500. — A SERYIUS. Rome.
F. XIIl, 24. Lorsque je vous ai recommandé
Lyson, mon hôte et mon ami, je ne pensais qu'au plaisir de lui donner un
témoignage mérité de mes sentiments. Je ne savais pas vos préventions
contre lui. Il vient de me les apprendre, et je m'applaudis vivement de
vous avoir dès lors écrit dans les termes où je l'ai fait. Il me mande
que ma lettre lui a été d'un grand secours, attendu qu'on vous l'avait
dénoncé comme parlant habituellement fort mal de vous à Rome. Vous avez
été, ajoute-t-il, assez aimable et assez bon pour n'en plus vouloir rien
croire , dès que vous avez vu ce que j'en pensais. J'acquitte d'abord la
dette de mon cœur, en vous remerciant d'avoir accordé a mon témoignage
le pouvoir de détruire une impression fâcheuse, puis, je vous prie de
vous persuader (et je ne le dis pas plus de Lyson que des autres) qu'il
n'y a ici qu'un langage sur votre compte, celui de l'éloge , qui est
unanime. Je voyais Lyson presque tous les jours; nous vivions ensemble ,
parce qu'il prenait plaisir à m'entendre, comme moi à l'écouter. Or, il
ne tarissait pas sur vos louanges. Je sais que vous le traitez de
manière à rendre toute nouvelle recommandation superflue : mais, quoique
vous le combliez, me dit-il, je ne vous en demande pas moins avec de
nouvelles instances toutes vos bontés pour lui. Je vous ferais ici une
seconde fois son portrait, mais vous devez maintenant le connaître.
501. — A SERVIUS. Rome.
F. XIII, 25. Hégésaratus, de Larisse, que
j'ai comblé de faveurs pendant mon consulat, n'en a pas perdu le
souvenir, et il n'a cessé depuis de me témoigner combien sa mémoire est
fidèle. Je vous le recommande à toutes sortes de titres : il est mon
hôte et mon ami, il a le cœur bien placé; c'est un honnête homme, le
premier de sa ville : vous voyez que personne ne mérite plus que lui que
vous l'aimiez. Veuillez, je vous prie, lui montrer par votre, accueil
que ma recommandation est de quelque poids près de vous. Je vous eu
saurai un gré infini.
502. — A SERVIUS. Rome.
F. XIII, 26. L. Mescinius a été mon
questeur, et c'est la l'origine de notre liaison. Fidèle aux traditions
de nos ancêtres, j'ai toujours attaché de l'importance au lien de la
questure, et avec d'autant plus déraison que Mescinius est la droiture
et l'amabilité mêmes. Je n'ai avec personne des relations aussi
habituelles et aussi douces; il sait que vous avez de la bonté pour lui
et il y compte pour tout ce qui est honnêtement possible; mais il
s'imagine qu'une lettre de moi fera quelque effet sur vous. Il a vu, et
je lui ai dit cent fois, tout ce que je trouvais de charme et tout ce
qu'il y avait de force dans l'amitié qui nous lie. Vous comprenez donc
que je ne puis vous recommander froidement un homme avec qui je suis si
intimement lié. Il a des affaires en Achaïe comme héritier de M. Miudius,
son frère, négociant à Élis. Faites que, fort de vos droits et de votre
puissance, qu'aidé même de vos lumières et de vos conseils, il les
débrouille et les termine. Nous avons donné pour instructions à ceux qui
en sont chargés, de soumettre à votre arbitrage les chicanes qu'on
pourrait leur faire, et, autant que possible, de prendre en tout vos
directions. Faites-le pour moi, je vous en conjure. De plus, s'il se
trouvait des gens difficiles qui voulussent plaider; l'affaire regardant
un sénateur, renvoyez-les à Rome. Si vous le pouvez sans inconvénient,
vous me ferez un extrême plaisir. Pour lever vos scrupules, nous nous
sommes munis, non pas d'un ordre, on ne donne pas d'ordre à un homme
comme vous, mais d'une lettre très officieuse du consul M. Lépidus.
Faut-il vous dire qu'un bienfait ne peut être placé chez personne miens
que chez Mescinius? vous le savez de reste , el c'est moi d'ailleurs qui
veux être votre obligé : son affaire me touche autant que si mes propres
intérêts y étaient engagés. Pourtant, je le confesse , tout en me
préoccupant beaucoup de son succès, je souhaite bien aussi un peu que ma
recommandation y paraisse pour quelque chose.
503 —
A SERVIUS. Rome.
F. XIII, 27.
Il m'arrive trop souvent de me répéter quand j'ai des remerciements à
vous faire, et vous êtes si bon pour mes recommandations, que cette
faute se reproduira, je le prévois, bien des fois encore. Néanmoins, je
veux faire effort sur moi-même, et m'appliquer aujourd'hui votre axiome
favori de procédure : même fond, autre forme. C. Avianus
Hammonius m'adresse des actions de grâce sans lin en son nom et au nom
de son patron Émilius Avianus, pour les bons offices el les égards
distingués dont il a été l'objet de votre part. J'en suis charmé,
d'abord par intérêt pour ceux que, dans la chaleur de mon zèle, j'avais
cru devoir vous recommander, pour Émilius surtout, l'un de mes amis les
plus intimes, à qui j'ai rendu de grands services, et qui est peut-être
celui de mes obligés dont la nié-moire est restée la plus fidèle; j'en
suis charmé enfin , parce que j'y trouve la preuve de vos sentiments
pour moi, et parce que je vous vois faire pour mes amis plus que je ne
ferais moi-même si j'étais présent; car je verrais moins vite à les
obliger que vous à m'être agréable. Redoutez pas du moins de ma
reconnaissance. N'e doutez pas non plus de celle de mes deux amis, je
m'en porte garant. Vous serez bien aimable si vous pouvez faire que
leurs affaires se terminent pendant quo vous êtes en Achaïe. Je vis dans
une grande intimité avec votre charmant Servius, et je jouis avec
délices de tout ce que je trouve chez lui d'esprit et de goût, d'honneur
et de sagesse.
504. —
A SERVIUS. Rome.
F.XIII, 28, 1er
part. J'ai du plaisir a recourir à vous pour mes amis, mais j'en ai
plus encore à vous remercier de vos boutés, qui ne leur font jamais
faute. On ne saurait croire ce que je reçois de remercîments même de la
part des moins recommandés. J'en suis touché au fond du cœur ; je suis
touché surtout de ce que me mande L. Mescinius. Il me dit que, sur ma
lettre, vous avez comblé ses agents de bonnes paroles, et que vous avez
été dans la réalité bien au delà de vos promesses. Rien, je vous le
répète, ne pouvait me toucher davantage. Je suis d'autant plus heureux
que je prévois combien Mescinius va vous plaire; il est si bon et si
honnête, si obligeant et si aimable ! puis il a tant de goût pour ces
études qui firent autrefois le bonheur de ma vie et qui sont aujourd'hui
toute ma vie! Mais que vous dirai-je? ajoutez encore à vos bontés pour
lui. Cela sera bien. Je vous demande nommément deux choses : 1° s'il
faut une garantie pour le cas de nouvelles exigences au même titre,
c'est de vouloir bien donner la mienne; 2° c'est de vous ingérer et de
trouver quelque biais pour faire venir à Rome Oppia, qui a été la femme
de Mindius. Elle a détourné presque toute la succession, et mon opinion
est qu'une fois à Rome, on s'arrangerait. Mettez à cela tous vos soins,
je. vous en conjure. D'ailleurs, je veux vous le dire à satiété, si vous
tenez à bien placer vos bienfaits, vous ne pouvez trouver qui en soit
plus digne que Mescinius, et qui ait un cœur plus reconnaissant ni un
esprit plus distingué. Vous l'obligez pour me plaire, mais je veux que
son amabilité y soit aussi pour quelque chose.
505.
— A SERVIUS. Rome.
F.XIII, 28,2e part. Les
Lacédémoniens ne peuvent pas douter qu'ils ne soient d'avance tout
recommandes à votre justice et à votre bonté : ne sont-ils pas
Lacédémoniens et fils de leurs glorieux pères? et n'êtes-vous pas
l'homme qui, à ma connaissance, sait le mieux distinguer les droits et
le mérite des peuples divers? Aussi quand Philippe de Lacédémone est
venu me prier de vous écrire pour sa ville, à qui j'ai tant
d'obligations que je n'ai pas oubliées je lui ai répondu qu'auprès de
vous Sparte n'avait pas besoin de recommandation. Je suis donc persuadé
d'abord qu'il n'y a pas une seule ville de l'Achaïe qui ne soit fort
heureuse de vous avoir pour chef au milieu des bouleversements où nous
vivons; puis, connaissant comme vous les connaissez, et aussi bien que
nos propres annales, les magnifiques annales de la Grèce, je juge que
vous devez surtout être l'ami de Lacédémone. Je ne vous demande en
conséquence qu'une chose, c'est qu'en faisant pour les Lacédémoniens
tout ce que votre conscience, la justice, et l'élévation de vos
sentiments vous inspirent, vous soyez assez bon pour leur témoigner,
s'il est possible, que vous savez le bonheur que j'en éprouve, et que
vous n'y êtes pas insensible. Il est de mon devoir de me montrer sans
cesse préoccupé de ce qui les touche. Entrez dans cette vue, je vous en
prie avec instance.
506. —
A ACILIUS, PROCONSUL. Rome.
F. XIII, 30.
Je vous écris en faveur de L. Manlius, dont le nom d'origine est Sosis :
il était Calanien; il est aujourd'hui citoyen romain, comme tous les
habitans de Naples, et de plus décurion de cette ville. Il avait acquis
les droits de cité à Naples, avant que Rome eût donné ceux de citoyen
romain aux alliés et aux habitants du Latium. Son frère vient de mourir
à Catane. Je ne pense pas le moins du monde qu'on lui conteste
l'héritage dont il est déjà en possession. Mais il a aussi en Sicile
quelques vieilles affaires de son chef. Je vous recommande non seulement
celle de l'héritage, mais encore tous les intérêts de Manlius, et
surtout sa personne : c'est un homme excellent, que je vois beaucoup, et
qui a ce goût de l'étude et des lettres qui fait mes délices. Qu'il
aille ou non en Sicile, pensez, je vous en conjure, qu'il est de mes
plus intimes et de mes meilleurs amis, et montrez-lui que ma
recommandation ne vous est pas indifférente.
507. —
A ACILIUS. Rome.
