m'aidiez à satisfaire
cette fantaisie. Pour moi, il n'y a qu'une question : Fabérius me
remboursera-t-il? Dans ce cas, ne nous inquiétons pas du prix : je
viendrai bien à bout d'Othon. D'abord il n'est pas homme à s'entêter :
je crois bien le connaitre. Et puis, s'il a été aussi maltraité qu'on le
dit, il ne peut guère se rendre acquéreur. Sans cela , aurait-on si bon
marché de lui'? Mais pourquoi tant de raisonnements'? si vous amenez
Fabérius à s'exécuter, j'achète à tout prix. Autrement je ne puis
acheter, même à bon marché. Alors il faudra en revenir à Clodia. J'y
trouverai plus de facilités. Ses jardins sont bien moins chers, et la
créance de Dolabella est si sûre que je pourrai l'y affecter. C'est
assez; à demain. Vous, ou une excuse convenable, peut-être l'affaire de
Fabérius. Enfin, à demain , si vous le pouvez.
604. — A ATTICUS. Tusculum, juin.
A. XIII, 30. Je vous renvoie la
lettre de Cicéron. Eh quoi! homme de bronze, tant de périls ne vous ont
pas ému! Il m'adresse aussi des plaintes à moi. Je vous les aurais
communiquées, mais je suppose que ma lettre n'est qu'un double du récit
que vous avez de ses exploits. J'expédie aujourd'hui un exprès à Cumes,
et je le charge de la lettre que vous aviez donnée à Pharnace pour
Vestorius. Deméa venait de partir a l'instant où Éros est arrivé. Mais
sa lettre ne m'apprenait rien, si ce n'est que l'adjudication aura lieu
dans deux jours. Votre intention est de venir après. Aurez-vous aussi
fini avec Fabérius? Je le voudrais bien. Eros ne compte pas dessus pour
aujourd'hui. Demain matin , dit-il , il faut le gagner. Des prévenances
ne sont rien moins que des bassesses. J'espère vous avoir après-demain.
Tâchez donc, je vous prie, de déterrer les noms des dix commissaires
envoyés à Mummius. Polybe ne les nomme point. Je me souviens d'Albinus
le consulaire et de Sp. Mummius. Il me semble avoir entendu dire à
Hortensiuss que Tuditanus en était aussi. Mais je vois dans les annales
de Libon que la préture de Tuditanus est de quatorze années postérieure
au consulat de Mummius. Cela ne s'accorde pas. Je veux écrire un
entretien politique à la manière de Dicéarque, que vous aimez tant. Je
placerai la scène à Olympie ou ailleurs; nous verrons.
605. — A ATTICUS. Tusculum , juin.
A. X1II, 31. Déméa m'a remis le 5
des kalendes au matin votre lettre de la veille, d'après laquelle je
compte sur vous pour aujourd'hui ou pour demain. Je me doute que c'est
moi qui vous retiens là-bas , pendant que je vous désire ici. Je crains
que l'affaire de Fabérius, bien qu'en bon train, ne se termine pas sans
accrocs. Enfin puisque je ne vous ai point encore près de moi , venez
aussitôt que vous le pourrez. Vous me ferez plaisir de m'envoyer les
livres de Dicéarque dont vous me parlez. Veuillez y joindre sa visite à
l'antre de Trophonius. Quant à la lettre de César, c'est une question
décidée. Le plus curieux est ceci : il écrit, dit-on, qu'il ne marchera
contre les Parthes qu'après avoir mis ordre aux affaires. Voilà
précisément le conseil que je lui donnais, le laissant libre d'ailleurs
d'agir autrement, s'il le jugeait à propos. C'est ce qu'il attendait, la
chose est claire; et il ne veut rien faire sans avoir mes avis. Mais
oublions tout cela. Il vaut mieux garder encore une demi-liberté; le
moyen d'en jouir est de se taire et de se cacher. — Je vois que vous
préparez votre attaque contre Othon; oh! rendez-moi ce service, mon cher
Atticus. il n'y a pas un seul lieu ailleurs où je puisse plus librement
éviter le forum, et pourtant être encore avec vous. Quant au prix, voici
une réflexion que j'ai faite : C. Albanius est tout à fait voisin, et il
a acheté de M. Pilius mille arpents qu'il a payés cent quinze mille
sesterces, si ma mémoire est fidèle. Or, depuis, les biens sont en
baisse. Mais il faut tenir compte de la convenance et de mon envie; et
d'ailleurs, à l'exception d'Othon, je ne trouve pas un seul concurrent.
Vous êtes en position de lui dire un mot, voyez-le. Ce serait plus
facile avec Canus; c'est un mange-tout. J'en rougis pour son père.
Écrivez-moi, si vous avez quelque chose a me dire.
606. — A ATTICUS. Tusculum, juin.
A. XIII, 32. Puisque j'ai deux
lettres de vous aujourd'hui , je ne veux pas que vous n'en ayez qu'une
de moi. Oui, suivez votre plan à l'égard de Fabérius ; l'avenir de mon
projet en dépend. Sans ce projet, veuillez m'en croire et croyez-moi
toujours, il ne m'importerait guère. Continuez donc d'agir avec autant
de zèle. Plus n'est pas possible. Pressez, poussez, concluez. Soyez
assez bon pour m'envoyer les deux traités de Dicéarque sur l'Ame
et sur la Descente dans l'antre. Je ne trouve pas son
Tripolitique, ni sa lettre à Aristoxène. J'ai le plus grand besoin
de ces trois livres. C'est juste ce qu'il me faut pour l'ouvrage que
j'ai en tête. Le Torquatus est à Rome. J'ai donné ordre qu'on
vous le remît. Vous aviez déjà, je crois, le Catulus et le
Lucullus; j'ai ajouté de nouvelles préfaces en forme d'éloges. Il
faut que vous les ayez. Il y a aussi quelques autres additions. — Vous
m'avez mal compris sur ce que je vous ai écrit des dix commissaires.
Cela tient, je le suppose, aux signes abréviatifs dont je me suis servi.
Je vous demandais si Tuditanus avait fait partie de la commission. Je
l'ai entendu dire à Hortensius. Cependant je trouve dans les annales de
Libon qu'il fut prêteur sous le consulat de P. Popilius et de P.
Rupilius. Aurait-il pu être commissaire quatorze ans avant sa préture?
Oui, à toute force, s'il n'a été questeur que très tard. Mais je ne le
pense pas , car je vois qu'il a très-exactement passé dans les charges
curules le temps légal. Pour Postumius, dont vous vous rappelez avoir vu
une statue dans l'Isthme, je savais qu'il avait été du nombre des
commissaires. C'est celui qui a été consul avec Lucullus que vous avez
raison de me désigner pour figurer dans mon dialogue : c'est un très-bon
choix. Eh bien ! voyez à m'impliquer aussi les autres, afin que je
brille au moins par l'éclat des personnages que je fais parler.
607. — A ATTICUS. Tusculum, juin.
A. XIII, 33. Quelle inconcevable
négligence ! Pouvez-vous croire que Balbus et Fabérius ne m'aient pas
dit et répété que la déclaration était faite? Je ne m'en suis pas tenu
là. J'ai envoyé sur les lieux : il le fallait, disaient-ils. C'est mon
affranchi Philotime qui en a été chargé. Au surplus, vous connaissez. je
crois, le greffier. Eh bien! veuillez lui écrire un mot, à l'instant
même. Je viens moi d'écrire à Labérius, comme vous me le conseillez; je
me flatte qu'aujourd'hui même au Capitole vous aurez conclu quelque
chose avec Balbus. Je n'ai point de scrupule au sujet de Virgilius.
C'est un homme à qui je ne dois aucun ménagement; et si j'achète,
qu'aura-t-il à dire ? Il faut seulement prendre garde qu'en Afrique il
ne fasse comme Célius. Vous vous arrangerez avec Cispius pour le
payement. Mais si Plancus se présente , c'est une difficulté , point de
doute. Venez, vous le désirez comme moi; cependant que ce ne soit pas un
motif pour abandonner l'affaire. Othon se laisserait gagner, dites-vous
: c'est une bien bonne chose. Quant à l'estimation, vous avez raison, il
faut que l'affaire soit plus avancée ; il ne m'a écrit que pour me
donner la mesure du terrain. Tâchez de conclure avec Pison. — J'ai reçu
le livre de Dicéarque, et j'attends sa Descente à l'antre de
Trophonius. Oui , il faut trouver quelqu'un. Vous le chargerez de
parcourir les registres du sénat , sous le consulat de Cn. Cornélius et
de L. Mummius. Vous pouvez avoir raison à l'égard de Tuditanus. Il était
en effet à Corinthe ; Hortensius ne l'a pas dit au hasard ; et il était
alors ou questeur ou tribun militaire, plutôt tribun, je crois. Il vous
sera facile d'éclaircir ce qui concerne Antiochus. Voyez aussi en quelle
année il aura été questeur ou tribun. Si les dates ne cadrent pas, c'est
qu'il était dans les préfets ou à la suite. Mais à coup sûr il a fait
cette campagne. — Nous parlions l'autre jour de Varron. Vous connaissez
le loup de la fable : voilà Varron qui arrive, et à une heure telle
qu'il y avait nécessité de le retenir. Mais je m'y suis repris de
manière à ne pas déchirer son manteau , je vous assure. Je me souvenais
de votre mot : Ils étaient nombreux, et nous nous trouvions au dépourvu.
Qu'importe? un moment après, arrive Capiton, qu'accompagnait T. Carinas.
Pour ces deux-la, à peine ai-je fait mine de les retenir. Eh bien ! ils
sont restés, et cela s'est trouvé d'ailleurs à merveille. On a parlé par
hasard du projet d'agrandissement de l'enceinte de Rome. On doit
détourner le Tibre, à partir du pont Mulvius, et le faire passer au pied
du Vatican. Le champ de Mars se couvrira de constructions, et la vallée
du Vatican deviendra le champ de Mars. Comment? dis-je , et moi qui
songe à acheter les jardins de Scnpula! Gardez-vous-en, me répondit-il ,
le projet passera : César le veut. Je ne suis pas fâché d'être averti.
Mais quel contretemps! que croyez-vous de tous ces projets , vous que
j'interroge, comme s'il était possible d'avoir un doute sur l'exactitude
de Capiton? En fait de nouvelles, il le dispute même à Camille.
