Flodoard

GUIBERT DE NOGENT

 

HISTOIRE DES CROISADES

 

LIVRE II

livre I - livre III

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

HISTOIRE DES CROISADES,

 

Par

GUIBERT DE NOGENT.

 

 

 

 

LIBER SECUNDUS.

CAPUT PRIMUM.

[I.] Urbani papae praeconia. Post mortem clarus miraculis. Urbanis papa, ante papatum Odo vocabatur, ex Francis claro germine oriundus, ex territorio et clero Remensi, et existens, ut ferunt, nisi falluntur, papa primus ex Francis. Is Cluniaci factus ex clerico monachus, post abbatem gloriosae memoriae qui adjuvit Hugonem non multo post rexit officium prioratus. Inde proficiente merito, civitati Ostiae, Gregorii septimi papae jussu, destinatur episcopus; ad extremum apostolicae sedi praeficitur pontifex summus. Cujus quanta magnanimitas exstitit, hujus profectionis incentivo innotuit, quod dum primus ipse praebuit, quonam pacto id fieret, totus mundus obstupuit. Attestatur statui mentis finis ejus splendens miraculis. Defuncto etenim ac sepulto eo, sicut succedens ei Ostiensis scripsit episcopus, cum plurima signa jam fierent, astitit quidam sepulcro illius juvenis, et membrorum damnum sibi imprecatus est, si per Urbani merita, qui Odo diceretur, signum unquam factum fuerit ac fieret. Necdum pedem a loco extulerat, cum officio sermonis amisso, et altero laterum paralysi intercurrente correpto, postridie, Urbani virtutum testimonia mortuus ipse perhibuit.

Suppetias ab antiquo soliti sunt Romani pontifices a Francis expetere.

--Is itaque vir eximius, cum ab Alexi Graecorum principe magnis honoraretur exsequiis, et precibus quidem, sed multo propensius generali Christianitatis periculo pulsaretur quae quotidianis Gentilium minuebatur incursibus (et Sarracenorum namque irruptionibus Hispanias audiebat saepissime conturbari), pro hoc ipso, suae gentis sollicitaturus homines, commeatum facere destinavit in Franciam, apostolicae nempe sedis pontificibus ab antiquo consuetudinarium fuit, si quam sunt passi a finitima gente molestiam, auxilia semper expetere a Francis. Stephanus et Zacharias pontifices, uterque sub Pippino et Carolo regibus confugium fecit ad ipsos. Quorum prior, e pontificibus sequentem, facta usque Ticinum expeditione, Ecclesiae suum patrimonium reparando, propriae sedi restituit; Desiderium regem, qui violentiam intulerat, ad eorum quae diripuerat redditionem sola armorum intentatione coegit. Caeteris enim gentibus erga beatum Petrum ergaque pontificalia decreta, timoratius humiliusque se habuit gens eadem, nec temeritate, qua alii assolent, velamen malitiae arripere contra Deum voluit libertatem.

Francorum erga summum pontificem devotio continuata.

--Vidimus, jam annis emensis pluribus, Teutonicos, imo totius Lotharingiae regnum, beati Petri ejusque pontificum praeceptis barbarica quadam obstinatione reniti, et ambientes malle aut diuturno sive sempiterno anathemati subjacere quam subjici. Audivi anno praeterito, dum cum archidiacono quodam Magontino super sua ipsorum rebellione congrederer, quod regem nostrum cum populo in tantum vilipenderit, ob hoc solum quia dominum papam Paschalem cum suis principibus grate ubique susceperit, ut eos non modo Francos vocaverit. Cui inquam: « Si ita eos inertes arbitraris et marcidos ut celeberrimum usque in Oceanum Indicum nomen, foede garriendo detorqueas, dic mihi ad quos papa Urbanus contra Tureos praesidia contracturus divertit? nonne ad Francos? hii nisi praeissent et barbariem undecunque confluentium gentium vivaci industria et impavidis viribus constrinxissent, Teutonicorum vestrorum, quorum ne nomen quidem ibi sonuit, auxilia nulla fuissent. » Haec ad illum.

Quam firmia perseveransque Francorum fides.

--Fateor vero et omnibus credibile est huic tanto gentem istam Deum reservasse negotio, praesertim cum pro certo noverimus quia ex quo fidei signum, beato Remigio tradente, sumpserunt, nullius unquam perfidiae suscipere contagium vel ad horam acquieverunt, quo vix, aut nullo modo, nationes aliquae mundae manserunt. Hii sunt qui, dum adhuc sub errore gentili positi, Gallorum, sed Christianorum arva pugnaci intentione subigerent, nemini unquam pro Christi fide aut poenas intulerunt aut mortem; sed eos quos Romana severitas ferro ignique punierat, auro argentoque recondidit, gemmis electroque contexit ingenita liberalitas gentis. Nec solum intra se passos, his honoribus contendit ambire; sed et Hispaniis aut Italia seu quibuslibet gentibus advectos, tantae desiderio affectionis excoluit, ut martyrum seu confessorum, quos tantopere servat, amor et celebrem reddiderit et illustrem, fideique irremisso tenore donaverit; ad extremum hujus Jerosolymitanae victoriae triumphis extulerit. Quia enim portavit jugum ab adolescentia, sedebit solitaria, inter omnium videlicet gentium proprietates, gens nobilis, prudens, bellicosa, dapsilis ac nitida. Quibus proprium cum sit nomen, quarumcunque nationum homines, mutuato imo praestito ipsorum agnomine honorantur. Quos enim Britones, Anglos, Ligures, si bonis eos moribus videamus, non illico Francos homines appellemus? Sed jam ad proposita redeamus.

 

LIVRE SECOND.

 

Le pape Urbain, qui se nommait Eudes avant d'être élevé à la papauté, issu d'une illustre famille de France, né dans le territoire et membre du clergé de Reims, fut, à ce qu'on rapporte, et sauf erreur, le premier pape français. De clerc il devint moine de Cluny, après l'abbé de glorieuse mémoire qui assista Hugues........[2] Peu de temps après, il remplit les fonctions de prieur, puis, poussé par son mérite, il fut promu à l'évêché de la ville d'Ostie, par les ordres du pape Grégoire VII, et parvint enfin à la dignité de souverain pontife du siège apostolique. La grandeur de son âme se montra par l'impulsion qu'il sut donner à cette entreprise ; il fut le premier qui trouva les moyens de la réaliser, et le monde entier l'admira avec étonnement. De nombreux témoignages prouvent que la fin de sa vie fut illustrée par des miracles. L'évêque qui lui avait succédé à Ostie a écrit qu'après qu'il fut mort et enseveli, et à la suite même de plusieurs miracles, un jeune homme se présenta devant son sépulcre, et appela sur lui-même avec imprécations la perte de quelqu'un de ses membres, s'il était vrai qu'aucun miracle eût été fait ou dût être fait à l'avenir par les mérites d'Urbain, auparavant appelé Eudes. Mais avant qu'il eût levé le pied pour se retirer, il fut privé de l'usage de la parole et frappé de paralysie sur tout un côté de son corps, et mourut le lendemain, rendant lui-même témoignage de la puissance d'Urbain.

 

 

L'empereur des Grecs, Alexis, ne cessait d'honorer cet illustre pontife par de riches offrandes, et de lui adresser des prières ; mais, touché bien plus encore des périls auxquels la chrétienté était journellement exposée, par l'effet des invasions des Gentils, et instruit en outre que l'Espagne ne cessait d'être désolée par les irruptions des Sarrasins, le pape résolut de faire un voyage en France pour solliciter à ce sujet les hommes de sa nation. Dès longtemps les pontifes du siège apostolique sont dans l'usage, lorsqu'ils éprouvent quelque tracasserie de la part d'un peuple voisin, de demander des secours aux Français. Sous les règnes de Pépin et de Charles, les pontifes Etienne et Zacharie se réfugièrent l'un et l'autre auprès de ces rois : Pépin fit une expédition jusque sur les bords du Tésin, rétablit l'Église en possession de son patrimoine, remit le pontife Etienne sur son siège, et contraignit le roi Didier, par la force de ses armes, à rendre au pape ce qu'il lui avait enlevé par la violence. La nation des Français parut toujours plus soumise et plus humble que toutes les autres nations envers le bienheureux Pierre et les décrets des pontifes romains, et ne montra point, comme les autres, la prétention téméraire de s'emparer de la liberté contre Dieu même, pour voiler de méchantes intentions. Nous voyons depuis longues années les Teutons, ou pour mieux dire le royaume entier de Lorraine, s'efforcer, avec une obstination presque barbare, de résister aux commandements du bienheureux Pierre et de ses pontifes, et, dans leur ardeur de parvenir à ce but, ils aiment mieux demeurer sous le coup d'un anathème prolongé, ou même éternel, que ployer une seule fois.

 

L'année dernière je m'entretenais avec un archidiacre de Mayence au sujet de la rébellion des siens, et je l'entendais vilipender notre roi et le peuple, uniquement parce que le roi avait bien accueilli et bien traité partout le seigneur pape Pascal ainsi que ses princes : il se moquait des Français à cette occasion, jusqu'à les appeler par dérision Francons. Je lui dis alors : Si vous tenez les Français pour tellement faibles ou lâches que vous croyiez pouvoir insulter par vos plaisanteries à un nom dont la célébrité s'est étendue jusqu'à la mer Indienne, dites-moi donc à qui le pape Urbain s'adressa pour demander du secours contre les Turcs ? N'est-ce pas aux Français ? Si ceux-ci n'eussent eu la supériorité, s'ils n'eussent, par l'activité de leur esprit et la fermeté de leur court rage, opposé des barrières aux progrès toujours croissants des nations barbares, tous vos Teutons, dont le nom même n'est pas connu, eussent-ils été de quelque utilité dans de telles circonstances ? Et je le quittai après ces mots.

 

— Je reconnais cependant, et tout le monde le croira sans peine, que Dieu même avait réservé cette nation des Français pour une si grande entreprise, car nous savons d'une manière certaine que, depuis le moment où ils ont adopté le signe de la foi que leur apporta le bienheureux Rémi, ils n'ont jamais été atteints un seul moment d'aucune de ces contagions perfides par lesquelles toutes les autres nations ont vu la pureté de leur croyance plus ou moins altérée. Remarquons encore que ces mêmes Français, qui conquirent par les armes les champs des Gaulois devenus chrétiens, tandis qu'eux-mêmes étaient encore soumis aux erreurs du paganisme, s'abstinrent cependant de persécuter ou de faire périr aucun Gaulois à raison de sa foi en Christ, et que leur libéralité naturelle les porta à combler d'or et d'argent, de pierres précieuses et d'ambre fin, ceux que les Romains, dans leur sévérité, avaient frappés par le fer et par le feu. Et ce n'est pas seulement pour ceux qui vivent au milieu d'eux qu'ils se montrent sans cesse empressés à les combler d'honneurs ; ceux qui leur arrivent d'Espagne, d'Italie ou de tout autre pays, sont aussi accueillis par eux avec les témoignages de la plus vive affection : leur amour pour les martyrs et les confesseurs de la foi, auxquels ils demeurèrent toujours fidèles avec une ardeur extrême, les a constamment illustrés, a maintenu chez eux le flambeau de la foi sans aucune interruption, et les a conduits enfin aux plus beaux triomphes par la conquête de Jérusalem. Et comme cette nation a porté le joug dès son adolescence, elle demeurera toujours distinguée, et sera toujours, au milieu de toutes les autres, une nation noble, sage, belliqueuse, magnifique et parfaitement pure. Aussi les hommes, de quelque pays que ce soit, sont-ils honorés en recevant ou en empruntant comme surnom le nom même qui appartient en propre aux hommes de cette race. Quels sont en effet les Bretons anglais, les Italiens, que nous n'appelions sur-le-champ des hommes Francs, lorsque nous les voyons distingués par leur bonne conduite? — Je reprends maintenant la suite de mon récit.

CAPUT II.

[II.] Papa venit in Galliam convocatque Claromonti concilium. Quot inibi antistites. Papae facundia et aequitas.

--Papa igitur Urbanus, regni nostri fines ingrediens, tanta urbium, oppidorum, villarumque laetitia et concursione excipitur quanto omnium qui adviverent memoriis incompertum fuerat, quod aliquando apostolicae sedis antistes in regiones has venisse videretur. Annus itaque incarnati Verbi millesimus nonagesimus quintus properabat evolvi, cum praesul idem, valde frequens acceleravit convocare concilium, cui tandem in urbe Arvernica, scholasticissimo omnium praesulum Sidonio gloriosa, dedit locum, cui tamen immutatae Claromonti constat esse vocabulum. Quod fuit tanto celebrius quanto excellentis et inusitatae personae ora cernere, verba audire erat desiderabilius. Illic, praeter episcoporum et abbatum examina, quos circiter quadringentos per prominentes ferulas fuisse aliqui numeraverant, totius Franciae et appendicium comitatuum litteratura confluxit. Erat ibi spectare quam serena gravitate, ponderosa comitate praesideret, et ut praefati Sidonii verbis utar, quam « piperata facundia, » ad objecta quaelibet papa disertissimus detonaret. Notabatur quanta vir clarissimus modestia tolerabat suas tumultuose causas ingerentium, loquacitatem; quam parum appretiabatur, nisi secundum Deum cujuspiam personalitatem.

[III.] Philippum regem a piorum coetu ejicit.

 --Inde Philippum regem Francorum, cujus trigesimus septimus tunc regni recensebatur annus, qui propria, Bertha nomine, uxore relicta, Andegavensis comitis uxorem sibi, Bertradam vocabulo, devinxerat, tanta auctoritate excommunicavit ut intercessiones spectabilium personarum, et multiplicium munerum illationes contempserit, et quod intra regni ipsius demorabatur limites non extimuerit.

In hoc ipso concilio, sicuti antequam ab urbe digrederetur proposuerat, hacque de causa Francos expetiverat, maximam ad sibi assistentes concionem habuit, et inter caetera, quae excessere memorias auditorum, hac intentione disseruit. Ejus enim scientiae litterali eloquentiae cooperabatur agilitas, non enim minor ei videbatur in Latinae prosecutione locutionis ubertas quam forensi cuilibet potest esse in materno sermone pernicitas. Nec altercantium multitudo obtundebat concionantis ingenium, sed licet praedicabilium grammaticorum elegantiis ambiretur, et causarum emergentium nebulis offundi videretur, et oratorum superexundare copias, ac sermonum quorumcunque facetias superequitare litterali luculentia putabatur. His ergo, etsi non verbis, tamen intentionibus usus est.

