HISTOIRE D'ARMÉNIE
LIVRE I
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
MOÏSE DE KHORÈNE. Moïse de Khorène naquit dans la seconde moitié du quatrième siècle, à Khorni, appelé aussi Khoronk, bourg assez considérable du canton de Daron. C’est le nom de son lieu de naissance qui a fait désigner Moïse par le surnom de Khorénatzi, et quelquefois Daronetzi (de Daron), que les Arméniens emploient pour le distinguer de ses homonymes. Son oncle Mesrob prit soin de son éducation, et bientôt Moïse se fit remarquer parmi ses condisciples par son zèle et son aptitude à seconder les intentions de ses maîtres et de ses protecteurs. Moïse fut bientôt désigné par le choix du saint Sahag, comme l’un des missionnaires que, sur l’ordre du roi Vram Schapouh, le patriarche de l’Arménie envoya en Syrie, en Égypte et en Grèce pour se perfectionner dans l’étude des langues. Il visita d’abord le canton de Siounie, puis Édesse, centre des études littéraires de la Syrie, Antioche, Alexandrie, Byzance, Athènes et Rome. Dans ces différentes villes, il s’attacha à des maîtres habiles qui tenaient école; il fréquenta les bibliothèques et les archives, et s’adonna avec ardeur à l’étude des langues syriaque et grecque. La tradition raconte aussi qu’il avait acquis une grande renommée comme rhéteur, et que l’empereur Marcien lui prodigua publiquement des éloges sur sa science et sur son érudition. De retour dans sa patrie, après ses lointaines pérégrinations, Moïse trouva l’Arménie dans un état complet d’anéantissement. Le trône des rois était renversé; saint Sahag et Mesrob étaient morts; et tous les efforts que ses maîtres avaient faits pour lancer l’Arménie dans la voie de la science et du progrès venaient d’être frappés d’une désolante stérilité. Les Arméniens, plus préoccupés des événements qui s’étaient accomplis que du moyen d’en conjurer le retour, se montraient indifférents envers les savants qui seuls pouvaient les consoler dans leur infortune. Aussi Moïse et ses compagnons, découragés par l’insouciance de leurs compatriotes, prirent le parti de se retirer dans la solitude. Moïse vécut ainsi dans l’isolement et la pauvreté pendant dix ans de sa vie. Cependant l’oppression que les Perses faisaient peser sur l’Arménie commença à être moins douloureuse; la tyrannie des Sassanides se lassa de répandre le sang des vaincus, et le patriarche Kiud, étant monté sur le siège pontifical, appela auprès de lui ses anciens compagnons d’étude. Moïse de Khorène, qu’une circonstance imprévue ramena auprès du patriarche, fut consacré par lui, à la mort d’Eznig de Goghp, comme évêque de Pakrévant et des Arscharouni. Aussitôt arrivé dans son diocèse, Moïse ouvrit des écoles et attira auprès de lui de nouveaux disciples; c’est du moins ce que raconte la tradition, qui s’est plu à entourer la vie de Moïse d’une foule de circonstances particulières, dont l’histoire n’a pas conservé le souvenir. On ne saurait fixer avec exactitude l’âge qu’atteignit Moïse de Khorène, qui parvint, à ce que l’on croit, à une extrême vieillesse. Selon un historien arménien, il aurait prolongé sa vie jusque sous le règne de Zénon, en 487, et serait mort âgé de plus d’un siècle. Tout ce que l’on sait de positif sur les circonstances de sa mort, c’est qu’il était dans le canton de Daron, quand l’âge et les infirmités le conduisirent au tombeau, et qu’il fut enseveli dans l’église du monastère des Apôtres, qu’on appelait aussi couvent de Lazare ou d’Éléazar, et qui était situé dans les environs de la ville de Mousch. Moïse de Khorène appartient à la classe des disciples de saint Sahag et de Mesrob, et fait partie du cycle des seconds traducteurs. On sait qu’il travailla à la version des Livres-Saints, que les Arméniens entreprirent de donner d’après le texte grec de la Bible des Septante. Quelques critiques lui attribuent, non sans raison, la traduction de la Chronique d’Eusèbe et la Vie d’Alexandre du Pseudo-Callisthène, ainsi que d’autres écrits. Mais ce qui contribua surtout à répandre la réputation de Moïse, ce sont ses travaux originaux, dont le nombre est très considérable, et dans lesquels il se montre à la fois théologien, historien, rhétoricien, géographe et panégyriste. Son principal ouvrage est l’Histoire d’Arménie qu’il rédigea à la demande de Sahag le Bagratide, et qu’il composa à l’aide des écrits des Grecs, des Syriens, des Chaldéens, et des sources nationales et bibliques. Sa vaste érudition lui permettait d’entreprendre une œuvre aussi capitale, et c’est l’ensemble des matériaux dont il a tiré parti, joint au talent d’écrivain qu’il a déployé dans cet ouvrage, que Moïse doit le privilège d’être classé à la tête des historiens de sa nation. Nous avons donné ailleurs des extraits des auteurs chaldéens, grecs et autres que Moïse a rassemblés dans son Histoire; aussi ne reviendrons-nous pas sur cette question. L’Histoire de Moïse de Khorène, telle qu’elle nous est parvenue, se compose de trois livres; mais il paraît qu’originairement cet ouvrage comprenait quatre parties, dont la dernière existait encore au temps de Thomas Ardzrouni, qui la mentionne dans son livre, en disant que Moïse y avait rassemblé tous les faits qui s’étaient passés depuis la chute de la dynastie des Arsacides jusqu’au règne de l’empereur Zénon. On ne connaît de ce quatrième livre que des fragments malheureusement très courts, et la mention d’un chapitre dont le titre seul figure à la fin de la table des matières du troisième livre, et qui est ainsi conçue : « Vers en mesure sur l’auteur et sur Sahag le Bagratide ». L’ouvrage le plus curieux de Moïse, que l’on doit mentionner après son Histoire, est assurément la Géographie qui nous est parvenue sous son nom, et qui n’est à proprement parler qu’une traduction abrégée de celle de Pappus d’Alexandrie à laquelle il a ajouté une description très complète de l’Arménie. Malheureusement on ne peut considérer ce livre, qui a subi des modifications notables en passant par la plume des copistes, comme un écrit original, et quelques critiques se refusent à voir dans cet ouvrage, qui porte l’empreinte de nombreuses interpolations, un livre appartenant en propre à Moïse de Khorène. Toutefois le P. Indjidji, en réfutant l’opinion de ces savants, a démontré que le texte primitif de la Géographie de Moïse appartenait bien à cet écrivain, et qu’il était facile de reconnaître les interpolations postérieures et les additions que des copistes avaient faites, pour rendre l’ouvrage de Moise plus complet et plus conforme aux besoins de leurs compatriotes. On attribue à Moïse de Khorène un Traité de rhétorique appelé aussi Livre des chries, qu’il rédigea pour l’usage d’un de ses disciples appelé Théodore. Cet ouvrage renferme dix discours ou livres, dont voici les titres: chries, conseils, réfutation, lieux communs, apologie, blâme, comparaison, allégorie, déclamation et composition. L’auteur a donné des exemples pour chacune des figures de rhétorique décrites dans son traité; mais ces exemples sont empruntés en notable partie à des écrivains de la décadence, c’est-à-dire aux rhéteurs et aux sophistes qui avaient détrôné, dans les écoles de la Grèce, les anciens écrivains qui furent autrefois la gloire et l’ornement des lettres helléniques. Ainsi Moïse de Khorène, élevé à l’école des rhéteurs et des sophistes de la décadence, a emprunté les modèles qu’il donne dans son traité, à Hermogène de Tarse, à Théon, à Aphthonius, à Libanius, l’ami de saint Basile et le maître de saint Jean Chrysostome, etc. La différence de style qui se fait remarquer entre l’Histoire de Moïse et le Traité de rhétorique a fait considérer ce dernier ouvrage comme apocryphe; mais Guiragos de Kantzag et Assoghig n’hésitent pas à reconnaître, dans le Livre des chries, l’œuvre de Moïse de Khorène. Les écrivains qui s’élèvent contre l’authenticité de cet ouvrage sont d’une époque récente relativement, et on ne doit attacher aucune importance l’allégation d’Arakliel vartabed qui attribue le Livre des chries à David l’Invincible, puisqu’un auteur anonyme, en reproduisant le passage d’Arakhel, mentionne, au lieu du Traité de rhétorique, un livre philosophique qu’il appelle Éagatz kirkh « Livre des Êtres ». Certains critiques supposent que le Traité de rhétorique de Moïse de Khorène, qui renferme des traces non équivoques d’hellénisme, a d’abord été composé en grec et traduit plus tard en arménien. Il est fort difficile de résoudre cette question, et les preuves qu’on avance à cet égard sont loin d’être concluantes. Tout ce qu’on peut admettre, c’est que ce livre a subi sous la plume des copistes de notables modifications, qu’on y a fait des changements considérables, en interpolant dans plusieurs chapitres des passages qui n’existaient pas dans l’original. Ainsi, pour n’en citer qu’un exemple, nous dirons que, dans un ancien manuscrit, le récit du combat de David et de Goliath est attribué à Khosrov le traducteur. En dehors des grands ouvrages de Moïse de Khorène, on doit encore à cet écrivain plusieurs opuscules. Le principal est l’Histoire de la sainte Mère de Dieu et de son image. L’histoire ecclésiastique arménienne rapporte que, dans le monastère d’Hokotz-Vank, situé dans le canton d’Antzévatzi, province de Vasbouragan, on révérait une image de la Vierge en bois de cyprès, que l’on disait avoir été sculpté par l’évangéliste Jean. A la mort de la Vierge, Barthélemy fut le seul des apôtres qui n’assista pas à ses derniers moments, parce qu’il prêchait alors l’Évangile en Arménie. Ses compagnons, pour lui laisser un souvenir de la Mère de Dieu, lui firent don de cette image qu’il emporta en Arménie, et dont il dota une église auprès de laquelle on éleva le monastère d’Hokotz. Sahag l’Ardzrouni demanda à Moïse de Khorène d’écrire l’histoire de cette image et de la lui adresser. Moïse accéda au vœu de Sahag, et composa cet opuscule qui nous a été conservé Moise écrivit aussi une Apologie de sainte Hripsimè, qui est différente de l’histoire des pérégrinations des Hripsimiennes, qui a été composée à une époque postérieure. Guiragos, en donnant la liste des ouvrages de Moïse, lui attribue un Discours sur la fête des Rameaux qui parait être l’œuvre d’un autre Moïse. Il en est de même de plusieurs autres écrits qui ont dû être composés par des homonymes du grand historien national de l’Arménie. On cite parmi ces écrits les Commentaires sur les ordres de l’Église, le Discours de la sagesse, qui est un commentaire raisonné sur l’art de la grammaire, les Commentaires sur la grammaire, dans lesquels on a eu en vue d’expliquer la Grammaire de Denys de Thrace, d’autres Commentaires sur la grammaire, qui ne sont pas l’œuvre d’un même auteur, mais de plusieurs écrivains parmi lesquels on cite Moïse, David l’Invincible, Étienne de Siounie, Grégoire Magistros, Hamam, Arisdaguès, etc.; enfin on attribue encore à Moïse de Khorène une petite prière conservée dans les livres d’office, en usage dans l’Église arménienne. Les œuvres de Moïse de Khorène ont été publiées en arménien, tantôt complètes et tantôt par parties. Sarkis, archevêque de Constantinople, publia une édition des Œuvres de Moïse de Khorène en 1752. Des écrits séparés sont aussi sortis des presses des PP. Mékhitaristes de Saint-Lazare de Venise, qui ont également publié les Œuvres complètes de Moïse de Khorène, dans la « Collection des classiques arméniens ». Il nous reste maintenant à parler des éditions et des traductions de l’Histoire de Moïse de Khorène, le seul des ouvrages de l’Hérodote arménien qui entre dans la Collection que nous publions, car c’est avec réserve qu’on a attribué à cet auteur la Biographie de saint Nersès le Parthe, qui a passé jusqu’à présent pour être l’œuvre d’un écrivain du nom de Mesrob, et que des critiques autorisés supposent avoir été composée au cinquième siècle. Du reste, nous reviendrons sur cette question dans l’introduction placée en tête de la Vie du patriarche Nersès. L’Histoire de Moïse de Khorène, dont il existe de nombreux manuscrits, transcrits à une époque relativement moderne, n’a commencé à être sérieusement appréciée en Europe que dans la première moitié du dix-huitième siècle. Jusque-là, on peut affirmer que, malgré les efforts de quelques arménistes pour faire connaître en Occident la langue et la littérature arméniennes, aucun d’eux n’avait songé à s’occuper de l’Histoire de Moïse de Khorène, car ce fut quarante ans après l’apparition de la première édition originale de cet important ouvrage, que parurent le résumé de Henry Brenner et la traduction latine des frères Whiston. L’édition princeps de l’Histoire de Moïse de Khorène fut donnée à Amsterdam en 1695, par l’évêque Thomas de Vanant, avec les caractères de l’évêque Osgan. Cette édition fut faite à l’aide d’un manuscrit peu correct, et elle laisse beaucoup à désirer. Cependant c’est un texte qui a une valeur de manuscrit, et qui peut offrir des variantes utiles. C’est sur cette édition que les frères Whiston ont entrepris leur traduction latine. La seconde édition de l’Histoire de Moïse de Khorène fut donnée à Venise, un demi-siècle plus tard, par les PP. Mékhitaristes, qui ajoutèrent à leur édition la Géographie de cet auteur. Le manuscrit dont se servirent les religieux de Saint-Lazare pour publier leur édition était plus correct que celui dont l’éditeur d’Amsterdam avait fait usage; cependant le texte de l’Histoire d’Arménie devait encore subir d’importantes améliorations, comme les éditions postérieures nous en fournissent la preuve. Beaucoup plus tard, en 1827, les PP. Mékhitaristes publièrent une nouvelle édition de l’Histoire de Moïse de Khorène, avec les variante de plusieurs manuscrits de leur riche collection. Cette édition, bien supérieure à toutes les précédentes, fait partie de la « Bibliothèque choisie » et a servi à M. Levaillant de Florival à donner sa traduction. Enfin, en 1843, les Mékhitaristes ont encore publié dans le tome XXI de leur Collection des anciens écrivains une nouvelle édition de l’Histoire de Moïse de Khorène, qui est placée en tête des Œuvres complètes de cet auteur, et qui est sans contredit le texte le plus parfaite qui ait encore été publié de cet ouvrage. Des variantes tirées des manuscrits de leur collection enrichissent cette publication, sur laquelle nous avons revu la traduction que nous offrons aujourd’hui au public savant. On n’a pas encore dit le dernier mot sur texte de l’ Histoire de Moïse de Khorène, et les manuscrits de cet ouvrage qui existent à Edchmiadzin, à Jérusalem et ailleurs, pourront permettre d’améliorer certains passages du livre de l’Hérodote arménien. Ainsi, depuis l’impression de la dernière édition de l’Histoire de Moïse donnée à Venise, il a paru à Tiflis un opuscule qui fournit des variantes nouvelles, et dont quelques-unes sont fort importantes. Nous dépasserions le cadre qui nous est tracé, si nous voulions donner la liste fort nombreuse des mémoires ou des notices qui ont été publiés sur l’Histoire de Moïse de Khorène. Beaucoup de savants en France et à l’étranger se sont livrés à des études spéciales sur cet ouvrage capital qui est assurément le livre historique le plus remarquable de toute la littérature arménienne. Moïse est en effet le premier annaliste qui ait fait connaître en détail les origines de sa nation; et les écrivains qui sont venus après lui se sont contentés de reproduire ses récits, sans recourir aux sources auxquelles il avait puisé. Nous dirons seulement que nous avons fait une étude spéciale sur les sources de l’Histoire de Moïse de Khorène, où nous avons essayé de rassembler tous les renseignements que nous avons pu trouver sur les auteurs qu’a consultés Moïse et dont il a donné de nombreux extraits. En dehors des éditions de l’Histoire de Moïse de Khorène publiées dans l’idiome arménien, il existe de nombreuses traductions en langues européennes qui montrent combien cet important ouvragea été sérieusement apprécié parle monde savant. Le premier qui fit connaître en Europe l’Histoire de Moïse de Khorène fut un Suédois, Henri Brenner, bibliothécaire du roi, qui avait accompagné en Perse Fabricius, ambassadeur de Charles Xl. Éric Benzel, docteur en théologie et bibliothécaire de l’Académie d’Upsal, lui avait recommandé, au nom de Leibnitz, de s’attacher spécialement à l’étude des idiomes des peuples qu’il visiterait. Henri Brenner, qui avait traversé la Russie, franchi le Caucase et visité la Perse, allait rentrer dans sa patrie en 1699, muni de nombreux renseignements et d’importants documents qu’il avait recueillis dans son voyage, quand la guerre éclata entre la Suède et la Russie. Le voyageur fut retenu par ordre de Pierre le Grand à Moscou, comme prisonnier d’État, à cause des relations qu’il avait entretenues avec Sarug Khanbek, que la Perse, alors en guerre avec la Russie, avait envoyé en ambassade en Suède. Brenner subit une captivité de vingt et un ans, c’est-à-dire depuis l’année 1700 jusqu’à la paix de Nystad, signée le 10 septembre 1721, et qui mit fin à la guerre désastreuse que la Suède soutint contre la Russie. Pendant sa captivité, Brenner se trouva en relation avec un dominicain jacinthien, Jean Bartholomée ou Barthélemy, également prisonnier comme lui et qui avait appris la langue arménienne pendant un séjour qu’il avait fait en Arménie et en Perse. Jean Barthélemy avait avec lui un manuscrit de l’Histoire de Moïse de Khorène dont il traduisit des parties considérables pour l’usage de Brenner, qui les publia en latin, quelques années après son retour en Suède. A la suite de cette publication, qu’il enrichit de notes et d’observations nombreuses, Brenner a donné, sous forme d’une lettre datée de Ulm, en 1723, et adressée à Éric Benzel, une relation abrégée et faite de mémoire, sur l’état présent de quelques nations de l’Orient, notamment sur les Persans, les Arméniens, les Géorgiens, les Circassiens, les Daghestaniens, les Tatars de la Crimée, les Cosaques, les Russes, etc. Trois ans plus tard, les frères Guillaume et Georges Whiston, fils d’un professeur de langue anglaise à Madras, où il faisait l’éducation des enfants de l’Arménien Grégoire Aghapérian, publièrent à Londres une traduction latine de l’Histoire de Moïse de Khorène. Ces deux jeunes Anglais avaient appris l’arménien sous la direction de leur père, qui lui-même s’était familiarisé avec cet idiome dans la maison où il était précepteur. Les frères Whiston se servirent, pour donner leur édition, de celle publiée à Amsterdam par l’évêque Thomas de Venant en 1695, et ils y ajoutèrent en regard une version latine, qui laisse beaucoup à désirer comme exactitude. A la suite de l’Histoire de Moïse, les frères Whiston ont donné le texte et la traduction de la Géographie du même auteur, faite sur le texte édité par l’évêque Osgan, à Amsterdam en 1668, avec la lettre des Corinthiens à l’apôtre Paul et la réponse de Paul aux Corinthiens. Un siècle après la publication qu’avaient faite les frères Whiston, un Français, M. Levaillant de Florival, professeur à l’école des langues orientales de Paris, donna dans cette ville la traduction française du même ouvrage précédée d’une notice biographique sur Moïse de Khorène, et qu’il retira bientôt de la circulation pour éditer à Venise, en 1844, le texte accompagné d’une nouvelle traduction de l’Histoire de Moïse de Khorène. Ce travail, qui est fort recommandable est malheureusement accompagné d’un Dictionnaire géographique, historique ……….., sans aucune valeur scientifique, que l’éditeur a composé à l’aide des compilations de Moréri et de Bouillet. L’Histoire de Moïse de Khorène a également été traduite deux fois en italien. Ce fut l’abbé J. Cappelletti qui en donna la première version à Venise. Bien que cette traduction ne soit pas sans mérite, elle est inférieure cependant à celle que les PP. Mékhitaristes ont publiée à deux reprises différentes dans leur imprimerie, en 1849 et 1850, et qui passe à tort pour être l’œuvre de M. N. Tommaseo, qui n’a fait qu’en retoucher le style. Cette excellente version est enrichie de notes historiques, critiques et philologiques qui font le plus grand honneur aux membres de l’Académie de Saint-Lazare de Venise. Nous avons largement puisé à cette source d’informations dans les annotations qui accompagnent la traduction nouvelle que nous publions. L’intérêt qu’offre l’Histoire de Moïse de Khorène n’a pas échappé aux savants de la Russie, qui ont publié aussi deux traductions de cet ouvrage. Un diacre arménien, Joseph Ohannésian, a donné en langue russe une première version de cet ouvrage, à Saint-Pétersbourg, et M. J.-B. Emin, alors professeur à l’institut Lazareff de Moscou, a publié également dans cette dernière ville une excellente traduction, accompagnée de notes et de dissertations d’un intérêt capital.
Victor Langlois
LIVRE PREMIER Table [des Chapitres] du Livre premier I. Moïse de Khorène, — au commencement de notre discours, — à Sahag Bagratide, salut! II. Pourquoi avons-nous tiré [les renseignements relatifs à] nos affaires des [livres] grecs, tandis qu’ils sont plus étendus dans [ceux] des Chaldéens et des Assyriens? III. Du manque de philosophie de nos premiers rois et princes. IV. Comment les autres historiens diffèrent entre eux touchant Adam et les autres patriarches. V. Concordance de la généalogie des trois fils de Noé jusqu’à Abraham, Ninus et Aram. — Ninus n’est point Bel, ni le fils de Bel. VI. Comment les autres archéologues sont, partie d’accord avec Moïse, partie en désaccord. — Tradition orale du philosophe Olympiodore. VII. Démontrer brièvement que l’homme du nom de Bel, [mentionné] par les écrivains profanes, est bien le Nemrod des divines Écritures. VIII. Qui a tracé ces récits, et d’où ils sont tirés. IX. Lettre de Valarsace, roi des Arméniens, à Arsace le Grand, roi des Perses. X. De la révolte d’Haig. XI. De la guerre et de la mort de Bel. XII. Race et filiations des descendants d’Haïg. — Ce que chacun de ses descendants a fait. XIII. Guerre d’Aram contre les Orientaux; sa victoire. — Mort de Nioukar Matès. XIV. Démêlés d’Aram avec les Assyriens; sa victoire. — Balabis Khaghia. — Césarée. — Première-Arménie et autres contrées appelées Arménie. XV. Ara; sa mort dans une guerre suscitée par Sémiramis. XVI. Comment, après la mort d’Ara, Sémiramis éleva la ville, la digue du fleuve et son palais. XVII. de Sémiramis; pourquoi fit-elle périr ses fils? — Comment elle s’enfuit eu Arménie [à cause] du mage Zoroastre. — Elle meurt de la main de son fils Ninyas. XVIII. Première expédition de Sémiramis dans les laides. — Sa mort pendant qu’elle était en Arménie. XIX. Événements arrivés après la mort de Sémiramis. XX. Ara, fils d’Ara. — Son fils Anouschavan, surnommé Sos. XXI. Barouïr, fils de Sgaïorti, est le premier roi couronné en Arménie. — Il aide Varbace le Mède à s’emparer du royaume de Sardanapale. XXII. Succession Je nos rois. — Leur nombre de père en fils. XXIII. Des fils de Sennékerim, desquels sont issus les Ardzrouni, les Kénouni et le pteschkh d’Aghdznik. — Démontrer dans ce chapitre que la maison d’Ankegh vient de Baskham. XXIV. De Tigrane (Dikran); ce qu’il était en toute chose. XXV. Crainte et soupçons d’Astyage, en apprenant l’étroite amitié de Cyrus et de Tigrane. XXVI. Comment Astyage, la haine au cœur, voit sa destinée présente dans un songe merveilleux. XXVII. Opinions des conseillers d’Astyage; ses réflexions et ses desseins; leur exécution immédiate. XXVIII. Lettre d’Astyage. — Dispositions favorables de Tigrane. — Départ de Dikranouhi pour la Médie. XXIX. Comment fut découverte la perfidie d’Astyage, et comment fut livrée la bataille dans laquelle il succomba. XXX. Pourquoi Tigrane envoya sa sœur Dikranouhi à Tigranocerte. — Anouïsch, première femme d’Astyage. — De la résidence assignée aux captifs. XXXI. Quelles sont les races issues de Tigrane et quels sont les rameaux de ces races. XXXII. Guerre d’ilion (Trole) sous Teutamus. — Notre [roi] Zarmaïr s’unit avec sa petite troupe à l’armée éthiopienne. — Sa mort. — Des fables des Perses, touchant Piouras-Astyage. LIVRE PREMIER. GÉNÉALOGIE DE LA GRANDE-ARMÉNIE.[1] Ch. i. Moïse de Khorène, — au commencement de notre discours, — à Sahag Bagratide, salut![2] L’éternelle protection de la grâce divine [qui s’étend] sur toi, l’influence continuelle de l’Esprit-Saint [qui rejaillit] sur ton intelligence, me sont révélées par ta noble demande; ainsi donc, j’ai connu d’abord ton esprit avant de connaître ta personne. Cette demande est si conforme à mes goûts et à mes études, qu’à cause de cela il me convient, non seulement de te louer, mais encore de prier pour que tu restes toujours le même. Car, si par la raison, ainsi qu’il est écrit, nous sommes l’image de Dieu, si d’ailleurs le bon sens et la prudence sont la prérogative de l’homme doué de raison, et si ton esprit n’eût été dirigé vers ces résultats, toi, en méditant profondément, et en conservant l’éclat de cette étincelle, tu ornes ta raison, et tu marches pour atteindre cette image, — tu réjouis, on peut le dire, ton modèle, le prototype de la raison, par ton noble empressement à satisfaire] de tels désirs, sans dépasser le but. En outre, je vois que si ceux qui, avant nous ou de nos jours, ont été les maîtres et les princes du pays d’Arménie,[3] n’ont pas ordonné aux savants qui se trouvaient près d’eux de composer notre histoire, s’ils n’ont pas voulu appeler, du dehors des gens instruits; nous qui découvrons actuellement en toi ce mérite, il est évident qu’il faut déclarer que tu es bien supérieur à tes prédécesseurs, que tu as droit aux plus grands éloges, et que tu es digne d’être célébré dans cet ouvrage. Aussi, en accueillant avec plaisir ta demande, je suis désireux de la satisfaire, en vue d’immortaliser et ta mémoire et celle de tes descendants; car ta race est fort ancienne et très renommée; elle est féconde, non seulement en conseils prudents et efficaces, mais encore en actions nombreuses et glorieuses, et bien dignes d’être vantées.[4] Ces faits, nous les consignerons par ordre dans cette histoire, lorsque nous décrirons en détail les races et que nous établirons les généalogies de père en fils. En ce qui concerne la question des satrapies de l’Arménie, nous traiterons brièvement de leur origine et de leur existence, ainsi que cela est fidèlement constaté dans quelques histoires grecques. Ch. ii. Pourquoi avons-nous tiré [les renseignements relatifs à] nos affaires, des [livres] grecs, tandis qu’ils sont plus étendu,[5] dans [ceux] des Chaldéens et des Assyriens? Qu’on ne s’étonne point, lorsqu’il y a des écrivains de plusieurs nations, notamment des Perses et des Chaldéens, dans les ouvrages desquels il se trouve assez fréquemment des faits relatifs à notre patrie, que nous n’avons cité seulement que les historiens grecs, en promettant d’en extraire [le tableau de] notre généalogie. C’est qu’en effet, les rois grecs, après avoir réglé leurs affaires intérieures,, s’efforcèrent avec tout le zèle possible de transmettre aux Grecs non seulement ce qui concernait leurs conquêtes, mais encore les fruits des travaux de l’esprit; comme fit ce Ptolémée Philadelphe qui voulut qu’on traduisit en grec les livres et les histoires de toutes les nations.[6] Mais qu’on ne vienne pas nous taxer d’ignorance et nous traiter comme des gens de peu de sens et de savoir, parce que, de Ptolémée roi des Égyptiens, nous avons fait un roi des Grecs, car ce prince, après avoir réduit les Grecs sous ma autorité, fut nommé roi d’Alexandrie et des Grecs, titre qu’aucun autre Ptolémée, ni qu’aucun des dominateurs de l’Egypte, ne porta jamais, et qui lui fut donné parce qu’il était plus philhellène[7] que tout autre, et qu’il cultiva avec amour la langue grecque. Bien d’antres exemples de faits analogues l’on fait nommer roi des Grecs; mais, en résumé, nous en avons assez dit sur ce [Ptolémée]. Beaucoup d’hommes célèbres de la Grèce, aimant la science, se sont appliqués à traduire en grec non seulement les documents des archives des autres nations, tant celles des rois que celles des temples, — comme celui qui confia le soin de ce travail à un certain Bérose (Piourios), Chaldéen très versé dans toutes les parties de la science, — mais encore tout ce qu’il y avait de plus grand et de plus admirable dans les arts. Tous ces documents découverts par eux en quelque lieu que ce soit, ils les recueillirent et les firent passer dans la langue grecque, comme l’aïp au khè, le za et le tho au piœsr, le guienn à l’iesch et le sé au scha.[8] Ces hommes, dont nous savons exactement les noms, recueillant tous ces documents, les consacrèrent à la gloire du pays des Hellènes. Ce sont [des écrivains] recommandables, puisque, par amour de la science, ils découvrirent, à force de recherches, les productions des autres; mais ceux-là sont plus recommandables encore, qui ont accueilli et honoré ces découvertes de la science; c’est pourquoi je dis qu’assurément la Grèce est la mère et la nourrice de toutes les sciences. Ceci suffit au surplus pour prouver le besoin que nous avions des renseignements [fournis par] les Grecs. Ch. iii. Du manque de philosophie de nos premiers rois et princes. Je ne veux pas laisser, sans le flétrir d’un blâme, le manque de philosophie de nos ancêtres; mais je veux dès à présent leur adresser un reproche sévère. Car si [on prodigue] des louanges méritées à ceux des rois qui ont confié à l’histoire écrite les époques de leurs règnes, en consignant chacun de leurs actes de sagesse et de courage dans des poésies traditionnelles[9] et dans des annales, et ai les chanceliers occupés par l’ordre des rois à faire des compilations mentent aussi nos éloges; par leur moyen, disons-nous, nous acquérons une expérience plus complète des institutions humaines, en lisant avec plaisir les discours et les récits savants des Chaldéens et des Assyriens, des Egyptiens et des Hellènes, et nous aspirons à [conquérir] la sagesse de ceux qui se sont préoccupés de si nobles études. Il est donc évident pour nous tous que nos rois et nos ancêtres se sont montrés très peu soucieux de la science, et que leur intelligence était très bornée. Car, bien que nous sachions que nous ne sommes qu’un petit coin de terre, [un peuple] peu nombreux, d’une force limitée et souvent assujetti à une autre puissance, on signale souvent dans notre pays beaucoup d’actions de valeur, dignes d’être recueillies dans les annales, et aucun de nos [rois] n’a pensé à les faire enregistrer. Ils n’ont pas songé à se faire du bien à eux-mêmes, ni à laisser leur nom dans le monde, [ni à le confier] à la mémoire [des générations]; et nous poumons continuer la série de nos reproches, et leur réclamer de plus grandes choses et de plus anciennes. Mais quelqu’un dira peut-être: Ce fut l’absence de caractères d’écriture et de littérature en ce temps-la, ou les guerres nombreuses qui se succédèrent sans relâche. Cette objection n’est pas juste, car il y a toujours des intervalles entre les guerres; ensuite il existait des caractères perses et grecs, qu’on trouve encore aujourd’hui chez nous, transcrits sur de nombreux registres, où sont constatées les affaires des villages, des cantons et même de chaque maison, beaucoup de procès et de traités généraux, et principalement les registres relatifs à la succession des satrapies.