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ŒUVRES D'AUSONE

 

texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER

 

SOUVENIRS AUX PROFESSEURS DE BORDEAUX.

 

  parentales     épitaphes

 


 

ŒUVRES D'AUSONE

SOUVENIRS AUX PROFESSEURS DE BORDEAUX.

PRÉFACE.

VOUS aussi, vous à qui je tenais, non par les liens du sang, mais par la gloire, par l'amour sacré de notre chère patrie, par le goût des lettres, et par les laborieux devoirs de l'enseignement, hommes célèbres que la mort a ravis, vous aurez place en mes souvenirs. Un jour viendra peut-être où quelqu'un réveillera ainsi mes mânes, et voudra faire œuvre pieuse à mon exemple.

I. Tiberius Victor Minervius, orateur.

A TOI mes premiers chants, orgueil de Burdigala, Minervius[i], autre Quintilien de la toge des rhéteurs, toi dont les leçons jetèrent tant d'éclat autrefois sur Constantinople et sur Rome[ii], sur ta patrie aussi, qui ne peut lutter, il est vrai, pour la majesté du rang avec les deux autres, mais que son nom seul nous rend plus chère, parce que c'est la patrie. Que Calagurris[iii] se glorifie de Fabius qu'elle a vu naître ; il suffit que la chaire de Burdigala ne soit pas inférieure. Cette chaire a formé mille disciples pour le forum, deux mille pour les bancs du sénat, et pour les toges de pourpre, moi entre autres ; mais je tairai les gloires nombreuses de ma prétexte[iv] : je te chanterai pour tes propres mérites, et non pour mes honneurs. Veut-on te comparer à des panégyristes, on ne peut te placer que parmi les orateurs des Panathénées. Si tu développes en te jouant les controverses fictives de nos écoles, tu disputes la palme à Quintilien. Ta parole est comme un torrent qui déborde, mais qui roule de l'or, et non de la fange dans ses ondes. Et ce talent que Démosthène appela trois fois la première qualité d'un orateur[v], il était chez toi d'une force à surpasser Démosthène lui-même. Parlerai-je d'un autre don de ta nature, du divin bienfait de ta mémoire ? Il te suffisait d'entendre ou de lire une seule fois ce que tu voulais graver dans ton souvenir ; et on pouvait s'en rapporter à ton oreille comme à un livre. Nous t'avons vu un jour, après une partie longtemps disputée, rappeler un à un tous les coups du jeu[vi], tous les dés qui tour à tour étaient sortis en roulant précipitamment sur les gradins échelonnés dans les cavités du buis[vii], et redire sans te tromper chacun des points qui avaient été joués ou recommencés dans ces longues luttes. Aucun fiel n'a jamais noirci ton âme ; ton langage piquant et plein de sel aimait à plaisanter, mais avec douceur et sans mordre. Ta table avait cette recherche que la règle des censeurs n'aurait point condamnée, et Pison Frugi ne l'eût point désavouée pour la sienne. Quelquefois, à l'anniversaire de ta naissance, ou aux jours de fête, elle se parait avec plus de luxe, mais jamais assez pour affaiblir tes modiques revenus. Tu ne laissais point d'héritier, tu mourais à soixante ans, et pourtant nous t'avons pleuré comme notre père, comme un ami jeune encore. Et maintenant, s'il reste quelque chose de nous après l'heure suprême, tu vis encore avec le souvenir de la vie qui n'est plus ; ou, s'il ne reste rien, si nul sentiment ne subsiste en ce long repos de la mort, lit as du moins vécu pour toi, et nous avons ta gloire qui nous console.

II. Latinus Alcimus Alethius, rhéteur.

LA voix de la postérité ne m'accusera pas d'un silence impie, Alcimus[viii] ; elle dira que j'étais peu digne peut-être de célébrer ta mémoire, mais non que j'ai oublié celui-là seul que notre âge moderne oppose aux génies antiques, le vainqueur du forum, l'orgueil des Muses, modèle unique dans les lettres que la docte Grèce cultivait dans Athènes, ou que Rome cultive dans le Latium. Parlerai-je de tes mœurs, de cette conduite si régulière jusqu'au terme de la vie ? Malgré l'éclat de ta gloire et ton aptitude littéraire, tu refusas toujours de briguer les emplois. Nul n'eut plus de gravité, ni en même temps plus d'enjouement ; nul ne fut plus libéral envers les malheureux, à qui tu donnais la vie, s'ils étaient cités au forum, ou de doctes leçons, s'ils venaient aux écoles. Ils vivront éternellement dans la mémoire des hommes, ceux dont tu consacras la renommée. Julianus recevra par toi plus de célébrité[ix] que par le sceptre qui lui échappa si vite. Tes livres feront plus pour le nom de Sallustius, que n'a pu faire le consulat. Tes vertus, ta gloire, ton éloquence, voilà de beaux exemples donnés à tes fils. Pardonne, si mon style te blesse en voulant te plaire ; c'est la faste de l'amour que j'ai pour toi : je ne puis m'exprimer dignement, et pourtant je veux te rendre hommage, et je fais mal par envie de bien faire. Repose en paix, et rachète à force de gloire la perte d'un corps périssable.

III. Luciolus, rhéteur.

AU rhéteur Luciolus, mon condisciple, mon maître, puis mon collègue, nénie plaintive, un souvenir. C'était un homme éloquent, et qui savait plier aussi facilement sa pensée aux lois du mètre, que l'abandonner aux libres allures de la prose. Par une mort prématurée, Lachésis le ravit à sa patrie, laissant après lui deux enfants de l'un et de l'autre sexe. Mais ces héritiers n'ont point répondu à tes mérites, bien que ta gloire aujourd'hui profite à leur obscurité. Tendre ami, bon frère, époux fidèle, fils soumis, père.... je regrette que tu aies pu l'être. Aimable avec tes convives, tu ne cherchais jamais querelle à tes clients, tu ne parlais jamais avec humeur à tes esclaves. Puisque tu vécus en paix, que tes mânes aussi trouvent le repos et reçois d'Ausone, ami, cet hommage d'un adieu.,

IV. Attius Patéra, ou Pater, rhéteur.

BIEN que tu aies précédé en cette vie ceux dont je viens de parler, cependant, Patéra[x], comme ta parole célèbre était florissante encore en ces derniers temps, et que tout jeune je t'ai vu vieillard, je ne te priverai pas des honneurs de la nénie plaintive, maître de nos puissants rhéteurs. Tu étais Baïocasse[xi], et issu de la race des Druides, si la renommée n'est point trompeuse : ta famille tirait son origine sacrée du temple de Belenus ; delà vos noms : le tien, Patéra, qui, dans le langage des initiés, désigne les ministres d'Apollon ; celui de ton frère et de ton père, qu'ils doivent à Phébus[xii] ; et celui de ton fils, qui lui vient de Delphes[xiii]. Nul en ce siècle n'eut autant de lumières, et nul ne sut varier comme toi la marche et les tournures du discours. Doué d'une mémoire heureuse, d'une élocution facile, claire, harmonieuse, élégante, peu prodigue du sel de la raillerie, exempt de fiel, fuyant les excès de la chère et du vin, tu vécus chaste, enjoué, brillant de santé jusqu'en ta vieillesse même, qui fut la vieillesse de l'aigle ou du coursier.