Tenez-moi au courant lorsque les ides viendront. Je n'allais à Rome que
pour cela. Le reste n'était qu'accessoire, et je puis sans la moindre
difficulté l'ajourner à deux ou trois jours. Je ne veux pas après tout
que vous vous mettiez sur les dents pour venir me voir. J'excuse aussi
Dyonisius. Quant ce Brutus, dont vous me parlez, je lui ai rendu la
liberté pour ce qui me concerne. Car je lui ai mandé hier que je
n'aurais pas besoin de lui pour les ides.
608. — A M. MARCELLUS. Rome.
F. IV, 10. Rien de nouveau à vous
apprendre. J'attends, au contraire, une lettre de vous, ou plutôt je
vous attends vous-même : cependant Théophile prît, et je ne veux pas le
laisser aller sans lui donner un mot. Arrivez donc le plus tôt possible.
Ce n'est pas seulement nous, je veux dire vos amis , c'est tout le monde
qui vous désire. J'appréhende quelquefois que vous ne preniez plaisir à
reculer sans cesse votre départ. Si vous n'aviez d'autre sens que la
vue, je vous pardonnerais de ne vouloir pas souffrir la vue de certaines
personnes. Mais ce qu'on entend n'est pas beaucoup plus gai que ce qu'on
voit. D'ailleurs, ou je me trompe fort, ou les intérêts de votre fortune
exigent impérieusement votre retour. Sous tous les rapports, votre
présence ici est essentielle, et c'est ce dont Je regarde comme un
devoir de vous avertir. C'est mon avis. Mais voyez dans votre sagesse ce
qui vous reste à faire. Seulement écrivez-moi l'époque pour laquelle
nous pouvons compter sur vous. Adieu.
609. — A ATTICUS. Tusculum, juillet.
A. XIII, 6. Vous avez très-bien
arrangé l'affaire de l'aqueduc. Voyez à ce que je ne paye pas le droit
sur les colonnes, quoiqu'il me semble avoir ouï dire à Camille que la
loi était modifiée. Il n'y a pas de meilleure défaite à donner à Pison
que l'absence des tuteurs du jeune Caton. Il ne s'agit pas seulement des
cohéritiers d'Hérennius; il s'agit encore du petit Lucullus C'est en
Achaïe que le tuteur a fait l'emprunt; la circonstance n'est pas
indifférente. Mais Pison en agit généreusement, puisqu'il déclare ne
vouloir rien faire contre notre désir. C'est entendu, nous réglerons de
vive voix la marche à suivre pour résoudre la difficulté. En attendant ,
vous avez très-sagement fait de voir les cohéritiers. Je n'ai point de
copie de ma lettre à Brutus, mais cela ne fait rien. Tiron prétend que
vous l'avez , et je me rappelle parfaitement en effet vous l'avoir
envoyée, avec celle par laquelle je répondais à ses reproches. Tâchez de
me sauver l'ennui d'être juge. Je ne connais nullement ce Tuditanus,
bisaïeul d'Hortensius. Je croyais que c'était son fils ; mais le fils ,
à cette époque , ne pouvait être commissaire. Je suis sûr que Sp.
Mummius était à Corinthe ; car Spurius que nous avons perdu récemment me
lisait souvent des lettres fort plaisantes qu'il écrivait de Corinthe à
des amis. Mais il était, je n'en doute point attaché à son frère, et non
un des commissaires. Depuis, j'ai reconnu que nos ancêtres se gardaient
de choisir les commissaires parmi les parents des généraux en chef; et
nous, étrangers ou indifférents aux belles coutumes de nos ancêtres,
nous envoyons à L. Lucullus , qui ?l M. Lucullus, Muréna , et plusieurs
autres de ses très-proches parents. Il est extrêmement vraisemblable que
le frère a été choisi à dessein. Que d'embarras je vous donne! Des
détails à vérifier et mes affaires à conduire : mais je sais que vous
mettez moins d'intérêt à ce qui vous concerne qu'à ce qui me touche
moi-même.
610. — A ATTICUS.
A. XIII, 4. Je dois à votre bonté
la liste exacte des dix commissaires. Je pense comme vous; car le fils
était questeur un an après le consulat de Mummius. Puisque vous me
demandez toujours ce qu'il me semble de cette assignation, je vous
répéterai que je la crois bonne. Terminez avec Pison , si c'est
possible. Avius fera ce qu'il doit. Tâchez de précéder Brutus à
Tusculum, ou faites du moins qu'il nous y trouve ensemble, quand il
arrivera. Votre présence m'importe. Vous saurez facilement le jour de
son départ. Il suffit de charger un esclave de s'en informer.
611. — A ATTICUS. Tusculum. juillet.
A. XIII, 5. Je croyais Sp. Mummius
l'un des dix commissaires. C'est une erreur. On a bien dit : il était
lieutenant de son frère; car certainement il était à Corinthe. Je vous
ai envoyé le Torquatus. Ayez, je vous prie, une explication avec
Silius, comme c'est votre intention, et pressez-le. Il soutient que
l'une des échéances ne tombe pas en mai. Il est d'accord pour l'autre.
Je recommande ce point à vos soins , toujours si excellents pour moi.
Informez-moi de ce que vous ferez avec Crispus et Mustella. Puisque vous
me promettez d'être ici pour l'arrivée de Brutus , je n'en demande pas
davantage. Aussi bien c'est pour l'affaire à laquelle je mets tant
d'intérêt que vous êtes retenu tous ces jours-ci.
612 - A TORIANUS. Tusculum, juillet.
F. VI, 21. Au moment où je vous
écris, on approche du dénouement de cette fatale guerre; peut-être même
y a-t-il quelque chose de décidé. Je ne laisse pas toutefois de me
rappeler chaque jour que parmi cette multitude en armes nous étions
seuls du même avis, vous du mien, moi du vôtre ; que tous deux nous
avons été seuls à comprendre ce qu'il y a de terrible dans cette lutte
d'où aucune paix ne peut sortir, où la victoire même est une calamité ,
ou l'on n'a devant soi que cette alternative : vaincus, la mort;
vainqueurs, la servitude. J'étais un peureux, disaient alors ces grands
cœurs, ces fortes têtes, les Domitius, les Lentulus. Eh! sans doute
j'avais peur, peur de ce qui est arrivé. Aujourd'hui je n'ai plus peur
de rien : je suis préparé à tout. Quand la prudence était de saison , je
gémissais de voir qu'elle fût négligée. Maintenant que tout est perdu,
qu'il ne reste rien à faire à la prudence, il n'est plus qu'un parti à
suivre, celui de la résignation. La mort n'est-elle pas la fin de tout?
Et n'ai-je pas à me rendre ce témoignage, que j'ai combattu pour
conserver l'honneur de la république tant qu'elle a eu un honneur à
défendre , et pour l'empêcher de périr du moins tout entière, quand
l'honneur a été perdu? Ne voyez pas ici , je vous prie , l'envie de
parler de moi ; je ne veux que faire naître chez vous les mêmes
réflexions, puisque j'ai toujours trouvé en vous une conformité parfaite
d'opinions et de vœux. C'est en effet pour chacun de nous une grande
consolation que de pouvoir se dire : L'événement est contre nous, mais
nous avions vu juste, et nous avons marché droit. Plaise aux Dieux que
la république parvenant à se rasseoir d'une manière quelconque, nous
puissions un jour nous revoir, et nous rappeler ensemble nos
pressentiments et nos alarmes, alors qu'on nous accusait de peur, parce
que nous disions que ce qui s'est accompli ne pouvait manquer d'arriver.
Au reste, je vous garantis qu'en dehors des malheurs de la république,
vous n'avez rien de particulier à craindre ; puis ayez de moi cette idée
qu'en tout ce que je puis je suis et serai toujours à votre service et à
celui de vos enfants.
613. — A ATTICUS. Juillet.
A. XIII, 7. J'ai eu la visite de
Sextius. Théopompe était venu la veille. Il m'a appris que César avait
écrit; qu'il annonçait son intention positive de rester à Rome , et
qu'il y resterait , comme il est dit dans ma lettre, pour empêcher ses
lois d'être inexécutées pendant son absence, comme l'ont été les lois
somptuaires. Ce motif est vraisemblable , et je l'avais deviné. Il faut
se soumettre. Aimez-vous mieux que je persiste? Lentulus a fait divorce
avec Metella , le fait est certain ; mais vous devez savoir tout cela
mieux que moi. Vous m'écrirez donc ce qui vous plaira , pourvu que vous
m'écriviez. Je ne vois guère ce que vous auriez à me dire : quelque
chose peut-être de Mustella; peut-être aussi avez- vous vu Silius.
Brutus est arrivé hier après la dixième heure à Tuscnlum. Il vient chez
moi aujourd'hui : veuillez vous y trouver. Je lui ai envoyé dire que
vous l'aviez longtemps attendu, mais que vous comptiez revenir au
premier avis de son arrivée, et que je m'étais chargé de vous en avertir
: c'est ce que je fais en ce moment.
614.— VATINIUS, IMP. , A SON CHER CICÉRON.
Narone en Dalmatie, 11 juillet.
F. V, 9. Si vous avez conservé vos
habitudes de patronage envers vos anciens clients, voici P. Vatinius qui
vient vous demander de plaider pour lui. L'assistance qu'il reçut de
vous aux jours du péril , vous ne la refuserez pas sans doute dans la
poursuite d'une distinction honorifique ((Vatinius demandait une
supplication). A qui pourrait-il recourir, à qui s'adresser, si ce n'est
à celui dont une fois déjà l'égide l'a protégé? Quand il s'agissait de
ma personne, vous n'avez pas craint de tenir tête à une coalition
puissante; aujourd'hui qu'il s'agit d'honneurs à me rendre, puis-je
douter que vous ne renversiez, que vous n'écrasiez une méchante cabale
et de misérables pygmées? Si donc votre affection pour moi est toujours
la même, couvrez-moi de vos ailes, et, prenant les charges comme les
bénéfices du patronage, faites tout ce qu'exigent les intérêts de ma
dignité. Vous ne l'ignorez point, ma fortune m'a , je ne sais pourquoi ,
et sans que je le mérite, je le jure, fait des ennemis; mais qu'importe
la cause, si le fait existe et si le sort l'a voulu ? Dans le cas où il
s'élèverait contre moi une opposition quelconque, j'attends de la
générosité habituelle de votre cœur que vous preniez en main la défense
d'un absent. Vous trouverez ci-après une copie du compte que je rends au
sénat de ma conduite. — J'apprends l'évasion du lecteur, votre esclave ,
qui s'est réfugié chez les Vardes. Vous ne m'en aviez rien dit. Je n'en
ai pas moins donné des ordres pour qu'on le recherchât sur terre et sur
mer. Je vous réponds de le découvrir, à moins qu'il n'ait passé en
Dalmatie; et encore me fais-je fort de l'y déterrer tôt ou tard.
