Cicéron : Correspondance

CICÉRON

 

CORRESPONDANCE (lettres 600 à 649)

550-599  650-699

 

ŒUVRES COMPLÈTES DE CICÉRON AVEC LA TRADUCTION EN FRANÇAIS PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE M. NISARD DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE; INSPECTEUR GÉNÉRAL DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR - TOME CINQUIÈME - PARIS - CHEZ FIRMIN DIDOT FRÈRES, FILS ET Cie. LIBRAIRES - IMPRIMERIE DE L'INSTITUT DE FRANCE - RUE JACOB, 56 - M DCCC LXIX

 

 

AVERTISSEMENT.

LETTRES DE M. T. CICÉRON.

NOTA. Parmi les suscriptions ou adresses de ces lettres, ainsi que les formules ordinaires de politesse qui les commencent ou les terminent, nous n'avons conservé et traduit que celles qui nous ont paru se lier au contenu des lettres, et qui marquent une intention particulière de l'auteur. Ces exceptions même serviront à appeler l'attention, plus que l'on ne l'a fait jusqu'ici, sur les passâmes qui en seront l'objet.

Il n'y avait pas de motif, ni scientifique, ni de commodité, en publiant ces lettres par ordre chronologique, d'en partager le recueil en un certain nombre de livres, comme l'a fait Wieland, dans la traduction allemande qu'il en a donnée.  Il suffit, pour la clarté, qu'on trouve, en tête de chaque page le chiffre de l'année. C'est la division la plus naturelle, et la seule qui ne soit pas arbitraire.

Chaque texte porte, outre un numéro d'ordre, un numéro de renvoi à l'ancienne division des lettres en quatre recueils distincts, subdivisés eux-mêmes en livres. Ces renvois indiquent le titre du recueil, le numéro du livre, celui de la λettre. Ainsi, A. 1,2. signifie Lettres à Atticus, livre I, lettre 2; Q. signifie Lettres à Quintus; F., Lettres dites familières, et qui seraient plus proprement appelées Lettres à divers; B., Correspondance de Brutus et de Cicéron.

Les alinéa sont indiqués par des — sauf dans la très longue lettre en forme de traité, de Cicéron à Quintus, sur l'administration de l'Asie. Les signes A. DE. R.... AV. J. C... DEC...., qui sont répétés en tête de chaque année, veulent dire An de Rome.... Avant Jésus-Christ.... Age de Cicéron.

 




 

 

 600  - A ATTICUS. Tusculum, juin.

A. XI11, 3. J'attends une lettre de vous, pas si matin toutefois, car je me suis mis à écrire de bien bonne heure. Les noms qu'on m'offre me paraissent solides. Une seule chose m'inquiète ,  c'est votre hésitation. Je n'aime pas que vous en référiez à ma décision? moi qui ne pourrais me passer de la vôtre , si je traitais moi-même. Mais j'explique cette réserve de votre part, plutôt comme l'effet de votre prudence ordinaire, que comme appréhension réelle sur la solvabilité des répondants. Vous désapprouvez mon affaire avec Célius, et vous ne voulez pas que j'aille plus loin. Je me soumets sur ces deux articles. Il faut donc accepter ces délégations. Sans cela, vous auriez été forcé de me prêter votre garantie. De cette manière, je n'aurai besoin de personne. L'échéance des effets qu'on me délègue est un peu éloignée ; mais commençons par tenir ce que nous avons en vue : j'obtiendrai bien ensuite de mon côté, soit du préposé aux enchères, soit des héritiers, ce délai nécessaire pour établir la coïncidence avec mes recouvrements. Occupez-vous de Crispus et de Mustella ; je voudrais savoir quelle est leur part à chacun. J'ai su l'arrivée de Brutus; Égypta, son affranchi, m'a apporté des lettres de lui. Je vous en ai envoyé une qui est assez convenable.

601 — A ATTICUS. Tusculum, juin.

A. XIII, 27 . J'avais bien raison de tenir à ce que ma lettre à César fût communiquée à ses amis, avant d'être remise. Agir autrement, c'eût été leur manquer et peut-être me compromettre, dans le cas on la lettre aurait déplu. Les remarques ont été franches , sans réticence , et je leur en sais gré. Mais le meilleur est qu'on m'a indiqué des changements si nombreux qu'il faudrait refondre ma lettre, et c'est une excuse toute trouvée. Touchant l'expédition contre les Parthes, après tout, qu'avais-je à considérer, sinon qu'elle entrait dans ses vues? Ma lettre avait-elle d'autre but que d'abonder dans son sens? Si j'avais eu à faire prévaloir mes propres idées , est-ce que les raisons m'auraient manque? Enfin la lettre n'a plus d'objet. Quand on a d'un côté si peu d'avantages en perspective et de l'autre tant d'inconvénients, à quoi boa courir la chance? Remarquez d'ailleurs que de mon long silence antérieur, il aurait naturellement conclu que je n'aurais pas écrit, si la guerre avait pris une autre tournure. Il aurait pu encore me soupçonner d'avoir cherché un palliatif a l'éloge de Caton. Que voulez-vous? L'effort me coûtait. On me désapprouve. Rien de plus heureux. J'allais avoir sur les bras toute la clique, et votre parent aussi bien que les autres. — Parlons des jardins : pour peu que cela vous gêne, ne vous déplacez point, je vous en prie; mais de toute façon occupons-nous sérieusement de Fabérius. Si vous saviez le jour de la vente , il faudrait me le mander. Je fais partir sur-le-champ le courrier de Cumes, qui vous donnera d'excellentes nouvelles d'Attica , et qui est d'ailleurs , m'a-t-il dit , porteur d'une lettre pour vous.

602. — A ATTICUS. Tusculum, juin.

A. Xlll, 28. C'est aujourd'hui que vous devez visiter les jardins. Je saurai donc demain ce que vous en pensez. Quant à Fabérius, j'attends que vous l'ayez vu. Vainement vous me pressez d'écrire à César; je ne le puis, je vous le jure. Ce n'est pas que j'en rougisse, et pourtant je n'en aurais que trop de cause. Car si déjà pour moi la vie est un opprobre, quelle honte que la flatterie qu'on me propose ! Toutefois le premier pas est fait. Ce n'est plus la honte qui m'arrête. Et que n'est-il vrai! L'excuse serait plus digne. Mais en vain je veux écrire, et je ne trouve rien. Quel était le langage que tenaient à Alexandre les hommes les plus éloquents et les plus sages? Sur quoi roulaient leurs discours? Cette jeune unie, avide de vraie gloire, recherchait avec ardeur tout ce qui lui parlait d'immortalité. Eh bien! ce sont des conseils dans ce sens qu'on lui donne. Il y avait de la dignité a les faire entendre. Pour moi, que puis-je? j'avais mis mon esprit à la torture pour en tirer quelque chose qui eût forme humaine ; mais comme il s'y trouve cà et là des principes un peu différents des actes et de la tendance d'aujourd'hui , on n'en veut pas ; je m'en console. Je serais beaucoup moins facile à consoler, soyez-en sûr, si la lettre était partie. Eh quoi ! ne savez-vous point que l'élève d'Aristote, cet esprit si grand, ce caractère si modeste, une fois qu'on l'eut appelé roi, ne fut plus qu'orgueil , cruauté, emportement? Comment avez-vous pu vous flatter, après cela, qu'un homme dont l'image est portée à côté de celle des Dieux dans le temple du grand Quirinus, qu'un tel homme trouverait plaisir aux conseils de modération que je lui donne? Après tout, qu'il en pense ce qu'il voudra, me voila débarrassé de ce problème d'Archimède que je vous avais donné à résoudre; et, j'en atteste les Dieux, ce que je craignais alors, j'en suis plutôt à le désirer aujourd'hui : pour mieux dire, je me résigne à tout. — Si rien ne vous empêche, venez, je vous attends. Nicias, pressé par Dolabella dont j'ai vu la lettre, vient de me quitter à mon grand regret, et pourtant avec mon autorisation. Ceci de ma main.

603. — A ATTICUS. Tusculum , juin.

A. XIII, 29. Je causais philosophie avec Nicias, et, sans en avoir l'air, je fis tomber la conversation sur Thalna. Nicias n'a pas une très-haute idée de son mérite. Il le regarde comme un jeune homme honnête et rangé. Mais voici ce qui ne me plaît guère. Nicias prétend savoir que Thalna a recherché la main de Cornificia, la fille de Q. Cornificius, laquelle est bien vieille assurément, et a été mariée nombre de fois. Les femmes n'en ont point voulu, parce qu'elles ont découvert que toute la fortune de Thalna consistait en huit cent mille sesterces. Il est bon, je crois,  que vous sachiez ce détail. J'apprends par votre lettre et par Chrysippe ce que je voulais savoir sur les jardins. Je connaissais
la bizarre disposition de la villa, et je vois qu'on n'y a rien ou presque rien changé. Chrysippe vante beaucoup les grands bains. Il dit qu'on peut se servir des petits comme bains d'hiver. Seulement il faudra construire un promenoir couvert qui manque : or, quand je le ferais aussi grand qu'à Tusculum, l'acquisition me reviendrait encore à peu près à moitié moins que l'autre. Je connaissais aussi le bois. Rien de mieux pour le temple que je veux élever. Ce bois était tout a fait désert ; mais on dit qu'il est aujourd'hui très fréquenté : voilà précisément ce qui me charme. Il faut que vous m'aidiez à satisfaire cette fantaisie. Pour moi, il n'y a qu'une question : Fabérius me remboursera-t-il? Dans ce cas, ne nous inquiétons pas du prix : je viendrai bien à bout d'Othon. D'abord il n'est pas homme à s'entêter : je crois bien le connaitre. Et puis, s'il a été aussi maltraité qu'on le dit, il ne peut guère se rendre acquéreur. Sans cela , aurait-on si bon marché de lui'? Mais pourquoi tant de raisonnements'? si vous amenez Fabérius à s'exécuter, j'achète à tout prix. Autrement je ne puis acheter, même à bon marché. Alors il faudra en revenir à Clodia. J'y trouverai plus de facilités. Ses jardins sont bien moins chers, et la créance de Dolabella est si sûre que je pourrai l'y affecter. C'est assez; à demain. Vous, ou une excuse convenable, peut-être l'affaire de Fabérius. Enfin, à demain , si vous le pouvez.

604. — A ATTICUS. Tusculum, juin.

A. XIII, 30. Je vous renvoie la lettre de Cicéron. Eh quoi! homme de bronze, tant de périls ne vous ont pas ému! Il m'adresse aussi des plaintes à moi. Je vous les aurais communiquées, mais je suppose que ma lettre n'est qu'un double du récit que vous avez de ses exploits. J'expédie aujourd'hui un exprès à Cumes, et je le charge de la lettre que vous aviez donnée à Pharnace pour Vestorius. Deméa venait de partir a l'instant où Éros est arrivé. Mais sa lettre ne m'apprenait rien, si ce n'est que l'adjudication aura lieu dans deux jours. Votre intention est de venir après. Aurez-vous aussi fini avec Fabérius? Je le voudrais bien. Eros ne compte pas dessus pour aujourd'hui. Demain matin , dit-il , il faut le gagner. Des prévenances ne sont rien moins que des bassesses. J'espère vous avoir après-demain. Tâchez donc, je vous prie, de déterrer les noms des dix commissaires envoyés à Mummius. Polybe ne les nomme point. Je me souviens d'Albinus le consulaire et de Sp. Mummius. Il me semble avoir entendu dire à Hortensiuss que Tuditanus en était aussi. Mais je vois dans les annales de Libon que la préture de Tuditanus est de quatorze années postérieure au consulat de Mummius. Cela ne s'accorde pas. Je veux écrire un entretien politique à la manière de Dicéarque, que vous aimez tant. Je placerai la scène à Olympie ou ailleurs; nous verrons.

