Paris

MATTHIEU PARIS

 

GRANDE CHRONIQUE : TOME DEUXIEME : PARTIE I

tome premier partie VII - tome deuxième partie II

Œuvre mise en page par Patrick Hoffman

 

 

GRANDE CHRONIQUE

de

MATTHIEU PARIS

 

TRADUITE EN FRANCAIS

PAR A. HUILLARD-BRÉHOLLES,

ACCOMPAGNÉE DE NOTES,

ET PRÉCÉDÉE D'UNE INTRODUCTION
PAR M. LE DUC DE LUYNES,

Membre de l'Institut.

 

TOME DEUXIEME;

 

Paris,

Paulin, Libraire-éditeur,

33, rue de Seine-Saint-Germain.

 

1840.

 

 

GRANDE CHRONIQUE

DE

MATTHIEU PARIS

(historia Major Anglorum).

 

 

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SUITE DE HENRI II.

 

Douleur de Henri II. — Il envoie des députés à Rome pour se justifier de la mort de Thomas. — Les meurtriers sont excommuniés. — Le roi d'Angleterre Henri était alors à Argentan, en Normandie, quand la funeste nouvelle lui fut apportée par quelques-uns des siens. Aussitôt il donna tous les signes de la plus violente douleur, arracha ses vêtements pour se vêtir d'un cilice, et souilla de cendre la majesté royale: «J'en atteste le Dieu tout-puissant, s'écriait-il, je n'ai coopéré à cet attentat ni de volonté ni de conscience; je n'en ai donné l'autorisation en aucune façon, à moins que l'on ne regarde, comme un délit de ma part d'avoir paru aimer moins l'archevêque.» Il s'en remit sur ce point à la décision de l'église et promit, chose fort sage, de se conformer humblement à tout ce qu'elle résoudrait sur son compte. Il envoya donc des députés au souverain pontife pour présenter sa justification et alléguer son innocence; mais le seigneur pape ne voulut pas les voir, et ne daigna ni souffrir qu'ils se jetassent à ses pieds, ni les  admettre au baiser. Cependant les députés qui furent envoyés pour la seconde fois furent accueillis par quelques cardinaux, mais de paroles seulement. La cinquième férie avant Pâques approchait, et c'est le jour où, d'après la coutume de l'église romaine, le pape prononce publiquement des sentences d'absolution ou d'excommunication. Les députés du roi apprirent par quelques-uns des silenciaires1 du seigneur pape, que ledit pape avait résolu de lancer contre le roi d'Angleterre nominativement ainsi que sur tous ses hommes une sentence d'interdit, d'après l'avis unanime des frères cardinaux, et qu'il voulait de plus confirmer celle qui avait été prononcée contre l'archevêque d'York et contre les autres évêques d'Angleterre. Les députés du roi étaient dans un grand embarras; mais quelques cardinaux insinuèrent au seigneur pape que les députés avaient reçu mission du roi d'Angleterre pour jurer, au nom de leur maître, qu'il s'en remettrait au jugement du pape et des cardinaux et leur obéirait en tout. En effet, les députés du roi demandèrent à prêter ce serment; ils le prêtèrent et évitèrent ainsi la sentence d'interdit. Les députés de l'archevêque d'York et des autres évêques en firent autant. Ce jour-là, le pape excommunia les infâmes meurtriers du bienheureux Thomas, archevêque de Cantorbéry et martyr, et tous ceux qui leur avaient donné conseil, aide ou assentiment, ainsi que tous ceux qui les recevraient dans leurs terres ou leur accorderaient faveur. Ces assassins se retirèrent pendant un an à Knaresborough dans un château du roi.

Miracles opérés sur la tombe de Becket. — Mort de l'évèque de Winchester. — Cette même année, vers la solennité de Pâques, notre seigneur Jésus-Christ qui est en tout et partout admirable dans ses actes saints, consacra, par de fréquents et glorieux miracles, la vie exemplaire et incomparable de son très-glorieux martyr, Thomas; archevêque de Cantorbéry, ainsi que sa fermeté dans la mort, afin qu'il fût évident pour tous que celui qui durant tant d'années, avait souffert, en défendant la liberté de l'église attaquée, la proscription dont il était victime lui et les siens, avait enfin remporté un triomphe digne de ses mérites. Aussi, quiconque s'approchait du tombeau de ce glorieux martyr avec un cœur plein de foi ne se retirait jamais sans être guéri, de quelque infirmité qu'il fût atteint. Là, les boiteux recouvraient l'usage de leurs jambes; les sourds, l'ouïe; les aveugles, la vue; les muets, la parole; les lépreux, la santé; les morts, la vie, et non-seulement les hommes et les femmes, mais encore les oiseaux et les animaux étaient ressuscités. Cette même année, le roi d'Angleterre, Henri, de retour en Angleterre le 8 des ides d'août, alla rendre visite à Henri, évêque de Winchester, qui était à l'extrémité. L'évêque adressa au roi des reproches fort durs sur la mort du glorieux martyr Thomas, et lui prédit qu'il serait en butte à une foule de malheurs. Le prélat expira ensuite plein de jours le 8 des ides d'août.

Henri II entre en Irlande. — Deuil de l'église de Cantorbéry. — Vers le même temps, le roi des Anglais, Henri, entra à main armée en Irlande, le quinzième jour avant les calendes de novembre; les archevêques et les évêques du pays le reçurent pour seigneur et roi, et lui jurèrent fidélité. Le petit roi de Limeleie [Limerik?], celui de Chore [Korke2?], et un autre roi du pays surnommé Monoculus [le Borgne], lui firent hommage. Mais Rodrik, roi de Comat, [Connaught?], qui occupait un pays inaccessible coupé par de grands marais, où les gués étaient dangereux, les communications difficiles et la navigation peu sûre, entreprit de résister au roi Henri. Cette même année, le jour de la fête de saint Nicolas, Roger, archevêque d'York, ayant prêté serment à Albemarle qu'il n'avait eu nullement connaissance des lettres de prohibition du seigneur pape avant le couronnement du jeune roi; qu'il ne s'était pas engagé envers le roi à observer les coutumes du royaume, et qu'il n'avait contribué sciemment à la mort du glorieux martyr Thomas, ni en paroles, ni en écrit, ni en action, fut rétabli pleinement dans son office.

Un an presque entier s'était écoulé depuis la mort du bienheureux martyr Thomas. Alors l'église de Cantorbéry cessa de célébrer les divins mystères; elle se condamna aux lamentations et aux larmes. Le temple fut dépavé, la sonnerie des cloches fut suspendue, les murailles furent dépouillées de leurs ornements, pour que ces signes de deuil s'associassent à la douleur du clergé, qui se revêtait de cilices et se couvrait de cendres en commémoration du meurtre. Enfin, le jour de la fête de saint Thomas, apôtre, sur les instances de leur mère l'église de Cantorbéry, les évêques suffragants se réunirent afin de rétablir dans son ancien état, d'après ce qu'ordonnerait le seigneur pape, cette église qui souffrait d'être si longtemps sans chef. Barthélemy, évéque d'Exeter, sur la demande du couvent, vint célébrer à Cantorbéry, une messe solennelle, et au moment de commencer le sermon devant le peuple, il prit pour texte: «Vos consolations réjouissent mon âme d'après la multitude des douleurs qui sont dans mon cœur.»

Tremblement de terre. — Le fils de Henri II excite à la révolte contre son père. — Henri II obtient son absolution des légats. — Faits divers. — L'an du Seigneur 1172, dans la nuit de Noël, on entendit des coups de tonnerre subits et effrayants gronder à la fois sur l'Angleterre, sur l'Irlande et sur la France; ils semblaient ainsi en plusieurs lieux, inviter les hommes à admirer les nouveaux miracles du bienheureux martyr Thomas: afin que de même qu'il avait versé son sang pour toute l'église, de même sa passion fut honorée par les regrets de tous les pieux chrétiens. Vers le même temps, lorsque le roi d'Angleterre séjournait en Irlande, Hugues de Sainte-More3 et Raoul de Faie, oncle de la reine Aliénor, par le conseil de ladite reine (à ce qu'on prétend) commencèrent à exciter le roi Henri le jeune contre son père: «Il est inconvenant, disaient-ils, que vous ne soyez roi que pour la forme, et que vous n'ayez pas dans le royaume le pouvoir qui vous est dû.» Le roi Henri le père, avant de revenir d'Irlande, réunit un concile à Lissemor4. Tous ceux qui composaient l'assemblée accueillirent avec faveur l'établissement des lois anglaises et en garantirent l'observation en prêtant caution juratoire. Le roi mit des garnisons fidèles dans toutes les villes et châteaux qui reconnaissaient son pouvoir. Puis, comme il était appelé ailleurs par diverses affaires, il s'embarqua le soir5 même du jour de Pâques, et le lendemain du même jour aborda dans le pays de Galles. De là, il se rendit à Dorchester, et après une heureuse navigation, il arriva en Normandie. Aussitôt il alla trouver Albert et Théodine, cardinaux envoyés par le pape, et après de longues négociations, il jura en présence desdits légats, qu'il n'avait ni ordonné, ni voulu la mort du glorieux martyr Thomas, et qu'il ne l'avait recherchée par aucun moyen. Cependant comme il était avéré que les méchants avaient recueilli des paroles imprudentes, prononcées par le roi dans l'emportement de la colère, et que ces hommes chargés de crimes qu'il entretenait auprès de lui pour amis et pour compagnons avaient pris de là prétexte de tuer le saint homme de Dieu, en disant qu'ils vengeaient le roi d'un traître, c'est-à-dire de l'archevêque, Henri demanda en toute humilité l'absolution, et l'obtint. Mais il promit, selon les conditions imposées par les légats, de donner sur ses biens assez d'argent pour subvenir pendant un an à l'entretien de deux cents chevaliers qui combattraient en Terre-Sainte; il promit de plus de consentir à ce que les appels eussent lieu librement, d'abroger et d'annuler les coutumes qui avaient été introduites par lui contre les libertés de l'église, et de restituer dans leur intégrité à l'église de Cantorbéry les possessions qui lui avaient été enlevées après le départ de l'archevêque. Il promit enfin de rendre sa faveur et tous leurs biens, avec permission de revenir sans être inquiétés, aux clercs ou laïques des deux sexes qui étaient sortis du royaume avec le bienheureux martyr. Les légats lui enjoignirent au nom du seigneur pape de promettre, de jurer et d'exécuter ces conditions, en rémission de tous ses péchés. Le jeune roi jura et promit aussi tout ce que le roi son père avait juré et promis. Ensuite le jeune roi, avec son épouse Marguerite, passa au mois d'août en Angleterre, et le douzième jour avant les calendes de septembre, à Winchester, Rotrou, archevêque de Rouen, assisté de quelques-uns des suffragants de Cantorbéry, sacra reine d'Angleterre ladite Marguerite. Cette même année, Gilbert, évêque de Londres, jura publiquement qu'il n'avait contribué sciemment à la mort du bienheureux martyr Thomas, ni en paroles, ni en action, ni en écrit, et fut rétabli dans son office.

Mariage de Jean-sans-Terre. — Le fils de Henri II abandonne son père et passe en France. — Élections ecclésiastiques. — L'an du Seigneur 1173 le roi d'Angleterre Henri donna pour femme, à son fils Jean surnommé Sans-Terre, la fille aînée, à peine âgée de sept ans, de Hubert, comte de Maurienne, qui l'avait eue de l'épouse répudiée du duc de Saxe6 Henri. Cette même année aussi, la veille des nones de mars, à Lamehith7, en présence des suffragants de l'église de Cantorbéry, Robert, abbé du Bec, fut nommé à l'archiépiscopat de ladite église; mais il refusa absolument de consentir à son élection: on ne sait si ce fut par le sentiment de son impuissance, ou par un motif d'humilité religieuse.

Cette même année, le roi Henri le jeune, cédant aux sollicitations de conseillers impies, se sépara de son père, et se retira auprès du roi de France, son beau-père. A cette nouvelle, Richard, duc d'Aquitaine, et Geoffroi, comte de Bretagne, encouragés, dit-on, par leur propre mère, la reine Aliénor, embrassèrent la cause de leur frère, plutôt que celle de leur père. De là il advint des complots, des rapines, des incendies; et ce fut (on doit le croire) pour venger le bienheureux martyr Thomas, que Dieu souleva contre le roi Henri ses propres enfants: car jusqu'à sa mort ils furent ses plus cruels ennemis, comme le montrera la suite de cette histoire. Cette même année, Raoul de Warneville, sacristain de Rouen et trésorier d'York, fut établi chancelier d'Angleterre. Vers le même temps, sur les vives sollicitalions des cardinaux Albert et Théodine, le roi d'Angleterre Henri consentit à ce que les élections des églises vacantes fussent faites librement. En conséquence, Richard, archidiacre de Poitiers, fut élu à Winchester; Geoffroi, archidiacre de Cantorbéry, à Ély; Geoffroi, archidiacre de Lincoln, à Lincoln; Regnault, archidiacre de Salisbury, à Bath; Robert, archidiacre d'Oxford, à Hereford, et Jean, doyen de Chichester, à Chichester, avec l'assentiment du justicier du roi.

Richard élu archevêque de Cantorbéry. — Bref du pape touchant la célébration de la fête de Thomas, martyr. — Insurrection de Henri le jeune en Normandie. — Cette même année, la veille des nones de juillet, les suffragants de l'église de Cantorbéry et les plus âgés d'entre les frères ds couvent du même lieu s'occupèrent d'élire un archevêque, et fixèrent leur choix sur Richard, prieur de Douvres. Aussitôt que l'élection eut été faite, le nouvel élu jura fidélité au roi, sauf sa dignité, sans s'engager en aucune façon à observer les coutumes de Clarendon. Ces choses furent faites à Westminster, dans la chapelle de Sainte-Catherine, avec l'assentiment du justicier. Ce fut aussi dans cette assemblée qu'en présence de tous les évêques et barons, on fit lecture d'un bref du seigneur pape, qui contenait ceci, entre autres choses: «Nous vous avertissons tous tant que vous êtes, et vous enjoignons formellement, en vertu de l'autorité dont nous sommes investi, de célébrer solennellement la mémoire de Thomas, le glorieux martyr, jadis archevêque de Cantorbéry, chaque année, au jour de sa passion, afin qu'en lui adressant vos prières et vos vœux, vous obteniez le pardon de vos fautes, et que celui qui, vivant, a subi l'exil, et, mourant, a souffert avec une admirable constance le martyre, pour la cause du Christ, étant invoqué par les ardentes supplications des fidèles, intercède pour nous tous auprès de Dieu.» A peine la lecture de cette lettre était-elle achevée, que tous les assistants élevèrent eusemble la voix, et s'écrièrent: Te Deum laudamus. «Nous n'avons point eu, disaient les suffragants, le respect que nous devions à notre père, ni dans son exil, ni quand il revint d'exil, ni même après son retour; plutôt que de le secourir, nous l'avons persécuté obstinément.» Et afin de confesser leur erreur et leur iniquité, ils chargèrent l'un d'entre eux8 de prononcer au nom de tous leur confession solennelle, et de dire: Secourez-nous, Seigneur, et écoutez nos supplications, afin que nous, qui savons être coupables dans notre iniquité, nous soyons délivrés par l'intercession du bienheureux Thomas, votre pontife et votre martyr.» Cette même aimée, Marie, sœur dudit martyr, fut nommée, par ordre du roi, abbesse de Berking9. Vers le même temps, le roi Henri le jeune assiégea le château de Gournay, s'empara d'Hugues, qui y commandait, ainsi que de son fils et de vingt-quatre chevaliers, brûla le château et força les bourgeois à payer rançon. Vers le même temps, Robert, comte de Leicester, Guillaume de Tancarville, et une foule de comtes et de barons avec eux, abandonnèrent le parti du père et passèrent du côté du jeune roi. Cette même année, Guillaume, abbé de Reading, homme sage et pieux, fut choisi pour occuper l'archevêché de Bordeaux.

Le roi de France dévaste la Normandie. — Sa retraite. — Inaction de Henri II. — Cette même année, le roi de France, Louis, réunit une innombrable armée pour ravager la Normandie de fond en comble. Étant entré brusquement en Normandie, il s'empara du château d'Aumale, et força à se rendre prisonniers Guillaume, qui y commandait, ainsi que le comte Simon et plusieurs autres. De là il prit le château de Driencourt, et y mit garnison. Puis il se dirigea vers le château d'Arques, mais il perdit en route le comte de Boulogne; et alors le comte de Flandre, chagrin et consterné de la mort du comte son frère, regagna ses états.

Pendant que ces faits se passaient, le roi Henri le vieux restait tranquillement à Rouen et supportait tout ce qui arrivait avec patience, du moins en apparence. Il se livrait à la chasse plus vivement que de coutume et accueillait avec un visage plus gai et plus affable ceux qui venaient à lui. Pourtant il se voyait tour à tour abandonné par ceux qu'il avait nourris auprès de lui dès leurs jeunes années et qui se retiraient de lui, pensant que le pouvoir allait bientôt passer à son fils. Le roi de France, avec le roi fils du roi, étant venu mettre le siége devant Verneuil, Henri II envoya des députés au roi de France, pour lui enjoindre de quitter en toute hâte la Normandie; qu'autrement il irait lui rendre le jour même une visite à main armée. A ce message, le roi de France, qui savait que le roi d'Angleterre était très-puissant et très-emporté dans sa colère, aima mieux prendre le parti de la retraite que celui du combat; et, loin de se présenter en face du roi d'Angleterre, il rentra en France au plus tôt.

La ville de Leicester assiégée. — Asiles des Anglais vaincus. — Attaque des Écossais. — Leur retraite. — Cette même année, le cinquième jour avant les nones de juillet, la ville de Leicester fut assiégée par ordre du roi, parce que le comte qui en était maître avait abandonné le parti du père pour le parti du fils. La plus grande partie de la ville ayant été brûlée, les habitants se virent obligés de capituler, en donnant au roi trois cents livres d'argent pour avoir la permission de se disperser où ils voudraient. Cette permission leur fut accordée, à condition qu'ils choisiraient leur habitation dans des villes ou châteaux qui tinssent pour le roi. Les principaux bourgeois se dispersèrent; et, comme ils avaient offensé le roi en défendant longtemps leur ville, ils cherchèrent un asile où ils pussent être en sûreté contre les menaces et les vexations du roi. Les uns se rendirent sur les terres du monastère de Saint-Albans, premier martyr d'Angleterre; les autres, au bourg de Saint-Edmond, roi et martyr, comme dans le sein d'un défenseur. En effet, à cette époque, telle était la vénération des peuples pour ces deux martyrs, que les bourgs qui leur étaient consacrés offraient aux transfuges un asile et une protection assurée contre toute tentative ennemie. A leur départ, les troupes royales enlevèrent les portes de la ville, démantelèrent les murailles, et accordèrent aux chevaliers enfermés dans le château une trêve qui devait se prolonger jusqu'à la Saint-Michel. Alors le siége fut levé, le cinquième jour avant les calendes d'août. Après cet événement, le roi d'Écosse, Guillaume, redemanda au roi la province de Northumberland, qui avait été cédée au roi David, son aïeul, et possédée longtemps par l'Écosse. Mais ayant éprouvé un refus, il rassembla une armée tant de Gallois que d'Écossais, traversa sans trouver de résistance le territoire de l'évêque de Durham, porta l'incendie dans une foule de villages, massacra les femmes et les petits enfants, et fit un immense butin. Pour mettre un terme à ces dévastations, les seigneurs d'Angleterre marchèrent à sa rencontre et forcèrent le roi d’Écosse à rentrer dans ses étals. De plus, ils le poursuivirent dans sa retraite et livrèrent aux flammes toute la province de Lothian. Tout ce qui se trouvait hors de l'enceinte des villes devenait la proie des Anglais. Enfin les barons d'Angleterre accordèrent aux instances du roi d'Écosse une trêve qui devait se prolonger jusqu'à la fête de saint Hilaire, et rentrèrent triomphants dans le royaume

Le comte de Leicester passe en Angleterre pour se venger. — Il est fait prisonnier avec sa femme et ses partisans. — Robert, comte de Leicester, en apprenant le traitement qui avait été fait à sa ville, renferma dans son âme sa douleur et sa colère, et il passa en Flandre, afin de s'embarquer ensuite pour l'Angleterre avec sa femme. Après avoir réuni une nombreuse troupe de Normands et de Flamands, tant cavaliers que fantassins, il monta sur des vaisseaux, et voguant à pleines voiles, il aborda à Wallon, dans le comté de Suffolk, le troisième jour avant les calendes d'octobre. Il débarqua aussitôt avec célérité, et mit le siége devant le château, mais ne réussit pas à s'en emparer. De là il s'avança dans le pays, et le 3 des ides d'octobre, il attaqua, prit et brûla le château de Hagenet, après avoir mis à rançon trente chevaliers qui furent pris en le défendant. Puis, revenant sur ses pas, il arriva à Framlingham, où son séjour étant devenu onéreux à Hugues Bigod [son allié], maître du château, il se vit forcé de changer de plan et de diriger sa marche vers Leicester. Il se mit donc en route, mais il eut la précaution de tourner à gauche, du côté du bourg de Saint-Edmond, parce qu'il n'ignorait pas que l'armée du roi d'Angleterre était postée dans le canton pour le défendre. Malgré la nombreuse chevalerie qui accompagnait le comte de Leicester et qui paraissait disposée à bien combattre, il ne faisait pas grand fonds sur un corps de trois mille Flamands qu'il avait amenés avec lui. En effet, le combat s'étant engagé, après nombre de coups donnés et reçus, après avoir passé par toutes les chances d'une bataille, le comte, la comtesse et tous les seigneurs flamands, normands et français, qui étaient venus avec eux, furent pris et jetés dans les fers, le seizième jour avant les calendes de novembre. La comtesse, femme d'une intraitable fierté, avait au doigt un anneau rehaussé par une pierre d'un grand prix. Pleine de colère, elle le jeta dans un fleuve qui coulait près de là10, ne voulant pas que les ennemis tirassent de leur capture une aussi bonne aubaine. La plus grande partie des soldats flamands fut tuée, beaucoup se noyèrent; le reste fut chargé de fers et mis en prison sous bonne garde.