Urbani pontificis oratio habita in concilio.

 -- « Si inter Ecclesias toto orbe diffusas aliae prae aliis reverentiam pro personis locisque merentur: pro personis, inquam, dum apostolicis sedibus privilegia majora traduntur; pro locis vero, dum regiis urbibus eadem quae personis dignitas, uti est civitas Constantinopolitana, praebetur: [IV] illi potissimum Ecclesiae deberemus, ex qua gratiam redemptionis, et totius originem Christianitatis accepimus. Si enim verum constat quod a Domino dicitur, quia videlicet salus ex Judaeis est, et Dominum Sabaoth semen nobis reliquisse constat, ne sicut Sodoma simus et Gomorrhae similes fiamus, et semen nostrum Christus est, in quo salus et omnium gentium benedictio est: ipsa terra et civitas in qua habitavit et passus est, Scripturarum testimonio sancta vocatur. Si enim haec terra, Dei haereditas et templum sanctum, antequam ibi obambularet ac pateretur Dominus, in sacris et propheticis paginis legitur, quid sanctitatis, quid reverentiae obtinuisse tunc creditur, cum Deus majestatis ibidem incorporatur, nutritur, adolescit, et corporali vegetatione hac illacque perambulat aut gestatur? et, ut cuncta quae longo verborum gyro narrari possunt, digna brevitate constringam, ubi Filii Dei sanguis, coelo terraque sanctior, effusus est, ubi corpus, paventibus elementis, mortuum in sepulcro quievit, quid putamus venerationis emeruit? Si, ipso Domino nostro recens interfecto, et a Judaeis adhuc civitate possessa, sancta civitas ab evangelista vocatur, cum dicitur: Multa corpora sanctorum qui dormierant, surrexerunt, et venerunt in sanctam civitatem, et apparuerunt multis; et a propheta Isaia dicitur: Erit sepulcrum ejus gloriosum; cum ipsa sanctitas, civitati semel Deo ipso sanctificatore per seipsum indita, nullo malo superveniente exinaniri valeat, et eodem modo indivisibiliter sepulcri gloria constet: summis studiis, fratres charissimi, vobis elaborandum est, ut sanctitas civitatis, ac sepulcri gloria, quae gentilium frequentatione quantum in ipsis est crebro polluitur; si ad Auctorem illius sanctitatis et gloriae aspiratis, si ea quae in terra sunt vestigiorum ejus signa diligitis, si expetitis, Deo vos praeeunte, Deo pro vobis praeliante, mundetur.

Rationes quibus Christianos ad expeditionem Jerosolymitanam arma induere adhortatur pontifex.

-- « Si Machabaeis olim ad maximam profuit pietatis laudem, quia pro caeremoniis et templo pugnarunt, et vobis, o milites Christiani, legitime conceditur ut armorum studio libertatem patriae defendatis. Si limina etiam apostolorum, vel sanctorum quorumlibet, tanto sudore petenda putatis, quid crucem, quid sanguinem, quid monumentum eruere, quid visitare, quid pro his eruendis animarum pretia impendere detrectatis? Indebita hactenus bella gessistis, in mutuas caedes, vesana aliquoties tela solius cupiditatis aut superbiae causa torsistis; ex quo perpetuos interitus, et certa damnationis exitia meruistis. Nunc vobis bella proponimus quae in se habent gloriosum martyrii munus, quibus restat praesentis et aeternae laudis titulus. Ponamus modo in Jerusalem Christum neque mortuum, nec sepultum, nec ibidem vixisse aliquando. Certe, si haec deessent omnia, solum illud, ad subveniendum terrae et civitati vos excitare debuerat, quia de Sion exierit lex, et verbum Domini de Jerusalem. Si enim ex Jerosolymitano, quidquid Christianae praedicationis est fonte manavit, rivuli, quaquaversum toto terrarum orbe dispersi, catholicae multitudinis corda retorqueant, ut solerter attendant quid fonti tam irriguo debeant. Si ad locum unde exeunt, flumina revertuntur, ut iterum fluant, juxta dictum Salomonis, gloriosum vobis videri debet, si ei loco repurgium possitis impendere, unde Baptismatis purgamentum, et fidei documentum vos constitit accepisse.

« Et est vobis praeterea summa deliberatione pensandum, si ipsam matrem ecclesiarum Ecclesiam, vobis elaborantibus, ad Christianitatis cultum reflorere, Deo per vos agente, contigerit, ne forte contra propinqua Antichristi tempora ad fidem partes Orientis aliquas restitui velit. Perspicuum namque est Antichristum non contra Judaeos, non contra gentiles bella facturum, sed, juxta etymologiam sui nominis, Christianos pervasurum. Et, si Antichristus ibidem Christianum neminem sicuti hodie vix aliquis habetur, inveniat, non erit qui sibi refragetur, aut quem jure pervadat. Juxta enim Danielem, et Hieronymum Danielis interpretem, fixurus est in Oliveti monte tentoria, et Jerosolymis, In Dei templo, tanquam sit Deus, certum est, Apostolo dicente, quod sedeat, et juxta eumdem prophetam, tres reges, Aegypti videlicet, Africae ac Aethiopiae, haud dubium quin pro Christiana fide primos interficiat. Quod quidem nullatenus fieri poterit, nisi, ubi nunc paganismus est, Christianitas fiat. Si ergo piorum praeliorum exercitio studeatis, ut sicut ab Jerosolymis Dei notitiae seminarium accepistis, ita illic mutuatae redhibitionem gratiae restituatis, ut per vos nomen catholicum propagetur, quod Antichristi Antichristianorumque perfidiae refragetur. Quis non conjicere potest quod Deus, qui universorum spem exuberantia virtutis exsuperat, per scintillam vestram tantae paganitatis arundineta consumat, ut Aegyptum, Africam Aethiopiamque, quae a nostrae credulitatis communione desciscunt, intra hujus rudimenta legis includat, et homo peccator, filius perditionis aliquos rebelles inveniat?
« Et ecce Evangelium clamat Jerusalem calcandam a gentibus, donec impleantur nationum tempora. Bifariam intelligi possunt tempora nationum, aut quia Christianis dominatae sunt ad placitum, et pro suis libidinibus turpitudinum omnium volutabra sectatae sunt, et in cunctis his nullum obicem habuerunt, tempus enim suum habere dicuntur quibus ad votum cuncta suppetunt, ut est illud: Tempus meum nondum advenit; tempus autem vestrum semper paratum est, unde et voluptuosis solet dici; vos habetis tempus vestrum. Aut rursus, Tempora nationum sunt plenitudines Gentium, quae antequam Israel salvus fiat, subintraturae sunt. Haec tempora, fratres charissimi, modo forsitan implebuntur, dum per vos, Deo cooperante, paganorum potentiae repellentur, et fine saeculi jam propinquo, et si gentes desinent converti ad Dominum, quia, juxta Apostolum, oportet fieri a fide discessionem. Primum tamen necesse est, juxta prophetas, ante adventum Antichristi, in illis partibus, aut per vos, aut per quos Deo placuerit, renovari Christianitatis imperium, ut omnium malorum caput, qui ibidem regni thronum habiturus est, fidei aliquid contra quod pugnet reperiat nutrimentum.
« Cogitate itaque apud vos quod vos Omnipotens ad hoc fortasse provideat, quatenus Jerusalem per vos a tanta conculcatione restituat. Rogo, perpendite quibus cordibus gaudia illa poterunt concipi, cum sanctam civitatem vestro adminiculo viderimus suscitari, et prophetica nostris temporibus, imo oracula divina, compleri. Moveat memoriam vestram quod voce ipsius Domini ad Ecclesiam dicitur: « Ab Oriente adducam semen tuum, et ab Occidente congregabo te. » Semen nostrum Deus adduxit ab Oriente, quia duplici modo orientalis illa provincia edidit primitiva incrementa nobis Ecclesiae. Sed ab Occidente eam congregat, dum per eos qui ultimi, fidei documenta coeperunt, occidentales scilicet (quod per vos, praestante Deo, fieri posse putamus), Jerosolymitana damna restaurat.

« Si Scripturarum vos non excitant dicta, nec nostra vestros animos penetrant monita, excitet saltem vos eorum qui sancta loca adire desiderant magna miseria. Perpendite eos qui peregrinantur, et per Mediterranea illuc vadunt, siquidem opulentiores sunt, quantis redhibitionibus, quantis violentiis subjacent, dum pene per singula milliaria pensiones coguntur et tributa dependere, per quasque civitatis portas, per ecclesiarum et templorum ingressus redemptiones exsolvere; ad quasque de locis ad loca demigrationes, inflicta qualibet accusatione, ad redemptionem compellere? dare vero munera detrectantes, quomodo gentilium praefecti consueverint, verberibus truculenter urgere? Quid de his dicturi sumus, qui nihil prorsus habentes nudae fiducia paupertatis, dum nil praeter corpora videntur habere quod perdant, iter illud arripiunt? Dum ab eis pecunia, quae non est, suppliciis intolerandis exigitur, dum callos talorum, ne forte quidpiam ibi insuerint, dissecando ac revellendo rimantur, crudelitas nefandorum ad hoc usque perducitur ut aurum vel argentum miseros absorbuisse putantes, aut data in potum scamonia usque ad vomitum, vel etiam eruptionem eos vitalium urgent, vel ferro, quod dici nefas est, discissis ventribus, intestinorum quorumcunque involucra distendentes, quidquid habet natura secreti, horribili concisione aperiunt. Recolite, precor, eorum millia qui detestabiliter perierunt, et pro sanctis locis agite, unde vobis pietatis rudimenta venerunt, ante vos, in sua bella mittendos, Christum fore signiferum indubitanter credite, et praecursorem individuum. »

[V.] Crux militum vestimentis affigitur.

--Peroraverat vir excellentissimus, et omnes qui se ituros voverant, beati Petri potestate absolvit, eadem, ipsa apostolica auctoritate firmavit, et signum satis conveniens hujus tam honestae professionis instituit, et veluti cingulum militiae, vel potius militaturis Deo passionis Dominicae stigma tradens, crucis figuram, ex cujuslibet materiae panni, tunicis, byrris et palliis iturorum, assui mandavit. Quod si quis, post hujus signi acceptionem, aut post evidentis voti pollicitationem, ab ista benevolentia, prava poenitudine, aut aliquorum suorum affectione resiliter, ut exlex perpetuo haberetur omnino praecepit, nisi resipisceret; idemque quod omiserat foede repeteret. Praeterea omnes illos atroci damnavit anathemate, qui eorum uxoribus, filiis, aut possessionibus, qui hoc Dei iter aggrederentur, per integrum triennii tempus, molestiam auderent inferre. Ad extremum, cuidam viro omnimodis laudibus efferendo, Podiensis urbis episcopo, cujus nomen doleo quia neque usquam reperi , nec audivi, curam super eadem expeditione regenda contulit, et vices suas ipsi, super Christiani populi quocunque venirent institutione, commisit. Unde et manus ei, more apostolorum, data pariter benedictione, imposuit. Quod ille quam sagaciter sit exsecutus, docet mirabilis operis tanti exitus.

 

CHAPITRE II.

 

Aussitôt que le pape Urbain eut mis le pied sur le territoire de notre royaume, les villes, les bourgs, les campagnes, l'accueillirent avec des transports de joie, et au milieu d'un immense concours de peuple, d'autant plus que nul homme vivant ne se souvenait que le chef suprême du siège apostolique fût jamais venu visiter ces contrées. L'année mil quatre-vingts dix-sept de l'Incarnation du Verbe s'approchait de sa fin, lorsque cet évêque se hâta de convoquer un concile, en assignant le rendez-vous dans la cité d'Auvergne, qui a changé de nom et s'appelle maintenant Clermont, illustrée par Sidoine, le plus éloquent des évêques. Ce concile fut d'autant plus célèbre qu'on éprouvait la plus grande impatience de voir les traits, d'entendre les paroles d'un personnage aussi éminent, et qu'on n'avait pas coutume de rencontrer. Aussi, outre les évêques et les abbés, qui siégèrent sur les bancs les plus élevés, au nombre de quatre cents environ, d'après le compte qu'en firent quelques personnes, on vit affluer à Clermont tous les hommes lettrés de la France entière et des comtés qui en dépendent, et l'on put voir en cette occasion ce pape rempli d'habileté présider rassemblée avec une gravité calme, une politesse mesurée, et, pour emprunter les expressions même de Sidoine, répondre avec une éloquence piquante à toutes les objections proposées. On remarqua aussi l'extrême bonté avec laquelle cet homme très illustre supporta les bavardages de ceux qui soutenaient leurs procès avec emportement, et se montra attentif à ne faire aucune acception de personnes, si ce n'est selon la loi de Dieu.

Le roi Philippe se trouvait alors dans la trente-septième année de son règne ; il avait abandonné sa femme légitime Berthe, pour s'unir à la femme du comte d'Anjou, nommé Bertrade. Le pape excommunia le roi des Français avec une grande fermeté, dédaignant les sollicitations de personnes respectables et les offres des plus riches présents, et ne se laissant point intimider par la considération qu'alors même il se trouvait dans l'intérieur du royaume.