605. — A ATTICUS. Tusculum , juin.

A. X1II, 31. Déméa m'a remis le 5 des kalendes au matin votre lettre de la veille, d'après laquelle je compte sur vous pour aujourd'hui ou pour demain. Je me doute que c'est moi qui vous retiens là-bas , pendant que je vous désire ici. Je crains que l'affaire de Fabérius, bien qu'en bon train, ne se termine pas sans accrocs. Enfin puisque je ne vous ai point encore près de moi , venez aussitôt que vous le pourrez. Vous me ferez plaisir de m'envoyer les livres de Dicéarque dont vous me parlez. Veuillez y joindre sa visite à l'antre de Trophonius. Quant à la lettre de César, c'est une question décidée. Le plus curieux est ceci : il écrit, dit-on, qu'il ne marchera contre les Parthes qu'après avoir mis ordre aux affaires. Voilà précisément le conseil que je lui donnais, le laissant libre d'ailleurs d'agir autrement, s'il le jugeait à propos. C'est ce qu'il attendait, la chose est claire; et il ne veut rien faire sans avoir mes avis. Mais oublions tout cela. Il vaut mieux garder encore une demi-liberté; le moyen d'en jouir est de se taire et de se cacher. — Je vois que vous préparez votre attaque contre Othon; oh! rendez-moi ce service, mon cher Atticus. il n'y a pas un seul lieu ailleurs où je puisse plus librement éviter le forum, et pourtant être encore avec vous. Quant au prix, voici une réflexion que j'ai faite : C. Albanius est tout à fait voisin, et il a acheté de M. Pilius mille arpents qu'il a payés cent quinze mille sesterces, si ma mémoire est fidèle. Or, depuis, les biens sont en baisse. Mais il faut tenir compte de la convenance et de mon envie; et d'ailleurs, à l'exception d'Othon, je ne trouve pas un seul concurrent. Vous êtes en position de lui dire un mot, voyez-le. Ce serait plus facile avec Canus; c'est un mange-tout. J'en rougis pour son père. Écrivez-moi, si vous avez quelque chose a me dire.

606. — A ATTICUS. Tusculum, juin.

A. XIII, 32. Puisque j'ai deux lettres de vous aujourd'hui , je ne veux pas que vous n'en ayez qu'une de moi. Oui, suivez votre plan à l'égard de Fabérius ; l'avenir de mon projet en dépend. Sans ce projet, veuillez m'en croire et croyez-moi toujours, il ne m'importerait guère. Continuez donc d'agir avec autant de zèle. Plus n'est pas possible. Pressez, poussez, concluez. Soyez assez bon pour m'envoyer les deux traités de Dicéarque sur l'Ame et sur la Descente dans l'antre. Je ne trouve pas son Tripolitique, ni sa lettre à Aristoxène. J'ai le plus grand besoin de ces trois livres. C'est juste ce qu'il me faut pour l'ouvrage que j'ai en tête. Le Torquatus est à Rome. J'ai donné ordre qu'on vous le remît. Vous aviez déjà, je crois, le Catulus et le Lucullus; j'ai ajouté de nouvelles préfaces en forme d'éloges. Il faut que vous les ayez. Il y a aussi quelques autres additions. — Vous m'avez mal compris sur ce que je vous ai écrit des dix commissaires. Cela tient, je le suppose, aux signes abréviatifs dont je me suis servi. Je vous demandais si Tuditanus avait fait partie de la commission. Je l'ai entendu dire à Hortensius. Cependant je trouve dans les annales de Libon qu'il fut prêteur sous le consulat de P. Popilius et de P. Rupilius. Aurait-il pu être commissaire quatorze ans avant sa préture? Oui, à toute force, s'il n'a été questeur que très tard. Mais je ne le pense pas , car je vois qu'il a très-exactement passé dans les charges curules le temps légal. Pour Postumius, dont vous vous rappelez avoir vu une statue dans l'Isthme, je savais qu'il avait été du nombre des commissaires. C'est celui qui a été consul avec Lucullus que vous avez raison de me désigner pour figurer dans mon dialogue : c'est un très-bon choix. Eh bien ! voyez à m'impliquer aussi les autres, afin que je brille au moins par l'éclat des personnages que je fais parler.

607. — A ATTICUS. Tusculum, juin.

A. XIII, 33. Quelle inconcevable négligence ! Pouvez-vous croire que Balbus et Fabérius ne m'aient pas dit et répété que la déclaration était faite? Je ne m'en suis pas tenu là. J'ai envoyé sur les lieux : il le fallait, disaient-ils. C'est mon affranchi Philotime qui en a été chargé. Au surplus, vous connaissez. je crois, le greffier. Eh bien! veuillez lui écrire un mot, à l'instant même. Je viens moi d'écrire à Labérius, comme vous me le conseillez; je me flatte qu'aujourd'hui même au Capitole vous aurez conclu quelque chose avec Balbus. Je n'ai point de scrupule au sujet de Virgilius. C'est un homme à qui je ne dois aucun ménagement; et si j'achète, qu'aura-t-il à dire ? Il faut seulement prendre garde qu'en Afrique il ne fasse comme Célius. Vous vous arrangerez avec Cispius pour le payement. Mais si Plancus se présente , c'est une difficulté , point de doute. Venez, vous le désirez comme moi; cependant que ce ne soit pas un motif pour abandonner l'affaire. Othon se laisserait gagner, dites-vous : c'est une bien bonne chose. Quant à l'estimation, vous avez raison, il faut que l'affaire soit plus avancée ; il ne m'a écrit que pour me donner la mesure du terrain. Tâchez de conclure avec Pison. — J'ai reçu le livre de Dicéarque, et j'attends sa Descente à l'antre de Trophonius. Oui , il faut trouver quelqu'un. Vous le chargerez de parcourir les registres du sénat , sous le consulat de Cn. Cornélius et de L. Mummius. Vous pouvez avoir raison à l'égard de Tuditanus. Il était en effet à Corinthe ; Hortensius ne l'a pas dit au hasard ; et il était alors ou questeur ou tribun militaire, plutôt tribun, je crois. Il vous sera facile d'éclaircir ce qui concerne Antiochus. Voyez aussi en quelle année il aura été questeur ou tribun. Si les dates ne cadrent pas, c'est qu'il était dans les préfets ou à la suite. Mais à coup sûr il a fait cette campagne. — Nous parlions l'autre jour de Varron. Vous connaissez le loup de la fable : voilà Varron qui arrive, et à une heure telle qu'il y avait nécessité de le retenir. Mais je m'y suis repris de manière à ne pas déchirer son manteau , je vous assure. Je me souvenais de votre mot : Ils étaient nombreux, et nous nous trouvions au dépourvu. Qu'importe? un moment après, arrive Capiton, qu'accompagnait T. Carinas. Pour ces deux-la, à peine ai-je fait mine de les retenir. Eh bien ! ils sont restés, et cela s'est trouvé d'ailleurs à merveille. On a parlé par hasard du projet d'agrandissement de l'enceinte de Rome. On doit détourner le Tibre, à partir du pont Mulvius, et le faire passer au pied du Vatican. Le champ de Mars se couvrira de constructions, et la vallée du Vatican deviendra le champ de Mars. Comment? dis-je , et moi qui songe à acheter les jardins de Scnpula! Gardez-vous-en, me répondit-il , le projet passera : César le veut. Je ne suis pas fâché d'être averti. Mais quel contretemps! que croyez-vous de tous ces projets , vous que j'interroge, comme s'il était possible d'avoir un doute sur l'exactitude de Capiton? En fait de nouvelles, il le dispute même à Camille. Tenez-moi au courant lorsque les ides viendront. Je n'allais à Rome que pour cela. Le reste n'était qu'accessoire, et je puis sans la moindre difficulté l'ajourner à deux ou trois jours. Je ne veux pas après tout que vous vous mettiez sur les dents pour venir me voir. J'excuse aussi Dyonisius. Quant ce Brutus, dont vous me parlez, je lui ai rendu la liberté pour ce qui me concerne. Car je lui ai mandé hier que je n'aurais pas besoin de lui pour les ides.

608. — A M. MARCELLUS. Rome.

F. IV, 10. Rien de nouveau à vous apprendre. J'attends, au contraire, une lettre de vous, ou plutôt je vous attends vous-même : cependant Théophile prît, et je ne veux pas le laisser aller sans lui donner un mot. Arrivez donc le plus tôt possible. Ce n'est pas seulement nous, je veux dire vos amis , c'est tout le monde qui vous désire. J'appréhende quelquefois que vous ne preniez plaisir à reculer sans cesse votre départ. Si vous n'aviez d'autre sens que la vue, je vous pardonnerais de ne vouloir pas souffrir la vue de certaines personnes. Mais ce qu'on entend n'est pas beaucoup plus gai que ce qu'on voit. D'ailleurs, ou je me trompe fort, ou les intérêts de votre fortune exigent impérieusement votre retour. Sous tous les rapports, votre présence ici est essentielle, et c'est ce dont Je regarde comme un devoir de vous avertir. C'est mon avis. Mais voyez dans votre sagesse ce qui vous reste à faire. Seulement écrivez-moi l'époque pour laquelle nous pouvons compter sur vous. Adieu.

609. — A ATTICUS. Tusculum, juillet.

A. XIII, 6. Vous avez très-bien arrangé l'affaire de l'aqueduc. Voyez à ce que je ne paye pas le droit sur les colonnes, quoiqu'il me semble avoir ouï dire à Camille que la loi était modifiée. Il n'y a pas de meilleure défaite à donner à Pison que l'absence des tuteurs du jeune Caton. Il ne s'agit pas seulement des cohéritiers d'Hérennius; il s'agit encore du petit Lucullus C'est en Achaïe que le tuteur a fait l'emprunt; la circonstance n'est pas indifférente. Mais Pison en agit généreusement, puisqu'il déclare ne vouloir rien faire contre notre désir. C'est entendu, nous réglerons de vive voix la marche à suivre pour résoudre la difficulté. En attendant , vous avez très-sagement fait de voir les cohéritiers. Je n'ai point de copie de ma lettre à Brutus, mais cela ne fait rien. Tiron prétend que vous l'avez , et je me rappelle parfaitement en effet vous l'avoir envoyée, avec celle par laquelle je répondais à ses reproches. Tâchez de me sauver l'ennui d'être juge. Je ne connais nullement ce Tuditanus, bisaïeul d'Hortensius. Je croyais que c'était son fils ; mais le fils , à cette époque , ne pouvait être commissaire. Je suis sûr que Sp. Mummius était à Corinthe ; car Spurius que nous avons perdu récemment me lisait souvent des lettres fort plaisantes qu'il écrivait de Corinthe à des amis. Mais il était, je n'en doute point attaché à son frère, et non un des commissaires. Depuis, j'ai reconnu que nos ancêtres se gardaient de choisir les commissaires parmi les parents des généraux en chef; et nous, étrangers ou indifférents aux belles coutumes de nos ancêtres, nous envoyons à L. Lucullus , qui ?l M. Lucullus, Muréna , et plusieurs autres de ses très-proches parents. Il est extrêmement vraisemblable que le frère a été choisi à dessein. Que d'embarras je vous donne! Des détails à vérifier et mes affaires à conduire : mais je sais que vous mettez moins d'intérêt à ce qui vous concerne qu'à ce qui me touche moi-même.

