FOULCHER DE CHARTRES.
HISTOIRE DES CROISADES : Chapitres XVI à XXX
chapitres I à XV - chapitres XXXI à XLV
Oeuvre mise en page par Patrick Hoffman
Le texte latin provient de Migne
COLLECTION
DES MÉMOIRES
RELATIFS
A L'HISTOIRE DE FRANCE,
depuis la fondation de la monarchie française jusqu'au 13e siècle
AVEC UNE INTRODUCTION DES SUPPLÉMENS, DES NOTICES ET DES NOTES;
Par M. GUIZOT,
PROFESSEUR D'HISTOIRE MODERNE A L’ACADÉMIE DE PARIS.
A PARIS,
CHEZ J.-L.-J. BRIÈRE, LIBRAIRE,
RUE SAINT-ANDRÉ-DES-ARTS, N°. 68.
COLLECTION
DES MÉMOIRES
RELATIFS
A L'HISTOIRE DE FRANCE.
HISTOIRE DES CROISADES, PAR FOULCHER DE CHARTRES.
HISTOIRE DE LA CROISADE DE LOUIS VII, PAR ODON DE DEUIL.
FOULCHER DE CHARTRES
CAPUT XVI.
Cum apud Antiochiam per quatuor menses viri nostri cum equis suis, requie et edulio refecti, vires pristinas resumpsissent, qui tot diebus labore fatigati fuerant, pars una exercitus sumpto consilio Syriam adierunt interiorem, desiderantes tramitem Hierosolymitanum amplius dilatare. In quo exercitu Boamundus et Raymundus comes, majores fuerunt. Alii enim principes in partibus Antiochenis adhuc morabantur. Sed ii duo cum gente sua duas urbes, Baram videlicet, et Maram, magnae probitatis invasione comprehenderunt. Priori quarum citissime capta, et caede civium prorsus depopulata, raptisque omnibus quae in ea reperierunt, festini alteram adierunt. Ubi obsidione per viginti dies peracta, famem nimiam pertulit gens nostra. Dicere perhorreo quod plerique nostrum, exasperati famis rabie, absciderunt de natibus Sarraceni jam mortui frustum unum, vel duo. Quo parum assato, manducabant ore diro. Itaque plus obsessores quam obsessi angebantur. Interea machinis factis et tandem muro admotis, magnae audacitatis assultu, suffragante Deo, per muri fastigium Franci se intromiserunt; qui die illo atque sequenti cunctos Sarracenos a majori usque ad minimum occiderunt, totamque substantiam eorum sibi arripuerunt. Urbe itaque protrita, Boamundus Antiochiam remeavit; de qua tunc homines Raymundi comitis, quos ibi posuit portionis suae custodes, eliminavit. Quam urbem postea cum tota provincia possedit. Aiebat enim per prolocutionem suam et machinamentum eam traditam fuisse. Comes vero Raymundus, juncto sibi Tancredo incoeptum iter tenuit. Sed et Robertus Northmannus, qui die secundo discesserat a Marra urbe quam ceperant, eidem exercitui aggregatus est. |
CHAPITRE XVI.
Après que nos hommes et leurs chevaux, épuisés par de si longues et pénibles fatigues, se furent, grâces à un séjour de quatre mois dans Antioche, refaits par le repos et une bonne nourriture, et eurent repris leurs anciennes forces, on tint conseil, et une partie de l'armée se mit en marche pour l'intérieur de la Syrie, dans le dessein d'ouvrir complétement au reste des nôtres le chemin de Jérusalem. Les deux principaux chefs de ce corps étaient Boémond et le comte Raimond. Quant aux autres princes, ils restèrent encore dans la contrée d'Antioche. Ces deux chefs et leur monde s'emparèrent, par des attaques pleines d'audace, de deux villes, Alber et Marrah. La première, ils la prirent très-promptement, en massacrèrent tous les citoyens, et enlevèrent tout ce qui s'y trouva de richesses. Joyeux et triomphans ils marchèrent sur l'autre; mais le siége se prolongea pendant vingt jours, et nos hommes eurent à supporter tous les maux de la faim. Je ne puis redire sans horreur comment plusieurs des nôtres, transportés de rage par l'excès du besoin, coupèrent un ou deux morceaux des fesses d'un Sarrasin déjà mort, et, se donnant à peine le temps de les rôtir, les déchirèrent de leurs dents cruelles. Ainsi donc les assiégeans souffraient plus que les assiégés. Cependant des machines furent construites, et on les approcha des murailles; les Francs alors montèrent à l'assaut avec une merveilleuse audace, et, secondés par la bonté de Dieu, franchirent le sommet du mur, s'introduisirent dans la ville, égorgèrent, ce jour-là et le suivant, tous les Sarrasins, depuis le plus grand jusqu'au plus petit, et s'emparèrent de toutes les provisions des habitans. Quand cette cité fut détruite, Boémond retourna à Antioche, en chassa les gens que le comte Raimond avait préposés à la garde de la portion de cette cité dont il s'était rendu maître, et se mit en possession de la ville et de tout son territoire, disant qu'elle n'avait été prise que grâces à ses négociations et machinations. Au surplus, le comte Raimond, s'étant joint avec Tancrède, suivit le chemin qu'on avait pris; et Robert le Normand se réunit en outre à cette même armée le lendemain du jour où elle quitta la ville de Marrah après l'avoir saccagée.
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CAPUT XVII.
Anno autem millesimo nonagesimo nono ab Incarnatione Domini, profecti sunt ad castrum Archas dictum, ad radicem Libani situm, quod propter situm loci fortem ad capiendum est difficillimum ab hostibus externis. Ante quod, in tabernaculis hospitati, per quinque fere septimanas astiterunt. Illud oppidum antiquissimum condidit Araceus Chanaan filius, ut legitur. Dux autem Godefridus, et Robertus Flandriae comes, non multo post exercitum illum subsecuti sunt. Qui antequam illuc pervenissent, Gibellum castrum quoddam nominatissimum obsidione vallaverunt. Sed legatione ab exercitu habita, ut eis festine succurrerent contra Turcos, quos ad bellum exspectabant, confestim Gibellum dimiserunt, et ad negotium mandatum profecti sunt. Ad quos cum pervenissent, cum eis sederunt, sed bellum, quod forte putabant, non habuerunt. In illa tamen obsidione, Ansellus de Ribotimonte, miles strenuus, ictu lapidis interiit. Tunc autem, facto invicem consilio, decreverunt quod, si aliquandiu ibi moram fecerint et castrum illud capere non poterint, detrimentum irrecuperabile cunctis inde eveniet; dicuntque operae pretium esse ut dimissa obsidione vadant per viam quam commercio expertem noscunt, dum adhuc tempus messionis eos Hierosolymam ituros exspectat, et dum iverint, de messe undique a Domino sibi praeparata vivant, et tali stipendio adjuti, ad locum desideratissimum, Domino ducente, perveniant. Sic laudatum est, et factum est. Tentoriis tunc collectis, iter agentes, transierunt urbem Tripolim; qua transita juxta Gibellum castrum meaverunt. Aprilis erat mensis, et jam de messibus vivebant. Ultra deinde progressi haud longe ab urbe Beruto transientes, invenerunt post eam urbem aliam, quam legimus Sidonem vocabulo dictam, in terra Pheniciae, quam condidit Sidon filius Chanaan, a quo Sidones; exinde, Sareptam Sidoniae. Dehinc invenerunt Tyrum civitatem peroptimam, unde fuit Apollonius, de quo legitur (I Machab, III, 10) . De his etiam duabus evangelista sonat: In partes Tyri et Sidonis (Matth. XV, 21) . Nunc autem regionis incolae priorem Sagittam, alteram vero Sur nominant. Nam Hebraice Soor dicitur, et est in sorte Nephtalim. Post has transierunt Ptolemaidam, prius Achon dictam; quam quidam errantes Accaron solebant legere: quod nos etiam faciebamus, cum primitus terram Palaestinorum introivimus. Sed Accaron urbs est Philisthae inter Azotum et Jamniam, prope Ascalonem. Acon vero, id est Ptolemaida, ab austro habet Carmeli montem, juxta quem transeuntes, ad dexteram reliquerunt oppidum, Caypham dictum, exhinc juxta Doram, vel Pirgul; post haec, juxta Caesaream Palaestinae incessimus, quae quidem dicebatur et altero nomine Turris Stratonis: in qua Herodes, dictus Agrippa, nepos illius Herodis sub cujus tempore Christus natus est, percussus ab angelo, consumptusque a vermibus, infeliciter exspiravit. Tum quidem a dextera parte reliquerunt maritima, et per urbem, nomine Ramulam, perrexerunt: de qua Sarraceni incolae jam obfugaverunt, pridie quam illuc Franci pervenissent. Illic annonam multam reperierunt, de qua jumenta sua cuncta oneraverunt, quam usque Hierusalem postea partaverunt. |
L'année 1099 depuis l'Incarnation du Seigneur, ils marchèrent ensemble vers le château qu'on appelle Archas, bâti au pied du mont Liban: il est, par sa position et la nature des lieux, très-fort et très-difficile à prendre pour des ennemis qui l'attaquent du dehors; aussi nos gens demeurèrent-ils cinq semaines environ sous leurs tentes, devant ce château très-ancien, et fondé, comme on le lit dans l'Histoire, par Aracée, fils de Chanaan. Cependant le duc Godefroi et Robert, comte de Flandre, ne tardèrent pas à suivre ce corps d'armée. Avant de la joindre, ils formèrent le siége de Gibel, certain château d'un grand renom; mais, ayant reçu une députation de l'armée, qui les pressait de venir en toute hâte la secourir contre les Turcs par qui elle s'attendait à être attaquée, ils laissèrent là Gibel, et partirent sur-le-champ pour l'expédition à laquelle on les appelait. Quand ils furent arrivés au lieu où étaient leurs compagnons, ils campèrent avec eux, mais n'eurent pas à faire la guerre dont ils se croyaient menacés. Au siège d'Archas, Anselme de Ribeaumont, vaillant chevalier, périt frappé d'un éclat de pierre. Les chefs tinrent alors conseil, et furent d'avis que, si l'on demeurait encore long-temps sous les murs de ce château sans réussir à le prendre, il en résulterait pour tous des inconvéniens irréparables; ils ajoutèrent que l'important était, abandonnant ce siége, où ils savaient que le commerce ne leur offrirait nulle ressource, de continuer leur route pendant qu'ils pouvaient encore arriver à Jérusalem pour le temps de la moisson, vivre dans le chemin des récoltes sur pied que la bonté du Seigneur faisait croître de toutes parts, et, à l'aide de ce secours, arriver, sons la conduite de Dieu, aux lieux après lesquels ils soupiraient. Tous approuvent ce plan et l'exécutent sur-le-champ. Ils enlèvent donc leurs tentes, se mettent en route, se dirigent vers la cité de Tripoli, et, après l'avoir dépassée, marchent vers le château de Gibel. On était dans le mois d'avril, et déjà les nôtres subsistaient des récoltes qui couvraient la terre. Poursuivant leur chemin, ils passent non loin de la cité de Béryte, et, après cette ville, en trouvent une autre appelée Sidon, bâtie, comme nous le voyons dans l'histoire, sur la terre de Phénicie, et fondée par Sidon, fils de Chanaan, de qui les Sidoniens ont pris leur nom. Ils rencontrent ensuite Sarepta de Sidon et Tyr, cité très-riche, d'où était cet Apollonius dont parle l'histoire. L'évangéliste dit de ces deux villes: «Josué se retira du côté de Tyr et de Sidon25.» Aujourd'hui les habitans du pays appellent la première Sagitte, et la seconde Sur, dont le nom hébreu est Sor, et qui se trouvait comprise dans le partage de la tribu de Nephtali. Après ces villes, l'armée traverse Ptolémaïs, autrefois Accon, que quelques-uns écrivaient et lisaient, par erreur, Accaron, ainsi que je le faisais moi-même lorsque j'entrai pour la première fois dans le pays de la Palestine. Accaron est une cité de la contrée des Philistins, entre Azot et Jamnia, près d'Ascalon; mais Accon ou Ptolémaïs a au sud le mont Carmel. Les nôtres, longeant le pied de cette montagne, laissèrent à droite la place appelée Cayphe; de là nous suivîmes le chemin qui avoisine Dor près Césarée en Palestine, qui portait encore le nom de Tour de Straton. C'est là qu'Hérode, surnommé Agrippa, et petit-fils de cet Hérode dans le temps de qui est né le Christ, frappé par l'ange exterminateur et rongé des vers, expira misérablement. Laissant alors à notre droite le rivage de la mer, nous prîmes notre route parla ville appelée Ramla, d'où les habitans, tous Sarrasins, s'étaient enfuis la veille de l'arrivée des Francs, et où ceux-ci trouvèrent une immense provision de froment, dont ils chargèrent toutes leurs bêtes de somme, et qu'ensuite ils transportèrent jusqu'à Jérusalem.
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CAPUT XVIII.
Mora ibi per quatuor dies facta, cum basilicae Sancti Georgii episcopum praeposuissent, et in arcibus homines ad custodiendam urbem locavissent, Hierusalem iter suum praetenderunt. Ipso die usque ad castellum, quod dicitur Emmaus, ambulaverunt. Nocte vero illa centum de militibus nostris calliditate moti, probitate prompti, conscendunt in equos, qui, albescente aurora, prope Hierusalem transeuntes, usque Bethlehem properaverunt; de quibus unus erat Tancredus, alterque Balduinus de Burgo. Quod cum Christiani, qui inibi conversabantur, comperissent, Graeci videlicet et Syri, Francos illuc advenisse, gavisi sunt gaudio magno valde. Ignorantes tamen primitus quae gens essent, rati sunt eos vel Turcos vel Arabes esse. Sed cum aperte eos propius intuerentur, et eos Francos esse non dubitaverunt, statim gaudentes crucibus assumptis et textis, obviam flendo, pie cantando processerunt eis: flendo, quoniam metuebant ne tantillum gentis a multitudine tanta paganorum, quos in patria sciebant esse, facillime occiderentur; cantando, quoniam de illis congratulabantur quos diu desideraverant venturos, quosque Christianismum, a nefandis tandiu pessundatum, in resumptum honorem relevare sentiebant. Facta autem statim in basilica beatae Mariae supplicatione ad Deum devota, cum locum ubi Christus fuit natus visitassent, dato Syris osculo pacis jocundo, ad urbem sanctam celeriter sunt regressi. Ecce subsequens exercitus noster civitati tunc appropinquavit, relicta Gabaon a sinistra parte, quae ab Hierusalem quinquaginta distat stadiis. Cumque praecursores signa elevata civibus monstrassent, protinus contra eos interni hostes exierunt. Sed qui sic festini exierant, festinantius in urbem mox repulsi, recesserunt:
Septenas Junii Idus dabat annuus usus, Hierusalem Franci cum vallant obsidione. Est quidem civitas ipsa in montano loco sita, rivis, silvis, fontibusque carens, excepto fonte Siloe, ubi sufficienter aqua interdum habetur, interdum vero raro hauritur. Qui fonticulus in vallis fundo, sub monte Sion subter decursionem torrentis Cedron, qui tempore hiemali per vallem Josaphat fluere solet. Cisternae autem multae, et aquis satis abundantes in urbe habentur; quae si bene procuratae fuerint, omnibus inhabitantibus, tam hominibus quam jumentis, omni tempore indeficienter haustum praebent, hibernis imbribus reservatis. Constatque civitas condecenti magnitudine per circuitum composita, ita ut nec parvitate nec amplitudine fastidiosa cuiquam videatur. Habet quidem ab occasu solis turrim Davidicam, utroque latere murum civitatis supplentem, quae usque ad medietatem sui a parte inferiori solide massata est, et de lapidibus caementata quadratis, et plumbo fusili sigillatis. Quae si cibariis munita fuerit, si tantum viginti vel quindecim homines defensores inerint, nunquam per vim ab exercita quovis comprehenderetur. Et est in eadem urbe templum Dominicum, rotundum, compositum in eodem loco quo Salomon alterum prius instituit mirificum; quod quamvis illi priori schemati nullatenus sit comparandum, istud tamen opere mirabili et forma speciosissima factum est. In cujus medio est rupis nativa et ingens, de qua deturpatur satis et impeditur ipsum templum. Nescio quare ab aeterno permittitur locum occupare, quin prorsus exciditur. Sed dicunt illum esse locum, ubi stetit angelus percutiens, cui David intulit pavidus nimis: Ego quidem sum qui peccavi; isti, qui oves sunt, quid fecerunt? (II Reg. XXIV, 17.) Aiuntque in ipsa rupe arcam foederis Domini esse, cum virga, et tabulis testamenti, bene sigillatam, eo quod Josias rex Juda poni jussit eam in sanctuario templi, dicens: Nequaquam portabitis eam de loco isto (II Par. XXXV, 3) . Praevidebat enim futuram captivitatem. Sed illud, quod in descriptionibus Jeremiae legimus, obest, quod ipse Jeremias eam in Arabia occultaverat, dicens quod non invenienda esset, donec gentes multae congregarentur (Jer. III, 17) . Ipse enim contemporaneus hujus regis Josiae fuit; tamen vivendi finem fecit, antequam Jeremias obiret. Non credimus igitur arcam in templo esse. Non valeo nec audeo recitare res tam sanctissimas, quae inibi habentur, ne in aliquo auditores fallam. Sed, secundum dicta quorumdam, in honorem et amorem Dei, haec tantilla in memoriam collegi. Haec est pro certo domus Dei, de qua scriptum est: Bene fundata est supra firmam petram (Matth. VII, 25) . In qua cum Salomon devote Deo precem suam funderet, et ut oculi ejus die ac nocte super eam aperti essent, et qui ad sanctuarium illud oraret recto corde, ab eo exaudiretur, concessit ei Dominus, respondens prout ab eo postulaverat. Hanc domum, hoc est Domini templum, in veneratione magna cuncti Sarraceni habuerant, donec eis illud abstulimus, ibique praedicationes suas libentius quam alibi facere solebant, quamvis idolo, in nomine Mahummeth facto, eas vastarent, in quod etiam nullum ingredi Christianum permittebant. Alterum vero templum Salomonis dictum, magnum est, et mirabile; sed non est illud idem quod ipse Salomon fabricavit. Quod nunc satis dolendum est, eo quod inopia pressi, non potuimus tecti ejus structuram reformare, postquam in manus Balduini regis et nostras devenit. Sed ipse etiam plumbum negotiatoribus vendebat, cum vel de tecto aliquando decidebat, vel deorsum dirui praecipiebat. Inest insuper basilica decens super Dominicum sepulcrum rotunditate facta, cujus rotunditatis summitas ita artificiose tegmine caret ut foramine illo solis splendori patula clara semper habeatur. Non desunt etiam civitati per omnes vicos aquae ductus, per quos imbrium tempore omnes immunditiae diluuntur. Hanc etiam urbem Helius imperator Adrianus mirifice decoravit, et vicos et plateas pavimento decenter ornavit, de cujus nomine Hierusalem Helia vocata est. Ex iis et caeteris multis, civitas ipsa venerabilis est et gloriosa. Quam cum aspicerent Franci, et viderent eam ad capiendum gravem, jussum est a principibus nostris scalas ligneas fieri; quibus muro postea erectis, cum assultu forti per eas in summum muri scandentes, urbem forsitan juvante Deo ingrederentur. Quod cum fecissent, sequenti die septimo, monitu procerum, buccinis sonantibus, mane claro, impetu miro civitatem undique assilierunt. Et cum usque ad horam diei sextam assiliissent, et per scalas, quas fixerant, eo quod paucae erant, introire nequissent, assultum tristes dimiserunt. Tunc autem sumpto consilio, jussum est ab artificibus machinas fieri, cum quibus muro admotis, auxiliante Deo, spei effectum adipiscerentur. Et sic factum est. Interea nec panis nec carnis inopiam passi sunt. Sed quia locus, ut superius dictum est, inaquosus et sine fluminibus est, viri nostri propterea et jumenta eorum indigebant aqua vehementer ad potandum. Quapropter, prout monebat necessitas, longe aquam quaeritabant, et a quatuor milliariis vel quinque laboriose ad obsidionem in utribus suis apportabant. Machinis autem patratis, arietibus scilicet et scophris, ad assiliendum item se paraverunt. Inter artificia vero caetera, unam turrim de lignis exiguis, quia magna materies illis deerat, compegerunt; quam noctu, edicto proinde facto, ad cornu civitatis opportunius frustratim portaverunt. Et sic mane ipso cum petrarias et caetera adminicula paravissent, citissime haud longe a muro compactam erexerunt. Quam erectam, et de coriis deforis bene contextam, paulatim promovendam muro propius impegerunt. Tum vero rari milites, tamen audaces, monente cornu, ascenderunt in eam, de qua statim lapides et sagittas jacere coeperunt. Contra quos similiter Sarraceni defendendo se agebant, et ignem cum oleo et adipe vividum faculis aptatis dictae turri, et militibus qui erant in ea, fundibulis suis jaculabantur. Multis igitur utrorumque invicem sic certantium mors saepe aderat praesens. Ea quidem in parte qua Raymundus comes et homines sui assistebant, scilicet in montem Sion, cum machinis suis magnum assultum dabant. Ex altera vero parte, qua dux Godefridus erat, et Robertus Northmanniae comes, et Flandrensis Robertus, major erat muro assultus. Illo die sic fecerunt. Sequenti quoque die, laborem eumdem facto buccinarum concentu, virilius inierunt, ita ut cum arietibus pulsando murum in uno loco perforarent. Pendebant nempe ante muri propugnacula duo assera funibus illic alligata, quae Sarraceni sibi praeparaverant, ut irruentibus et lapides in eos jactantibus obstaculum fierent. Sed quod pro incremento sibi fecerant, idem ad detrimentum suum, Domino providente, acceperunt. Nam turri praefata muro admota, rudentibusque, quibus ligna pendebant praedicta, fasciculis sectis, de eisdem tignis unum pontem Franci tunc sibi coaptaverunt, quem de turri super murum callide extensum jactaverunt. Jamjamque ardebat arx una in muro lapidea super quam machinatores nostri torres igneos injecerant: unde foco paulatim intra materiem lignorum nutrito, fumus flammaque sic prodire coepit ut nec unus custodum civium ibi ulterius morari posset. Mox itaque Francis hora meridiana urbem intrantibus, die quae Veneris habebatur, cornibus sonantibus, cunctis tumultuantibus, viriliter impetentibus, ADJUVA DEUS exclamantibus, vexillo uno in muri fastigio jam sublevato, pagani omnino pudefacti, per vicorum civitatis angiportus, audaciam suam in fugam celerem mutaverunt omnes. Qui cum velociter fugerent, velocius fugati sunt. Hoc Raymundus comes ex altera parte assiliens, nondum sciebat, nec homines ejus, donec Sarracenos per muri apicem ante eos prosilire viderunt. Quo viso, ad urbem laetissimi quantocius accurrerunt, et cum caeteris hostes nefarios fugare et occidere coeperunt. Tum quidem alii Sarracenorum, tam Arabes quam Aethiopes, in arcem Davidicam fugiendo se intromiserunt; alii vero in templum Domini atque Salomonis se incluserunt. In quorum atriis templorum impetus in eos agebatur nimius; locus etiam nusquam erat, quo gladiatores nostros evadere possent. Supra Salomonis templum, quod fugiendo ascenderant, multi ex eis ad mortem sagittati sunt, et deorsum de tecto insanabiliter praecipitati; in quo etiam templo, decem ferme millia decollati sunt. Quod si inibi essetis, pedes nostri usque ad bases cruore peremptorum tinguerentur. Quid narrabo? Nullus ex eis vitae est reservatus. Sed nec feminis nec parvulis pepercerunt. Mirabile quoddam videretis, cum scutigeri nostri atque pedites pauperiores, calliditate Sarracenorum comperta, ventres eorum jam occisorum findebant, ut de intestinis bysantios excerperent, quos vivi faucibus transglutiverant. Quapropter post dies aliquot acervo magno facto de cadaveribus, ea igni combusserunt, ut aes illud praedictum in cinere facto facilius reperirent. Tancredus autem templum Domini cum festino cursu ingressus, multa aurea et argentea (quod erat nefas rapiendum), lapides etiam pretiosos arripuit Sed hoc postea emendans, eadem cuncta vel eis appretiata loco sacrosancto remandavit.
Ensibus extractis currit gens nostra per urbem. Et post stragem tantam ingressi sunt domos, et ceperunt quaecunque in eis invenerunt, ita sane, ut quicunque primus domum intrasset, sive pauper sive dives esset, nullatenus ab aliquo alio fieret illi injuria, quin domum ipsam aut palatium, et quodcunque in ea reperisset, ac si omnino propria, sibi assumeret et possideret. Hoc itaque jus tenendum invicem stabilierant. Unde multi inopes facti sunt locupletes. Tunc autem ad sepulcrum Domini, et templum ejus gloriosum euntes, clerici simul et laici exsultationis voce altisona canticum novum Domino decantando, loca sacrosancta tam diu desiderata, cum oblationibus faciendis supplicationibusque humillimis, laetabundi omnes visitaverunt. O tempus tam desideratum! o tempus inter caetera tempora memorandum! o factum factis omnibus anteferendum! Vere desideratum, quoniam ab omnibus fidei catholicae cultoribus interno mentis desiderio semper desideratum fuerat, ut locus in quo cunctarum creaturarum Creator recreationis salutiferae munus, Deus homo factus, humano generi pietate sua multiplici, nascendo, moriendo, resurgendoque contulit, a paganorum contagione inhabitantium quandoque mundatus, tandiu superstitione eorum contaminanatus, a credentibus et confidentibus in se, in modum dignitatis suae pristinum reformaretur. Et vere memoriale, et jure memorandum, quia quaecunque Dominus noster Jesus Christus, in terra homo cum hominibus conversans, egit et docuit, ad memoriam famosissimam revocata et reducta sunt. Et quod idem Dominus per hunc populum suum tam, ut opinor, dilectum alumnum familiaremque, et ad hoc negotium praeelectum, expleri voluit, usque in finem saeculi memoriale, linguis tribuum universarum personabit.