Ainsi qu'il l'avait résolu avant son départ, et attendu que c'était le principal motif de son voyage en France, le pape, dans ce même concile, adressa à tous ceux qui étaient présents une grande harangue, dans laquelle, entre autres objets divers qu'il traita, et dont aucun auditeur n'eût pu garder un souvenir complet, il disserta longuement sur ses projets. Son éloquence facile secondait sa science littéraire, et il s'exprimait en latin avec autant de facilité qu'en peut montrer un avocat quelconque à parler sa langue maternelle. La grande affluence des plaideurs n'émoussa nullement le génie de l'orateur; et, quoiqu'il fût entouré de ce qu'il y avait de grammairiens les plus distingués par leur habileté, quoiqu'il semblât qu'il dût être écrasé sous la masse des procès qui survenaient de tous côtés, il fut reconnu que le pape s'élevait, par son éloquence, au-dessus de tous les orateurs, et que l'élégance littéraire de ses discours était bien supérieure aux agréments que l'on pouvait trouver dans les autres discours, quels qu'ils fussent. Voici donc la harangue qu'il prononça, sinon dans les mêmes termes, du moins dans le même esprit:

« Si parmi les églises répandues dans le monde entier, les unes méritent d'obtenir plus de respect que les autres, à raison des personnes ou des localités ; à raison des personnes, dis-je, attendu que l'on accorde de plus grands privilèges aux sièges apostoliques, à raison des localités, attendu que les villes royales, comme la ville de Constantinople, par exemple, doivent obtenir les mêmes distinctions que les personnes, nous devrions surtout témoigner un respect tout particulier à cette Eglise, d'où nous est venue la grâce de la Rédemption, et qui est le berceau de toute la chrétienté. S'il est vrai, ainsi que l'a dit le Seigneur, que le salut vient des Juifs , et que le dieu des armées nous a livré une semence, afin que nous ne soyons point comme Sodome, et que nous ne ressemblions pas à Gomorrhe, le Christ est cette semence, dans laquelle sont enfermés le salut et la bénédiction de toutes les nations, et la terre et la ville qu'il a habitées, et où il a souffert, sont appelées saintes, conformément au témoignage des Ecritures. En effet, nous lisons dans les pages sacrées et prophétiques que cette terre était l'héritage de Dieu et le temple saint, même avant que le Seigneur l'eût foulée de ses pieds, et y eût souffert. Quel accroissement de sainteté, quels nouveaux titres à nos respects n'a-t-elle pas obtenus, lorsque Dieu, dans sa majesté, y a été incarné, nourri, élevé, et l'a parcourue en tous sens, vivant d'une vie corporelle, lorsque, pour renfermer dans une concision digne de son objet tout ce qui pourrait être dit en plus longs discours, le sang du fils de Dieu, plus saint que le ciel et la terre, y a été répandu ; lorsque son corps, mis à mort au milieu du trouble des éléments, y a reposé en paix dans un sépulcre ? Si, peu de temps après la mort de Notre-Seigneur lui-même, et lorsque les Juifs en étaient encore en possession, cette cité a été appelée sainte par l'évangéliste, qui a dit :Plusieurs corps des saints qui étaient morts ressuscitèrent; et, étant sortis de leurs sépulcres, après sa résurrection, ils entrèrent dans la sainte cité, et ils furent vus de plusieurs personnes ; si le prophète Isaïe avait dit déjà : Son sépulcre sera glorieux, comme cette sainteté, attribuée une fois à cette cité par le sacrifice de Dieu même, ne peut être désormais anéantie, quels que soient les maux qui surviennent, et comme il est également certain que la gloire du sépulcre ne saurait être détruite ; ô frères très chéris, s'il est vrai que vous aspiriez à celui qui est l'auteur de cette sainteté et de cette gloire, si vous chérissez, si vous désirez ardemment connaître les lieux de cette terre où se retrouvent ses traces, c'est à vous qu'il appartient de faire les plus grands efforts, avec le secours de Dieu, qui marchera devant vous, et combattra pour vous, afin de purger cette cité sainte et ce glorieux sépulcre des souillures qu'y amassent les Gentils par leur présence, autant du moins qu'il est en leur pouvoir.

Si la piété des Macchabées mérita jadis; les plus grands éloges, parce qu'ils combattirent pour les cérémonies et pour le temple ; s'il vous est permis, chevaliers chrétiens, de prendre les armes pour défendre la liberté de la patrie, si vous estimez que l’on doive faire les plus grands efforts pour visiter les temples des apôtres ou de tout autre saint, que tardez-vous de relever la croix, le sang, le monument du Seigneur, de le visiter, de vous consacrer à ce service pour le salut de vos âmes? Jusqu'à présent vous avez fait des guerres injustes; dans vos fureurs insensées vous avez lancé réciproquement sur vos maisons les traits de la cupidité ou de l'orgueil, et par là vous avez attiré sur vous les peines de la mort éternelle et d'une damnation certaine. Maintenant nous vous proposons des guerres qui portent en elles-mêmes la glorieuse récompense du martyre, qui seront à jamais l'objet des éloges du temps présent et de la postérité. Supposons un moment que le Christ n'ait été ni mis à mort, ni enseveli à Jérusalem, et n'y ait même jamais vécu ; certes, quand tous ces faits nous manqueraient, ce seul fait, que la loi est sortie du livre, et la parole du Seigneur de Jérusalem, devrait suffire pour vous porter à marcher au secours de la terre et de la cité sainte. En effet, si Jérusalem est la source d'où découla tout ce qui se rapportait à la prédication du christianisme, les petits ruisseaux qui se sont dispersés de tous côtés, et sur toute la surface de la terre, doivent remonter dans les cœurs de tous les fidèles catholiques, afin que ceux-ci se pénètrent bien de tout ce qu'ils doivent à cette source si abondante. Si les fleuves retournent au lieu d'où ils sont partis, afin qu'ils coulent encore. Selon le langage de Salomon, il doit vous paraître glorieux de travailler à purifier le lieu d'où il est certain que vous sont venus le baptême qui purifie et les enseignements de la foi.

Voici encore une autre considération à laquelle vous devez attacher une extrême importance, c'est que Dieu, agissant par vous, emploie vos efforts à faire refleurir le culte chrétien dans l'église, mère de toutes les églises; il est possible que ce soit avec l'intention de rétablir la foi dans quelques portions de l'Orient, pour les faire résister aux temps de l'Antéchrist qui s'avancent ; car il est évident que ce n'est point contre les Juifs ni les Gentils que l'Antéchrist fera la guerre; mais que, conformément à l'étymologie même de son nom, il attaquera les Chrétiens; et s'il ne trouve aucun chrétien en ces lieux, comme à présent on n'y en rencontre presque plus, il n'y aura personne qui lui résiste, ou qu'il ait lieu d'attaquer; car, selon Daniel le prophète, et Jérôme son interprète, il dressera ses tentes sur le mont des Oliviers. Il est certain, puisque l'apôtre l'a dit, qu'il siège à Jérusalem dans le temple de Dieu, voulant passer pour un Dieu, et le même prophète Daniel a dit encore que, sans aucun doute, trois rois, savoir, ceux d'Egypte, d'Afrique et d'Ethiopie seront les premiers tués par lui, à raison de la foi du Christ. Et certes, cela ne pourrait nullement arriver si le christianisme n'était établi aux lieux où règne maintenant le paganisme. Si donc, dans votre zèle pour ces pieux combats, vous vous efforcez, après avoir reçu de Jérusalem les principes de la connaissance de Dieu, de les rétablir dans ces mêmes lieux, en signe de reconnaissance, afin de travailler à répandre au loin le nom catholique, qui doit résister aux entreprises perfides de l'Antéchrist et des antichrétiens, qui pourrait douter que Dieu, dont la puissance est bien supérieure à toutes les espérances des hommes, ne consume ces champs couverts des roseaux du paganisme, à l'aide de la flamme allumée dans vos cœurs, afin que l'Egypte, l'Afrique et l'Ethiopie, qui ne sont pas dans la communion de notre croyance, soient enfermées dans les règles de cette loi, et que l'homme du péché, le fils de perdition, trouve de nouveaux rebelles? Voici l’Evangile, qui nous crie que Jérusalem sera foulée par les nations, jusqu'à ce que le temps des nations soit accompli. Ces paroles, le temps des nations, peuvent s'entendre de deux manières. Elles veulent dire que les nations ont dominé les Chrétiens à leur gré et se sont roulées, selon l'emportement de leurs passions, dans la fange de toutes les turpitudes sans rencontrer aucun obstacle ; car on dit ordinairement que ceux-là ont leur temps à qui toutes choses réussissent selon leurs vœux, comme dans cet exemple : Mon temps n'est pas encore venu, mais le temps est toujours propre pour vous ; et l'on dit aussi habituellement aux voluptueux : Vous avez votre temps. Ou bien encore ces paroles, le temps des nations, signifient la plénitude des nations, qui seront appelées à la foi avant qu'Israël soit sauvé. Peut-être, ô frères très chéris ces temps seront-ils accomplis lorsque les puissances païennes seront repoussées par vous, avec la coopération de Dieu ; car la fin du siècle s'approche, et les nations cessent d'être converties au Seigneur, parce qu'il faut, selon les paroles de l'apôtre, que la révolte soit arrivée auparavant. Cependant, et conformément aux paroles des prophètes, il est nécessaire qu'avant la venue de l'Antéchrist l'empire du christianisme soit renouvelé dans ces lieux, ou par vous, ou par ceux qu'il aura plu à Dieu de commettre, afin que le chef de tous a maux, celui qui établira le siège de son règne, y trouve quelque élément, de foi contre lequel il puisse combattre. Réfléchissez donc en vous-même que le Tout-Puissant vous a peut-être destinés pour relever par vous Jérusalem de l'état d'avilissement dans lequel elle est foulée aux pieds ; et, je vous le demande, jugez quels cœurs pourront suffire aux torrents de joie dont ils seront inondés, si nous voyons la Cité sainte relevée par voire assistance, et ces oracles prophétiques, ou plutôt divins, accomplis de notre temps? Souvenez-vous encore de ces paroles de Dieu même qui a dit à l'Église : J'amènerai vos enfants de l'Orient, et je vous rassemblerai de l'Occident. Dieu a amené vos enfants de l'Orient, puisque ce pays de l'Orient a doublement produit les premiers principes de notre Église, et il les rassemble de l'Occident en réparant les maux de Jérusalem par les bras de ceux qui ont reçu les derniers les enseignements de la foi, c'est-à-dire, par les Occidentaux, parce que nous pensons que ces choses pourront se faire par vous, avec l'assistance du Seigneur.

Que si les paroles des Écritures ne vous déterminent pas, si nos invitations ne pénètrent pas jusque dans le fond de vos âmes, que du moins l'extrême misère de tous ceux qui désirent visiter les lieux saints, vous émeuve et vous touche. Voyez ceux qui entreprennent ce pèlerinage, et vont dans ce pays à travers les terres : s'ils sont riches, voyez à combien de redevances, à combien de violences ils se trouvent assujettis ; presqu'à chaque mille de leur route ils sont contraints de payer des impôts et des tributs ; à chacune des portes de la Cité, à l'entrée des églises et des temples, il faut qu'ils acquittent des rançons, et toutes les fois qu'ils se transportent d'un lieu dans un autre, sur une accusation quelconque, ils se voient forcés de se racheter à prix d'argent, et en même temps les gouverneurs des Gentils ne cessent d'accabler cruellement de coups ceux qui refusent de leur faire des présents. Que dirons-nous de ceux qui, n'ayant rien du tout, et se confiant en leur dénuement absolu, entreprennent ce voyage parce qu'ils semblent n'avoir rien à perdre que leur propre personne ? On les soumet à des supplices intolérables pour leur arracher l'argent qu'ils n'ont pas ; on leur déchire, en leur ouvre les talons pour voir si par hasard il n'y aurait rien de cousu en dessous, et la cruauté de ces scélérats même va encore bien plus loin. Dans l'idée que ces malheureux peuvent avoir avalé de l’or ou de l'argent, ils leur font boire de la scammonée jusqu'à exciter le vomissement, ou même jusqu'à leur faire rendre les organes de la vie ; ou, ce qui est plus horrible encore, ils leur ouvrent le ventre avec le fer, font déployer les enveloppes des intestins, et pénètrent par d'affreuses incisions jusque dans les replis les plus secrets du corps humain. Rappelez-vous, je vous prie, tant de millions d'hommes qui ont péri de la manière la plus déplorable ; prenez ensuite parti pour les saints lieux, d'où vous sont venus les premiers éléments de la piété, et croyez sans aucun doute que le Christ marchera devant ceux qui iront faire la guerre pour lui, qu'il sera votre porte-étendard, et servira de précurseur à chacun d'entre vous.

Lorsque cet homme très éminent eut fini de parler, il donna l'absolution, par la puissance du bienheureux Pierre, à tous ceux qui faisaient vœu de partir, et la confirma en vertu de son autorité apostolique. Il institua ensuite un signe propre à distinguer ceux qui prendraient cette honorable résolution, et à leur servir en quelque sorte de ceinture de chevaliers ; ou plutôt, imprimant à tous ceux qui devaient combattre pour Dieu le sceau de la Passion du Seigneur, il leur prescrivit de coudre sur leurs tuniques, leurs vêtements de bure ou leurs manteaux, une petite pièce d'une étoffe quelconque, coupée en forme de croix. Que si, après avoir pris cette marque distinctive, ou après avoir prononcé son vœu publiquement, quelqu'un venait à renoncer à ces bonnes intentions, en cédant à de coupables regrets, ou aux sollicitations de quelqu'un des siens, le pape ordonna qu'il fût à jamais et entièrement mis hors la loi, à moins qu'il ne vînt à résipiscence et n'accomplît le vœu qu'il aurait honteusement négligé. En même temps le pape frappa d'un terrible anathème tous ceux qui, pendant l'espace de trois années, oseraient faire le moindre mal aux femmes, aux enfants, aux propriétés de ceux qui se seraient engagés dans cette entreprise. Enfin le pape confia le soin de diriger l'expédition à un homme digne des plus grands éloges, l'évêque du Puy, dont je regrette beaucoup de n'avoir pu découvrir ni entendu prononcer le nom. Il lui donna tous ses pouvoirs pour instituer des Chrétiens, de quelque lieu de la terre qu'ils vinssent se présenter, lui imposa les mains, à la manière des Apôtres, et lui donna aussi sa bénédiction. L'issue de cette admirable entreprise fait voir avec quelle habileté le prélat s'acquitta de ses fonctions.


 

 CAPUT III.

[VI.] Expeditio Jerosolymitana.

