GUILLAUME LE BRETON.
PHILIPPIDE : CHANT IX
Oeuvre mise en page par par Partick Hoffman
texte latin numérisé par Philippe Remacle
COLLECTION
DES MÉMOIRES
RELATIFS
A L'HISTOIRE DE FRANCE,
depuis la fondation de la monarchie française jusqu'au 13e siècle
AVEC UNE INTRODUCTION DES SUPPLÉMENS, DES NOTICES ET DES NOTES;
Par M. GUIZOT,
PROFESSEUR D'HISTOIRE MODERNE A L’ACADÉMIE DE PARIS.
v LA PHILIPPIDE,
POÈME,
Par GUILLAUME LE BRETON.
POUR LE TEXTE LATIN
.
CATHALOGUS MATERIE LIBRI NONI.
Scismaticos parat in nono delere Philippus. INCIPIT LIBER NONUS.
Rex ita dum sevit in Christi membra Johannes,
Nescius ergo suum se procurare nocumen,
Inde per albicomas populos, patriamque feracem
30
Accedit dictis atque addit pauca Johannes :
Dixit, et extensis comitem circumligat ulnis,
Quam satius, Reginalde, tibi, quamrectiusesset,
Urbs antiqua sedet gremio telluris opime,
Hic quoniam facilis locus est quo confluat omnis
160
Dixerat. Atproceres, venerandaque curia
sancti
Rex ubi Francigenas tam prono pectore bellum 230
Hic Ferrandus erat Hispanus gente, neposque
Postquam Ferrandus comitem se vidit, et altum
Insidiosa foret fraus utilis insidioso,
Tam certis signis quam fame murmure, fiunt 290
Quo se non vertit, egeat ne prorsus, egestas?
Sepius erudiunt perversas verbera mentes,
Acceptans pater ista patrum commenta Johannis
Ergo relaxatur sententia ; cautio rerum
Classis prima quies Calesi fuit ; altera portu
Hic Savaricus opes cunctis e partibus orbis 380
Rex vero interea patriam sibi subjugat omnem,
Hinc procul amotos fines postremaque regni
Ille volebat adhuc superaddere multa ; sed ecce
Ut dictis est facta fides, rex : « Nulla moretur
Dux Britonum Petrus onus hoc pro munere magno
At rex, quique ejus lateri specialiter herent, 500
Nec mora, per totam fervent incendia terram ;
Jamque dies aderat, Pentecostesque beata
Dixit, et ut dictum res est regale scuta,
580 Hinc quoque Cortraci vi menia capta subivit,
Obtinet hinc abiens sub quarta luce Duacum,
Ut gladio doluit meritas exsolvere penas 600
Nec mora, Sequanias in partes rege reverso,
Dein, contra pacti juramentique tenorem,
Cum domibus pereunt omnes, vitare periclum
Hinc quoque Casselli sub eodem summa furore
Urbs erat et rebus et cive superba potenti,
Nunc utinam, nunc, Phebe, velis Heliconidas omnes |
252 CHANT NEUVIEME.
ARGUMENT. Dans le neuvième chant Philippe se dispose à exterminer les schismatiques; mais le comte de Boulogne excite des troubles dans le royaume, et, transfuse, va jurer fidélité à Jean et à Othon, ayant pour complice Ferrand (50). — Les Français tiennent une assemblée à Soissons avec le roi, et se déclarent d'un commun accord ennemis des schismatiques; puis, comme ils étaient déjà tout prêts à passer en Angleterre, Jean soumet sa personne et son sceptre aux descendans d'Enée (51). — La ville de Dam fait beaucoup de mal à la flotte, et cette ville et le pays environnant sont livrés aux flammes. — Toute la Flandre, dévastée par le fer des Français, expie la trahison de Ferrand; mais la perfide ville de Lille succombe plus misérablement que toutes les autres. —Les gens de la Flandre tiennent dans Tournai pendant sept jours. Tandis que le roi Jean sévit ainsi contre les membres du Christ, et qu'animé d'une semblable fureur, le cruel Othon tourmente l'Eglise, celui-là vexant horriblement les Anglais, celui-ci persécutant ceux qui se rendent à Rome, le roi Philippe en apprenant ces nouvelles, touché de la pitié naturelle à son cœur, prend compassion des maux de l'Eglise, de la ruine du peuple et du clergé, et s'afflige de voir dé- 253 périr ainsi le culte du Christ. Il apprend ces nouvelles, et promet qu'il sera le fidèle vengeur du Seigneur et de l'Eglise. S'étant engagé par ses vœux, il fait de grands préparatifs d'armes contre les schismatiques, et bientôt une insulte qui lui est personnelle vient le lier plus fortement à la cause commune. Déjà le comte de Boulogne1 s'était soustrait à son obéissance et avait pris parti pour Othon le réprouvé et pour les Anglais, ne craignant point de se couvrir d'ignominie une troisième fois, afin qu'une troisième trahison le rendît encore plus infâme aux yeux de tous, et que ce triple fait de perfidie attirât sur lui de plus sévères châtimens, et lui fit mériter la peine d'une prison éternelle. Ainsi, ne sachant pas qu'il prépare lui-même ses malheurs, ne prévoyant point en son cœur quels désastres le malheureux appelle sur lui et sur les siens par sa conduite présente, il se rend auprès d'Othon. Le méchant Othon, rempli de joie, l'accueille avec les plus grands honneurs, se lie avec lui par un traité, et afin qu'aucune incertitude n'empoisonne leurs pensées, ce traité d'une injuste alliance est confirmé par le serment de se confier l'un à l'autre, chacun comme à soi-même; l'un et l'autre jurent donc de se prêter mutuellement secours contre les Français, de marcher dans un même esprit contre les serviteurs de Dieu; ils jurent de les expulser du royaume de France, si toutefois la fortune se montre favorable à leurs vœux. De là passant chez les peuples à la blonde chevelure, et traversant le pays fertile que l'Escaut et la 254 Lys fécondent de leurs eaux, le comte de Boulogne arrive sur le rivage de la Flandre, et y ayant trouvé un vaisseau, se rend vers le roi des Anglais et lui adresse ce discours: «Jean, si tu voulais par hasard me rendre le digne prix de ma conduite passée, et me traiter en coupable, selon toute la rigueur de la justice, et en renonçant à toute pitié, ce discours, quoique bref, n'arriverait pas à sa fin sans que tes ordres m'eussent fait frapper du glaive, sans que tu eusses commandé de séparer au plus tôt ma tête de mon corps. Je sais en effet que j'ai perdu ta bienveillance à juste titre, car ni les Français, ni leur roi, ni les guerres des Français, ne t'eussent rien enlevé, si mon bouclier n'eût été l'un des premiers parmi eux. Aussi ne serais-je point étonné si tu me haïssais, et si ta colère te portait à me faire très-promptement sortir du milieu de ce monde. Mais comme ma mort ne peut te rapporter aucun profit, et qu'au contraire ma vie te peut être infiniment utile, permets plutôt que je vive, et, si tu es sage, ordonne que le glaive s'éloigne de dessus ma tête. Si le roi, en effet, s'est déclaré ouvertement mon ennemi, s'il a condamné ma tête à l'exil, s'il m'a dépouillé sans fondement de tous mes honneurs et de mes terres, cela n'a pu être fait par une disposition irrévocable du destin, et réglé d'avance par la juste volonté du Père éternel, qu'afin de me donner une occasion légitime de me soustraire aux Français, en apportant à ta fortune des consolations inattendues; or je te le promets, et j'en atteste les divinités du ciel, ou Philippe te rendra sans guerre tous tes 255 domaines, ou ce bras te livrera la tête de Philippe. Et même ce ne sera pas