610. — A ATTICUS.

A. XIII, 4. Je dois à votre bonté la liste exacte des dix commissaires. Je pense comme vous; car le fils était questeur un an après le consulat de Mummius. Puisque vous me demandez toujours ce qu'il me semble de cette assignation, je vous répéterai que je la crois bonne. Terminez avec Pison , si c'est possible. Avius fera ce qu'il doit. Tâchez de précéder Brutus à Tusculum, ou faites du moins qu'il nous y trouve ensemble, quand il arrivera. Votre présence m'importe. Vous saurez facilement le jour de son départ. Il suffit de charger un esclave de s'en informer.

611. — A ATTICUS. Tusculum. juillet.

A. XIII, 5. Je croyais Sp. Mummius l'un des dix commissaires. C'est une erreur. On a bien dit : il était lieutenant de son frère; car certainement il était à Corinthe. Je vous ai envoyé le Torquatus. Ayez, je vous prie, une explication avec Silius, comme c'est votre intention, et pressez-le. Il soutient que l'une des échéances ne tombe pas en mai. Il est d'accord pour l'autre. Je recommande ce point à vos soins , toujours si excellents pour moi. Informez-moi de ce que vous ferez avec Crispus et Mustella. Puisque vous me promettez d'être ici pour l'arrivée de Brutus , je n'en demande pas davantage. Aussi bien c'est pour l'affaire à laquelle je mets tant d'intérêt que vous êtes retenu tous ces jours-ci.

612 - A TORIANUS.  Tusculum, juillet.

F. VI, 21. Au moment où je vous écris, on approche du dénouement de cette fatale guerre; peut-être même y a-t-il quelque chose de décidé. Je ne laisse pas toutefois de me rappeler chaque jour que parmi cette multitude en armes nous étions seuls du même avis, vous du mien, moi du vôtre ; que tous deux nous avons été seuls à comprendre ce qu'il y a de terrible dans cette lutte d'où aucune paix ne peut sortir, où la victoire même est une calamité , ou l'on n'a devant soi que cette alternative : vaincus, la mort; vainqueurs, la servitude. J'étais un peureux, disaient alors ces grands cœurs, ces fortes têtes, les Domitius, les Lentulus. Eh! sans doute j'avais peur, peur de ce qui est arrivé. Aujourd'hui je n'ai plus peur de rien : je suis préparé à tout. Quand la prudence était de saison , je gémissais de voir qu'elle fût négligée. Maintenant que tout est perdu, qu'il ne reste rien à faire à la prudence, il n'est plus qu'un parti à suivre, celui de la résignation. La mort n'est-elle pas la fin de tout? Et n'ai-je pas à me rendre ce témoignage, que j'ai combattu pour conserver l'honneur de la république tant qu'elle a eu un honneur à défendre , et pour l'empêcher de périr du moins tout entière, quand l'honneur a été perdu? Ne voyez pas ici , je vous prie , l'envie de parler de moi ; je ne veux que faire naître chez vous les mêmes réflexions, puisque j'ai toujours trouvé en vous une conformité parfaite d'opinions et de vœux. C'est en effet pour chacun de nous une grande consolation que de pouvoir se dire : L'événement est contre nous, mais nous avions vu juste, et nous avons marché droit. Plaise aux Dieux que la république parvenant à se rasseoir d'une manière quelconque, nous puissions un jour nous revoir, et nous rappeler ensemble nos pressentiments et nos alarmes, alors qu'on nous accusait de peur, parce que nous disions que ce qui s'est accompli ne pouvait manquer d'arriver. Au reste, je vous garantis qu'en dehors des malheurs de la république, vous n'avez rien de particulier à craindre ; puis ayez de moi cette idée qu'en tout ce que je puis je suis et serai toujours à votre service et à celui de vos enfants.

613. — A ATTICUS. Juillet.

A. XIII, 7. J'ai eu la visite de Sextius. Théopompe était venu la veille. Il m'a appris que César avait écrit; qu'il annonçait son intention positive de rester à Rome , et qu'il y resterait , comme il est dit dans ma lettre, pour empêcher ses lois d'être inexécutées pendant son absence, comme l'ont été les lois somptuaires. Ce motif est vraisemblable , et je l'avais deviné. Il faut se soumettre. Aimez-vous mieux que je persiste? Lentulus a fait divorce avec Metella , le fait est certain ; mais vous devez savoir tout cela mieux que moi. Vous m'écrirez donc ce qui vous plaira , pourvu que vous m'écriviez. Je ne vois guère ce que vous auriez à me dire : quelque chose peut-être de Mustella; peut-être aussi avez- vous vu Silius. Brutus est arrivé hier après la dixième heure à Tuscnlum. Il vient chez moi aujourd'hui : veuillez vous y trouver. Je lui ai envoyé dire que vous l'aviez longtemps attendu, mais que vous comptiez revenir au premier avis de son arrivée, et que je m'étais chargé de vous en avertir : c'est ce que je fais en ce moment.

614.— VATINIUS, IMP. , A SON CHER CICÉRON.

Narone en Dalmatie,  11 juillet.

F. V, 9. Si vous avez conservé vos habitudes de patronage envers vos anciens clients, voici P. Vatinius qui vient vous demander de plaider pour lui. L'assistance qu'il reçut de vous aux jours du péril , vous ne la refuserez pas sans doute dans la poursuite d'une distinction honorifique ((Vatinius demandait une supplication). A qui pourrait-il recourir, à qui s'adresser, si ce n'est à celui dont une fois déjà l'égide l'a protégé? Quand il s'agissait de ma personne, vous n'avez pas craint de tenir tête à une coalition puissante; aujourd'hui qu'il s'agit d'honneurs à me rendre, puis-je douter que vous ne renversiez, que vous n'écrasiez une méchante cabale et de misérables pygmées? Si donc votre affection pour moi est toujours la même, couvrez-moi de vos ailes, et, prenant les charges comme les bénéfices du patronage, faites tout ce qu'exigent les intérêts de ma dignité. Vous ne l'ignorez point, ma fortune m'a , je ne sais pourquoi , et sans que je le mérite, je le jure, fait des ennemis; mais qu'importe la cause, si le fait existe et si le sort l'a voulu ? Dans le cas où il s'élèverait contre moi une opposition quelconque, j'attends de la générosité habituelle de votre cœur que vous preniez en main la défense d'un absent. Vous trouverez ci-après une copie du compte que je rends au sénat de ma conduite. — J'apprends l'évasion du lecteur, votre esclave , qui s'est réfugié chez les Vardes. Vous ne m'en aviez rien dit. Je n'en ai pas moins donné des ordres pour qu'on le recherchât sur terre et sur mer. Je vous réponds de le découvrir, à moins qu'il n'ait passé en Dalmatie; et encore me fais-je fort de l'y déterrer tôt ou tard. Conservez-moi votre amitié et portez-vous bien. Le 5 des ides de juillet, du camp de Narone.

615. — A ATTICUS. Tusculum, juillet.

A. XIII, 8. Je n'ai absolument rien à vous dire ; vous me quittez à peine , et déjà j'ai trois pages de vous. Veuillez faire remettre le paquet ci-joint à Vestorius, et charger quelqu'un de s'informer si Q. Faberius a des propriétés à vendre du côté de Pompéi ou de Nole. Envoyez-moi l'abrégé de Célius par Brutus, et demandez à Philoxène le traité de Panétius sur la Providence. Je vous verrai aux ides avec votre famille.

616. — A ATTICUS. Tiusculum, juillet.

A. XIII, 9. A peine étiez-vous parti hier que Trébalius arriva, puis Curtius. De la part de Curtius, ce n'était qu'une visite; mais je l'ai retenu. Trébatius restait. Ce matin j'ai vu Dolabella. L'entretien s'est prolongé fort avant dans la journée , et je ne puis vous dire avec quelle effusion, avec quelle intimité : il a été question de Quintus, et j'ai appris des choses incroyables, inexprimables. Il y a telle de ces confidences que je n'oserais dicter à Tiron, ni même écrire moi-même, si toute l'armée n'en était instruite; je passe donc. Par un heureux hasard , Torquatus vint pendant la visite de Dolabella , et Dolabella a été assez aimable pour lui répéter mes instances à son sujet. Je venais très à propos de lui en faire de fort pressantes; Torquatus en a paru bien touché. J'attends de vous des nouvelles au sujet de Brutus. Nicias croit l'affaire terminée (Le mariage de Brutus avec Porcia ,  fille de Caton) ; mais il dit qu'on blâme le divorce (Son divorce d'avec Clodia, fille d'Aprius). Raison de plus pour que je désire comme vous qu'il en finisse. Car si Brutus s'est fait tort, il peut ainsi se réhabiliter. Ma présence est nécessaire à Arpinum. Cette petite terre a besoin d'être mise en état ; et je craindrais de ne pouvoir m'absenter plus tard , quand César sera à Rome. Dolabella assigne à son arrivée le même moment que vos conjectures d'après la lettre de Messalla. Une fois à Arpinum, je verrai sur-le-champ ce qu'il y a à faire, et je vous écrirai vers quelle époque je serai de retour.

617 — A ATTICUS. Tusculum juillet.

A. XIII, 10. Je ne suis pas surpris du trouble où vous jette la mort de Marcel lus, ni des appréhensions qu'il vous fait concevoir. Comment prévoir une catastrophe à laquelle il avait échappé jusque-là, et qu'il n'avait pas à redouter dans l'ordre naturel? Il faudra désormais vivre dans de continuelles alarmes. Mais quelle faute contre l'exactitude historique! et de votre part encore! Moi, le seul consulaire restant ! Et Servius donc? Que vous en semble? Après tout, quel avantage, surtout pour moi, qui trouve heureux le sort de ceux qui ne sont plus? Qu'est-ce qu'un consulaire aujourd'hui? Ou est notre influence? Est-ce au dedans ou au dehors? S'il ne m'était pas venu en tête d'écrire, je ne saurais vraiment que devenir. Oui, il faut choisir pour Dolabella quelque sujet d'un intérêt plus général , et qui touche à la politique de plus près. Mais il faut faire quelque chose pour lui ; car cela lui tient au cœur. Mandez-moi où en est Brutus. Qu'il en finisse donc , si son parti est pris. C'est le moyen de couper court aux propos , ou au moins de les apaiser. Ou ose en tenir jusque devant moi. Il doit sentir parfaitement sa position, surtout pour peu qu'il ait causé avec vous. -- Mon intention est de partir d'ici le 11 des kalendes , je n'ai rien à faire, .le n'aurai pas davantage à faire là où je vais, ni en aucun autre lieu du monde. Cependant mes intérêts m'appellent là-bas. .l'attends Spinther aujourd'hui : Brutus m'a envoyé un courrier. Sa lettre disculpe César du meurtre de Marcellus. Eh! qui songerait à l'accuser, lors même que Marcellus eût succombé par un attentat secret'? Aujourd'hui qu'il est constant que c'est de la main de Magius, tout ne s'explique-t-il pas par ses propres fureurs? Pourtant il y a là un mystère qui m'échappe. Vous me l'expliquerez. Ce que je comprends le moins, c'est le motif qui a pu porter Magius à un tel acte de démence. Marcellus venait de lui servir de caution à Sunium. Peut-être est-ce là le mot de l'énigme? Magius n'aura pu libérer sa caution; il se sera adressé à Marcellus. Marcellus, selon sa coutume, lui aura répondu avec dureté. Mais de si loin on peut se tromper.