Julius effervens ter quina luce calebat Idus erat Julii, anno ab obitu Caroli Magni ducentesimo et octuagesimo quinto, et morte Guillelmi Angliae regis primi anno duodecimo. Quippe Godefrido patriae mox principe facto, quem ob nobilitatatis excellentiam, et militiae probitatem, atque patientiae modestiam, nec non et morum elegantiam, in urbe sancta regni principem omnis populus Domininici exercitus ad illud conservandum atque regendum elegit. Tunc etiam locati sunt in ecclesia Dominici sepulcri canonici, atque in templo ejusdem ipsi servituri. Patriarcham autem tunc decreverunt nondum ibi fieri, donec a Romano papa quaesissent quem ipse laudaret praefici. Interea Turci et Arabes, nigri quoque Aethiopes quingenti fere, qui in arcem Davidicam se intromiserant, petierunt a Raymundo comite, qui prope turrim illam hospitatus erat, ut pecunia eorum in arce ipsa retenta, vivos tantum eos abire permitteret. Hoc concessit, et hinc Ascalonem adierunt. Placuit tunc Deo, quod inventa est particula una crucis Dominicae in loco secreto, jam ab antiquo tempore a viris religiosis occultata; nunc autem a quodam homine Syro, Deo volente, revelata. Quam cum patre suo inde conscio diligenter ibi et absconderat, et conservarat. Quam quidem particulam in modum crucis reformatam, aurea partim et argentea fabrica contectam, ad Dominicum sepulcrum, dehinc etiam ad templum, congratulanter psallendo, et gratias Deo agendo, qui per tot dies hunc thesaurum suum et nostrum sibi et nobis servaverat, omnes una in sublime propalatam detulerunt. |
Les nôtres, après avoir séjourné quatre jours dans cette ville, établi un évêque dans la basilique de Saint-George, et mis quelques hommes dans les forts pour garder la place, continuèrent leur marche vers Jérusalem. Le jour même de leur départ, ils allèrent jusqu'à un petit château qu'on nomme Emmaüs. La nuit, cent de nos chevaliers, cédant à l'idée d'un projet hardi, et poussés par leur propre courage, s'élancent sur leurs coursiers, passèrent près de Jérusalem au moment où l'aurore commençait à blanchir le ciel, et coururent en toute hâte jusqu'à Bethléem. Parmi eux étaient Tancrède et Baudouin du Bourg. Lorsque les Chrétiens, c'est-à-dire les Grecs et les Syriens qui habitaient ce lieu, reconnurent que c'étaient des Francs qui arrivaient, une grande joie les transporta; dans le premier moment, toutefois, ignorant quels gens venaient vers eux, ils les prirent pour des Turcs ou des Arabes; mais aussitôt qu'ils les voient distinctement et de plus près, et ne peuvent plus douter que ce sont des Francs, ils prennent, tout joyeux, leurs croix et leurs bannières, et viennent au devant des nôtres en pleurant et en chantant des hymnes pieux. Ils pleurent parce qu'ils craignent qu'une si petite poignée d'hommes ne soient facilement égorgés par la multitude innombrable de Païens qu'ils savent être dans le pays; ils chantent parce qu'ils se félicitent de l'arrivée de ceux dont ils souhaitent depuis si long-temps la venue, et qu'ils sentent destinés à rétablir, dans son antique gloire, la foi chrétienne indignement écrasée pendant tant de siècles par les méchans. Les nôtres, après avoir adressé sur-le-champ de pieuses supplications au Seigneur dans la basilique de la bienheureuse Marie, et visité le lieu où naquit le Christ, donnent gaîment le baiser de paix aux Syriens, et reprennent précipitamment le chemin de la ville sainte. Cependant, voilà qu'alors même le reste de notre armée s'approche de la grande cité, laissant sur la gauche Gabaon, distant de cinquante stades de Jérusalem. Au moment où notre avant-garde élève ses drapeaux et les montre aux habitans, les ennemis sortent tout à coup de l'intérieur de la ville; mais ces hommes, si prompts à se montrer hors de leurs murs, sont repoussés au dedans plus promptement encore, et contraints de se retirer. Le septième jour des ides de juin, selon le calcul annuel en usage, et lorsque juin était déjà, depuis sept jours, brûlé de tous les feux du soleil, les Francs cernent Jérusalem et en forment le siége. Cette cité sainte est située sur un lieu élevé, manque de ruisseaux, de bois et de fontaines, sauf cependant celle de Siloë, qui quelquefois fournit assez d'eau, et quelquefois, mais rarement, est à sec; cette petite source est placée dans le fond d'une vallée, au pied de la montagne de Sion, et au dessous du lit du torrent de Cédron, qui, dans la saison de l'hiver, coule habituellement à travers la vallée de Josaphat. Dans la ville, au surplus, sont beaucoup de citernes assez bien remplies d'eau, et qui, lorsqu'elles en sont bien approvisionnées, au moyen des pluies d'hiver qu'on peut y recueillir, donnent abondamment en tout temps, à tout ce qui est dans l'intérieur des murs, tant hommes que bêtes de somme, de quoi satisfaire leur soif. Il est reconnu généralement que Jérusalem présente l'aspect d'un cercle d'une étendue si bien proportionnée, que personne ne trouve à redire ni à sa grandeur ni à sa petitesse. Au couchant est la tour de David qui, au dedans comme au dehors, remplace, à l'endroit qu'elle occupe, le mur de la ville. Cette tour forme, de sa partie inférieure jusqu'au milieu de sa hauteur, une masse compacte revêtue de pierres carrées et scellées avec du plomb fondu; si donc elle était bien approvisionnée de vivres, et défendue seulement par quinze ou vingt hommes de cœur, jamais une armée, quelle qu'elle fût, ne parviendrait à s'en emparer de vive force. Dans cette ville est encore le temple du Seigneur, de forme ronde, et bâti dans le même endroit où Salomon construisit autrefois le sien, si célèbre par sa magnificence. Quoique le nouveau ne puisse, en aucune manière, être comparé à l'ancien, qui lui a servi de modèle, il est cependant d'un travail admirable et d'une très-belle architecture à l'extérieur; au milieu est une roche naturelle et immense qui défigure et obstrue beaucoup l'intérieur; je ne sais, en vérité, pourquoi l'on souffre de toute éternité que cette roche reste dans cet endroit, au lieu de la couper à rase terre; on dit que c'est le lieu où s'arrêta l'ange exterminateur, auquel David, tout tremblant, adressa ces paroles: «C'est moi qui ai péché, c'est moi qui suis le coupable; qu'ont fait ceux-ci, qui ne sont que des brebis26?» On prétend de plus que sur cette roche était scellée fortement l'arche d'alliance du Seigneur, avec la verge et les tables de l'ancienne loi, et que Josias, roi de Juda, prévoyant la future captivité, ordonna que la roche fût renfermée dans l'enceinte même du sanctuaire, disant: «Jamais on ne pourra l'arracher de ce lieu.» Mais ce récit est contredit par ce que nous lisons dans les écrits de Jérémie, que lui-même avait caché l'arche sainte en Arabie, disant: «Qu'elle devait rester inconnue jusqu'à ce que Dieu eût rassemblé son peuple dispersé27.» Or Jérémie était contemporain de ce roi Josias, qui cependant cessa de vivre avant que le prophète mourût. Je ne saurais donc croire que l'arche ait été alors placée dans le temple. Dans la crainte de tromper sur quelque point mes lecteurs, je ne puis ni n'ose rapporter en détail toutes les choses saintes qui se trouvent dans ce temple. Cependant ces choses, quelque peu importantes qu'elles puissent paraître, je les ai, par amour pour Dieu, et en son honneur, recueillies dans ma mémoire d'après le récit de certains individus. Ce temple, au surplus, est certainement la maison du Seigneur, dont il est écrit: «Elle est fondée solidement sur la pierre la plus dure.» C'est là que Salomon ayant offert pieusement ses supplications à Dieu pour qu'il eût nuit et jour les yeux ouverts sur cette sainte demeure, et daignât exaucer celui qui viendrait prier avec un cœur droit dans ce sanctuaire, le Seigneur répondit à ce prince et lui accorda ce qu'il avait sollicité de sa bonté. Cet édifice, c'est-à-dire, ce temple du Seigneur, tous les Sarrasins l'eurent en grande vénération jusqu'au moment où nous les en chassâmes; ils y faisaient habituellement, plus volontiers qu'ailleurs, les prières qu'ils prodiguaient, sans fruit pour eux, à une idole fabriquée de leurs mains, et portant le nom de Mahomet, et ils ne permettaient à aucun Chrétien d'y entrer. Ce temple, qu'on appelle le temple de Salomon, quoique grand et admirable, n'est pas celui qu'éleva Salomon. Ce dont nous ne saurions maintenant assez nous affliger, c'est que, faute d'argent, nous ne pûmes réparer la toiture de ce monument, lorsqu'il fut enfin tombé dans nos mains et dans celles du roi Baudouin, qui lui-même vendait à des marchands le plomb qui en tombait de temps à autre, ou qu'il ordonnait d'en arracher. Il existe en outre sur le sépulcre de Notre-Seigneur une basilique assez belle et de forme ronde; on a laissé sans couverture le sommet de sa voûte arrondie; mais c'est exprès, et par un artifice tellement ingénieux que la lumière du soleil entre par cette ouverture assez abondamment, pour que l'intérieur de l'édifice soit toujours bien éclairé. Dans tous les quartiers de la ville se trouvent des égouts, par lesquels les immondices sont emportées dans les temps de pluie. L'empereur Ælius Adrien embellit cette cité avec magnificence, et fit paver richement ses rues et ses places: aussi Jérusalem prit du nom de ce prince celui d'Ælia. Ces choses et beaucoup d'autres rendent cette cité vénérable et célèbre. Les Francs ayant examiné les dehors de la ville, et reconnu que la prendre serait difficile, nos chefs prescrivirent de construire des échelles en bois, qu'on appliquerait aux murs pour donner un vigoureux assaut, monter jusqu'au faîte des murailles, et, s'il se pouvait, pénétrer dans la place avec l'aide du Seigneur. Cet ordre ayant été exécuté, le septième jour après, les grands commandent de sonner les trompettes dès l'aurore, et les nôtres donnent de tous côtés l'assaut à la ville avec une admirable impétuosité. L'attaque avait déjà duré jusqu'à la sixième heure du jour; mais les échelles fixées au mur étaient en trop petit nombre pour que nos gens pussent s'introduire dans la place; il fallut donc abandonner l'assaut. On tint alors conseil, et l'on enjoignit aux ouvriers de construire des machines de guerre, à l'aide desquelles on pût approcher des murailles, et atteindre, si Dieu nous secondait, le but de nos efforts. Cela fut fait ainsi. Nous ne manquions ni de pain ni de viande; mais comme ces lieux sont, ainsi qu'on l'a dit plus haut, sans eau et sans rivières, nos hommes et leurs bêtes de somme souffraient beaucoup de la soif: contraints par le besoin, ils allaient donc chercher au loin de l'eau, et l'apportaient péniblement dans des outres, de quatre ou cinq milles jusqu'au camp du siége. Les machines, c'est-à-dire, des béliers et autres engins à battre les murs, étant disposées, tous se préparent pour l'attaque. Dans le nombre de ces machines était une tour faite de bois courts assemblés, faute de matériaux d'une plus grande longueur; pendant la nuit, et conformément à l'ordre donné, les ouvriers la portent secrètement vers le côté de la ville le moins bien fortifié; et comme, dès le matin, ils l'avaient garnie de pierriers et d'autres instrumens de guerre, ils la dressent rapidement et tout d'une pièce non loin du rempart. A peine est-elle élevée, qu'au premier signal du cor, des chevaliers, en petit nombre il est vrai, mais pleins d'audace, y montent, et en font jaillir sur-le-champ des pierres et des dards. De leur côté, les Sarrasins se défendent avec ardeur, allument des torches de bois enduites d'huile et de graisse, de manière à se conserver bien enflammées, et les lancent, avec leurs frondes, contre la tour et les chevaliers qui l'occupent. Ainsi donc la mort, prête à dévorer sa proie, menace à chaque instant beaucoup de ceux qui, de part et d'autre, combattent de si près. De ce côté, en effet, où sont postés le comte Raimond et ses gens, c'est-à-dire, vers le mont Sion, se livre, à l'aide des machines, un violent assaut; du côté opposé sont le duc Godefroi, Robert, comte de Normandie, et Robert comte de Flandre; là, l'attaque contre le rempart est encore plus vive. Voilà ce qui se passa ce-jour-là. Le lendemain, aussitôt que les clairons se font entendre, les nôtres renouvellent les mêmes efforts avec une vigueur plus mâle encore, et frappent si bien la muraille de leurs béliers, qu'ils font brèche dans un endroit. En avant du mur étaient suspendues deux poutres armées de crocs, et fortement retenues par des cordes, que les Sarrasins avaient disposées en toute hâte pour les opposer à l'ennemi qui les attaquait avec tant de violence et les accablait de pierres; mais la sagesse de Dieu fait tourner à leur perte ce qu'ils ont préparé pour leur salut. Aussitôt, en effet, que la tour de bois, dont on a parlé plus haut, s'est approchée des murs, les Francs, à l'aide de fagots en feu, brûlent par le milieu les câbles auxquels sont attachées ces poutres, et se font de celles-ci un pont qu'ils jettent de la tour sur le mur. Déjà s'enflamme une tour en pierre construite sur le rempart, et contre laquelle ceux qui font jouer nos machines ne cessent de lancer des tisons embrasés; bientôt le feu, qu'alimente peu à peu la charpente intérieure de cette tour, éclate de toutes parts, et jette une telle abondance de flamme et de fumée, qu'aucun des citoyens préposés à la garde de ce fort ne peut y rester plus long-temps. Bientôt encore, et le vendredi à l'heure de midi, les Francs pénètrent dans la ville, sonnent leurs trompettes, remplissent tout de tumulte, marchent, avec un courage d'homme, aux cris de Dieu aide, et plantent une de leurs bannières sur le faîte du mur. Les Païens confus perdent complétement leur audace, et se mettent tous à fuir en hâte par les ruelles qui aboutissent aux carrefours de la ville. Mais s'ils fuient rapidement, ils sont poursuivis plus rapidement encore. Le comte Raimond et les siens, qui donnaient l'assaut de l'autre côté de la place, ne surent rien de ce qui se passait qu'au moment où ils virent les Sarrasins sauter, à leurs yeux même, du haut du mur en bas. A ce spectacle, ils accourent au plus vite et pleins de joie dans la ville, se réunissent à leurs compagnons, et, comme eux, poussent vivement et massacrent les infâmes ennemis du nom chrétien. Quelques-uns de ces Sarrasins, tant Arabes qu'Ethiopiens, parviennent, il est vrai, à s'introduire en fuyant dans la forteresse de David; mais beaucoup d'autres sont réduits à s'enfermer dans le temple du Seigneur et dans celui de Salomon. Les nôtres les attaquent dans les cours intérieures de ces temples, avec la plus violente ardeur; nulle part ces infidèles ne trouvent d'issue pour échapper au glaive des Chrétiens; de ceux qui, en fuyant, étaient montés jusque sur le faîte du temple de Salomon, la plupart périssent percés à coups de flèches, et tombent misérablement précipités du haut du toit en bas; environ dix mille Sarrasins sont ainsi massacrés dans ce temple. Qui se fût trouvé là aurait eu les pieds teints jusqu'à la cheville du sang des hommes égorgés. Que dirai-je encore? aucun des infidèles n'eut la vie sauve; on n'épargna ni les femmes ni les petits enfans. Une chose étonnante à voir, c'était comment nos écuyers et nos plus pauvres hommes de pied, ayant découvert l'artifice des Sarrasins pour conserver leurs richesses28, fendaient le ventre de ceux d'entre eux qui déjà étaient tués, pour arracher de leurs entrailles les byzantins d'or qu'ils avaient avalés lorsqu'ils étaient encore vivans. Dans le même but, nos gens, quelques jours après la prise de la ville29, entassèrent tous les cadavres et les brûlèrent, espérant retrouver plus aisément cet argent dans les cendres. Cependant Tancrède, précipitant sa course, était entré de vive force dans le temple du Seigneur; il en enleva, action vraiment criminelle et défendue, une grande quantité d'or et d'argent, et même les pierres précieuses; mais, dans la suite, réparant cette faute, il rétablit toutes ces richesses ou leur valeur dans ce saint lieu. Les nôtres donc, parcourant Jérusalem l'épée nue, ne firent quartier à aucun, même de ceux qui imploraient leur pitié, et le peuple des infidèles tomba sous leurs coups comme tombent, d'une branche qu'on secoue, les fruits pouris du chêne, les glands agités par le vent. Après s'être ainsi rassasiés de carnage, nos gens commencèrent à se répandre dans les maisons, et y prirent tout ce qui leur tomba sous la main. Le premier, quel qu'il fût, pauvre ou riche, qui entrait dans une habitation, s'en emparait, que ce fût une simple chaumière ou un palais, ainsi que de tout ce qui s'y trouvait, et en restait paisible possesseur comme de son bien propre, sans qu'aucun autre le troublât dans cette jouissance et lui fît le moindre tort. La chose avait été ainsi établie entre eux comme une loi qui devait s'observer strictement; et c'est ce qui explique comment beaucoup de gens dans la misère nagèrent tout à coup dans l'opulence. Ensuite, clercs et laïcs, tous ensemble se rendent au tombeau de Notre-Seigneur et à son temple célèbre, élèvent jusqu'au ciel des cris de triomphe, et chantent un cantique nouveau en l'honneur du Très-Haut; tous portent de riches offrandes, prodiguent les plus humbles prières, et visitent, ivres de joie, ces lieux saints, après lesquels ils soupirent depuis si longtemps. O temps si ardemment souhaité! ô temps mémorable entre tous les temps! ô événement préférable à tous les événemens! Ce temps était vraiment le temps desiré dans la sincérité du cœur. Et, en effet, tous les sectateurs de la foi catholique aspiraient, de tous leurs vœux et du fond de leur ame, à voir les lieux où Dieu, le créateur de toutes les créatures, s'est fait homme, est né, est mort, est ressuscité pour apporter au genre humain, multiplié par sa bonté, le don de la rédemption et du salut; à voir ces lieux, dis-je, purgés enfin de la présence empestée des Païens qui les habitaient et les souillaient depuis si long-temps de leurs superstitions, et rétablis dans tout l'éclat de leur ancienne gloire par des hommes croyans et se confiant au Seigneur. Ce temps était le temps réellement mémorable, et digne, à bon droit, de demeurer gravé dans le souvenir des hommes: dans ce lieu, en effet, toutes les choses que notre Seigneur Jésus-Christ a faites et enseignées, pendant qu'homme il demeurait parmi les hommes, sont rappelées et reproduites à la mémoire dans leur plus grande splendeur. Ce grand événement, que ce même Seigneur Jésus-Christ a voulu accomplir par la main de son peuple, son nourrisson, selon moi, le plus cher et le plus intime, et choisi d'avance pour un si grand œuvre, cet événement sera fameux jusqu'à la fin des siècles, et retentira célébré dans les diverses langues de toutes les nations. Pour la quinzième fois, le soleil éclairait de sa lumière et brûlait de ses feux l'ardent juillet; et, en ôtant un du nombre de onze cents, on avait le compte des années écoulées depuis l'Incarnation du Sauveur, quand nous, peuples des Gaules, nous prîmes la ville de Jérusalem. Pour la quinzième fois, juillet resplendissait de la brillante lumière du soleil, lorsque les Francs, par leur valeur puissante, s'emparèrent de la Cité sainte, l'année onze cents moins un, à compter du moment où la Vierge enfanta celui qui règle toutes choses. Cette prise eut lieu en effet le jour des ides de juillet, deux cent quatre-vingt-cinq ans après la mort de Charlemagne, et douze ans depuis celle de Guillaume, premier roi d'Angleterre. Godefroi fut le premier prince de Jérusalem; l'excellence de sa noblesse, sa valeur comme chevalier, sa douceur et sa patience modestes, la pureté de ses mœurs enfin déterminèrent tout le peuple qui composait l'armée de Dieu à l'élire comme chef du royaume de la Cité sainte, pour qu'il eût à le conserver et à le gouverner. Alors aussi on établit des chanoines dans l'église du sépulcre du Seigneur, et dans le temple bâti en son honneur; mais on arrêta de différer à nommer un patriarche jusqu'à ce qu'on eût pris l'avis du pape de Rome, et su qui il desirait qu'on choisît. Cependant les Turcs, les Arabes et les noirs Ethiopiens qui, au nombre d'environ cinq cents, s'étaient, en fuyant, introduits dans la citadelle de David, demandèrent au comte Raimond, logé près de cette tour, qu'il leur permît de sortir la vie sauve, à la condition qu'ils laisseraient tout leur argent dans la citadelle; cette proposition fut acceptée sur-le-champ, et ils partirent de suite pour Ascalon. Il plut, à cette époque, au Seigneur que l'on trouvât dans Jérusalem une petite partie de la croix de Notre-Seigneur; ce trésor, enfoui depuis un temps reculé dans un lieu secret, nous fut alors découvert par un certain Syrien, qui, avec son père, l'avait autrefois caché et conservé. On redonna la forme d'une croix à cette parcelle de la croix du Seigneur; on la recouvrit d'ornemens d'or et d'argent; et ce don que le Très-Haut, dans sa clémence, nous avait réservé depuis si long-temps, tous les nôtres, l'élevant en l'air et chantant des psaumes en l'honneur de Dieu, le portèrent, en se félicitant, au sépulcre du Sauveur, et de là à son temple.
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CAPUT XIX.
Rex autem Babylonis, et dux militiae ejus, nomine Lavendalius, cum audissent quod Franci jam circa sibi subdendo Babylonico regno appropinquassent, congregata multitudine sub edicto de Turcis et Arabibus Aethiopibusque, contra eos ire praeliatum festinaverunt. Et cum iterum per internuntios audissent, Hierusalem tam ferociter jam fuisse captam, indignatus dux ille praedictus Babylonius, festinavit ut vel praelium cum ipsis committeret, vel eosdem in eadem urbe inclusos obsideret. Quod cum Francis nuntiaretur, assumpto magnae audaciae consilio, versus Ascalonem contra tyrannos illos acies suas direxerunt, portantes secum lignum salutiferae crucis jam superius memoratum. Cumque die quodam non longe ab Ascalone circumvagantes Franci praelium exspectarent, invenerunt illic non minimam praedam de bobus et camelis, ovibus et capris. Quam carram cum juxta tentoria sole ruente congregassent, jusserunt sub edicto principes nostri, nunquam in crastino, quo bellum fore putabant, secum minari, ut ab omni sarcina expediti, ad praeliandum essent prompti. Mane autem facto, speculatoribus praemissis paganos accedere didicerunt. Quo scito, mox tribuni et centuriones per alas et cuneos gente sua constituta, praelium agendum prudentissime ordinaverunt, et contra hostes vexillis levatis audaciter processerunt. Videretis praedictam praedam tanquam monitu ducentium a dextera et laevaparte acierum gressum suum recte agere, licet a nemine minaretur, ita ut multi paganorum eam a longe cum militibus nostris euntem spectantes, totum aestimarent exercitum esse Francorum. Illi autem populus innumerus cum ad cuneos nostros appropinquassent, tanquam cervus ramos cornuum praetendens, cuneo suo anteriori facto bifurco, distensione Arabum praecurrentium explicata, machinati sunt accingere postremos, ubi dux Godefridus subsequenter cum agmine denso militum armatorum remigando posteritatem sollicitabat. Caeteri enim proceres alii in prima, alii in secunda acie praeibant. Sed cum ab utraque parte hostes hostibus, quantum jactus est lapidis, vel paulo plus, appropinquassent, illico pedites nostri sagittas in illos distendentes jecerunt. Congruentissime mox secutae sunt sagittas lanceae, dum equites nostri, tanquam jurejurando omnes invicem confirmassent, impetu vehementi irruerunt in eos, et quorum quadrupedes cursu tunc non fuerunt celeres, continuo neci submersi sunt supra sessores, ubi parvae horae spatio multa corpora palluerunt exanimata. Tunc multi eorum mortem metuentes, ascendebant arborum cacumina; qui tamen inibi sagittati, et morti laesi, ad terram infeliciter corruebant, incursu in eos penetrabili facto undique Sarraceni pertimebant. Tentoriis transactis, usque ad Ascalonis moenia qui evaserunt, fugati sunt. Quae civitas septingentis et viginti stadiorum spatiis ab Hierosolyma distat. In prima quidem acie dux eorum Lavendalius, licet antea Francos vilipendisset, non lente fugiens dorsum vertit; quibus tabernaculum suum cum caeteris extensum, et pecunia munitum, invitus reliquit. Quorsum Franci regressi, victoria jocundi, Domino grates dando sunt regregati. Tunc ingressi sunt tabernacula eorum, et invenerunt in eis gazas multas, aurum, argentum, pallia, induvias, lapides pretiosos, qui duodeni sic nominantur: Jaspis, sapphirus, chalcedonius, smaragdus, sardonyx, sardius, chrisolythus, beryllus, topazius, chrisoprassus, hyacinthus, amethystus. Repererunt etiam vasa et utensilia multiformia; galeros auratos, annulos optimos, enses mirabiles, annonam, farinam, caeteraque multa. Ea vero nocte illic hospitati sunt, et pervigiles bene se conservaverunt. Nam die sequenti putabant bellum a Sarracenis reiterari, qui tamen timore valde perterriti nocte ipsa omnes aufugerunt. Quo mane per exploratores comperto, vocibus laudifluis Deum benedixerunt et glorificaverunt, qui tot millia perfidorum raro exercitu Christianorum dissipari permisit. Benedictus ergo Deus, qui non dedit nos in captionem dentibus eorum (Psal. CXXIII, 6) . Beata enim gens, cujus est Dominus Deus ejus (Psal. XXXII, 12) . Nonne minati fuerant ipsi Babylonii, dicentes: « Eamus, et capiamus Hierusalem cum Francis in ea clausis? Quibus omnibus interemptis, eradamus illud sepulcrum tam sibi pretiosum, et lapides ipsius aedificii extra urbem ejectos; nec mentio ulterius umquam inde fiet. » Sed Deo miserante, hoc in nihilum reverso, de pecunia etiam illorum oneraverunt Franci equos eorumdem et camelos. Qui cum tentoria, et tot jacula in campis jacentia, arcusque et sagittas ad urbem sanctam deferre non possent, haec cuncta incendio commiserunt; deinde Hierusalem gaudenter redierunt. CAPUT XX. De reversione principum ad patriam. His gestis, placuit quibusdam in patriam nationis suae reverti. Et cum in Jordane flumine indilate loti fuissent, et palmarum ramos apud Jericho in horto Abrahae dicto collegissent, Robertus Northmannorum comes, Robertus comes Flandriae, Constantinopolim navigio appetierunt, deinde Franciam ad propria remeaverunt. Raymundus vero usque Laodiciam Syriae regressus est, et in Constantinopolim relicta uxore, in Laodicia rediturus. Dux autem Godefridus retento sibi Tancredo, et aliis pluribus, principatum Hierosolymitanum rexit, quem consensu omnium susceperat obtinendum. |
Cependant le roi de Babylone et le chef de sa milice, nommé Lavendal, ayant appris que les Francs, subjuguant tout le pays, approchaient déjà de l'empire de Babylone, rendirent un édit impératif pour rassembler une immense multitude de Turcs, d'Arabes et d'Ethiopiens, et ordonnèrent que toutes ces troupes allassent combattre les Francs. Sur la nouvelle qu'ils recurent ensuite que ceux-ci s'étaient déjà emparés avec une si fière valeur de Jérusalem, le susdit chef de la milice, indigné, partit en toute hâte de Babylone pour en venir aux mains avec les Francs, ou les assiéger dans la Cité sainte, s'ils s'y tenaient renfermés. Dès que les nôtres en furent instruits, prenant une résolution pleine de la plus grande audace, et portant devant eux ce bois de la croix du salut dont on a parlé plus haut, ils marchèrent vers Ascalon, et menèrent leur armée contre ces tyrans, Un certain jour qu'ils parcouraient la campagne non loin d'Ascalon, en attendant le moment de la bataille, ils trouvèrent à faire un immense butin en bœufs, chameaux, brebis et chèvres; à la chute du soleil, ils rassemblèrent cette proie autour de leurs tentes; mais nos chefs défendirent, par un édit rigoureux, de chasser devant soi aucun de ces animaux le lendemain, jour où ils pensaient que se livrerait le combat, afin que les soldats, n'étant pas embarrassés par les bagages, se trouvassent plus dispos et plus libres pour l'action. Au lever du jour, en effet, les éclaireurs envoyés en avant viennent annoncer que les Païens approchent; à cette nouvelle, les tribuns et les centurions disposent leurs troupes en ailes et en coins, les rangent dans le meilleur ordre pour donner bataille, et marchent fièrement contre les Sarrasins, enseignes déployées. On voyait les animaux enlevés par nos gens, et dont il a été parlé ci-dessus, obéir pour ainsi dire à l'ordre des chefs, marcher sur la droite et la gauche de nos lignes, et suivre exactement leur route, quoique personne ne les y forçât. Aussi les Païens, apercevant de loin toutes ces bêtes qui cheminent avec nos soldats, se persuadent que le tout ensemble forme l'armée des Francs: au moment où ces infidèles s'approchent de notre centre, qui présente l'aspect du coin, leur immense multitude, semblable à un cerf qui présente son bois en avant, ouvre son premier rang disposé en forme de coin, le divise en deux branches qui s'étendent dans la direction donnée par les Arabes qui courent en avant, et projettent d'envelopper ainsi nos dernières lignes. Là le duc Godefroi, à la tête d'un épais escadron d'hommes d'armes, poussait devant lui et pressait la marche des soldats placés à la queue de l'armée; quant aux autres chefs, les uns marchaient en avant de la première ligne, les autres précédaient la seconde. Bientôt des deux côtés on s'approche de si près, que l'ennemi n'est plus séparé de son ennemi que par la distance du jet d'une pierre: aussitôt nos gens de pied bandent leurs arcs contre les Turcs, et lancent leurs flèches. Bientôt les lances suivent les flèches avec la rapidité nécessaire; tous nos chevaliers, comme s'ils en avaient fait entre eux le serment, s'élancent avec la plus violente ardeur et à l'envi au milieu des Païens; ceux de ces Infidèles dont les chevaux ne se montrent pas alors prompts à la course sont sur-le-champ précipités dans les ombres de la mort, et en peu d'heures une foule de cadavres pâles et privés de vie couvrent la terre. Dans la crainte du trépas, beaucoup d'ennemis grimpent jusqu'au faîte des arbres; mais atteints là par les traits, et mortellement blessés, ils tombent misérablement jusqu'à terre. Les Sarrasins enfoncés par la charge de nos cavaliers sont écrasés de toutes parts, et ceux qui échappent au carnage fuient abandonnant leurs tentes, et sont poursuivis jusque sous les murs d'Ascalon, ville éloignée de Jérusalem de sept cent vingt stades. Dès le commencement de l'action, Lavendal, le général des Turcs, qui auparavant parlait avec tant de mépris des Francs, s'enfuyant au plus vite, leur tourna le dos, et leur laissa, bien à regret, sa tente dressée au milieu de celles des siens, et remplie d'une immense quantité d'argent. Au retour de la poursuite de l'ennemi, les Francs, joyeux de leur triomphe, se réunissent de nouveau sous leurs bannières, et rendent au Seigneur des actions de grâces. Ensuite ils entrent dans les tentes des Turcs, y recueillent des trésors de toute espèce, en or, argent, manteaux, habits, et pierres précieuses connues sous les douze noms de jaspe, saphir, calcédoine, émeraude, sardoine, pierre de Sardes, chrysolite, béryl, topaze, chrysoprase, jacinthe et améthyste, et y trouvent encore des ustensiles de mille formes diverses, des casques dorés, des anneaux d'un grand prix, des épées admirables, des grains, de la farine et une foule d'autres choses. Nos gens passèrent cette nuit-là sous les tentes de l'ennemi, ayant toutefois soin de se bien garder, dans la persuasion que le jour suivant il faudrait recommencer le combat contre les Sarrasins; mais ceux-ci, frappés de terreur, s'enfuirent tous cette même nuit. Le matin, les nôtres l'apprirent de nos espions; aussitôt ils bénirent Dieu de ce qu'il avait permis qu'une si petite armée de Chrétiens dissipât tant de milliers d'Infidèles, et le glorifièrent en chantant sa louange. «Béni soit le Seigneur, qui ne nous a pas livrés comme une proie à la dent de ces médians! bénie soit aussi la nation dont Dieu est le Seigneur!» Les Babyloniens en effet n'avaient-ils pas menacé les nôtres en disant: «Allons, et prenons Jérusalem avec tous les Francs qui s'y sont renfermés; massacrons-les tous; détruisons de fond en comble ce sépulcre qui leur est si précieux, et dispersons hors de la ville les pierres qui le composent, afin qu'il n'en soit plus même parlé dans la suite.» Mais par la volonté de Dieu ces menaces n'aboutirent à rien; les Francs au contraire chargèrent leurs chevaux et leurs chameaux de tout l'argent des Infidèles, livrèrent, sur place, aux flammes une immense quantité de tentes, de dards répandus dans les champs, d'arcs et de flèches qu'ils ne pouvaient transporter à la Cité sainte, et revinrent pleins de joie, avec un riche butin, vers cette Jérusalem que les Païens se vantaient de ruiner. Quand on eut remporté ces avantages, il plut à quelques uns de retourner dans leur patrie. Après donc s'être plongés, sans plus différer, dans les eaux du Jourdain, et avoir, suivant la coutume des pélerins, cueilli des branches de palmier à Jéricho dans le jardin d'Abraham, Robert, comte de Normandie, et Robert, comte de Flandre, gagnèrent par mer Constantinople, et de là repassèrent en France pour s'établir dans leurs domaines. Quant au comte Raimond, il retourna jusqu'à Laodicée, et alla de là à Constantinople, laissant sa femme dans la première de ces deux villes, où il se proposait de revenir. Le duc Godefroi, retenant près de lui Tancrède et plusieurs autres chevaliers, gouverna le royaume de Jérusalem, qu'il avait reçu du consentement de tous.
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CAPUT XXI. De Boamundo et Balduino, et eorum peregrinatione.
