Œuvre numérisée et traduite par Marc Szwajcer
Le texte en bleu foncé est de Potocki.
De interfectione Rugianorum. Capit. XXXVI.Comiciam vacantem dedit Luderus dux nobili viro Adolfo de Scowenburg. Fuitque pax inter Adolfum comitem et principem Slavorum Heinricum. Quodam igitur tempore, cum Heinricus resideret in urbe Lubeke, ecce improvisus supervenit exercitus Rugianorum sive Ranorum, subvectique per alveum Trabenae urbem navibus circumdederunt. Sunt autem Rani, qui ab aliis Runi appellantur, populi crudeles, habitantes in corde maris, ydolatriae supra modum dediti, primatum preferentes in omni Slavorum nacione, habentes regem et fanum celeberrimum. Unde etiam propter specialem fani illius cultum primum veneracionis locum optinent, et cum multis iugum imponant, ipsi nullius iugum paciuntur, eo quod inaccessibiles sint propter difficultates locorum. Gentes, quas armis subegerint, fano suo censuales faciunt; maior flaminis quam regis veneracio apud ipsos est. Qua sors ostenderit, exercitum dirigunt. Victores aurum et argentum in erarium Dei sui conferunt, cetera inter se partiuntur. Hii ergo dominacionis libidine provocati venerunt Lubeke, veluti possessuri omnem Wagirensium et Nordalbingorum provinciam. Videns autem Heinricus improvisum obsidionis malum dixit ad principem miliciae suae: 'Consulendum est saluti nostrae et virorum, qui nobiscum sunt, et necessarium michi videtur, ut exeam ad contrahenda auxilia, si forte possim urbem obsidione liberare. Esto igitur vir fortis et conforta bellatores, qui in urbe hac sunt, et servate michi urbem usque in diem quartum. Tunc enim vita comite apparebo super montem illum'. Et elapsus nocte cum duobus viris venit in terram Holzatorum, nuntians eis inminens periculum. At illi in unum conglobati occurrerunt cum eo ad prelium veneruntque prope municionem, quae expugnabatur ab hostibus. Et collocavit Heinricus socios in latibulis precepitque eis in silentio esse, ne forte hostes audirent vocem multitudinis aut hynnitum equi. Avulsusque a sociis, uno tantum contentus servo, venit ad locum, quem prefixerat, unde videri posset ab urbe. Cuius faciem prefectus urbis callide observans ostendit eum amicis, quorum animi consternati erant. Nam fama pertulerat ad eos, quod Heinricus nocte, qua egressus est, captus esset ab hostibus. Contemplatus igitur Heinricus suorum periculum et obsidionis fervorem reversus est ad socios, dissimulatoque itinere circumduxit exercitum per viam maris usque ad ostium Travenae descenditque per viam, qua Slavorum equites descendere debebant. Ubi igitur Rani viderunt multitudinem per iter maris descendentem, putabant, quia equites sui sunt, exieruntque de navibus in occursum eis cum gaudio et plausu. At illi sublato clamore in oratione et ymnis insiluerunt in hostes subito et perterritos inopinato casu ad naves usque propulerunt. Et facta est ruina magna in exercitu Ranorum in die illa, cecideruntque interfecti coram castro Lubeke, nec fuit minor numerus eorum qui aquis prefocati sunt quam occisorum gladio. Feceruntque tumulum magnum, in quo proiecerunt corpora mortuorum, et in monimentum victoriae vocatus est titulus ille Raniberg usque in hodiernum diem. Magnificatusque est dominus Deus in manu Christianorum in die illa, statueruntque, ut dies Kalendarum Augusti celebretur omnibus annis in signum et recordationem, quod percusserit Dominus Ranos in conspectu plebis suae. Servieruntque Ranorum populi Heinrico sub tributo, quemadmodum Wagiri, Polabi, Obotriti, Kycini, Cyrcipani, Lutici, Pomerani et universae Slavorum naciones, quae sunt inter Albiam et mare Balthicum et longissimo tractu portenduntur usque ad terram Polonorum. Super omnes hos imperavit Heinricus vocatusque est rex in omni Slavorum Nordalbingorum provincia.