F. XIII, 31.
Je suis fort lié avec C. Flavius, honorable chevalier romain, haut placé
dans son ordre. Il était intime de mon gendre C. Pison. Lui et son frère
L. Flavius sont pleins d'égards et de dévouement pour moi. Si vous
voulez me faire le plus grand de tous les plaisirs, vous aurez pour lui
tous les bons procédés et tous les égards compatibles avec les exigences
de votre haute position. Je vous garantis (et ce n'est pas un détour que
je prends, je dis ce qui est dans mon cœur et ce qui est la vérité
même),je vous garantis que vous serez charmé de connaître un homme aussi
obligeant et aussi bon, un homme investi de tant de considération , et,
qui jouit de beaucoup d'influence dans son ordre. Adieu.
508. —
A ACILIUS. Rome.
F. XIII, 32.
J'ai pour hôtes et pour amis dans l'opulente et noble ville d'Halèse, M.
Clodius Archagathus et C. Clodius Philon. Mais je crains, en insistant
d'une manière particulière sur tant de recommandations, qu'on ne me
suppose un parti pris d'avoir pour tous mes recommandés la même mesure.
Au surplus, qu'on en pense ce qu'on voudra, tant que vous ne cesserez
pas de me combler comme vous le faites, moi et mes amis. Il est certain
que je suis lié avec mes recommandés d'aujourd'hui, et avec leur
famille, de très-vieille date; que j'en ai reçu de très-bons offices, et
qu'ils sont prêts à m'en rendre encore. Je ne puis donc me dispenser de
vous demander avec les plus vives instances, et pour toute chose, vos
bontés pour eux : n'y mettez d'autre mesure que celle des convenances et
du rang. Je vous en saurai un gré infini.
509 A
ACILIUS. Rome.
F. XIII,33.
Je suis intimement lié avec Cn. Otaeilius Nason, plus intimement qu'avec
aucun le son ordre. C'est tout simple : je trouve un charme infini dans
son esprit et son amabilité, et je le vois tous les jours. Inutile après
cela de chercher des phrases pour vous recommander 'homme dont je viens
de faire le portrait. Il a les affaires dans votre province; les agents
qui en sont chargés sont ses affranchis, Hilarus, Antigone, Démostrate.
Je vous recommande ses affaires et ses agents, comme s'il s'agissait de
mes propres agents et de mes propres affaires. Attachez, je vous prie,
quelque importance à cette recommandation. Vous m'obligerez beaucoup.
510. —
A AC1LIUS. Rome.
F. XIII, 34.
Il existe entre moi et Lyson de Lilybée, fils de Lyson, des relations
d'hôte à hôte mi remontent à nos ancêtres. II me montre beaucoup
d'attachement, et je le sais digne d'un père et d'un aïeul dont la
famille est très-noble, le vous recommande ses intérêts et ceux de sa
famille; faites, je vous en conjure, qu'il trouve j la fois dans ma
recommandation honneur et profit.
511. —
A ACILIUS. Rome.
F. XIII, 35.
C. Avianus Philoxène est mon hôte de bien vieille date, et, de plus, il
est mon ami. César, à ma demande, l'a compris parmi les habitants de
Come la Nouvelle, à qui il accordait les droits de citoyens romains. Il
a pris le nom d'Avianus, parce qu'il n'est personne à qui il doive plus
qu'à Avianus, avec qui, vous le savez, je crois , je suis moi-même fort
lié. J'entre dans ces détails pour que vous voyiez qu'il ne s'agit pas
ici d'une recommandation ordinaire. Je vous demande pour lui vos bons
offices en toute chose, sans indiscrétion toutefois; puis, quelque
amitié; enfin , de ne pas lui laisser ignorer ce qu'il devra à vos
bontés pour moi. .le tiens beaucoup à ce dernier point.
512. —
A ACILIUS. Rome.
F. XIII, 36.
Il y a des siècles que Démétrius Mégas est mon hôte; je suis lié avec
lui plus intimement qu'avec aucun autre Sicilien. Dolabella, à ma prière
et sur mon intervention, lui avait fait obtenir de César le droit de
cité romaine. Aussi a-t-il pris le nom de P. Cornélius : mais César
s'étant aperçu que quelques misérables trafiquaient de ses faveurs, a
fait arracher le tableau où se. trouvaient inscrits les noms des
nouveaux admis aux droits de citoyen romain : ce ne fut pas toutefois
sans assurer à Dolabella, j'étais témoin, que Mégas n'avait rien à
craindre, et qu'il maintenait pour lui la décision. Je porte ce détail à
votre connaissance pour que vous ne doutiez pas que Mégas est citoyen
romain. Je vous le recommande avec plus d'intérêt que personne au monde.
Je serais heureux des égards que vous voudriez bien lui témoigner,
surtout si vous avez la bonté de lui laisser voir que c'est à moi qu'il
en est redevable.
513. —
A ACILIUS. Rome.
F. XIII, 37.
Je vous recommande très-vivement Hippias fils de Philoxène, de Calaete,
mon hôte et mon ami. On me mande qu'au mépris des lois du pays, on s'est
publiquement emparé de ses biens pour une créance qui lui est étrangère.
Si cela est, ma recommandation est inutile; votre justice lui viendra
toute seule en aide. Mais quoi qu'il en soit des faits, je vous demande
de défendre les droits d'Hippias, et de lui rendre tous les bons offices
qui peu vent dépendre de vous, sans blesser l'équité ni la justice. Je
vous en saurai un gré infini.
514. —
A ACILIUS. Rome.
F. XIII, 38.
L. Bruttius est un très-jeune chevalier romain doué de tous les dons,
que j'aime beaucoup, qui est plein de respect et d'affection pour moi,
et dont le père était mon ami, il y a bien longtemps, dès l'époque de ma
questure en Sicile. Quoique Bruttius soit actuellement à Rome avec moi,
je ne laisse pas de vous recommander sa maison, ses biens, ses agents en
Sicile, avec un intérêt tout particulier. J'ai garanti à Bruttius que ma
recommandation ne serait pas inutile à ses intérêts. Soyez assez bon
pour justifier son attente; vous m'obligerez beaucoup.
515, —
A ACILIUS. Rome
F. XIII, 39.
La famille Titurnia était une de mes vieilles connaissances. Elle n'a
plus qu'un seul rejeton vivant, M. Titurnius Rufus, et je me fais un
devoir de l'intérêt que je lui porte, ainsi que des bons offices que je
puis lui rendre. Il est en votre pouvoir de lui montrer qu'on est
suffisamment riche quand on m'a pour protecteur. Je vous le recommande
donc avec instance. Faites que ma recommandation lui devienne un utile
appui dans toutes ses affaires, et qu'il ne l'ignore point. Vous nie
rendrez vraiment heureux.
516. —
A SERVILIUS, PROPRETEUR. Rome.
F. XIII , 66.
Je ne devrais pas vous recommander A. Cécina. Il vous appartient en
propre, comme client de votre famille, et je sais combien vous êtes
fidèle à vos amis et bon pour les malheureux. Mais j'étais lié avec son
père, et mon cœur s'émeut comme il le doit au souvenir de cet homme
respectable; il s'émeut en songeant à la triste fortune du fils avec qui
j'ai toujours été en rapports intimes de goûts et de sentiments. De
vous-même, sans provocation de personne, vous feriez tout pour un homme
tombé de si haut et si malheureux. Eh bien ! que mes instances ajoutent
quelque chose à vos bonnes dispositions ; mettez pour moi un peu plus de
chaleur encore à lui venir en aide: voilà ce que je vous demande de
toutes mes forces, avec une sollicitude et une préoccupation que je ne
saurais dire. Si vous aviez été à Rome, nous serions parvenus , du moins
je me le persuade, à obtenir la grâce d'A. Cécina. Connaissant la
clémence de votre collègue, je suis loin de désespérer encore. Il a
pensé que, dans sa position actuelle, il n'y avait pas pour lui d'abri
meilleur que votre justice, et de port plus sûr que votre province. Je
vous conjure de lui venir en aide. Il a à en finir là-bas avec les
restes d'une vieille affaire. Accordez-lui pour cette affaire, comme en
tout, votre protection et votre appui. Vous ne pouvez rien faire qui me
touche davantage.
517. —
A SERVILIUS, Rome.
F. XIII, 67.
Dans toute ma province de Cilicie, y compris les trois districts d'Asie
qu'on y a incorporés, il n'est personne avec qui je sois plus lié
qu'avec le fils d'Artémon de Laodicée, Andron, que j'ai eu pour hôte
dans cette ville, et chez qui je me suis trouve au mieux pour ma manière
de vivre et mes habitudes. Depuis mon départ de Laodicée, j'ai eu la
preuve de la droiture de son cœur et de la fidélité de ses sentiments.
Aussi me suis-je tout à fait attaché à lui et l'ai-je revu à Home avec
un vrai plaisir. Vous avez été vous-même dans la province et vous y avez
fait beaucoup de bien. Vous savez s'il y a beaucoup de vos obligés qui
en conservent maintenant le souvenir. Je ne vous dis ceci que pour
justifier l'intérêt que je porte à Andron et vous persuader que son
hospitalité est également digne de vous. Vous me feriez vraiment plaisir
de lui témoigner la considération que vous avez pour moi, en le prenant
sous votre protection , et en lui rendant tous les bons offices qu'en
honneur et en conscience vous pouvez lui rendre. Je vous en saurai un
gré infini, je vous le répète, et je vous le demande avec instance.
518. -
A SERVILILIUS. Rome.
F. XIII, 69.
C. Curtius Mithrès est, vous le savez, cet affranchi de Postumus, avec
qui je suis intimement lié. Il ne me témoigne pas moins d'égards et de
respect qu'à son propre patron. J'ai logé chez lui toutes les fois que
je suis allé à Éphèse, et j'y étais comme chez moi. En mille occasions,
j'ai éprouvé son dévouement et sa fidélité. Aussi, lorsque quelque
affaire en Asie, moi on les miens, c'est toujours à lui que je
m'adresse, et je dispose de lui, de sa maison et de sa bourse, comme de
mon propre bien. Si j'entre dans ces détails, c'est qu'il ne s'agit pas
ici d'une recommandation banale ou superficielle, et que je vous parle
d'un de mes intimes et du meilleur de mes amis. Servez-le d'abord, je
vous prie, dans un procès qu'il a pour un domaine avec un certain
Colophonien, et rendez-lui de plus tous les offices que vous pourrez lui
rendre pour l'amour de moi, sans toutefois blesser la justice et sans
trop vous déranger. Mais je connais sa discrétion. Il n'abusera point,
et pour peu que sur ce que je vous dis, sur ce que vous jugerez
vous-même de ses sentiments, vous lui témoignez de l'intérêt et de
l'estime, ce sera un homme comblé. Recevez-le donc cordialement, je vous
en conjure et aecordez-lui votre amitié. Moi, je ne cesse de veiller ici
avec zèle et passion à tout ce qui peut vous plaire comme à tout ce qui
peut vous intéresser.
