Isocrate : oeuvres complètes, tome III

ISOCRATE

OEUVRES COMPLÈTES.

 

 XXI. DISCOURS CONTRE EUTHYNUS- Πρὸς Εὐθύνους ἀμάρτυρος

 

ŒUVRES COMPLÈTES D'ISOCRATE TRADUCTION NOUVELLE AVEC TEXTE EN REGARD LE DUC DE CLERMONT-TONNERRE (AIMÉ-MARIE-GASPARD) Ancien Ministre de la guerre et de la marine Ancien élève de l'École polytechnique TOME TROISIÈME PARIS LIBRAIRIE DE FIRMIN DIDOT FRÈRES, FILS ET Cie Imprimeur de l'Institut, rue Jacob, 56. ET CHEZ AUGUSTE DURAND, LIBRAIRE Rue des Grès. 7 M DCCC LXIV

XX Discours contre Euthynus - Sur les Lettres d'Isocrate

 

 

 

 

 

ISOCRATE.

DISCOURS CONTRE EUTHYNUS.

ARGUMENT.

Nicias, proscrit par les Trente, confie trois talents à Euthynus sans prendre de témoins. Lorsqu'il redemande son argent, le dépositaire rend deux talents et nie le troisième. De là le procès. Le demandeur, on le comprend, ne peut procéder que par des présomptions et des conjectures tirées de la personne des deux contendants. Nicias est plus riche qu'Euthynus et moins exercé dans la plaidoirie. Dans un temps de trouble et de désordre, l'un n'avait rien à espérer en revendiquant le dépôt, l'autre rien à craindre en le niant. D'ailleurs Nicias et Euthynus étaient amis, et on ne commence pas par attaquer ses amis, on se sert, au contraire, de leur appui pour attaquer les autres. En second lieu , les plaintes ont commencé sous l'oligarchie, et Euthynus était en position d'exiger ce qu'on ne lui devait pas, tandis que Nicias devait songer, avant tout, à sa sûreté personnelle. Mais pourquoi donc Euthynus a-t-il rendu les deux tiers du dépôt et retenu seulement l'autre tiers? Parce que quiconque se détermine à une injustice cherche en même temps à se ménager des moyens de justification. Aucun des parents et amis de Nicias n'ignorait que, dans le temps de ses malheurs, il avait placé tout son argent en dépôt chez Euthynus : Euthynus ne pouvait donc se dissimuler que plusieurs savaient que cet argent devait être entre ses mains, mais il savait aussi que personne n'était instruit de la valeur du dépôt.

Pliilostrate, à qui nous devons une vie d'Isocrate, trouvait l'élégance et la force réunies dans ce discours, qu'il considérait comme un des meilleurs. Si l'on en croit Diogène Laërce, Antisthène, orateur philosophe, aurait défendu la cause d'Euthynus, mais seulement par écrit et pour faire assaut de talent avec Isocrate.

Quant à la date de ce plaidoyer , nous répéterons ce que nous avons dit à propos de l'Exception contre Callimaque: les faits qui y sont contenus ne nous semblent pas assez précis pour la fixer exactement.

SOMMAIRE.

