Xénophon, traduit par Chambry

XENOPHON

HELLENIQUES

LIVRE III.

Traduction française · Pierre Chambry.

 

autre traduction : Talbot

 

CHAPITRE PREMIER 

LES VILLES GRECQUES D'ASIE IMPLORENT LE SECOURS DE SPARTE CONTRE TISSAPHERNE, QUI MENACE LEUR INDÉPENDANCE. LES SPARTIATES LEUR ENVOIENT THIBRON AVEC UNE ARMÉE QUI SE GROSSIT DE CEUX DES DIX MILLE QUI SONT REVENUS DE COUNAXA. THIBRON, JUGÉ INCAPABLE, EST REMPLACÉ PAR DERCYLIDAS QUI S'ENTEND AVEC TISSAPHERNE ET ATTAQUE L'ÉOLIDE, PROVINCE DE LA SATRAPIE DE PHARNABAZE. ÉPISODE DE MANIA. DERCYLIDAS S'EMPARE DE L'ÉOLIDE ET SE JOUE DE MEIDIAS, QUI AVAIT ASSASSINÉ MANIA POUR DEVENIR GOUVERNEUR DE CE PAYS (ANNÉES 401-399 AV. J.-C).

1. C'est ainsi que finirent les dissensions à Athènes. Peu de temps après, Cyrus envoya des députés à Lacédémone pour demander que les Lacédémoniens fussent pour lui ce qu'il avait été pour eux dans leur guerre contre les Athéniens. Les éphores, reconnaissant la justice de sa demande, envoyèrent dire à Samios, qui était alors navarque, de se mettre au service de Cyrus, si ce prince avait besoin de lui. Samios s'empressa de faire tout ce que Cyrus lui demanda. En effet, réunissant sa flotte à celle de Cyrus, il contourna l'Asie jusqu'en Cilicie, et mit Syennésis, gouverneur de cette province, dans l'impossibilité de s'opposer par terre à Cyrus marchant contre le roi. 

2. Comment Cyrus rassembla une armée et marcha ensuite contre son frère, comment se livra la bataille, comment il y périt et comment après cela, les Grecs parvinrent heureusement à la mer, tout cela a été raconté par Thémistogénès de Syracuse (84). 

3. Cependant Tissapherne, que le roi avait fort apprécié dans la guerre qu'il avait soutenue contre son frère, envoyé comme satrape, non seulement des pays qu'il avait gouvernés auparavant, mais encore de ceux de Cyrus, émit aussitôt la prétention de soumettre à son obéissance toutes les villes de l'Ionie. Mais celles-ci qui voulaient demeurer libres et qui redoutaient Tissapherne, parce qu'elles lui avaient préféré Cyrus de son vivant, refusèrent de le recevoir et envoyèrent des députés aux Lacédémoniens pour leur demander, puisqu'ils étaient les chefs de la Grèce tout entière, de les protéger, eux aussi, les Grecs d'Asie, d'empêcher le pillage de leur pays et de sauver leur liberté. 

4. En conséquence, les Lacédémoniens leur envoient Thibron comme harmoste, à la tête d'une armée de mille néodamodes environ et d'à peu près quatre mille autres Péloponnésiens. Thibron demanda en outre aux Athéniens trois cents cavaliers, déclarant qu'il leur fournirait lui-même une solde. Les Athéniens lui envoyèrent des cavaliers qui avaient servi sous les Trente, pensant que, s'ils quittaient le pays et périssaient, ce serait tout profit pour le peuple. 

5. Arrivé en Asie (85), Thibron leva aussi des troupes dans les villes grecques du continent; car en ce temps, un Lacédémonien n'avait qu'à donner des ordres pour être obéi de toutes les villes. Cependant avec cette armée, Thibron, qui avait sous les yeux la cavalerie ennemie, ne descendait pas en plaine; il se contentait de pouvoir préserver du pillage le pays où il se trouvait. 

6. Toutefois, lorsque les Grecs qui avaient fait campagne avec Cyrus et qui avaient échappé à l'ennemi, se furent joints à ses troupes, il affronta dès lors Tissapherne même en plaine et il s'empara de Pergame, qui se rendit volontairement, de Teuthrania et d'Halisama, où commandaient Eurysthénès et Proclès, descendants de Dèmaratos (86) le Lacédémonien, à qui le roi avait fait présent de ce pays pour l'avoir accompagné dans son expédition contre la Grèce. Il vit aussi venir à lui Gorgion et Gongylos, deux frères, qui possédaient, l'un Gambrion et Palaigambrion et l'autre, Myrina et Gryneion. Ces villes avaient été données par le roi à Gongylos (87), parce que, ayant été le seul des Erétriens qui eût épousé le parti des Mèdes, il avait dû s'exiler. 

7. Thibron s'empara aussi par la force de quelques villes faibles. Mais Larisa, surnommée l'Égyptienne (88), refusant de lui obéir, il campa autour d'elle et la bloqua. Voyant qu'il ne pouvait la prendre autrement, il fit creuser un puits et un canal souterrain pour lui enlever l'eau. Mais comme les assiégés faisaient de fréquentes sorties et jetaient dans le puits du bois et des pierres, il le couvrit d'un mantelet de bois. Mais les Lariséens, dans une sortie de nuit, le brûlèrent complètement. Voyant que Thibron ne faisait rien, les éphores lui envoyèrent l'ordre de quitter Larisa et de faire une expédition en Carie. 

8. Il était déjà à Éphèse, prêt à partir pour la Carie, lorsque Dercylidas arriva pour prendre le commandement de l'armée. C'était un homme qui avait la réputation d'être plein de ressources, si bien qu'on l'avait surnommé Sisyphe (89). Thibron s'en retourna donc dans sa patrie, où il fut puni de l'exil, les alliés l'ayant accusé d'avoir permis à ses soldats de piller des peuples amis. 

9. Lorsque Dercylidas eut pris le commandement de l'armée, sachant que Tissapherne et Pharnabaze se suspectaient l'un l'autre, il s'entendit avec Tissapherne et conduisit son armée sur le territoire de Pharnabaze, préférant avoir affaire à l'un des deux plutôt qu'aux deux à la fois. D'ailleur Dercylidas était depuis longtemps l'ennemi de Pharnabaze; car du temps qu'il était harmoste à Abydos et que Lysandre était navarque, il avait été calomnié par ce satrape et condamné à se tenir debout un bouclier à la main, ce qui est une peine infamante pour un honnête Lacédémonien, car c'est la punition infligée à l'homme qui abandonne son rang. C'est pour cette raison qu'il marchait beaucoup plus volontiers contre Pharnabaze. 

10. Il se montra dès le début bien supérieur à Thibron dans l'exercice du commandement; car il mena son armée en pays ami jusqu'à l'Éolide de Pharnabaze, sans causer aucun dommage aux alliés. Cette Éolide appartenait bien à Pharnabaze; mais en fait c'était le Dardanien Zènis qui en exerça à sa place le gouvernement, tant qu'il vécut. Zènis étant mort de maladie, Pharnabaze se préparait à donner la satrapie à un autre; mais la femme de Zènis, Mania, dardanienne elle-même, ayant rassemblé une escorte et préparé des cadeaux pour les donner à Pharnabaze et pour gagner la faveur de ses concubines et de ceux qui avaient le plus de crédit sur lui, se mit en route pour le voir. 

11. Ayant obtenu audience, elle lui dit : « Mon mari, Pharnabaze, était entièrement dévoué à ta personne et il te payait régulièrement les tributs, si bien que tu le louais et l'honorais. Si donc moi-même je te sers aussi bien que lui, qu'as-tu besoin de nommer un autre satrape ? Si je ne te donne pas satisfaction, il te sera toujours possible de m'ôter le commandement et de le donner à un autre. » 12. Après l'avoir entendue, Pharnabaze décida qu'elle aurait la satrapie. Une fois maîtresse du pays, non seulement elle paya les tributs avec la même fidélité que son mari, mais encore chaque fois qu'elle rendait visite à Pharnabaze, elle ne manquait pas de lui apporter des présents et, quand il descendait dans sa province, elle le recevait avec beaucoup plus de magnificence et d'attentions que tous les autres gouverneurs. 

13. Elle ne se borna pas à lui conserver les villes qu'elle avait reçues, mais elle ajouta à sa domination des villes de la côte qui étaient indépendantes, Larisa, Hamaxitos et Colones. Elle attaqua leurs murs avec des mercenaires grecs, qu'elle regardait faire du haut de sa voiture. Quand elle avait à féliciter quelqu'un d'eux, elle lui faisait des présents appropriés à son mérite. Aussi elle avait organisé un magnifique corps de mercenaires, et elle accompagnait Pharnabaze dans ses expéditions, même quand il marchait contre les Mysiens et les Pisidiens, qui ravageaient le pays du roi. Aussi Pharnabaze lui rendait-il de grands honneurs et il l'appelait quelquefois à son conseil. 

14. Elle avait déjà plus de quarante ans, quand Meidias, le mari de sa fille, prêta l'oreille aux excitations de gens qui lui remontraient qu'il était honteux pour lui de laisser le pouvoir aux mains d'une femme et de rester lui-même simple particulier. Elle se gardait soigneusement de tout le monde, comme il convient au pouvoir tyrannique, mais elle avait confiance en lui et l'accueillait aimablement comme une femme accueille son gendre; il en profita pour s'introduire chez elle et l'étrangla. dit-on. Il tua également son fils, âgé d'environ dix-sept ans et qui était d'une beauté parfaite. 

15. Cela fait, il s'empara des places fortes de Scepsis et de Gergis, où Mania tenait la plus grande partie de ses trésors. Les autres villes refusèrent de le recevoir et leurs garnisons les conservèrent à Pharnabaze. Ensuite Meidias envoya des présents à Pharnabaze, en lui demandant de lui confier la province comme il l'avait fait à Mania. Pharnabaze lui répondit de les garder jusqu'à ce qu'il vînt lui-même se saisir de ses dons avec sa personne; car il ne voulait pas vivre, disait-il, sans venger Mania. 

16. Ce fut à ce moment que Dercylidas arriva. Aussitôt et le même jour il prit possession de Larisa, d'Hamaxitos et de Colones, villes maritimes qui se donnèrent à lui. Il députa ensuite aux villes d'Éolide, leur demandant de reprendre leur indépendance, de le recevoir dans leurs murs et de devenir ses alliés. Les habitants de Néandria, d'Ilion et de Cocylion se rendirent à ses propositions; car les garnisons grecques qui s'y trouvaient n'étaient plus guère bien traitées, depuis la mort de Mania. 