Conservez-moi votre amitié et portez-vous bien. Le 5 des ides de
juillet, du camp de Narone.
615. — A ATTICUS. Tusculum, juillet.
A. XIII, 8. Je n'ai absolument rien
à vous dire ; vous me quittez à peine , et déjà j'ai trois pages de
vous. Veuillez faire remettre le paquet ci-joint à Vestorius, et charger
quelqu'un de s'informer si Q. Faberius a des propriétés à vendre du côté
de Pompéi ou de Nole. Envoyez-moi l'abrégé de Célius par Brutus, et
demandez à Philoxène le traité de Panétius sur la Providence. Je vous
verrai aux ides avec votre famille.
616. — A ATTICUS. Tiusculum, juillet.
A. XIII, 9. A peine étiez-vous
parti hier que Trébalius arriva, puis Curtius. De la part de Curtius, ce
n'était qu'une visite; mais je l'ai retenu. Trébatius restait. Ce matin
j'ai vu Dolabella. L'entretien s'est prolongé fort avant dans la journée
, et je ne puis vous dire avec quelle effusion, avec quelle intimité :
il a été question de Quintus, et j'ai appris des choses incroyables,
inexprimables. Il y a telle de ces confidences que je n'oserais dicter à
Tiron, ni même écrire moi-même, si toute l'armée n'en était instruite;
je passe donc. Par un heureux hasard , Torquatus vint pendant la visite
de Dolabella , et Dolabella a été assez aimable pour lui répéter mes
instances à son sujet. Je venais très à propos de lui en faire de fort
pressantes; Torquatus en a paru bien touché. J'attends de vous des
nouvelles au sujet de Brutus. Nicias croit l'affaire terminée (Le
mariage de Brutus avec Porcia , fille de Caton) ; mais il dit
qu'on blâme le divorce (Son divorce d'avec Clodia, fille d'Aprius).
Raison de plus pour que je désire comme vous qu'il en finisse. Car si
Brutus s'est fait tort, il peut ainsi se réhabiliter. Ma présence est
nécessaire à Arpinum. Cette petite terre a besoin d'être mise en état ;
et je craindrais de ne pouvoir m'absenter plus tard , quand César sera à
Rome. Dolabella assigne à son arrivée le même moment que vos conjectures
d'après la lettre de Messalla. Une fois à Arpinum, je verrai
sur-le-champ ce qu'il y a à faire, et je vous écrirai vers quelle époque
je serai de retour.
617 — A ATTICUS. Tusculum juillet.
A. XIII, 10. Je ne suis pas surpris
du trouble où vous jette la mort de Marcel lus, ni des appréhensions
qu'il vous fait concevoir. Comment prévoir une catastrophe à laquelle il
avait échappé jusque-là, et qu'il n'avait pas à redouter dans l'ordre
naturel? Il faudra désormais vivre dans de continuelles alarmes. Mais
quelle faute contre l'exactitude historique! et de votre part encore!
Moi, le seul consulaire restant ! Et Servius donc? Que vous en semble?
Après tout, quel avantage, surtout pour moi, qui trouve heureux le sort
de ceux qui ne sont plus? Qu'est-ce qu'un consulaire aujourd'hui? Ou est
notre influence? Est-ce au dedans ou au dehors? S'il ne m'était pas venu
en tête d'écrire, je ne saurais vraiment que devenir. Oui, il faut
choisir pour Dolabella quelque sujet d'un intérêt plus général , et qui
touche à la politique de plus près. Mais il faut faire quelque chose
pour lui ; car cela lui tient au cœur. Mandez-moi où en est Brutus.
Qu'il en finisse donc , si son parti est pris. C'est le moyen de couper
court aux propos , ou au moins de les apaiser. Ou ose en tenir jusque
devant moi. Il doit sentir parfaitement sa position, surtout pour peu
qu'il ait causé avec vous. -- Mon intention est de partir d'ici le 11
des kalendes , je n'ai rien à faire, .le n'aurai pas davantage à faire
là où je vais, ni en aucun autre lieu du monde. Cependant mes intérêts
m'appellent là-bas. .l'attends Spinther aujourd'hui : Brutus m'a envoyé
un courrier. Sa lettre disculpe César du meurtre de Marcellus. Eh! qui
songerait à l'accuser, lors même que Marcellus eût succombé par un
attentat secret'? Aujourd'hui qu'il est constant que c'est de la main de
Magius, tout ne s'explique-t-il pas par ses propres fureurs? Pourtant il
y a là un mystère qui m'échappe. Vous me l'expliquerez. Ce que je
comprends le moins, c'est le motif qui a pu porter Magius à un tel acte
de démence. Marcellus venait de lui servir de caution à Sunium.
Peut-être est-ce là le mot de l'énigme? Magius n'aura pu libérer sa
caution; il se sera adressé à Marcellus. Marcellus, selon sa coutume,
lui aura répondu avec dureté. Mais de si loin on peut se tromper.
618. — A ATTICUS. Arpinium, juillet.
A. XIII, 11. Je croyais que c'était
peu de chose, et maintenant que nous voilà séparés, l'absence est tout
autre à mes yeux. Mais il le fallait. J'avais à louer mes fermes, et à
épargner à Brutus la gêne que son amitié s'imposait. Nous nous
retrouverons plus commodément pour l'un et pour l'autre à Tusculum. Il
ne pouvait plus passer un seul jour sans me voir. Je ne pouvais aller
chez loi , et il se privait ainsi des agréments de son habitation. Mais,
je vous prie, Servilia est-elle arrivée? Brutus a-t-il été en avant? Son
parti est-il pris? Quand aura lieu la rencontre? Mettez-moi au courant
de ces détails et de tout ce qu'il est nécessaire, que je sache. Tâchez
aussi de Joindre Pison. Le moment est venu : n'en faites qu'à votre aise
toutefois.
619. — A ATTICUS. Arpinum, juillet.
A. XIII, 12. Le commencement de
votre lettre m'a fait trembler pour votre chère Attica. Puis je me suis
rassuré. Vous ne seriez pas si calme , si vous n'aviez une ferme
confiance dans son rétablissement.— Comme vous avez fait monter mon
Ligarius. Dorénavant c'est à vous que je m'adresserai pour crier
tous mes ouvrages. Vous me parlez de Varron ; mais je n'ai fait
jusqu'ici, vous les avez, que des discours ou autres écrits qui ne
permettaient point d'y placer son nom. A l'époque où je commençai à
écrire sur des matières philosophiques, Varron m'avait promis de me
faire une belle et imposante dédicace. Voilà deux ans passés, et ce
coureur qui va d'un si grand train n'a pas avancé d'une coudée.
J'attends l'effet de sa promesse pour m'acquitter envers lui et même
avec usure, si toutefois je le puis; si je le puis , cette
réticence est recommandée par Hésiode. J'ai bien mon traité de
Finibus, mais je l'ai dédié à Brutus. Vous le désiriez, et il n'est
pas, m'avez- vous dit, insensible à cet hommage. Il me reste mes
Dialogues académiques. Les interlocuteurs sont de hauts personnages,
sans contredit, mais d'assez pauvres philosophes, et je les ai faits
trop subtils. Eh bien! je puis à leur place faire parler Varron. C'est
du pur Antiochus, et vous savez le goût décidé de Varron pour Autiochus.
Catulus et Lentulus seront dédommagés plus tard. Je les laisserai
pourtant, si vous le voulez. Écrivez-moi ce que vous en pensez. —
Vestorius m'a écrit au sujet de la vente des biens de Brinnius. On est
tombé d'accord, me dit-il, de la faire chez moi le 8 des Kalendes de
juillet; mais on croyait que je serais à Rome ou à Tusculum pour cette
époque. Dites à votre ami S. Vettius, mon cohéritier, ou à Labéon,
d'ajourner do quelques jours. Je serai à Tusculum aux nones ou à peu
prés. Vous avez Éros avec Pison. Je ne fais que penser aux jardins de
Scapula. Voici le jour qui approche.
620. — A ATTICUS. Arpinium, juillet.
A. XIII, 13. Votre lettre et vos
observations me décident. Je raye de mes livres académiques les noms
illustres, et j'y substitue le nom de notre ami. Au lieu de deux livres,
j'en ai fait quatre , beaucoup plus étendus que les précédents, et
pourtant j'ai prodigieusement retranché. Comment avez-vous su que cela
ferait plaisir à Varron? Dites-le-moi, je vous prie, et que je sache
aussi le nom qui peut encore lui faire ombrage. Serait-ce celui de
Brutus? Il ne me manquait plus que ce motif pour me déterminer.
Toutefois je veux les avoir positivement. J'ignore si l'amour propre
d'auteur m'abuse; mais ces livres sont si bien venus, que même chez les
Grecs il n'y a rien en ce genre à leur comparer. Vous avez voulu avoir
un exemplaire des premiers : ce sont des frais perdus. Mais ne les
regrettez point ; la dernière rédaction l'emporte de beaucoup sur
l'autre par l'éclat , la précision , la qualité du style. Me voici dans
un autre embarras. Je consens à dédier un écrit à Dolabella, qui le
désire vivement; mais que choisir? D'un côté, je crains les Troyens; de
l'autre, comment, si je cède, me soustraire aux propos? Il faut donc ou
laisser là cette envie , ou trouver quelque chose. Mais pourquoi
m'inquiéter de ces bagatelles? Parlons plutôt de mon Attica. Comment se
porte-t elle? J'en suis cruellement en peine, je vous jure. A chaque
instant, je relis vos lettres; elles mettent du baume en mon âme , mais
je n'en attends pas moins avec impatience de plus fraîches nouvelles.
621. — A ATTICUS. Arpinum, juillet.