1. Nicias, mon ami, ayant reçu une injure d'Euthynus, m'a prié de le défendre, parce qu'il n'a pas la faculté de parler en public. Un dépôt lui a été confié : il en a gardé la troisième partie, et il nie qu'elle lui ait été remise. — 2. Je vous exposerai l'affaire le plus brièvement que je pourrai. — 3. Lorsque les Trente étaient en possession du pouvoir, Nicias, effacé par ses ennemis du nombre des citoyens, remit, sans témoins, à Euthynus, trois talents d'argent en le priant de les lui garder, et partit pour la campagne. Peu de temps après, Euthynus rendit deux talents, mais il nia qu'il eût reçu le troisième. Nicias, contraint par les circonstances, garda alors le silence. — 4. Et comme il n'y avait aucun témoin de ce qui s'était passé entre eux, il est nécessaire que vous fassiez sortir la vérité des arguments et des conjectures. — 5. De même que Nicias est plus riche qu'Euthynus, il est moins expérimenté dans l'art de parler ; et les hommes de la nature de Nicias sont habitués à être en butte aux calomnies de ceux qui sont éloquents et qui sont pauvres. — 6. En outre, ceux qui nient un dépôt ont dans leurs mains ce qui les porte à violer la justice, et ceux qui le réclament ne savent pas s'ils pourront l'obtenir. Il est donc plus vraisemblable qu'Euthynus nie ce qu'il a reçu , qu'il ne l'est que Nicias demande ce qu'il n'a pas donné. — 7. De plus, les jugements réguliers ayant , à cette époque , cessé dans la ville , il est plus probable qu'Euthynus a trompé Nicias, qu'il ne l'est que celui-ci ait fait une réclamation injuste. — 8. Ajoutez qu'Euthynus a été l'ami de Nicias, qu'il n'est ni riche ni absolument dépourvu de fortune , et qu'il n'est pas sans capacité pour les affaires. - 9. Et certainement Euthynus n'aurait pas fait tort à Nicias s'il n'y eût été forcé par la nécessité, en ce sens qu'il ne se trouvait pas une autre personne qu'il fît en son pouvoir de spolier. — 10. Le plus puissant argument est, au reste, que la réclamation a été faite à l'époque où l'oligarchie était constituée : époque à laquelle le pauvre était excité à attaquer le riche, car dans ce temps la richesse était un crime plus grand que l'improbité. Par conséquent, Euthynus a pu dérober à Nicias une partie de ce qu'il avait reçu de lui, et Nicias n'a pu lui intenter une accusation calomnieuse : parce que celui qui ne peut garder ce qui lui appartient ne dresse pas des embûches à la fortune des autres. — 11. Mais Euthynus objectera peut-être que, s'il avait voulu faire tort à Nicias, il aurait également retenu les deux autres parties du dépôt. — 12. Pour moi, je pense que vous n'ignorez pas que tous les hommes qui se préparent à commettre un acte coupable méditent en même temps leurs moyens de défense. Euthynus a donc rendu deux parties du dépôt, afin de pouvoir présenter cette objection comme l'ont fait avant lui beaucoup d'hommes qui ont admis la fraude dans les affaires de peu d'importance, et se sont montrés fidèles à la justice dans celles qui ont plus de gravité. — 13. Considérez d'ailleurs que l'on pourrait facilement dire les mêmes choses en faveur de Nicias ; car, s'il avait eu l'intention de calomnier, il n'aurait pas avoué qu'il avait reçu deux parties, mais il aurait fait porter sa négation sur la somme tout entière. — 14. En outre, tous les parents et les amis de Nicias étaient instruits qu'il avait déposé ce qu'il avait d'argent chez Euthynus; mais personne ne savait la valeur de la somme, en sorte que celui-ci pouvait en soustraire une partie, tandis qu'il ne pouvait garder la totalité.

Lange

 

 

 

 

 

ΙΣΟΚΡΑΤΟΥΣ ΠPΟΣ ΕΥΘΥΝΟΥΝ

[1] Οὐ προφάσεως ἀπορῶ δι' ἥντινα λέγω ὑπὲρ Νικίου τουτουί· καὶ γὰρ φίλος ὤν μοι τυγχάνει καὶ δεόμενος καὶ ἀδικούμενος καὶ ἀδύνατος εἰπεῖν, ὥστε διὰ ταῦτα πάντα ὑπὲρ αὐτοῦ λέγειν ἀναγκάζομαι.

[2] [2] Ὅθεν οὖν τὸ συμβόλαιον αὐτῷ πρὸς Εὐθύνουν γεγένηται, διηγήσομαι ὑμῖν ὡς ἂν δύνωμαι διὰ βραχυτάτων.

Νικίας γὰρ οὑτοσὶ, ἐπειδὴ οἱ τριάκοντα κατέστησαν καὶ αὐτὸν οἱ ἐχθροὶ ἐκ μὲν τῶν μετεχόντων τῆς πολιτείας ἐξήλειφον, εἰς δὲ τὸν μετὰ Λυσάνδρου κατάλογον ἐνέγραφον, δεδιὼς τὰ παρόντα πράγματα τὴν μὲν οἰκίαν ὑπέθηκε, τοὺς δ' οἰκέτας ἔξω τῆς γῆς ἐξέπεμψε, τὰ δ' ἔπιπλα ὡς ἐμὲ ἐκόμισε, τρία δὲ τάλαντα ἀργυρίου Εὐθύνῳ φυλάττειν ἔδωκεν, αὐτὸς δ' εἰς ἀγρὸν ἐλθὼν διῃτᾶτο.
[3] Οὐ πολλῷ δὲ χρόνῳ ὕστερον βουλόμενος ἐκπλεῖν ἀπῄτησε τἀργύριον· Εὐθύνους δὲ τὰ μὲν δύο τάλαντα ἀποδίδωσι, τοῦ δὲ τρίτου ἔξαρνος γίγνεται. Ἄλλο μὲν οὖν οὐδὲν εἶχε Νικίας ἐν τῷ τότε χρόνῳ ποιῆσαι, προσιὼν δὲ πρὸς τοὺς ἐπιτηδείους ἐνεκάλει καὶ ἐμέμφετο καὶ ἔλεγεν ἃ πεπονθὼς εἴη. Καίτοι οὕτω τοῦτόν τε περὶ πολλοῦ ἐποιεῖτο καὶ τὰ καθεστῶτα ἐφοβεῖτο, ὥστε πολὺ ἂν θᾶττον ὀλίγων στερηθεὶς ἐσιώπησεν ἢ μηδὲν ἀπολέσας ἐνεκάλεσεν.