Cum autem audisset domnus Boamundus, qui Antiochiae tunc principabatur, vir prudens et strenuus, et domnus Balduinus praefati Godefridi frater, qui similiter Edessae civitatis, patriaeque affinis trans fluvium Euphratem dominabatur, Hierusalem ab illis qui praeiverant collegis suis captam fuisse, laetissimi effecti Deo laudes exsolverunt inde supplices. Quod si illi, qui festinatione itineris praecesserant eos, bene et utiliter operati fuissent, quamvis eos tardius subsecuturi essent hi duo cum suis, participes tamen ejusdem fore bravii non est dubitandum. Erat enim necesse ut terra et civitates cum tanto labore jam Turcis ablatae solerter custodirentur, ne forte terra incaute derelicta, si cuncti Hierusalem tunc abissent, recursu repentino a Turcis usque Persidam jam repulsis resumeretur. Unde damnum Francis non minimum cunctis contingeret evenisse, tam euntibus quam redeuntibus. Forsitan divina providentia distulit eos, plus in peragendis quam in peractis negotiis judicans eos profuturos. O quoties interim ipse Balduinus in Mesopotamiae finibus praeliis contra Turcos factis fatigatus est! quotque capita eorum caesa illic fuissent, recitari non potest. Saepe contigit illum cum gente sua pauca contra multitudinem eorum magnam praeliari, et, Deo juvante, triumpho laetari. Sed cum per legationes eum Boamundus praemonuisset, ut Hierusalem ambo cum suis iter nondum expletum ituri perficerent, Balduinus illico suas res opportune disponens, se iturum praeparavit. Sed tunc audiens Turcos unum cornu patriae suae ingressione pervadere, incoepto dimisso, cum necdum exercitulum suum congregasset, cum paucis hostes adiit. Qui cum arbitrati essent jam eum iter suum incoepisse, die quadam cum in tabernaculis suis securi essent, viso signo albo, quod bajulabat Balduinus, quantocius pavefacti fugerunt. Quos cum parum cum paucis fugasset, ad id quod prius incoeperat rediit. Et ingressus iter, Antiochia dexterata venit Laodiciam, ubi stipendio viatico empto, et clitellis reformatis, abivimus. Mensis November erat. Cumque Gibellum transissemus, Boamundum in tentoriis suis hospitatum ante oppidum quoddam Valenium nominatum assecuti sumus. Erat cum eo archiepiscopus quidam Pisanus, nomine Daibertus, qui cum quibusdam Tuscanis et Italis Laodiciae portui navigans applicuerat, et ibi nos exspectabant, nobiscum ituri. A ' eratque quidam episcopus de Apulia. Cum domno Balduino erat tertius. Quibus ita amicabiliter glomeratis, aestimati sumus numero esse 25 millia utriusque sexus tam peditum quam equitum. Et cum fines Sarracenorum interiores introissemus, et ab incolis regionis nobis satis infestis nec panem, nec aliquid edulii habere possemus, quia nec erat qui daret, vel qui venderet, stipendio quidem nostro magis magisque consumpto, contigit multos fame anxiari. Equi quoque et jumenta, deficiente annona dolore geminato nimis angebantur: ibant, nec manducabant. Tunc autem erant in ipsis agris cultis, per quos euntes transibamus, messes quaedam, quas vulgus vocat Cannamelles, arundinibus fere similes, a canna et melle nomen compositum. Unde et mel silvestre, ut puto, dicitur, quod de his sapienter conficitur. Has quidem famelici propter mellitum saporem tota die dentibus nostris ruminabamus, parum tamen proficiendo. Utique pro amore Dei haec et alia multa, famem scilicet, et frigora, et pluvias nimias sustinebamus. Plerique etiam equos, asinos camelosque, panis egentes manducabant. Insuper algore nimio, et imbrium affluentia saepissime torquebamur, nec erat tantum solis aestus, quo pannos nostros madefactos exsiccare possemus, cum imbrium continuatio vel per quatuor vel per quinque dies nos vexaret. Vidi tunc plures tabernaculis carentes imbrium algore exstingui. Ego Fulcherius Carnotensis, qui his intereram, vidi quadam die plures utriusque sexus, bestiasque quamplurimas hac pluvia mori algidissima. Longum est recitandum, et audiendi forsan taedium, quia nulla anxietas, nullus dolor defuit populo Dei. Saepe a Sarracenis in via insidiantibus circa meatus arctos plures occidebantur, aut cum raptum irent pro victualibus quaerendis. Videretis milites nobiles, equis quoquomodo amissis, pedites effici. Videretis jumentis deficientibus capras Sarracenis ablatas, vervecesque superpositis sarcinis valde fatigari, et dorsa eorum mole illius sarcinae corrumpi. Bis in hac via, non amplius, panem et annonam commercio carissimo, scilicet a Tripolitanis et Caesariensibus habuimus. Patet ergo quia poterit vix quis magnum aliquod nisi cum magno labore acquirere. Magnum quidem fuit, cum usque Hierusalem pervenissemus. Qua visitata, consummatus est labor diuturnus. Cumque sanctorum Sancta desiderantissima inspiceremus, ingenti gaudio repleti sumus. O quoties ad memoriam reducebamus illam Davidicam prophetiam qua dicit: Adorabimus in loco, ubi steterant pedes ejus! (Psal. CXXXI, 7.) Quod nimirum in nobis tunc impleri vidimus, quamvis aliis multis similiter pertineat: Illuc quidem ascendimus tribus Domini, ad confitendum nomini sancto ejus (Psal. CXXI, 4) . Die illo quo Hierusalem tunc introivimus, sol retrogradus descensu hiemali peracto, recursum resumpsit ascensibilem. Cumque sepulcrum Dominicum, atque templum ejus gloriosum, et caetera loca sancta visitassemus, die quarto Bethlehem adivimus, ut nocte ipsa Dominicae Nativitatis revolutionem celebraturi annuam, praesepio, ubi Jesum Maria venerabilis mater reclinavit, praesentialiter pervigiles in orationibus assisteremus. Quo in noctem cum obsequio condecenti expleto, hora diei tertia, missa quoque tertia celebrata, Hierusalem remeavimus. O quantus tunc erat fetor circa muros civitatis, intus et extra, de cadaveribus Sarracenorum adhuc ibi marcentium, quos urbe capta collegae nostri trucidaverunt, ubicunque eos assecuti fuerant. Cum autem et nos et jumenta nostra quiete necessaria aliquantisper vegetati essemus, et patriarcham in ecclesia sancti sepulcri tam dux quam caeteri optimates praefecissent, scilicet domnum Daibertum superius memoratum, redintegrato stipendio, et jumentis nostris oneratis, regredientes descendimus ad flumen Jordanicum. Tunc placuit quibusdam de exercitu posteriore in Hierusalem remanere, et quibusdam de priore nobiscum remeare. Dux autem, sicut prius, terram Hierosolymitanam strenue rexit:
Idibus in ternis Augusti tunc satis aegris |
Lorsque Boémond, homme courageux et avisé, qui possédait alors le pouvoir dans la cité d'Antioche, et Baudouin, frère du susdit duc Godefroi, qui de même dominait dans la ville d'Edesse et sur tout le pays voisin au delà du fleuve de l'Euphrate, apprirent que Jérusalem était prise par ceux de leurs compagnons qui les avaient devancés dans la route vers cette Cité sainte, pleins de joie ils payèrent au Seigneur un juste et humble tribut de louanges. Ceux qui hâtant leur marche précédèrent Boémond et Baudouin à Jérusalem, firent certainement une bonne et utile entreprise; mais ces deux chefs et leurs gens, quoique ne devant suivre les premiers que plus tard, ont sans doute droit à une grande part dans la gloire du succès. Il était indispensable, en effet, que les terres et les villes enlevées aux Turcs, avec tant de fatigues, fussent soigneusement gardées. Si, les abandonnant imprudemment, les nôtres s'en étaient tous éloignés, on pouvait craindre de les voir quelque jour reprises par les Infidèles, quoique déjà repoussés jusque dans la Perse, et cela au grand détriment de tous les Francs, tant de ceux qui allaient à Jérusalem, que de ceux qui en revenaient. Les premiers comme les derniers ont au contraire beaucoup profité à ce que le pays conquis fût gardé sévèrement; et peut-être même la divine providence a-t-elle différé le départ de Boémond et de Baudouin, parce qu'elle a jugé qu'ils seraient plus utiles à l'armée dans ce qui restait à faire que dans ce qui déjà était fait. Que de pénibles combats, en effet, Baudouin n'a-t-il pas eu à livrer aux Turcs sur les frontières de la Mésopotamie! Dire à combien d'entre ceux-ci son glaive a tranché la tête dans ces contrées, serait impossible. Souvent il lui arriva de se mesurer, n'ayant qu'une poignée des siens, contre une immense multitude de Païens, et de jouir de l'honneur de la victoire, grâces à l'aide du Seigneur. Cependant aussitôt que Boémond lui eut fait savoir par des envoyés qu'il serait bon que tous deux avec leurs hommes se rendissent à Jérusalem, et achevassent ainsi ce qui leur restait à faire de leur pélerinage, Baudouin disposant convenablement et sans délai toutes choses se tint prêt à partir. Toutefois apprenant alors que les Turcs menaçaient d'envahir un coin de son territoire, il suspend l'exécution de son premier projet, et sans se donner le temps de rassembler toute sa petite armée, il marche avec quelques hommes seulement contre les barbares. Ceux-ci, persuadés que déjà il avait commencé à se mettre en route pour Jérusalem, se reposaient un cerlain jour tranquillement sous leurs lentes; mais à peine ont-ils aperçu la bannière blanche que portait Baudouin, qu'ils se mettent à fuir en toute hâte; et lui, après les avoir poursuivis quelque peu avec douze chevaliers seulement, retourne terminer ce qu'il a commencé. Se mettant donc en chemin et laissant sur sa droite Antioche, il arrive à Laodicée, y achète des provisions pour sa route, y fait réparer les bâts de ses bêtes de somme, et en repart sur-le-champ: on était alors dans le mois de novembre; et après avoir passé Gibel, il rejoint Boémond, campé sous ses tentes devant une certaine place forte nommée Valenia. Là, et dans la compagnie de ce dernier, était un archevêque de Pise, appelé Dambert, qui, avec quelques Toscans et Italiens, avait débarqué au port de Laodicée, et nous attendait; un autre évêque de la Pouille se trouvait encore en ce lieu, et Baudouin en avait un troisième avec lui. Tous se réunirent amicalement, leur nombre s'élevant alors à environ vingt-cinq mille, tant hommes d'armes que gens de pied. Lorsqu'ils furent entrés dans l'intérieur du pays des Sarrasins, ils ne purent obtenir des odieux habitans de cette contrée ni pain ni alimens d'aucune espèce; personne ne se présentait pour leur en vendre ou leur en donner; aussi arriva-t-il qu'après avoir consommé de plus en plus tous leurs approvisionnemens, beaucoup d'entre eux furent cruellement tourmentés de la faim. Quant aux chevaux et aux bêtes de somme, faute de nourriture ils soutiraient doublement; car ils marchaient et ne mangeaient pas. Dans les terres en culture se trouvaient alors certaines plantes en maturité, semblables à des roseaux, et qu'on appelle canna mellis (cannes à sucre), nom composé des deux mots canna (canne) et mel (miel). C'est de là, je crois, qu'on qualifie de miel sauvage celui qu'on tire avec adresse de ces plantes. Nous les dévorions d'une dent affamée à cause de leur saveur sucrée; mais elles ne nous étaient qu'une bien faible ressource: la faim, le froid, des torrens de pluie, tous ces maux et beaucoup d'autres, nous avions à les supporter par amour pour Dieu. Grand nombre des nôtres, en effet, manquant de pain, mangeaient les chevaux, les ânes, les chameaux: pour comble de malheur nous étions très fréquemment fort incommodés d'un froid piquant et de pluies abondantes, sans pouvoir seulement nous sécher à la chaleur des rayons du soleil, après avoir été trempés par l'eau, qui pendant quatre ou cinq jours ne cessa de tomber du ciel. J'ai vu beaucoup de nos gens périr de ces averses froides, faute de tentes pour se mettre à l'abri. Oui, moi Foulcher, qui me trouvais dans cette armée, j'ai vu dans un même jour plusieurs individus de l'un et l'autre sexe, et un grand nombre d'animaux, mourir transis par ces pluies. Tous ces détails seraient au surplus trop longs à rapporter et peut-être ennuyeux à lire: les tourmens de tout genre et les fatigues excessives ne manquèrent pas en effet au peuple de Dieu. Souvent les Sarrasins embusqués massacraient nombre des nôtres, soit dans des chemins étroits, soit quand ils s'écartaient pour aller chercher et enlever quelques vivres. On voyait des chevaliers d'une illustre naissance réduits à cheminer comme de simples piétons, après avoir perdu, d'une manière ou d'une autre, tous leurs chevaux; on voyait aussi, faute de bêtes de somme, les chèvres enlevées aux Sarrasins, et les moutons plier, épuisés sous le faix du bagage dont on les chargeait, et qui, par son poids, leur écorchait tout le dos; deux fois seulement, et pas davantage, nous parvînmes pendant cette route à nous procurer, et encore à un prix exorbitant, du pain et du froment des Sarrasins de Tripoli et de Césarée. Tout ceci montre clairement que rarement, ou plutôt jamais, on ne peut acquérir un grand bien sans une grande fatigue. Ce fut certes, en effet, le plus grand des biens pour nous que d'avoir pu arriver jusqu'à Jérusalem; et quand nous l'eûmes visitée, toute notre fatigue fut miraculeusement mise en oubli. A peine aperçûmes-nous ces lieux, les plus saints de tous, après lesquels nous soupirions depuis si long-temps, que nous nous sentîmes pénétrés d'une joie indicible. O combien de fois revint alors à notre mémoire cette prophétie de David: «Nous adorons le Seigneur dans le lieu où il a posé ses pieds.30» Ces paroles, qui s'appliquent sans doute à beaucoup d'autres encore, nous les avons vues accomplies en nous, et véritables tribus du Seigneur, nous sommes montés jusqu'à ce saint lieu, pour confesser le nom du Très-Haut. Le jour même, au surplus, où nous entrâmes dans la Cité sainte, le soleil termina sa course descendante d'hiver, et rebroussant chemin reprit son cours ascendant. Après avoir visité le sépulcre et le temple du Sauveur, ainsi que les autres lieux saints, nous allâmes le quatrième jour à Bethléem, et nous y passâmes à veiller et à prier la nuit même de la nativité du Seigneur, pour mieux célébrer le retour annuel du jour où est né le Christ. Lorsqu'avec l'assistance naturelle des évèques et des clercs nous eûmes employé toute cette nuit à chanter, ainsi qu'il convenait, les louanges du Seigneur31, on célébra la messe, et l'on dit tierce à la troisième heure du jour; puis nous retournâmes à Jérusalem. O quelle odeur fétide s'exhalait encore autour des murs de cette ville, et tant dehors que dedans, des cadavres des Sarrasins massacrés par nos compagnons après la prise de la place, et qu'on laissait pourir sur les lieux mêmes! l'infection était telle qu'il fallait nous boucher les narines et fermer la bouche. Après que nous eûmes, par un repos certes bien nécessaire, refait pendant quelque temps et nous et nos bêtes de somme, établi l'évêque Dambert, dont on a parlé plus haut, comme patriarche dans l'église du Sépulcre du Sauveur, nous renouvelâmes nos approvisionnemens, nous chargeâmes nos bagages, partîmes et visitâmes au retour le fleuve du Jourdain. Alors quelques gens de notre armée, la dernière arrivée, trouvèrent bon de rester à Jérusalem, tandis que d'autres appartenant à l'armée venue la première préférèrent s'en aller avec nous. Au reste, le duc Godefroi continua de gouverner, comme il l'avait fait jusqu'alors, le territoire de la sainte Cité.
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CAPUT XXII. De reversione Boamundi, et comitis Balduini ad propria.
Anno ab Incarnatione Dominica 1100 die anni prima, in Jericho ramis palmarum caesis, ad deferendum, ut mos est, omnes assumpsimus, et secunda die iter remeabile cepimus. Placuit principibus nostris per urbem Tiberiadem juxta mare transire. Quod mare de dulci aqua congregatum duodeviginti millibus passuum, et quinque in latum, vel juxta Josephum 40 stadiis in latitudine, et centum in longitudine. Deinde per Caesaream Philippi, quae Paneas lingua Syriaca dicitur, ad Libani montis radicem sitam, ubi duo fontes emergunt, unde Jordanis fluvius exoritur; qui postea mare Galileae secans, in mare Mortuum se ingerit. Hic autem lacus Genesar dictus, 40 stadiis in longitudine, centumque in latitudine, juxta Josephum. Quod flumen deinde per alveum unum percurrens, ingerit se in mare quod Mortuum dicitur, eo quod nihil gignat vivum. Qui lacus Asphaltites dictus sine fundo esse creditur in abyssum; ibi subversis civitatibus, Sodoma scilicet et Gomorrha. Ego autem callidius de fontibus his conjectabam, imitans beatum Hieronymum, quem legi, in Expositione ejus super Amos prophetam, quod Dan in terminis terrae Judaicae sit, ubi nunc est Paneas, et quia tribus Dan illic aedificavit civitatem, quam nomine patris sui vocaverunt Dan. Hac de causa sentio, fontem illum vocari Dan, et alterum Jor, qui huic adjungitur. Venimus autem ad urbem fortissimam, quam Balac nuncupant, a Salomone conditam, muris eminentibus circumtectam, et Thadomor ab eo appellatam, duorum dierum itinere a Syria distantem, et a maxima Babylonia sex mansionibus procul distantem, ab Euphrate vero dici unius Hanc Graeci Palmyram vocant. Illo in loco fontes et putei nimis abundant. Nam inferiori terra nusquam aqua invenitur. Ubi Turci Damasceni nobis obvii venerunt 400 ferme milites. Et quia didicerant nos esse inermes, et laboris causa valde fessos, arbitrari sunt nos quoquomodo debilitare. Quod si forte postremos die illo domnus Balduinus sollicite et caute non conservaret, multos de nostris occiderent. Inundatione enim pluviarum et arcus et sagittae defecerant eis, quia cum glutine in locis illis adaptantur. Boamundus quippe in primo cuneo praeibat. Itaque Deo auxiliante nihil apud nos lucrati sunt. Tunc castra nostra metati sumus ante oppidum praedictum. Sequenti vero die plus mari appropiantes, ante urbem Tortosam, et Laodiciam transivimus. Ibi quoque Raymundum comitem reperimus, quem illic reliqueramus. Et quia cara erat annona, nihil ibi ad emendum invenimus, unde vivere possemus. Quapropter usque Edessam properare non cessavimus. CAPUT XXIII. De captione Boamundi.
Boamundus igitur Antiochiam primitus advenit, ubi a suis gaudenter est susceptus. Deinceps regnum suum per sex menses ut prius obtinuit. Sed cum Julio mense sequente urbem Meletiam vocatam cum pauca gente appeteret, quam ei qui urbis ejusdem patronus erat, Gabriel nomine, redditurus erat, jam per legationes amicitiae mutuae conventione facta, obvius illi fuit admiraldus quidam nomine Danisman, cum gente Turcorum magna, moliens Boamundum sic imprudenter ambulantem intercipere. Et non longe ab urbe praefata insiluerunt in eum undique gens illa nefaria, quae in insidiis latitabat. Et non audentes nostri praeliari, quia pauci erant, statim fugientes in dispersionem fugati sunt; de quibus Turci multos occiderunt, et pecuniam eorum totam habuerunt. Boamundum vero comprehensum in captionem secum adduxerunt. Cumque hoc infortunium ab illis qui evaserant divulgaretur, orta est genti nostrae grandis inde desolatio. Verumtamen dux urbis Edessae Balduinus, congregatis Francis quotcunque potuit, Edessenis scilicet et Antiochenis, hostes praedictos ubi eos esse audivit quaerere non distulit. Boamundus etiam, cincinno capitis sui abscisso, mandavit hoc intersigno Balduino praedicto, ut ei citato auxilio pro amore Dei succurreret. Quod cum audisset Danisman, metuens horum animositatem, non est ausus ulterius ante urbem Meletinam morari, quam obsidione cinxerat; sed paulatim ante nos fugiendo, ad propria sua remeare curavit. Unde multum doluimus, cum per tres dies illos ultra urbem praedictam persecuti sumus, qui libentissime contra eos dimicassemus. Cumque sic regrederemur, praedictus Gabriel urbem Meletinam Balduino reddidit. Quibus amicis effectis, et custodibus suis intromissis, Edessam urbem Balduinus rediit, et Antiocheni moesti de domino suo ad propria regressi sunt.
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Le premier jour de l'année 1100 depuis l'Incarnation du Seigneur, nous coupâmes des branches de palmier dans Jéricho, et les arrangeâmes soigneusement pour les emporter avec nous. Le second jour de cette même année commença notre retour. Il plut alors à nos chefs de passer par la ville de Tibériade, près la mer de Galilée y qui, formée par la réunion des eaux douces sur un même point, a dix-huit mille pas de longueur et cinq mille de largeur. Nous traversâmes ensuite Césarée de Philippe, nommée Paneas en langue syriaque, et située au pied du mont Liban. Là jaillissent deux sources qui donnent naissance au fleuve du Jourdain, lequel coupe en deux la mer de Galilée, et va ensuite se jeter dans la mer Morte. Ce lac appelé Gennesar se déploie sur une étendue de quarante stades en largeur et cent en longueur, selon Josephe. Nous arrivâmes ensuite au château qu'on nomme Balbec, bâti dans une forte position; en cet endroit, des Turcs de Damas, au nombre d'environ trois cents hommes d'armes, vinrent à notre rencontre; comme on leur avait dit que nous étions sans armes et épuisés par la fatigue d'une longue route, ils espéraient pouvoir nous nuire de manière ou d'autre. De fait, si par hasard ce jour-là le seigneur Baudouin n'eût pas veillé avec sollicitude à la garde de nos derniers rangs, ces mécréans auraient certainement tué beaucoup de nos gens; ceux-ci, en effet, se trouvaient sans aucun moyen de se défendre, faute d'arcs et de flèches, qui, fabriqués à l'aide de la colle, avaient été détruits par les pluies. Quant à Boémond, il marchait en tête de la première ligne de notre armée. Mais ces Infidèles, Dieu aidant, n'obtinrent sur nous aucun avantage, et nous campâmes devant le château fort dont j'ai parlé ci-dessus. Le lendemain nous reprîmes notre chemin, et nous passâmes sous les murs de Tortose et de Laodicée. Là, c'est-à-dire à Laodicée, nous trouvâmes le comte Raimond, que nous regrettions tant de n'avoir pas eu avec nous lorsque nous allions à Jérusalem. Cette ville, au surplus, n'avait que peu de vivres; nous ne pûmes acheter aucun approvisionnement pour la route, et nous fûmes forcés de gagner en toute hâte la cité d'Edesse sans nous arrêter. Avant que nous y fussions, Boémond arriva à Antioche, où les siens le reçurent avec grande joie. Il en occupa le trône pendant six mois encore; mais dans le mois de juillet suivant, comme il se rendait avec une suite fort peu nombreuse à une ville nommée Mélitène, qu'avait promis de lui remettre un certain Arménien nommé Gabriel, qui en était le chef, et avec lequel il avait conclu, par députés, un traité d'amitié réciproque, un émir, appelé Danisman, vint à sa rencontre avec une immense multitude de Turcs. Celui-ci avait formé le projet d'intercepter tout passage à Boémond: au moment donc où ce dernier marchait si imprudemment, la gent scélérate des Infidèles, s'élançant de toutes parts, et non loin de la susdite ville, hors des embuscades où elle se tenait cachée, fondit tout à coup sur les Francs et les habitans de la Pouille; les nôtres, qui n'avaient pas cru aller à un combat, et étaient en petit nombre, furent bien vite mis en fuite et dispersés. Les Turcs en tuèrent cependant beaucoup, qu'ils dépouillèrent de tout leur argent. Pour Boémond, ils le prirent et l'emmenèrent en captivité. Ceux qui échappèrent répandirent promptement au loin la nouvelle de ce malheur; et la désolation fut grande parmi les nôtres. Alors Baudouin, duc de la ville d'Edesse, rassembla tout ce qu'il put de Francs ainsi que d'hommes d'Edesse et d'Antioche, et ne perdit pas un instant à aller chercher les ennemis dans le lieu où il apprenait qu'il les trouverait. Déjà Boémond, ayant coupé une boucle des cheveux de sa tête32, avait envoyé à Baudouin ce signe convenu d'avance entre eux pour lui inspirer confiance dans son messager, et chargé celui-ci d'engager le prince d'Edesse à venir promptement à son secours; mais Danisman, instruit de cette démarche, et redoutant la valeur éprouvée de Baudouin, ainsi que la vengeance des Francs, n'osa demeurer plus long-temps sous les murs de Mélitène dont il avait formé le siége, se retira lentement devant nous, et retourna dans son propre pays. Vivement affligés de sa retraite, et brûlant du desir de le combattre, nous le poursuivîmes par delà cette cité pendant trois jours entiers; comme nous revenions sans avoir pu l'atteindre33 le susdit Gabriel remit sa ville entre les mains de Baudouin, qui contracta amitié avec lui, et rentra dans Edesse.
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CAPUT XXIV. De morte regis Godefridi. Cum autem ipse Balduinus frueretur sua prosperitate, ecce nuntius veniens ab Hierosolymis, intulit ei quia dux Godefridus germanus ejus XV Kal. Augusti diem clauserat apud Hierosolymam.