difficile, puisque nous avons pour nous la Flandre, le comte Ferrand, le peuple de Louvain et le Saxon, les Poitevins, race invincible dans les combats, les fureurs des Teutons, ton neveu Othon, célèbre par les armes, qui seul préside au monde, ayant conquis l'empire romain avec puissance et par ses succès à la guerre, lui qui a gouverné si bien le comté de Poitou, et qui tient le duché de Saxe en vertu des droits de ses pères. Quant à toi, bon roi, demeure en paix, te bornant à nous fournir des chevaliers et de l'argent, dont tu as en grande abondance. Moi cependant, et Guillaume de Salisbury, que la nature bienveillante t'a donné autrefois pour frère, afin que tu ne fusses pas entièrement privé de frère après la mort de Richard, nous prendrons soin de tout le reste avec une extrême sollicitude; et afin qu'aucune incertitude ne demeure cachée sous nos paroles, que mon frère Simon me serve de garant en qualité d'otage, et avec lui sa femme, fille du comte de Ponthieu2 et nièce du roi des Français, et avec eux encore ma femme, qui, étant fille de Matthieu, fils du roi Etienne, est unie avec toi au quatrième degré par le sang de son aïeul3. Que par là toutle fraude soit écartée, et que notre alliance soit solide.» 256 Jean agréa ces paroles et y ajouta quelques mots; «En outre, moi et mes Poitevins, nous porterons subitement la terreur de nos armes dans les campagnes de Nantes et dans tout l'Anjou, tandis que vous et le comte Ferrand vous fournirez des armes aux gens du Vermandois. Othon, mon neveu, attaquera la ville de Rheims et ces pays riches en armes qu'arrosent de leurs eaux l'Aube et la Marne, qui promène sa marche vagabonde au milieu de vastes plaines. Le comte Hervey4 aussi est lié envers nous par les lois du serment, mais d'une manière secrète5 jusqu'à ce qu'il se présente un moment et une occasion favorables pour qu'il puisse, avec le reste de ses compagnons, se jeter sur le Gatinais et le pays de Sens. Ainsi il sera de tous côtés enveloppé de troupes ennemies, de telle sorte qu'il ne puisse s'échapper de nos mains, cet impie qui t'a dépouillé de tes honneurs, qui m'a ravi les droits antiques de mes pères, et qui a soulevé contre toi ses Robert6, afin que ceux-ci ci fussent censés t'avoir expulsé plutôt que lui-même.» Il dit, et ouvrant ses bras, il presse le comte sur son sein, et le comte s'unit fortement au roi par ses embrassemens. Tous deux confirment réciproquement leur alliance par des baisers; ils se jurent l'un à l'autre de se demeurer fidèles et d'expulser du royaume 257 de France les serviteurs de Dieu, après avoir vaincu les Français et donné la mort au roi Philippe. Mais la puissance divine changea en mieux tous ces projets, et permit que les sacriléges fussent enlacés dans leurs propres filets, afin que la fraude ait toujours à s'affliger d'être à bon droit retournée contre elle-même. Combien il eût été plus sage et plus convenable pour toi, ô Renaud, que tu fusses parti pour le service de la croix et pour t'acquitter envers le Christ des vœux que tu lui avais depuis long-temps offerts en prenant la croix, et que tu te fusses montré fidèle, de parole comme de fait, à ce roi à qui tu avais prêté serment, qui t'avait conféré à toi et aux tiens tant de présens, tant de terres, tant de richesses, tant d'honneurs, de qui tu tenais en don cinq comtés, et qui avait bien voulu permettre que tu devinsses le beau-père de son fils, au lieu de marcher ainsi contre ton seigneur, de troubler par ces nouvelles agitations la paix du royaume, et de te susciter ainsi dans le monde entier des sujets de deuil et des motifs de douleur! Si le roi t'a enlevé Mortain et Andelot7, parce que tu as refusé de te soumettre au jugement que sa cour a sanctionné, tu devrais cependant ne pas exciter si promptement la guerre contre ton seigneur, mais plutôt le supplier d'un regard timide, afin qu'il t'accorde ton pardon et te rétablisse dans tes droits. Si tu reviens humble et suppliant, et renonçant à ton orgueil, si ta fierté naturelle te permet de demander la paix, il te restituera sur-le-champ tous tes biens, il te fera même de plus beaux dons; avec la douce paix 258 il te rendra sa bienveillance accoutumée, et il serait digne de toi de te confier en sa bonté; car tu sais combien de fois déjà il t'a remis sa colère, combien plus de fois encore tes offenses l'ont blessé, et combien cependant il t'a chéri, même après ces offenses. Maintenant, puisque tu ne veux pas céder à de salutaires conseils, puisqu'ayant endurci ton cœur, tu te précipites sciemment vers ta ruine, va, prépare toi-même les verges dont tu seras frappé, envoie dans les fers et à la mort l'es rois et les ducs qui sont avec toi, dont tu as séduit les cœurs par le poison de ta langue, et dont tu as tellement troublé l'esprit par tes artifices, qu'eux-mêmes ne voient pas dans leur aveuglement les périls où tu les entraînes, et les malheurs qui sont près de tomber sur eux à l'improviste. Au milieu d'un territoire fertile se trouve une ville antique peuplée d'hommes belliqueux et ornée de belles rues, par laquelle la France se montre à toutes les villes qui l'environnent plus belle encore et plus riche en plaines fécondes. Du côté du midi elle touche aux plaines riantes de Meaux, le territoire de Senlis se prolonge jusque vers elle; elle se plaît à être du côté du couchant limitrophe du pays de Beauvais, dont elle est séparée par Compiègne, tandis qu'elle serre de près les champs du diocèse de Senlis, et ose encore prolonger ses limites au-delà de l'Oise, voisine de la ville de Laon et du territoire agréable deRheims, touchant à Noyon vers le nord, à Troyes vers le levant, et n'étant séparée par aucune autre frontière de la ville de Châlons. Et comme, selon que le rapporte la renommée, cette ville fut fondée par des Suèves exilés, elle a justement mérité de recevoir le nom de Sois- 259 sons. Elle est de plus enrichie et embellie par les eaux de l'Atax poissonneuse, qui coule si doucement, qui s'affligea de transporter les bateaux des Romains, lorsque Jules porta chez les Gaulois les armes de l'Italie, de cet Atax auquel les modernes donnent vulgairement le nom d'Aisne, qui enlève à la Vesle le nom qu'elle porte à son origine, et qui perd de même son nom en se jetant dans l'Oise, plus grande qu'elle. Là, comme il est facile de réunir promptement sur ce point les peuples répandus tout à l'entour dans les villes diverses, le chef des enfans de la France rassembla tous les prélats des églises et tous les grands de son royaume. S'étant placé au milieu d'eux, il prend la parole d'une voix calme, s'appliquant, selon son usage, à renfermer ses discours en peu de mots: «Citoyens, que les liens de l'ordre ecclésiastique rapprochent du ciel, patrie des saints, et vous, vénérable assemblée, dont les armes nous ont tant de fois