519. —
A SERVILIUS. Rome.
F. XIII, 70.
Comme ce n'est pas un mystère que vos sentiments pour moi, il arrive que
tout le monde me demande des recommandations pour vous, .le tombe
quelquefois dans la banalité; mais au milieu des circonstances où nous
vivons, je me réserve plus habituellement pour mes amis. Par exemple, je
suis lié au dernier point avec T. Ampius Balbus; il a pour affranchi, T.
Ampius Ménandre, homme honnête et modeste, très-estimé de lui et de moi.
C'est lui que je vous recommande et tout particulièrement aujourd'hui.
Vous m'obligerez fort, si vous pouvez, sans trop de dérangement, lui
rendre de bons offices. Je vous eu prie avec instance.
520. —
A SERVILIUS. Rome.
F. XIII ,71.
Comment ne pas vous importuner souvent? Notre liaison et vos bontés pour
moi sont connues de tout le monde ; mais quoique je veuille du bien à
chacun de ceux pour qui je vous "cris , je ne porte pas le même intérêt
à tous. Durant mes malheurs, T. Agusius ne me quitta ni sur terre ni sur
mer. Il fut le compagnon fidèle de mes épreuves et de mes dangers. En ce
moment encore il serait près de moi, si je ne lui avais permis de
partir. Je vous le recommande comme un des miens et l'un des plus
dévoués; qu'il voie à vos bons procédés tout ce qu'il y a d'avantages et
de profit à ma recommandation. Je vous en saurai un gré infini.
521. —
A SERVILIUS. Rome.
F. XIII, 72.
Je vous ai parlé de mon amie Cérellia, de ses affaires, de ses créances,
de ses possessions d'Asie; je vous en ai parlé à vous-même, dans vos
jardins, avec tout ce que j'ai de chaleur d'âme; vous, fidèle à vos
habitudes, fidèle à votre constante bonté, vous m'avez tout promis. Vous
ne l'avez point oublié, j'espère ; vous n'oubliez jamais rien. Mais vous
avez un gouvernement si étendu, et vous êtes si surchargé d'affaires,
que les agents de Cérellia me persuadent de revenir à la charge Je vous
rappelle donc que j'ai votre parole de l'obliger en tout ce qui se peut
honorablement, absolument en tout. Il existe un décret rendu par le
sénat contre les héritiers de C. Vennonius. .le crois, mais vous seul en
êtes juge , je crois que vous pouvez en tirer un parti immense dans
l'intérêt de Cérellia. Vous l'interpréterez avec votre sagesse
ordinaire, vous qui avez toujours tant de respect pour les décisions de
l'ordre. Enfin, en toute chose montrez-vous serviable et bon pour
Cérellia : je vous en aurai la plus vive reconnaissance.
522. —
A AMPIUS BALBUS. Rome.
F. VI, 12.
Réjouissez-vous, mon cher Balbus , réjouissez-vous sans crainte. Je ne
suis pas homme à vous donner une fausse joie pour vous exposer a un
fâcheux retour et vous faire retomber ensuite tout à plat. Je me suis
mis en avant plus peut-être qu'il ne convenait à ma position. Mais en
dépit de la fortune, ces sentiments d'affection et de dévouement que
vous avez su si bien entretenir en moi, ont fait ce que mon crédit ne
pouvait plus faire. Votre rappel est promis, avec sûreté pour votre
personne, promis, confirmé , ratifié. J'ai veillé, assisté, présidé à
tout. Fort heureusement, je me trouve avec les familiers de César dans
les rapports les meilleurs et les plus intimes, si bien que pour eux ,
après César, c'est moi. Tels sont Pansa , Hirtius, Balbus , Oppius,
Matius, Postumius, tous mes amis, aucun ne s'en cache. Eût-il fallu
faire personnellement quelques concessions aux circonstances, ma
conscience politique ne s'en fût pas fait scrupule; mais je n'ai eu à
payer aucun tribut de ce genre; je n'ai eu qu'à invoquer les droits
d'une vieille amitié, et c'est à quoi je m'étais attaché sans relâche.
Dans le résultat, mettez l'influence de Pansa en première ligne. Son
amitié est grande pour vous et il tient fort à la mienne. Il peut tout
sur quelqu'un qui l'aime vivement et ne le considère pas moins.
J'ai beaucoup à me louer aussi de Cimber Tillius. On obtient plus de
César en faisant parler le cœur que les sollicitations officielles.
Cimber était en position, et il a réussi pour vous mieux qu'on ne fera
jamais pour un autre. — Cependant le diplôme n'est pas encore délivré,
parce que la malveillance a de merveilleux raffinements, et qu'il y a
des gens furieux de votre grâce, disant partout que c'est un nouveau
tocsin de guerre civile. Ne dirait-on pas à les entendre qu'ils ont été
désolés de la guerre? Toujours est-il qu'il a fallu user de discrétion
et ne pas rendre officiel ce qui est déjà fait. Mais l'attente ne sera
pas longue, et je suis convaincu même qu'au moment ou vous lirez cette
lettre tout sera fini. Pansa, homme grave et qui ne s'avance pas a la
légère, m'en a donné l'assurance, et, qui plus est, m'a dit qu'il
saurait bien enlever sur-le-champ le diplôme. Je n'attends pas pour vous
donner ces nouvelles; les confidences d'Eppuleia et les larmes d'Ampia
m'ont appris que vous êtes moins résigné que ne le témoignent vos
lettres. Elles sont persuadées que leur éloignement a dû ajouter
beaucoup à votre abattement. Aussi est-ce en vue d'adoucir vos tourments
et vos angoisses que je m'empresse de vous donner d'avance pour certain
ce qui certainement se fera. Jusqu'ici, vous le savez, je me suis
adressé à votre constance et à votre philosophie sans vous flatter
d'aucun espoir. Je n'en voyais en effet pour vous que dans le retour de
l'ordre, après que l'effervescence du moment serait calmée.
Rappelez-vous vos propres lettres. N'y voyais-je pas toujours le langage
d'une âme forte, préparée et résignée à tout? Cela me paraissait tout
simple de la part d'un homme mêlé aux affaires publiques dès ses plus
jeunes années, et dont les magistratures ont coïncidé avec les époques
les plus critiques et les plus grands périls de l'Etat, d'un homme qui
n'a pas tiré l'épée, sans un parti pris d'accepter la victoire avec joie
ou la défaite avec résignation. J'ajoute qu'occupé sans cesse comme vous
l'êtes à retracer dans vos écrits l'histoire des grands hommes , vous
devez veiller soigneusement à ne pas mettre votre conduite en
contradiction avec les exemples que vous célébrez. Mais nous voila sorti
des temps où ces indexions auraient été plus de mise. Préparez-vous
seulement à souffrir avec nous les temps où vous entrez. Si l'on pouvait
y porter remède, je ne ferais faute de vous le dire, mais je n'en vois
pas d'autre que l'étude et les lettres, notre occupation habituelle,
charme de la vie dans les beaux jours et aujourd'hui notre seul ancre de
salut. — Je finirai par où j'ai commencé : Ne doutez pas de votre rappel
avec toutes garanties de sûreté, c'est chose faite et parfaite.
523. —
A ATTICUS. D'une villa.
A. XII, 11. Je
regrette Séius, mais il faut se résigner à tout ce qui est dans l'ordre
de la nature. Que sommes-nous nous-mêmes? Et combien de temps encore
avons-nous à nous préoccuper de ce qui arrive? Songeons aux choses qui
nous touchent de plus près, et qui, après tout, ne nous touchent guère ;
et voyons quelle attitude nous devons prendre au sénat. — Pour ne rien
oublier, Césonius m'écrit que Postumia , femme de Sulpicius, est venue
le voir. Je vous ai dit que quant à présent, je ne songeais en aucune
façon à la fille de Pompée. Vous me parlez d'une autre. Sans doute vous
la connaissez, je ne sais rien de plus repoussant, mais je vais arriver
: nous en parlerons. — Ma lettre cachetée, je reçois la vôtre. Je suis
charmé d'apprendre qu'Attica reprend sa gaieté; mais je n'aime pas ses
ressentiments de fièvre.
524. —
A PLANCIUS. Rome.
F. IV, 14. J'ai
reçu vos deux lettres datées de Corcyre, l'une de félicitations sur la
position prépondérante qui m'est, vous a-t-on dit, rendue ; l'autre de
vœux pour le succès de tout ce que je puis entreprendre. S'il ne faut
que du patriotisme et l'approbation des hommes de bien pour être
prépondérant, certes je suis tout ce que j'étais jadis; mais s'il faut
de plus le pouvoir de mettre en pratique ce qu'on pense, ou la liberté
de penser tout haut, il n'y a plus rien chez moi de l'homme du passé. Je
cherche à me ménager et à supporter patiemment les maux présents et à
venir : voilà ce qu'on appelle maintenant de la dignité. Cette conduite,
il est vrai, n'est pas facile encore dans un conflit au bout duquel se
trouve en perspective un massacre ou la servitude. Au milieu de nos
dangers, une seule réflexion me console, c'est que j'ai tout prévu; je
n'ai que trop dit, hélas ! que, succès ou revers, tout nous serait
fatal, et que tout était à redouter quand on remettait à la décision du
glaive des questions politiques. J'avais compris qu'avec le triomphe des
hommes dont j'ai suivi les rangs , non par amour de la guerre, mais dans
des vues toutes pacifiques, leur âge, leur cupidité, leur désir effréné
de vengeance, devraient rendre notre victoire bien cruelle. S'ils
étaient vaincus, je voyais, du même coup, à quel massacre seraient
exposés les plus illustres et les meilleurs citoyens. Et quand je
prophétisais des désastres , quand je mettais le doigt sur les moyens de
s'en garantir, on aimait mieux m'accuser de timidité que de croire à ma
sagesse. — Vous me félicitez du parti que j'ai pris, et je connais la
sincérité de vos vœux. Ce n'est pas dans un aussi triste temps que
j'aurais songé à de nouveaux liens, si, à mon retour, je n'avais trouvé
du désordre dans ma maison, autant que dans l'État. Mais quand j'eus vu,
que grâce à la trahison des hommes à qui les immortels bienfaits de mon
consulat imposaient la loi de m'aimer et de me défendre, mes foyers
domestiques ne m'offraient plus de sécurité ; que partout des embûches
étaient dressées autour de moi ; il a bien fallu me faire un nouvel
intérieur et chercher dans des affections plus fidèles une garantie
contre la perfidie des anciennes. C'est assez et trop vous parler de
moi. — Je reviens à vous : voyez votre position telle qu'elle est,
c'est-à-dire, n'offrant aucun danger. Si la république reprend une forme
quelconque, tout péril disparaîtra pour vous. Déjà vos ennemis se
calment. La masse ne vous a jamais été contraire. Je ne sais que trop ce
que je suis et ce que je peux dans le temps actuel. Mais vous connaissez
mes sentiments : comptez-y et soyez sûr que partout où je verrai jour à
vous servir, mes démarches, mes conseils et mon dévouement ne failliront
pas à vos intérêts, à votre nom, à votre salut. Tenez-moi , je vous
prie, très-exactement au courant de ce que vous faites et de ce que vous
projetez.