V. Attius Tiro Delphidius, rhéteur.

ÉLOQUENT, éclairé, aussi prompt à exprimer qu'a concevoir, Delphidius, esprit agréable et enjoué, ton éloge suivra le funèbre éloge de ton père, comme ta gloire rivale suivait la sienne. Tu sortais à peine du berceau, que tu te fis connaître : chantre d'un dieu, et le front couronné de la guirlande olympique, enfant, tu célébras Jupiter. Et bientôt ta verve épique, emportée comme le torrent qui roule, courait sous les liens du mètre avec plus d'aisance que la parole de l'orateur dégagée des lois de la mesure. Ton éloquence, célèbre en plus d'un lieu, brilla dans la ville et hors des murs, quand tu parus, tantôt devant le chef de la cohorte prétorienne, tantôt devant les juges des provinces, pour te vouer à la défense de tes clients dont le nom ou la vie était en danger. Heureux, quand tu te, livrais à la culture des lettres, aux paisibles travaux des Muses ; quand de grands procès[xiv] ne soulevaient pas encore contre toi la haine et les armes forcenées de la vengeance ; quand tu ne cherchais pas encore à t'élever à la cour aux jours de désordre et de tyrannie[xv] ! Mais, sans cesse attiré par un espoir qui s'éloignait toujours, tu négligeas ce qui était sous ta main, et, voulant devoir ton bonheur à toi-même plutôt qu'à la fortune, tu ambitionnas beaucoup, passant par tous les titres et toutes les dignités, et méritant plus encore que tu n'obtins. De là surgirent les graves accusations qui suivirent ; mais on t'acquitta par pitié pour ton malheureux père. Ensuite, tu devins rhéteur ; et, peu assidu aux devoirs de l'enseignement, tu trompas l'attente des familles. La bonté de Dieu abrégea tes maux ; enlevé au milieu de ta carrière, tu n'as pas eu la douleur de voir les erreurs de ta fille égarée, et le châtiment de sa mère[xvi].

VI. A Alethius Minervius le fils, rhéteur.

FLEUR de notre jeunesse, riant espoir d'un père, trésor incertain donné à ta patrie, rhéteur Alethius[xvii], tu enseignas dès tes premières années, et tu fus professeur à un âge où sans rougir tu pouvais être disciple encore. Tu m'avais pas quitté la prétexte que déjà on te comparait, à ton père. Les remparts de la superbe Rome ont brillé de l'éclat de sa gloire et de ses mérites. Toi, tu te contentas de Burdigala, ta patrie ; tu portas l'étendard de la docte cohorte, après Nazarius[xviii], après Patera, et tu les surpassas l'un et l'autre. Malgré l'envie et ses rudes morsures, tu possédas tous les dons de la fortune. Mais la destinée ne t'avait enrichi que de biens périssables, elle te les donna vite, et te les enleva de même. Comme l'herbe du solstice, montré au monde et ravi aussitôt, tu disparus aux jours de ta puberté, abandonnant tes amis et leurs vœux stériles, et la rhétorique privée des fruits qu'elle attendait de ta fleur, et ton beau-père, et cette noble alliance que ton père n'eut pas le temps de te pardonner, et les richesses de tes deux familles que tu laissais sans héritier. Quel oracle véridique que ce vers d'Horace[xix] : « Il n'est point de parfait bonheur ! »

VII. Leontius, grammairien, surnommé le Lascif.

TOI qui aimes la joie, le plaisir, les jours de fête, les divertissements, les vœux et les jeux, n'oublie pas de rappeler tous les ans dans un chant funèbre le nom de Leontius.

Il se laissait appeler le Lascif[xx], et ce surnom, si contraire à la pureté de sa vie, il ne le repoussa jamais, parce qu'il plaisait aux oreilles de ses amis.

Il s'était élevé, dans l'étude des lettres, juste assez haut pour atteindre à une modeste chaire, et pouvoir se faire inscrire au nombre des grammairiens.

Tu fus toujours le compagnon de ma jeunesse, bien que chargé de plus d'années que moi, et aujourd'hui ta place est chaude encore en mon cœur, ô doux Leontius !

Et je me plais au triste soin d'honorer ta mémoire d'un chant plaintif et lamentable : c'est un devoir ingrat, mais une dette sacrée pour ma muse.

VIII. Aux grammairiens grecs à Burdigala.

APRÈS eux rappellerai-je un Latin[xxi], ou Corinthius, ou Sperchéus, ou son fils Menesthéus, ces grammairiens des Muses de l'Attique ?

Ils s'adonnaient tous aux travaux de l'enseignement, avec maigre profit[xxii], et mince gloire ; mais comme ils ont professé de notre temps, je leur dois un souvenir.

Le troisième n'a point été mon maître ; les autres m'ont appris en mes premières années à connaître le sens et la prononciation des mots grecs ; mais cette science resta chez moi sans culture.

L'obstacle vint, je pense, de la conception trop lente de mon intelligence, et du funeste aveuglement de mon jeune âge, qui m'éloignait des études grecques.

Qu'un léger gazon vous recouvre, que le toit du sépulcre protége vos cendres qu'il renferme, et que mes paroles s'y gravent, pour vous rendre un dernier hommage.

IX. A Jucundus, grammairien de Burdigala, frère de Leontius.

ET toi qu'ils accusent d'avoir sans titre usurpé ta chaire, toi qui, à les en croire, ne méritais pas le nom de grammairien, ma voix te chantera pourtant, simple et bon Jucundus, mon ami et mon compagnon, que tes efforts mêmes nie rendent plus cher encore : puisque, malgré ton impuissance, un si noble nom t'avait séduit, certes, parmi les hommes qui en étaient dignes, tu as droit à un souvenir.

X. Aux grammairiens latins de Burdigala ; aux philosophes Macrinus, Phébicius, Concordius, Sucuro, et Ammonius Anastasius, grammairien chez les Pictaves.