aidé à triompher des ennemis, votre sagesse sait parfaitement combien de maux ont été faits à l'Eglise par le roi Othon et par Jean. C'est pourquoi l'un et l'autre, justement frappés de la verge de Pierre, ont aussi mérité d'être frappés du glaive matériel, puisque les réprimandes spirituelles ne suffisent pas à les contenir, puisqu'ils sont devenus plus mauvais et plus audacieux dans le mal, par l'anathème lancé contre eux. Aussi quiconque demeure sciemment en communion avec eux est-il livré à Satan, et s'associe au fait ainsi qu'au châtiment. Si donc le Seigneur me conserve votre affection, résolu dans mon esprit d'envahir le royaume des Anglais, afin 260 que Jean reçoive de cette vengeance un juste châtiment, ou qu'il abandonne ce royaume, accompagné par l'infamie, et qu'enfin on puisse rétablir en ce pays le culte de Dieu, dont l'Angleterre est privée depuis sept ans et bien plus encore. La France doit subjuguer les schismatiques, les ennemis quelconques de l'Eglise, et châtier les rebelles, quels qu'ils soient, qui refusent de se soumettre aux commandemens de l'Eglise. De notre temps, ce soin n'a point été négligé, et jusqu'à ce jour vous ne nous avez point refusé le concours de vos armes pour de telles œuvres. Maintenant, ô vous, compagnons de nos guerres, maintenant, je vous le demande, que chacun de vous prête au Seigneur les forces que le Seigneur lui a prêtées: nul de vous ne peut hésiter à croire que la grâce d'en-haut viendra assister ceux qui combattront pour elle.» Il avait dit, et les grands et les vénérables membres de cette sainte assemblée, levant vers le ciel leurs mains joyeuses, et répétant d'une voix unanime les mêmes acclamations, approuvent les projets du roi, projets sacrés et dignes des plus grands éloges, promettent eux-mêmes de marcher tous ensemble à cette entreprise, et confirment leurs promesses par leurs sermens. Le premier de tous, Louis8 et après lui Eudes l'Allobroge9 le comte Hervey10 et Guichard de Beaujeu prêtent ce serment; Savary11 jure de même, Savary qui, selon l'habitude des Poitevins, change de parti suivant l'occasion; avec eux 261 étaient encore le duc de Louvain12, gendre du roi; les comtes de Namur13 et de Bar14, Gui de Dampierre15, le comte de Vendôme16, la comtesse de Troyes17, les fils de Robert18, le duc des Bretons, nommé Pierre19, Robert à qui l'on avait donne dès son enfance le surnom de Gâtebled20, et Jean, frère des deux précédens21, né à Brienne, et qui en portait le nom, tous trois avec leur père Robert, déjà avancé en âge, mais qui avait encore beaucoup de force d'ame et de vigueur de corps, et se disait heureux d'avoir donné la vie à de tels fils. Il était accompagné de l'évêque de Beauvais22, son frère, et tous deux en outre étaient cousins du roi. Une haine plus grande, provenue d'un motif particulier, leur inspirait une plus vive ardeur à armer leurs troupes pour le fracas de la guerre, car avant même que Renaud fût devenu l'ennemi public du royaume, il portait aux Robert une haine implacable et leur faisait la guerre23. Et comme le roi ne défendait pas Renaud 262 contre les Robert, pensant qu'il y aurait plus de justice à ne prêter son assistance à aucun d'eux, qu'à se mettre mal avec l'un s'il portait secours à l'autre, et se tenant ainsi en parfaite équité au milieu des deux partis, Renaud osa irriter son seigneur, et lui adresser des menaces en présence de plusieurs témoins; et comme il ne voulut pas lui obéir lorsqu'il fut appelé en justice à ce sujet, ce fut là le seul motif pour lequel Renaud se condamna lui-même à l'exil. Tous les barons, comtes, ducs, chefs, évêques et abbés, et les autres chefs du royaume, conclurent volontairement un solide traité d'alliance avec le roi, et se lièrent envers lui par la promesse de lui fournir l'appui de leurs forces. Le roi ayant vu les enfans de la France consentir à cette guerre avec tant d'empressement, renvoya les grands dans leurs domaines, afin qu'ils missent ordre à leurs affaires particulières, et qu'après les avoir réglées ils revinssent auprès de lui à une époque fixe. Il leur désigna le dixième jour avant les calendes de mai 24, jour auquel la flotte devait se réunir sur le rivage de Boulogne, pour transporter les guerriers, toute pourvue d'armes et des autres choses nécessaires à une si grande entreprise. Le roi et toute l'armée se rendirent en effet en ce lieu, et la flotte étant approvisionnée de tout point, on n'attendait plus qu'un bon vent et un temps favorable pour le départ. Le seul Ferrand, né en Portugal, manquait à cette réunion, seul il n'avait pas voulu promettre ses forces au roi, ni se lier par serment, comme avaient fait les autres, car il était déjà lié par serment envers Jean et 263 le roi Othon, par l'effet des fraudes criminelles du comte de Boulogne, qui s'était appliqué à le rendre traître et digne de dépérir dans les fers. Ce Ferrand était né en Espagne, et neveu de cette noble Mathilde de Portugal, qui était fille du roi, et qui avait épousé le comte Philippe. Ce dernier étant mort sans enfans dans la ville de Saint-Jean-d'Acre, eut pour successeur Baudouin, son neveu, fils de sa sœur25 et du comte de Hainaut, et frère de la reine Elisabeth. Baudouin ayant dans la suite fait la guerre au roi, sortit du royaume, devint monarque, posséda pendant quelque temps l'empire des Grecs, et fut enfin tué dans ce pays par le duc de la Thrace26. Baudouin ne laissa point d'enfant mâle, mais il avait deux filles qui brillaient dans sa patrie et étaient le seul espoir de sa postérité27. Le roi Philippe, leur tuteur, les fit élever avec beaucoup de tendresse, comme héritières d'un sang illustre. Lorqu'on eut acquis la certitude de la mort de leur père, le roi, cédant aux supplications et à l'adresse de la tante28 de Ferrand, et ignorant tous les malheurs qui devaient résulter de cet événement, donna l'aînée en mariage à Ferrand, et y ajouta tout le comté de Flandre, présent magnifique. Lorsqu'il se vit comte et devenu puissant d'humble qu'il était, grand de petit, riche de pauvre, Ferrand commença à vouloir se soustraire au joug du roi et à 264 chercher les moyens de s'affranchir de son autorité. En conséquence, il n'eut pas honte de dédaigner les paroles du roi et de désobéir à son seigneur, en ne se présentant pas lorsqu'il fut appelé. Et quoiqu'il eût promis au roi et à ses pairs de se soumettre sans murmurer à tout ce que le roi lui commanderait à ce sujet, il préféra tenir la parole par laquelle il s'était engagé envers les Anglais, afin de pouvoir, lorsque toute l'armée des Français aurait passé en Angleterre pour subjuguer les Anglais et leur roi orgueilleux, disposer, au gré de ses patrons, de la France ouverte devant lui et imprudemment abandonnée par son roi, dévaster lui-même les plus belles contrées du royaume, à la tête de ses peuples