[4] Τὰ μὲν οὖν γεγενημένα ταῦτ' ἐστίν. Ἀπόρως δ' ἡμῖν ἔχει τὸ πρᾶγμα. Νικίᾳ γὰρ οὔτε παρακατατιθεμένῳ τὰ χρήματα οὔτε κομιζομένῳ οὐδεὶς οὔτ' ἐλεύθερος οὔτε δοῦλος παρεγένετο, ὥστε μήτ' ἐκ βασάνων μήτ' ἐκ μαρτύρων οἷόν τ' εἶναι γνῶναι περὶ αὐτῶν, ἀλλ' ἀνάγκη ἐκ τεκμηρίων καὶ ἡμᾶς διδάσκειν καὶ ὑμᾶς δικάζειν, ὁπότεροι τἀληθῆ λέγουσιν.

[5] Οἶμαι οὖν ἁπάντας εἰδέναι ὅτι μάλιστα συκοφαντεῖν ἐπιχειροῦσιν οἱ λέγειν μὲν δεινοὶ, ἔχοντες δὲ μηδὲν, τοὺς ἀδυνάτους μὲν εἰπεῖν, ἱκανοὺς δὲ χρήματα τελεῖν. Νικίας τοίνυν Εὐθύνου πλείω μὲν ἔχει, ἧττον δὲ δύναται λέγειν· ὥστε οὐκ ἔστι δι' ὅτι ἂν ἐπήρθη ἀδίκως ἐπ' Εὐθύνουν ἐλθεῖν.

[6] Ἀλλὰ μὴν καὶ ἐξ αὐτοῦ ἄν τις τοῦ πράγματος γνοίη, ὅτι πολὺ μᾶλλον εἰκὸς ἦν Εὐθύνουν λαβόντα ἐξαρνεῖσθαι ἢ Νικίαν μὴ δόντα αἰτιᾶσθαι. Δῆλον γὰρ ὅτι πάντες κέρδους ἕνεκ' ἀδικοῦσιν. Οἱ μὲν οὖν ἀποστεροῦντες ὧνπερ ἕνεκ' ἀδικοῦσιν ἔχουσιν, οἱ δ' ἐγκαλοῦντες οὐδ' εἰ λήψεσθαι μέλλουσιν ἴσασιν.

[7] Πρὸς δὲ τούτοις, ἀκαταστάτως ἐχόντων τῶν ἐν τῇ πόλει καὶ δικῶν οὐκ οὐσῶν τῷ μὲν οὐδὲν ἦν πλέον ἐγκαλοῦντι, τῷ δὲ οὐδὲν ἦν δέος ἀποστεροῦντι. Ὥστε τὸν μὲν οὐδὲν ἦν θαυμαστὸν, ὅτε καὶ οἱ μετὰ μαρτύρων δανεισάμενοι ἐξηρνοῦντο, τότε ἃ μόνος παρὰ μόνου ἔλαβεν ἀποστερῆσαι· τὸν δ' οὐκ εἰκὸς, ὅτε οὐδ' οἷς δικαίως ὠφείλετο οἷόν τ' ἦν πράττεσθαι, τότε ἀδίκως ἐγκαλοῦντα οἴεσθαί τι λήψεσθαι.

[8] Ἔτι δ' εἰ καὶ μηδὲν αὐτὸν ἐκώλυεν, ἀλλὰ καὶ ἐξῆν καὶ ἐβούλετο συκοφαντεῖν, ὡς οὐκ ἂν ἐπ' Εὐθύνουν ἦλθε, ῥᾴδιον γνῶναι. Οἱ γὰρ τοιαῦτα πράττειν ἐπιθυμοῦντες οὐκ ἀπὸ τῶν φίλων ἄρχονται, ἀλλὰ μετὰ τούτων ἐπὶ τοὺς ἄλλους ἔρχονται, καὶ τούτοις ἐγκαλοῦσιν οὓς ἂν μήτ' αἰσχύνωνται μήτε δεδίωσι, καὶ οὓς ἂν ὁρῶσι πλουσίους μὲν, ἐρήμους δὲ καὶ ἀδυνάτους πράττειν.