MAINTENANT, à mesure qu'ils reparaîtront dans mon souvenir, j'accorderai le pieux hommage de ma douleur à chacun de ces hommes, humbles d'origine, de condition et de mérite, qui ont su introduire pourtant l'étude de la grammaire dans les rudes esprits des habitants de Burdigala. Suivons par ordre. Citons Macrinus d'abord : homme sobre et très propre à former de jeunes intelligences ; on lui confia ma première enfance. Je ne tairai point le nom du vieux Phébicius[xxiii] : gardien du temple de Belenus[xxiv], il n'en était pas plus riche ; mais issu, comme on se plaît à le dire, de la race des Druides chez les peuples de l'Armorique, il obtint, par les soins de son fils, une chaire à Burdigala. Quant à toi, Concordius, exilé de ta patrie, tu quittas pour une autre ta chaire improductive ; mais tu ne fis que changer de ville. Et toi, Sucuro, fils d'affranchi, tu donnas à l'enfance ignorante les premiers éléments de la grammaire. Muse, chante aussi, en l'honneur d'Anastasius, une mélodie plaintive ; rappelle, ô ma nénie, ce modeste grammairien. Il naquit à Burdigala, d'où l'ambition l'enleva pour le donner aux Pictaves. Et là, pauvre, faisant maigre chère et maigre figure, il vit s'éteindre en vieillissant la pâle lueur de gloire qu'il avait eue de sa patrie et de sa classe. Avec son mince savoir et son humeur inquiète, il eut, ce qu'il méritait, une réputation médiocre[xxv]. Cependant j'ai dû lui consacrer un souvenir. Car c'est un pieux devoir pour moi de réveiller la mémoire d'un grammairien de ma patrie, et d'empêcher que le tombeau ne recouvre son nom et ses os tout ensemble.

XI. A Herculanus, fils de ma sœur, et grammairien de Burdigala.

HERCULANUS, tu sortis de notre sein et de notre école, mais tu donnas à ton oncle une espérance plutôt qu'une réalité. Tu partageais les travaux de mon école, et tu m'allais succéder dans la chaire, si ta jeunesse, entraînée sur une pente glissante, n'eut dévié du droit chemin tracé par Pythagore. Sois en repos désormais, et que tes mânes habitent en paix leur dernière demeure : j'ai rappelé ton nom déjà parmi ceux de ma famille[xxvi].

XII. A Thalassus, grammairien latin de Burdigala.

J'ÉTAIS bien petit quand j'entendis parler de tes leçons et de ton nom, précoce Thalassus ; aussi j'ai de la peine à me rappeler encore ta figure, ton mérite et ton origine. L'âge qui t'a suivi ne dit rien de toi. Seulement la renommée parlait alors d'un jeune grammairien, mais si bas vraiment, qu'on n'en a rien retenu. Quoi qu'il en soit pourtant, comme tu as vécu et professé de mon temps, reçois de moi cet hommage : Adieu.

XIII. A Citarius, Sicilien, né à Syracuse, grammairien grec à Burdigala.

CITARIUS[xxvii] bien aimé, je célébrerai aussi ta mémoire, car tu es digne d'être chanté parmi les bons grammairiens. La gloire d'Aristarque et de Zénodote serait la tienne aujourd'hui, si, pour honorer le mérite, on suivait l'exemple de la Grèce antique. Les vers que tu composas dans ton premier âge l'emportent sur les chants. de Simonide de Céos. Né dans une ville de la Sicile, tu vins, étranger, dans la nôtre, et tes travaux l'ont presque rendue savante. Tu y trouvas bientôt une noble et riche alliance, et le destin jaloux te laissa mourir sans enfants. Mais nous, nous t'honorons mort du culte de nos souvenirs, comme nous t'avons entouré vivant des hommages de notre amitié.

XIV. A Censorius Alticus Agricius, rhéteur.

QUOIQUE le mérite de ton éloquence te portât au premier rang, Agricius[xxviii], je te place en dernière ligne dans fines vers. La date de ta naissance et de ta mort est si récente, que j'ai pu différer ton éloge, mais je ne l'aurais point oublié. Quel que soit le rang que je te donne, ma triste muse rappellera ta mémoire : ou plus tôt, ou plus tard, l'hommage est le même pour ta tombe. La noblesse de ton origine n'était pas moins haute que la gloire de ton éloquence ; cette gloire athénienne si connue, qui inspira autrefois Nazarius[xxix] et le célèbre Patéra, et forma au génie tant de jeunes orateurs. Maintenant tu as laissé sur terre ta femme, tes enfants et ton gendre, et tu honores au tombeau les. mânes de tes aïeux.

XV. A Nepotianus, grammairien et rhéteur.

VIEILLARD facétieux, enjoué, jeune d'humeur, dont le cœur ne fut jamais trempé de fiel, mais, toute la vie, abreuvé de miel sans aucun mélange d'amertume, Nepotianus[xxx], tu fus le médecin de mon âme, l'associé de mes travaux et de mes plaisirs, parfois si taciturne, que tu aurais vaincu la silencieuse Amyclée. Mais quand tu devisais, Ulysse n'eût pu se détacher de tes entretiens, lui qui avait fui les chants des vierges mélodieuses. Honnête et chaste, économe, frugal, sobre, éloquent, tu ne le cédais pour le style à aucun rhéteur ; comparable à Cléanthe le Stoïcien pour la dialectique, tu possédais à fond tout Scaurus et tout Probus, et tu surpassais pour la mémoire l'Épirote Cinéas. Tu fus mon compagnon inséparable, mon commensal, mon hôte ; mon hôte, mieux encore ; tu fus le guide de mes pensées : nul ne donna de plus purs conseils, nul ne les couvrit, en, les donnant, d'un plus profond mystère. Honoré des nobles fonctions d'une présidence[xxxi], après avoir parcouru les quatre-vingt-dix années de ta longue carrière, tu mourus, laissant deux fils, et d'immenses regrets à ta famille, et à moi.

XVI. Émilius Magnus Arborius, rhéteur à Tolosa.

JE t'ai pleuré déjà, ô mon oncle[xxxii], au nombre de mes parents ; je vais te célébrer, à présent, au nombre des rhéteurs. C'était une pieuse tendresse qui m'inspirait alors, c'est le saint amour de la patrie qui me dicte aujourd'hui cet hommage à la gloire de ces hommes vénérables. Honorons donc d'un double culte, et à double titre, comme il le mérite, mon parent Arborius. Il eut Arborius pour père, et pour aïeul Argicius[xxxiii]. Ton père était d'origine éduenne ; ta mère, la Maure, était née chez les Tarbelles : tous deux d'un sang illustre. Une épouse riche et de noble famille, une chaire, et l'amitié des grands que tu cultivais déjà, firent d'heureux jours à ta jeunesse, au temps où la puissante Tolosa retenait relégués dans une espèce d'exil les frères de Constantin[xxxiv]. Ta renommée poussa ensuite jusqu'aux remparts de Byzance, jusqu'en cette cité de la Propontide de Thrace, jusqu'à Constantinople. C'est là qu'au sein de l'opulence, et après avoir eu la gloire d'instruire un César[xxxv], tu mourus, ô Magnus, quand ton père et ta mère vivaient encore. Mais la pieuse affection d'un prince auguste daigne te rendre à ta patrie, aux tombeaux de ta famille. Ainsi, l'ingrate et sainte solennité de cet anniversaire sera toujours pour moi un nouveau sujet de larmes et de tristes hommages.

