Gomperz,
Theodor (1832-1912)
Les penseurs de la Grèce : histoire de la philosophie
antique
trad. de Aug.
Reymond,... ; et précédée d'une préf. de M. A. Croiset,...
Griechische Denker : eine Geschichte der antiken Philosophie
2e éd. rev. et corr.
Paris : F. Alcan ; Lausanne : Payot, 1908-1910
LIVRE II
CHAPITRE VI
Les Historiens.
1. Hécatée de Milet. La méthode semi-historique. Interprétation rationaliste des mythes. - II. Hérodote d'Halicarnasse. Son explication des légendes. Exemples de la méthode semi-historique. - III. Hérodote géologue. Hérodote et le polythéisme. L'historien n'est pas un monothéiste déguisé. La « Providence » et la « jalousie des dieux. Autres contradictions de la théologie d'Hérodote. - IV. Absence de critique et hypercritique d'Hérodote. Accès de positivisme. Fin de l'époque de transition.
I
La recherche
scientifique appliquée à !a nature ne fut pas la seule voie par laquelle se
prépara l'affranchissement intellectuel du peuple grec. Pour que la pensée
mythique se prolongeât, il fallait une certaine étroitesse de l'horizon dans
le temps comme de l'horizon dans l'espace. Les circonstances avaient élargi peu
à peu ce dernier. Simultanément, et pour toujours, les limites de tous les
deux furent reculées par l'apparition de deux disciplines sœurs, dont la
culture fut aussitôt réunie dans les mêmes mains.
Les chroniques des villes, les listes de prêtres, les catalogues des vainqueurs
aux jeux nationaux ont donné naissance à l'historiographie grecque.
Mercenaires, flibustiers, marchands et colonisateurs ont été les pionniers de
la géographie. Un puissant et original esprit, Hécatée de Milet, a, le
premier, réuni ces deux domaines du savoir (01).
Des voyages étendus, des informations plus étendues encore, lui avaient
procuré un trésor de connaissances qui le mit à même de donner de sages
conseils à ses compatriotes de l'Ionie, pendant leur grande insurrection contre
la domination perse (502-496), et d'intervenir habilement comme négociateur
entre les deux partis. Il avait consigné le résultat de ses recherches dans
deux ouvrages dont nous ne possédons plus que quelques misérables restes, dans
les livres de sa Géographie, qui portaient les titres des trois continents :
Europe, Asie et Libye (Afrique), et dans les quatre livres de ses Généalogies.
En tête de ces dernières, il écrivait, fier de ne s'appuyer que sur la
raison, cette phrase qui témoigne d'un esprit clair et positif, et qui résonne
à nos oreilles comme une éclatante fanfare dans l'air pur du matin : «
Hécatée de Milet parle ainsi. J'ai transcrit ce qui suit comme chaque chose me
paraissait être vraie : car les discours des Hellènes sont multiples, et, à
ce qu'il me semble, ridicules. » De nouveau, nous nous trouvons au berceau de
la critique. De même que Xénophane introduit l'esprit d'examen dans l'étude
de l'univers, Hécatée l'introduit dans celle des choses humaines. Pourquoi et
comment il le fait, cela ressort en bonne partie déjà des termes de cet
audacieux prélude. Les contradictions des traditions historiques le forcèrent
à faire un choix entre elles. Leurs absurdités, c'est-à-dire ce qui, dans
leur contenu, ne se conciliait pas avec ce qu'il considère comme croyable et
possible, - ici nous reconnaissons que l'esprit de recherche fondé sur la
raison s'était déjà emparé de lui - lui donnèrent le courage d'exercer sur
elles une critique incisive. Il ne lui suffit pas non plus d'admettre une
tradition et d'en rejeter une autre : il s'estime en droit de remanier ces
récits pour en dégager le vrai noyau de son enveloppe légendaire. Car il veut
représenter les faits tels qu'ils lui paraissent s'être passés. Il n'a pas
devant lui des documents ou des témoignages dont il puisse examiner l'âge, la
provenance ou la dépendance réciproque, car l'usage de fixer d'une manière
fidèle les événements contemporains n'apparaît que tard en Grèce ; la
connaissance de la plus grande partie des faits historiques n'est transmise que
parla tradition et par ses représentants, les poètes, auxquels s'ajoutent, à
partir de l'an 600 environ, les prosateurs. Il n'est donc pas en mesure
d'apprécier les témoins des événements et le degré de confiance qu'ils
méritent ; son jugement ne peut se baser que sur des critères internes ; il
est obligé de renoncer à la critique ou de faire de la critique subjective. Sa
méthode ne peut être autre que celle que l'on a appelée semi-historique, ou
désignée d'un mot que nous préférons éviter à cause des abus auxquels il
donne facilement lieu, celui de rationaliste.