--Terminato itaque concilio, quod Claromonti habitum, circa Beati Martini octavas, Novembri mense consederat, magnus per universas Franciae partes rumor emanat, et quisque ad quem primo pontificis praeceptum, praevolans fama detulerat, de proponenda Via Dei (sic enim antonomasice vocabatur), contiguos sibi ac familiares quosque sollicitat. Jam Palatinorum comitum pruriebat intentio, et mediocritas equestrium virorum parturire jam coeperat, cum ecce, pauperum animositas tantis ad hoc ipsum desideriis aspiravit, ut eorum nemo de censuum parvitate tractaret, de domorum, vinearum et agrorum congruenti distractione curaret, sed optimos possessionum quaestus, multo pauciori pretio venditaret, quam si eorum quemque ferocissimae captivitatis carcer includeret, qui necessitatem celerrimae redemptionis indiceret. Erat ea tempestate, pro generali defectione, frugum etiam apud ditiores magna penuria, cum, etsi aliquibus passim emenda suppeterent, nulla tamen aut vix aliqua unde emerentur haberent. Jam inopum greges addidicerant herbarum sponte nascentium victitare radicibus, dum panis rarissimi parcitatem, quaesitarum undecunque escarum edulio propensiore compensant. Imminebat plane etiam potentiorum obtutibus omnium aestimatione conclamata miseria, et dum singulus quilibet, vulgi minimi per crudelem inediam considerat torsiones, indicta sibi parcimonia magnis elaborare sudoribus metuit, ne sumptu facili dilapidentur opes. Avarorum sitibunda praecordia, qui tempora laetabantur cruentis arridere foenoribus, dum modios diu servatae frugis intendunt, crebris annorum numerare recursibus pensant, quid superaddere possint, ea vendita, cumulandis pecuniarum montibus.

Interea dum illi cruciantur, hii ambiunt, repente: « in spiritu vehementi conterens naves Tharsis (. » per omnium pene animorum aures Christus intonuit, et is qui educit vinctos in fortitudine adamantina, quibus irretiebantur desperatorum hominum corda, cupiditatis vincla disrupit. Cum enim, ut superius dixi, illud minus fertile tempus omnium substantias coarctaret, dum ad spontaneum innumerabiles animasset exsilium, diversae plurimorum copiae deferuntur in medium et quae chara videbantur, dum nullus movetur hominum, commotis ad hoc iter omnibus, vili pretio traduntur venum. Cumque multi negotium hujus profectionis accelerant, ut unicae rei exemplo eorum quae vendebantur subitas et insperatas vilitates exprimam, quod insolitum dictu est, quinque denariorum pretio, septem distrahebantur oves. Frumentorum illa defectio, vertebatur in copiam, et dummodo suppetat cuique quantulamcunque quoquo pacto congregare pecuniam, dat quidquid habere videtur, non pro sua, sed pro taxatione ementis, ne Dei posterior aggrediatur viam. Erat itaque ibi videre miraculum caro omnes emere, et vili vendere, caro quidem, quae ad usum deferrentur itineris, dum praeproperant; vili vero, dum sumptuum impendia coaggerant, et quae paulo ante nec carceres nec tormenta ab eis extorquere poterant, brevi nummorum numero cuncta constabant.

Nec illud minus ridiculum quod hii plerumque, quos nulla adhuc eundi voluntas attigerat, dum hodie super omnimoda aliorum venditione cachinnant, dum eos misere ituros miseriusque redituros affirmant, in crastinum repentino instinctu pro paucis nummulis sua tota tradentes, cum eis proficiscebantur quos riserant.

Quis pueros, quis dicat anus ad bella moveri?
Quis quit virgineas annumerare manus?
Quis referat senium trepida gravitate fatiscens?
Bella canunt omnes, nec se pugnare fatentur.
Martyrium spondent, gladiis vel colla daturos.
« Vos juvenes, aiunt, manibus tractabitis enses
At nos hic liceat Christum tolerando mereri. »

Licet enim aemulationem Dei habere viderentur, sed non secundum scientiam, tamen Deus qui multa vane coepta ad pium intorquere consuevit finem, simplicibus illorum animis comparavit, ex sua ipsorum bona intentione, salutem. Videres mirum quiddam, et plane joco aptissimum, pauperes videlicet quosdam bobus biroto applicitis, eisdemque in modum equorum ferratis, substantiolas cum parvulis in carruca convehere; et ipsos infantulos, dum obviam habent quaelibet castella vel urbes, si haec esset Jerusalem, ad quam tenderent rogitare.

[VII.] Cum cuncta bello arderent, actutum, indicta a summo pontifice expeditione Jerosolymitana, fuere exstincta.

--Erat eo tempore antequam gentium fieret tanta profectio, maximis ad invicem hostilitatibus totius Francorum regni facta turbatio, crebra ubique latrocinia, viarum obsessio. Passim audiebantur, imo fiebant incendia infinita, nullis praeter sola et indomita cupiditate existentibus causis exstruebantur praelia, et ut brevi totum claudam, quidquid obtutibus cupidorum subjacebat, nusquam attendendo cujus esset, praedae patebat. Mox ergo et mira et incredibili ob insperabilitatem, animorum immutatione commoti, signum pontificis praedicti praeceptione indictum, cruces videlicet, ab episcopis et presbyteris sibi precantur imponi. Et sicuti rapidissimi venti impetus solet non magna pluviae unda restringi, ita illico contigit ad invicem simultates universorum et bella sopiri, per inditam sibi aspirationem, haud dubium quin Christi.

CHAPITRE III.

 

Dès qu'on eut terminé le concile de Clermont, qui se tint dans le mois de novembre, vers l'octave de la fête du bienheureux Martin, il s'éleva une grande rumeur dans toutes les provinces de la France, et aussitôt que la renommée portait à quelqu'un la nouvelle des ordres publiés par le pontife, il allait solliciter ses voisins et ses parents de s'engager dans la voie de Dieu; car c'est ainsi qu'on désignait l'expédition projetée. Déjà les comtes des palais étaient préoccupés du désir d'entreprendre ce voyage, et tous les chevaliers d'un rang moins élevé cédaient à la même impulsion ; mais voici, les pauvres eux-mêmes furent bientôt enflammés d'un zèle si ardent qu'aucun d'entre eux ne s'arrêta à considérer la modicité de ses revenus, ni à examiner s'il pouvait lui convenir de renoncer à sa maison, à ses vignes ou à ses champs, et chacun se mit en devoir de vendre ses meilleures propriétés à un prix beaucoup moindre que s'il se fût trouvé livré à la plus dure captivité, enfermé dans une prison, et forcé de se racheter le plus promptement possible. Il y avait à cette époque une disette générale, les riches même éprouvaient une grande pénurie de grains, et quelques-uns d'entre eux, quoiqu'ils eussent beaucoup de choses à acheter, n'avaient cependant rien, ou presque rien, pour pourvoir à ces acquisitions. Un grand nombre de pauvres gens essayaient même de se nourrir de la racine des herbes sauvages, et comme le pain était fort rare, ils cherchaient de tous côtés de nouveaux aliments pour compenser la privation qu'ils s'imposaient en ce point. Les hommes même les plus puissants se voyaient menacés de la misère dont on se plaignait de toutes parts, et chacun, témoin des tourments qu'éprouvait le petit peuple par l'excès de la disette, s'imposait avec beaucoup de soin une extrême parcimonie, dans la crainte de dilapider ses richesses par trop de facilité. Les avares, toujours insatiables, se réjouissaient d'un temps qui favorisait leur cruelle avidité, et, jetant les yeux sur leurs boisseaux de grains conservés depuis longtemps, ils faisaient sans cesse de nouveaux calculs pour évaluer les sommes qu'ils auraient à ajouter à leurs monceaux d'or après avoir vendu ces grains.

Ainsi, tandis que les uns éprouvaient d'horribles souffrances, et que les autres se livraient à leurs projets d'avidité, semblable au souffle impétueux qui brise les vaisseaux de la mer, le Christ occupa fortement tous les esprits, et celui qui délivre ceux qui sont enchaînés par des chaînes de diamant, brisa tous les liens de cupidité qui enlaçaient les hommes dans cette situation désespérée. Comme je l'ai déjà dit, chacun resserrait étroitement ses provisions dans ce temps de détresse; mais lorsque le Christ inspira à ces masses innombrables d'hommes le dessein de s'en aller volontairement en exil, les richesses d'un grand nombre d'entre eux ressortirait aussitôt et ce qui paraissait fort cher tandis que tout le monde demeurait en repos, fut tout-à-coup vendu à vil prix lorsque tous se mirent en mouvement pour entreprendre ce voyage. Et comme un grand nombre d'hommes se hâtaient pour terminer leurs affaires, on vit, chose étonnante à entendre, et qui servira pour donner un seul exemple de la diminution subite et inattendue de toutes les valeurs, on vit sept brebis livrées en vente pour cinq deniers. La disette des grains se tournait aussi en abondance, et chacun, uniquement occupé de ramasser plus ou moins d'argent d'une manière quelconque, vendait tout ce dont il pouvait disposer, non d'après l'évaluation qu'il en faisait, mais d'après celle de l'acheteur, afin de n'être pas le dernier à embrasser la voie de Dieu. Ainsi l’on voyait en ce moment s'opérer ce miracle que tout le monde achetait cher et vendait à vil prix : on achetait cher, au milieu de cette presse, tout ce qu'on voulait emporter pour l'usage de la route, et l'on vendait à vil prix tout ce qui devait servir à satisfaire à ces dépenses. Naguère les prisons et les tortures n'auraient pu leur arracher aucune des choses qu'ils livraient maintenant pour un petit nombre d'écus.

Mais voici un autre fait non moins plaisant : la plupart de ceux qui n'avaient fait encore aucun projet de départ se moquaient un jour et riaient aux éclats de ceux qui vendaient ainsi à tout prix, et affirmaient qu'ils feraient leur voyage misérablement et reviendraient plus misérables encore, et le lendemain ceux-là même, frappés soudainement du même désir, abandonnaient pour quelques écus tout ce qui leur appartenait, et partaient avec ceux qu’ils avaient tournés en dérision.

Qui dirait les enfants, les vieilles femmes qui se préparaient à aller à la guerre?
Qui pourrait compter les vierges et les vieillards tremblants et accablés sous le poids des ans?
Tous célébraient la guerre en même temps, sans vouloir cependant y prendre part.
Mais ils se promettaient le martyre, qu'ils allaient chercher avec joie au milieu des glaives :
Vous jeunes gens, disaient-ils, vous combattrez avec l'épée ;
qu'il nous soit permis à nous de conquérir le Christ par nos souffrances.

Et comme ils se montraient animés d'un ardent désir de posséder Dieu, quoique dépourvus de science, Dieu qui souvent donne une heureuse issue aux plus vaines entreprises, donna le salut aux plus simples esprits, à raison de leurs bonnes intentions. Vous eussiez vu en cette occasion des choses vraiment étonnantes et bien propres à exciter le rire : des pauvres ferrant leurs bœufs à la manière des chevaux, les attelant à des chariots à deux roues, sur lesquels ils chargeaient leurs minces provisions et leurs petits enfants, et qu'ils traînaient ainsi à leur suite; et ces petits enfants, aussitôt qu'ils apercevaient un château ou une ville, demandaient avec empressement si c'était là cette Jérusalem vers laquelle ils marchaient.

A cette époque, et avant que les peuples se fussent mis en mouvement pour cette grande expédition, le royaume de France était livré de toutes parts aux troubles et aux plus cruelles hostilités. On n'entendait parler que de brigandages commis en tous lieux, d'attaques sur les grands chemins et d'incendies sans cesse répétés : partout on livrait des combats qui n'avaient d'autre cause que l'emportement d'une cupidité effrénée; et pour tout dire en peu de mots, toutes choses qui s'offraient aux regards des hommes avides étaient livrées au pillage, sans aucun égard pour ceux à qui elles pouvaient appartenir. Bientôt les esprits se trouvèrent complètement changés, d'une manière étonnante et même inconcevable, tant elle était inattendue, et tous se hâtaient pour supplier les évêques et les prêtres de les revêtir du signe de la croix, selon les ordres donnés par le pontife de Rome. Et comme le souffle d'un vent impétueux ne peut être calmé que par une pluie douce, de même ces querelles et ces combats de tous les citoyens ne furent apaisés que par une inspiration intérieure, qui provenait sans aucun doute du Christ lui-même.


 

CAPUT IV.

Petrus eremita, dux exercitus. Per Galliam verbum Dei disseminat. Ipsius vitae genus. Pili ex ejus mulo pro reliquiis extrahebantur.

--Principibus igitur, qui multis expensis et magnis obsequentium ministeriis indigebant, sua morose ac dispensative tractantibus, tenue illud quidem substantia, sed numero frequentissimum vulgus, Petro cuidam Eremitae cohaesit, eique interim, dum adhuc res intra nos agitur, ac si magistro paruit. Quem ex urbe, nisi fallor, Ambianensi ortum, in superiori nescio qua Galliarum parte, solitariam sub habitu monachico vitam duxisse, comperimus. Unde digressum, qua nescio intentione, urbes et municipia praedicationis obtentu circumire vidimus, tantis populorum multitudinibus vallari, tantis muneribus donari, tanto sanctitatis praeconio conclamari ut neminem meminerim similem honore haberi. Multa enim fuerat, ex his quae sibi dabantur, dilargitione erga pauperes liberalis, prostitutas mulieres non sine suo munere maritis honestans, in discordibus ubique paces et foedera, mira auctoritate, restituens. Quidquid agebat namque, seu loquebatur, quasi quiddam subdivinum videbatur, praesertim cum etiam de ejus mulo pili pro reliquiis raperentur, quod nos non ad veritatem, sed vulgo referimus amanti novitatem. Lanea tunica ad purum, cucullo super utrisque talaribus, byrro desuper induebatur; braccis minime, nudipes autem; pane, vix pisce, nunquam vino alebatur.

[VIII.] Militum dissolutiones per Hungaria proficiscentium.