A. XIII, 16. C'est le bord des
ruisseaux, c'est la solitude des champs que je venais chercher ici pour
respirer plus à l'aise; mais impossible de mettre le pied dehors : la
pluie ne cesse point, une pluie horrible. J'ai introduit Varron dans
tous mes livres académiques. En premier lieu, Catulus, Métellus,
Hortensius étaient mes interlocuteurs. C'était une faute , car il est
constant que s'ils avaient quelques notions sur ces matières, ils ne les
avaient point approfondies. Aussi à peine arrivé aux champs , leur ai-je
d'abord substitué Caton et Brutus. C'est alors qu'arriva la lettre ou
vous me parlez de Varron. Point de nom à qui l'on puisse plus
convenablement prêter la doctrine d'Antiochus; mais approuvez-vous
positivement que je lui consacre un ouvrage? Si vous l'approuvez, cet
écrit est-il bien choisi? Répondez à ces questions. Que dit-on de
Servilia? Est-elle arrivée? Que fait Brutus? A quand son mariage ?
Quelles nouvelles de César? Je serai ici jusqu'aux nones, comme je vous
l'ai dit. Voyez ce que vous pourrez faire avec Pison.
622. — A ATTICUS. Arpinum , juillet.
A. XIII, 14. L'affranchi de
Brinnius, qui hérite ainsi que moi, m'écrit qu'il est prêt, lui et
Sabinus, autre cohéritier, à venir me trouver. Je ne le veux pas
absolument. La succession n'en vaut pas la peine. On peut faire annoncer
la vente pour le 3 des ides. Il suffit qu'ils viennent à Tusculum dans
la matinée, le lendemain des nones. Si le délai ne leur semble pas assez
large, qu'ils reculent la vente de deux jours, de trois jours, de ce
qu'ils voudront. Cela est sans importance. Empêchez-les seulement de
venir, si déjà ils ne sont en route. — Où Brutus en est-il? que sait-on
de César? quelles sont les autres nouvelles? Tenez-moi au courant, je
vous prie. Faites-moi connaître positivement aussi s'il vous convient
que j'envoie mon ouvrage à Varron. La question vous intéresse ; car vous
saurez que c'est vous que j'ai choisi pour troisième interlocuteur. Il
faut donc y réfléchir. Les noms sont déjà placés; mais on peut à volonté
les effacer ou les maintenir.
623. — A ATTICUS. Arpinum, juillet.
Α. XIII, 15. Eh bien ! comment se
trouve Attica? parlez-moi d'elle, je vous en conjure. Je suis sans
nouvelles depuis trois jours. Cela s'explique. Il n'y a pas eu
d'occasion, et peut-être n'aviez-vous rien à me dire. De mon côté, je
n'ai rien à vous apprendre. Valérius vous porte aujourd'hui ce mot.
J'attends quelqu'un de mes gens. Si on arrive, et avec des lettres de
vous, j'aurai assurément sujet de vous écrire.
624 — A ATTICUS. Arpinum, juillet.
Α. XIIII, 17. J'attends des
nouvelles de Rome le 5 des kalendes : ce n'est pas que j'aie donné
l'ordre de m'écrire, mais je compte sur vous. Vous me direz ce que pense
Brutus, s'il s'est décidé, ce qu'on attend de César. C'est là, au
surplus, ce qui m'intéresse le moins en ce moment. Ce que je veux savoir
avant tout, c'est comment se trouve Attica. Vos lettres respirent la
confiance; mais la date en est déjà ancienne. J'en attends une nouvelle
avec impatience.
625. — A ATTICUS. Arpinium, juillet.
A. XIII, 18. Vous voyez l'avantage
d'être près. Ayons donc des jardins. Quand j'étais à Tusculum, c'était
une causerie, on peut le dire, que nos lettres, tant elles allaient et
venaient avec rapidité! Ce commerce reprendra bientôt son cours. En
attendant et suivant votre conseil, j'ai achevé un livre d'une assez
fine philosophie, que je destine à Varron; éclaircissez toutefois les
doutes que je vous ai soumis. A quel signe avez-vous reconnu que Varron
ne serait pas fâché de cet hommage? A cet égard, je ne vois pas qu'il
m'ait jamais mis en demeure, lui pourtant le plus infatigable de tous
les écrivains. En second lieu, de qui serait-il jaloux? de Brutus? Si ce
n'est de Brutus, c'est encore moins d'Hortensius, ou de l'un de ceux que
je fais parler dans mon livre de la République. Tout cela n'est pas
clair à mes yeux. Persistez-vous? Dois-je envoyer l'ouvrage? Faut-il
attendre? Nous en parlerons à notre pre¬mière rencontre.
626. — A ATTICUS. Arpinum, juillet.
A. XIII, 19. Le 4 des kalendes,
Hilarus, mon secrétaire, venait de partir avec une lettre pour vous,
lorsque le messager m'a remis la vôtre de la veille, où je lis avec tant
de plaisir ce que vous me dites d'Attica, que cette chère enfant vous
prie de ne pas être triste, et ou vous m'assurez qu'elle est hors de
danger. — Votre parole et votre suffrage ont fait merveille, je le vois
bien , pour mon Ligarius. Balbus m'écrit , Oppius m'écrit. Ils sont sous
le charme, et ils ont voulu envoyer le discours à César, je le savais
déjà par vous. — Si je me détermine pour Varron, ce n'est pas pour
éviter qu'on m'impute un dépit d'amour-propre. J'avais résolu de ne
faire parler dans ces dialogues aucun personnage vivant. Mais vous
m'avez mandé son secret désir et l'importance qu'il y attache. Je me
suis mis à l'œuvre, et je l'ai menée à fin. Est-ce avec succès? Je ne
sais; ce que je puis dire, c'est qu'on n'y pouvait mettre plus de soin.
La doctrine académique est là résumée en quatre livres. J'ai mis dans la
bouche de Varron tout ce qu'Antiochus a si habilement rassemblé de
preuves contre le doute absolu. C'est moi qui réponds et vous arrivez
entiers entre nous. Si j'avais supposé le débat entre Cotta et Varron ,
comme vous me le conseilliez dans une de vos dernières lettres, il y
aurait eu un personnage muet. Cela fait très bien lorsqu'on prend des
personnages du temps passé, comme Héraclide dans beaucoup de ses
ouvrages, et moi-même dans mes six livres de la République. Le
dialogue de l'Orateur, mon enfant chéri, en est encore un
exemple. Mais là j'étais naturellement exclu d'un entretien qui se passe
entre Crassus, Antoine , le vieux Catulus, C. Julius son frère , Cotta,
Sulpicius. Je n'étais qu'un enfant à l'époque où je le place et je ne
pouvais y jouer un rôle. Pour mes derniers écrits , j'ai suivi l'exemple
d'Aristote qui dirige la conversation de manière à rester toujours le
principal personnage. J'en ai fait autant dans mes cinq livres de
Finibus où la doctrine d'Épicure est défendue par L. Torquatus, ou
M. Caton représente les Stoïciens et M. Pison les Péripatéticiens.
J'étais bien sûr de ne pas faire de jaloux : aucun d'eux n'existe plus.
Les premiers Interlocuteurs de mes livres académiques étaient, vous le
savez, Catulus, Lentulus et Hortensius. Ils y étaient déplacés. La
philosophie y est d'une portée où nul des trois n'a pu arriver, même en
songe. Aussi le nom de Varron dans votre lettre m'a frappé comme une
rencontre inespérée. Nul qui soit mieux assorti avec cette doctrine,
dont je sais qu'il fait ses délices , et avec le rôle que je lui prête.
C'est à douter que le mien soutienne la comparaison. La logique
d'Antiochus offre un fonds si riche ! Je me suis étudié à lui conserver
ce qu'elle a d'incisif, en y ajoutant tout l'éclat que peut avoir mon
langage. Cependant examinez encore, examinez mûrement si je dois prendre
Varron. Il y a des objections. Nous en causerons à la première
rencontre.
627. — A ATTICUS. Arpinium, juillet.
A. XIII, 20. J'ai reçu de César une
lettre de consolation. Elle est datée d'Hispalis, la veille des kalendes
de mai. Dites-moi, je vous prie, ce qu'on a décrété pour l'extension de
la ville. Je ne le comprends pas bien et je tiens à le savoir. Je suis
très-sensible à la reconnaissance de Torquatus, et je tâcherai d'en
multiplier les causes. Il n'y a plus moyen de parler de la femme et de
la belle-mère de Tubéron dans mon discours pour Ligarius. Le discours
est publié. Je ne veux pas d'ailleurs me faire le défenseur de Tubéron.
C'est un caractère si difficile! Il vous a donné là un beau spectacle.
Mes jours s'écoulent fort doucement en cette demeure. Je ne souffre que
de votre absence. Aussi je compte toujours aller vous trouver comme je
me le proposais. Vous avez dû voir mon frère ; je suis bien curieux de
savoir ce que vous avez fait. Quant à moi , je ne m'inquiète pas des
propos, et quoique je vous en aie follement écrit un jour, il n'y
a rien de mieux à faire que de n'y point songer. L'essentiel est de ne
dévier du droit chemin en aucune circonstance de la vie. Mais
n'admirez-vous pas comme je deviens philosophe? croyez-vous donc que ces
matières passent impunément par mes mains? Vous avez pris la chose au
vif. Je ne l'aurais pas voulu , elle n'en valait pas la peine. Mais je
reviens à mon sujet. Que m'importe , après tout , je vous prie, du
moment que je ne manque point à l'amitié? Ma conduite annoncerait-elle
l'envie de dominer au forum? Ah! je n'y tiens guère. Que ne suis-je
aussi indifférent à mes chagrins domestiques! Pensez-vous que j'avais un
but et que je n'ai pu l'atteindre? Non. Mais on peut changer, et il
m'est permis, tout en applaudissant au passé, d'avouer hautement
aujourd'hui ma parfaite indifférence. Je m'arrête, eu voilà bien long
sur des misères.
628. — A ATTICUS. Arpinum, août.
A. XIII, 21. Hirtius s'est chargé
d'une lettre fort longue que je vous ai écrite dernièrement de Tusculum.