Ad caput hoc anni post captam contigit urbem. INCIPIT LIBER SECUNDUS DE GESTIS BALDUINI PRIMI CAPUT PRIMUM. Qualiter Balduinus ad regendam Hierosolymam perrexit. Cum igitur intimatum esset domno Balduino quod omnis populus Hierosolymitanus eum in regni principem substituendum haeredem exspectarent, dolens aliquantulum de fratris morte, sed plus gaudens de haereditate, accepto consilio, terram suam, quam possidebat, locavit, cuidam Balduino comiti cognato suo eam committens. Et colligens exercitulum suum ducentis fere militibus, et septingentis peditibus, iter Hierosolymitanum VI Non. Octobris incoepit. Nonnulli mirabantur, quod cum gente tam pauca erat ausus per tot hostium regiones incedere. Nam plerique propterea pavidi et timidi de collegio nostro latenter recesserunt, nobis nescientibus. Cum autem comperissent Turci atque Sarraceni nos ita iter agere, congregatis omnibus suis quotcunque potuerunt, ubi magis nobis officere arbitrati sunt, obviam armati venerunt. Tum quidem per Antiochiam ivimus, dehinc ante Laodiciam, et Gibellum, Maracleam, et Tortosam, Archas, et Tripolim perreximus. Tunc rex Tripolitanus legavit domno Balduino ad tentorium suum panes, vinum, mel sylvestre, id est chuerum, vervecesque ad edendum. Et mandando innotuit illi quod Duchat rex Damascenorum, et Ginahadoles rex Calypti cum Turcis multis et Sarracenis, Arabibusque, in via, per quam nos ituros sciebant, congregati exspectabant. Quod licet non omnino certum esse crederemus, postmodum verum esse persensimus. CAPUT II. De insidiis Turcorum in via praetensis, et mirabili probitate Balduini comitis. Erat quippe non longe a Beritho urbe, sed quasi milliariis quinque distans juxta mare in via publica meatus arctissimus, nobis et omnibus illac transeuntibus penitus inevitabilis; quem si hostes praemuniti viantibus prohibere voluerint, nullatenus centum millia militum transire potuerunt, quin centum aut sexaginta viri armati introitum illum violenter contra illos obtineant exspectantes. Ideo inimici nostri illic undique intercipere et occidere nos arbitrabantur. Nos autem illuc usque pervenimus. Cumque praecursores nostri praedicto meatui appropinquassent, viderunt aliquantos de Turcis illis segregatos ab aliis, contra procedentes, et non explorantes. Quos cum speculatores nostri perspexissent, rati sunt majorem gentem post illos insidiando latere. Quod sicut viderant domno Balduino per unum eorum statim innotuerunt. Quo audito, militiam suam per acies divisam competenter tunc ordinavit ad praeliandum. Et signis levatis, paulatim adversus eos progressi sumus. Qui cum bellum mox fore putaremus, cordibus compuncti puris, auxilium de coelo affore precabamur ad eos accedentes. Continuo autem primo cuneo nostro congressi sunt illi, de quibus aliquanti confestim occisi sunt; de nostris vero quatuor milites vitam amiserunt. Cumque certamen illud utrinque dimisissent, sumpto consilio jussum est castra nostra deponi, et ad hospitandum extendi ubi prius accesseramus; hostibus ne videremur quasi timidi, si locum ceu refugi relinqueremus. Sed aliud monstravimus, aliud vero cogitavimus. Audaciam finximus, sed mortem metuimus. Difficile remeare, sed difficilius ante ire. A nostris hostibus undique obsidebamur. Hinc isti marinis lintribus, hinc illi a celsis montibus indesinenter nos urgebant. Die illo nihil boni, nihil quieti habuimus, nec jumenta nostra, quamvis sitibunda, adaquata sunt. Ego quidem vel Carnoti, vel Aurelianis mallem esse, alii quoque. Nocte ipsa tota extra papiliones nostros pervigiles languimus. Diluculo autem summo dum aurora terris umbras dimovere coepisset, sumpto ad invicem consilio, vel viveremus, vel moreremur; tentoriis collectis regredi per viam quam iveramus elegimus, jumentis nostris de rebus onustis praeeuntibus, clientibusque minantibus. Milites enim subsequentes defendebant haec a Sarracenis irruentibus. Nam cum illi nefandi viderent nos ita summo mane reverti, confestim descenderunt ad persequendum nos tanquam fugitivos. Alii per mare cum carinis, alii vero post nos per viam qua ibamus, alii per montes et colles tam equites quam pedites per angiportum sicut oves ad ovile ante se nos minabant, ut exclusos a planitie quadam, quae ibi est in exitu angustissimo inter salum et montem, ad interimendum nos facile interciperent. Sed non sicut rebantur contigit. Viri enim nostri statuerunt inter se, dicentes: « Si in planitie illa patula nos persequentes poterimus intercipere illos, forsitan Deo juvante contra illos revertentes, et bene pugnantes, eruemur ab illis. » Jamjam autem e navibus exsiliebant, jam vi captos prope mare pergentes decollabant; jamque in planitiem praedictam post nos descenderant, et sagittas multas jaciebant. Undique adversum nos vociferantes, et tanquam canes vel lupi ululantes, et enses suos vibrantes, conviciabantur nobis. Sed quid narrabo? Nec erat uspiam locus fugae, nec remanentibus spes salutis. Nec saperet Salomon, nec posset vincere Samson. Sed magnae Deus potentiae atque clementiae prospiciens de coelo in terram, humilitatem nostram atque angustiam, nec non periculum, quod incideramus propter amorem ejus atque servitium, motus pietate, qua rite semper praesens suis subvenit, tantae probitatis audaciam militibus nostris praestitit ut recursu repentino fugarent eos fugientes, ut nunquam animum defendendi se haberent. Sed alii de rupibus praeruptis celsis in praeceps se dederunt, alii vero haud lente ad locum salvationis fugerunt, alii autem consecuti gladiis interempti sunt. Tunc videritis naves eorum celerrime propter timorem fugere per mare, quasi possemus eas manibus capere. Per montes enim et colles cito pede fugiebant. Itaque de tanto trophaeo gloriantes, ad clientelam, quae interim quadrupedia onerata in via custodiebat, laetabundi regressi sumus. Laudes igitur Deo tunc gratissimas exsolvimus, qui in tanta et inaestimabili necessitate adjutor exstitit magnificus. O quam admirabilia Dei facta! o quam magnum miraculum et memoriae digniter commendandum! Victi eramus et victi vicimus; sed nos non vicimus. Quomodo igitur non vicimus? Vicit enim ille qui solus omnipotens est Creator omnium, creaturae suae pie subveniens. Quod si Deus pro nobis, quis contra nos? Vere pro nobis et nobiscum fuit, complens in nobis quod Israeliticis per prophetam dixit: Si praecepta mea servaveritis hoc dono vos ditabo, ut persequantur quinque de vobis centum alienos, et centum ex vobis decem millia (Lev. XVI, 8) . Et quia in Dei servitio laborem multimodum die ac nocte tolerabamus, et in nullo alio confidebamus, superbiam eorum magnifice cassavit. Et quia devote et in tribulato corde Domino famulabamur, humilitatem nostram respexit. Tunc autem tabernacula nostra displicari et extendi jussa sunt. Ubi ante domnum Balduinum plures Turci locupletes vivi capti abducti sunt, cum spoliis occisorum, et armis similiter allatis. Equos cum sellis et lupatis auratis habuimus. Nocte autem illa sequenti transacta, mane, prout astutius consultum est, retro secessimus quatuor millium itinere. Ubi cum rapinam praefatam princeps noster divisisset, nocte superveniente in castello quodam depopulato sub olivis in virgultis quievimus. Summo autem mane Balduinus item probitatem suam solitam amplectens, sumptis de militibus suis aliquantis usque ad angustias meatus jam dicti equitavit, scrutaturus si adhuc inibi Sarraceni essent, qui nobis viam ante vetuerant. Qui cum nullum invenisset, quoniam, audita dispersione facta, omnes aufugerant, laudes dedit Deo, et statim in cacumine ejusdem montis ascendi pro signo ignem fecit, ut qui in castris nostris remanseramus, viso fumo illo promptius illos sequeremur qui sic praeiverant. Quo viso, Deum laudantes, celeriter secuti sumus eos, et viam nostram invenimus liberam, et desideratum transivimus iter. Die quidem illo prope urbem Beritum hospitati sumus. Quo comperto, admiraldus ejusdem urbis plus causa timoris quam amoris victuale diurnum scafarum gestu domno Balduino misit. Similiter de civitatibus aliis, ante quas transivimus, fecerunt, scilicet Sidonem, et Tyrum, atque Achon, hoc est Ptolemaidam, fingentes amicitiam, sed cor habentes nequam. Jam possidebat oppidum Caypham dictum Tancredus, quod ipso anno jam viri Hierosolymitae comprehenderant. Et quia Tancredus Balduino tunc malevolus erat, non illud introivimus. Ipse vero tunc ibi non erat, sed cives ejus panem et vinum nobis extra vendiderunt. Illi enim nos tanquam fratres habuerunt, et videre nos desideraverunt. Transeuntes autem Caesaream, et Arsuth castrum, quod nos tunc ignari Azotum esse putabamus (sed non est. Quoniam Azotus una fuit de quinque civitatibus Philistinorum, quae inter Joppem et Ascalonem in viculum redacta est), et Antipatrida transita, tandem venimus Joppem civitatem, quae est in tribu Dan, maritimam. Ubi Franci nostri domnum Balduinum ut regem jam suum gaudenter susceperunt. Et non mora ibi facta, Hierusalem properavimus. Cumque ad urbem appropinquassemus, exierunt ei obviam tam clerici quam laici omnes; Graeci quoque ac Syri, cum crucibus ac cereis. Qui cum ingenti gaudio et honorificentia vocibus altisonis laudes agendo, usque in ecclesia Dominici sepulcri eum deduxerunt. Huic celebritati patriarcha Daibertus non interfuit, quia de quibusdam apud Balduinum erat insimulatus, et discordes ad invicem habebantur. Quem etiam major cleri pars exosum tunc habebat. Quapropter in monte Sion sede privatus tunc morabatur, et fuit ibi donec delictum ei malevolentiae solutum est. |
Au moment où Baudouin jouissait ainsi des faveurs de la prospérité, arrive un messager qui lui annonce que son frère Godefroi a terminé ses jours à Jérusalem le 17 juillet, la seconde année depuis la prise de la Cité sainte, et que tout le peuple de cette ville l'attend pour le mettre à la tête du royaume comme successeur et héritier de son frère mort. Dès qu'il a reçu cette nouvelle, un peu triste de la perte de son frère, mais bien plus joyeux de l'héritage qu'il va recueillir, il prend conseil de ses amis, confie et afferme la terre qu'il possède à un certain Baudouin son parent, rassemble sa petite armée composée d'environ sept cents hommes d'armes et autant de fantassins, et se met en route pour Jérusalem le deuxième jour d'octobre. Quelques uns s'étonnaient qu'avec un corps si peu nombreux il osât parcourir tant de régions remplies d'ennemis; aussi plusieurs, tremblans et effrayés, quittèrent-ils notre armée secrètement, et sans que nous en sussions rien. Les Turcs et les Sarrasins, ayant appris que nous marchions en si petite troupe, se réunirent tous en aussi grand nombre qu'ils purent, et vinrent en armes pour nous couper la route à l'endroit ou ils espéraient nous attaquer avec plus d'avantage. Nous traversâmes Antioche, et continuâmes notre chemin en passant devant Laodicée, Gibel, Méraclée, Tortose, le fort d'Archas et la cité de Tripoli. Lorsque Baudouin fut établi sous sa tente, le roi de cette dernière ville lui envoya du pain, du vin, du miel sauvage, des moutons, et lui fit connaître, par un message écrit, que Ducac, roi de ceux de Damas, et un certain émir le Ginahaldole, prince d'Alep, nous attendaient avec des Turcs, des Sarrasins et des Arabes, sur la route par laquelle ils savaient que nous devions passer, et se disposaient à tomber sur nous. Nous n'ajoutâmes d'abord aucune foi à cette nouvelle, mais nous en reconnûmes ensuite l'exactitude.
Non loin de la ville de Béryte, et à environ cinq milles de distance, était en effet un chemin qui côtoyait la mer, inévitable pour nous comme pour tous ceux qui allaient de ce côté, et beaucoup trop resserré pour le passage d'une armée. Si des ennemis s'étaient fortifiés à l'avance dans ce défilé, cent mille hommes d'armes n'auraient pu le traverser en aucune manière, à moins d'en avoir fait occuper l'étroite entrée par cent ou soixante-dix soldats bien armés. C'est là que les Infidèles se flattaient de nous arrêter, et de nous égorger tous. Lorsque en effet les coureurs qui nous précédaient approchèrent dudit passage, ils aperçurent plusieurs de ces Turcs séparés de leurs compagnons, qui s'avançaient contre nous, et attendaient notre arrivée. A cette vue, nos éclaireurs, persuadés que derrière ces Païens se cachaient des troupes beaucoup plus nombreuses, envoient un courrier instruire le seigneur Baudouin de ce qu'ils ont découvert. A cette nouvelle, celui-ci range aussitôt en bataille, suivant les règles de l'art, son armée divisée en plusieurs lignes, et nous avançons contre l'ennemi, bannières déployées, mais à pas lents. Reconnaissant que le combat ne tarderait pas à s'engager, tout en marchant à l'ennemi, nous sollicitions pieusement, avec la componction de cœurs purs, le secours du Très-Haut. L'avant-garde des Infidèles en vient promptement aux mains avec notre première ligne; plusieurs des leurs sont tués dans cette escarmouche, et quatre des nôtres y perdent également la vie. Les deux partis ayant bientôt cessé ce combat, on tient conseil, et l'on ordonne de placer notre camp dans un endroit plus rapproché de l'ennemi, de peur que celui-ci ne nous croie frappés de terreur, ou prêts à fuir, si nous abandonnons la place. Nous affichions une chose, mais en pensions une autre; nous feignions l'audace, mais nous redoutions la mort. Retourner sur nos pas était difficile; aller en avant était plus difficile encore: de toutes parts l'ennemi nous tenait assiégés; d'un côté, ceux-là du haut de leurs vaisseaux; de l'autre, ceux-ci du sommet des montagnes nous pressaient sans relâche. Ce jour-là, nos hommes et nos bêtes de somme ne goûtèrent ni nourriture ni repos. Quant à moi, j'aurais mieux aimé être à Chartres ou à Orléans que dans ce lieu. Toute cette nuit nous la passâmes donc ainsi hors de nos tentes, accablés de tristesse et sans fermer l'œil. Au petit point du jour, et quand l'aurore commençait à chasser les ténèbres de dessus la terre, on tint de nouveau conseil pour décider si nous tâcherions de vivre encore, ou s'il nous fallait mourir: on s'arrêta au parti de lever les tentes et de rebrousser chemin, en faisant marcher devant les bêtes de somme chargées de nos bagages et chassées par les valets de l'armée; les hommes d'armes suivent, et les défendent avec vigilance contre les attaques des Sarrasins. Dès le grand matin, en effet, ces Infidèles, nous voyant retourner en arrière, descendent en toute hâte pour nous poursuivre comme des fugitifs: les uns nous attaquent de dessus la mer à l'aide de leurs vaisseaux; les autres nous talonnent en arrière par le chemin que nous suivons; d'autres encore, tant cavaliers qu'hommes de pied, nous poussent devant eux à travers les montagnes et les collines comme des moutons qu'on ramène dans la bergerie: ce qu'ils veulent, c'est, quand nous aurons traversé une petite plaine qui se trouve là, nous arrêter à la sortie qui se rétrécit extrêmement entre la montagne et la mer, et nous massacrer sans peine. Mais il n'en arriva pas comme ils l'espéraient. Nos chefs en effet avaient concerté leur plan, en disant: «Si nous parvenons à contenir dans cette plaine ouverte ces gens qui nous poursuivent, peut-être nous retournant contre eux et combattant avec courage, réussirons-nous, Dieu aidant, à nous arracher de leurs mains.» Déjà les Païens s'élancent hors de leurs vaisseaux, et, quittant leurs embuscades, coupent la tête à ceux des nôtres qui marchaient imprudemment trop près du rivage de la mer; déjà ils descendent sur nos derrières, dans la plaine dont il vient d'être parlé; déjà ils lancent contre nous une grêle de flèches, et criant après nous comme des chiens qui aboient ou des loups qui hurlent, nous accablent d'injures. Que dirai-je de plus? Nulle part ne s'offre un lieu où nous puissions trouver un asile; aucune voie ne nous est ouverte pour échapper à la mort; aucune issue ne nous permet de fuir; aucun espoir de salut ne nous reste si nous demeurons où nous sommes. Salomon ne saurait quel parti prendre et Samson ne pourrait vaincre. Mais le Dieu de toute clémence et de toute puissance, daignant jeter un regard du haut du ciel sur la terre, et voyant notre humilité, notre détresse et le péril où nous sommes ainsi tombés pour son service et par amour pour lui, se sent touché de cette pitié avec laquelle il secourt si justement les siens au moment du danger. Tout à coup il donne, dans sa miséricorde, à nos hommes d'armes une telle audace de courage, que faisant subitement volte-face, ils mettent en fuite, par un chemin qui se partage en trois branches, ceux qui les poursuivaient naguère, et ne leur laissent pas même reprendre l'envie de se défendre. D'entre ces Barbares, les uns se précipitent du haut des roches escarpées; les autres courent en toute hâte vers les lieux qui leur présentent quelques chances de salut; d'autres enfin sont atteints, et périssent par le tranchant du glaive. Vous auriez vu leurs vaisseaux nous fuir avec célérité à travers les ondes, comme si nous eussions pu les saisir de nos mains; et eux-mêmes dans leur effroi gravir, d'un pas rapide, les montagnes et les collines. Les nôtres, glorieux d'un si grand triomphe, reviennent alors, pleins de joie, rejoindre les valets qui, pendant, l'action, avaient soigneusement gardé dans le chemin les quadrupèdes chargés de nos bagages, et tous nous payons un juste tribut de louanges et de reconnaissance à ce Dieu qui s'est montré pour nous un si puissant auxiliaire, au milieu de la cruelle nécessité sous laquelle nous succombions. O combien furent alors admirables les actes de Dieu! Que ce miracle fut grand et digne de rester gravé dans la mémoire! nous étions vaincus, et de vaincus nous devînmes vainqueurs. Ce n'est pas nous qui avons vaincu; mais comment n'aurions-nous pas vaincu? Celui qui a vaincu, c'est celui qui seul est tout-puissant. «Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous34?» et vraiment il fut alors pour nous et avec nous, accomplissant en nous ce que le prophète a dit aux Israélites: «Si vous marchez selon mes préceptes, si vous gardez et pratiquez mes commandemens, je vous ferai ce don: cinq d'entre vous en poursuivront cent, et cent d'entre vous en poursuivront dix mille35.» Parce que nous supportions, jour et nuit, des fatigues de tout genre pour le service du Seigneur, il a dans sa justice brisé l'orgueil de ces perfides. Parce que nous servions le Seigneur avec dévouement, et d'une ame accablée de tribulations, il a regardé en pitié notre humble faiblesse. On ordonna enfin de déployer les tentes et de réunir les dépouilles ainsi que les armes des morts. Ceux qui avaient pris des chevaux avec des selles et des mors dorés les amenèrent également. Dès que cette nuit-là fut passée, et de grand matin, conformément à ce qui fut sagement arrêté, nous retournâmes en arrière jusqu'à un certain château qui avait été ravagé; là on fit, avec équité, le partage entre les hommes d'armes, des chevaux et des autres choses prises sur les Turcs; puis, quand la nuit vint, nous nous reposâmes sous des oliviers et des arbrisseaux. Le lendemain au point du jour, Baudouin avec sa valeur accoutumée se fait suivre d'autant de ses hommes d'armes qu'il juge à propos, s'élance sur son coursier et s'avance rapidement jusqu'à cet étroit chemin, où nous avons été si odieusement maltraités; il veut s'assurer si les Sarrasins l'occupent encore. Arrivé à ce défilé, il n'y trouve aucun des Infidèles; tous, dispersés par nos armes, avaient fui désolés: il loue Dieu, et ordonne d'allumer sur-le-champ des feux, pour signal, sur le somme de la montagne, afin qu'à la vue de la fumée, ceux d'entre nous qui étaient demeurés dans le camp suivissent sans délai ceux qui avaient pris les devans. Dès que le feu fut allumé nous l'aperçûmes, et louâmes le Seigneur; puis suivant nos éclaireurs vers le point qu'indiquait le signal36, nous trouvâmes, grâces à Dieu, le chemin libre et ouvert, et suivîmes la route après laquelle nous soupirions. Ce même jour-là nous campâmes près de la ville de Béryte; l'émir de cette cité l'ayant appris, envoya sur des chaloupes à Baudouin, mais plus par crainte que par amour, des approvisionnemens pour plusieurs jours de route. Ceux qui habitaient les autres villes, devant lesquelles nous passions, telles que Sidon, Tyr et Accon ou Ptolémaïs, en firent de même; et tous, quoique ayant le cœur plein de malice, affectaient les dehors de l'amitié. Tancrède possédait alors le château de Cayphe, que l'on avait emporté de vive force l'année même de la prise de Jérusalem; mais, comme à cette époque Tancrède était mal disposé envers Baudouin, nous n'y entrâmes pas. Tancrède cependant n'y était pas dans ce moment; aussi les siens qui nous tenaient pour des frères et desiraient fort nous voir, nous vendirent du pain et du vin. Nous dépassâmes ensuite Césarée de Palestine et le fort d'Arzuth, que les ignorans croyaient être Azoth, l'une des cinq villes des Philistins, située entre Joppé et Ascalon, et réduite aujourd'hui à l'état d'un misérable bourg en ruines. Nous parvînmes enfin à Joppé, où nos Francs reçurent joyeusement le seigneur Baudouin comme leur roi. De là, sans nous arrêter, nous marchâmes en grande hâte vers Jérusalem. Comme nous approchions de la Cité sainte, tous, tant clercs que laïques, vinrent au devant de Baudouin; les Grecs et les Syriens accoururent aussi portant des croix et des cierges; tous louant à haute voix le Seigneur, accueillirent avec beaucoup d'honneur et de solennité leur nouveau roi et le conduisirent jusqu'à l'église du sépulcre du Sauveur. A cette entrée pompeuse ne se trouva point le patriarche Daimbert: certains individus l'avaient accusé auprès de Baudouin, auquel il en voulait; et de plus il s'était rendu odieux à la majeure partie du peuple. Aussi, dépouillé de son siége, il vivait alors sur le mont Sion, et y demeura jusqu'au moment où sa criminelle malveillance lui fut pardonnée.
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Sed cum per sex dies quiete opportuna in Hierusalem labore alleviati essemus, et rex de negotiis suis aliquantis expediretur, iter resumptum in expeditionem ituri renovavimus. Opus enim est omnibus inimicos habentibus (quod secundum hominem dico) ut frequentissime illos enixe coerceant, quatenus certaminis taedio vel vi superent, vel ad pacis pactiones pertrahant. CAPUT III. De expeditione Balduini in Arabiam. Igitur domnus Balduinus, gente sua regregata, profectus est Ascalonem, transiens per Azotum: quae civitas est inter Joppem et Ascalonem, una de quinque civitatibus Allophylorum. Accaron autem de dextera assistentem babuimus prope Pamniam, quae super mare sita est. Ante Ascalonem autem cum venissemus, qui foras contra nos exierant usque ad moenia vehementer impulsi sunt. Et quia non fuit nobis utile majus incipere, ad tentoria nostra jam extensa hospitaturi redivimus. Sequenti vero die regionem adivimus interiorem, ubi victum nobis et jumentis nostris in locis opulentis inveniremus, et terram inimicorum nostrorum etiam vastaremus. Euntes ergo invenimus villas, ubi Sarraceni incolae regionis illius in cavernis propter nos se occultaverant cum bestiis et rebus suis. De quibus cum nullum extrahere possemus, accenso igni ad cavernae orificium, mox propter fumum et calorem intolerabilem alius post alium foras ad nos exierunt. Erant quidam ex eis latrunculi, qui rite inter Ramulam et Hierusalem insidiantes, Christianos nostros occidere solebant. Quod cum a Syris quibusdam Christianis, qui cum illis in abditis latitabant, nobis intimatum fuisset, hujusmodi esse illos malefactores, mox cum de caverna exibant decollabantur. Syris autem et eorum conjugibus pepercimus. De Sarracenis quippe centum ferme occidimus. Et cum cuncta illic jumenta, tam annonam quam bestias comedendo, consumpsissemus, et nihil nobis utile invenire amplius possemus, inito consilio cum quibusdam patriae alumnis, prius Sarracenis, sed nuper Christianis, qui loca culta et inculta longe lateque sciebant, in Arabiam secedere dispositum est. Et transeuntes montana, prope patriarcharum sepulturas, videlicet Abrahae, Isaac, et Jacob, Sarae quoque et Rebeccae, ubi corpora eorum gloriose sepulta sunt, ab urbe Hierosolyma quasi milliariis quatuordecim distantia, venimus in vallem, ubi scelestae civitates Sodoma et Gomorrha Dei judicio subversae sunt. CAPUT IV. De mortuo Mari. Ibi quidem lacus nunc est magnus, quem mare Mortuum vocant, eo quod nihil gignat. Longitudo quoque ejus quingentorum et octoginta stadiorum in meridianam partem extenta, latitudine vero CL patet. Qui adeo salsus est, ut nec bestia quaelibet, neque volucris ex eo bibere queat. Quod ego Fulcherius experimento didici, cum in illum de mula mea descendens, et ori meo manu haustum immittens, gustu probavi, et helleboro amariorem esse inveni. A parte aquilonis flumen recepit Jordanicum, ab austro vero nullum habet exitum; sed neque flumen ex eo conceptum. Juxta quem lacum exstat similiter salsus mons unus ingens et excelsus, et idem sal quasi lapis nativus, non tamen totus, sed localiter glaciei simillimus. Demergi autem quis in profundum ejus nec de industria facile potest. Conjicio bifariam locum illum ita esse salsissimum, et ex eo quod montis salsuginem concipiens glutit, quem unda marginalis indesinenter lambit, et ex decursione imbrium de monte ipso in lacum fluentium, sive abyssus intantum sit concava ut mare magnum, quod est salsum, invisibili refluxu in eamdem abyssum sub terra influat. Gyrato autem lacu a parte australi, reperimus villam unam situ gratissimam, et de fructibus palmarum, quos dactylos vocant, valde abundantem, quibus pro cibario placido tota die vescebamur. De caeteris rebus raro ibi invenimus. Aufugerant enim illinc incolae loci Sarraceni, jam de nobis per rumigerulos praescii, exceptis aliquantis fuligine nigrioribus, quos ut algam maris sumptos ibi dimisimus. Illic inter arbores caeteras vidi quasdam poma ferentes, de quibus cum collegissem, scire volens cujus naturae essent, inveni rupto cortice interius quasi pulverem atrum, et inde inanem prodire fumum. Tunc Arabiae montana ingressi sumus, in quorum cavernis nocte illa sequenti pausavimus. Mane cum montes ascendissemus, invenimus statim villas, sed omni bono vacuas. Nam adventu nostro in colle comperto, cum rebus suis in terrae cavernis se absconderant. Quamobrem parum illic profecimus. Ideo iter nostrum prompte alias extendimus, ductoribus nostris semper praeviis. Tunc invenimus vallem unam de frugibus terrae cunctis uberrimam, in qua etiam sanctus Moyses, Domino insinuante, virga bis silicem percussit, unde fons vivus emanavit, qui nunc nihilominus quam tunc fluit, adeo ut molendini ex ejus rivuli cursu volubiles ad molendum fiant. In qua aqua meos adaquavi equos. Invenimus insuper in montis apice monasterium sancti Aaron, ubi Moyses et ipse cum Deo loqui consueverant. Unde multum laetabamur, cum loca tam sancta et nobis incognita intuebamur. Et quoniam ultra vallem illam terra erat invia, deserta, et inculta, ulterius progredi noluimus. Sed per tres dies in valle illa bonis omnibus opima otio habito, et jumentis nostris refectis edulio, et quadrupedibus oneratis de stipendio necessario, hora circiter secunda die in quarto cornu monente regio, recidivum tramitem resumere jussum est. Redivimus ergo juxta lacum Asphaltitem, sicut prius iveramus, et per sepulturas patriarcharum memoratorum; deinde per Bethlehem, et per sepulturam Rachelis, Itaque die, quo solstitium hiemale accidit, Hierusalem sane pervenimus. Et praeparatis ornamentis quae regi competant coronando, pacificatoque Daiberto cum domno Balduino, et cum canonicis sancti sepulcri aliquantis, quia viri sensati de hoc tractaverunt, cessavit contentio eorum. |
Après que nous nous fûmes rétablis à Jérusalem de nos fatigues par six jours d'un repos qui nous était si nécessaire, et que le roi eut un peu débrouillé ses affaires, nous nous remîmes en route pour une nouvelle expédition: «Tous ceux qui ont des ennemis, je dis ceci selon le langage humain, doivent en effet les harceler sans cesse et de tous leurs moyens, jusqu'à ce qu'ils les aient soit par l'ennui de la guerre, soit par la force, ou domptés ou contraints à une paix durable.» Baudouin s'étant donc remis à la tête de son armée, partit, et traversant Azot, se rendit à Ascalon, située sur le bord de la mer entre cette dernière ville et Jamnia. En passant devant Accaron, ce prince repoussa vivement jusque dans leurs murs les Sarrasins qui avaient osé en sortir pour l'attaquer; mais ne trouvant pas l'occasion favorable pour tenter davantage, il laissa cette ville, et retourna sous ses tentes. Le jour suivant nous nous dirigeâmes vers une contrée plus étendue, où nous pussions faire vivre, dans des endroits riches, nous et nos bêtes de somme, et ravager les terres de l'ennemi. Sur notre route nous trouvâmes plusieurs hameaux; les Sarrasins qui habitaient ce pays s'étaient, à notre approche, cachés avec leurs troupeaux et leurs effets dans des cavernes. Ne pouvant réussir qu'à peine à en tuer quelqu'un d'entre eux, nous allumâmes de grands feux à l'orifice de ces antres; bientôt une chaleur et une fumée insupportables forcèrent ces gens à sortir et à se rendre à nous. Parmi eux se trouvèrent plusieurs brigands qui ne faisaient d'autre métier que de dresser des embûches à nos Chrétiens entre Ramla et Jérusalem, et de les égorger. Quelques Syriens, chrétiens comme nous, qui habitaient les mêmes hameaux, et s'étaient cachés avec eux dans les mêmes souterrains, nous dénoncèrent leurs crimes; comme ils en étaient vraiment coupables, on leur trancha la tête à mesure qu'ils mirent pied hors des cavernes. Quant aux Syriens et à leurs femmes, on les épargna; mais des Sarrasins nous en tuâmes là environ une centaine. Alors le roi Baudouin ordonna d'envoyer à Ascalon tous ces Syriens, de peur qu'un jour ou l'autre ils ne fussent massacrés dans le pays. Quand nous eûmes mangé et consommé tout ce qui se trouvait dans ces régions, tant grains que bestiaux, et que nous ne pûmes plus espérer de tirer rien d'utile de ces lieux déjà très-anciennement dévastés, on tint conseil avec certains Sarrasins, nés et nourris dans cette contrée, mais convertis récemment à la foi chrétienne, et qui connaissaient ce qu'il y avait au loin et de tous côtés de terres incultes ou cultivées; il fut résolu que l'armée irait en Arabie. Traversant donc les montagnes voisines des tombeaux des patriarches, où sont glorieusement ensevelis les corps d'Abraham, d'Isaac, de Jacob, de leur fils le juste Joseph, ainsi que de Sara et de Rebecca, et qui se trouvent à environ quarante milles de distance de Jérusalem, nous arrivâmes dans la vallée où les villes criminelles de Sodome et de Gomorrhe, détruites et englouties par le juste jugement de Dieu, ont fait place au grand lac Asphaltite, qu'on appelle mer Morte. La longueur de ce lac, à partir des lieux voisins de Sodome jusqu'à Zoaras en Arabie, est de cinq cent quatre-vingts stades, et sa largeur s'étend jusqu'à cent cinquante; son eau est tellement salée que ni quadrupèdes ni oiseaux ne peuvent en boire; moi-même, Foulcher de Chartres, j'en ai fait l'expérience; car, descendant de ma mule sur le bord de ce lac, j'ai goûté de son eau, que j'ai trouvée plus amère que l'ellébore. Aussi est-ce parce que rien ne peut vivre dans ce lac, et qu'aucun poisson ne s'y conserve, qu'on l'appelle mer Morte. Du côté du nord il reçoit le fleuve du Jourdain; mais au sud il n'a aucune issue, ni fleuve ni lac. Près de ce lac ou mer Morte, est une montagne également salée, non pas en totalité, mais dans certains endroits, où elle est aussi solide que la pierre la plus dure, et aussi blanche que la neige; le sel qui la forme et qu'on désigne sous le nom de sel gemme, on le voit fréquemment tomber en éclats du haut de la montagne en bas. Je conjecture que ce lac se sale de deux manières, d'abord en engloutissant sans cesse une partie du sel de la montagne, dont les eaux de ses bords baignent constamment le pied; ensuite en recevant dans son sein toutes les pluies qui tombent sur la montagne et en découlent: il se peut aussi que le gouffre qui forme ce lac soit tellement profond que, par l'effet d'un reflux invisible, la grande mer, qui est salée, s'y infiltre par dessous la terre. Au surplus, enfoncer et se noyer dans ce lac, même à dessein, ne se pourrait pas facilement. Nous en fîmes le tour du côté du nord, et nous trouvâmes une petite ville, qu'on dit être Segor, située agréablement, et fort riche en ces fruits de palmier, qu'on appelle dattes, très-doux au goût, et dont nous fîmes notre nourriture; car, pour d'autres choses, nous ne pûmes guères nous en procurer. Au premier bruit, en effet, de notre marche, les Arabes, qui habitaient ce pays, avaient tous fui, à l'exception de quelques misérables plus noirs que la suie, et que nous laissâmes là comme la plus vile herbe des mers. Je vis dans ce lieu, sur plusieurs arbres, une espèce de fruit, dont je brisai l'enveloppe, mais dans l'intérieur duquel je ne trouvai qu'une poussière noire. De là nous commençâmes à entrer dans la partie montagneuse de l'Arabie et passâmes la nuit dans les cavernes dont elle est remplie. Le lendemain matin, quand nous eûmes gravi les monts, nous rencontrâmes plusieurs hameaux, mais où n'existait aucune espèce de provision, et dont les habitans, en apprenant notre arrivée, avaient fui et s'étaient cachés avec tous leurs effets dans les cavernes souterraines. N'ayant donc aucun avantage à demeurer dans ce lieu, nous dirigeâmes notre route d'un autre côté, toujours conduits par les guides qui nous précédaient. Nous trouvâmes alors une vallée très-abondante en fruits de tout genre, celle-là même où Moïse, éclairé de Dieu, frappa deux fois de sa verge un rocher et en fit jaillir aussitôt, comme on le lit dans l'Ecriture, une source d'eau vive qui suffit à abreuver tout le peuple d'Israël et ses bêtes de somme. Cette source coule encore aujourd'hui non moins abondamment qu'alors, et forme un petit ruisseau qui, par la rapidité de son cours, met en mouvement des machines à moudre le grain. Moi-même, Foulcher de Chartres, j'y fis boire mes chevaux. Sur le sommet d'une montagne se trouvait un monastère, connu sous le nom de monastère de Saint-Aaron, et bâti dans l'endroit où Moïse et Aaron lui-même s'entretenaient d'ordinaire avec Dieu; ce fut donc pour nous une grande joie de voir un lieu aussi saint, et qui nous était inconnu. Comme au delà de cette vallée tout le pays était inculte et désert, jusqu'auprès de Babylone, nous renonçâmes à aller plus loin. Cette vallée, il est vrai, abondait en productions de toute espèce; mais pendant le séjour que nous fîmes d'abord dans quelques hameaux, les habitans emportant leurs effets, et emmenant leurs troupeaux, s'enfuirent, et se cachèrent dans les endroits les plus secrets des montagnes, ainsi que dans les cavités des rochers, et se défendirent audacieusement toutes les fois que nous tentâmes de les approcher. Après donc nous être reposés là pendant trois jours, et avoir bien refait nous et nos bêtes de somme par une bonne nourriture, nous chargeâmes nos animaux de tous les approvisionnemens qui nous étaient nécessaires; puis, par une journée favorable, à la seconde heure du jour, et au signal donné par la trompette royale, nous jugeâmes à propos de nous remettre en route pour nous en retourner. Repassant donc près de la mer susdite et des tombeaux des patriarches, dont il a été parlé plus haut, nous traversâmes Bethléem ainsi que le lieu où est la sépulture de Rachel, et nous arrivâmes heureusement à Jérusalem le jour même du solstice d'hiver. On prépara ensuite les ornemens convenables pour le couronnement du roi. Dans ce temps le patriarche Daimbert se remit en paix avec Baudouin et quelques-uns des chanoines de son église.