--Is itaque vir, partim opinione, partim suo monitu cum immanem conflasset exercitum, per Hungarorum terram delegit abire. Quorum regiones cum earum rerum quae ad alimentum pertinent opulentissimas, idem vulgus indocile reperisset, coeperunt luxuriis enormibus contra indigenarum mansuetudinem debacchari. Cum enim plurimorum annorum segetes triticeas, ut in ea terra moris est, in modum turrium per agros stabilitas cernerent, quas nos metas vulgariter vocare solemus; cum carnium diversarum aliorumque victualium, quorum illa feracissima tellus est, copiae suppeterent, non contenti humanitate eorum, mira dementia, ipsi alienigenae coeperunt conculcare gentiles, et cum idem, utpote Christiani Christianis venalia cuncta gratanter ingererent, ipsi, libidinis impatientes, piae hospitalitatis ac beneficentiae immemores, bello gratis eos aggrediuntur; dum illos opinantur nihil ausuros contra, ac penitus futuros imbelles. Rabie igitur exsecranda, publicis quos diximus horreis per eos ingerebatur incendium, puellis eripiebatur, violentia allata, virginitas, dehonestabantur conjugia crebris raptibus feminarum; vellebant, sive ustulabant suis barbas hospitibus; nec jam de emendis usui necessariis quidpiam tractabatur; sed quisque eorum, prout poterat, rapinis et caedibus nitebatur, sic se acturos mira lascivia contra Turcos libere minabantur.

Castrum quoddam interea habuere pervium, cujus nullo modo poterant evitare transitum, is enim terrae situs est, ut in modum angiporti nequaquam ad dexteram vel sinistram pateat diverticulum. Ipsum solita insolentia obsidere aggressi sunt, sed cum prope capiendum esset, repente, non curo quo eventu, ita obruti sunt ut pars gladiis occumberet, partem fluvialis unda submergeret, pars sine ullis stipendiis, imo turpi pauperie, magis autem pudore, in Franciam consumpta rediret. Et quia idem castrum Moyssonem vocabant, et reversi ad suos ad Moyssonem usque se fuisse dicebant, magna omnium irrisione excepti sunt.

[IX.] Petrus autem cum illud indisciplinatum vulgus, utpote mancipia et publica servitia, nullis hortamentis cohibere valeret, cum Alemannorum aliqua frequentia et nostrorum faece residua, qua potuit inde provisione elapsus, in Kalendis Augustalibus Constantinopolitanam attigit urbem. Sed hunc ejus adventum, Italorum, Ligurum, Longobardorum, cum Transalpinarum videlicet partium hominibus magnum praecesserat agmen, qui ejus et caeterorum Franciae principum ibidem decreverant praestolari comitiam: non enim eam arbitrabantur se habere militiae frequentiam, ut Graecorum auderent, contra Turcos exituri, praeterire provinciam. Imperatoris autem edicto jussi sunt omnium quae vendebantur in urbe, uti vellent, habere commercia; sed Brachium Sancti Georgii, quod a Turcorum partibus limitaneum erat mare, ipsius principis consilio vetiti sunt transmeare, quia paucos innumeris perniciosum dixerat obviare.

Francorum insolentia.

--At ipsi nec provincialium sunt humanitate detenti, nec imperatoria ullatenus affabilitate molliti, sed nimis insolenter agebant, urbis palatia devolvebant, publicis aedibus ignes subjiciebant, et detectis ecclesiis, quae plumbo operiebantur, plumbum idem Graecis venale praebebant. Hac imperator tam foeda praesumptione turbatus, praecepit, procrastinatione remota, ut memorati Brachii aequora transmearent. Cui freto transpositi, eadem, quae citra egerant, nequaquam ultra iterare cessabant, et qui contra paganos voto certamen insumpserant, passim ecclesiarum excidiis, Christianorum involando substantiis, contra nostrae fidei homines factorum immanitate pugnabant. Dum enim nullius experiuntur severitatem regis, qui judiciali devios vigore retorqueat, nec divinae reverentiam concipiunt legis, quae mentium levitatem matura recogitatione deprimat, repentino prolabuntur interitu, quia indisciplinatis mors obviat, et quidquid pensi moderatique nihil habet, parum durat.
 

 

CHAPITRE IV.

 

Pendant que les princes qui avaient besoin des services de tous les hommes attachés à leur suite faisaient fort longuement et ennuyeusement leurs préparatifs de départ, le petit peuple dénué de ressources, mais fort nombreux, s'attacha à la personne d'un nommé Pierre l'Ermite, et lui obéit comme à son maître, du moins tant que les choses se passèrent datif notre pays. J'ai découvert que cet homme, originaire, si je ne me trompe, de la ville d'Amiens, avait mené d'abord une vie solitaire sous l'habit de moine, dans je ne sais quelle partie de la Gaule supérieure. Il partit de là, j'ignore dans quelles intentions; mais nous le vîmes alors parcourant les villes et les bourgs, et prêchant partout; le peuple l'entourait en foule, l'accablait de présents et célébrait sa sainteté par de si grands éloges, que je ne me souviens pas que l’on ait jamais rendu de pareils honneurs à toute autre personne. Il se montrait fort généreux dans la distribution de toutes les choses qui lui étaient données. Il ramenait à leurs maris les femmes prostituées, non sans y ajouter lui-même des dons, et rétablissait la paix et la bonne intelligence entre ceux qui étaient désunis, avec une merveilleuse autorité. En tout ce qu'il faisait ou disait, il semblait qu'il y eût en lui quelque chose de divin; en sorte qu'on allait jusqu'à arracher les poils de son mulet, pour les garder comme reliques: ce que je rapporte ici, non comme ayant un fond de vérité, mais pour satisfaire au goût du vulgaire qui aime toutes les choses extraordinaires. En plein air il portait une tunique de laine, et par-dessus un manteau de bure, qui lui descendait jusqu'aux talons; il avait les bras et les pieds nus, ne mangeait point ou presque point de pain, et se nourrissait de vin et de poissons.

 

Cet homme donc ayant rassemblé une immense armée, tant par l'effet de l'entrainement de l'opinion que par ses prédications, résolut de diriger sa marche à travers la terre des Hongrois. Le peuple indocile trouva en grande abondance dans ce pays toutes les choses nécessaires à la vie, et ne tarda pas à se livrer aux plus énormes excès contre la population, fort douce, des indigènes. Ainsi qu'il est d'usage dans ce pays, les récoltes en grains de plusieurs années étaient ramassées au milieu des champs en tas (que nous appelons meules chez nous), et qui s'élevaient comme des tours ; on trouvait en outre sur cette terre extrêmement fertile, des viandes de toute espèce et toutes sortes d'autres denrées ; mais non contents de la bonté avec laquelle ils étaient accueillis, et poussés par une inconcevable démence, les étrangers en vinrent bientôt à fouler aux pieds les habitants même du pays, et tandis que ceux-ci, chrétiens, offraient avec bienveillance à leurs frères chrétiens tout ce qu'ils avaient à vendre, les autres ne pouvant contenir leurs passions emportées, et oubliant l'hospitalité et la bienfaisance des Hongrois, leur firent la guerre sans aucune espèce de motif, espérant que ceux-ci n'oseraient rien entreprendre contre eux, ou qu'ils seraient entièrement hors d'état de soutenir leur résistance. Poussés par une fureur exécrable, ils mettaient le feu à ces greniers publics dont j'ai déjà parlé, ils enlevaient et livraient les jeunes filles à toutes sortes de violences, ils déshonoraient les mariages, en ravissant les femmes à leurs époux, ils arrachaient ou brûlaient la barbe à leurs hôtes; nul ne songeait plus à acheter les choses dont il pouvait avoir besoin, chacun vivait comme il le pouvait, de meurtre et de pillage, et tous se vantaient avec une effronterie inconcevable qu'ils en feraient autant chez les Turcs.

 

En poursuivant leur marche, ils rencontrèrent un certain château qu'il leur fut impossible d'éviter, se trouvant engagés à l'entrée de ce pays dans un défilé tel qu'il n'y a aucun moyen de l'écarter, ni à droite ni à gauche. Ils entreprirent d'attaquer ce château avec leur insolence accoutumée; mais au moment où ils allaient s'en rendre maîtres, ils se trouvèrent tout à coup écrasés, sans que je puisse dire par suite de quel événement. Les uns périrent sous le glaive, d'autres se noyèrent dans les eaux d'un fleuve, d'autres retournèrent en France abîmés de fatigue, sans argent, dans le plus affreux dénuement et encore plus accablés de honte. Et comme ce château était appelé Moyssons, de retour auprès des leurs, ils disaient qu'ils étaient allés jusqu'à Moyssons, et tout le monde les accabla de toutes sortes de railleries.

 

Cependant Pierre ne pouvant par ses exhortations contenir ce peuple indiscipliné ni le gouverner, comme on eût gouverné des prisonniers ou des esclaves, s'échappa comme il put avec un corps d'Allemands et quelques-uns des nôtres, qui demeurèrent auprès de lui, et arriva dans la ville de Constantinople vers les calendes d'août. Il avait été précédé par un corps considérable d'Italiens, Liguriens, Lombards et autres peuples des pays situés au delà des Alpes, lesquels avaient résolu d'attendre en cette ville l'arrivée de Pierre et des autres princes de la France, ne se croyant pas assez forts pour entreprendre de s'avancer au delà des provinces grecques, et de se hasarder contre les Turcs. L'empereur rendit un édit pour leur accorder à tous la faculté d'acheter selon leur gré toutes les choses qui se vendaient dans la ville, et leur conseilla en même temps de ne pas traverser le bras de mer dit de Saint-Georges, qui les séparait du pays occupé par les Turcs, disant qu'ils ne pourraient, à raison de leur infériorité, s'exposer sans danger à la rencontre des forces innombrables des Turcs.

 

Cependant ni l'hospitalité des habitants des provinces grecques, ni l'affabilité même de l'empereur ne purent adoucir les pèlerins ; ils se conduisaient avec une extrême insolence, renversaient les palais de la ville, mettaient le feu aux édifices publics, enlevaient les plombs qui couvraient les toits des églises, et revendaient ensuite ces plombs aux Grecs. Effrayé de cet excès d'audace, l'empereur leur donna l’ordre de traverser le bras de Saint-Georges sans aucun délai. Arrivés sur l'autre bord, ils continuèrent à tenir la même conduite, et ceux qui s'étaient engagés par leurs vœux à faire la guerre aux païens, renversèrent de tous côtés les églises, enlevèrent aux chrétiens tout ce qu'ils possédaient, et combattirent avec férocité contre les hommes de la même foi. Et comme ils n'avaient point de roi dont ils pussent éprouver la sévérité, ni qui réprimât les écarts par une justice vigoureuse, comme ils ne conservaient aucun respect pour la loi divine, dont les enseignements profondément médités arrêtent la légèreté des esprits, ils tombèrent promptement dans la perdition; car la mort est toujours près de ceux qui se montrent indisciplinés, et rien de ce qui sort des bornes de la modération ne saurait être de quelque durée.


 

 CAPUT V.

[X.] Tandem Nicomediam attingentes Itali, Longobardi, et Alemanni Francorum impatientes superbiae divelluntur ab ipsis. Franci namque, juxta naturam nominis, magnae quidem sunt titulo vivacitatis insignes, sed, nisi rigido frenentur dominio, inter aliarum gentium turbas, sunt justius aequo feroces. Transalpini itaque, quos praediximus diremptos a Francis, Rainaldo quodam sibi duce creato, eam quae dicitur Romania provincia, intraverunt, et quatuor dierum itinere Nicomediam praetergressi, inter eumdem castrum offendere quoddam, quod auctori placito nomine vocatur Exorogorgum, quod habitatorum suorum omnium vacuatum praesidio, sine mora turbae patuit influenti. Incolae autem profugerant, supervenientium timore extrusi, et dum de sua ipsi salute desperant, de substantiarumque suarum copiis, quae plurimae erant, transponendis omnino non curant. Unde, multam victualium opulentiam ibidem reperientes, ad plenum fuere refecti.

Conflictus cum Turcis, qui plures e Christianis interficiunt. Aquae penuria in castris ipsorum.

--At Turci comperientes Christianos obtinuisse castellum, magna illud obsidione cinxerunt. Ante municipii portam puteus, et subter idem, non longe a moenibus, profluebat alter, ubi positis ipse dux eorum Rainaldus insidiis, Turcos quasi callidus observabat. Nec mora, qui observabantur occurrunt, eaque die, qua beati Michaelis memoria celebratur, pervaso cum suis comitibus duce, plurimos ex eis qui sibi insidiabantur interimunt, alios castri munimenta turpiter subintrare compellunt. Quod illico Turci circumvallantes tanta incursione presserunt ut hauriendarum facultate, penitus obsessi, privarentur aquarum. Sibi fuit tanta sitis ariditas ut, flebotomo equis suis asinisque illato, animalium cogerentur haurire cruorem. Alii, in piscinam zonas demittentes atque panniculos, eaque in os exprimendo suum, remedii sibi aliquid contrahere videbantur. Alii, quod horrori est dicere, idipsum quod minxere bibebant. Alii fodiebant, et se intra id quod foderant immergentes, arentia pectora terra ipsa recens fossa operiebant, sic interiorem aestum suum temperare aliquantulo humore se posse credebant. Sed episcoporum presbyterorumque praesentium, idemque patientium, non ibi defuere solatia, qui quanto videbant atrociora pericula, et humana negari auxilia, tanto magis eis, ne deficerent, satagebant spondere coelestia.

[XI] Dux Rainaldus, abjecta fide cum Turcis foedus init, eisdemque suum tradit exercitum.

--Haec octo dierum spatio apud illos perseveravit angustia. Interea dum uni pariter videntur subjacere miseriae, non uni tamen omnes pariter suspirant Dei misericordiae; sed potius machinantur sibimet, hii qui duces exstiterant, praesidium perfidiae. Rainaldus etenim, qui eis in prosperitate praefuerat, clam sibi Turcos foede conciliat, pactus eisdem quod totius militiae comitatum sibi proderet quem regebat. Egreditur itaque ad illos quasi pugnaturus; sed in ipsa dirigendae aciei affectata specie, cum multis suorum profugit ad ipsos, perpetuo remansurus. Residuos est captivitas consecuta. Quisbusdam eorum captis de sua fide est facta discussio, Christumque negare jubentur; sed Christum inflexibili amore, animo et voce fatentibus capita amputantur.