Vous m'en aviez adressé une à la même époque; mais j'y répondrai plus
tard. J'ai à traiter avec vous de points plus pressants. D'abord, que
puis-je savoir de Torquatus, si Dolabella ne m'en dit rien? Dès que
j'apprendrai par lui quelque chose, vous en serez informé. J'attends au
surplus aujourd'hui ou demain au plus tard le retour de mon courrier, et
je vous l'enverrai aussitôt. J'espère aussi avoir une lettre de Quiutus
: vous savez qu'au moment de mon départ de Tusculum, le 8 des kalendes,
je lui ai envoyé un esclave. -J'arrive maintenant au principal objet de
cette lettre, à l'expression d'inhibere, qui d'abord m'avait
souri et que je condamne souverainement. C'est un terme de marine, je le
savais bien, mais je croyais que dans le commandement naval il
signifiait suspendre les rames. J'ai été détrompé hier en voyant un
navire aborder près de ma maison. Au commandement d'inhibere, les
nautonniers ne suspendent pas l'action des rames, ils les manoeuvrent
autrement. C'est bien loin , vous le vovez du grec
ἐποχῆ.
Laissez donc la phrase telle qu'elle est et
avertissez Varron , dans le cas ou il aurait fait faire une correction à
son exemplaire. Il n'y a rien de mieux que le sens de ce vers de
Lucullus.
Sustineat currum, ut bonu' soepe agitator,
equosque.
Carneade ne se sert d'ἐποχῆ
que dans le sens de temps d'arrêt; c'est l'athlète qui se recueille
avant de frapper, ou le cocher qui rassemble les rênes avant de lancer
ses chevaux. Inhibere indique, au contraire, un mouvement, même
un mouvement accéléré, comme lorsqu'on veut faire passer le navire de la
poupe à la proue. Voilà une discussion grammaticale qui m'occupe, vous
le voyez, plus que les propos dont je suis l'objet, ou les bruits
répandus sur Pollion. Sait-on quelque chose de positif à l'égard de
Pansa? Le fait n'a-lil pas été public? Qu'y-a-t-il de vrai dans
l'affaire de Critonius? Celle de Metellus et de Balbinus se
confirme-t-elle? Mais, dites-moi, je vous prie, est-ce qu'il vous
convient qu'on donne de la publicité sans mon aveu âmes ouvrages? C'est
ce que Hermodore lui-même ne se permettait pas, je parle de l'Hermodore
qui publiait les leçons de Platon, d'où lui est venu le nom d'Hermodore,
aux paroles volées. Qu'en pensezvous? Vous paraît-il convenable que
quelqu'un ait l'ouvrage avant Brutus, quand c'est à Brutus que, par
votre conseil, je le consacre ? Balbus m'écrit qu'il tient de vous une
copie de mon cinquième livre de Finibus. Je n'ai pas refondu
entièrement ce livre; mais j'y ai fait des changements : aussi vueillez
ne pas laisser sortir les autres livres de vos mains. Autrement Balbus
aurait une copie informe, et Brutus ne recevrait plus qu'un fruit
éventé; mais assez sur ce chapitre. Je ne veux pas faire une affaire de
ces bagatelles; pourtant ces bagatelles sont aujourd'hui ce qui peut
m'occuper de plus important. Quel autre intérêt me reste-t-il? —
L'ouvrage que je dédie à Varron par votre avis , est déjà entre les
mains des copistes à Rome, tant je suis impatient de le lui offrir! Si
vous désirez l'avoir, vous le pouvez. Mes copistes ont ordre de le
remettre aux vôtres , sur votre demande. Mais que l'ouvrage ne sorte pas
de vos mains, avant que je vous voie. C'est une recommandation que votre
bonté accepte toujours, mais encore faut-il que je vous la fasse. S'il
m'arrive de l'oublier, Cérellia ne manque pas, dans sa passion pour les
ouvrages philosophiques, de prendre une copie sur la vôtre. C'est ainsi
qu'elle possède mes livres de Finibus, et je vous affirme, en avouant
toutefois que je suis homme et faible, je vous affirme que ce n'est pas
de moi qu'elle les tieut. Je n'ai pas un seul moment perdu de vue mes
copistes, et, loin d'avoir pu faire deux copies, c'est tout au plus
s'ils ont eu le temps d'en achever une. Ce n'est pas que je prétende
accuser vos gens, ni que je veuille vous donner d'eux une autre opinion
que la mienne. Seulement, je le répète, je ne voulais pas publier encore
l'ouvrage, et j'ai commis la faute de ne pas vous en avertir. Qu'en
voila long pour une bagatelle! Mais je n'ai rien de plus sérieux à vous
dire. — En ce qui concerne Dolabella, nous sommes d'accord. Les
cohéritiers viennent à Tusculum , c'est entendu. César n'arrivera pas
avant les kalendes d'août, je le sais des Balbus. Enfin la situation
d'Attica ne laisse rien à désirer, et sa résignation est admirable :
voila la meilleure et la plus chère de toutes les nouvelles. Un mot
encore pour répondre à ce que vous me dites sur cette pensée dont je
réclame exclusivement l'honneur. Ce que j'apprends du caractère, de la
famille, de la fortune, est tout ce qu'il y a de mieux. Cependant je ne
connais pas l'homme personnellement ; et ce serait l'essentiel, mais
Scrofa m'en a dit du bien. Je vous dirai de plus, si cela peut vous
toucher, qu'il est plus noble que son père. Nous en parlerons à notre
première rencontre. D'avance je donne mon adhésion à tout. Ce que vous
n'ignorez pas, je pense , c'est que j'aime le père tendrement , que je
l'aime plus que vous ne le croyez et qu'il ne le croit lui-mème; et cela
à bon droit et depuis bien longtemps.
629. — A ATTICUS. Arpinum. août.
A. XIII, 22. Ce n'est pas sans
motif que j'insiste pour savoir le fonds de votre pensée sur Varron. Il
y a des objections, je vous les communiquerai à notre première entrevue.
Quant à vous, mon cher Atticus, je vous ai fait entrer dans mes
Dialogues , et désormais vous y jouerez plus souvent un rôle, puisque je
vois par votre dernière lettre que vous n'y avez aucune répugnance.
Cassius m'avait déjà fait part de l'événement de Marcellus. Servius m'en
a donné tous les détails. Quelle fin cruelle! — Je reviens à l'objet de
ma lettre. J'aime à savoir mes écrits entre vos mains. Ils y sont mieux
que partout ailleurs; mais ne les laissez point circuler, que nous n'en
soyons l'un et l'autre d'accord. Je tiens vos copistes pour innocents,
et je ne vous accuse point vous-même. Je n'y songeais nullement, je vous
assure, lorsque je vous ai parlé d'une copie que Cérellia ne pouvait
tenir que de vous. A l'égard de Balbus, je sens bien qu'un refus vous
était impossible. Seulement j'aurais voulu que Brutus n'eût point un
ouvrage qui traîne, ni Balbus un ouvrage ébauché. Je ferai l'envoi à
Varron , si vous persistez, après m' avoir vu. Vous saurez alors ce qui
me fait hésiter. Vous avez fait assigner mes débiteurs. Fort bien. Que
les tourments qu'on vous donne pour le domaine de votre aïeule
m'affligent, et que ce que vous me mandez de Brutus est désespérant!
mais voilà la vie! Tant d'aigreur ne peut se justifier entre deux femmes
dont chacune ne fait que ce qu'elle doit (Il
s'agit de quelque différend entre Servilla , mère de Brutus , et Porcia,
sa femme). Il n'v avait pas de motif pour faire assigner mon
greffier Tullius; s'il y en avait eu, je vous l'aurais écrit. Je ne lui
ai rien remis pour les dépenses relatives au vœu que j'ai résolu
d'accomplir. Il a bien quelques fonds à moi , mais je compte les
appliquer à la destination dont il s'agit. Nous avions donc raison tous
deux, moi de vous dire : les fonds sont là ; lui de vous répondre : je
n'en ai joint. Seulement, mon cher Atticus, mettons enfin la main à
l'œuvre. Un bois ne convient guère à une habitation. C'est trop désert.
Il y a pourtant beaucoup à dire pour. Il en sera ce que vous voudrez :
vous êtes mon guide en tout. J'arriverai au jour dit : puissiez-vous
arriver le même jour ! Si vous avez des affaires , et vous en avez tant
! venez au moins le lendemain. C'est le jour des cohéritiers. Je ne veux
pas les recevoir sans vous; je m'en trouverais trop mal. Voilà deux
lettres où vous ne me dites rien d'Attica. Pour moi , c'est le meilleur
de tous les augures. Je me plains, non de vous, mais d'Attica, qui n'a
pas même un souvenir pour moi. Dites-lui mille choses aimables, ainsi
qu'à Pilia. Ne lui laissez pas voir que je suis fâché contre elle. Je
vous envoie la lettre de César, en cas que vous ne l'ayez pas vue.
630. — A ATTICUS. Arpinum, août.
A. XIII, 23. Hier je répondis
sur-le-champ à votre lettre du matin. En ce moment, je réponds à celle
du soir. J'aurais préféré que Brutus m'eût mandé de venir. C'eût été
plus dans l'ordre à la veille d'un départ précipité pour une contrée
lointaine. Et en vérité , dans notre position d'esprit assez peu
sociable en ce moment (vous savez très-bien ce que sociable veut dire),
je n'aurais pas été trop fâché d'être avec lui à Rome plutôt qu'à
Tusculum. — L'ouvrage que je destine à Varron n'aurait pas été un
obstacle. La copie vous l'avez vue; elle est terminée. On la relit. Vous
savez mon hésitation. Mais vous en déciderez. L'autre ouvrage que
j'envoie à Brutus (le traité de Finibus)
est également entre les mains des copistes. — Oui, suivez mes
prescriptions , puisque vous le voulez bien. Trébatius dit que cette
remise se fait toujours. Mais pensez-vous que les gens y consentent?
Vous connaissez la maison. Eh bien! terminons à l'amiable. Vous ne
sauriez croire le peu d'intérêt que je prends à tout cela. Je vous
affirme en toute sincérité, et vous pouvez me croire, que le peu que je
possède est aujourd'hui pour moi une peine plutôt qu'un plaisir. Le
regret de n'avoir pas à qui le transmettre est plus amer que la
jouissance n'en est douce. Trébatius me dit qu'il vous a parlé comme à
moi-même de cette remise. Auriez-vous craint de me mécontenter en m'en
faisant part? Je reconnaîtrais bien là votre bonté. Mais , croyez-moi ,
rien de tout cela ne me touche. Ainsi consentez au rendez-vous,
tranchiez et concluez, poussez, pressez, parlez, sans oublier que vous
parlez à Scéva. N'espérez point que celui qui est capable de demander ce
qu'on ne lui doit point fasse la remise de ce qu'on lui doit. Tenez
seulement au délai, et encore n'insistez pas trop.