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CAPUT V. De substitutione regis Balduini, et exiguitate ipsius regis.
Anno ab Incarnatione Domini 1101, in basilica beatae Mariae apud Bethlehem die Nativitatis Domini a patriarcha memorato, una cum episcopis, cleroque ac populo assistentibus, in regem honorifice sub sacra unctione sublimatus et coronatus est rex Balduinus. Et quod fratri suo praedecessori non fecerant, quoniam noluit, et tunc laudatum a quibusdam non fuit, huic ratione prudentius considerata fieri decreverunt. « Quid enim obest, inquiunt, si Christus Dominus noster in Hierusalem tanquam scelestus aliquis, conviciis dehonestatus, et spinis est coronatus, cum etiam ad ultimum mortem pro nobis pertulit volens? Corona quidem illa quantum ad intellectum eorum non fuit honoris, nec regiae dignitatis, imo ignominiae et dedecoris. Sed quod illi truces ad improperium ei fecerunt, gratia Dei ad salutem nostram et gloriam versum est. Rex etiam contra jussa non praeficitur. Nam jure et secundum Deum electus, benedictione authentica sanctificatur et consecratur. Qui cum suscepit regimen illud cum corona aurea, suscepit quoque justitiae obtinendae onus honestum. Cui jure, sicut et episcopo de episcopatu, potest decenter objici: Bonum opus desiderat, qui regnum desiderat (I Tim. III, 1) . Quod si jure non regit, nec rex est. In modernitate autem regiminis sui adhuc paucarum urbium possessor atque gentis, per idem tempus hiemale regnum suum ab hostibus undique strenue protexit. Et quia compererant eum bellatorem probissimum esse, quamvis gentem haberet raram, non tamen ausi sunt eum aggredi. Quod si militiam majorem haberet, hostes suos libenter adiret. Adhuc erat via peregrinis nostris satis impedita, qui interdum per mare tam Franci quam Angli, sive Italici et Venetici, in una tantum navi, sive tribus aut quatuor, inter piratas hostiles, et ante civitates Sarracenorum velificantes, valde timidi usque ad Joppem Domino ducente perveniebant. Nullum enim alium in primis habebamus portum. Quos cum de partibus nostris occidentalibus advenisse videremus, ex Tripoli ad eos quasi ad sanctos jocundi procedebamus. A quibus unusquisque nostrum de natione sua et parentela diligenter inquirebamus. Quibus de hoc intimabant prout ipsi sapiebant. Tum de prosperitate audita laetabamur, de incommoditate autem tristabamur. Hierosolymam ibant, sancta sanctorum pro quo venerant visitabant. Dehinc alii in terra sancta remanebant, alii vero in terram suam remeabant. Qua de re terra Hierosolymitana remanebat gente vacua, nec erat qui eam a Sarracenis defenderet, si tantummodo nos ipsi aggredi auderent. Sed quare non audebant? Tot populi, tot regna, quare regulum nostrum et popellum invadere metuebant? Cur de Aegypto, de Persida, de Mesopotamia, vel de Syria non coadunabant saltem centies centum millia pugnatorum, ut nos hostes eorum viriliter aggrederentur, et ut solent locustae, innumerae messem in agello, nos omnino consumerent, ut nec mentio de nobis in terra ab olim sua ulterius fieret? Non enim tunc habebamus plusquam trecentos milites, et tantum de peditibus, qui Hierusalem, et Joppem, et Ramulam, Caypham etiam castrum custodiebant. Milites etiam nostros vix adunare audebamus, cum insidias aliquas inimicis nostris moliri volebamus, timentes ne interim munitionibus vacuatis damnum facerent. Unde liquet omnibus, hoc esse miraculum valde mirabile, quod inter tot millia millium vivebamus, etiamque dominantes eorum alios tributarios faciebamus, alios vero depraedando vel captivando confundebamus. Sed unde haec probitas? unde ista potentia? Vere ab illo, cui nomen Omnipotens. Qui populi sui pro nomine ejus desudantis non immemor, in necessitatibus suis pie ei auxilium impendebat, qui in nullo alio, nisi in eo solo, confidebat. Quem ipse Deus aliquando mercedula temporali laetificabat, in futuro autem aeterna gloria remunerare promittebat. O tempora recordationis dignissima! Saepe quidem contristabamur, cum de transmarinis amicis nostris nullum auxilium habere poteramus. Verebamur enim ne inimici nostri paucitatem gentis nostrae comperientes aliquando, accursu subitaneo nos undique impeterent, ubi nullus nisi solus Deus nobis opem ferret. Quibus nihil utile deesset, si tantummodo gens et equi non deessent; et qui per pelagus Hierusalem veniebant, equos secum adducere nequibant. Per terram vero nemo nobis subveniebat. Nec Antiocheni nobis, nec nos illis succurrere valebamus. CAPUT VI. De substitutione Tancredi apud Antiochiam. Eo tempore contigit Martio in mense Tancredum Caypham oppidum suum, quod possidebat, Tiberiadem quoque Balduino regi relinquere, et Antiochiam cum suis per terram ambulare. Miserant enim ad eum legatos suos Antiocheni, dicentes: « Ne moreris, sed veni ad nos, et dominans omnium nostrum posside Antiochiam, et terram illi subditam, quoadusque de captivitate exeat domnus Boamundus dominus noster, et tuus. Tu enim es propinquus ejus, milesque probissimus et prudens, nobisque potentior. Tu quidem nostram terram melius quam nos obtinere valebis. Si quando, Deo volente, domnus Boamundus redierit, erit inde quod jus monstrabit. » Sic mandatum est, et sic factum est.
CAPUT VII. De obsidione castri Arsuch, et ejus captione. Apud portum Laodicensem per idem brumale tempus stolus navium rostratarum Januensium et Italorum, hiemaverat. Qui cum viderent vernum tempus ad navigandum aptum et tranquillum, vento prospero usque Joppem navigaverunt. Et cum portui applicuissent, gaudenter a rege suscepti sunt. Et quia prope erat Pascha, cujus solemnitatem ex more cuncti qui possunt celebrant, navibus suis ad terram tractis, Hierusalem cum rege perrexerunt.
Pas de texte latin (Philippe Remacle)
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L'an 1101, le jour de la nativité du Seigneur, Baudouin fut pompeusement consacré par la sainte onction et couronné comme roi, dans la basilique de la bienheureuse Marie, à Bethleem, par les mains de ce même patriarche, en présence des évêques, du clergé et du peuple: cela on ne l'avait pas fait pour Godefroi, frère et prédécesseur de Baudouin, et parce que certains individus ne l'approuvaient pas, et parce que lui-même ne le voulut point; mais après avoir plus mûrement examiné la question, tous consentirent qu'on le fit pour Baudouin. On disait en effet: «Pourquoi veut-on objecter que le Christ notre Seigneur a été, comme un vil scélérat, couronné d'épines dans Jérusalem par les perfides Juifs, opprobre qu'avec plusieurs autres il a, dans sa bonté miséricordieuse, supporté pour notre salut? Cette couronne ne fut pas sans doute, dans l'opinion des Juifs, une distinction honorable, et le signe de la puissance royale, mais plutôt une marque de honte et d'ignominie; mais ce que ces bourreaux firent au Sauveur, comme une outrageante flétrissure, tourna cependant par la grâce de Dieu à notre gloire et à notre salut. Il en est de même d'un roi: il n'est point fait roi contre les ordres du Très-Haut; car une fois qu'il est régulièrement élu, on le sanctifie et on le consacre par une bénédiction authentique. Celui qui accepte les fonctions de roi, et la couronne d'or, se charge en même temps de l'honorable far deau de rendre la justice qu'on a droit d'obtenir de lui. Quand Dieu veut bien ainsi lui confier son peuple, c'est pour qu'il veille sur lui avec sollicitude et le garantisse de ses ennemis. On peut certes lui dire ce que l'on dit à tout évêque à l'égard de l'épiscopat: Si quelqu'un souhaite l'épiscopat, il desire une fonction et une œuvre sainte37. Que, si un roi ne gouverne pas comme il le doit, il n'est pas roi.» Dans le commencement de son administration, Baudouin, qui n'était encore possesseur que de quelques villes et d'un peuple peu nombreux, protégea puissamment, et dans la saison même de l'hiver, son royaume contre les attaques des ennemis, qui l'environnaient de toutes parts. Aussi comme les Sarrasins le connaissaient pour un guerrier d'un courage éprouvé, ils n'osèrent pas l'attaquer, quoique son armée fût très-faible. S'il en eût eu une plus considérable, lui-même se serait certainement porté volontiers au devant de l'ennemi. A cette époque la route de terre était encore interdite à nos pélerins; mais par mer, tant les Francs que les Italiens ou les Vénitiens, faisant voile avec un, deux, ou même trois et quatre navires, parvenaient à passer au milieu des pirates ennemis et sous les murs des cités infidèles, et si Dieu daignait les conduire ils arrivaient ainsi, quoiqu'avec de mortelles frayeurs, jusqu'à Joppé, le seul port dont alors nous fussions maîtres. Aussitôt que nous apprenions leur arrivée des régions occidentales, sur-le-champ et le cœur plein de joie, nous allions à leur rencontre, nous félicitant mutuellement; nous les accueillions comme des frères sur le rivage de la mer, et chacun des nôtres s'enquérait soigneusement des nouvelles de son pays et de sa famille; eux de leur côté racontaient tout ce qu'ils en savaient; alors, selon ce qu'ils nous en apprenaient, ou nous nous réjouissions de la prospérité, ou nous nous attristions de l'infortune de tout ce qui nous était cher. Ces nouveaux venus se rendaient à Jérusalem, et visitaient les saints lieux; puis quelques-uns se fixaient dans la Terre-Sainte, tandis que les autres retournaient dans leur patrie et jusqu'en France. Il arrivait de là que la sainte terre de Jérusalem demeurait toujours sans population, et n'avait pas assez de monde pour la défendre des Sarrasins, si toutefois ils eussent osé nous attaquer. Pourquoi donc ne l'osaient-ils pas? comment tant de peuples, tant d'Etats puissans, craignaient-ils de tomber sur notre pauvre petit royaume et notre peuple si peu nombreux? pour quelle raison des centaines de cent mille combattans, tout au moins, ne se réunissaient-ils pas de l'Egypte, de la Perse, de la Mésopotamie et de la Syrie pour marcher courageusement contre nous, leurs ennemis? pourquoi ces gens, aussi nombreux que ces sauterelles innombrables qui ont coutume de dévorer la récolte d'un champ, ne venaient-ils pas nous dévorer et nous détruire entièrement, de telle sorte que par la suite il ne fût plus parlé des Chrétiens dans le pays même qui était autrefois le leur? Nous n'avions pas alors, en effet, plus de trois cents chevaliers et autant de gens de pied pour garder Jérusalem, Joppé, Ramla et le château de Cayphe. A peine même osions-nous rassembler quelquefois nos chevaliers, pour dresser des embûches à quelques-uns des ennemis, dans la crainte qu'il ne nous arrivât mal d'abandonner ainsi nos retranchemens. Certes, il est bien évident pour tout le monde qu'il n'y a qu'un miracle vraiment prodigieux qui pût faire qu'entourés de tant de milliers de mille ennemis, nous fussions assez forts pour les dominer tous, rendre les uns nos tributaires et ruiner les autres parle pillage et le massacre. D'où nous venait donc cette force, d'où tirions-nous cette puissance? elles nous étaient données par celui dont le nom est le Tout-Puissant. C'est lui qui n'oubliant pas son peuple, qui bravait les fatigues pour la gloire de son nom, et ne mettait en aucun autre qu'en lui-même toute sa confiance, lui prêtait son bienfaisant appui dans ses détresses; c'est ce Dieu, qui quelquefois réjouissait son peuple en lui accordant quelque petite récompense temporelle de ses travaux, et lui promettait pour l'avenir le don d'une gloire éternelle. O que ces temps sont bien dignes de vivre dans notre mémoire! Souvent nous nous désespérions en voyant que de nos régions occidentales, ni parens ni amis ne venaient à notre aide; nous tremblions que nos ennemis, instruits de l'exiguïté de nos forces, ne fondissent quelque jour sur nous à l'improviste, lorsque nul que Dieu seul ne pourrait nous secourir. Nous n'aurions cependant souffert en rien, si seulement les hommes et les chevaux ne nous eussent pas manqué; mais c'est pour cela même que nous n'osions nous engager dans aucune expédition; et si quelquefois nous faisions une course à cheval, c'était à peu de distance, vers Ascalon et Arsuth. Ceux qui se rendaient à Jérusalem par mer ne pouvaient en aucune manière amener des chevaux avec eux, et par terre personne ne venait à notre aide. Ceux d'Antioche étaient dans l'impossibilité de nous secourir, et de notre côté nous ne pouvions les assister. Il arriva dans ce temps, vers le mois de mars, que Tancrède abandonna son château de Cayphe et Tibériade à Baudouin, et se mit en marche à la tête des siens pour les contrées d'Antioche. Ceux de cette ville lui avaient en effet envoyé des députés chargés de lui dire: «Ne perdez pas un instant, mais venez à nous pour régner sur la cité d'Antioche et toute la terre qui en dépend, jusqu'à ce que Boémond, notre seigneur et le vôtre, sorte de captivité. Vous êtes en effet son proche parent, brave chevalier et plus puissant que nous; vous avez donc plus de titres que nous pour occuper cette terre. Si quelque jour Dieu permet que Boémond revienne, il en sera alors ce que décidera le bon droit.» Tancrède alla donc à Antioche, et reçut, comme on l'a dit, cette principauté pour la gouverner.
Vers ce temps-là une flotte de navires à éperons, montée par des Italiens et des Génois, passa toute la saison d'hiver dans le port de Laodicée. Quand ces gens virent que le printemps leur promettait une navigation favorable et tranquille, ils mirent en mer, et, secondés par le vent, se rendirent à Joppé; lorsqu'ils furent entrés dans le port, le roi les accueillit avec joie. Comme le temps de Pâques était proche, ils ne séjournèrent pas dans cette ville, mais tirant leurs vaisseaux à terre, ils allèrent avec Baudouin à Jérusalem: tous nous y étions alors dans la plus grande consternation, parce que le feu, qui d'ordinaire descend du ciel sur le sépulcre du Seigneur le samedi saint, n'y avait pas paru cette fois. Il existe encore sur ce fait beaucoup de versions qu'il ne convient pas de rapporter témérairement. Comme Dieu permet que chaque année, la veille de Pâques, le feu du ciel descende sur le sépulcre du Sauveur, et y allume d'ordinaire les lampes, il est d'usage que tous ceux qui peuvent se trouver ce jour-là dans l'intérieur de ce très-saint monastère, y passent cette journée de la veille de Pâques en prières et en oraisons, attendant avec une pieuse dévotion que ce feu céleste soit envoyé par le Très-Haut. La veille de Pâques de cette année38, la très-sainte basilique étant remplie d'un peuple immense, le patriarche ordonna, vers la troisième heure environ, que les chanoines commençassent l'office du jour. Les leçons furent donc récitées alternativement, d'abord en latin par un Latin, ensuite en grec par un Grec, qui répétait sur le pupitre ce qu'avait lu le Latin. Tout à coup, pendant que les chanoines disaient ainsi l'office, et un peu avant la neuvième heure, un des Grecs se met, suivant l'ancienne coutume, à entonner à haute voix le Kyrie eleison d'un des coins du monastère; tous les assistans répètent sur-le-champ et à aussi haute voix le même chant; moi, Foulcher, qui jamais n'avais entendu de symphonie de cette espèce, et beaucoup d'autres, pour qui ce tumultueux concert de louanges était également nouveau, tournant nos yeux vers le ciel, nous nous relevons de terre avec des cœurs pleins de componction; et, dans l'espoir que le feu céleste était déjà allumé en quelque endroit de l'église, nous regardons çà et là, en haut et en bas, avec une grande humilité d'ame, mais n'apercevons pas ce feu qui n'avait point encore paru. Le susdit Grec chante alors, pour la troisième fois et à haute voix, Kyrie eleison; tous les autres lui répondent à grands cris, en répétant le même mot; puis lui et eux se taisent, et, sur-le-champ, les chanoines se remettent à réciter l'office qu'ils avaient commencé. Cependant nous attendions toujours dévotement l'apparition du feu saint, qui se faisait d'ordinaire vers la neuvième heure environ. Peu après, le Kyrie eleison est répété une seconde fois de la même manière qu'on l'avait chanté d'abord; tous alors, entraînés par le son qui nous frappe, nous répondons à haute voix au crieur qui entonnait le Kyrie eleison, et répétons cet hymne de louanges. Comme nous espérions pour la plupart que ce feu tant souhaité allait descendre du ciel, et que, ne le voyant pas venir, nous demeurions en silence, les clercs récitent les leçons et les traits de l'office du jour. La neuvième heure étant déjà passée, le Kyrie eleison est encore redit une troisième fois; alors notre patriarche prenant les clefs du tombeau du Sauveur, en ouvre la porte et y entre; mais n'y trouvant pas le feu après lequel nous soupirions, il se prosterne tout en larmes devant le saint sépulcre même, adressant au ciel les prières les plus humbles, et demandant au Tout-Puissant que la miséricorde de notre Seigneur Jésus-Christ daigne envoyer à son peuple suppliant le feu céleste qu'il desire si vivement, et qui autrefois lui était d'ordinaire accordé. Nous cependant, criant tous à haute voix Kyrie eleison, nous supplions le Seigneur, attendant que le patriarche sorte dudit tombeau, et nous fasse voir à tous la lumière envoyée de Dieu, et trouvée, comme nous nous en flattions, dans le saint sépulcre. Mais, après qu'il a long-temps prié et fondu en pleurs dans ce tombeau, sans obtenir ce qu'il sollicite, il sort, vient à nous de l'air le plus triste, et déclare qu'il n'a pas trouvé le feu céleste. A cette nouvelle, nous sommes tous saisis d'une terreur et d'une affliction extrême. Déjà j'étais moi-même monté avec un certain chapelain du patriarche en un lieu qu'on appelle le Calvaire, cherchant avec soin si le feu céleste était ou non descendu dans cet endroit, comme il le faisait quelquefois; mais alors il ne se manifesta ni ici ni là. Chantant de nouveau et alternativement le Kyrie eleison avec un redoublement d'ardeur, nous recommençons à pousser des acclamations vers le Seigneur à plus haute voix encore que d'ordinaire. Que de cris, que de soupirs, que de larmes s'élèvent alors vers Dieu! Tous nous chantons le Kyrie eleison en pleurant; tous nous implorons par ces chants la miséricorde du Très-Haut; mais ce que nous sollicitons par nos humbles supplications, nous ne pouvons l'obtenir. Déjà la nuit venait, déjà le jour tombait: dans la persuasion que cet événement, qu'on n'avait jamais vu les années précédentes, n'était arrivé qu'en punition de nos péchés, chacun résolut, dans le fond de son ame, de réformer tout ce en quoi il avait failli contre Dieu. Ainsi donc, quelques hommes qui vivaient en ennemis dans le monastère du saint sépulcre, redevinrent amis et se réconcilièrent par les soins du patriarche. Il fallait avant tout en effet que la paix, sans laquelle rien ne plaît à Dieu, fût au milieu de nous, afin que, voyant nos cœurs réunis et corrigés pour l'amour de lui, le Seigneur prêtât une oreille plus favorable à nos supplications. Comme cependant, même après tout cela, Dieu n'exauça point nos prières, nous pensâmes entre nous, et plusieurs des plus savans commencèrent à dire: «Que peut-être il était arrêté par la sagesse divine que ce miracle ne se reproduirait plus désormais, comme il avait coutume de faire; que dans les temps passés, où les Chrétiens, c'est-à-dire, les Grecs et les Syriens, se trouvaient en fort petit nombre à Jérusalem, il fallait nécessairement que le feu céleste apparût chaque année comme d'ordinaire, de peur que, s'il manquait une seule année de se montrer, les Païens, qui ne desiraient et ne cherchaient qu'un prétexte, ne massacrassent tous ces Chrétiens; mais qu'à présent, où, par le secours de Dieu, nous étions en pleine sécurité à Jérusalem, nous ne redoutions point de mourir si ce feu ne descendait pas du ciel. Il y a plus, ajoutait-on, c'est nous qui, comme les successeurs de cette flamme divine, s'il est permis de parler ainsi, c'est nous qui, Dieu aidant, protégeons maintenant et ces Chrétiens que nous avons trouvés dans la Cité sainte, et nous-mêmes avec eux, contre la nation Païenne; tandis qu'aucun d'eux ne fût demeuré vivant si le Seigneur n'eût auparavant soutenu leur courage par quelque signe visible. Actuellement donc quelle si grande détresse nous presse qu'il faille que ce feu céleste se fasse voir39.» Ces discours, et d'autres équivalent, étaient ceux que les clercs les plus instruits, ignorant les desseins de Dieu, tenaient aux hommes moins éclairés; et c'était au moins une consolation que d'en donner un peu à des gens si profondément désolés. Lors cependant que la nuit vint, le patriarche, ayant pris conseil, ordonna que tous eussent à quitter le monastère, et à retourner dans leurs maisons ou leurs hôtelleries; il voulait que le très-saint lieu demeurât, toute la nuit, purgé de la présence de tous, de peur que la souillure criminelle et cachée de quelque homme on de quelque femme ne déplût à la majesté du Très-Haut, ou n'infectât son temple. Il fut fait ainsi qu'il était prescrit: cette nuit-là l'église resta donc entièrement vide, et l'on n'y vit aucune lampe ni aucun cierge allumé. Le lendemain matin, aussitôt que commença à briller le saint jour de Pâques, tous, espérant encore en la miséricorde du Seigneur, accoururent de toutes parts à l'église du saint sépulcre. Le patriarche entre de nouveau dans le tombeau du Sauveur, pour voir si le feu céleste s'y est manifesté; ne l'y trouvant pas, il revient rempli d'une profonde tristesse. Mais lui et tous les assistans, inspirés alors par ces paroles de l'Evangile, où le Seigneur dit: «Cherchez, et vous trouverez; frappez, et l'on vous ouvrira,» ne veulent point avoir à se reprocher de ne pas presser de nouveau, par toutes sortes de prières, ce Dieu qui, lui-même, leur suggère ce dessein, et jamais ne trompe; ils espèrent qu'enfin, réveillé pour ainsi dire par l'obstination de leurs cris, il ouvrira pour eux les oreilles de sa pitié. Le clergé, presque tout le peuple, le roi et ses grands, se rendent donc processionnellement et nu-pieds au temple du Seigneur; là, dans ce lieu même où le Seigneur Dieu promit à Salomon de lui octroyer sa demande, lorsque ce pieux roi le suppliait d'exaucer son peuple, quand, faisant pénitence de ses péchés, il viendrait le prier et implorer sa miséricorde dans cette maison40, tous se répandent en oraisons pour que, dans sa bonté, le Dieu de miséricorde daigne enfin envoyer ce feu, après lequel soupirent tant d'hommes plongés dans une si douloureuse affliction et une si profonde désolation. Pendant que les nôtres prient ainsi dans le temple du Seigneur, les Grecs et les Syriens, restés dans le monastère du saint sépulcre, ne montrent pas moins de zèle, font processionnellement le tour du tombeau du Sauveur, se livrent à l'oraison, et, dans l'excès de leur chagrin, se meurtrissent les joues, et s'arrachent les cheveux en poussant des cris lamentables. Lorsque les nôtres, après avoir terminé leurs prières dans le temple du Seigneur, reviennent à l'église du saint sépulcre, et avant qu'ils en aient franchi les portes, on accourt annoncer au patriarche et à tous les autres que le feu tant souhaité est enfin descendu du ciel, que, grâces à Dieu, il s'est allumé dans une lampe devant le saint tombeau, et que ceux qui étaient plus près du sépulcre aperçoivent le feu briller à travers quelques fenêtres. A peine le patriarche a-t-il entendu cette nouvelle que, plein de joie, il précipite sa marche en toute hâte, ouvre, avec les clefs qu'il portait dans ses mains, la porte du divin tombeau, et voit tout aussitôt resplendir dans une lampe cette flamme après laquelle il soupirait. Tout réjoui par cette vue, et rendant grâces à Dieu, il se prosterne d'abord humblement au pied du saint sépulcre; ensuite, allumant un cierge à ce feu sacré, il ressort de l'église, et montre à tous cette divine lumière. A cette vue, nous qui étions tous présens, nous crions Kyrie eleison en fondant en larmes; et, pénétrés par ce miracle de la plus vive allégresse, nous nous abandonnons d'autant plus aux transports, que nous avions éprouvé plus de douleur. Sur-le-champ, un joyeux concert de louanges et des cris de triomphe éclatent dans toute la Cité sainte; les trompettes sonnent, le peuple bat des mains, le clergé, plein de joie, entonne des psaumes; et les doux sons de ces chants pieux se mêlent aux accens d'une symphonie qui se fait entendre après chaque verset. Chacun tient dans sa main un cierge qu'il s'est procuré tout exprès pour recevoir la lumière céleste; et dans l'espace d'un seul mille, on voit plusieurs milliers de cierges allumés dans l'église sainte, au feu divin même, qu'on s'empresse de se communiquer les uns aux autres. «C'est ici, disions-nous, le vrai jour qu'a fait le Seigneur; réjouissons-nous-y donc, et soyons pleins d'allégresse41.» Aussi ce jour-là vîmes-nous briller, avec plus d'éclat que je ne saurais l'exprimer, la Pâque, cette solennité des solennités. La messe de ce saint dimanche se célébra en effet avec toute la pompe convenable; quand elle fut terminée, le roi Baudouin, qui, suivant l'usage royal, avait assisté à cette cérémonie la couronne sur la tête, s'assit à un splendide banquet dans le temple de Salomon. Ce repas était à peine fini, qu'on vint annoncer à Baudouin, et à nous tous qui nous trouvions avec lui, que le très-saint feu, apparaissant de nouveau, s'était miraculeusement allumé dans deux autres lampes suspendues à la voûte de l'église du saint sépulcre. A ce récit, nous offrons derechef un tribut de louanges au Dieu tout-puissant; et, n'écoutant que notre empressement, nous courons en grand nombre contempler ce nouveau prodige. Le roi, et tous les autres avec lui, nous suivent; nous entrons dans l'église, nous contemplons ce feu, dont on nous a parlé, qui brûle miraculeusement dans les lampes, et nous voyons le peuple se presser autour de chacune d'elles, avec des cierges allumés ou prêts à l'être, et louant le Seigneur avec les accens de la joie. L'un montrait à son voisin ce miracle, et disait: «Voilà «une lampe qui commence à s'allumer.» L'autre répondait: «J'en vois une autre dans laquelle la flamme brille déjà; certes, c'est à celle-ci que j'allumerai mon cierge; pour toi, allume le tien à celle-là.» Un troisième reprenait: «Restons près de cette lampe, et attendons un peu que la flamme s'en élève; ne voyez-vous pas que déjà les autres lampes sont allumées? Regardez, la fumée commence à former un nuage; et voilà maintenant que la flamme paraît.» C'est ainsi, je l'assure, que le Seigneur a comblé son peuple de joie; et le souvenir d'un miracle si glorieux, et qui s'est perpétué par un usage successif, rendra ce jour célèbre et mémorable de génération en génération.