[9] Εὐθύνῳ τοίνυν τἀναντία τούτων ὑπάρχει· ἀνεψιὸς γὰρ ὢν Νικίου τυγχάνει, λέγειν δὲ καὶ πράττειν μᾶλλον δύναται τούτου, ἔτι δὲ χρήματα μὲν ὀλίγα, φίλους δὲ πολλοὺς κέκτηται. Ὥστ' οὐκ ἔστιν ἐφ' ὅντινα ἂν ἧττον ἢ ἐπὶ τοῦτον ἦλθεν· ἐπεὶ ἔμοιγε δοκεῖ, εἰδότι τὴν τούτων οἰκειότητα, οὐδ' ἂν Εὐθύνους Νικίαν ἀδικῆσαι, εἰ ἐξῆν ἄλλον τινὰ τοσαῦτα χρήματα ἀποστερῆσαι· [10] Νῦν δ' ἀρχαιότερον ἦν αὐτοῖς τὸ πρᾶγμα· ἐγκαλεῖν μὲν γὰρ ἔξεστιν ἐξ ἁπάντων, ἐκλεξάμενον, ἀποστερεῖν δ' οὐχ οἷόν τ' ἄλλον ἢ τὸν παρακαταθέμενον. Ὥστε Νικίας μὲν συκοφαντεῖν ἐπιθυμῶν οὐκ ἂν ἐπὶ τοῦτον ἦλθεν, Εὐθύνους δ' ἀποστερεῖν ἐπιχειρῶν οὐκ ἂν ἄλλον εἶχεν.

[11] Ὃ δὲ μέγιστον τεκμήριον καὶ πρὸς ἅπαντα ἱκανόν· ὅτε γὰρ τὸ ἔγκλημα ἐγένετο, ὀλιγαρχία καθειστήκει, ἐν ᾗ οὕτως ἑκάτερος αὐτῶν διέκειτο, ὥστε Νικίας μὲν, εἰ καὶ τὸν ἄλλον χρόνον εἴθιστο συκοφαντεῖν, τότ' ἂν ἐπαύσατο, Εὐθύνους δὲ, καὶ εἰ μηδὲ πώποτε διενοήθη ἀδικεῖν, τότ' ἂν ἐπήρθη. [12] Ὁ μὲν γὰρ διὰ τὰ ἁμαρτήματα ἐτιμᾶτο, ὁ δὲ διὰ τὰ χρήματα ἐπεβουλεύετο. Πάντες γὰρ ἐπίστασθε ὅτι ἐν ἐκείνῳ τῷ χρόνῳ δεινότερον ἦν πλουτεῖν ἢ ἀδικεῖν· οἱ μὲν γὰρ τὰ ἀλλότρια ἐλάμβανον, οἱ δὲ τὰ σφέτερ' αὑτῶν ἀπώλλυον. Ἐφ' οἷς γὰρ ἦν ἡ πόλις, οὐ τοὺς ἁμαρτάνοντας ἐτιμωροῦντο, ἀλλὰ τοὺς ἔχοντας ἀφῃροῦντο καὶ ἡγοῦντο τοὺς μὲν ἀδικοῦντας πιστοὺς, τοὺς δὲ πλουτοῦντας ἐχθρούς. [13] Ὥστε μὴ περὶ τοῦτ' εἶναι Νικίαν, ὅπως συκοφαντῶν τἀλλότρια λήψοιτο, ἀλλ' ὅπως μὴ μηδὲν ἀδικῶν κακόν τι πείσοιτο. Τῷ μὲν γὰρ ὅσον Εὐθύνους δυναμένῳ ἐξῆν ἅ τ' ἔλαβεν ἀποστερεῖν καὶ οἷς μὴ συνέβαλεν ἐγκαλεῖν· οἱ δ' ὥσπερ Νικίας διακείμενοι ἠναγκάζοντο τοῖς τ' ὀφείλουσι τὰ χρέα ἀφιέναι καὶ τοῖς συκοφαντοῦσι τὰ αὑτῶν διδόναι. [14] Καὶ ταῦθ' ὅτι ἀληθῆ λέγω, αὐτὸς ἂν ὑμῖν Εὐθύνους μαρτυρήσειεν· ἐπίσταται γὰρ ὅτι Τιμόδημος τουτονὶ τριάκοντα μνᾶς ἐπράξατο, οὐ χρέος ἐγκαλῶν ἀλλ' ἀπάξειν ἀπειλῶν. Καίτοι πῶς εἰκὸς Νικίαν εἰς τοῦτ' ἀνοίας ἐλθεῖν, ὥστ' αὐτὸν περὶ τοῦ σώματος κινδυνεύοντα ἑτέρους συκοφαντεῖν, [15] καὶ μὴ δυνάμενον τὰ αὑτοῦ σῴζειν τοῖς ἀλλοτρίοις ἐπιβουλεύειν, καὶ πρὸς τοῖς ὑπάρχουσιν ἐχθροῖς ἑτέρους διαφόρους ποιεῖσθαι, καὶ τούτοις ἀδίκως ἐγκαλεῖν παρ' ὧν οὐδ' ὁμολογούντων ἀποστερεῖν οἷός τ' ἂν ἦν δίκην λαβεῖν, καὶ τότε πλέον ἔχειν ζητεῖν ὅτε οὐδὲ ἴσον ἐξῆν αὐτῷ, καὶ ὅτε ἃ οὐκ ἔλαβεν ἀποτίνειν ἠναγκάζετο, τότε καὶ ἃ μὴ συνέβαλεν ἐλπίζειν πράξασθαι; [16] Περὶ μὲν οὖν τούτων ἱκανὰ τὰ εἰρημένα.

