Œuvre numérisée et traduite par Marc Szwajcer
De Vicelino episcopo. Capitulum XLII.Vicelinus itaque Mindensi parrochia oriundus in villa publica cui nomen Quernhamele, quae sita est in ripa Wiserae, genitus est parentibus morum magis honestate quam carnis et sanguinis nobilitate adornatis. Litterarum rudimentis apud canonicos eiusdem loci institutus est, neglectus tamen pene ad virilem etatem, eo quod parentibus orbus adolescentiae annos, ut ea assolet etas, levis et lubricus exegerit. Patria tandem domo exemptus divertit in castellum non longe positum, cui nomen Eversten, ubi nobilis domina mater Conradi comitis iuvenem desolatum miserata aliquandiu tenuit, misericorditer fovit, adeo ut sacerdos castri videns et invidens occasiones quereret, quibus eum castro deturbaret. Quadam igitur die multis arbitris coram positis interrogavit Vicelinum, in scolis positus quid legisset. Illo perhibente se Statium Achilleidos legisse, consequenter requisivit, quae esset materia Statii. Sed cum diceret se nescire, sacerdos nimium mordaciter ad circumstantes: 'Heus', inquit, 'ego iuvenem hunc de recenti studio venientem putabam aliquid esse, sed opinione delusus sum. Iste enim penitus nullius momenti est'. Sed quia scriptum est: Verba sapientium stimuli et quasi clavi in altum defixi, tantae cavillacionis verbum modestia iuvenis extimuit, statimque castro sese proripiens etiam sine valedictione discessit, tantis lacrimis inundans et verecundiae punctiones sustinens, ut vix cuiquam opinabile sit. Audivi eum sepenumero dicentem, quia ad verbum illius sacerdotis respexerit eum misericordia divina. Abiit igitur Patherburnen, ubi tunc forte studia litterarum florebant sub nobili magistro Hartmanno. Cuius etiam mensa et contubernio usus quam pluribus annis tanto fervore, tanta denique instantia studuit, ut non facile explicari possit. Crebro enim veluti ad quandam desudans mente palestram, artibus edomitum subdidit ingenium. Non hunc ludi, non epulae cepto proposito detraxerant, quin aut legeret aut dictaret vel certe scriberet. Chori preterea diligentissimus curator extitit, inter primicias adolentis religionis deservire Deo suave piumque putans. Videns igitur egregius magister discipulum atque contubernionem suum supra vires laborare sepius ait ad eum: 'O Viceline, precipitanter agis, pone modum studiis, nam temporis adhuc satis superest, quo plurima discere possis'. Ille nichil motus hiis verbis: 'Ecce recordor', ait, 'me libris tardas applicuisse manus, festinare decet, patitur dum tempus et etas'. Dedit autem Dominus viro illi intellectum et cor docile, supercrescensque socios in brevi factus est in scolis regendis magistri coadiutor. Preerat igitur sociis in sollicitudine, instituens tam doctrina quam exemplo. Orationi etiam interdum vacans omnium sanctorum suffragia efflagitabat, precipue vero beati Nicolai, cuius obsequio specialius sese manciparat. Unde etiam contigit, ut vice quadam eiusdem sancti natalitia celebraturus in oratorio sanctae Brigidae socios consciverit. Ubi vespertino et matutino officio sollempniter expleto angelicae voces a quibusdam auditae sunt psallentes iuxta morem cleri responsorium: Beatus Nicolaus iam triumpho potitus. Accessit igitur Vicelino gaudium de miraculo et de gaudio cumulata devocio. De transitu Ludolfi presbiteri. Capit. XLIII.Ceterum eidem viro divino famulatu imbuendo nobile prebuit virtutis incitamentum illa celebris fama avunculi ipsius Ludolfi, sacerdotis de Feule, qui summae sanctitatis vir magnusque confessor frequentabatur a populis regionis confitentium peccata sua et remedio penitentiae venturam iram declinare cupientium. Ad quem et ipse accersitus sepius accessit insistens abluendis per confessionem propriis criminibus, consideravitque in sacerdote naturae simplicitatem, innocentiam vitae et super omnia elemosinarum largitatem statumque vitae nulla dissolucione labefactatum. Qui etiam venerabilis sacerdos etate iam decrepitus, sed vigore spiritus integer, ubi egritudine mortali decubuit, misit ad accersiendos sacerdotes et religiosos quosque; impetrato sacrae unctionis officio conquestus est se fraudatum presentia dilectissimorum suorum Rotholfi Hildenemensis canonici et Vicelini. Nec mora ad vocem deprecantis uterque inopinatus advenit, repperiuntque virum Deo dilectum exitus sui horam cum magna devocione opperientem. A quo etiam recogniti cum gratiarum actione suscepti sunt. Nocte igitur supprema Deo in oratione colloquens, appropinquante iam diluculo, iussit sibi a dyacono legi passionem dominicam, qua intentius audita celeriter adorsus est dyaconum: 'Affer michi', inquit, 'velociter viaticum