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Peracta autem solemnitate Paschali, ubi conturbati sunt omnes propter ignem, quem die Sabbati non habuimus ad sepulcrum Domini, profectus est rex Joppem. Et facta conventione cum consulibus praedictae classis, ut quandiu in terra sancta ob amorem Dei morari vellent, si Deo concedente et juvante interim de civitatibus Sarracenorum aliquam comprehendere cum eodem rege possent, tertiam pecuniae partem hostibus internis ablatam, nulla injuria Januensibus facta, communiter haberent, rex autem primam et secundam, vicum insuper unum in eadem civitate sic capta jure perpetuo possiderent et haereditario. Quod cum fidei nexu interpositae ab utraque parte firmatum fuisset, indilate oppidum illud, quod vocatur Arsuth, tam per mare quam per terram obsederunt. Sed cum inhabitatores Sarraceni sentirent nullomodo se posse defendi a Christianis, prolocutione apud regem callide facta, die tertia muros regi reddiderunt; pecuniam autem suam exeuntes detulerunt. Quos Ascalonem abeuntes rex conviari tristissimos fecit. Inde nos laeti gratias Deo egimus, eo quod sine occasione nostrorum hominum hanc munitionem nobis tam adversariam comprehenderamus. Quod castrum a Salomone conditum, Francis valde molestum, dux Godefridus in anno praeterito obsederat, nec ceperat. Cujus etiam inhabitatores persaepe de nostris occiderant plures, vel reddiderant tristes. Jam tamen Franci cominus comprehenderant muri propugnacula, cum forte lignea turris forinsecus muro adjuncta, prae multitudine in eam ascendentium, frustatim corruit. Unde ferme centum Franci de ea cadentes insanabiliter sunt laesi. Ibi aliquantos Francos Sarraceni tunc retinuerunt, quos in conspectu omnium in cruce appenderunt, et sagittis sagittaverunt. Quosdam occiderunt, quosdam vivos viliter apud se detinuerunt. CAPUT VIII. Quomodo Caesarea civitas capta sit. Cumque rex Arsuth, prout opus erat, de gente sua munisset, Caesaream urbem Palaestinorum adiit, et obsidione coronavit, sed quia erat muro valde fortis, non potuit cito capi. Jussit ergo tunc tres petrarias fieri, et machinam unam ligneam altissimam, de malis et remigibus navium fabrefactam. Hanc, ut reor, artifices nostri muro altiorem longitudine XX cubitorum erexerunt, ut cum ad usque murum deduceretur, hostes internos de ea milites nostri lapidarent et sagittarent, ut cum murum de Sarracenis sic evacuarent, ingressum liberum homines nostri haberent, et urbem comprehenderent. Sed cum per 15 dies obsidionem renuissent, et cum petrariis arces muri superiores aliquantisper laesissent, necdum turris lignea esset penitus compacta, moram eis fastidientibus, noluit diutius Francorum probitas prolongare, quin absque machina praedicta, et caeteris supplementis, die quadam Veneris civitatem ausu mirifico cum scutis et lanceis appeterent. Sarraceni vero, prout fortius valebant, se defendebant, mutuo cohortantes. Franci autem, quorum Dominus erat Deus, erectis non lente scalis, quas ad id opus jam praeparaverant, per eas muri fastigium ascenderunt, et quos sibi tunc obvios invenerunt gladiis illico peremerunt. Quod cum Sarraceni gentem nostram sic efferatam, et urbem jam ab eis captam viderent, ubi diutius vivere potuerunt, illuc perpropere fugerunt. Sed nec hic, nec illic delitescere potuerunt, quin morte promerita trucidarentur. Pauci quidem de masculino sexu vitae reservati sunt. Feminis quampluribus pepercerunt, ut molas manuales volviturae semper ancillarentur. Quas cum cepissent, alii aliis tam pulchras quam turpes invicem vendebant et emebant; masculos quoque. Admiratum ipsius urbis, et episcopum, quem Archadium praenominant, rex vivos habuit; quibus plus pro pecunia quam pro amicitia pepercit. Quot utensilia multiformia ibi sunt inventa, non est dicendi facultas. Unde multi pauperes effecti sunt locupletes. Vidi de Sarracenis plurimos ibi peremptos acervo de illis facto, ignibus concremari, quorum cadaverum nimius fetor nos valde molestabat. Fiebat hoc bysantiorum inveniendorum gratia, quos ibi improbi transglutiverant, nolentes ut de suo aliquid Franci haberent, quos quidam eorum in oribus suis juxta gingivas abscondebant. Unde aliquando contingebat, cum quis nostrum super collum alicujus Sarraceni pugno feriebat, ut 10 aut 16 bysantios ab ore foras excuteret. Feminae quoque impudenter intra se bysantios occultabant. Quod et nefas erat sic recondendum, et multo turpius mihi ad recitandum.
Annus millenus centenus erat, sed et unus, |
Après les solennités de Pâques, le roi se rendit à Joppé, et conclut avec les chefs de la flotte génoise, dont on a parlé plus haut, une convention portant «que si, pendant le temps que par amour pour Dieu ils resteraient dans la Terre-Sainte, ils réussissaient, par l'aide et la volonté du Très-Haut, à prendre, de concert avec le roi, quelque ville des Sarrasins, les navigateurs génois auraient pour eux tous en commun la troisième partie de l'argent pris sur l'ennemi, sans qu'il leur fût fait à cet égard la moindre injustice; que le premier et le second tiers appartiendraient au roi; et que de plus eux posséderaient éternellement, et à titre d'héritage transmissible, un quartier de la ville prise.» Ce traité ayant été resserré des deux côtés par le lien du serment, on assiégea sans délai, tant par mer que par terre, la place nommée Arsuth. Les Sarrasins qui l'habitaient sentant bien qu'ils ne pouvaient en aucune manière se défendre contre les Chrétiens, capitulèrent prudemment avec Baudouin, et lui remirent la ville le troisième jour; mais en quittant leurs murs, ils emportèrent leur argent. Conformément à la capitulation, ils se retirèrent, quoiqu'avec grand chagrin, à Ascalon, et le roi les fit escorter. Pleins de joie, nous louâmes le Seigneur, par l'aide duquel, sans avoir à regretter la mort d'aucun de nos hommes, nous nous étions emparés d'une forteresse si nuisible pour nous. Cet odieux château, le duc Godefroi l'avait assiégé l'année précédente, mais sans pouvoir le prendre; et ses habitans nous avaient bien souvent affligés cruellement en tuant plusieurs des nôtres. Dans ce premier siége42, déjà les Francs touchaient presque aux parapets des murs, quand par malheur une tour de bois, appliquée par dehors à la muraille, surchargée par la foule des nôtres qui s'empressaient d'y monter, s'écroula brisée en morceaux; cent des Francs qui en tombèrent furent misérablement blessés. Les Sarrasins en prirent plusieurs: les uns, ils les mirent en croix, et les percèrent de leurs flèches à la vue même des Francs; ils en massacrèrent d'autres; et ceux qui eurent la vie sauve, ils les retinrent dans un vil esclavage.
Quand le roi Baudouin eut, comme il importait de le faire, mis une garnison des siens dans Arsuth, il marcha sur-le-champ contre Césarée de Palestine, et en forma le siége. Ses murailles étaient fortes; notre armée ne put donc se rendre promptement maîtresse de cette place; le roi alors ordonna de construire des pierriers, et de fabriquer avec les mâts et les rames des vaisseaux une machine de bois très-élevée. Nos ouvriers la firent d'une telle hauteur qu'elle dépassait, je crois, le mur de vingt coudées, afin que, quand une fois elle serait finie et amenée contre les remparts, nos hommes d'armes pussent de dessus cette machine accabler de pierres et de flèches les ennemis du dedans, et après avoir ainsi forcé les Sarrasins d'évacuer la muraille, pénétrer librement dans la ville et s'en emparer. Mais comme le siége durait depuis quinze jours, que les plus hautes tours du rempart armées de pierriers nous avaient déjà fait quelque mal, et que les diverses parties de notre grande tour de bois n'étaient pas encore assemblées, nos Francs s'ennuyèrent de ce délai; leur valeur ne put le supporter plus long-temps; et un certain vendredi, sans attendre ni la tour ni les autres machines, armés seulement de lances et de boucliers, ils attaquèrent la ville avec une merveilleuse audace. Les Sarrasins, s'excitant les uns les autres, se défendirent de leur côté du mieux qu'ils purent; mais les nôtres, dont le seul Dieu est le Seigneur, dressèrent rapidement les échelles préparées pour l'assaut, montèrent avec une surprenante valeur jusque sur le sommet des murs, et tombèrent, le glaive en main, sur tout ce qu'ils rencontraient devant eux. Les Sarrasins se voyant si rudement traités par nos gens, se hâtèrent de fuir vers des endroits où ils espéraient vivre plus long-temps; mais ni dans un lieu ni un autre ils ne purent se cacher assez bien pour n'être pas égorgés comme ils le méritaient. On accorda la vie à très-peu d'individus du sexe masculin: quant aux femmes, on les épargna afin de les faire servir à tourner continuellement les meules des moulins à bras; et à mesure qu'on les prenait, on se les vendait réciproquement les uns aux autres, tant laides que belles. Le roi laissa vivre aussi deux hommes, l'émir de la ville, et l'évêque que l'on appelle Archade; mais ce fut plus à cause de la rançon qu'il en espérait que par compassion qu'il les épargna. Combien d'argent et d'ustensiles de mille formes diverses on trouva dans cette place, c'est ce qui ne saurait s'exprimer; aussi force gens pauvres devinrent-ils riches tout d'un coup. J'ai vu réunir en monceau et brûler une foule de Sarrasins tués, dont les cadavres nous empestaient par leur odeur fétide. On le faisait pour s'emparer des byzantins que ces scélérats avaient avalés, et que d'autres cachaient dans leur bouche, contre les gencives, afin que les Francs ne pussent les avoir. Aussi arrivait-il parfois que si l'un des nôtres frappait du poing un de ces Infidèles sur le col, il lui faisait rejeter par la bouche dix ou seize byzantins. Les femmes aussi en recélaient sans aucune pudeur au dedans d'elles-mêmes, et dans des endroits où il était criminel de les cacher, et qu'il serait honteux de nommer. On comptait l'an Onze cents plus un quand nous prîmes la ville appelée la Tour de Straton. On était dans l'année mil cent un du Seigneur lorsqu'à l'aide d'échelles nous nous emparâmes de Césarée.
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CAPUT IX. Quod in Caesarea episcopus sit ordinatus. Et cum de Caesarea, et de his omnibus quae in ea reperimus, una cum Januensibus, prout libuit, egissemus, et archiepiscopum communiter electum ibi praefecissemus, relictis ad custodiendum urbem paucis, festinavimus ire Ramulam civitatem, quae est prope Lyddam. Ubi per 24 dies exspectavimus bellum ab Ascalonitis et Babylonicis contra nos fieri, ob id illic congregatis. Sed quia gens eramus rara, contra eos ire metuentes, non ivimus, ne si forte Ascalonae eis appareremus, intra moenia et aggeres suos recursu continuo nos interceptos interimerent. Propterea venire contra nos nolebant, quia sic evenire putabant. Quorum calliditate comperta, tandiu calliditatem eorum callidius callentes calluimus, usque animis eorum pavore marcescentibus, adversum nos venire penitus dimiserunt. Unde multi moram fastiditi, et egestate pressi, ab exercitu suo discesserunt. Quo audito, Joppem regressi sumus, et laudes Deo dedimus, eo quod a congressu eorum liberi sic facti eramus. CAPUT X. De praelio satis cruento Christianorum atque Turcorum, in quo Christiani vicerunt. Quod cum postea auribus ad eos semper intentis, per 70 dies quieti sustinuissemus, intimatum est regi adversarios nostros animositate iterata commoveri etiam nos appetere parari. Hoc autem audito, fecit rex gentem suam prompte congregari, de Hierosolyma videlicet, et Tiberiade, Caesarea quoque, et Caypha. Et quia necessitas nos urgebat, pro eo quam militum eramus egentes, monente rege, quicunque potuit de armigero suo militem fecit. Itaque milites nostri omnes, 240 tantummodo fuerunt, pedites vero 900. Qui autem contra nos, 11 millia militum, et 21 millia peditum simul erant. Hoc quidem sciebamus, sed quia Deum nobiscum habebamus, eos aggredi non formidavimus. Nec enim in armis, nec in gente multa confidebamus, sed in Domino Deo spem nostram omnino posueramus. Magna audacitas, sed non audacitas erat, imo fides et charitas. Quoniam pro amore illius sperabamus diligenter mori, qui pro nobis misericorditer morte dignatus est mori. Ivimus ad pugnam, vel mortem forte paratam. Illuc fecit rex portari Dominicae crucis signum, quod nobis praebuit salutare solatium. Die quodam de Joppe exivimus, sequenti vero contra eos bellavimus. Cumque ad eos appropinquassemus, et illi ad nos similiter, nobis ignorantibus, et cum speculatores eorum de specula nostra prospexissemus, subsequentiam caeterorum statim intelleximus. Et cum rex cum quibusdam de suis ulterius progrederetur, prospectans a longe vidit tentoria eorum extensa in planis candescere. Quibus visis, mox equo calcaribus puncto, ad nos postremo cucurrit, et quod viderat cunctis manifestavit. Unde exsultare coepimus, cum bellum fore didicimus, quoniam id fieri desiderabamus. Si enim ad nos non venirent, nos utique ad eos iremus. Melius enim erat nobis in planis vastis praeliari, ut cum superati essent, Domino suffragante, longior eis fuga fieret. Unde in fuga majus haberent detrimentum, quam si prope muros eorum cum eis congrederemur. Tunc jussit rex arma sumi, et armatis cunctis, acies nostrae decenter ad bellandum ordinatae sunt. Itaque nos in manus Dei fidenter committentes, adversus eos equitavimus. Abbas quidam, cui rex praeceperat, crucem Dominicam palam cunctis gestavit. Tunc rex milites suos his verbis pie affatus est: « Eia, milites Christi, confortamini, nihil metuentes. Viriliter agite, et in hoc praelio fortes estote, et pro animabus nostris, quaeso, pugnate, et nomen Christi omnino exaltate. Cui degeneres isti semper exprobrant, et viriliter conviciantur. Nativitatem ejus et resurrectionem non credunt. Quod si hic interieritis, beati nimirum eritis. Jam jamque aperta est vobis janua regni coelestis. Si vivi victores remanseritis, inter omnes Christianos gloriosi fulgebitis; si autem fugere volueritis, Francia equidem longe est a vobis. » His ita dictis, omnes ei assenserunt. Ad pugnam properant, cunctos mora longa molestat. Quem feriat, vel praecipitet, jam omnis cogitat. Et ecce gens detestanda nobis occurrens, dextra laevaque vehementer in nos irruit. Gens quoque nostra, licet paucissima, per sex acies divisa, sicut solent aucupes in multitudine avium, ita inter cohortes eorum ingentes, ADJUVA DEUS exclamantes, se inseruerunt. Quorum multitudo in tantum nos illico obtexit ut alius alium vel cernere vel cognoscere posset. Jamque repulerant, jamque quassaverant duas anteriores acies nostras, cum huic negotio intuitus festinantissime rex a parte postrema subvenit. Ubi enim virtutem hostium validiorem esse spectavit et cognovit, accelerato cursu cum scara sua, impetui nefandorum viriliter se obdidit, et coram potentioribus eorum hasta vibrata, in qua signum pendebat album, ictu lanceae percussit Arabem unum sibi obvium; in cujus omento cum ad terram de sonipede illum praecipitaret, idem signum memoratum remansit. Lanceam autem inde extorsam, sicut ipse proprius astans cernebam, ad laedendum alios prompte detulit. Hinc isti, hinc illi fortiter pugnabant. Videretis utique horae spatio non modico multos equos sessoribus vacuos. Videbamus terram nimis occupatam de scutis vel pectis, de pugionibus et pharetris, arcubus et sagittis de Sarracenis et Aethiopibus tam mortuis quam morti vulneratis. Similiter de Francis, sed non de tantis. Aderat ibi crux Dominica inimicis Christi valde contraria; contra quam gratia Dei pompa eorum praevalere non potuit. Sed ac si praesentia ejus verecundi effecti, non solum nos invadere cessaverunt, verum etiam pavore coelitus percussi omnes, in fugam celerem suam verterunt sententiam. Qui tunc habuerunt equum volucrem, fugiendo evaserunt mortem. Taedium erat colligere tot scuta, tot missilia, tot arcus et sagittas, quae in campis fugitivi jecerant. Tot corpora, quae ibi jacebant exanimata, si quis vellet ea dinumerare, deficeret utique in computatione. Fertur tamen quinque millia ex eisdem militibus et peditibus ibi peremptos fuisse. Dux etiam Babylonensis militiae, qui eam ad bellandum adduxerat, cum caeteris interiit. De nostris vero militibus 80 perdidimus, de peditibus vero amplius. Probissime illo die rex se habuit. Optimus consolator, rigidus percussor exstitit. Milites quoque sui, quamvis essent pauci, erant probissimi. Certamen illud non diu fuit anceps. Illi enim tempestive fugerunt, hi vero prompte eos fugaverunt. CAPUT XI. Quanti de Christianis ibi corruerint. O bellum insontibus odiosum, et intuentibus perhorridum! Bellum, quia non bellum; nam per antiphrasim est dictum. Bellum cernebam, mente nutabam, ictus timebam. Omnes in ferrum ruebant, ac si mortem nunquam timerent. Dira calamitas, ubi nulla charitas. Fragor erat nimius de mutuis utrobique percussionibus. Hic percutit, ille corruit. Hic nescit misericordiam, nec ille quaerit eam. Hic perdit pugnum, ille vero oculum. Mens refugit humana, ubi talis cernitur miseria. Mirabile quidem dictu! in capite vicimus; in cauda vero superati sumus. In cauda Christiani ruunt, in capite autem Sarracenos vincunt. Hos fugavimus usque Ascalonem, illi autem peremptis nostris mox equitaverunt usque Joppem. Itaque die illo nullus rei scivit exitum. Cumque tam occidendo quam fugando rex et sui campos de eis evacuassent, jussum est ut in eorumdem tentoriis, quae fugitivi reliquerant nocte illa, quiesceremus. Jussum est, et factum est.
Septenas Idus Septembris cum legeretur, CAPUT XII. De sorte varia praelii hujus. Sequenti autem die, cum in papilione regis missam audissemus de Nativitate almae virginis Mariae, unde solemnitas erat in illa die, oneratis jumentis nostris de rebus hostium nostrorum, de pane scilicet, et annona, farinaque, necnon tabernaculis eorum, praeceptum est monente salpista Joppem regredi. Qui cum regrederemur. et Azotum quintam urbem Philisthinorum nunc desertam transivimus, Ibenium quam modo vocant, obvios nobis aspeximus Arabes fere quingentos, a Joppe revertentes. Qui die belli cucurrerant illuc, et praedam, quam forinsecus invenerant, arripuerant. Nam cum caedem de peditibus nostris in postrema parte fecissent magnam, et in dextro cornu unam aciem penitus consumpsissent, et anteriores sicut postremos victos esse crederent, assumptis occisorum scutis et lanceis, atque galeis lucidis, de quibus se pompatice ornaverant, properantes statim usque Joppem, monstraverant arma nostra Joppitis, dicentes regem et omnes suos in bello esse peremptos. Quod cum audissent qui in Joppe custodes remanserant, quia veri erat simile, admirantes valde exterriti sunt, et dictis eorum fidem adhibuerunt. Arabes autem illi, cum putassent ab exterritis civibus urbem illico sibi reddi, cogitationibus suis adnihilatis, nihil ibi amplius proficientes, Ascalonem regredi coeperunt. Qui cum nos regredientes ad Joppem perspexissent, suspicati sunt nos esse de gente sua; qui nobis omnibus in praelio occisis, reliquos Christianos versus Joppem conversantes appetere vellent. Unde valde mirabamur, cum tantum nobis appropiabant, nec Francos nos esse cognoscebant, donec milites nostros cita invasione aggredi eos viderent. Tunc videretis celerrime eos huc illucque fugere, ut nec alius alium exspectare vellet, et qui equum tunc non habuit agilem, caput mox gladio subegit. Sed quia Franci valde fuerant fatigati, et in praelio plures vulnerati, non potuerunt eos sequi. Illic sic abierunt, nos vero Joppem laeti pervenimus. CAPUT XIII. De Joppitarum missa legatione ad Tancredum principem Antiochiae. Quanta putatis fuit exsultatio, et gratiarum actio, cum de muri summo nos erectis vexillis revertentes cernerent, quos in Joppe remanere feceramus? Certe non est dictu minimum. Accurrerant enim illic duo nugigeruli, alter post alterum, qui Joppitas fefellerant, dicentes quoniam rex mortuus est cum suis omnibus. Qua de re ultra quam credi potest contristati, opinantes hoc esse verum, miserunt Tancredo legationem, qui tunc Antiochiae principabatur, in chartula scriptam; quam detulit nauta quidam carinam suam ascendens, hoc tractante regis conjuge. Epistola quidem illa haec verba continebat salutifera: « Tancrede vir praecipue, milesque quam optime, accipe hanc schedulam, quam tibi qui Joppem inhabitant, regina scilicet et urbis pauci cives, per me legatum festinum mittunt. Et ut magis forsan scripturae huic credas quam mihi, perlegi fac eam, quoniam, proh dolor! rex Hierosolymorum, qui contra Babylonios et Ascalonitas pugnam commisit, in congressu illorum devictus, vel forsitan cum suis omnibus, quos secum ad bellum perduxit, occisus est. Nam qui calamitatis hujus miseriam vix evasit, Joppem fugiens, hoc nobis deprompsit. Quapropter ad te virum non imprudentem venio legatus, opem quaeritans, ut omni occasione remota, indilate succurrere nitaris genti Dei valde anxiae, et ut reor metae vitae jam proximae. » Hoc dixit. Ille obaudiens parumper siluit. Sed cum hoc verum esse crederet quod audierat, prae grandi tristitia et dolore tam ipse quam omnes alii qui aderant, lacrymari pie coeperunt. Et responsione legato facta, jussus est fieri apparatus per totam terram suam ad succurrendum Hierosolymitanis. Et cum jam parati essent ad illud iter agendum, ecce subito venit brevigerulus alter, schedulam deferens alteram priori dissimilem, quam Tancredo porrexit. Nam quod de incommodo scriptum erat in priori, hoc de prosperitate repertum est in posteriori. Lectum enim hic est regem de bello sanum Joppem remeasse, et Sarracenos procul dubio magnifice superasse. Tunc ergo qui de detrimento doluerant, de bono successu gavisi sunt. O mira Dei clementia! Non in multitudine gentis vicimus, sed divina freti virtute eos dispersimus. Itaque ab hostibus sic erepti, Hierosolymam euntes Deo reddidimus laudes. Deinde per 8 menses bellorum quievimus immunes, donec anni revolutio tempus reduxit aestivum. |
Après que, de concert avec les Génois, nous eûmes fait de Césarée et de toutes les richesses que nous y trouvâmes ce qui nous convenait, nous y établîmes un évêque que nous avions élu en commun, y laissâmes une faible garnison, et marchâmes tous en hâte vers la cité de Ramla près de Lydda. Là nous attendîmes pendant vingt-quatre jours que les Ascalonites et les Babyloniens, rassemblés en ce lieu dans un même dessein, vinssent nous livrer bataille. Comme nous étions très-peu nombreux, nous n'osions aller à eux, de peur que quand nous les attaquerions devant Ascalon, eux, en revenant rapidement sur nos derrières, ne nous enfermassent entre les murs et leur camp pour nous massacrer plus facilement. Espérant réussir dans ce projet, ils voulaient se porter eux-mêmes contre nous; mais connaissant leur ruse, nous la déjouâmes si bien, et nous montrâmes pendant si long-temps plus rusés qu'eux, qu'enfin, glacés par la frayeur, ils abandonnèrent entièrement l'idée de nous attaquer, et que beaucoup d'entre eux, pressés par la faim et fatigués de l'attente d'une action, quittèrent leur armée. Aussitôt que nous en fûmes instruits, nous retournâmes à Joppé, remerciant et louant Dieu de ce qu'il nous avait ainsi délivrés de l'attaque de cette multitude.
Nous prêtions cependant toujours une oreille attentive à tout ce qu'on nous rapportait d'eux. Après que nous nous fûmes reposés pendant soixante-dix jours, on vint annoncer au roi Baudouin que les ennemis, écoutant de nouveau leur haine, faisaient quelque mouvement, et que, déjà prêts à nous attaquer, ils pressaient leur marche. A cette nouvelle, ce prince rappelle toutes ses troupes de Jérusalem, de Tibériade, de Césarée et de Caïphe, et les réunit en un seul corps. Comme la nécessité était urgente, et que nous n'avions qu'un très-petit nombre d'hommes d'armes, tous ceux qui le purent, firent, par l'ordre du roi, des hommes d'armes de leurs écuyers: de cette manière nous eûmes en tout deux cent soixante hommes d'armes et neuf cents hommes de pied. Nos ennemis comptaient onze mille hommes d'armes et vingt-et-un mille gens de pied; nous le savions, mais ayant Dieu avec nous, nous ne redoutions nullement d'en venir aux mains avec eux. Nous ne mettions en effet notre confiance ni dans les armes ni dans des troupes nombreuses, mais nous placions tout notre espoir dans le Seigneur notre Dieu. Notre audace était grande; mais ce n'était pas de l'audace, c'était plutôt de la foi et de l'amour. Nous étions en effet prêts à mourir par dévouement pour celui qui, dans sa miséricorde, avait daigné mourir pour nous: aussi marchâmes-nous résolument à cette bataille, dans laquelle le roi fit porter devant lui ce bois de la croix du Sauveur qui nous fut un si salutaire secours. Un certain jour donc nous sortons de Joppé, et dès le jour suivant nous allons chercher les Sarrasins pour les combattre. Comme nous approchions d'eux, eux de leur côté s'approchaient également de nous sans que nous le sussions. Aussitôt que, de l'endroit où nous observions leurs mouvemens, nous apercevons les éclaireurs des Infidèles, nous comprenons sur-le-champ que tout le reste de leur armée suit; le roi alors pousse plus avant avec quelques-uns des siens, et voit de loin leurs tentes déployées blanchir la plaine. A ce spectacle, il presse son coursier de l'éperon, revient à toute bride jusque vers nos derniers rangs, et nous fait connaître à tous ce qu'il a vu. A cette nouvelle nous commençons à triompher, espérant que la bataille après laquelle nous soupirons ne tardera pas à s'engager; s'ils ne venaient point à nous, nous étions décidés à aller à eux. Il nous valait mieux en effet combattre dans de vastes plaines, où, quand nous les aurions vaincus, avec l'aide du Seigneur, nous pourrions les poursuivre plus long-temps, et leur faire plus de mal dans leur fuite, que d'en venir aux mains avec eux dans le voisinage de leurs murailles. Le roi donne donc l'ordre de prendre les armes; tous le font, et l'armée est aussitôt rangée suivant les règles de l'art pour l'action qui se prépare. Remettant tous notre sort dans les mains du Seigneur, nous poussons nos coursiers contre l'ennemi. Un abbé, homme vénérable, porte et montre à tous le susdit bois de la croix du Sauveur; et le roi adresse alors à ses chevaliers ces paroles pleines de piété: «Courage, chevaliers de Jésus-Christ; ayez bonne confiance, et ne craignez rien; conduisez-vous en hommes; montrez-vous fermes dans cette action, et combattez pour le salut de vos ames; soyez attentifs à élever jusqu'aux cieux le nom du Seigneur Christ, que ceux-ci, comme des enfans dégénérés, ne cessent d'accabler d'injures et d'outrages, ne croyant ni à l'incarnation, ni à la résurrection du Sauveur. Que si vous périssez dans la bataille, vous serez placés au rang des bienheureux; car déjà la porte du royaume des cieux nous est ouverte; si au contraire vous vivez et obtenez la victoire, vous brillerez couverts de gloire entre tous les Chrétiens; mais si par hasard vous étiez tentés de fuir, souvenez-vous que la France est bien loin de nous.» A peine a-t-il fini de parler ainsi que tous applaudissent, et volent au combat; tout retard nous est insupportable; et chacun cherche quel ennemi il frappera, ou quel il renversera par terre. Voilà tout à coup que la gent détestée des Infidèles se présente au devant de nos pas, et fond impétueusement sur nous, à droite, à gauche et de tous côtes. De même que les oiseleurs ont coutume de se jeter tout au travers d'une foule d'oiseaux, de même notre troupe, divisée en six corps, quoique fort peu nombreuse, s'élance, aux cris de vive le Seigneur, au milieu de ces innombrables cohortes; leur multitude est en effet si grande qu'elle nous couvre entièrement, et qu'à peine pouvons-nous nous apercevoir les uns les autres. Déjà ils avaient repoussé et accablé deux de nos premières lignes; alors le roi Baudouin arrive en hâte des derniers rangs au secours des siens que presse un si grand péril. Aussitôt en effet que ce prince apprend et reconnaît que la force de l'ennemi l'emporte, il accourt à toute bride à la tête de son escadron, et s'oppose courageusement aux efforts de ces mécréans; il fait brandir, aux yeux des plus vaillans d'entre eux, sa lance à laquelle pend un drapeau blanc, et en frappe un Arabe qui ose se présenter devant lui; celui-ci tombe, précipité de son coursier; le drapeau demeure dans son cadavre; mais la lance, Baudouin la retire, et la met promptement en arrêt pour en percer d'autres Païens. D'une part ceux-ci, de l'autre ceux-là combattent vaillamment; dans le court espace d'une heure, vous eussiez vu de l'un comme de l'autre côté beaucoup de chevaux sans leurs cavaliers, ainsi qu'une grande étendue de terrain couverte tant de boucliers que de poignards et de Sarrasins et d'Ethiopiens ou morts ou blessés. Là est avec nous cette croix du Sauveur si redoutable aux ennemis du Christ; la foule superbe de ces Infidèles ne peut, grâces à Dieu, prévaloir contre elle; et sa présence les confond tellement, que non seulement ils cessent de fondre sur nous, mais que, frappés miraculeusement de terreur, ils ne songent qu'à fuir en toute hâte: heureux alors celui qui a un rapide coursier; il évite la mort en fuyant. Dans leur frayeur, les Païens jettent dans les champs tant de boucliers, d'arcs, de flèches et d'épées, de lances et de dards de toute espèce, que les ramasser était une véritable fatigue. Tant de cadavres gisent là étendus sans vie, que qui eût entrepris de les compter n'aurait pu en faire le dénombrement. On assure au surplus que les Sarrasins eurent quinze mille des leur tués, tant cavaliers que gens de pied; le gouverneur de Babylone, qui avait amené tous ceux de cette ville à cette bataille, fut massacré avec les siens. De nos chevaliers nous en perdîmes quatre-vingts, et des gens de pied encore davantage. En cette journée, le roi Baudouin se conduisit très-vaillamment, et se montra aussi excellent pour le conseil43 que ferme dans l'action. Ses chevaliers, quoiqu'en très-petit nombre, déployèrent également une grande bravoure; aussi le combat ne fut-il pas longtemps douteux: les uns eu effet saisirent vite le moment de fuir, et les autres les mirent promptement en déroute.