de Flandre, et triompher, au gré de ses vœux, du royaume et du roi. Il est hors de doute que Ferrand roulait de telles pensées dans son esprit, et même il avait juré à Jean de les accomplir. Les inventions de la fraude tourneraient au profit de celui qui les a créées, s'il lui était donné aussi de les connaître seul à l'avance. Mais rien ne demeure tellement caché qu'il n'en transpire quelque chose; rien n'est tellement secret que la renommée ne le révèle, ou que l'homme sage, dont la prudence est toujours éveillée, ne parvienne à le découvrir. Tant à l'aide d'indices certains que des vagues rumeurs de la renommée, Philippe fut instruit des choses que devait faire Ferrand, et les circonstances étant changées, il changea aussi ses projets, et donna ordre que Savary de Mauléon se hâtât de conduire la flotte vers Dam, suivi de ses Poitevins, qui connaissaient l'art de la piraterie, de Jean de Nivelle, de Louis Galiot et de Cadoc, avec sa bande de routiers im- 265 pitoyables. La flotte, partant du rivage de Boulogne, se répand sur la mer, et trouve à peine assez de place pour voguer; l'Océan semble trop étroit pour tant de navires; les vents du midi manquent de souffle pour faire glisser à la fois tant de voiles dispersées sur les ondes: si vous vouliez les embrasser toutes ensemble d'un coup d'œil, il faudrait que votre front fût armé des yeux du lynx. Que si par hasard vous cherchiez à les enfermer toutes sous un même nombre, vous auriez à ajouter cinq cent quatorze bâtimens au nombre de ces navires de l'Argolide, que le vent de l'est retint pendant long-temps dans l'Aulide, lorsque Neptune arrêtait la marche des Pélasges, pour prévenir la chute de cette ville de Troie, qu'il avait lui-même élevée29. A quoi ne se décide pas la pauvreté, pour ne pas tomber dans le plus absolu dénûment? Quels secours ne mendierait pas, lorsque le péril le presse, celui qui ne trouve pas en lui-même de force suffisante, surtout lorsqu'il se voit menacé par un ennemi plus fort, auquel il se reconnaît inférieur en forces aussi bien que par la cause qu'il défend, et lorsqu'il se souvient qu'il a sciemment offensé ses amis? Il tente donc tous les moyens, il emploie tous les artifices, il cherche à se faire des amis de ses ennemis mêmes, pour échapper aux autres avec le secours de ceux-ci. Les revers instruisent plus souvent les ames perverties; la frayeur et les châtimens des esclaves, tombant sur les médians, servent plus souvent à les faire renoncer à leurs méchantes actions, que l'amour 266 de Dieu et les exhortations d'un ami ne peuvent les détourner de leurs crimes accoutumés. Feignant la contrition, Jean déclare dans la fausseté de son cœur qu'il s'est repenti de tous ses crimes: sous le masque de la piété, il ose adresser la parole à ces hommes apostoliques qui ont reçu le nom de cardinaux; et, d'une voix caressante, il supplie le Père des pères d'accorder le pardon à ceux qui ont erré: «Je restituerai toutes choses au clergé, s'écrie-t-il: je dépose la couronne de roi, dont je me reconnais indigne. Pierre, je résigne devant toi le diadème et tous les droits de la royauté: que désormais Pierre soit mon roi, et moi, je serai le chevalier de Pierre.» Le Père des pères, agréant les offres de Jean, se réjouit, et envoie Pandolphe dans ce pays30. Jean, ayant confirmé ses promesses par un écrit authentique, et s'étant de plus lié par serment, résigne alors entre les mains de Pandolphe son sceptre royal, et se soumet au pape, lui et son royaume, de telle sorte qu'il devient de roi vassal, de prince chevalier, régnant cependant lui-même au nom de Pierre, et promettant en outre de payer annuellement mille marcs d'argent. Tels furent les honneurs dont Jean embellit le royaume des Anglais, telle fut la brillante distinction qu'il laissa à ses successeurs, que désormais ils devaient être soumis à payer tribut aux Romains, ayant perdu leur sceptre et l'honneur de leur liberté. En conséquence, la sentence fut retirée, un sceau fragile devint la garantie de la restitution de tous les 267 biens enlevés, garantie qui devait par la suite ne recevoir aucune exécution. Alors Jean rappela le clergé dans son pays; les chants donnèrent le signal de la joie, et le culte de Dieu fut rétabli en tous lieux. La première station de la flotte fut à Calais, et la seconde dans ton port, ô Gravelines, d'où le roi et son armée continuèrent leur marche par la voie de terre, après que les citoyens leur eurent livré et leurs personnes, et tous les trésors que possédait cette riche cité. Le roi cependant ne voulut pas la piller; et en étant devenu seigneur, en fit la cession au seigneur Louis31. Partie de Gravelines, la flotte, sillonnant les flots de la mer, parcourut successivement les lieux où elle ronge les rivages blanchâtres du pays des Blavotins, ceux où la Flandre se prolonge en plaines marécageuses, et ceux où l'isengrin, puissant à la guerre, armé de son glaive et de sa lance, parcourt la terre, combattant sans cesse, et ceux encore où les habitans de Fumes, voisins d'un golfe, labourent seuls les champs, et où le Belge montre maintenant ses pénates en ruine, ses, maisons à demi renversées, monumens de son antique puissance, lieux où le peuple Nervien fut puissant par ses armes et livra de fréquentes batailles, le Nervien, que toutes les forces de Rome ne purent jamais subjuguer complétement, ni contraindre à payer des tributs fixes. En ces lieux, habite le Belge, inventeur des chariots de guerre appelés corvins, selon que tu l'attestes, ô Lucain32, le Belge, 268 puissant par ses richesses, par ses armes et par ses forces, jadis grand ennemi des Romains, et tellement illustre dans le monde entier, que la Gaule reçut autrefois de lui le nom de Belgique, qui fut donné au tiers de ce royaume. Partant de ces lieux, et poussée par un vent propice, la flotte entre joyeusement dans le port qui a reçu son nom de Dam33, port tellement vaste et si bien abrité qu'il pouvait contenir dans son sein tous nos navires. Là aussi est la belle ville nommée Dam, embellie par des eaux qui coulent doucement et par un sol fertile, et fière du voisinage de la mer, de son port, et de l'agrément de son site. Là, Savary trouve, bien au-delà de ses espérances, des richesses apportées par des navires de toutes les parties du monde, des masses d'argent non encore travaillé, et de ce métal qui brille de rouge; des tissus des Phéniciens, des Sères (Chinois), et de ceux que les Cyclades produisent; des pelleteries variées qu'envoie la Hongrie, de véritables grains destinés à la teinture en écarlate, des radeaux chargés des vins que fournissent la Gascogne ou La Rochelle, du fer et des métaux, des draperies ou d'autres marchandises que l'Angleterre, ainsi que la Flandre, avaient transportées en ce lieu, pour les envoyer de là dans les diverses