618. — A ATTICUS. Arpinium, juillet.

A. XIII, 11. Je croyais que c'était peu de chose, et maintenant que nous voilà séparés, l'absence est tout autre à mes yeux. Mais il le fallait. J'avais à louer mes fermes, et à épargner à Brutus la gêne que son amitié s'imposait. Nous nous retrouverons plus commodément pour l'un et pour l'autre à Tusculum. Il ne pouvait plus passer un seul jour sans me voir. Je ne pouvais aller chez loi , et il se privait ainsi des agréments de son habitation. Mais, je vous prie, Servilia est-elle arrivée? Brutus a-t-il été en avant? Son parti est-il pris? Quand aura lieu la rencontre? Mettez-moi au courant de ces détails et de tout ce qu'il est nécessaire, que je sache. Tâchez aussi de Joindre Pison. Le moment est venu : n'en faites qu'à votre aise toutefois.

619. — A ATTICUS. Arpinum, juillet.

A. XIII, 12. Le commencement de votre lettre m'a fait trembler pour votre chère Attica. Puis je me suis rassuré. Vous ne seriez pas si calme , si vous n'aviez une ferme confiance dans son rétablissement.— Comme vous avez fait monter mon Ligarius. Dorénavant c'est à vous que je m'adresserai pour crier tous mes ouvrages. Vous me parlez de Varron ; mais je n'ai fait jusqu'ici, vous les avez, que des discours ou autres écrits qui ne permettaient point d'y placer son nom. A l'époque où je commençai à écrire sur des matières philosophiques, Varron m'avait promis de me faire une belle et imposante dédicace. Voilà deux ans passés, et ce coureur qui va d'un si grand train n'a pas avancé d'une coudée. J'attends l'effet de sa promesse pour m'acquitter envers lui et même avec usure, si toutefois je le puis; si je le puis , cette réticence est recommandée par Hésiode. J'ai bien mon traité de Finibus, mais je l'ai dédié à Brutus. Vous le désiriez, et il n'est pas, m'avez- vous dit, insensible à cet hommage. Il me reste mes Dialogues académiques. Les interlocuteurs sont de hauts personnages, sans contredit, mais d'assez pauvres philosophes, et je les ai faits trop subtils. Eh bien! je puis à leur place faire parler Varron. C'est du pur Antiochus, et vous savez le goût décidé de Varron pour Autiochus. Catulus et Lentulus seront dédommagés plus tard. Je les laisserai pourtant, si vous le voulez. Écrivez-moi ce que vous en pensez. — Vestorius m'a écrit au sujet de la vente des biens de Brinnius. On est tombé d'accord, me dit-il, de la faire chez moi le 8 des Kalendes de juillet; mais on croyait que je serais à Rome ou à Tusculum pour cette époque. Dites à votre ami S. Vettius, mon cohéritier, ou à Labéon, d'ajourner do quelques jours. Je serai à Tusculum aux nones ou à peu prés. Vous avez Éros avec Pison. Je ne fais que penser aux jardins de Scapula. Voici le jour qui approche.

620. — A ATTICUS. Arpinium, juillet.

A. XIII, 13. Votre lettre et vos observations me décident. Je raye de mes livres académiques les noms illustres, et j'y substitue le nom de notre ami. Au lieu de deux livres, j'en ai fait quatre , beaucoup plus étendus que les précédents, et pourtant j'ai prodigieusement retranché. Comment avez-vous su que cela ferait plaisir à Varron? Dites-le-moi, je vous prie, et que je sache aussi le nom qui peut encore lui faire ombrage. Serait-ce celui de Brutus? Il ne me manquait plus que ce motif pour me déterminer. Toutefois je veux les avoir positivement. J'ignore si l'amour propre d'auteur m'abuse; mais ces livres sont si bien venus, que même chez les Grecs il n'y a rien en ce genre à leur comparer. Vous avez voulu avoir un exemplaire des premiers : ce sont des frais perdus. Mais ne les regrettez point ; la dernière rédaction l'emporte de beaucoup sur l'autre par l'éclat , la précision , la qualité du style. Me voici dans un autre embarras. Je consens à dédier un écrit à Dolabella, qui le désire vivement; mais que choisir? D'un côté, je crains les Troyens; de l'autre, comment, si je cède, me soustraire aux propos? Il faut donc ou laisser là cette envie , ou trouver quelque chose. Mais pourquoi m'inquiéter de ces bagatelles? Parlons plutôt de mon Attica. Comment se porte-t elle? J'en suis cruellement en peine, je vous jure. A chaque instant, je relis vos lettres; elles mettent du baume en mon âme , mais je n'en attends pas moins avec impatience de plus fraîches nouvelles.

621. — A ATTICUS. Arpinum, juillet.

A. XIII, 16. C'est le bord des ruisseaux, c'est la solitude des champs que je venais chercher ici pour respirer plus à l'aise; mais impossible de mettre le pied dehors : la pluie ne cesse point, une pluie horrible. J'ai introduit Varron dans tous mes livres académiques. En premier lieu, Catulus, Métellus, Hortensius étaient mes interlocuteurs. C'était une faute , car il est constant que s'ils avaient quelques notions sur ces matières, ils ne les avaient point approfondies. Aussi à peine arrivé aux champs , leur ai-je d'abord substitué Caton et Brutus. C'est alors qu'arriva la lettre ou vous me parlez de Varron. Point de nom à qui l'on puisse plus convenablement prêter la doctrine d'Antiochus; mais approuvez-vous positivement que je lui consacre un ouvrage? Si vous l'approuvez, cet écrit est-il bien choisi?  Répondez à ces questions. Que dit-on de Servilia? Est-elle arrivée? Que fait Brutus? A quand son mariage ? Quelles nouvelles de César? Je serai ici jusqu'aux nones, comme je vous l'ai dit. Voyez ce que vous pourrez faire avec Pison.

622. — A ATTICUS. Arpinum , juillet.

A. XIII, 14. L'affranchi de Brinnius, qui hérite ainsi que moi, m'écrit qu'il est prêt, lui et  Sabinus, autre cohéritier, à venir me trouver. Je ne le veux pas absolument. La succession n'en vaut pas la peine. On peut faire annoncer la vente pour le 3 des ides. Il suffit qu'ils viennent à Tusculum dans la matinée, le lendemain des nones. Si le délai ne leur semble pas assez large, qu'ils reculent la vente de deux jours, de trois jours, de ce qu'ils voudront. Cela est sans importance. Empêchez-les seulement de venir, si déjà ils ne sont en route. — Où Brutus en est-il? que sait-on de César? quelles sont les autres nouvelles? Tenez-moi au courant, je vous prie. Faites-moi connaître positivement aussi s'il vous convient que j'envoie mon ouvrage à Varron. La question vous intéresse ; car vous saurez que c'est vous que j'ai choisi pour troisième interlocuteur. Il faut donc y réfléchir. Les noms sont déjà placés; mais on peut à volonté les effacer ou les maintenir.

623. — A ATTICUS. Arpinum, juillet.

Α. XIII, 15. Eh bien ! comment se trouve Attica? parlez-moi d'elle, je vous en conjure. Je suis sans nouvelles depuis trois jours. Cela s'explique.  Il n'y a pas eu d'occasion, et peut-être n'aviez-vous rien à me dire. De mon côté, je n'ai rien à vous apprendre. Valérius vous porte aujourd'hui ce mot. J'attends quelqu'un de mes gens. Si on arrive, et avec des lettres de vous, j'aurai assurément sujet de vous écrire.

624 — A ATTICUS. Arpinum, juillet.

Α. XIIII, 17. J'attends des nouvelles de Rome le 5 des kalendes : ce n'est pas que j'aie donné l'ordre de m'écrire, mais je compte sur vous. Vous me direz ce que pense Brutus, s'il s'est décidé, ce qu'on attend de César. C'est là, au surplus, ce qui m'intéresse le moins en ce moment. Ce que je veux savoir avant tout, c'est comment se trouve Attica. Vos lettres respirent la confiance; mais la date en est déjà ancienne. J'en attends une nouvelle avec impatience.

625. — A ATTICUS. Arpinium, juillet.

A. XIII, 18. Vous voyez l'avantage d'être près. Ayons donc des jardins. Quand j'étais à Tusculum, c'était une causerie, on peut le dire, que nos lettres, tant elles allaient et venaient avec rapidité! Ce commerce reprendra bientôt son cours. En attendant et suivant votre conseil, j'ai achevé un livre d'une assez fine philosophie, que je destine à Varron; éclaircissez toutefois les doutes que je vous ai soumis. A quel signe avez-vous reconnu que Varron ne serait pas fâché de cet hommage? A cet égard, je ne vois pas qu'il m'ait jamais mis en demeure, lui pourtant le plus infatigable de tous les écrivains. En second lieu, de qui serait-il jaloux? de Brutus? Si ce n'est de Brutus, c'est encore moins d'Hortensius, ou de l'un de ceux que je fais parler dans mon livre de la République. Tout cela n'est pas clair à mes yeux. Persistez-vous? Dois-je envoyer l'ouvrage? Faut-il attendre? Nous en parlerons à notre pre¬mière rencontre.

626. — A ATTICUS. Arpinum, juillet.