Il nous reste encore à mentionner une circonstance décisive en pareille
matière. Le large regard porté sur les légendes et les histoires des pays
étrangers n'a pas seulement contribué essentiellement à éveiller la
méfiance à l'endroit de la tradition nationale, il a aussi prescrit la voie à
suivre à tous ceux qui n'étaient pas assez téméraires pour jeter par dessus
bord l'ensemble de la tradition mythique. Hécatée, cet explorateur qui se
trouvait partout chez lui, fit à Thèbes, en Égypte, une expérience qui nous
parait typique des impressions que ses semblables et lui ont dû éprouver
souvent au contact des peuples de civilisation plus ancienne. Il avait fait voir
aux prêtres de Thèbes, non sans complaisance, son arbre généalogique, d'où
il résultait que son premier ancêtre était un dieu, et qu'il n'en était
séparé que par quinze générations. Alors ils le conduisirent dans une salle
où étaient exposées les statues des grands prêtres de Thèbes. Il n'y en
avait pas moins de trois cent quarante-cinq ! Chacune de ces statues, à ce que
lui assuraient ses guides à la face glabre, avait été élevée dû vivant de
son modèle ; la dignité de prêtre était héréditaire, et avait passé
toujours de père en fils dans cette longue série ; tous avaient été des
hommes comme nous ; pas un seul n'avait été dieu, ni même demi-dieu ;
auparavant, sans doute, ajoutaient les prêtres, des dieux avaient séjourné
sur la terre, mais dans ce long espace de temps, il ne s'était déroulé que de
l'histoire humaine, attestée par des documents ! L'impression que produisit
cette révélation sur le Grec à la fois décontenancé et convaincu, n'est pas
facile à décrire. Ce fut sans doute comme si le plafond de la salle dans
laquelle il se trouvait s'élevait à ce moment à perte de vue au-dessus de sa
tête et envahissait une grande partie des régions célestes. Le domaine de
l'histoire humaine s'étendait pour lui à l'infini, tandis que le champ de
l'intervention divine se rétrécissait d'autant. Il était impossible que des
dieux et des héros eussent pris part à des événements que des traditions
incontestées plaçaient à une date relativement récente, comme, par exemple,
à l'expédition des Argonautes ou à la guerre de Troie. Là les choses
devaient s'être passées à peu près comme elles se passent actuellement; la
norme du possible, du naturel et par conséquent du croyable, pouvait être
appliquée aux traditions d'une époque qui avait été jusqu'alors considérée
comme le théâtre des interventions surnaturelles et des faits merveilleux. Et
c'est bien ce qu'Hécatée comprit. Il lui parut inadmissible qu'Héraklès eût
conduit les bœufs volés par lui à Géryon de la fabuleuse Érytheia, située,
disait-on, dans le voisinage de l'Espagne, jusqu'à l'hellénique Mycènes ; ce
Géryon avait dû régner plutôt sur un territoire du nord-ouest de la Grèce
(en Épire), dont les bœufs étaient célèbres par leur force et leur beauté,
et qui, par sa terre rouge-brique, semblait mériter le nom d'Érytheia (Terre
rouge). Ces ressemblances de noms, et l'inépuisable ressource que fournissait
l'étymologie en général, ont joué un rôle considérable dans
l'interprétation que le géographe donnait des mythes. Les faits qui se
rattachent à la guerre de Troie étaient également ramenés par lui aux
proportions de l'histoire, comme ils allaient l'être, nous le verrons, par
Hérodote. Les monstres fabuleux, comme Cerbère, ne trouvaient pas davantage
grâce devant la sévérité de ce juge des légendes. Le chien infernal aux
trois têtes était identifié par lui, sur la foi de nous ne savons quels
arguments, à un énorme serpent qui avait habité autrefois le promontoire
laconien du Ténare. Mais bornons-nous à ces indications. Notre but était
seulement de montrer la première apparition de l'esprit de critique et de doute
dans le domaine des études historiques, et d'expliquer la forme que le
scepticisme y prit et y garda par nécessité interne ; car le grand successeur
de l'historien milésien, Hérodote, auquel nous arrivons maintenant, suivit la
même ligne de conduite.