631. - A ATTICUS. Arpinum, août.
A. XIII, 24. Qu'est-ce, je vous
prie? Clodius Hermogène prétend avoir entendu dire à Andromène qu'il a
vu Cicéron à Corcyre. Mais vous le sauriez. Ne m'aurait-il pas écrit
lui-même? On ne l'a donc pas vu. Veuillez me tirer d'incertitude. Que
puis-je vous dire encore de Varron? Les quatre beaux volumes sont a
votre disposition. Ce que vous ferez , je l'approuve , et je me moque
des Troyens. D'ailleurs qu'aurait-ou à dire? J'appréhende bien plus
les dispositions personnelles de Varron. Au surplus, comme c'est vous
qui m'en répondez , je dors sur les deux oreilles.
632. — A VARRON. Arpinum, août.
F. IX, 8. Promesse faite n'autorise
pas , je le sais, demande importune : le peuple lui-même a cet égard
donne l'exemple de la discrétion, à moins qu'il ne soit poussé. Chez moi
cependant l'impatience est la plus forte, et je viens, si non vous
actionner, du moins vous dire : Ne m'oubliez pas. Je vous dépêche à cet
effet quatre ambassadeurs, non pas des plus circonspects. Vous savez si
la jeune Académie manque de front. Or, ils en sont tous quatre sortis a
ma voix, et je crains qu'ils ne prennent un ton plus que pressant.
Pourtant ils ont ordre de n'employer que la prière. Je désirais depuis
longtemps vous dédier un ouvrage, mais je me retenais : je voulais vous
laisser l'initiative, afin de tâcher de vous donner l'égal de ce que
j'aurais reçu. Mais vous y mettez trop de temps, parce que vous y mettez
plus de soin, j'imagine. Et moi, je n'ai pu résister davantage au besoin
de vous donner un témoignage tel quel et de nos sympathies littéraires
et de la vive amitié qui nous lie. J'ai arrangé l'entretien que nous
avons eu, vous et moi, à Cumes, lorsque nous y étions avec Pomponius (
Atticus). Le rôle d'Antiochus m'a paru vous convenir. J'ai pris celui de
Pbilon. Peut-être, en le lisant , serez-vous surpris d'y voir beaucoup
de choses que nous n'avons pas dites. Mais quand on compose un dialogue,
c'est l'usage, vous le savez. A l'avenir, mon cher Varron , il dépendra
de vous que nous ayons ensemble des conversations réelles, et le plus
souvent possible. Nous nous y prenons un peu tard peut-être. Mais, pour
l'emploi du temps passé, c'est à la république à en rendre compte, et
même nous lui devons encore le présent. Que le ciel ne nous accorde-t-il
du moins des temps paisibles et une forme de gouvernement quelconque,
non pas une bonne si l'on veut , mais un peu de fixité du moins pour
nous livrer ensemble a l'étude ! Des modifications politiques nous
imposeraient des soins, des travaux , des occupations honorables, tandis
qu'aujourd'hui nous n'avons que l'étude pour nous attacher à la vie.
Encore son aide suffit-elle à peine pour m'y retenir. Sans cette aide,
le lien se détacherait. Mais ce sera là l'objet , le principal objet de
nos entretiens. Je veux que vous n'ayez qu'à vous applaudir par la suite
de votre déplacement et de votre acquisition. Je loue fort le parti que
vous avez pris là-dessus. Adieu.
633. — A ATTICUS. Arpinum, août.
A. XIII, 25. Vos questions étaient
précises au sujet de cette remise. J'y ai répondu. Concluez donc sans
hésitation ni faux-fuyant. Il le faut, j'en ai besoin. J'étais persuadé
d'avance de votre réponse sur Andromène. Vous auriez su le fait et vous
ne me l'auriez pas laissé ignorer. Vous me parlez de Brutus sans rien me
dire de vous-même. Quand croyez-vous qu'il vienne ici? Moi, je serai à
Rome la veille des ides. Si vous avez lu ma lettre, il faut que je me
sois mal expliqué : mon but était de lui faire entendre ce que j'avais
compris moi-même dans la vôtre, savoir qu'au milieu des préparatifs de
son départ , il désirait que je ne vinsse pas le chercher a Rome. Mais
me voilà tout à l'heure obligé de m'y rendre. Faites donc en sorte, je
vous prie, que cette circonstance des ides ne le détourne pas de venir à
Tusculum, si cela lui convient. Sa présence n'est pas nécessaire pour la
vente. En pareille affaire la vôtre ne suffit-elle pas parfaitement?
J'aurais désiré la sienne, il est vrai , pour le testament ; mais je
l'ajourne. Je ne veux pas lui donner à croire que c'est pour cela que je
vais à Rome , et je lui mande qu'ainsi que je le prévoyais, je n'ai
décidément pas besoin de lui pour les ides. Veillez, je vous prie, à ce
que tout se combine pour ne pas gêner le moins du monde les convenances
de Brutus. — Mais pourquoi cette appréhension extrême que votre nom
paraisse dans cet hommage à Varron? Si maintenant encore vous avez
quelques doutes je veux les savoir. Je n'ai , je vous assure , jamais
rien écrit de mieux. Je tiens à Varron, croyant que c'est son désir.
Cependant vous le connaissez. « C'est un caractère susceptible, capable
d'accuser l'innocence même. » Quelquefois je me représente la figure
qu'il ferait, venant, par exemple, se plaindre à moi de ce que ma thèse
est mieux développée, mieux soutenue que la sienne. Il n'en est rien
pourtant, je vous l'affirme. Vous en jugerez en Épire. Quant à présent ,
je cède la place à votre correspondance avec Alexion. Je me flatterai
jusqu'au bout de la bonne grâce de Varron, et puisque j'ai fait pour lui
la dépense d'une copie en grand format , je veux bien en courir la
chance. Toutefois, c'est à vos risques et périls Je vous le dis , je
vous le répète, et si vous avez des craintes, il faut substituer Brutus
à Varron. Brutus n'est-il pas, aussi lui, tout Antiochus? Voilà bien
l'Académie ! toujours changeante! aujourd'hui ceci; demain cela. Mais,
dites-moi, ma lettre à Varron ne vous a-t-elle pas charmé? Me punissent
les Dieux , si je me donnai jamais autant de peine ! Je n'ai pas même
voulu la dicter à Tiron qui retient des lignes entières. Je l'ai dictée
à Spintharus mot-à-mot.
634. — A P. SULPICIUS; peut-être A
VATINUS. Rome, août.
F. XIII, 77. Il m'arrive
aujourd'hui bien rarement d'aller au sénat. Mais en lisant votre lettre,
j'ai senti que c'était un devoir pour ma vieille amitié, après un si
long échange de bons procédés entre nous , de ne pas manquer dans une
occasion où il s'agit d'un honneur à vous décerner. Je me suis donc
rendu au sénat, et c'est avec grand plaisir que j'ai voté en votre
faveur une supplication. En toute circonstance, l'(intérêt de votre
fortune, de votre réputation , de votre dignité, me trouvera là pour le
soutenir. Je vous invite même à écrire à vos amis, que tels sont mes
sentiments à votre égard, afin qu'ils sachent bien que, si mon
assistance vous devenait utile, c'est un droit pour eux d'y recourir. —
Je vous recommande avec une vive instance M. Bolanus, homme d'honneur et
de courage, distingué sous tous les rapports et mon vieil ami. Faites
qu'il reconnaisse à vos procédés l'utilité de ma recommandation. Ce sera
m'obliger essentiellement. Vous verrez qu'il n'y a pas de plus excellent
homme, ni de cœur plus reconnaissant. Je me rends garant du plaisir que
vous tirerez d'une liaison avec lui. — J'ai un autre service à
solliciter de votre attachement et de votre complaisance si souvent
éprouvée. Dyonisius, mon esclave, était chargé du soin de ma
bibliothèque, laquelle est de fort grand prix ; il a commencé par me
dérober un grand nombre de livres, puis il a eu peur de ne pas porter
loin l'impunité, et il a pris la fuite. Il est dans votre province. M.
Bolanus, mon ami, et beaucoup d'autres l'ont vu à Narone. Il s'est dit
affranchi par moi , et ils l'ont cru. Si vous pouviez le faire remettre
en mon pouvoir, je ne saurais vous dire quelle serait ma gratitude. La
chose a peu d'importance , mais je suis piqué au vif. Bolanus vous dira
quelles sont les mesures à prendre. Oui , si par vos soins je puis
remettre la main sur ce misérable, ma reconnaissance vous est acquise à
jamais.
635. — A ATTICUS. Tusculum, août.
A. XIII, 35 et 36. Quelle
indignité! quoi! votre homonyme (Quelque architecte du nom de Pomponius)
veut agrandir Rome, ou il vint il y a deux ans à peine, pour la première
fois : elle lui paraît petite; la place lui a-t-elle donc m;mqué?
Donnez-moi des détails. Vous n'attendiez que l'arrivée deVarron, dites-
vous. Dans ce cas, au moment où j'écris, Varron a mes livres , et il n'y
a plus à se dédire. Si vous saviez ce quie vous risquez! Peut-être mes
dernières observations vous auront fait rédfléchir; mais vous n'aviez
pas ma lettre, quand vous m'avez adressé la vôtre. Enfin ou les choses
en sont-elles? il me tarde de le savoir. Ce que vous me dites de la
tendre amitié de Brutus et de votre promenade n'a rien qui me surprenne.
Son langage est le même dans toutes les occasions; mais j'y trouve
chaque fois plus de charme. Aujourd'hui que vous y applaudissez, je m'en
réjouis davantage, et je m'y livreavec plus d'abandon, puisque vous vous
eu rendez garant.
636. — A ATTICUS. Tusculum, août.