parties du monde, et pour en rapporter ensuite les bénéfices à leurs maîtres, dont l'espérance est toujours mêlée de quelque crainte, compagne insépa269 rable d'un sort incertain, et qui fait présager avec angoisse des accidens inattendus. L'avide pirate Savary et les hommes qui formaient sa brutale cohorte, secondés en tout point par Cadoc, et aidés en outre par leurs compagnons, enlèvent toutes ces richesses aux habitans de ces lieux, au mépris du traité de paix conclu avec eux, ne craignant point de violer la foi promise et de méconnaître leurs engagemens: et ce furent sans doute ces péchés qui amenèrent le désastre de notre flotte. Le roi, pendant ce temps, conquérait tout le pays, et ses troupes se dispersaient de tous côtés dans les campagnes, semblables aux sauterelles qui, inondant les plaines de la terre, se chargent de dépouilles, et se plaisent à enlever du butin. Bientôt la terreur seule lui soumet les remparts de Cassel, suspendus au sommet d'une haute montagne. Après avoir solidement garni les murailles de cette ville d'armes et de chevaliers, infatigable, le roi se dirige promptement avec ses troupes vers le territoire d'Ipres, et subjugue cette ville, ainsi que beaucoup de châteaux. Ferrand, qui avait faussement promis au roi de se rendre en ce lieu, ne voulut point se présenter, car sa malheureuse épouse avait déjà reçu les présens de Jean, présens qui ne pouvaient lui tourner à bien. D'autant plus irrité, le roi conduit plus loin son armée, et ne s'arrête que lorsqu'il a reçu la soumission de Bruges et de tous les nobles villages qui l'environnent. Déjà il ordonne au comte de Soissons34 et à Albert de Hangest de demeurer à Dam, pour protéger la flotte, et leur donne en outre deux cent quarante chevaliers 270 et dix mille servans d'armes, hommes éprouvés dans les combats. De là, le roi s'avance vers des territoires plus éloignés et jusques aux extrémités du royaume de Flandre. Il se plaît à parcourir les retraites inconnues, à visiter les populations des lieux où la Flandre fait face à l'Ourse glacée, et les points où loin de là elle est limitrophe aux champs du Brabant, et ceux où elle atteindrait aussi aux frontières du royaume des Guilliquins35, si la mer ne s'était interposée au milieu de ces pays, aux lieux où la Lys, mêlant ses eaux à celles de l'Escaut, et vaincue par ce fleuve, ne peut porter son nom jusques à la mer. Enfin le roi s'arrête en ce lieu avec ses troupes, afin d'abattre l'orgueil des Gantois et de les forcer à courber leurs têtes sous le joug d'un roi, et à se soumettre comme sujets à celui qu'ils voulaient à peine consentir à connaître par son nom. Mais tandis que le roi voulait travailler à renverser les portes qu'ils avaient fermées, et faisait préparer tous les instrumens de guerre dont il avait besoin pour attaquer ces superbes remparts et s'élancer an milieu des tours, voici qu'un messager, apportant des lettres de Dam, arrive au camp, d'une marche rapide, et s'écrie aussitôt d'une voix attristée: «Avant-hier, ô roi, le héros de Salisbury et le comte de Boulogne, suivis de plusieurs milliers de guerriers venus d'Angleterre sur des radeaux et de longues galères, ont tout-à-coup débarqué près de nous, au 271 point où les flots de la mer viennent, par un passage étroit, se briser sur le rivage de Dam. Déjà tous les Blavotins, sortis de leurs cavernes, ont dressé leurs bannières: tous les Isengrins, les babitans de Fumes, les Belges, ne formant qu'un seul corps, se sont réunis au comte Ferrand et au comte de Boulogne, et, tous ensemble, serrent de près nos navires, imprudemment disposés sur une trop vaste plage, et qu'il y aurait beaucoup plus de sûreté à réunir en un seul port.» Le messager voulait ajouter encore beaucoup d'autres paroles, mais voici, un nouveau messager se présente, et donne des nouveaux détails. Il tombe presque en défaillance, à peine peut-il se faire comprendre, tant il reprend péniblement le souffle, tant sa course rapide a épuisé ses forces. «Déjà ils se sont emparés de quatre cents de nos navires, et aucune issue n'est ouverte, par où le reste de notre flotte puisse, si elle le voulait, s'avancer en pleine mer. Les chevaliers anglais observent a l'entrée du port et enveloppent les deux côtés du rivage. Le vaisseau lui-même36 n'est point en sûreté au milieu des autres, il manque de défenseurs, et pourrait être facilement enlevé. Guillaume le Petit n'a aucun moyen de protéger les tonneaux ferrés, qui sont tout remplis de l'argent monnayé qu'il a coutume de répandre dans le camp à titre de solde, distribuant les trésors du fisc de sa main fidèle, tandis que les Poitevins veillent à la garde des dépouilles que naguère, avec l'aide de Cadoc, ils 272 ont enlevées aux habitans de Dam, au mépris de leurs traités, et les gardent avec beaucoup plus de vigilance qu'ils n'en mettent à garder tes richesses et tes vaisseaux. Robert de Poissy, avec un petit nombre de guerriers, résiste seul aux attaques et défend les portes de la ville, et déjà il a perdu ses frères dans un combat. L'armée ennemie cependant assiége toutes les portes, et nous aurons bientôt tout perdu, si tu ne te hâtes de te présenter.» Il dit, et l'un et l'autre des messagers remettent au roi les lettres revêtues du sceau du comte de Soissons, par lesquelles il devait être prouvé qu'ils n'avaient dit que la vérité. Lorsqu'on eut vérifié leurs rapports, le roi dit: «Ne nous arrêtons point à tenir conseil; hâtons-nous de relever nos affaires en désordre: tout ce qu'il y a à faire en ce moment doit être l'œuvre de nos bras. Je ne tiens pas tellement à triompher des Gantois, que je veuille pour eux subir de si grands dommages et perdre mes compagnons d'armes et ma flotte. Mais comme il n'est pas facile de faire marcher rapidement à travers la Flandre une telle armée, qui traîne à sa suite tant de chariots et de bêtes de somme, il faut que quelqu'un de nous se porte en avant avec des escadrons légèrement armés, afin de donner des consolations à ses compagnons, et de ranimer leurs espérances, tandis que nous arriverons sur ses traces.» Pierre, le duc des Bretons, s'offrit spontanément pour cette entreprise, et l'accepta comme un beau présent. Le soir étant venu, il sortit du camp avec cinq cents chevaliers, et marchant sans prendre un 273 moment de repos, il arriva vers nous le lendemain matin, lorsque la troisième heure du jour n'était pas encore passée, nous apportant la joie et une précieuse assistance. Le roi le suivit, d'aussi près qu'il le put, à raison de la masse qu'il traînait après lui, et arriva à Dam le second jour, et plus vite qu'on ne l'avait espéré. A son arrivée, l'ennemi effrayé s'enfuit de la position d'où il nous avait serrés de près depuis le lever du soleil. Rendant les rênes à leurs chevaux, le duc de Bourgogne, le comte Hervey et ceux