Helmold

HELMOLD DE BOSAU

 

Chronique des Slaves : LIII-LIV

Œuvre numérisée et traduite par Marc Szwajcer

LII - LV- LVII

 

 

 

HELMOLD DE BOSAU

 

CHRONIQUE DES SLAVES

 

 

 

 

De edificatione Segeberch. Capitulum LIII.

 

 

 

Cum igitur inclitus cesar Lotharius et reverentissima coniunx eius Rikenze plenam erga divinum cultum devocionis curam gererent, adiit eum sacerdos Christi Vicelinus Bardewich consistentem et suggessit ei, ut Slavorum genti secundum datam sibi celitus potentiam aliquod salutis remedium provideret. Preterea intimavit ei, quia in Wairensi provincia mons haberetur aptus, cui propter tutelam terrae regale possit castrum imponi. Nam et Kanutus rex Obotritorum olim eundem montem occupaverat, sed miles illic positus inmisso noctu latrone captus est dolo senioris Adolfi metuentis se a Kanuto, si forte invalesceret, facile posse premi.

Imperator igitur audito sacerdotis prudenti consilio transmisit viros idoneos, qui specularentur aptitudinem montis. Certior igitur factus verbis nuntiorum transmisso amne venit in terram Slavorum ad locum destinatum. Precepitque omni populo Nordalbingorum, ut occurrerent ad edificacionem castelli. Sed et principes Slavorum aderant in obsequium imperatoris, facientes operacionem, sed cum grandi tristicia, eo quod sentirent clam sibi suscitari pressuram. Dixit igitur quidam principum Slavorum ad alterum: 'Vides hanc structuram firmam et preeminentem? Ecce vaticinor tibi, quia castrum hoc erit iugum universae terrae; hinc enim egredientes primum effringent Plunen, deinde Aldenburg atque Lubeke, deinde transgressi Trabenam Racesburg et omni Polaborum terra abutentur. Sed neque Obotritorum terra effugiet manus eorum'. Cui ille respondit: 'Quis nobis malum hoc paravit, aut regi montem hunc quis prodidit?' Ad quem princeps: 'Vides', inquit, 'homuncionem illum calvum, stantem prope regem? Ille induxit super nos universum malum hoc'.

Perfectum est igitur castrum et numeroso milite communitum vocatumque Sigeberg. Posuitque in eo quendam satellitem suum Herimannum, qui castro preesset. Nec his contentus ordinavit fundacionem novae ecclesiae ad radices eiusdem montis, deputans in subsidium divini cultus et stipendia fratrum illic adunandorum sex vel eo amplius oppida, iuxta morem privilegiis constabilita. Porro dispensacionem eiusdem basilicae commisit domno Vicelino, ut edificiis subrigendis et personis coadunandis instaret propensius. Idem quoque fecit de Lubicensi ecclesia, precipiens Pribizlavo sub obtentu gratiae suae, ut memorati sacerdotis vel qui vicem eius egissent plenam gereret diligentiam. Proposuitque, ut ipse protestatus est, omnem Slavorum gentem divinae religioni subigere et de ministro Christi statuere pontificem magnum.

 

 

 

LIIII. Obitus Lotharii imperatoris. Capitulum

 

 

 

His ita peractis imperator, ordinatis rebus tam Slavorum quam Saxonum, dedit ducatum Saxoniae Heinrico, genero suo, duci Bawariae, quem etiam secum assumens paravit secundam profectionem in Italiam. Interea domnus Vicelinus, legacionis sibi creditae sollers curator, idoneas ewangelio personas ad opus ministerii conscivit; ex quibus venerabiles sacerdotes Ludolfum, Herimannum, Brunonem in Lubeke constituit, Luthmundum cum ceteris Sigeberg esse mandavit. Iactumque est misericordia Dei et virtute Lotharii cesaris seminarium novellae plantacionis in Slavia. Sed accedentibus ad servitutem Dei non desunt temptaciones: sic et patres novellae ecclesiae permaximas invenere iacturas. Imperator enim bonus, cuius erga vocacionem gentium virtus probata, postquam Roma cum Italia potitus est, Rogerum quoque Siculum Apulia pepulit, cum iam redire pararet, inmatura morte preventus est. Conturbati sunt hac fama omnes potestates imperii, virtus quoque Saxonum tanto principe illustrata penitus concidisse visa est; et in Slavia res ecclesiasticae labefactatae sunt. Statim enim, ut corpus defuncti cesaris perlatum est in Saxoniam et Lutture tumulatum, ortae sunt sediciones inter Heinricum regis generum et Adelbertum marchionem, contendentium propter ducatum Saxoniae. Conradus autem rex in solium regni levatus Adelbertum in ducatu firmare nisus est, iniustum esse perhibens quemquam principum duos tenere ducatus. Nam Heinricus duplicem sibi vendicabat principatum , Bawariae atque Saxoniae. Bellabant igitur hii duo principes, duarum sororum filii, intestinis preliis, et commota est universa Saxonia. Et quidem Adelbertus preripiens castrum Lunenburg cum civitatibus Bardewich atque Brema occidentali Saxonia potitus est. Sed et Nordalbingorum fines partibus eius appliciti sunt. Quam ob rem comes Adolfus provincia pulsus est, eo quod fidem iuratam imperatrici Rikenze et genero eius temerare noluisset. Comeciam eius, urbes et servitia Heinricus de Badwide beneficio Adelberti assecutus est. Sed et castrum Sigeberg in custodiam accepit, mortuo scilicet Herimanno ceterisque exturbatis, quos cesar imposuerat.