XVII. -Exuperius, rhéteur à Tolosa.

JE dois rappeler, Exuperius, ton éloquence sans apprêt, ta démarche imposante, ta parole majestueuse, ton beau visage, la convenance parfaite, en un mot, de tes gestes et de ton maintien. Tes discours étaient admirables de verve et d'abondance : à les entendre, ces souffles sonores plaisaient à l'oreille ; mais, à la lecture, ils ne présentaient rien de solide dans les idées. La toge de Tolosa la Palladienne[xxxvi] te prit en vénération d'abord, et te chassa ensuite avec la même légèreté. Alors Narbo[xxxvii] te recueillit. C'est là que les fils de Dalmatius[xxxviii] (nom royal et funeste !), enfants encore, achetèrent à grand prix tes leçons, et se formèrent à la rhétorique, jusqu'au terme environ de leur puberté. Revêtus bientôt après du titre de Césars, ils te confièrent la dignité de la présidence et un tribunal en Espagne. La mort te surprit comblé de richesses, et mit un terme à tes paisibles travaux, aux calmes loisirs de ta vie, dans la capitale des Cadurques[xxxix]. Mais ta patrie, ta famille, te revendiquent à bon droit pour te compter au nombre des rhéteurs de Burdigala.

XVIII. A Marcellus, fils de Marcellus, grammairien à Narbo.

JE ne t'oublierai point, fils de Marcellus, ô Marcellus[xl] ! Une mère cruelle te chassa du logis et de la ville ; mais la puissante fortune ne tarda pas à te rendre tout, et plus encore. Narbo remplaça d'abord la patrie que tu ay,ais perdue. C'est là que ton hôte, l’illustre Clarentius, par un mouvement du cœur, t'accorda en mariage sa noble fille. Puis tes leçons, tes nombreux auditeurs, et tes jeunes élèves en prétexte, te donnèrent le nom de grammairien et la richesse[xli]. Mais la fortune ne prête jamais un constant appui dans la carrière, surtout si elle rencontre un homme d'un mauvais naturel. Cependant je ne chargerai point ta mémoire, je dois seulement rappeler ta destinée. Il suffit de dire que tu perdis tout à la fois, hormis ton nom pourtant, dont je ne veux point te dépouiller, et qui est reçu parmi ceux des grammairiens du plus faible mérite.

XIX. Sedatus, rhéteur à Tolosa.

JE me reprocherais, Sedatus, de te passer sous silence, quoique tu aies exercé hors de nos murs les fonctions de l'enseignement. La même patrie tous deux nous a vus naître : les hasards d'une destinée puissante t'ont : donné une chaire à Tolosa, puis une femme, des enfants, une vieillesse opulente, et une réputation digne en tout d'un aussi grand rhéteur. Cependant, ta patrie te redemande à cette ville étrangère[xlii], et réclame son enfant qui n'est plus. Une autre cité a recueilli tes leçons voyageuses, mais ton pays reprend ses droits sur toi. Tes fils vivent encore, et, suivant l'exemple de leur père, ennoblissent Narbo et Rome de leurs travaux. . . . . . . . . . . . . . . Mais, bon gré, mal gré, la renommée te rendra toujours à Burdigala.

XX. Slaphylius, rhéteur, citoyen d'Ausci[xliii].

JUSQU'ICI je me suis imposé la loi de rappeler tous ceux de mes concitoyens qui ont enseigné dans la ville ou hors des murs. Qu'il me soit permis de joindre à ces concitoyens un étranger, toi, Staphylius, enfant de la Novempopulanie. Tu étais pour moi un père, un oncle, l'un et l'autre à la fois : un autre Ausonius, un autre Arborius. Grammairien comme Scaurus et Probus, rhéteur des plus habiles, profondément versé dans l'histoire de Tite-Live et d'Hérodote, tu connaissais toutes les parties de la science, tous les trésors entassés dans les, six cents volumes de Varron. Ton âme était pure comme l'or, ta voix persuasive, ta parole calme ; tu n'hésitais jamais, tu ne précipitais jamais ton débit. Ta belle vieillesse brillait de santé ; inaccessible à la haine et à la fourberie, ta vie paisible eut une fin digne d'elle.

XXI. Crispus et Urbicus, grammairiens latin et grec.

ET toi aussi, Crispus, grâce à mes funèbres éloges, ta mémoire vivra dans les âges futurs.

A l'enfance, inhabile encore à s'exprimer, tu enseignais les premiers signes d'éléments nouveaux pour elle.

On pensa autrefois que les fumées du vin t'inspiraient souvent à l'égal de Virgile et d'Horace.

Toi, Urbicus, tu préférais au latin les lettres grecques qui firent ta gloire. Je te chanterai donc un ¡leleè[xliv].

Inséparable ami de ton Crispus, tu parlais en prose et en vers avec la même verve.

Tu nous rappelais l'éloquence de ces anciens héros chantés autrefois par Homère :

L'agréable concision du fils de Plisthène, les paroles qui roulaient de la bouche d'Ulysse comme des flocons de neige[xlv],

Et cette voix de miel et de nectar d'où s'écoulaient en doux langage les accents du roi Nestor.

Vous aviez tous deux une élocution facile ; vous étiez instruits tous deux des secrets de la poésie, et vous connaissiez à fond les fictions de la fable et l'histoire. Nés libres tous deux, vous méritiez bien d'en trouver des preuves, afin de vous faire honneur de la libre condition de vos pères[xlvi].

XXII. A Victorius, sous-maître ou suppléant.

STUDIEUX Victorius ; doué de mémoire et de facilité, tu t'attachais aux livres inconnus, tu ne lisais que des textes ignorés, et tu avais plus de goût pour débrouiller ces feuillets poudreux et rongés des vers, que pour des études plus familières. Le droit pontifical, les traités et l'origine, antérieure à Numa, de Cures, la ville aux sacrifices ; les recherches de Castor[xlvii] sur tous les rois mal connus ; ce que Rhodopé[xlviii] publia des écrits de son mari ; notre droit pontifical, les décrets des anciens Quirites, les décisions du sénat ; les codes de Dracon et de Solon ; les lois que Zaleucus donna aux Locriens ; celles de Minos sous le règne de Jupiter, et celles de Thémis avant ce dieu : tu avais étudié tout cela plutôt que notre Tullius que notre Virgile, que tous les faits contenus dans l'histoire du Latium. Peut-être qu'une plus longue lecture t'aurait permis aussi de les connaître, si Lachésis n'eût avancé ton départ et ta fin. Tu n'eus que le faible vernis des honneurs de notre chaire, comme tu n'avais eu qu'un léger avant-goût du nom de grammairien[xlix]. Tu mourus ensuite à Rome, sur ces bords lointains où tu passas des rivages de la Sicile. Mais à présent que je t'ai compté dans les rangs des maîtres célèbres, réjouis-toi, si ce pieux hommage parvient jusqu'à tes mânes.