que la Champagne avait envoyés, se mirent à sa poursuite. Au coucher du soleil, l'ennemi ayant été mis en fuite, nous en fûmes délivrés par le fils du roi, Louis, et par l'illustre seigneur des Barres, tous deux suivis de plusieurs milliers de jeunes gens, doués d'une force invincible et d'une valeur a toute épreuve; Cependant le roi sort par la porte du Nord avec ceux qui sont plus spécialement attachés à sa personne et qu'il a choisis lui-même entre tous pour l'accompagner dans les combats. Mais comme les fossés ralentissaient souvent leur marche, ils ne purent rencontrer les ennemis face à face, et n'en prirent et n'en tuèrent qu'un petit nombre: comme ceux-ci fuyaient, ils les poursuivirent cependant jusqu'à leurs vaisseaux, ne cessant de leur tuer du monde, à leur très-grande honte. Bien plus, les ennemis n'osèrent pas même demeurer sur leurs vaisseaux (car la mer s'étant retirée, les navires se trouvaient à sec sur le rivage), et ils s'éloignèrent de la terre sur leurs chaloupes et leurs barques. Mais tandis qu'ils se précipitaient en foule pour y entrer, beaucoup d'entre eux tombèrent frappés de mort, beaucoup d'autres 274 furent faits prisonniers; le seigneur Gautier de Formeselles et le comte de Boulogne furent pris tous deux sur le rivage même. Mais ce dernier étant connu de ses amis et de ses parens, qui redoutaient avec raison que le roi ne le punît justement, comme l'avaient mérité ses fautes, le dépouillèrent des insignes de son rang; il se mêla ainsi parmi les simples chevaliers, afin de n'être pas reconnu et retenu, et malheureusement on lui permit alors de s'en aller en liberté, avec beaucoup d'autres. Son cheval, son bouclier et son casque resplendissant, auquel étaient attachées des lames de baleine formant comme deux aigrettes, furent vus et reconnus par le roi et par toute l'armée, lorsque, déjà vainqueurs, tous rentraient dans leur camp à la suite de la bataille. Alors, et sans aucun retard, l'incendie se répand avec fureur dans tout le pays, et, en quelques instans, la flamme effrénée se plaît à consumer à la fois des milliers de maisons. Tout ce qu'il y a de remarquable ou de beau sur le riche sol de la Flandre, dans tout le rayon qui se prolonge sur le rivage de la mer des Anglais, les incendiaires ne cessent de le brûler durant toute la nuit. Déjà le jour avait paru, on était à la fin du printemps, et le cours de l'année avait ramené la bienheureuse Pentecôte, dont les joies doivent être célébrées dans le monde entier par tous les fidèles. A la suite donc des solennités de la messe, et lorsqu'il n'avait encore réparé les forces de son corps par aucun mets ni par la liqueur savoureuse de Bacchus, le roi adressa la parole au jeune Gautier37, à Barthé- 275 lemy38 et à Garin39, et leur fit part de ses desirs, car c'était à eux seuls qu'il avait coutume, dans toutes les occasions, d'ouvrir son ame en confidence et de révéler ses secrètes pensées. «Votre sagesse connaît parfaitement bien, et j'en prends aussi Dieu à témoin, les intentions qui me déterminèrent à aller visiter les plages de l'Angleterre, et vous savez que je n'y fus entraîné par aucun vain desir de gloire ou de jouissances mondaines. Je n'étais conduit que par le zèle de l'amour divin, afin de pouvoir prêter mon secours à l'Eglise opprimée. Maintenant, puisque par la seule crainte de mon arrivée, Jean a soumis son sceptre aux Romains, puisqu'il a donné satisfaction, selon l'avis de Pandolphe, au clergé relégué depuis plusieurs années dans notre royaume, la fortune plus favorable ayant changé en mieux l'état des choses, il convient aussi que nous changions nos projets. Les dommages que tu m'as fait souffrir en m'enlevant des vaisseaux, ô Ferrand, la ville de Bruges les compensera; et soixante hommes que je retiens dans les fers, qui sontles plus illustres parmi ceux qui se sont engagés pour tous leurs concitoyens, et me donneront soixante mille marcs d'argent40, et ceux encore que la ville d'Ipres vaincue m'a livrés en otages pour tous ses citoyens, et qui me paieront le même poids en argent, tous ces hommes s'affligeront également des 276 pertes que j'ai eu à supporter. Mais comme il serait difficile de faire sortir le reste de la flotte, attendu que celle des Anglais observe les avenues du port et la mer, et que nos Français ne connaissent pas bien les voies de l'Océan, j'ordonne que tous ces vaisseaux, déchargés préalablement de tout ce qu'ils contiennent, soient réduits en cendres, et qu'il n'y ait aucun retard pour exécuter cet ordre, car je veux aujourd'hui même les voir tous à la fois consumés par les flammes. Je ne considère point ceci comme une perte, puisque nos ennemis m'en indemniseront sur leur propre fortune, et qu'il m'en reviendra un bénéfice triple. La Flandre presque toute entière est déjà soumise à nos armes, et ce qui reste encore à vaincre peut être facilement conquis. Cette expédition ainsi terminée, une telle victoire pourra bien nous suffire pour le moment présent: c'est pour nous un assez grand triomphe d'avoir ainsi forcé le royaume des Anglais à se soumettre à Rome.» Il dit, et dès que ses paroles eurent été réalisées par le fait, il partit, et faisant en toute hâte deux journées de marche, alla de nouveau, avec son armée, investir les murs des Gantois, afin de les réduire. Il les força en effet à se soumettre aux mêmes conditions qu'il avait imposées naguère aux habitans des villes d'Ipres et de Bruges, et enleva ensuite le château d'Oudenarde, qu'Arnoul lui livra promptement et dans son intégrité, sauvant ainsi tous ses biens, et sous la condition d'un traité d'alliance, auquel cependant il ne demeura pas long-temps fidèle. De là le roi entra dans les murs de Courtrai, dont 277 il s'etait empare de vive force: là, après avoir entendu les sons inconnus d'une langue barbare, et y avoir souffert long-temps de longs ennuis, nous retrouvâmes enfin les accens de la langue de notre patrie. A la suite de trois jours de siége seulement, la ville de Lille, abaissant sa tête, fut enfin forcée de se soumettre au roi. Après l'avoir bien fortifiée, le roi y plaça beaucoup de chevaliers et d'hommes d'armes, qui furent tous commandés par Hugues d'Athies, chargé de défendre la ville contre les ennemis du voisinage. Il pouvait se faire en effet qu'après le départ du roi, Ferrand revînt tout-à-coup pour s'en emparer de nouveau, et que les citoyens eussent à se réjouir d'avoir à obéir à leur premier seigneur. Le roi redoutant à bon droit un pareil événement, travailla à faire construire le plus promptement possible une nouvelle citadelle dans le bourg voisin nommé Darnel, afin que ses gens pussent y demeurer en sûreté et défendre sa conquête. Parti de Lille, le roi s'empara le quatrième jour de la ville de Douai, et, l'affranchissant des lois de Ferrand, se l'appropria et la