A. XIII, 19. Le 4 des kalendes, Hilarus, mon secrétaire, venait de partir avec une lettre pour vous, lorsque le messager m'a remis la vôtre de la veille, où je lis avec tant de plaisir ce que vous me dites d'Attica, que cette chère enfant vous prie de ne pas être triste, et ou vous m'assurez qu'elle est hors de danger. — Votre parole et votre suffrage ont fait merveille, je le vois bien , pour mon Ligarius. Balbus m'écrit , Oppius m'écrit. Ils sont sous le charme, et ils ont voulu envoyer le discours à César, je le savais déjà par vous. — Si je me détermine pour Varron, ce n'est pas pour éviter qu'on m'impute un dépit d'amour-propre. J'avais résolu de ne faire parler dans ces dialogues aucun personnage vivant. Mais vous m'avez mandé son secret désir et l'importance qu'il y attache. Je me suis mis à l'œuvre, et je l'ai menée à fin. Est-ce avec succès? Je ne sais; ce que je puis dire, c'est qu'on n'y pouvait mettre plus de soin. La doctrine académique est là résumée en quatre livres. J'ai mis dans la bouche de Varron tout ce qu'Antiochus a si habilement rassemblé de preuves contre le doute absolu. C'est moi qui réponds et vous arrivez entiers entre nous. Si j'avais supposé le débat entre Cotta et Varron , comme vous me le conseilliez dans une de vos dernières lettres, il y aurait eu un personnage muet. Cela fait très bien lorsqu'on prend des personnages du temps passé, comme Héraclide dans beaucoup de ses ouvrages, et moi-même dans mes six livres de la République. Le dialogue de l'Orateur, mon enfant chéri, en est encore un exemple. Mais là j'étais naturellement exclu d'un entretien qui se passe entre Crassus, Antoine , le vieux Catulus, C. Julius son frère , Cotta, Sulpicius. Je n'étais qu'un enfant à l'époque où je le place et je ne pouvais y jouer un rôle. Pour mes derniers écrits , j'ai suivi l'exemple d'Aristote qui dirige la conversation de manière à rester toujours le principal personnage. J'en ai fait autant dans mes cinq livres de Finibus où la doctrine d'Épicure est défendue par L. Torquatus, ou M. Caton représente les Stoïciens et M. Pison les Péripatéticiens. J'étais bien sûr de ne pas faire de jaloux : aucun d'eux n'existe plus. Les premiers Interlocuteurs de mes livres académiques étaient, vous le savez, Catulus, Lentulus et Hortensius. Ils y étaient déplacés. La philosophie y est d'une portée où nul des trois n'a pu arriver, même en songe. Aussi le nom de Varron dans votre lettre m'a frappé comme une rencontre inespérée. Nul qui soit mieux assorti avec cette doctrine, dont je sais qu'il fait ses délices , et avec le rôle que je lui prête. C'est à douter que le mien soutienne la comparaison. La logique d'Antiochus offre un fonds si riche ! Je me suis étudié à lui conserver ce qu'elle a d'incisif, en y ajoutant tout l'éclat que peut avoir mon langage. Cependant examinez encore, examinez mûrement si je dois prendre Varron. Il y a des objections. Nous en causerons à la première rencontre.

627. — A ATTICUS. Arpinium, juillet.

A. XIII, 20. J'ai reçu de César une lettre de consolation. Elle est datée d'Hispalis, la veille des kalendes de mai. Dites-moi, je vous prie, ce qu'on a décrété pour l'extension de la ville. Je ne le comprends pas bien et je tiens à le savoir. Je suis très-sensible à la reconnaissance de Torquatus, et je tâcherai d'en multiplier les causes. Il n'y a plus moyen de parler de la femme et de la belle-mère de Tubéron dans mon discours pour Ligarius. Le discours est publié. Je ne veux pas d'ailleurs me faire le défenseur de Tubéron. C'est un caractère si difficile! Il vous a donné là un beau spectacle. Mes jours s'écoulent fort doucement en cette demeure. Je ne souffre que de votre absence. Aussi je compte toujours aller vous trouver comme je me le proposais. Vous avez dû voir mon frère ; je suis bien curieux de savoir ce que vous avez fait. Quant à moi , je ne m'inquiète pas des propos, et quoique je vous en aie follement écrit un  jour, il n'y a rien de mieux à faire que de n'y point songer. L'essentiel est de ne dévier du droit chemin en aucune circonstance de la vie. Mais n'admirez-vous pas comme je deviens philosophe? croyez-vous donc que ces matières passent impunément par mes mains? Vous avez pris la chose au vif. Je ne l'aurais pas voulu , elle n'en valait pas la peine. Mais je reviens à mon sujet. Que m'importe , après tout , je vous prie, du moment que je ne manque point à l'amitié? Ma conduite annoncerait-elle l'envie de dominer au forum? Ah! je n'y tiens guère. Que ne suis-je aussi indifférent à mes chagrins domestiques! Pensez-vous que j'avais un but et que je n'ai pu l'atteindre? Non. Mais on peut changer, et il m'est permis, tout en applaudissant au passé, d'avouer hautement aujourd'hui ma parfaite indifférence. Je m'arrête, eu voilà bien long sur des misères.

628. — A ATTICUS. Arpinum, août.

A. XIII, 21. Hirtius s'est chargé d'une lettre fort longue que je vous ai écrite dernièrement de Tusculum. Vous m'en aviez adressé une à la même époque; mais j'y répondrai plus tard. J'ai à traiter avec vous de points plus pressants. D'abord, que puis-je savoir de Torquatus, si Dolabella ne m'en dit rien? Dès que j'apprendrai par lui quelque chose, vous en serez informé. J'attends au surplus aujourd'hui ou demain au plus tard le retour de mon courrier, et je vous l'enverrai aussitôt. J'espère aussi avoir une lettre de Quiutus : vous savez qu'au moment de mon départ de Tusculum, le 8 des kalendes, je lui ai envoyé un esclave. -J'arrive maintenant au principal objet de cette lettre, à l'expression d'inhibere, qui d'abord m'avait souri et que je condamne souverainement. C'est un terme de marine, je le savais bien, mais je croyais que dans le commandement naval il signifiait suspendre les rames. J'ai été détrompé hier en voyant un navire aborder près de ma maison. Au commandement d'inhibere, les nautonniers ne suspendent pas l'action des rames, ils les manoeuvrent autrement. C'est bien loin , vous le vovez du grec ἐποχῆ. Laissez donc la phrase telle qu'elle est et avertissez Varron , dans le cas ou il aurait fait faire une correction à son exemplaire. Il n'y a rien de mieux que le sens de ce vers de Lucullus.

Sustineat currum, ut bonu' soepe agitator, equosque.

Carneade ne se sert d'ἐποχῆ que dans le sens de temps d'arrêt; c'est l'athlète qui se recueille avant de frapper, ou le cocher qui rassemble les rênes avant de lancer ses chevaux. Inhibere indique, au contraire, un mouvement, même un mouvement accéléré, comme lorsqu'on veut faire passer le navire de la poupe à la proue. Voilà une discussion grammaticale qui m'occupe, vous le voyez, plus que les propos dont je suis l'objet, ou les bruits répandus sur Pollion. Sait-on quelque chose de positif à l'égard de Pansa? Le fait n'a-lil pas été public? Qu'y-a-t-il de vrai dans l'affaire de Critonius? Celle de Metellus et de Balbinus se confirme-t-elle? Mais, dites-moi, je vous prie, est-ce qu'il vous convient qu'on donne de la publicité sans mon aveu âmes ouvrages? C'est ce que Hermodore lui-même ne se permettait pas, je parle de l'Hermodore qui publiait les leçons de Platon, d'où lui est venu le nom d'Hermodore, aux paroles volées. Qu'en pensezvous? Vous paraît-il convenable que quelqu'un ait l'ouvrage avant Brutus, quand c'est à Brutus que, par votre conseil, je le consacre ? Balbus m'écrit qu'il tient de vous une copie de mon cinquième livre de Finibus. Je n'ai pas refondu entièrement ce livre; mais j'y ai fait des changements : aussi vueillez ne pas laisser sortir les autres livres de vos mains. Autrement Balbus aurait une copie informe, et Brutus ne recevrait plus qu'un fruit éventé; mais assez sur ce chapitre. Je ne veux pas faire une affaire de ces bagatelles; pourtant ces bagatelles sont aujourd'hui ce qui peut m'occuper de plus important. Quel autre intérêt me reste-t-il? — L'ouvrage que je dédie à Varron par votre avis , est déjà entre les mains des copistes à Rome, tant je suis impatient de le lui offrir! Si vous désirez l'avoir, vous le pouvez. Mes copistes ont ordre de le remettre aux vôtres , sur votre demande. Mais que l'ouvrage ne sorte pas de vos mains, avant que je vous voie. C'est une recommandation que votre bonté accepte toujours, mais encore faut-il que je vous la fasse. S'il m'arrive de l'oublier, Cérellia ne manque pas, dans sa passion pour les ouvrages philosophiques, de prendre une copie sur la vôtre. C'est ainsi qu'elle possède mes livres de Finibus, et je vous affirme, en avouant toutefois que je suis homme et faible, je vous affirme que ce n'est pas de moi qu'elle les tieut. Je n'ai pas un seul moment perdu de vue mes copistes, et, loin d'avoir pu faire deux copies, c'est tout au plus s'ils ont eu le temps d'en achever une. Ce n'est pas que je prétende accuser vos gens, ni que je veuille vous donner d'eux une autre opinion que la mienne. Seulement, je le répète, je ne voulais pas publier encore l'ouvrage, et j'ai commis la faute de ne pas vous en avertir. Qu'en voila long pour une bagatelle! Mais je n'ai rien de plus sérieux à vous dire. — En ce qui concerne Dolabella, nous sommes d'accord. Les cohéritiers viennent à Tusculum , c'est entendu. César n'arrivera pas avant les kalendes d'août, je le sais des Balbus. Enfin la situation d'Attica ne laisse rien à désirer, et sa résignation est admirable : voila la meilleure et la plus chère de toutes les nouvelles. Un mot encore pour répondre à ce que vous me dites sur cette pensée dont je réclame exclusivement l'honneur. Ce que j'apprends du caractère, de la famille, de la fortune, est tout ce qu'il y a de mieux. Cependant je ne connais pas l'homme personnellement ; et ce serait l'essentiel, mais Scrofa m'en a dit du bien. Je vous dirai de plus, si cela peut vous toucher, qu'il est plus noble que son père. Nous en parlerons à notre première rencontre. D'avance je donne mon adhésion à tout. Ce que vous n'ignorez pas, je pense , c'est que j'aime le père tendrement , que je l'aime plus que vous ne le croyez et qu'il ne le croit lui-mème; et cela à bon droit et depuis bien longtemps.

629. — A ATTICUS. Arpinum. août.

