Henri le Letton

HENRI DE LIVONIE OU HENRI LE LETTON  

CHRONIQUE DE LIVONIE

 

LIVRE II

 

Oeuvre numérisée et traduite par Marc Szwajcer

LIVRE I - LIVRE III

 

HENRI DE LIVONIE

 

OU HENRI LE LETTON  

 

BREVE NOTICE

Henri est vraisemblablement né entre 1180 et 1188. Sans doute Saxon, il est possible qu'il soit issu de Livonie. Il reçut une éducation germanique et catholique ; jeune, il fut attaché à la maison du prince-évêque Albert de Buxhoeveden ; il fut ordonné prêtre en 1208. Il fut attaché ensuite au service du second évêque d'Ikšķile ou Üxküll.

Sa chronique, écrite d’un point de vue ecclésiastique, est importante pour l'histoire de la Livonie. Elle décrit des événements survenus de 1180 à 1227 et fournit des informations sur l’une des « croisades baltiques/nordiques » de la Chrétienté au XIIIe siècle. Elle provient peut-être d'un rapport au légat pontifical Guillaume de Modène, auquel Henri fut attaché comme interprète de 1225 à 1227. Le légat, un des diplomates les plus en vue de la papauté, était alors en Livonie afin de servir de médiateur dans un conflit interne de revendications territoriales entre les Chevaliers Porte-Glaive[1] et les évêques catholiques de Livonie.

Henri fut très au fait des événements qu'il nous décrit et, il y participa souvent en personne. Le texte fut rédigé en latin vers 1225-1226. Il en existe plusieurs manuscrits tardifs. Il ne fut imprimé qu'en 1740, pour la première fois.

 

 

 

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Liber secundus.

 

De episcopo Bertoldo

II

 

1. Celebratis secundum morem exequiis et episcopo qualicunque Lyvonum planctu et lachrimis sepulto de successore tractatur et ad Bremensem metropolim pro persona idonea mittitur. Demonstratur de Cysterciensi ordine Lucensis abbatis Bertoldi reverenda persona. Difficilis quidem primitus ad eundem exhibetur, sed metropolitani victus precibus, predicationis onus aggreditur.

2. Factus episcopus, primo sine exercitu, Domino se committens, fortunam exploraturus, Lyvoniam pergit, Ykescolam venit et ecclesiae dotem ingrediens quosque meliores tam paganos quam christianos coram se colligit. Quos potu et escis et muneribus datis placare laborat, dicens se ipsorum vocatione venisse et praedecessori suo in solidum successisse. Quem quidem primo blande suscipiunt, sed ipsum in Holmensis coemeterii consecratione alii in ecclesia concremare, alii occidere, alii submergere concertabant, egestatem adventus sui causam esse improperabant.

3. Talibus initiis consideratis clam naves adiit et Gotlandiam revertitur et in Saxoniam procedens Lyvoniensis ecclesiae ruinam tam domino papae quam metropolitano Bremensi et Christi fidelibus conqueritur universis. Igitur dominus papa cunctis signum Crucis accipientibus et contra perfidos Lyvones se armantibus remissionem indulget peccatorum, litteras super hiis eidem episcopo Bertoldo sicut et suo dirigens praedecessori.

4. Episcopus ergo collectis viris Lyvoniam venit cum exercitu, ad castrum Holme procedens, quod quidem in medio fluminis situm est. Hic misso trans aquam nuncio querit, si fidem suscipere et susceptam servare decernant. Qui se fidem recognoscere nolle nec servare velle proclamant. Episcopus vero, neglectis retro navibus, ipsis nocere non potuit. Ergo cum exercitu ad locum Rigae revertitur et cum suis, quid agat, consilium init.