Henri II attaque à Dol les partisans de son fils. — Prise d'armes des seigneurs anglais contre Hugues Bigod. — Son issue. — Pendant le séjour du roi Henri le père à Rouen, il reçut la nouvelle que ses Brabançons et ses routiers11 tenaient enfermée, dans la ville de Dol, une chevalerie d'élite qui tenait pour le roi son fils. Aussitôt il monta à cheval avec les siens, le matin du lendemain arriva devant Dol, et en quelques jours obligea à capituler les partisans de son fils, qui lui résistaient. Déjà, avant son arrivée, ses routiers lui avaient tué une grande partie de ses ennemis. Là, furent pris Ranulf, comte de Chester, qui dernièrement avait passé du côté de Henri le jeune et l'avait reconnu pour son seigneur et roi, ainsi que Raoul de Fougères, Guillaume Patrice, Raoul de la Haie, Asculf de Saint-Hilaire, et quatre-vingts chevaliers12 avec eux. Vers le même temps, les seigneurs anglais, avec une nombreuse armée, marchèrent contre Hugues Bigod pour réprimer ses insolences; mais, au moment où tout le monde était persuadé qu'il allait être écrasé, l'argent apaisa la querelle: on conclut une trêve qui devait durer jusqu'à la Pentecôte. Bigod reçut pour lui, et pour quatorze mille Flamands mercenaires qui l'accompagnaient, un sauf-conduit signé par les barons eux-mêmes13, avec lequel il pouvait traverser les provinces d'Essex et de Kent; et ils poussèrent la complaisance jusqu'à lui fournir, à Douvres, des vaisseaux pour passer le détroit. Cependant, depuis cette époque, le comte ne put recouvrer son ancienne puissance. Cette même année, le nouvel élu de Cantorbéry partit pour Rome, accompagné de l'évêque élu à Bath.

Révolte de Roger de Moubray. — Prise de Saintes par Henri II. — Prise de Norwich par les rebelles. — L'an du Seigneur 1174, Roger de Monbray renonça à la fidélité qu'il devait au vieux roi, et releva dans l'île d'Axiholm un ancien château détruit depuis longtemps. Alors les gens du pays de Lincoln14 s'embarquèrent, vinrent assiéger le château, obligèrent à se rendre le constable15 et tous les siens; puis détruisirent le château. — Vers le même temps, la veille des calendes de mai, le roi Henri le vieux ayant appris que les partisans de son fils Richard s'étaient emparés de la ville de Saintes, prit les Poitevins avec lui et marcha pour délivrer la ville. Les soldats de Richard, sans respect pour Dieu ni pour la sainte église, étaient entrés dans l'église cathédrale qu'ils avaient transformée en citadelle, et qu'ils avaient remplie d'armes et de provisions16. Le roi, sachant que les ennemis s'étaient enfermés dans les trois forteresses, mit tous ses efforts à s'en emparer. Maître de deux de ces forteresses, il s'approcha de l'église cathédrale, qui était pleine de brigands et de gens armés, avec l'intention, non pas de forcer le temple de Dieu, mais d'en expulser ceux qui le souillaient. Tant dans l'église qu'en d'autres lieux, il y eut soixante chevaliers de pris et quatre cents arbalétriers. Après avoir rétabli la tranquillité de ce côté, le roi revint en Normandie, rappelé par la nécessité. En effet, Philippe, comte de Flandre, en présence du roi de France, Louis, et des seigneurs de son royaume, avait juré, en étendant la main sur les saintes reliques, d'entrer en Angleterre avec une nombreuse armée, dans quinze jours après la fête de saint Jean, qui était proche, et de soumettre le royaume aux ordres de Henri le jeune. Celui-ci, décidé par cette promesse, se rendit au port de Wissant, la veille des ides de juillet17, pour faire passer en Angleterre Raoul de la Haie avec une nombreuse chevalerie. Le comte de Flandre fit aussi prendre les devants à trois cent quatre-vingts chevaliers d'élite: ceux-ci ayant passé le détroit, ahordèrent à Arewell, en Angleterre, le 18 avant les calendes de juillet, avec des troupes pour la plupart éprouvées, et s'adjoignirent aussitôt le comte Hugues Bigod. Tous ensemble allèrent assiéger Norwich, dont ils s'emparèrent, le 14 avant les calendes de juillet, y firent un immense butin et beaucoup de prisonniers, dont ils tirèrent de grosses rançons. En voyant cet état de choses, les justiciers du roi s'accordèrent unanimement à députer vers le roi, Richard, évêque élu à Winchester, pour qu'il lui racontât fidèlement les dangers qui menaçaient l'Angleterre. Richard ayant passé en Normandie avec célérité, exposa, sans aucun détour, les événements tels qu'ils se passaient en Angleterre.

Henri II passe en Angleterre. — Sa pénitence sur le tombeau de saint Thomas. — Le roi reçut le vénérable messager avec les égards qu'il lui devait, et se prépara à partir. Il emmena avec lui la reine Aliénor, la reine Marguerite, son fils et sa fille Jean et Jeanne, et fit conduire avant lui, à Barfleur, le comte et la comtesse de Leicester, ainsi que plusieurs autres prisonniers qu'il avait en son pouvoir. Dans cette ville, il rassembla des vaisseaux très-promptement et s'embarqua avec une nombreuse armée; mais, pendant la traversée, le vent étant devenu contraire, les matelots doutaient que le passage pût s'effectuer ce jour-là. Le roi, apprenant que la mer était orageuse, leva les yeux au ciel, et s'écria à haute voix, au milieu de tous les siens: «Si le dessein que j'ai en tête doit rétablir la paix parmi les clercs et parmi les laïques; si le roi des cieux a résolu que mon arrivée soit le signal de la paix, que sa miséricorde me conduise au port du salut. Si, au contraire, le Seigneur est irrité, et qu'il ait décidé de châtier le royaume d'Angleterre avec la verge de sa fureur, qu'il ne m'accorde jamais d'aborder dans ce malheureux pays.» Lorsqu'il eut terminé son invocation, la mer s'apaisa, et le jour même il aborda sain et sauf avec tous les siens à Southampton. Aussitôt il se mit à jeûner au pain et à l'eau, et s'abstint d'entrer dans les villes jusqu'à ce qu'il eût accompli les vœux d'expiation qu'il avait formés dans son cœur, en l'honneur du bienheureux Thomas, archevêque de Cantorbéry et glorieux martyr. En effet, dès qu'il approcha de Cantorbéry, il descendit de cheval, et, dépouillant toute fierté royale, il marcha nu-pieds avec le visage d'un pèlerin contrit et pénitent. Le troisième jour avant les ides de juillet18, sixième férie, il arriva à l'église cathédrale; et là, gémissant, soupirant et versant d'abondantes larmes, ce nouvel Ezéchias se rendit au tombeau du glorieux martyr: il s'y prosterna la face contre terre et resta longtemps en oraisons, les mains étendues vers le ciel. Pendant ce temps, l'évêque de Londres, qu'il avait chargé de prononcer un sermon devant le peuple, déclara en son nom que le roi, invoquant pour le salut de son àme Dieu et le saint martyr, protestait devant l'assistance n'avoir ni ordonné, ni voulu, ni causé sciemment la mort du saint martyr. Mais comme les meurtriers du glorieux martyr s'étaient prévalus, pour tuer l'archevêque, de quelques paroles prononcées imprudemment par le roi, Henri demanda l'absolution aux évêques qui étaient présents, et soumit sa chair nue à la discipline des verges. Tous les ecclésiastiques, qui étaient venus en grand nombre, en déchargèrent chacun trois ou quatre coups sur les épaules du roi. Celui-ci, s'étant recouvert de ses habits, honora le martyr par des présents précieux, assigna de plus un revenu annuel de quarante livres, destiné à entretenir des cierges autour du tombeau de saint Thomas, et passa le reste du jour, ainsi que la nuit qui suivit, dans l'amertume du cœur: il se mortifia par les oraisons, les jeûnes et les veilles, et s'abstint de manger pendant trois jours. Alors, comme il avait apaisé la colère du bienheureux martyr, Dieu voulut qu'en ce même jour de samedi, où il avait fait pénitence et demandé l'absolution, son ennemi Guillaume, roi d'Écosse, fût fait prisonnier et enfermé sous bonne garde au château de Richemont. Ce même jour de samedi, le roi son fils vit dispersés, et presque engloutis, les vaisseaux qu'il avait rassemblés pour passer en Angleterre et la subjuguer: ce qui le força de rentrer en France.

Le roi d'Écosse prisonnier. — Prophétie de Merlin. — Victoires de Henri II sur les révoltés. — Disons quelques mots de la prise du roi d'Écosse. Comme l'année précédente, il était entré dans le Northumberland pour soumettre cette province et la réunir à son royaume par la force des armes. Mais les seigneurs du pays s'y opposèrent, et lui ayant livré une bataille en plaine, ils s'en emparèrent et le jetèrent dans une étroite prison. On rapporte qu'il y eut un si grand massacre de ces fourmis écossaises, que le nombre des morts est incalculable. Le roi, ayant été enfermé dans le château de Richemont, cette circonstance fut regardée comme l'accomplissement d'une prophétie de Merlin, conçue en ces termes: On lui mettra aux dents un mors forgé sur les rives «du golfe armoricain.» Le golfe armoricain doit s'entendre du château de Richemont, possédé de droit héréditaire et depuis un temps immémorial par des seigneurs de l'Armorique19. On doit à la vérité de mentionner les bienfaits dont Dieu combla le roi Henri, qui lui avait donné satisfaction, ainsi qu'au bienheureux martyr: cette faveur qu'il lui accorda à cette époque, par l'intercession du saint archevêque, nous fera comprendre ce qui suit. Le roi Henri ayant accompli ses vœux d'oraisons, fit son entrée à Londres, où il fut reçu avec respect. De là il marcha sur Hundington, dont il assiégea et prit le château, le quatorzième jour avant les calendes d'août. Bientôt les troupes du comte de Leicester, remirent au roi les châteaux de Grobi et de Montsorel, pour faire la paix à de meilleures conditions avec leur seigneur. Le onzième jour avant les calendes d'août, les seigneurs du Nord20, conduits par l'évêque de Lincoln, fils [naturel] du roi, soumirent par la force le château de Malessart, qui appartenait à Roger de Moubray. De toutes parts, des troupes de gens de guerre venaient se joindre aux forces du roi Henri, qui ayant réuni une nombreuse armée au bourg de Saint-Edmond, résolut d'assiéger Bungey et Framlingham, châteaux occupés par Hugues Bigod. Le comte se voyant hors d'état de résister, fit sa paix avec le roi le huitième jour avant les calendes d'août, moyennant mille marcs, et en donnant des otages. En même temps, cette nuée de Flamands que le comte Philippe avait envoyée en Angleterre, comme nous l'avons dit, s'engagea par serment à ne plus rentrer à main armée sur le territoire d'Angleterre, et obtint du roi la permission de retourner en Flandre. L'armée d'Henri le jeune, commandée par Raoul de la Haie, se retira aussi sans être inquiétée. Robert, comte de Ferrières, et Roger de Moubray, dont les châteaux de Trec et de Stutesbéry étaient alors assiégés par le roi, lui envoyèrent des députés, et obtinrent la paix. Guillaume, comte de Glocester, et Richard, comte de Clare, vinrent trouver le roi et promirent de lui obéir en tout. Alors l'illustre roi, vainqueur de tous ses ennemis, par l'intercession du glorieux martyr, repassa en Normandie après avoir pacifié l'Angleterre, le sept avant les ides d'août, et emmena avec lui le roi d'Écosse, le comte de Leicester, et Hugues de Castillon (?) qu'il retenait dans les fers.

Siège de Rouen par le roi de France. — Affaires ecclésiastiques. — Le roi Henri, en débarquant le troisième jour avant les ides d'août, trouva la ville de Rouen assiégée. En effet, Louis, roi de France, le roi Henri le jeune et Philippe, comte de Flandre, étaient survenus avec une armée nombreuse en l'absence du roi d'Angleterre, et ne laissaient point de relâche aux habitants assiégés. Mais le roi de France, en apprenant l'arrivée du roi d'Angleterre, brûla ses machines et se retira, non sans faire tort à sa renommée; car il laissa dans sa retraite beaucoup d'armes et de munitions de guerre qui tombèrent au pouvoir des Anglais. Cette même année, l'archevêque de Cantorbéry, revint de Rome, rapportant le pallium et le titre de primat d'Angleterre. Arrivé à Londres, le troisième jour avant les calendes de septembre, il réunit les principaux personnages des églises vacantes qui s'étaient choisi des pasteurs, confirma les élections, et consacra en même temps ceux qui avaient été élus à Winchester, à Ély, à Hereford et à Chichester. Geoffroy, élu à Lincoln, dont l'élection n'était pas encore confirmée, passa le détroit en personne, avec l'intention d'aller lui-même à Rome, ou d'y envoyer des députés.

Réconciliation entre Henri-le-Jeune et son père. — Concile de Westminster. — Arrivée d'un légat. — L'an du Seigneur, 1175, le roi de France Louis et le comte de Flandre, fatigués des dépenses énormes qu'ils avaient faites inutilement pour le roi Henri le jeune, et considérant les pertes d'hommes et de biens qu'ils avaient subies, eux et les leurs, déclarèrent qu'ils étaient décidés à ne plus ravager la Normandie; et en même temps, comme ils savaient que les fils du roi d'Angleterre avaient encouru la malédiction paternelle, la haine du clergé et l'indignation des peuples, ils firent tous leurs efforts pour les amener à rentrer en grâce auprès de leur père. Le roi d'Angleterre, sachant donc par des messagers envoyés de part et d'autre, que tous ses adversaires étaient venus à résipiscence, les invita à se rendre à une entrevue dans le Maine; et là, Geoffroy et Richard, ses fils, commencèrent par lui jurer hommage et fidélité. Quelques jours après, Henri le jeune se rendit à Bure, en Normandie, accompagné de l'archevêque de Rouen et de plusieurs évêques et barons; il se jeta aux pieds de son père en versant d'abondantes larmes, et se remit à sa merci. Mais le roi, semblable au bon père de famille quand il voit de retour l'enfant prodigue, fut saisi de compassion sur son fils qu'il aimait de toutes ses entrailles, et comprenant que c'était en lui le cœur qui parlait, il sentit tomber toute son indignation, et se borna à lui faire jurer hommage et prêter serment. Tout étant donc arrangé pour le mieux, et les baisers de paix ayant été échangés de bon cœur, le vieux roi délivra, sans rançon, neuf cent soixante-neuf chevaliers dont il s'était emparé pendant la guerre. Il n'en excepta que quelques-uns dont l'insigne méchanceté avait exaspéré ce roi, ordinairement si doux, et qui furent resserrés dans une rigoureuse captivité. Henri le jeune, de son côté, relâcha également sans rançon les chevaliers qu'il avait pris par le droit des armes, et dont le nombre s'élevait à plus de cent. Alors, le vieux roi envoya, dans toutes les terres de sa domination, des lettres qui donnaient avis de cette pacification, afin que tous ceux qui avaient eu à souffrir des chances de cette guerre, pussent partager la joie commune. Les lettres contenaient, de plus, l'ordre de remettre tous les châteaux qui avaient été fortifiés contre lui pendant les hostilités, dans l'état où ils se trouvaient au commencement de la guerre. Cette même année, un concile général fut tenu à Westminster, le quinzième jour avant les calendes de juillet, sous la présidence de Richard, archevêque de Cantorbéry et légat du saint-siége apostolique. Roger, archevêque d'York, refusa d'assister à ce concile. Regnault, comte de Cornouailles, mourut à cette époque. Hugues Pierre de Léon, cardinal diacre, étant venu en Angleterre avec le titre de légat, décida en faveur du roi, qu'il aurait l'autorisation de citer les clercs devant la justice séculière, quand il s'agirait de forfaiture pour les forêts et pour les fiefs laïques21.

Mise en liberté du roi d'Écosse. — A quelles conditions. — Cette même année, Guillaume, roi d'Écosse, détenu à Falaise, fit sa paix avec le roi d'Angleterre, à ces conditions, le sixième jour avant les ides de décembre. Le roi d'Écosse, devenait l'homme lige du roi d'Angleterre, pour le royaume d'Écosse, et pour toutes les terres de sa dépendance; il devait se déclarer son homme, et lui promettre allégeance comme à son seigneur spécial, ainsi qu'à Henri son fils, sauf la foi que ce dernier devait à son père. Et semblablement tous les évêques, comtes et barons du royaume d'Écosse, durent prêter serment d'hommage et de fidélité au roi d'Angleterre. De plus, Guillaume s'engagea pour lui et ses successeurs, à l'égard de Henri et de ses successeurs, à perpétuité et sans mal engin. Telle est la vraie teneur de la charte conservée au trésor, et à laquelle sont apposés les sceaux des évêques et barons d'Écosse. «Le roi d'Écosse, en outre, et tous ses hommes ne recevront en Écosse, ni sur aucune autre terre, aucun transfuge venu du royaume d'Angleterre; mais le roi d'Écosse et ses hommes le prendront et le livreront au roi des Anglais ou à ses justiciers.» En gage de l'observation de ces conditions et de ce traité, le roi d'Écosse donna au roi d'Angleterre et à ses successeurs, en perpétuité, les châteaux de Berwick et de Rocksburg. Si dans la suite des temps le roi d'Écosse cherchait à enfreindre ces conventions, les évêques d'Écosse avec les comtes et barons, devaient se lever contre lui, et les évêques lancer l'interdit sur sa terre, jusqu'à ce qu'il fut rentré sous l'obéissance du roi d'Angleterre. Alors le roi d'Écosse, après avoir donné des otages, revint en Angleterre, où il fut placé sous garde libre, jusqu'à ce que les châteaux qu'il avait promis au roi, eussent opéré leur soumission. Quant à tous les châteaux qui avaient été construits sur plusieurs points d'Angleterre et de Normandie, pendant la querelle du père et du fils, ils furent démolis par l'ordre du roi et sans que son fils s'y opposât.

Henri II et Henri-le-Jeune en Angleterre. — Oppression des Gallois. — Faits divers. — Institution des justiciers en tournée. — L'an du Seigneur 1176, les deux rois d'Angleterre, le père et le fils arrivèrent en Angleterre. Chaque jour ils mangèrent à la même table, et ils goûtèrent dans le même lit le repos tranquille de la nuit. Ils se rendirent ensuite au tombeau du bienheureux martyr, le glorieux Thomas, et y accomplirent leurs vœux, en priant avec humilité et avec componction. De là ils parcoururent ensemble l'Angleterre, établissant la paix partout, promettant justice, tant aux clercs qu'aux laïques, et rendant en effet à chacun son dû. Cette même année, Guillaume de Brause réunit par ruse une foule de Gallois dans le château d'Abergavenni22, et défendit à tout passant de porter l'arc ou l'épée. Mais comme ils s'opposaient à ce décret tyrannique, il porta contre eux tous une sentence de mort. Qu'on sache au moins que cette rigoureuse fidélité au roi était un prétexte pour pallier l'infamie de sa trahison. Le vrai motif, c'est qu'il voulait venger son oncle Henri de Hereford, que ces mêmes Gallois avaient tué précédemment, le saint samedi de Pâques. — Cette même année, Richard, archevêque de Cantorbéry, créa dans son diocèse trois archidiacres, Savaric, Nicolas et Herebert. C'était une mesure toute nouvelle, puisque de temps immémorial un seul archidiacre avait suffi. — Cette même année, Jean, doyen de Salisbury, fut consacré évêque de Norwich. Peu après, le roi d'Angleterre fit raser les châteaux de Leicester, de Hundington, de Walton, de Grobi, de Stutesbery, de Hay, de Trec, et une foule d'autres; en ressentiment des outrages qu'il avait subis de la part des maitres de ces châteaux. Le roi, ensuite, par le conseil de son fils et des évêques, institua des justiciers dans le royaume; il y eut à cet effet six grandes divisions et trois justiciers par chaque division. Ils jurèrent de maintenir intact le droit de chacun.

Le légat du pape obtient du roi quatre articles qui deviennent loi anglaise. — Faits divers. — Vers le même temps, Pierre de Léon, légat du saint-siége apostolique, étant venu en Angleterre, le roi lui accorda les quatre articles suivants, qui devaient être observés dans le royaume d'Angleterre: 1° Qu'à l'avenir aucun clerc ne soit traduit personnellement devant un juge séculier, pour crime ou excès de quelque nature que ce soit, sauf le délit de forêts et de fiefs laïques, pour lesquels on doit servage laïque au roi ou à tout autre seigneur séculier; 2° que les archevêchés, évêchés ou abbayes ne restent pas dans la main du roi passé un an, à moins de motif évident ou de nécessité urgente; 3° il accorda que les meurtriers des clercs étant convaincus ou ayant avoué seraient punis au tribunal du justicier royal, en présence de l'évêque; 4° que les clercs ne seraient point forcés de fournir preuve par duel. — Cette même année, Jeanne, fille du roi, promise au roi de Sicile, fut remise entre les mains de son époux, à Saint-Gilles, en présence d'hommes illustres, le cinq avant les ides de novembre. A cette époque, tous les châteaux d'Angleterre reçurent des garnisons de la main du roi. Vers le même temps, Guillaume, comte de Glocester, n'ayant pas de fils, et supportant avec peine de voir son héritage partagé entre ses filles, nomma pour lui succéder Jean-sans-Terre, fils du roi. Hugues, Pierre de Léon, ayant accompli sa tournée comme légat, passa la mer. Le roi Henri donna sa fille cadette au roi d'Apulie, et traversa le détroit, le sixième jour avant les calendes de septembre. — Mort de Richard, comte de Strigoil (?)23. Le comte Guillaume d'Arondel mourut aussi le quatrième jour avant les ides d'octobre, à Waverley, et fut enterré à Wimund, chapelle dépendante de Saint-Albans, et dont il avait été le patron. Gaultier, prieur de Winchester, fut nommé abbé de Westminster.