525. —
A TIRON.
F. XVI, 22.
Votre lettre me fait espérer que vous êtes mieux. Combien je le souhaite
! n'épargnez rien pour vous remettre tout à fait, et n'allez lias vous
figurer que je sois contrarié de ne pas vous avoir. C'est être avec moi
que de vous soigner, et je vous aime mieux cherchant votre santé que la
satisfaction de mes yeux et de mes oreilles. C'est pourtant mon bonheur,
vous le savez , de vous voir et de vous entendre. Mais je tiens plus
encore à vous savoir bien portant. J'ai suspendu mon travail, parée que
je n'aime point à écrire moi-même. Je lis et j'y prends plaisir. S'il y
a quelques mots de ma main que les secrétaires ne puissent déchiffrer,
donnez-leur en l'explication : il n'y a de difficile qu'une seule
addition interlinéaire dont j'ai peine moi-même à me tirer. C'est le
trait de Caton à quatre ans. Ne perdez pas de vue le triclinium (salle à
manger). Tertia viendra, pourvu que Publius ne soit pas prié. Ce
Démetrius-là n'a jamais eu beaucoup de rapports avec celui de Phalère;
c'est aujourd'hui un Billiénus renforcé. Aussi je vous nomme mon
lieutenant. Observez-le bien. Il y a pourtant à dire.... mais quant à
ces choses-là vous savez le reste. En définitif, si vous avez un
entretien avec lui, vous m'en donnerez le détail. Ce sera un texte pour
ma réponse et j'aurai une plus longue lettre de vous. Prenez soin de
votre santé, cher Tiron, vous ne pouvez rien faire qui me touche
davantage.
526. A
TIRON.
F. XVI, 17. Je
vous vois venir. Vous voulez aussi qu'on fasse des recueils de vos
lettres. Mais, ii propos, vous qui êtes ma règle en fait de style, ou
avez-vous pris cette expression insolite, en soignant fidèlement votre
santé ? De quel droit ce. fidèlement se trouve-t-il là? Dans son sens
propre fidèlement caractérise des services rendus. Il se prend aussi
très-souvent au figuré. Par exemple, on peut bien dire une doctrine, une
maison, un art, et même un champ fidèle, et cela sans sortir de la
réserve que Théophraste aime dans la métaphore. Nous en reparlerons. —
Démétrius est venu me voir, avec quel cortège, grands Dieux! Je lui ai
faussé compagnie, vous comprenez. Vous ne l'avez pas vu sans doute. Il
reviendra demain, vous le verrez. Pour moi, dès le matin, je compte bien
être parti. Votre santé m'inquiète. Ne songez pas à autre chose et
faites tout ce qui est nécessaire. Persuadez-vous que vous êtes avec moi
et que tout marche ici dans la perfection. Je vous sais gré d'avoir
rendu service a Cuspius; c'est un homme à qui je veux beaucoup de bien.
Adieu.
527. —
A TIRON.
F. XVI, 20.
Aussi vrai que je vis, mon cher Tiron, votre santé m'inquiète. J'aime
pourtant à croire qu'en observant strictement votre régime, vous serez
bientôt rétabli. Mettez mes livres en ordre; quant au catalogue, prenez
les instructions de Métrodore, puisqu'il faut en passer par où il veut.
Faites à l'égard du jardinier ce que vous jugerez à propos. Vous pouvez
aller voir les gladiateurs le jour des kalendes , puis revenir le
lendemain. Je n'y trouve pas le moindre inconvénient pour mon compte.
Mais il faudra voir comment vous vous trouverez. Si vous avez de
l'amitié pour moi, ayez bien soin de votre santé. Adieu.
528. —
A TIRON.
F. XVI, 19.
J'attends une lettre de vous; vous avez beaucoup de choses à me dire. Je
vous attends vous-même avec plus d'impatience encore; mettez Démétrius
dans nos intérêts et tâchez d'en tirer quelque chose de bon. Je
m'abstiens de vous donner conseil sur l'affaire d'Aufidius. Je sais
qu'elle vous tient au cœur, mais terminez-la. Si c'est le motif qui vous
retient, j'admets l'excuse : sinon accourez. Il me tarde de recevoir de
vos nouvelles. Adieu.
529. —
A CÉSIUS.
F. XIII, 51.
Je vous recommande d'une manière spéciale P. Messiénus, chevalier
romain, distingué sous tous les rapports et mon ami particulier. Je vous
demande, au nom de notre amitié et de celle qui me liait â votre père,
de l'accueillir à bras ouverts et de prendre son honneur et ses intérêts
sous votre protection. Vous le trouverez homme de bien, et digne ami; et
vous me rendrez heureux, en l'obligeant.
A. DE R. 709. — AV. J. C. 41. — DE C.
62. C.
J. César dictateur, et M. E. Léplde,
maître de la cavalerie
530. —
A AULUS TORQUATUS. Rome.
F.VI, I. On se
trouve partout si mal à l'aise au milieu de cette perturbation
universelle, qu'il n'est homme a qui son sort ne pèse, et qui n'aime
mieux être ou il n'est pas : mais le pire séjour pour un homme de bien,
selon moi, c'est Rome. En tous lieux, sans doute l'âme souffre et le
cœur se serre à cette commune destruction de la chose publique et des
fortunes privées. Mais la vue ajoute au supplice. Ailleurs on n'a que
des récits; à Rome le mal est sous les yeux, et ne laisse pas un moment
de relâche aux désolations de la pensée. Vous n'avez, hélas ! que trop
de sujets de peines ; mais votre plus grand chagrin, me dit-on , est de
ne pas vous trouver à Rome. Ah! sur ce point, mettez-vous l'esprit en
repos. Si pénible que soit la privation de votre famille et de vos
biens, du moins ces objets de votre sollicitude demeurent en l'état ou
ils étaient, et ne courant aucun risque particulier, ne gagneraient rien
à votre présence ni ne sou firent en rien de votre absence. Votre
préoccupation pour les vôtres ne peut aller jusqu'il vouloir qu'on vous
fasse une condition exprès pour vous, et en dehors du sort commun. Quant
à vous personnellement, mon cher Torquatus, votre rôle est de rassembler
toute votre énergie, et de vous roidir contre ces conseils du désespoir
et de la crainte ; Tel fut à votre égard injuste à l'excès , qui déjà
manifeste un retour à des sentiments plus doux. LUI-MEME enfin, tout
arbitre qu'il est de nos destinées, a-t-il une position bien nette et
bien assurée? tout est incertitude à la guerre : mais que son parti
triomphe encore, votre danger individuel n'est que celui de tout le
inonde : que l'autre ai t le dessus ; je sais de bonne part que vous
n'avez rien à en redouter. Reste donc le commun péril de la république
qui fait votre suppliée , et qui, selon moi, par cela même qu'il est
commun, devrait vous inspirer plus de. résignation. Pour ce mal, je le
crains bien , quoiqu'on disent les philosophes, il n'y a qu'une seule
consolation, qui toute dépend de ce qu'on a de ressorts et de vigueur
dans l'âme, s'il est vrai que pour vivre bien et heureusement il ne
faille que bien penser et bien agir. Il n'est pas permis, ce me semble,
d'appeler celui-là malheureux qui a pour lui le témoignage de sa
conscience. Était-ce, dites-moi, pour les avantages de la victoire que
nous avons naguère abandonné et nos fortunes et nos familles? non. Nous
voulions accomplir un devoir sacré, payer une dette d'honneur à la
patrie, et certes nous n'étions pas insensés au point de regarder alors
le triomphe comme une perspective assurée. Si donc il n'est rien arrivé
que dans l'ordre des chances prévues au moment de l'entreprise, il ne
faut pas nous laisser abattre après coup, comme si le sort nous frappait
au delà de toute prévision. Tenons-nous-en à cette règle de raison et de
vérité, qu'il faut avant tout se conserver exempt de reproche, et qu'une
fois en paix avec sa conscience, il n'est point de mal sur terre qu'on
ne puisse aisément supporter. J'en conclus qu'au milieu même d'un
naufrage universel, la vertu seule est encore une planche de salut. Mais
si les maux communs de la patrie permettent une espérance, acceptez-la,
quelle que soit la situation qui en doive sortir. — Une réflexion me
frappe : c'était vous autrefois qui gourmandiez ma faiblesse, vous dont
la parole, grave accusait mes hésitations et mes défiances; alors
pourtant je ne blâmais que les moyens et non le but. Je trouvais qu'il
était trop tard pour s'attaquer à une puissance armée que nous avions
depuis longtemps nous-mêmes fortifiée et applaudie; je gémissais de voir
des questions de droit public remises à la décision du glaive et de la
lance, au lieu de l'être à celle de la raison et de l'autorité. Quand je
prédis ce (pie depuis on a vu s'accomplir, je ne me piquais point d'être
devin ; mais je l'étais des conséquences possibles : je les voyais
funestes, et je craignais. Si j'avais eu à parier pour ou contre,
j'aurais parié à coup sûr pour ce qui est arrivé. Nous avions l'avantage
sur nos adversaires en tout ce qui ne sert de rien sur un champ de
bataille, mais ils l'emportaient sur nous par l'habitude de la guerre et
la force des soldais. Aujourd'hui ayez à votre tour le courage que vous
vouliez me voir alors. — Si je vous parle ainsi, c'est que votre
Philargyre, que j'ai questionné, et qui m'a répondu, si je ne me trompe,
sous l'inspiration d'un profond dévouement pour vous, ne m'a pas laissé
ignorer l'excès de trouble qui vous saisissait quelquefois. C'est ce
dont il faut vous défendre. De deux choses l'une, persuadez-vous le-bien
: ou nous conserverons la république, et vous y aurez votre place ; ou
elle sera détruite, et votre condition ne sera pas pire que celle de
tout le monde. Dans ce temps de consternation et d'alarme universelle,
une circonstance doit vous rendre la résignation plus facile; la ville
que vous habitez (Athènes) est le berceau et l'école de la sagesse
pratique et de la philosophie, et, de plus, vous avez près de vous Ser.