A. XIII, 22. Ce n'est pas sans motif que j'insiste pour savoir le fonds de votre pensée sur Varron. Il y a des objections, je vous les communiquerai à notre première entrevue. Quant à vous, mon cher Atticus, je vous ai fait entrer dans mes Dialogues , et désormais vous y jouerez plus souvent un rôle, puisque je vois par votre dernière lettre que vous n'y avez aucune répugnance. Cassius m'avait déjà fait part de l'événement de Marcellus. Servius m'en a donné tous les détails. Quelle fin cruelle! — Je reviens à l'objet de ma lettre. J'aime à savoir mes écrits entre vos mains. Ils y sont mieux que partout ailleurs; mais ne les laissez point circuler, que nous n'en soyons l'un et l'autre d'accord. Je tiens vos copistes pour innocents, et je ne vous accuse point vous-même. Je n'y songeais nullement, je vous assure, lorsque je vous ai parlé d'une copie que Cérellia ne pouvait tenir que de vous. A l'égard de Balbus, je sens bien qu'un refus vous était impossible. Seulement j'aurais voulu que Brutus n'eût point un ouvrage qui traîne, ni Balbus un ouvrage ébauché. Je ferai l'envoi à Varron , si vous persistez, après m' avoir vu. Vous saurez alors ce qui me fait hésiter. Vous avez fait assigner mes débiteurs. Fort bien. Que les tourments qu'on vous donne pour le domaine de votre aïeule m'affligent, et que ce que vous me mandez de Brutus est désespérant! mais voilà la vie! Tant d'aigreur ne peut se justifier entre deux femmes dont chacune ne fait que ce qu'elle doit (Il s'agit de quelque différend entre Servilla , mère de Brutus , et Porcia, sa femme). Il n'v avait pas de motif pour faire assigner mon greffier Tullius; s'il y en avait eu, je vous l'aurais écrit. Je ne lui ai rien remis pour les dépenses relatives au vœu que j'ai résolu d'accomplir. Il a bien quelques fonds à moi , mais je compte les appliquer à la destination dont il s'agit. Nous avions donc raison tous deux, moi de vous dire : les fonds sont là ; lui de vous répondre : je n'en ai joint. Seulement, mon cher Atticus, mettons enfin la main à l'œuvre. Un bois ne convient guère à une habitation. C'est trop désert. Il y a pourtant beaucoup à dire pour. Il en sera ce que vous voudrez : vous êtes mon guide en tout. J'arriverai au jour dit : puissiez-vous arriver le même jour ! Si vous avez des affaires , et vous en avez tant ! venez au moins le lendemain. C'est le jour des cohéritiers. Je ne veux pas les recevoir sans vous; je m'en trouverais trop mal. Voilà deux lettres où vous ne me dites rien d'Attica. Pour moi , c'est le meilleur de tous les augures. Je me plains, non de vous, mais d'Attica, qui n'a pas même un souvenir pour moi. Dites-lui mille choses aimables, ainsi qu'à Pilia. Ne lui laissez pas voir que je suis fâché contre elle. Je vous envoie la lettre de César, en cas que vous ne l'ayez pas vue.

630. — A ATTICUS. Arpinum, août.

A. XIII, 23. Hier je répondis sur-le-champ à votre lettre du matin. En ce moment, je réponds à celle du soir. J'aurais préféré que Brutus m'eût mandé de venir. C'eût été plus dans l'ordre à la veille d'un départ précipité pour une contrée lointaine. Et en vérité , dans notre position d'esprit assez peu sociable en ce moment (vous savez très-bien ce que sociable veut dire), je n'aurais pas été trop fâché d'être avec lui à Rome plutôt qu'à Tusculum. — L'ouvrage que je destine à Varron n'aurait pas été un obstacle. La copie vous l'avez vue; elle est terminée. On la relit. Vous savez mon hésitation. Mais vous en déciderez. L'autre ouvrage que j'envoie à Brutus (le traité de Finibus) est également entre les mains des copistes. — Oui, suivez mes prescriptions , puisque vous le voulez bien. Trébatius dit que cette remise se fait toujours. Mais pensez-vous que les gens y consentent? Vous connaissez la maison. Eh bien! terminons à l'amiable. Vous ne sauriez croire le peu d'intérêt que je prends à tout cela. Je vous affirme en toute sincérité, et vous pouvez me croire, que le peu que je possède est aujourd'hui pour moi une peine plutôt qu'un plaisir. Le regret de n'avoir pas à qui le transmettre est plus amer que la jouissance n'en est douce. Trébatius me dit qu'il vous a parlé comme à moi-même de cette remise. Auriez-vous craint de me mécontenter en m'en faisant part? Je reconnaîtrais bien là votre bonté. Mais , croyez-moi , rien de tout cela ne me touche. Ainsi consentez au rendez-vous, tranchiez et concluez, poussez, pressez, parlez, sans oublier que vous parlez à Scéva. N'espérez point que celui qui est capable de demander ce qu'on ne lui doit point fasse la remise de ce qu'on lui doit. Tenez seulement au délai, et encore n'insistez pas trop.

631. - A ATTICUS. Arpinum, août.

A. XIII, 24. Qu'est-ce, je vous prie? Clodius Hermogène prétend avoir entendu dire à Andromène qu'il a vu Cicéron à Corcyre. Mais vous le sauriez. Ne m'aurait-il pas écrit lui-même? On ne l'a donc pas vu. Veuillez me tirer d'incertitude. Que puis-je vous dire encore de Varron? Les quatre beaux volumes sont a votre disposition. Ce que vous ferez , je l'approuve , et je me moque des Troyens. D'ailleurs qu'aurait-ou à dire? J'appréhende bien plus les dispositions personnelles de Varron. Au surplus, comme c'est vous qui m'en répondez , je dors sur les deux oreilles.

632. — A VARRON. Arpinum, août.

F. IX, 8. Promesse faite n'autorise pas , je le sais, demande importune : le peuple lui-même a cet égard donne l'exemple de la discrétion, à moins qu'il ne soit poussé. Chez moi cependant l'impatience est la plus forte, et je viens, si non vous actionner, du moins vous dire : Ne m'oubliez pas. Je vous dépêche à cet effet quatre ambassadeurs, non pas des plus circonspects. Vous savez si la jeune Académie manque de front. Or, ils en sont tous quatre sortis a ma voix, et je crains qu'ils ne prennent un ton plus que pressant. Pourtant ils ont ordre de n'employer que la prière. Je désirais depuis longtemps vous dédier un ouvrage, mais je me retenais : je voulais vous laisser l'initiative, afin de tâcher de vous donner l'égal de ce que j'aurais reçu. Mais vous y mettez trop de temps, parce que vous y mettez plus de soin, j'imagine. Et moi, je n'ai pu résister davantage au besoin de vous donner un témoignage tel quel et de nos sympathies littéraires et de la vive amitié qui nous lie. J'ai arrangé l'entretien que nous avons eu, vous et moi, à Cumes, lorsque nous y étions avec Pomponius ( Atticus). Le rôle d'Antiochus m'a paru vous convenir. J'ai pris celui de Pbilon. Peut-être, en le lisant , serez-vous surpris d'y voir beaucoup de choses que nous n'avons pas dites. Mais quand on compose un dialogue, c'est l'usage, vous le savez. A l'avenir, mon cher Varron , il dépendra de vous que nous ayons ensemble des conversations réelles, et le plus souvent possible. Nous nous y prenons un peu tard peut-être. Mais, pour l'emploi du temps passé, c'est à la république à en rendre compte, et même nous lui devons encore le présent. Que le ciel ne nous accorde-t-il du moins des temps paisibles et une forme de gouvernement quelconque, non pas une bonne si l'on veut , mais un peu de fixité du moins pour nous livrer ensemble a l'étude ! Des modifications politiques nous imposeraient des soins, des travaux , des occupations honorables, tandis qu'aujourd'hui nous n'avons que l'étude pour nous attacher à la vie. Encore son aide suffit-elle à peine pour m'y retenir. Sans cette aide, le lien se détacherait. Mais ce sera là l'objet , le principal objet de nos entretiens. Je veux que vous n'ayez qu'à vous applaudir par la suite de votre déplacement et de votre acquisition. Je loue fort le parti que vous avez pris là-dessus. Adieu.

633. — A ATTICUS. Arpinum, août.

A. XIII, 25. Vos questions étaient précises au sujet de cette remise. J'y ai répondu. Concluez donc sans hésitation ni faux-fuyant. Il le faut, j'en ai besoin. J'étais persuadé d'avance de votre réponse sur Andromène. Vous auriez su le fait et vous ne me l'auriez pas laissé ignorer. Vous me parlez de Brutus sans rien me dire de vous-même. Quand croyez-vous qu'il vienne ici? Moi, je serai à Rome la veille des ides. Si vous avez lu ma lettre, il faut que je me sois mal expliqué : mon but était de lui faire entendre ce que j'avais compris moi-même dans la vôtre, savoir qu'au milieu des préparatifs de son départ , il désirait que je ne vinsse pas le chercher a Rome. Mais me voilà tout à l'heure obligé de m'y rendre. Faites donc en sorte, je vous prie, que cette circonstance des ides ne le détourne pas de venir à Tusculum, si cela lui convient. Sa présence n'est pas nécessaire pour la vente. En pareille affaire la vôtre ne suffit-elle pas parfaitement? J'aurais désiré la sienne, il est vrai , pour le testament ; mais je l'ajourne. Je ne veux pas lui donner à croire que c'est pour cela que je vais à Rome , et je lui mande qu'ainsi que je le prévoyais, je n'ai décidément pas besoin de lui pour les ides. Veillez, je vous prie, à ce que tout se combine pour ne pas gêner le moins du monde les convenances de Brutus. — Mais pourquoi cette appréhension extrême que votre nom paraisse dans cet hommage à  Varron? Si maintenant encore vous avez quelques doutes je veux les savoir. Je n'ai , je vous assure , jamais rien écrit de mieux. Je tiens à Varron, croyant que c'est son désir. Cependant vous le connaissez. « C'est un caractère susceptible, capable d'accuser l'innocence même. » Quelquefois je me représente la figure qu'il ferait, venant, par exemple, se plaindre à moi de ce que ma thèse est mieux développée, mieux soutenue que la sienne. Il n'en est rien pourtant, je vous l'affirme. Vous en jugerez en Épire. Quant à présent , je cède la place à votre correspondance avec Alexion. Je me flatterai jusqu'au bout de la bonne grâce de Varron, et puisque j'ai fait pour lui la dépense d'une copie en grand format , je veux bien en courir la chance. Toutefois, c'est à vos risques et périls Je vous le dis , je vous le répète, et si vous avez des craintes, il faut substituer Brutus à Varron. Brutus n'est-il pas, aussi lui, tout Antiochus? Voilà bien l'Académie ! toujours changeante! aujourd'hui ceci; demain cela. Mais, dites-moi, ma lettre à Varron ne vous a-t-elle pas charmé? Me punissent les Dieux , si je me donnai jamais autant de peine ! Je n'ai pas même voulu la dicter à Tiron qui retient des lignes entières. Je l'ai dictée à Spintharus mot-à-mot.

634. — A P. SULPICIUS; peut-être A VATINUS. Rome, août.

F. XIII, 77. Il m'arrive aujourd'hui bien rarement d'aller au sénat. Mais en lisant votre lettre, j'ai senti que c'était un devoir pour ma vieille amitié, après un si long échange de bons procédés entre nous , de ne pas manquer dans une occasion où il s'agit d'un honneur à vous décerner. Je me suis donc rendu au sénat, et c'est avec grand plaisir que j'ai voté en votre faveur une supplication. En toute circonstance, l'(intérêt de votre fortune, de votre réputation , de votre dignité, me trouvera là pour le soutenir. Je vous invite même à écrire à vos amis, que tels sont mes sentiments à votre égard, afin qu'ils sachent bien que, si mon assistance vous devenait utile, c'est un droit pour eux d'y recourir. — Je vous recommande avec une vive instance M. Bolanus, homme d'honneur et de courage, distingué sous tous les rapports et mon vieil ami. Faites qu'il reconnaisse à vos procédés l'utilité de ma recommandation. Ce sera m'obliger essentiellement. Vous verrez qu'il n'y a pas de plus excellent homme, ni de cœur plus reconnaissant. Je me rends garant du plaisir que vous tirerez d'une liaison avec lui. — J'ai un autre service à solliciter de votre attachement et de votre complaisance si souvent éprouvée. Dyonisius, mon esclave, était chargé du soin de ma bibliothèque, laquelle est de fort grand prix ; il a commencé par me dérober un grand nombre de livres, puis il a eu peur de ne pas porter loin l'impunité, et il a pris la fuite. Il est dans votre province. M. Bolanus, mon ami, et beaucoup d'autres l'ont vu à Narone. Il s'est dit affranchi par moi , et ils l'ont cru. Si vous pouviez le faire remettre en mon pouvoir, je ne saurais vous dire quelle serait ma gratitude. La chose a peu d'importance , mais je suis piqué au vif. Bolanus vous dira quelles sont les mesures à prendre. Oui , si par vos soins je puis remettre la main sur ce misérable, ma reconnaissance vous est acquise à jamais.