17. Mais le commandant de celle de Cébrène, place très forte, espérant qu'il serait récompensé par Pharnabaze, s'il lui conservait la ville, ne reçut pas Dercylidas. Celui-ci, irrité, se prépara à l'attaquer. Mais comme les sacrifices qu'il offrit ne se montrèrent pas favorables le premier jour, il sacrifia de nouveau le lendemain. Les présages étant toujours défavorables, il recommença le troisième jour, et continua quatre jours de suite à consulter les victimes, très affecté de ce retard, car il avait hâte de réduire l'Éolide tout entière avant l'arrivée de Pharnabaze. 

18. Un certain Athènadas, lochage sicyonien, trouvant que Dercylidas perdait son temps à des bagatelles et se croyant capable d'enlever l'eau aux Cébrèniens, s'élança avec sa compagnie pour essayer de combler la source. Mais les assiégés firent une sortie, le blessèrent lui-même et lui tuèrent deux hommes et repoussèrent les autres à force de coups et de traits. Dercylidas en fut contrarié; car il pensait que ses soldats auraient moins de coeur à l'attaque, lorsqu'il arriva du rempart des hérauts envoyés par les Grecs pour déclarer qu'ils désapprouvaient la conduite de leur chef et qu'ils préféraient pour leur part marcher avec les Grecs plutôt qu'avec le barbare. 

19. Ils étaient en pourparlers qu'un émissaire de leur chef se présenta et dit que celui-ci approuvait lui-même les propositions que ses hommes venaient d'apporter. Aussitôt Dercylidas, qui avait justement ce jour-là obtenu des présages favorables, fit prendre les armes à ses troupes et les conduisit aux portes de la ville. On les lui ouvrit et on le reçut. Il mit dans cette place aussi une garnison et marcha aussitôt sur Scepsis et Gergis. 

20. Meidias qui s'attendait à l'arrivée de Pharnabaze et qui craignait déjà ses sujets, dépêcha vers Dercylidas pour lui dire qu'il viendrait conférer avec lui, s'il voulait lui donner des otages. Dercylidas lui en envoya un de chaque ville alliée, en l'invitant à en prendre autant qu'il voudrait et ceux qu'il lui plairait. Meidias en prit dix et, sortant de la ville, il vint trouver Dercylidas et lui demanda quelles conditions il mettait à son alliance. « Mes conditions, répondit Dercylidas, c'est que tu laisseras aux citoyens la liberté et l'indépendance. » Et tout en disant cela, il marcha sur Scepsis. 

21. Reconnaissant qu'il ne pouvait l'en empêcher sans l'assentiment de ses sujets, Meidias le laissa entrer. Dercylidas, après avoir sacrifié à Athéna dans l'acropole de Scepsis, en fit sortir la garnison de Meidias et remit la ville aux citoyens, en les exhortant à se gouverner comme il convient à des Grecs et à des hommes libres; puis il sortit et marcha sur Gergis, escorté d'un grand nombre de Scepsiens, qui voulaient lui rendre honneur et témoigner leur joie de l'événement. 

22. Meidias, qui l'accompagnait, le pressait de lui laisser la ville de Gergis. Dercylidas lui répondit qu'il ne serait lésé en aucun de ses droits, et tout en disant cela, il marchait avec lui vers les portes, suivi de ses troupes, qui s'avançaient pacifiquement sur deux files. Les gens postés sur les tours, qui étaient extrêmement hautes, reconnaissant Meidias avec lui, ne lancèrent aucun trait. Dercylidas lui dit alors : « Donne l'ordre, Meidias que l'on ouvre les portes, afin que tu me montres le chemin et que j'aille au temple avec toi sacrifier à Athéna. » Meidias hésitait à faire ouvrir les portes, mais, craignant d'être arrêté sur-le-champ, il donna l'ordre de les ouvrir. 

23. Dès qu'il fut entré, Dercylidas, toujours suivi de Meidias, s'achemina vers l'acropole. Il ordonna à ses soldats de se poster en armes le long des murs et lui-même avec son escorte offrit un sacrifice à Athéna. Le sacrifice achevé, il ordonna aux gardes de Meidias de se ranger en armes sur le front de son armée; il les prenait à sa solde, puisque Meidias n'avait plus rien à craindre. 

24. Cependant Meidias, ne sachant que faire, lui dit : « Je m'en vais à présent faire mes préparatifs pour t'offrir l'hospitalité. — Non, par Zeus, répondit Dercylidas; je rougirais, quand je viens de sacrifier, d'être reçu par toi, au lieu de te recevoir moi-même. Reste donc avec nous. Pendant qu'on préparera le repas, nous allons examiner, toi et moi, ce qu'il est juste que nous fassions à l'égard l'un de l'autre, et nous agirons en conséquence. » 

25. Quand ils se furent assis, Dercylidas l'interrogea. « Dis-moi, Meidias, ton père t'a laissé maître de son bien ? — Sans doute, répondit Meidias. — Combien y avait-il de maisons ? combien de champs ? combien de pâtures ? » Comme il en faisait la liste, ceux des Scepsiens qui étaient présents dirent : « Cet homme te trompe, Dercylidas. 

26. - Et vous, dit-il ne soyez pas trop pointilleux. » Quand Meidias eut fait la liste de ses biens paternels : « Dis-moi, demanda Dercylidas, à qui appartenait Mania ? » Tout le monde répondit : « A Pharnabaze. — Alors les biens de cette femme, reprit-il, appartenaient aussi à Pharnabaze ? — Certainement, dirent-ils. — En ce cas, ils sont à nous, puisque nous sommes victorieux et que Pharnabaze était notre ennemi. Qu'on nous conduise, ajouta-t-il, là où sont les biens de Mania et de Pharnabaze. » 

27. On le mena à la maison de Mania, dont Meidias avait pris possession, et celui-ci l'y suivit. Quand Dercylidas fut entré, il appela les intendants, les fit saisir par ses serviteurs et leur déclara que, si on les prenait à voler quoi que ce fût des biens de Mania, ils seraient égorgés sur-le-champ. Les intendants lui montrèrent tout ce qu'elle avait possédé. Quand il eut tout vu, il le fit mettre sous clef, le scella et y posta des gardes. 

28. En sortant, il dit à ceux de ses taxiarques et lochages qu'il trouva devant les portes : « Nous avons, messieurs, réalisé de quoi payer pendant près d'un an une armée de huit mille hommes. Si nous trouvons encore autre chose, nous l'ajouterons à la somme. » Il savait bien, en disant cela, qu'après l'avoir entendu, les soldats seraient plus obéissants et plus zélés. Comme Médias lui demandait : « Et moi, Dercylidas, où dois-je demeurer ? » il répondit : Là où il est très juste que tu demeures, dans ta patrie, Scepsis, et dans la maison de ton père. »

CHAPITRE II

DERCYLIDAS PASSE L'HIVER CHEZ LES THRACES BITHYNIENS. IL FRANCHIT L'HELLESPONT ET PROTÈGE LA CHERSONÈSE CONTRE LES INCURSIONS DES THRACES PAR UN MUR DE TRENTE-SEPT STADES. IL SOUMET LA VILLE D'ATARNEUS. IL SE RENCONTRE AVEC TISSAPHERNE ET PHARNABAZE ET CONCLUT UNE TRÊVE AVEC EUX. LE ROI AGIS ATTAQUE LES ÉLÉENS ET SOUMET L'ÉLIDE (ANNÉES 399-397 AV. J.-C.).

1. Ayant ainsi réalisé ses desseins et pris neuf villes en huit jours, Dercylidas songeait aux moyens de ne pas être à charge aux alliés en passant l'hiver en pays ami, comme l'avait fait Thibron, et d'empêcher cependant Pharnabaze de faire du mal aux villes grecques, avec sa cavalerie, sans qu'il eût à se soucier des Lacédémoniens. En conséquence il lui envoie des députés et lui demande s'il veut la paix ou la guerre. Pharnabaze, pensant que l'Éolide était devenue une base d'opérations contre la Phrygie, sa résidence, se déclara pour une trêve. 

2. La trêve conclue, Dercylidas alla hiverner dans la Thrace bithynienne, et Phamabaze lui-même n'en fut pas du tout fâché; car les Bithyniens étaient souvent en guerre avec lui. Dercylidas ne cessa pas dès lors de piller en toute sûreté la Bithynie et d'avoir des vivres en abondance. Cependant il lui vint, de l'autre côté du détroit, de chez Seuthès (90), un renfort d'Odryses, au nombre d'environ deux cents cavaliers et trois cents peltastes. Ils placèrent leur camp à environ vingt stades de celui des Grecs et l'entourèrent d'une palissade; ils demandèrent à Dercylidas des hoplites pour le garder, puis ils sortirent pour piller et ils ramenèrent un grand nombre de pri­sonniers et un riche butin. 

3. Déjà leur camp regorgeait de prisonniers, quand les Bithyniens apprenant combien d'hommes étaient sortis et combien ils avaient laissé de Grecs à la garde du camp, se rassemblent en masse, peltastes et cavaliers, et, au point du jour, fondent sur les hoplites, qui étaient environ deux cents, et, une fois à portée, leur décochent, les uns des flèches, les autres des javelots. Ils les blessent et les tuent, sans que ceux-ci puissent rien faire, enfermés qu'ils sont dans leur palissade à hauteur d'homme. Enfin les hoplites arrachent les pieux et les chargent; 

4. mais où qu'ils se portent, les autres se retirent et leur échappent facilement, peltastes contre hoplites. De droite et de gauche, il les criblent de javelines et ils en abattent un grand nombre à chaque sortie. À la fin, les hoplites furent exterminés à coups de javelots, comme s'ils eussent été enfermés dans un parc. Cependant une quinzaine d'entre eux se sauvèrent dans le camp des Grecs. Ceux-là s'étaient dès l'abord rendu compte de la situation et s'étaient dérobés pendant le combat, sans éveiller l'attention des Bithyniens. 

5. Après ce rapide succès, les Bithyniens massacrèrent ceux qui gardaient les tentes des Odryses thraces, reprirent tout ce qu'on leur avait pris et se retirèrent. Quand les Grecs alertés vinrent à la rescousse, ils ne trouvèrent plus dans le camp que des cadavres dépouillés. Cependant les Odryses, à leur retour, ensevelirent leurs morts, burent beaucoup de vin en leur honneur, et firent une course de chevaux. Désormais ils campèrent avec les Grecs et continuèrent à ravager et à incendier la Bithynie. 