5. Interea contra ipsum Lyvonum universitas colligitur et trans montem Rigae stationem faciunt pugnare parati. Dirigunt tamen episcopo nuncium, causam exercitus superducti requirentes. Respondet episcopus causam, quod, « tamquam canes ad vomitum, sic a fide saepius ad paganismum redierint. » Item Lyvones: « Causum hunc », inquiunt, « a nobis removebimus. Tu tantum, remisso exercitu cum tuis ad episcopum tuum cum pace revertaris, eos, qui fidem susceperunt, ad eam servandam compellas, alios ad suscipiendam eam verbis non verberibus allicias ». Episcopus ab eis huius securitatis obsides filios ipsorum requirit, et illi penitus se daturos contradicunt. Interea colligendae partis eorum causa breves dant et recipiunt inducias, missis invicem lanceis secundum morem ad confirmationem pacis. In qua pace plures Theutonicos equis pabula querentes occiderunt. Quo viso domnus episcopus ipsorum lanceis remissis paci contradixit.

6. Vociferantur et constrepunt paganico more Lyvones. Armantur ex adverso Saxonum acies ad pugnandum, in paganos precipitantes insultum. Fugiunt Lyvones. Episcopus Bertoldus equi, ab eo male detenti, velocitate inmiscetur fugientibus. Quem, duobus complectentibus, tercius, Ymaut nomine, a tergo lancea perfodit, quam et alii membratim dilacerant.

7. Lyvones se subsequi verentes exercitum precipites fugiunt, quia videntes unam occisi Teutonici galeam militarem, quam capiti suo Lyvo percussor imposuerat. Amisso etenim capite suo nimirum turbatur exercitus et tam equis quam navibus, tam igne quam gladio Lyvonum perdunt segetes. Quo viso Lyvones, ut maioribus dampnis occurrant, pacem innovant et vocatis ad se clericis primo die in Holme circiter L. baptizati sunt, sequenti die in Ykescola circiter C. convertuntur. Sacerdotes per castra suscipiunt, annone mensuram de quolibet aratro ad expensas cuiusque sacerdotis statuendo. Hiis visis mitigatur exercitus et ad reditum praeparatur.

8. Lyvones igitur amisso pastore suo consilio clericorum et fratrum nuncios pro successore novo in Theutoniam mittunt. Et sic credula pacis incerte Saxonum turba revertitur. manent clerici, manet navis una mercatorum. Iam vela ventus depulit, et ecce perfidi Lyvones de balneis consuetis egressi Dunae fluminis aqua se perfundunt, dicentes: Hic iam baptismatis aquam cum ipsa christianitate removemus aqua fluminis et fidem susceptam exfestucantes post Saxones recedentes transmittimus. Illi autem, qui recesserant, in cuiusdam arboris ramo quasi caput hominis inciderant, quod Lyvones Saxonum deum putantes et ex hoc inundantiam et pestilentiam sibi immittere credentes, cocto iuxta ritum medone combibentes, captato consilio caput ab arbore ponentes ligna connectunt, quibus caput superpositum, quasi deum Saxonum, cum fide christianorum post recedentes Gotlandiam per mare transmittunt.

9. Mense peracto rupta pace fratres capiendo et male tractando in bona ipsorum grassantur, ea furtim et violenter auferendo. Equis eciam ablatis agri inculti remanent. Unde usque fere ad ducentos marcas ecclesia est damnificata. Fugit ergo clerus ab Ykescola in Holme, nescius, cui se fortunae aut loco committant.

10. Proxima Quadragesima collecta Lyvonum universitas decernit, ut quicumque clericus in terra maneat post pascha, capite puniatur. Unde tam timore mortis quam querendi pastoris causa clerici Saxoniam pergunt. Decreverunt eciam Lyvones mercatores, qui remanserant, occidere. Sed mercatores dantes munera senioribus vitae consuluerunt.

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HENRI DE LIVONIE

CHRONIQUE DE LIVONIE

 

LIVRE II

Sur l’évêque Berthold.

II.

 

1. Les funérailles se tinrent selon la coutume et l’évêque fut enterré sous les faux gémissements et pleurs des Livoniens. Ils pensèrent alors à son successeur et demandèrent au métropolite de Brême la personne idoine. Un membre vénérable de l’ordre cistercien, Berthold, abbé de Loccum,[1] fut indiqué. Au début, en fait, il fit des difficultés pour y aller, mais, se rendant aux demandes du métropolite, il prit la charge de prêcheur.