salutare, iam enim adest hora migrandi'. Statimque participans vivificis misteriis dixit astantibus: 'Ecce veniunt qui me deducturi sunt, ecce veniunt nuntii Domini mei, sublevate me de lecto'. Quibus attonitis: 'Quid trepidatis', inquit, 'o viri? Nonne videtis nuntios Domini mei omnes adesse?' Statimque anima illa carne soluta est. Mane igitur facto convenientibus multis ad sepulturam tanti viri orta est disceptacio de sepultura eius, populo quidem eum in ecclesia, familiaribus vero eius in atrio, ut ipse iusserat, sepeliri volentibus. Offertur interim pro anima eius hostia salutaris, cum Theodericus quidam, qui adhuc superest, propter vigilias funeris sopore gravis lecto decubuit, viditque sibi assistere virum reverendi habitus et dicentem: 'Quousque dormitas? Surge et fac sepeliri sacerdotem, ubi populus eius decrevit'. Prevaluit ergo ex beneplacito Dei postulacio populi, sepelieruntque eum infra muros ecclesiae, cui multis annis fideliter deservierat. |
CHAPITRE XLII.VICELIN.[1]Vicelin naquit dans le diocèse de Minden sur un domaine impérial appelé Hameln, situé sur les rives de la Weser. Il fut issu de parents distingués par droiture de leur mode de vie que par la noblesse de leur sang et de leur naissance. Il fut instruit aux rudiments de lettres par les chanoines de ce lieu. Pourtant, il fut négligé jusqu'à ce qu'il ait presque l'âge d’un homme. Comme il perdit ses parents, il passa ses années d’adolescence, comme d'habitude à cet âge, dans la futilité et l'insouciance. Quand enfin il perdit la maison de son père, il alla se loger dans un château appelé Everstein,[2] situé à proximité. Là, une noble dame, la mère du comte Conrad, eut pitié de ce jeune dépourvu d’amis. Pendant quelque temps, elle le garda et le chérit tendrement, si bien que le prêtre du château s’en aperçut et, jaloux, il chercha une occasion de le chasser du château. Un jour, donc, en présence de nombreux visiteurs, il demanda à Vicelin ce qu'il avait lu à l'école. Lorsque ce dernier lui répondit qu'il avait lu l'Achilléide du Stace,[3] le prêtre enchaîna une question : « Quel est le thème de Stace? » Quand Vicelin dit qu'il ne le savait pas, le prêtre se tourna vers les invités avec des paroles démesurément acerbes: « Hélas, dit-il, je pensais que ce jeune homme, tout juste sorti de ses études, vaudrait quelque chose, mais je me suis trompé. Cet adolescent ne vaut absolument rien. » Mais cependant, il est écrit : « Les paroles des sages sont comme des aiguillons, et comme des clous profondément enfoncés,[4] » le jeune timide fut profondément affecté par l'énoncé d'un tel mépris. Il quitta en hâte le château, sans même dire adieu, débordant de tant de larmes et souffrant de telles piqûres de honte qu'on a peine à l’imaginer. Je l'ai entendu dire à maintes reprises que la miséricorde divine s’était souvenue de lui par la remarque de ce prêtre. Il alla, par conséquent, à Paderborn, où l'étude des lettres florissait alors sous un noble maître, Hartmann. A sa table et dans sa maison, Vicelin trouva sa place, et pendant plusieurs années étudia avec tant d'ardeur et, en effet, avec un sérieux qu’on ne peut pas décrire aisément. Car souvent: Comme tous ceux qui luttent à fatiguer leur esprit, Il maîtrisa entièrement son intelligence par les arts. Ni jeux, ni fêtes ne le distrayaient de la tâche commencée, si ce n’est la lecture, la composition ou du moins la recopie. D'ailleurs, il fut le plus diligent dans son attention envers la chorale, car il ressentit que considérer le service de Dieu comme un devoir doux et pieux est l'un des premiers fruits d'une fructueuse vie religieuse. Toutefois, lorsque le distingué maître vit son disciple et compagnon de maisonnée dépasser ses forces, il lui dit souvent: …………………………………O Vicelin, Tu fonces la tête la première. Modère tes études. Car il reste encore assez maintenant Pour que tu puisses en découvrir beaucoup Peu ému par ces propos, ce dernier répondait: Mais vois, trop tardivement, je pense aux livres Sur lesquels j’ai posé la main. Il faut s’empresser Lorsque le temps et l'âge le permettent encore.