6. Au début du printemps, Dercylidas quitta la Bithynie pour aller à Lampsaque. Tandis qu'il y était, Aracos, Naubatès et Antisthénès, envoyés par les magistrats de Lacédémone, y arrivèrent aussi. Ils venaient pour examiner l'état général des affaires en Asie et pour dire à Dercylidas de rester et de garder le commandement pendant l'année suivante. Ils avaient également mission de la part des éphores d'assembler les soldats et de leur dire qu'ils blâmaient leur conduite passée, mais les louaient de ce qu'à présent ils ne commettaient plus d'injustices. Ils devaient leur dire aussi qu'à l'avenir, s'ils se permettaient quelque violence, les éphores ne le toléreraient pas; mais que, s'ils se comportaient honnêtement envers les alliés, ils les en féliciteraient. 

7. Mais lorsque après avoir convoqué les soldats, ils eurent dit ce dont ils étaient chargés, le chef des troupes de Cyrus (91) lui répondit : « Nous, Lacédémoniens, nous sommes les mêmes aujourd'hui que l'an passé; mais nous avons un autre chef à présent que celui que nous avions alors. Voilà pourquoi nous ne commettons plus d'abus à présent et pourquoi nous en commettions alors, vous êtes capables de vous en rendre compte par vous-mêmes. » 

8. Comme les envoyés de Sparte et Dercylidas logeaient dans la même tente, quelqu'un de la suite d'Aracos dit qu'ils avaient laissé à Lacédémone des ambassadeurs de la Chersonèse. D'après les envoyés, ces ambassadeurs se plaignaient de ne pouvoir plus cultiver leur pays, parce que les Thraces le pillaient et le ravageaient; mais ils affirmaient que, si on l'isolait par un mur allant d'une mer à l'autre, ils auraient beaucoup de bonne terre à cultiver, eux et tout Lacédémonien qui le désirerait. Ils ajoutèrent qu'ils ne seraient pas étonnés qu'un Lacédémonien fût envoyé de la ville avec une armée pour réaliser cette entreprise. 

9. Dercylidas ne leur dit pas l'idée qui lui était venue en écoutant cette conversation, mais il les fit partir pour Éphèse, en passant par les villes grecques, se félicitant de ce qu'ils allaient voir ces villes en état de paix et de prospérité. Tandis qu'ils étaient en route, Dercylidas, désormais sûr de rester, députa de nouveau à Pharnabaze pour lui demander s'il voulait prolonger la trêve de l'hiver ou recommencer la guerre. Cette fois encore Pharnabaze préféra la trêve. Alors Dercylidas, ayant assuré la paix aux villes alliées de ce pays, traverse l'Hellespont avec son armée et passe en Europe. Il s'avance par la partie de la Thrace qui est son alliée, et après avoir été l'hôte de Seuthès, il arrive dans la Chersonèse. 

10. Il reconnut qu'elle renfermait onze ou douze villes, que le sol était excellent, et produisait des fruits de toute espèce, mais qu'il était, comme on le lui avait dit, ravagé par les Thraces. Il mesura l'isthme et trouva qu'il avait trente-sept stades de largeur. Alors, sans perdre de temps, il fit un sacrifice et se mit à la construction de la muraille. Il partagea entre ses soldats l'espace à bâtir et promit des récompenses à ceux qui auraient achevé les premiers leur portion et aux autres, suivant ce que mériterait chaque équipe. La muraille, commencée au printemps, fut finie avant l'automne. Il enferma ainsi à l'abri du rempart onze villes, plusieurs ports, beaucoup de terre arable, beaucoup de terre plantée, et une grande quantité de magnifiques pâturages pour toute espèce de bétail. 

11. Cela fait, il repassa en Asie. Il inspecta les villes et vit que tout allait bien, mais il découvrit que des fugitifs de Chios (92), maîtres de la place forte d'Atarneus, partaient de là pour ravager l'Ionie et vivaient de leurs rapines. Bien qu'il eût appris que la ville était bien approvisionnée de blé, il l'investit et l'assiégea. Il la soumit en huit mois, y établit comme gouverneur Dracon de Pellènè (93) et amassa dans la place une grande quantité de vivres de toute sorte pour y avoir un pied à terre, quand il y viendrait. Il partit ensuite pour Éphèse, qui est à trois jours de marche de Sardes. 

12. Jusque-là, Tissapherne et Dercylidas, les Grecs d'Asie et les barbares avaient vécu en paix. Mais des ambassadeurs des villes ioniennes se rendirent alors à Lacédémone pour informer les Lacédémoniens qu'il dépendait de Tissapherne, s'il le voulait, de laisser les villes grecques se gouverner elles-mêmes. Il n'y avait, disaient-ils, qu'à ravager la Carie, où Tissapherne avait sa résidence. C'était à leurs yeux le moyen le plus rapide de le forcer à les laisser libres. Ayant entendu leurs déclarations, les éphores envoyèrent l'ordre à Dercylidas de passer en Carie avec son armée et au navarque Pharax de s'y rendre en longeant la côte avec sa flotte. 

13. C'est ce qu'ils firent. Il se trouvait par hasard qu'à ce moment-là Pharnabaze était venu chez Tissapherne pour deux raisons, l'une, que ce dernier avait été nommé généralissime, l'autre qu'il voulait attester qu'il était prêt à faire la guerre en commun avec lui, à être son allié et à l'aider à chasser les Grecs du pays du roi; mais en réalité il était secrètement jaloux de le voir commander en chef et il supportait avec peine la perte de l'Éolide. Après l'avoir entendu, Tissapherne lui dit : « Commence par passer en Carie avec moi, puis nous nous consulterons là-dessus. » 

14. Arrivés en Carie, ils décidèrent de mettre des garnisons suffisantes dans les places fortes et de revenir en Ionie. Dès que Dercylidas apprit qu'ils avaient repassé le Méandre, il s'ouvrit à Pharax de la crainte qu'il avait que Tissapherne et Pharnabaze, traversant un pays sans défense, ne le missent au pillage, et il passa lui-même le fleuve. L'armée s'avançait sans être formée en bataille, parce qu'on sup­posait que les ennemis étaient arrivés déjà sur le territoire d'Éphèse, lorsque tout à coup ils aperçurent en face d'eux des guetteurs postés sur des tertres funéraires. 

15. Escaladant, eux aussi, les tertres qui étaient dans le voisinage et certaines tours qui se trouvaient là, ils aperçoivent, rangés en bataille sur la route qu'ils devaient suivre, des Cariens aux boucliers blancs, toute la partie de l'armée perse que les satrapes avaient avec eux, le contingent grec qu'ils avaient l'un et l'autre et une cavalerie fort nombreuse, celle de Tissapherne à l'aile droite, celle de Pharnabaze à l'aile gauche. 

16. À cette vue, Dercylidas ordonna à ses taxiarques et à ses lochages de ranger en toute hâte leurs hommes sur huit de profondeur et de placer les peltastes aux deux ailes, avec tous les cavaliers qu'il avait, quels qu'ils fussent, tandis que lui-même faisait un sacrifice. 

17. Toutes les troupes qui venaient du Péloponnèse gardèrent leur calme et se préparèrent à combattre, mais parmi celles qui venaient de Priène et d'Achilleion (94), des îles et des villes ioniennes, les unes s'enfuirent, laissant leurs armes dans les champs de blé, car le blé était haut dans la plaine du Méandre, et les autres restèrent, mais on voyait bien qu'elles ne tiendraient pas longtemps. 

18. On annonça alors que Pharnabaze pressait son collègue de livrer bataille, mais que Tissapherne se souvenant de la manière dont les soldats de Cyrus avaient fait la guerre aux Perses et pensant que tous les Grecs leur ressemblaient, ne voulait pas combattre. Aussi envoya-t-il des parlementaires à Dercylidas pour lui dire qu'il désirait avoir une entrevue avec lui. Alors Dercylidas prenant parmi les cavaliers et les fantassins de sa suite ceux qui avaient la plus belle prestance, s'avança vers les parlementaires et leur dit : « Moi, je me préparais à combattre, comme vous voyez; mais puisque votre maître désire une entrevue, je ne m'y refuse pas. Toutefois, si nous devons en venir là, il nous faut donner et recevoir des gages et des otages. » 

19. Sa proposition ayant été agréée et mise à exécution, les se retirèrent, celle des barbares à Tralles, ville de Carie, celle des Grecs à Leucophrys (95), où il y avait un temple d'Artémis très vénéré et un lac de plus d'un stade de long, à fond de sable, dont l'eau intarissable était potable et chaude. Voilà ce qu'on fit alors. Le lendemain, les chefs vinrent au lieu fixé. Ils pensèrent que la meilleure manière de procéder était de s'informer mutuellement à quelles conditions ils concluraient la paix.

20. Dercylidas demanda que le roi laissât les villes grecques indépendantes, Tissapherne et Pharnabaze exigèrent que l'armée grecque, évacuât leur pays et qu'ils retirassent des villes les harmostes lacédémoniens. Cela dit, ils conclurent une trêve qui devait durer jusqu'à ce que Dercylidas eût fait connaître à Lacédémone et Tissapherne au roi ce qui avait été dit entre eux. 

21. Tandis que Dercylidas était ainsi occupé en Asie, dans le même temps les Lacédémoniens, irrités depuis longtemps contre les Éléens, parce qu'ils avaient fait alliance avec les Athéniens, les Argiens et les Mantinéens (96) et parce que, sous prétexte qu'un jugement avait été rendu contre les Lacédémoniens (97), ils refusaient de les admettre aux courses de chevaux et aux luttes d'athlètes; et cela ne leur avait pas suffi; mais lorsque Lichas avait remis son char aux Thébains et que, ceux-ci proclamés vainqueurs, il s'était avancé pour couronner le cocher, ils l'avaient fouetté, lui un vieillard, et l'avaient expulsé; 

22. et plus tard, quand Agis avait été sur l'ordre d'un oracle offrir un sacrifice à Zeus, les Eléens l'avaient empêché de faire des voeux pour le succès de ses armes, alléguant que l'usage de leurs ancêtres défendait aux Grecs de consulter l'oracle à propos d'une guerre contre des Grecs, en sorte qu'Agis était reparti sans avoir sacrifié; 

23. donc, irrités de tous ces outrages, les éphores et l'assemblée avaient décidé de mettre les Éléens à la raison. Ils envoyèrent en conséquence des ambassadeurs à Elis, pour leur faire savoir que les magistrats de Lacédémone trouvaient juste qu'ils rendissent leur liberté aux villes circonvoisines. Les Éléens ayant répondu qu'ils n'en feraient rien, attendu qu'ils tenaient ces villes du droit de la guerre, les éphores décrétèrent la mobilisation, et Agis, à la tête de l'armée, traversa l'Achaïe et envahit l'Elide par la vallée du Larisos (98). 