Hérodote
d'Halicarnasse (né peu avant 480), auteur du chef-d'œuvre historique le plus
parfait qui puisse jamais ravir les cœurs des hommes, était aussi à sa
manière un penseur (02). Faute des termes de
comparaison nécessaires, il nous est difficile de mesurer à quel point il
était original. Mais précisément parce qu'Hérodote est représentatif non
seulement de lui-même, mais encore de plus d'un de ses contemporains dont les
écrits ne nous sont pas parvenus, il convient de s'arrêter un peu à son
oeuvre. Quoi de plus agréable, d'ailleurs, pour nous que de puiser à cette
source délicieuse quelques gorgées rafraîchissantes ? Son exposition,
poursuivie avec un art consommé, ne se contente pas d'unir, mais fond ensemble
l'histoire des hommes et la science de la terre ; elle groupe en un tout
harmonieux, en un seul tableau, les histoires isolées des divers peuples, et
dès le début elle nous offre de précieux enseignements. Hérodote se demande
quelle a été l'origine de la vieille querelle qui divise l'Orient et
l'Occident, et qui a atteint son paroxysme dans les guerres persiques, sujet et
point culminant de son livre (03). Avant d'en
arriver au premier souverain de l'Asie qui ait fait la guerre aux Grecs et les
ait soumis, au roi Crésus de Lydie, il fait mention de la guerre de Troie et de
sa cause, l'enlèvement d'Hélène, ce qui l'amène à remonter aux récits,
connexes selon lui, des aventures d'Io, d'Europe et de Médée. Mais quelle
empreinte particulière, on pourrait presque dire moderne, il donne à ces
figures, à ces événements si connus par les légendes divines et héroïques
des Grecs ! Ce n'est pas la jalousie d'Héra qui force à fuir dans les pays
lointains Io, l'amante de Zeus changée par lui en génisse ; ce n'est pas le
dieu du Ciel qui, sous forme de taureau, séduit Europe ; il n'est plus question
de Médée, la magicienne, petite-fille du Soleil, de la part qu'elle prend à
la conquête de la toison d'or et de ses enchantements. Ces radieuses héroïnes
sont devenues de pâles princesses ; le dieu suprême et Jason, le héros
semblable aux dieux, ont fait place à des marchands phéniciens, à des pirates
crétois, à des flibustiers grecs. Le second rapt d'une femme nous est donné
comme la punition du premier ; le troisième a pour but de venger le second. Des
hérauts et des ambassadeurs formulent des griefs contre la violation du droit
des gens ; et si les offensés se font eux-mêmes justice en rendant oeil pour
oeil et dent pour dent, c'est uniquement parce que les coupables se refusent à
donner satisfaction. Qui ne reconnaît ici la méthode semi-historique
d'Hécatée, à cette différence près qu'elle est maintenant appliquée plus
largement et qu'elle établit un lien de causalité entre de prétendus
événements historiques ? A titre d'autorités, Hérodote invoque les
Phéniciens et les Perses, au dire desquels les Grecs sont coupables d'avoir
envenimé la querelle. N'ont-ils pas, les premiers, entrepris de venger
sérieusement l'enlèvement d'Hélène, équipé une flotte puissante, assiégé
et détruit Ilion pour rendre une femme à son époux ? D'autre part, les
Phéniciens ne se font pas faute d'excuser leurs compatriotes : Io,
affirment-ils, n'a pas été entraînée de force à bord du navire qui l'a
arrachée à sa patrie argienne ; loin de là, elle s'est elle-même gravement
compromise avec le commandant du vaisseau, et quand elle s'est rendu compte des
suites de sa faute, elle s'est volontairement enfuie pour échapper à la
colère de ses parents.
A quoi attribuer cette tendance terre à terre de l'histoire et la chute
profonde des grandes figures légendaires qui en est la conséquence ? Sans
aucun doute, en dernière analyse, au désir que nous avons déjà constaté
chez Hécatée d'élargir l'horizon historique et à la nécessité, pour cela,
de resserrer de plus en plus les limites du surnaturel. Par là les sublimes
créations de la légende, auréolées par la poésie, s'abaissent au niveau du
naturel et du croyable, pour tomber enfin dans la trivialité. Hérodote
lui-même est assez clairvoyant pour s'abstenir de toute appréciation sur la
valeur historique des récits qu'il reproduit. Mais, en mettant ainsi en
évidence les combinaisons des savants étrangers versés dans les légendes, et
si indifférents, pour ne pas dire si hostiles au mythe grec, il donne
clairement à entendre que, chez lui aussi, le développement de la raison avait
porté un coup sensible à la foi confiante d'une époque plus naïve. Il le
montre encore plus clairement par la manière dont il raconte la légende de
Troie (04). Hélène, pense-t-il avec Hécatée, ne
séjournait pas à Troie pendant le siège de cette ville, mais en Égypte.
C'est là que Pâris avait été entraîné par les vents contraires, et le
magnanime roi Protée retint l'épouse de Ménélas pour la restituer à son
légitime époux, si gravement offensé. Comment cette croyance pouvait-elle
naître en Égypte même ? Comment le poète Stésichore a-t-il travaillé à la
préparer ? Et comment Hérodote a-t-il cherché à la défendre par des vers de
l'Iliade ? Autant de questions dont nous n'avons pas à nous préoccuper ici.
Mais la nouvelle tendance est caractérisée au plus haut degré par la peine
qu'il se donne pour démontrer seule vraie et possible, pour des raisons
internes, cette version pseudo-historique. Si les Troyens n'ont pas mis fin aux
longues calamités de la guerre en rendant Hélène, c'est qu'elle ne se
trouvait pas dans leur ville.