[10] Mais il me semble qu’anciennement, comme de nos jours, les Arméniens dédaignaient la science et les chants traditionnels; c’est pourquoi il est superflu de s’arrêter plus longtemps sur ces gens vulgaires, ignorants et grossiers. Mais j’admire la belle conception de ton intelligence; tu es le seul, depuis l’origine de nos générations jusqu’à aujourd’hui, qui aies songé à entreprendre une si grande chose, à nous proposer de coordonner dans un long et utile travail l’histoire de notre nation, de retracer avec vérité les actions des rois, des races et des maisons satrapales, leur origine, les hauts faits de chacun; de dire quelles sont les races indigènes, les races étrangères qui acquirent chez nous les droits de naturalisation; finalement d’inscrire chaque époque, depuis le temps de la construction insensée de la Tour [de Babel] jusqu’à ce jour; précieux travail entrepris pour ta gloire et ta satisfaction, sans labeur pénible. A cela, je dirai seulement: « Un livre sera-t-il près de moi, comme s’exprime Job;[11] ou bien la littérature de tes ancêtres me venant en aide, comme les historiens hébreux, descendra-t-elle d’en haut pour arriver jusqu’à toi sans erreur? ou mieux encore, commencera-t-elle par toi pour remonter jusqu’à l’origine des autres? Mais quelle que soit la fatigue, je commencerai, pourvu qu’il se trouve seulement quelqu’un qui me soit reconnaissant de mon travail. Je commencerai donc, comme l’ont fait les autres historiens, selon le Christ et selon l’Eglise, considérant comme chose superflue de répéter les fables des auteurs profanes touchant les origines; ne reprenant que quelques faits des temps postérieurs, [ne citant] que certains personnages auxquels se réfèrent les divines Ecritures, jusqu’à ce qu’enfin nous arrivions forcément aux récits des païens, dont nous n’extrairons que ce qui nous paraîtra certain. Ch. iv. Comment les autres historiens diffèrent entre eux touchant Adam et les autres patriarches. En ce qui concerne la racine du genre humain, ou si l’on aime mieux, la cime, il convenait de dire en peu de mots comment les autres historiens s’éloignent de l’Esprit-Saint et ne s’accordent pas entre eux; je veux dire Bérose (Piouros), le Polyhistor (Pazmaveb) et Abydène,[12] au sujet du constructeur de l’arche et des autres patriarches, non seulement pour les noms et les époques, mais aussi parce qu’ils n’assignent pas au genre humain la même origine que nous. Ainsi, à l’égard [d’Adam], Abydène et les autres historiens s’expriment ainsi:[13] « Dieu, dans sa providence pour tous, le fit pasteur et guide de son peuple; puis il dit: Alorus régna dix sores, qui flint trente-six mille ans. De même à l’égard de Noé, auquel ils donnent un autre nom[14] et [attribuent] des temps infinis, quoique, pour le débordement des eaux et la corruption de la terre, ils s’accordent avec les paroles de l’Esprit-Saint.[15] Ils nomment également dix patriarches, en comprenant Xsinthros (Khsisouthros).[16] Ainsi, non seulement d’après la révolution du soleil et la division de notre année en quatre saisons, leurs années sont de beaucoup différentes des nôtres et surtout des années divines, mais de plus, ils ne calculent pas d’après les nouvelles lunes, comme les Egyptiens. Quant aux périodes qu’ils disent tirer leur nom des divinités, — si quelqu’un les considère comme des années, — ils ne les comparent pas avec notre calcul, mais tantôt ils les augmentent et tantôt ils les diminuent.[17] C’est donc un devoir pour nous d’exposer ici leurs opinions, et d’écrire pourquoi ils ont pensé de la sorte; mais, à cause de la longueur de cet ouvrage, je réserve les détails pour un autre endroit et un autre temps, et je termine en commençant par les choses dont nous sommes certains. Adam premier être créé. Celui-ci, ayant vécu deux cent trente ans,[18] engendra Seth. Seth, ayant vécu deux cent cinq ans, engendra Enos. Celui-ci dressa deux colonnes en vue de deux événements futurs, comme le dit Josèphe,[19] mais je ne sais pas où. Enos est le premier qui eut l’espérance d’appeler Dieu. Pourquoi donc dit-on qu’Enos fut le premier qui ait appelé Dieu, ou que signifie le mot appeler? Car Adam est vraiment la créature de Dieu, de la bouche de qui il est dit avoir reçu l’ordre; mais, ne s’y étant pas conformé, il s’enfuit, et ayant été interpellé par Dieu et non par d’autres [par ces mots]: « Où es-tu? » c’est ainsi qu’il entend l’arrêt de son sort de la bouche de Dieu. Puis Abel, connu et aimé de Dieu, lui offre un sacrifice qui est agréé. Ceux-ci étant ainsi admis dans la connaissance et la confiance de Dieu, pourquoi dire qu’Enos fut le premier à appeler Dieu et qu’il le fit avec espérance? Quant aux autres considérations touchant Enos, nous remettrons d’en parler dans son lieu, c’est-à-dire que nous dirons ce qui convient. Car, surpris en transgression de l’ordre, le premier homme fut chassé, comme il est dit, du paradis et de la présence de Dieu, à cause de son péché. Puis, celui des fils d’Adam qui était le plus agréable à Dieu, est assassiné par son propre frère. Après quoi il n’y a plus ni parole de Dieu, ni révélation aucune; le genre humain fut abandonné à l’incertitude, au désespoir, à ses propres instincts et à son caprice. Parmi les hommes, Enos, plein d’espérance et de droiture, appelle Dieu. Or, appeler a un double sens: ou réclamer un bien qu’on a perdu, ou appeler à son secours. Or, un bien que l’on a perdu est déplacé ici, parce qu’il ne s’était pas écoulé un assez grand nombre d’années pour que le nom de Dieu ou Dieu lui-même eût été oublié; et celui que Dieu avait créé n’était pas encore mort et enseveli. Enos appela donc Dieu à son secours. Enos, ayant vécu cent quatre-vingt dix ans, engendra Caïnan; Caïnan, ayant vécu cent soixante-dix ans, engendra Malaléel; Malaléel, ayant vécu cent soixante-cinq ans, engendra Jared; Jared, avant vécu cent soixante-deux ans, engendra Enoch; Enoch, avant vécu cent soixante-cinq ans, engendra Mathusalem; et après avoir engendré Mathusalem, Enoch, ayant vécu encore deux cents ans d’une vie pure et irréprochable, fut enlevé du milieu des impies, comme le sait Celui qui l’eut pour agréable. La cause de cet événement, nous la dirons plus loin. Mathusalem, ayant vécu cent soixante-sept ans, engendra Lamech; Lamech, avant vécu cent quatre-vingt-huit ans, engendra un fils auquel il donna le nom de Noé. De Noé. Pourquoi désigna-t-il seulement Noé par le nom de fils, tandis que, pour les autres, il se contente de dire il engendra? « Celui-ci, dit son père dans une prophétie contradictoire, nous fera reposer du travail et de la fatigue de nos mains et [des peines] de la terre que le Seigneur Dieu a maudite »; ce qui ne fut pas un repos, mais une destruction de tout ce qui était sur la terre. Il me semble que [les mots] faire reposer signifient faire cesser l’impiété et l’iniquité par l’extermination des hommes pervers du second âge. Car il a bien dit: « nous fera reposer de nos œuvres », c’est-à-dire de nos iniquités et de la fatigue de nos mains avec lesquelles nous commettions l’impureté. Il y eut bien repos, selon cette prophétie, non pas pour tous, mais pour les âmes consommées dans la vertu, lorsque les crimes sont lavés et effacés comme par le déluge, ainsi que [le furent] les hommes plongés dans l’iniquité, au temps de Noé. Or, par le nom de fils, l’Ecriture a glorifié Noé, en le déclarant agréable, renommé et digne héritier des vertus de ses pères. Ch. v. Concordance de la généalogie des trois fils de Noé jusqu’à Abraham, Ninus et Aram. — Ninus n’est point Bel, ni le fils de Bel. Il est connu de tout le monde que rien n’est plus pénible et moins facile à réunir que [les documents relatifs] au comput des temps, depuis le commencement jusqu’à nous, et principalement [les matériaux] de la filiation patriarcale des trois fils de Noé, si l’on veut poursuivre les recherches de siècle en siècle, attendu que la divine Ecriture séparant les siens, son peuple particulier, laissa de côté les autres nations comme des êtres méprisables et indignes d’êtres mentionnés par elle. En commençant, nous parlerons donc de ces peuples, autant que possible, d’après ce que nous avons trouvé de certain dans les histoires anciennes, et, autant qu’il est en nous, sans fausser aucunement les récits. Quant à toi, lecteur éclairé et studieux, admire l’ordre, la suite constante des trois races jusqu’à Abraham, à Ninus et à Aram, et tu seras étonné. Sem. Sem, âgé de trente ans, engendra Arphaxad. Arphaxad, âgé de cent trente-cinq ans, engendre Caïnan. Caïnan, âgé de cent vingt ans, engendra Salah. Salah, âgé de cent trente sus, engendra Héber. Héber, âgé de cent trente-quatre ans, engendra Phaleg. Phaleg, âgé de cent trois ans, engendra Réhu. Réhu, âgé de cent trente ans, engendra Sarug. Sarug, âgé de cent trente ans, engendra Nachor. Nachor, âgé de soixante-dix-neuf ans, engendra Tharé. Tliaré, âgé de soixante-dix Abraham. Cham. Cham engendra Chus. Chus engendra Mesdraïm. Mesdraïm engendra Nemrod. Nemrod engendra Rab. Rab engendra Anébis. Anébis engendra Arbel. Arbel engendra Chael. Chael engendra un second Arbel. Arbel engendra Ninus. Ninus engendra Ninyas. Japhet. Japhet engendra Gomer. Goiner engendra Thiras. Thiras engendra Thorgom. Thorgom engendra Haïg. Haïg engendra Arménag. Arménag engendra Armaïs. Armaïs engendra Amassia. Amassia engendra Khégam. Khégam engendra Harma. Harma engendra Arain. Aram engendra Ara le beau. Or. Caïnan est inscrit par tous les chronologistes le quatrième depuis Noé et le troisième depuis Sem; de nième Thiras est le quatrième depuis Noé, et le troisième depuis Japhet selon notre version, bien qu’il ne se trouve point dans le texte original [de la Bible].[20] En ce qui concerne Mesdraïm, quatrième descendant de Noé, troisième de Guam, nous ne le trouvons [mentionné] ni dans notre version, ni dans les chronologistes; mais il est ainsi classé chez un Syrien (lisez Egyptien) très savant et très instruit,[21] et ce que dit ce lettré nous a paru certain. Car Mesdraïm est Medzraim, qui signifie Egypte;[22] et beaucoup de chronologistes, en disant que Nemrod, c’est-à-dire Bel, était Ethiopien,[23] nous ont persuadé que le fait est certain, l’Ethiopie étant limitrophe avec l’Egypte. Nous ajouterons encore: Bien que les années des époques des filiations de Cham jusqu’à Ninus ne se trouvent comptées nulle part, ou que la connaissance ne nous en soit pas parvenue, et quoiqu’il n’y ait rien de certain touchant Ninus et notre Japhet, cependant la généalogie précédente est exacte; chacune des trois filiations étant de onze membres jusqu’à Abraham, à Ninus et à notre Aram; parce qu’Ara qui mourut très jeune est le douzième depuis Ninus. Cela est vrai et personne n’en doute, parce que nous tenons ces renseignements d’Abydène, historien très véridique qui s’exprime ainsi: « Ninus [fils] d’Arbel, de Chael, d’Arbel, d’Anébis, de Bab, de Bel.[24] » De même aussi par notre filiation depuis Haïg jusqu’à Ara le Beau, qui fit mourir l’impudique Sémiramis, il suppute ainsi: « Ara le Beau [fils d’Aram, d’Harma, de Kégham, d’Amassia, d’Armaïs, d’Arménag, [d’Haïg[25]], qui fut l’ennemi et le meurtrier de Bel.[26] Ces faits sont rapportés par Abydène dans le premier recueil de généalogies spéciales, qui fut anéanti de nos jours. Céphalion atteste les mêmes faits, car il l’exprime ainsi dans un chapitre: « Au commencement de notre travail, nous avions commence à écrire toutes les généalogies en détail, d’après les archives royales; mais nous reçûmes l’ordre des rois de passer sous silence les hommes obscurs et sans vertu des temps antiques, et de mentionner seulement les hommes généreux, sages et conquérants, et de ne pas dépenser le temps inutilement, etc.[27] Mais il nous paraît étrange et mensonger que certaines personnes disent que Ninus est fils de Bel ou Bel lui-même; car ni la généalogie, ni la somme des années, n’autorisent [à le faire]. Sans doute quelqu’un, avide de renommée et de célébrité, aura voulu rapprocher ce qui est éloigné. Tous ces renseignements, nous les avons vraiment découverts dam la littérature des Grecs; car, bien que ceux-ci les aient traduits du chaldéen dans leur propre langue, et de plus qu’un Chaldéen,[28] spontanément ou par l’ordre des rois, ait entrepris un semblable travail, comme firent Arius[29] et beaucoup d’autres, — cependant nous attribuons tout aux Grecs, ayant tout appris d’eux. Ch. vi. Comment les autres archéologues sont, partie d’accord avec Moïse, partie en désaccord. — Tradition orale du philosophe Olympiodore. La vérité extraite autant que possible de différents écrivains, nous avons disposé les filiations des trois fils de Noé, jusqu’à Abraham, à Ninus et à Ara; à cela, je crois, aucun homme de sens ne fera d’objections; mais si, croyant rompre le cachet de la vérité, quelqu’un se plaît à changer en fables mes paroles véritables, qu’il agisse à sa volonté. Cependant, si tu es reconnaissant de mes veilles et de mes fatigues, ô toi ami de l’instruction, qui nous convies à un semblable travail, je reviendrai brièvement sur ce que j’ai dit au commencement; je dirai comment les premiers chroniqueurs se sont plu à écrire sur de tels sujets, quoique je ne puisse pas dire ici si c’est dans les bibliothèques royales qu’ils ont rencontré de semblables documents, ou si chacun, selon son caprice, a dénaturé les noms, les faits, les temps, ou s’il y a encore quelque autre raison. Pour ce qui est du commencement, tantôt il y a du vrai et tantôt du faux, — comme au sujet du premier être créé, qu’ils n’appellent pas premier homme, mais roi, et lui donnent un nom barbare, vide de sens, [en lui attribuant une existence] de trente six mille ans;[30] — mais quant au nombre des patriarches et à la mention du déluge, ils s’accordent avec Moïse.[31] De même aussi aptes le déluge, en citant trois personnages célèbres avant la construction de la tour [de Babel], après la navigation de Xisuthre en Arménie, ces chroniqueurs disent vrai.[32] Pour le changement des noms et bien d’autres faits encore, ils mentent. Or, maintenant il m’est agréable de commencer mon récit avec ma chère sibylle bérosienne,[33] plus véridique que beaucoup d’historiens: « Avant la tour, dit-elle, et la multiplication des langues dans le genre humain, depuis la navigation de Xisuthre en Arménie, Zérouan, Titan et Japhétos[34] étaient princes de la terre[35] ». Ces personnages me semblent être Sem, Cham et Japhet. A peine, dit-elle, se furent-ils partagé l’empire du monde, que Zérouan s’érigea en maître sur les deux autres,[36] Zérouan que le mage Zoroastre (Zerataschd), roi des Bactriens, c’est-à-dire des Mèdes, dit être prince et père des dieux. Zoroastre a débité beaucoup d’autres fables relativement à Zérouan, et qui seraient déplacées ici. « Titan et Japhet, dit-elle, s’opposèrent à la tyrannie de Zérouan, et lui déclarèrent la guerre. Car Zérouan pensait faire régner ses enfants sur tous [les autres]. Dans ce conflit, dit-elle, Titan conquit une partie du territoire de Zérouan; mais Asdghig,[37] leur sœur, s’interposant entre eux, fit cesser la querelle. Ils consentirent à laisser régner Zérouan, mais [ils convinrent], par un pacte juré, de faire mourir tous les enfants mâles qui naîtraient de Zérouan pour qu’il ne régnât pas toujours sur eux dans sa postérité. C’est pourquoi ils chargent plusieurs robustes Titans de surveiller les enfantements des femmes de Zérouan. Déjà deux mâles sont immolés pour maintenir le pacte juré, quand Asdghig, sœur de Zérouan, de Titan et de Japhétos, d’accord avec les femmes de Zérouan, médite de persuader et de déterminer plusieurs Titans à laisser vivre les antres mâles et à les transporter en Occident sur la montagne appelée Tutzenguetz,[38] actuellement l’Olympe.[39] Quoique ce récit soit tenu pour fabuleux ou réel, moi, dans ma conviction, j’y trouve beaucoup de vérité; car Epiphane, évêque de Constance en Chypre, dans sa Réfutation des Hérésies, dans laquelle il s’applique à démontrer que Dieu est sincère et équitable dans ses jugements, même en exterminant les sept races par les mains des fils d’Israël, s’exprime ainsi: C’est avec justice que Dieu détruisit et fit disparaître ces races de la présence des fils d’Israël, car la terre de ces possessions était échue en partage aux enfants de Sem, et Cham l’occupa et s’en empara. Or Dieu, maintenant le droit des traités jurés, punit la race de Cham, en lui enlevant l’héritage de Sem.[40] » Il est fait mention des Titans et des Réphaïm dans les divines Ecritures.[41] Mais relativement à ces anciens discours tenus autrefois par les sages de la Grèce et transmis jusqu’à nous par les [hommes] appelés Gorgias (?), Korki, Panan et par un autre nommé David,[42] il convient, quoique brièvement, de les redire. Un d’eux, profond philosophe, parlait ainsi: « Vieillards, lorsque je cultivais la science, au milieu des Grecs, il arriva qu’un jour il y eut entre ces sages et ces savants une discussion touchant la géographie et la division des nations. Les uns d’une manière, les autres d’une autre, citaient les livres; or, le plus profond de tous, Olympiodore,[43] s’exprima ainsi: « Je vous rapporterai, dit-il, les discours non écrits, parvenus par la tradition, discours que répètent encore aujourd’hui beaucoup de paysans. Il existe un livre relatif à Xisuthre et à ses enfants, livre qu’on ne voit plus nulle part, où l’ordre des faits se trouve ainsi fixé: « Après la navigation de Xisuthre en Arménie et son débarquement sur la terre ferme, un de ses fils, appelé Sim, s’en va, est-il dit, au nord-ouest pour reconnaître la contrée. Arrivé au pied d’une montagne à la large base qui forme une plaine arrosée par des fleuves qui se rendent en Assyrie, il s’arrête sur les rives de ce fleuve [l’espace de] deux heures, et appelle la montagne de son nom, Sim;[44] puis il retourne au sud-est, d’où il était parti. Un de ses plus jeunes fils, nommé Darpan, avec ses trente fils, ses quinze filles et leurs époux, s’étant séparé de son père, retourne s’établir sur les rives du fleuve. Sim, du nom de son fils, appelle cet endroit Daron,[45] et le lieu où il n habité lui-même Tzéronk (dispersion), car ce fut là que pour la première fois ses enfants se séparèrent de lui.[46] Ayant gagné les confins du pays des Bactriens, il y séjourna, dit-on, quelques jours; mais un de ses fils s’y fixa, car les contrées de l’Orient appellent Sim, Zerouant, et son pays Zarouant,[47] jusqu’à présent. Cependant souvent, très souvent, les anciens descendants d’Aram redisent ces traditions populaires au son du pampirn dans leurs ballades et leurs danses. » Que ces traditions soient vraies ou fausses, peu importe; mais pour t’instruire de tout ce qui se trouve dans la tradition et les livres, je rassemble tout dans cet ouvrage, afin que tu apprécies pleinement la sincérité de mon dévouement envers toi. Ch. vii. Démontrer brièvement que l’homme du nom de Bel [mentionné] par les écrivains profanes est bien le Nemrod des divines Écritures. On raconte de Bel, sous qui vivait notre ancêtre Haïg, beaucoup d’histoires différentes; mais je dis que celui qu’on appelle Chronos et Bel est bien Nemrod. Ainsi les Egyptiens s’accordent avec Moïse en dénombrant Héphaïstos, le Soleil, Chronos, c’est-à-dire Chant, Chus et Nemrod; en négligeant Mesdraïm, car ils disent qu’Héphaïstos fut leur premier homme et l’inventeur du feu.[48] Pourquoi inventeur du feu, et pourquoi dit- on que Prométhée déroba le feu aux dieux pour le livrer aux hommes? C’est une allégorie que le plan de notre histoire n’autorise pas à rapporter ici. L’ordre des dynasties égyptiennes, toute la succession, en remontant de la dynastie des Pasteurs jusqu’à Héphaïstos, témoigne surabondamment du rapport avec la dynastie des Hébreux, en la faisant remonter depuis l’époque de Joseph jusqu’à Sem, Guam et Japhet. Assez sur ce sujet; car si nous voulions te faire connaitre l’histoire de tout ce qui s’est passé depuis la construction de la tour jusqu’à nous, quand poumons-nous arriver à notre propre histoire, objet de tes désirs, attendu la longueur du travail et la limite courte et incertaine de la vie de l’homme? C’est pourquoi je commencerai par te faire connaître d’où et comment notre histoire est tirée. Ch. viii. Qui a trouvé ces récits, et d’où ils sont tirés. Arsace (Arschag),[49] grand roi des Perses et des Parthes, de nation parthe, ayant secoué, dit-on, le joug des Macédoniens, établi sa puissance sur tout l’Orient et l’Assyrie, tué Antiochus roi de Ninive, et soumis à son autorité tout l’univers, met son frère Valarsace (Vagharschag) sur le trône d’Arménie,[50] croyant rendre son propre empire inébranlable. Il donne à Valarsace, Medzpin (Nisibe) pour capitale, une partie de la Syrie occidentale, la Palestine, l’Asie, toute la partie méditerranéenne et la Thétahie (Thidahia), la mer de Pont, jusqu’à l’endroit où le Caucase aboutit à la mer occidentale, en outre l’Adherbadagan (Adherbeidjan) et un autre pays « aussi étendu, dit-il à Valarsace, que tes pensées et ta valeur te le feront concevoir; car ce qui trace des limites à l’empire des forts, ce sont leurs armes, et plus elles acquièrent de territoires, plus ils en possèdent.[51] » Varlarsace[52] (Vagharschag) ayant disposé et réglé d’une manière grande et digne toutes les parties de sa puissance, et organisé son empire, voulut savoir quels étaient les princes qui, jusqu’à lui, avaient régné sur le pays des Arméniens; si enfin il tenait la place de princes généreux ou fainéants. Ayant trouvé un Syrien, Mar Apas Catina,[53] homme profond et très versé dans les lettres grecques et chaldéennes, il l’envoya avec de riches présents chez son frère séné Arsace (Arschag), en le priant de lui ouvrir les archives royales. Ch. ix. Lettre de Valarsace, roi des Arméniens, à Arsace le Grand, roi des Perses. « A Arsace, souverain couronné de la terre et de la mer, toi, de qui la personne et l’image sont semblables à celles de nos dieux, dont la fortune et les destinées sont au-dessus de celles de tous les rois, dont les conceptions sont aussi vastes que l’étendue du ciel sur la terre, Valarsace, ton frère cadet et ton compagnon d’armes, par ta grâce roi des Arméniens, salut et victoire à toujours! L’ordre que tu m’as donné d’allier la sagesse à la vaillance, je ne l’ai jamais oublié; j’ai veillé sur tontes choses, autant que me l’ont permis mes forces et mon habileté. Maintenant que ce royaume est solidement établi par tes soins, il m’est venu l’esprit de connaître quels furent les princes qui avant moi ont régné sur le pays des Arméniens, et d’où viennent les satrapies qui y sont établies. Car ici, il n’y a point de règlements connus, ni de culte déterminé; on ne sait qui est l’homme le plus considérable du pays, et qui est le dernier. Rien n’est réglé; tout y est confus et à l’état sauvage. Je supplie donc ta Majesté de faire ouvrir les archives royales à celui qui se présentera devant ta vaillante Majesté. Après avoir trouvé ce que désire ton frère, ton fils, il s’empressera de lui rapporter des documents authentiques. Notre satisfaction venue de l’heureux succès de nos désirs, est, je le sais, un sujet de joie pour toi. Salut, toi, illustré par ton séjour parmi les immortels. » Arsace le Grand, ayant reçu la lettre des mains de Mar Apas Catina, ordonna avec plaisir et empressement de lui ouvrir les archives de Ninive;[54] heureux qu’une si noble pensée fut venue à son frère, auquel il avait remis la moitié de son empire. Mar Apas Catina, ayant examiné tous les manuscrits, en trouva un, en grec, sur lequel, dit-il, était cette suscription: « Commencement du livre ».[55] « Ce livre fut, par ordre d’Alexandre le Macédonien, traduit du chaldéen en grec,[56] et contient l’histoire des premiers ancêtres.[57] Le commencement de ce livre traite, dit-il, de Zérouan, de Titan et de Japhétos; chacun des personnages célèbres des trois lignées de ces trois chefs de race y est inscrit par ordre, chacun à sa place, durant de longues années. De ce livre, Mar Apas Catina, ayant extrait seulement l’histoire authentique de autre nation, la porta au roi Valarsace à Medzpine,[58] écrite en caractères grecs et syriens.[59] Valarsace le beau, habile à tirer l’arc, prince éloquent, ingénieux et subtil, estimant cette histoire comme l’objet le plus précieux de ses trésors, la place dans son propre palais, pour qu’elle y soit gardée en sûreté, et en fait graver une partie sur la pierre. Ainsi, assuré de l’authenticité et de l’ordre des événements, nous les répétons ici pour satisfaire ta curiosité. L’histoire de nos satrapies y est prolongée jusqu’au Sardanapale des Chaldéens, et même au delà. Voici dans ce livre le commencement des récits: « Terribles, extraordinaires étaient les premiers dieux, auteurs des plus grands biens dans le monde, principes de l’univers et de la multiplication des hommes. De ceux-ci se sépara la race des géants, doués d’une force terrible, invincibles, d’une taille colossale, qui, dans leur orgueil, coururent et enfantèrent le projet d’élever la tour. Déjà ils étaient à l’œuvre: un vent furieux et divin, soufflé par la colère des dieux, renverse l’édifice.[60] Les dieux, ayant donné à chacun de ces hommes un langage que les autres ne comprenaient pas, répandirent parmi eux la confusion et le trouble.[61] L’un de ces hommes était Haïg,[62] de la race de Japhétos, chef renommé, valeureux, puissant et habile à tirer l’arc. » Un tel récit doit s’arrêter ici, car notre but n’est pas d’écrire l’histoire universelle, mais de nous efforcer de faire connaître nos premiers ancêtres, nos anciens et véritables aïeux. Or, en suivant ce livre, je dirai Japhétos, Mérod, Sirat, Taglat, c’est-à-dire Japhet, Gomer,[63] Thiras,[64] Thorgom; puis le même chroniqueur, poursuivant, mentionne Haïg, Àrménag[65] et les autres par ordre, comme nous l’avons dit plus haut.[66] Ch. x. De la rébellion de Haïg. « Haïg, dit-il, célèbre par sa beauté, sa force, sa chevelure bouclée, par la vivacité de son regard, par la vigueur de son bras, prince valeureux et renommé entre les géants, s’opposa à tous ceux qui levaient une main dominatrice sur les géants et les héros. Dans son audace, il entreprit d’armer son bras contre la tyrannie de Bélus,[67] lorsque le genre humain se dispersa sur toute la terre, au milieu d’une masse de géants furieux, d’une force démesurée. Car chacun, poussé par sa frénésie, enfonçait le glaive dans le flanc de son compagnon; tous s’efforçaient de dominer les uns sur les autres. Cependant la fortune aida Bélus à se rendre maître de toute la terre. Haïg, refusant de lui obéir, après avoir engendré son fils Arménag à Babylone, s’en va au pays d’Ararat, situé du côté du Nord, avec ses fils, ses filles, les fils de ses fils, hommes vigoureux, au nombre d’environ trois cents, avec les fils de ses serviteurs, les étrangers qui s’étaient attachés à lui, et avec tout ce qu’il possédait, il s’arrêta auprès d’une montagne où quelques-uns des hommes, précédemment dispersés, avaient fait halte pour s’y fixer. Haïg les soumit à son autorité,[68] fonda en ce lieu un établissement, et le donna en apanage à Gatmos, fils d’Arménag. Ceci donne raison aux récits des anciennes traditions non écrites.[69] Quant à Haïg, il s’en va, dit-il, avec le reste de sa suite au nord-ouest, s’établit sur une plaine élevée, appelée Hark (Pères),[70] ce qui veut dire: Ici habitèrent les Pères de la race de Thorgom.[71] Puis il bâtit un village qu’il appela Haïgaschen (construit par Haïg). L’histoire dit, encore « Au milieu de ce plateau, près d’une montagne à large base,[72] quelques hommes s’étaient déjà établis, et ils se soumirent volontairement au héros. Ceci donne encore raison aux anciennes traditions non écrites. Ch. xi. De la guerre d’Haïg et de la mort de Bélus. Poursuivant sa narration, (Mar Apas Catina) dit: « Bélus, ce Titan, ayant affermi sur tous sa domination, envoie dans le nord vers Haïg, un de ses fils, accompagné d’hommes fidèles, pour l’obliger à se soumettre à lui et à vivre en paix: — Tu t’es fixé, dit-il (à Haïg), au milieu des glaces et des frimas; réchauffe, adoucis l’âpreté glaciale de ton caractère hautain, et, soumis à mon autorité, vis tranquille là où il te plaît, sur toute la terre de mon empire. Mais Haïg, congédiant les envoyés de Bélus, répondit avec dédain et le messager retourna à Babylone. Alors Bélus le Titan, rassemblant ses forces, marcha au nord, avec une nombreuse infanterie contre Haïg, et arriva au pays d’Ararat, non loin de l’habitation de Gatmos.[73] Celui-ci s’enfuit vers Haïg, et envoie en avant de rapides coureurs: — Sache, dit Gatmos, ô le plus grand des héros, que Bélus vient fondre sur toi avec ses braves immortels, ses guerriers à la taille élevée, et ses géants. En apprenant qu’ils approchaient de mon domaine, j’ai pris la fuite. Me voici, j’arrive en toute hâte; avise sans plus tarder à ce que tu dois faire. Bélus, avec son armée audacieuse et imposante, pareil à un torrent impétueux qui se précipite du haut d’une montagne, se presse d’arriver sur les confins des possessions de Haïg. Bélus se confiait dans la valeur et la force de ses soldats, mais [Haïg], ce géant calme et réfléchi, à la chevelure bouclée, à l’œil vif, rassemble aussitôt ses fils et ses petits-fils, guerriers intrépides, habiles tireurs d’arc mais très peu nombreux, avec les autres hommes qui vivaient sous sa dépendance, et arrive au bord d’un lac dont les eaux salées nourrissent de petits poissons.