24. L'armée était à peine dans le pays ennemi et commençait à le ravager, qu'un tremblement de terre se produisit. Agis le prit pour un avertissement du ciel et, sortant du territoire, il licencia l'armée. Sa retraite redoubla l'audace des Éléens, qui envoyèrent des députés dans toutes les villes qu'ils savaient mal disposées pour les Lacédémoniens. 

25. Au cours de l'année, les éphores firent une nouvelle levée contre Elis, et Agis se mit en campagne, suivi des Athéniens et des autres alliés, à l'exception des Béotiens et des Corinthiens. Il envahit l'Elide en passant par Aulon (99). Aussitôt les Lépréates, abandonnant le parti d'Elis, se joignirent à lui et tout de suite, les Macistiens en firent autant, ainsi que leurs voisins les Epitaliens. Tandis qu'il traversait le fleuve, les Létriniens, les Amphidoles et les Marganiens passèrent à lui. 

26. Il arriva ensuite à Olympie et sacrifia à Zeus Olympien, sans que personne essayât de l'en empêcher. Le sacrifice terminé, il marcha contre la ville, ravageant et brûlant le pays, prenant force bétail, faisant des quantités de prisonniers. En apprenant cela, une foule d'Arcadiens et d'Achéens se joignirent volontairement à l'expédition et prirent part au pillage, et cette campagne fut pour le Péloponnèse comme une opération de ravitaillement. 

27. Arrivé devant la ville, Agis ravagea les faubourgs et les gymnases, qui étaient magnifiques. Quant à la ville, qui était sans murailles, on pensa que, s'il ne la prit point, ce ne fut pas faute de le pouvoir, c'est qu'il ne le voulut pas. Pendant que l'armée ravageait le pays et se trouvait autour de Cyllènè (100), Xénias, qui passait pour avoir mesuré au boisseau l'argent qu'il avait hérité de son père, et le parti qui le suivait, voulant passer aux Lacédémoniens, sans l'assentiment du peuple, sortent de leurs maisons l'épée à la main et se mettent à massacrer leurs concitoyens. Ils en tuent un certain nombre et en particulier un homme qui ressemblait à Thrasydaios, chef du parti populaire. Il pensaient bien avoir tué Thrasydaios lui-même, en sorte que le peuple, complètement découragé, ne bougea pas, 

28. que les meurtriers se crurent au bout de leur tâche et que leurs partisans se rassemblaient en armes à l'agora. Mais il se trouva que Thrasydaios dormait encore à l'endroit où il s'était enivré. Quand le peuple sut qu'il n'était pas mort, il accourut de toutes parts autour de sa maison, comme un essaim d'abeilles autour de son roi.

29. Thrasydaios prend ces gens avec lui, se met à leur tête et engage la bataille. La victoire reste au peuple et les auteurs du massacre sont forcés de se réfugier auprès des Lacédémoniens. Quant à Agis, lorsqu'en se retirant il eut passé l'Alphée, il laissa à Epitalion, près de l'Alphée, une garnison sous les ordres de l'harmoste Lysippe, ainsi que les exilés d'Elis, puis il licencia l'armée et rentra lui-même dans sa patrie. 

30. Pendant le reste de l'été et l'hiver suivant, le pays des Éléens fut ravagé par Lysippe et les siens. L'été suivant, Thrasydaios envoya dire à Lacédémone qu'il consentait à démolir les remparts de Phéa (101) et de Cyllènè, à laisser libres les villes de la Triphylie (102), Phrixa, Epitalion, Létrines, Amphidoles et Marganes, et aussi les habitants de l'Acroreia et de Lasion, que revendiquaient les Arcadiens. Toutefois les Eléens prétendaient garder Epeion, ville située entre Hèraia (103) et Macistos, sous prétexte qu'ils avaient acheté toute la contrée à ceux qui possédaient alors la ville pour trente talents qu'ils avaient bel et bien payés. 

31. Mais les Lacédémoniens, sachant que, lorsqu'on a affaire à de plus faibles, il n'est pas plus juste d'acheter de force que de prendre de force, les contraignirent à renoncer également à cette ville. Quant à l'intendance du temple de Zeus Olympien, bien qu'elle ne leur appartînt pas anciennement, ils ne l'ôtèrent pas aux Éléens; car ils pensaient que ceux qui la revendiquaient étaient des paysans, peu faits pour présider au temple. Ces concessions faites, un traité de paix et d'alliance fut conclu entre les Éléens et les Lacédémoniens, et c'est ainsi que se termina la guerre entre ces deux peuples.

CHAPITRE III

MORT D'AGIS. SON FRÈRE AGÉSILAS LUI SUCCÈDE. CONJURATION DE CINADON (ANNÉE 397 AV. J.-C.).

1. Après la guerre, Agis, étant allé à Delphes consacrer le dixième du butin, tomba malade à Hèraia, tandis qu'il revenait à Sparte. Il était alors déjà âgé. On le transporta encore vivant à Lacédémone; mais il ne tarda pas à mourir. On lui fit des funérailles d'une magnificence plus qu'humaine. Quand les jours de deuil eurent été observés et qu'il fallut nommer un roi, Léotychidès qui se disait fils d'Agis et Agésilas, frère d'Agis, se disputèrent le trône. 

2. Léotychidès disait : « Mais la loi, Agésilas, veut que la royauté revienne, non pas au frère, mais au fils du roi, et que, s'il n'a pas de fils, ce soit son frère qui lui succède. — Alors c'est moi qui doit régner. — Comment, alors que je suis vivant ? — Parce que celui que tu appelles ton père a déclaré que tu n'étais pas son fils (104). — Mais ma mère, qui le sait beaucoup mieux que lui, affirme encore à présent que je le suis. — Mais Poseidon a fait voir que tu n'es qu'un menteur, lorsque, par un tremblement de terre, il chassa ton père de la chambre nuptiale au-dehors, et le témoignage du dieu a été confirmé par le témoin qu'on regarde comme le plus véridique, le temps; car tu es né dix mois après qu'il se fut enfui de la chambre nuptiale et n'y reparut plus. » Tels furent les propos qu'ils échangèrent. 

3. Diopeithès, homme très habile à interpréter les oracles, prenant le parti de Léotychidès, déclara qu'il y avait un oracle d'Apollon qui recommandait de se garder de la royauté boiteuse. Mais Lysandre, qui soutenait Agésilas, lui répliqua qu'à son avis, le dieu ne recommandait pas de prendre garde qu'un roi se heurtant le pied ne devînt boiteux, mais plutôt qu'un homme qui n'était pas de sang royal ne prît la royauté, car la royauté serait absolument boiteuse si les chefs de la cité ne descendaient pas d'Hèraclès. 

4. Les citoyens, ayant entendu les raisons des deux partis, choisirent Agésilas pour roi. Il n'y avait pas encore un an qu'Agésilas était roi, lorsqu'un jour qu'il offrait pour l'Etat un des sacrifices prescrits par la loi, le devin déclara que les dieux annonçaient une conspiration des plus terribles. Comme il faisait un nouveau sacrifice, le devin dit que les présages étaient encore plus affreux. Au troisième sacrifice, le devin dit : « Agélisas, il semble, aux signes que je vois, que nous sommes au milieu même des ennemis. » Ils sacrifièrent, alors aux dieux qui détournent les malheurs, et s'arrêtèrent, après avoir obtenu, non sans peine, des présages favorables. Cinq jours ne s'étaient pas encore écoulés qu'un homme dénonce aux éphores une conjuration et son instigateur Cinadon. 

5. Cinadon était un jeune homme d'apparence vigoureuse et de caractère énergique, mais qui n'était pas de la classe des égaux. Les éphores demandant au dénonciateur comment Cinadon disait qu'il exécuterait son entreprise, il répondit que Cinadon, l'ayant amené à l'extrémité de l'agora, lui avait dit de compter combien il y avait de Spartiates sur la place. « Et moi, dit-il, après avoir compté le roi, les éphores, les sénateurs et une quarantaine d'autres, je lui demandai : « Pourquoi donc, Cinadon, m'as-tu fait compter ces gens-là ? — Ceux-là, répondit-il, regarde-les comme tes ennemis; tous les autres au contraire qui sont sur l'agora, au nombre de plus de quatre mille, sont des alliés. » Il ajouta que Cinadon lui montrait dans les rues, ici un ennemi, là deux, qui se trouvaient sur leur route; tous les autres étaient des alliés. Et, de tous ceux qui se trouvaient dans les domaines des Spartiates, il en signalait un comme ennemi, le maître, et beaucoup comme alliés dans chaque propriété. 

6. Les éphores lui demandant combien Cinadon disait avoir de complices de son entreprise, il répondit que celui-ci disait à ce sujet que ceux qui étaient dans le secret avec lui et les autres chefs n'étaient pas du tout nombreux, mais qu'on pouvait compter sur eux, et que les conjurés se disaient sûrs d'avoir pour complices tous les hilotes, tous les néodamodes, tous les inférieurs (105) et tous les périèques; car chaque fois que parmi ces gens-là il était question des Spartiates, aucun ne pouvait cacher le plaisir qu'il aurait à les manger tous crus. 

7. Les éphores lui demandèrent encore : « Mais les armes, où comptaient-ils les prendre ? » Il répondit que Cinadon avait dit : « Naturellement ceux de nous qui sont dans les rangs de l'année ont des armes à eux. » Quant à la foule, Cinadon l'avait conduit, disait-il, au marché au fer et lui avait fait voir des quantités de glaives, d'épées, de broches, de haches, de cognées et de faux, et il avait ajouté que tous les instruments avec lesquels on travaille la terre, le bois et la pierre sont aussi des armes et que la plupart des autres métiers ont dans leurs outils des armes suffisantes, surtout contre des gens désarmés. On lui demanda encore à quel moment les conjurés devaient agir; il répondit qu'on lui avait fait passer l'ordre de ne pas s'éloigner de la ville. 