« Car, vraiment, ni Priam ni les siens n'étaient assez fous du cerveau pour
mettre en jeu leur vie, la vie de leurs enfants et le salut d'Ilion uniquement
pour qu'Hélène restât l'épouse de Pâris. Le refus aurait été
compréhensible tout au plus au commencement de la lutte, mais non pas au moment
où, à chaque rencontre, tombaient un si grand nombre de citoyens et au moins
deux ou trois des fils de Priam ; songez aussi que l'aîné et de beaucoup le
plus capable des deux princes n'était pas Pâris, mais Hector, l'héritier
présomptif du trône, etc., etc. »
Encore un exemple pour éclairer tout à fait la méthode semi-historique. Les
prêtresses de Dodone avaient raconté à l'historien l'origine de l'oracle (05)
: à les croire, une colombe noire s'était enfuie de l'égyptienne Thèbes à
Dodone, et, du haut d'un arbre, avait ordonné, d'une voix humaine, la fondation
d'un oracle. « Mais, objecte aussitôt Hérodote non sans une certaine mauvaise
humeur, comment pouvait-il se faire qu'une colombe parlât avec une voix humaine
?» Et comme, en même temps, ces prêtresses racontaient qu'une seconde colombe
noire s'était envolée du côté de la Libye, et qu'elle y avait fondé
l'oracle d'Ammon, l'historien n'hésite pas à reconnaître dans cette légende
l'écho d'un fait qu'il avait lui-même appris à Thèbes. Deux femmes
employées dans le temple, lui avait-on dit, avaient été enlevées par des
Phéniciens et vendues comme esclaves, l'une en Libye, l'autre en Grèce, où
elles avaient fondé ces deux antiques et célèbres oracles. Cette hardie
invention de l'orgueil égyptien provoqua d'abord chez Hérodote un doute
passager qui se traduisit par cette question : « Comment êtes-vous renseignés
si exactement à ce sujet ? » Mais bientôt il y vit une vérité établie,
tant les deux récits concordaient bien : les habitants de Dodone avaient
évidemment vu dans l'étrangère un oiseau parce que la langue
incompréhensible dont elle se servait se rapprochait davantage du babil des
oiseaux que des discours humains. Et si l'Égyptienne était devenue une colombe
noire, c'est à cause de la couleur de sa peau. Au bout d'un certain temps, elle
avait appris la langue du pays, et alors on avait dit que la colombe parlait à
la manière des hommes. Enfin elle avait été renseignée sur le sort de sa sœur
qui avait été emmenée en Libye, et elle avait parlé de la chose à
Dodone. Nous sourions de ce curieux mélange de simplicité enfantine et de
subtilité de raisonnement.
Mais nous retrouvons notre sérieux, et la mauvaise humeur qu'a éveillée en
nous cette vilaine transformation des naïves légendes populaires se dissipe
dès que nous nous souvenons du rôle important qu'a joué dans le progrès
intellectuel de l'humanité cette tendance à voir de l'histoire sous le voile
du mythe. La poésie s'était donnée comme réalité ; quoi d'étonnant si, de
son côté, la réalité cherchait à empiéter sur le champ de la poésie ?
Avec les moyens de recherche dont on disposait alors, il n'était pas possible
de déterminer, même approximativement, la limite entre les deux domaines.
Même aujourd'hui, on n'a pas réussi à trancher complètement la question de
savoir à laquelle des deux appartient le territoire contesté. Le « père de
l'histoire » penchait à revendiquer pour l'histoire toutes les créations de
la légende qui pouvaient, à la rigueur, être d'origine historique ;
actuellement, c'est la tendance opposée qui prévaut.
Nous avons
constaté que la transformation des mythes s'était opérée sous l'empire de
deux causes : par l'élargissement de l'horizon dans le temps et dans l'espace,
et par les échanges d'opinion avec les juges étrangers, et de ce fait
impartiaux ou indifférents, des traditions nationales. Il nous reste à
mentionner le plus puissant facteur de cette transformation : nous voulons
parler du conflit douloureux qui s'élève entre l'ancienne croyance et la
science nouvelle, et des efforts que l'on tente pour y mettre fin. Le trésor
accru des connaissances empiriques, la domination toujours plus grande qu'on
exerçait sur la nature avaient visiblement fortifié la croyance à la
continuité du cours des événements. Alors se posa une question : comment
éviter, si possible, une rupture funeste avec les vénérables traditions de
l'antiquité ? L'interprétation des légendes au sens de l'histoire en sacrifie
une partie pour sauver le reste. C'est une de ces demi-mesures, un de ces moyens
termes auxquels on recourt d'instinct, que l'ignorance superficielle a toujours
dédaignés, mais qui n'en sont pas moins, en réalité, de la plus haute
valeur. On peut les comparer aux « fictions » juridiques qui, à un moment
donné, ont été la condition de tous les progrès durables. Un autre de ces
utiles compromis se rapportait à l'activité des dieux eux-mêmes. Les
Thessaliens, nous dit Hérodote, considèrent comme une oeuvre de Poséidon la
profonde gorge qui forme le lit du Pénée (06). «
Et non sans raison, ajoute-t-il d'une manière très significative, car celui
qui croit que Poséidon ébranle la terre et que les gorges formées par des
tremblements de terre sont les oeuvres de ce dieu, ne pourra s'empêcher, en
voyant celle-ci, de la tenir aussi pour un ouvrage de Poséidon. En effet, à ce
qu'il me semble, cette fissure de la montagne est le résultat d'un tremblement
de terre. » Cela signifie-t-il que l'historien d'Halicarnasse ait rejeté tout
à fait et par principe les interventions surnaturelles, et qu'il ait
considéré chaque dieu comme présidant simplement à un département de la
nature ou de la vie soumis à l'action de forces régulières ? Absolument pas.