635. — A ATTICUS. Tusculum, août.

A. XIII, 35 et 36. Quelle indignité! quoi! votre homonyme (Quelque architecte du nom de Pomponius) veut agrandir Rome, ou il vint il y a deux ans à peine, pour la première fois : elle lui paraît petite; la place lui a-t-elle donc m;mqué? Donnez-moi des détails. Vous n'attendiez que l'arrivée deVarron, dites- vous. Dans ce cas, au moment où j'écris, Varron a mes livres , et il n'y a plus à se dédire. Si vous saviez ce quie vous risquez! Peut-être mes dernières observations vous auront fait rédfléchir; mais vous n'aviez pas ma lettre, quand vous m'avez adressé la vôtre. Enfin ou les choses en sont-elles? il me tarde de le savoir. Ce que vous me dites de la tendre amitié de Brutus et de votre promenade n'a rien qui me surprenne. Son langage est le même dans toutes les occasions; mais j'y trouve chaque fois plus de charme. Aujourd'hui que vous y applaudissez, je m'en réjouis davantage, et je m'y livreavec plus d'abandon, puisque vous vous eu rendez garant.

636. — A ATTICUS. Tusculum, août.

A. XIII, 37. Voici ma seconde lettre d'aujourd'hui. Rien de plus convenable et de mieux entendu que ce que vous me proposez pour la créance de Xénon et pour les quarante mille sesterces d'Épire. Balbus le jeune m'a parlé dans le même sens. Rien de nouveau d'ailleurs, ma-t-il dit , si ce n'est qu'Hirtius a eu , à mon sujet , une prise très-vive avec Quintus qui ne cesse en tous lieux et surtout à table de déblatérer contre moi : et quand il en a fini sur mon compte , il s'en prend à son père. Ce qu'il dit de plus vrai, à l'entendre, c'est que nous sommes, son père et moi, très-opposés à César; qu'on ne doit avoir aucune espèce de confiance en nous, et qu'il faut surtout se défier de moi. Cela serait vraiment dangereux, si le maitre ne me regardait pas comme un homme tout à fait éteint. Il ajoute que je traite fort mal Cicéron. Qu'il dise au surplus tout ce qu'il voudra. Je suis fort aise d'avoir remis l'éloge de Porcie au messager de Lepta, avant d'avoir reçu votre lettre. Faites-moi l'amitié, si vous envoyez cet éloge à Brutus et à Domitius, de l'envoyer avec les changements. Je vous prie de me tenir jour par jour au courant des combats de gladiateurs et de toutes les nouvelles, même des bruits en l'air. Je voudrais bien que vous vissiez Baibus et Offilius pour les publications de la vente. J'en ai parlé à Baibus. Il est tout disposé; je crois qu'Offilius a l'état détaillé des biens; Baibus aussi. Baibus voulait que la vente fût fixée à un jour rapproché et qu'elle eut lieu à Rome, sauf à la reculer, si César tardait à venir; mais il arrive. Prenez tout cela en considération : Vestorius est d'accord.

637. — A ATTICUS.  Tusculum, août.

A. XIII, 38. Il n'était pas jour, et j'étais à écrire contre les Épicuriens , lorsque de la même plume, à la lueur de la même lampe, je me suis mis à brouillonner pour vous, je ne sais quoi que je vous ai fait expédier, nuit close encore. Je me suis rendormi, et je m'éveillais en même temps que le soleil , lorsqu'on m'a remis la lettre ci-jointe du fils de votre sœur. Il débute par une impertinence, peut-être sans intention : « Je n'approuve pas , dit-il , tout le mal qu'on peut dire de vous. »  Ainsi il y a beaucoup de mal a dire de moi. Seulement il n'est pas d'avis de tout. Imagine-toi une grossièreté pareille? Pour le reste, vous lirez sa lettre. Jugez-en vous-même. Brutus , à ce qu'on me dit de tous côtés, ne tarit pas d'éloges sur mon compte. C'est là sans doute ce qui aura fait impression sur notre jeune homme et ce qui l'aura déterminé à faire une lettre pour moi et une pour vous. Vous me direz le contenu de la vôtre. Je ne sais pas ce qu'il aura écrit de moi à son père. Mais voici avec quel respect il parle de sa mère. « J'aurais voulu avoir une maison afin de vous voir souvent , et je vous avais écrit de me louer quelque chose. Vous n'en avez rien fait. Nous nous  verrons donc fort peu. Je ne puis aller chez  vous. Vous en savez le motif. » Or, le motif, dit mon frère Quintus, c'est qu'il déteste sa mère. Aidez-moi de vos bons conseils , mon cher Atticus. Dois-je entrer ouvertement dans le droit chemin de la justice, c'est-à-dire traiter publiquement ce malheureux comme il le mérite, et le renoncer pour un des nôtres ; ou vaut-il mieux suivre une voie détournée? Mou esprit flotte incertain, comme dit Pindare. Le premier parti convient mieux à mon caractère, le second au temps ou nous sommes. Votre avis sera le mien. Je crains de le voir me tomber tout à coup sur les bras à Tusculum. En compagnie , je me tirerais mieux d'affaire. Faut-il aller à Asture? Mais si César arrive? Que me conseillez-vous? je vous prie. Votre conseil fera ma loi.

638. — A ATTICUS. Tusculum, août.

A. XIII, 39. Quel front! c'est à n'y pas croire! écrire à son père qu'il n'ira pas chez lui à cause de sa mère! et cela avec les plus belles protestations de respect du monde! Et le père qui mollit et qui reconnaît à son fils le droit de lui en vouloir! Enfin je suivrai votre conseil : vous êtes pour que je me contienne, je le vois. J'irai à Rome, puisque vous le voulez, mais bien à regret. Il faudra que je m'arrache à mon travail. Brutus y sera, dites-vous; soit. Ce ne serait pas une raison pour moi, si je n'en avais une autre, .l'aimerais mieux le voir revenir d'ailleurs: il n'est pas resté trop longtemps : il ne m'a pas écrit un mot. Pourtant je suis curieux de savoir comment ce voyage lui a réussi. Envoyez-moi, je vous prie, les livres dont je vous ai précédemment parlé, surtout le commentaire sur le Phèdre et le livre sur la Grèce.

639. — A ATTICUS. Tusculurn, août.

A. XIII, 40. Ainsi donc, selon Brutus, le grand homme reviendrait aux gens de bien ! mais où sont-ils les gens de bien? A moins qu'il ne se
pende pour les aller trouver. Ici bas, en attendant, que son pouvoir est bien établi ! Où sont, je vous prie, ces nobles cœurs qui semblent respirer encore dans les figures de votre Parthénon? Où sont Ahala et Brutus? Mais que pourrait-il faire? Une chose parfaite, dites-vous, c'est que celui qui est cause de tout le mal (Hirtius, qui avait produit le jeune Quintus auprès de César.) n'est pas bien pour notre neveu. Mais moi, je crains que Brutus ne lui soit au fond très-tendrement attaché : ses réponses à mes lettres laissent percer cette disposition. Je voudrais bien qu'il eût entendu quelques-unes des histoires que mon neveu fait sur moi. Mais vous avez raison , ce sont choses à dire de vive voix. Que me conseillez-vous? Dois-je courir à Rome? Dois-je attendre ici? D'une part le travail m'attache et me retient; de l'autre, je ne veux pas recevoir ce Quintus. Aujourd'hui son père, m'assure-t-on, a été vers lui jusqu'aux Saxa Acronoma; il était dans une irritation telle que j'ai dû lui faire quelques observations; mais moi-même je me sens quelquefois tout près d'échapper; aussi veux-je voir. Que pensez-vous de mon arrivée? Si demain tout peut être éclairci, envoyez, je vous prie , chez moi dès le matin.

640. — A ATTICUS. Tusculum, août.

A. XIII, 41.  J'ai envoyé à Quintus une lettre pour sa sœur. Il se plaignait de ce que sa femme et son fils étaient en guerre ouverte , et par suite il avait même parlé d'abandonner sa maison à ce dernier; mais je lui ai dit que notre neveu avait écrit en très-bons termes à sa mère. Il n'en revenait pas. J'ai ajouté qu'il ne vous avait pas écrit un mot. Mais ce tort, Quintus le prend sur lui, parce qu'il s'est, dit-il, toujours expliqué sur votre compte avec son  fils en homme vivement irrité contre vous. Enfin il commence à s'apaiser, et je lui ai mandé que, de mon côté, je ne voulais pas être plus sévère. Nous avons parlé de Cana. Si on veut de ce parti, il faut absolument tout oublier. Mais il y a mûrement à réfléchir là-dessus : d'accord. En tout cas, il ne doit y avoir qu'une seule et même manière d'agir pour vous et pour moi , bien que les torts soient beaucoup plus graves et tout à fait publics à mon égard. Si Brutus intervient, plus de difficulté. Mais on ne peut parler de tout cela que de vive voix. C'est une affaire d'un grand intérêt et excessivement délicate. A demain donc, sauf contre-ordre de votre part.

641. — A  ATTICUS. Tusculurn, août.

A. XIII, 43. Oui, je profiterai de ce délai d'un jour. Vous avez été bien aimable de m'en faire part et de me donner ainsi le plaisir de recevoir une lettre de vous, au moment où je n'en pouvais attendre. C'est comme si vous écriviez après les jeux. J'avais vraiment quelques affaires à Rome; mais je les ferai aussi bien deux jours plus tard.

642. — ATTICUS.

A. XIII, 44. Votre lettre me charme : cependant quel cruel spectacle! Tout n'est pas cruel, il est vrai, dans ce que vous me mandez, ce que vous dites de Cotta, par exemple. Peuple admirable qui n'applaudit pas même à la Victoire, en pareil voisinage! Brutus est venu. Il voulait absolument quelques mots de moi à César : je n'avais pas dit non. Mais qu'il aille d'abord voir ce qui se passe aux fêtes qu'on lui donne. — Eh bien! vous avez pris sur vous de remettre le volume à Varron. Je suis impatient de savoir ce qu'il en pensera. Quand le lira-t-il? Vous avez bien fait pour Attica. Ce qui occupe les yeux est toujours une heureuse diversion pour l'esprit , surtout quand il s'agit de croyances et de solennités religieuses. Soyez assez bon pour m'envoyer Cotta. J'ai avec moi Libon. J'avais dernièrement Casca. Brutus me fait dire de la part de Ligarius que je me suis trompé, en nommant L. Curfidius dans mon plaidoyer. C'est une faute de mémoire; je connaissais l'intimité de Curfidius avec les Ligarius : je me souviens maintenant qu'il était mort. Recommandez, je vous prie, à Pharnace , à Antéus et à Salvius d'effacer ce nom sur toutes les copies.