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CHAPITRE XXXVILE MASSACRE DES RUGIENS.Le duc Lothaire attribua le comté vacant à un noble, Adolphe de Schauenburg.[1] Et la paix s’instaura entre le comte Adolphe, et Henri, prince des Slaves. Un jour comme Henry résidait dans la ville de Lubeck, voilà qu’une flotte des Rugiens entre dans la rivière Travena & entoure la ville. Les Rugiens sont aussi appelés Raniens & Runiens ; ce sont des hommes cruels habitants au milieu de la mer, voués à l’idolâtrie & ils se croient les premiers d’entre les Slaves parce qu’ils ont un Roy & un temple célèbre & effectivement grâce à ce temple ils sont très respectés des autres Slaves. Ils imposent à plusieurs le joug de la servitude & ne le supportent point pour eux-mêmes ; aussi la difficulté des lieux rend leur pays inaccessible. Lorsqu’ils ont soumis une nation par les armes, ils la rendent tributaire de leur temple. Chez eux, le grand Prêtre est plus respecté que le Roy & ils conduisent leurs armées dans les lieux qui leurs sont indiqués par les forts. Les vainqueurs portent l’or & l’argent dans le trésor du Dieu & partagent entre eux le reste du butin. Et, animés par leur désir de domination, ils vinrent à Lübeck pour s'emparer par exemple de toute la Wagrie et de la province des Nordalbingiens. Henri, prévoyant le désastre de ce siège inattendu, dit au chef de sa troupe : « Nous devons prendre des mesures de sécurité pour les hommes qui sont avec nous. Il est indispensable que je parte demander de l'aide, alors peut-être je réussirai à libérer la forteresse du siège. Mais toi, sois courageux et renforce l’[esprit] des combattants qui se trouvent dans la forteresse. Tiens la ville pour moi jusqu’au quatrième jour. Si alors je suis vivant, je te ferai des signes de cette montagne. » Et il partit en secret pendant la nuit avec deux hommes, pour aller sur la terre des Holzatiens, en leur annonçant le péril imminent. Et se rassemblant, ils se précipitèrent avec lui pour combattre et s’approchèrent de la forteresse, assiégée par l'ennemi. Et Henri installa ses alliés dans des cachettes et leur ordonna de faire silence afin que d’aventure les ennemis n'entendent pas les voix de la multitude ou les hennissements des chevaux. Et, les ayant quitté, accompagné d'un seul serviteur, il se rendit à l’endroit fixé d’où on pouvait le voir depuis la ville. Le commandant de la forteresse, ayant parfaitement respecté ses instructions, montra le visage d’Henri à ses amis, déjà affolés, car la rumeur courait parmi eux qu'il avait été fait prisonnier par les ennemis la nuit où il était sorti. Lorsqu’Henri eut prit connaissance du péril encouru par les siens et de l’effervescence dans la forteresse, il revint à ses alliés et par un chemin secret il conduisit l'armée sur un chemin du littoral jusqu’à l'embouchure de la Trave et il descendit la route que les cavaliers Slaves devaient prendre. Lorsque les Rani virent cette multitude venir par la route menant à la mer, ils crurent que c'étaient leurs cavaliers et ils quittèrent leurs navires pour se porter vers eux avec joie et reconnaissance. Mais les Saxons, avec leurs éclats de voix dans la prière et les hymnes, s'élancèrent sur l'ennemi d'un seul coup, et le repoussèrent, terrifié, par cette attaque inattendue, jusqu’à leurs navires. Et ce jour-là un grand massacre eut lieu dans l'armée des Rani, et beaucoup moururent devant la forteresse de Lubeck, le nombre de ceux qui se noyèrent dans les eaux ne fut pas moins grand que celui de ceux qui périrent par l'épée. Les vainqueurs firent alors un grand tombeau où l’on jeta les cadavres et, en commémoration de la victoire, ce tumulus fut appelé Raniberg, même encore aujourd’hui. En ce jour le Seigneur Dieu fut glorifié par les mains des chrétiens et on ordonna que ce jour des calendes d'août[2] fût célébré chaque année en signe et en souvenir du fait que le Seigneur avait frappé les Rani à la vue de Son peuple.[3] Les peuples des Rani servirent ensuite Henri en lui payant tribut tout comme les Wagriens, Polabes, Abodrites, Kicini, Circipani, Lutici, Poméraniens et toutes les tribus slaves vivant entre l'Elbe et la mer Baltique, [territoire] qui s’étend d’une longue ligne jusqu’à la terre des Polonais. Henri dirigea tous ceux-là, et il fut appelé roi[4] dans toutes les provinces des Slaves et des Nordalbingiens. |
[1] Adolphe Ier de Schauenbourg (1110-1131): [2] 1er septembre. [3] Ces événements de l’attaque de Lubeck eurent lieu en 1110. [4] Helmold utilise ici le terme roi (rex), après avoir appelé Henri, prince (princeps).
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