A. XIII, 37. Voici ma seconde
lettre d'aujourd'hui. Rien de plus convenable et de mieux entendu que ce
que vous me proposez pour la créance de Xénon et pour les quarante mille
sesterces d'Épire. Balbus le jeune m'a parlé dans le même sens. Rien de
nouveau d'ailleurs, ma-t-il dit , si ce n'est qu'Hirtius a eu , à mon
sujet , une prise très-vive avec Quintus qui ne cesse en tous lieux et
surtout à table de déblatérer contre moi : et quand il en a fini sur mon
compte , il s'en prend à son père. Ce qu'il dit de plus vrai, à
l'entendre, c'est que nous sommes, son père et moi, très-opposés à
César; qu'on ne doit avoir aucune espèce de confiance en nous, et qu'il
faut surtout se défier de moi. Cela serait vraiment dangereux, si le
maitre ne me regardait pas comme un homme tout à fait éteint. Il ajoute
que je traite fort mal Cicéron. Qu'il dise au surplus tout ce qu'il
voudra. Je suis fort aise d'avoir remis l'éloge de Porcie au messager de
Lepta, avant d'avoir reçu votre lettre. Faites-moi l'amitié, si vous
envoyez cet éloge à Brutus et à Domitius, de l'envoyer avec les
changements. Je vous prie de me tenir jour par jour au courant des
combats de gladiateurs et de toutes les nouvelles, même des bruits en
l'air. Je voudrais bien que vous vissiez Baibus et Offilius pour les
publications de la vente. J'en ai parlé à Baibus. Il est tout disposé;
je crois qu'Offilius a l'état détaillé des biens; Baibus aussi. Baibus
voulait que la vente fût fixée à un jour rapproché et qu'elle eut lieu à
Rome, sauf à la reculer, si César tardait à venir; mais il arrive.
Prenez tout cela en considération : Vestorius est d'accord.
637. — A ATTICUS. Tusculum, août.
A. XIII, 38. Il n'était pas jour, et j'étais à
écrire contre les Épicuriens , lorsque de la même
plume, à la lueur de la même lampe, je me suis
mis à brouillonner pour vous, je ne sais quoi
que je vous ai fait expédier, nuit close encore. Je me suis rendormi, et je m'éveillais en même
temps que le soleil , lorsqu'on m'a remis la lettre ci-jointe du fils de votre
sœur. Il débute par
une impertinence, peut-être sans intention : « Je n'approuve pas , dit-il , tout le mal qu'on peut dire de vous.
» Ainsi il y a beaucoup de mal
a dire de moi. Seulement il n'est pas d'avis de
tout. Imagine-toi une grossièreté pareille? Pour
le reste, vous lirez sa lettre. Jugez-en vous-même.
Brutus , à ce qu'on me dit de tous côtés,
ne tarit pas d'éloges sur mon compte. C'est là
sans doute ce qui aura fait impression sur notre
jeune homme et ce qui l'aura déterminé à faire
une lettre pour moi et une pour vous. Vous me
direz le contenu de la vôtre. Je ne sais pas ce
qu'il aura écrit de moi à son père. Mais voici
avec quel respect il parle de sa mère. « J'aurais voulu avoir une
maison afin de vous voir souvent , et je vous avais écrit de me louer
quelque chose. Vous n'en avez rien fait. Nous nous verrons donc fort peu. Je ne puis aller chez vous. Vous en savez le motif. » Or, le motif,
dit mon frère Quintus, c'est qu'il déteste sa
mère. Aidez-moi de vos bons conseils , mon cher
Atticus. Dois-je entrer ouvertement dans le droit
chemin de la justice, c'est-à-dire traiter publiquement
ce malheureux comme il le mérite, et le
renoncer pour un des nôtres ; ou vaut-il mieux
suivre une voie détournée? Mou esprit flotte
incertain, comme dit Pindare. Le premier parti
convient mieux à mon caractère, le second au
temps ou nous sommes. Votre avis sera le mien.
Je crains de le voir me tomber tout à coup sur les
bras à Tusculum. En compagnie , je me tirerais
mieux d'affaire. Faut-il aller à Asture? Mais
si César arrive? Que me conseillez-vous? je vous
prie. Votre conseil fera ma loi.
638. — A ATTICUS. Tusculum, août.
A. XIII, 39. Quel front! c'est à n'y pas croire!
écrire à son père qu'il n'ira pas chez lui à cause
de sa mère! et cela avec les plus belles protestations
de respect du monde! Et le père qui mollit
et qui reconnaît à son fils le droit de lui en vouloir! Enfin je suivrai votre conseil : vous êtes
pour que je me contienne, je le vois. J'irai à Rome, puisque vous le
voulez, mais bien à regret. Il faudra que je m'arrache à mon travail.
Brutus y sera, dites-vous; soit. Ce ne serait pas une raison pour moi,
si je n'en avais une autre, .l'aimerais mieux le voir revenir
d'ailleurs: il n'est pas resté trop longtemps : il ne m'a pas écrit un
mot. Pourtant je suis curieux de savoir comment ce voyage lui a réussi.
Envoyez-moi, je vous prie, les livres dont je vous ai précédemment
parlé, surtout le commentaire sur le Phèdre et le livre sur la Grèce.
639. — A ATTICUS. Tusculurn, août.
A. XIII, 40. Ainsi donc, selon
Brutus, le grand homme reviendrait aux gens de bien ! mais où sont-ils
les gens de bien? A moins qu'il ne se
pende pour les aller trouver. Ici bas, en attendant, que son pouvoir est
bien établi ! Où sont, je vous prie, ces nobles cœurs qui semblent
respirer encore dans les figures de votre Parthénon? Où sont Ahala et
Brutus? Mais que pourrait-il faire? Une chose parfaite, dites-vous,
c'est que celui qui est cause de tout le mal (Hirtius,
qui avait produit le jeune Quintus auprès de César.) n'est pas
bien pour notre neveu. Mais moi, je crains que Brutus ne lui soit au
fond très-tendrement attaché : ses réponses à mes lettres laissent
percer cette disposition. Je voudrais bien qu'il eût entendu
quelques-unes des histoires que mon neveu fait sur moi. Mais vous avez
raison , ce sont choses à dire de vive voix. Que me conseillez-vous?
Dois-je courir à Rome? Dois-je attendre ici? D'une part le travail
m'attache et me retient; de l'autre, je ne veux pas recevoir ce Quintus.
Aujourd'hui son père, m'assure-t-on, a été vers lui jusqu'aux Saxa
Acronoma; il était dans une irritation telle que j'ai dû lui faire
quelques observations; mais moi-même je me sens quelquefois tout près
d'échapper; aussi veux-je voir. Que pensez-vous de mon arrivée? Si
demain tout peut être éclairci, envoyez, je vous prie , chez moi dès le
matin.
640. — A ATTICUS. Tusculum, août.
A. XIII, 41. J'ai envoyé à Quintus
une lettre pour sa sœur. Il se plaignait de ce que sa femme et son fils
étaient en guerre ouverte , et par suite il avait même parlé
d'abandonner sa maison à ce dernier; mais je lui ai dit que notre neveu
avait écrit en très-bons termes à sa mère. Il n'en revenait pas. J'ai
ajouté qu'il ne vous avait pas écrit un mot. Mais ce tort, Quintus le
prend sur lui, parce qu'il s'est, dit-il, toujours expliqué sur votre
compte avec son fils en homme vivement irrité contre vous. Enfin
il commence à s'apaiser, et je lui ai mandé que, de mon côté, je ne
voulais pas être plus sévère. Nous avons parlé de Cana. Si on veut de ce
parti, il faut absolument tout oublier. Mais il y a mûrement à réfléchir
là-dessus : d'accord. En tout cas, il ne doit y avoir qu'une seule et
même manière d'agir pour vous et pour moi , bien que les torts soient
beaucoup plus graves et tout à fait publics à mon égard. Si Brutus
intervient, plus de difficulté. Mais on ne peut parler de tout cela que
de vive voix. C'est une affaire d'un grand intérêt et excessivement
délicate. A demain donc, sauf contre-ordre de votre part.
641. — A ATTICUS. Tusculurn,
août.
A. XIII, 43. Oui, je profiterai de
ce délai d'un jour. Vous avez été bien aimable de m'en faire part et de
me donner ainsi le plaisir de recevoir une lettre de vous, au moment où
je n'en pouvais attendre. C'est comme si vous écriviez après les jeux.
J'avais vraiment quelques affaires à Rome; mais je les ferai aussi bien
deux jours plus tard.
642. — ATTICUS.
A. XIII, 44. Votre lettre me charme
: cependant quel cruel spectacle! Tout n'est pas cruel, il est vrai,
dans ce que vous me mandez, ce que vous dites de Cotta, par exemple.
Peuple admirable qui n'applaudit pas même à la Victoire, en pareil
voisinage! Brutus est venu. Il voulait absolument quelques mots de moi à
César : je n'avais pas dit non. Mais qu'il aille d'abord voir ce qui se
passe aux fêtes qu'on lui donne. — Eh bien! vous avez pris sur vous de
remettre le volume à Varron. Je suis impatient de savoir ce qu'il en
pensera. Quand le lira-t-il? Vous avez bien fait pour Attica. Ce qui
occupe les yeux est toujours une heureuse diversion pour l'esprit ,
surtout quand il s'agit de croyances et de solennités religieuses. Soyez
assez bon pour m'envoyer Cotta. J'ai avec moi Libon. J'avais
dernièrement Casca. Brutus me fait dire de la part de Ligarius que je me
suis trompé, en nommant L. Curfidius dans mon plaidoyer. C'est une faute
de mémoire; je connaissais l'intimité de Curfidius avec les Ligarius :
je me souviens maintenant qu'il était mort. Recommandez, je vous prie, à
Pharnace , à Antéus et à Salvius d'effacer ce nom sur toutes les copies.
643. — A ATTICUS. Tusculum,
août.
A. XIII, 45. Lamia est venu chez
moi après votre départ , et m'a apporté une lettre de César. Quoiqu'elle
soit antérieure en date à celle de Diocharès, César y annonce déjà
positivement son arrivée pour les jeux romains; il finit en recommandant
que tout soit prêt et qu'on ne l'expose point à une hâte inutile. Il
n'est pas possible de douter, d'après ces deux lettres, que son
intention soit d'arriver le jour même : et Balbus, qui a lu la dernière,
est de cet avis, à ce que dit Lamia. Voila donc encore quelques jours de
liberté, mais combien? si vous avez de l'amitié pour moi , vous me le
ferez savoir. Bébius pourra vous le dire , ainsi que votre autre voisin
Egnatius. Vous m'engagez à consacrer ce temps à mes livres de
philosophie. C'est presser le mouvement d'un cheval lancé, je vous
assure : mais j'aurai Dolabella chez moi tous ces jours-là, vous le
savez. Si l'affaire de Torquatus ne me retenait, il y aurait juste le
nombre de jours nécessaires pour aller à Pouzzol et en revenir à temps.