Sulpicius que vous aimez tendrement, et dont la raison et l'amitié
doivent vous offrir les plus douces consolations. Si nous avions écouté
son expérience et son avis, nous serions sous nos toges devant un homme
puissant, il est vrai, mais nous n'aurions pas a subir la loi d'un
vainqueur. En voilà plus long qu'il n'est besoin. Peut-être je
m'étendrai moins sur ce qui me touche bien plus : je n'ai à personne
plus d'obligations qu'a vous. Ceux à qui je devais, vous le savez, une
égale reconnaissance, le sort de la guerre me les a ravis. Je sais juger
ma position actuelle. Mais, comme on n'est jamais si bas qu'on ne puisse
encore beaucoup en tendant à un but unique, et en s'y appliquant tout
entier, je vous prie de disposer absolument de moi; mes conseils, mes
efforts, mes pensées, tout est à vous et à vos enfants.
531. —
A CASSIUS. Rome.
F. XV, 18. Vous
auriez une plus longue lettre, si on ne me l'eût pas demandée au moment
ou le courrier partait, plus longue surtout, si j'avais quelque
baliverne à vous conter, je dis baliverne, parce que c'est tout au plus
si nous pouvons sans danger parler de choses sérieuses. Est-ce à dire
qu'il est permis de plaisanter, allez-vous me répondre? Eh, mais! pas
trop. C'est pourtant le seul moyen défaire diversion à nos peines. Et
votre philosophie, direz-vous encore, où la placez-vous donc ? La vôtre
est a la cuisine, la mienne à la palestre. Je rougis d'être esclave et
je porte mon activité quelque part pour ne point m'exposer aux reproches
de Platon. — Rien d'Espagne encore, et pas la moindre nouvelle
d'ailleurs. Votre absence m'afflige; mais, pour votre compte, je vous en
félicite. Voilà le messager qui s'impatiente. Adieu. Aimez-moi comme
vous faites depuis votre enfance.
532. —
A DOLABELLA. Rome, janvier.
F. IX, 10. Je
n'ai pas osé laisser partir notre ami Salvius sans un mot pour vous. Je
n'ai pourtant rien à vous dire, hormis que, je vous aime passionnément,
et vous le savez, j'en suis convaincu, sans que je vous l'écrive. Ce
serait certes plus à vous qu'à moi à écrire. Car il ne. se passe rien à
Rome dont je vous croie fort en peine. Tenez-vous, par exemple, à savoir
que je suis arbitre entre Nicias et Vidius? Vidius vient, deux petites
lignes de prose à la main, prier Nicias de le payer; Nicias , nouvel
Aristarque, soutient que la prose n'est pas de bon aloi. Et moi, expert
en lettres antiques, je déciderai si les lignes sont authentiques ou
bien interpolées. Mais, allez-vous me dire, et ces fameux champignons de
Nicias, et ces grands soupers avec Sophia, fille de Septimia, le juge
les pourra-t-il oublier? Quoi donc, croyez-vous que j'aie rompu avec mes
anciens principes, au point de ne plus rien laisser paraître, même au
forum, de l'austérité jadis empreinte sur mon front? Je ne veux pourtant
pas ruiner absolument notre aimable Amphytrion, ni prononcer une
condamnation, pour que vous ne soyez pas tenté de le relever, et que
Rursa Planeus n'ait quelqu'un de qui il puisse apprendre à lire. Mais à
quoi pensé-je, en vérité, d'aller ainsi plaisanter, sans savoir si vous
avez l'esprit libre, ou si vous n'êtes point absorbé par quelques-unes
de ces affaires ou de ces grandes dispositions que la guerre nécessite?
Voyons! êtes-vous en belle humeur? Je laisse courir ma plume.
Sérieusement parlant, sachez qu'on s'est beaucoup préoccupé de la mort
de P. Sylla, tant qu'on n'en a pas été sûr. Maintenant on ne s'enquiert
pas même de quoi il est mort. 11 est mort, dit-on, cela suffit. Pour
moi, je m'en console comme les autres; ce que je crains, c'est que les
ventes de César n'aillent plus si bien.
533. —
A CASStUS. Rome. janvier.
F. XV, 17. Vos
messagers sont d'étranges gens; non que j'aie personnellement à m'en
plaindre, pourtant ; mais enfin, s'ils partent, il leur faut des
lettres, s'ils arrivent, ils n'en apportent jamais. Encore s'ils me
donnaient le temps d'écrire? mais je ne les vois jamais arriver que le
pétase en tète et toujours pressés de rejoindre leurs camarades qui les
attendent, disent-ils, aux portes. Pardonnez donc si je suis bref; vous
en aurez davantage une autre fois, et je vous dirai tout sur tout. Mais
pourquoi m'excuser, quand on arrive chez moi les mains vides, et qu'on
en repart les mains pleines? Encore faut-il vous raconter quelque chose?
Eh bien! Sylla le père vient de nous mourir ici, victime suivant les
uns, d'une attaque de voleurs, d'une indigestion, suivant les autres. Le
public ne s'en soucie guère. Le corps a été mis sur le bûcher, voilà le
fait. Vous êtes trop philosophe, j'en suis sûr, pour ne pas supporter ce
coup avec calme. C'était cependant l'homme qui faisait le plus de figure
à Rome. On dit que César en est affecté, et qu'il craint que les
enchères ne se refroidissent. Mindius Marcellus et le parfumeur Attius
se réjouissent au contraire d'avoir un concurrent de moins. — Rien de
nouveau sur l'Espagne. L'attente est des plus vives. Il circule bien des
bruits fâcheux, mais on ne peut remonter à la source. — Pansa est parti
avec ses insignes le 3 des kalendes de janvier. Ainsi chacun peut
comprendre cette vérité dont vous vous êtes mis à douter depuis quelque
temps, <pie la vertu est désirable pour elle-même. Pausa a secouru une
foule de malheureux ; il s*est jeté, en homme dévoué, au travers des
désastres publics. La reconnaissance des gens de bien lui en a tenu
compte avec une persistance admirable. — Vous êtes donc encore à Brindes
, c'est fort bien fait à vous, je m'en réjouis, et croyez-moi, vivez
sans soucis, c'est le parti le plus sage. Nous vous en prions pour
l'amour de nous tous qui vous aimons. Si plus tard vous écrivez chez
vous, vous m'obligerez de vous souvenir de moi. Je vous promets que, de
mon côté, je ne laisserai partir personne sciemment sans lettres pour
vous. Adieu.
534. —
A LEPTA . Rome.
F. VI, 18. A la
réception de la lettre que Séleucus m'a remise de votre part, j'ai écrit
un mot à Balbus pour connaître les dispositions de la loi. 11 me répond
que les crieurs en exercice ne peuvent pas être décurions, mais qu'il
n'en est pas de même des crieurs qui n'exercent plus. Ainsi, que vos
amis et les miens se rassurent. Il serait par trop fort aussi qu'au
moment où le sénat compte dans son sein des aruspices, on fût exclu du
décurionat des villes municipales, pour avoir été crieur public. — Point
de nouvelles d'Espagne. On sait seulement que Pompée est à la tête de
forces considérables. Une lettre de Paciécus dont César nous a fait
passer copie, parle de onze légions. De plus, Messalla a écrit à Q.
Salassus que Pompée venait de faire mettre à mort, en présence de sou
armée, son frère P. Curtius, convaincu d'avoir conspiré contre lui avec
quelques Espagnols. Ou devait s'emparer de Pompée au moment où il
entrerait dans je ne sais quelle ville pour s'y procurer des vivres, et
on l'aurait livré à César. — J'attendrai le retour de Galba pour
conférer avec lui de la garantie que vous avez donnée à Pompée, et dont
il s'est également rendu caution. Galba ne s'entend pas à demi en
affaires d'intérêts. Nous verrons s'il y a moyen de sortir d'embarras;
il paraissait n'en pas douter. — Je suis vraiment charmé que vous
fassiez si grand cas de mon Orateur. Tout ce que j'ai pu acquérir de
saines notions sur l'art oratoire, je crois l'avoir résumé dans cet
ouvrage. S'il est en effet tel que vous le dites, je puis me flatter de
compter pour quelque chose. Si non, ma réputation comme juge en cette
matière doit nécessairement tomber dans une proportion égale au
discrédit du livre. Je souhaite que notre cher Lepta prenne déjà goût à
ce genre de lectures. Quoique l'âge ne l'ait pas encore mûri, il n'est
pas hors de propos d'habituer déjà ses jeunes oreilles à ces formes de
langage. — Les couches de ma Tullie m'ont retenu à Rome. Je la crois
bien maintenant; mais je suis forcé d'attendre que les agents de
Dolabella m'aient remis la première partie de sa dot. Puis je ne suis
plus aussi allant qu'autrefois. Mes constructions et le repos sont
maintenant tous mes plaisirs. Ma maison de Rome ne le cède à aucune de
nos villas, et j'y suis plus tranquille qu'au fond d'un désert. Mes
occupations y suivent paisiblement leur cours; le travail y est sans
trouble et je m'y livre sans interruption. Aussi vous verrai-je ici,je
gage, plus tôt que vous ne me verrez là-bas. Que votre charmant Lepta
sache Hésiode par cœur et qu'il répète sans cesse ces vers :
La vertu , la vertu, etc.
535. —
A CASSIUS. Rome, janvier.
F. XV, 16. Vous rougirez, je pense,
en lisant cette lettre : c'est la troisième sans un mot, sans une ligne
de \ous. Mais je n'insiste pas : j'espère que par
compensation vous m'écrirez désormais plus longuement, et je l'exige.
Pour moi, si j'avais des porteurs à ma disposition, je serais homme à
vous dépêcher trois lettres par heure. C'est qu'il arrive, je ne sais
comment, que je crois vous avoir là près de moi, quand je vous écris, et
cela sans apparition d'images, pour parler comme vos nouveaux amis qui
croient que les représentations intellectuelles s'opèrent également par
les spectres de Catius; car vous savez que l'épicurien Catius ,
de l'Insubrie, mort depuis peu, donne le nom de spectres à ce que
le philosophe de Gargette (Epicure) et, avant lui, Démoerite appelaient
images. Que l'œil puisse être frappé d'un spectre quand il se présente,
je le concevrais. Mais comment l'esprit pourrait-il l'être? Cela me
passe. Veuillez un peu m'apprendre, dès que la santé vous sera revenue,
si je puis à volonté faire paraître votre spectre, rien qu'en pensant à
vous, et quand je dis à vous, c'est peu ; car votre image est gravée au
fond de mon cœur. Mais si je m'avise de penser à l'île de Bretagne, par
exemple, son image viendra-t-elle à l'instant se poser devant moi? Je
reviendrai plus tard sur cette question. Je veux seulement aujourd'hui
savoir comment vous la prendrez. Est-ce en mal, et vous fâchez-vous?