Et veterum similes modo Christus habebit honores,
Martyribus decorans saecula nostra novis.
Quam redolente ferunt insignia tempora lauro,
Qui breve quid, secto ferre parant jugulo!
Dixere felices, qui per momenta tulere
Hos tenet aeternum vivere certa fides.
Jam faeces nostras non desperare licebit,
Ausas quod cuiquam vix imitabile sit.

Captivorum alios, data vivendi, imo morosius moriendi, indulgentia, sed magis violentia, inter se dividunt, funesta sub cruentis dominis exhibituros servitia. Quosdam alicubi prostituentes, quasi ad signum, sagittis jaculantur, alii quasi pro donativo dabantur, alii vendebantur. Quibus dati fuerant, in proprias abducebant eos sedes; alios in eam quam Corozaniam dicunt regionem: alios ad Antiochenam pertrahunt urbem, miseram pro qualitatibus scelestissimorum dominorum passuros servitutem.

Hos in supplicium fateor diuturnius isse;
Quam quibus ad subitum mucro caput tulerit.
Hunc agitat crudelis herus, duroque labori
Mancipat, ingrato servit ubique pius.
Vapulat officiosus nec tormenta fideli
Desunt, quo studio commodiore gerit.
Quod videt aut audit, quem transigit in dies actum,
Quod caelebs est ad turpia fit sibi crux
Hos ego non dubitem satis acrius excruciari,
Quam queat equuleus per spatium tridui.

Hos primos novitati nostrae, et desperato prope hujus vitae nostrae statui martyres fecit Deus.

Petrus ille interea qui a nobis supra expositus est, de multa comitum suorum vecordia saepe vexatus, et crebra strage confusus, tandem cuidam Transequano, et cogniti generis viro, armis quantum ad se strenuo, nomine Gualterio, primatum suae gentis dederat, ut quos documentis distinere non poterat, ille saltem militari auctoritate restringeret. Is itaque Civizum, civitatem quamdam, quae Niceae urbi, secundum positionem loci, praeminere dicitur, cum suo illo dementi exercitu properabat attingere. Quod Turci, nostrorum vestigia aucupantes ubi comperiunt, illuc cum multa pessimae voluntatis aviditate contendunt. Euntes igitur praefatum Gualterium cum sua frequentia, medio itinere offendunt, eumque cum suorum plurima parte interimunt. Petrus vero, quem Eremitam agnominant, dum vesaniam ejus, quam conglomeraverat, gentis compescere non valeret, Constantinopolim provide secesserat, quia ipsorum effreni et incircumspecta levitate involvi metuerat. Turci ergo in eos inopinate effusi, quosdam dormientes reperiunt; alios non modo armis, verum etiam nudos vestimentis inveniunt, quos pariter continuo neci tradunt. Inter eos presbyterum quemdam reperiri contigit missas agentem, quem in ipsa sacrorum statim confectione mortificant; et dum immolat Deo, ipsum eumdem coram ejus altari sacrificant.

Quae ferri potuit gratior hostia,
Quam cujus Domino fit caro victima?
Quid tunc corde precum fudit ab intimo,
Cum grandi streperent praelia classico?
Victores lacerant, arma retinniunt:
Moerens exululat turba fugacium.
Aras ambierat presbyter optimus,
Complectensque Dei sacra medullitus:
Jesu, dixit, ades praesidium, bone;
Cum te jam teneam spes pereat fugae:
Jungam perpetuo jam tibi foedera,
Occidor: perages coepta, Deus, sacra.

At vero si qui evadere potuerunt, Civizene urbi sese fugientes inferunt. Alios, quos tueri fuga non valuit, praecipitium maris absorbuit, dum satius eis est mortem eligere, quam inferenti succumbere. Alii montana petentes fovebantur in rupibus; alii delituere per silvas. Nec mora, Turci, correptis his aut punitis quos extra repererant, eos aggrediuntur, et obsidione concludunt qui in castrum confugerant, in tantum, ut ad succendendum idem castellum ligna conveherent. Quibus deinceps hii qui obsidebantur ignem subjiciunt et, Deo judice, dum eos qui intus erant Turci aestimant concremandos, tota vis ignium concessit in Turcos, et ex eis consumpsit aliquos; nullatenus autem nostrorum attigit ullos. Instantibus deinde illis, municipium capitur; vivi, quos quaerebant, comprehenduntur; idemque, uti pridem de aliis egerant, dispertiuntur, et ad eas, unde hostes venerant, provincias, perpetuo futuri exsules, destinantur. Haec ut dicta sunt, mense peraguntur Octobri.

At perfidus imperator, comperto fidelium infortunio, nequam elatus laetitia, facultatem residuis jubet attribui, transito videlicet Sancti Georgii Brachio, in citerioris Graeciae partes regredi. Retrogressos cum in suae ditionis terra vidisset, arma ut sibi eorumdem venderentur, jure jam necessitatis, exigit. Comitiae Petri Eremitae talis fuit exitus: cujus historiam ideo sine alterius materiae interstitio prosecuti sumus, ut eam aliis nullam impendisse opem, sed Turcis addidisse audaciam monstraremus. Nunc itaque ad eos quos omiseramus, qui eadem, qua Petrus praecesserat, subsecuti sunt via, sed longe feliciori modestia, revertamur.

CHAPITRE V.

 

Enfin, parvenus à Nicomédie, les Italiens, les Lombards et les Allemands se séparèrent des Français, ne pouvant supporter plus longtemps leur insolence. Les Français en effet, ainsi que leur nom l'indique, sont remarquables par une excessive vivacité, et au milieu des autres nations ils se montrent arrogants plus qu'il ne convient, à moins qu'une main ferme ne les contienne dans le devoir. Les habitants des pays au delà des Alpes s'étant donc séparés des Français, prirent pour chef un nommé Renaud, et entrèrent dans la province appelée Romanie. Ils s'avancèrent à quatre journées de marche au delà de Nicomédie, et rencontrèrent sur leur chemin un château que son fondateur se plut à appeler Exorogorgum, et comme il était ouvert et abandonné de ses habitants, les Italiens s'y précipitèrent en foule et sans retard. Remplis de crainte à leur approche, les habitants de ce lieu avaient pris la fuite, et tremblants pour leur propre vie, ils n'avaient pas même songé à transporter au dehors tous leurs approvisionnements. Les Chrétiens y trouvèrent donc des vivres en grande abondance, et s'en servirent pour réparer entièrement leurs forces.

 

Cependant les Turcs informés que les Chrétiens s'étaient emparés du château vinrent l'investir et l'assiéger. Il y avait devant la porte du fort un puits, et en dessous de celui-ci, non loin des murailles, une autre fontaine auprès desquels le duc Renaud plaça des hommes en embuscade, pour veiller de plus près sur les Turcs. Mais ceux-ci accoururent aussitôt, le jour où l'on célèbre la mémoire du bienheureux Michel; ils attaquèrent le duc et ses compagnons, tuèrent un grand nombre d'entre eux, et forcèrent les autres à se retirer honteusement derrière les remparts du château. Bientôt les Turcs l'investirent de si près et en si grand nombre qu'il ne fut plus possible aux assiégés d'aller puiser de l'eau. Alors ils éprouvèrent une si grande soif qu'ils se virent contrains de saigner leurs chevaux et leurs ânes, pour boire le sang de ces animaux. Les uns plongeaient leurs ceintures et leurs haillons dans une piscine, et les tordaient ensuite au dessus de leur bouche, pour chercher quelque adoucissement à leurs souffrances, d'autres, ce qui est horrible à dire, buvaient leur urine ; d'autres faisaient des trous en terre, s'y enfonçaient tout entiers, et recouvraient leur poitrine embrasée de la terre fraîchement remuée, espérant pouvoir tempérer par un peu d'humidité la chaleur qui les dévorait intérieurement. Les évêques et les prêtres, qui étaient présents et souffraient les mêmes maux, ne manquaient pas de leur offrir des consolations ; et plus ils les voyaient exposés à d'affreux périls et dénués de tout secours humain, plus ils s'efforçaient de leur promettre les secours du ciel, pour soutenir leur courage.

 

Cette calamité se prolongea huit jours de suite, et tandis qu'ils étaient tous livrés aux mêmes maux, tous ne cherchaient pas de la même manière à gagner la miséricorde de Dieu, et ceux qui avaient été leurs chefs négociaient pour eux en particulier, et s'efforçaient de se sauver par une perfidie. Renaud, qui les avait commandés dans la prospérité, ne rougit pas de se réconcilier en secret avec les Turcs, et leur promit de leur livrer toutes les troupes qu'il gouvernait. Il marcha donc vers eux comme pour les combattre ; mais en conduisant son corps d'armée sous ce prétexte, il s'enfuit vers les Turcs avec plusieurs des siens, pour demeurer à jamais auprès d'eux, et tous les autres furent faits prisonniers. Quelques-uns d'entre eux furent attaqués au sujet de leur foi et reçurent l’ordre de renier le Christ; mais ils confessèrent le Seigneur d'une âme inébranlable et d'une voix ferme, et furent décapités.

 

Le Christ aura été honoré comme il le fut dans les temps antiques, et notre siècle aura été illustré par de nouveaux martyrs. Ceux qui se préparent à souffrir un moment du fer qui leur ouvre les veines, souffrent pour conquérir un laurier embaumé, semblable à ceux qui furent cueillis dans des temps illustres. J'appellerai donc heureux ceux qui ont souffert quelques instants, puisqu'ils ont acquis l'assurance de vivre éternellement, et il est permis de l'espérer pour ces quelques-uns des nôtres qui ont donné un exemple que si peu de gens oseraient imiter.

 

Parmi les prisonniers que les Turcs se partagèrent entre eux, ceux-ci accordèrent aux uns la faculté, ou plutôt leur imposèrent par la violence l'obligation de vivre, ou pour mieux dire de mourir plus péniblement, et de languir dans une fatale servitude sous des maîtres cruels. D'autres abandonnés çà et là servirent en quelque sorte de but aux flèches qu'on tirait sur eux; d'autres furent donnés comme un butin qu'on distribue aux soldats ; d'autres furent vendus. Ceux à qui ces chrétiens étaient donnés les emmenaient chez eux ; les uns furent traînés dans le pays que l’on appelle le Khorassan, les autres dans la ville d'Antioche, et tous se trouvèrent condamnés à subir le plus misérable esclavage sous les maîtres les plus barbares.

 

Je reconnais que ceux-là ont souffert un supplice beaucoup plus long que ceux dont le glaive a fait tomber la tête sans le moindre délai. Les premiers sont tourmentés par des maîtres cruels et condamnés à de pénibles travaux : partout des hommes pieux ne servent que des ingrats; celui qui fait l'empressé est battu, et le fidèle qui montre le plus de zèle n'en demeure pas moins exposé à toutes sortes de tourments, ce qu'il voit, ce qu'il entend, ce qu'il fait chaque jour, tout lui devient une occasion d'opprobres et de tortures. Aussi je n'hésite point à croire que ceux qui ont ainsi souffert sont plus cruellement éprouvés qu'ils n'auraient pu l'être trois jours de suite par le fatal chevalet.

 

Tels furent les premiers martyrs que fit Dieu, du moins à notre connaissance.

 

Cependant Pierre dont j'ai déjà parlé, fatigué de toutes les folies de ses compagnons, et désolé des fréquents massacres qu'il voyait, avait donné le commandement de son peuple à un homme né au-delà de la Seine, nommé Gautier, issu d'une famille connue, et vaillant de sa personne, afin que ceux qu'il n'avait pu diriger par ses exhortations fussent du moins comprimés par la vigueur de l'autorité militaire. Gautier voulut se hâter de marcher avec son armée de fous vers la ville de Civitot, située, dit-on, au dessus de celle de Nicée. Mais les Turcs qui veillaient sur tous les mouvements des nôtres, en ayant été informés, se dirigèrent promptement vers le même lieu avec de mauvaises intentions. Vers le milieu du chemin, ils rencontrèrent Gautier avec toute sa suite, et le tuèrent ainsi qu'un grand nombre des siens. Pierre, que l'on surnomma l'Ermite, ne pouvant parvenir à calmer la folle effervescence des hommes qu'il avait conduits, et craignant de se trouver lui-même enveloppé dans leurs entreprises téméraires, s'était sagement retiré à Constantinople. Les Turcs attaquèrent donc les Chrétiens à l'improviste, ils en trouvèrent quelques-uns endormis; d'autres n'avaient sous la main ni leurs armes ni même leurs vêtements, et furent massacrés tout aussitôt. Un prêtre entre autres fut trouvé célébrant la messe, et mis à mort au moment même où il accomplissait le saint mystère; il immolait à Dieu, lorsque les ennemis l'immolèrent lui-même aux pieds de son autel.

 

Quelle victime pouvait être plus agréable au Seigneur que celle de l'homme qui lui offrait sa chair en sacrifice ? Quelles ferventes prières il prononça du fond de son cœur, tandis que la trompette des combats résonnait autour de lui? Les vainqueurs exterminent tout, les armes retentissent, les fuyards se précipitent en foule, poussant d'affreux hurlements. Le prêtre excellent avait embrassé l'autel; il pressait tendrement sur son cœur la victime sacrée. Jésus, dit-il, vous êtes mon bon refuge! Puisque je vous possède déjà, périsse tout espoir de fuite! Je m'unirai à vous d'une alliance éternelle. Je meurs! Dieu terminera le sacrifice commencé!

 

Tous ceux qui parvinrent à s'échapper prirent la fuite et se sauvèrent dans la ville de Civitot. Les autres qui ne purent y réussir se plongèrent dans les gouffres de la mer, aimant mieux choisir eux-mêmes le genre de leur mort, que périr de celle qui leur était destinée. D'autres gagnèrent les montagnes et se cachèrent au milieu des rochers. D'autres encore s'enfoncèrent dans l'épaisseur des bois. Après avoir fait prisonniers ou frappé de mort ceux qu'ils rencontrèrent en dehors, les Turcs allèrent sans le moindre retard attaquer et assiéger ceux qui s'étaient réfugiés dans le château, et charrièrent aussitôt du bois pour y mettre le feu. Ils allumèrent en effet ces bois ; mais tandis que les Turcs comptaient brûler tous ceux qui étaient enfermés dans le fort, Dieu voulut que tous les efforts de la flamme se tournassent contre eux-mêmes; quelques-uns d'entre eux furent brûlés, et aucun des nôtres ne fut atteint. Cependant les Turcs pressèrent le siège et s'emparèrent de la place. Tous les chrétiens vivants furent pris, distribués entre les vainqueurs, comme les autres l'avaient été auparavant, et condamnés à être envoyés en exil perpétuel dans les provinces d'où les ennemis mêmes étaient venus. Les événements que je viens de raconter arrivèrent pendant le mois d'octobre.