2. Consacré évêque,[2] il s’en remit au Seigneur et décida de tester sa bonne fortune d’abord sans armée. Il alla en Livonie, vint à Ikšķile, reprit le patrimoine de l’Eglise, et rassembla en sa présence les Livoniens parmi les plus importants, chrétiens et païens. Il s’efforça pour leur être agréable de leur donner de la nourriture, des boissons et des cadeaux et dit qu’il venait sur leur invitation et qu’il succédait à son prédécesseur comme unique héritier. Il fut reçu cordialement au début, mais lors de la consécration du cimetière d’Holm, certains se concertèrent pour le brûler dans l’église, d’autres pour le tuer, et d’autres pour le noyer. On lui reprochait d’être venu parce qu’il était pauvre.

3. Compte tenu d’un tel commencement, il alla secrètement prendre un bateau vers le Gotland ; puis en Saxe, il déplora la ruine de l’Eglise de Livonie aussi bien au pape qu’au métropolite de Brême aussi bien qu’à tous les croyants. Le pape, donc, accorda la rémission des péchés à tous ceux qui prendraient la croix et s’armeraient contre les perfides Livoniens. Et il envoya des lettres sur ces sujets à l’évêque Berthold, comme il l’avait fait à son prédécesseur.

4. L’évêque, donc, après avoir rassemblé ses hommes, alla en Livonie avec une armée,[3] et se dirigea vers le fort de Holm, situé au milieu de la rivière. Il envoya un messager qui traversa la rivière pour demander s’ils avaient décidé d’accepter la foi et de la conserver. Ils proclamèrent qu’ils ne voulaient ni reconnaître la foi ni la conserver. L’évêque, ayant laissé ses navires derrière lui, ne put pas leur infliger de préjudice. C’est pourquoi il retourna avec l’armée à Riga et prit conseil auprès de ses gens sur ce qu’il devrait faire.

5. Entretemps, tous les Livoniens se rassemblèrent contre lui et, se préparant au combat, ils établirent un camp de l’autre côté de la montagne de Riga. Néanmoins, ils envoyèrent un messager à l’évêque, lui demandant pour quelle raison il avait amené une armée avec lui. L’évêque répondit que : tel le chien qui retourne à ce qu’il a vomi,[4] ils étaient retournés de la foi au paganisme. Les Livoniens dirent alors : nous allons en finir avec cette raison. Si vous renvoyez votre armée, vous pourrez revenir avec vos gens à votre évêché en paix, et vous pourrez forcer ceux qui ont reçu la foi à la garder. Pour plus de sûreté, l’évêque demanda leurs enfants en otages, mais ils refusèrent catégoriquement de les lui donner. Dans l’intervalle, de façon à regrouper leurs hommes, les Livoniens offrirent et obtinrent une courte trêve, remettant leurs lances, selon la coutume, pour confirmer la paix. Durant cette paix, ils tuèrent plusieurs Allemands qui cherchaient du fourrage pour leurs chevaux. Le seigneur évêque, quand il vit cela, leur renvoya leurs lances et rompit la paix.

6. Les Livoniens hurlèrent et crièrent comme des païens. La ligne de bataille des Saxons était prête au combat contre eux et elle se rua sur eux à l’attaque. Les Livoniens s’enfuirent pêle-mêle. L’évêque Berthold, maîtrisant mal son cheval, fut emporté par sa vitesse au beau milieu des fuyards. Deux des Livoniens le saisirent, un troisième, nommé Ymaut, le perça de sa lance dans le dos et les autres le mirent en pièces, morceau par morceau.[5]