8. Jugeant par les dépositions qu'ils venaient d'entendre qu'il y avait là un plan bien prémédité, les éphores en furent vivement alarmés, et, sans même convoquer ce qu'on appelle la petite assemblée (106), après s'être abouchés, l'un ici, l'autre là avec certains sénateurs, ils décidèrent d'envoyer Cinadon à Aulon (107) en compagnie d'autres jeunes gens, avec ordre de ramener certains Aulonites et des hilotes inscrits sur la scytale. Ils lui ordonnèrent aussi de ramener une femme qui passait là-bas pour une très belle femme, mais qu'on accusait de corrompre les Lacédémoniens, vieux et jeunes, qui venaient à Aulon. 

9. Cinadon avait déjà rempli pour les éphores d'autres missions du même genre. Cette fois encore, ils lui remirent la scytale où étaient marqués ceux qu'il devait arrêter. Comme il demandait qui parmi les jeunes gens il emmènerait avec lui : « Va, lui dirent-ils, trouver le plus âgé des hippagrètes (108) et prie-le de t'adjoindre six ou sept de ceux qui se trouveront présents. » Ils avaient eu soin de faire savoir à l'hippagrète quels étaient ceux qu'il devait envoyer et aux jeunes gens que c'était Cinadon qu'ils devaient arrêter. Ils dirent encore à Cinadon qu'ils lui enverraient trois voitures, pour ne pas ramener à pied les prisonniers. Ils cherchaient à cacher le mieux possible que l'expédition ne visait qu'un seul homme.

10. Ils ne le firent pas saisir dans la ville, parce qu'ils ne connaissaient pas l'étendue de la conjuration et qu'ils voulaient savoir de Cinadon quels étaient ses complices, avant que ceux-ci eussent appris qu'ils étaient dénoncés et pussent s'échapper. En conséquence ceux qu'on avait chargés de l'arrêter devaient le garder, lui faire dire les noms de ses complices, les écrire et les envoyer aux éphores le plus vite possible. Cette affaire causait un tel souci aux éphores qu'ils firent suivre par une more de cavaliers ceux qui partaient pour Aulon. 

11. Quand Cinadon fut pris, un cavalier vint apporter les noms que celui-ci avait livrés par écrit et l'on se saisit sur-le-champ du devin Tisaménos et des autres conjurés les plus marquants. Lorsque Cinadon fut amené, on le questionna; il avoua tout et dénonça ses complices. A la fin, comme on lui demandait quel but il se proposait donc en tramant ce complot, il répondit : « Je ne voulais être inférieur à personne à Lacédémone. » Alors on lui lia les mains, on lui passa le cou dans un carcan; puis on le battit de verges et on le piqua à coup d'aiguillons et on le mena ainsi par la ville, lui et ses complices. Tel est le châtiment qui leur fut infligé.

CHAPITRE IV

INFORMÉS QUE TISSAPHERNE CONSTRUIT UNE FLOTTE, LES LACÉDÉMONIENS ENVOIENT AGÉSILAS EN ASIE. TRÊVE AVEC TISSAPHERNE. JALOUSIE D'AGÉSILAS CONTRE LYSANDRE. AGÉSILAS FAIT SEMBLANT DE MENACER LA CARIE, ET SE JETTE SUR LA PHRYGIE. PRÉPARATIFS D'AGÉSILAS À ÉPHÈSE. IL MARCHE SUR SARDES, TANDIS QUE TISSAPHERNE L'ATTEND EN CARIE. DÉFAITE DES PERSES. LE ROI, SE CROYANT TRAHI, FAIT TUER TISSAPHERNE ET LE REMPLACE PAR TITHRAUSTÉS (ANNÉES 396-395 av. J.-C.).

1. Sur ces entrefaites, un certain Hérodas, de Syracuse, qui se trouvait en Phénicie avec un armateur, vit des trières phéniciennes, les unes arrivant du dehors, d'autres qu'on équipait dans le port, et d'autres qui étaient encore en construction, et il apprit qu'elles devaient se monter à trois cents (109). Aussi s'embarqua-t-il sur le premier bâtiment en partance pour la Grèce et il courut annoncer aux Lacédémoniens que le roi et Tissapherne préparaient une flotte : quant à sa destination, il dit qu'il l'ignorait. 

2. Les Lacédémoniens alarmés réunirent leurs alliés et délibérèrent sur le parti à prendre. Lysandre, persuadé qu'avec leur flotte les Grecs auraient facilement le dessus et se rappelant comment l'armée qui avait suivi Cyrus dans la haute Asie s'était échappée saine et sauve, persuada à Agésilas de se charger de faire une expédition en Asie, si on lui donnait trente Spartiates, deux mille néodamodes et un contingent d'environ six mille alliés. A ces considérations se joignait un autre motif : il voulait quitter Sparte avec Agésilas pour restaurer avec son aide les décarchies qu'il avait établies dans les villes et que les éphores avaient abolies pour restaurer les gouvernements traditionnels. 

3. Agésilas, ayant offert de se charger de l'expédition, les Lacédémoniens lui accordèrent tout ce qu'il demanda et des vivres pour six mois. Après avoir offert tous les sacrifices requis, et en particulier celui qu'on fait en passant la frontière, il partit. Il avait envoyé des députés dans les villes pour leur signifier combien d'hommes chacune d'elles devait envoyer et où ils devaient le rejoindre. Quant à lui, il voulut aller à Aulis et offrir un sacrifice à l'endroit même où Agamemnon avait sacrifié à son départ pour Troie. 

4. Mais, quand il y fut arrivé, les béotarques (110), apprenant qu'il sacrifiait, envoyèrent des cavaliers qui lui interdirent de continuer à sacrifier et qui, prenant à l'autel les victimes qu'ils trouvèrent immolées, les dispersèrent aux quatre vents. Agésilas, attestant les dieux et plein de colère, monta sur sa trière et mit à la voile. Arrivé à Géraistos (111), il y rassembla toutes les troupes qu'il put et cingla sur Éphèse. 

5. À peine y était-il arrivé que Tissapherne lui envoya demander dans quel dessein il était venu. « Dans le dessein, répondit-il, d'assurer aux villes d'Asie l'indépendance dont jouissent les villes grecques de chez nous. — Eh bien, répliqua Tissapherne, si tu veux conclure une trêve jusqu'à ce que j'aie député au roi, je crois que tu pourras réaliser ton dessein et remettre à la voile, si tu le désires. — C'est ce que je désirerais, dit Agésilas, si je ne craignais pas d'être trompé par toi. — Eh bien, dit Tissapherne, tu peux prendre des garanties et t'assurer que, si tu fais ce que je te dis, nous ne ferons pas de mal à ta province pendant la trêve (112). » 

6. À la suite de cette conversation, Tissapherne jura aux députés qui lui furent envoyés, Hèrippidas, Dercylidas et Mégillos qu'il négocierait loyalement la paix, et ces députés de leur côté jurèrent à Tissapherne, au nom d'Agésilas, que, s'il tenait sa promesse, Agésilas observerait fidèlement la trêve. Mais Tissapherne n'eut pas plus tôt fait son serment qu'il le viola; car, au lieu de rester en paix, il fit demander au roi une nombreuse armée pour renforcer celle qu'il avait. Agésilas le sut, mais ne s'en tint pas moins aux termes du traité. 

7. Tandis qu'Agésilas passait le temps à Éphèse dans un paisible loisir, les villes se trouvaient en pleine anarchie, parce qu'il n'y avait plus de démocratie, comme au temps des Athéniens, ni de décarchie, comme au temps de Lysandre. Comme tout le monde connaissait Lysandre, c'est à lui qu'on s'adressait pour qu'il obtînt d'Agésilas ce que l'on désirait. Aussi était-il constamment suivi d'une foule considérable qui le courtisat, si bien qu'Agésilas semblait être un simple particulier et Lysandre le roi. 

8. Agésilas en fut profondément dépité, on le vit bien par la suite. Mais les trente Spartiates qui étaient avec lui en conçurent tant de jalousie qu'ils ne purent se taire; ils représentèrent à Agésilas que Lysandre enfreignait la loi en étalant un faste plus grand que la royauté. Dès lors, quand Lysandre commença à présenter des solliciteurs à Agésilas, tous ceux que ce prince savait soutenus par lui, il les renvoyait sans rien leur accorder. Comme les choses tournaient contre ses désirs, Lysandre en devina la raison. Dès lors, il ne permit plus à la foule de le suivre et, si on lui demandait de s'entremettre en quelque affaire, il répondait franchement aux solliciteurs que son intervention ne pouvait que leur nuire. 

9. Cependant, fâché de ces marques de mépris, il se présenta à Agésilas et lui dit : « Tu t'entends, Agésilas, à humilier tes amis. — Oui, par Zeus, répondit celui-ci, ceux-là du moins qui affectent de paraître plus grands que moi; pour ceux qui veulent me grandir, je rougirais, si je ne savais pas les honorer à mon tour. — Il est possible, repartit Lysandre, que tu aies raison contre moi. Mais accorde-moi au moins une faveur, afin que je n'aie pas la honte de ne pouvoir rien auprès de toi et que je ne te sois pas un obstacle : renvoie-moi quelque part; où que ce soit, je tâcherai de t'y être utile. » 10. Quand il eut dit cela, Agésilas se rangea à son avis et l'envoya dans l'Hellespont. Là, Lysandre ayant appris que le Perse Spithridatès (113) était humilié par Pharnabaze, il s'aboucha avec lui et lui persuada de se révolter et d'emmener ses enfants, l'argent qu'il avait sous la main et environ deux cents cavaliers. Spithridatès laissa tout à Cyzique et Lysandre le fit monter avec son fils sur un bateau et l'amena à Agésilas. En les voyant, Agésilas fut charmé de ce qu'avait fait Lysandre et aussitôt il se mit à questionner le Perse sur le pays et le gouvernement de Pharnabaze. 