Alors j'insiste, et je demande que vous soyez rétabli dans une secte
dont la violence et la force armée vous ont arraché. Pour ces sortes
d'interdit on n'emploie pas la formule : pour mie année. Quand il y
aurait deux ans, trois .ans même que vous auriez dit adieu à la vertu
pour In mollesse ut la volupté, nos droits sur vous n'en subsisteraient
pas moins. Mais a qui ce discours, s'il vous plaît? à vous, homme d'un
esprit si ferme, à vous qui depuis votre entrée au forum, axez, en tout
montré tant de réflexion , de force et de maturité. 11 faut qu'au fond
de cette doctrine, puisque vous en faites l'éloge, il y ait quelque
chose de plus solide que je ne l'aurais cru. Mais à propos de quoi tout
cela, direz-vous? .le n'avais rien autre à vous dire; car je ne puis
parler des affaires publiques où je n'ai pas la liberté de dire ce que
je pense.
536. —
DE CASSIUS A CICÉRON. Brindes, janvier.
F. XV, 19. Vous
écrire est, je vous l'assure, ma plus douce occupation dans ce petit
voyage. Je m'imagine en effet que vous êtes là avec moi à causer et à
rire. Cela n'est pas pourtant l'effet des spectres de Catius. Toutefois
je veux en revanche dans ma première lettre faire comparaître devant
vous tant de Stoïciens grossiers, que vous finissiez par proclamer
Catius un enfant de l'Atlique. Le départ de Pansa. dans l'appareil du
commandement, au milieu de la sympathie publique, est un événement qui
me charme pour Pansa d'abord, puis en vérité pour nous aussi tous tant
que nous sommes. On finira peut-être par comprendre que la cruauté
engendre la haine ; qu'au contraire on s'attire l'amour par la droiture
et la bonté; et que le succès pour lequel les méchants se tourmentent si
fort dans leur envieuse activité, arrive de soi-même aux gens de bien.
Il est très-difficile, il faut l'avouer, de persuader aux hommes que la
vertu est désirable pour elle-même; mais que le bien-être, la parfaite
sérénité de l'âme soit le résultat de la justice et de la vertu, voilà
ce qui est à la fois vrai et sensible. Épicure, le maître de tous les
Catius et Amafinius, ses traducteurs infidèles, dit en propres termes :
C'est vivre sans plaisir que de vivre sans la justice et la vertu. Voilà
pourquoi Pansa qui aime le plaisir est sectateur de la vertu. Voilà
pourquoi on appelle ami du plaisir (φιλήδονος;)
l'ami de la justice et du beau (φιλόκαλος
καὶ φιλοδικαίος), c'est-à-dire
l'homme qui cultive et pratique toutes les vertus. Voilà pourquoi votre
Sylla, dont il faut admirer le grand sens, voyant que les philosophes
n'étaient pas d'accord sur le véritable bien , ne s'amusa point à le
chercher, mais se mita acheter tous les biens à la fois. J'ai été
vraiment sublime de résignation à sa mort. César au surplus ne nous le
laissera pas longtemps regretter. Il ne manque pas de condamnés pour
mettre à sa place; et, en fait d'acheteur de biens , le fils lui aura
bientôt fait oublier le père.— Mais, pour en revenir aux affaires
publiques, mandez-moi donc, je vous prie, ce qui se passe en Espagne. Je
vous jure que je suis inquiet, et que j'aime mieux patienter sous un
maître ancien et doux que de courir les risques d'un maître nouveau et
méchant. Vous savez jusqu'où va l'entêtement de Cnéus; qu'à ses yeux la
cruauté est vertu, et qu'enfin il a toujours été persuadé que nous nous
moquions de lui. S'il allait brutalement répondre à nos railleries avec
le glaive ! Des nouvelles, de grâce ! Que je voudrais voir si vous êtes
gai ou sérieux en lisant ma lettre! Je saurais alors à quoi m'en tenir.
Je n'en dis pas davantage. Adieu, et aimez-moi comme toujours. Si César
est vainqueur, comptez que j'arrive à l'instant même.
537. —
A AULUS TORQUATUS. janvier.
F. VI, 3. C'est
le besoin d'épancher mon cœur qui a rendu ma dernière lettre si longue.
Le sujet ne l'exigeait pas. Avec une âme comme la vôtre, vous n'avez que
faire de mes exhortations, et le rôle de consolateur ne convenait guère
à ma propre fortune, ni à la détresse où je suis moi-même plongé.
Aujourd'hui je serai plus court; car si la prolixité alors était
inutile, elle ne l'est pas moins maintenant; et si je n'ai rien dit de
trop, j'en ai du moins assez dit en une fois, les choses n'ayant
nullement changé. Ce n'est pas que chaque jour n'apporte ses nouvelles,
que vous savez, je pense, aussi bien que nous; mais, en somme, nous
marchons toujours au même résultat. Je vois ce résultat comme s'il était
devant mes yeux, et ce qui frappe mes regards n'échappe pas aux vôtres.
Sans doute il n'est donné à personne de deviner le sort d'une bataille ;
mais je n'en prévois pas moins l'issue de la guerre, et quand je ne
rencontrerais pas absolument juste, comme il faut de toute nécessité que
l'un des deux partis ait la victoire, je me fais assez bien l'idée de ce
qu'on doit attendre de l'un et de l'autre vainqueur. Après tout, nous
pouvons réduire à rien le pis dont on nous menace. Il ne faut que savoir
l'anticiper. Vivre comme il faudrait vivre alors, c'est là le plus grand
des maux. Aucun sage n'a dit que la mort fût un mal même pour l'homme
heureux ; c'est ce que les murs même de la ville où vous êtes, (Athènes)
vous diraient bien mieux et bien plus éloquemment que moi. Je me Rome
donc, quoique la misère d'autrui soit une triste consolation, je me
borne à vous affirmer de nouveau que vous n'êtes pas dans une position
plus critique que qui que ce soit des nôtres, qu'il ait quitté le parti
ou soit demeuré sous son drapeau. Les uns ont à combattre un ennemi, les
autres à redouter un vainqueur; mais c'est là, je le répète, une triste
consolation. En voici une meilleure : faites-en, comme moi, votre
profit. Tant qu'on respire, si on n'a rien à se reprocher, on ne doit se
tourmenter de rien. Quand on n'est plus, on est insensible a tout. Mais
moi, vous parler ainsi ! me. voici donc encore envoyant des hiboux à
Athènes. Ma sollicitude est grande pour vous et les vôtres, ainsi que
pour tout ce qui vous touche ; elle sera la même tant que je vivrai.
538. —
A TRÉBIANUS. Rome.
F.VI, 10, 2e part.
Je vous aurais écrit plus tôt si j'avais su quel langage vous tenir.
Dans les circonstances où nous sommes, on attend de ses amis des
consolations ou des espérances ; des consolations , je n'avais pas à
vous en offrir. Tout le monde parle du courage et de la philosophie que
vous opposez à l'injustice du temps, et des compensations puissantes que
vous trouvez dans les témoignages de votre conscience. S'il en est
ainsi, vous vous faites la meilleure application de ces excellentes
études dont je vous sais toujours occupé. Persévérez, je vous y engage
plus que jamais , et retenez bien ceci : je parle à l'homme qui a le
plus d'expérience personnelle, qui a le mieux observé son époque, le
plus étudié l'antiquité. Moi, je ne saurais passer pour novice. Mais
j'ai donne moins de temps que je n'ai voulu à l'étude, plus au contraire
aux affaires, à la pratique des hommes et des choses. Eh bien! j'ose
prédire que cette période d'injustices et de persécutions ne durera
point. Déjà ce pouvoir excessif d'un seul semble reprendre
insensiblement le niveau, et notre cause est si bien liée à celle de la
république, dont l'abaissement ne peut être sans terme, que nous devons
nécessairement nous relever et revivre avec elle. Chaque jour voit
éclore des nouvelles plus douces et plus conformes à l'esprit de
liberté, comme le moment propice nait souvent de rien. Je serai aux
aguets, et je ne laisserai pas passer la plus petite occasion de vous
aider et de vous servir. — J'avais parlé d'espérances : c'est le second
texte de ma lettre. Eh bien! la pente des choses vous favorise, et
bientôt, je pense, j'aurai même des assurances positives a vous donner.
Vous pouvez déjà compter, et je ne le dis pas à la légère, que vous avez
plus d'amis qu'aucun de ceux qui se trouvent ou se sont trouves dans
votre position, et vous n'en avez aucun de plus dévoué que moi. Restez
fidèle aux courageuses et nobles inspirations de votre cœur : cela
dépend de vous. Quant à ce qui dépend de la fortune, le temps amènera
les occasions dont mon zèle saura profiter.
539. —
A AULUS TORQUATUS. Rome, janvier.
F. VI, 4. On ne
sait rien encore. Si ou savait quelque chose, votre famille, j'en suis
sûr, ne manquerait pas de vous écrire. Qu'arrivera-t-il? C'est ce qu'il
est toujours assez difficile de dire avec certitude. Cependant on peut
quelquefois approcher du vrai par conjecture, surtout dans une situation
dont le dénouement semble prévu. J'augure déjà que la guerre n'aura
point de durée : d'autres, il est vrai, en jugent autrement. Pour moi,
je suis persuadé, sans avoir là-dessus de renseignements, qu'au moment
où je vous écris, quelque chose se décide. Mais en quel sens? j'aurais
peine à le dire. A la guerre, on a toujours des chances à courir, et les
armes sont journalières. D'après ce qu'on rapporte des forces
considérables des deux camps et de l'ardeur des troupes de part et
d'autre, la victoire, de quelque côté qu'elle se prononce, ne surprendra
personne. Mais s'il y a quelque distinction à faire entre les principes
des combattants, il n'y en aura pas beaucoup dans les conséquences de la
victoire; voilà ce dont on doit chaque jour se convaincre davantage.