O bataille odieuse aux cœurs qui détestent le mal, et horrible pour ceux qui en étaient spectateurs! ô bataille, tu n'avais rien de beau, et c'est par antiphrase qu'on t'appelle Bellum! Je contemplais ce combat, redoutant chaque coup qui se portait, et le suivant des mouvemens de ma tête. Tous se précipitaient sur le fer, comme s'ils ne craignaient pas que la mort pût jamais les atteindre. Cruelle calamité qui ne laissait aucune place à la pitié! les coups qu'on se portait des deux côtés retentissaient avec un effroyable bruit. L'un frappait, l'autre tombait; celui-là refusait toute miséricorde, celui-ci n'en demandait aucune; l'un perdait l'œil, l'autre le poing. Le cœur de l'homme répugne à voir de telles misères. Ce qu'il y eut d'étonnant, c'est que notre armée, victorieuse à sa tête, fut vaincue à sa queue. Aux derniers rangs, les Chrétiens cédaient, et aux premiers ils repoussaient les Sarrasins. Nous forcions les Infidèles à fuir jusque dans Ascalon, et eux, après avoir massacré plusieurs des nôtres, couraient jusqu'à Joppé. Aussi ni nous, ni eux, nous ne connûmes bien le jour même le véritable résultat du combat. Cependant lorsque le roi et les siens eurent contraint les Païens, soit en les tuant, soit en les dispersant, d'évacuer le champ de bataille, ce prince prescrivit de se reposer cette nuit-là dans les tentes abandonnées par l'ennemi fugitif. Il fut fait ainsi qu'il était ordonné. Quand le calendrier marquait le septième jour de septembre, se donna cette bataille, bien digne certes d'être racontée, et dans laquelle la grâce du Seigneur fut l'auxiliaire des Francs.
Ce combat eut en effet lieu le sept de septembre, la troisième année de la prise de Jérusalem. Le lendemain, aussitôt que le roi eut, avec les siens, entendu dans sa tente la messe de la Nativité de la puissante vierge Marie, nous chargeâmes nos bêtes de somme de toutes les provisions prises sur les Sarrasins, telles que pain, froment et farine; et la trompette royale donna le signal de reprendre le chemin de Joppé. Comme nous y retournions, et que déjà nous avions traversé Azot, ancienne ville des Philistins et alors déserte, nous vîmes de loin devant nous cinq cents Arabes environ, qui revenaient en troupe de Joppé, où ils s'étaient portés le jour même de l'action, et sous les murs de laquelle44 ils avaient enlevé tout le butin tombé sous leurs mains. En effet, après avoir fait, comme il a été dit plus haut, un grand carnage des Francs à la queue de notre armée, ces Arabes, persuadés que nous étions tous pareillement vaincus, prirent les écus, les lances et les casques brillans des Chrétiens morts sous leurs coups, s'en parèrent pompeusement, et courant aussitôt à Joppé, montrèrent ces armes en disant que le roi Baudouin et les siens avaient tous été massacrés dans le combat. A cette vue ceux de Joppé, confondus d'étonnement, craignirent que ce que leur affirmaient les Sarrasins ne fût vrai: ceux-ci s'étaient flattés que peut-être les habitans, dans le premier moment de stupeur, leur rendraient la ville; mais, reconnaissant bientôt qu'il n'y avait là rien à gagner pour eux, ils se mirent en marche pour retourner à Ascalon. Lorsqu'en revenant de Joppé ils nous aperçurent de loin, ils nous crurent des leurs, et pensèrent qu'après avoir tué tous les Chrétiens dans la bataille, nous voulions aller chercher ce qui en restait jusque dans Joppé. Nous admirions comment, toujours sans nous reconnaître, ces gens nous approchaient de si près. Ils ne virent enfin qui nous étions que quand nos chevaliers fondirent sur eux et les attaquèrent: vous les eussiez vus alors se débander et fuir çà et là, sans qu'aucun d'eux attendît son compagnon; tous ceux d'entre ces Arabes qui n'avaient pas un agile coursier, tombèrent là sous le glaive; mais comme les Francs étaient écrasés de fatigue, et qu'eux ainsi que leurs chevaux avaient tous été blessés dans le combat, ils poursuivirent peu les Sarrasins; ceux-ci s'en allèrent donc, et nous arrivâmes pleins de joie à Joppé.
Pensez un peu quels cris de triomphe partirent de cette ville, et que de louanges on y prodigua au Seigneur, quand ceux qui y étaient restés nous virent, du haut de l'observatoire placé sur la muraille, revenir les bannières déployées! Ce ne serait pas une petite lâche de le dire. Deux fabricateurs de nouvelles étaient accourus en effet à Joppé, l'un après l'autre, et avaient trompé les habitans, en racontant que le roi Baudouin et les siens avaient été complétement défaits, et, ce qui est bien pis, massacrés probablement tous. Contristés plus qu'on ne saurait le penser de ce récit, et le croyant vrai, ceux de Joppé envoyèrent à Tancrède, qui alors gouvernait dans Antioche, un message écrit sur une petite feuille de parchemin, qu'un certain marin, montant sur sa barque, porta en toute hâte à Antioche, par l'ordre de l'épouse du roi. Cette dépêche sollicitait en ces termes un prompt secours: «Tancrède, homme illustre et excellent chevalier, reçois cette cédule, que la reine et les habitans de Joppé t'adressent en toute hâte par moi leur messager; et comme peut-être tu en croiras plutôt cet écrit dûment scellé que moi, lis-le. O douleur! le roi de Jérusalem, Baudouin, a donné une grande bataille contre les Babyloniens et ceux d'Ascalon; dans cette affaire, il a été vaincu, et peut-être même tué avec tous ceux qu'il avait conduits à cette guerre. C'est du moins ce que nous affirme un Chrétien qui, en fuyant jusqu'ici, a échappé aux malheurs de cette défaite. C'est pourquoi, moi messager, je viens vers toi, qui n'es pas un homme imprudent, afin de solliciter ton aide. Prends donc conseil des tiens, et hâte-toi de t'efforcer de secourir le peuple de Dieu, maintenant dans un grand trouble, réduit à un petit nombre et touchant, comme je le crois, à sa dernière heure dans la Palestine.» Telle était la dépêche que lut le messager. Tancrède après l'avoir entendue garda quelques instans le silence; puis, comme il croyait vrai ce qu'on lui mandait, lui et ceux des siens alors présens, transportés de douleur et de chagrin, fondirent tous en larmes. Ce prince chargea ensuite le messager de sa réponse, et ordonna que chacun se tînt prêt à marcher au secours des Chrétiens plongés dans une telle détresse. Déjà ceux d'Antioche étaient sur le point de se mettre en route; mais voilà que tout à coup un autre messager apporte à Tancrède une seconde cédule entièrement différente de la première: au lieu en effet des tristes nouvelles que contenait celle-ci, celle-là n'en renfermait que d'heureuses; on y lisait que le roi Baudouin était rentré sain et sauf dans Joppé, après avoir entièrement vaincu les Sarrasins dans la bataille: aussi Tancrède et les siens, qui s'étaient si fort affligés de nos revers, se réjouirent grandement de nos succès. O admirable clémence de Dieu! Ce n'est pas en effet le nombre de nos troupes qui nous rendit vainqueurs; l'appui seul de la force du Seigneur nous fit disperser les Infidèles; parce que nous mettions notre espérance en Dieu seul, loin de faire pour nous moins que ce que nous souhaitions, il nous accorda, dans sa bienveillante munificence, le don d'une victoire complète. Ainsi arrachés miraculeusement des mains de nos ennemis, le roi et nous nous retournâmes à Jérusalem; et après y avoir payé au Seigneur un juste tribut de louanges, nous y goûtâmes les douceurs d'un tranquille repos pendant huit mois, et jusqu'au moment où la révolution de l'année ramena la saison de l'été.
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CAPUT XIV. De exercitu Babylonico contra Christianos coadunato.
Anno autem sequenti 1102 mediante Maio congregati sunt apud Ascalonem Babylonii, quos rex eorum huc miserat, ut nos Christianos omnino destruere niterentur. Erant enim ibi 20 millia equitum, et 18 millia peditum, exceptis clitellariis, qui camelos asinosque victualibus onustos minabant, gestantes in manibus ad pugnandum clavam et missilia sua. Hi quidem die quodam urbem Ramulam adierunt, et ante eam tabernacula sua extenderunt. Porro in una civitatis arce munita erant 15 milites, quos rex ibi custodes posuerat; ante quam Syri quidam ruricolae versabantur quasi suburbani. Hos quidem Christianos Sarraceni persaepe nocentes et deturbantes destruere conabantur, et arcem illam diruere, quia propter eos inhabitantes non poterant per plana illa libere discurrere. Insuper ejusdem urbis episcopum, qui in ecclesia Sancti Georgii manebat cum clientela sua, comprehendere moliebantur. Quod monasterium cum die quodam incursu malevolo circuissent, considerata loci firmitate, Ramatha redierunt. Episcopus autem ille cum fumos flammasque inspexisset, ignibus eorum accensis jam in culmis, timuit ne ab eis ad eum remeantibus obsideretur. Et praecavens in futurum, mandavit confestim regi, qui in Joppe inerat, ut ei festinanter succurreret, quoniam Babylonii ante Ramulam hospitati erant, de quibus cohors una jam circa monasterium suum irruentes cucurrerant. Quod cum audisset rex, sumptis armis suis equum ascendit concitus, quem militia ejus, ipso jubente, et cornu regio monente, citissime secuta est. Aderant tunc in Joppe milites quamplurimi, qui ventum praestolantes opportunum, in Franciam redituri transfretare optabant. Hi equidem equis carebant, quoniam in anno praeterito cum per Romaniam peregre Hierosolymam pergebant, equos suos et omnia quae habebant amiserant. Unde mentio hic non incongrue interserenda est. CAPUT XV. De secunda Francorum miserabui peregrinatione, et de morte Hugonis Magni. Cum Francorum exercitus ingens, ut dictum est, Hierusalem tenderet, aderant in illa multitudine simul Willelmus Pictaviensium comes, et Stephanus comes Blesensis, qui ab Antiochia relicto exercitu discesserat; sed quod tunc reliquerat, nunc restaurare satagebat. Cum his Hugo Magnus erat, qui post Antiochiam captam in Gallias repedaverat. Aderat cum his Raymundus comes Provincialium, qui apud Constantinopolim moratus erat, postquam de Hierusalem huc usque regressus fuerat. Aderat quoque Stephanus Burgundiae comes nobilis, adjecto populo innumero, de equitibus et peditibus exercitu bipartito. His in Romaniae finibus obstitit Soliman Turcus, cui jamdiu Franci Nicaeam urbem abstulerant. Sed detrimenti sui non immemor, cum multitudine Turcorum magna exercitum Francorum infeliciter dispersit, et confudit, et totum fere ad interitum advexit. Sed quia Domino providente catervatim per plures incedebant vias, nec contra omnes dimicare, nec omnes occidere potuit. Sed quia eos fatigatos, et fame et siti anxios, atque pugnae sagittariae indoctos esse didicit, magis quam centum millia equitum atque peditum gladio peremit. De mulieribus nempe alios occidit, alios secum adduxit. Multi vero per devia fugientes et montana, et siti angustia et exstincti sunt. Quorum equos et mulos, jumenta quoque et ornamenta multiformia Turci habuerunt. Illic perdidit comes Pictaviensis quaecunque habebat, familiam atque pecuniam suam. Vix etiam mortem evadens, pedes tantum, et prae miseria lugubris et confusus, Antiochiam pervenit. Cujus anxietati Tancredus compatiens, eum pie suscepit, et de bonis suis sublevavit. Quem Dominus ita castigans castigavit, sed morti non tradidit (Psal. CXVII, 18) . Hoc quippe, ut nobis videbatur, tam illi quam caeteris propter peccata eorum et superbiam contigit. Qui autem evaserunt, Hierusalem venire non distulerunt, excepto Hugone Magno, quem in Tharso Ciliciae defunctum sepelierunt. Qui cum Antiochiam pervenissent, alii per mare, alii vero per terram Hierusalem perrexerunt. Qui equum habere potuerunt, libentius per terram iverunt. CAPUT XVI. De captione Tortosae urbis. Cumque usque Tortosam venissent, quam Sarraceni tunc possidebant, non tardaverunt, sed per mare et per terram assilierunt. Quid morabor? urbem ceperunt, Sarracenos occiderunt, pecuniam eorum habuerunt, et postea iter suum carpere non desierunt. Sed molestum omnibus fuit, cum Raymundum comitem ibi remanere viderunt. Quem omnes Hierusalem secum iturum sperabant. Sed quia noluit, ibi remansit, urbem obtinuit, unde blasphemiam ei inferebant. Ultra deinde progredientes, transierunt Archas, et urbem Tripolim, Gibellumque. Inde venerunt ad meatum collis angustum, prope urbem Berithum. Illic eos rex Balduinus per 28 dies exspectaverat, custodiens interim viam illam, ne forte Sarraceni occuparent, et peregrinis transitum vetarent. Ipse enim rex legationem inde precatoriam habuerat ab exercitu illo veniente. Cumque regem sibi obvium illic invenissent, congratulati sunt valde, et osculis ad invicem datis, Joppem profecti sunt, ubi jam applicuerant qui per mare iverant CAPUT XVII. De miserabili praelio Christianorum atque Turcorum, in quo Christiani occisi, Turci victores fuerunt. Prope erat Pascha, et Hierusalem tunc adierunt, quia hoc desiderabant. Qui postquam solemnitatem ibi, ut mos est, peregissent, Joppem regressi sunt. Tunc quoniam inops erat comes Pictavlensis, et desolatus omnimoda egestate, navim cum paucis ascendens Franciam repatriavit. Tunc Stephanus Blesensis cum aliis pluribus transfretare voluit; sed in pelago vento ei obstante, nihil aliud quam reverti potuit. Qui tunc in Joppe jam de mari regressus erat, cum rex in equum suum, ut dictum est superius, ascendit, contra hostes iturus, qui ante Ramulam sedebant. Adhuc inibi erat Gaufridus comes quidam Vendoniensium, et Stephanus comes Burgundiae, et Hugo Liziniacensis frater Raymundi comitis. Hi cum equos ab amicis suis et cognatis quaerentes mutuati essent, mox in eos conscendentes, regem secuti sunt. Hoc siquidem in modestia regis magna fuit, qui gentem suam exspectare neglexit, nec ordinate, sicut oportet sapienter ire, ad bellum processit. Sed absque peditibus milites suos exspectans, acceleravit hostes appetere, donec ignoranter intra multitudinem Arabum se infixerit. Et quia in probitate sua plus quam deberet confidebat, nec plures esse quam mille vel septingentos sperabat, ideo sic properabat, ut, antequam, refugerent obvius illis veniret. Sed cum exercitum eorum subito intuitus esset, timore perterritus animo infremuit. Attamen consolationis valetudinem assumens, respexit suos, quos pie alloquens, ait: « O milites Christi, et amici mei, nolite bellum hoc respuere; sed armati Dei virtute, pro vobismetipsis viriliter pugnate. Nam sive vivimus, sive morimur, Domini sumus (Rom. XIV, 8) . Quod si quis fugere tentaverit, jam non est spes evadendi. Pugnando vincetis, fugiendo cadetis. » Tunc autem, quoniam locus et tempus erat monstrandi probitatem, repente in Arabes forti impetu se impegerunt. Et quia non erant nostri plusquam 200 milites, a 20 millibus circumplexi sunt. Qui cum a pressura gentilium gravissime cohiberentur, et major pars nostrorum minimae horae spatio perempta occidisset, onus hujusmodi ferre nequiverunt, quin residui in fugam verterentur; sed licet tam male eis acciderit, prius in eos probissime ulti sunt. Nam plures ex eis occiderunt, et de campis ejectos tabernaculis suis privaverunt. Denique Deo permittente, a superatis superati sunt. Evasit autem rex gratia Dei, et nobiliores militiae suae aliquanti; qui cursu cito in urbem Ramulam se intruserunt. Non enim longius fugere potuerunt. CAPUT XVIII. De fuga regis Balduini. Rex autem cum nollet se ibi includi, mallens alibi mori quam ibi utiliter intercipi, accepto protinus consilio, committens se tam morti quam vitae, foras exire conatus est. Et adhibitis sibi tantummodo quinque collegis, quos tamen non diu habuit, quoniam ab adversariis retenti sunt, cursu praepetis equi montana fugiens petiit. Itaque Dominus eum de manibus inimicorum suorum fortiorum eripuit. Qui libenter tunc Arsuth proficisceretur, si posset, sed hostibus ei obsistentibus, illuc ire nequivit. Hi etiam, qui in urbe Ramulensi remanserant, postmodum extra ostium exire non potuerunt. Ab impia enim gente undique obsessi, denique, proh dolor! ab eisdem sunt comprehensi. Quorum quosdam occiderunt, quosdam vero secum vivos abduxerunt. Episcopus autem cum in ecclesia S. Georgii hoc infortunium contingi audisset, Joppem furtive aufugit. Heu! quam nobiles et probos milites ea tempestate amisimus, tam in bello prius quam in turre jam dicta posterius! Occisus est enim Stephanus Blesensis comes, vir prudens et nobilis; Stephanusque alter Burgundiae comes. Extorserunt se inde tres milites, qui plagis et ictibus vehementer afflicti, cursu fugitivo Hierusalem nocte sequenti equitaverunt. Qui urbem ingressi, infortunium quod acciderat civibus propalaverunt. De rege autem, sive viveret, sive mortuus esset, nihil se veri scire dixerunt. Unde statim luctus non minimus est ortus. CAPUT XIX. Quod rex ingressus est Arsuth. Rex autem cum nocte sequenti pro timore Arabum in montanis delituisset, die tertio cum uno tantum milite et armigero ejus de montanis egressus, tanquam quilibet incognitus erroneus, per devia desertorum esuriens et sitiens, Arsuth oppidum suum est ingressus. Una quidem res illa saluti fuit, quod paulo ante illinc recesserant quingenti hostiles milites, qui aliquandiu murum oppidi quasi exploratores circuierant. Quos nequaquam evasisset, si ab eis visus esset. Ingrediente autem rege Arsuth, gaudenter a suis suscipitur. Comedit et bibit, et tutatus dormivit. Hoc enim humanitas desiderabat. CAPUT XX. Quod Hugo de Tiberiade, atque patriarcha Hierosolymitanus, in auxilium regis properaverunt; et de bello peracto Christianis videntibus virtute et auxilio sanctae crucis. Ipso die ecce Hugo de Tiberiade civitate veniens, unus de optimatibus regis, qui jam confusione ejus audita solatium aliquod genti residuae impendere optabat. Quo viso, laetatus est rex valde. Habebat enim secum octoginta milites, quibus opus erat negotio imminenti. Legatione a Hierosolymis habita, subvenire Joppitis accelerabat; sed non est ausus rex eos ducere per terram propter hostes viatoribus insidiantes; sed intrans in unam cimbam navigavit Joppem. Et cum applicuisset portui, cum gaudio magno susceptus est, quia juxta illud Evangelii: Mortuus fuerat et revixit, perierat et inventus est (Luc. XV, 32) . Et quem mortuum jam deplorabant, nunc vivum et sanum vident. Sequenti vero die egressus est Hugo praedictus de Arsuth, et Joppem pavidus properavit. Cui rex in adjutorium properavit, ne ab hostibus in via oppugnaretur. Cumque Joppem pervenisset, consilio non diutius prolongato, regem monuit necessitas, ut illos, qui Hierusalem et apud Sanctum Abraham ierant, mandando venire Joppem faceret: ut bellum item cum Arabibus committeret, qui Joppem machinabantur comprehendere, prope hospitati. Dum autem meditaretur, quem illuc legatum mitteret, vidit ibi quemdam Syrum hominem humilem, et habitu vilem; quem obnixe precatus est, ut pro Dei amore hanc legationem facturus susciperet, quia non inveniebat qui eam explere valeret. Non enim audebat per viam gradi quispiam propter hostiles insidias. Is autem, suscepta ex Deo audacia, nocte sub opaca, ne ab inimicis videretur, per invia et loca satis aspera incedere non differens, die tertio fessus valde Hierusalem pervenit. Cumque rumorem desiderabilem de rege civibus innotesceret, et vivum eum declararunt esse, Domino omnes debitas inde referunt laudes. Nec mora longior fuit. Scripto quod tulerat lecto, parati sunt illico milites quot ibi reperiri potuerunt. Nonaginta, ut reor, tam de militibus quam de illis qui equos habere vel jumenta potuerunt, sed quamvis voluntarie, tamen satis timide ascendentes, illuc ire non distulerunt. Hostium quidem subsistentium insidias pro posse vitantes, et per devia euntes, a parte Arsuth divertentes iter suum deduxerunt. Qui cum juxta littus maris perpropere graderentur, occurrerunt eis gens nefaria, qui sperabant eos illic intercipere et occidere. Quorum aliquibus oportuit jumenta sua ibi relinquere, et in maris undas ad natandum se jactare, ut dolor dolori medicina fieret. Illo enim natatu ab impiis eruti sunt, jumenta perdiderunt. Milites vero equos habentes agiles deferendo se Joppem pervenerunt; vix tamen evaserunt.
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L'année suivante, l'an 1102, et vers le milieu du mois de mai, les Babyloniens se réunirent en corps d'armée à Ascalon. Leur roi les y avait envoyés avec ordre de n'épargner aucun effort pour nous détruire entièrement, nous autres Chrétiens. Ils étaient au nombre de vingt mille cavaliers et de dix mille hommes de pied, tant Sarrasins qu'Ethiopiens, sans compter les conducteurs des bêtes de somme, qui, tout en faisant marcher devant eux les chameaux et les ânes chargés de vivres, portaient chacun dans leurs mains des massues et des traits pour combattre au besoin. Ces Infidèles marchèrent donc un certain jour sur la ville de Ramla, plantèrent leurs tentes devant ses murs, et dévastèrent tout autour les récoltes déjà mûres. Quinze hommes d'armes à qui le roi avait confié la garde de cette cité, étaient dans une tour fortifiée, au pied de laquelle se trouvait une espèce de faubourg qu'habitaient quelques Syriens, laboureurs de leur métier. Les Sarrasins, qui souvent tourmentaient et troublaient ces pauvres Chrétiens, tâchaient de les écraser tout-à-fait, et de renverser de fond en comble la tour, dont la garnison les empêchait de parcourir la plaine librement; ils avaient même formé le projet d'enlever, avec toute sa suite, l'évêque de la ville, qui demeurait à quelque distance45 dans le couvent de Saint-George. Un certain jour donc, ils se portèrent méchamment vers ce monastère, et le cernèrent; mais après avoir bien examiné la force de ce lieu, ils retournèrent sous les murs de ladite cité. Cependant l'évêque qui vit la flamme et la fumée s'élever des feux allumés par les Païens autour de Ramla, craignit de se voir bientôt assiégé par eux. Prenant donc ses précautions contre le péril futur, il dépêcha sur-le-champ un messager vers le roi Baudouin, alors à Joppé, et lui manda de venir en toute hâte secourir Ramla, devant laquelle étaient campés les Babyloniens, dont une bande avait déjà même fait une incursion autour du monastère que lui évêque habitait. A cette nouvelle, le roi prit ses armes, s'élança sur son cheval, et, au premier signal de son cor, fut promptement suivi de tous ses chevaliers. A Joppé se trouvaient alors plusieurs chevaliers qui voulaient passer la mer pour retourner en France, et attendaient un vent favorable. Ils manquaient de chevaux, ayant perdu les leurs, ainsi que tout ce qu'ils possédaient, l'année précédente, lorsqu'ils se rendaient à Jérusalem par la Romanie. Il ne sera donc pas hors de propos de faire ici mention de l'expédition à laquelle prirent part ces chevaliers46.
Une grande armée de Francs s'était mise en marche pour Jérusalem: elle avait pour chefs Guillaume, comte de Poitiers; ce même Etienne, comte de Blois, qui laissant notre armée nous avait quittés dès Antioche, et s'efforçait maintenant de renouveler l'entreprise qu'il avait d'abord abandonnée; avec eux se trouvaient encore Hugues-le-Grand, qui après la prise d'Antioche retourna dans les Gaules; le comte Raimond, qui à son retour de Jérusalem séjourna longtemps à Constantinople; Etienne, comte de Bourgogne, et beaucoup d'autres nobles hommes, suivis d'une foule innombrable de chevaliers et de gens de pied. Cette armée s'était partagée en deux corps; à son entrée sur les frontières de la Romanie, le turc Soliman, à qui, comme on l'a dit plus haut, les Chrétiens avaient enlevé la ville de Nicée, vint s'opposer à son passage. Ce prince, que tourmentait le souvenir de son premier revers, tomba sur les Francs à la tête d'une immense multitude de Turcs, dispersa misérablement leur armée, et la fit même périr presque tout entière. Comme cependant la sagesse divine avait permis que beaucoup de ces Francs marchassent en troupes par des chemins divers, Soliman ne put les combattre ni les exterminer tous; mais sachant qu'ils étaient écrasés de fatigue, tourmentés de la soif ainsi que de la faim, et archers inhabiles au combat, il en moissonna par le glaive plus de cent mille, tant chevaliers que gens de pied; des femmes, il massacra les unes, et emmena les autres avec lui; beaucoup de ceux même qui parvinrent à fuir à travers les montagnes et par des chemins détournés, moururent de soif et de besoin; enfin, chevaux, mulets, bêtes de somme, bagage de toute espèce, tout devint la proie des Turcs. Dans cette défaite, le comte de Poitiers perdit tout ce qu'il avait avec lui, suite et argent, n'ayant même évité la mort qu'à grand'peine: ce fut à pied et dans le plus déplorable état de misère qu'il parvint à gagner enfin Antioche. Tancrède, touché de compassion pour ses malheurs, l'accueillit avec bienveillance dans cette ville, et l'aida de son bien propre; on pouvait dire de lui: «Le Seigneur l'a châtié pour le corriger; mais ne l'a point livré à la mort47.» Il nous semblait, en effet, que tant de maux n'avaient pu tomber sur lui et ses compagnons, qu'en punition de leur superbe et de leurs péchés. Ceux qui échappèrent au massacre ne renoncèrent cependant point à aller jusqu'à Jérusalem, à l'exception d'Hugues-le-Grand, qui mourut à Tarse, où les autres l'ensevelirent. Quand tous ils se furent réunis à Antioche, ils se rendirent à Jérusalem, les uns par terre et les autres par mer; mais ceux d'entre eux qui purent se procurer un cheval, préférèrent la route de terre.
Lorsqu'ils arrivèrent à Tortose, cité qu'occupaient les Sarrasins nos ennemis, ils ne souffrirent point que cette place les arrêtât; mais l'attaquèrent par terre et par mer avec une merveilleuse valeur. Que tardé-je à le dire? Ils prirent cette ville, massacrèrent les Sarrasins, s'emparèrent de tout leur argent; et après avoir achevé de charger de provisions pour la route leurs bêtes de somme, résolurent de continuer leur chemin. Ce fut alors à tous un grand chagrin de voir le comte Raimond rester dans Tortose. Tous, en effet, s'étaient flattés de l'espoir de l'emmener avec eux à Jérusalem; mais il refusa, demeura et garda pour lui la ville: ce que ses compagnons lui reprochaient comme un manque de foi. Ceux-ci poussant donc plus avant dépassèrent Archas, place forte fameuse, la ville de Tripoli ainsi que Gibel, et arrivèrent aux défilés qui se trouvent non loin de la cité de Béryte. Là, le roi Baudouin les attendit pendant dix-huit jours, et garda ce passage difficile de peur que les Sarrasins ne l'occupassent et n'en fermassent l'entrée à nos pélerins. Ce prince, en effet, avait reçu de leur armée une députation qui sollicitait son appui; et lorsqu'ils le trouvèrent ainsi venu au devant d'eux, ils s'en félicitèrent vivement, s'embrassèrent avec joie, et se rendirent avec lui à Joppé, où avaient aussi abordé ceux qui avaient choisi la voie de la mer.
Comme le temps de Pâques approchait, tous allèrent à Jérusalem, qu'ils desiraient tant voir; puis, après avoir visité les lieux saints, et pris part au splendide banquet donné par le roi Baudouin dans le temple de Salomon pour la célébration de Pâques, ils revinrent à Joppé. A cette époque, le comte de Poitiers, manquant de tout et réduit au désespoir, monta sur un vaisseau pour retourner en France, et se sépara de nous. Alors aussi Etienne de Blois et plusieurs autres voulurent également repasser les mers; mais une fois en pleine mer, ils eurent le vent contraire, et ne purent prendre d'autre parti que celui de revenir. Etienne de Blois était donc à Joppé quand le roi Baudouin monta son coursier pour marcher contre les ennemis, qu'on lui annoncait, comme on l'a dit plus haut, être campés devant Ramla. A Joppé étaient aussi Geoffroi, comte de Vendôme, un certain Etienne, comte de Bourgogne, et Hugues de Lusignan, frère du comte Raimond. Ceux-ci ayant obtenu que leurs amis leur prêtassent des chevaux, s'élancèrent dessus, et suivirent le roi. Ce fut à ce prince une grande et orgueilleuse imprudence de ne vouloir pas attendre ses troupes, de ne pas marcher comme il convenait au combat dans un ordre savamment combiné, de n'entendre à aucun avertissement, de partir sans ses gens de pied, de donner à peine à ses chevaliers le temps de le joindre, et de ne s'arrêter dans sa course que quand il vit devant lui, et plus près qu'il n'aurait voulu, la multitude des ennemis. Trop confiant dans sa valeur, il se flattait d'ailleurs que le nombre des Sarrasins n'excédait pas sept cents ou mille hommes au plus, et se hâtait de marcher à leur rencontre pour les atteindre avant qu'ils se missent à fuir. Mais quand il aperçut quelle armée il avait contre lui, frappé de terreur, il sentit frémir son ame; toutefois, embrassant avec courage un dernier rayon d'espoir, il se retourne vers les siens, les regarde, et leur adresse ces paroles pleines de piété: «O soldats du Christ, ô mes amis! ne songez pas à refuser la bataille qui s'apprête; mais, armés de la force du Très-Haut, combattez vaillamment pour votre propre salut. Que nous vivions, que nous mourions, nous sommes les enfans du Seigneur: que si quelqu'un de vous pensait à fuir, il ne lui reste plus aucune espérance d'échapper à l'ennemi; en combattant, vous vaincrez; en fuyant, vous périrez.» Comme c'était alors plus que jamais le cas de montrer de la valeur, tous fondent subitement, et avec une violente impétuosité, sur les Arabes; mais ils étaient à peine deux cents chevaliers, et les vingt mille Sarrasins les eurent bientôt cernés de toutes parts. Il ne saurait être douteux pour personne que le roi et les siens n'aient bravement combattu; cependant lorsqu'ils se virent si cruellement accablés par la foule pressée des Gentils, et qu'en moins d'une heure la majeure partie des nôtres était tombée sous les coups de l'ennemi, supporter plus long-temps le poids d'une telle lutte devenait impossible, et force fut à ceux qui restaient encore debout de prendre la fuite. Au surplus, quoique ce combat eût tourné si malheureusement pour les nôtres, ils ne cédèrent pas sans s'être vaillamment vengés des Sarrasins. Ils en tuèrent en effet un grand nombre; une fois même ils les chassèrent de leur camp, et se rendirent maîtres de leurs tentes; mais le Seigneur n'ayant pas permis qu'il en fût autrement, ils succombèrent enfin, vaincus par ceux dont eux-mêmes avaient triomphé d'abord. Grâces à Dieu cependant, le roi et quelques-uns de ses plus nobles chevaliers échappèrent aux mains de l'ennemi, et, ne pouvant fuir plus loin, se jetèrent à toute bride dans Ramla. Baudouin cependant ne voulait pas s'enfermer dans cette place, et aimait mieux courir le risque de mourir ailleurs que de se laisser prendre ignominieusement en ce lieu. Après s'être donc promptement consulté, il s'abandonne aussi indifféremment aux chances de la mort qu'à celles de la vie, et sort suivi seulement de cinq de ses compagnons: il ne peut pourtant les conserver long-temps avec lui; tous deviennent bientôt la proie de l'ennemi, et lui-même ne parvient à se sauver qu'en s'enfonçant d'une course rapide dans les montagnes. Dieu l'arracha donc ainsi une seconde fois aux mains des vainqueurs. Il se fût volontiers rendu alors à son château d'Arsuth, s'il l'eût pu; mais les ennemis fermant tous les passages, il lui fallut renoncer à ce projet. Quant à ceux qui étaient restés dans Ramla, ils ne trouvèrent dans la suite aucun moyen d'en sortir: assiégés de toutes parts, ils furent enfin, ô douleur! pris par la race impie des Sarrasins. Ceux-ci en laissèrent vivre quelques-uns, qu'ils emmenèrent avec eux, et firent périr les autres par le tranchant du glaive. Pour l'évêque, abandonnant son église de Saint-George, il saisit le moment favorable, et s'enfuit furtivement à Joppé. Hélas! que de vaillans chevaliers, que de braves soldats nous perdîmes vers ce temps-là, d'abord dans le combat sous les murs de Ramla, ensuite dans la prise de cette ville! Etienne, comte de Blois, homme noble et sage, y fut tué ainsi qu'Etienne, comte de Bourgogne; trois chevaliers, dont l'un était vicomte de Joppé, parvinrent toutefois à se soustraire aux mains des ennemis, et quoique couverts de graves blessures, se sauvèrent, la nuit suivante, de toute la vitesse de leurs chevaux, à Jérusalem. Dès qu'ils furent entrés dans la ville, ils racontèrent aux citoyens l'échec qu'avaient éprouvé les nôtres, et dirent que, quant au roi, ils ignoraient complétement s'il était vivant ou mort: ce qui causa aussitôt un deuil cruel et général.