[5] Le Seigneur, en outre, donna à cet homme la compréhension et un esprit agile pour devancer ses camarades et il devint en peu de temps l’adjoint du maître dans la direction de l'école. Il géra ses camarades avec diligence, instituant tant la doctrine que l’exemple. Pendant ce temps aussi, quand il était libre de prier, il implorait l'intervention de tous les saints, en particulier celle de Saint Nicolas au service duquel il s’était notamment engagé. Et il arriva une fois que Vicelin eut à célébrer le jour de Noël l'office divin dans la chapelle de Ste Brigitte,[6] où tous ses compagnons se réunirent. Lorsque les offices des vêpres et des matines furent solennellement terminés, certains d'entre eux entendirent des voix angéliques chanter le répons[7] à la manière des clercs : « Bienheureux Nicholas, maintenant ton triomphe est total. » Vicelin déborda de joie à ce miracle et son dévouement se renforça suite à cette allégresse. CHAPITRE XLIII.LA MORT DU PRÊTRE LUDOLFEn outre, le caractère spécifique de son oncle Ludolf, curé de Fuhlen,[8] incita Vicelin à la noble vertu et l’inspira pour le service divin. Homme de sainteté et grand confesseur, les gens de la région confessant leurs péchés et faisant pénitence, désireux de conjurer la colère à venir, rendaient visite à ce prêtre. Il attira également Vicelin. Il allait souvent, priant pour l'anéantissement de ses péchés dans la confession, et il vit dans le prêtre une simplicité naturelle, une vie sans tâche, et surtout une charité débordante et une façon de vivre inébranlable devant le futile. Puis, quand ce vénérable prêtre, faible du fait de l'âge, mais fort par la vigueur de son esprit, tomba malade d'une maladie mortelle, il convoqua tous les prêtres et religieux qu’il put trouver. Après l’administration de l'extrême-onction, il se plaignit de l’absence de son très cher Rotholph, canon d’Hildesheim, et de celle de Vicelin. Sa prière était à peine prononcée quand chacun arriva à l'improviste pour trouver cet homme aimé de Dieu attendant avec une grande résignation l'heure de sa mort. Il les reconnut encore et les reçut par des actions de grâces. Il passa sa dernière nuit communiant avec Dieu par la prière. Comme le jour commençait à poindre, il ordonna au de lui lire la passion du Seigneur. Après avoir écouté attentivement, il se tourna brusquement vers le diacre et lui dit: « Apportez-moi vite le saint viatique car l'heure de ma fin est proche. » Partageant immédiatement les vivifiants mystères, il dit à ceux qui se trouvaient là: « Ecoutez, ceux qui doivent m’emmener viennent; voyez, les messagers de mon Seigneur sont arrivés; levez-moi de mon lit. » Comme ils étaient pétrifiés par ses paroles, il leur dit: « Pourquoi tremblez-vous, ô hommes? Ne voyez-vous pas que les messagers de mon Seigneur sont tous ici? » Et aussitôt son âme fut libérée de sa chair. Quand, à la lumière du jour, donc, nombreux se réunirent pour l'enterrement du grand homme, un différend se créa à propos de sa sépulture. D'un côté, le peuple voulait qu’il fût enterré dans l'église; de l’autre, ses amis souhaitaient le voir enterré au cimetière comme il l'avait demandé. Entretemps l’Eucharistie[9] fut offerte pour son âme, tandis qu'un certain Théodoric, toujours en vie, assoupi, pris de somnolence à cause de ses veillées au lit du mort. Il vit un homme debout d’apparence respectable à côté de lui disant: « Combien de temps peux-tu dormir? Lève-toi et fait que le prêtre soit enterré là où son peuple l’a voulu. » Grâce à la bonne volonté de Dieu, donc, le désir du peuple l’emporta. Et on l'enterra dans les murs de l'église qu’il avait pendant de nombreuses années fidèlement servi.
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[1] Alias Vicelinus, Vizelin. Saint Vicelinus (1086 – 12 décembre 1154), évêque allemand d’Oldenbourg qui fut considéré comme l’apôtre du Holstein. Compte tenu de ces dates Helmold est contemporain des événements. [2] Sur une colline appelée Burgberg (rive droite de la Weser près d’Holzminden). Les murs en ruines de l'ancien château d’Everstein peuvent être vus sur les sommets jumeaux du Grand Everstein (345,2 m) et du Petit Everstein. [3] Stace, poète romain. Son poème "L’Achilléide" connut une grande popularité à l'époque du Moyen Age. [4] Eccles. 12, 11 [5] Maître Hartmann et Vicelin ont fait des vers, semble-t-il avec facilité. La traduction n’est peut-être pas aussi aisée. [6] Il s’agit là de sainte Brigitte d'Irlande ou Brigitte de Kildare, née en 451 à Faughart près de Dundalk, dans le comté de Louth, en Irlande, et morte en 525 à Kil Dara, est une sainte des Églises catholique et orthodoxe. Les fidèles l’honorent le 1er février. En effet à l’époque d’Helmold (vers 1120 - après 1177), saint Brigitte de Suède, la plus connue, n’était pas encore née! [7] Refrain repris par le chœur, alternant, dans la psalmodie responsoriale [qui qualifie tout chant où alternent versets et répons, où se répondent soliste et chœur], avec les versets donnés par un soliste. (Trésors de la langue française, http://atilf.atilf.fr/tlfv3.htm) [8] Peut-être la ville proche d’Hildesheim. [9] En latin « hostia salutaris ». |