XXIII. A Dynamius de Burdigala, qui professa en Espagne, et y mourut.

JE ne te priverai point de ma funèbre complainte, Dynamius[l], citoyen et avocat de ma patrie. Une accusation d'adultère, qui blessait ta réputation, te força de fuir : la petite Ilerda[li] te cacha dans son sein. Une épouse espagnole t'apporta l'opulence en cette retraite, où, sous un nom d'emprunt, tu te fis rhéteur. Le rhéteur s'était déguisé sous le surnom de Flavinius, de peur que le bruit de sa faute ne trahît le fugitif. L'amour de la patrie te ramena plus tard parmi nous ; mais le besoin du repos te rappela bientôt dans Ilerda, dans ta famille. Malgré ta fuite, malgré ta réputation en cette vie, une vieille amitié nous unit l'un à l'autre ; et s'il reste quelque sentiment à tes mânes, reçois mon hommage, aujourd'hui que la mort nous a rendu le vrai Dynamius[lii]. Quoique ta cendre repose sur la terre étrangère, ma pieuse sollicitude consacre ces tristes vers à ton souvenir.

XXIV. A Acilius Glabrio, le jeune, grammairien de Burdigala.

TOI dont l'enseignement et la vie eurent si courte durée, Glabrio[liii], ma plaintive élégie rappellera ton souvenir. Ton noble nom descend d'une illustre origine ; Glabrio, tu étais du sang troyen d'Aquilinus. Aux jours de mon enfance, tu fus mon condisciple ; et quand je me fis rhéteur, tu devins grammairien. Au forum, tu défendais les accusés ; aux champs, tu cultivais la terre ; et tu méritais bien de jouir longtemps du fruit de tes travaux. Affable, enjoué, bienveillant, sobre, conseiller non moins discret que sage, tu faisais le bonheur de tes amis, comme tu fis bientôt leur désespoir, quand une mort prématurée, te dépouillant de tout, Glabrio, vint t'enlever à ta femme, à tes enfants., à ton père, à ta mère qui vivaient encore que de noms, hélas ! en deuil de ta perte ! Ô toi, que nous avons longtemps pleuré, que nous ne pleurerons jamais assez, Glabrio, dont le souvenir doit être éternel, reçois ce pénible adieu.

XXV. Conclusion[liv].

Tous ces noms qui se suivent, lecteur, depuis le croissant qui commence mon livre, sont les noms des maîtres qui ont professé dans ma patrie oit la grammaire, ou la rhétorique, ou l'une et l'autre. Ils sont morts, il me suffisait de rappeler leur souvenir. Les vivants aiment l'appât de la. louange : mais, une fois au tombeau, c'est assez que la voix proclame leurs noms. Toi donc, en parcourant ces tristes inspirations de nos loisirs, n'y cherche pais l'éloquence, mais la simple expression de la douleur, qui rend un pieux et dernier devoir à de doctes et illustres hommes, en consacrant un souvenir à toutes les gloires de notre belle patrie.

XXVI. Le poète.

ADIEU, mânes des illustres rhéteurs ; adieu, maîtres éprouvés, que l'histoire, la poésie ou le forum a rendus célèbres ; que l'art de la médecine ou la doctrine de Platon a dotés d'une gloire immortelle ! Et si les soins des vivants peuvent plaire aux morts[lv], si les hommages d'un successeur ont des attraits pour vous, recevez ce triste culte de ma muse, cette série de lamentables cantiques. Que votre cendre conserve une place invariable dans le sépulcre ; que vos noms vivent dans la mémoire, jusqu'au retour de cette autre vie, qui, par un don de Dieu, notre juge, nous sera commune avec les bienheureux !

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[i] Il ne reste rien de ce Minervius, qui fut, à ce qu'il paraît, un des premiers orateurs de son temps.

[ii] Il professa à Rome en 349 ou 354, d'après la Chronique de saint Jérôme, qui dit : Minervius, Burdigalensis rhetor, Romæ florentissime docet.

[iii] Calahorra, patrie de Quintilien.

[iv] Ausone avait été l'élève de Minervius, et lui devait, par conséquent, les honneurs auxquels il était parvenu.

[v] Cette qualité que Démosthène appela trois fois la première qualité de l'orateur, c'est l'action. — Voir Cicéron, de Orat., liv. III, c. 56, et Quintilien, liv. XI, ch. 3.

[vi] Voir sur différents jeux des Romains, M. L.-C. DEZOBBY, Rome au siècle d'Auguste, lettre XX.

[vii] Il paraît, d'après ce passage, que les cornets, en forme de petites tours, avaient à l'intérieur des échancrures ou petits gradins sur lesquels le dé rebondissait en roulant. M. Dezobry a oublié cette particularité.

[viii] La Chronique de saint Jérôme parle de cet Alcimus comme elle a parlé de Minervius : Alcimus et Delphidius (voir plus loin Prof., V), rhetores, in Aquitania florentissime docent.

[ix] D'après ce passage, Scaliger pense qu'Alethius avait écrit l'histoire de l'empereur Julien. Sallustius avait été préfet des Gaules et collègue de Julien dans le consulat. — Voir AMM. MARCELLIN, liv. XXI, ch. 8, et passim. — Les Bénédictins (Hist. littér., t. Ier, part. 2e, p. 138) attribuent à cet Alcimus Alethius une épigramme sur Homère et Virgile, Mœonio vati, etc., qui se trouve, sous le seul nom d'Alcimus, dans l'Anthologie latine de Barmann, t. Ier, p. 355.

[x] Saint Jérôme, dans sa Chronique, an 339, l'appelle Pater : Pater rhetor Romre gloriosissime docet ; et Paterius dans sa lettre à Hedibia : Majores tui Paterius atque Delphidius, quorum alter, antequam ego'nascerer, Rhetoricam Romœ docuit, alter me jam adolescentulo omnes Gallias, proses versuque, suo illustravit ingenio.

[xi] Les Baïocasses étaient les peuples de Bayeux (Calvados).

[xii] Phébicius. — Voir Prof., X.

[xiii] Delphidius. — Voir la pièce suivante. — Les renseignements que nous donne Ausone sur ces trois personnages sont fort curieux pour l'histoire du druidisme. M. A. Beugnot les a cités (Hist. de la destruction du paganisme, t. II, p. 150) pour prouver que ce culte était pour ses ministres une source de crédit et de puissance. Il semble qu'ils prouvent plutôt le contraire; car Ausone dit bien clairement (Prof., X) que Belenus ne nourrissait plus ses prêtres, et que le vieux Phébicius fût bien heureux de quitter son temple et son Armorique, et de se faire professeur à Bordeaux, pour vivre.