11. Cependant Tissapherne, enhardi par l'arrivée de l'armée que le roi lui avait envoyée, déclara la guerre à Agésilas, s'il ne quittait pas l'Asie. Les alliés et les Lacédémoniens présents furent visiblement alarmés de cette nouvelle, parce qu'ils pensaient que les troupes dont Agésilas disposait étaient inférieures à celles qu'avait réunies le roi. Mais Agésilas, avec un visage radieux, ordonna aux ambassadeurs de dire à Tissapherne qu'il lui savait beaucoup de gré d'avoir, en se parjurant, fait des dieux ses ennemis, et les alliés des Grecs. Aussitôt après, il fit passer aux soldats l'ordre de se tenir prêts à marcher et enjoignit aux villes par où il fallait passer pour faire une expédition en Carie, d'approvisionner leurs marchés. Il fit dire aussi aux Ioniens, aux Éoliens et aux Hellespontins de lui envoyer à Éphèse les troupes qui devaient prendre part à la campagne. 

12. Tissapherne, considérant qu'Agésilas n'avait pas de cavalerie et que la Carie était impraticable aux chevaux, jugeant d'autre part que son adversaire lui gardait rancune de sa perfidie, crut réellement qu'Agésilas allait marcher sur la Carie, sa propre résidence. En conséquence il y fit passer son infanterie tout entière, et mena sa cavalerie dans la plaine du Méandre, se croyant en mesure d'écraser les Grecs sous le sabot de ses chevaux, avant qu'ils fussent parvenus dans le pays impraticable à la cavalerie. Mais Agésilas, au lieu d'aller en Carie, prit subitement la direction opposée et marcha sur la Phrygie; il recueillit sur son chemin les troupes qui venaient à sa rencontre, soumit les villes et, tombant sur le pays à l'improviste, il y fit un immense butin. 

13. Il avait traversé la Phrygie en toute sécurité; mais, non loin de Dascylion (114), ses cavaliers, qui marchaient en avant, montèrent sur une colline pour voir ce qu'il y avait devant eux. Par hasard les cavaliers de Pharnabaze, envoyés par lui sous les ordres de Rathinès et Bagaios, son frère naturel, et à peu près égaux en nombre à ceux des Grecs, gravissaient eux aussi cette même colline. Ils n'étaient pas à quatre plèthres de distance quand ils s'aperçurent. Tout d'abord les uns et les autres s'arrêtèrent; puis les Grecs se rangèrent en phalange sur quatre rangs de profondeur, tandis que les barbares formaient une ligne de douze hommes de front seulement, mais d'autant plus profonde. Puis les barbares chargèrent les premiers. 

14. Quand on en vint aux mains, tous ceux des Grecs qui frappèrent un adversaire eurent leurs lances brisées, mais les Perses, qui avaient des javelots de cornouiller, tuèrent en peu de temps douze cavaliers et deux chevaux. Là-dessus, les cavaliers grecs tournèrent bride. Mais Agésilas étant arrivé à la rescousse avec ses hoplites, les barbares se retirèrent, après avoir perdu un des leurs. 

15. Le lendemain de cette escarmouche de cavalerie, Agésilas sacrifia pour savoir s'il devait pousser en avant, et il trouva les entrailles sans lobes (115). À cette vue, il tourna le dos à la Phrygie et revint vers la mer. Il s'était rendu compte que, s'il n'avait pas une cavalerie suffisante, il ne pourrait pas tenir campagne en plaine; aussi décida-t-il de s'en procurer une, pour ne pas être forcé de faire la guerre en fuyant. Il inscrivit donc les plus riches de toutes les villes du pays et leur ordonna de nourrir des chevaux. En proclamant que quiconque fournirait un cheval, des armes et un homme éprouvé serait exempté de service, il réussit à faire exécuter ses ordres avec promptitude et avec le même empressement que s'ils eussent cherché quelqu'un pour mourir à leur place. 

16. Puis, quand le printemps parut, il rassembla toute son armée à Éphèse. Dans le dessein de l'exercer, il proposa des prix à celle des compagnies d'hoplites qui aurait les hommes les plus vigoureux et à celui des escadrons de cavalerie qui aurait les meilleurs cavaliers. Il offrit aussi des prix pour les peltastes et les archers qui seraient reconnus les plus habiles dans les exercices qui leur étaient propres. Dès lors on put voir tous les gymnases remplis d'hommes qui s'entraînaient, l'hippodrome plein de cavaliers qui travaillaient leurs chevaux, et les acontistes et les archers qui s'exerçaient.

  17. La ville tout entière où il séjournait offrait ainsi un curieux spectacle. Le marché était rempli de toutes sortes de chevaux et d'armes à vendre; les ouvriers de l'airain et du bois, les forgerons, les cordonniers et les peintres préparaient des armes de guerre et l'on pouvait réellement croire que la ville était une usine de guerre.

  18. On aurait pris confiance aussi à voir Agésilas le premier, puis tous les soldats, sortir des gymnases la couronne en tête et offrir leurs couronnes à Artémis, car là où les hommes révèrent les dieux, s'exercent à la guerre, s'entraînent à la discipline, n'est-il pas naturel que là tout soit plein de belles espérances ? 

19. Persuadé que le mépris de l'ennemi inspire aussi de la force pour la guerre, il ordonna aux crieurs de vendre nus les barbares pris par les maraudeurs. Les soldats qui voyaient la blancheur de leur peau, parce que les Perses ne se déshabillent jamais, leur mollesse et leur peu de résistance à la fatigue, parce qu'ils sont toujours en voiture, se persuadèrent que la guerre ne serait pas plus redoutable que s'ils n'avaient affaire qu'à des femmes. 

20. À ce moment-là une année s'était écoulée depuis qu'Agésilas était parti de Sparte, en sorte que Lysandre et le reste des Trente s'en retournèrent dans leur pays et qu'Hèrippidas et vingt-neuf autres arrivèrent pour les remplacer. Parmi ces trente, il mit Xénoclès et un autre à la tête de ses cavaliers, Scythès à la tête des néoda­modes hoplites; il donna à Hèrippidas le commandement des troupes de Cyrus, à Migdon celui des troupes fournies par les villes et il leur annonça qu'il allait immédiatement les conduire par la route la plus courte dans la meilleure partie du pays. Par cet avertissement, il voulait qu'ils préparassent aussitôt leurs corps et leurs esprits à combattre. 

21. Tissapherne crut qu'en disant cela, il voulait le tromper à nouveau et cette fois se jeter réellement sur la Carie. Il fit donc, comme la première fois, passer son infanterie en Carie et posta sa cavalerie dans la plaine du Méandre. Mais Agésilas n'avait pas menti et il se jeta aussitôt, comme il l'avait annoncé, sur le pays de Sardes. Pendant trois jours, il marcha sans rencontrer d'ennemis et procura à son armée des vivres en abondance; mais le quatrième jour, les cavaliers ennemis parurent. 

22. Leur général ordonna au chef des porteurs de bagages de traverser le Pactole et d'établir le camp, et les cavaliers, apercevant les valets des Grecs dispersés pour piller, en tuèrent un grand nombre. En voyant cela, Agésilas ordonna à ses cavaliers de leur porter secours. De leur côté, les Perses, les voyant s'avancer, se rassemblèrent et mirent en ligne un nombre considérable d'escadrons. 

23. Alors Agésilas, remarquant que l'infanterie des ennemis n'était pas encore arrivée et que lui-même avait toutes ses forces sous la main, jugea que c'était le moment d'engager la bataille, s'il le pouvait. En conséquence, aussitôt les victimes immolées, il mena sa phalange contre les cavaliers rangés en face de lui; il ordonna aux dix plus jeunes classes des hoplites de leur courir sus, et commanda aux peltastes de mener le train au pas accéléré. Il fit aussi passer aux cavaliers l'ordre de charger, en les assurant qu'il suivait avec toute l'armée. 

24. Les Perses soutinrent le choc des cavaliers; mais, quand ils virent venir à eux toutes ces forces à la fois, ils plièrent, et les uns furent tués à l'instant au passage du fleuve, les autres s'enfuirent. Les Grecs se lancèrent à leur poursuite et s'emparèrent aussi de leur camp. Alors les peltastes, comme il fallait s'y attendre, se mirent à piller; mais Agésilas enferma dans le cercle de son camp aussi bien les amis que les ennemis (116). On fit un butin immense, qui rapporta plus de soixante-dix talents, et c'est en cette rencontre que l'on prit aussi les chameaux qu'Agésilas ramena en Grèce. 

25. Pendant que ce combat avait lieu, Tissapherne se trouvait à Sardes; aussi les Perses l'accusèrent de les avoir trahis. Le roi de Perse lui-même, ayant appris que Tissapherne était responsable du mauvais état de ses affaires, envoya Tithraustès à sa place et lui fit trancher la tête. Cela fait, Tithraustès envoya des députés à Agésilas pour lui dire : « Agésilas, l'auteur des difficultés qui ont surgi entre vous et nous, a subi sa peine. Le roi demande que tu t'en retournes chez toi et que les villes d'Asie, auxquelles il laisse leur indépendance, lui payent l'ancien tribut. » 

26. Agésilas répondit qu'il ne pouvait donner les mains à sa demande sans l'aveu des autorités de son pays. « Eh bien, reprit Tithraustès, en attendant de connaître leur avis, passe sur les terres de Pharnabaze, puisque moi, je t'ai vengé de ton ennemi. - Alors, répliqua Agésilas, jusqu'à ce que j'y sois rendu, fournis-moi les vivres nécessaires à mon armée. » Tithraustès lui donna trente talents. Il les prit et marcha contre la Phrygie, province de Pharnabaze. 

27. Comme il était dans la plaine au-delà de Cymè (117), un messager des magistrats de Sparte vient lui dire de prendre aussi le commandement de la flotte, d'en user comme il le jugerait bon et de choisir pour navarque celui qu'il lui plairait. Les Lacédémoniens agissaient ainsi d'après ce raisonnement, que, si le même chef commandait à la fois l'armée et la flotte, l'armée serait beaucoup plus forte, puisqu'elle réunirait la force de la flotte à la sienne, et la marine aussi, si l'infanterie apparaissait là où on en aurait besoin. 

28. En apprenant cette nouvelle, Agésilas, tout d'abord, envoya l'ordre aux cités des îles et de la côte de construire autant de trières qu'elles voudraient, et il obtint ainsi environ cent vingt navires nouveaux, tant des villes qui les offrirent que des particuliers empressés à lui faire plaisir. Il choisit pour navarque Pisandre, le frère de sa femme, qui aimait la gloire et avait une âme forte, mais qui manquait d'expérience pour prendre les mesures nécessaires. Pisandre partit pour s'occuper de la flotte, tandis qu'Agésilas poursuivait son chemin vers la Phrygie.