Des dispositions marquées à une science positive se croisent dans son esprit
avec des tendances non moins fortes dérivées de l'antique conception
religieuse. Il avait voué une attention en une certaine mesure systématique
aux transformations de la surface terrestre, et ramené les phénomènes
particuliers à des causes générales ; c'est pourquoi il peut, dans ce
domaine, se passer des interventions divines directes. Sur ce point, il a été
l'élève de ses prédécesseurs Anaximandre et Xénophane ; il l'a été aussi,
et cette fois sans dommage pour lui, des prêtres égyptiens. Grâce à ces
derniers il est en mesure d'expliquer la formation du delta du Nil d'une
manière parfaitement exacte et rationnelle, faisant preuve d'un don
d'observation pénétrante et parlant en même temps et sans hésitation de
périodes extrêmement longues : n'évalue-t-il pas l'âge actuel de la terre à
vingt mille ans environ (07) ? En d'autres
occasions encore, il exprime des doutes sur l'intervention d'êtres divins. Les
mages de la Perse avaient, disait-on, apaisé un violent orage par des
sacrifices et des exorcismes ; Hérodote rapporte cette version, mais non sans
ajouter cette sceptique remarque : « Ou peut-être l'orage s'est-il calmé de
lui-même (08). » Et précisément à propos de
cet orage qui fut si funeste à la flotte perse, il laisse en suspens la
question de savoir s'il a, oui ou non, été provoqué par les prières et les
sacrifices des Athéniens à Borée. Ici, sans doute, ses doutes ont été
éveillés par la proximité immédiate des prétentions contraires émises en
même temps par les Grecs et par les Barbares.
En revanche, quand un correctif comme celui-là lui a fait défaut, et surtout
quand une émotion violente a relégué ses réflexions à l'arrière-plan,
notre historien accumule les apparitions merveilleuses des dieux, les songes
envoyés par eux, - auxquels il oppose ceux que produisent des causes
naturelles, - les présages significatifs et les prédictions étonnantes. Les
divergences que l'on constate à cet égard entre les diverses parties de
l'ouvrage sont si fortes que certains critiques se sont hasardés à déterminer
par elles la date de composition des différents livres, et à affirmer que dans
l'intervalle les idées religieuses d'Hérodote s'étaient modifiées. De telles
hypothèses, nullement indispensables en elles-mêmes, et dépourvues de toute
base certaine, ne suffiraient d'ailleurs pas pour écarter de la théologie
d'Hérodote toutes les contradictions. Sa conception des choses divines est
essentiellement vacillante, et présente les nuances les plus changeantes. Sa
tendance marquée à ramener à des modèles égyptiens ou à des influences
égyptiennes nombre de divinités ou de cérémonies religieuses de la Grèce (09)
; la hardiesse avec laquelle il affirme « que ce n'est qu'hier ou avant-hier -
c'est-à-dire à peu près quatre cents ans avant lui - qu'Homère et Hésiode
ont donné aux Grecs leur théogonie, et qu'ils ont attribué aux dieux leurs
noms, leurs emplois et leurs dignités aussi bien que leurs formes (10)
», tout cela peut le faire passer pour un adversaire non seulement de
l'anthropomorphisme, mais encore du polythéisme en général. On peut le croire
adversaire de l'anthropomorphisme quand on le voit opposer expressément la
religion naturaliste des Perses aux dieux à figure humaine des Grecs, et nous
dire des premiers, non sans une approbation intérieure, qu'ils offrent des
sacrifices aux grandes puissances naturelles, « au Soleil, à la Lune, à la
Terre, au Feu, à l'Eau et aux Vents », et que, sous le nom de Zeus ils
n'entendent pas autre chose que l'ensemble du firmament (11).
Il serait difficile de contester qu'il ait éprouvé quelques accès d'un doute
analogue, sous l'influence peut-être des doctrines de Xénophane et d'autres
philosophes. Mais ces doutes n'avaient pris dans son esprit que de bien
légères racines : il lui suffit d'avoir, un jour, soumis à une critique
incisive une légende héroïque de la Grèce, pour se sentir pénétré d'un
véritable effroi et pour se croire obligé d'en demander humblement pardon aux
dieux et aux héros offensés par lui (12). Dans le
même passage précisément, il accorde la préférence, parce qu'elle est la «
plus juste », à la doctrine de ceux de ses compatriotes qui admettaient un
double Héraclès, l'un ancien et vraiment divin, l'autre plus jeune et qui
n'est qu'un héros ou un homme divinisé. Il approuve ces Grecs de distinguer
entre les deux et de leur consacrer des sanctuaires séparés. C'est là, soit
dit en passant, la plus ancienne application de cet expédient de la critique,
qui, plus tard, a si souvent servi à faire disparaître les contradictions de
la tradition légendaire. Ces accès de scepticisme n'ont guère laissé en lui,
comme résidu solide, qu'une conviction : pour lui, la certitude du savoir
humain, en ce qui concerne les choses divines, n'est pas bien grande, et nous
les voyons, à travers les descriptions des poètes, comme à travers un voile
qui les trouble. « Si d'ailleurs on peut se fier aux poètes épiques »,
voilà la réserve qu'il exprime dans une occasion particulière (13)
mais cette réserve a pour lui une portée tout à fait générale. Et nous le
voyons se plaindre très sérieusement de ce que « tous les hommes en savent
autant les uns que les autres sur les choses divines », c'est-à-dire aussi peu
les uns que les autres (14).