[xiv] Le plus remarquable de ces grands procès est celui que Delphidius intenta devant Julien, en 358, contre Numerius, gouverneur de la Narbonnaise, qu'il accusait de péculat. Numerius nia les faits qu'on lui imputait, et on ne put les prouver. Delpbidius, outré de ce manque de preuves, s'écria : « Et qui donc, illustre César, pourra jamais être coupable, s'il suffit de nier son crime ? — Et qui donc pourra désormais être absous, lui répondit Julien, s'il suffit d'être accusé pour être coupable ? » (AMM. MARCELLIN, liv. XVIII, ch. 1.)

[xv] Ce tyran semble à Tillemont (Hist. des Emp., t. IV, p. 475) ne pouvoir être que Procope, révolté contre Valens en 365.

[xvi] Priscillien, repoussé de Bordeaux avec ses partisans par l'évêque S. Delphin, s'arrêta quelque temps dans une terre d'Euchrotia, veuve de Delphidius, où il engrossa Procula, leur fille, qui se fit avorter pour le suivre, avec sa mère, à Rome, où il allait se justifier. Mais il n'y put réussir ; il fut condamné à mort, et Euchrotia fut décapitée à Trèves. — Voir SULPICE SÉVÈRE, Hist. Sacr., liv. II, vers la fin, et FLEURY, Hist. du Christianisme, liv. XVII, ch. 56 et suiv.

[xvii] Fils de Tib. Victor Minervius, et non d'Alcimus Alcihius, comme le dit Fleury par erreur d'après Scaliger.

[xviii] Il y avait ici une lacune que Tollius a comblée par ce vers Post Nazarium, parce qu'Ausone (Prof., XIV), rapproche ainsi Nazarius de Patera.

[xix] Horace, liv. II, ode 16, v. 27.

[xx] On retrouve ce surnom devenu un nom propre dans une inscription et dans une épitaphe citées par Burmann, Anthol. lat., t. II, p. 259.

[xxi] Selon Fleury, Romulum est un nom propre. Je crois que ce mot signifie ici un Romain. Ausone, s'amusant à parodier un vers d'Horace (liv. I, ode 12, v. 33), se demande s'il doit chanter un grammairien latin avant les Grecs dont les noms suivent.

[xxii] Fructus exilis. Les grammairiens grecs recevaient douze annones : l'annone était la paye d'un soldat romain. Un rescrit de l'empereur Gratien, du 23 mai 376, rédigé peut-être par Ausone, régla les appointements des professeurs de rhétorique et de grammaire pour les villes de la Gaule. — Voir l'Appendice, n° IV.

[xxiii] Voir plus haut, Professeurs, IV, les troisième et quatrième notes.

[xxiv] Belenus, dit M. A. Beugnot, était la divinité principale de quelques cantons gaulois, et occupait dans la mythologie celtique la place réservée au Soleil ou à Apollon dans la religion romaine ; aussi trouve-t-on, sur les inscriptions, Apollini Beleno. Sans doute le culte de ce dieu n'était pas tombé dans le mépris, puisque le vieux Phébicius exerçait les fonctions d'œdituus Beleni, c'est-à-dire de sacristain du temple de Belenus. (Hist. de la destruction du Paganisme, t. II, p. 152.) — Voir plus haut, Professeurs, IV, la quatrième note.

[xxv] Il prouva ainsi, disent les Bénédictins, la vérité de l'épigramme CXXXVI d'Ausone : Felix grammatirus non est, etc.

[xxvi] Voir Parentales, XVII.

[xxvii] Vinet, scaliger, Burmann et Wernsdorf s'accordent pour attribuer à ce Citarius une épigramme retrouvée en Sicile sur une pierre antique, malgré la différence du nom de l'auteur, Citerius Sidonius, né, comme l'ami d'Ausone, à Syracuse. Cette épigramme fait partie de l'Appendice sous le n° V.

[xxviii] « Censorius Atticus Agricius, ou Agrœtius, ne doit pas être confondu, comme quelques savants semblent l'avoir voulu faire, avec Argicius, aïeul du rhéteur Arbore,et bisaïeul maternel du poète Ausone.... S. Sidoine (liv. V, lett. 10), voulant relever le mérite des écrits de Sapaude, qui faisait un des plus grands ornements des Gaules pour les lettres au Ve siècle, dit que l'on y voyait toute la régularité du discours que l'on avait admirée dans Agrice. Le même siècle qui avait vu naître ce rhéteur, le vit mourir. Il pouvait être né vers 315, et il paraît qu'il n'était plus au monde vers 370.... On trouve, peu après le milieu du siècle suivant, un Agrèce, évêque dans les Gaules, qui aida de ses libéralités S. Rustique, pour faire bâtir l'église de Narbonne. Il pouvait descendre de la famille de notre rhéteur. Nous avons sous le nom d'un Agrèce un traité ou fragment de traité, de la Propriété et de la différence de la langue latine. Cet Agrèce est sans difficulté le même que celui dont parle S. Sidoine, et il ne paraît pas y avoir lien de douter que celui de S. Sidoine ne soit l'Agricius d'Ausone. Agrèce, dans ce traité, examine la différence qu'il y a entre les termes qui paraissent synonymes : par exemple, entre temperantia, temperatio et temperies. Il avertit que le premier se dit des personnes, le second des choses, et le troisième de l'air et des vents. De même entre Percussus et Perculsus. On se sert, dit-il, du premier lorsqu'il s'agit du corps, et de l'autre lorsqu'on parle de l'esprit. Il appuie ce qu'il avance de l'autorité des meilleurs auteurs latins, connue Térence, Cicéron, Horace, Tite-Live et Virgile. On voit par là combien il était versé dans la lecture des auteurs de la belle latinité. » (Hist. littér. de la France, par les Bénédictins, t. Ier, part. 2e, p. 202.)

Les manuscrits d'Ausone, consultés par Scaliger et Vinet, portent invariablement Agricio et Agrici, et les manuscrits de Sidoine Apollinaire, à l'endroit cité parles Bénédictins, donnent, selon Vinet, les uns Agrocio, les autres Agrecio. D'un autre côté, l'auteur du traité dont parlent les Bénédictins, commence par établir l'orthographe de son nom ; il veut qu'on l'écrive Agrœtius, par une diphthongue, et non Agrylius. Il est donc permis de douter que l'Agricius d'Ausone et le grammairien Agartius soient le même personnage, avec d'autant plus de raison que son lire est adressé à l'évêque Eucherius. Or, S. Eucher, si c'est de l'évêque de Lyon qu'il s'agit, ne fut nommé qu'en 432 ou 434, c'est-à-dire quarante ou cinquante ans après la mort d'Agricius et d'Ausone. Aussi Agrœtius est généralement placé aujourd'hui parmi les grammairiens du Ve siècle (SCHŒLL, Hist. abr. de la littérat. rom., t. III, p. 327 ; F.-Z. COLLOMBET, Hist. des Lettres latines, p. 527) ; et Vinet, qui veut qu'on écrive dans le texte d'Ausone le nom d'Agricius par un œ, n'ose pourtant affirmer que ce rhéteur soit l'auteur du traité qui nous reste. Quoi qu'il en soit, comme les termes de la dédicace de cet ouvrage Eucherio episcopo ne désignent pas expressément l'évêque de Lyon, et que rien ne prouve d'ailleurs qu'il s'agisse ici de S. Eucher, nous avons compris ce traité ou fragment de traité dans l'Appendice n° VI, d'après les éditions qu'en ont données Vulcanius, à la suite des Origines d'Isidore de Séville, à Bâle, en 1577, Denys Godefroy dans ses Autores latinœ linguæ, et surtout d'après la réimpression beaucoup plus complète et plus correcte de Putschius dans ses Grammaticæ latinæ auctores antiqui, Hanaw, 1605.