 

LIII.

LA CONSTRUCTION DE SEGEBERG.

Blason de Segeberg[1]

 

Puisque l'illustre César Lothaire et sa très digne épouse Richenza s’étaient énormément dévoués avec sollicitude au service divin, le prêtre du Christ, Vicelin, alla le voir quand il s'arrêta à Bardowiek[2] et lui suggéra de fournir aux slaves certains moyens pour leur salut en accord avec le pouvoir que le Ciel lui avait été accordé. Vicelin, par ailleurs, lui fit savoir qu’il existait, dans la province de Wagrie, une montagne propice à la construction d'un château royal pour la protection de la terre. Knut, roi des Abodrites, avait déjà occupé cette montagne, mais les soldats qu'il y avait postés avaient été faits prisonniers par des voleurs menés par la trahison du vieil Adolf[3] qui craignait contre lui une facile oppression si Knut se renforçait.

L'empereur suivit le prudent conseil du prêtre et envoya des hommes compétents pour déterminer les propriétés de la montagne. Conforté par les rapports de messagers, il traversa la rivière et entra sur la terre des Slaves à l'endroit désigné. Il ordonna à tous les Nordalbingiens de se regrouper pour construire le château. Par obéissance envers l'empereur, les princes des Slaves étaient également présents, prenant part à l'entreprise, mais avec une grande affliction, car ils sentaient au fond d’eux-mêmes qu’il était bâti pour les soumettre. L’un des princes Slaves dit alors à un autre: « Vois-tu cette structure solide et proéminente? Eh bien, je te prédis que ce château se révélera un joug pour toute la terre; pour sortir de là, ils briseront d'abord Plon puis Oldenbourg et Lubeck, puis ils traverseront la rivière Trave et soumettront Ratzeburg et toutes les terres des Polabes. Et le pays des Abodrites n'échappera pas à cette emprise. » L'autre lui répondit: « Qui a préparé notre malheur en parlant de cette montagne au roi? » Le prince lui répondit: « Regarde ce chauve aux côtés du roi, c’est lui qui nous a fait tout ce mal? ».

Le château fut terminé et doté d’une nombreuse soldatesque et on l’appela Segeberg. Le César nomma Hermann, l’un de ses sbires, responsable du château. Peu satisfait de ces arrangements, il ordonna la fondation d'une nouvelle église au pied de cette même montagne, réservée au soutien du culte divin et, pour les tributs aux frères qui allaient se rassembler là, six villages ou plus, confirmant ce privilège par des chartes selon coutume. En outre, il confia l'intendance de cette basilique à maître Vicelin, qui serait le plus apte à faire avancer la construction de logements et à amener des clercs. Il fit également un arrangement semblable pour l'église de Lübeck, prévenant Pribislav, qu'il devrait la favoriser, avec toute la diligence vigilante du prêtre, lui ou qui que ce soit agissant en son nom. Son but était, comme il l’attesta lui-même, de contraindre toute la populace slave à [adopter] la religion divine et de faire un grand évêque du ministre du Christ.

 


 

 

LIV.

LA MORT DE L’EMPEREUR LOTHAIRE.