Lamia a entendu dire, il croit que c'est à Balbus, qu'on a trouvé dans
la maison beaucoup d'argent comptant, dont il faudrait au plus vite
faire le partage; qu'il y a de plus de grandes valeurs en argenterie,
sans compter les fonds de terre, et qu'il faut procéder à la vente sans
perdre un moment. Je voudrais avoir votre avis : s'il me faut absolument
choisir un mandataire entre tous, je n'en vois pas de plus habile, de
plus actif et de plus dévoué que Vestorius : je lui ai adressé des
recommandations expresses. Vous en avez fait sans doute autant. Cela me
semble devoir suffire. Ne le croyez-vous pas aussi ? Tout ce que je
crains , c'est qu'on trouve que je néglige trop mes affaires. J'attends
une lettre de vous.
644. - A ATTICUS. Lanuvium, août.
A. XIII, 46. Pollex avait promis
pour les ides d'août, et dès la veille, il était chez moi à Lanuvium.
Mais il est, je vous assure, bien mieux nommé Pollex qu'Index ;
vous en jugerez par vous-même. J'ai eu un rendez-vous avec Balbus ;
Lepta , dont tout l'esprit est tendu sur cette commission, a voulu me
conduire chez lui. C'était dans la maison même de Lanuvium que Balbus a
cédée a Lépide. Son premier mot fut : « Voici une lettre de César. Elle
m'arrive, il y a quelques moments; ses termes sont formels, avant les
jeux romains. » J'ai lu la lettre. César y parle beaucoup de mon
Caton et prétend qu'à force de le lire, sa parole gagne en
abondance. Après la lecture du Caton de Brutus, il s'est cru,
dit-il, éloquent. Mais voyez la négligence de Vestorius! C'est par
Balbus que je suis au courant de la clause d'acceptation de Cluvius.
L'acceptation est facultative devant témoins , et le délai est de
soixante jours. Je craignais la précipitation de Vestorius , et il faut
aujourd'hui que je lui dépêche des exprès pour agir en mon nom. Ce sera
donc Pollex. J'ai traité avec Balbus l'affaire des biens de Cluvius. Il
a été charmant, et il va écrire sur-le-champ à César. Cluvius a imposé a
Titus Hordéonius un legs particulier de cinquante mille sesterces au
profit de Térentia, la dépense d'un tombeau pour lui-même, et beaucoup
d'autres charges. Nous ne sommes grevés de rien. Vous me ferez plaisir
de gronder Vestorius, de votre côté; sa conduite est sans excuse. Le
parfumeur Plotius a envoyé, il y a longtemps, des exprès à Balbus pour
le mettre au courant de tout, et à moi, on ne m'a rien fait savoir
encore, même par mes courriers. La mort de Cottinius m'afflige ; je lui
étais fort attaché. S'il me reste quelque chose, après avoir payé mes
dettes et mes acquisitions, je le destine a Quintus. Mais je crains
d'avoir besoin d'emprunter encore. Je n'ai plus entendu parler de la
maison d'Arpiuum. Ne grondez pas Vestorius. Mon secrétaire arrive cette
nuit même, et, ma lettre déjà fermée, il m'apporte des dépêches avec des
détails circonstanciés et une copie du testament.
645. -- A ATTICUS. Asture, Août.
A. XIIII, 34. Je suis arrivé à
Asture le 8 des kalendes. Je m'étais reposé trois heures à Lanuvium, a
cause de la chaleur. Si vous le pouvez, sans vous gêner, faites, je vous
prie, que je ne sois pas obligé de venir avant les nones. Adressez-vous
à Egnatius Maximus; il arrangera cela. Terminez d'abord, et en mon
absence, l'affaire de Publilius, et mandez-moi les on dit sur ce
chapitre. « Car voilà qui doit bien occuper la ville. » En vérité, je
n'en crois rien. C'est une trop vieille histoire. Vous voyez que je veux
remplir la page. Que dirai-je de plus? Rien ; car j'arrive , à moins que
vous me disiez : pas encore. C'est votre réponse au sujet des jardins
qui me réglera.
646. — A LEPTA. Asture.
F. VI, 19. Je suis bien aise que
Macula ait fait son devoir. Sa maison de Falerne m'a toujours paru
offrir un gîte convenable, en admettant que le local soit suffisant pour
mon monde. Le lieu d'ailleurs ne me déplaît point. Je ne renonce pas
pour cela à votre Pétrinum dont l'habitation et le paysage sont plus
délicieux pour un séjour prolonge que pour un simple passage. C'est à
Oppius que j'ai parlé, pour vous faire confier la direction d'une partie
des fêtes (Les jeux qui devaient être donnés en
l'honneur de César). Quant à Balbus , je ne l'ai pas vu depuis
votre départ : ses douleurs de goutte sont si vives qu'il ne reçoit
personne. Tout bien considéré , vous ferez mieux, selon moi, de laisser
cela de côté. Vous prendrez beaucoup de peine , et vous n'arriverez pas
au luit. Car telle est la multitude d'amis intimes, qu'il y a plus de
chance de la voir diminuer que se grossir de nouveaux venus; surtout si
ceux qui recherchent ce titre ne peuvent rendre que de ces sortes de
services pour lesquels le maître se croit moins obligé qu'il n'oblige,
si même il en sait quelque chose. L'occasion peut se présenter devons
mettre en évidence. Autrement il vaut mieux , je le répète , s'abstenir
et même se dérober. Je crois que je resterai à Asture jusqu'à l'arrivée
du grand personnage.
647. A TORANIUS. Asture, fin d'août.
F. VI, 20. J'ai remis il y a trois
jours aux esclaves de Cn. Plancius une lettre pour vous. Je serai moins
long cette fois. Je voulais d'abord vous consoler. Je veux seulement
aujourd'hui vous donner des conseils. Je ne vois rien de mieux pour vous
que de rester dans votre retraite jusqu'a ce que vous puissiez agir en
connaissance de cause. Vous évitez par là les dangers d'une longue
navigation en hiver et sans possibilité de relâche; et ce qui n'est pas
d'un médiocre avantage, vous pouvez toujours partir au premier avis
certain. Quelle nécessité d'ailleurs de montrer votre visage aux
arrivants? J'ai aussi beaucoup d'autres craintes dont je me suis ouvert
à notre ami Cilon. Que vous dirai-je? Je ne connais pas, je le répète,
dans ces détestables temps, de meilleure position que celle d'où l'on
peut, le plus facilement et le plus vite, se porter partout où l'on
veut. Si le grand personnage revient, vous arriverez bien à temps. Si
(tout est possible) il survient empêchement ou retard, vous êtes à
portée de savoir ce qui se passe ; et voilà surtout ce qui me plaît. Je
vous redirai, quant au reste , ce que je vous ai déjà dit : soyez sûr
que vous n'avez dans ce grand débat rien à redouter qui ne vous soit
commun avec la patrie. La situation est affreuse sans doute. Mais quand
on a vécu comme nous et quand on est parvenu à l'âge où nous sommes, on
doit s'armer d'une courageuse résignation contre les maux qu'on n'a pas
à se reprocher. - Tout ce qui vous appartient est en bonne santé :
c'est avec les sentiments les plus vifs qu'on s'inquiète de vous, qu'on
vous chérit , qu'on vous honore. — Tâchez de vous bien porter et
surtout ne vous déplacez pas imprudemment.
648. — A ATTICUS. Asture, fin
d'août.
A. XIII, 47. Quand vous m'avez fait
dire : Agamemnon, ne venez pas, mais écrivez, (sans Torquatus
j'allais partir,) j'ai changé de plan , j'ai tout quitté et je me suis
mis à votre besogne. Je vous prie de vous faire rendre compte par Pollex
de l'état de mes dépenses. J'aurais honte , quelle que soit sa conduite
( de son fils) de le laisser dans l'embarras pour la première année.
Plus tard , on avisera à le tenir dans de justes bornes. Pollex va
partir, pour que l'autre (Vestorius) voie et agisse. Il m'était
absolument impossible d'aller moi-même à Pouzzol, tant pour les raisons
que vous savez que parce que César arrive. Dolabella me mande qu'il sera
chez moi le lendemain des ides. le maître importun! Lépide m'a écrit
hier soir d'Antium où il se trouve. C'est à lui maintenant la maison que
j'ai vendue. Il me prie de la manière la plus pressante de me trouver au
sénat pour les kalendes. César et lui m'en sauront gré. Je crois qu'il
n'y aura rien; Oppius, autrement, vous en aurait dit un mot, au défaut
de Balbus qui est malade. Au demeurant, J'aime mieux perdre mes pas que
de n'être point là quand il le faudrait; j'aurais plus tard trop de
regrets. Aujourd'hui je vais donc à Antium , et demain , avant midi , je
serai à Rome. Si vous n'avez pas pris d'engagement, faites-moi le
plaisir de venir souper chez moi avec Pilia, la veille des kalendes.
J'espère que vous aurez terminé avec Publilius. Le jour même des
kalendes je retourne à Tusculum. J'aime mieux que tout se fasse en mon
absence. Je vous envoie la lettre de Quintus, mon frère. Il pouvait me
répondre plus poliment à coup sûr, mais sa lettre m'a paru bien pour ce
qui vous concerne; vous en jugerez.
649. — A ATTICUS. Tusculum,
septembre.
A. XIII, 48. Je n'en suis pas sûr,
mais je crois vous avoir entendu dire hier au milieu du bruit que vous
viendriez à Tusculum. Tant mieux, deux fois tant mieux ; cependant que
rien ne vous gêne. Lepta me presse d'aller à Rome, où il peut avoir
besoin de moi, car Babullius est mort. Je crois que César hérite pour un
douzième, quoiqu'on n'en sache rien encore. Lepta a un tiers, et il
craint qu'on ne lui conteste l'héritage. Cela n'a pas le sens commun ;
mais enfin il le craint. S'il insiste, j'accours; sinon, j'attends
jusqu'à nécessité. Renvoyez-moi Pollex, aussitôt que possible. Je vous
ai envoyé l'éloge de Porcia corrigé ; je n'ai pas perdu un moment, afin
que si on l'envoie à Domitius son fils ou à Brutus, on ait ce dernier
texte. Chargez-vous de ce soin, si vous le pouvez. Vous me rendrez un
véritable service. Veuillez aussi m'envoyer les éloges de Varron et de
Lollius, surtout celui de Lollius, car je connais l'autre. Je veux
toutefois le revoir : il y a certains passages que je crois avoir à
peine lus. |