CHAPITRE V

TITHRAUSTÈS SOULÈVE A PRIX D'OR LA GRÈCE CONTRE LACÉDÉMONE. LES THÉBAINS DEMANDENT L'ALLIANCE D'ATHÈNES, QUI SE DÉCLARE POUR EUX. LES LACÉDÉMONIENS ENVOIENT EN BÉOTIE LE ROI PAUSANIAS ET LYSANDRE. LYSANDRE EST TUÉ À HALIARTOS, ET PAUSANIAS CONDAMNÉ À MORT (ANNÉE 395 AV. J.-C.).

1. Cependant Tithraustès, croyant s'apercevoir qu'Agésilas méprisait la puissance du roi et que, loin de songer à évacuer l'Asie, il nourrissait de grandes espérances de soumettre le roi, cherchait le moyen de sortir d'embarras. Il envoya en Grèce le Rhodien Timocratès en lui donnant une somme d'or de la valeur d'environ cinquante talents d'argent et lui recommandant de la distribuer, contre les gages les plus sûrs, à ceux qui dirigeaient la politique des États, à condition qu'ils portassent la guerre chez les Lacédémoniens. Arrivé en Grèce, Timocratès acheta ainsi à Thèbes Androcleidas, Ismènias et Galaxidoros, à Corinthe Timolaos et Polyanthès, à Argos Cylon et son parti. 

2. Les Athéniens, bien qu'ils n'eussent rien reçu de cet or, n'en désiraient pas moins la guerre, persuadés que c'était à eux à commander (118). Alors ceux qui avaient reçu de l'argent se mirent à dénigrer les Lacédémoniens devant leurs concitoyens, puis, quand ils eurent excité la haine contre eux, ils liguèrent ensemble les États les plus importants. 

3. Les chefs politiques à Thèbes se rendant compte que, si quelqu'un ne commençait pas la guerre, les Lacédémoniens ne voudraient pas rompre leurs trêves avec leurs alliés, persuadèrent aux Locriens Opuntiens de lever de l'argent sur un territoire contesté entre les Phocidiens et, eux-mêmes; ils pensaient qu'après ce coup les Phocidiens envahiraient la Locride. Ils ne s'étaient pas trompés; car immédiatement les Phocidiens l'envahirent et en enlevèrent plus du double de ce que les Locriens avaient pris. 

4. Aussi le parti d'Androcleidas eut bientôt persuadé les Thébains de porter secours aux Locriens, parce que les Locriens avaient envahi, non pas le territoire en litige, mais, un pays reconnu comme ami et allié, la Locride. Mais, lorsque les Thébains eurent à leur tour envahi la Phocide et se furent mis à la ravager, les Phocidiens envoyèrent aussitôt à Lacédémone pour demander du secours, repré­sentant qu'ils n'étaient pas les agresseurs et que, s'ils avaient pénétré en Locride, c'était par représailles. 

5. Les Lacédémoniens saisirent avec joie ce prétexte de faire la guerre aux Thébains; car ils étaient depuis longtemps irrités contre eux, parce qu'ils avaient revendiqué la dîme d'Apollon (119) à Décélie et n'avaient pas voulu les suivre au Pirée. Ils leur reprochaient aussi d'avoir engagé les Corinthiens à ne pas prendre part à l'expédition. Ils n'avaient pas oublié non plus qu'ils avaient interdit à Agésilas de sacrifier à Aulis et qu'ils avaient jeté loin de l'autel les victimes immolées, et enfin qu'ils s'étaient dispensés de suivre Agésilas en Asie. Ils pensaient aussi que c'était une belle occasion de marcher contre eux et de mettre un terme à leur arrogance; car leurs affaires allaient bien en Asie, où Agésilas était vainqueur, et en Grèce ils n'avaient pas d'autre guerre sur les bras. 

6. L'État des Lacédémoniens étant dans ces dispositions, les éphores décrétèrent une levée et envoyèrent Lysandre en Phocide avec ordre de marcher sur Haliartos à la tête des Phocidiens eux-mêmes, des Oetéens, des Hèracléotes, des Mèliens et des Aenianes. Pausanias aussi, qui devait prendre la tête des opérations, était convenu de s'y rendre à jour fixe avec les Lacédémoniens et les autres Péloponnésiens. Lysandre fit ce qu'on lui avait ordonné et de plus il détacha de Thèbes les Orchoméniens. 

7. De son côté, Pausanias, après avoir sacrifié en franchissant la frontière, s'arrêta à Tégée, d'où il envoya ses officiers rassembler les alliés et où il attendit les contingents des villes circonvoisines. Lorsque les Thébains furent certains que les Lacédémoniens allaient envahir leur pays, ils envoyèrent à Athènes des députés qui parlèrent ainsi :

8. « Athéniens, les reproches que vous nous faites d'avoir proposé des mesures odieuses contre vous à la fin de la guerre ne sont pas justifiés; car ce n'est pas notre ville qui les a proposées, mais un seul homme (120), qui se trouvait alors dans le conseil des alliés. Mais quand les Lacédémoniens nous ont appelés pour marcher contre le Pirée, en cette occasion, la ville entière a voté de ne pas les suivre dans cette expédition. Comme c'est surtout à cause de vous que les Lacédémoniens sont irrités contre nous, nous estimons qu'il est juste que vous veniez au secours de notre ville.

  9. Mais, à notre avis, c'est vous surtout qui étiez restés dans la ville qui devez marcher volontiers contre les Lacédémoniens; car après vous avoir mis en oligarchie et avoir attiré sur vous la haine du peuple, après être venus avec une armée nombreuse comme s'ils étaient vos alliés, ils vous ont livrés au parti démocratique; ils vous ont perdus, autant qu'il dépendait d'eux. Heureusement ce peuple-ci vous a sauvés. 10. D'ailleurs, Athéniens, nous savons tous que vous voudriez recouvrer l'empire que vous possédiez jadis, mais pour y arriver, le moyen le plus propre n'est-il pas de prendre la défense de ceux que Sparte opprime ? Ne vous laissez pas intimider par le grand nombre de peuples auxquels elle commande; prenez-y bien plutôt un motif de confiance, vous souvenant que c'est quand vous aviez le plus de sujets que vous aviez le plus d'ennemis. Tant qu'ils n'avaient personne pour protéger leur défection, ils dissimulaient la haine qu'ils vous portaient; mais quand les Lacédémoniens se furent mis à leur tête, ils montrèrent alors leurs véritables sentiments à votre égard. 

11. De même aujourd'hui, si l'on nous voit unir nos armes contre eux, n'en doutez pas, ceux qui les haïssent apparaîtront nombreux. Si vous voulez y réfléchir, vous reconnaîtrez tout de suite que nous disons la vérité. Quel peuple en effet reste-t-il qui leur soit attaché ? Les Argiens ne leur sont-ils pas hostiles aujourd'hui comme toujours ? 

12. Et les Éléens qu'ils ont naguère dépouillés d'un vaste territoire et de plusieurs villes, ne viennent-ils pas de grossir le nombre de leurs ennemis ? Que dire des Corinthiens, des Arcadiens et des Achéens qui, sur leurs vives instances, ont partagé dans la guerre qu'ils vous ont faite, leurs travaux, leurs dangers et leurs dépenses ? Mais quand les Lacédémoniens eurent atteint leur but, quels sont les gouvernements, les honneurs, les richesses dont ils leur ont fait part ? Oui, ce sont des hilotes qu'ils établissent comme harmostes, tandis qu'envers leurs alliés, qui sont des hommes libres, une fois le succès obtenu, ils se sont conduits comme des maîtres. 

13. Ils ont de même manifestement trompé les peuples qu'ils ont détachés de vous; car, au lieu de la liberté, ils leur ont apporté une double servitude; ils les ont assujettis à la tyrannie des harmostes et à celle des décemvirs que Lysandre a établis dans chaque cité. Le roi d'Asie lui-même qui les a si puissamment aidés à vous vaincre est-il aujourd'hui autrement traité que s'il avait lutté avec vous pour les réduire à merci ? 

14. Dès lors, n'est-il pas à présumer que, si à votre tour vous vous mettez à la tête des peuples si manifestement lésés, vous deviendrez plus puissants qu'aucun peuple le fut jamais ? Quand en effet vous étiez les maîtres, vous n'aviez, n'est-ce pas ? que l'empire de la mer; aujourd'hui vous pouvez commander à tout le monde, à nous, aux Péloponnésiens, à vos anciens sujets et au roi lui-même, qui a une si grande puissance. Certes nous avons été pour eux de précieux alliés, vous ne l'ignorez pas; mais à présent vous pouvez croire que nous combattrons avec vous beaucoup plus résolument que nous ne l'avons fait avec eux; car ce ne sera plus pour des insulaires, ni pour des Syracusains, ni pour des étrangers, mais pour nous-mêmes, victimes de l'injustice, que nous combattrons. 

15. Il est encore une chose qu'il faut que vous sachiez, c'est que l'ambitieuse domination des Lacédémoniens est beau-coup plus facile à renverser que l'empire que vous possédiez; car vous aviez une flotte et vous commandiez à des gens qui n'en avaient pas, tandis qu'eux, qui ne sont qu'une poignée d'hommes, tyrannisent des peuples plusieurs fois plus nombreux qu'eux et tout aussi bien armés qu'eux. Voilà ce que nous disons. Cependant, Athéniens, sachez qu'en vous appelant à nous, nous sommes convaincus que nous servons beaucoup plus les intérêts de votre cité que de la nôtre. » 

16. Cela dit, l'orateur se tut. Un très grand nombre d'Athéniens parlèrent dans le même sens et le secours aux Thébains fut voté à l'unanimité. Thrasybule lut le décret aux députés en guise de réponse et leur déclara que, bien que le Pirée fût sans murailles, ils ne reculeraient devant aucun danger pour leur rendre plus qu'ils n'avaient reçu d'eux. « Vous, dit-il, vous vous êtes bornés à ne pas marcher contre nous avec les Lacédémoniens; mais nous, nous combattrons avec vous, s'ils envahissent votre pays. » 

17. Les Thébains retournèrent chez eux et se préparèrent à se défendre et les Athéniens à leur venir en aide. De leur côté, les Lacédémoniens n'attendirent pas plus longtemps et le roi Pausanias marcha sur la Béotie à la tête des troupes de Sparte et du Péloponnèse, à l'exception des Corinthiens, qui ne les suivirent pas. Lysandre, menant avec lui les troupes de Phocide, d'Orchomène et des places de ces contrées, arriva avant Pausanias sous les murs d'Haliartos. 