Henri II arbitre entre son gendre le roi de Castille et Sanche, roi de Navarre. — Sagesse du roi. — Vers le même temps, Alphonse, roi de Castille, gendre du roi d'Angleterre, et Sanche, roi de Navarre, son oncle, envoyèrent au roi d'Angleterre des députés, promettant de s'en remettre à son arbitrage sur un différend qui s'était élevé entre eux. Les députés furent introduits à Westminster, en présence du roi des évêques, des comtes et des barons. Ceux qui plaidaient la cause du roi Alphonse, prétendirent que Sanche, roi de Navarre, profitant de la position où se trouvait ledit roi de Castille, alors orphelin et encore en tutelle, lui avait pris des châteaux et des terres dans le royaume de Léon, entre autres Navarrette, Anthlena, Aptol et Agesen (?), avec leurs dépendances: que c'était par injustice et violence puisque le père d'Alphonse en était possesseur au jour de sa mort, et que lui-même en avait été le paisible détenteur plusieurs années après. Aussi ils en demandaient la restitution au nom de leur maître. Ceux qui étaient chargés de parler pour le roi Sanche, ne contredirent rien de ce qu'avaient avancé leurs adversaires; mais ils affirmèrent que ledit Alphonse avait enlevé audit Sanche, par guerre et par injustice, les châteaux de Lerin, de Porlel, et celui qu'on nomme Godin24. Et comme la partie adverse ne disait pas non plus le contraire, ils demandèrent avec les mêmes instances que restitution fût faite à leur maître. Les députés déclarèrent en outre devant l'assemblée, que lesdits rois avaient conclu et confirmé par serment une trêve pour sept ans. Alors le roi d'Angleterre prit l'avis des évêques, comtes et barons, sur les plaintes mises en avant, et sur les terres enlevées de part et d'autre, par violence et injustice. Comme ni l'une ni l'autre des parties n'avait repoussé l'allégation de violence présentée par chacune d'elles, et qu'il n'y avait aucun motif qui pût empêcher les restitutions mutuelles demandées par les ambassadeurs, le roi prononça pour les deux parties la restitution pleine et entière qu'elles sollicitaient par voie de droit, il ajouta que la trêve conclue et jurée par les deux prétendants devait être inviolablemeut maintenue jusqu'au terme fixé. Il décida aussi que pour le bien de la paix, le roi Alphonse paierait libéralement au roi Sanche une somme de trois mille marabotins, d'année en année, jusqu'à dix ans, et les engagea à conclure mutuellement la paix et à s'unir par les liens d'une perpétuelle amitié. Vers le même temps, les ambassadeurs de Manuel, empereur de Constantinople, ceux de Frédéric, empereur des Romains, ceux de Guillaume, archevêque de Trêves, ceux du duc de Saxe, ceux du comte de Flandre, Philippe, qui tous avaient diverses affaires à démêler, se rendirent ensemble comme s'ils s'étaient donné rendez-vous à Westminster, dans la cour du roi des Anglais, la veille des ides de novembre. Nous mentionnons ces faits, afin que l'on sache quelle était la réputation de sagesse et de grandeur du roi Henri, puisque de presque tous les points du globe on se rendait à son audience, et qu'une foule de princes s'en remettaient à sa décision pour la solution de questions délicates.

Faits divers. — Réconciliation entre l'empereur Frédéric et le pape. — Teneur du traité entre le roi d'Angleterre — et le roi de France. — L'an du Seigneur 1177, on remplaça les chanoines appelés séculiers de l'église de Waltham par des chanoines réguliers, la veille de la Pentecôte, sur l'ordre du souverain pontife, par les soins et en présence du roi Henri. Le même jour, Raoul, chanoine de Chester, fut investi par l'évêque de Londres de la cure de ladite église de Waltham, et il s'engagea par des paroles expresses à observer soumission envers lui comme envers son diocésain canonique. Les frères chanoines furent mis en possession de l'église, et Raoul reçut du même évêque le titre de prieur, et fut installé solennellement.

Cette même année, Philippe, comte de Flandre, et Guillaume de Mandeville partirent pour Jérusalem. — L'empereur Frédéric vint se jeter aux pieds du pape Alexandre, sur la connaissance qu'il eut d'un prodige, qui lui fut certifié par le pape lui-même. C'est qu'à l'époque où il persécutait ledit pape, celui-ci, redoutant le passage sur terre, avait été obligé de se confiera la mer. Une tempête s'était élevée, et alors, se revêtant de tous ses ornements pontificaux comme s'il allait célébrer les mystères, debout sur le navire, il avait commandé aux flots et aux vents, au nom de Jésus-Christ, dont il était le vicaire: aussitôt une tranquillité parfaite avait régné sur les eaux. En apprenant ce prodige, l'empereur stupéfait s'humilia; et comme il craignait Dieu plus que les hommes, il résolut de donner satisfaction au pape sur tous les points. Ainsi cessa le schisme. Vers le même temps, le roi d'Angleterre ayant tout disposé dans le royaume au gré de sa volonté royale, repassa en Normandie le quinzième jour avant les calendes de septembre. Aussitôt le roi de France et lui se réunirent dans une entrevue, et firent un traité en ces termes. «Nous, Louis, roi de France, et nous, Henri, roi d'Angleterre, voulons qu'il vienne à la connaissance de tous que, par l'inspiration de Dieu, nous avons promise! juré par serment de partir ensemble pour le service de celui qui a été crucifié, et de prendre le signe de la sainte croix pour nous rendre à Jérusalem. Nous voulons désormais être mutuellement amis; en sorte que chacun de nous conserve à l'autre la vie, les membres et l'honneur de sa terre contre tous hommes. Et si quelqu'un, qui que ce soit, essaie de faire tort à l'un de nous, moi, Henri, j'aiderai Louis, roi de France, mon seigneur, contre tous hommes; et moi, Louis, j'aiderai Henri, roi d'Angleterre, contre tous hommes, sauf la foi que nous devons à nos hommes, tant qu'ils nous garderont la leur.» Ce traité fut fait à Minantcourt25, le 7 des calendes d'octobre.

Église bâtie en l'honneur de Thomas. — Hiver remarquable. — Éclipse de soleil. — Vision miraculeuse. — Miracles de saint Amphibale. — Détails sur la translation de ses os à Saint-Albans. — L'an du Seigneur 1178, le troisième jour avant les ides de juin, Richard de Luci, justicier d'Angleterre, dans un lieu qu'on appelle Westvood, sur le territoire de Rochester, jeta les fondements d'une église conventuelle, en l'honneur du bienheureux Thomas, martyr. Cette même année, le roi d'Angleterre, Henri, s'étant rendu maître de tous les châteaux forts, dans toutes les provinces qui reconnaissaient son autorité et qui étaient bornées par les possessions françaises, par la chaîne des Pyrénées et par l'Océan britannique, y disposa toutes choses selon son vouloir, et, aux ides de juin, revint visiter le tombeau du bienheureux martyr Thomas. Après avoir passé quelques jours à Cantorbéry, il se rendit à Woodstock, où il ceignit le baudrier militaire à son fils Geoffroi, le huitième jour avant les ides d'août. — Hiver remarquable par une neige épaisse et prolongée, par une congélation des eaux qui enferma les poissons; par une éclipse de soleil qui arriva le sixième jour avant les ides de janvier.

Il y avait à cette époque un homme qui habitait le bourg du bienheureux martyr Albans. Il était né dans le pays, vivait en paix avec ses voisins, menait depuis son enfance une existence aussi honorable que le lui permettait la médiocrité de sa fortune, et assistait assidûment aux offices divins. Une nuit qu'il était étendu dans son lit, un homme au visage beau et gracieux, à la taille élevée, entra dans la chambre où il était couché, vers l'heure où le coq chante; il était vêtu d'habits blancs, et portait dans sa main droite une baguette magnifique. A son entrée la maison s'illumina tout à coup, et une clarté aussi vive que celle du soleil brilla dans l'intérieur de la chambre. L'apparition, s'approchant du lit, adressa la parole à celui qui y était couché, et lui demanda d une voix douce s'il donnait. A ces mots: «Dors-tu, Robert?» Robert fut saisi d'un vif effroi, et ne pouvant revenir de son étonnement, il lui dit: «Qui êtes-vous, seigneur? — Je suis le martyr Albans, et je viens ici pour t'annoncer la volonté du Seigneur, touchant le saint religieux mon maître. celui de qui j'ai reçu la foi du Christ; les hommes parlent souvent de lui; les fidèles placent en lui leur espérance, parce qu'il doit être connu dans les temps à venir, quoique le lieu de sa sépulture soit ignoré de tous. Lève-toi donc aussitôt, revêts-toi de tes habits, et suis-moi: je te montrerai le tombeau où sont enfermés ses précieux restes.» Robert se leva, se chaussa et s'habilla en toute hâte, et le suivit. Tous deux prirent par le grand chemin, du côté du nord, et marchèrent jusqu'à ce qu'ils fussent arrivés à une plaine, depuis longtemps inculte, située près de la route royale. Ils causaient ensemble, comme peuvent causer deux amis en voyage: ils parlaient tantôt des murailles de la ville détruite, tantôt de la diminution du fleuve, tantôt de la voie commune qui aboutit à la villes tantôt de l'arrivée du bienheureux Amphibale, maître de Saint-Albans, dans la ville, tantôt de leur séparation douloureuse, tantôt de leur martyre à tous deux; et à toutes les demandes de Robert le saint se plaisait à répondre aussitôt. En causant ils virent venir des marchands de Dunstable qui se rendaient, le matin, pour leurs affaires, au marché de Saint-Albans. Le martyr, prévoyant leur arrivée, dit: «Écartons-nous un peu jusqu'à ce que ces gens-ci aient passé outre, de peur que par leurs questions ils ne nous arrêtent en chemin: voici que le jour commence à éclairer la route26.» Ainsi fut-il fait. Lorsqu'ils furent arrivés à peu près à la moitié du chemin, dans le milieu duquel deux arbres avaient été plantés, le martyr dit à Robert: C est ici que j'ai conduit mon maître, le bienheureux Amphibole, lorsque, sur le point de nous quitter, nous nous entretenions en pleurant, et pour la dernière fois, dans cette vie mondaine.» Si la splendeur qui rayonnait autour du saint n'eût ébloui les regards de Robert, et si la timidité naturelle aux âmes simples n'eût enchaîné sa langue, il se serait informé de beaucoup de choses, tant futures que passées. Ce lieu présentait l'aspect d'une plaine agréable: c'était une prairie coupée par des cours d'eau, et qui invitait au repos le voyageur fatigué de la route, non loin du village appelé Redburn, éloigné lui-même de Saint-Albans d'environ trois milles. Dans cette plaine s élevaient deux petites collines, nommées les collines de Bannières, parce que les habitants du pays s'y réunissaient en foule, tous les ans, à l'époque où le peuple des fidèles, d'après une antique tradition, suivait avec une ferveur convenable la procession solennelle du clergé de Saint-Albans. Alors. saint Albans se détournant un peu de la route, saisit la main de Robert et le conduisit à l'une des collines qui renfermait le tombeau du bienheureux martyr; puis, se tournant vers lui: «C'est ici, dit-il, que sont les restes de mon maître: voici la terre qui couvre et protège ses ossements.» A ces mots il promena sur le sol le pouce de Robert, en forme de croix: une petite portion de gazon se souleva, et le saint tira de l'ouverture une espèce de boîte qui jetait des rayons tellement vifs, que l'occident était illuminé, et qu'aussitôt cette clarté répandit une éclatante lumière sur tous les lieux d'alentour. Bientôt la cassette fut remise à sa place, l'ouverture comblée et le gazon replacé dans son ancien état. Robert, stupéfait, demanda au saint de lui apprendre ce qu'il fallait faire; le bienheureux Albans lui répondit: «Remarque bien ce lieu, afin que ta mémoire conserve fidèlement le mystère qui t'a été révélé en ce jour: car bientôt le temps viendra où cette connaissance, que toi seul possèdes, servira à l'utilité générale et contribuera au salut de plusieurs.» Robert mesura du regard la plaine et les lieux environnants, rassembla des pierres qui se trouvaient près de là, et les disposa d'une certaine façon sur le lieu même, en disant: «Demain, à l'aide de cette marque, je reconnaîtrai plus facilement ce saint lieu.» Le saint lui dit alors: «Lève-toi; partons d'ici, et retournons au lieu d'où nous sommes venus.» Ils s'en retournèrent en effet par le chemin qu'ils avaient déjà pris, et en arrivant à la porte de l'église (la maison de Robert était plus éloignée), le saint entra dans son église, et notre homme, de retour à sa maison, se recoucha dans son lit. Tout ceci, quoi qu'en disent quelques incrédules, n'est pas le résultat d'un rêve, mais est arrivé en vérité. Ce qui le prouve, c'est la suite de l'événement et le témoignage authentique d'un moine de Saint-Albans, frère Gilbert de Sisseverne, qui se fit souvent raconter l'aventure par Robert lui même, qui a recherché intimement la vérité du fait avec le soin qui convenait à un homme sage et lettré, qui, enfin, l'a attesté sous peine du jugement redoutable.

Robert, en se réveillant dans la matinée, se trouva dans une grande perplexité, ne sachant s'il devait taire ou révéler aux autres sans hésiter ce qu'il avait non-seulement vu, mais fait avec ses propres membres. En se taisant, il craignait de déplaire à Dieu; en publiant la chose, il redoutait les plaisanteries des hommes. Après un long débat avec lui-même, la crainte de Dieu l'emporta sur le respect humain:, et il communiqua son secret à ses serviteurs et à ses amis, quoique ce fût une chose qui dépassât ces intelligences grossières. Ceux-ci allèrent répéter au grand jour ce qui leur avait été dit dans l'ombre, et ce qui leur avait été confié dans le creux de l'oreille, ils le crièrent sur les toits. Il en advint que cette année même le secret se trouva répandu dans toute ta province, et qu'à force d'être répété de bouche en bouche, il pénétra dans le monastère du bienheureux martyr Albans. La nouvelle désirée parvint bientôt aux oreilles de l'abbé Simon, à qui, après Dieu, revenait spécialement le soin de toute cette affaire. Aussitôt celui-ci rendit des actions de grâces à Dieu, et sur l'avis de son conseil, choisit quelques frères du couvent qu'il envoya, guidés par Robert, à l'endroit que celui-ci devait leur désigner. Les moines restés au couvent se mirent à prier avec ferveur, et ceux qui suivaient Robert désiraient ardemment voir les restes des saints martyrs. Lorsqu'ils furent arrivés, ils trouvèrent sur la colline une multitude de fidèles, venus de diverses provinces, à qui l'Esprit saint avait révélé d'avance l'heureux événement, et qui étaient accourus avec la même pensée, celle d'assister à la découverte des restes du martyr. Robert, dont nous avons souvent parlé, marchait devant, montrant aux frères, au milieu de ceux qui attendaient l'événement avec impatience, la plaine où étaient ensevelis les corps des saints. Ces faits se passèrent la sixième férie avant la solennité de Saint-Albans, jour où l'on célèbre aussi sa passion. Depuis ce jour jusqu'à celui où les reliques furent tirées de terre, le lieu consacre fut soigneusement gardé, les moines et les laïques se succédant sans relâche. Pendant ce temps le couvent se soumit à un régime plus austère, fit des processions, et recommanda au peuple de se mettre en prières et d'observer un jeûne solennel. Déjà le lieu où devait se faire la précieuse découverte présentait l'aspect d'une foire, et quand ceux qu'une dévotion fervente y avait amenés se retiraient, d'autres leur succédaient journellement.

Déjà cependant plusieurs miracles, opérés par les saints martyrs cachés encore dans les entrailles de la terre, faisaient bien augurer du succès de l'entreprise; ce sont choses que le témoignage de plusieurs pourra confirmer. Une femme de Catesden était atteinte depuis dix ans d'une infirmité dans le dos et dans les reins27. Cette maladie avait fini par dégoûter son mari qui la négligeait. Elle quitta son pays, passa par Redburn, s'approcha de la sépulture des saints martyrs, se coucha sur le sol et ne se releva qu'en se sentant parfaitement guérie. Une autre femme de Dunstable, nommée Cécile, affligée depuis seize ans d'une hydropisie au ventre, paraissait être constamment enceinte28. Comme elle désirait ardemment être guérie, elle se rendit au même lieu, et y recouvra sur-le-champ la santé qu'elle souhaitait depuis si longtemps. De même une jeune fille, âgée de quinze ans, qui depuis sa naissance n'avait pu faire usage de ses pieds pour marcher, et qui avait toujours été portée sur les bras de ses parents, fut placée près du lieu consacré où elle s'endormit quelque temps, et en se réveillant, elle put marcher et sauter, ce qui changea en joie la douleur de ses parents.

Cependant se lève le jour de la commémoration solennelle du bienheureux martyr Albans, jour illustre en lui-même, mais que la publication de tous ces miracles rendait plus illustre encore. On engage les fidèles à répandre des aumônes plus abondantes. Chacun doit restreindre encore la portion de ses aliments, et une nouvelle procession est ordonnée aussi pour le lendemain. Mais les jours qui s'écoulèrent depuis la solennité jusqu'à la découverte ne se passèrent pas dans un inutile repos; au contraire, jusqu'à l'heure où on les découvrit, les saintes reliques opérèrent des miracles évidents. Un homme de Kyngesbery tournant en dérision les recherches de ceux qui fouillaient la terre, se rendit pendant la nuit à la colline avec les autres; il était venu par la même route, mais avec une intention bien différente. Aussitôt il fut possédé par le démon, se livra à toutes les contorsions d'un homme furieux, déchira ses vêtements, les jeta loin de lui; et cet homme qui était venu pour se moquer du spectacle des travailleurs, fut livré lui-même en spectacle à tous. Enfin, après qu'il eut été longtemps tourmenté aux yeux de la foule, Dieu retira de lui sa main qui le frappait, et se contentant de ce châtiment, lui permit de retourner chez lui sain et sauf. Un autre homme qui poursuivait de ses railleries les travailleurs occupés à la recherche des reliques fut aussitôt puni par la vengeance divine. Un mal terrible lui coupa la parole, et il rendit bientôt le dernier soupir avec cette bouche qui avait blasphémé. Un certain Algar, de Dunstable, était venu aussi au milieu de la foule, apportant sur un chariot un tonneau plein de cervoise qu'il voulait débiter. Un pauvre homme malade l'aborda, et, dans la simplicité de son cœur, lui demanda, pour l'amour du martyr dont le peuple attendait la découverte, de lui donner un peu à boire afin d'apaiser la soif dont il était dévoré. A ces paroles du malade, Algar se mit fort en colère disant qu'il s'inquiétait peu du martyr, qu'il n'était pas venu pour lui, mais pour tirer parti de sa marchandise. Mais au moment où il repoussait outrageusement le pauvre, voici que le tonneau creva brusquement à chaque fond, la cervoise se répandit à terre, et il arriva que cet homme, qui par mépris pour le nom du martyr en avait refusé une petite partie, fut puni par ce même martyr, et vit, sans pouvoir s'y opposer, non-seulement le pauvre, mais beaucoup d'autres encore, se mettre à genoux et se désaltérera longs traits. Mais si, par l'intercession du martyr, la méchanceté des pervers fut réprimée, la dévotion des fidèles reçut le prix qu'elle méritait. En effet, pendant trois jours qui s'écoulèrent encore, dix individus des deux sexes furent guéris de diverses infirmités, et recouvrèrent leur ancienne santé à la gloire de Dieu et du bienheureux martyr.

Le matin du jour où la précieuse découverte devait se faire, le vénérable père, l'abbé Simon, se rendit au saint lieu, et après avoir célébré dans la chapelle de Saint-Jacques, tout près de là, les mystères de notre rédemption, en l'honneur du bienheureux martyr Albans, il ordonna aux moines qui. étaient présents, de faire pousser les fouilles, et d'y employer plusieurs travailleurs. Cette chapelle avait été élevée dans les temps anciens, en l'honneur du martyr, à cause des rayons d'une lumière céleste qui avaient apparu fréquemment, dans ce lieu même, aux pasteurs occupés pendant la nuit à veiller sur leurs troupeaux. Après sa construction, on l'avait mise sous l'invocation de saint Jacques spécialement, et des autres saints, en l'honneur de qui la lueur céleste avait apparu. Aussi, ledit abbé, en célébrant les divins sacrements, dans ce lieu même, implora l'aide du bienheureux martyr pour la réussite de l'entreprise. L'abbé étant ensuite de retour au couvent, et s'étant assis pour dîner avec les frères, on fit lecture de la passion du saint que l'on cherchait et de celle de ses compagnons; passion qui les délivra de la prison du corps, pour leur faire acquérir la gloire éternelle. Au moment où la sentence cruelle du juge, la barbarie des bourreaux et la mort des martyrs racontées avec détail, affligeaient ces âmes pieuses, tiraient des larmes de tous les yeux et des soupirs de toutes les poitrines, quelqu'un vint annoncer, en courant, que le bienheureux Amphibale avait été découvert avec ses trois compagnons. Que dirai-je? Les soupirs sont changés en actions de grâces: à la tristesse succède la joie la plus vive. Toute la congrégation se lève de table, se rend en hâte à l'église, et annonce, en chantant des hymnes de reconnaissance, la joie qui la transporte. Le corps du bienheureux martyr Amphibale fut trouvé au milieu de ses deux compagnons, et côte à côte avec eux. Un troisième compagnon était enterré tout seul, à l'opposite, et dans une situation transversale. Non loin de là, on découvrit les corps de six martyrs qui avaient partagé le sort des martyrs précédents, en sorte que le bienheureux martyr Amphibale paraissait être le dixième. A la vue des restes de l'athlète du Christ, Amphibale, on aperçut deux grands couteaux; l'un était enfoncé dans la tête et l'autre dans le cœur, comme en fait foi un traité sur la passion du martyr, écrit depuis fort longtemps, et conservé à Saint-Albans. Le texte de ce livre dit aussi que les compagnons d'Amphibale furent massacrés à coups d'épée; mais que, pour lui, on lui ouvrit d'abord le ventre, on lui arracha les intestins, on le perça ensuite de lances et de couteaux; enfin on l'écrasa sous une masse de pierres. En effet, dans le squelette, aucun des os n'était entier, tandis que ceux de ses compagnons étaient parfaitement conservés.