643. — A  ATTICUS. Tusculum, août.

A. XIII, 45. Lamia est venu chez moi après votre départ , et m'a apporté une lettre de César. Quoiqu'elle soit antérieure en date à celle de Diocharès, César y annonce déjà positivement son arrivée pour les jeux romains; il finit en recommandant que tout soit prêt et qu'on ne l'expose point à une hâte inutile. Il n'est pas possible de douter, d'après ces deux lettres, que son intention soit d'arriver le jour même : et Balbus, qui a lu la dernière, est de cet avis, à ce que dit Lamia. Voila donc encore quelques jours de liberté, mais combien? si vous avez de l'amitié pour moi , vous me le ferez savoir. Bébius pourra vous le dire , ainsi que votre autre voisin Egnatius. Vous m'engagez à consacrer ce temps à mes livres de philosophie. C'est presser le mouvement d'un cheval lancé, je vous assure : mais j'aurai Dolabella chez moi tous ces jours-là, vous le savez. Si l'affaire de Torquatus ne me retenait, il y aurait juste le nombre de jours nécessaires pour aller à Pouzzol et en revenir à temps. Lamia a entendu dire, il croit que c'est à Balbus, qu'on a trouvé dans la maison beaucoup d'argent comptant, dont il faudrait au plus vite faire le partage; qu'il y a de plus de grandes valeurs en argenterie, sans compter les fonds de terre, et qu'il faut procéder à la vente sans perdre un moment. Je voudrais avoir votre avis : s'il me faut absolument choisir un mandataire entre tous, je n'en vois pas de plus habile, de plus actif et de plus dévoué que Vestorius : je lui ai adressé des recommandations expresses. Vous en avez fait sans doute autant. Cela me semble devoir suffire. Ne le croyez-vous pas aussi ? Tout ce que je crains , c'est qu'on trouve que je néglige trop mes affaires. J'attends une lettre de vous.

644. - A ATTICUS. Lanuvium, août.

A. XIII, 46. Pollex avait promis pour les ides d'août, et dès la veille, il était chez moi à Lanuvium. Mais il est, je vous assure, bien mieux nommé Pollex qu'Index ; vous en jugerez par vous-même. J'ai eu un rendez-vous avec Balbus ; Lepta , dont tout l'esprit est tendu sur cette commission, a voulu me conduire chez lui. C'était dans la maison même de Lanuvium que Balbus a cédée a Lépide. Son premier mot fut : « Voici une lettre de César. Elle m'arrive, il y a quelques moments; ses termes sont formels, avant les jeux romains. » J'ai lu la lettre. César y parle beaucoup de mon Caton et prétend qu'à force de le lire, sa parole gagne en abondance. Après la lecture du Caton de Brutus, il s'est cru, dit-il, éloquent. Mais voyez la négligence de Vestorius! C'est par Balbus que je suis au courant de la clause d'acceptation de Cluvius. L'acceptation est facultative devant témoins , et le délai est de soixante jours. Je craignais la précipitation de Vestorius , et il faut aujourd'hui que je lui dépêche des exprès pour agir en mon nom. Ce sera donc Pollex. J'ai traité avec Balbus l'affaire des biens de Cluvius. Il a été charmant, et il va écrire sur-le-champ à César. Cluvius a imposé a Titus Hordéonius un legs particulier de cinquante mille sesterces au profit de Térentia, la dépense d'un tombeau pour lui-même, et beaucoup d'autres charges. Nous ne sommes grevés de rien. Vous me ferez plaisir de gronder Vestorius, de votre côté; sa conduite est sans excuse. Le parfumeur Plotius a envoyé, il y a longtemps, des exprès à Balbus pour le mettre au courant de tout, et à moi, on ne m'a rien fait savoir encore, même par mes courriers. La mort de Cottinius m'afflige ; je lui étais fort attaché. S'il me reste quelque chose, après avoir payé mes dettes et mes acquisitions, je le destine a Quintus. Mais je crains d'avoir besoin d'emprunter encore. Je n'ai plus entendu parler de la maison d'Arpiuum. Ne grondez pas Vestorius. Mon secrétaire arrive cette nuit même, et, ma lettre déjà fermée, il m'apporte des dépêches avec des détails circonstanciés et une copie du testament.

645. -- A ATTICUS. Asture, Août.

A. XIIII, 34. Je suis arrivé à Asture le 8 des kalendes. Je m'étais reposé trois heures à Lanuvium, a cause de la chaleur. Si vous le pouvez, sans vous gêner, faites, je vous prie, que je ne sois pas obligé de venir avant les nones. Adressez-vous à Egnatius Maximus; il arrangera cela. Terminez d'abord, et en mon absence, l'affaire de Publilius, et mandez-moi les on dit sur ce chapitre. « Car voilà qui doit bien occuper la ville. » En vérité, je n'en crois rien. C'est une trop vieille histoire. Vous voyez que je veux remplir la page. Que dirai-je de plus? Rien ; car j'arrive , à moins que vous me disiez : pas encore. C'est votre réponse au sujet des jardins qui me réglera.

646. — A LEPTA. Asture.

F. VI, 19. Je suis bien aise que Macula ait fait son devoir. Sa maison de Falerne m'a toujours paru offrir un gîte convenable, en admettant que le local soit suffisant pour mon monde. Le lieu d'ailleurs ne me déplaît point. Je ne renonce pas pour cela à votre Pétrinum dont l'habitation et le paysage sont plus délicieux pour un séjour prolonge que pour un simple passage. C'est à Oppius que j'ai parlé, pour vous faire confier la direction d'une partie des fêtes (Les jeux qui devaient être donnés en l'honneur de César). Quant à Balbus , je ne l'ai pas vu depuis votre départ : ses douleurs de goutte sont si vives qu'il ne reçoit personne. Tout bien considéré , vous ferez mieux, selon moi, de laisser cela de côté. Vous prendrez beaucoup de peine , et vous n'arriverez pas au luit. Car telle est la multitude d'amis intimes, qu'il y a plus de chance de la voir diminuer que se grossir de nouveaux venus; surtout si ceux qui recherchent ce titre ne peuvent rendre que de ces sortes de services pour lesquels le maître se croit moins obligé qu'il n'oblige, si même il en sait quelque chose. L'occasion peut se présenter devons mettre en évidence. Autrement il vaut mieux , je le répète , s'abstenir et même se dérober. Je crois que je resterai à Asture jusqu'à l'arrivée du grand personnage.

647. A TORANIUS. Asture, fin d'août.

F. VI, 20. J'ai remis il y a trois jours aux esclaves de Cn. Plancius une lettre pour vous. Je serai moins long cette fois. Je voulais d'abord vous consoler. Je veux seulement aujourd'hui vous donner des conseils. Je ne vois rien de mieux pour vous que de rester dans votre retraite jusqu'a ce que vous puissiez agir en connaissance de cause. Vous évitez par là les dangers d'une longue navigation en hiver et sans possibilité de relâche; et ce qui n'est pas d'un médiocre avantage, vous pouvez toujours partir au premier avis certain. Quelle nécessité d'ailleurs de montrer votre visage aux arrivants? J'ai aussi beaucoup d'autres craintes dont je me suis ouvert à notre ami Cilon. Que vous dirai-je? Je ne connais pas, je le répète, dans ces détestables temps, de meilleure position que celle d'où l'on peut, le plus facilement et le plus vite, se porter partout où l'on veut. Si le grand personnage revient, vous arriverez bien à temps. Si (tout est possible) il survient empêchement ou retard, vous êtes à portée de savoir ce qui se passe ; et voilà surtout ce qui me plaît. Je vous redirai, quant au reste , ce que je vous ai déjà dit : soyez sûr que vous n'avez dans ce grand débat rien à redouter qui ne vous soit commun avec la patrie. La situation est affreuse sans doute. Mais quand on a vécu comme nous et quand on est parvenu à l'âge où nous sommes, on doit s'armer d'une courageuse résignation contre les maux qu'on n'a pas à se reprocher.  - Tout ce qui vous appartient est en bonne santé : c'est avec les sentiments les plus vifs qu'on s'inquiète de vous, qu'on vous chérit ,  qu'on vous honore. — Tâchez de vous bien porter et surtout ne vous déplacez pas imprudemment.

648. — A ATTICUS. Asture, fin d'août.

A. XIII, 47. Quand vous m'avez fait dire : Agamemnon, ne venez pas, mais écrivez, (sans Torquatus j'allais partir,) j'ai changé de plan , j'ai tout quitté et je me suis mis à votre besogne. Je vous prie de vous faire rendre compte par Pollex de l'état de mes dépenses. J'aurais honte , quelle que soit sa conduite ( de son fils) de le laisser dans l'embarras pour la première année. Plus tard , on avisera à le tenir dans de justes bornes. Pollex va partir, pour que l'autre (Vestorius) voie et agisse. Il m'était absolument impossible d'aller moi-même à Pouzzol, tant pour les raisons que vous savez que parce que César arrive. Dolabella me mande qu'il sera chez moi le lendemain des ides. le maître importun! Lépide m'a écrit hier soir d'Antium où il se trouve. C'est à lui maintenant la maison que j'ai vendue. Il me prie de la manière la plus pressante de me trouver au sénat pour les kalendes. César et lui m'en sauront gré. Je crois qu'il n'y aura rien; Oppius, autrement, vous en aurait dit un mot, au défaut de Balbus qui est malade. Au demeurant, J'aime mieux perdre mes pas que de n'être point là quand il le faudrait; j'aurais plus tard trop de regrets. Aujourd'hui je vais donc à Antium , et demain , avant midi , je serai à Rome. Si vous n'avez pas pris d'engagement, faites-moi le plaisir de venir souper chez moi avec Pilia, la veille des kalendes. J'espère que vous aurez terminé avec Publilius. Le jour même des kalendes je retourne à Tusculum. J'aime mieux que tout se fasse en mon absence. Je vous envoie la lettre de Quintus, mon frère. Il pouvait me répondre plus poliment à coup sûr, mais sa lettre m'a paru bien pour ce qui vous concerne; vous en jugerez.

649. — A ATTICUS. Tusculum, septembre.

A. XIII, 48. Je n'en suis pas sûr, mais je crois vous avoir entendu dire hier au milieu du bruit que vous viendriez à Tusculum. Tant mieux, deux fois tant mieux ; cependant que rien ne vous gêne. Lepta me presse d'aller à Rome, où il peut avoir besoin de moi, car Babullius est mort. Je crois que César hérite pour un douzième, quoiqu'on n'en sache rien encore. Lepta a un tiers, et il craint qu'on ne lui conteste l'héritage. Cela n'a pas le sens commun ; mais enfin il le craint. S'il insiste, j'accours; sinon, j'attends jusqu'à nécessité. Renvoyez-moi Pollex, aussitôt que possible. Je vous ai envoyé l'éloge de Porcia corrigé ; je n'ai pas perdu un moment, afin que si on l'envoie à Domitius son fils ou à Brutus, on ait ce dernier texte. Chargez-vous de ce soin, si vous le pouvez. Vous me rendrez un véritable service. Veuillez aussi m'envoyer les éloges de Varron et de Lollius, surtout celui de Lollius, car je connais l'autre. Je veux toutefois le revoir : il y a certains passages que je crois avoir à peine lus.