Ἴσως δ' Εὐθύνους ἐρεῖ, ἃ καὶ πρότερον ἤδη, ὅτι οὐκ ἄν ποτ' ἀδικεῖν ἐπιχειρῶν τὰ μὲν δύο μέρη τῆς παρακαταθήκης ἀπέδωκε, τὸ δὲ τρίτον μέρος ἀπεστέρησεν, ἀλλ' εἴτε ἀδικεῖν ἐπεθύμει εἴτε δίκαιος ἐβουλεύετο εἶναι, περὶ ἁπάντων ἂν τὴν αὐτὴν γνώμην ἔσχεν.

[17] Ἐγὼ δ' ἡγοῦμαι πάντας ὑμᾶς εἰδέναι ὅτι πάντες ἄνθρωποι, ὅταν περ ἀδικεῖν ἐπιχειρῶσιν, ἅμα καὶ τὴν ἀπολογίαν σκοποῦνται· ὥστ' οὐκ ἄξιον θαυμάζειν εἰ τούτων ἕνεκα τῶν λόγων οὕτως Εὐθύνους ἠδίκησεν. Ἔτι δ' ἔχοιμ' ἂν ἐπιδεῖξαι καὶ ἑτέρους οἳ χρήματα λαβόντες τὰ μὲν πλεῖστ' ἀπέδοσαν, ὀλίγα δ' ἀπεστέρησαν, καὶ ἐν μικροῖς μὲν συμβολαίοις ἀδικήσαντας, ἐν μεγάλοις δὲ δικαίους γενομένους· [18] ὥστ' οὐ μόνος οὐδὲ πρῶτος Εὐθύνους τοιαῦτα πεποίηκεν. Ἐνθυμεῖσθαι δὲ χρὴ, εἰ ἀποδέξεσθε τῶν τὰ τοιαῦτα λεγόντων, ὅτι νόμον θήσετε πῶς χρὴ ἀδικεῖν· ὥστε τοῦ λοιποῦ χρόνου τὰ μὲν ἀποδώσουσι, τὰ δ' ὑπολείψονται. Λυσιτελήσει γὰρ αὐτοῖς, εἰ μέλλουσιν, οἷς ἂν ἀποδῶσι τεκμήριοις χρώμενοι, ὧν ἂν ἀποστερῶσι μὴ δώσειν δίκην.

[19] Σκέψασθε δὲ καὶ, ὡς ὑπὲρ Νικίου ῥᾴδιον εἰπεῖν ὅμοια τῇ Εὐθύνου ἀπολογίᾳ. Ὅτε γὰρ ἀπελάμβανε τὰ δύο τάλαντα, οὐδεὶς αὐτῷ παρεγένετο· ὥστ' εἴπερ καὶ ἐβούλετο καὶ ἐδόκει αὐτῷ συκοφαντεῖν, δῆλον ὅτι οὐδ' ἂν ταῦτα ὡμολόγει κεκομίσθαι, ἀλλὰ περὶ ἁπάντων ἂν τοὺς αὐτοὺς λόγους ἐποιεῖτο, καὶ περὶ πλειόνων τε χρημάτων Εὐθύνους ἂν ἐκινδύνευεν, καὶ ἅμα οὐκ ἂν εἶχεν οἷσπερ νυνὶ τεκμηρίοις χρῆσθαι.