soumit à sa domination. Il l'occupe encore, et les rois de France qui viendront après lui l'occuperont à jamais, afin que cette ville n'ait point à s'affliger d'obéir à un roi moins illustre. Ainsi la Flandre se repentit en recevant un juste châtiment du glaive royal, et reconnut à ses propres dépens qu'il n'est pas permis 'd'ouvrir son sein à des traîtres, expiant ainsi les dons que Jean avait faits à Ferrand. Les hommes de l'armée, ayant alors obtenu du roi leur congé et de justes éloges, furent renvoyés, et s'en retournèrent joyeusement, chacun dans son pays. 279 Tout aussitôt, et dès que le roi fut revenu sur les rives de la Seine, le comte de Boulogne et les autres princes conjurés, à qui le roi des Anglais ouvrait sa bourse et donnait de nombreux subsides, aliment de la guerre, rassemblèrent leurs forces pour de nouveaux combats, oubliant qu'ils avaient été vaincus naguère, lorsque, abandonnant leur flotte, ils s'étaient jetés dans des barques légères pour gagner le rivage de Hollande. Maintenant donc ils s'associent avec le comte Guilliquin41. Celui-ci se fiant aux présens et aux promesses trompeuses de Jean, leur donna un secours de cinq fois dix mille hommes. Peu de temps après cependant il se retira de leur alliance, ne voulant pas encourir la colère du roi très-auguste. Ensuite, et au mépris de son traité et de la teneur du serment par lequel la ville de Lille s'était soumise au roi, cette ville conclut un autre traité avec Ferrand, et lui ouvrant traîtreusement ses portes, au milieu de la nuit et en grand secret, elle introduisit dans ses murs Ferrand et son armée. Aussitôt que les Français que le roi y avait laissés pour la garder et la défendre eurent reconnu cette trahison, ils se retirèrent prudemment dans la tour, et, prenant les armes, résistèrent avec leur valeur ordinaire à Ferrand et aux gens de la Flandre. Mais dans le premier moment, lorsqu'ils se précipitaient dans la tour, sans avoir revêtu leurs armes, tous ne purent échapper au péril qui les menaçait; quelques-uns donc furent faits prisonniers, et beaucoup d'autres frappés de mort. Le roi cependant ramène aussitôt son armée dans 279 ce pays et s'avance d'une marche rapide, impatient de porter secours sans le moindre retard à ses amis, que l'ennemi serre de près, tellement qu'il ne leur reste plus aucun espoir de salut. Les Français, dès qu'ils sont arrivés, ne s'occupent point à prendre toutes leurs mesures pour investir les murailles, de peur que le moindre retard ne soit fatal, puisque les citoyens font les plus grands efforts pour expulser de la tour les autres Français, Tombant à l'improviste sur la porte qui fait face au levant, ils brisent les barrières de fer, font rouler les portes sur leurs gonds de vive force, et avant même que les habitans aient eu le temps de monter sur leurs remparts, ils penètrent dans les rues, et dans le premier mouvement de leur fureur, répandent les flammes autour d'eux; ils abattent et renversent sur la terre les plus belles maisons. Cet incendie devient pour les citoyens infidèles une plus grande occasion de dommage que ne pourraient être le fer ou les bras des combattans. Les fureurs de Vulcain, animées par le souffle d'Eole, suffisent à tirer vengeance de tant de perfidie; la flamme dévorante ne se borne pas à consumer sur les côtés les rues qui se communiquent, et bientôt, les étincelles volant au loin, tout ce qu'il y a de beau dans l'enceinte des remparts se trouve en un instant anéanti par la violence de l'incendie. En même temps que les maisons, périssent tous ceux à qui les infirmités de l'âge ou la faiblesse du corps refusent les moyens d'échapper au danger. Ceux qui peuvent se sauver, fuyant à pied ou à l'aide d'un cheval vigoureux, évitent à la fois la double fu- 280 reur des flammes et de l'ennemi, et s'élancent à la suite de Ferrand, le cœur rempli d'épouvante, à travers les broussailles et en rase campagne, hors de tous les sentiers, se croyant toujours près des portes fatales, n'osant porter la tête en arrière, soit pour ne pas tomber, soit pour ne pas perdre un seul mouvement de leurs pieds. L'effroi leur permet à peine de regarder à droite ou à gauche; aucun lieu ne leur paraît un asile assuré; ils se croient déjà sur le point d'être tués ou faits prisonniers; au moindre bruit qui se fait entendre derrière eux, ils pâlissent; tout leur sang, dédaignant leur visage, se retire au fond de leur cœur pour s'y cacher et porter quelque consolation à ces cœurs tout tremblans. Ainsi remplis de frayeur, ils expient leurs fautes par leurs frayeurs mêmes, et la crainte d'un châtiment futur devient un châtiment présent. La main de la fortune cependant vint au secours des vaincus, plus que n'eût pu le faire la fuite, ou la marche rapide en laquelle ils mettaient l'espoir de leur salut. En effet, la terre humide, toute couverte de joncs de marais, et cachant ses entrailles puantes sous une plaine fangeuse, s'évaporait par l'effet d'une chaleur intérieure, et, changeant l'atmosphère en nuit épaisse, exhalait des brouillards, formés d'un mélange de chaleur et de liquide, de telle sorte que l'œil du conducteur pouvait à peine atteindre à l'objet qu'il conduisait, et que nul ne pouvait distinguer ce qu'il y avait devant, derrière lui, ou à côté de lui. Les nôtres donc ne poursuivirent les fuyards que tant qu'ils purent s'avancer, à la lueur de l'incendie de la ville, car le soleil ne pouvait luire à travers les 281 brouillards. Ils tuèrent cependant un grand nombre d'hommes, et firent encore plus de prisonniers, que le roi vendit à tout acheteur pour être à jamais esclaves, les marquant pour toujours du fer brûlant de la servitude. Ainsi périt toute entière la ville de Lille, réservée pour une déplorable destruction. Car tout ce que la flamme put trouver à dévorer dans l'enceinte de cette ville, elle le dévora; le reste fut renversé par les instrumens de guerre et par les durs hoyaux; la tour même que le roi avait construite ne demeura point debout, afin qu'il n'y eût désormais en ce lieu aucun point où les gens de la Flandre pussent habiter. De là, le roi alla, encore, animé d'une semblable fureur, renverser les hautes murailles de Cassel, de peur que les habitans ne lui échappassent par une même trahison, et ne donnassent peut-être un asile à Ferrand, Il y avait une ville, fière de ses richesses et de ses puissans citoyens, nommée Tournai. Elle était située sur les rives de l'Escaut, et Clovis, encore païen, ayant franchi les gouffres du Rhin, l'occupa le premier avec son glaive et son arc. Elle obéit ensuite à lui et à ses successeurs, et depuis lors elle n'avait jamais renoncé à sa soumission aux Francs. Ferrand et Renaud, s'en étant emparés par une fraude secrète et de nuit, la gardèrent pendant neuf jours, aidés par les artifices de Randolphe, qui