Nous savons déjà par expérience à quoi nous en tenir à peu près dans une
hypothèse; dans l'autre, ignore-t-on ce qu'il faut craindre d'un
vainqueur irrité? Voilà un tableau bien sombre, et je ne devrais vous
présenter que des images consolantes. Mais j'avoue que je ne vois pas de
consolation dans des maux comme les nôtres; ou plutôt il en est une, une
immense, quand on sait s'en emparer, et dont j'apprécie mieux les effets
de jour en jour : c'est d'opposer aux revers le témoignage de sa
conscience, et de songer que, quand on est sans reproche, on ne peut
jamais être malheureux. Loin d'avoir mal agi, je sens que j'ai mieux vu
que personne, et que si le résultat me condamne, ma conduite pourtant
est inattaquable, .l'ai fait mon devoir, et j'attends les événements
avec calme. .le ne prétends pas d'ailleurs que vous trouviez en ces
réflexions de quoi vous consoler des malheurs de la patrie. Il faudrait
plus d'esprit que je n'en ai pour vous les peindre autrement qu'ils ne
sont, et il faut un courage au-dessus du vulgaire pour s'y résigner.
Mais ce que le premier venu peut démontrer, c'est que vous n'avez pas
plus de raison de vous plaindre que tout le inonde. Malgré le retard que
met certaine personne (César) à vous tendre les bras, je n'ai pas au
fond le moindre doute sur ses intentions. Celles des autres vous sont
bien indifférentes, je le suppose. Vous n'avez qu'un seul chagrin, cet
éloignement prolongé de tout ce qui vous est cher. Je comprends ce qu'il
y a là de cruel, surtout pour un père qui a des enfants si aimables.
Mais, je vous l'ai déjà dit, nous vivons dans un temps où chacun se
croit plus malheureux que son voisin, et voudrait être loin du lieu ou
il est. Moi qui suis à Rome, je ne connais pas de séjour plus misérable,
et parée qu'on est toujours plus sensible aux maux que l'on voit qu'à
tous les récits, et parce qu'on est ici plus exposé qu'ailleurs aux
vicissitudes des révolutions. C'est au point que moi qui cherche à vous
consoler, je suis parvenu à me calmer plutôt par la longueur du temps
que par le secours des lettres, dont le culte m'a toujours trouvé si
fidèle. Vous vous rappelez dans quel état vous m'avez laissé. Eh bien !
j'avais mieux vu que les autres, lorsque je demandais à tout prix le
maintien de la paix. Cela commence à me consoler. Quoique je ne sois pas
devin et que le hasard seul ait tout fait, je ne laisse pas que de tirer
vanité de cette prévision inutile. Nous pouvons ensuite nous dira en
commun que si le dernier moment est venu , la république du sein de
laquelle on nous arrachera ne vaut pas qu'on la pleure. D'ailleurs la
mort ne laisse pas même le sentiment de la séparation. L'âge aussi me
vient en aide. Arrivé au terme de la carrière, je suis sensible à la
satisfaction de l'avoir bien parcourue, et fortin-différent aux
violences qui avanceraient de si peu le terme de la nature. Enfin, quand
un si grand homme et tant d'autres ont péri dans cette guerre, il y
aurait honte, si tel est l'arrêt du sort, à refuser de partager leur
destin. J'ai prévu toutes les chances. Il n'y a pas de malheur assez
grand pour me surprendre. Mais comme la crainte est un mal pire que le
mal même, je m'en suis rendu maître en réfléchissant que le destin
suspendu sur nos têtes, loin d'être accompagné de douleur, est la lin de
toute douleur. En voilà assez, el trop peut-être. Cependant ce n'est
point un vain babil, c'est l'amitié seule qui allonge ainsi mes lettres.
— J'apprends avec chagrin que Sulpicius a quitté Athènes. Ce devait être
un bonheur pour vous de le voir tous les .jours, et de pouvoir tous les
jours goûter l'entretien d'un ami si cher et d'un homme si sage et si
bon. C'est en vous, en vous seul que je vous exhorte à chercher de la
force; le devoir l'exige, et vous en connaissez la pratique. Comptez
d'ailleurs sur mes soins et mon zèle pour tout ce que vous pouvez
désirer, comme pour tout ce qui touche à vos intérêts et à eeux de vos
enfants. Votre amitié m'a donné l'exemple, je le suivrai, tout en
restant bien en arrière de vous. Adieu.
540. —
A TRÉBIATUS. Rome.
F. VI, 10, 1e part.
Mon cœur me rend témoignage des sentiments que je vous porte et vous ai
toujours portés, ainsi que de ceux que j'ai toujours aussi trouvés chez
vous. Avec quel chagrin n'ai-je pas vu le hasard, votre volonté
peut-être, vous retenir si longtemps au milieu des partis armés! Et si
votre réintégration dans vos biens et vos dignités tarde trop
aujourd'hui au gré de la justice et de mes vœux, n'eu suis-je pas
tourmenté comme vous l'étiez jadis de mes disgrâces? J'ai ouvert mon
cœur à Postumulénus, à Sextius, à Atticus surtout, à Theudan votre
affranchi. Ils savent tous combien je serais heureux de vous être utile
à vous et à vos enfants. Je le leur ai dit cent fois, et je vous prie de
répéter à votre famille que je suis prêt à faire pour vous tout ce qui
dépend de moi; et, par exemple, des démarches, des conseils, des
sacrifiées, des garanties ne leur manqueront jamais de ma part. Si
j'avais autant de crédit et d'influence que je le devrais, après les
services que j'ai rendus à la république, on vous verrait bientôt
redevenir ce que vous étiez, c'est-à-dire en passe d'arriver à tout, et
assurément le premier de votre ordre. Mais nous sommes tombés l'un et
l'autre, en même temps, dans la même lutte, et je ne puis vous offrir
que ce qui est encore à moi, je viens de vous le dire tout à l'heure,
outre peut-être quelque débris qui surnage de mon ancienne
prépondérance. Il est certain que César n'a pas d'éloignement pour moi,
beaucoup d'indices me le prouvent. Il n'est d'ailleurs aucun de ses
intimes qui ne soit mon obligé d'autrefois, et qui ne me prodigue
maintenant des marques de considération et d'attachement. Si donc je
vois quelque jour pour la restitution de vos biens ou plutôt pour votre
rappel , car tout est là, croyez que je m'y emploierai de toutes mes
forées; et ce que j'entends augmente chaque jour mes espérances. Je
n'entre, dans aucun détail. Mon esprit et ma pensée ne sont occupés que
de vous : c'est tout dire. Seulement il m'importe que votre famille ne
l'ignore point. Veuillez le lui écrire. Il faut qu'ils sachent que
Cicéron est tout entier à Trébianus, et qu'ils se persuadent surtout que
pour vous servir je trouverais du charme même aux démarches les plus
pénibles.
541. —
A ATTICUS. Asture, mars.
A. XII, 12.
Raison de plus pour en finir avec la dot. C'est une tyrannie que la
condition de Balbus pour le transport. Mais, de façon on d'autre,
terminez , je vous prie. J'ai honte de voir mes affaires accrochées
éternellement. — L'île d'Arpinum peut recevoir l'apothéose de ma fille.
Je crains seulement que le lieu ne soit pas assez honorable; il est bien
écarté. Je reviens toujours à l'idée des jardins, mais je veux les voir
à mon premier voyage. — Va comme vous l'entendez pour Épicure, quoiqu'un
interlocuteur du temps passé eût bien mieux fait mon affaire. Tous ne
sauriez croire tout ce que je rencontre d'exigences. Parlez-moi des
morts; avec eux pas de réclamation. — Je n'ai rien à vous mander. Mais
je me suis fait une loi de vous écrire tous les jours, pour obtenir, bon
gré, mal gré, une réponse de vous. Ce n'est pas que j'attende
précisément des nouvelles. Mais qui sait? J'attends toujours. Ainsi
donc, en fonds ou non, ne laissez pas de m'écrire, et surtout
soignez-vous bien.
542. —
A ATTICUS. Asture, mars.
A. XII, 13.
Attica m'inquiète, malgré la confiance que m'inspire Craténis. La lettre
de Brutus est d'un sage et d'un ami (Sur la mort de Tullia), mais elle
ne m'en a pas moins fait répandre bien des larmes. La solitude convient
mieux à mes nerfs que toutes ces visites. Il n'y a que vous que je
regrette. Mais je puis ici me livrer à l'étude aussi commodément que
chez moi. Cependant le mal est toujours là qui m'obsède; je ne l'excite
pas, je vous le jure, mais ainsi je ne le combats point. — Vous me
parlez d'Apuléius. Vous n'avez plus, je crois, grande peine à prendre a
ce sujet, non plus que Balbus et Oppius. il leur a promis à tous deux,
et m'a fait dire à moi-même, qu'à aucun prix il ne voudrait m'être
désagréable. .N'oubliez pas, je vous prie, de m'excuser chaque fois sur
ma santé. Lénas s'en était chargé. Joignez-lui C. Septimins et L.
Statilius. Personne d'ailleurs ne refusera de jurer pour moi. Si on fait
la moindre difficulté, j'irais en personne, et je ferais serment que je
suis malade une fois pour toutes. Obligé de me priver de ces festins
d'apparat, j'aime mieux me prévaloir du bénéfice de la loi que de ma
tristesse et de mes larmes. — Faites assigner Coccéius, je vous prie; il
m'avait donné sa parole, et il y manque. Or je veux être en position
d'acheter quelque coin solitaire pour aller cacher ma douleur.
543. —
A ATTICUS. Asture, mass.
A. XII, 14. Je
vous ai écrit avant-hier pour vous prier de m'excuser auprès d'Apuléius.
C'est une chose toute simple, je pense. Prenez qui vous voudrez, on ne
vous refusera point. Cependant voyez plutôt Septimins, Lénas et
Statilius, car il en faut trois. Lénas s'était fait fort à lui seul
d'arranger tout. — Junius, dites-vous, vous a fait assigner.
Heureusement que Cornificius est riche. Je voudrais savoir néanmoins si
on me met en cause, pour quelle somme j'ai répondu, et si c'est pour le
père ou pour le fils. Que cela ne vous empêche pas de voir, comme vous
me le marquez, les gens d'affaires de Cornificius, et aussi le grand
acheteur de terres Apulcius. — Je reconnais votre bonté ordinaire dans
vos conseils. Mais j'ai tout lente pour modérer ma douleur, vous en êtes
témoin. Il n'y a pas un seul ouvrage sur l'adoucissement des peines de
cœur que je n'aie lu chez vous. C'est en vain : la peine est la plus
forte. J'ai fait plus, et sans doute personne avant moi n'en avait
donné l'exemple j'ai composé sur moi-même des lettres de consolation.