En apprenant l'heureuse nouvelle, l'abbé dont nous avons parlé s'adjoignit le prieur avec quelques frères du couvent, se rendit en hâte à la sépulture des saints, et soulevant avec respect les reliques, les posa sur des linges apportés exprès. Comme il craignait quelque larcin ou quelque violence de la part de la foule, qui se ruait de tous côtés, et qu'on ne pouvait empêcher de porter la main au précieux trésor, il se détermina à transférer les saints martyrs dans la basilique du bienheureux Albans, où la garde pourrait être faite avec plus d'exactitude et de sécurité. Comment raconter dignement ce qui suit? L'abbé et les frères reviennent d'un côté, en portant processionnellement les reliques des saints. De l'autre, les frères restés au couvent s'avancent aussi en procession à la rencontre des martyrs, amenant avec eux le corps du bienheureux Albans; et la châsse qui le contenait, ordinairement assez lourde, au dire des porteurs, sembla en ce moment si légère, qu'elle paraissait voler plutôt que reposer sur les épaules de ceux qui la soutenaient; ainsi donc le martyr alla au-devant des, martyrs: le disciple retrouva son maître, et l'accueillit à son retour public, lui dont jadis en secret il avait reçu les pieux enseignements dans une humble chaumière. Nous ne devons pas non plus passer sous silence le miracle que Dieu fit éclater dans la nature, au moment où les reliques se rencontrèrent et se réunirent. La sécheresse se prolongeait depuis longtemps; les plantes et les fruits étaient brûlés: les gens de la campagne se désespéraient. Au même instant, sans que le plus petit nuage parût au ciel, des torrents de pluie tombèrent en si grande abondance, que la terre, profondément arrosée, reverdit aussitôt, et que les laboureurs désolés purent concevoir l'espérance d'une riche récolte. Les restes précieux du martyr Amphibale et de ses compagnons furent découverts et portés solennellement au milieu des cantiques et des hymnes d'actions de grâces dans l'église de Saint-Albans, 886 ans29 après leur passion, l'an de l'incarnation du Seigneur 1177, le septième jour avant les calendes de juillet, un samedi. En s'approchant de ces saintes reliques, et même du lieu où elles avaient été d'abord ensevelies, les malades sont guéris de leurs diverses infirmités à la gloire de Dieu, et en l'honneur du martyr: les paralytiques reprennent l'usage de leurs membres; les muets recouvrent la parole, les aveugles la vue, les sourds l'ouïe; la marche des boiteux est redressée; et ce qui est plus admirable encore, ceux qui sont possédés du démon sont délivrés, les épileptiques sont guéris, les lépreux rendus à la santé, et les morts rappelés à la vie. Si quelqu'un désire prendre connaissance des miracles que la clémence divine opère par le moyen des saints, qu'il lise le livre célèbre où sont consignés les prodiges et les vertus de celui-ci. Pour nous, nous demandons au lecteur la permission de passer a autre chose.

Henri-le-Jeune se distingue en France dans les tournois. — Le roi de France vient en Angleterre. — L'an du Seigneur 1179, Henri le jeune, roi d'Angleterre, traversa la mer, et passa trois ans dans les joutes guerrières de France, y dépensant des sommes énormes. Là, il laissa de côté la majesté royale, de roi se transforma totalement en chevalier, fit caracoler son cheval dans l'arène, remporta le prix dans diverses passes d'armes, et s'acquit un grand renom partout où il séjourna. Alors, comme rien ne manquait à sa gloire, il revint vers son père, et fut reçu par lui avec honneur. Cette même année, Louis, roi de France, résolut d aller prier sur le tombeau du bienheureux martyr Thomas, et de passer en Angleterre, où, ni lui ni aucun de ses prédécesseurs n'était entré en aucun temps. Le roi d'Angleterre alla à la rencontre du roi de France, et le reçut quand il débarqua à Douvres, le onzième jour avant les calendes de septembre. La réception qui lui fut faite, à lui et aux seigneurs qui l'accompagnaient, fut la plus brillante qu'on puisse imaginer et faire. Pour célébrer solennellement l'arrivée d'un si grand prince, l'église cathédrale de Cantorbéry vit réunis dans son enceinte l'archevêque avec les évêques ses suffragants, les comtes, les barons, le clergé et le peuple. Tout le monde sait, mais personne ne peut dire, combien d'or et d'argent fut donné par le roi Henri à la noblesse française, de combien de présents en pierreries et en objets précieux il combla tous ces seigneurs. De son côté, le roi de France, changea la destination d'un présent annuel et perpétuel de cent muids de vin qui devait être fourni pur la ville de Paris, et l'attribua au collége de Cantorbéry en l'honneur du glorieux martyr. Le roi Henri montra au roi de France et aux seigneurs français toutes les richesses de son royaume, et tous les trésors amassés par lui-même et par ses prédécesseurs. Mais les Français pour ne pas paraître être venus avec une autre intention que celle de visiter le tombeau du martyr, se défendirent de rien accepter: peut-être aussi préféraient-ils à tous les présents la vue du saint tombeau. Le roi de France, après avoir passé trois jours à Cantorbéry, veillant, jeûnant et priant, accepta quelques petits présents du roi d'Angleterre, en signe de bonne amitié, et repassa en France le septième jour avant les calendes de septembre. Cette même année, Roger, évêque de Worcester, mourut le 5 avant les ides d'août. Mort de Richard de Luci, évêque de Winchester. Martyre d'un enfant à Woodstock.

Concile de Latran. — Son objet exprimé en vingt-huit articles. — Cette même année fut tenu un concile général, composé de trois cent dix évêques, le quatorzième jour avant les calendes d'avril, dans l'église patriarcale de Latran, et sous la présidence du seigneur pape Alexandre III. Les statuts de ce concile, dignes d'éloges à tous égards, sont compris dans les vingt-huit articles qui suivent 1. relativement à l'élection du souverain pontife; 2. relativement aux Albigeois hérétiques, et autres de différentes dénominations; 3. relativement aux routiers et brigands Brabançons qui persécutent les fidèles; 4. que personne ne soit élu évêque, ou ne soit nommé à quelque dignité ecclésiastique que ce soit, s'il n'a l'âge voulu par les canons et s'il n'est né en légitime mariage; 5. que30 les bénéfices ne soient pas conférés pendant la vie du titulaire; qu'ils ne restent pas vacants plus de six mois; 6. relativement aux appels; 7. défense à tous ceux qui font partie des ordres sacrés, ou qui sont entretenus par des revenus ecclésiastiques, de se mêler d'affaires séculières; 8. relativement à l'institution des trêves et au temps que doivent durer les trêves; 9. les clercs ne peuvent avoir qu'une seule église, et si l'évêque a ordonné quelqu'un sans lui assigner un bénéfice assuré, il pourvoira à son nécessaire jusqu'à ce qu'il lui ait fixé un revenu sur un bénéfice quelconque; 10. défense aux patrons, comme à tous laïques, d'opprimer les églises ou les personnes ecclésiastiques; 11. défense aux Juifs et aux Sarrasins d'avoir chez eux des esclaves chrétiens; mais si les Juifs et les Sarrasins veulent se convertir à la foi du Christ, qu'ils ne soient aucunement privés de ce qu'ils possèdent31; 12. si les lépreux sont exclus de la cohabitation des autres hommes, qu'ils aient au moins une chapelle et un prêtre particuliers; 13. qu'on ne détourne pas pour d'autres usages les revenus ecclésiastiques, et que les évêques n'établissent pas, au prix d'une certaine quantité d'argent, des doyens chargés d'exercer pour eux la juridiction; 14. dans les élections ou ordinations ecclésiastiques, on suivra la décision de la plus grande et plus saine partie du chapitre; 15. que les usuriers reconnus ne soient pas admis à la communion de l'autel, et qu'ils n'aient pas une sépulture chrétienne; 16. que les laboureurs et voyageurs, et tout ce qui est à eux, jouissent partout de pleine paix et sécurité; 17. les ordinations faites par des schismatiques sont déclarées nulles et de nul effet, et les bénéfices conférés par eux sont révoqués; 18. défense de rien exiger pour l'installation des personnes ecclésiastiques, pour la sépulture des morts, pour la bénédiction donnée aux époux, et pour les autres sacrements de l'église; 19. défense aux religieux ou à tous autres de recevoir des églises ou des dîmes de la main des laïques, sans la permission des évêques; défense aux templiers et hospitaliers d'ouvrir une fois l'an les églises mises en interdit, et de prendre sur eux d'ensevelir leurs morts; 20. que personne ne reçoive l'habit de religieux pour de l'argent; défense aux convers d'avoir un pécule; que les prélats ne soient dégradés que pour dilapidation ou incontinence; 21. défense aux chrétiens de vendre des armes aux Sarrasins; défense de dépouiller ceux qui ont éprouvé un naufrage; 22. que les clercs faisant partie des ordres sacrés vivent dans la continence, et, s'ils sont surpris se souillant du péché contre nature, qu'ils soient excommuniés et chassés du clergé; 23. que les archevêques, en visitant les églises ou paroisses, se contentent de quarante ou cinquante chevaux, les évêques de vingt ou trente, les légats de vingt-cinq, les archidiacres de cinq ou sept, les doyens de deux au plus; 24. que personne n'ose figurer dans les tournois, et que les chrétiens morts dans les tournois soient privés de sépulture; 25. afin de pourvoira l'instruction des pauvres écoliers et autres, il y aura dans chaque église cathédrale un maître qui ne pourra exiger aucun salaire pour prix de son enseignement; 26. les prélats ne pourront gouverner qu'un seul diocèse, et les patrons ne pourront imposer aucune exaction aux églises établies sur leur fonds; 27. les évêques, ou autres gens d'église, ne seront point forcés de comparaître en jugement devant les laïques; des laïques ne devront pas prendre sur eux de conférer des dîmes à d'autres laïques; 28. si un créancier a reçu en gage des possessions d'un autre pour de l'argent prêté, qu'il rende le gage au débiteur, lorsque, tous frais déduits, le produit de l'usufruit aura couvert la somme.

Hérésie de Pierre Lombard. — Lettre du pape. — Réfutation de Pierre Lombard. — Condamnation de Joachim. — Le fils du roi de France sacré du vivant de son père. — Meurtre d'un chef gallois. — On rapporta, à la chancellerie du même pape, que maître Pierre Lombard s'était un peu écarté des articles de la loi dans quelques-uns de ses écrits; alors il adressa une lettre en ces termes à Guillaume, archevêque de Sens: «Alexandre. évéque. serviteur des serviteurs de Dieu, à Guillaume, archevêque de Sens, salut. Lorsque vous vous êtes trouvé dernièrement en notre présence, nous vous avons enjoint de vive voix de faire tous vos efforts, et d'employer un zèle efficace auprès des Parisiens, qui vous sont soumis comme vos suffragants, pour redresser la fausse doctrine de Pierre, jadis évéque de Paris, par laquelle il est dit: «Le Christ, en tant qu'homme, n'est rien.» C'est pourquoi, aujourd'hui, nous recommandons à votre fraternité, par cet écrit apostolique, ainsi que nous l'avons déjà fait quand vous étiez en notre présence, de convoquer les Parisiens vos suffragants, et, dans cette assemblée, avec l'aide d'autres gens religieux et sages, de mettre vos soins à ce que ladite doctrine soit complétement anéantie, afin que désormais les maîtres de l'Université à Paris enseignent à leurs écoliers, étudiant la théologie, que le Christ a été aussi complétement homme qu'il est complétement Dieu, et qu'il a été véritablement homme, composé de chair et d'âme; et vous devez leur enjoindre sérieusement et formellement à tous de ne plus se permettre d'enseigner, à l'avenir, la doctrine de Pierre sur le Christ, mais, au contraire, d'en avoir profondément horreur.»

Vers le même temps, Joachim, abbé du monastère de Flore, écrivit un livre contre ce même Pierre Lombard, le traitant d'hérétique et de fou. Dans le livre des sentences qu'il avait composé, Pierre Lombard avait ainsi parlé de l'unité, ou de l'essence de la Trinité: «Il y a une chose souveraine, le Père, le Fils et le Saint-Esprit: et cette chose ni n'engendre, ni n'est engendrée, ni ne procède.» Joachim32 soutenait que c'était là admettre une quaternité plutôt qu'une trinité, savoir, les trois personnes et cette essence commune; ce qui formait évidemment quaternité. Il disait qu'il n'y a rien, ni en essence, ni en substance, ni en nature, qui soit Père, et Fils et Saint-Esprit, quoiqu'il accordât que le Père, et le Fils et le Saint-Esprit sont d une seule essence, d'une seule substance et d'une seule nature. Et Joachim appuyait son assertion par les autorités suivantes: «Il y en a trois qui donnent témoignage dans le ciel: le Père, le Verbe et l'Esprit saint, et ces trois ne sont qu'un.» Et puis: «Il y en a trois qui donnent témoignage sur la terre: l'esprit, l'eau et le sang, et ces trois ne sont qu'un.» Et cet autre passage: «Je veux, mon père, qu'ils soient un en nous, comme nous sommes un.» D'où il paraît que ledit Joachim regardait l'union des personnes, non pas comme propre et réelle, mais seulement comme collective et similitudinaire; comme quand on dit que beaucoup d'hommes font un seul peuple, et beaucoup de fidèles une seule église.

Cette discussion resta plusieurs années sans solution, depuis l'époque du pape Alexandre jusqu'à l'époque du pape Innocent; intervalle rempli par quatre pontifes, Lucius, Grégoire, Clément et Célestin qui se succédèrent dans la chaire romaine. Enfin, l'an du Seigneur 1215, Innocent III tint un concile général à Rome, et y condamna en ces termes le livre que l'abbé Joachim avait écrit contre la proposition de Pierre. «Pour nous, avec l'approbation du concile sacré et universel, nous croyons et confessons avec Pierre Lombard qu'il y a une chose souveraine, incompréhensible sans doute, et ineffable, mais qui véritablement est le Père et le Fils et le Saint-Esprit, trois personnes ensemble et distinctes chacune. Aussi il n'y a en Dieu qu'une trinité, et nullement une quaternité, parce que chacune des trois personnes est cette chose, c'est-à-dire la substance, l'essence ou la nature divine, qui seule est le principe de tout, et au delà de laquelle on ne peut remonter. Et cette chose, ni n'engendre, ni n'est engendrée, ni ne procède; mais c'est le Père qui engendre, le Fils qui est engendré, et l'Esprit saint qui procède; en sorte qu'il y a distinction dans les personnes, et unité dans la nature. Quoique le Père soit autre, que le Fils soit autre, que l'Esprit saint soit autre, ils ne sont pas cependant d'outre nature; car le Père en engendrant le Fils de toute éternité, lui a donné sa substance, ainsi que le Fils l'atteste lui-même: «Ce que mon Père m'a donné, est plus grand que toute chose.» Et l'on ne peut dire qu'il lui ait donné une partie de sa substance, et qu'il ait gardé l'autre partie pour lui; puisque la substance du Père est indivisible, par cela qu'elle est absolument simple. On ne peut pas dire non plus que le Père ait transféré sa substance dans le Fils, en l'engendrant, comme s'il l'avait donnée au Fils sans la garder en lui: car alors il aurait cessé d'être. Le Fils a reçu en naissant la substance entière du Père, et ainsi le Père et le Fils ont eu la même substance, et le Père et le Fils sont la même chose, de même que l'Esprit saint qui procède de l'un et de l'autre, et qui demeure dans l'un et dans l'autre. Les fidèles du Christ ne sont pas un (comme dit l'abbé Joachim), c'est-à-dire une seule chose qui soit commune à tous, mais ils sont un dans l'union de la charité et de la grâce; tandis qu'on doit faire attention que pour les personnes divines l'unité d'identité est dans leur nature. Nous condamnons donc et réprouvons le livre ou la doctrine de Joachim; en sorte que si quelqu'un a la présomption de défendre ou d'approuver son opinion sur ce sujet, il soit regardé par tous comme hérétique.» Nous nous étendrons avec plus de détails, quand ce sera le lieu, sur le pape Innocent et sur ce dit concile de Rome.

Cette même année, Philippe, fils du roi de France Louis, fut sacré roi par Guillaume, archevêque de Reims, à Reims, le jour de la Toussaint, du vivant de son père, qui pourvut à tous les frais nécessités par cette cérémonie solennelle. Vers le même temps, Caldwallan, chef gallois, fut mis en cause devant le roi d'Angleterre, pour répondre à une foule de plaintes formées contre lui. Tandis qu'il revenait avec un sauf-conduit du roi, il tomba en route dans une embuscade dressée par ses ennemis, et y fut tué, le dixième jour avant les calendes d'octobre. Le scandale de cet attentat retomba en grande partie sur le roi, quoiqu'il en fût tout à fait innocent: aussi fît-il punir sévèrement les auteurs de ce meurtre.

Alliance entre le roi de France et le roi d'Angleterre. — Mort de Louis VII. — Siège de Taillebourg. — L'an du Seigneur 1180, Philippe, roi de France, nouvellement couronné, et le roi d'Angleterre, Henri, se réunirent dans une entrevue entre Gisors et Trie. Voici ce qui fut convenu entre eux: Nous, «Philippe, par la grâce de Dieu, roi de France, et nous, Henri, par la même grâce, roi d'Angleterre, voulons qu'il vienne à la connaissance de tous que nous avons conclu de bonne foi, et en prêtant serment, alliance et amitié. Afin de faire disparaître aujourd'hui entre nous toute cause de discorde, nous convenons mutuellement que l'un de nous ne réclamera contre l'autre aucune des terres, possessions, ou autres choses que chacun de nous a maintenant en sa puissance; excepté l'Auvergne sur laquelle il y a contestation entre nous; excepté le fief de Château-Roux; excepté quelques autres menus fiefs, épars dans la province de Berry. Si nous ne pouvons par nous-mêmes nous mettre d'accord sur les terres, au sujet desquelles nous faisons ces exceptions, moi, Philippe, je choisirai trois évêques et barons, et moi, Henri, j'en choisirai autant, qui prononceront entre nous, et nous nous rapporterons à leur jugement invariablement et de bonne foi.» Cette même année, Louis, roi de France, expira à Paris, le quatorzième jour avant les calendes d'octobre: il fut enterré dans une abbaye de l'ordre de Citeaux, appelée l'abbaye de Barbeaux, qu'il avait fondée à ses frais, et qu'il avait honorablement achevée.

Vers le même temps, Richard, duc d'Aquitaine et fils du roi Henri, réunit de toutes parts des chevaliers, afin de se venger des injures de l'orgueilleux Geoffroi de Rancon, et vint mettre le siége devant Taillebourg, place qui appartenait audit Geoffroi. C'était une entreprise fort périlleuse, et qu'aucun de ses prédécesseurs n'avait osé tenter; car avant cette époque ce château avait échappé à toutes les attaques. Il était entouré d'un triple fossé et d'une triple enceinte de murs. Les portes étaient garnies de serrures, de barres de fer, et d'autres moyens de résistance; de fortes tours s'élevaient de distance en distance. On avait amassé sur le rempart des tas de pierres. Les vivres y étaient renfermés en abondance. Enfin, défendu par des chevaliers et par mille braves gens de guerre, le château ne redoutait pas l'arrivée de Richard. Mais lorsque le duc, plus audacieux que les lions, fut entré à main armée dans le pays, il enleva les provisions des métairies, coupa les vignes, brûla les villages, démolit et abattit toute construction, et enfin vint camper près du château, établit ses machines pour battre les murailles, et attaqua vigoureusement les assiégés, qui ne s'attendaient à rien de pareil. Cependant (comme c'était une chose qui paraissait fort ignominieuse pour des chevaliers d'un grand cœur et d'une valeur éprouvée que de se laisser enfermer dans une enceinte de murs, sans chercher à y mettre obstacle) la garnison résolut unanimement de faire une sortie et de tomber à l'improviste sur l'armée du duc. En effet ils l'assaillirent avec ardeur; mais le duc, se précipitant sur ses armes, montre l'exemple aux siens, et force les assiégés à tourner bride; comme il les poursuit dans leur retraite, un furieux combat s'engage des deux côtés à l'entrée des portes. Là, les combattants éprouvent ce que peuvent le cheval, la lance, l'épée, l'arc, l'arbalète, le bouclier, la cuirasse, l'épieu, la masse d'armes. Enfin les assiégés ne pouvant résister plus longtemps aux charges impétueuses du duc, songent à rentrer dans leurs murs; mais l'intrépide Richard se précipite dans la ville, péle-mêle avec les ennemis, qui ne peuvent trouver d'asile nulle part: les soldais du duc courent çà et là sur les places, livrant tout au pillage et à l'incendie. Ceux des assiégés à qui un sort plus heureux a permis d'échapper à la mort se réfugient dans la principale citadelle; mais bientôt le chef de la citadelle est lui-même forcé de se rendre, et les magnifiques murailles de Taillebourg sont rasées. Les autres châteaux du pays qui favorisaient la rébellion éprouvèrent dans le mois la même destinée. Richard, après avoir tout soumis au gré de ses vœux, passa en Angleterre, où son père le reçut avec de grands honneurs. Une monnaie neuve est frappée en Angleterre. — Mort de Jean, évêque de Chicester.

Le roi de France remet son royaume à la disposition du roi d'Angleterre. — Mort de Roger, archevêque d'York. — Particularités sur ce personnage. — L'an du Seigneur 1184, les amis du roi de France Philippe, attirèrent son attention sur la puissance du roi d'Angleterre qui, à la tête d'un royaume si étendu, attaqué par des nations barbares telles que les Écossais et les Gallois, savait cependant le maintenir en paix. Alors, sur l'avis commun de ses conseillers intimes, Philippe se remit lui-même et tout son royaume à la disposition du roi33. Déterminé par cet exemple, le roi d'Angleterre remit à la disposition de son fils, le roi Henri, le duché de Normandie, et repassa en Angleterre le huitième jour avant les calendes d'août, avec l'intention de se mettre en prières sur le tombeau du bienheureux martyr Thomas. Cette même année, Roger, archevêque d'York, expira le douzième jour avant les calendes de décembre; il avait obtenu de son vivant ce privilége du pape Alexandre: «Si quelqu'un des clercs placé sous la juridiction de l'archevêque se trouve à l'extrémité et fait un testament, mais sans distribuer ses biens de ses propres mains, au moment de mourir, l'archevêque aura le droit de mettre la main sur les biens du défunt.» Ce droit que Roger avait invoqué contre les autres, lui fut appliqué après sa mort; et toutes les richesses qui furent trouvées dans les trésors de l'archevêque, furent confisquées par juste jugement de Dieu. Ces richesses se composaient d'une somme de onze mille livres d'argent et de trois cents livres d'or, d'une coupe d'or, de sept coupes d'argent, de neuf tasses d'argent, de trois salières d'argent, de trois coupes de myrre34, de quarante cullières, de huit soucoupes d'argent, d'une pelle d'argent, et d'un grand plat d'argent.