[74] Là, haranguant ses troupes, il leur dit: — En marchant contre l’armée de Bélus, efforçons-nous d’arriver à l’endroit où il se tient entouré par la multitude de ses braves; si nous mourons, ce que nous possédons tombera aux mains de Bélus; si nous nous signalons par l’adresse de nos bras, nous disperserons son armée, et nous serons maîtres de la victoire. Aussitôt, franchissant un large espace, les soldats de Haïg s’élancent dans une plaine située entre de très hautes montagnes, et se retranchèrent sur une hauteur, à droite d’un torrent. Alors levant les yeux, ils virent la masse confuse de l’armée de Bélus, courant çà et là avec une audace farouche, et dispersée sur toute la surface du pays. Cependant Bélus, tranquille et confiant, se tenait, avec une forte escorte, à la gauche du torrent, sur une éminence, commune dans un poste d’observation. Haïg reconnut le détachement où était Bélus en avant de ses troupes, avec des soldats d’élite et bien armés. Un large espace de terre le séparait de sa troupe. Bélus portait un casque de fer à la crinière flottante, une cuirasse d’airain qui lui garantissait le dos et la poitrine, des cuissards et des brassards; au côté gauche et fixée à la ceinture une épée à double tranchant; de la main droite, il portait une bonne lance et de la gauche un épais bouclier. A sa droite et à sa gauche se tenaient ses troupes d’élite. Haïg, voyant le Titan ainsi armé de toutes pièces, et flanqué des deux côtés d’une escorte choisie, place Arménag avec ses deux frères à sa droite, Gatmos et deux autres de ses fils à sa gauche, parce qu’ils étaient habiles à tirer l’arc et à manier l’épée; pour lui, se plaçant à l’avant-garde, il forma derrière lui en triangle ses autres troupes qu’il fit avancer doucement. S’étant rapprochés de tous côtés les uns sur les autres, les géants, dans leur choc impétueux, faisaient retentir la terre d’un bruit épouvantable, et par la fureur de leurs attaques ils répandaient parmi eux la terreur et l’épouvante. Grand nombre de robustes géants, de part et d’autre, atteints par le glaive, tombaient renversés à terre; cependant des deux côtés la bataille restait indécise. A la vue d’une résistance aussi inattendue et pleine de dangers, le roi effrayé remonte sur la colline d’où il était descendu, car il croyait trouver un abri sûr au milieu des siens, jusqu’à ce qu’enfin, toute l’armée étant arrivée, il put recommencer l’attaque sur toute la ligne. Haïg, l’habile tireur d’arc, comprenant cette manœuvre, se place en face du roi, bande son arc à la large courbure, décoche une flèche munie de trois ailes, droit à la poitrine de Bélus, et le trait, le traversant de part en part, sort par le dos, et il tombe à terre. C’est ainsi que le fier Titan, abattu et renversé, expire. Ses troupes, à la vue de ce terrible exploit, prennent la fuite, sans qu’aucun se retournât en arrière. » Mais assez sur ce sujet. Haïg couvre de constructions le champ de bataille et lui donne le nom d’Haïk, à cause de la victoire remportée; d’où le canton encore à présent s’appelle Haïotz-tzor (vallée des Arméniens).[75] La colline où Bélus succomba avec ses braves guerriers fût nommée par Haïg Kérez-mank (les tombeaux), et l’on dit encore à présent Kérezmank.[76] Le corps de Bélus étant peint de divers couleurs, dit [Mar Apas Catina], Haïg le fit transporter à Hark, et enterrer sur une hauteur à la vue de ses femmes et de ses fils. Or notre pays est appelé Haïk, du nom de notre ancêtre Haïg. Ch. xii. Races et familles issues de Haïg. — Faits et gestes de chacun de ses descendants. Après ces événements, une foule de faits sont racontés dans ce livre; mais nous n’inscrirons ici que ce qui est nécessaire à notre histoire. « Après cette expédition, Haïg, dit [Mar Apas Catina], retourna à sa même habitation, et donna à Gatmos, son petit-fils, une grande partie du butin fait à la guerre, ainsi que plusieurs des plus braves de ses gens; puis il lui ordonna de demeurer dans son séjour primitif. Ensuite Haïg, s’en étant allé, s’arrêta au lieu appelé Hark. Il avait engendré son fils Arménag à Babylone, ainsi que nous l’avons dit plus haut; après quoi, ayant vécu encore de longues années, il meurt, laissant a Arménag le gouvernement de la nation tout entière.[77] Arménag laisse deux de ses frères, Rhor et Manavaz avec toute leur suite, au lieu appelé Hark, ainsi que Paz, fils de Manavaz. Celui-ci reçut Hark en apanage; son fils eut en partage au nord-ouest le littoral de la mer salée, qu’il appelle de son propre nom, ainsi que le canton. De Manavaz et de Paz sont issus, dit-on, les familles satrapales des Manavazian, des Peznouni, des Ouortouni[78] qui, après saint Tiridate (Dertad), se sont détruites, assure-t-on, l’une l’autre dans les combats.[79] Khor multiplie au nord et fonde des villages. De lui est issue la grande satrapie de la race des Khorkhorouni, hommes braves et renommés, comme le sont encore leurs descendants actuels.[80] Arménag, emmenant avec lui toute la multitude des siens, se dirige au nord-est, arrive et débouche dans une plaine encaissée, entourée de hautes montagnes, traversée par des fleuves impétueux venant de l’ouest; cette plaine, située à l’est, s’étend au loin sous les rayons du soleil. Au pied des montagnes jaillissent quantité de sources limpides qui, réunies en fleuves à leurs confins, à la naissance des montagnes, au bord de la plaine, jeunes encore, se promènent comme des jeunes filles. Mais la montagne au sud, qui regarde le soleil, — avec son sommet neigeux, s’élevant à pic, qui ne peut être atteint en moins de trois jours par un voyageur muni d’une bonne ceinture, à ce que rapporte un des nôtres, — se termine doucement en pointe; c’est véritablement une vieille montagne au milieu de montagnes d’une formation plus récente. Dans cette plaine profonde, Arménag s’établit; il couvre d’édifices une partie de ce séjour du côté du nord, et nomme, conformément à son nom, le pied de la montagne du même côté: Arakadz,[81] et ses domaines: le pied d’Arakadz.[82] Le même historien raconte ce fait merveilleux, que sur beaucoup de points se trouvaient établis des hommes, dispersés çà et là dans notre pays, avant l’arrivée de notre ancêtre Haïg. Cet Arménag engendra Armaïs, et, ayant encore vécu un grand nombre d’années, il mourut. Son fils Armaïs construisit son habitation sur une colline au bord du fleuve et, de son nom, la nomma Armavir;[83] et du nom de son petit-fils Arasd, il appela le fleuve, Eraskh.[84] Son fils Schara multipliait et mangeait beaucoup; il l’envoya avec toute sa suite dans une plaine voisine, très fertile, arrosée par beaucoup de cours d’eau, derrière le nord de la montagne, et appelée Arakada. On dit que du nom de Schara, le canton est appelé Schirag.[85] Ainsi s’explique le proverbe en usage chez les villageois, disant: Si tu as le gosier de Schaja, Nous n’avons pas les greniers de Schirag. Cet Armaïs engendra son fils Amasia, et mourut après avoir encore vécu de longues années. Amasia, établi à Armavir, engendre Kégham; après Kégham, le valeureux Parokh[86] et Tzolag;[87] puis passant le fleuve, il s’en va à la montagne du midi, au pied de laquelle il établit à grands frais, dans la vallée, deux habitations; l’une à l’orient près des sources qui jaillissent à la base de la montagne, l’autre à l’ouest de celle-ci, distante d’une bonne demi-journée de marche à pied. Il donna en apanage ces deux habitations à ses fils, le valeureux Parokh et Tzolag à l’œil flamboyant, ceux-ci, en s’y fixant, appelèrent ces lieux de leur propre nom, Parakhod,[88] du nom de Parokh, et Tzolaguerd,[89] de celui de Tzolag. Amasia nomma la montagne de son propre nom, Massis; puis étant retourné à Armavir, il vécut seulement quelques années et mourut. Kégham engendra Harma à Armavir, et l’y laissant avec les siens, il s’en alla vers l’autre montagne au nord-est, sur les bords d’un lac,[90] y bâtit sur les rives et y laissa des habitants. Il appela la montagne de son nom Kégh, et les villages Kéghakouni,[91] ainsi que la mer qui porte aussi cette appellation. Dans cet endroit, il engendra son fils Sissag, personnage renommé par sa noble fierté, sa force, sa beauté, son éloquence et son adresse à tirer l’arc. Il lui remit une grande partie de ses biens, beaucoup d’esclaves, et lui donna en apanage tout le pays depuis la mer à l’orient jusqu’à une grande plaine où le fleuve Eraskh, après s’être frayé un lit dans les cavernes des montagnes, avoir traversé des vallées boisées et franchi des gorges étroites, descend dans la plaine avec un bruit effrayant. Là, Sissag, ayant fait halte, couvre de constructions le sol de son domaine, et appelle le pays de son nom, Siunik, usais les Perses le dénommèrent plus exactement Sissagan.[92] Valarsace, premier roi parthe d’Arménie, ayant rencontré là des hommes célèbres, de la descendance de Sissag, les institue seigneurs du pays; c’est la race de Sissagan. Ce que fit Valarsace, d’après le sens précis de l’histoire, et comment il s’y prit? nous le raconterons en son temps.[93] Kégham retourne à la plaine au pied de la montagne, et dans un vallon escarpé, il bâtit lui-même un village, qu’il appelle de son nom Kéghami, et qui, dans la suite, fut nommé Karni[94] par son petit-fils Karnig. De sa descendance était issu, à l’époque d’Ardaschès petit-fils de Valarsace, un jeune homme appelé Varj,[95] adroit à la chasse des cerfs, des chèvres sauvages et des sangliers, habile à lancer le javelot; Ardaschès l’institue gardien des chasses royales, et lui donne des villages sur les bords du fleuve appelé Hraztan.[96] On dit que c’est de lui qu’est issue la maison des Varajnouni.[97] Kégham, comme nous l’avons rapporté, engendra Harma et d’autres enfants; puis il mourut, en enjoignant à son fils Harma de résider à Armavir. Tel est cet Haïg, fils de Thorgom, fils de Thiras, fils de Gomer, fils de Japhet, ancêtre des Haïasdani (Arméniens); tels sont ses races, ses descendances, et l’endroit de son séjour. Dès lors, dit [Mar Apas Catina], sa postérité commença à se multiplier et à remplir le pays. Harma engendra Aman sur le compte duquel on raconte une foule d’actions d’éclat, d’actes de valeur dans les combats, et qui étendit de tous les côtés Le territoire des Arméniens. C’est de son nom que tous les peuples appellent notre pays les Grecs, Armen,[98] les Perses et les Syriens, Armeni. Mais pour ce qui est de rapporter son histoire tout entière, ses actes de courage, de dire le quand et le comment, nous le ferons, si tu veux, dans un autre ouvrage; ou bien nous laisserons de côté ces particularités, ou bien encore nous les noterons ici. Ch. xiii. Guerre d’Aram contre les orientaux; sa victoire. Mort de Nioukar Matès. Puisqu’il nous a paru (agréable) de regarder le travail entrepris par ta volonté, comme une source de jouissances plus grandes que ne le sont, pour les autres, les somptueux festins, avec leurs mets et leurs vins, nous avons voulu rappeler en peu de mots les combats d’Aram le Haïcien. Ce guerrier, ami des labeurs et de sa patrie, comme nous le montre le même historien, eût préféré mourir pour son pays, que de voir les fils de l’étranger fouler le sol natal, et commander à ses compatriotes et à ses frères. Aram, peu d’années avant l’avènement de Ninus en Assyrie, à Ninive, inquiété par les nations voisines, rassemble toute la multitude de ses braves guerriers, habiles à manier l’arc et à lancer le javelot, jeunes, nobles, doués d’une grande adresse et d’une beauté remarquable, troupe qui, pour le courage et dans l’action, valait autant que cinquante mille hommes. Aram rencontre sur les confins de l’Arménie la jeunesse des Mèdes, sous la conduite de Nioukar, surnommé Matès, guerrier orgueilleux et vaillant, comme nous le montre le même historien. Déjà à l’exemple des Kouschans,[99] Matés, imposant son joug à l’Arménie, la tient esclave pendant deux années. Avant le lever du soleil, Aram, fondant sur lui à l’improviste, extermina toute la multitude de son armée. Quant à Nioukar, appelé Matès, Aram, l’ayant fait prisonnier, le conduit à Armavir, et là, au sommet de la tour des murailles, le front traversé avec un long clou de fer, Nioukar est fixé au mur, par ordre d’Aram, à la vue de tous les spectateurs qui étaient venus là, et des passants. Tout son pays jusqu’a la montagne appelée Zarasb, est soumise au tribut, jusqu’au règne de Ninus en Assyrie et à Ninive. Cependant, Ninus devenu roi de Ninive, nourrissait dans son cœur un souvenir de haine, à cause de son ancêtre Bélus, car il connaissait le passé par la tradition. Il songeait depuis de longues années aux moyens de se venger, épiant le moment d’exterminer et d’anéantir jusqu’au dernier rejeton, toute la race des fils du brave Haïg. Mais la crainte de se voir lui-même dépouillé de son royaume, en exécutant un tel projet, le retint. Il cache ses perfides desseins, et ordonne à Aram de conserver la puissance sans inquiétude, lui accorde le droit de porter le bandeau de perles, et le nomme son second. Mais c’est assez; car notre but en ce moment ne nous permet pas de nous étendre sur cette histoire. Ch. xiv. Contestations d’Aram avec les Assyriens sa victoire. Baïabis Kaghia. Césarée. Arménie Première et autres contrées du même nom. Nous raconterons brièvement les grands faits d’Aram, ses actions glorieuses en Occident, rapportées dans le livre, ses différends avec les Assyriens, en signalant seulement les causes et l’importance des événements, et en montrant rapidement ce que l’historien raconte avec de longs détails. Ce même Aram, après avoir terminé sa guerre contre l’Orient, marche avec les mêmes troupes en Assyrie. Il y trouve un homme qui ruinait sa patrie avec quarante mille fantassins et cinq mille cavaliers; il était de la race des géants et avait nom Parscham. A force d’opprimer le pays, de l’accabler d’impôts, il changeait en désert toute la contrée d’alentour. Aram lui livre bataille, le jette, fugitif, au milieu du pays des Gortouk,[100] dans la plaine d’Assyrie, et extermine un grand nombre d’ennemis. Parscham mourut sous les coups des soldats d’Aram. Déifié à cause de ses nombreux exploits, (Parscham) fut adoré longtemps par les Syriens.[101] Une grande partie des plaines de l’Assyrie devint, pendant de longues années, tributaire d’Aram. Il nous faut parler maintenant des prodiges de valeur qu’Aram fit en Occident contre les Titans. Il marche ensuite sur l’Occident, avec quarante mille fantassins et deux mille cavaliers, arrive en Cappadoce, dans un endroit appelé aujourd’hui Césarée.[102] Comme il avait soumis l’Orient et le midi et qu’il en avait confié la garde à deux familles, l’Orient à celle des Sissagan et l’Assyrie à ceux de la maison de Gatmos, il n’avait plus dès lors aucune crainte de troubles. Pour cela, Aram s’arrête longtemps en Occident. Baïabis Kaghia[103] lui livre bataille; ce Titan occupait tout le pays situé entre les deux grandes mers, le Pont et l’Océan.[104] Aram fond sur lui, le défait, le refoule jusque dans une île de la mer asiatique. Puis laissant un de ses parents, nommé Mschag,[105] avec dix mille hommes de ses troupes pour garder le pays, il retourne en Arménie. Aram enjoint aux habitants du pays d’apprendre à parler la langue arménienne, c’est pourquoi jusqu’à ce jour, ils appellent cette contrée Proton Armenia,[106] qu’on traduit par Première Arménie.[107] Le village que le gouverneur établi par Aram, et qui s’appelait Mschag, fonda et entoura de petites murailles, et auquel il donna son nom, les anciens habitants du pays le nommaient Majak, ne pouvant bien prononcer; jusqu’à ce qu’ensuite agrandi par d’autres, ce village fut nommé Césarée. C’est ainsi qu’Aram, depuis ces lieux jusqu’a son propre empire, remplit d’habitants beaucoup de contrées désertes, et le pays fut nommé la Deuxième, la Troisième et même la Quatrième Arménie.[108] Voilà la première et la véritable raison d’appeler les parties occidentales de notre pays, Première, Seconde, Troisième et Quatrième Arménie. Et ce que disent certaines personnes de l’Arménie grecque, ne nous plaît aucunement que les autres fassent à leur guise! Le nom d’Aram est tellement puissant et renommé jusqu’à ce jour, comme tout le monde le sait, que les nations qui nous entourent, le donnent à notre pays. On raconte d’Aram bien d’autres actions d’éclat; mais nous en avons dit assez sur ce sujet. Mais pourquoi ces faits ne furent-ils pas consignés dans les livres des rois et des temples[109]? Cependant que personne ne conçoive à cet égard ni doute, ni suspicion. Car premièrement, Aram est antérieur au règne de Ninus, époque où personne ne se préoccupait de tels soins; et deuxièmement, les peuples ne sentaient ni l’utilité, ni le besoin, ni l’intérêt de s’occuper des nations étrangères, des pays lointains, de recueillir les anciennes traditions, et les récits des premiers âges dans les livres de leurs rois ou de leurs temples; d’autant plus que la valeur et les exploits des peuples étrangers n’étaient pas pour eux un motif de vanité ou d’orgueil. Et, bien que non consignés dans leurs propres livres, ces faits, comme le raconte Mar Apas Catina, ont été extraits des ballades et des chants populaires, composés par quelques obscurs écrivains, et se trouvent réunis dans les archives royales. Il y a une autre raison, dit-il encore, c’est que, comme je l’ai appris, Ninus, homme imprudent et égoïste, voulant se donner comme le principe unique, le premier auteur de toute conquête, de toute qualité et de toute perfection, fit brûler quantité de livres d’annales des premiers âges qui se conservaient dans différents endroits et relataient les actes de bravoure de tels ou tels personnages; il fit également détruire les annales relatives à son époque, exigeant que l’histoire n’écrive que pour lui seul. Mais il est superflu de répéter tout ceci, Aram engendra Ara; puis ayant encore vécu de longues années, il mourut. Ch. xv. Ara. Sa mort dans une guerre suscitée par Sémiramis. Ara, peu d’années avant la mort de Ninus, obtint le gouvernement de sa patrie, jugé digne d’une telle faveur par Ninus, comme (antérieurement) son père Aram. Mais l’impudique et voluptueuse Sémiramis (Schamiram),[110] ayant entendu parler depuis longues années de la beauté d’Ara, brûlait du désir de satisfaire sa passion; cependant elle ne pouvait agir ouvertement. Mais après la mort, ou plutôt après la fuite de Ninus en Crète, comme je le crois, Sémiramis mûrissant en sûreté sa passion, envoie des messagers au bel Ara, avec de riches cadeaux, accompagnés d’instantes prières, de promesses magnifiques, pour l’engager à venir la trouver à Ninive, à l’épouser et à régner sur tout l’empire de Ninus, ou seulement à satisfaire son ardente passion, et à retourner ensuite en paix dans ses propres états, comblé de présents. Déjà les ambassades s’étaient succédé sans interruption, et Ara refusait toujours. Alors Sémiramis, furieuse du mauvais résultat de ses messages, lève toute la multitude de ses troupes, se hâte d’arriver sur le territoire des Arméniens, et de fondre sur Ara. Mais il était évident que ce n’était pas tant pour tuer Ara ou le mettre en déroute, qu’elle se hâtait ainsi, que pour le subjuguer, s’emparer de lui pour satisfaire ses passions; car devenue folle d’amour au seul portrait qu’elle avait entendu faire d’Ara, comme si elle l’eût vu, elle brûlait de feux dévorants. Elle accourt en se précipitant dans la plaine d’Ara, appelée de son nom Ararat. Au moment d’engager le combat, elle ordonne à ses généraux de faire en sorte, s’il est possible, d’épargner la vie d’Ara. Mais au fort de la mêlée, l’armée d’Ara est mise en pièces, et il meurt dans l’action, frappé par les soldats de Sémiramis. La reine envoie après la victoire sur le lieu du combat ceux qui dépouillent les cadavres, afin de chercher parmi les morts l’objet de son amour. Ara fut trouvé sans vie au milieu de ses braves compagnons d’armes. Sémiramis le fait placer sur la terrasse de son palais. Cependant, comme les troupes arméniennes se ranimaient au combat contre la reine Sémiramis, pour venger la mort d’Ara; elle dit: — « J’ai ordonné à mes dieux, de lécher les plaies d’Ara,[111] et il reviendra à la vie. — Elle espérait par la vertu de ses maléfices ressusciter Ara, tant la fureur de sa passion avait égaré sa raison. Mais quand le cadavre fut en putréfaction, elle le fit jeter [par ses serviteurs[112]] dans une fosse profonde pour le dérober ainsi à la vue de tous. Puis ayant travesti en secret un de ses amants, elle publie sur Ara la nouvelle suivante: — Les dieux, en léchant les plaies d’Ara, l’ont rendu à la vie, et ont ainsi comblé nos vœux les plus chers; aussi dorénavant ils doivent encore être davantage adorés et glorifiés par nous, comme les auteurs de notre félicité et de l’accomplissement de nos désirs. — Sémiramis érige une nouvelle statue aux dieux,[113] lui offre des sacrifices, comme si la puissance de ces dieux avait sauvé Ara.[114] A l’aide de ces bruits répandus en Arménie touchant Ara, Sémiramis persuada tons les esprits et fit cesser la guerre. En ce qui regarde Ara, il suffit de le rappeler en ce peu de mots: ayant vécu ………………[115] années, Ara engendra Gartos.[116] Ch. xvi. Comment après la mort d’Ara, Sémiramis bâtit la ville, la chaussée du fleuve[117] et son palais. Après ces succès, Sémiramis, s’étant arrêtée peu de jours dans la plaine appelée Ararat, du nom d’Ara, passe au sud de la montagne, car on était alors en été, pour se promener dans les vallons et les campagnes en fleurs. En voyant la beauté du pays, la pureté de l’air, les sources limpides qui jaillissent de toutes parts, le cours majestueux des fleuves au doux murmure: — « Il nous faut, dit-elle, dans un pays où le climat est si tempéré et l’eau si pure, fonder une ville, une demeure royale pour résider [ici[118]] en Arménie, au milieu de toutes les délices, la quatrième partie de l’année; les trois autres saisons plus froides, nous les passerons à Ninive. » Sémiramis, ayant visité beaucoup de sites, arrive du côté oriental, sur le bord du lac salé;[119] elle voit sur ces bords une colline oblongue, exposée dans sa longueur au couchant; un peu oblique au nord; au midi une grotte s’élevant droit et perpendiculairement vers le ciel; à peu de distance au sud, une vallée plate, confinant à l’orient avec la montagne, et qui, en s’allongeant vers le lac, s’élargit et prend un aspect grandiose. A travers ces lieux, des eaux tombant de la montagne dans les ravins et les vallées, réunies à la large base des montagnes, devenaient de véritables fleuves. A droite et à gauche des eaux, s’élevaient dans cette vallée de nombreux villages; et à l’est de cette riante colline, se dressait une petite montagne. Ici, l’active et impudique Sémiramis, ayant tout examiné en détail, fit aussitôt venir de l’Assyrie et des autres parties de son empire, et rassembler en ce lieu douze mille ouvriers et six mille maîtres de tout état, pour travailler le bois, la pierre, le bronze et le fer, tous très habiles dans leur art. Tout s’exécutait selon les ordres de la reine. On voyait accourir en hâte des ouvriers et des maîtres de tout état. Sémiramis fait d’abord construire la chaussée du fleuve, avec des blocs de rochers, liés entre eux avec de la chaux et du sable [fin[120]], œuvre gigantesque pour l’étendue et la hauteur et qui existe, à ce que l’on dit, encore à présent.[121] Dans les fentes de cette chaussée, nous le savons par ouï-dire, les voleurs et les vagabonds du pays y cherchent un refuge et s’y eschent en sureté comme sur les cimes désertes des montagnes Si quelqu’un veut en faire l’expérience, il ne pourra pas même, en employant toutes ses forces, détacher de cette construction une pierre de fronde; en examinant la parfaite liaison des pierres, on croirais que la cimentation a été faite avec de la cire coulée. Cette chaussée, longue de plusieurs stades, va jusqu’à la ville. La reine fait ranger cette multitude de travailleurs en plusieurs classes, et donne pour chef à chacune le meilleur des artisans. Ainsi à force de fatigues continuelles, elle achève en peu d’années ces merveilleuses constructions, qu’elle entoure de fortes murailles avec des portes d’airain. Elle bâtit aussi dans la ville de nombreux et magnifiques palais, ornés de différentes pierres de diverses couleurs, élevés de deux ou trois étages, chacun, comme il convient, exposé au soleil. Elle distingue par de belles couleurs les quartiers de la ville, les divise par de larges rues; elle construit, selon les besoins, des thermes au milieu de la ville, avec un art admirable. Distribuant dans la cité une partie des eaux du fleuve, elle les amène partout où il en est besoin, et aussi pour l’arrosement des jardins et des parterres. Quant à l’autre portion des eaux, près des bords du lac à droite et à gauche, elle les destine aux usages de la ville et de tous les environs. Toutes les parties de la ville, à l’est, au nord et au sud, sont décorées par elle de beaux édifices, d’arbres touffus, produisant des fruits et des feuillages différents; elle plante aussi quantité de vignes dans les terrains fertiles en vins. Elle rend de tous côtés magnifique et splendide la portion de la ville entourée de murailles, et y fait entrer une immense population. Quant à l’extrémité de la ville et aux merveilleux édifices qui s’y trouvent, bien des gens ignorent l’état des choses; il est donc impossible d’en faire la description. Sémiramis garnit le sommet des murailles, ouvre des entrées d’un accès difficile, et élève un palais royal, avec de terribles oubliettes. Le dessin et le plan d’un semblable édifice ne nous ont été transmis par personne avec vérité, aussi nous ne croyons pas opportun d’en parler dans cette histoire. Nous dirons seulement, que de tous les ouvrages royaux, comme nous l’avons appris, c’est le premier et le plus splendide. Sur le côté oriental de la grotte, là où actuellement on ne peut tracer un seul trait avec la pointe, tant la pierre en est dure, on a creusé des palais, des chambres, des caveaux pour mettre les trésors et de longues galeries.[122] Personne ne sait comment ces merveilleuses constructions ont pu s’élever. Sur toute la surface de la pierre, comme sur de la cire, avec une pointe, sont tracés beaucoup de caractères.[123] Or, la vue d’un semblable prodige jette tout le monde dans l’étonnement; mais assez sur ce sujet. Dans beaucoup d’autres cantons de l’Arménie, la reine fit graver sur la pierre le souvenir de quelque événement; sur beaucoup de points, elle fit dresser des stèles avec des inscriptions tracées de même.[124] Mais, en voici assez sur les travaux exécutés en Arménie par Sémiramis. Ch. xvii. De Sémiramis; pourquoi elle fit périr ses enfants? Comment s’enfuit-elle en Arménie pour échapper au mage Zoroastre? Elle est tuée par son fils Ninyas. La reine, voulant toujours aller passer l’été dans le nord, dans la ville qu’elle avait fondée en Arménie, laissa comme gouverneur de l’Assyrie et de Ninive Zoroastre (Zrataschd) mage et chef religieux des Mèdes (Mar); pendant longtemps les choses étant ainsi réglées, Sémiramis remit tout le pouvoir aux mains de Zoroastre. Souvent reprise par ses enfants à propos de sa conduite déréglée et par trop voluptueuse, la reine les fit tous périr, à l’exception de Ninyas, le plus jeune. Dans son amour pour ses favoris, elle leur[125] remet son pouvoir souverain, ses trésors, et ne prend aucun soin de ses fils. Ninus, son mari, n’était pas mort; et ne fut pas enterré, comme on le dit, par ses soins, dans le palais, à Ninive; mais voyant la corruption de sa perfide épouse, il abandonna l’empire et se réfugia en Crète (Ondé). Ses fils, devenus grands, reprochent à leur mère sa conduite, croyant la faire rougir de ses vices, de ses méfaits diaboliques, et la déterminer à leur céder le pouvoir et ses trésors. La reine devint plus furieuse encore et les fit tous mourir. Ninyas fut seul épargné, comme nous l’avons dit plus haut. Par suite des torts de Zoroastre envers la reine et de leur querelle, Sémiramis prend les armes contre lui, car il songeait à établir partout sa tyrannie. Au fort du combat, Sémiramis s’enfuit devant Zoroastre, et gagne l’Arménie. Ninyas trouve le moment opportun pour se venger; il tue sa mère, et règne sur l’Assyrie et Ninive. Nous avons dit la cause et les circonstances de la mort de Sémiramis.[126] Ch. xviii. Première guerre de Sémiramis dans les Indes, puis sa mort en Arménie. J’ai en vue Céphalion,[127] pour ne pas m’exposer à être un sujet de risée; il parle d’après d’autres écrivains, d’abord de la naissance de Sémiramis,[128] ensuite de sa guerre dans les Indes.[129] Mais les faits qui résultent de l’examen que fit Mar Apas Catina, dans les livres chaldéens, nous ont paru plus certains que toutes ces particularités; car il parle avec savoir et il expose les causes de la guerre. Ajoutons encore que les fables[130] de notre pays donnent raison au savant syrien, en disant qu’ici (en Arménie) eurent lieu la mort de Sémiramis, sa fuite à pied, sa soif ardente, ses recherches pour avoir de l’eau, son empressement à se désaltérer, et à l’arrivée des soldats armés de glaives, le jet du talisman dans la mer,[131] d’où est venu ce chant: Les perles de Sémiramis dans la mer. Aimes-tu les fables? Ecoute celle-ci: « Sémiramis changée en pierre, bien avant Niobé. » Assez sur ce sujet, occupons-nous des faits postérieurs. Ch. xix. Evénements qui eurent lieu après la mort de Sémiramis. Je veux dans cet ouvrage te montrer tous les événements avec ordre, les ancêtres les plus renommés de la nation, toutes les traditions qui les concernent, chacun de leurs faits et gestes, en omettant toutes les choses imaginaires ou inconvenantes dans nos récits, et en racontant ce qui se trouve dans les livres, et notamment dans les discours des hommes sages et profonds, d’où nous avons précisément cherché à rassembler et à extraire les documents de notre antiquité. Et nous dirons dans cette histoire, nous nous sommes attaché à la justice et à la vérité, aussi bien par inspiration que par conviction. C’est avec de telles dispositions qu’est faite notre compilation, Dieu le sait! louable ou blâmable aux yeux des hommes, leur jugement importe peu; mais l’uniformité de notre récit, la suite régulière des personnages, sont une garantie suffisante de l’exactitude de nos recherches. Ceci posé, certain ou presque assuré de la vérité, je commencerai par t’exposer les faits postérieurs, en suivant l’ordre historique. Or, après la mort de Sémiramis, tuée par son fils Zamassis,[132] c’est-à-dire Ninyas, né après le meurtre d’Ara, nous savons avec certitude l’ordre des faits. Ninyas règne, après avoir fait périr sa mère voluptueuse, et vit en paix. Sous Ninyas, Abraham termina ses jours. Comparaison de la généalogie de notre nation avec celle des Hébreux, des Chaldéens, jusqu’à Sardanapale, appelé Tonos-Concholéros.[133]
. qui était fils de notre Ara, appelé Ara par Sémiramis qui lui confie le gouvernement de notre pays.