[xxix] Nazarius, orateur et rhéteur, prononça, en 321, un panégyrique à la louange de Constantin et de ses fils. Ce discours existe encore et fait partie des Panegyrici veteres.

[xxx] On trouve, dans l'Anthologie latine de Burmann, liv. I, n° 72; sous le nom de Reposianus, un poème sur les amours de Mars et de Vénus, qui pourrait bien être de ce Népotianus, rhéteur, ami d'Ausone. Wernsdorf, qui a publié aussi ce poème (Poetæ latini minores, t. III, éd. Lemaire), pense, en effet, que ce nom de Reposianus est corrompu, et que ce poète s'appelait véritablement Nepotianus. — Voir l'Appendice n° VII.

[xxxi] Honore gesti præsidatus inclytus (v. 18). L'emploi de præses. — Voir la Notitia dignitatum, et l'abrégé qu'en a donné Schœll, Hist. abrég. de la littérat. rom., t. III, p. 345 et suiv.

[xxxii] Voir Parentales, III.

[xxxiii] Voir la Notice, et Parentales, IV.

[xxxiv] C'est un fait historique qu'on ne trouve que dans Ausone. A quelle époque, par qui et pour quelle raison, Dalmace, Jules-Constance et Anaballien, frères de Constantin, furent-ils relégués à Toulouse ? Ils le furent par Constantin, sans doute; car ils avaient plus de droit que lui à l'empire. « Maître de leur éducation, dit Tillemont (Hist. des Emp., t. IV, p. 287), Constantin eut moyen de prendre les précautions que la prudence chrétienne permet, et de les faire instruire par des personnes qui les élevèrent dans un esprit de paix et de respect. »

M. Demogeot (Études hist. et litt. sur Ausone, p. 32) a jeté de vives lumières sur ce passage d'Ausone. « Cet exil, dit-il, ne paraît pas devoir être placé avant le règne de Constantin ; car Constance Chlore n'épousa Théodora qu'après son élévation à la dignité de César, c'est-à-dire l'an 292 ; il mourut l'an 306. Les enfants qu'il avait eus de sa seconde femme étaient donc encore très jeunes à l'époque de sa mort. Or, Ausone nous apprend (Professeurs, XVII, 9) que Dalmatius, l'un de ces enfants, avait lui-même à Tolosa deux fils déjà dans l'adolescence. Leur exil est donc postérieur à la mort de Constance Chlore. D'un autre côté, il ne paraît pas pouvoir être placé plus tard que le règne de Constantin ; car les deux jeunes fils de Dalmatius durent l'un et l'autre à Constantin le titre de Césars, et ils n'en jouissaient pas encore à l'époque de leur séjour à Tolosa, Cæsareum qui mox indepti nomen.... Leur exil doit donc être placé sous le règne de Constantin, et attribué à la politique de ce prince ; car, d'après les termes d'Ausone, il est probable que cet exil n'était pas un châtiment, exsilii specie, et qu'il était motivé par une pensée de prévoyance, sepositos. D'ailleurs, la fortune dont ils jouissaient, grandi mercede, l'empressement des courtisans autour d'eux, cultœ principum amicitice, enfin le titre de Césars que Constantin décerna bientôt à ses neveux, Dalratius et Anaballianus, fils de Dalmatius, tout nous porte à croire que l'empereur n'avait contre le père aucun sujet de haine. Peut-être voulait-il à la fois éloigner du cœur de l'empire des frères qui, nés d'une mère plus noble (Théodora), eussent pu devenir des concurrents dangereux, et tenir en réserve, sepositos, des soutiens pour sa dynastie nouvelle, au cas où lui-même manquerait d'héritier. »

[xxxv] Quel était ce César ? Ce ne peut être Crispus, qui avait eu pour précepteur Lactance. Ce serait alors Constantinus, né en 316, et proclamé César en 317. Mais comment concilier cela avec l'âge d'Arborius, que les Bénédictins font naître en 270, et qui pourtant, comme nous l'avons vu, ne vécut que trente ans ? Il faut donc qu'Arborius soit né au plus tôt vers 290.

[xxxvi] Voir sur cette épithète la deuxième note de la troisième pièce des Parentales.

[xxxvii] Narbonne, appelée aussi Narbo Martius.

[xxxviii] Dalmatius et Anaballianus, fils de Dalmatius, et neveux de l'empereur Constantin, tués tous deux après la mort de leur oncle par les soldats révoltés, vers 337. — Voir TILLEMONT, Hist. des Emp., t. IV, p. 313.

[xxxix] Aujourd'hui Cahors.

« Divers écrivains, disent les Bénédictins, sont tombés dans des erreurs de confusion presque impardonnables à l'égard de ce rhéteur (Exuperius). Les uns l'ont pris pour le prêtre ou œconome de l'église de Bourdeaux de même nom que lui, dont S. Paulin de Nole fait mention dans ses Lettres, et l'ont fait évêque de Toulouse. D'autres ont cru que c'est le même qu'Exupère, évêque de Cahors au IVe siècle. Mais ce sont quatre personnes réellement distinctes les unes des autres, quoique de même nom. Il est certain que notre rhéteur n'est point le même que saint Exupère, évêque de Toulouse, qui vivait encore en 410 ou même 411 , comme il paraît par saint Jérôme, puisqu'il était mort lorsque Ausone faisait son éloge, et qui Ausone n'était plus lui-même au monde à la fin du IVe siècle. On doit faire le même raisonnement à l'égard d'Exupère, prêtre de Bourdeaux. On ne peut pas dire non plus qu'il soit l'évêque de Cahors de même nom : car il n'est pas croyable qu'Ausone, qui était si bien instruit de l'histoire de sa vie, et qui en relève des traits qui n'en valent pas la peine, eût oublié son épiscopat dans l'éloge qu'il nous a laissé de ce rhéteur. » (Hist. littér., t. Ier, part. 2e, p. 128.)