Lettre du pape au Prètre-Jean, roi des Indes. — Environ vers la même époque, le pape Alexandre écrivit en ces termes au roi des Indes Prêtre-Jean35. «Alexandre, évêque, à son très-cher fils en Jésus-Christ, salut et bénédiction apostolique. Nous savions depuis longtemps, sur le rapport de plusieurs, que vous faisiez profession de la religion chrétienne, et que vous désiriez ardemment vous livrer aux œuvres pieuses. Mais nous en avons été informé surtout par le récit fidèle que nous a fait en homme sage notre cher fils, le médecin Philippe, à qui, dans vos états, des hommes illustres et honorables de votre royaume ont communiqué vos intentions et votre projet. Il nous a dit tenir de leur bouche votre désir et votre dessein d'être instruit dans la science catholique et apostolique; et il assure que vous souhaitez de tous vos vœux pour vous et pour le peuple confié à votre sublimité, une foi telle que rien ne s'écarte en elle de la doctrine du saint-siége apostolique. Mais ce qui vient s'ajouter encore au mérite de votre intention déjà fort louable, c'est que, comme ledit Philippe affirme l'avoir appris de vos serviteurs, vous désirez ardemment établir dans votre capitale une église et un sanctuaire qui vous serve de Jérusalem, où puissent demeurer et s'instruire plus pleinement dans la discipline apostolique, des hommes sages et religieux, dont les enseignements vous aideraient bientôt, vous et vos hommes, à comprendre et à conserver dans vos âmes la saine doctrine. Aussi voulant redresser votre opinion sur les points dans lesquels vous vous écartez de la foi chrétienne et catholique, nous envoyons vers votre grandeur ledit Philippe: il vous instruira au plus tôt, par la grâce de la foi, sur les articles de la religion chrétienne que vous n'envisagez pas de la même manière que nous; et alors vous ne pourrez plus craindre que de fausses opinions nuisent à votre salut ou à celui des vôtres, et que le nom chrétien ne brille pas en vous de toute sa pureté.»

Mort d'Alexandre III. — Mariage de Philippe-Auguste. — Faits divers. — Cette même année mourut le pape Alexandre après avoir siégé douze ans36 dans la chaire romaine. Il eut pour successeur Humbault, évêque d'Ostie, qui occupa quatre ans la dignité pontificale, sous le nom de Lucius III. Vers le même temps, Philippe, roi de France, épousa Marguerite37, fille de Baudouin, comte de Hainaut, qui l'avait eue de Marguerite, sœur du comte de Flandre Philippe.

Cette même année, la vieille monnaie n'eut plus cours en Angleterre, et la nouvelle fut mise en circulation à la fête de saint Martin. Cette même année, Baudouin, abbé de Forden, monastère de l'ordre de Cîteaux, succéda à l'évêque Roger dans l'église de Worcester.

Démission de l'évèque de Lincoln. — Faits divers. — L'an du Seigneur 1182, le fils [naturel] du roi d'Angleterre, Geoffroy, élu évêque à Lincoln, et dont l'élection avait été confirmée par le seigneur pape, après avoir gouverné tranquillement son église pendant sept ans, se démit de sa dignité à Marleborough, le jour de l'Épiphanie du Seigneur, en présence du roi et des évêques du royaume, sans que personne l'eût obligé à prendre cette détermination. Vers le même temps, le roi Henri à Waltham, en présence des grands du royaume, assigna libéralement une somme de quarante-deux mille marcs d'argent et de cinq cents marcs d'or pour subvenir aux besoins de la Terre-Sainte, et ensuite il repassa en Normandie. Vers la même époque, Henri, duc de Saxe, et gendre du roi, ayant été banni et exilé par l'empereur, se réfugia en Normandie auprès du roi, amenant avec lui la duchesse sa femme et ses deux fils, Henri et Othon. Pendant trois années la munificence royale pourvut abondamment à tous ses besoins. Cette même année, Gaultier de Coutances, archidiacre d'Oxford, fut sacré évêque de Lincoln par Richard, archevêque de Cantorbéry, à Angers, dans l'église de Saint-Lô. Cette même année mourut Gaultier, évêque de Rochester.

Guarin, abbé de Saint-Albans. — Soulèvement de Richard. — Mort de Henri-le-Jeune. — Évêchés. — L'an du Seigneur 1185, Simon, abbé de Saint-Albans, étant mort, eut pour successeur Guarin, prieur de cette même église, qui reçut la bénédiction comme abbé le jour de la nativité de la mère de Dieu.

Vers la même époque, le roi Henri exigea vivement de ses fils Geoffroy et Richard qu'ils fissent hommage à leur frère aîné, le roi Henri, l'un pour la Bretagne, l'autre pour le duché d'Aquitaine. Geoffroy consentit volontiers pour le comté de Bretagne à ce que son père demandait. Richard, sommé par son père d'en faire autant, entra dans une violente colère: «Ne tirons-nous pas origine, disait-il, du même père et de la même mère? N'est-il pas inconvenant que du vivant de notre père nous soyons forcés de nous soumettre à notre frère aîné et de le reconnaître pour notre supérieur? Et d'ailleurs si les biens du côté paternel reviennent à l'aîné, je réclame ma légitime sur les biens de ma mère.» En apprenant ce refus, le vieux roi fut saisi d'indignation et résolut de ne pas épargner Richard. Aussi excita-t-il vivement son fils Henri-le-Jeune à réunir toutes ses forces, pour faire plier l'orgueil de son frère. Après plusieurs entrevues qui n'amenèrent aucun résultat pacifique, Henri-le-Jeune avait rassemblé de toutes parts une nombreuse armée38, et se préparait à en venir aux mains avec son frère, lorsque le fil de sa vie fut coupé comme par le ciseau du tisserand; ce qui trompa les espérances de plusieurs. En effet, Henri-le-Jeune dans la fleur de sa jeunesse, à l'âge de vingt-huit ans, fut retiré du milieu du monde. Il mourut en Gascogne, dans cette partie de la province appelée la vicomté de Turenne, à Château-Martel, le jour de la fête de saint Barnabé, apôtre. Son corps fut enveloppé comme il convenait à un roi, dans les vêtements de lin qu'il avait portés le jour de son couronnement quand il fut oint du saint chrême, puis transporté à Rouen où il fut enseveli dans la cathédrale près du maître-autel avec tous les honneurs dus à un si grand prince. Cette même année, Girard, surnommé Puelle39, fut consacré évêque de Coventry; mais il paya tribut à la mort au bout de dix semaines. Vers le même temps, Gaultier de Coutances, évêque de Lincoln, étant venu en Angleterre, fut installé solennellement dans son siége.

Baudouin, archevêque de Cantorbéry. — Arrivée de l'archevêque de Cologne et du comte de Flandre en Angleterre. — L'an du Seigneur 1184, Richard, archevêque de Cantorbéry, expira à Haling, bourg dépendant de l'évêque de Rochester. Cette même année, le roi Henri conduisit en Angleterre le duc de Saxe et sa famille. Peu de jours après, la duchesse accoucha à Winchester d'un fils qu'elle appela Guillaume. Cette même année, Baudouin, évêque de Worcester, fut élu archevêque de Cantorbéry, et Gaultier, évêque de Lincoln, archevêque de Rouen. Tous deux ayant reçu le Pallium, furent installés solennellement dans leurs siéges. Vers le même temps, Philippe, archevêque de Cologne, et Philippe, comte de Flandre, se rendirent en Angleterre pour accomplir leurs vœux d'oraisons sur le tombeau du bienheureux martyr Thomas. Le roi d'Angleterre alla à leur rencontre et les pria de se rendre à Londres pour visiter la cité royale. A leur arrivée, la ville se couronna pompeusement de fleurs (ce qui ne s'était pas encore vu). Toutes les rues retentirent40 de la joie et du bruyant enthousiasme du peuple. L'archevêque de Cologne et le comte de Flandre furent reçus dans l'église de Saint-Paul par une procession solennelle. On leur rendit ce grand honneur le même jour, et pendant cinq jours consécutifs ils furent hébergés dans le palais du roi avec la plus fastueuse prodigalité. Il est fort inutile sans doute de demander s'ils se retirèrent comblés de magnifiques présents. Cette même année mourut Jocelin, évêque de Salisbury.

Siège de Santarem et de Lisbonne. — Défaite des Sarrasins. — A cette époque environ, vers la fête du bienheureux Jean-Baptiste, le roi des Sarrasins d'Espagne, nommé Gamie, guida dans le territoire chrétien le roi des rois Sarrasins, nommé Macemunt, accompagné de trente-sept émirs. Ils s'attachèrent au siége de Santarem, donnèrent l'assaut pendant trois jours et trois nuits et entrèrent parla brèche. Les soldais de l'intérieur qui défendaient les remparts, se retirèrent dans la citadelle pour tenir tête aux ennemis. La nuit suivante l'évêque de Porto arriva avec le fils du roi et ils tuèrent aux Sarrasins quinze mille hommes avec leur roi Gamie. Ils se servirent des corps morts pour combler le trou fait à la muraille, et ils placèrent ces cadavres comme un rempart. Le lendemain, jour de saint Jean et de saint Paul, l'archevêque de Saint-Jacques amena vingt mille soldats, et au point du jour tua trente mille Sarrasins. Peu après, le jour de Sainte-Marguerite, les Sarrasins massacrèrent des femmes et des enfants au nombre de dix mille, près d'Alcubaz; mais les défenseurs du château d'Alcubaz ayant fait une sortie, tuèrent trois émirs avec toute leur armée. Bientôt, la veille de la fête du bienheureux saint Jacques, le roi Macemunt apprit que le roi de Galice arrivait pour combattre seul à seul avec lui. Au moment où tout armé pour le combat, il montait à cheval, l'animal le renversa jusqu'à trois fois, et il mourut de cette chute. Le chef mort, toute l'armée prit la fuite abandonnant ses richesses. Le roi de Portugal donna à des maçons les captifs sarrasins pour qu'ils les employassent à réparer les églises, et avec l'argent il fit faire une châsse d'or à saint Vincent. Peu après, une multitude de galères sarrasines vint assiéger Lisbonne; parmi elles se trouvaient le dromant sur lequel était disposé une machine telle que les Sarrasins pouvaient aller et revenir tout armés par-dessus les murailles; mais par la protection de Dieu, un plongeur réussit à s'attacher au dromant et à y faire un grand trou; l'eau s'y précipita et le vaisseau coula à fond. Les Sarrasins se voyant joués, prirent le parti de la retraite et abandonnèrent toutes leurs richesses.

Maladie du roi de Jérusalem. — Invasion de Saladin. — Avènement de Baudouin IV. — Détresse des Chrétiens d'Orient. — A cette époque, régnait à Jérusalem, Baudouin le fils de l'ancien roi Amaury. Ce prince était rongé de la lèpre depuis le commencement de son règne: déjà il avait perdu la vue, et comme le mal dévorait surtout les extrémités des membres, il ne pouvait se servir ni de ses pieds ni de ses mains. Tout infirme qu'il était, il conservait la vigueur de son esprit, et s'appliquait (chose au-dessus de ses forces) à accomplir ses devoirs de roi. C'est pourquoi il convoqua les seigneurs de l'état, et en présence de sa mère, ainsi que du patriarche, il constitua gouverneur du royaume Guy de Lusignan, comte de Joppé et d'Ascalon. Ce même Guy avait épousé la sœur du roi, appelée Sybille, qui avait été d'abord mariée au marquis de Montferrat, et qui en avait eu un fils, nommé Baudouin, Quelque temps après, comme l'administration de Guy de Lusignan ne faisait point fleurir le royaume de Jérusalem, le roi lui retira le pouvoir, et le confia à Raymond, comte de Tripoli.

Il arriva à cette époque, que Saladin, sultan de Damas, ayant soumis tout; les rois sarrasins de l'orient, se fit obéir par toutes les nations infidèles, et mérita le titre de roi des rois et de seigneur des seigneurs. Il voulut joindre à sa puissance tous les états chrétiens d'Asie, et au commencement du mois de juillet, traversa le Jourdain, dévasta le territoire autour du château de Crach, nommé anciennement Petra du désert, et se pourvut abondamment de vivres. De là, il traversa Naplouse, qu'il pilla d'abord, et qu'ensuite il brûla; puis il marcha sur Sébaste: mais l'évêque racheta sa ville et son église, en livrant quatre-vingts prisonniers. Saladin entra ensuite dans l'Arabie qu'il dévasta, emmenant les hommes et les femmes en captivité. De là il se dirigea vers le grand Gerin, détruisit le château, fit quelques prisonniers, massacra les femmes et les petits enfants. Puis il dévasta le petit Gerin (?), village dépendant des Templiers. Dans sa retraite, il s'empara d'un château, nommé Belver41, qui appartenait aux hospitaliers, et fit prisonniers ou tua ceux qui s'y trouvèrent.

Pendant ce temps, Baudouin le lépreux, roi de Jérusalem mourut, et eut pour successeur, son neveu, Baudouin, enfant de cinq ans, fils de sa sœur Sybille et de Guillaume, marquis de Montferrat. Il fut aussitôt couronné roi, et la tutelle fut déférée à Raymond, comte de Tripoli. Mais le clergé et le peuple voyant bien que le royaume en était venu au point qu'il ne pouvait subsister longtemps en cet état, avisèrent au moyen de sortir de danger. La paix avec Saladin n'offrait pas grande garantie: ils ne pouvaient attendre aucune défense d'un roi enfant, Aussi se rangèrent-ils unanimement à l'avis, d'envoyer des ambassadeurs à Henri, roi d'Angleterre, avec mission de lut offrir solennellement, au nom de tous les fidèles du royaume, la couronne de Jérusalem et les clefs de la ville sainte, avec celles du tombeau de Jésus-Christ et de l'église de la résurrection. Le patriarche Héraclius, qui en fut prié, se chargea de conduire l'ambassade, dont faisaient partie le grand maître des hospitaliers, et quelques autres. Ils traversèrent la mer méditerranée, et se rendirent à Rome, où le pape Lucius leur donna, pour le roi d'Angleterre, des lettres fort pressantes.

Arrivée du patriarche et du grand maître des hospitaliers en Angleterre. — Lettre du pape Lucius III. L'an du Seigneur 1185, Héraclius, patriarche de l'église de la résurrection, et le seigneur Roger, grand maître des hospitaliers de Jérusalem, se rendirent à Reading, auprès du roi d'Angleterre Henri. Ils lui exposèrent les causes de leur voyage, lui remirent les lettres apostoliques, lui peignirent avec détail la désolation de la sainte ville de Jérusalem et de la terre de promission. Ce récit arracha des larmes et des soupirs au roi et à tous ceux qui l'entouraient. A l'appui de leur demande, ils apportaient au roi les clefs de l'église de la nativité du Christ, celles de l'église de la passion, celles de l'église de la résurrection, celles de la tour de David, celles du saint-sépulcre, et l'étendard du royaume. Le roi reçut ces gages vénérables, avec le plus grand respect. La lettre du seigneur pape, contenait entre autres choses, ces paroles:

«Lucius, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, etc...; comme tous les princes tes prédécesseurs ont, plus que tous les autres rois de la terre, répandu au loin la réputation de leur gloire militaire et de la magnanimité de leur cœur, c'est avec raison, et avec une confiance bien placée, qu'on a recours à toi, qui as hérité non-seulement du royaume, mais encore des vertus de tes pères; aujourd'hui que le peuple chrétien est menacé d'un grand péril, ou plutôt d'une extermination totale, c'est le bras de ta grandeur royale qui doit garantir les membres de celui dont la sainteté t'a permis de parvenir à ce comble de gloire, et qui t'a placé lui-même comme un mur inébranlable, au-devant des ennemis implacables de son saint nom. Or, que ta sérénité sache que ce Saladin, cruel persécuteur du nom chrétien, a déjà, dans l'esprit de fureur qui l'anime, tellement prévalu contre les fidèles chrétiens de la terre sainte, que, si les élans de sa cruauté ne sont réprimés par de solides barrières, il se flatte de s'abreuver bientôt aux eaux du Jourdain.»

Assemblée de Clerkenvvell. — Départ de Henri II pour la France. — Faits divers. — A ces nouvelles, le clergé et le peuple furent convoqués: le roi et toute la noblesse du royaume se réunirent à Londres, à Clerkenwell42, le dixième jour avant les calendes d'avril. Là, en présence du patriarche et du grand maître des hospitaliers, il fit prêter à tous ses fidèles le serment solennel de lui déclarer publiquement leur avis sur ce qu'il avait à faire, dans les circonstances présentes, pour le salut de son âme: et ledit roi affirma en outre qu'il était disposé à suivre, en tout point, le conseil qu'il recevrait d'eux. L'assemblée, après avoir délibéré à ce sujet, s'accorda à dire qu'il était meilleur et plus important, pour le salut de l'âme du roi, de gouverner son royaume avec la modération convenable, et de le défendre contre les invasions des barbares, que d'aller en personne pourvoir au salut des Orientaux. Le patriarche demanda alors un des fils du roi, puisque le roi refusait, pour lui-même, l'offre qui lui était faite: mais il parut peu régulier de rien statuer sur eux, en leur absence. Cette même année, Jean, fils du roi, reçut l'armure de chevalier des mains de son père, à Windsor, la veille des calendes d'avril, et passa ensuite en Irlande. — Le roi Henri, ayant traversé la mer avec le patriarche, célébra la fête de Pâques à Rouen. Le roi de France, ayant appris l'arrivée du roi d'Angleterre, se rendit en toute hâte au château de Vaudreuil. Les deux rois s'y entretinrent familièrement pendant trois jours, et, en leur présence, beaucoup de seigneurs prirent la croix. Pour eux, ils se bornèrent à répondre au patriarche qu'ils lui promettaient chacun, pour la Terre-Sainte, un prompt secours: en effet, ce n'était pas une petite affaire à leurs yeux, que de partir des extrémités de l'Occident pour une entreprise si difficile. Alors le patriarche, dont la négociation n'avait abouti à rien, retourna à Jérusalem, frustré dans son espoir. Cette même année, Hugues de Lacy, seigneur de la province que l'on appelle Meath, fut tué le huitième jour avant les calendes d'août. Vers le même temps, le comte d'Hundington étant mort sans enfants, le roi d'Angleterre donna son comté avec les dépendances au roi d'Écosse, Guillaume. Cette même année, Gilbert de Glanville, archidiacre de Lisieux, fut consacré évêque de Rochester, le troisième jour avant les calendes d'octobre. Vers le même temps, mourut le pape Lucius, qui eut pour successeur Urbain, au rapport d'un historien. A cette époque, Henri, duc de Saxe, obtint de l'empereur la permission de revenir dans ses états; mais il dut se contenter de son patrimoine.

Faits divers. — Mort de Geoffroi, fils de Henri II. — Avènement d'Urbain III. — Sa lettre à l'archevêque de Cantorbéry. — Mort de Mathilde, mère de Henri II. — L'an du Seigneur 1186, Baudouin, archevêque de Cantorbéry, reçut le pallium avec le titre de légat, dans la province qui lui était confiée. — Cette même année, Guillaume de Ver fut consacré évêque de Hereford, le jour de la fête du bienheureux Laurent. Cette même année, Geoffroi, comte de Bretagne et fils du roi d'Angleterre, le quatorzième jour avant les calendes de septembre, expira43 et fut enseveli à Paris, dans le chœur des chanoines, en l'église de Notre-Dame: il laissa deux filles de sa femme Constance, fille de Conan, comte de Bretagne. A la mort de son mari, cette princesse était enceinte, et elle accoucha peu après d'un fils qu'elle appela Arthur. Cette même année, Hugues, Bourguignon de nation, et prieur de l'ordre des chartreux en Angleterre, fut consacré évêque de Lincoln, le jour de la fête de saint Matthieu. Ce même jour, Guillaume de Norchale fut consacré évêque de Worcester. Cette même année, à l'époque où l'année se retire pour faire place à une autre, c'est-à-dire aux jours de la naissance du Seigneur, le pape Lucius étant mort, Urbain lui succéda44. Vers le même temps, Jean, précenteur d'Exester, fut consacré évêque de cette même église.