Depuis Josué, ce n’est plus par ordre de filiation, mais de prééminence, que tous descendent d’Abraham. Défaits par Josué, les Cananéens, fuyant leur exterminateur,[137] passèrent en Afrique (Akras),[138] naviguant sur Tharsis, événement constaté par une inscription gravée sur des stèles en Afrique, et qui se conserve jusqu’à présent. Voici ce qu’elle rapporte en propres termes Mis en fuite par le brigand Josué, nous, les chefs des Cananéens, sommes venus habiter ici. Un de ces chefs était notre illustre Cananitas, en Arménie. Tout bien examiné, nous avons trouvé que la descendance des Kentouni provient de lui, sans aucun doute.[139] Le caractère de ces derniers démontre bien qu’ils sont Cananéens.
Haïgag qui vivait, à ce que l’on dit, sous Bélochus, périt dans une émeute follement soulevée par lui.
Zarmaïr, envoyé au secours de Priam par Teutamus avec une armée d’Ethiopiens, meurt de la main des braves Hellènes.[146] Chaldéens. Arméniens. Teutéus. Herdj. Tineus. Arpoun. Dercylus. Pazoug. Eupalmeus. Ho. Laosthenès. Housag. Priétiadès. Gaibag. Ophrateus. Sgaïorti (fils de géant). Opliratonès. Acrazanès. Sardanapale.
Ch. xx. Ara, fils d’Ara. Son fils Anouschavan, surnommé Sos. Sémiramis, en souvenir de sa première passion pour le bel Ara, appelle Ara le fils né de lui et de sa femme bien-aimée Nouart, et qui était âgé d’environ douze ans à la mort d’Ara.[147] Sémiramis, pleine de confiance en ce prince, l’investit du gouvernement de notre pays. Ara meurt, à ce que l’on dit, dans la guerre contre Sémiramis. Voici l’ordre des événements postérieurs: Ara fils d’Ara meurt dans la guerre contre Sémiramis, laissant un fils, appelé Anouschavan, très puissant et très capable dans l’action et dans le conseil. Il était surnommé Sos (peuplier argentifère),[148] car il était voué aux fonctions sacerdotales, dans les forêts de peupliers d’Aramaniag, à Armavir. Le tremblement des feuilles de peuplier, au souffle léger ou violent de l’air, était l’objet d’une science magique en Arménie et le fut longtemps. Cet Anouschavan, ayant à souffrir pendant de longues années le mépris de Zamassis, languissait à la cour. Aidé par ses partisans, il réussit à obtenir le gouvernement d’une partie du pays, moyennant tribut, ensuite du pays tout entier.[149] Mais ce serait trop de rapporter dans cette histoire tout ce qui est digne d’être rappelé, les paroles, les faits et les entreprises. Ch. xxi. Barouïr fils de Sgaïorti est le premier roi couronné en Arménie. — Il aide Varbace le Mède à s‘emparer du royaume de Sardanapale. Laissant de côté les faits les moins considérables, nous dirons ce qui est le plus important. Le dernier de ceux qui vécurent sous l’empire des Assyriens, depuis Sémiramis ou depuis Ninus, est, je le dis, notre Barouïr, contemporain de Sardanapale.[150] Aidé puissamment par Varbace le Mède,[151] il ravit le royaume de Sardanapale. A présent j’éprouve du bonheur et de la joie en arrivant au véritable ancêtre de notre nation,[152] dont les descendants furent élevés au rang de roi; aussi nous avons une grande tâche à accomplir, bien des sujets à traiter. Nous avons cru de notre devoir de lire les preuves de ces faits dans quatre livres composés par cet homme sage et éloquent, le plus sage d’entre les sages.[153] Varbace, d’un canton de la Médie, à la pointe extrême de la province la plus fortifiée, homme d’une grande astuce, célèbre dans les combats, voyant la vie efféminée et la mollesse voluptueuse du faible et vil Concholéros,[154] gagne par sa conduite, par ses largesses, beaucoup de partisans, parmi les personnages braves et puissants qui alors soutenaient avec dignité et une grande fermeté l’empire d’Assyrie. Il se concilie l’amitié de notre brave satrape Barouïr, lui promettant la couronne et tout l’éclat de la royauté; il s’attache aussi un grand nombre de vaillants guerriers habiles à manier le javelot, l’arc et le glaive. Varbace, s’emparant de cette manière des Etats de Sardanapale, commande à l’Assyrie et à Ninive; mais il y établit des gouverneurs et transporte aux Mèdes l’empire des Assyriens. Si ces faits, chez les autres historiens, sont rapportés différemment,[155] ne t’en étonne pas; car comme plus haut, dans les premiers chapitres,[156] nous avons blâmé les usages de nos premiers ancêtres qui ne prenaient aucun souci de la science, il arrive encore ici la même chose. Les faits et gestes du père de Nabuchodonosor ont été consignés dans les annales et les registres de ses inspecteurs des mémoriaux;[157] or nos princes n’ayant pas songé à faire de même, il n’y a eu de transcrit que les faits accomplis dans les derniers temps. Si on demande: où donc avons-nous trouvé les noms, les faits et gestes de beaucoup de nos ancêtres? je répondrai: « dans les anciennes archives des Chaldéens, des Assyriens, des Perses[158] à cause de la mention faite dans les écrits royaux des noms et des actes de nos aïeux comme chefs de l’administration, chargés par les rois du gouvernement général. » Ch. xxii. Suite de nos rois. — Leur nombre de père en fils. Je vais compter nos grands hommes, surtout les rois, jusqu’à l’empire des Parthes, parce qu’ils me sont chers ces descendants de notre monarque couronné, comme mes compatriotes, mes proches et mes frères. Comme il m’eût été doux, si le Sauveur (Pergnitch) fut alors venu me racheter, d’entrer dans le monde sous de tels monarques, de jouir du bonheur de les voir et d’échapper aux dangers du temps présent[159] ! Mais ce sort heureux, cette fortune a fui loin de nous. Mais ces rois nationaux vivaient sous le gouvernement des Mèdes, et nous allons en rappeler ci-dessous les noms.[160] En ce temps là, le pouvoir royal de notre nation existait véritablement, comme l’atteste le prophète Jérémie, appelant aux armes contre Babylone: « Convoquez, dit-il, le royaume d’Ararat et la troupe d’Ascanaz.[161] Il est donc évident que notre empire existait alors. Mais, en réglant la succession de nos rois, nous mettrons à côté celle des rois mèdes: Premier roi des Mèdes.[162] Notre premier roi couronné par Varbace fut
Varbace. Barouir, fils de Sgaiorti. Maudacès.[163] Hratchia. Artysis. Parnouas. Déjocès. Badjouïdj. Phraortes. Gornag. Cyaxares. Pavos. Astyage. Un autre Haïgag. Erouant qui vécut peu. Dikran (Tigrane).[164] Du nom des deux derniers furent appelés les derniers Erouant et Tigrane,[165] sans doute à cause des espérances qu’ils donnaient. Le temps n’est pas très éloigné où nous mentionnerons leurs noms. Hratchia[166] était ainsi appelé à cause de la vivacité de ses traits et de l’éclat pétillant de ses yeux. Sous lui, dit-on, vivait Nabuchodonosor, roi de Babylone, qui emmena les Juifs en captivité. On raconte que Hratchia lui demanda l’un de ces principaux captifs hébreux, appelé Champat, le conduisit dans ses États et le combla d’honneurs. De Champat, dit l’historien, descend la race des Pakradouni;[167] cela est certain. Mais ce que firent nos rois pour convertir cette famille au culte de leurs dieux, combien et quels furent ces Pakradouni qui moururent dans le sein du culte divin, nous le raconterons plus tard avec détail.[168] Certains individus, indignes de croyance, par pur caprice et non selon la vérité, disent que c’est de Haïg que descend la race des Thakatir[169] Pakradoum; mais je réponds à ceci: Ne crois pas à de pareils contes, car il n’y a aucun semblant de vérité, aucun indice de probabilité; et dans ce qui te fut dit, rien qui dénote la vérité. Ce sont des paroles absurdes, dénuées de sens et de valeur, contre Haïg et ses pareils. Mais sache que le nom de Sempad que les Pakradouni donnent souvent à leurs fils, correspond exactement dans leur langage primitif, qui est l’hébreu, à Champat.[170] Ch. xxxiii. Des fils de Sennékérim. — Les Ardzrouni, les Kénouni et le prince d’Aghdznik en sont issus. — Démontrer dans le même chapitre que la maison d’Ankegh vient de Baskam. Avant de commencer l’histoire du grand Tigrane (Dicran) qui est le neuvième de nos ancêtres couronnés, prince vaillant, renommé et toujours victorieux entre les conquérants, nous raconterons ce qui est le plus important. Ce qui concerne Sennakérib (Sennékérim) a été mis en oubli. En effet, environ quatre-vingts ans avant le règne de Nabuchodonosor, vivait Sennakérib, roi d’Assyrie, celui-là même qui assiégea Jérusalem sous Ezéchias, chef des Juifs.[171] Ayant tué leur père, les fils de Sennakérib, Atramelek et Sanassar, se réfugièrent chez nous.[172] L’un d’eux, Sanassar, fut établi par notre vaillant ancêtre Sgaïorti au sud-ouest de notre pays, près des confins de l’Assyrie. Les descendants de Sanassar ont peuplé la montagne de Sim.[173] Les plus grands et les plus illustres d’entre eux, ayant signalé dans la suite leur dévouement envers nos rois, furent jugés dignes d’obtenir le gouvernement[174] de ces contrées. Arkamozan se fixe au sud-est du pays;[175] c’est de lui, dit l’historien, que descendent les Ardzrouni et les Kénouni.[176] Voilà la raison qui nous a fait rappeler Sennakérib. La maison d’Ankegh, dit le même historien, est issue d’un certain Baskam, petit-fils de Haïgag.[177] Ch. xxiv. De Tigrane,[178] tel qu’il fut en toutes choses. Passons actuellement à ce qui regarde Tigrane et ses entreprises. C’est, de tous nos rois, le plus puissant, le plus vertueux, le plus brave de tous ces princes et de tous les guerriers. Il aida Cyrus à renverser l’empire des Mèdes,[179] il retint longtemps sous son obéissance les Grecs, et il étendit notre territoire jusqu’à nos anciennes frontières. Objet d’envie pour tous les contemporains, il fit aussi, lui et son siècle, l’admiration de la postérité. En effet, qui donc parmi les vrais guerriers et les admirateurs de la valeur et de la vertu ne tressaille au souvenir de Tigrane, ne désire ardemment l’égaler en grandeur? Chef et modèle des guerriers, signalant partout son courage, il éleva haut notre nation; nous étions courbés sous le joug, il la mit en état de subjuguer et de faire payer tribut à de nombreux peuples. Partout s’élevaient des monceaux d’or, d’argent, de pierres précieuses; partout on voyait des vêtements de toute forme, de toute couleur pour hommes et pour femmes; si bien que la laideur paraissait aussi belle que la beauté, et la beauté, selon l’esprit du temps, était déifiée.[180] On voyait les fantassins chevaucher, les frondeurs devenus d’habiles tireurs d’arcs, les hommes auparavant aimés de pieux manier le glaive et la lance, les gens autrefois sans armes, couverts de boucliers et d’armures de fer. La vue des soldats rassemblés, le feu, l’éclat resplendissant de leurs armures et de leurs armes, suffisaient pour dérouter l’ennemi. Tigrane inaugure la paix, multiplie les édifices et féconde tout le pays avec des ruisseaux d’huile et de miel. Tels sont, avec beaucoup d’autres encore, les bienfaits dont gratifia notre patrie Tigrane fils d’Erouant, prince à la blonde chevelure bouclée,[181] au visage coloré, au regard doux, puissamment membré, large des épaules, à la marche rapide, le pied bien tourné, sobre toujours dans le boire et le manger, et réglé dans ses plaisirs. Nos ancêtres le célébraient au son du pampirn,[182] en chantant sa prudence, sa modération dans les plaisirs de la chair, sa sagesse, son éloquence, et son désir d’être utile à l’humanité.[183] Quel plus grand plaisir pour moi, que de prolonger ces sujets louangeux pour lui, et qui sont la vérité de l’histoire! Toujours équitable dans ses jugements, sa balance, égale pour tous, pesait sans partialité la conduite de chacun. Il n’était point jaloux des grands, il ne méprisait pas les petits; il n’avait d’autre volonté que d’étendre sur tous le manteau de sa sollicitude. [Tigrane], depuis longtemps déjà, lié par des traités avec Astyage (Aschtahag),[184] roi des Mèdes, lui donne en mariage sa sœur Dikranouhi, qu’Astyage recherchait avec empressement; car celui-ci se disait: « Par cette alliance, j’aurai pour Tigrane une constante affection, ou je lui tendrai facilement des embûches pour le faire périr. » En effet, pour lui, Tigrane était un sujet de crainte, car une prophétie indépendante de sa volonté lui avait annoncé l’événement que voici: Ch. xxv. Crainte et soupçon d’Astyage, en voyant l’étroite amitié de Cyrus et de Tigrane. La cause première de ces craintes était l’alliance et l’amitié qui unissaient Cyrus et Tigrane. Souvent aussi le sommeil fuyait loin d’Astyage lorsqu’il rappelait ses souvenirs. Il faisait sans cesse à ce sujet des questions à ses confidents: « Comment pourrons-nous, disait-il, rompre les liens d’amitié entre le Perse et le descendant d’Haïg, fort de tant de myriades d’hommes? » Pendant qu’il est agité par ces pensées, une vision lui apparaît, qui lui révèle sa situation et qu’il raconte ainsi Ch. xxvi. Comment Astyage, la haine au cœur, voit sa destinée présente dans un songe singulier. • Un grand danger, dit-il, menaçait le Mède Astyage, par le fait de l’union de Cyrus et de Tigrane. C’est pourquoi, de l’effervescence de ses pensées, lui apparaît dans le sommeil de la nuit un songe, où il vit ce qu’étant éveillé il n’a jamais vu ni entendu. Il se réveille en sursaut, et, sans attendre le cérémonial usité, l’heure du conseil, car il restait encore bien des heures de la nuit, il appelle ses confidents. Le visage triste, les yeux fixés à terre, il gémit du plus profond de son cœur et soupire. Pourquoi cette douleur? demandent les confidents. Et lui reste plusieurs heures sans répondre; enfin, poussant des gémissements, il commence à dévoiler toutes ses secrètes pensées, les soupçons de son cœur et aussi les détails de l’horrible vision Il advint, ô mes amis, dit-il, que je me trouvais aujourd’hui sur une terre inconnue, près d’une haute montagne dont la cime paraissait enveloppée de glaces et de frimas. On disait que c’était le pays des descendants d’Haïg. Mon regard plongeait au loin vers la montagne, lorsqu’une femme revêtue de la pourpre, enveloppée d’un voile bleu céleste,[185] m’apparut assise au plus haut de la cime. Ses yeux étaient beaux, sa stature était élevée, son teint était de rose; elle était dans les douleurs de l’enfantement. Comme j’avais le regard tendu vers ce spectacle étonnant, cette femme mit au monde tout à coup trois héros accomplis pour la taille et pour la force. Le premier, monté sur un lion, prit son vol vers l’occident; le second, sur un léopard, s’élança vers le nord; le troisième, sur un énorme dragon, se précipita avec fureur sur notre empire. Au milieu de ces visions confuses, il me semblait que, debout sur la terrasse de mon palais, j’en voyais la frise ornée de magnifiques tentures, et la plate-forme couverte de tapis émaillés de diverses couleurs. Nos dieux, à qui je suis redevable de la couronne, étaient là présents dans tout l’éclat de leur majesté, et moi avec vous, leur offrant des sacrifices et de l’encens. Tout à coup, levant les yeux, je vis le héros, monté sur le dragon, prendre son vol avec des ailes d’aigle; en fondant sur nous, il croyait venir exterminer nos dieux; mais moi, Astyage, me précipitant à sa rencontre, je soutins ce choc formidable et je combattis ce merveilleux héros. D’abord nous nous frappâmes l’un l’autre de la lance et nous répandîmes des flots de sang, et la plate-forme du palais, inondée des rayons du soleil, se transforma en un mur de sang. Puis, recourant à d’autres armes, nous combattîmes encore des heures entières.[186] Mais à quoi bon prolonger ce récit, puisque la fin de tout était ma ruine? L’impression du danger me couvrit d’une sueur violente, le sommeil s’enfuit loin de moi, et depuis ce jour je ne compte plus parmi les vivants. Car le résultat d’un tel songe n’a d’autre signification que la terrible invasion que Tigrane, le descendant d’Haïg, doit faire chez nous. Mais quel est l’homme qui, avec le secours de nos dieux, nous venant en aide par ses conseils et ses actes, ne croirait pas partager le trône avec nous? Ayant ouï beaucoup d’avis utiles de la part de ses confidents, le roi les honora de ses remerciements. Ch. xxvii. Opinions des confidents d’Astyage; ses réflexions et ses projets; leur exécution immédiate. « Après avoir entendu de vos bouches bien des avis sages et ingénieux, ô mes amis, je dirai ce qui, en fait de conseils et de réflexions, me paraît à moi préférable, si les dieux daignent m’assister. Il n’y a rien de plus utile contre un ennemi, quand on connait ses desseins, que la présence d’une personne qui, avec l’apparence de l’amitié, lui tende des embûches. Ce n’est ni avec des trésors, ni avec des paroles trompeuses, que nous pouvons réussir, mais c’est en agissant ainsi que je le veux. L’instrument de mes desseins, l’agent de cette trame est la sœur de Tigrane, la belle et prudente Dikranouhi; car de tels liens de parenté à l’étranger lui donnent toute facilité d’ourdir en secret de sourdes menées, en allant et en venant; ou bien à l’improviste, à force d’argent et de promesses pour engager quelqu’un des familiers de Tigrane à le poignarder ou à l’empoisonner; ou pour séduire avec de l’or, détacher de lui ses partisans et les gouverneurs des provinces. C’est ainsi que nous nous saisirons de Tigrane comme d’un faible enfant. » Les confidents du roi, regardant le projet comme efficace, en machinèrent l’exécution. Astyage envoie un de ses conseillers à Tigrane avec de riches trésors et une lettre ainsi conçue: Ch. xxviii. Lettre d’Astyage. Consentement de Tigrane. Départ de Dikranouhi pour la Médie. « Mon frère bien-aimé le sait: rien ne nous fut donné par les dieux de plus utile dans cette vie qu’un grand nombre d’amis, c’est-à-dire d’amis sages et puissants; car ainsi les troubles du dehors ne nous atteignent pas, et, s’ils parviennent chez nous, aussitôt on les repousse; au dedans, la perfidie ne peut trouver accès, et toute perturbation est étouffée. Or, en voyant tous les avantages qui résultent de l’amitié, j’ai songé à rendre la nôtre plus stable et plus profonde. Ainsi, fortifiés de tous les côtés, nous maintiendrons notre empire ferme et inébranlable. Et cela, tu peux le faire, en m’accordant la fille de la grande Arménie, ta sœur Dikranouhi, pour épouse. J’espère que tu considéreras cette union comme avantageuse pour ta sœur, qui deviendra la reine des reines. Porte-toi bien, mon compagnon royal et mon frère bien-aimé. » Sans prolonger ce récit, je dirai: L’envoyé accourt et accomplit la négociation au sujet de la belle princesse; car Tigrane consentit à donner sa sœur Dikranouhi pour épouse à Astyage. Ignorant complètement les ruses ourdies par ce dernier, Tigrane envoie sa sœur, comme c’était la coutume des rois.[187] Ayant reçu la princesse, Astyage, non seulement pour le succès des ruses qu’il médite en son cœur, mais encore à cause de la beauté de Dikranouhi, l’élève au premier rang de ses femmes, mais en lui-même il mûrit ses perfides projets. Ch. xxix. Comment la perfidie d’Astyage fut découverte, et comment s’engagea la bataille où il fut tué. Après cet événement, dit [l’historien), Astyage, ayant élevé Dikranouhi à la royauté, ne faisait rien dans le royaume sans sa volonté; il réglait tout avec elle, et ordonnait à tous ses sujets d’être soumis à ses ordres. Ayant ainsi disposé toutes choses, il commença doucement à lui insinuer ces perfides paroles: Tu ne sais pas, dit-il, que ton frère Tigrane, excité par sa femme Zarouhi, est jaloux de te voir commander aux Arik[188]? Qu’en adviendra-t-il? D’abord je devrai mourir, et ensuite Zarouhi régnera sur les Arik, et occupera la place des déesses. Donc, il faut que tu choisisses l’un de ces deux partis: ou, par amour pour ton frère, d’accepter sous les yeux des Arik la ruine et l’infamie; ou bien, consultant ton propre intérêt, proposer quelque utile conseil et conjurer les événements. Cependant, au milieu de ces perfides détours, se cachait encore le projet de faire périr Dikranouhi, si son avis n’était pas conforme à la volonté du Médo-Perse. Mais la prudente et belle princesse, devinant l’artifice, répondit très tendrement à Astyage; et aussitôt, par de fidèles messagers, elle révèle à son frère les trames perfides de son époux. Dès ce moment, Astyage se met à l’œuvre; il demande par des messages une entrevue à Tigrane aux frontières des deux Etats, simulant une affaire importante qu’il est impossible de traiter par lettre ou par ambassade, si les deux souverains ne sont pas en présence. Mais Tigrane, ayant su par le messager le but proposé, ne cacha rien de ce que pensait Astyage, et lui déclara par lettre connaître toute la noirceur de son cœur. Cette perfidie une fois découverte, il n’y avait plus dès lors ni paroles ni fourberies qui pussent pallier tant de méchanceté, et la guerre se préparait ouvertement. Le roi des Arméniens rassemble des frontières de la Cappadoce, de l’Ibérie (Vratsdan)[189] et de l’Aghouanie[190] des troupes d’élite, ainsi que toutes celle, de la grande et de la petite Arménie,[191] et marche avec toutes ses forces contre le pays des Mèdes. Astyage se trouve alors en danger d’avoir à se mesurer avec le descendant d’Haïg, auquel il ne peut pas opposer des forces inférieures. La lutte se prolongea pendant cinq grands mois, car la vivacité, l’ardeur de l’action se ralentissaient lorsque Tigrane songeait au sort de sa sœur bien-aimée; aussi il manœuvrait de façon à sauver les jours de Dikranouhi. Cependant l’heure du combat approchait. Mais je ne saurais trop louer mon héros, sa taille majestueuse, son sûr coup de lance, la juste proportion de tons ses membres, la beauté parfaite de son visage; car il était agile, en tout bien conformé, et nul ne l’égalait en force. Pourquoi prolonger ce récit? L’affaire engagée, le héros, d’un coup de lance, fend comme [une lame d’]eau la lourde armure d’airain d’Astyage, le transperce avec le fer de sa longue lance, puis, retirant la main, il ramène avec l’arme la moitié de ses poumons.[192] Le combat était magnifique, car c’étaient braves contre braves, ne tournant pas facilement le dos; aussi l’action dura longtemps. Ce qui mit fin au combat fut la mort d’Astyage. Cet exploit, ajouté à tous les succès de Tigrasse, augmenta sa gloire. Ch. xxx. Pourquoi Tigrane envoya sa sœur Dikranouhi à Tigranocerte. — Anouïsch, première femme d’Astyage. — De la résidence as signée aux captifs. On raconte aussi qu’après le succès de cette affaire, Tigrane, avec une pompe royale, envoya sa sœur Dikranouhi accompagnée d’une très forte escorte en Arménie, au bourg qu’il appela de son nom Tigranocerte (Dikranaguerd),[193] et il ordonne à toute la contrée d’obéir à la princesse. Là, une noble famille appelée Osdan,[194] dit [l’historien], est une race royale issue de cette dernière. Enfin Anouïsch, la première des femmes d’Astyage, et beaucoup de jeunes princesses ses filles, avec de jeunes garçons et beaucoup d’autres captifs, au nombre de plus de dix mille, furent établis dans le pays situé depuis l’orient de la grande montagne (l’Ararat) jusqu’aux contrées de Koghten,[195] pays qui comprend Dampad, Osguiogh,[196] Tajkouïnk.[197] On leur concède aussi, sur les rives du fleuve (Araxe), les autres villages dont l’un est Vrandchounik[198] jusqu’en face du fort de Nakhdjavan,[199] les trois bourgs Khram, Dchougha[200] et Khochagounik;[201] de l’autre côté du fleuve, toute la plaine qui va d’Ajtanaghan[202] jusqu’au même fort de Nakiidjavan. Quant à la princesse Anouïsch, Tigrane l’installe avec ses fils sur un vaste territoire au pied des ruines de la grande montagne, amenées, dit-on, par l’effet d’un horrible tremblement de terre,[203] comme le racontent les voyageurs qui, par ordre de Ptolémée, mesurèrent non seulement le séjour des hommes, mais aussi en partie la mer et les contrées désertes depuis la zone torride jusqu’au pays des Cimmériens (Kimiouron).[204] Tigrane donne à Anouïsch, des serviteurs pris parmi ces mêmes Mèdes établis au pied de la montagne. Ceci est confirmé par les chants métriques[205] que conservèrent avec passion, comme je l’ai appris, les habitants du Koghten, canton fertile en vin, dans lesquels sont mentionnés Ardaschès[206] et ses fils, et d’une manière allégorique les descendants d’Astyage, sous le nom de descendants du dragon, car Ajtahag, dans notre idiome, veut dire dragon. On dit encore qu’Arkavan[207] donna un festin en l’honneur d’Ardaschès, et lui dressa des embûches dans le temple des dragons. Ardavazt,[208] le vaillant fils d’Ardaschès, ne trouvant pas d’emplacement convenable pour un palais, lors de la fondation d’Artaxata (Ardaschad),[209] alla bâtir chez les Mèdes Maraguerd,[210] située dans la plaine appelée Scharoura. La princesse Satinig,[211] dit-on encore, convoite avec ardeur, de la table d’Arkavan, l’herbe ardahour et l’herbette ditz.[212] N’admires-tu pas davantage ici encore notre véracité historique, et comment nous avons pu découvrir le secret des dragons qui habitent sur le libre Massis[213]? Ch. xxxi. Quelles sont les races issues de Tigrane, et quels sont les rameaux de ces races? Peindre avec exactitude et sincérité Tigrane premier, et rapporter tous ses actes, est pour moi, historien, une niche agréable au milieu de mes récits; et pour toi, lecteur, tous ces discours sur Tigrane, fils d’Erouant, seront remplis de charmes. Comme le héros et ses hauts faits nous intéressent, il en sera de même aussi de son histoire. C’est pourquoi il me plaît de nommer et de rappeler pour la valeur Haïg, Aram, Tigrane; car selon moi les fils des braves sont des braves. Quant aux hommes de second ordre, qu’un les appelle comme on voudra. Mais, d’après l’opinion adoptée lorsqu’il s’agit des héros, notre appréciation est juste il n’y a pas d’Aramazd; mais quelques-uns veillent qu’il y en ait plusieurs, même quatre appelés Aramazd, dont l’un est un certain Gunt Aramazd.[214] Ainsi beaucoup de princes se nomment Tigrane: un seul est descendant de Haïg, c’est celui qui tua Astyage, emmena sa maison en captivité, ainsi qu’Anouïsch, la mère des dragons, et, avec le consentement et l’appui de Cyrus, s’empara de l’empire des Mèdes et des Perses. Ses fils furent Pap, Diran, Vahaken,[215] au sujet duquel la fable dit: Le ciel et la terre étaient dans l’enfantement, La mer aux reflets de pourpre était aussi en travail, Dans la mer naquit un petit roseau vermeil, Du tube de ce roseau sortait de la fumée, Du tube de ce roseau jaillissait de la flamme, De cette flamme s’élançait un jeune enfant, Ce jeune enfant avait une chevelure de feu, Il avait une barbe de flamme, Et ses petits yeux étaient deux soleils. On chantait ses louanges au son du pampirn, et nous les entendîmes de nos propres oreilles; puis on répétait dans les chants ses combats, ses victoires contre les dragons, et ses exploits égalant ceux d’Hercule.[216] On disait même qu’il était placé au rang des dieux,[217] et, dans le pays des Ibériens (Virk), on lui éleva une statue à laquelle on offrit des sacrifices. De lui descendent les Vahnouni;[218] de son fils puiné Aravan sont issus les Aravéniens.[219] De Vahaken naquit Aravan; d’Aravan, Nerseh; de Nerseh, Zarèh; des rameaux de la race de Zarèh viennent les races appelées de Zarehnavan:[220] Armok,[221] premier-né de Zareh; Pakam, fils d’Armok; Van,[222] fils de Pakam; Vahé, fils de Van. Valsé périt en combattant contre Alexandre de Macédoine.[223] Depuis cette époque jusqu’au règne de Valasnace en Arménie, je n’ai plus rien de certain à te rapporter; car, au milieu du conflit des bandes insurgées, on voyait beaucoup d’ambitieux se disputer le gouvernement de notre patrie.[224] C’est pourquoi Arsace (Arschag) le Grand, ayant envahi sans peine l’Arménie, créa son frère Valarsace roi du pays des Arméniens.[225] Ch. xxxii. Guerre de Troie (Ilion) sous Teutamus. — Notre (roi) Zarmaïr, arec une faible troupe, s’unit aux Ethiopiens. — Sa mort. Ta studieuse ardeur nous impose deux conditions qui nous obligent à un travail fort difficile: un exposé court et rapide, et en même temps éloquent et sublime, un style platonique, exempt de fausseté et vrai en tout point; bref, une histoire non interrompue à partir du premier homme jusqu’à toi. Il est impossible de réunir toutes ces conditions; car le Créateur de toute chose, quoique pouvant tout créer d’un signe en un clin d’œil, ne le fait pas; mais il assigne des jours différents, des rangs distincts à ses créations; les unes sont créées le premier jour; les autres, le second et le troisième, et ainsi de suite.