commandait dans la ville de Mortagne, homme rempli de force et de ruse dans le conseil, qui feignait d'être notre ami, qui même était considéré comme très-fidèle, homme-lige de l'évêque et du roi, et tenant d'eux en fief tout ce qu'il 282 possédait de terres. Mais afin que cette fraude ne leur fût pas long-temps profitable, le roi envoya à Tournai le comte de Saint-Paul42 et son frère Garin, et leur donna en outre des escadrons de combattans, hommes très-vaillans à la guerre, tels que la France les produit sur les rives de la Seine. Ceux-ci donc, quoiqu'ils n'eussent que des forces inférieures de moitié à celles des ennemis, les chassèrent cependant, avec le secours des habitans, et, ayant conquis la ville par leur vigueur, la remirent sous le joug du roi. Et, afin que la trahison de Randolphe ne demeurât pas impunie, ils envahirent ses possessions, et, dans le transport de leur colère, les réduisirent au néant. Le noble château de Mortagne, si beau et si bien défendu par ses murailles et par sa position naturelle, et par ses guerriers, qu'il croyait n'avoir à redouter les forces d'aucun ennemi, ne put échapper lui-même au danger commun, et fut renversé de fond en comble et enseveli dans la terre, avec la population qu'il enfermait. Tous ceux qui travaillèrent dans l'intérieur à le défendre furent faits prisonniers ou mis à mort par les Français. Qu'il te plaise maintenant, ô Phébus, qu'il te plaise d'inspirer pour moi toutes les filles de l'Hélicon, soufflant de ton souffle sacré toutes les saintes inspirations qui sortent des grottes de Cyrrha, tout le breuvage qui se peut puiser aux ondes de Castalie! 0 puissé-je être pénétré maintenant de l'esprit de Lucain ou de Maron, ou du moins reproduire l'image du poète de Thèbes! non point pour devenir le jouet des vaines illusions de Pythagore qui, à ce qu'il pré- 283 tend dans ses bavardages, était au temps de la guerre de Troie Euphorbe, fils de Panthée, croyant qu'une ame peut passer successivement d'un corps dans plusieurs autres corps, tandis que c'est Dieu, créateur du ciel et de la terre, qui, par sa seule parole, crée une ame de son souffle, et souffle en la créant; mais seulement afin que je puisse marcher sur les traces de ces grands hommes et devenir par mes chants semblable à l'un d'eux, car il ne faut pas que la brillante renommée de Philippe soit moins célébrée dans le monde par un effet de la faiblesse de mon esprit. Voici, ma main va commencer à écrire son dixième chant, et ose aspirer à raconter à la fois un double triomphe. Et quoiqu'elle tremble dès l'abord, et ne puisse embrasser à elle seule tout son sujet, à peine pourra-t-elle attendre un second repos, lorsqu'elle sera venue à la première page de son onzième chant, tant elle desire vivement de se couvrir au plus tôt des sueurs de Bovines, où le roi enfin trouva le terme de ses guerres et triompha définitivement de tous ses ennemis en une seule bataille! Plus je sens la beauté d'un pareil sujet, plus je me décide difficilement à l'aborder, craignant de succomber sous un tel fardeau, si ta faveur, ô Phébus, ne vient relever mon courage. Toi seul en effet, je le sais, toi seul peux pénétrer jusqu'au trône du Père céleste; toi seul, descendant du haut des cieux, inspires généreusement à l'ame des poètes ce qui doit être chanté dans le monde entier.
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NOTES (50) Comte de Flandre. (51) L'Eglise romaine. (1) Renaud. (2) Marie, fille de Guillaume III, comte de Ponthieu et d'Alix, et sœur de Philippe-Auguste, mariée à Simon de Dammartin, frère de Renaud. (3) Ida, fille de Matthieu d'Alsace, comte de Boulogne, et de Marie fille d'Etienne, roi d'Angleterre, par laquelle Renaud avait obtenu le comté de Boulogne. (4) Hervey de Donzi, comte de Nevers. (5) II y a dans le manuscrit et non occulte, et non secrètement. — L'éditeur a cru devoir rétablir tamen occulte, et cependant en secret, attendu la phrase suivante. (6) Robert II, comte de Dreux, et ses fils. (7) Non pas Andelot, mais la forêt d'Andeune, près de Domfront. (8) Fils du roi. (9) Duc de Bourgogne. (10) Comte de Nevers. (11) De Mauléon. (12) Henri, duc de Brabant, comte de Louvain, qui avait épousé Marie, fille de Philippe-Auguste. (13) Pierre de Courtenai. (14) Henri II. (15) Seigneur de Bourbon. (16) Jean III. (17) Blanche. (18) Robert II, comte de Dreux. (19) Pierre Mauléon. (20) Robert III, qui fut comte de Dreux après son père. (21) Il épousa Alix, et devint plus tard comte de Mâcon. (22) Philippe. (23) On trouve le récit de ces querelles, dans l'histoire en prose du même auteur: Renaud, comte de Boulogne, détruisit une certaine petite forteresse que Philippe, évêque de Beauvais, avait construite dans les champs de Beauvais, et d'où il espérait pouvoir faire du mal à la comtesse de Clermont, cousine de ce comte. En revanche l'évêque détruisit une autre petite forteresse que le comte avait bâtie récemment dans la foret de Halmes. De là naquirent les querelles entre le comte Renaud d'une part, et le susdit évêque et ses neveux, fils du comte Robert, d'autre part.» (24) Le 22 avril 1213. (25) Marguerite, sœur de Philippe d'Alsace, comte de Flandre, et mariée à Baudouin v, comte de Hainaut. (26) Jean ou Joannice, roi des Bulgares. (27) Jeanne, mariée au comte Ferrand, et Marguerite, qui épousa d'abord Bouchard d'Avesnes, et ensuite Guillaume de Dampierre. (28) Mathilde, jadis comtesse de Flandre, et tante de Ferrand. (29) Dans son histoire en prose l'auteur dit que la flotte se composait de dix sept cents navires. (30) En 1213 Pandolphe, cardinal sous-diacre de l'Eglise romaine, fut envoyé en Angleterre comme légat du pape, pour mettre un terme aux discordes de Jean et de l'Eglise. (31) Son fils. (32) Espèce de chariots dont se servaient les anciens Gaulois et les Bretons, au dire de Pomponius Mela, qui rapporte, en parlant des Bretons: Dimicant non equitatu modo aut pedite, verum bigis et curribus gallice armatis: corvinos vocant, quorum falcatis axibus utuntur. — Ils appellent corvins les chariots dont les roues sont armées de faulx. Lucain attribue aux Belges l'invention de ces chariots. Et docilis rector monstrati Belga corvini. (33) Jeu de mot sur le mot dam, damnum, dommage. (34) Raoul de Nivelle. (35) II paraît que l'auteur désigne la Hollande, que gouvernait alors un comte Guillaume. On verra plus bas que l'auteur désigne ce Guillaume sous le nom de Guilliquin, qu'il semble lui donner en dérision de son véritable nom. (36) II faut probablement entendre le vaisseau royal, sur lequel était le trésor royal. (37) De Nemours. (38) De Roye. (39) Evêque de Senlis. (40) Dans son histoire en prose, le même auteur dit que le roi rendit les otages de Gand, d'Ipres et de Bruges pour trente mille marcs d'argent. (41) Guillaume, comte de Hollande. (42) Gaucher. |