Nous ne pourrons pas non plus, par conséquent, considérer Hérodote comme un
monothéiste déguisé, quoiqu'il soit assez compréhensible que, aux yeux de
plusieurs, il ait passé pour tel. Ce n'est pas sans étonnement sans doute que
nous l'entendons, quand il discute avec indépendance des questions religieuses,
parler non pas d'Apollon ou d'Athéna, d'Hermès ou d'Aphrodite ; mais presque
exclusivement de « Dieu » et de la « divinité ». Mais notre surprise
diminue lorsque nous y regardons de plus près : il ne s'agit, dans tous ces
passages, que des lois générales qui régissent le monde. En pareil cas,
Homère fait intervenir presque sans distinction, et même dans une immédiate
proximité, les dieux et Zeus. Ainsi, dans les vers magnifiques où il fait
ressortir à nos yeux la fragilité de la destinée humaine avec d'incomparables
accents : « Rien n'est plus misérable que l'homme parmi tout ce qui respire ou
rampe sur la terre, et qu'elle nourrit. Jamais, en effet, il ne croit que le
malheur puisse l'accabler un jour, tant que les dieux lui conservent la force et
que ses genoux se meuvent ; mais quand les dieux heureux lui ont envoyé les
maux, il les supporte malgré lui d'un cœur patient. Tel est l'esprit des
hommes terrestres, semblable aux jours changeants qu'amène le père des hommes
et des dieux (15). » Partout où les dieux
agissent ensemble, partout où il n'est pas question de leurs visées
séparées, mais d'une manifestation commune de leur volonté, on est tenté de
les considérer soit comme les exécuteurs des ordres du dieu suprême, soit
comme les représentants d'un principe qui leur est également inné à tous.
Telle est la conception d'Hérodote ; si incertaine que soit sa science
relativement aux dieux individuels, et si profonde que soit sa répugnance pour
tout grossier anthropomorphisme, nous n'avons pas le droit de lui attribuer une
attitude négative à l'égard du panthéon hellénique.
Sa pensée, à ce sujet, se distingue de celle d'Homère sur trois points
principaux. Une méditation prolongée et sérieuse sur l'ordre de la nature et
sur la destinée humaine, jointe â l'intelligence plus développée qu'on avait
de l'unité du gouvernement de l'univers, offrait des occasions incomparablement
plus fréquentes de parler des lois générales qui le régissent. D'autre part,
la foi en la vérité littérale des récits mythiques avait diminué, et
l'image du dieu suprême se voyait, par suite, dépouillée de plus d'un trait
humain inséparable autrefois de son essence. Enfin, on relève ici les traces
de l'influence des philosophes, qui depuis longtemps avaient trouvé la source
primitive de toute existence dans un principe impersonnel supérieur aux dieux
particuliers. Le régulateur de l'univers, auquel obéit aussi bien la volonté
des dieux eux-mêmes que la destinée des hommes, ne possède plus maintenant de
caractère strictement personnel, ou du moins il a perdu sa richesse en traits
individuels ; c'est pourquoi, sans une trop grande inconséquence, on peut
l'appeler tour à tour le dieu ou la divinité. Mais voici encore une
contradiction, et la plus importante de toutes. Ce principe primordial, qui
oscille entre le personnel et l'impersonnel, apparaît tantôt comme un être
secourable et plein de bienveillance, tantôt comme un être défavorable et
malveillant, et vaines sont toutes les tentatives pour faire disparaître ou
même seule-ment pour atténuer cette opposition. « Dans sa sagesse », la «
Providence divine » a accordé une très grande fécondité aux animaux faibles
et craintifs, mais elle a limité la multiplication des animaux forts et
malfaisants : il n'en fallait pas moins pour la conservation et la prospérité
des créatures (16). Souvent aussi, elle bénit les
actions et assure le salut des hommes par des décrets et des dispensations
favorables. Mais,, d'autre part, elle se plaît à précipiter tout ce qui « se
glorifie », à abaisser « tout ce qui s'élève », « tout comme la foudre se
décharge sur les hautes demeures et les grands arbres ». C'est pourquoi, dans
le discours qu'il fait prononcer au sage Solon, Hérodote dit que la divinité
est jalouse et trouve son plaisir à tout bouleverser (17).