[226] Ici, la même marche nous est indiquée par la doctrine de l’Esprit-Saint. Tes désirs, nous le voyons bien, ne veulent pas se plier à de telles règles; il faut te dire tout avec exactitude, sans rien omettre et à l’instant même. Alors, il y aura des longueurs si l’histoire est développée comme tu le désires; ou précipitation, et alors tu ne seras point satisfait. Ainsi, et à cause même de ta pressante insistance, nous n’avons point parlé en leur temps, ni du Macédonien, ni de la guerre iliaque; nous rappellerons donc ici ces faits. Nous ne saurions dire s’il eût été d’un habile ou d’un mauvais artiste de travailler alors, ou aussi tardivement, ces pièces importantes et dignes d’être exposées ici. Quels doivent donc être les premiers de ces faits, sinon ceux que raconte Homère relativement à la guerre iliaque, sous Teutamus, roi des Assyriens, alors que notre Zarmaïr, soumis aux Assyriens, marche à la tête d’un faible détachement, avec l’armée éthiopienne, au secours de Priam ? Là [Zarmaïr][227] meurt frappé par les braves Hellènes, par Achille lui-même je le veux, et non par un autre héros.[228] Des fables des Perses, touchant Piourasb-Astyage.[229] Quel est donc chez toi cet amour pour les fables grossières et insensées de Piourasb-Astyage? et pourquoi cet empressement à connaître les contes incomplets, ridicules et absurdes des Perses, touchant sa première et perfide bonté; l’assistance que lui prêtent les dev, le pouvoir qu’il a de faire triompher l’erreur et le mensonge; le baiser des épaules, qui produisit l’enfantement des dragons; et depuis lors la recrudescence de sa cruauté, qui lui fait sacrifier les hommes aux appétits de son ventre? Puis, comment Firidoun (Hroutèn), l’ayant chargé de chaînes de bronze, le conduisit sur la montagne appelée Dembavend;[230] comment Firidoun s’endormit en chemin et Piourasb l’entraîna vers la colline. Firidoun se réveille, conduit Piourasb dans une caverne de la montagne, l’enchaîne, se place devant lui comme une barrière; atterré, Piourasb reste enchaîné dans ses fers et n’a plus k pouvoir d’aller dévaster la terre.[231] Quel besoin as-tu de ces fables mensongères, de ce fatras d’histoires absurdes et insensées? Sont-ce là, par hasard, ces fables grecques si nobles, si sensées et si raisonnables, qui sous une forme allégorique cachent des choses véritables? Mais tu nous dis de donner les raisons et le sens de leurs sottises et que nous embellissions ce qui est dépourvu d’ornements. [Reçois[232] de nous cette réponse: Qu’as-tu besoin de tout ceci? qu’as-tu besoin de connaître des choses qu’il est inutile de désirer et qui augmentent la somme de nos fatigues?] J’y consens toutefois en considération de la jeunesse, car c’est un caprice de ton âge non encore parvenu à la maturité. A cause de cela, nous allons satisfaire en ceci tes désirs. Exposé de tout ce qui a l’apparence d’une certitude touchant Piourasb. Je prendrai dans son sens le plus large l’axiome platonicien: « L’ami est-il à l’ami un autre lui-même? » Assurément non! Donc, après avoir pour toi fait le possible et l’impossible, nous ferons encore ici la même chose, car nous avons de l’antipathie pour ces histoires et ces récits, qui nous fatiguent l’oreille en les entendant [répéter], et voici qu’aujourd’hui, de ma propre main, je les écris, en donnant un sens à ces récits qui n’en ont pas; j’expose ici des choses anciennes, incompréhensibles pour les Perses eux-mêmes, pourvu qu’il y ait pour toi plaisir ou avantage. Mais surtout, n’oublie pas notre aversion pour de telles aberrations, puisque nous n’avons point cru convenable de les insérer dans nitre premier livre, pas même dans les dernières lignes, et leur place est tout à fait spéciale. Maintenant je commencerai ainsi: L’ancêtre des Perses, appelé par eux Piourasb-Astyage, vivait sous Nemrod. Lors de la division des langues sur toute la terre, il n’y avait ni confusion, ni absence de directeurs et de chefs, mais, sur un signe de la divine providence, des princes et des chefs de race furent désignés chacun pour régir des États organisés et puissants. Je connais parfaitement ce nom de Piourasb, c’est le centaure Pyrète, comme je l’ai trouvé dans un livre chaldéen.[233] Piourasb, non par l’effet de sa bravoure, mais par sa puissance et son adresse, possédait le gouvernement de sa nation, sous l’autorité de Nemrod. Il voulait enseigner que tout doit être mis en commun; il disait que personne ne doit posséder rien eu propre; que toute parole, toute action devaient être connues. Il ne pensait rien en secret, mais il révélait par sa parole tous les secrets de son cœur. Il autorisait ses amis à entrer [chez lui] et à en sortir, la nuit aussi bien que le jour. Cette manière d’agir est ce qu’on appelle sa première et sa perfide bonté. Habile en astrologie, ii voulait aussi apprendre l’art des maléfices, mais il ne peut réussir, car, nous l’avons dit plus haut, ii était habitué, par artifice, à tout faire au grand jour. Or, apprendre publiquement l’ensemble des arts magiques n’était pas chose possible; il simule, pour s’adonner à cette abominable étude, des douleurs corporelles, il feint des souffrances qui ne peuvent être guéries que par la vertu de quelques paroles, de quelque nom horrible, que très certainement personne ne peut entendre. Un esprit malin, qui pratiquait la science infâme, la lui enseignait dans la maison et même dans les lieux publics, et, posant la tête sur les épaules de Piourasb, sans lui faire aucun mal et lui parlant à l’oreille, il lui enseignait l’art des maléfices. Celui que les Perses, dans leurs fables, appellent le fils de Satan, servait Piourasb dans tous ses désirs; puis il lui demandait un présent et l’esprit lui baisait les épaules. En ce qui concerne la naissance des dragons, ou Piourasb même devenu dragon, voici le fait tel qu’on le raconte: Piourasb se mit à faire continuellement aux dev des sacrifices humains, jusqu’à ce qu’enfin, lassé de lui, le peuple le chassa. Il s’enfuit alors dans les contrées montagneuses mentionnées plus haut, et, comme on le poursuivait activement, son armée l’abandonna. Mon ceux qui le poursuivaient, croyant qu’ils n’avaient rien à redouter de lui, se reposèrent quelques jours en cet endroit. Piourasb, ayant rassemblé ses [soldats] dispersés, fond à l’improviste sur les ennemis, et leur fait éprouver de grandes pertes. Cependant ceux-ci plus nombreux finissent par l’emporter, et Piourasb s’enfuit [de nouveau]. Parvenu près de la montagne, il est tué, et jeté dans un gouffre rempli de soufre.[234]
[1] Le texte porte des grands Arméniens. [2] Cette rubrique présente quelque difficulté, et le sens en est assez obscur; on pourrait aussi traduire: Moïse de .Khorène parle de l’origine de notre [nation] en ces termes, à Sahag Bagratide, et le salue. [3] L’adjectif harousd que nous avons traduit par « maître » avec le sens de « roi ou dynaste » signifie à proprement parler « fort, riche, opulent ». Le mot ischkhan qui veut dire prince, s’entend ici des satrapes qui étaient souverains dans leurs domaines et ne relevaient que du pouvoir royal. — Cf. Indjidji, Antiq. de l’Arm. (en ami.), t. II, p. 78, 79. [4] Cf. sur la famille des Bagratides qui s’établit en Arménie sous le règne de Valarsace, le premier des Arsacides arméniens, et qui plus tard donna des rois à ce pays et à la Géorgie, lei savantes recherches du P. Indjidji (Antiq. de l’Arm., t. I, p. 313, et surtout, t. II, p. 96 et suiv.), qui a rassemblé tous les documents tirés des historien arméniens, et qui ont trait à cette famille illustre, à son histoire, à ses domaines, etc. [5] Trois manuscrits: « plus ornées ». [6] Cf. Aristée, Hist. de la version des Septante, dans la Biblioth. des Pères (Oxford, 1662. — Saint Epiphane, Traité des poids et mesures (éd. Petau, Paris, 1622), t. II, § 12, p. 168 et suiv. [7] L’arménien a traduit mot à mot le composé φιλελλην, par « ounasèr ». [8] Ce passage, que l’on a essayé d’interpréter de diverses manières, reste encore aujourd’hui une énigme qu’il semble impossible de pénétrer. On doit croire que c’est un passage corrompu par les anciens copistes qui, n’ayant pas saisi le sens de ce membre de phrase, auront dénaturé le texte, de façon à le rendre incompréhensible. [9] Le mot veb qui a habituellement le sens de « chant », signifie ici un « poème historique. » — Cf. Emin, Vebhk,... Chants de l’ancienne Arménie (en arménien), préface, p. 7. [10] Le mot azadouthioun qui a le sens de « liberté » veut dire ici des « terres libres », c’est-à-dire des « domaines de satrapes » lesquels étaient exempts d’impôts, comme les terres de l’Eglise. Le code de Mékhitar Kosch, connu sous le nom de Tadasdanakirkh et qui se conserve en manuscrit dans plusieurs bibliothèques, a très bien défini ce qu’il faut entendre par ces « terres libres » qui formaient autant de seigneuries indépendantes. — Cf. aussi Indjidji, Antiq. de l’Arum., t. II, p. 77. [11] Job, XXXVII, 20. [12] Cf. Thomas Ardzrouni, Hist. des Ardzrouni (en 1852), qui cite également Bérose et Abydène, à propos de l’histoire des premiers âges du monde. [13] Eusèbe, Chron., I, p. 46-47 (éd. Aucher). —Le Syncelle, p. 30. [14] Xisuthros. —Cf. Eusèbe, Chron., I, p. 40. [15] Alexandre Polyhistor; cf. Eusèbe, Chron., p. 28. [16] Eusèbe, Chron., I, p. 28-29. [17] Cf. Eusèbe, Chron., t. I, p. 26-28. [18] Trois manuscrits donnent la variante: « deux cents trente-sept ans. » [19] Josèphe, Antiq. judaïques, liv. I, ch. 2. — Vartan, Hist. univ. (en arm., Venise, 1862), p. 37. [20] Le nom de Caïnan ne se trouve pas mentionné en effet dans les ch. X et XI de la Genèse, ni dans le ch. I du liv. I des Paralipomènes, selon les Septante; cependant les manuscr. arméniens de la Bible intercalent dans la généalogie de Sem, Caïnan. Ainsi le verset 34 du dixième livre de la Genèse est, ainsi conçu: « Et Arphaxad engendra Caïnan, et Caïnan engendra Salah, et Salah engendra Héber. » Ce verset est reproduit dans la version arménienne des Paralipomènes, liv. I, ch. 1, vers. 18. [21] Manéthon, dans Eusèbe, Chron., I, p. 201, et Ch. Müller, Fragm. hist. graec., t. II, p. 526. [22] Le nom biblique de l’Égypte est que les Arabes ont gardé sous la forme m’ser. [23] Ce passage, qui est extrait des Ἀσσυριακὰ d’Abydène, est perdu en grec. Eusèbe l’avait déjà donné dans sa Chronique (éd. Maï et Zohrab, p. 36 ). — Cf. Ch. Müller, Frag. hist. graec., t. IV, p. 284, § 11. [24] Cf. Eusèbe, Chron., I, p. 109. [25] Ce nom manque dans les mss.; mais il faut le restituer pour l’intelligence du texte. [26] Ce passage du livre déjà cité d’Abydène est perdu en grec, et ne nous a été conservé que par Moïse de Khorène. — Cf. Ch. Müller, Fragm. hist. graec., t. IV, p. 285, § 12. [27] Ce fragment extrait de l’Exorde des Histoires de Céphalion que Moïse de Khorène nous a seul transmis appartient au livre I, intitulé Kleiw (Photius, Biblioth., cod. 68, p. 34. Ed. Bekk.), et a été reproduit par Ch. Müller dans le t. III des Fragm. hist. graec., p. 627, § 2. [28] Il est question ici de Mar Apas Catina. [29] Arius est peut-être le même qu’Arius d’Héracléopolis, dont Philon de Byblos a parlé dans un assez long fragment qu’Eusèbe nous a transmis dans sa Préparation évangélique (t. I, p. 40 D). — Cf. Müller, Fragm. hist. graec., t. III, p. 572. [30] Moïse fait allusion dans ce passage à Abydène qui, ainsi que nous l’avons vu plus haut (ch. 4), dit en parlant d’Adam: « Alorus régna dix sares, qui font trente-six mille ans. — Cf. aussi Eusèbe, Chron., I, 48. -—Le Syncelle, p. 30. ὅτι μιν τοῦ λεὼ ποιμένα ὁ θεὸς ἀποδείξαι Βασιλεῦσαι δε σάρους ι'. Σάρος δέ ἐστι χ' και γ' ἔτεα. [31] Cf. Abydène, dans Eusèbe, Chron., I, 48-50. [32] Cf. Abydène, Bérose, le Polyhistor, dans Eusèbe, op. cit., loc. cit. [33] Pausanias, Descript. de la Grèce, liv. X, ch. 12. — Josèphe, Contr. Appion. I, 19, 20. — Eusèbe, Chron., p. 38. — Coll. des oracl. Sibyllins, t. I, p. 331, 345 (Amst., 1689). et Alexandre, Oracula sibyllina, t. II, Excursus I, ch. 15, p. 82 et suiv. (éd. Didot). [34] Sur cette trilogie titanique, cf. Ewald, Geschichte des Wolk., liv. I, p. 373. [35] Ce passage semble être extrait en effet des oracles sibyllins (liv. III, § 2, vers 105-115):
Αὐταρ ἐπεὶ πύργος τ' ἔπεσε, γλῶσσαι τ' ἀνθρώπων — Cf. Alexandre, Oracula sibyllina, t. I, p. 102-103. [36] Cf. le Polyhistor, auquel Eusèbe avait lui-même emprunté ces passages (Chron., I, p. 38-39). [37] Asdghig, en arménien, a la signification de « constellée » c’est un mot formé de asdgh, « astre, étoile » en grec asthr, et du diminutif ig. Cette divinité était assimilée par les Arméniens et par les Grecs à Aphrodite (Agathange, Hist. de Tiridate, p. 168, note 2). Les temples d’Asdghig étaient à Aschdischad dans la province de Daron et à Bakhat dans le Vasbouragan, où se trouvait aussi un temple d’Aramazd (Moïse de Khorène, Hist. des vierges compagnes de Hripsimè, Œuvres, en arm., p. 301. —Lettre à Sahag Ardzrouni, Id.— Asdghig était, au dire d’Agathange, l’épouse du dieu annécien Vahakn. — Cf. Emin, Rech. sur le papan. arm., p. 15-16. Pour plus de détails, Indjidji, Antiq. de l’Arm., t. III, p. 60, 160 et passim. [38] Ce mot est un composé, qui veut dire « rebut des dieux. » [39] Comparer tout ce récit avec le liv. III des Orocula sibyllina, vers 116 à 141 (éd. de M. Alexandre, t. I, p. 102-105). [40] Cf. saint Epiphane, Œuvres, t. I, p. 704 (éd. Cologne, 1682), et Thomas Ardzrouni (Hist. des Ardz., p. 17) qui cite également ce Père de l’Église, à propos de la division des trois races humaines. [41] Genèse, XIV, 5; XV, 20. —Josué, XII, 14; XIII, 12. I, Paral., XX, 4. — Judith, VIII, 1 et passim. [42] Un Gorgias d’Athènes, auteur d’un livre Intitulé peri etairwn, est cité par Athénée, XIII, p. 583.— Cf. Ch. Müller, Fragm. hist. graec., t. IV, p. 410. Il est douteux qu’il soit ici question de David le philosophe surnommé l’invincible, car il était disciple de Moïse de Khorène. [43] On connaît plusieurs écrivains du nom d’Olympiodore; le plus célèbre est Olympiodore de Thèbes en Egypte, poète et historien, qui vécut au tempe d’Arcadius et de Théodose le jeune. Photius (Biblioth.; cod. 80) nous a conservé un long fragment de son Histoire, dont on trouve également quelques lignes dans Zosime (V, 27). — Cf. Ch. Müller, Frag. hist. graec., t. IV, p. 67-68). — Moïse de Khorène (Hist. d’Arm., liv. II, ch. 74) fait encore allusion à cet Olympiodore dans le courant de son Histoire: « Je vais, dit-il, rapporter le récit merveilleux d’un vieillard qui disait : Je tiens des anciens la coutume de recueillir de père en fils le souvenir des traditions, comme celle d’Olympiodore, au sujet de Daron et de la montagne appelée Sim. — David le philosophe cite à deux reprises différentes un certain philosophe du nom d’Olympiodore, dont il compare les idées à celles de Platon (Œuvres de David le Philosophe, en arm., p. 143, 164 ; Venise, 1833). [44] Cf. Indjidji, Géogr. ancienne, p. 70. — Selon Moïse de Khorène (liv. I, ch. 6), Sim fils de Xisuthre (autrement Sem fils de Noé) vint en Arménie et s’établit au pied d’une montagne à laquelle il donna son nom. Le même historien cite à propos de cette montagne le nom d’Olympiodore, historien grec dont les œuvres ne sont pas venues jusqu’à nous (liv. II, ch. 74) et qui est différent du philosophe néoplatonicien du même nom. Quoi qu’il en soit de ces traditions, nous savons seulement que les Arméniens appliquaient le nom de Sim aux montagnes qui partent de l’ouest de Van et s’étendent jusqu’au Tigre (St-Martin, Mém. sur l’Arménie, t. I, p. 54). [45] Le canton de Daron, l’un des seize districts de la province de Douroupéran, est assurément le plus connu de tous, car il s été souvent cité par les Grecs, les Latins et les Arméniens. Il paraît que souvent le canton de Daron donna son nom aux cantons environnants et même à la p1us grande partie du Douroupéran. (Indjidj, Arm. anc., p. 89 et suiv.) —Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I. p. 98-99). Strabon dit que le canton de Daron fut enlevé par Artaxias aux Syriens (Géogr., liv. XI, ch. 14, § 3). On sait du reste que ce pays, malgré son annexion à l’Arménie, fut toujours regardé par les Syriens comme faisant partie de leur habitation, et, même après la conversion des populations de ce pays au christianisme, le canton de Daron était encore peuplé de Syriens. Las principaux couvents, notamment celui de Saint-Jean précurseur, restèrent en la possession de moines syriens pendant assez longtemps (Zénob de Glag, Hist. de Daron, et Jean Mamigonien, Contin. de cette Histoire, Mémorial). L’histoire du canton de Daron est une des histoires particulières qui nous est le plus connue, grâce à de Zénob et de Jean Mamigonien, que nous venons de citer. [46] Rapprochez tout ce que Moïse de Khorène dit Ici des détails de la généalogie d’Arphaxad consignés aux ch. X et XI de la Genèse. Le nom de tzéronk n’est pas sans analogie avec celui de Phaleg qui, en hébreu, a également le sens de « dispersion ». — Cf. Renan, Hist. des lang. sémit., p. 30 de la 3e édition. [47] Zarouant ou Zarevant est un des cantons de la Persarménie, province qui fut souvent placée sous la domination des Perses. On suppose que c’est la même province qui est appelée Zoaranda on Zoroanda par Pline (Hist. nat., liv. VI, ch. 27). [48] Manéthon, dans Syncelle, p. 18 C, et 51 B, qui a lui-même emprunté les renseignements qu’il donne, à la Chronique d’Eusèbe (éd. Aucher, t. I, p. 200.). — Ch. Müller, Frag. hist. graec. t. II, p. 530 et 354. [49] Arsace V Mithridate I, cinquième successeur du fondateur de la dynastie des Arsacides de Perse, régna de l’an 173 à l’an 137 avant notre ère. — Cf. Saint-Martin, Fragm. d’une Hist. des Arsacides, t. I, p. 330 et suiv. [50] Procope (de Aedificiis, III, 1), qui avait consulté les histoires de l’Arménie, raconte, probablement d’après Moïse de Khorène, l’avènement au trône de Vagharschag. Καὶ τότε τις τῶν ἐν Πάρθοις βασιλέων τὸν ἀδελφὸν τὸν αὑτοῦ Ἀρμενίοις βασιλέα κατεστήσατο Ἀρσακὴν ὄνομα, ὥσπερ ἡ τῶν Ἀρμενίων ἱστορία φήσι. [51] Cf. sur les conquêtes de Mithridate I, et rétablissement de Valarsace, son frère, comme roi d’Arménie, les Fragm. d’une hist. des Arsacides de Saint-Martin, t. I, p. 36, 37 et suiv., 364 et 354 suiv. 419 et suiv. [52] Valarsace, frère d’Arsace V appelé aussi Mithridate Ier, fut choisi par son frère pour gouverner les Arméniens, qui avaient volontairement appelé les Parthes, à la suite des troubles qui agitaient leur pays. Ce prince, qui fut le fondateur de la dynastie arsacide d’Arménie, régna de l’an 149 av. J.-C. jusqu’à l’an 127. — Cf. Moïse de Khorène, Histoire d’Arménie, liv. II, ch. 3 et suiv. — Jean Catholicos, Histoire d’Arménie, éd. St-Martin, ch. viii, p. 9. [53] Un ms. donne la variante Mar Ipas Catina. — Le Pseudo-Agathange (Cf. Sébéos, Hist. d’Héraclius, éd. Mihrtad, 1851, p. 1) l’appelle Marappas en un seul mot. [54] Il ne paraît pas probable qu’au temps de Mithridate Ier, cinquième roi (sixième, selon P. Orose, liv. V, ch. 4) parthe de la dynastie des Arsacides, qui vivait dans le courant du deuxième siècle avant notre ère, la ville de Ninive fût encore debout et renfermât des archives royales (Cf. Quatremère, dans le Journal des Savants, juin 1850). Mais on peut croire que, par archives de Ninive, il faut entendre soit les débris de ce dépôt qui auraient été rassemblés par les soins des Séleucides et seraient ensuite passés aux mains des rois parthes, qui les possédaient quand Mar Apas Catina vint les consulter; soit enfin les archives d’Ecbatane qui existaient encore sous les premiers rois de Perse, à ce que raconte Esdras (liv. I, ch. 8, vers. 1-2). [55] C’est ici que commencent dans Moïse de Khorène les extraits du livre de l’anonyme chaldéen compilé par Mar Apas Catina. [56] Les mots Ouin, « Grec », et Ounasdan, « la Grèce », qui sont la transcription des noms Iwn et Iwonia, sont également employés par les Arabes, sous la forme Iounan, opposition aux Roumis qui sont les Grecs modernes. [57] On ne saurait mettre en doute ici qu’il s’agit d’un ouvrage historique, appartenant à la littérature nabatéenne, dont la science s’est fort occupée dans ces derniers temps (Cf. à ce sujet E. Quatremère, Mémoire sur les Nabatéens, dans le Journal asiatique, 1835. — Chwolsohn, Die Ssabier und der Ssabisimus, Pétersb., 1856, t. I, p. 705 et suiv., t. II, p. 910.911. — Le même, Ueber die Ueberreste der Altbabylonischen Literatur in Arabischen Uebersetzungen, Pétersb., 1859. — Renan, Hist. des langues sémitiques, 3e édit., 1863, p. 242 et suiv.) Cet ouvrage, dont l’auteur n’est pas nommé, n’est pas l’œuvre de Bérose, comme l’a supposé E. Quatremère, dans le Journal des Savants (1850, p. 364 et suiv.); il est plus probable que c’est un écrit chaldéen qui, ayant été traduit dans la langue grecque, aurait été attribué à Bérose, sur le compte duquel l’antiquité classique se plaisait à placer tous les écrits de la littérature babylonienne dont elle avait eu connaissance. (Cf. notre Mémoire sur les sources de Moïse de Khorène, dans les Mélanges asiatiques de l’Académie des Sciences de St. Pétersb., et Bulletin de la même compagnie, t. III, p. 531 et suiv.) [58] Medzpine était une ville du pays des Aghedznik, dans la partie de la Mésopotamie qui appartenait aux Arméniens. Elle fut, pendant toute la durée de la dynastie arsacide, la capitale du royaume, et cessa d’être la résidence des rois à l’époque où Abgar, premier prince chrétien de l’Arménie, transporta le siège de son gouvernement à Edesse (Moïse de Khorène, Hist. d’Arménie. liv. II, ch. 27). Aujourd’hui Medzpine s’appelle Nisibe, nom qu’elle porta aussi pendant l’antiquité et le moyen âge. [59] L’histoire de l’écriture chez les Arméniens est un des problèmes le plus intéressants que l’antiquité nous ait légués. On ne sait que fort peu de chose à ce sujet, et tout ce que l’on en peut dire se borne à quelques passages obscurs, conservés dans les historiens et les écrivains arméniens, et qui peuvent donner lieu à beaucoup de controverses. Toutefois on doit présumer, non sans quelque raison, que le mode d’écriture en usage chez les anciens Arméniens, à l’époque qui précéda l’avènement de la dynastie arsacide, était le même que celui employé par les Assyriens, les Babyloniens et les Achéménides, et que l’on désigne, à cause de la forme des signes, sous le nom générique d’écriture cunéiforme. En effet, on a découvert à Van, à Malatiyah, à Palou, au Kehlachum et en dernier lieu à Kalincha ou Kanlidja, des inscriptions cunéiformes, appartenant à un système d’écriture différent de ceux employés par les Assyriens, les Babyloniens et les Achéménides, et que l’on croit être conçues en langue arménienne ancienne ou arméniaque. (Cf. Schultz, Mémoire sur le lac de Van, dans le Journal asiatique, 1840, p. 257 et suiv. — C. Hitler, Monatsberichte über die Verhandlungen der Gesellschaft für Erdk. in Berlin, 1840, p. 70 et suiv. — G. F. Grotefend, dans les Original papers read before the Syro-Egypt. Soc. of London, t. I, p. 127 et suiv. — A. Layards, Niniveh and its remains, t. II, p. 137. — Le même, Inscript. in the cuneiform character from Assyr. monuments, f. 74. — Khanikoff, dans les Mélang. asiat. de l’Acad. des Sc. de St. Pétersbourg, t. III, p. 76 et suiv. — Brosset et Kunik, Notice sur deux inscr. cunéiformes de l’Arménie russe, dans les Mélang. asiat., t. IV, p. 671 et suiv.). Bien que la lecture de ces inscriptions, dites arméniaques, soit encore un problème, puisque les savants ne sont pas d’accord sur l’idiome qu’elles représentent, et que les uns veulent y voir une langue sémitique (Saulcy, Recherches sur les inscriptions de Van, Paris, 1848), les autres une langue indo-européenne (E. Hincks, dans le Journal of the Royal asiatic Soc. of Great Britain, t. IX, p. 387 et suiv.), les troisièmes enfin un idiome composé d’éléments touraniens et arméniens, mais n’ayant rien de sémitique (Mordtmann, dans la Zeitschrift der D. M. G., t. XIII, p. 704-705), nous croyons qu’un jour ou l’autre, on pourra découvrir le moyen de les déchiffrer, en s’aidant des méthodes qui ont contribué à expliquer les inscriptions assyriennes et celles des Achéménides. M. J. Oppert, qui s’est occupé aussi des inscriptions dites arméniaques, croit que ces textes cachent, à n’en pas douter, un idiome indo-européen, et il a à plusieurs reprises exprimé cette opinion (Archives des missions scientifiques, t. V, p. 179 et suiv. — Athenaetum français, 1854. Remorques sur les différ. écrit, cun., p. 992, col. I. — Expédition de la Babylonie, t. II, p. 9.). Quoi qu’il en soit, il paraît certain que l’ancienne langue arménienne qui, on le sait, est composée en notable partie de racines indo-européennes (Neumann, dans la Zeitschrift für die Kunde des Morg., T, p. 242. — Gosche, de ariana linguae gentisque Armen. indole, p. 50 et suiv.), et de quelques éléments sémitiques, par suite du mélange de la race d’Haïg avec les populations araméennes primitivement établies sur le sol de l’Arménie (Renan, Histoire des langues sémitiques, liv. I, ch. II, p. 52), a été écrite d’abord avec des caractères cunéiformes. A une époque relativement plus moderne, et qui s’est prolongée jusqu’au quatrième siècle de notre ère, l’antique écriture en forme de clous fut abandonnée, et les Arméniens employèrent pour écrire leur langue les caractères persans, grecs et syriens (Agathange, Histoire de Tiridate, éd. Ven., p. 85, 136.— Moïse de Khorène, Histoire d’Arménie, liv. III, ch. 4 et 52.— Lazare de Pharbe, Histoire d’Arménie, éd. Ven., p. 27. — Diodore de Sicile, liv. XIX, 23. — Polyen, liv. IV, ch. 8, § 3). Cependant on raconte qu’au temps d’Arsace les Arméniens avaient un système graphique qui leur appartenait en propre (Philostrate, Vie d’Apollonius de Tyane liv. II, ch. 2); ce fait serait de nature à modifier toutes les idées reçues jusqu’à présent sur l’emprunt que les Arméniens avaient fait aux Perses, aux Syriens et aux Grecs de leurs alphabets. Il pourrait se faire en effet que, dans quelques provinces de l’Arménie, on se fût servi d’un alphabet national, tandis que dans d’autres au contraire, et notamment dans celle, qui étaient limitrophes de la Perse, de la Syrie et des possessions grecques, on aurait employé les caractères propres aux idiomes parlés dans le voisinage. Dans la première hypothèse, l’alphabet dont l’invention est attribuée à Mesrob, écrivain du cinquième siècle, aurait été en usage depuis un temps assez long dans certaines parties de l’Arménie, et ce personnage n’aurait fait que le réformer, et le compléter par l’addition de quelques caractères, et l’introduction des signes voyelles (cf. notre Mémoire sur la culture des lettres en Arménie, dans la Revue d’Orient, 1863), et le tirage à part, p. 12-13.