7. Les Livoniens craignant d’être suivis par l’ennemi, s’enfuirent sans réfléchir, parce qu’ils virent le heaume d’un allemand mort que son meurtrier Livonien avait mis sur sa propre tête. L’armée, ayant perdu son chef, fut naturellement tendue et avec chevaux et navires, par le fer et par le feu, elle dévasta les champs des Livoniens. Quand ils virent cela, les Livoniens renouvelèrent la paix de façon à éviter de plus grands dégâts. Environ cinquante d’entre eux furent baptisés par les clercs à Holm le premier jour. Environ une centaine se convertit à Ikšķile le jour suivant. Ils reçurent les prêtres dans leurs forts et décidèrent qu’une mesure de grain devait leur être donnée pour chaque charrue[6] pour les frais de chaque prêtre. Après ces événements, l’armée fut apaisée et se prépara à rentrer.

8. Les Livoniens donc, ayant maintenant perdu leur pasteur, sur le conseil du clergé et des moines, envoyèrent des messagers en Allemagne pour un successeur. Et ainsi, croyant en cette paix fragile, le groupe de Saxons se retira. Le clergé et un navire de marchands restèrent. Quand le vent eut gonflé les voiles, eh voilà ! les perfides Livoniens, sortant de leur bain habituel, se versèrent sur eux l’eau de la Dvina en disant : Nous ôtons maintenant l’eau du baptême et son christianisme avec l’eau de la rivière. Nous nous frottons pour enlever la foi que nous avons reçue, nous l’envoyons aux Saxons qui s’en vont. Ceux qui étaient partis avaient coupé ce qui ressemblait à une tête d’homme sur la branche d’un certain arbre. Les Livoniens pensèrent que c’était le dieu des Saxons et ils pensèrent qu’il leur apporterait la pluie et la maladie. C’est pourquoi ils firent bouillir de l’hydromel selon leur rite, le burent ensemble, et après délibération entre eux, enlevèrent la tête de l’arbre, la placèrent sur des branches attachées ensemble, et l’envoyèrent comme dieu des Saxons, avec la foi chrétienne, derrière ceux qui repartaient vers le Gotland par mer.

9. Un mois s’écoula, la paix fut rompue, et ils commencèrent à capturer des moines, et à les maltraiter, à attaquer leurs biens, faisant cela furtivement et violemment. Les chevaux aussi ayant été dérobés, les champs ne furent pas cultivés. Il en résulta une perte pour l’église de deux cents marks. Le clergé, donc, s’enfuit d’Ikšķile vers Holm, ne sachant à quel saint se vouer.[7]

10. Durant le Carême suivant,[8] l’assemblée des Livoniens au complet décida que tout clerc restant dans le pays après pâques serait puni de mort. Tant par peur de la mort que parce qu’il cherchait un pasteur, le clergé, se réfugia en Saxe. Les Livoniens décrétèrent aussi que les marchands qui resteraient la seraient tués. Mais les marchands, pensant à leur vie, firent des cadeaux aux anciens.

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[1] Rehburg-Loccum, ville d'Allemagne, en Basse-Saxe, 40 km à l'ouest de Hanovre. Le monastère cistercien fut fondé en 1163.

[2] En 1197.

[3] En 1198.

[4] Proverbes, 26, 11.

[5] Berthold fut inhumé dans l’église d’Ikšķile, puis sa dépouille fut transférée à Riga.

[6] Le sens de « charrue », confirmé dès 800 par le sens de « mesure de terre (la surface labourable avec une charrue dans un domaine) » (Codex Laureshamensis ds Mittellat. W. s.v., 312, 10), n'est attesté avec certitude qu'au IXe s. (Polyptique d'Irminon ds NIERM.), le sens du mot dans l'attest. de la Loi Salique (34, 2 ds TLL s.v., 498, 79) et du Capitulaire de Villis (Z. rom. Philol., t. 37, p. 535 et t. 38, p. 561) pouvant aussi bien être « voiture » que « charrue ». Extrait du site http://atilf.atilf.fr/tlf.htm, Trésors de la langue française.

[7] Le texte latin est plus long que l’expression française ; il dit littéralement : sans savoir à quel sort ou à quel endroit s’en remettre.

[8] En 1199.