 

Le perfide empereur ressentit une joie criminelle en apprenant les malheurs des fidèles, et prescrivit de donner à ceux qui avaient survécu la permission de repasser le bras de Saint-Georges, et de se retirer dans la Grèce citérieure. Lorsqu'il les vit rentrés dans la terre soumise à sa domination, abusant de sa situation, il exigea que leurs armes lui fussent vendues. Telle fut l'issue de l'expédition de Pierre l'Ermite. Nous avons raconté son histoire sans aucune interruption, pour faire voir que, loin d'avoir été utile aux autres Chrétiens, cette expédition ne fit que donner plus d'audace aux Turcs. Je reviens maintenant à ceux que j'avais laissés de côté, et qui prirent aussi la route que Pierre avait tenue, mais qui la suivirent avec beaucoup plus de sagesse et de succès.


 

CAPUT VI.

 

[XII.] De Godefrido, qui duobus cum fratribus, Jerosolymam valido exercitu conflato pergit.

--Dux Godefridus, Eustachii Boloniensium comitis filius, duos habuit fratres, Balduinum, qui Edessenae urbi praefuit, et post ipsum fratrem, rex effectus Hierosolymae, nunc usque regnat; et Eustachium qui paterno comitatui praeest. Hi patrem habuerunt potentem, et saecularis ingenii virum; sed et matrem litteris quidem, nisi fallor, eruditam, et ex Lotharingis ingenue admodum oriundam, sed potissimum ingenita serenitate, et magna erga Deum animi devotione praestantem: cujus diutinae religioni tam spectabilium debebantur, ut credimus, gaudia filiorum. Illi plane, de quo loqui adorimur, Godefrido, ex materna haereditate apud Lotharingos ducatus accesserat. Hi tres, a matris nequaquam simplicitate degeneres, cum multa armorum gloria, tum modestia non minore floruerunt. Solebat narrare gloriosa mulier, cum hujus profectionis exitum et filiorum suorum miraretur eventum, quoddam se audisse ex ore filii ducis tale praesagium, multo antequam fieret aliquod peregrinationis initium. Dicebat namque se desiderare proficisci Hierosolymam, et hoc non simpliciter, ut alii, sed cum violentia exercitus, si sibi copia suppeteret, magni. Cui secundum divinum, a quo intuebatur, instinctum, mirabilis super hoc postmodum opportunitas arrisit.

Tres itaque ii, maximis quos habebant oblitis honoribus, perrexere. Sed quo caeteris fratribus prudentior, eo Godefridus dux exstitit militia numerosiore potentior. Huic adjungitur Balduinus comes de Montibus, Rothberti Flandrensis comitis junioris patrui filius. Cum nobili igitur rerum equestrium pompa et spectabili fortissimorum juvenum frequentia, Hungarorum ingrediuntur terram; habentes tamen eam, quam Petrus tenere non valuit, erga suos milites disciplinam; et duobus ante Domini Natale diebus, primi ante omnes Franciae principes, urbem attigere Constantinopolitanam, sed hospitati sunt extra ipsam.

At perfidus imperator territus, audito clarissimi ducis adventu, detulit ei reverentiam, sed minis extortitiam, praebens ei pro moenibus, in burgo videlicet urbis, commanendi licentiam. Hospitio itaque ad imperium imperatoris accepto, ad contrahendas undecunque paleas equisque necessaria, dux et quique suorum, armigeros proprios destinabant. Et cum arbitrarentur licite ac secure se discurrere posse quo vellent, clam princeps ille nequissimus, his qui circa se versabantur imperat, ut ducis ministros, quocunque pervadere possent, indifferenter occiderent. Quod ubi Balduino, ducis fratri compertum est, obtendit insidias; et cum suos reperisset Turcopolitarum violentia molestari, acerrime eos, uti decebat, aggreditur: et Deo prosperante tanta victoria potitur, ut ex eis sexaginta comprehensis partim occiderit, partim duci fratri obtulerit. Haec ad impii imperatoris ubi devenere notitiam, multa animadversione torquetur. Quo ejus motu cautior sibi redditus dux, burgo urbis, quo successerat, cessit, et extra fines ejus castra figit. At princeps, illati doloris non immemor, cum dies esset acclinis ad vesperum, directo eo quem cogere poterat exercitu, ducem cum sua gente ad bella lacessit. Quos dux vehementi excepit instantia, et in fugam pulsos, persequendo coegit in urbem, septemque peremit eorum. His ita feliciter actis dux ad sua castra rediit, ac per quinque dies resedit ibidem, donec ipse imperatorque confoederarentur ad pacem. Sed sibi timidus princeps exegit a duce monitis, ut Sancti Georgii Brachium transiret, spondens quod omnium victualium negotia, uti haberentur Constantinopoli, eis deferri juberet, et pauperibus quoque eorum eleemosynam impenderet. Quod et factum est.

CHAPITRE VI.

 

Le duc Godefroi, fils du comte Eustache de Boulogne, a eu deux frères, savoir, Baudouin, qui fut d'abord gouverneur de la ville d'Edesse, devint ensuite roi de Jérusalem après la mort de son frère, et règne maintenant dans la Cité sainte, et Eustache qui gouverne le comté de ses pères. Le père de ces trois frères était puissant et habile dans les affaires du monde. Leur mère, distinguée, si je ne me trompe, par ses connaissances dans les lettres, et issue dune noble famille de Lorraine, était encore plus remarquable par la douceur naturelle de son caractère et par son extrême dévotion envers Dieu ; aussi pensons-nous que le bonheur que lui donnèrent des fils si recommandables était dû aux sentiments religieux qu'elle ne cessa de nourrir dans son cœur. Godefroi, dont je parle en ce moment, reçut de l'héritage de sa mère un duché situé en Lorraine. Dignes héritiers des vertus de leur mère, les trois frères se distinguèrent par leurs succès à la guerre, autant que par la douceur de leurs mœurs. Leur illustre mère racontait souvent, en admirant l'issue de l'expédition et la fortune de ses fils, qu'elle avait vu jadis son fils le duc en avoir le pressentiment, bien longtemps avant que l’on entreprît ce pèlerinage. Il disait souvent qu'il désirerait aller à Jérusalem, non point tout simplement, comme les pèlerins y allaient d'ordinaire, mais de vive force et à la tête d'une nombreuse armée, s'il en avait les moyens. Dans la suite, la fortune favorisa merveilleusement l'accomplissement de cette divine inspiration.

 

Les trois frères, oubliant tous les honneurs dont ils jouissaient, partirent donc ensemble. Mais autant le duc Godefroi était supérieur à ses frères par sa sagesse, autant il le fut par sa puissance et par le nombre des chevaliers qui le suivirent. Baudouin, comte de Mons, fils de Robert oncle paternel du jeune comte de Flandre, se joignit à Godefroi. Ils partirent tous avec une pompe digne d'aussi illustres chevaliers, et suivis d'un corps nombreux de jeunes gens pleins de valeur, et ils entrèrent sur le territoire de Hongrie, maintenant parmi leurs chevaliers une discipline que Pierre n'avait point su établir au milieu des siens. Ils arrivèrent à Constantinople deux jours avant la Nativité du Seigneur, lorsqu'aucun des princes de France n'y était encore rendu, et ils logèrent en dehors de la ville.

 

Effrayé de l'arrivée du très illustre duc, le perfide empereur lui donna des témoignages de respect que la crainte seule put lui arracher, et lui accorda la faculté de demeurer en avant des murailles et dans le faubourg de la ville. Lorsqu'ils eurent fait leur établissement, conformément à l'invitation de l'empereur, le duc et chacun des siens envoyèrent leurs écuyers chercher de tous côtés la paille et les fourrages nécessaires pour la nourriture de leurs chevaux. Tandis que les écuyers se croyaient autorisés à se porter partout où ils voudraient sans avoir rien à craindre, le méchant prince donna ordre à ceux qui l'entouraient de chercher les serviteurs du duc, et de les mettre à mort, sans exception de personne, partout où ils pourraient les atteindre. Baudouin, frère du duc, en ayant été informé, se plaça en embuscade, et ayant vu les siens exposés aux violences des Turcopoles, il attaqua ces derniers avec la vigueur convenable. Protégé de Dieu, il remporta la victoire, et fit soixante prisonniers dont les uns furent tués et les autres conduits en présence du duc. Dès que le perfide empereur eut connaissance de cet événement, il en éprouva une vive indignation. Le duc de son côté prit de nouvelles précautions, sortit du faubourg, et alla dresser son camp en dehors du territoire de la ville. Mais l’empereur conservant sa rancune forma une armée de tout ce qu'il put rassembler, et lorsque le jour commençait à tomber, il alla avec ses troupes provoquer le duc au combat. Le duc le reçut avec une grande vigueur, et l'ayant mis en fuite, il le poursuivit, le força à rentrer dans la ville, et lui tua sept hommes. Après ce succès, le duc rentra dans son camp, il y demeura cinq jours de suite et se réconcilia enfin avec l'empereur. Mais celui-ci, frappé de crainte, exigea de lui qu'il passât le bras de Saint-Georges, et lui promit de donner les ordres nécessaires pour qu'on lui portât toutes sortes de denrées, comme il pourrait les avoir à Constantinople, et de faire en outre distribuer des aumônes à ses pauvres. Ces promesses furent en effet réalisées.

 CAPUT VII.

[XIII.] Aimarus Podiensis episcopus pietate et scientia clarissimus.

--Quoniam igitur de duce diximus cujusmodi huc usque commeatum habuerit, restat ut ad interioris Franciae proceres redeamus; et qui fuerint, quave perrexerint, quos etiam eventus habuerint, aliqua ex parte tangamus. Podiensis episcopus vir, vita, scientia, documentis et militaris dispositionis sagacitate mirandus, cum innumera suarum partium gente per Sclavorum regionem proficisci delegit. Cujus vocabulum, quia superius me ignorare dolueram, nec per eam discere potui, cujus esse videor interpres, historiam: per eos tandem qui in illa expeditione eum noverant, eoque usi sunt, attigimus ejus notitiam: vocabatur autem idem pretiosus vir, Aimarus.

[XIV.] Hugo Magnus strenuissimus.

--Inter caeteros principes, initium mihi videtur a Philippi regis Francorum fratre Hugone Magno sumendum: qui, etsi ab aliquibus opulentia ac potestate praeceditur, nulli tamen quantum ad originem spectat morumque probitatem secundus habetur. Cujus in armis strenuitas, cum generis majestate serenitas, praeter haec etiam erga omnem sacrum ordinem humilitas, quam suae ipsius nihilominus temperantiae condiebat honestas, justissime praedicatur. Huic quidam procerum innitebantur; et si quid bellorum jure evictis gentilibus: eos obtinere contingeret, ipsum sibi regem praeficere meditabantur.

[XV.] Stephanus comes ditissimus ac liberalissimus.

--Post hunc comes Stephanus vir tanta potentia praeditus exstitit, ut fama testetur tot eum pollere dominio castellorum, quot annus constat honore dierum: cujus, dum hic ageret, admodum excellens liberalitas fuit, grata satis personalitas; consiliorum vero undecunque librata maturitas; in rerum equestrium industria, tanta nobilitate praeeminuit, ut eum tota illa sancta militia, cum in procinctu contra Turcos existeret, dictatorem sibi ac magistrum efficeret. Huic sagacissima feminarum uxor accesserat, quae Guilielmi senioris regis, qui Anglorum Scotorumque sibi regna subegit, filia fuerat: cujus prudentiam, munificentiam, dapsilitatem, opulentiamque si laudare velimus, vereor ne viro magnifico nubem ex feminea, quam et in viduitate meruit, laude feramus.

De Roberto Flandrensi. Principes illi uxores, possessiones, etc., derelinquunt.

--Ad horum cumulandas vires, Robertus junior senioris, ad quem imperatoris missa est epistola, filius, tota animi vivacitate dirigitur: et Flandrensium comitatum, cui multa armorum magnanimitate praefuerat, ad hoc ut eorum qui pro Christo exsules fieri delegerunt, commilito vocetur, immutat. Qui huic quod coeperat negotio quam perseveranter institerit, gestorum praesentium prosecutio declarabit. Hii uxores clarissimas, cum filiis gratissimis relinquentes, quidquid in affectionibus majus est, proposito postposuerunt exsilio. De honoribus possessionibusque reticeo, quae quidem extra nos sunt. Sed illa stuporem nobis generant: quomodo maritorum uxorumque, sobole mediante imo agglutinante charitates, sine alterutrorum periculo ab invicem divelli poterant.

[XVI.] Roberti Northmanniae comitis laudes.

--Denique Robertum Northmanniae comitem tacere minime convenit: qui quidem corporis pondus, lenitatem quam hic habuerat voluntatis, nimiamque effusionem pecuniae animi esculentioris, non sine majori somnolentia, celebriori petulantia, fluxum, ea qua in Dominico viguit exercitu perseverantia et virtute piavit. Isti adeo naturaliter insita clementia fuit, ut in eos qui penes se reatum proditionis ac judicium mortis inciderant, ulcisci non sineret; quin etiam si qua accidissent, eorum infortuniis illacrymaret. Cujus quidem in rebus bellicis audacia, et quantum ad pravas machinationes, quibus multos foedari cernimus, nulla versutia, merito laudaretur, nisi quibusdam tacenda indignitatibus urgeretur; quod totum jam tamen ei condonari debet, quia pro his horumque similibus, Deo ei temporaliter retribuente, carceralem, amisso omni comitatus honore, custodiam fovet
 

 

CHAPITRE VII.