—J. B. Emin, de l’alphabet arménien, dans sa traduction russe de Moïse de Khorène (Moscou, 1858), p. 381 et traduction française de cette note dans la Revue d’Orient (1865), L’alphabet arménien). Chacun sait que l’alphabet syriaque, — et cela a lieu dans presque toutes les langues sémitiques, — est dépourvu de voyelles, et qu’il fut complété au huitième siècle de notre ère, au moyen de signes voyelles empruntés à l’alphabet grec (cf. Assemanni, Bibliotheca orientalis, t. I, p. 64 et suiv.; t. III, 2e p. p. 378. — Renan, Hist. des langues sémitiques, p. 291 et suiv.). On reconnaît également à première vue que les voyelles arméniennes sont la copie des voyelles grecques légèrement altérées, et il est évident dès lors que Mesrob, auquel les historiens arméniens, et particulièrement Moïse de Khorène (Hist. d’Arménie, liv. III, ch. 52-54), attribuent l’invention des voyelles, et qui avait été en Grèce, pour travailler à la recherche de l’alphabet dont il voulait doter son pays, se décida dans ce dernier pays à emprunter aux Grecs les signes voyelles qu’il fit entrer dans l’alphabet arménien (Moïse de Khorène, op. cit., liv. III, ch. 53). On peut lire l’histoire miraculeuse de la découverte des caractères arméniens, non seulement dans Moïse de Khorène, mais aussi dans Histoire universelle de Vartan (éd. Ven., 1882, 49 et suiv.) et dans Açogh’ig (Hist. universelle, Paris, 1859, 2e partie, ch. I), qui racontent qu’une main invisible traça, sur les rochers du Palou, les caractères arméniens, devant Mesrob, comme autrefois Dieu avait révélé au législateur Moïse la loi d’Israël sur le mont Sinaï. En résumé, ce fut seulement au cinquième siècle de notre ère que l’alphabet arménien oncial (iergathakir, écriture de fer), ou comme on l’appelle encore, l’alphabet mesrobien, qui avait remplacé les caractères syriens, pelhvi et grecs, fut mis en usage parmi les Arméniens, et dès lors il fut constamment employé pour la transcription des écrits conçus dans l’idiome national. Cet alphabet se composa d’abord de 22 lettres, puis de 14 (cf. Emin., op. cit., de l’alphabet arménien), et enfin plus tard, au xiie siècle, on y ajouta deux nouveaux caractères également empruntés à l’alphabet grec, et qui étaient destinés, le premier, o, à remplacer la diphtongue au, et le second, j, à rendre le son p ou ph, le j grec, dont la forme n’a presque point subi d’altération, et qui est encore très reconnaissable aujourd’hui, même dans l’alphabet cursif ou nodorkir, assez différent des caractères iergathakir ou onciaux. Le lecteur qui voudra étudier à fond la question si intéressante de l’alphabet arménien consultera avec fruit la savante notice de M. Emin, qui a tiré des textes arméniens des données toutes nouvelles et a éclairci, avec cette sagacité qu’on lui connaît, une question qui, avant lui, était toujours restée insoluble. Il est bon de tenir compte des observations du P. Karékin, mekhitariste de Venise, contenues dans son Histoire de la littérature arménienne (eu arm., Venise, 1865), au sujet de l’alphabet arménien, chapitre intitulé « Caractères » (Kir) p. 8 et suiv., où ce savant a également émis, au sujet de l’invention des caractères, des idées fort ingénieuses. [60] La légende de la destruction de la Tour de Babel par suite d’une tempête soulevée par la colère céleste, se trouve aussi bien chez les auteurs profanes que dans les écrits apocryphes de l’Ancien Testament, et en cela elle diffère du reste de la Genèse, qui dit seulement que le Seigneur, ayant confondu le langage des constructeurs, ceux-ci se dispersèrent et cessèrent de bâtir leur ville (Genèse, ch. XI, versets 4-9. —Abydène, Fragm. histor. graec., éd. Müller, t. IV, p.282. —Alexandre Polyhistor, ext. du Syncelle, p. 44, Fragm. hist. graec., t. II, p. 502, 10; t. III, p. 212. — Josèphe, Antiquités judaïques, liv. I, ch. 4). Ces deux derniers, d’après une tradition qu’ils appellent la Sibylle, racontent que, les hommes ayant bâti, une tour très élevée, les dieux excitèrent contre eux une violente tempête qui la renversa. Ces deux témoignages sont non seulement d’accord avec ce que raconte l’auteur chaldéen dont Mar Apas Catina rapporte ici le texte, mais ils sont encore corroborés par un passage du Livre du juste ou de la génération, composition apocryphe, dont on doit la traduction faite sur le texte hébreu rabbinique au chevalier Drach (cf. Dictionnaire des Apocryphes [Migne, 1858], t. II, p. 1069 et suiv.), qui dit que la terre, ayant ouvert sa bouche, engloutit un tiers de la tour, et qu’un feu descendu du ciel consuma un autre tiers, mie laissant subsister qu’un troisième tiers qui existe jusqu’à présent. La tour de Babel ou tour de Bélus n’est autre chose que la Birs Nimrod dont les ruines sont encore très apparentes dans la Babylonie (Fresnel, Journal asiatique, juin 1853. — Oppert, Expéd. de la Babylonie, t. I, p. 132 et suiv. et dont on trouve aussi la mention dans Hérodote, liv. I, 178, 183.) [61] Le nom de Babel, signifie confusio (linguorum). La critique moderne a reconnu que la légende de la Tour de confusion, fondée sur l’étymologie fictive du nom de Babri, reposait sur l’extrême difficulté que les diverses classes de la population de Babylone y trouvaient à s’entendre (Renan, Hist. des lang. sémit., liv. I, ch. 2, p. 58). [62] Haïg, que les traditions arméniennes nous représentent comme le premier patriarche de la nation, n’est autre chose que l’éponyme national. Les Arméniens, de toute antiquité, se sont appelés Haïk, nom qu’ils portent encore aujourd’hui. [63] Un ms. donne la variante Kamir. [64] Thiras n’est pas nommé dans la Genèse; c’est un personnage mythique dont la création remonte au premiers temps du christianisme. Les Arméniens l’ont placé entre Gomer et Thorgom, où il sert de trait d’union entre les fils de Noé et Haïg, en vue de rattacher les ancêtres nationaux aux filiations bibliques. Au surplus Moïse de Khorène n’est que l’écho de cette tradition, car il déclare dans son Histoire (liv. I, ch. 5) que Thiras n’est pas mentionné dans les Livres Saints, et qu’il a dressé la généalogie des patriarches de la nation arménienne sur la foi d’un savant syrien qu’il ne nomme pas. On sait que tous les peuples chrétiens de l’Asie font remonter, par un procédé identique, leurs ancêtres nationaux, éponymes ou, autres, aux enfants de Noé. Les premiers historiens chrétiens ont employé cette méthode syncrétique, en vue de trancher la question si grave des origines des peuples, et de ramener toutes les familles d’hommes à une commune origine biblique. C’est ainsi que « les Géorgiens, les Raniens, les Mowakaniens, les Hers et les Lecs, les Mègres (Mingréliens) et les Caucasiens, sont tous issus d’un même père nommé Thargamos, fils de Tharchis, fils d’Avanan (Iavan), fils de Japhet, fils de Noé. (Cf. les Annales de Wakhtanq, traduites du géorgien en français, par M. Brosset, dans son Histoire de la Géorgie, St. Pétersb., 1849, t. I. p. 15 et suiv.). — Une tradition identique existe chez les Afghans; cf. Hanway, Beschreib. der neusten Reichsveränder. in Persien, p. 19. [65] Un ms. donne la variante Aramaniag. [66] Moïse de Khorène donne en effet la généalogie des premiers patriarches de sa nation dans le ch. 5 du 1er livre de son Histoire. Selon lui, Haïg était fils de Thorgom; Haïg engendra Arménag, qui engendra Arainaïs, qui engendra Amasia, qui engendra Kégham, qui engendra Harma, qui engendra Aram, qui engendra Ara. J’ai déjà fait observer que le nom de Haïg est l’éponyme de la race; je dois en dire autant des noms d’Arménag ou Aramaniag, d’Aramaïs, d’Harma, d’Aram, qui tous sont dérivés du radical arm, et qui sont des formes plus ou moins différentes d’une des appellations spéciales de la race d’Haïg, et dont les Grecs et beaucoup d’autres peuples ont fait les noms Arménie et Arméniens (Cf. Moïse de Khorène, liv. I, ch. 12. — Jean Catholicos, Histoire d’Arménie, ch. 8. — Samuel d’Ani. Chronographie, éd. Zohrab et Maï. p. 24.). En arménien le mot arm a la signification de racine; mais je n’oserais pas affirmer avec certitude qu’il entre pour quelque chose dans la formation des appellations précédentes. [67] Bélus ou Bel paraît correspondre ici, dans le récit de l’historien, au Nemrod des Livres Saints (Genèse, X, 8, 9). Bel était une divinité assyrienne analogue au Jupiter des Romains (Rawlinson, On the relig. or the Babylonians and Assyrians, dans son Histoire d’Hérodote, t. I, p. 594 et suiv.). C’était l’Être primitif, le créateur de tout ce qui existe (Chwolsohn, Die Ssabier und der Ssabismus, t. II, p. 39, 165, 171). — Cf. aussi J-B. Emin, Recherches sur le paganisme arménien (Paris, 1864), p. 33 et 34. [68] Ce passage du récit de Mar Apas Catina, emprunté au livre chaldéen anonyme qu’il a compilé, révèle la présence, aux environs de l’Ararat, de populations autochtones antérieures aux Arméniens. Si l’on rapproche ce passage des données qui sont contenues dans les Livres Saints, on s’aperçoit bien vite que ces populations primitives ne pouvaient être que des Araméens, que nous savons avoir occupé une partie de l’Arménie et notamment Our-Kasdim qui est la même chose qu’Arphaxad ou pays des Kasdes. Il existe en effet une autre tradition conservée aussi par Moïse de Khorène (liv. I, ch. 6) qui fait arriver Sim, fils de Xisuthre, en Arménie, après le déluge, où il aurait fondé des établissements au pied des montagnes qui s’étendent depuis le lac de Van à l’ouest jusqu’au Tigre. Or, Sim, selon Moïse de Khorène, serait Sem, fils de Noé, qui aurait donné son nom à ces montagnes. De cette manière la présence de populations araméennes en Arménie antérieurement à l’arrivée de Haïg se trouverait ainsi démontrée. Il est probable que ce fut l’arrivée des Arméniens qui occasionna le mouvement des Araméens vers le sud, mouvement auquel est attaché le nom de Térach ou Tharé (Genèse, XII, 31), et qui détermina cette marche du nord.est au sud-ouest que les Sémites prennent aussitôt après la formation des grands empires de l’Asie, et notamment après l’établissement de celui de Babylone. Cette migration des Sémites vers le sud, ayant eu lieu vers l’an 2.000 environ avant notre ère, se trouve être en effet contemporaine de l’arrivée de Haïg ou des Arméniens dans le pays d’Ararat, que les chronographes axent vers l’année 2.107 avant notre ère. (Renan, Hist. des tangues sémit., liv. I, ch. 2, § 1 et 2). —St-Martin, Mém. sur l’Arménie, t. I, p. 407. —.Tchamitch, Hist. d’Arménie; en arménien, tables). Ce premier contact des Araméens et des Arméniens dans la région d’Arphaxad, explique la présence, dans la langue arménienne, d’éléments sémitiques fort anciens; aussi les analogies que Posidonius, cité par Strabon (Géogr., éd. Didot, liv. I, ch. 2, p. 34 et suiv.) croit trouver entre les Syriens et les Arméniens par la langue, les mœurs et la physionomie, ne sont peut-être pas sans fondements. M. Renan est toutefois d’un avis contraire (Lang. sémit., liv. J, ch. 2, § 2), et il considère ces analogies comme des ressemblances purement superficielles. [69] Le mot zroïtz signifie en arménien « une histoire en prose, une tradition antique transmise oralement, puis recueillie dans la suite des Ages et consignée par écrit. » (Emin, Vebkh.... Chants de l’ancienne Arménie (en arménien), Moscou, 1850, Préface, p. 6 et 7. — Cf. aussi Etude sur les chants historiques de l’ancienne Arménie, dans le Journal asiat., 1832, et tirage à part, p. 9 et suiv.). Outre ces zroïtz, les anciens Arméniens avaient encore des vebkh «poésies traditionnelles ou historiques », auxquelles Moïse de Khorène a fait de nombreux emprunts. (Emin, op. cit., préface, p. 7 ) [70] Le canton de Hark, dans le Douroupéran, est le même que la Carka de Constantin Porphyrogénète, De ad. imp., ch. 44. [71] L’épithète de race ou maison de Thorgom, d’où les Arméniens ont tonné le nom de Thorgomatzi, est souvent donnée à leur nation (Ezéchiel, XXVII, 14). Ils prétendent en effet que le patriarche Thorgom, que les autres peuples appellent Thogorma, était fils de Thiras, fils de Gomer, ainsi que nous l’avons vu plus haut. Les Géorgiens et différents peuples du Caucase se donnent également le nom de Thorgamosiani, du nom de Thorgorma dont le fils aîné, Haos, serait le même que Haïg (Brosset, Hist. de la Géorgie. t. I, p. 15 et suiv.). Toutefois cette tradition est purement biblique, et n’a eu cours en Arménie et en Géorgie qu’après l’introduction de la foi chrétienne, puisque Mar Apas Catina dit qu’Haïg était fils de Thaglat, qui est un nom d’origine babylonienne, et qui entre dans la composition de plusieurs appellations royales, comme Thaglat Pileser, etc. L’assimilation que Moïse de Khorène a tentée entre les deux noms de Thorgom ou Thorgoma et Thaglat est sans fondement, et n’a eu d’autre but que de rattacher les traditions nationales aux données fournies par les textes sacrés. [72] La montagne dont il est ici question est probablement une de celles qui font partie de la chaîne qui s’étend depuis l’Araxe jusqu’aux bords de l’Euphrate, du Tigre et du lac de Van. La partie de cette chaîne qui est la plus élevée et qui est perpétuellement couverte de neige, porte chez les Arméniens le nom de Masis, qui est considéré comme l’Ararat des Livres Saints. Toutefois il paraît que ce nom de Masis, qui ne s’applique maintenant qu’aux parties montagneuses de l’Arménie centrale, s’étendait autrefois bien plus loin vers le midi, du côté de la Mésopotamie, car les anciens géographes désignent sous le nom de Masius, la partie du Taurus, voisine d’Amid, qui séparait l’Arménie de la Mésopotamie. (Strabon, Géogr., liv. XI, ch. 12, p. 447. — Ptolémée, liv. V, ch. 18. — Ammien Marcellin, liv. XVIII, ch. 6). Les auteurs arméniens donnent encore au Masis, le nom de Medj-Liaren, « grande montagne », parce qu’il est le point le plus élevé de leur pays (Moïse de Khorène, Hist. d’Arm., liv. I, ch. 30. — Faustus de Byzance, Hist. d’Arm., liv. V, ch. 25). [73] Au cinquième siècle, les peuples de la partie sud-est de l’Arménie portaient le nom de Gatméan, ou Galmeagan. Quelques critiques, et Sainte-Croix en particulier, ont confondu Gatmos avec Cadmos; nous n’avons pas besoin d’insister sur l’impossibilité d’une semblable analogie qui n’est basée que sur une ressemblance de noms, purement accidentelle. [74] Le lac de Van, le plus grand des lacs de l’Arménie, est situé dans sa partie méridionale au-delà du Tigre. Les Arméniens lui ont donné différents noms, tels que lac ou mer d’Aghthamar, des Peznouni, de Reschdouni, de Dosp et de Vasbouragan. C’est le même que les géographes grecs appellent lac d’Arsène, d’Arsissa ou de Thopitis (Strabon, Géogr. liv. XI, ch. 14, p. 453. —Ptolémée, liv. V. ch. 13). Le lac de Van est salé, aussi portait-il encore chez les Arméniens le nom de Aghidzov, « mer salée ». (Moïse de Khorène, Géographie, dans Saint-Martin, Mém. sur l’Arménie, t. II, p. 361. — Indjidji, Arménie ancienne (en arm.) p. 172. — L. Alischan, Géograph. universelle; Arménie, p. 87. — Saint-Martin, Mémoires sur l’Arménie, t. I, p. 54 et suiv.). L’espèce des petits poissons, dont parle ici l’auteur, se trouve encore dans le lac de Van, au dire de Jaubert (Voyage en Arménie, p. 138-139). [75] L’Haïotz-tzor porte encore actuellement le nom vulgaire d’Haïou-tzor (Mékhitar abbé, Dictionn. géogr. (en arm.), p. 304. — Indjidji, Géogr. anc., p. 199-200. — Le même, Arménie moderne, p. 144. — L. Alischan, Géogr. de l’Arménie, p. 94). [76] Indjidji (Arm. anc., p. 200. — Le même, Arménie moderne, p. 145, dit que cette localité s’appelle aujourd’hui Kérezman medj, « le grand tombeau », ou Satanoi Kérezman, « tombeau de Satan ». La Géographie de Pappus d’Alexandrie, qui nous a été conservée en partie dans celle de Moïse de Khorène, dit que ce fut dans l’île de Troprobane qu’eut lieu la chute de Satan (Cf. Saint-Martin, Mémoires sur l’Arménie, t. II, p. 377). Toutefois nous devons dire que ce passage est interpolé, car il ne se trouve même pas dans tous les manuscrits. [77] Le père Arsène Bagratouni, mékhitariste, a publié à Venise en 1858, en arménien, un poème épique en vingt chants, intitulé Haïg, qui est, sans nul doute, la plus magnifique épopée imaginée par le génie poétique des Arméniens. Le style en est très élevé et les vers sont habilement cadencés: on doit regretter seulement que l’auteur ait représenté les anciens Arméniens comme étant monothéistes, car il est facile de démontrer la fausseté de cette opinion, en s’appuyant sur les plus anciens textes historiques qui nous sont parvenus. Au surplus M. Emin a annoncé devoir rendre compte de l’épopée d’Haïg du père Arsène, dans un travail spécial qu’il prépare en ce moment (Cf. Recherches sur le paganisme arménien (en russe), Moscou, 1864, et en français, Paris, 1864, p. 6).— Nous ferons remarquer en passant que les Arméniens ont donné le nom d’Haïg à la constellation d’Orion, comme on peut le voir dans la version arménienne de la Bible (Job, ch. 38, v. 31. — Isaïe, ch. 13, v. 10). Ce nom d’Haïg donné à Orion provient sans doute de la ressemblance que les Arméniens avaient cru découvrir entre leur éponyme et patriarche national, et Orion, qui était aussi un grand chasseur, haut de taille, bien fait et d’une force herculéenne (Diodore de Sicile, Biblioth. histor., liv. IV, ch. 85). [78] Un autre manuscrit porte, au lieu de Ouortouni, le nom des Kenouni. [79] Les trois satrapies dont il est ici question faisaient partie de la province de Douroupéran. — Les Manavazian possédaient le canton de Hark en apanage, et le conservèrent jusque vers l’an 220 de notre ère, après la mort de Tiridate (Dertad). A l’avènement de son fils Khosrov II, une guerre éclata entre les Manavazian et les Ouortouni, et le roi, pour mettre fin aux scènes de carnage et de dévastation auxquelles se livraient ces deux familles rivales, essaya de rétablir la paix entre eux. Ne pouvant y parvenir, il fit marcher son armée contre ces satrapes, et anéantit ces deux familles, dont les possessions furent données à l’évêque Aghpianos qui jouissait d’un grand crédit en Arménie (Faustus de Byzance, Hist. d’Arménie, liv. III, ch. 4). La ville principale des Manavazian s’appelait Manazguerd ou Mandzguerd; on trouve son nom souvent mentionné dans les auteurs byzantins sous les formes Melazdjerd, Melazkerd (Constantin Porphyrog., De admin. imp., ch. 44. — Cedrenus, t. II, p. 780. — Bryenne, liv. I), dans les écrivains syriens sous la forme Manazguerd (Aboulfaradj, Chron. syriaque, p. 22, 8, 244, 439) et chez les Arabes qui l’appellent Melazdjerd, Melazkerd (Aboulféda, Géogr., éd. de M. Reinaud, texte arabe, p. 394 et 395. — Annal. Mosl., t. III, p. 125, 145. t. IV, p. 112. —Cf. aussi Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p. 105). — Les Peznouni avaient pour apanage un canton situé au nord-ouest du lac de Van et qui faisait également partie de la province de Douroupéran. Cette satrapie subsista jusqu’au règne de Khosrov II qui, pour punir le chef de la famille des Peznouni, qui s’appelait Tadapen, de l’avoir trahi en faveur des Persans, le fit tuer, lui et toute sa famille, et réunit ses possessions au domaine royal (Moïse de Khorène, liv. III, ch. 2. — Faustus de Byzance, liv. III, ch. 8). — Les Ouortouni possédaient en apanage une plaine située sur les deux rives de l’Araxe et qui portait le nom de Pasen (Moïse de Khorène, liv. II, ch. 7). Quand Khosrov II détruisit cette famille en 320, il donna le pays d’Ouortoron qui formait son apanage à l’évêque de Pasen (Faustus de Byzance, liv. III, ch. 4). [80] La satrapie des Khorkhorouni, en vulgaire Khoschorni (Mékhitar, Dict. géogr.), faisait partie du Douroupéran; elle portait aussi le nom de satrapie des Maghkhazouni, du nom de Maghkhaz, chef de la garde de Vagharschag ou Valarsace fondateur de la dynastie arsacide d’Arménie (Moïse de Khorène, liv. II, ch. 7). La principauté des Khorkhorouni joua un rôle assez important dans les affaires de l’Arménie (Agathange, Hist. de Tiridate. — Mesrob, Vie de saint Nersès, ch. I. — Moïse de Khorène, liv. III, ch. 9. — Élisée, Hist. des Vartaniens, ch. 4. — Lazare de Pharbe, Hist. d’Arm., p. 114). Cette famille subsistait encore en 708, puisque le prince Vahram assista au concile de Bardaah, présidé par Sion, catholicos ou patriarche d’Arménie (Ganonkirk ou livre des canons de l’Eglise arménienne; ms. de la Bibl. imp.; anc. fonds 84, fol. 223 verso). — Le nom de Maghkhaz, qui était primitivement un nom propre d’homme, devint, dans le langage particulier du pays, synonyme de chef ou prince, car en effet, la forme de cette appellation, par suite de la transmutation du gh arménien en l, se rapproche tout à fait du mot arabe malek qui veut dire roi. Dans Agathange (p. 594, 647), on trouve le nom malkhazouthioun, comme titre de la fonction des Maghkhaz ou Malkhaz. Il est probable que c’est de ce nom Maghkhaz ou Malkhaz, qu’est venu plus tard le titre de mélik, en arabe malik, que portent encore aujourd’hui certains chefs arméniens de la Transcaucasie. On trouve le nom de Maghkhaz conservé encore actuellement chez les Arméniens de la Lituanie polonaise, sous le nom de Malkazouski. — Cf. Indjidji, Antiq. de l’Arménie. t. II, p. 139. [81] La chaîne des monts Arakadz, dans la province d’Ararat, se réunit à l’ouest au Barkhar, à l’est aux montagnes qui environnent le lac de Sévan et à celles de la province de Siunik. Le géographe Vartan rapporte que l’ascension de la montagne d’Arakadz exige une journée et demie de chemin depuis le pied jusqu’au sommet. Ce sommet est divisé en vingt-quatre grands pics, et au milieu se trouve une vallée où sont quatre autres sommets de rochers vis-à-vis les uns des autres, de manière à former une croix. Saint Grégoire consacra en cet endroit une croix miraculeuse. (Cf. Saint-Martin, Mém. sur l’Arménie, t. II, p. 416-417). L’Arakadz s’appelle aujourd’hui Allahgueuz (œil de Dieu) [82] Le pied d’Arakadz, en arménien Arakadzodn, est un canton de la province 1’Ararat, qui fut appelé dans le onzième siècle, canton d’Anpert. (Tchamitch, Hist. d’Arm., t. III, Tables, p. 135. — Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p. 108). [83] Cette île, qui remonte à une haute antiquité, était située dans la province d’Ararat, au nord de l’Araxe. Saint-Martin (Mém. sur l’Arm., t. I, p. 123) n’hésite pas à identifier Armavir avec l’Ἀρμαουρία de Ptolémée (liv. V, ch. 13). Cette ville resta, pendant une longue série de siècles, la capitale de l’Arménie et fut abandonnée pour Ardaschad ou Artazala, à la fin du premier siècle de notre ère. [84] Un manuscrit donne la variante Erasd. L’Araxe, aujourd’hui appelé par les musulmans Aras ou Ras, traverse l’Arménie dans toute son étendue de l’ouest à l’est, et reçoit dans sa partie supérieure bon nombre de rivières. L’Araxe était connu des anciens sous le même nom d’Ἀράξης. Il prend sa source dans les monts Abos (Strabon, liv. XI, ch. 14, 2), aujourd’hui appelés Bin-gueul [mille lacs], et se jette dans le Cyrus ou Gour, non loin de son embouchure. (Cf. Indjidji, Géogr. anc., p. 486. — Le même, Géogr. mod., p. 24 et suiv. — L. Alischan, Géogr. de l’Arm., p. 21) [85] Le canton de Schirag faisait partie de la province d’Ararat. Il est situé sur les bords du fleuve Akhourian et renferme les villes d’Ani, capitale des Bagratides arméniens depuis le huitième jusqu’au onzième siècle, et de Kars qui fut également le siège d’une dynastie Bagratide, durant les dixième et onzième siècles. — le canton de Schirag paraît répondre à la Sirakhnh de Ptolémée (V, 13, 9). Aujourd’hui ce pays est désigné par les Arméniens sous les noms de Schiragran et de Gharsou ergir (territoire de Kars). —Cf. Mékhitar, Dict. géogr. — Arakhel de Tauris, Histoire d’Arménie et de Perse au dix-septième siècle (en arm.)p. 36 et 51. — Indjidji, Géogr. anc. p. 416, 427. — Le même, Géogr. moderne, p. 121. [86] Deux manuscrits donnent la variante suivante après Kégham, Parokhari. [87] Les deux noms de Parokh et de Tzolag signifient en arménien, le premier « le glorieux » et le second « l’œil flamboyant ». Ces épithètes sont placées quelques lignes plus bas, à la suite des noms de ces deux personnages, et confirment ainsi leur étymologie. [88] Cette localité voisine de l’Ararat est mentionnée aussi par Elisée, Histoire des Vartaniens, ch. III, p. 60 (Venise, 1838, en arm.); sa position n’est pas très bien déterminée. Cf. Indjidji, Géogr. ancienne, p. 38. [89] La position de Tzolaguerd auprès de l’Ararat n’est pas exactement connue, car Mar Apas Catina est le seul écrivain qui ait fait mention de cette localité. Cf. Indjidji, Géogr. ancienne, p. 538. [90] Le lac dont il est question ici est celui de Kegham et de Kégharkhouni, du nom d’un petit canton situé sur ses rives occidentales. Il est dans la partie septentrionale de l’Arménie sur la rive gauche de l’Araxe et paraît répondre au lac appelé AucnitiV par Ptolémée (liv. V, ch. 12, 8). Les Arméniens l’appellent aujourd’hui lac de Sévan, du nom d’une petite île qui se trouve dans sa partie septentrionale et qui renferme un célèbre monastère, dont il est souvent question dans l’histoire d’Arménie. (Indjidji, Géogr. anc., p. 264. — Le même, Géogr. moderne, p. 2,6. — L. Alischan, Géogr. de l’Arm., p. 8, 13, 76.) [91] Le canton de Keghakouni ou Kegharkouni (Arakhel de Tauris, ch. 7, p. 79, 82) se trouvait dans le nord de la province de Siunik, dont il faisait partie. (Indjidji, Géogr. anc., p. 263). [92] La province de Siunik s’étendait depuis l’Araxe jusqu’au delà du lac de Sévan qu’elle environnait de toutes parts. Les limites de cette province ont beaucoup varié; dans l’antiquité, elles s’arrêtaient au confluent de l’Araxe et du Cyrus, et le pays comprenait les provinces d’Artsakh et de Phaïdagaran, les cantons de Koghten et de Nakhdjavan. La province de Siunik formait l’apanage de satrapes arméniens qui la possédèrent jusque vers le douzième siècle, et dont le titre, consigné dans les actes de la chancellerie de Byzance, était, au dire de Constantin Porphyrogénète (De caeremoniis, t. I, p. 397) Arcon tou SunhV. Les princes Orbélians devinrent ensuite maîtres de cette province, dont ils furent dépouillés par les musulmans. Nous possédons une histoire de la province et des princes de Siunik écrite par Etienne Orbélian au treizième siècle, et dont le texte arménien a été publié à Paris en 1859 (2 vol. in 12). M. Brosset vient d’en donner une traduction complète en français, à Saint Pétersbourg (1864, in 4°) sous le titre: Histoire de la Siounie par Stéphanos (Etienne) Orbélian. On peut croire que la province de Siunik est la même que la Sacassène de Strabon (liv. XI), Sacapène de Ptolémée (liv. V, ch. 13, 9). — Cf. Indjidji, Géogr. anc., p. 226 et suiv. —L. Alischan, p. 86. — Saint-Martin, Mém. sur l’Arménie, t. I, p. 142 et suiv. [93] Cf. Moïse de Khorène, Hist. d’Arménie, liv. II, ch. 7. [94] Cette ville était située dans la partie méridionale du canton de Kégharkouni, au pied du mont Kegh, sur les bords du torrent du même nom. Le roi Tiridate y fit élever, dans le troisième siècle de notre ère, un palais pour sa sœur Khosrovitoukhd ( Moïse de Khorène, Hist. d’Arménie, liv. II, ch. 90). Cet historien raconte qu’il le décora de magnifiques bas-reliefs et qu’il y fit graver une inscription en caractères grecs, en l’honneur de la princesse sa sœur. Karni n’est plus qu’un village qui a fait donner à la contrée voisine le nom de vallée de Karni ou Karnoudzor (Arakhel de Tauris, ch. I, p. 6; IV, 39, 45, 48 et passim. —Indjidji, Arm. anc., p. 265. — Le même, Arm. mod., p. 256). [95] Varj signifie en arménien, adroit, habile. [96] Cette rivière est un des affluents de l’Araxe; elle traverse Erivan, et porte aujourd’hui le nom de Zenguisou en turc, en arménien Zangou-ked [rivière de Zengui]. (Indjidji, Arm. mod., p. 25. — Le même, Arm. anc., p. 457 [97] La satrapie des Varajnouni se trouvait dans la province d’Ararat. Cependant il paraît que les membres de cette famille possédaient encore des apanages dans le Douroupéran et le Vasbouragan et qu’ils donnèrent leurs noms à des cantons de ces deux provinces (Cf. la Géogr. de Moïse de Khorène, dans Saint-Martin, Mémoires sur l’Arménie, t. II, p. 362 et 366). Les princes appartenant à la race des Varajnouni ont laissé peu de traces dans l’histoire; on sait toutefois qu’en 360 et quelques années plus tard, un certain Dikran [Tigrane] et un satrape du nom de Méhentag possédaient en apanage le territoire de Varajnouni (Mesrob, Vie de saint Nersès, en arménien, p. 61 et 75). Un Sahag Marzban [gardien des frontières], de la famille des Varajnouni, vivait en l’an 1000 de notre ère (Mathieu d’Édesse, Chronique, liv. I, ch. 33). Leur principauté cessa d’exister dans le courant du onzième siècle. [98] Le nom d’Aram, qui, selon notre historien, a été appliqué par les Grecs aux Arméniens, se retrouve sous la forme ArmenoV dans Strabon (Géogr., liv. XI, ch. 4, p. 432) qui dit que le thessalien Arménos qui faisait partie de l’expédition des Argonautes, donna son nom à l’Arménie. Justin (XLII, 2) raconte également la même fable. Le nom d’Arménie paraît avoir été appliqué au pays qui porte encore aujourd’hui cette appellation, à une époque fort ancienne et qui est vraisemblablement antérieure à celle à laquelle les Arméniens lui donnèrent le nom de pays d’Haïg ou Haïasdan. Dans les livres zends, l’Arménie, selon quelques critiques, est désignée sous le nom d’Eérieméno (Vispered, ch. I, 2. — Izechné, ch. 32, 33. 