Et cette divinité suprême, qui se confond ici avec le destin, ne se contente
pas de manifester, suivant l'occasion, la tendresse d'un père ou l'envie d'une
marâtre ; il y a aussi en elle une justice sévère qui la porte à punir
inexorablement les fautes des hommes. Ces éléments contradictoires n'étaient
pas complètement étrangers non plus à l'ancienne mythologie. Mais dès lors
les esprits avaient scruté plus à fond l'idée de la finalité de l'univers ;
les subites vicissitudes du sort et les grandes révolutions historiques les
avaient assombris ; en même temps, la conscience morale avait acquis plus de
profondeur ; aussi, non seulement les divergences et les contradictions des
théories destinées à expliquer les phénomènes avaient-elles pris plus
d'intensité, mais la dissonance était devenue plus aiguë parce que les
tendances et les volontés en conflit, au lieu de se répartir sur une foule
d'êtres individuels en lutte les uns contre les autres, s'étaient concentrées
dans un être, c'est-à-dire dans la suprême divinité.
En ce qui concerne le rôle de juge attribué à celle-ci, et auquel nous venons
de faire allusion, nous constatons une distinction tout à fait étonnante.
Tantôt ce rôle apparaît comme une partie de ce qu'on pourrait appeler l'ordre
naturel agissant automatiquement ; tantôt il s'exerce suivant un plan arrêté
: le juge divin choisit avec un art sûr de lui-même les moyens les mieux
appropriés à ses buts, se joue de toutes les intentions humaines et les force
à servir ses propres desseins. Lorsque Darius fit sommer les villes grecques de
se soumettre, les prescriptions sacrées du droit des gens furent violées, à
Athènes aussi bien qu'à Sparte, par le massacre de ses hérauts. « Comment
donc les Athéniens furent punis de ce qu'ils avaient fait », Hérodote
reconnaît franchement qu'il n'est pas en mesure de le dire, « si ce n'est que
le Perse détruisit leur ville et dévasta leur territoire ». Mais, ajoute-t-il
immédiatement, « je ne crois pas que ce fut pour cette raison ». Quant aux
Spartiates, nous dit-il ensuite, le courroux du divin ancêtre de leurs
hérauts, Talthybios, se déchaîna sur eux, provoqué par le meurtre des
messagers des Perses. Pendant des années, les sacrifices offerts aux dieux
furent accompagnés de présages funestes. Alors deux Lacédémoniens, des plus
distingués par leur naissance et leurs richesses, Bulis et Sperthias,
consentirent à purifier leur ville natale de son crime en se rendant à Suse
pour s'y offrir, comme victimes volontaires, aux successeurs de Darius. Quoique
le grand roi eût refusé cette offre, leur démarche suffit pour apaiser
momentanément la colère de Talthybios. Mais, longtemps après, dans les
premières années de la guerre du Péloponnèse, elle se réveilla, et les fils
de Bulis et de Sperthias, qui avaient été envoyés en ambassade en Asie,
furent faits prisonniers par un roi thrace, livrés aux Athéniens et mis à
mort par ceux-ci (18). Cet événement est pour
Hérodote une des preuves les plus éclatantes de l'intervention immédiate de
la divinité dans les choses humaines. « Car, que la colère de Talthybios se
soit déchaînée sur des ambassadeurs, et qu'elle ne se soit pas apaisée avant
d'avoir eu son effet, tout cela était dans l'ordre ; mais qu'elle soit tombée
sur les fils de ces hommes qui, pour la fléchir, s'étaient précédemment
rendus chez le grand roi, - qui ne verrait là le doigt de la divinité ? »
Même dans les
cas où sa sensibilité religieuse ne l'égare ni ne le détourne, le jugement
d'Hérodote oscille étrangement entre la critique et l'absence de critique. Les
Anciens ont raillé sa crédulité et l'ont appelé, non sans quelque blâme, un
conteur d'histoires. En ce qui nous concerne, nous sommes à peine moins surpris
de l'excès de critique auquel il s'abandonne parfois. S'il croit souvent quand
il devrait douter, il n'est pas rare qu'il doute quand il devrait croire. Il
avait entendu parler des longues nuits polaires, d'une manière, il est vrai, un
peu fabuleuse. Au lieu de dépouiller ce renseignement de son alliage
légendaire en employant, comme il pouvait le faire, la méthode des variations
(plus on se rapproche du pôle, plus les nuits deviennent longues), il préfère
le reléguer dans le domaine des contes, en s'écriant avec emphase : « Qu'il y
ait des hommes qui dorment pendant six mois, je n'en admets pas le premier mot (19).
» Il sait parfaitement bien que les Grecs tirent du nord de l'Europe l'étain
aussi bien que l'ambre ; mais il leur en veut de chercher la patrie de ce métal
dans le groupe d'îles que, précisément à cause de cet important produit, ils
appelaient les « îles d'Étain » (Cassitérides). Malgré tous ses efforts,
dit-il, il n'a pu trouver un voyageur qui lui affirme avoir vu de ses propres
yeux la mer dont l'Europe est limitée au Nord (20).
Il connaît la tendance qu'a l'esprit humain d'attendre dans les produits de la
nature une mesure plus que commune de régularité et de symétrie, et il se
moque, non sans quelque raison, de ses prédécesseurs, qui, dans leurs cartes,
prêtaient à l'Asie et à l'Europe des contours égaux. Mais il ne peut que «
rire » également en voyant que ces mêmes géographes - c'est surtout
d'Hécatée qu'il veut parler - représentent la terre parfaitement ronde, «
comme si elle avait été faite au compas (21) ».