 

 

Après avoir raconté comment le duc Godefroi arriva jusqu'aux lieux que je viens de dire, il me reste encore à parler des grands de l'intérieur de la France ; et je dirai maintenant en peu de mots quels ils furent, quels chemins ils suivirent, et comment s'accomplit leur voyage,

L'évêque du Puy, homme admirable par sa conduite, sa science, ses lumières et son habileté pour la guerre, partit suivi d'une foule innombrable de gens de son pays, et traversa la terre des Slaves. J'ai dit plus haut combien je regrettais de ne pas connaître son nom et de n'avoir pu rapprendre par l'histoire, dont je suis ici comme l'interprète. Je suis parvenu enfin à le savoir de ceux qui ont fait partie de cette expédition, et qui ont vu et fréquenté cet évêque de précieuse mémoire : il se nommait Aimar.[3]

 

Je crois devoir nommer en tête de tous les autres princes Hugues-le-Grand, frère de Philippe, roi des Français ; quelques autres, sans doute, lui étaient supérieurs en richesses et en puissance; mais il ne le cédait à aucun pour l'éclat de ta naissance et l'honnêteté de la conduite. Sa vaillance à la guerre, l'élévation de la race à laquelle il appartenait, son humilité envers tous les membres de l'ordre sacré, et l’honorable modération de son caractère l'ont illustré à juste titre. Quelques grands seigneurs s'attachèrent à lui, dans l’intention de le reconnaître pour leur roi, s'ils parvenaient, après avoir vaincu les Gentils, à prendre possession de quelque territoire.

 

Après lui venait le comte Étienne, homme tellement puissant que l'on disait de lui qu'il possédait autant de châteaux que l’on compte de jours dans l'année. Tant qu’il vécut dans son pays, il ne cessa de montrer une grande générosité, qui le rendit cher à tous les habitants; il portait dans les conseils une sagesse parfaitement mesurée, et il se distingua tellement dans tout et qui se rapportait aux allaires de la chevalerie, que toute la sainte milice le choisit pour son dictateur et son maître, tant qu'il porta les armes contre les Turcs. Il avait épousé une femme de beaucoup d'esprit, fille du roi Guillaume l'ancien, qui avait conquis les royaumes des Anglais et des Ecossais. Mais en vantant la sagesse, la générosité, la magnificence et la richesse de cette dame, je crains de porter quelque atteinte à la réputation de cet homme illustre, qui s'obscurcit lorsqu'il fut devenu veuf.

 

Robert le jeune, fils de Robert l'ancien, auquel l'empereur de Constantinople avait adressé la lettre que j'ai rapporté, se joignit à ces princes avec toute l'ardeur de son âge, abandonnant le comté de Flandre qu'il avait gouverné avec une grande illustration militaire, pour être le compagnon d'armes de ceux qui préféraient aller en exil pour l'amour du Christ. La suite de cette histoire fera voir avec quelle persévérance il s'attacha à l'accomplissement de son entreprise. Tous ces princes quittant les objets des plus tendres affections, des femmes illustres et des enfants charmant, leur préférèrent un exil lointain. Je ne prie pas des honneurs et des possessions auxquelles ils renoncèrent, biens qui ne sont qu'extérieurs. Mais ce qui doit exciter notre plus grand étonnement, c'est que les maris et les femmes unis, et est quelque sorte attachés les uns aux autres, par les tendres tiens de leur progéniture, aient pu se séparer ainsi, sans les plus grands malheurs pour les uns ou les autres.

 

Enfin je ne dois point omettre de parler de Robert, comte de Normandie. Après avoir cédé à l'entraînement des sens, montré une extrême faiblesse de volonté, dépensé ses trésors en prodigalités de table, et passé tour à tour d'une excessive indolence à toutes sortes d'emportements qui le rendirent célèbre, il expia ses erreurs par la persévérance de son zèle et par la bravoure qu'il déploya dans l'armée du Seigneur. La clémence était en lui une vertu tellement naturelle, qu'il ne voulait pas même se venger de ceux qui s'étaient rendus coupables de trahison envers lui, et avaient encouru une sentence de mort; si même il leur arrivait quelque malheur, il verrait des larmes sur eux. Nous serions fondé à louer son courage dans les combats, à dire qu'il ne prit jamais aucune part à ces coupables machinations, dont nous voyons que tant d'autres se sont souillés, s'il ne convenait de passer sous silence quelques actions indignes de lui et qu'on est en droit de lui reprocher. Mais toutes ces choses doivent lui être pardonnées maintenant, puisque Dieu lui a infligé des peines temporelles, en punition de ces fautes et d'autres du même genre, en lui enlevant son comté, et le réduisant à la dure condition de vivre dans une prison.

 


 

CAPUT VIII.

[XVII.] Cum istorum quos de sua quisque provincia secum traxerat inclytis ordinibus, mediocrium principum exiit multitudo. Quorum numerositas, quia nostram videtur obnubilare notitiam, in praesenti suprimimus, habituri meliorem, processu historiae, quosdam forsitan exprimendi causam. Unius enim, duum, trium, seu quatuor oppidorum dominos quis numeret? quorum tanta fuerit copia ut vix totidem coegisse putetur obsidio Trojana.

Eo tempore cum inter regni primates super hac expeditione res fieret, et colloquium ab eis, cum Hugone Magno, sub Philippi regis praesentia, Parisiis haberetur, mense Februario, tertio Idus ejusdem, luna eclipsim patiens, ante noctis medium, sanguineo paulatim coepit colore velari, donec in cruentissimum tota horribiliter est conversa ruborem. At ubi aurorae crepusculo naturae rediit, circa ipsum lunarem circulum insolitus splendor emicuit. Quadam autem aestivi diei vespertina irruente hora, tanta ab aquilonis plaga efflagratio apparuit ut plurimi e domibus suis sese proriperent, quaerentes quinam hostes provincias suas adeo gravi ambustione vastarent. Visae sunt praeterea non multo post tempore, mense Aprili stellae noctu, ac si pluvia dense de coelestibus labi. Quod in tantum apud plerasque Ecclesias portento simile, quod et fuit, habitum est, ut litanias pro hoc ipso quod significatur damno avertendo instituerent, et scriptis tempus et eventum traderent. Mense rursus Augusto, sexto Idus ejusdem, ante solis pene occubitum, lunae pars prope media est in nigredinem, multis intuentibus, versa, ubi dicendum, quod licet luna in pleniluniis naturaliter patiatur defectiones, sunt tamen aliquae in ipsis colorum ejus mutationibus portensiones. Unde et in pontificabilibus et regum gestis exinde solent fieri adnotationes. Visa sunt et alia pleraque quae narrare supersedimus.

[XVIII.] Raimundus comes S. Aegidii proficiscitur cum aliis.

--Ad extremum Sancti Egidii comes Raimundus, non ad sui vilitatem, sed pro summa ponitur. Qui, quia in supremo Franciae limbo morabatur, quanto minorem operum suorum notitiam nobis praebuerat, tanto hujus seriem historiae, a principiis usque ad finem, maximae suae virtutis et constantiae monimento nobilitat. Qui quidem naturali cuidam suo filio comitatu quem regebat relicto, propriam conjugem, cum filio quem ab ea exegerat unico, secum duxit. Erat autem praefatis nostris principibus aetate maturior, et exercitu, nisi quantum ad garrulos hominum Provincialium mores spectat, nulli inferior.

Cum ergo copiosissima fortissimorum militum manus, ea qua Romam proficisci solemus via, usque in Appuliam devenissent, ex calore insolito, quae tunc erat aestatis, ex corruptione aeris, de escarum insolentia, innumeri perniciem nimiae contraxerunt infirmitatis et mortis. Ad diversos itaque sese contulerunt, transituri mare, portus.

Brundisium plures, hos suscipit avius Ydrons,
Illis piscosi patuerunt aequora Bari.

[XIX.] At Hugo Magnus, non exspectata suorum et militum comprincipumque comitia, nimis inconsulte, nimis praepropere adito Bari portu, navigatione prospera devehitur Dyrrachium. Considerandum namque sibi fuerat, quia ad tantarum exspectationem personarum, ad tantas equitum peditumque copias, totius Graeciae, ut ita dixerim, fundamenta tremuerant. Et licet aliorum procerum multo major, quam ipsius, apud nos reputaretur auctoritas, apud exteros tamen, praesertim apud inertissimos hominum Graecos, de regis Francorum fratre praevolarat infinita celebritas. Cum ergo dux imperatoris, qui ibidem commanebat, nonmagna hominem spectabilem attendisset cinctum manu, subripuit illius animo ex tantae solitudinis opportunitate nequitia, illumque comprehendens, praecepit Constantinopolim ad imperatorem cum multa provisione ac reverentia duci; ob hoc solum ut fidem timido principi daret quod per eum vitae suae et honoris prorsus indemnis existeret. Is ergo illustris viri casus, maximam sequentium procerum fortitudini enervationem intulit. Idem namque facere quod ab isto exigebat, seu vi, seu clam, seu precario caeteros coegit principis fraudulenti astutia. Sed jam finis huic libello accedat.
 

 

CHAPITRE VIII.

 

Une foule de princes de moindre distinction marchèrent à la suite des plus illustres, avec lesquels chacun de ceux que je viens de nommer sortit de ses Etats. Nous nous abstenons en ce moment de les énumérer, soit parce que nous ne saurions les connaître, soit parce que nous trouverons sans doute, dans la suite de ce récit, des occasions plus convenables d'en parler. Qui pourrait en effet compter tous les seigneurs d'un, deux, trois ou quatre châteaux ? Leur nombre était si grand qu'on peut douter qu'il s'en fût jamais rassemblé autant au siège même de Troie.

 

A l'époque où les principaux seigneurs du royaume commençaient à s'occuper de cette expédition, et tenaient des conférences à Paris avec Hugues-le-Grand en présence du roi Philippe, au mois de février, et le onzième jour de ce mois, la lune, voilée par une éclipse avant le milieu de la nuit, fut peu à peu couverte de taches de sang, et devint enfin horriblement rouge ; mais lorsque le crépuscule du matin eut commencé, son cercle brilla de nouveau, environné d'un éclat extraordinaire. A la suite d'une journée chaude, et vers le soir, on vit l'horizon tout en feu du côté du nord, en sorte que beaucoup de gens sortirent de leurs maisons, demandant quels étaient les ennemis qui livraient les pays voisins aux flammes. Peu de temps après, et pendant le mois d'avril, on vit au milieu de la nuit une grande quantité d'étoiles tombant du ciel, et formant comme une pluie serrée, La plupart des églises considérèrent ces faits comme de véritables prodiges, composèrent des litanies pour éloigner les maux qu'ils semblaient annoncer, et consignèrent ces événements, ainsi que leur date précise, dans leurs archives. Au mois d'août, et le huitième jour de ce mois, un peu avant le coucher du soleil, beaucoup de gens virent encore de leurs propres yeux la moitié du disque de la lune se couvrir d'une teinte noire ; et c'est ici le lieu de remarquer que, quoiqu'il soit très naturel que la lune, lorsqu'elle est dans son plein, se trouve exposée à des éclipses, ces changements de couleur ne laissent pas d'indiquer quelque prodige ; aussi sont-ils exactement consignés dans les livres pontificaux et dans les archives des rois. On vit encore beaucoup d'autres choses que je crois inutile de rapporter.

 

Enfin je nomme en dernière ligne le comte Raimond de Saint-Gilles, non pour témoigner aucun mépris à son égard, mais plutôt pour en finir de cette nomenclature. Comme il demeurait à l’une des extrémités de la France, et comme ses œuvres nous avaient été jusqu'alors moins connues, l'éclat de son courage et sa persévérance dans cette expédition, depuis le commencement jusqu'à la fin, honoreront d'autant plus les récits qui devront être consignés dans le cours de cette histoire. Il laissa le gouvernement de son comté à un fils naturel, et emmena avec lui sa femme et le seul fils qu'il eût eu de ce mariage. Il était plus âgé que tous ceux de nos princes que j'ai déjà nommés, et son armée ne parut inférieure à aucune autre, si ce n'est cependant en ce qu'on peut reprocher aux habitants de la Provence, touchant leur excessive loquacité.

 

Lorsque les nombreux et vaillants chevaliers qui faisaient partie de cette expédition furent arrivés dans la Pouille, après avoir suivi la route que nous prenons d'ordinaire pour aller à Rome, les chaleurs extraordinaires de la saison, le mauvais air et le changement de nourriture amenèrent parmi eux un grand nombre de maladies et de morts. Ils se rendirent dans divers ports pour traverser la mer. La plupart allèrent à Brindes, d'autres à Scodra, où aucune route ne conduit; d'autres à Bari, renommée par ses poissons.

 

Cependant Hugues-le-Grand se rendit en toute hâte et fort imprudemment au port de Bari, sans attendre ni les chevaliers, ni les princes ses compagnons, s'embarqua et arriva après une heureuse traversée à Durazzo. Il aurait dû considérer, avant de partir si promptement, que la nouvelle de l'approche de tant d'illustres personnages et de tant de milliers de chevaliers et de gens de pied, avait, pour ainsi dire, agité la Grèce jusque dans ses fondements ; et, quoique d'autres grands seigneurs fussent, à juste titre, estimés parmi nous beaucoup plus considérables que lui, sa qualité de frère du roi des Français lui avait acquis une grande célébrité auprès des étrangers, et principalement chez les Grecs, les plus faibles des hommes, et sa renommée l'avait dès longtemps précédé. Aussi lorsque le délégué de l'empereur, dans la ville de Durazzo, vit un homme aussi important sans une suite nombreuse autour de lui, il ne tarda pas à former le perfide projet de profiter d'une si bonne occasion; et, l'arrêtant aussitôt, il donna ordre de le conduire à Constantinople, auprès de l'empereur, avec beaucoup de précautions et de témoignages de respect, dans la seule intention de lui faire promettre, à ce prince timide, qu'il ne chercherait à attenter ni à sa vie, ni à son honneur. La mésaventure de cet homme illustre porta plus tard un grand préjudice aux braves seigneurs qui arrivèrent après lui; car l'empereur, rempli d'artifice, les contraignit tous, soit de vive force, soit secrètement, soit par des sollicitations réitérées, à faire pour lui ce qu'il avait exigé d'abord de Hugues-le-Grand. Il est temps maintenant que je mette fin à ce livre.


 

[2] Il manque un mot.

[3] Adhémar.