Vers le même temps, le pape Urbain écrivit en ces termes à Baudouin, archevêque de Cantorbéry: «En vertu de l'autorité que nous vous accordons par les présentes, il vous est permis de bâtir une église en l'honneur des bienheureux martyrs Étienne et Thomas, et d'y installer les dignitaires convenables, auxquels vous devrez assigner canoniquement les bénéfices que vous aurez fixés pour leur entretien. De même, nous vous enjoignons de diviser en quatre parts les offrandes qui sont déposées sur le tombeau du bienheureux martyr Thomas. La première part sera consacrée aux besoins des moines; la seconde, à la construction de l'église; la troisième, au soulagement des pauvres; quant à la quatrième, vous en disposerez à votre gré. en l'employant aux bonnes œuvres.» Vers le même temps, mourut la plus illustre des femmes, la vénérable dame Mathilde, fille de Henri Ier, roi d'Angleterre, impératrice et femme de Henri, empereur des Romains, mère de Henri II, très-illustre roi d'Angleterre: c1est ce qui a donné lieu à cette épitaphe:

«Ci git la fille d'un Henri, la femme d'un Henri, la mère d'un Henri; illustre par son père, plus illustre par son époux, bien plus illustre encore par son fils45

Sybille donne la couronne de Jérusalem à son mari, Guy de Lusignan. — Rupture de la trêve avec Saladin. — Faits divers. — Vers la même époque, Baudouin, roi de Jérusalem, étant mort encore dans l'enfance, il n'y avait, pour lui succéder, personne autre que Sybille, épouse de Guy, comte de Joppé, qui était sœur du roi Baudouin le lépreux, et mère du feu roi Baudouin l'enfant. Le temps approchait où la trêve conclue entre Saladin et le peuple chrétien allait expirer, et la position critique de l'état exigeait qu'on pourvût au plus tôt à son gouvernement. Aussi, les barons et seigneurs du royaume s'étant assemblés, convinrent unanimement que Sybille, épouse de Guy, comme héritière légitime des rois défunts, serait couronnée reine, et qu'elle répudierait Guy, dont l'incapacité était notoire46. Sybille refusa le royaume qu'on lui offrait à cette condition, jusqu'à ce que tous les seigneurs du royaume eussent consenti, et se fussent engagés par serment, à reconnaître comme roi celui qu'elle choisirait pour époux. Cependant, Guy, son époux, la suppliait instamment de ne pas tarder plus longtemps, par égard pour lui. Sybille se décida enfin, en pleurant, à accepter le trône; elle fut couronnée solennellement comme reine, et tous lui prêtèrent serment de fidélité. Guy, son époux, retourna dans son comté, sans femme et sans royaume. Cependant on annonce l'arrivée de Saladin et de son armée: ce qui n'était pas dénué de fondement. Aussitôt la reine convoque, par un édit royal, les dignitaires ecclésiastiques et séculiers, à l'effet d'élire un roi. Alors, mettant à profit la concession qui lui avait été faite, de choisir qui elle voudrait pour mari, Sybille, au milieu de l'attente universelle, s'adresse d'une voix ferme à Guy, qui était présent avec les autres barons, et lui dit: «Mon seigneur Guy, je vous choisis pour mari: je vous appelle à gouverner avec moi, et je vous proclame aujourd'hui publiquement roi.» A ces mots toute l'assemblée resta stupéfaite, s'étonnant que tant d'hommes sages fussent joués par une femme au cœur simple. Du reste, c'est un acte louable, et qui doit être approuvé par tous ceux qui aiment la pudeur et la prudence: car elle agit avec tant d'adresse, qu'elle garda son mari pour elle-même, et son royaume pour son mari. A cette époque eut lieu un grand et terrible tremblement de terre, qui se fit sentir dans presque tout l'univers, puisqu'en Angleterre, où ce phénomène arrive rarement, plusieurs édifices furent renversés. Il arriva, à cette époque, que la mère de Saladin se mit en route pour passer d'Égypte à Damas, avec un cortége brillant et de grandes richesses. Se fiant sur la foi de la trêve, elle s'engagea avec sécurité dans le pays qui est au delà du Jourdain; mais Regnault de Châtillon s'étant jeté à l'improviste sur la caravane, en pilla toutes les richesses: la mère de Saladin échappa cependant par la fuite. Saladin, outré de colère, demanda, aux termes des conventions, qu'on lui restituât les objets enlevés, et qu'on lui donnât satisfaction sur cet outrage. Sommé de se prêter à cette réparation, Regnault fit à Saladin une réponse brutale et insolente. Celui-ci, joyeux au delà de toute expression, que la trêve eût été rompue du côté des chrétiens, eut un motif de se venger, et se prépara au combat. — Une image de pierre, représentant l'enfant Jésus, ayant été brisée, le sang en coula. — Les rois de France et d'Angleterre prirent la croix le treizième jour avant les calendes de février. — L'église cathédrale de Chicester, et la ville elle-même, sont dévorées par un incendie, le quatorzième jour avant les calendes de novembre. — Hugues de Nunant est nommé évêque de Chester.

Siège de Tibériade. — Victoire de Saladin devant cette ville. — Conquête de Jérusalem et de presque toute la Terre-Sainte. — L'an du Seigneur 1187, Saladin, enflammé de colère contre les chrétiens, réunit les Parthes, les Bédouins, les Turcs, les Sarrasins, les Arabes, les Cordiniens47, et joignant à ces peuples les troupes égyptiennes, il entra sur le territoire des chrétiens, où il commit d'affreux ravages. Déjà, ne se contentant plus de quelques forteresses de Galilée, il résolut d'assiéger Calvarie48. En se dirigeant vers cette place avec toutes sortes de machines de guerre, il rencontra le grand-maître des Templiers, accompagné de soixante frères de l'ordre et d'une foule de chrétiens. Il les massacra et les envoya au ciel avec la palme du martyre. Joyeux de cette première victoire, il se dirigea en tout hâte vers Calvarie. Le roi de Jérusalem, apprenant que la ville était cernée et les habitants eu grand danger de succomber, convoqua par un édit royal toutes les forces de son royaume, ne laissant à la garde des châteaux que les vieillards et les femmes, à qui l'âge ou le sexe ne permettait pas de porter les armes. Vingt mille chevaliers se réunirent à la fontaine de Séphouri, et de là, levant leur camp, se dirigèrent vers Tibériade, sous la conduite de Raymond, comte de Tripoli. Quelques jours avant la funeste journée, le chambrier du roi avait eu une vision terrible. C'était un aigle qui, volant au-dessus de l'armée chrétienne, et portant sept dards dans ses serres, avait crié d'une voix effrayante: «Malheur à toi, Jérusalem! Malheur à vous, qui habitez Jérusalem!» Il est suffisant de rappeler, pour expliquer cette vision, ce que l'Esprit Saint dit des réprouvés, par la bouche du prophète: «Le Seigneur a tendu son arc, et il y a ajusté les flèches qui donnent la mort.»

Saladin, apprenant que le roi venait en personne au secours des assiégés, marcha intrépidement à sa rencontre, et sachant que les chrétiens étaient enfermés entre des rochers étroits et escarpés, près de Tibériade, dans un lieu appelé Mariscallie49, il vint les attaquer avec confiance. Les chrétiens reçurent le choc avec autant de vigueur que le leur permettait le désavantage de leur position. On combattit avec acharnement de part et d'autre, et le champ de bataille était jonché de morts. Enfin Dieu, pour punir les péchés des chrétiens, donna la victoire aux infidèles. On prétend que le comte de Tripoli, général de l'armée, ayant abaissé traîtreusement en terre l'étendard royal, décida la déroute des chrétiens; mais où fuir, cernés qu'ils étaient par les ennemis? Le roi Guy et la sainte croix tombèrent entre les mains des infidèles; et une multitude de chrétiens furent faits prisonniers, ou passés au fil de l'épée. Ceux qui échappèrent à ce désastre furent le comte de Tripoli, grandement soupçonné de trahison; le seigneur Regnault, patron de Sidon, et le seigneur Balien, avec quelques frères de la milice du Temple. Cette malheureuse bataille fut livrée le 5 elle 4 avant les nones de juillet, après l'octave de saint Pierre et saint Paul, apôtres. Thierry, grand maître de la milice du Temple, échappa aussi au massacre, mais en ce jour il eut à regretter deux cent trente frères de l'ordre. Le comte de Tripoli avait échappé, sans avoir perdu une goutte de sang: on tira parti de cette circonstance, pour l'accuser d'avoir agi traîtreusement envers son roi et envers le peuple de Dieu. Des deux porteurs de la sainte croix, l'évêque d'Acre et le précenteur du Saint-Sépulcre, l'un fut tué, l'autre fut fait prisonnier, et ils succombèrent avec leur précieux fardeau. Ainsi, pour les péchés des hommes, la sainte croix fut prise. Le gage qui nous avait délivrés du vieux joug de la servitude fut emmené en captivité pour nous, et souillé par les mains profanes des gentils.

Saladin, après cette victoire éclatante, revint dans Tibériade, et, maître du seul fort qui résistât encore, il fit transférer à Damas le roi et les autres prisonniers. De là, il envahit la Galilée, où il occupa facilement toutes les places; il parut devant Ptolémaïs et s'en empara sans coup férir; de là, il marcha sur Jérusalem, assiégea la ville, et disposa ses machines. Les habitants essayèrent quelques préparatifs de défense; mais les arcs, les arbalètes, les pierriers n'étaient pas en état, et restèrent sans effet. Alors une populace tremblante vint se presser, en pleurant, autour du patriarche et de la reine, qui commandaient dans la ville, les suppliant de régler avec Saladin, les articles de la capitulation. Le traité fut conclu, traité plus douloureux que mémorable. Chacun racheta sa vie, les hommes en payant dix besants d'or, les femmes cinq, les enfants un; ceux qui n'étaient point en état de donner la rançon restèrent pour toujours en esclavage. Il y avait alors dans la ville quatorze mille personnes des deux sexes qui, ne pouvant payer, furent réduites en servitude. Ainsi la sainte cité fut rendue aux ennemis du Christ. Le tombeau de Dieu tomba au pouvoir de ses persécuteurs, et la sainte croix fut possédée par ceux qui blasphèment le nom du crucifié. Saladin fit son entrée dans Jérusalem au son des tambourins et des trompettes, se rendit au temple, fit renverser la croix qui étincelait sur le dôme, et les autres croix, objets de la vénération des chrétiens; le temple, en dedans et en dehors, fut purifié avec de l'eau de rose, et les préceptes de l'idolâtrie furent proclamés à grands cris aux quatre coins du temple. Il imposa un tribut fixe à l'église de la Résurrection et au Saint-Sépulcre ainsi qu'à plusieurs autres lieux vénérés par les chrétiens de Syrie. Puis Saladin, s'avançant rapidement, soumit toutes les villes et toutes les forteresses d'alentour, excepté Ascalon, Tyr et la ville de Crach, autrement dite Montréal, au delà du Jourdain.

Lettre d'Urbain III à l'archevêque de Cantorbéry. — Richard de Poitiers prend la croix. — Faits divers.  — Cette même année, le pape Urbain écrivit en ces termes à Baudouin, archevêque de Cantorbéry, relativement au couvent de son église: «Nos chers fils le prieur et les frères du couvent de l'église qui vous est confiée nous ont envoyé des lettres et des députés pour nous remontrer que l'église dont vous avez commencé la construction peut causer préjudice à eux et à leur église, et que si l'on ne renonce aux travaux entrepris, ladite église souffrira misérablement préjudice dans sa dignité et dans son rang. Mais nous, qui voulons pourvoir avec soin, à ce qu'il ne s'élève entre vous et vos frères aucun sujet de dispute (car ceux qui sont en discussion ne peuvent vaquer convenablement aux offices divins), nous avertissons votre fraternité, d'après l'avis de nos frères les cardinaux, et vous enjoignons formellement de suspendre la construction de ladite église, sans recourir à aucun prétexte ou appel, jusqu'à ce que, pleinement informé, nous statuions sur ce qui doit être fait à cet égard, nonobstant toute autre lettre obtenue du saint-siége apostolique.» Cette même année, le pape Urbain étant mort, Grégoire lui succéda; mais il n'occupa la chaire que deux mois, et après sa mort, Clément III fut élevé au saint-siége, le treizième jour avant les calendes de janvier. Cette même année, Gilbert, évêque de Londres, paya tribut à la nature. Cette même année, Richard, comte de Poitiers, ayant appris les malheurs de la Terre-Sainte, et la captivité de la croix, reçut la croix, le premier des seigneurs d'outre-mer, des mains de l'archevêque de Tours, sans attendre les prédications de personne, et sans le conseil ou la volonté de son père. Cette même année, Hugues de Nunant, fut nommé évêque de Chester.

Prédication de la troisième croisade. — L'an du Seigneur 1188, Frédéric, empereur des Romains, décidé par les prédications de Henri, évêque d'Albano et légat du saint-siége apostolique, qui avait été envoyé par le pape Clément, prit la croix du Christ. Vers le même temps, le roi Philippe et le roi d'Angleterre Henri eurent une entrevue en Normandie, entre Trie et Gisors, relativement à la délivrance de la Terre-Sainte: après de longues négociations ils convinrent, en présence du comte de Flandre Philippe, de prendre la croix et de s'associer pour faire le voyage de Jérusalem. Le roi d'Angleterre reçut le premier la croix des mains de l'archevêque de Reims, et de Guillaume, archevêque de Tyr: ce dernier avait été envoyé en Occident par le seigneur pape, avec le titre de légat, pour y prêcher la croisade. Le roi de France prit ensuite la croix, puis Philippe, comte de Flandre, et leur exemple entraîna les autres. Aussi, tant dans l'empire que dans les deux royaumes de France et d'Angleterre, archevêques, évêques, ducs, marquis, comtes, barons, chevaliers, gens de moyenne classe, et même gens du peuple, reçurent la croix avec enthousiasme50. Il fut convenu entre eux que les croix des Français seraient rouges, les croix des Anglais blanches, et celles des Flamands vertes. Il fut stipulé aussi que chaque croisé conserverait ses terres, ses biens, tant meubles qu'immeubles et toute autre chose sienne, dans l'état où ces biens se trouveraient au moment où il aurait pris la croix; et cela, tant pendant la durée du pèlerinage que pendant les quarante premiers jours qu'il séjournerait dans sa terre [après son retour].

Nouvelle guerre entre les deux rois de France et d'Angleterre. — Vers la même époque, Geoffroy de Lusignan tua en trahison un ami de Richard, comte de Poitiers. Pour tirer vengeance de cet attentat, le comte courut aux armes: mais se souvenant de son engagement à la croisade, il épargna tous les hommes de Geoffroi qui voulurent recevoir le signe de la croix. Quant aux autres, il les passa au fil de l'épée, et réduisit en sa puissance plusieurs châteaux; mais Geoffroi, soutenu, dit-on, par l'argent et les secours du roi d'Angleterre, résista au comte Richard, qui se voyant arrêté dans ses succès, en conçut contre son père une vive animosité. Cependant Geoffroi finit par être écrasé, et Richard entra alors à main armée sur le territoire du comte de Toulouse dont il avait à se plaindre. En quelques jours il réduisit dix-sept châteaux. Le roi de France, Philippe, offensé de ce que le comte Richard était entré sans l'en avertir sur le territoire du comte de Toulouse [son vassal], surprit la ville de Châteauroux, et força tous ceux qu'il y trouva à lui jurer fidélité. Ce fait était d'autant plus déshonorant pour un si grand prince, que le roi d'Angleterre, au moment de repasser dans son royaume après avoir reçu la croix, avait confié au roi de France la garde de toutes ses terres du continent. Ensuite le roi de France entraîna dans son parti, tant par menaces que par promesses, plusieurs châtelains vassaux du roi d'Angleterre. Ainsi, par la malice du diable, ces deux rois qui s'étaient croisés contre les infidèles redevinrent ennemis, et portèrent l'un chez l'autre de mutuels ravages. En effet. le roi d'Angleterre étant entre dans le royaume de France, désola tout le pays depuis Verneuil jusqu'à Mayenne. Cette même année Richard, évêque de Winchester, mourut le onzième jour avant les calendes de janvier, et fut enterré à Winchester.

Lettre de Frédéric Barberousse à Saladin. — Réponse de Saladin. — Cette même année, Frédéric, empereur des Romains, écrivit à Saladin, relativement à la Terre-Sainte, une lettre conçue en ces termes: «Frédéric, par la grâce de Dieu empereur des Romains, toujours auguste, et triomphateur illustre des ennemis de l'empire, à Saladin, chef des Sarrasins: que Jérusalem échappe à tes mains comme elle a échappé à celles de Pharaon. — Comme tu as profané dernièrement la Terre-Sainte, à laquelle nous commandons par le commandement du roi éternel, la dignité impériale et le soin de notre devoir nous ordonnent de punir avec une indignation bien méritée un attentat si audacieux et si criminel. C'est pourquoi, à moins que tu ne rendes la Terre-Sainte et tout ce que tu as pris, et que tu ne donnes pour des excès si odieux la satisfaction fixée par les constitutions sacrées (car nous voulons observer les formes qui doivent rendre notre attaque légitime), nous laisserons écouler l'espace d'une année, à partir des calendes de novembre, au bout de laquelle année nous te donnons rendez-vous dans la plaine de Thanis51, pour y tenter la fortune des combats, en vertu de la croix miraculeuse, et au nom du vrai Joseph52. Je ne puis croire que tu ignores ce qui est notoire, d'après les écrits des anciens et les histoires de notre temps. Serait-ce que tu ne veux pas paraître savoir que les deux Ethiopies, la Mauritanie, la Perse, la Syrie, la Parthie, la Judée, le pays de Samarie, l'Arabie maritime, la Chaldée, l'Égypte, l'Arménie et une foule d'autres provinces dépendent de notre empire53. Ceux-là le savent, qui se sont enivrés de leur propre sang versé par le glaive romain. Toi-même, si Dieu t'éclaire, tu comprendras ce que peuvent nos aigles victorieuses; ce que peuvent les armées de tant de nations; ce que peut la furie du Teuton, qui agite ses armes même dans la paix; l'indomptable valeur des peuples de la source du Rhin, dont la jeunesse ne sait pas fuir; et le Batave à la taille élevée; et le Suève rusé; et la sage Franconie; et la Saxe qui se fait un jeu des combats; et la Thuringe; et la Westphalie; et l'agile Brabançon; et le Lorrain qui souffre impatiemment la paix; et l'inquiet Bourguignon; et l'habitant des forêts Alpines; et la Frise au choc impétueux; et la Bohême qui sait mourir en riant; et la Pologne plus féroce que ses bêtes féroces; et l'Autriche; et la Stirie; et le Brisgaw (?)54; et l'Illyrie; et la Lombardie; et la Toscane: et nos archegayes; et nos vieux timoniers et les pilotes de nos pinasses55. Enfin ce jour plein de joie et de bonheur, fixé pour le triomphe du Christ, te montrera comment ce bras que tu accuses de vieillesse, sait encore manier une épée.

[Saladin] au roi son fidèle ami, le grand et l'illustre Frédéric, roi d'Allemagne, au nom du Dieu miséricordieux, par la grâce d'un seul Dieu, tout-puissant, souverain, vainqueur, éternel, et qui n'aura point de fin. Nous lui rendons des actions de grâces perpétuelles, à lui dont la grâce est sur le monde: nous le prions qu'il fasse descendre sa parole sur ses prophètes, et surtout sur notre législateur, son messager, le prophète Mahomet, qu'il a envoyé pour le redressement de la vraie loi qui doit un jour éclater au-dessus de toutes les autres lois. Nous te faisons savoir, sincère, puissant et illustre ami et aimable roi d'Allemagne, qu'il est venu vers nous un certain Henri, se disant ton ambassadeur, et qu'il nous a remis une lettre qu'il nous a dit être de toi. Nous nous sommes fait lire la lettre, et nous avons écouté cet homme parier de vive voix: nous avons répondu aux paroles qu'il nous a dites de bouche, et c'est là le sujet de notre écrit. Tu comptes tous ceux qui doivent s'allier à toi et venir contre nous: tu les nommes et tu dis: le roi de telle province, le roi de telle autre, tels comtes, tels archevêques, tels marquis, tels chevaliers: et nous, si nous voulions comme toi faire le dénombrement de tous ceux qui reconnaissent notre pouvoir, qui sont prêts à obéir à nos ordres, à venir à notre appel, et qui sauront combattre sous nos yeux, la multitude en serait si grande, qu'elle ne pourrait être contenue dans cet écrit. Tu parles de tes chrétiens; mais les Sarrasins sont beaucoup plus nombreux que les chrétiens. Entre vous et ceux que vous nommez chrétiens56, il y a la mer; entre nous et les Sarrasins, dont le nombre est incalculable, il n'y a ni mer ni obstacle aucun qui les empêche de venir à nous. Nous avons pour nous les Bédouins qui, si nous les opposions seuls à nos ennemis, suffiraient pour les repousser. Nous avons les Turkomans; si nous les répandions comme un torrent sur nos ennemis, nos ennemis seraient engloutis: nous avons des tribus de pasteurs qui combattraient avec valeur si nous l'ordonnions, contre les nations qui doivent envahir nos terres, et qui s'enrichiraient de leurs dépouilles et qui les extermineraient. Nous avons des soldats belliqueux, qui font que la terre nous est ouverte et acquise, et que nos adversaires sont abattus. Ceux-là et tous les rois musulmans ne tarderont pas dès que nous les aurons sommés et appelés. Quand tu auras rassemblé tes forces comme l'annonce ta lettre; quand tu auras amené ta multitude, comme nous en menace ton député, Dieu nous donnera la puissance, et nous marcherons contre toi: Dieu nous donnera la force, et nous obtiendrons la victoire et les terres. Car en venant contre nous, tu amèneras tout ce que tu pourras rassembler de forces, et toute ta nation sera épuisée. Nous savons qu'il ne restera personne dans tes états pour se défendre lui et sa terre; et quand Dieu nous aura donné la victoire dans sa force, rien ne nous empêchera plus de conquérir librement tes états, avec l'aide et la volonté de Dieu. Deux fois les chrétiens ont voulu nous imposer leur loi dans Babylone: une fois à Damiette, et l'autre fois à Alexandrie57. Et tu sais quel a été pour eux le résultat de chacune de ces expéditions. Dieu a réuni sous nos lois des pays plus nombreux que les tiens, et plus vastes en longueur comme en largeur. C'est la Babylonie avec ses dépendances, la terre de Damas, les côtes de Judée, lu terre de Gessure58 et ses châteaux, le pays du Korasan (?) et ses dépendances, la région de l'Inde et tout ce qui s'y rattache. Par la grâce de Dieu, tout cela est dans nos mains: le reste des rois sarrasins est soumis à notre empire. En effet, si nous appelions à nous les très-illustres rois des Sarrasins, ils ne refuseraient pas de venir. Si nous nous adressions au calife de Bagdad (que Dieu sauve), il descendrait du haut de son trône élevé, et marcherait au secours de notre excellence. Quant à nous, par la protection de Dieu, nous avons conquis Jérusalem et son territoire; il ne reste aux mains des chrétiens que trois villes, Tyr, Tripoli, Antioche, et encore il n'y a plus qu'à les prendre. Si tu veux la guerre, si Dieu la veut aussi, et qu'il soit dans sa volonté que nous obtenions toute la terre des chrétiens, nous irons à ta rencontre, comme tu nous y provoques par ta lettre. Mais si tu veux traiter avec nous pour le bien de la paix, tu n'as qu'à mander aux gouverneurs des trois lieux nommés plus haut, de nous les remettre sans résistance, nous te rendrons la sainte croix; nous délivrerons tous les prisonniers chrétiens qui sont en notre pouvoir; nous permettrons qu'un prêtre veille à l'entretien du sépulcre; nous rétablirons les abbayes qui existaient au temps de la première domination des Musulmans; nous agirons bien avec vos religieux; nous permettrons à vos pèlerins, tant que nous vivrons, de venir à Jérusalem, et nous maintiendrons la paix avec les chrétiens. Cette lettre a été écrite l'an 584 de l'arrivée de notre prophète Mahomet, par la grâce d'un seul Dieu.»