45. — Vendidad, ch. 22. — Cf. Anquetil Duperron (Zend Avesta, t. I, part. 2. p. 5). — Toutefois cette opinion n’a pas été admise par M. Max Müller (Science du langage, p. 260 de la trad. fr.). Eug. Burnouf suppose sans trop essayer de le démontrer que le nom de l’Arménie contient le même élément, airya (Commentaire sur le Yaçna, note 2, p. cvii). Il paraît toutefois fort difficile de trouver une racine indo-germanique dans le nom de l’Arménie, et nous croyons plutôt que cette appellation doit avoir sa racine dans les langues sémitiques. On sait que l’Arménie avant d’être occupée par la race d’Haïg, fut habitée par des Sémites ou Araméens. Or, le nom d’Aram est purement biblique et indique un ethnique comme Arphaxad et Canaan (Renan, Lang. sémit., liv. I, ch. 2, p. 28). Un des membres de la famille d’Aram, Masch (Genèse, X, 23), rappelle le mont Masius qui sépare l’Arménie de la Mésopotamie (Bochart, Phaleg. liv. ii, ch. 1), et on sait que les Araméens sortaient du pays de Kir [Gour ou Cyrus]. (Cf. Amos, IX, 7.) Le nom d’Aram qui semble indiquer une terre primitivement occupée par les Sémites, a persisté à rester l’appellation prédominante de l’Arménie, même après l’arrivée de la race d’Haïg, et cette appellation qui a toujours été celle que lui ont donnée les peuples étrangers, a été aussi acceptée par les Arméniens, bien que, dans leur langage national, le nom d’Haïasdan ait constamment prévalu. Le rapprochement que Bochart (Phaleg, liv. I, ch. 3) a fait entre les mots Har-mini de la paraphrase chaldaïque de Jérémie et le nom de l’Arménie, est, je crois, purement accidentel. Le nom d’Aram appliqué aux Syriens par Strabon, d’après Posidonius (I, 2, 34; XIII, 4, 6; XVI, 4, 27), provient, à n’en pas douter, de la même source que celui qui a servi à désigner l’Arménie, et il est présumable qu’il a été transporté de ce dernier pays en Syrie par les Sémites descendus de l’Arménie dans la Mésopotamie lors de l’émigration de Tharé. Ce nom d’Aram ou d’Aramée qui servait à désigner les contrées connues sous la désignation de Suria, forme abrégée d’Assuria, fut remplacé à l’époque des Séleucides par celui de Syrie. Toutefois le nom d’Aram ne se perdit pas entièrement, et il continua à désigner, en Orient, ceux des Araméens qui n’adoptèrent pas le christianisme, tels que les Nabatéens et les habitants de Carrhes Harran). — Cf. Quatremère, Mémoire sur les Nabatéens; dans le Journal asiatique, 1835 et tirage à part p. 70. — Renan, Hist. des lang. sémit., liv. III, ch. I, p. 2, 3 et suiv., note I. [99] Les Kouschans (Couschites) dont parle ici l’historien nous font remonter à l’époque la plus ancienne des annales du monde. La critique moderne, se basant sur les plus anciennes traditions consignées dans la Genèse et dans les livres zends, suppose qu’à une époque anté-historique, il existait sur le Tigre et le bas Euphrate une race étrangère aux Sémites, les Couschites, représentés dans les souvenirs des Hébreux par le personnage de Nemrod (Genèse, X, v. 8-10) et dans les écrite zends par le nom de Améretat , le merdad des Persans (Boetticher, Arica, p. 17; Rudim. myth. semit, p. 19, 20). Ces Couschites sont vraisemblablement les Cuthéens, les Kissioi d’Hérodote (Movers, die Phaenizier, t. II, p. I, p. 269, 276, 284 et s; t. II, p. 11, p. 104, 106, 388. — Knobel, Die Vœlkertafel der Genesis, p. 251, 339 et suiv.) identiques aux Céphènes, auxquels la tradition grecque attribuait la fondation du premier empire chaldéen (Ch. Muller, Fragm. hist. graec. t. I, p. 67). Les Couschites, établis d’abord dans la Susiane et la Babylonie, se répandirent sur l’Assyrie où ils fondèrent Ninive, Babylone et d’autres centres de populations groupées autour de Ninive. C’est à eux qu’est attribuée la première fondation de ces villes (Benan, Hist. des langues sémitiques, liv. I, ch. 2, p. 59). Refoulés plus tard par les Sémites vers le sud, où ils avaient conservé des établissements, les Couschites conservèrent leur nom jusque dans le moyen âge, dans les régions occupées encore à présent par leurs descendants du Yémen et de l’Ethiopie, les Hymiarites et les Abyssins. Michel le syrien, patriarche jacobite d’Antioche, qui, au douzième siècle, a écrit une chronique syriaque dont nous ne possédons plus que la version arménienne, donne aux Éthiopiens le nom de Kouschans, dérivé de la forme régulière Kousch ou Kous. —Selon Moïse de Khorène, le pays des Kouschans, ce pays répondrait à la Parthie ou Bactriane, puisqu’il dit que la ville de Pahl, que nous savons être la Baktra ou Bactres des Grecs, la Balkh des modernes, située à peu de distance de l’ancienne, entre les possessions actuelles de l’émir de Boukhara et du khan de Kaboul), était au pays des Kouschans. A l’appui de ce témoignage, on peut invoquer aussi celui du géographe Vartan qui dit également, qu’après le pays des Persans, on trouve « la terre de Kouschan, puis celle de Djen (le Djénastanou la Chine). » (Cf. Saint-Martin, Mém. sur l’Arménie, t. II, p. 438-437.) [100] Le canton de Gortouk ou Gortrik faisait parue de la province de Gordjaïk, nom composé qui annonce une fusion des deux races kurde et arménienne. Le pays des Gortouk paraît répondre à la région nommée Gorduaia par Ptolémée (liv. V, ch. 13, 5), tandis que la province de Gordjaïk semble être la même que la Gordyène (Strabon, liv. XI, ch. 14, 2. — Plutarque, Vies de Lucullus et de Pompée), ou la Corduène (Dion Cassius, liv. XXXVII. — Ammien Marcellin, XIV, 8; XXV, 7. — Pline, liv. VI, ch. 15) et le pays connu par Xénophon, sous le nom de pays des Karduques, populations qui étaient de son temps en possession de la contrée appelée encore aujourd’hui Kurdistan ou pays des Kurdes. (Cf. Saint-Martin, Mém. sur l’Arménie, t. I, p. 176 et suiv. — Indjidji, Géogr. anc., p. 138.) [101] Parscham, Parschamin (Moïse de Khorène, Hist. d’Arm., liv. II, ch. 13), ou plutôt Barchimnia, est une divinité d’origine assyrienne qui passa dans le panthéon arménien à une époque très ancienne. Barchimnia avait son temple au village de Tordan, canton de Daranakhi, dans la province de Bardzer Haïg. Agathange (Vie de Tiridate, p. 58 de l’édit. arm. de Venise) lui donne le surnom de « glorieux ou éclatant de blancheur », Spitakapar; et Ananie de Schirak (ms. de S. Lazare de Venise) l’appelle « assyrien », ce qui ne laisse aucun doute sur l’origine de ce dieu. Le nom de Barchimnia, en assyrien Barchamnin, signifierait, selon M. Emin, « le maître ou le seigneur de la guerre » (Recherches sur le paganisme arménien, p. 17-18). — Diodore de Sicile (liv. II, ch. I) parle d’un ancien roi d’Arménie appelé Barzanès, qui fut vaincu par Ninus. Malgré la ressemblance qui semble exister entre les noms de Barscham ou Parscham et Barzanès, il paraît impossible de les identifier, à moins d’admettre que Diodore n’ait fait une confusion entre les souverains de l’Assyrie et ceux de l’Arménie. [102] Césarée de Cappadoce, autrement appelée Mazaca, ou Maza en grec, prit le nom de Césarée sous Tibère, sans que ce nouveau nom, ait fait disparaître entièrement le premier. Mazaca est la transcription grecque du nom arménien Majak (Cf. Agathange, Vie de Tiridate, p. 594. éd. de Venise). Julien l’Apostat, irrité contre les chrétiens de Césarée, lui enleva ce nom et lui lit reprendre celui de Mazaca. [103] Une variante donne: Babaïs Kaghen. [104] L’historien entend parler ici de l’Asie Mineure, et plus spécialement de la Cappadoce qu’il dit avoir été occupée par son parent Mschag ou Majak, fondateur de Césarée de Cappadoce. [105] Mschag en arménien signifie « agriculteur, laboureur. » [106] Les manuscrits écrivent aussi Protin, Protoson. [107] On désigne sous le nom de Première Arménie, la province formée de la partie orientale de la Cappadoce et qui s’étend jusqu’à l’Euphrate. Elle sépare la Seconde Arménie de la Troisième, qui est au sud. Ses limites ont toutefois considérablement varié, selon que le nombre des émigrés arméniens venus de l’autre côté de l’Euphrate a été plus ou moins considérable. (Indjidji, Arm. mod., p. 309 et suiv. — Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p. 135 et suiv.) [108] Ces quatre provinces sont décrites dans la Géographie de Pappus, dont la traduction est attribuée à Moïse de Khorène ou à un de ses contemporains qui a intercalé dans le texte de Pappus des détails spéciaux sur l’Arménie. (Cf. Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t. II, p. 354-355 et 360-361. — Indjidji, Géogr. mod., p. 284, 322 et suiv.) — Ces provinces sont aussi connues des géographes sous le nom de Petite-Arménie (Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p. 180 et suiv). [109] Les Arméniens, comme tous les peuples dont l’origine est fort ancienne et qui font remonter leurs annales à une époque antérieure aux temps historiques, n’ont consigné par écrit que fort tard les traditions nationales. Leur histoire fut conservée d’abord par la tradition orale; et ensuite, à une époque relativement plus moderne, ces traditions furent recueillies et consignées dans des livres qui se conservaient, comme nous rapprend Moïse de Khorène, dans les palais des rois et dans les sanctuaires des temples (Hist. d’Arm. liv. I, ch. 3, 5 11, 27). Les traditions orales se composaient de chants, erk, de narMions, reb, et de traditions, zroïtz. Ces récits furent d’abord rassemblés dans des livres de traditions (Moïse de Khorène, liv. I, ch. 3, 6, 7) ou bien seulement gardés d’âge en âge dans la mémoire du peuple arménien; et ces derniers livres furent mis à profit, aussi bien que les traditions écrites, par l’Hérodote arménien (liv. I, ch. 2, 3, 9, 10). A côté de ces documents se rattachant à l’histoire positive, les Arméniens avaient aussi des fables ou mythes, arasbel, qui étaient des récits réels au fond, mais présentés sous le voile de l’allégorie ( Moïse de Khorène, liv. I, ch. 3, 5, 7, 12, 19, 30; liv. II, 50, 51, 54, 61, 70, etc. ) et qui peuvent être comparés à des légendes créées par l’imagination et où le merveilleux tient une plus grande place que la réalité (Emin, Vebk … préface et passim). — Ainsi que nous l’avons dit tout à l’heure tous ces chants, narrations, traditions et légendes furent rassemblés en corps d’ouvrage et conservés dans les palais des rois et dans les archives des temples. Les dépôts les plus célèbres en fait de documents de ce genre se trouvaient à Ninive (?), Medzpin, Edesse et Sinope (Moïse de Khorène, liv. I, ch. 2, 3; II, 27, 49). Il paraît que les prêtres n’étaient pas seulement les dépositaires des archives historiques de la nation, mais qu’ils étaient chargés en outre d’écrire, jour par jour, les événements qui touchaient en quelque façon, soit au sacerdoce, soit à la vie politique du pays. Ces annales étaient connues sous le nom d’histoire des temples. Moise de Khorène nous a conservé le nom d’un de ces prêtres annalistes d’Ani, Oghioub [Olympios] qui vécut dans la seconde moitié du premier siècle de notre ère. (Moïse de Khorène, liv. II, ch. 48. — Cf. aussi Emin, Recherches sur le paganisme arménien, p. 54.) —Peut-être doit-on rattacher à cette classe de prêtres historiographes, des fonctionnaires spéciaux chargés.de réunir les matériaux historiques et de les conserver. Moïse de Khorène donne à ces officiers le titre d’inspecteurs « véragatzouk » des mémoriaux (liv. I, ch. 21). Il est probable que Mar Apas Catina, qui fut chargé de recueillir les anciennes traditions nationales, était un inspecteur des mémoriaux. — Ce n’était pas seulement en Arménie que les prêtres étaient chargés d’enregistrer les faits historiques sur des livres conservés dans les temples, car à Rome, la même usage existait depuis une époque fort ancienne (Denys d’Halicarnasse, Ant. rom., XI, 62 ). Ce fait n’a pas échappé à l’auteur de la Vie de Jules César (t. I, p. 14, note 3). [110] Le nom de Sémiramis porté par la reine d’Assyrie, femme de Ninus, présente au point de vue philologique une étude assez curieuse. Un savant linguiste, M. Ph. Luzzato, suppose que cette appellation est tirée du sanscrit et qu’elle se compose du radical smri ou smar, « aimer » et du suffixe ma avec la voyelle de liaison a, ce qui donnerait la forme Smarama ou Smirama par suite de l’affaiblissement de l’a en i. D’après cette étymologie, le nom de Sémiramis acquiert le sens de celui qui aime (Le Sanscritisme de la langue assyrienne, p. 32. — Le même, Sur l’existence du Dieu assyrien Sémiramis dans le Journal asiatique, 1851). Diodore de Sicile (liv. II, ch. 4) donne toutefois une autre étymologie du nom de Sémiramis qui, selon lui, signifie « colombe » en langue syrienne. (Cf. Creuzer, Relig. de l’antiquité, trad. Guigniaut, t. II, p. I, p. 33. — Maury, Hist. des rel. de la Grèce antique, t. III. p. 211-212.) — On n’est pas d’accord aujourd’hui sur l’époque exacte où vécut Sémiramis et les dernières découvertes, amenées par le déchiffrement des textes cunéiformes, donnent à penser que la reine d’Assyrie ne serait pas l’épouse de Ninus, comme le disent Ctésias et Diodore de Sicile, mais bien la femme de Béloclius III, le dernier roi de la deuxième dynastie ninivite, qui vécut environ huit siècles avant notre ère. — Quoi qu’il en soit, nous croyons que la guerre entreprise par Sémiramis contre Ara roi d’Arménie n’est qu’une allégorie, et qu’il faut voir dans ces récits des historiens grecs et orientaux le développement de la puissance assyrienne cherchant à étendre sa domination sur les empires voisins et à les réduire sous le joug. [111] Les Recherches sur le paganisme arménien de M. Emin contiennent, touchant ces divinités dont la fonction était de lécher les plaies des guerriers tombés sur le champ de bataille et de les rappeler à la vie, de curieuses révélations. Il paraît que les dieux d’un rang inférieur qui s’appelaient Aralèz ou Arlèz, (mot composé dont la signification propre, en arménien, est « léchant continuellement »), étaient des êtres surnaturels nés d’un chien, à ce que nous apprend Esnig (Réfut. des hérésies, p. 98 et 100, éd. arm. De Venise). Ces dieux secondaires, qui étaient passés de l’Assyrie dans le panthéon arménien, persistèrent dans les croyances du peuple d’Haïg, même après l’introduction du christianisme, car Faustus de Byzance, auteur du quatrième siècle, en racontant la mort du général arménien Mouscheg, arrivée sous le règne du roi Varazdat, de la dynastie arsacide (384 ans après J-C.), ajoute que sa famille espérait que les Arlèz descendraient des espaces de l’air pour lécher la blessure de Mouscheg et le ressusciter (Faustus de Byzance, Hist. d’Arménie, liv. V, ch. 15. — Cf. sur le mythe des Arlèz la traduction russe de l’histoire de Moïse de Khorène par M. Emin (Moscou, 1858), p. 251-258, note 57. — Le même, Vebk.., p. 83 et suiv. — Le même, Recherches sur le paganisme arménien, p. 36 et suiv.) — Le mythe des Aralèz paraît avoir été connu des Grecs, car Platon, à la fin de sa République, raconte d’Er l’arménien qui fut tué dans une bataille, que son corps fut trouvé intact après le combat, et qu’ayant été ensuite rappelé à la vie, ce personnage donna des détails sur ce qu’il avait vu dans l’autre monde. (Cf. Œuvres de Platon, (trad. de V. Cousin), t. X. p. 279 et suiv. — Moïse de Khorène, traduction russe, ad calcem, note 57.) [112] Les mots ajoutés entre crochets manquent dans beaucoup de manuscrits. [113] Le mot dev qui a généralement citez les auteurs arméniens le sens de « bon génie », paraît avoir eu chez les premiers écrivains de l’Arménie et notamment dans Moïse de Khorène, le sens de « mauvais génie ». — Cf. Emin, trad. russe de l’histoire de Moïse de Khorène, p. 256, note 59. [114] Ce passage ne laisse aucun doute sur la nationalité assyrienne des Aralèz. M. Emin ne doute pas que l’Aralèz était représenté avec une tête de chien. (Traduction russe de l’Histoire de Morse de Khorène, p. 251.256, note 57 et Recherches sur le paganisme arménien, p. 39.) Il serait curieux de rapprocher le mythe des Aralèz du culte d’Anubis, ce dieu du panthéon égyptien caractérisé par une tête de chacal ou de chien, et qui avait présidé avec Horus aux détails de l’embaumement d’Osiris. Le chacal, dans la mythologie de l’antique Egypte, était le symbole d’Anubis, et on le représente couché sur des coffrets funéraires, comme un gardien des morts. [115] Les manuscrits présentent tous la même lacune en cet endroit. [116] Gartos fut surnommé Ara, du nom de son père, que lui imposa Sémiramis (Jean Catholicos, Hist. d’Arménie, ch. viii). [117] Quelques manuscrits disent: des fleuves. [118] Ce mot manque dans plusieurs manuscrits. [119] Le lac de Van ou d’Aghthamar dont il a été question plus haut. [120] Cet adjectif manque dans quelques manuscrits. [121] Cf. sur ces travaux gigantesques attribués à Sémiramis, Indjidji, Géogr. mod., p. 138-139. — Le même, Géogr. anc., p. 177-186. — Jaubert, Voy. en Arménie et en Perse, p. 136-137. — Schultz, Lettre à Saint-Martin, et notice de ce dernier, intitulée: Voyage littéraire en Orient de Schultz et découvertes qu’il a faites dans la ville de Sémiramis, dans le Journal asiatique, 1828. — Inscriptions de Van relevées par Schultz; dans le Journal asiatique, 1840, avec planches. — Léon Alischan, Géogr. de l’Arménie, p.49 et suiv. [122] Tous les détails circonstanciés que notre auteur donne ici sur la ville dont la fondation est attribués à Sémiramis et qui s’appela de son nom Schamiramaguerd sont confirmés par Diodore de Sicile, (liv. II, ch. 13, 14), par les géographes et les voyageurs modernes et notamment par Indjidji, Schultz, Jaubert et autres. Le nom de Schamiramaguerd fit place à celui de Vanaguerd ou Vanapert [ville ou château de Van], dont le nom s’est conservé intact jusqu’à nous. Ptolémée l’appelle Bouana (Géogr., liv. V. ch. 13, 21) et les Byzantins Iban. (Cédrénus, t. II, p. 774.) Cette ville dut son nom de Van à un roi d’Arménie ainsi appelé, qui la fit reconstruire, et ce nom finit par lui rester, bien que le souvenir de Sémiramis ait persisté pendant toute la suite des siècles. [123] Il s’agit ici des inscriptions cunéiformes en langue arméniaque (Oppert, Expéd. de la Mésopotamie, t. II, p. 9) qui jusqu’à présent n’ont pas été déchiffrées. Cependant on doit dire que ces inscriptions donnent des noms de rois complètement inconnus dans l’histoire, ce qui permettrait de supposer qu’elles ont été gravées par ordre de princes appartenant à une dynastie arménienne qui régnait à une époque fort ancienne sur les bords du lac de Van, dans le pays de Vasbouragan. On a là parmi les noms de ces princes celui du roi Argistès; (Scbultz, Inscriptions de Van, planche VI. — Hincks, dans le Journal de la Soc. asiat. de Londres, t. IX, n° 18, p. 387 et suiv.) qui se retrouve aussi dans une inscription récemment découverte à Kalincha, et dont le fac-simile a été donné dans les Mélanges asiatiques de l’Acad. des Sciences de Saint-Pétersbourg (t. IV, p. 674). [124] Cf. Diodore de Sicile (liv. II, ch. 13), qui dit que ces inscriptions étaient eu caractères syriens, c’est-à-dire assyriens. [125] Deux manuscrits donnent la variante suivante: « Dans son amour pour ses favoris, elle abandonne à ses amants et à ses courtisans toutes les affaires. » [126] Comparez ce récit de la mort de Sémiramis avec ce que disent Diodore de Sicile (liv. II, ch. 20) et Justin (liv. I, ch. 2). qui rapportent qu’à la suite de la conspiration de Ninyas contre sa mère, celle-ci lui remit l’empire et disparut, pour se mêler au rang des dieux. Diodore ajoute quelle prit la forme d’une colombe, et que c’est pour cela que cet oiseau est vénéré par les Assyriens. — Cf. aussi Lucien, De la Déesse syrienne, ch. 14. [127] Cf. les Fragm. Histor. graec. de M. Ch. Müller (t. III, p. 625 et suie.), où ont été réunis tous les fragments de Céphalion qui nous ont été conservés par Eusèbe, Moïse de Khorène, le Syncelle et Malalas. [128] Deux manuscrits ajoutent: « puis de sa guerre contre Zoroastre, de sa défaite, ensuite. » [129] Cf. Eusèbe (Chronique, t. II, p. 90 et suiv.) et le Syncelle (p. 133). [130] Le mot arasbel, en arménien, est susceptible de plusieurs acceptions, et dans ce passage, il peut bien vouloir dire, légende, bien que cette signification ne soit pas donnée par les dictionnaires. [131] Il est question ici de la mer de Van. [132] La Chronique d’Eusèbe (éd. du P. Aucher; Venise, 1818, 2 vol. in-4°) donne au fils de Sémiramis et de Ninus le nom de Zamès (t. I, p. 98, t. II, p. 15). [133] Cf. ces généalogies qui offrent quelques différences, avec les tables données par Eusèbe (Chronique, t. I, p. 98-100; t. II, p. 15 et suiv., et passim). [134] Ariosa, Arisa. [135] Sovarès, Socaren. [136] Amamithrès. [137] Josué, liv. XVII, v. 16-18. [138] Cette tradition est aussi rapportée par Procope (Hist. bell. Vandal, 1], 10), ce qui permet de corriger d’après lui le texte de notre auteur, et de restituer le mot Afrique au lieu d’Akras. — Pour ce qui est du nom de Tharsis qui se lit dans Moïse de Khorène, Procope l’écrit Tigisi. [139] Cf. plus bas, liv. I, ch. 25, et liv. II, ch. 7, où il est question des Kénouni, qui étaient chargés de revêtir Valarsace de ses ornements royaux. [140] La liste des rois d’Arménie donnée ici par Moïse de Khorène, d’après Mar Apas Catina diffère sous beaucoup de rapports de celle que nous a laissée Jean Catholicos dans son histoire (Cf. édit. de Moscou, p. 14, et traduction française de Saint-Martin éditée par M. Lajard (Paris, 1841), p. 14 et note: p. 385 et suiv.). Elle offre aussi quelques différences avec celle que Grégoire Magistros nous a transmise dans sa lettre en réponse à Sarkis. Les lettres de Grégoire Magistros, qui existent en manuscrit à Venise et dans d’autres bibliothèques, n’ont pas encore été publiées. Il serait à souhaiter que les Mekhitaristes de Venise fissent entrer cet auteur dans la série des écrivains qui composent la collection si précieuse des auteurs arméniens dont ils ont entrepris de donner des éditions. [141] Ce nom est écrit différemment dans l’histoire de Jean Catholicos (ch. viii ) et dans les lettres de Grégoire Magistros, qui le sépare en deux mots: Vesdam et Gar. [142] Sosmarus. [143] Hradn. [144] Tevmomos. [145] Plusieurs manuscrits, après David, ajoutent « Salomon, Roboam, Abia, Asa, Josaphat, Joram ». [146] Cf. plus bas, ch. xxxii. [147] Cf. la dernière note du ch. XV ci-dessus, où il est dit qu’Ara [II] s’appelait Gartos. [148] L’interprétation du mot Sos a donné lieu à beaucoup de controverses et même à une polémique assez violente entre deux savants, MM Lajard et Quatremère. Le premier attribuait au mot Sos la valeur de cyprès, en se conformant ainsi à la traduction qu’en avaient donnée les frères Whiston dans leur édition de l’Histoire de Moïse de Khorène (Londres, 1736, p. 54). M. Quatremère et M. Levaillant (Moise de Khorène, trad. fr., p. 95) prétendaient au contraire que le mot Sos signifie platane. Ces deux opinions sont également erronées. Le Sos est très certainement le Peuplier argentifère. Le texte de Jean Catholicos (Histoire d’Arménie, édit Emin, p. 53) donne à Anouschavan le surnom de Sossanever « consacré au bois de Sos », qui paraît préférable (Cf. Emin, Recherches sur le paganisme arménien. p. 41, note 3). — Les Arméniens rendaient pareillement un culte à l’arbre pardi, sorte de peuplier différent du peuplier argentifère; ce culte se continua à Samosate jusque dans le courant du douzième siècle, et S. Nersès nous en a conservé le souvenir dans une de ses lettres (Venise, 1838, p. 238-253). Cf. Emin, Recherches sur le paganisme arménien, p. 13 et suiv. — On sait que dans l’ancienne religion iranienne, les eaux et les arbres étaient l’objet d’un culte qui, de la Perse, était venu s’implanter chez les Arméniens. On lit dans le Zend-Avesta ce passage: « J’invoque, je célèbre les eaux pures, et toutes les eaux données de Mazda, et tous les arbres donnés de Mazda. » (Anquetil Duperron, Zend-Avesta, t. I, 2e partie, p. 87. — E. Burnouf, Commentaire sur le Yaçna, ch. I, p. 380-381.) [149] Si l’on en croit le témoignage de Jean Catholicos (Hist. d’Arménie, ch. viii), la dynastie des Haïciens fut renversée après le règne d’Anouschavan, et dès lors la race des premiers monarques aurait été supplantée par une dynastie étrangère à cette famille, dont Zamassis semble avoir été le chef. Voici ce que raconte à ce sujet le patriarche Jean qui paraît avoir eu entre les mains un exemplaire de l’histoire de Mas Apas Catina, puisqu’il donne à ce propos des détails assez circonstanciés dont Moïse n’a pas jugé opportun de faire usage: « Pendant quelque temps, Anouschavan ne régna que sur une partie de l’Arménie, mais ensuite il devint maître de tout le pays. Ce prince ne mourut qu’après un long règne. Ni ses fils, ni ses parents n’héritèrent de sa souveraineté; des hommes étrangers à sa race s’en emparèrent violemment et ils régnèrent sur la nation de Thorgoma, non par droit de succession, mais par droit de conquête ». (Jean Catholicos, Hist. d’Arménie, trad. de Saint-Martin, p. 14). On peut conclure de ce passage que des usurpateurs, ayant renversé la dynastie haïcienne, dont le trône était déjà chancelant depuis le règne d’Ara [II], puisque son fils Anouschavan en avait été lui-même éloigné par Zamassis, continuaient à gouverner le pays, comme vassaux du roi d’Assyrie, qui, ainsi que nous l’avons vu plus haut, avait étendu sa domination sur tous les peuples d’alentour. [150] Les monuments assyriens récemment anis en lumière par la lecture des textes cunciforanes donnent à ce Sardanapale, surnommé improprement Concholéros par les Grecs, le nom de .Sardanapale V qui régna de 79ô à 741 avant J.-C. (Cf. Oppert, Rapport sur une mission en Angleterre; 2 partie, Chronologie des Assyriens et des Babyloniens, dans les Archives des missions scientifiques, t. V, p. 203 et suiv. — Le même, Les inscriptions assyriennes des Sargonides, p. 6, extr. du t. VI (Ve série) des Annales de philosophie chrétienne, 1862.) [151] Varbace ou plutôt Arbace, comme l’appelle Diodore de Sicile (liv. II, ch. 24 et suiv.). — Cf. aussi Ch. Muller, Fragm. hist. graec., t. III, p. 357 et suiv.; 210. [152] On peut présumer d’après ce passage, rapproché du témoignage de Jean Catholicos (ch. viii), que Barouïr était de la race de Haïg, qu’il reprit sur les usurpateurs étrangers qui s’étaient emparés du gouvernement de l’Arménie sous Anouschavan, le trône de ses ancêtres. Après eux (les usurpateurs), dit Jean Catholicos, régna Barouïr qui rétablit le nom de la nation arménienne, dont la souveraineté était détruite depuis longtemps. Il fut le premier qui ceignit chez nous le diadème des rois Les écrivains de notre nation ont déjà célébré les louanges de Barouïr, et je n’ai pas envie d’en parler après eux. (Jean Catholicos, Hist. d’Arménie, trad. de Saint-Martin, p. 14-15.) [153] Cet écrit en quatre livres a peut-être quelque rapport avec ces panégyriques que des écrivains arméniens, aujourd’hui perdus, avaient composés à la louange de Barouïr. — Cf. Jean Catholicos, Hist. d’Arménie, p. 15, et la note précédente. [154] Le nom de Κονοσκογχόλερος ; n’a jamais été, comme les Grecs l’ont supposé, un surnom de Sardanapale; c’est un titre royal qui se trouve dans les inscriptions de ce prince, expliquées par les assyriologues, et qui signifie mot à mot: ego rex, vicem gerens Dei Assori (Arch. des miss. scientif., t. V, p. 205). — Au surplus les interprètes anciens des textes cunéiformes ont commis une erreur bien aussi grave en donnant pour père, à Sardanapale, un personnage imaginaire du nom d’Ἀναξυνδαραξης ou Ἀναξθνδαραξάρης, nom qui n’est autre chose que le titre royal de Sardanapale ego rex augustus Assyriae, que nous ont conservé les textes en langue assyrienne. Les Grecs qui ne comprenaient pas la valeur des mots de cette langue, ont pris ce titre tout entier pour un nom propre et ont forgé ainsi une appellation barbare qui eut une grande vogue dans toute l’antiquité et qui a été souvent rappelée par les écrivains classiques, à propos de l’inscription célèbre du tombeau de Sardanapale. Cf. notre Mémoire sur te tombeau de Sardanapale à Tarsous, dans la Revue archéologique, (1853); et notre Voyage en Cilicie, p. 265 et suiv. [155] Cf. notamment Diodore de Sicile, liv. II, ch. 24 et suivants. [156] Cf. Moïse de Khorène, Histoire d’Arménie, liv. I, ch. 3. [157] M. Emin a rendu l’expression ichogouthiantz veragatzoukh par « préposés à la garde des archives » dans sa traduction russe de l’ouvrage de Moïse de Khorène, p. 60; et ad calcem, note 81. [158] Rapprochez ce passage de ce que dit Moïse de Khorène (liv. II, ch. 3), au début de son Histoire, dans sa dédicace à Isaac Bagratouni. [159] Moïse de Khorène fait allusion ici à la domination des rois perses de la dynastie sassanide en Arménie, qui s’étaient emparés de œ pays en 428 sous le règne de Bahram V et avaient mis fin à la dynastie des Arsacides arméniens représentés à cette époque par Ardaschès IV. — Cf. aussi l’Élégie de Moïse de Khorène sur les malheurs de sa patrie (Hist. d’Arm., liv. III, ch. 68). [160] L’édition arménienne des Fr. Whiston donne la variante suivante: « Vivant aujourd’hui sous le gouvernement d’étrangers, je donnerai en même temps ici et la succession de nos rois et celle des autres. » [161] Jérémie, ch. LI, v. 28. [162] Cf. cette liste des rois mèdes avec celles données par Eusèbe (Chronique, éd. Aucher, t. I, p. 101 et t. II, p. 32), qui offrent quelques différences. Les deux tables d’Eusèbe ne sont même pas d’accord entre elles. [163] Masdacès, selon une variante. [164] Jean Catholicos (Hist. d’Arm., ch. viii) dit que tous les princes issus de Barouïr ont une histoire très connue, rapportée dans les livres chaldéens, écrite du temps de Tibère et qui se trouvaient à Ninive et à Edesse. [165] Il s’agit ici d’Erouant, prince arsacide, qui régna après Sanadroug, de 58 à 78 après J.