 

 

 

L’empereur ayant fait cela et mis en ordre ses affaires chez les Slaves comme chez les Saxons, remit le duché de Saxe à son gendre Henri, duc de Bavière,[4] et après qu’il en eut pris possession, ils partirent ensemble vers l'Italie. Cependant maître Vicelin, curateur habile de l'affaire qu’on lui avait confiée, recueillit des personnes adéquates pour le sermon de l'évangile et pour le service de Dieu. Parmi eux il établit à Lubeck les prêtres vénérables Ludolf, Herman et Bruno, et il confia Segeberg à Luthmund et à d’autres. Ainsi s’accomplit la miséricorde de Dieu, et grâce aux mérites de l'empereur Lothaire, on créa une nouvelle pépinière de la foi en terre slave. Mais, au service de Dieu, les tentations ne manquèrent pas : ainsi, les pères de la nouvelle église eurent à faire de grands sacrifices. Car l'empereur bienveillant, dont les mérites à l'appel des païens sont reconnus de tous, après avoir pris possession de Rome et de l'Italie et avoir expulsé d’Apulie Roger de Sicile,[5] se préparait déjà à revenir, lorsqu’une mort prématurée l’en empêcha soudainement.[6] Cette nouvelle jeta le trouble parmi tous les puissants de l'empire; le mérite saxon, rendu si célèbre par ce souverain, donna l’impression d’une complète décadence. Et alors les affaires de l'Eglise chancelèrent en terre slave. Car dès que le corps de l'empereur défunt fut transporté en Saxe au tombeau de Königslutter,[7] les conflits commencèrent entre Henri, gendre du roi, et le margrave Albert,[8] qui se disputaient le pouvoir ducal en Saxe. Quand le roi Conrad fut élevé au trône,[9] il essaya d’installer Albert dans le duché, estimant injuste que tout prince puisse détenir deux duchés. Henri revendiqua pour lui-même les deux duchés, la Bavière et la Saxe. Par conséquent, ces deux princes, les fils de deux sœurs, amenèrent la guerre civile, et toute la Saxe fut dans la tourmente. Albert, en effet, s’empara rapidement la forteresse de Lüneburg et des villes de Bardowiek et Brême, se rendant maître de la Saxe occidentale. Le territoire des Nordalbingiens fut également ajouté à ses possessions. En conséquence, le comte Adolphe fut chassé de sa province, ne voulant pas rompre le serment de fidélité prêté à l'impératrice Richenza et à son gendre. Albert attribua par faveur son comté, ses forteresses et ses droits féodaux à Henri de Badwide.[10] Il reçut aussi le château de Segeberg sous sa protection, car Hermann était mort, et les autres que l'empereur y avait installés, furent expulsés.


[1] La définition de ce blason tirée du site (www.euraldic.com/blas_se.html) ne me paraît pas correcte : « D'azur, à un mur crénelé, touchant les flancs de l'écu, sommé de deux tours crénelées entre lesquelles se trouve une fleur-de-lis, le tout d'or ».

Il vaut mieux prendre la définition traduite malencontreusement du texte de Wikipédia : « D’argent à quatre clochers formant une croix, (commémorant les activités de missionnaire de l'évêque Vicelin de Segeberg qui a christianisé le Holstein au moyen âge), et à la feuille d'ortie du Holstein au milieu de la croix avec quatre nénuphars verts des premiers magistrats de Segeberg ».

[2] Wikipédia: « La première mention de Bardowiek est dans le Ratzeburger Hufenregister et date de 1292. La ville fut presque entièrement détruite pendant la guerre des Trente Ans. » On voit que c’est erroné puisqu’Helmold en parle ici, donc avant 1292.

[3] Adolf I, comte de Holstein.

[4] Henry X le Superbe, époux de Gertrude, fille de Lothaire, duc de Bavière (1126 - 1138), et duc de Saxe en 1137.

[5] Roger II, roi de Sicile (1130 - 1154).

[6] Au mois de décembre 1137.

[7] Königslutter am Elm ou Koenigslutter est une ville de Basse-Saxe, en Allemagne. Située dans l'arrondissement de Helmstedt, elle comptait 17.000 habitants en 2003. Königslutter est mentionnée pour la première fois en 1150, et reçut une charte municipale vers 1400. L'empereur Lothaire III y fonda en 1135 une abbaye bénédictine, dans l'église de laquelle il se fit enterrer.

[8] Albert Ier de Brandebourg surnommé l’Ours.

[9] Conrad III, empereur (1138-1152).

[10] Henri de Badewide (ou Badwide) (mort vers 1164.) fut un comte saxon de Botwide (après 1149) et comte de Ratzeburg (après 1156). Il tire son nom de Bode près d’Ebstorf.