Guy de Lusignan sort de captivité. — Siège de Ptolémaïs. — Retraite de Saladin. — Nouveaux démêlés qui retardent le départ des croisés. — Cette même année, Guy, roi de Jérusalem, après être resté une année dans les fers, à Damas, fut délivré par Saladin, à condition qu'il renoncerait à son royaume, se bannirait lui-même, et repasserait la mer. Le clergé du royaume décida que cette condition devait être annulée, et qu'on ne pouvait observer un pareil serment, lorsque la religion était en péril, que la terre de promission était abandonnée sans secours, sans chef et sans guide, et que les pèlerins à venir étaient exposés à ne trouver personne qui se mît à leur tête. Aussitôt que l'on apprit la délivrance du roi, une foule de pèlerins, nouvellement arrivés en Palestine, avec le peuple du pays, vinrent l'entourer, et lui formèrent une armée nombreuse. Cette multitude s'étant présentée devant Tyr, ne fut pas reçue59 par le marquis, qui y commandait, quoique le gouvernement de la ville ne lui eût été confié qu'à condition de la remettre sur la réclamation du roi, ou des héritiers du royaume. Mais quelques jours après, ce même marquis étant mort, l'entrée de Tyr ne fut plus fermée aux pèlerins. Vers le même temps mourut Raymond, comte de Tripoli, à qui l'on attribuait tous les malheurs de la Terre-Sainte: on dit que se trouvant à l'extrémité, il fut saisi d'un tel délire, qu'il ne put recevoir le viatique comme un chrétien. Alors le roi ayant réuni l'armée des barons qui s'étaient joints à lui, les templiers et les hospitaliers, ainsi que les pèlerins vénitiens et génois nouvellement débarqués, se dirigea vers Ptolémaïs, autrement nommée Acre, et ses troupes, d'après un recensement exact, s'élevaient déjà à neuf mille combattants. Le roi de Jérusalem étant arrivé devant Ptolémaïs, fit gravir a son armée une colline voisine de la ville, et qui, présentant par sa hauteur et par sa forme ronde l'apparence d'une tour, est appelée vulgairement Turon. Cette montagne s'élève à l'orient de la ville, et de son sommet on découvre autour de soi une vaste perspective dans la plaine. Le troisième jour après leur arrivée, les chrétiens mirent le siége devant la ville, et ce siége ne fut pas interrompu depuis lors, jusqu'à l'époque où elle fut prise par les rois de France et d'Angleterre, Philippe et Richard. En effet, c'était le rendez-vous de tous ces pèlerins au cœur simple, de tous ces soldats au rang obscur, qui dans l'élan de leur enthousiasme, et sans attendre leurs rois ou leurs seigneurs, partaient des extrémités du monde pour venir défendre la cause de Dieu.

Le roi de Jérusalem se voyant donc entouré d'une foule de pèlerins, les fit descendre de la colline de Turon, et vint poser son camp sous les murs de la ville, avec les pèlerins nouvellement arrivés. Peu de jours après, Saladin survint avec une armée nombreuse et se jeta impétueusement sur les chrétiens, pensant les écraser du premier choc; mais les fidèles se formèrent en corps compacte, et résistèrent avec valeur, comme des gens qui vendent chèrement leur vie: alors Saladin les fit envelopper, jugeant impossible que de cette armée un seul homme échappât à la mort. Mais celui qui réprime les projets des réprouvés ne voulut pas qu'il en fût ainsi. En effet, au moment où les croisés, après avoir soutenu pendant trois jours les attaques des infidèles qui les pressaient de toutes parts, commençaient à se lasser et allaient peut-être céder, ils aperçurent une flotte montée par douze mille Danois et Frisons, qui entrait à pleines voiles dans le port, et qui, Dieu aidant, aborda avec le plus grand bonheur. Saladin, troublé par la vue de ce secours et d'autres renforts qui arrivaient sans cesse, redescendit couvert de confusion dans l'intérieur de son royaume.

Il arriva à cette époque une nouvelle querelle, qui arrêta l'expédition de la Terre-Sainte. Peu de temps après avoir pris la croix, le roi de France et Richard de Poitiers, d'une part; Henri, roi d'Angleterre, de l'autre, recommencèrent la guerre, s'enlevant réciproquement les châteaux, commettant une foule de ravages et de meurtres. Ils se réunirent enfin, pour le bien de la paix, à une entrevue en Normandie: mais le diable sema l'ivraie au milieu du bon grain, et les deux rois se retirèrent en mauvais accord.

Médiation du pape entre les rois de France et d'Angleterre. — Lettre du marquis de Montferrat à l'archevêque de Cantorbéry60. — Le roi Henri, qui demeurait dans ses provinces d'outre-mer, supportait avec douleur et indignation les ravages commis sur ses terres, par le roi de France Philippe et le comte de Poitiers Richard. Vers les fêtes de Noël, il se rendit à Saumur, dans l'Anjou, et là, tint une cour brillante, quoique plusieurs de ses comtes et barons se fussent retirés de lui, pour s'attacher à son fils Richard. Les trêves conclues entre les deux rois étant expirées à la fête de saint Hilaire, Philippe, roi de France, et le comte Richard, rassemblèrent leur chevalerie, et entrèrent sur le territoire du roi d'Angleterre, qu'ils se mirent à dévaster avec emportement. Les Bretons eux-mêmes, abandonnant Henri, se déclarèrent pour le comte Richard. Alors le pape Clément, s'étonnant que la paix n'eût pas encore été rétablie entre les deux rois, envoya le cardinal Jean d'Anagni, avec plein pouvoir pour apaiser leurs querelles. Celui-ci étant venu vers eux, et les ayant exhortés à la paix, tantôt par de dures, tantôt par de douces paroles, les deux rois finirent par donner caution, et parjurer qu'ils s'en remettraient au jugement des archevêques de Bourges, de Rouen et de Cantorbéry; consentant à ce qu'ils promulgassent la sentence d'excommunication du seigneur pape contre celui d'entre eux qui, en s'y refusant, empêcherait l'établissement d'une paix solide, et retarderait le voyage de Jérusalem, parce que dès lors il ne serait plus qu'un destructeur de la sainte croix et un ennemi de tous les bons chrétiens. Aussitôt le Cardinal lança la sentence, tant sur les clercs que sur les laïques dont l'influence maintenait l'animosité entre les deux rois, n'en exceptant que les personnes desdits rois. (Dans quelques histoires on trouve pour cette année une prophétie de Daniel de Constantinople, en ces termes: «L'année où l'annonciation du Seigneur arrivera le jour de Pâques, les Francs releveront la terre de promission; ils feront paître leurs chevaux sous les palmiers de Bagdad; ils placeront leurs tentes au delà de l'arbre sec, et ils sépareront l'ivraie du bon grain.61»)

Vers le même temps, l'archevêque de Cantorbéry reçut une lettre conçue en ces termes: «Conrad, fils du marquis de Montferrat, à Baudouin, archevêque de Cantorbéry, salut. Les éléments sont troublés et la foi catholique subit diminution, puisque le siége de Jérusalem est soustrait au saint-siége apostolique. Jérusalem a péri, et l'inertie des chrétiens est pour les Sarrasins un sujet de raillerie. Les infidèles souillent le tombeau du Sauveur, désolent le Calvaire, blasphèment la nativité du Christ, et renversent de fond en comble le tombeau de la bienheureuse Vierge. L'église de Constantinople ne reconnaît en aucune façon l'autorité de l'église romaine; et il est trop vrai que l'église d'Antioche est à l'extrémité: c'est la mollesse des chrétiens qui certainement a amené tous ces maux. Il faut pleurer sur la ville de Jérusalem, il faut se lamenter et se frapper la poitrine, car elle est veuve de ses prêtres; et dans les lieux où le Christ était adoré, où les heures du joui- et les heures de la nuit étaient consacrées à prier Dieu et à chanter ses louanges, Mahomet aujourd'hui est invoqué à haute voix, et les Sarrasins profanent le temple par leurs superstitions. Je présente donc à votre grandeur des prières mêlées de larmes, afin que vous daigniez avoir compassion des malheurs de la Terre-Sainte afin que vous reconfortiez les rois, et que vous avertissiez les fidèles pour qu'ils viennent miséricordieusement à notre secours, en chassant ces chiens du patrimoine de Jésus-Christ, pour qu'ils brisent nos liens, qu'ils purifient les lieux profanés, et que la terre foulée par les pieds saints du Christ soit puissamment délivrée du joug des infidèles.

«Ce qui comble encore la mesure de l'iniquité, ce qui vient ajouter à l'opprobre et à la désolation de la chrétienté, c'est la familiarité qui s'est établie entre Saladin et l'empereur de Constantinople. Saladin lui a livré toutes les églises de la terre de promission pour qu'elles soient desservies selon le rite grec, et a envoyé son idole à Constantinople, avec le consentement de l'empereur, pour qu'elle y soit adorée publiquement Mais par la grâce de Dieu, elle a été prise dans la traversée par les Génois, et conduite à Tyr, avec le vaisseau qui la portait. Tout récemment, les infidèles ont réuni une armée nombreuse pour assiéger Antioche, et ledit empereur a promis cent galères à Saladin. Saladin lui a donné toute la terre de promission, à condition qu'il en barrerait la route aux chrétiens, et surtout aux chrétiens français qui sont prêts à venir au secours de la Terre-Sainte. A Constantinople, personne ne prend la croix, qu'aussitôt il ne soit saisi et jeté en prison. Ce qui nous console, c'est que dernièrement, le frère et le fils de Saladin ont été pris devant Antioche, et mis sous bonne garde.»

Entrevue inutile à La Ferté-Bernard. — Menaces du légat. Réponse de Philippe-Auguste. — Richard de Poitiers renonce à l'hommage de son père. — Cette même année, après la solennité de Pâques, une entrevue eut lieu entre les rois de France et d'Angleterre, à La Ferté-Bernard. L'entrevue se prolongea jusqu'à la fin de la semaine de la Pentecôte, et les négociations furent poussées activement. Le roi de France demandait que sa sœur Aliz, que le roi d'Angleterre avait eue en sa garde, fût donnée pour femme à Richard, comte de Poitiers, et que ce dernier reçût quelque assurance pour le royaume d'Angleterre, après la mort de son père. Il demandait aussi que Jean, fils de Henri, prît la croix et partît pour Jérusalem, assurant que Richard ne se mettrait pas en route, s'il n'était accompagné de son frère. Mais comme le roi d'Angleterre ne voulut octroyer aucune de ces demandes, ils se séparèrent en mauvais accord.

Dans cette entrevue le cardinal Jean déclara fermement que si le roi de France et le comte Richard ne faisaient pleine paix avec le roi d'Angleterre, il mettrait toutes leurs terres en interdit. «Je ne crains nullement votre arrêt, répondit le roi de France, car il n'est pas appuyé sur le bon droit. Il n'appartient pas à l'église romaine de sévir contre aucun roi, ni surtout contre le roi de France par sentence d'interdit, quand le roi juge à propos de s'armer pour venger ses injures contre des vassaux félons, indomptables et rebelles à son pouvoir. D'ailleurs, je vois à votre discours, seigneur cardinal, que vous avez flairé les précieux estrelins du roi d'Angleterre: leur bonne odeur qui agit toujours sur les Romains, vous a rendu partial plus qu'il n'est juste: aussi je vous regarde comme un juge suspect.» Le comte Richard se contint à peine, et si les seigneurs qui l'entouraient ne l'eussent arrêté, il se serait jeté furieux, et l'épée nue, sur le cardinal lui-même. Celui-ci se retira tout tremblant, et se cacha en retenant sa langue orgueilleuse. De leur côté les archevêques et les autres seigneurs qui avaient arrêté la violence du comte, lui assurèrent que le cardinal n'avait dans l'esprit que la croisade et l'honneur de la chrétienté. Alors le comte remit son épée dans le fourreau, et sa colère s'apaisa. Cependant on conseillait au roi d'Angleterre d'acquiescer aux demandes de son fils: «Il est convenable, lui disaient ses conseillers, que votre fils, votre héritier légitime, qui est aussi un si brave chevalier, obtienne quelque sûreté et joie sur son héritage, s'il est dans les ordres de Dieu qu'il vous survive.» Le roi répondit incontinent qu'il ne consentirait nullement à cela, parce qu'il semblerait avoir agi plutôt de force que de bon gré. En apprenant cette résolution, le comte Richard fut vivement courroucé; et en présence de tous il fit hommage au roi de France, pour toutes les possessions de son père qui ressortaient de la suzeraineté dudit roi, sauf la tenure envers son père, tant que ce dernier vivrait, et sauf la foi qu'il devait à son père. Alors la conférence fut rompue, et les deux rois se séparèrent, ainsi que ceux qui les accompagnaient.

Succès du roi de France. — Déroute des Anglais au Mans. — Après avoir quitté la conférence avec le comte Richard, le roi de France, aidé par lui, s'empara de La Ferté-Bernard, de Montfort, de Balon62, places appartenant au roi d'Angleterre. Il se reposa trois jours après ces conquêtes: puis feignant de marcher droit à Tours, il parut aux portes du Mans, le premier lundi qui suivit, au moment où le roi d'Angleterre, qui y était enfermé avec les siens, s'y croyait bien en sûreté. Aussitôt le roi de France rangea ses troupes en bataille, se préparant à donner l'assaut à la ville du Mans. A cette vue, Étienne de Turnham, sénéchal du roi d'Angleterre, fit mettre le feu à un des faubourgs de la ville: mais la flamme, passant par-dessus les murs, fit de grands ravages dans la ville, qu'elle réduisit presque en cendres. Les Français s'étant aperçus du désordre, s'engagèrent sur un pont de pierre, où Geoffroi de Burillon et plusieurs chevaliers avec lui qui tenaient pour le roi d'Angleterre, se présentèrent de leur côte avec l'intention de faire rompre ce pont. Alors s'engagea un combat acharné, où il y eut beaucoup de morts des deux côtés. Dans cette lutte sanglante, ledit Geoffroi, blessé grièvement à la tête, fut pris, ainsi que beaucoup d'autres. Le reste des Anglais se hâta de rentrer dans la ville; mais les Français s'y précipitèrent aussi pêle-mêle avec les fuyards. A cette vue, le roi d'Angleterre, désespérant de sa fortune, s'échappa en toute hâte, avec sept cents chevaliers. Le roi de France, et Richard, comte de Poitiers, se mirent aussitôt à sa poursuite, pendant trois milles; et s'ils n'eussent été arrêtés par un fleuve large et profond63, que les Anglais traversèrent facilement, parce que leur guide en connaissait le gué, tous les chevaliers de la suite du roi d'Angleterre eussent été faits prisonniers. Dans cette déroute, une foule de Gallois furent tués. Le roi d'Angleterre, accompagné de peu de monde, arriva à Tours, où il s'enferma dans la forteresse. Ceux qui étaient restés au Mans se retirèrent dans le château, qui fut aussitôt assiégé par le roi de France. A l'aide de ses mineurs et de ses machines de siége, il obligea, au bout de trois jours, la citadelle à se rendre avec trente chevaliers et quarante sergents. Philippe, continuant sa marche, reçut la soumission de Montdoubleau. Il prit aussi les châteaux de Troë64, de Roche-Corbon, de Montoire, ainsi que Chatel-Acher (?), Château-du-Loir, Chaumont, Amboise et Beaumont.

Des pèlerins anglais s'emparent de Silves en Portugal. — Massacre des Sarrazins. — Cette même année, plusieurs navires venus du Nord, et qui parcouraient l'Océan britannique, s'allièrent avec des pèlerins anglais; ayant donc fait société, ils partirent de Portsmouth (?), le quinzième jour avant les calendes de juin, et les associés se confièrent aux flots, montés sur trente-sept vaisseaux de charge, qui après plusieurs chances diverses, abordèrent à Lisbonne. Le roi de Portugal, comprenant que les vaisseaux de ces étrangers étaient bien garnis en hommes et en armes, fit prier les nouveaux venus de le secourir et de l'aider à réduire une ville nommée Silves. Il promit de les seconder avec trente-sept galères et plusieurs autres vaisseaux: un traité fut conclu entre le roi et eux, sous la foi du serment, et il fut convenu qu'ils garderaient pour eux tout ce qu'ils pourraient prendre en or, en argent et en richesses de toute nature dans le pillage de la ville, le roi ne se réservant que la ville même. Ceux-ci quittèrent alors Lisbonne, et après une courte et heureuse navigation, entrèrent dans le port de Silves. Ils jetèrent l'ancre sur le rivage, posèrent leurs tentes, et commencèrent les opérations du siége. Ces chrétiens étaient au nombre de trois mille cinq cents armés en guerre. Le troisième jour ils s'approchèrent des murs, donnèrent un assaut impétueux, s'emparèrent des faubourgs, et bouchèrent avec de la terre, du fumier et des pierres, une fontaine entourée d'un double mur, et protégée par une barbacane65, flanquée de neuf tours. C'est à cette fontaine que les habitants avaient coutume de puiser de l'eau en abondance. Accablés par le manque d'eau, les Sarrasins perdirent courage; et le chef de la ville, nommé Alchad66, traita avec le roi de Portugal, et lui rendit la ville à l'insu des chrétiens.

En effet, ces pèlerins de la croix, ayant forcé avec une valeur admirable l'entrée de la ville y trouvèrent plus de soixante mille païens, qui furent tous passés au fil de l'épée, excepté treize mille seulement dès deux sexes. Ainsi, par la vertu du Toul-Puissant les chrétiens triomphèrent glorieusement des païens sans perdre un seul homme. La ville fut purgée des ordures de l'idolâtrie. L'évêque de Porto dédia à la mère de Dieu la grande mosquée des Sarrasins, consacrée à Mahomet, et y établit, pour évêque, un prêtre, venu de Flandre, qui avait accompagné les pèlerins.

Assemblée de Saumur. — Prise de Tours. — Henri II subit une paix humiliante. — Cette même année, la veille de la fête des apôtres Pierre et Paul, le comte de Flandre Philippe, Guillaume, archevêque de Reims, et Hugues, duc de Bourgogne, se rendirent à Saumur, auprès du roi d'Angleterre, pour négocier la paix entre lui, le roi de France, et le comte de Poitiers Richard. Mais le comte Richard, à la tête des Bretons ligués avec les Poitevins, avait reçu des lettres patentes du roi de France, qui lui enjoignaient de ne pas traiter avec le roi d'Angleterre, à moins que lui, Philippe, et ledit roi, n'eussent conclu la paix.

Cependant le roi de France et Richard, comte de Poitiers, vinrent assiéger la ville de Tours, le premier lundi après la fête dont j'ai parlé. Et comme dans la partie de la ville baignée par la Loire le fleuve était très-bas, ils appliquèrent des échelles aux murs, et s'emparèrent à la pointe de l'épée de la ville, avec les soixante-neuf chevaliers et les cent sergents qui y étaient renfermés. Alors le roi d'Angleterre, dans une position désespérée, se vil obligé de consentir à une paix honteuse. Le roi d'Angleterre devait se mettre à la merci du roi de France; le roi d'Angleterre devait exécuter, sans contestation, ce que le roi de France jugerait bon et convenable de faire; le roi d'Angleterre devait faire hommage au roi de France, hommage auquel il avait renoncé au commencement de cette guerre. Il fut stipulé en outre qu'Aliz, sœur du roi de France, serait remise en la garde du comte Richard, qui la prendrait pour épouse à son retour de la Terre-Sainte. Il fut stipulé que le comte Richard recevrait l'hommage pour toutes les terres de son père, en deçà et au delà de la mer: qu'aucun des barons ou chevaliers qui s'étaient attachés au parti du comte Richard pendant la guerre, ne retournerait au roi d'Angleterre que dans le dernier mois avant le départ des rois pour la Terre-Sainte, départ fixé à la mi-carême. Henri devait en outre payer au roi de France vingt mille marcs d'argent, pour les dépenses et travaux faits dans l'intérêt du comte Richard. Le roi de France et le comte Richard devaient détenir les villes de Tours et du Mans, ainsi que Troë et Château-du-Loir, jusqu'à l'exécution des conditions sus-énoncées.

Par cet événement parut accomplie la prophétie ou pour mieux dire le pronostic de Merlin ainsi conçu: On lui mettra aux dents un mors forgé sur les rives du golfe armoricain.» En effet, le mors fut mis à la bouche de Henri, roi d'Angleterre, puisqu'il soumit à la suzeraineté d'un autre ce que ses prédécesseurs avaient possédé de droit héréditaire, puisqu'il souffrit bon gré mal gré, que des transfuges tels que Geoffroi de Mayenne, Guy du Val, Raoul de Fougères, restassent sous l'hommage lige et sous le pouvoir de son fils Richard: c'étaient des traîtres qui, habitant sur les côtes du golfe armoricain c'est-à-dire du golfe de Bretagne, se montraient faciles et commodes67 pour ceux qui voulaient passer de Bretagne en France, en évitant de traverser la Normandie. Mais à parler plus vrai, on doit regarder l'abaissement de Henri comme un effet de la vengeance de Dieu, auprès de qui le sang du bienheureux martyr Thomas criait encore; car le roi n'avait pas accompli toutes les promesses qu'il avait faites publiquement à Dieu et à la sainte église, surtout en confisquant les revenus des bénéfices vacants: ce qui est contre la liberté de l'église. Vers la même époque, le jour de la fête de saint Georges, Frédéric, empereur des Romains, partit pour aller visiter les lieux de la passion du Sauveur; il se mit en route à Ratisbonne, dans l'intention de traverser la Hongrie et la Bulgarie.