On voit comme il était peu préparé à accepter la doctrine, proclamée par
Parménide, de la sphéricité de la terre. Mais le plus fort, c'est qu'il
s'abandonne lui-même une fois à cette tendance trompeuse qui pousse à
admettre des régularités fictives, tendance qu'il reproche, comme nous venons
de le voir, à ses prédécesseurs, même quand ils étaient dans le vrai. C'est
ainsi qu'il flaire un certain parallélisme entre le cours du Nil et celui du
Danube, et pour ce motif seulement que ce sont les deux plus grands fleuves à
lui connus (22). En tout temps, il a été
particulièrement difficile de juger avec certitude des limites de variation
possibles dans le monde organique. Nous ne blâmerons donc pas Hérodote de ne
pas avoir tenu a priori pour incroyable l'existence de serpents ailés en Arabie
(23), mais il nous sera bien permis de nous
étonner qu'il n'ait pas relégué au nombre des êtres fabuleux les prétendues
fourmis géantes du désert Indien, qui sont plus grosses que des renards, plus
petites que des chiens, et qui entassent un sable mélangé d'or (24),
tandis qu'il conteste l'authenticité des Arimaspes qui n'auraient qu'un oeil,
en déclarant expressément : « qu'il ne croit pas que des hommes, constitués
pour le reste comme les autres, naissent avec un seul oeil (25).
»
Pour terminer, nous relèverons une déclaration de l'historien qui marque le
point culminant auquel devait atteindre sa pensée scientifique. Parmi les
diverses tentatives faites pour expliquer le débordement du Nil, Hérodote en
traite une avec un dédain particulier ; c'est celle qui rattache l'énigmatique
phénomène - d'une manière qu'il nous est impossible de comprendre aujourd'hui
- au fleuve Océan qui entoure la terre. Il la cite - comme une des deux
théories qu'il juge à peine dignes d'être mentionnées, et « comme la plus
absurde des deux, quoiqu'elle paraisse la plus merveilleuse ». Quand il dit
précisément de cette tentative d'explication : « Mais celui qui fait
intervenir l'Océan, et qui transporte ainsi la question dans le domaine de
l'impénétrable, se dérobe à toute réfutation », veut-il peut-être faire
entendre qu'il est impossible de dire si cette théorie est juste et s'abstenir
de prononcer un jugement ? Assurément pas; car alors le dédain si ouvertement
exprimé dans ce qui précède s'accorderait mal avec une pareille opinion, de
même que l'âpre moquerie de la phrase suivante: « Car je ne sache pas qu'il y
ait un fleuve Océan, et je pense qu'Homère ou l'un des plus anciens poètes,
en ayant inventé le nom, l'a introduit dans ses vers (26)
» Évidemment, il n'a rien pu vouloir dire que ceci : une opinion qui s'éloigne
si complètement du domaine des faits et de la perception sensible qu'elle
n'offre pas la moindre prise à la réfutation, est par cela même jugée. En
d'autres termes : pour qu'une hypothèse mérite quelque considération, pour
qu'elle soit digne d'être discutée, il faut, en dernière analyse, qu'elle
puisse être vérifiée. Cette fois, Hérodote se place à un point de vue pure
(01) Les
fragments d'Hécatée se trouvent dans C. Müller, Fragmenta historicorum
Graecorum, I sq. Sur son rôle politique, cf. Hérodote, V 36 et 125 sq.,
ainsi que Diod., X 25, 2, Dindorf. Son aventure à Thèbes est racontée par
Hérodote, II 143. Sa tendance rationaliste est déjà caractérisée par Grote,
Hist. de la Grèce, II 121 sq.; dernièrement elle a été mise en
lumière par Diels, dans l'Hermès, 22, 411 sq. Ed. Meyer a exprimé des
idées analogues aux nôtres, dans le Philolog., N. F., II 270.
(02) Parmi les nombreux ouvrages
consacrés à Hérodote, je me fais un plaisir de citer le petit livre, aussi
modeste que plein de mérite, de Hoffmeister, Sittlich-religiöse
Lebensanschauung des Herodotos, Essen 1832.
(03) I 1 sq.
(04) II 113 sq.
(05) II 54 sq.
(06) VII 129.
(07) II 11 sq.
(08) VII 189 sq.
(09) II passim.
(10) II 53.
(11) I 131.
(12) II 45.
(13) II 120.
(14) II 3.
(15) Od., XVIII 139 sq., trad. Leconte
de Lisle.
(16) III 108.
(17) VII 10 ; I 32.
(18) VII 133 sq.
(19) IV 25.
(20) III 115.
(21) IV 36.
(22) II 33.
(23) III 107.
(24) III 102.
(25) III 116.
(26) II 21. A ce sujet, voir la
dissertation de l'auteur dans les Herodoteische Studien, II 8 (526 sq.), Wiener
Sitzungsber., 1883.