-C., et conquit toute l’Arménie (Moïse de Khorène, Hist. d’Arménie, liv. II, ch. 37 et suiv.), et de Tigrane le Grand, fils d’Ardaschh., qui occupa le trône des Arsacides d’Arménie de 89 à 36 av. J.-C. (Strabon, liv. XI, ch. 14, § 15.— Justin, liv. 38. — Moïse de Khorène, liv. II, ch. 14 et suiv. — Jean Catholicos, ch. viii.—Plutarque, Lucullus et Pompée. — Dion Cassius, liv. 36 et suiv. — Velleius Paterculus, liv. ii.) [166] Ce nom en arménien signifie yeux de feux. — Cf. aussi Jean Catholicos, ch. viii. [167] Les Pakradouni ou Bagratides, famille illustre de l’Arménie, qui parvint au trône d’Ani dans le courant du huitième siècle de notre ère, et donna également des rois aux pays de Kars et de Daschir dans le dixième siècle, et enfin à la Géorgie depuis le sixième siècle jusqu’à la fin du dix-huitième. C’est cette même famille des Bagratides, divisée en une grande quantité de branches, qui subsiste encore actuellement en Russie sous le nom de Bagration, et qui a fourni à cet empire plusieurs célébrités. Les descendants des rois Bagratides de Géorgie portent encore aujourd’hui le titre de Princes de Géorgie; mais ce titre est purement honorifique. [168] Cf. Moïse de Khorène, Hist. d’Arménie, liv. 17, ch. 9, 63. [169] Thakatir est un mot arménien formé de thak « couronne » et de tir « pose », que veut dire, « celui qui pose la couronne ». — Cf. plus bas, xxviii (liv. II, ch. 3), et la note. [170] On peut supposer que le nom de Sempad, venu de Champat, dérive de l’hébreu « quies, sabbathum » qu’on trouve comme nom propre d’homme sous la forme Sabbathai, dans le livre d’Esdras (II, Esdr. XI, verset 16). — Quant au nom de Pakarad, Moïse de Khorène (liv. II, ch. 63) lui donne également une origine hébraïque. [171] Le mot aradchnort signifie en arménien littéral « conducteur, chef, prince »; c’était un titre purement civil. De nos jours, cette expression a pris un tout autre sens et s’applique spécialement à un fonctionnaire de l’ordre religieux chargé de l’administration civile d’une province où résident des Arméniens. Les fonctions de l’aradchnort ont été définies dans le projet de constitution nationale que se sont donnée les Arméniens de la Turquie en 1860 (cf. Azkaïn sahmanatrouthioun Constitution nationale des Arméniens (Constantinople, 1860), p. 8, article 4; et trad. française (Paris, 1862), p. 6, article 4). [172] Isaïe, XXXVII, 38, — IV, Rois, XIX, 37. — Cf. Josèphe (Ant. judaïq., X, 12), d’après Béroac dont les fragments sont conservés dans la Chronique d’Eusèbe (Éd. Aucher (Venise, 1818), t. I, p. 39 et suiv.) et dans le Syncelle, p. 78, c., et publiés dans les Fragm. histor. graecorum. t. II, p. 504, § 12. [173] Cf. Indjidji, Géogr. ancienne, p. 70. — Selon Moïse de Khorène (liv. I, ch. 6), Sim fils de Xisuthre (autrement Sem fils de Noé) vint en Arménie et s’établit au pied d’une montagne à laquelle il donna son nom. Le même historien cite à propos de cette montagne le nom d’Olympiodore, historien grec dont les œuvres ne sont pas venues jusqu’à nous (liv. II, ch. 74) et qui est différent du philosophe néoplatonicien du même nom. Quoi qu’il en soit de ces traditions, nous savons seulement que les Arméniens appliquaient le nom de Sim aux montagnes qui partent de l’ouest de Van et s’étendent jusqu’au Tigre (St-Martin, Mém. sur l’Arménie, t. I, p. 54). [174] Le mot pteschkhouthioun, dont le radical est pteschkh ou ptiaschkh, que les auteurs du grand dictionnaire arménien rendent par upatoV, consul, dux, signifie à proprement parler un gouverneur militaire de province, un satrape commandant à l’une des grandes divisions de la monarchie arménienne. Selon M. Brosset, le mot ptiaschkh serait dérivé des deux mots bed, « chef », et aschkharh, « contrée », et signifierait un satrape de province (Histoire de la Siounie d’Étienne Orbélian, p. 15, note 2). Le titre de ptiaschkh était surtout donné au chef de la province de Goukark, la Gougarhnh de Strabon (liv. XI, 14, 4.), qui correspond au Somkheth des historiens et des géographes géorgiens; c’est la partie de la Géorgie située au sud de la Khram ou Ktzia. On connaît une pierre gravée, faisant partie des collections de la Bibliothèque impériale, où est représente un ptiaschkh du Goukark. La légende grecque qui entoure le buste du personnage rend le mot ptiaschkh par phtiaxhV, (Cf. Visconti, Iconog. grecque, t. II, p. 269 et suiv., pl. XLV, n° 10). [175] Arkamozan est le surnom d’Atramelek; niais comme ce surnom n’est pas donné dans les Livres saints, on doit croire qu’il s’était conservé dans les traditions nationales, ou que Moïse de Khorène l’avait trouvé mentionné dans le livre de Mar Apas Catina. [176] Ce dernier nom manque dans certains manuscrits. Sur ces deux familles, cf. plus bas, xxxiii (liv. II, ch. 6.) [177] Le canton d’Ankegh ou Ankegh-doun [maison d’Ankegh], l’Ingilène des Grecs, faisait partie de la Quatrième Arménie. — Cf. plus bas, xxiii (liv. II, ch. 8). [178] C’est du nom de Dikran que les Grecs ont fait TigranhV. [179] Xénophon, Cyropédie, liv. II, ch. 4; liv. III, ch. 1-3. [180] Deux manuscrits portent: « et la beauté paraissait surpasser les divinités ». [181] Cf. Emin, traduct. russe de l’Histoire de Moïse de Khorène, p. 98. — Les dictionnaires arméniens et tous les traducteurs de Moïse de Khorène ont rendu l’expression aghépeg par « chevelure argentée » ou « grisonnante », ce qui n’est pas exact. [182] Le pampirn était un instrument à cordes métalliques ou en boyaux, que l’on faisait résonner au moyen d’un petit morceau d’os en d’ivoire, ou bien avec un archet (Emin, Vebk.... p 97-98). Cet instrument devait donc présenter quelque analogie avec le thampour ou guitare des Persans, ou le psalter des Arabes. On peut voir dans la Palestine de M. Munk (coll. de l’Univers pittoresque). p. 454-455, la description des instruments de musique à cordes en usage chez les Hébreux et parmi lesquels il s’en trouve plusieurs qui ne sont pas sans une grande ressemblance avec le pampirn des Arméniens, notamment le Kinnor et le Nébel. [183] On peut comprendre aussi ce membre de phrase un peu différemment: « et ses qualités utiles dans tout ce qui touche à l’humanité ». [184] Le nom d’Astyage, en arménien Aschtahag, en ancien persan Ajdahag, signifie « dragon ». En arménien le mot dragon ou serpent est rendu par Vitchab, d’où s’est formé le nom des Vitchabazounk, descendants des dragons » c’est-à-dire, « d’Astyage ». (Cf. Emin, Vebk … p. 16, 17). En persan, le mot Mar qui, en arménien, vaut dire les Mèdes, a la signification de « serpent ». On sait qu’en Orient les deux expressions de « dragon » et de « serpent » se confondent habituellement chez les écrivains qui ont enregistré des faits de l’époque héroïque. [185] Deux manuscrits portent: « d’un voile très ample ». [186] Sur les songes d’Astyage, cf. Hérodote (liv. I, ch. 107.108). Dans le récit de ce dernier, les songes d’Astyage avaient rapport à Cyrus son petit-fils et à sa fille Mandane. [187] Un manuscrit porte: « Tigrane envoie sa sœur, avec une pompe royale. » [188] Le nom d’Arik, qui en arménien signifie les braves, l’applique aux Mèdes dans toua les passages de Moïse de Khorène où on le trouve employé. Aryaka est en effet un des noms de la Médie, et M. J. Muller (Journal asiatique, 1839, p. 298) n’hésite pas à rapprocher ce nom, de celui d’Arik employé par les Arméniens. Ceux-ci sont également par extension appliqué aux Perses, notamment Lazare de Pharbe (Hist. d’Arménie, p. 149, 170, 271), Faustus de Byzance (Hist. d’Arménie, p. 136), Elisée (Hist. des Vartaniens, passim), Esnig (Réfut. des hérésies, p. 122, 123). M. Quatremère, dans son Histoire des Mongols, par Rachid Eddin (collect. orientale, p. 211 et suiv., note 76), n’hésite pas à assimiler le mot Arik à Iran, en s’appuyant sur la formule qui lit sur la légende des monnaies sassanides, où les monarques perses prennent le titre de Malkan malha Iran ou Aniran, qui répond exactement à une expression identique de Moïse de Khorène, les Arik et les Anarik (Cf. Lettre de Sapor aux habitants de Tigranocerte; Hist. d’Arménie, liv. III, ch. 26). Elisée (p. 9, 22 et passim), Lazare de Pharbe (p. 80, 145, 270, 275) et Eusèbe (vers. arm. de la Chron., t. I, p. 2) emploient aussi les mêmes expressions Arik et Anarik. M. Quatremère croit que les formes Arik et Anarik servent à désigner, chez les auteurs arméniens, les Mèdes et les Perses. A l’appui de son opinion, le savant critique invoque le témoignage d’Hérodote qui dit que les Mèdes avaient été anciennement connus dans toute l’Asie sous le nom d’Arioi (liv. VII, ch. 62), et on sait que Hellanicus, qui écrivait avant Hérodote, cite ‘Aria comme un nom de la Perse (Fragm. hist. graec., t. I. p. 68, n° 168). Étienne de Byzance nous a conservé également le nom ‘Ariania pour l’Atropatène, qui est la partie septentrionale de la Médie. — Il n’entre pas dans notre sujet de parler ici des Aryas ou Ariens, dont le nom se rattache aux Arik des auteurs arméniens; nous nous contenterons de citer les principaux ouvrages où les origines de ce peuple ont été étudiées, notamment Ad. Piclet, Origines européennes ou Aryas primitifs. —Burnouf, Commentaire sur le Yaçna, note K, p. lxii, note 2, p. cv, 66. — Max Müller, la Science du langage (Paris, 1864), p. 254 et suiv., de la traduction française, etc. etc. [189] Le mot Vratsdan est l’appellation donnée par les Arméniens à l’Ibérie, comme le nom de Virk sert à désigner chez eux les anciens Ibériens et les Géorgiens actuels. On trouve aussi la forme Vrats-doun [maison des Virk] usitée chez les auteurs arméniens. Selon M. Brosset le nom ‘Iberia dont les Grecs se servent pour désigner le pays des Virk ou Ibériens, serait dérivé de la préposition arménienne ver, i vera (en haut), d’où se sont formés Verin et Verlatzi, noms qui servent également à désigner l’Ibérie et les Ibériens (Brosset, Hist. de la Géorgie, t. I, introd., p. iv et v). [190] Le pays des Aghouank ou l’Aghouanie, nommé improprement par les géographes occidentaux Albanie du Caucase, se trouvait à l’est de l’Ibérie et s’étendait depuis la Sarmatie près du Caucase jusqu’à la mer Caspienne et aux frontières de l’Arménie près du Cyrus ou Gour (Cf. la Géogr. attribuée à Moïse de Khorène, dans les Memoires sur l’Arménie de St-Martin, t. II, p. 368- 359). Les limites de ce pays ont varié à différentes époques; dans l’antiquité le pays des Aghouank ne comprenait que les contrées actuellement appelées Schirwan et Daghestan; mais plus tard, les Aghouank conquirent sur l’Arménie tous les pays situés sur la rive droite du Cyrus (St-Martin, Mém. sur l’Arménie, t. I, p. 214 et suiv.). [191] Quelques critiques pensent qu’il ne faut pas prendre à la lettre les expressions de notre auteur, et en tirer cette conclusion que Tigrane appela sous ses drapeaux tous les hommes d’élite de l’Arménie proprement dite et des provinces connues sous le nom de petite Arménie, mais qu’on doit donner à ces paroles un sens différent. Ainsi les éditeurs de l’édition italienne de l’Histoire de Moïse de Khorène (Venise, 1850, p. 79, note 2) disent « per grandi e piccoli , intendiamo i nobili e i cittadini ». [192] Ce récit de la mort d’Astyage n’est pas d’accord avec ceux d’Hérodote (liv. I, ch. 120), de Xénophon (Cyropédie, liv. I, ch. 5), de Ctésias et de Justin (liv. I, ch. 6), qui s’accordent à dire que le roi mède survécut à la perte de son empire. Cependant Isocrate (Evagoras, § 38) dit qu’Astyage fut mis à mort par Cyrus. [193] Tigranocerte est une localité fort ancienne sur l’emplacement de laquelle s’élève aujourd’hui la ville d’Amid ou de Diarbékir. Cette ville faisait partie de la province d’Aghdznik (Faustus de Byzance, liv. IV, ch. 24; liv. V, ch. 27). Selon les Grecs, cette ville aurait eu pour fondateur non pas Tigrane le dynaste haïcien, mais Tigrane (Dikran II) le grand monarque arsacide, célèbre par ses conquêtes dans le premier siècle avant notre ère (Strabon, l. XI, ch. 14, § 15. — Appien, de bello Mithrid., ch. 8. — Plutarque, Lucullus). Tigranocerte est appelée par Appien Tigranopolis, qui est la traduction du nom arménien. — Tigranocerte fut prise par le roi de Perse Sapor en 359 (Ammien Marcellin, liv. XVIII, ch. 9, 10; liv. XIX, ch. 1-9. — Moïse de Khorène, liv. III, ch. 26, 28. —Faustus de Byzance, loc. cit.). — Cf. sur cette importante cité: Indjidji, Géogr. anc., p. 74 et 330. — Le même, Géogr. moderne, p. 211. — St-Martin, Mém. sur l’Arménie, t. I, p. 165-173. [194] Osdan qui veut dire royal noble est à la fois un nom de famille et l’appellation du territoire où se fixa cette famille, comme on peut le voir dans les écrits d’Élisée (Hist. des Vartaniens, p. 10, 71), et de Faustus de Byzance (Hist. d’Arm., p. 129). Toutefois il ne faut pas confondre le territoire occupé par la satrapie d’Osdan avec deux autres localités du même nom situées, l’une dans le pays des Rechdouni, sur les rives méridionales du lac de Van, et qui fut au onzième siècle la résidence des rois Ardzrouni du Vasbouragan (Matthieu d’Édesse, Chronique, liv. II, ch. 38, p. 42 de la trad. fr.), et l’autre dans la province d’Ararat (cf. Indjidji, Géogr. anc., p. 167, 468.— St-Martin, Mémoires sur l’Arm., t. I, p. 141). — Selon certains critiques, l’Osdan désignait quelquefois une sorte de municipe. [195] Le pays de Koghten était à l’est du canton de Nakhdjavan, dans la province de Vasbouragan au nord de l’Araxe. C’est la contrée de Colthène de Ptolémée (Géogr., liv. V. ch. 13). — Cf. sur ce pays Indjidji, Géogr. anc., p. 212, et St-Martin, Mémoires sus l’Arm., t. I, p. 237 et suiv. [196] Ou Osgui-gogh, c’est-à-dire: « le côté doré ». [197] Tikouïnk, donné par une variante, signifie « pâle, décoloré ». [198] Vendchounik, selon un ms. — Cette localité est aussi mentionnée par Açogh’ig, II, 3. — Cf. Indjidji, Géogr., anc. p. 538. [199] Ville et canton du Vasbouragan, dont le nom s’est conservé jusqu’à aujourd’hui presque sans altération. Ptolémée l’appelle Naxuana (liv. V, ch. 13. — Cf. Indjidji. Géogr. anc., p. 217. — Le même, Géogr. mod., p. 26G. — L. Alischan, Géogr. de l’Arm., p. 50. — St-Martin. Mém. sur l’Arm., t. I, p. 131 et suiv. [200] St-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p. 135. [201] Indjidji, Géogr. anc., p. 523. [202] Quelques manuscrits séparent Ajtan-agan, en deux mots; cela voudrait dire alors: « le fossé d’Ajtan ». [203] Les tremblements de terre qui ont à plusieurs reprises bouleversé les plaines situées à la base de l’Ararat, étaient plus fréquents dans l’antiquité qu’à l’époque moderne. Toutefois, la dernière catastrophe de ce genre qui se fit sentir le 20 juin de l’année 1840, et qui a englouti le village d’Arkhouri, rappelle tout à fait l’horrible tremblement de terre dont parle Moïse de Khorène. M. de Gille (Lettres sur le Caucase. p. 307) raconte les détails de ce désastre qu’il tenait de la bouche même d’un vieillard, seul survivant de ce cataclysme qui engloutit 500 maisons: « La nuit, un grand bruit se fit entendre; la terre trembla sous moi; tout effrayé, songeant aux miens, je descendais de la montagne. Lorsque j’arrivai le matin là, où au milieu de la vallée s’élevait le village habité par mes fils et leurs familles, je ne vis plus que des roches entassées. Sous ces roches étaient ensevelis- mes enfants, et je demeurai seul au monde, où je vis encore! » [204] Un manuscrit donne la variante Kimernos. [205] Les mots erkkh thovéliatz présentent une assez grande obscurité; selon M. Emin (Vebk p. 19), ce nom de chants métriques était attribué à un genre spécial de poèmes dans lequel les auteurs s’astreignaient à conserver l’ordre chronologique. Les Mékhitaristes dans leur édition italienne de l’Histoire de Moïse de Khorène (p. 82, note 2), supposent que ces poésies étalent rimées et en vers, et en effet le mot tiv signifie « nombre et mètre ». Au surplus les erkkh thovéliatz sont une de ces expressions fort difficiles à rendre, puisque nous manquons complètement de données précises sur l’ancienne métrique arménienne, antérieure à l’introduction du christianisme. [206] Il est question ici d’Ardaschès II, fils de Sanadroug, le onzième des Arsacides d’Arménie (88 à 129 de J-C.), en l’honneur duquel les poètes composèrent des vers, commue le dit Moïse de Khorène (liv. II, ch. 48). [207] Le même personnage est mentionné de nouveau dans l’histoire de Moïse de Khorène, liv. II, ch. 41), qui dit de lui: « Cet Arkam est celui que dans la fable on nomme Arkavan. » — Cf. encore Moïse de Khorène, liv. II, ch. 47-51. [208] Ardavazt ou Artabase II, dont parle longuement Moïse de Khorène (Hist. d’Arménie, liv. II, ch. 61). Cet historien cite même quelques-unes des fables qui couraient sur le compte de ce prince. [209] Ville de la province d’Ararat, sur le territoire de Tovin, au confluent de l’Arase et du Medzamor, fondée d’après l’avis d’Annibal par Artaxias, gouverneur de l’Arménie pour les Séleucides, et puis ensuite roi de ce pays (Strabon, liv. XI, ch. 14. § 15. — Plutarque, Lucullus). —Cf. aussi Indjidji, Géogr. anc., p. 485. — Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p. 117 et suiv. [210] C’est-à-dire, la ville des Mèdes, car le nom des Mèdes est toujours rendu par Mar chez les auteurs arméniens. [211] Satinig, femme d’Ardaschès, fut chantée aussi par les bardes arméniens dans des poésies dont Moïse de Khorène nous a conservé un fragment à la suite de l’histoire de la guerre d’Ardaschès contre les Alains (Cf. liv. II, ch. 49-50). [212] Ce passage qui est fort obscur a trait sans doute à quelque légende relative à l’histoire romantique de Satinig, dont il ne nous est parvenu que quelques fragments très courts, dans le livre de Moïse de Khorène (Hist., liv. II, ch. 50). —- Quant à l’herbe appelée ardakhour, et à la petite plante nommée ditz, les dictionnaires arméniens n’en donnent pas la signification. [213] Rapprochez le passage de l’histoire de Moïse de Khorène, liv. II, ch. 51. — Quant à l’épithète de libre, azad, donnée à l’Ararat, cf. à ce sujet le conjectures de Indjidji Archéol. arm., t. I, p. 6), de Mesrob Thaghitian (Voyage en Arménie (Calcutta, 1847), t. II, p. 107) et de M. Emin (Vebk … , p. 41-42) qui ajoute quelques détails sur l’introduction en Géorgie de la légende d’Artabaze, mais imprégnée d’une couleur chrétienne. — Remarquons encore que c’est à partir du règne d’Artabase II, dans la première moitié du deuxième siècle de notre ère, que Moïse de Khorène cesse de faire des emprunts sus chants populaires et aux traditions poétiques de sa patrie; car il est probable que c’est à cette époque aussi que l’inspiration poétique commença à se perdre chez les Arméniens. [214] Ce passage est vraisemblablement une interpolation, et ne paraît se rattacher en aucune façon au reste du chapitre. Toutefois il est précieux pour les renseignements qu’il fournit sur la divinité principale de l’ancienne religion arménienne. Aramazd, l’Ahura Mazda du Zend Avesta [l’être sachant beaucoup], Oromazès, Ourmouzd, Ormizd, avait, chez les Arméniens, le surnom de père de tous les dieux (Agathange. p. 516), de fort et de puissant (p. 47, 48, 57, 102), de créateur du ciel et de la terre (p. 57) et produisant l’abondance et la fertilité (p. 102). Son temple se trouvait dans la province de Bardzer Haïg, dans le fort d’Ani, lieu de sépulture des rois arméniens arsacides (Agathange, p. 586. — Moïse de Khorène, liv. II, ch. 53). —Cf. sur l’Ahura Mazda, Burnouf, Commentaire sur le Yaçna; Invocation, p. 71 et suiv. — Nous n’avons aucun renseignement précis sur les quatre Aramazd dont Moïse de Khorène parle dans ce passage, et M. Emin lui-même, dans sa savante dissertation sur le Paganisme arménien, n’a tenu aucun compte de ce renseignement (p. 9-10). — Quant au mot Gunt, servant à qualifier Aramazd, c’est un mot persan qui signifie « fort, intrépide, belliqueux ». [215] Vahaken appartient à cette série de demi-dieux qui, dans le panthéon arménien, servent de trait d’union entre les dieux et les hommes, et indiquent le passage graduel du monde visible au monde invisible. Ces demi-dieux portaient chez les Arméniens le nom de tutzazn, c’est-à-dire, hommes d’origine divine (Emin, Recherches sur le paganisme arménien, p. 41). On ne sait que fort peu de chose touchant Vahaken; cependant la tradition nous a transmis quelques détails relatifs à ce demi-dieu, que nous allons rapporter. Vahaken, selon les Arméniens, avait volé de la paille au dieu assyrien Barcham, dont nous avons parlé plus haut, et comme trace de sa fuite avec sa charge dans les espaces célestes, apparut la voie lactée qui, chez les Arméniens, porte le nom de « trace du voleur de paille » (Emin, Recherches sur le paganisme, p. 17, 42). Agathange, qui parle de Vahaken, lui donne le surnom de Vitchabakal (destructeur des dragons), ce qui s’accorde parfaitement avec ce que notre auteur dit de ce demi-dieu qui était célébré dans des chants populaires par ses combats et ses victoires contre les dragons, et ce qui veut dire, dans le langage de la symbolique, qu’il purgea le pays d’animaux nuisibles et malfaisants. [216] Vahaken était assimilé à Hercule, et en effet les traducteurs arméniens des Livres Saints n’ont pas hésité à rendre le nom d’Hercule, appelé ‘HraklhV par les Septante, par Vahaken (Cf. bible arménienne; II, Macchabées, ch. iv, v. 19.) [217] Le temple de Vahaken se trouvait à Achdichad, dans la province de Daron, sur les rive, de l’Euphrate; c’était un temple fort riche, car il était rempli d’or, d’argent, et d’offrandes offertes pour les rois; c’était le lieu préféré des sacrifices des souverains de la grande Arménie (Agathange, Vie de Tiridate, édit. de Venise, p. 603). [218] Une variante écrit Vahouni. — Cf. Moïse de Khorène, liv. II, ch. 8. [219] Cf. Moïse de Khorène, liv. II, ch. 8. [220] Cf. Moïse de Khorène (liv. II, ch. 8), où les Zarehnavan sont appelés Zarehavanian, avec une légère différence dans l’orthographe. [221] Armot, selon une variante. [222] Vahan, selon une variante. [223] Quinte-Curce (Histoire d’Alexandre, liv. III, ch. 4) dit que les Arméniens envoyèrent au secours de Darius quarante mille fantassins et sept mille cavaliers. [224] Il n’existe, dans aucun historien arménien, de renseignements sur les gouverneurs ile l’Arménie après la destruction du royaume des Haïciens par les Macédoniens. Les seules données qui nous sont parvenues à ce sujet se trouvent dans les écrits des Grecs. On sait par exemple que Mithrinès, qui avait livré la citadelle de Sardes à Alexandre, fut nommé, par le conquérant, gouverneur de l’Arménie. Néoptolème, nommé par les généraux d’Alexandre, remplaça Mithrinès. Après celui-ci vint Ardoates, puis Orontès [Hrand] et Artavasde, nommés par les Séleucides. Antiochus le Grand donna ensuite le gouvernement de l’Arménie à Artaxias [Ardaschas] qui se rendit indépendant. Artavasde son fils lui succéda, mais il fut détrôné par les Arsacides. — Cf. Polybe, liv. XXVI, ch. 6. — Appien, Syriac., ch. 45, 46, 55 et 66. —Strabon, liv. XI, ch. 14, § 15. — Plutarque, Lucullus. — Arrien, Anabas., VIII, 5. — Justin, liv. XLII, ch. 3. [225] Cf. plus bas, XXXIII. (liv. II, ch. viii.) [226] Genèse, ch. I. [227] Le nom de Zarmaïr ne se trouve pas dans l’Iliade, mais le P. Indjidji (Archéol. de l’Arm., t. I, p. 186) croit pouvoir identifier Ascanios avec Zarmaïr qui était roi d’Ascanie, autrement du pays des descendants d’Ascanaz, l’un des noms bibliques de l’Arménie (Jérémie, LI, 27). Le P. Indjidji s’appuie sur ces deux vers d’Homère (Iliade, ch. II, 862)
Φόρκυς αὖ Φρύγας ἤγε, καὶ Ἀσκάνιος θεοειδής, On peut croire aussi que Memnon, fils de Tithon, qui fut envoyé par Teutamus au secours de Priam, avec des Ethiopiens et des Susiens, et qui fut tué dans une embuscade dressée par les Thessaliens, est peut-être le même que Zarmaïr; comme ce dernier, Memnon meurt également de la main des Grecs (Fragm. Cyclic., ad calcem Homeri, p. 583, éd. Didot. — Diodore de Sicile, liv. II, ch. 22). [228] A la fin du premier livre de son Histoire, Moïse de Khorène a ajouté un chapitre additionnel, touchant la légende perse de Piourasb-Astyage. Comme ce chapitre n’a pas été emprunté par cet historien à l’œuvre de Mar Apas Catina, nous n’avons pas cru devoir le reproduire. [229] Ce chapitre, qui ne porte pas de numéro, est un morceau détaché que Moïse de Khorène a placé en cet endroit pour compléter les renseignements qu’il nous transmis sur Astyage, et qu’il a rédigé bien malgré lui, comme il nous l’apprend lui-même, pour être agréable à Sahag le Bagratide qui lui avait demandé de traiter spécialement des fables relatives à Astyage, d’après les écrivains perses. [230] L’auteur fait allusion ici à l’épisode de la lutte de Zohak et de Firidoun que Firdouzi a racontée dans son poème du Schah Nameh (le livre des Rois). Astyage ne serait autre que Zohak, que les Arméniens ont surnommé Piourasb, c’est-à-dire « ayant dix mille chevaux » (Dubeux, Chron. de Tabari, t. I, p. 98 et note). Les Perses donnent aussi à Zohak le surnom de Mari, c’est-à. dise serpent, faisant ainsi allusion aux deux serpents des épaules de Zohak. — Cf. Malcolm, Hist. de la Perse (trad. fr.), t. I, p. 26 et suiv. [231] Le pic de Damavend doit son nom à la ville du même nom, qui est la capitale du Tabaristan. C’est un ancien volcan qui jette de temps à autre de la fumée, et le soufre, qu’on trouve dans les petits cratères qui sont à sa base, pourrait faire conclure que le cône renferme le cratère d’un volcan. Les tremblements de terre sont fréquents dans toute la contrée que domine le pic de Damavend, et au commencement de ce siècle les séismes furent si violents que plusieurs villages furent renversés. —Cf. Dubeux, la Perse, dans l’Univers pittoresque, p. 27. [232] Ce qui est entre crochets [ ] manque dans presque tous les ms.; les frères Whiston ont donné ce passage d’après le texte dont ils se servirent pour leur édition. [233] Le centaure Pyrète, qui fut tué par Périphas aux noces de Pirithoüs, est rappelé dans ces vers d’Ovide (Métam., liv. XII) Quid tibi victore gemini Periphanta Pyreti, Ampyca quid referam? Seulement ou doit dire que Moïse de Khorène s’est étrangement mépris, en assimilant ce centaure à Astyage, d’après un document chaldéen. Il est possible qu’à l’époque de la décadence, où les chrétiens de l’Orient aimaient à faire des rapprochements entre les mythes de l’Occident et ceux de l’Asie, un écrivain chaldéen, ou plutôt syrien, ait cherché à prouver l’analogie qu’il avait cru trouver entre le nom de Pyrète et celui de Piourasb, et que Moïse de Khorène ait cru de bonne foi à ce rapprochement bizarre; mais, de nos jours, les procédés les plus élémentaires de la critique philologique ont surabondamment démontré que ces sortes de rapprochements ne sont basés, pour la plupart du temps, que sur des ressemblances de noms tout à fait arbitraires. [234] Il est évident que Moïse entend parler ici du cratère du Damavend dont nous avons parlé plus bas, p. 49, note3.
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