[20] Καὶ μὲν δὴ καὶ Νικίαν μὲν οὐδ' ἂν εἷς δύναιτο ἀποδεῖξαι δι' ἥντινά ποτε αἰτίαν οὕτως ἐνεκάλεσεν, Εὐθύνουν δὲ ῥᾴδιον γνῶναι ὧν ἕνεκα τοῦτον τὸν τρόπον ἠδίκησεν. Ὅτε γὰρ Νικίας ἦν ἐν ταῖς συμφοραῖς, πάντες οἱ συγγενεῖς καὶ οἱ ἐπιτήδειοι ἀκηκοότες ἦσαν ὅτι τὸ ἀργύριον, ὃ ἦν αὐτῷ, τούτῳ παρακατέθετο. [21] Ἐγίγνωσκεν οὖν Εὐθύνους ὅτι μὲν ἔκειτο τὰ χρήματα παρ' αὐτῷ, πολλοὺς ᾐσθημένους, ὁπόσα δὲ οὐδένα πεπυσμένον· ὥσθ' ἡγεῖτο ἀπὸ μὲν τοῦ ἀριθμοῦ ἀφαιρῶν οὐ γνωσθήσεσθαι, πάντα δ' ἀποστερῶν καταφανὴς γενήσεσθαι. Ἐβούλετο οὖν ἱκανὰ λαβὼν ἀπολογίαν ὑπολείπεσθαι μᾶλλον ἢ μηδὲν ἀποδοὺς μηδ' ἀρνηθῆναι δύνασθαι.

ISOCRATE.

XXI. DISCOURS CONTRE EUTHYNUS.

1. [1] Je ne manque pas de motifs pour prendre la parole en faveur de Nicias, qui est ici devant vous. Nicias est mon ami ; il m'a demandé mon appui ; il est victime d'une injustice ; il n'a pas la possibilité de s'exprimer
en public. Toutes ces raisons m'imposent le devoir de défendre ses intérêts.

2. Je vous exposerai le plus brièvement possible l'origine de l'action que Nicias a intentée contre Euthynus.

3. Nicias, ici présent, lorsque les Trente eurent établi leur puissance, que ses ennemis l'eurent effacé du nombre des citoyens qui participaient aux droits politiques, et qu'ils l'eurent inscrit sur le catalogue de Lysandre (1) , effrayé des dangers de la situation, engagea ses propriétés , envoya ses esclaves hors de l'Attique , fit porter ses meubles chez moi, confia à Euthynus trois talents d'argent (2) pour les lui garder, et se retira à la campagne, où il vécut. [3] Peu de temps après, désirant s'embarquer , il redemanda ses fonds à Euthynus ; Euthynus lui remit deux talents et nia le troisième. Nicias, n'ayant pas d'autres ressources pour le moment , se rend auprès des parents d'Euthynus , Faccuse , lui fait des reproches , et expose le tort qu'il a éprouvé de sa part. Il avait, toutefois, une si grande affection pour Euthynus, et de plus il redoutait tellement l'état de choses existant, qu'il aima mieux faire un léger sacrifice et se condamner au silence, que de ne rien perdre, en attaquant Euthynus devant la justice. Voilà le résumé des faits.

4. [4] L'affaire, en ce qui nous concerne, présente de grandes difficultés. Aucune personne , soit libre , soit esclave, n'était auprès de Nicias lorsqu'il a déposé ou lorsqu'il a retiré ses fonds, de sorte qu'il est impossible de rien constater par la torture, non plus que par des témoins, et qu'il y a nécessité pour nous de montrer, et pour vous de décider, d'après des probabilités, quels sont ceux qui disent la vérité.

5. [5] Je crois que personne n'ignore que ce sont principalement les hommes puissants par leur éloquence, et privés de fortune , qui poursuivent de leurs calomnies ceux qui ne possèdent pas le don de la parole, mais qui ont la faculté de donner de l'argent. Or Nicias est plus riche qu'Euthynus, et il est moins éloquent; de telle sorte qu'il n'existe aucun motif qui ait pu porter Nicias à attaquer Euthynus injustement.