Mort de Henri II. — Son épitaphe. — Mort de sa fille Mathilde. — Le roi Henri, fort chagrin du traité qu'il venait de conclure, se rendit à Chinon, où, étant tombé gravement malade, il maudit le jour où il était né. Trois jours après la conclusion du traité, il expira dans le plus affreux désespoir, pendant l'octave des apôtres Pierre et Paul, après avoir régné trente-quatre ans, sept mois et cinq jours. Le lendemain on le porta au lieu de sa sépulture couvert de ses habits royaux, une couronne d'or sur la tête et des gants aux mains, ayant aux pieds des chaussures tissues d'or et des éperons; au doigt un grand anneau, à la main un sceptre, un glaive au côté, et le visage découvert68. Richard, son fils, ayant appris la mort de son père, accourut en toute hâte, le cœur plein de remords. Dès qu'il arriva, le. sang se mit à couler des narines du cadavre, comme si l'âme du défunt s'indignait à lu venue de celui qui passait pour être cause de sa mort, et comme si ce sang criait à Dieu. A cette vue, le comte eut horreur de lui-même et se prit à pleurer amèrement. Saisi d'une inexprimable angoisse, il suivit jusqu'à Fonte-vrault69 la bière qui transportait son père, et il fit ensevelir honorablement le corps du roi défunt par les archevêques de Tours et de Trêves qui célébrèrent, avec la solennité convenable, les offices divins.

En son vivant, le roi Henri avait coutume de dire (ce qui convenait à son esprit ambitieux) que l'univers entier ne pouvait suffire à combler les vœux d'un grand prince. C'est ce qui donna lieu à l'inscription suivante mise sur son tombeau:

J'étais le roi Henry: j'ai conquis plusieurs états; j'ai gouverné à différents titres comme roi, comme duc et comme comte. L'étendue du monde était trop petite au gré de mes vœux, et maintenant huit pieds de terre me suffisent. Toi qui lis ces mots, réfléchis aux terribles changements de la mort, vois en ma personne un exemple de ce qu'est l'homme. Un tombeau suffit à celui à qui l'univers ne suffisait pas.

Je mentionnerais ici les lois que ce même roi Henri a établies pour l'utilité du royaume, si je ne craignais par trop de prolixité d'abuser de la patience du lecteur. — Vers le même temps, Mathilde, épouse du duc de Saxe, et fille dudit roi Henri, mourut, dit-on, de la douleur que lui causa ce funeste événement.

suite

NOTES

(1 On appelait silenciaire parmi les esclaves des anciens Romains celui qui était chargé d'imposer silence à ses compagnons. Cette sorte d'office domestique fut transportée à la cour des empereurs byzantins, avec le titre de sileuctaire du palais ou de ministre du repos. On désignait les silenciaires sous les noms de clarissimi, spectabiles, devotissimi. Il y avait trente silenciaires ordinaires, divisés en corps de dix chacun, avec un décurion. Ce corps est appelé, dans les Actes du concile de Chalcédoine: Schola devotissimorum silentiariorum. Saint Angilbert fut silenciaire de Charlemagne, secrétaire du cabinet, en termes modernes. Les silenciaires étaient aussi chargés d'ambassades et de négociations secrètes. On doit donc considérer les silenciaires des papes comme des secrétaires particuliers. (Voyez le Dict. de Trévoux, art. Silenciaire.)

(2) Ce qui rend cette interprétation probable, c'est que Henri II débarqua dans la province de Munster.

(3) Adopté la variante: elle donne aussi Ferne pour Faie. Mais ne serait-ce pas de Haie? Voyez plus bas.

(4 M. Augustin Thierry dit Casbell.

(5) Crepusculo. C'est sans doute le soir, à cause de la solennité du jour.

(6Adopté, pour cette phrase, l'addition et la variante.

(7Probablement Lambeth, château de plaisance des archevêques de Cantorbéry, sur la Tamise, vis-à-vis de Westminster.

(8Ce fut Gilbert Foliot, l'un de ceux qui, par leurs plaintes et par de faux récits, avaient excité si violemment la colère du roi contre le primat. Mais un serment effaça tout; l'église romaine fut satisfaite, et Foliot garda son évêché. (M. Aug. Thierry, liv. X.)

(9Barking ou Berking, dans le comté d'Essex; mais Camden ne dit pas qu'il y eut un abbaye dans ce lieu. Moréry (Art. Erkonwald), d'après Béda et Balllet, dit que ce monastère de filles, à deux lieues do Londres, fut fondé, vers 669, par Erkonwald, fils d'Offa, pour y retirer sa sœur Ethelberge.

(10) Probablement la Sture.

(11) L'étymologie du nom de ces terribles mercenaires ne peut être, comme le veulent quelques-uns, rotura, roturiers, venant de rota. Le mot ruptarii, vient naturellement de rumpere (ruptus), qui forma en vieux français roupte, route, c'est-à-dire compagnie de gens de guerre, de brise-tout. On trouve à peu près dans le même sens les mots allemands rot et reuter ou rutter.

(12) Adopte la variante quater viginti.

(13Le texte donne episcopi. Nous adoptons la variante.

(14Ils étaient commandés par l'évêque de Lincoln, Geoffroi, fils naturel de Henri II.

(15 Constable est pris ici dans le sens de châtelain, capitaine du château. Robert, fils de Gautier, dans le soulèvement de 1213, s'intitula constable de l'armée de Dieu. Mais bientôt ce titre de guerre prit un caractère tout pacifique. Dans les ordonnances de Henri III, sur l'organisation des gardes bourgeoises (Voir aux Additum.), nous trouvons le terme de constable employé pour désigner les officiers préposés au maintien de la paix publique. Quelques auteurs cependant prétendent que l'institution des constables, dans ce sens, ne remonte pas plus haut qu'à la treizième année du règne d'Édouard Ier. En France, le mot connétable servait aussi à désigner des commandants de place (connétable de Saint-Malo, constable ou connétable de Bordeaux). Il y avait aussi des connétables ou chefs de connétablies (compagnies de gens de guerre). Matthieu de Montmorency, sous Philippe-Auguste, est le premier qui ait élevé l'office de connétable au premier rang des dignités militaires.

(16) Un des châteaux qui défendaient la ville portait le nom de Capitule (Capitoiium prœsidium majus), reste des souvenirs de l'ancienne Rome, conservés dans plusieurs cités de la Gaule méridionale. Outre son amphithéâtre, ses aqueducs, son arc de triomphe, Saintes avait un pont sur la Charente, dont on faisait remonter la fondation au temps de César.

(17) Évidemment de juin, à cause de ce qui suit.

(18) Junii, lisez julii.

(19) de grands espaces de pays au nord d'York, furent le partage du Bas-Breton Allan, que les Normands appelaient Alain, et que ses compatriotes, dans leur langage celtique, surnommaient Fergan, c'est-à-dire le Roux. Cet Alain construisit un château fort et des ouvrages de défense auprès de son principal manoir, appelé Ghilling, sur une colline escarpée qu'entourait presque de toutes parts la rivière rapide de Swale... Comme la plupart des autres capitaines de l'armée conquérante, il baptisa d'un nom français le château qui devint sa demeure, et l'appela Riche-Mont, à cause de sa situation élevée, qui dominait le pays d'alentour. (M. Aug. Thierry, livre IV, à l'année 1070.)

(20) Nous traduisons ainsi norenses, parce que, dans la suite de l'ouvrage, ce mot se trouve opposé à australes.

(21 C'était rétablir de fait une partie des articles de Clarendon, dont le pape avait exigé l'annulation. La clause des forêts surtout ouvrait une large voie aux exigences et aux chicanes des officiers royaux.

(22) Bergamini, texte hic, Nous proposons Abergavenni, sur la frontière du pays de Galles.

(23 Il s'agit ici de Richard, comte de Pembroke. Quoique Strigoil ne se retrouve pas sur les cartes, on est autorisé, par un autre passage de Matthieu Pâris, que nous annoterons à l'année 1215, à penser qu'il faut placer ce lieu en Irlande, dans le comté de Wexford.

(24Peut-être faut-il voir dans Portel Saint-Jean-Pied-de-Port, et dans Castellum quod tenet Godin, Saint-Gaudens. L'orthographe de la plupart de ces noms est fautive.

(25 Cette leçon est maintenue par le père Daniel. Peut-être faut-il lire Nonancourt?

(26Nous proposons et traduisons iter ab eoo coruscavit, au lieu de iter ab eo.

(27) A cause du mot turpitvdinem et de la phrase suivante, je soupçonnerais que le sens est ici: Une faiblesse dans les voies urinaires.

(28) Nous lisons infanlis au lieu d'habentis.

(29 Adopte la variante pour cette date.

(30De viventibus personis, lisez ne viventibus.

(31) Possessoribut suis, sans doute possessionibus. Cet article était alors applicable surtout au midi de l'Italie. Voyez, sur le sort des esclaves au moyen âge (mancipia, dit le texte), les excellentes remarques de M. Libri, tome II de l'Hist. des mathématiques.

(32Joachim, né au bourg de Célico, près de Cosenza, voyagea dans la Terre-Sainte. De retour en Calabre, il prit l'habit de Citeaux dans le monastère de Corazzo, dont il fut prieur et abbé. Il quitta ensuite son abbaye avec la permission du pape Lucius III, en 1185, et alla fonder l'abbaye de Flore. Il mourut en 1202, laissant une réputation de piété et de bonnes mœurs, mais surtout admiré par les gens crédules, qui lui attribuaient le don de prophétie. C'est là probablement ce qui attira auprès de lui Richard Cœur-de-Lion, pendant son séjour en Sicile. Il donna naissance à une secte de rêveurs enthousiastes, qui disaient que la loi de Jésus-Christ était imparfaite, et qu'elle serait suivie d'une loi meilleure, d'un évangile éternel. Sa polémique contre Pierre Lombard n'empêcha pas le maître des sentences de jouir au moyen âge d'une réputation méritée; et, malgré quelques propositions ou singulières ou erronées, le livre de l'évêque de Paris continua à être regardé comme le manuel le plus complet de la théologie. Pierre Lombard (né à Novarre, mort en 1161) s'était attaché à recueillir et à concilier les opinions des Pères, en s'abstenant des interprétations arbitraires si fréquentes parmi ses contemporains.

(33 On s'explique aisément ce fait curieux, en réfléchissant que Philippe II, roi à quinze ans, avait à lutter contre la jalousie de sa mère et de ses oncles, qui voulaient l'empêcher d'épouser la fille du comte de Hainaut, nièce du comte de Flandre, avec la Picardie en dot. Le jeune roi avait besoin de La neutralité et de la bienveillance de Henri II pour obtenir cette province importante, qui, séparant la Flandre de la Normandie, rompait le cercle des grands fiels dont la royauté capétienne était entourée. Au reste, la démarche de Philippe était simplement un acte de déférence qui ne détruisait pas le lien féodal du vasselage auquel le roi d'Angleterre était tenu envers le roi de France, puisque nous voyons Henri II envoyer, en cette occasion, une troupe de chevaliers à Philippe, en signe de vasselage.

(34) Murtinœ. Probablement murrinœ.

(35) Le nom de Prétre-Jean, selon Ducange, viendrait d'un Johannes-Presbyter, nestorien, lequel, en 1145, aurait tué un puissant roi indien et lui aurait succédé. D'autres assurent que le Prétre-Jean ou Preste-Jean était un roi de Tartarie (khan des Kéraïtes), et que les gens du pays l'appelaient d'un nom commun à tous les princes de cet empire, Juhanna. D'autres encore font venir ce nom du persan, Prester-Chan, prince des adorateurs, ou Prescheth-Gian, ange du monde. Les voyages du Juif Benjamin de Tudéla (1160-1173) dans la haute Asie et dans l'Inde contribuèrent à rendre célèbre dans l'église latine le nom de ce roi étranger, sur la demeure et l'existence duquel on n'eut jamais que des notions fort incertaines. On prétend que le pape Innocent IV, en envoyant, vers 1246, une ambassade au petit-fils de Gengis-Kan, le pria de ne pas tremper ses mains dans le sang des chrétiens, sujets du Prêtre-Jean. Beaucoup plus tard, à l'époque de la découverte des Indes par les Portugais, le roi Juan II, apprenant qu'il existait, à deux cent cinquante milles à l'est du royaume de Benin, un roi puissant qui professait la religion chrétienne et qui faisait porter une croix devant lui, envoya Pierre de Covilhanna et Alphonse de Paira à la recherche de ce personnage mystérieux. Mais on finit par reconnaître que le Prétre-Jean, indien ou tartare, si fameux dans les relations fabuleuses du moyen âge, n'était nullement le Négus d'Abyssinie.

(36 Vingt-deux ans, de 1159 à 1181, si l'on compte à partir de la mort d'Adrien IV, sans s'arrêter au schisme. En tout cas, le nombre douze est inexact.

(37) Marguerite, ou plutôt Isabelle? [Note Patrick Hoffman]

(38En général, Matt. Pâris retrace avec négligence la lutte des fils contre le père, ou des fils entre eux. Mais ici il laisse une lacune, qu'il est nécessaire de combler. Henri-le-Jeune et Geoffroy entrent en Aquitaine sur les terres de Richard, pour le punir du refus d'hommage. Effrayé du soulèvement du pays et des intrigues du roi de France, Henri II se joint à Richard. Henri-le-Jeune abandonne les insurgés poitevins. Geoffroi seul continue la guerre contre Richard. L'inutile entrevue de Limoges, où le vieux roi manque d'être blessé par les insurgés, est suivie d'une nouvelle désertion de Henri-le-Jeune, qui se rend au camp des révoltés, puis revient avec son inconstance ordinaire auprès de Henri II, en s'engageant à lui faire ouvrir les portes de Limoges. Mais les députés sont mis à mort par les Aquitains, et bientôt Henri-le-Jeune, dangereusement malade, est privé de la présence de son père, qui redoute la scélératesse des conspirateurs.» Il meurt sur un lit de cendres, en donnant de grandes marques de contrition et de repentir.

(39)  Puella, dans le sens de vierge au masculin: ternie d'honneur qui exprimait la chasteté. Voyez Ducange, à ce mot.

(40) Adopté intonuit, au lieu d'introicit.

(41Probablement Belvoir. (Carte de Michaud.)

(42 Fons clericorum. Je ne vois point d'autre traduction possible, d'autant plus que Clerkenwell était la maison des hospitaliers.

(43) Il avait demandé à son père le comté d'Anjou, pour le joindre à son duché de Bretagne. Sur le refus de Henri II, il passa en France, où, en attendant peut-être l'occasion de recommencer la guerre, il se livra aux amusements de la cour. Renversé de cheval dans un tournoi, il fut foulé sous les pieds dos chevaux des autres combattants, et mourut de ses blessures.» (M. Aug. Thierry, liv. X.)

(44) Ceci peut expliquer la phrase singulière que l'on trouve à la fin du paragraphe précédent. Selon les uns, l'avénement d'Urbain III aurait eu lieu en 1485, selon d'autres, en 1185, au temps de Noël. Mais le Dictionnaire historique et Moréry s'accordent à dire qu'Urbain fut élu pape au mois de novembre 1185.

(45)   Ortu magna, viro major, sed maxima partu,

Hic jacet Henrici filia, sponsa, parens.

Ce distique, remarquable par sa précision et par sa netteté, est bien au-dessus des vers prétentieux et barbares ordinaires à cette époque.

(46) Quand Geoffroy de Lusignan, dont la force et le courage étaient éprouvés, eut appris plus tard la nomination de son frère, il s'écria: «Ceux qui ont fait roi mon frère, m'auraient fait Dieu, s'ils m'eussent connu.» On accusait Sybille d'avoir empoisonné son fils pour faire régner son second mari. Toujours est-il qu'on ne sut jamais ni la maladie du jeune prince, ni le moment de sa mort.

(47) Matth. Pâris désigne sous ce nom les Kurdes, peuplade guerrière et indépendante, qui habitaient le pays montagneux situé au-delà du Tigre. Gibbon croit retrouver dans ces Kurdes les anciens Karduchiens qui défendirent leur liberté contre les efforts des successeurs de Cyrus, et qui inquiétèrent les dix mille dans leur retraite. Saladin (Salah-Eddin), comme son père Ayoub ou Job, comme son oncle Shiracouh, était un aventurier kurde, au service de Noureddin, soudan Atabek, de Damas. Son oncle renversa, en Égypte, la domination des Fatimites. A la mort de Shiracouh, Saladin fut nommé grand visir, malgré la jalousie de Noureddin, qui redoutait un vassal aussi entreprenant. Noureddin expira au moment même où la lutte allait s'engager, et l'heureux aventurier, possesseur tranquille de l’Égypte, recueillit rapidement le vaste héritage de son ancien maître.

(48) C'est très-probablement la même ville que Tibériade. On sait que les historiens des croisades désignent fréquemment le même lieu sous plusieurs noms.

(49) Ce lieu n'est point dans M. Michaud, qui parle des hauteurs du Loubi.

(50Des chansons composées en langue vulgaire ou en langue latine contribuaient à exciter cet enthousiasme. Une d'elles, attribuée à un clerc d'Orléans, fut répandue jusqu'en Angleterre. M. Aug. Thierry la traduit ainsi, sur le texte fourni par Roger de Hoveden:

«Le bois de la croix est la bannière de notre chef, celle que suit notre armée.

«Nous allons à Tyr; c'est le rendez-vous des braves: c'est là que doivent aller ceux qui font tant d'efforts pour acquérir, sans nul fruit, le renom de chevalerie.

«Le bois de la croix, etc.

«Mais, pour cette guerre, il faut des combattants robustes et non des hommes amollis; ceux qui soignent leurs corps à grands frais n'achètent point Dieu par des prières.

«Le bois de la croix, etc.

«Qui n'a point d'argent, s'il est fidèle, la foi sincère lui suffira; c'est assez du corps du Seigneur pour toute provision de voyage au soldat qui défend la croix.

«Le bois de la croix, etc.

«Le Christ, en se livrant au supplice, a fait un prêt au pécheur; pécheur, si tu ne veux pas mourir pour celui qui est mort pour toi, tu ne rends pas ce que Dieu t'a prêté.

«Le bois de la croix, etc.

«Écoute donc mon conseil; prends la croix, et dis, en faisant ton vœu: Je me recommande à celui qui est mort pour moi, qui a donné pour moi son corps et sa vie.

«Le bois de la croix est la bannière de notre chef, celle que suit notre armée.»

(51) C'est sans doute la Thanis d’Égypte, non loin de Damiette.

(52) On sait la vénération des musulmans d'Égypte pour la mémoire du fils de Jacob. Frédéric leur reproche sans doute de ne point l'apprécier au point de vue chrétien; car je ne pense pas qu'on doive voir, dans ces paroles de l'empereur, une allusion au nom de Joseph, qui était le nom propre du fils d'Ayoub. Salah-Eddin (salut de la religion) n'était qu'un surnom.

(53) Si cette lettre est authentique, les prétentions de Frédéric Barberousse à la succession de Trajan et de Marc-Aurèle sont bien surannées.

(54) Burgesia, nous lisons Brisgoia, et Lomburdia, au lieu de Leonardia.

(55) Quid Archatirana, quid vêtus Proretha, quid Spinacius navclerus. Ce membre de phrase nous semble inintelligible, si l'on y cherche des noms de lieux. Guidé approximativement par le glossaire de Charpentier, nous proposons de lire: quid arcaragia, quid vitus proreta, quid spinachii nauclerus. L'empereur termine son énumération par quelques mots sur ses armées et sur ses flottes.

(56) Évidemment les chrétiens d'Asie.

(57Saladin fait allusion au siége de Damiette, que le roi Amaury avait entrepris, en 1169, après s'être emparé de Peluse et avoir menacé le Caire. La disette, la pluie, le feu grégeois forcèrent les assiégeants à se retirer et à évacuer l’Égypte. Mais, comme on persistait à considérer l’Égypte comme le point d'appui d'un établissement durable en Orient, les Latins revinrent de nouveau attaquer l'Égypte, en 1475, à l'avénement du jeune Baudouin IV. Saladin, en personne, leur fit lever le siége d'Alexandrie.

(58 Ce pays est placé dans l'Iturée sur les cartes. Nous y voyons l'ancien royaume syrien de Gessur dont parlent les livres saints et l'historien Josèphe. — Quant à Roasia, que nous traduisons par Korasan, nous pensons que le pays de Hérat était alors, comme aujourd'hui, un avant-poste important vers les riches contrées de Lahore et de l'Inde.

(59) Nous adoptons la variante.

(60Il faudrait ajouter, d'après la variante, l'an de la nativité du Seigneur 1189. — Date exacte.

(61) Inlercalation fournie par le manuscrit de Cotton.

(62Le texte dit Baalver. Nous adoptons la variante Baalum.

(63) Probablement le Loir.

(64)Troë ou Trou. Nous adoptons pour cette phrase la variante et l'addition.

(65) Ducange dit que c'est une défense extérieure d'une ville ou d'un château, qui sert à en fortifier les portes et les murs, et qu'il appelle, en latin, barbacatia ou barbicana, antemurale et promurale. C'était autrefois un fort qui était à l'entrée d'un pont ou hors de la ville, et qui avait un double mur et des tours. Ce mot resta en usage plus tard, pour désigner soit un parapet de bois crénelé, soit une fente dans la muraille, qui permet de tirer à couvert sur les ennemis. Ou le trouve employé, dans le sens du texte, en italien et en espagnol. Spelmann le fait venir de l'arabe.

(66) Matt. Pâris prend le titre pour le nom. Les Espagnols ont emprunté aux Maures le mot d'alcade.

(67 Nous proposons et traduisons le pluriel au lieu du singulier.

(68 Le récit de la mort de Henri II, tracé par M. Aug. Thierry d'après d'autres autorités, diffère en quelques circonstances du récit de Matt. Pâris. Quand il eut expiré, son corps fut traité par ses serviteurs comme l'avait été autrefois celui de Guillaume-le-Conquérant; tous l'abandonnèrent, après l'avoir dépouillé de ses derniers vêtements et avoir enlevé ce qu'il y avait de plus précieux dans la chambre et dans la maison. On eut peine à trouver des gens pour l'envelopper d'un linceul et des chevaux pour le transporter. Le comte de Poitiers se leva après l'intervalle d'un Pater noster, et sortit pour ne plus revenir. Le lendemain de ce jour eut lieu la cérémonie de la sépulture; on voulut décorer le cadavre de quelques-uns des insignes de la royauté; mais les gardiens du trésor de Chinon les refusèrent, et, après beaucoup de supplications, envoyèrent seulement un vieux sceptre et un anneau de peu de valeur. Faute de couronne, on coiffa le roi d'une espèce de diadème fait avec la frange d'or d'un vêtement de femme, et ce fut dans cet attirail bizarre, etc.» (Hist. de la Conq., tome III, à la fin.)

(69) Adopté l'addition Ebraudi.