18. Là, au lieu de se tenir tranquille et d'attendre l'armée lacédémonienne, il s'avança jusqu'au rempart avec ce qu'il avait de troupes. Il essaya d'abord de persuader aux habitants de quitter le parti de Thèbes et de se déclarer indépendants; mais quelques Thébains qui se trouvaient dans la place ayant fait échouer le projet, il attaqua le rempart. 

19. Les Thébains l'ayant appris, accoururent en toute hâte, hoplites et cavaliers. Qu'arriva-t-il alors ? Tombèrent-ils sur Lysandre à l'improviste ou Lysandre, les voyant venir, les attendit-il de pied ferme dans l'espoir de les vaincre ? On ne le sait pas; mais ce qui est certain, c'est qu'un combat s'engagea près du mur et qu'un trophée fut dressé devant les portes d'Haliartos; puis, lorsque, Lysandre ayant été tué, ses troupes s'enfuirent vers la montagne, les Thébains les poursuivirent vigoureusement. 

20. Mais lorsque la poursuite les eut amenés au sommet de la montagne, et qu'ils se furent engagés dans des lieux difficiles et des passages étroits, les hoplites ennemis firent volte-face et les criblèrent de javelots et de traits. Les premiers, au nombre de deux ou trois, tombèrent; puis, comme l'ennemi faisait rouler des pierres sur la pente contre les autres et les pressait avec acharnement, les Thébains s'enfuirent de cet endroit escarpé, après avoir perdu plus de deux cents des leurs.

  21. Ce jour-là, les Thébains se sentirent découragés, à la pensée qu'ils n'avaient pas moins souffert de mal qu'ils n'en avaient causé. Mais le lendemain, en appre­nant que les Phocidiens et tous les autres s'en étaient retournés pendant la nuit dans leurs pays respectifs, ils conçurent plus de fierté de ce qu'ils avaient fait. Néanmoins, quand Pausanias parut à la tête de l'armée lacé­démonienne, ils se crurent de nouveau en grand danger et l'on dit que leurs troupes étaient devenues tout à fait silencieuses et démoralisées. 

22. Cependant, lorsque le lendemain les Athéniens arrivèrent et se rangèrent en bataille avec eux, lorsqu'ils virent d'autre part que Pausanias ne s'avançait pas pour livrer bataille, leur fierté s'en accrut bien davantage. Pendantce temps, Pausanias ayant convoqué les polémarques et les commandants de cinquante hommes, délibérait s'il devait engager la bataille ou faire une trêve pour relever les corps de Lysandre et de ceux qui étaient tombés avec lui. 23. Alors Pausa-nias et les magistrats lacédémoniens qui l'accompagnaient considérant que Lysandre était mort, que son armée vaincue s'était retirée, que les Corinthiens avaient formellement refusé de les accompagner, que les troupes dont ils disposaient ne montraient pas d'ardeur à combattre, réfléchissant en outre que la cavalerie de l'adversaire était nombreuse et la leur faible et, point capital, que les morts gisaient au pied de la muraille, de sorte que, même vainqueurs, ils auraient de la peine à les relever à cause des soldats postés sur les tours, pour toutes ces raisons, ils décidèrent de demander une trêve pour relever les morts. 

24. Mais les Thébains répondirent qu'ils ne rendraient les morts qu'à la condition que les Lacédémoniens évacueraient le pays. Ceux-ci y souscrivirent avec joie, ramassèrent leurs morts et s'apprêtèrent à quitter la Béotie. Cela fait, les Lacédémoniens s'en retournèrent découragés, tandis que les Thébains se conduisaient avec une extrême arrogance : un soldat mettait-il tant soit peu le pied sur les terres de quelque Thébain, ils le chassaient sur les routes en le frappant. Ainsi finit cette expédition des Lacédémoniens. 

25. Cependant Pausanias étant rentré à Sparte fut mis en jugement pour crime capital. On l'accusait d'être arrivé à Haliartos après Lysandre, alors qu'il était convenu d'y arriver le même jour, d'avoir enlevé les morts à la faveur d'une trêve, sans essayer de combattre, d'avoir relâché le peuple d'Athènes qu'il tenait au Pirée. Comme outre cela il ne se présenta pas en jus­tice, il fut condamné à mort. Il se réfugia à Tégée et y mourut de maladie. Tels furent les événements qui se passèrent en Grèce.

(84) Thémistogénès de Syracuse est absolument inconnu. L'opinion la plus vraisemblable est que ce nom est un pseudonyme de Xénophon, qui voulait, dit Plutarque, se rendre plus croyable, en faisant raconter ses hauts faits par un autre.

(85) En 399 avant J.-C.

(86) Dèmaratos, fils du roi de Sparte Ariston, exclu du trône par Cléoménès, avait quitté Sparte et s'était rendu à la cour de Darius, père de Xerxès. Il accompagna ce dernier dans son expédition contre la Grèce.

87) Le traître Gongylos avait aussi servi d'intermédiaire entre Pausanias et Xerxès. Les deux frères nommés ici sont sans doute ses descendants.

(88) Larisa fut surnommée l'Egyptienne quand Cyrus y établit les Egyptiens qu'il avait pris à sa solde. V. Cyropédie, VII, I, 45.

(89) Cf. Ephore chez Athénée, XI, S 500 b.

(90) Sur Seuthès, voyez le dernier livre de l'Anabase.

(91) Peut-être était-ce Xénophon lui-même.

(92) En — 409, le Spartiate Cratèsippidas avait ramené à Chios les aristocrates qui en avaient été chassés et expulsé leurs adversaires, qui s'établirent, au nombre de six cents, dans la ville d'Atarneus, située sur le continent en face de Mytilène (Diodore, XIII, 65). Après la bataille d'Ægos Potamos, Lysandre aussi avait banni un certain nombre de citoyens de Chios.

(93) Pellènè en Laconie. Il y avait aussi une ville de ce nom dans l'Achaïe.

(94) Achilleion, ville d'Ionie, près de Priène, non loin de l'embouchure du Méandre.

(95) Leucophrys était un bourg d'Ionie, sur le Méandre, près de Magnésie.

(96) Sur cette alliance conclue en 420, voyez Thucydide, V, 47.

(97)  Les Lacédémoniens avaient été condamnés par les Éléens à une amende de deux mille mines pour être entrés en armes dans leurs pays pendant les fêtes d'Olympie. N'ayant pas payé l'amende, ils avaient été exclus des jeux lors de la 90e olympiade.

(98) Le Larisos est un fleuve entre l'Achaïe et l'Elide.

(99) Aulon était une ville située aux confins de l'Elide et de la Messénie. Lépréon était une ville de la Triphylie; Macistos une petite ville au nord-est de Lépréon; Epitalion, sur l'Alphée, faisait partie du territoire de Macistos. Létrines était une ville d'Elide, au nord de l'embouchure de l'Alphée; Amphidoles était en Triphylie, ainsi que Marganes.

(100) Cyllènè, port de l'Elide.

(101) Phéa, ville d'Elide.

(102) Des cinq villes énumérées, les deux premières seules étaient en Triphylie, Phrixa et Epitalion. L'Acroreia était un territoire à l'est de l'Elide, dans lequel se trouvait la ville de Lasion. Epéion était une ville située au sud de l'Elide.

(103) Hèraia, ville de l'Arcadie occidentale, sur l'Alphée.

(104) D'après Pausanias, III, 8, 7, Agis avait reconnu sur son lit de mort Léotychidès pour son fils, tandis qu'auparavant il le considérait comme l'enfant de sa femme et d'Alcibiade.

(105) Il y avait deux classes de Spartiates, les égaux, qui jouissaient de tous les droits de citoyen, et les inférieurs, qui n'avaient pas les prérogatives des égaux.

(106) De qui se composait cette assemblée, nous l'ignorons. Peut-être comprenait-elle seulement les égaux.

(107) Aulon, pays et ville, situés aux frontières de l'Elide et de la Messénie.

(108)  Il y avait trois hippagrètes qui commandaient les trois cents jeunes gens qui servaient aux rois de gardes du corps.

(109) A l'instigation de Pharnabaze et d'Evagoras, roi de Chypre, le roi avait donné l'ordre d'équiper contre les Spartiates une flotte dont Conon devait prendre le commandement.

(110) Les béotarques, au nombre de onze, étaient des magistrats qui, à l'origine, étaient choisis par les villes indépendantes de la confédération béotienne, pour en diriger les affaires.

(111) Géraistos, promontoire à la pointe sud de l'Eubée.

(112) Il semble qu'il y ait une lacune dans le texte, car les mots : nous ne ferons pas de mal à ta province sont nécessairement une partie du discours d'Agésilas. Cobet intercalait derrière ἀδολως ces mots : ἐμὲ ταῦτα πραζειν. Καὶ σοὶ δὲ, ἔφη, ξεστι παρ' ἐμοῦ πιστιν λαβεῖν ἦ μὴν ἀδόλως, ce qui donne le sens : que je ferai ce que je dis. — Toi aussi, répondit Agésilas, tu peux recevoir de moi la garantie qu'en toute loyauté je respecterai ta province.

(113) Cf. sur Spithridatès Xénophon, Agésilas, III, 3.

(114) Dascylion était la résidence de Pharnabaze en Phrygie.
(115) S'il manquait un lobe au foie de la victime, c'était un présage sinistre.

(116)  Agésilas empêcha ainsi les peltastes de s'approprier le butin qui appartenait à toute l'armée.
(117) Cymé, ville d'Eolie en Asie Mineure.

(118) Le texte porte νομίζοντές τε αὑτῶν ἄρχεσθαι. Si le τε est exact, il y a une lacune. Mais on a corrigé avec assez de vraisemblance αὐτῶν τὸ ἄρκειν εἶναι: c'est ce que j'ai traduit.

(119) Les Thébains et les Corinthiens avaient réclamé leur part du butin de la guerre, peut-être pour le consacrer à Apollon, mais n'avaient rien obtenu. Cf. Plutarque, Lys., 27 et Justin, V, Io. Les mots à Décélie indiquent sans doute qu'il ne s'agit ici que du butin fait à Décélie.

(120) Cet homme s'appelait Erianthos, d'après Plutarque, Lys, 15.