6. [6] On peut aussi reconnaître, par le fait considéré en lui-même, qu'il est beaucoup plus vraisemblable qu'Euthynus nie le dépôt, après l'avoir reçu, qu'il ne l'est que Nicias réclame l'argent sans l'avoir donné. Il est évident que tous ceux qui manquent à la probité le font par amour du gain. Or ceux qui retiennent le bien des autres ont dans leurs mains ce qui les engage à violer la justice , tandis que ceux qui demandent ne savent s'ils obtiendront l'objet de leur réclamation.

7. [7] Ajoutons que , tout étant bouleversé dans notre ville, et les tribunaux ne rendant plus d'arrêts, celui qui réclamait n'avait rien à espérer , tandis que le spoliateur n'avait rien à craindre. De sorte qu'il n'est pas étonnant qu'à une époque où ceux-là mêmes qui avaient emprunté devant témoins niaient leurs dettes, celui qui avait traité seul à seul commît une spoliation frauduleuse; de même qu'il n'est pas probable que, dans un temps où les créanciers véritables ne pouvaient rien obtenir, celui qui aurait réclamé injustement ait pu concevoir l'espérance de le faire avec succès.

8. [8] Il est facile ensuite de reconnaître que, lors même qu'aucun obstacle ne s'y serait opposé, et en admettant que Nicias eût pu, qu'il eût voulu intenter une accusation calomnieuse, il ne se serait pas adressé à Euthynus. Ceux qui veulent commettre des actes de cette nature ne commencent pas par attaquer leurs amis ; ils s'entourent, au contraire, de leurs amis pour attaquer les autres, et, de plus, ils accusent des hommes qui ne leur inspirent ni respect ni crainte , des hommes qu'ils voient riches, mais isolés et hors d'état de se défendre.

9. [9] Or, relativement à Euthynus, la situation est complètement opposée. Il est le cousin de Nicias ; il est plus puissant que lui , soit pour parler , soit pour agir ; en outre , il a peu de fortune , et il a un grand nombre d'amis. Il n'est donc personne que Nicias eût moins voulu attaquer qu'Euthynus ; et il me semble, à moi, qui ai connu leurs rapports intimes, qu'Euthynus n'aurait pas cherché à spolier Nicias s'il eût été en son pouvoir d'enlever à un autre qu'à lui une somme aussi importante. [10] Entre eux , d'ailleurs , la situation est plus simple : on peut porter une accusation contre un homme que l'on choisit entre tous ; mais on ne peut garder  l'argent que de celui qui l'a déposé entre vos mains ; de sorte que Nicias, voulant intenter une action calomnieuse, n'aurait pas choisi Eulhynus , tandis qu'Eutbynus, voulant commettre une spoliation frauduleuse, ne pouvait Texercer qu'à l'égard de Nicias. µ

10. [11] Voici le témoignage le plus fort, celui qui peut remplacer tous les autres. A l'époque où la contestation s'éleva, l'oligarchie était établie, et, sous ce gouvernement , la situation d'Euthynus et de Nicias était telle que, lors même que dans d'autres temps Nicias aurait eu pour usage d'intenter des accusations calomnieuses, il eût alors cessé de le faire; et qu'Euthynus, au contraire, en supposant que jamais il n'ait eu la pensée de commettre une injustice, s'y serait alors trouvé entraîné. [12] Euthynus, en effet, jouissait d'un grand crédit, à cause des actions mauvaises auxquelles il s'était livré ; et Nicias, à cause de sa fortune, était exposé à de continuelles embûches. Vous savez tous qu'à cette époque il était plus dangereux d'être riche que criminel. Les uns s'emparaient du bien qui ne leur appartenait pas ; les autres se voyaient enlever ce qui leur appartenait. Les hommes qui opprimaient notre patrie ne punissaient pas les coupables, mais ils dépouillaient ceux qui possédaient, et regardaient les malfaiteurs comme leurs amis fidèles, les riches comme leurs ennemis. [13] De sorte que , pour Nicias, il ne s'agissait pas de s'emparer du bien des autres, à l'aide de la calomnie, mais d'éviter un malheur, alors même qu'il ne commettait aucune injustice envers personne. Celui qui, comme Euthynus, était puissant, pouvait donc garder frauduleusement ce qu'il avait reçu, et réclamer ce qu'il n'avait pas confié ; tandis que ceux qui se trouvaient dans la situation de Nicias étaient forcés d'abandonner leurs créances à leurs débiteurs, et de donner ce qui leur appartenait à ceux qui les poursuivaient de leurs calomnies. [14] Euthynus, lui-même, pourrait appuyer de son témoignage la vérité de mes paroles car il sait que Timodème a arraché de ce même Nicias trente mines, non en les réclamant comme une dette, mais en le menaçant de le faire mettre en prison. Comment serait-il vraisemblable que INicias en fût venu à un tel excès de démence, qu'il eût intenté une fausse accusation dans un moment où il courait des dangers pour sa personne ? [15] qu'il eut attenté à la fortune des autres quand il ne pouvait pas sauver la sienne? qu'il eût voulu, aux ennemis qu'il avait, ajouter d'autres adversaires? qu'il eût attaqué injustement des hommes contre lesquels il n'aurait pas pu obtenir justice, alors même qu'ils eussent avoué la spoliation dont il les eût accusés? qu'il eût cherché à s'arroger un privilège, quand il ne pouvait pas même obtenir l'égalité devant la loi? et, lorsqu'il était obhgé de payer ce qu'il ne devait pas, qu'il eût conçu l'espérance de se faire rendre ce qu'il n'avait pas donné ?  [16] Mais c'en est assez sur ce sujet.