J'attends qu'on en ait fini la copie pour vous les envoyer. Vous pouvez
compter que vous n'avez encore rien vu de pareil. Je passe mes jours
entiers à écrire; au fond , je n'y gagne rien, mais j'occupe mon esprit;
pas assez pour l'arracher tout à fait a la pensée qui l'obsède, assez
pour y faire quelque diversion. Je fais a que je puis ; et si je ne
réussis point à calmer mon âme, je cherche du moins à composer mes
traits. Ces efforts, tantôt je me les reproche comme un crime, tantôt je
me regarderais comme coupable de les négliger. La solitude m'est
secourable; elle me le serait plus encore, si je vous avais près de moi,
et ce sera la mon unique motif pour la quitter. Ma douleur s'y trouve
bien, mais je souffre trop de votre éloignement. Vous ne me reconnaîtrez
plus. J'ai perdu tout ce que vous aimiez eu moi. — Je vous ai dit
précédemment un mot de la lettre de Brutus. Rien de pins sage, mais
aucun mot consolant. Il désire me voir, dites-vous : sans doute ce me
serait un bien que la présence d'un ami qui a tant d'affection pour moi.
Si vous savez quelque chose de nouveau, surtout de Pansa, mandez-le-moi.
La position d'Attica m'afflige, mais j'ai toute confiance en Cratérus :
empêchez Pilia de se trop tourmenter. C'est votre lot à vous de prendre
pour vous seul le chagrin des autres.
544 —
A ATTICUS. Ature, mars.
A. XIl, 15.
Puisque vous ne voulez pas m'excuser une fois pour toutes prés d'Apuléius,
ayez la bonté de présenter mes excuses â chaque occasion. Dans ma
retraite, je n'ai absolument d'entretien avec personne. Le matin, je
m'enfonce dans la sombre et épaisse forêt, et je n'en sors que le soir.
Après vous, la solitude est ce que j'aime le mieux. Je n'y ai pas
d'autre compagnie que mes livres. La douleur arrive quelquefois en
tiers; je résiste, mais je ne suis pas encore de force. Ainsi que vous
mêle conseillez, je répondrai à Brutus. Vous aurez la lettre demain ;
profitez, pour la remettre, de la première occasion.
545. —
A ATTICUS. Asture, mars.
A. XII, 16. Je
ne veux point que vous quittiez vos affaires pour moi. J'irai vous
rejoindre, si elles vous retiennent trop longtemps. Encore ne me suis-je
éloigné que parce que j'ai senti que dans un tel moment rien ne pourrait
sur mon esprit. S'il y avait en des consolations possibles, elles me
seraient venues de vous; et lorsque je serai en état d'en recevoir, ce
sera de vous seulement. Déjà, je sens que sans vous je ne puis vivre ;
mais il n'y avait pas moyen de rester dans votre demeure ou dans la
mienne. Plus près, je ne serais pas avec vous davantage; ce qui vous
arrête vous arrêterait encore. La solitude est donc jusqu'ici ce qu'il y
a de mieux pour moi. Je crains que Philippe ne vienne la troubler. Il
est arrivé hier soir. En lisant et en travaillant, si je ne me soulage
pas, du moins je m'étourdis.
546. — A ATTICUS. Asture, mars.
A. XII, 18, 1e
part. Je fuis les souvenirs qui déchirent mon cœur, et je vous
épargne ainsi des importunités; mais il faut bien que j'y revienne et
que vous me le pardonniez. Ce que je veux en définitif et ce qu'il faut
m'accorder se trouve mentionné et recommandé dans plusieurs des livres
dont je fais depuis quelque temps mon unique lecture. Il s'agit toujours
de ce temple. Je demande à votre amitié d'y songer sérieusement. Je
n'hésite ni sur le plan, celui de Cluatius me convient, ni sur la chose
en elle-même : c'est un parti pris. Le lieu seul me laisse encore de
l'incertitude; pensez-y bien, je vous en conjure. Cette époque est
féconde en talents ; je veux en profiter pour élever des monuments
divers à une mémoire chérie. J'appellerai à y concourir les plus beaux
génies de la Grèce et du Latium. Peut-être, au milieu de ces soins, mes
blessures vont-elles de nouveau saigner. Mais il y a là un vœu et un
engagement dont je ne suis plus libre; d'ailleurs la longue durée des
temps qui suivront ma mort me touche bien autrement que ces cours
instants de la vie, trop lents encore à mon gré. J'ai essayé de tout, et
je ne trouve le repos nulle part. L'ouvrage dont je vous ai dit un mot
dans l'une de mes dernières lettres était comme un aliment que j'offrais
à ma douleur. Aujourd'hui pour moi tout est dégoût. Je ne trouve de
supportable que la solitude. J'y redoutais les ennuyeuses visites de
Philippe; j'eu ai été quitte pour la peur. Hier, il me donna le bonjour,
et l'instant d'après il repartit pour Rome. — Je vous envoie la lettre
que vous me conseillez d'écrire à Brutus. Vous pourrez la lui faire
tenir avec la vôtre; à l'original je joins une copie. Vous la lirez; et
si vous ne trouviez pas la lettre bien, vous ne l'enverrez pas. —
Faites-moi le plaisir de me dire quelles sont celles de mes affaires
dont le règlement se suit. J'attendais des résultats de plusieurs.
Veillez à ce que Coccéius ne vous manque pas de parole. Quanta Libon,
Eros m'en parle, et je ne crois pas qu'il y ait à douter de ses
promesses. Pour tout le reste, je puis m'en remettre à Sulpicius et à
Egnatius. Pourquoi vous tourmenter d'Apuléius? L'excuse est si facile!
mais votre projet de me venir voir l'est peut-être beaucoup moins. Prenez-y
garde. D'abord la longueur du voyage; puis le moment du départ, sans
doute trop voisin de votre arrivée, sera pour moi un chagrin mortel.
Faites au surplus comme vous le jugerez le plus à propos. J'interprète
toujours en bien et dans mon intérêt tout ce que vous faites.
547. -
A ATTICUS. Asture, mars.
A. XII, 17.
Marcianus m'écrit que mes excusés ont été faites à Apuléius par
Latérensis, Nason , Lénas, Torquatus et Strabon. Je voudrais que vous
eussiez la bonté de leur faire tenir en mon nom des lettres de
remercîment. Flavius prétend que j'ai répondu il y a plus de vingt cinq
ans pour Cornificius. Quoique le débiteur soit riche et qu'Apuléius soit
un propriétaire grand et généreux , rendez-moi toutefois le service de
compulser le registre des garanties, et de vérifier si j'ai pris en
effet un engagement. Je n'ai souvenir d'aucun rapport avec Cornificius
antérieurement à mon édilité. Cela peut être, et je veux en avoir la
certitude. Vous ferez assigner les gens d'affaires, si vous le jugez à
propos. Après tout, qua m'importe? Il importe toutefois. — Dès que vous
saurez le départ de Pansa, écrivez-moi. Mes compliments à Attica. Ayez
bien soin d'elle, je vous en conjure. Mes compliments aussi à Pilia.
548. —
A ATTICUS. Asture, mars.
A. XlI, 18, 2e
part. Ma correspondance d'hier m'a appris l'arrivée d'Antoine, .le
m'étonne que vous ne m'en ayez rien dit dans votre lettre. Peut-être
l'aviez-vous écrite la veille de sa date. Ce n'est pas (pie j'aie grand
intérêt a cette nouvelle. Il sera venu sans doute pour dégager ses
cautions. — Térentia vous a parlé, dites-vous, de mon testament et des
personnes que j'ai appelées à la fermeture. Persuadez-vous bien d'abord
que rien de tout cela ne me préoccupe, et qu'il n'y a plus en moi de
place pour de petites ou de nouvelles peines. Mais, après tout, quel
rapport? Et le n'a pas appelé certaines personnes qui auraient voulu
savoir et qui auraient fait des questions. Avais-je, moi, les mêmes
précautions à prendre? Que ne fait-elle comme moi ? Je donnerai mon
testament, à lire à qui voudra, et elle verra qu'il n'y a rien de plus
honorable que mes dispositions pour son petit-fils. Si je n'ai pas
appelé certains témoins à la fermeture , c'est tout simplement d'abord
que je n'y ai pas songé; et je n'y ai pas songé, parce qu'il n'y avait
aucune nécessité. Vous devez vous rappeler parfaitement, si votre
mémoire vous est fidèle, que je vous priai de m'amener quelqu'un des
vôtres. Qu'avais-je besoin de tant de monde? J'avais appelé des gens de
chez moi. Vous avez désiré que je fisse avertir Silius; Silius m'a fait
penser à Publilius. Mais en vérité on n'avait besoin ni de l'un ni de
l'autre. Faites là-dessus ce que vous Jugerez à propos.
549. —
A ATTICUS. Asture, mars.
A. XII. 19.
Oui, il y a ici un lieu charmant au milieu de la mer, en vue des côtes
d'Antium et de Circéi. Mais je veux prévoir les changements de maîtres
qui auront lieu dans la suite des ans et des siècles, et garantir le
monument par une consécration, au moins pour Ile emps qu'il lui sera
donné de subsister. Pour moi, la privation du revenu n'est rien. Je sais
me contenter de peu. Quelquefois je pense à des jardins au delà du
Tibre. Je ne connais pas d'endroit plus fréquenté, et c'est ce qui m'en
plaît davantage. Mais quels jardins? Nous en verrons ensemble. Il faut
seulement que le temple soit fini cet été. Vous pouvez traiter pour les
colonnes avec Apelle de Chio. - Je suis charmé de ce que vous me dites
d'Occéius et de Libon , surtout de la manière dont s'arrange mon affaire
de judiecture. Êtes-vous remonté à la source pour l'argent cautionné?
Que disent les gens d'affaires de Cornificius? Mandez-le-moi, si vous le
pouvez ; car je ne voudrais pas vous donner trop d'embarras, quand vous
avez tant d'affaires sur les bras, Balbus et Oppius m'out écrit pour me
rassurer aussi sur Antoine; vous les y aviez engagés. Je vais leur en
témoigner ma gratitude. Mais je vous le répète, et sachez-le bien, ni de
ce côté ni d'aucun autre l'inquiétude n'a désormais de prise sur moi. —
Si Pansa est parti aujourd'hui, comme vous le dites, parlez-moi
maintenant de Brutus. A quelle époque l'attend-on? Il vous sera facile
de le calculer à peu de jours près, pour peu que vous sachiez où il est
en ce moment. - Vous avez écrit à Tiron au sujet de Térentia. Je vous en
conjure, mon cher Atticus, chargez-vous de cette affaire. Voyez ce que
le devoir exige de moi : vous en jugerez mieux que personne. Il s'agit
aussi, me dit-on , de l'intérêt de Cicéron. C'est la première
considération oui me touche et ce que j'ai le plus à cœur. Je ne vols de
l'autre côté que résolutions peu sincères ou peu durables. |