Baudouin cependant après avoir passé la nuit suivante caché dans les montagnes, de peur de tomber aux mains de l'ennemi, sortit enfin de sa retraite, suivi d'un seul homme d'armes, son écuyer, et, prenant des routes détournées à travers des plaines désertes, arriva le troisième jour à Arsuth, mourant de faim et de soif. Ce qui alors sauva le roi, c'est que cinq cents cavaliers ennemis, qui peu auparavant avaient battu en furetant tous les alentours du château, venaient de s'éloigner; et certes ce prince n'eût pu leur échapper s'ils l'eussent aperçu. A son arrivée à Arsuth, les siens le recurent avec une grande joie; il mangea, but et dormit en sûreté: ce que la faiblesse de notre humanité lui rendait fort urgent.
Le même jour arriva de Tibériade Hugues, l'un des grands du roi; ayant appris notre défaite, il accourait porter quelque secours à ce qui pouvait rester de nos gens. Le roi fut d'autant plus aise de le voir, que Hugues amenait avec lui quatre-vingts hommes d'armes, dont ce prince avait un pressant besoin. Baudouin n'osa cependant les prendre avec lui pour retourner à Joppé par terre, de peur des embûches que les ennemis dressaient à ceux qui suivaient cette route; mais montant sur une barque, il gagna cette ville par mer. Aussitôt qu'il entra dans le port, on l'accueillit avec force transports de joie, parce que, conformément à ces paroles de l'Evangile, «mon fils était mort, et il est ressuscité; il était perdu, et il est retrouvé48,» on revoyait vivant et bien portant ce prince qu'on avait déjà pleuré comme mort. Le lendemain, ledit Hugues, sortant d'Arsuth, vint en toute hâte à Joppé avec les siens. Le roi était allé au devant de lui pour protéger son arrivée, dans la crainte qu'il ne fût attaqué par l'ennemi. Quand tous furent entrés dans la place, Baudouin, sans perdre temps à délibérer, et obéissant à la nécessité, manda près de lui tous les hommes restés à Jérusalem, afin d'aller, lorsqu'il les aurait tous réunis, combattre de nouveau les Sarrasins. Tandis qu'il cherchait quel homme il pourrait envoyer porter cet ordre dans la Cité sainte, il aperçoit un Chrétien syrien, vieillard de basse condition, couvert d'un méchant habit, et lui fait les plus instantes prières pour qu'il se charge de ce message par crainte de Dieu et par amour pour son roi. Personne en effet n'osait se hasarder dans les chemins, à cause des embûches dressées par les Infidèles; mais ce vieillard se sentant rempli par Dieu même d'une sainte audace, part au plus noir de la nuit de peur d'être aperçu des Païens, marche à travers des lieux âpres que ne traverse aucune route, et arrive le troisième jour à Jérusalem, excédé de fatigue. A peine a-t-il annoncé que le roi est vivant, et confirmé à tous les citoyens cette nouvelle, après laquelle ils soupiraient tant, que tous paient au Seigneur un juste tribut de louanges; puis, sans un plus long délai, les chevaliers, au nombre, je crois, de quatre-vingt-dix, s'apprêtent en toute hâte, et s'élancent sur leurs coursiers. Ceux des autres habitans qui peuvent se procurer un cheval montent dessus, et partent également. Tous se mettent en route de grand cœur, il est vrai, mais non pourtant sans beaucoup de frayeur. Evitant donc autant qu'ils le peuvent la rencontre des Infidèles, ils se dirigent du côté du château d'Arsuth. Comme ils marchaient en hâte le long du rivage de la mer, tout à coup se présenta la race cruelle des Gentils, qui se flattaient de leur fermer le passage, et de les exterminer entièrement dans cet endroit; quelques-uns des nôtres, cédant à la nécessité, abandonnèrent leurs bêtes de somme, se jetèrent à la nage au milieu des flots de la mer, et trouvèrent ainsi dans un mal le remède à un autre mal; car en nageant ils perdirent leurs bêtes de somme, mais évitèrent les coups de l'ennemi. Quant aux hommes d'armes qui montaient d'agiles coursiers, ils se défendirent vaillamment, et se firent ainsi jour jusqu'à Joppé.
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Rex autem adventu eorum exhilaratus, et admodum vegetatus, haud longius negotium suum differri voluit; sed mane sequenti militibus suis cum gente pedestri ordinatis, contra inimicos suos bellaturus exivit. Illi equidem non longe ab Joppe erant, sed quasi milliariis tribus; ubi machinas suas jam praeparabant, ut indilate Joppem obsiderent, et coarctatam comprehenderent. Sed cum gentem nostram contra se ad praelium ire spectarent, protinus sumptis armis suis, audacter exceperunt. Et quia multitudo magna erant, gentem nostram undique gyraverunt. Quibus inclusis, nihil eis ulterius nisi divinum auxilium prodesse potuit. Sed in omnipotentia Domini prorsus confidentes, ubi turmam densiorem et fortiorem viderunt, impetu mirabili ferire non distulerunt. Qui cum in una parte fortiter pugnando eos penetrassent, illico aliorsum eos recurrere necesse fuit, quoniam ut, pedites nostros absque protectione militum videbant, illuc statim festinantes extremos occidebant. Pedites tamen nostri non ignavi pluviam sagittarum invadentibus se tantam jaciebant, ut in visibus eorum et peltis multas infixas viderent. Itaque cum a peditibus sagittariis vehementer essent repulsi, et a lanceis militaribus multi sauciati, et de papilionibus suis jam privati, opitulante Deo Francorum obtutibus dorsa fugientes verterunt. Sed non sunt diu fugati, quia fugatores erant pauci. Tabernacula autem sua Francis in campo reliquerunt cuncta, stipendiumque totum. Equos quippe suos omnes abduxerunt fere, exceptis aliquantis plagatis, et in fuga siti exstinctis. De camelis eorum et asinis multos habuimus. Multi eorum cum fugerent, vel laesi, vel siti exasperati in via sunt mortui. Vere dignum erat et justum, ut qui ligno Dominicae crucis muniti erant, super inimicos ejusdem sanctae crucis victores existerent. Quod si in anteriore bello eadem crux alma cum rege deferretur, non est haesitandum quod populo suo Dominus propitiaretur. Sed sunt nonnulli plus in virtute sua quam in Domino confidentes, et in suo sensu nimium abundantes, et sapientum consilium spernentes, praecipitanter opus suum patrare praesumunt, et inconsulte. Unde saepe contingit detrimentum magnum non solum eis evenire, sed et multis aliis operis ejusdem expertibus. Unde solent tales plus Dominum inculpare quam stultitiam suam recognoscere. Qui cum stulte quidem inchoat, rei exitum non considerat. Equus paratur ad bellum, Dominus autem salutem tribuit. Si justi precatio non semper a Domino exauditur, quanto magis impii? Vel quare inculpat Deum, cum statim non ei adimplet desiderium suum? Cur exaudietur, cum nihil boni sit promeritus? Nonne ipse novit quid agendum sit in omnibus? Boetius circa hujusmodi dicit: « Quidquid citra spem videas geri, rebus quidem rectus ordo est, opinioni vero tuae perversa confusio. » Sed non rerum merita, sed fortunae spectat eventum stultus. Multoties quidem existimat homo id tunc sibi nocuum, quod postea vertitur ad proficuum, et contingit econtra cum alicui bene succedit, paulo post eidem evenire quod multum officit. Expleto bello, ut supra dictum est, in quo rex victor exstitit, tabernaculis eorum collectis, Joppem regressus est. Postmodum quievit terra, bellorum immunis, tempore sequenti, autumnali scilicet atque hiemali. |
Le roi, comblé de joie, et bien reconforté par leur arrivée, ne voulut pas différer d'un instant l'exécution de son projet; dès le lendemain matin, il rangea en bon ordre ses hommes d'armes ainsi que les hommes de pied, et partit pour aller livrer bataille à ses ennemis. Ceux-ci, qui n'étaient pas alors éloignés de plus de trois milles environ de Joppé, préparaient déjà leurs machines pour former le siége de cette ville, et en abattre les murailles à l'aide de pierriers; mais à peine voient-ils les Chrétiens venir les combattre, qu'ils prennent leurs armes et nous reçoivent audacieusement. Comme leur multitude était immense, ils ont bientôt entouré les nôtres de toutes parts. Ceux-ci se trouvent alors cernés complétement, et rien que le secours d'en haut ne peut les sauver; mais mettant toute leur confiance dans la toute-puissance du Seigneur, ils ne cessent de s'élancer, et de frapper tour à tour partout où ils voient la foule des Sarrasins plus épaisse et plus acharnée. Lorsqu'à force de combattre vaillamment ils ont enfoncé l'ennemi sur un point, il leur faut sur-le-champ se porter sur un autre: dès que les Infidèles voient en effet nos gens de pied cesser d'être protégés par nos hommes d'armes, ils se hâtent de courir sur eux, et massacrent ceux des derniers rangs; mais de leur côté les gens de pied ne se conduisent pas en lâches et font pleuvoir sur ceux qui les attaquent une telle grêle de traits que vous en auriez vu beaucoup enfoncés dans le visage et les habits des Sarrasins. Ceux-ci donc repoussés fortement par les archers à pied, couverts de blessures par les lances des hommes d'armes, et déjà même chassés de leurs tentes, grâces à l'appui que nous prête le Seigneur, tournent le dos aux Francs, et prennent la fuite. Malheureusement on ne put les poursuivre long-temps, car ceux qui les contraignaient à fuir étaient en trop petit nombre: du moins abandonnèrent-ils aux mains des Francs leurs tentes et les approvisionnemens de tout genre qui se trouvaient dans leur camp; quant à leurs chevaux, ils les emmenèrent tous avec eux, à l'exception de ceux qui étaient blessés ou morts de faim; mais nous leur prîmes bon nombre de leurs chameaux et de leurs ânes. Enfin, grâces à Dieu, pendant que ces Infidèles fuyaient, beaucoup d'entre eux, blessés ou dévorés de la soif, périrent dans les chemins. Il était certes juste et convenable que le parti protégé par le bois de la croix du Sauveur, que le roi faisait porter devant lui dans cette bataille, triomphât des ennemis de la croix: si, dans l'action précédente, cette même croix eût été portée devant les Chrétiens, nul doute que le Seigneur se fût montré favorable à son peuple, pourvu que le roi eût eu la sagesse de n'aller à ce combat qu'accompagné de tous les siens. Mais il est des gens qui se confient plus dans leur force que dans le Seigneur, abondent trop dans leur sens, méprisent les conseils des sages, et conduisent leurs affaires avec légèreté, imprudence et présomption; aussi arrive-t-il souvent que l'événement tourne non seulement à leur grand préjudice, mais encore à la perte de beaucoup d'autres, fort innocens de la sottise de leurs œuvres. Ces gens alors sont dans l'usage de s'en prendre à Dieu même de leur mauvais succès, plutôt que de reconnaître leur faute. Ne pas considérer la fin d'une chose, c'est l'entreprendre follement; «on prépare un cheval pour le combat, mais c'est le Seigneur qui sauve49.» Dieu n'écoute pas toujours la prière du juste, combien doit-il moins encore accueillir celle de l'impie? Et pourquoi serions-nous exaucés par le Seigneur quand nous ne l'avons pas mérité? Ou encore, pourquoi accuser le Très-Haut quand il ne satisfait pas nos desirs insensés? N'est-ce pas lui qui sait ce qu'il faut faire en toutes choses? Quoi que vous voyiez arriver de contraire à votre attente, croyez bien qu'un ordre juste et parfait préside aux événemens de ce monde, et qu'il n'y a désordre et confusion que dans votre opinion. Mais l'insensé considère non ce qu'il y a de vraiment bien dans les choses, mais seulement ce qu'en décide la fortune. Bien souvent l'homme regarde comme nuisible pour lui ce qui bientôt après, et grâces à la sagesse d'en haut, lui devient profitable; et il arrive que ce qui d'abord lui avait réussi tourne peu après à son grand désavantage. Le combat fini, et le roi étant, comme on l'a dit, demeuré victorieux, il fit plier les tentes, et revint à Joppé. Le pays ensuite délivré de toute guerre goûta un entier repos pendant l'automne et l'hiver suivant.
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CAPUT XXI. Quod rex Achon urbem obsedit. Anno 1103, tempore veris, cum Pascha ex more in Hierusalem celebrassemus, urbem Achon Ptolemaidam dictam rex cum exercitulo suo aggressus obsedit. Sed quia muro et antemurali fortis erat valde, non potuit eam tunc comprehendere, praesertim cum mirabiliter Sarraceni probissime intus se defenderent. Cum autem tam segetes quam virgulta eorum, hortosque devastasset, Joppem rediit. CAPUT XXII. De principe Boamundo a captivitate liberato. De domino autem Boamundo desiderabilis rumor exiit tunc divulgatus, quia de Turcorum custodia Dei gratia liberatus est. Ipse autem quomodo de captivitate redemptus exierat, per nuntium suum mandando notum fecit, et qui Antiochiae prius principatus fuerat, postea gaudenter a civibus suis susceptus, terram illam nobilitavit et possedit. Laodiciam civitatem, quam Tancredus postea ceperat, et hominibus imperatoris Constantinopolitani abstulerat, suscepit insuper Boamundus. Unde Tancredo de terra sua competenter tribuit, et eum sibi gratanter pacificavit. CAPUT XXIII. De rege usque ad mortem pene vulnerato. Tempore illo, rege Balduino contra Sarracenos more solito certante, contigit quodam die eum in paucos eorum irruere, et dum de interitione eorum jam certus sub spe gauderet, Aethiops unus pone rupem delitescens, callide insidiatus est ei, ut interimeret. Qui missili fortiter vibrato, prope cor regem a dorso profunde vulneravit. Quo ictu fere usque ad necem eum laesit. Sed cum postea se medicari sollicite studuisset, post incisionem etiam cicatricis vexatae sospes tandem effectus est. |
Au printemps de l'année 1103, après que nous eûmes célébré, comme de coutume, à Jérusalem la sainte Pâques, le roi attaqua la ville d'Accon, et en forma le siége avec sa petite armée. Mais il ne put s'emparer, ni par force, ni par ruse, de cette place que protégeaient une bonne muraille et de forts boulevards extérieurs, et où d'ailleurs les Sarrasins se défendirent avec la plus remarquable valeur. Après donc avoir dévasté toutes les récoltes, les vignes et les jardins des habitans, le roi revint à Joppé.
Alors se répandit la nouvelle, tant souhaitée de tous, que Boémond était enfin, grâces à la faveur du ciel, délivré de sa captivité chez les Turcs. Ce prince fit en effet connaître au roi par un message comment il avait brisé ses fers moyennant rançon. Antioche reçut avec des transports de joie ce guerrier, qui d'abord l'avait gouvernée le premier, et continua dans la suite d'y commander et de l'illustrer; outre cette ville, Boémond posséda encore celle de Laodicée que Tancrède avait prise de vive force et enlevée aux gens de l'empereur de Constantinople. En échange de cette place, Boémond donna une portion convenable de ses propres terres à Tancrède, qui en fut satisfait, et dont il se concilia d'ailleurs l'amitié.
Le roi Baudouin cependant faisait comme de coutume la guerre aux Sarrasins: un jour qu'il était tombé à l'improviste sur quelques-uns d'entre eux, se regardait déjà comme certain de leur mort et s'en réjouissait dans son ame, un Ethiopien, qui s'était caché derrière une roche, et embusqué ainsi adroitement dans l'intention de le tuer, le frappa d'un trait fortement lancé; le coup atteignit le roi par derrière, dans un endroit voisin du cœur, et fit une plaie si profonde que ce prince fut blessé presque mortellement. Toutefois, comme il mit par la suite tous ses soins à se bien guérir, il revint entièrement à la santé après qu'on eut pratiqué l'incision de sa blessure, qui le faisait beaucoup souffrir.
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CAPUT XXIV. De captione urbis Achon, quae vulgo Achra dicitur. Anno 1104, transacta hieme, cum in Hierusalem verno florente Paschae solemnia celebrata fuissent, rex Balduinus congregata gente sua profectus est Achon, et iterum obsedit eam. Ad quod venerunt Januenses cum classe 70 navium rostratarum. Et cum civitatem machinis et pervasionibus crebris per viginti dies circumcirca cohibuissent, perterriti valde Sarraceni, vellent nollent, reddiderunt eam regi. Erat enim nobis valde necessaria, quoniam inest ei portus adeo utilis ut inter moenia secura naves quamplurimas sane concipiat.
Jam novies orto gemino sub sidere Phoebo, Urbe autem sic capta, de Sarracenis plurimos occiderunt, quosdam vivere permiserunt; res eorum totas habuerunt CAPUT XXV. Quod Boamundus in Apulia transfretare disposuit. Aestivo deinde tempore evoluto, necessitate Boamundus nimia anxius, raro navigio transfretavit in Apuliam, terra sua tota Tancredo commissa. Cum eo tunc transiliit Daibertus, qui patriarcha Hierosolymorum fuerat, vir prudens, et consilio pollens. Ivit Boamundus, ut de transmarinis partibus gentem secum reduceret. Ivit autem Daibertus, ut causam suam et injuriam sibi a rege factam Romano papae innotesceret. Ivit, et impetravit, sed non rediit, quia in via obiit.
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L'année 1o4 depuis l'Incarnation de Notre-Seigneur, après que l'hiver fut passé, et que nous eûmes, au moment où fleurissait le printemps, célébré les solennités de Pâques dans Jérusalem, le roi réunit ses troupes, marcha sur Accon et en fit le siége. Les Génois, avec une flotte de soixante-dix navires à éperons, se rendirent également devant cette place. Pendant vingt jours on assaillit et l'on battit avec les machines la ville cernée de toutes parts; alors les Sarrasins, frappés de terreur, la rendirent bon gré mal gré au roi. Elle nous était d'autant plus nécessaire qu'elle a un port tellement commode qu'il peut recevoir et mettre en toute sûreté, dans l'intérieur même de ses murs, un grand nombre de vaisseaux. Déjà le soleil s'était levé neuf fois dans le signe des gémeaux, quand fut prise la ville d'Accon, autrement appelée Ptolémaïs. C'était dans l'année mil cent quatrième. Cette cité d'Accon n'est pas celle que quelques gens prennent pour Accaron: celle-ci est une ville des Philistins, et celle-là est connue sous le nom de Ptolémaïs. Lorsqu'on se fut emparé de cette place, on y massacra grand nombre de Sarrasins, et on permit à quelques-uns de vivre.
Quand ensuite l'été fut passé, Boémond, contraint par une dure nécessité, passa dans la Pouille avec un petit nombre de vaisseaux, commit la ville d'Antioche aux soins de Tancrède, et emmena Daimbert, qui avait été patriarche de Jérusalem. Boémond, homme prudent et d'une merveilleuse sagacité, faisait ce voyage pour recruter quelques troupes dans les contrées montagneuses de la Pouille. Quant à Daimbert, son but était de porter au pape de Rome ses plaintes de l'injure que lui avait faite le roi Baudouin. Il partit donc, obtint ce qu'il desirait, mais ne revint pas, parce qu'il mourut en chemin.
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CAPUT XXVI. Quomodo Antiocheni contra Parthos dimicantes capti, et quidam occisi sunt. Hoc anno, commoti sunt Parthi et Medi, atque Chaldaei, et qui in Mesopotamia habitabant affines nostri, ad nos Christianos impetendum, et omnimode pessumdandum. Quo rumore ad nos usque effuso, optimates universi ad excipiendos eos nihilominus se praeparaverunt. Et praeparati sunt sub festinantia domnus Boamundus et Tancredus, Balduinus quoque comes Edessenus, necnon et Goscelinus, et Daibertus ille Hierosolymitanus, atque archiepiscopus Edessenus, nomine Benedictus, cum turba militari simul et populari. Et Euphrate flumine praetergresso, Carraque deinde civitate prope flumen Achabor nominatum, hostium phalangibus obviaverunt, et commisso praelio statim juxta Racha, peccatis nostris exigentibus, in dispersionem et confusionem Christiani sunt dati. Quam pugnam longe omnibus anterioribus bellis fuisse atrociorem, rerum exitus monstravit. Ibi domnus capitur Balduinus comes Edessenus, rex quidem Hierosolymorum futurus, et a primo rege secundus, capiturque cum eo domnus Goscelinus cognatus ejus; cum his quoque praedictus archiepiscopus. Plurimi autem in memoratum flumen obruti, exstincti sunt. Equi et muli, et opum infinita copia est perdita. Domnus vero Boamundus, et domnus Tancredus, per devia et per diverticula passim fugientes, nec viam nec semitam utiliorem eligentes, errabundi et confusi tandem evaserunt. Multi etiam sagittis et pugionibus transfixi occubuerunt. Et qui Carram sine magna difficultate comprehendere possent, si eam in primis obsedissent, postea nec initio nec in reditu adipisci licuit. Et quoniam securitas interdum damnum fallendo generat, ita metus et sollicitudo emolumentum providis et timidis parat. Nocuit enim saepe, ut scriptum est, differre paratis. Huic siquidem negotio sive infortunio duo nimirum hostes, discordia et invidia, genti nostrae obfuerunt; qui etiam de acquisitis possessionibus ad nimiam egestatem inclinare solent homines. Hoc saepe vidimus, hoc experimento didicimus. Non fallor, nec ambage deceptoria pellicens, frivola commentor. Vere in hoc itinere tam periculoso, tam formidoloso, molestis verbis ad invicem exacerbantes, ante ruinam istam fere ab alterutra voluerunt secedere, et foedus mutuum corrumpere. Qui male facit, et bene sperat, ipse siquidem delirat. Nam sine pace, vel mutua dilectione, nihil est Deo acceptabile. Ignavum est igitur, vel nequissimum; ut illius deseram societatem, cui prodesse debeo usque ad mortem. Adjuvit autem Deus archiepiscopum Edessenum in vinculis jam positum. Quem cum de reculis suis et utensilibus ut jumentum Turci onerassent, patrocinio cujusdam militis armipotentis, qui pro eo animam suam charitative posuit, opitulante Deo de manibus eorum miro suo ausu eum eripuit. Non enim animam suam quam se pretiosiorem fecit. Multi itaque in hac nostra peregrinatione zelo Dei efferventes, et vitam suam breviari optantes, beato fine defungi, et cum Christo frui quiete studuerunt. Sicut quidam, aliquibus de nostris audientibus et videntibus, dum eram apud Antiochiam, cum audiret nomen Domini a quodam perfido cum magna dehonestatione blasphemari, vivifico spiritu animatus, dicto contradixit et facto. Et continuo calcaribus equum pungens, assistentibus in circo vivacissime interrogando intulit: « Si quis vestrum in paradiso coenare desiderat, nunc mecum veniat, et mecum prandeat. Jamjam enim abibo. » Qui mox lancea vibrata inter hostium millia se inserens, primum sibi obvium subruens interemit, licet interimens illico interimeretur. Itaque fide circumfultus et spe, munitusque charitate, feliciter occubuit. Quis unquam audivit tale? Adhuc positus in terris, jam gloriabatur in coelis. Propterea laetamini, coeli, et qui habitatis in eis. Et est nobis utique laetandum, et jucundandum, quia gaudent angeli de tanto consorte augmentati. Prope autem erat qui eum audiebat, et donativum ei pensabat, et sedem perennem parabat. CAPUT XXVII. De liberatione comitis Balduini, et de praelio inter ipsum et Tancredum. Cum autem annis fere quinque domnus Balduinus in vinculis tentus fuisset, datis obsidibus electis, fide interposita cum sacramento sub interminatione ut redemptionem redderet, cum postea ipsi obsides carceris custodes callidissime necassent, de carcere evasit. Unde adjutorem fidelissimum Goscelinum habuit; sed cum ad Edessam urbem suam postea rediit, introire in eam non potuit, quia Tancredus cum suis introitum ei vetuit. Denique quia hoc ratio fieri permisit, et propter jusjurandum quod domnus Boamundus antea interponi fecit, ut quocunque modo de captione quandoque exiret, sine controversia terram suam illi redderet, nec postmodum mora fuit, Balduinus et Goscelinus duo contra Tancredum tertium praelium commiserunt. Cui supplicanti, et pacem quaerenti, nullatenus acquiverunt. Sed Goscelinus, congregatis 7 Turcorum millibus, Tancredum importune ad praelium lacessunt, et adjuvantibus Turcis quingenti de clientela Tancredi ceciderunt. Et licet primitus fere vinceretur Tancredus, tandem, Deo juvante, cujus equitatum semper vidit vultus victor, in campo remansit victor honoris. Sed cum optimates terrae damnum nasci viderent, utrobique sumpto invicem utili consilio, ad concordiam eos reduxerunt. CAPUT XXVIII. Quod Boamundus in Gallias transfretavit. Tunc Boamundus in multis desolatus, ut superius jam dictum est, in Gallias transfretans est profectus. Ubi inter caetera negotia Philippi regis filiam nomine Constantiam, uxorem duxit, et in Apuliam reduxit, de qua filios duos habuit. Quorum quidem priore natu obeunte, posterior vero nomine quo pater nuncupatus haeres remansit.
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Pas de traduction pour ce passage (Philippe Remacle)
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(25) Évang. selon saint Matthieu, chap. XV, v. 21. (26) Rois, liv. II, chap. XXIV, v. 17. (27) Macch., liv. II, chap. II, v. 7. (28) Pour conserver leurs richesses, n'est pas dans le texte, mais a paru indispensable pour la clarté. (29) Même observation sur les mots, la prise de la ville, qui ne sont pas dans le texte, et ont paru nécessaires à la clarté. (30) Psaume 101, v. 7. (31 Le texte ne porte pas, les louanges du Seigneur; la clarté a paru l'exiger. (32) Le texte porte cicigno. Ce mot ne se trouve nulle part. Peut-être faut-il cygno ou cyono, cygne; alors le sens serait le cygne qui ombragerait un casque. Peut-être ne faut-il que signo, une marque, c'està-dire des cheveux de la tête; et dans ce cas il n'est pas impossible que l'auteur ait mis cygno, pour designer que Boémond, bomme d'une cinquantaine d'années, avait les cheveux blancs. (33) Le texte porte seulement itaque, donc; on l'a rendu par, sans avoir pu l'atteindre, pour plus de clarté. (34) Épît. aux Rom., chap. VIII, v. 31. (35) Lévit., chap. XXVI, v. 3 et 8. (36) Vers le point qu'indiquait le signal a paru nécessaire pour rendre illicò. (37) Ire Epît. de saint Paul a Thim., chap. III, v. 1. (38) Le texte dit simplement die illo; mais comme l'auteur parle du jour de 1101, où le feu a manque, il a paru nécessaire pour la clarté de traduire par la veille de Pâques de cette année. (39) Le texte ne porte pas de guillemets; mais la phrase suivante prouve que l'auteur rapporte les discours qu'on tenait pour consoler les simples. (40)Rois, liv. III, chap. VIII, v. 29 et 33. (41) Psaume 117, v. 24. (42) Dans ce premier siège, n'est pas dans le texte; mais la clarté a paru exiger cette addition. Il ne peut, en effet, être ici question que du premier siège, puisque plus haut il est dit que l'on se rendit maître du château sans perdre un seul homme. (43) Le texte porte consolator; mais il semble qu'il faut consultor. (44) Le texte dit seulement où; on a traduit, sous les murs de laquelle, pour faire voir qu'ils n'entrèrent pas dans Joppe, ce qui est dit plus bas. (45) A quelque distance n'est pas dans le texte; mais la phrase suivante, qui dit que les Sarrasins revinrent devant la ville, a paru nécessiter cette addition. (46) Le texte dit simplement, il ne sera pas hors de propos d'en faire ici mention. La suite a paru exiger, pour la clarté, plus de développement dans la traduction. (47) Psaume 117, v. 18, (48) Evang. selon saint Luc, chap. XV, v. 24. (49) Prov., chap. XXI, v. 31.
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