11. Peut-être Euthynus dira-t-il ce qu'il a déjà dit une fois, que, s'il avait eu le dessein de faire tort à Nicias, il n'aurait pas rendu les deux tiers du dépôt en même temps qu'il conservait le troisième ; et que, soit qu'il ait voulu faillir à la probité, soit qu'il ait voulu lui rester fidèle, il aurait pris la même résolution pour la totalité de la somme.

12. [17] Quant à moi, je crois que vous savez tous que les hommes, en même temps qu'ils se disposent à commettre une injustice, pensent aussi à préparer leur justification ; de sorte qu'il ne faut pas s'étonner si Euthynus a disposé sa coupable spoliation de manière à pouvoir tenir un langage de celte nature . Il me serait facile de citer des hommes qui, ayant reçu de l'argent, ont rendu la plus grande partie, et ont retenu frauduleusement la plus petite; et d'autres, qui, ayant manqué à la probité dans des transactions de peu d'importance, ont montré de la loyauté dans les grandes; [18] d'où il résulte qu'Euthynus n'est ni le seul ni le premier qui ait agi de cette manière. Considérez, d'ailleurs, que, si vous accordez vos suffrages à ceux qui emploient de tels arguments, vous réglerez, pour ainsi dire, par une loi, la manière dont il faut s'y prendre pour violer la justice ; de sorte qu'à l'avenir on pourra rendre une partie d'un dépôt qu'on aura reçu, et conserver indûment le reste. Vous aurez ainsi procuré un incontestable avantage à ceux qui se serviront de ce qu'ils auront rendu comme d'un moyen pour éviter le châtiment qui leur serait dû pour ce qu'ils auraient dérobé.

13. [19] Considérez encore qu'il est facile d'employer en faveur de Nicias les raisons dont Euthynus se sert pour son apologie. Nicias, à l'époque où il a reçu les deux talents, n'avait personne avec lui ; de sorte que, s'il eût voulu, s'il eût jugé convenable d'ourdir une calomnie, il est évident qu'il n'aurait pas avoué qu'il avait reçu les deux talents, mais il aurait appliqué les mêmes raisonnements pour la totalité du dépôt, et alors Euthynus aurait été exposé à perdre une somme plus considérable, en même temps qu'il lui eût été impossible d'employer les arguments dont il se sert aujourd'hui.

14. [20] Enfin personne ne pourrait montrer pour quelle raison Nicias aurait intenté une telle accusation contre Euthynus, tandis qu'il est facile de comprendre pour quels motifs Euthynus a eu recours à ce mode de spoliation. En effet, lorsque Nicias était dans le malheur, ses parents et ses amis lui avaient entendu dire qu'il avait mis en dépôt chez Euthynus tout l'argent qu'il possédait. [21] Euthynus, par conséquent, savait qu'un grand nombre de personnes étaient informées que des sommes avaient été déposées chez lui ; mais il savait aussi qu'aucune d'elles n'en connaissait la valeur; de sorte qu'il a pensé qu'en retenant seulement une partie des fonds, il ne serait pas découvert, tandis que, s'il dépouillait Nicias de la totalité du dépôt, le vol deviendrait manifeste. Voilà pourquoi il a préféré , en ne gardant qu'une partie suffisante, se réserver un moyen de justification , plutôt que de ne rien rendre , quand il ne pouvait nier qu'il avait reçu un dépôt.
 

 

(1) Liste d'exilés dressée par Lysandre, l'un des chefs des Quatre cents, dont la domination avait précédé celle des Trente.

{2) Trois mille écus.