[xl] « Quelques écrivains prétendent que ce grammairien était fils de Marcel, célèbre médecin, et l'un des premiers officiers de l'empereur Théodose le Grand. Ils pouvaient, à la vérité, sortir de la même famille, puisqu'ils étaient de Bourdeaux l'un et l'autre ; mais l'opinion de ces écrivains est contre toute apparence. Ce serait plutôt le médecin qui aurait pu être fils du grammairien ; car celui-ci était déjà mort depuis quelques années lorsqu'Ausone faisait son éloge, vers 386, au lieu que Marcel le médecin n'écrivait qu'au commencement du Ve siècle, et ne commença à être célèbre que vers l'an 395. » (Hist. litt., t. I, 2e part., p. 217.)

[xli] Grammatici nomen, divitiasque dedit (v. 8). Heyne (Opusc. Acad., t. VI, p. 26) demande dans ce vers une virgule après nomen, afin de lire : Le nom de grammairien et des richesses, et non pas le nom et les richesses d'un grammairien, ce qui serait bien peu de chose.

[xlii] Les commentateurs ne sont pas d'accord sur le sens de ce vers. Scaliger et Vinet prétendent que le corps de Sedatus fut rendu à Bordeaux, où on voyait encore, de leur temps, c'est-à-dire vers la fin du XVIe siècle, dans un lieu appelé le Puy-de-Paulin, une image en pierre tenant un livre à la main, avec cette inscription : D. M. SEDATUS. Selon Tollius, au contraire, ce monument aurait été consacré seulement à la gloire de Sedatus, dont les cendres seraient restées à Toulouse. Le dernier vers de cette pièce semble donner raison à Tollius.

[xliii] Il était né à Ausci, aujourd'hui Auch.

[xliv] C'était le cri des soldats en allant au combat : c'est un cri de douleur dans les tragiques grecs.

[xlv] E. Aignan, qui cite ce passage dans les notes de sa traduction de l'Iliade, liv. III, l'accompagne de cette critique : « Dans cette strophe, l'une des plus agréables d'Ausone, il est aisé de remarquer la décadence du goût et le déclin de la latinité. Un poète du siècle d'Auguste n'aurait pas accolé torrens avec ninguidus, parce que torrens, impétueux, prend sa racine de torreo, brûler, et la précision ne lui aurait pas permis d'appliquer également le mot dulcis aux discours de Ménélas et à ceux de Nestor. »

[xlvi] Ils avaient sans doute, quoique de condition libre, été exposés par leurs parents, et élevés par des étrangers.

[xlvii] Ce Castor est sans doute l'auteur du livre XronixÎn ŽgnohmŽtvn, dont parle Suidas, et qui a servi, dans l'antiquité, à relever plus d'une erreur chronologique.

[xlviii] Cette Rhodopé, selon Heyne (Opusc. Acad., t. VI, p. 25), pourrait être cette pythagoricienne à laquelle Théano écrivit une lettre citée par L. Holstenius dans la Vie de Pythagore par Porphyre, si toutefois, dit-il, la lettre et le nom ne sont pas supposés. Heyne s'étonne que le nom de cette femme, dont il ne reste rien parmi les fragments d'ouvrages des femmes célèbres, ait été connu au temps d'Ausone, et il penche à ne voir dans ces mots de Castor et de Rhodope qu'une allusion moqueuse du poète à la manie de Victorius, habitué, comme grammairien, à citer avec affectation Castor et Pollux, Orphée et le Rhodope. Cette supposition est inadmissible ; Ausone désigne bien clairement des auteurs anciens, et des livres qui alors pouvaient exister encore.

[xlix] Il n'avait été que subdoctor ou proscholus ; il n'avait point été grammairien ou rhéteur en titre. C'est, je crois, le vrai sens de ces deux vers. Ce Victorius ne peut donc être, comme le prétend Souchay, le même que le rhéteur Victorius dont parle Sidoine Apollinaire, liv. V, lett. 10.

[l] Un fragment retrouvé dans les manuscrits de Saint-Gall, sous ce titre : Dinamius grammaticus ad discipulum suuin ait, par Melch. Goldast (Parœnetic. veter., p. 148) , qui en a fait une lettre, et la croyait de Dynamius le patrice, chanté par Fortunat au VIe siècle, est attribué, par les Bénédictins (Hist. littér., t. I, 2e part. , p. 232), à ce Dynamius, ami d'Ausone. Le ton religieux de cette lettre, si ce n'est plutôt un sermon, ne permet guère d'admettre cette supposition ; car ce rhéteur avait, de l'aveu même d'Ausone, des mœurs peu régulières : ou il faut croire alors qu'il l'écrivit dans sa vieillesse, comme un acte de contrition ; mais, en ce cas, il n'aurait pris ni le nom de Dynamius, qu'il avait quitté, ni le titre de grammairien, puisqu'il était avocat et rhéteur. Quoi qu'il en soit, pour qu'on puisse en juger, nous avons réimprimé et traduit cette pièce dans l'Appendice (n° VIII).

[li] Aujourd'hui Lérida.

[lii] Dynamius avait conservé le faux nom de Flavinius tout le reste de sa vie : la mort seule lui rendit son vrai nom.

[liii] « Acilius Glabrio était fils d'Aquilinus, et, issu d'une illustre famille, qui tirait son origine de l'ancienne Troie. Eunape, dans la Vie de Porphyre, fait mention d'un Aquilinus qui avait étudié à Rome avec ce fameux philosophe, vers la fin du IIIe siècle, et dont il dit qu'il y avait quelques écrits, mais peu estimés. Il y avait aussi un Vettius Aquilinus, consul en l'année 286, avec Junius Maximus. On ne saurait dire si ces deux Aquilinus ne sont qu'une même personne, ni assurer si l'un ou l'autre fut le père de notre grammairien. Quoi qu'il en soit, il paraît assez croyable qui il descendait d'un autre Glabrio qui fut consul avec Commode, et qui, selon Hérodien, était un illustre sénateur, et faisait remonter l'origine de sa famille jusqu'à Énée. Savoir comment les descendants de cette ancienne maison passèrent à Bourdeaux, d'où il semble que Glabrio était natif, c'est ce que personne ne nous apprend. » (Hist. littér. de la France, par les Bénédictins, t. I, 2e part., p. 107.)

[liv] Il paraît que la coronis était une espèce de tiret ou de fleuron en forme de V, qui indiquait la fin d'un ouvrage. La menis, qui, selon Turnèbe (Advers., lib. XXII, c. 10), vient de m®nh, lune, parce qu'elle avait la forme d'un croissant, se traçait au commencement du livre.

[lv] Et si qua functis cura (v. 7). Au lieu de functis, Fleury et les Deux-Ponts mettent cunetis ; cette faute, qui se retrouve dans beaucoup d'autres éditions, a été relevée par Tollius dans son Errata.

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