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ŒUVRES D'AUSONE

 

texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER

 

LES PARENTALES.

 

éphémérides       souvenirs aux professeurs de Bordeaux   

 


 

ŒUVRES D'AUSONE

LES PARENTALES.

PRÉFACE.

JE sais qu'il arrive à mes vers d'ennuyer le lecteur : ils l'ont bien mérité. Il en est pourtant dont le sujet relève la valeur ; et parfois il se peut que la seule ligne du titre attire le lecteur, et que, séduit d'abord par une idée gracieuse, il supporte ensuite assez volontiers des inepties. Cet opuscule n'a pour lui ni l'agrément du sujet, ni l'attrait du titre : c'est l'inspiration d'une piété douloureuse, un souvenir d'affection à tous ceux qui m'étaient chers et dont je pleure la perte. Ce livre est intitulé Les Parentales, d'après l'antique dénomination de ce jour consacré par Numa[i] aux mânes dès familles ; le plus saint devoir de ceux qui survivent est d'honorer la mémoire de ceux qui ne sont plus.

AUTRE PRÉFACE, EN VERS.

LES noms de ceux que j'aimais et que les lois du trépas ont enfermés dans la tombe, ont reçu déjà le culte de fines larmes ; aujourd'hui je les célèbre dans mes vers. Mon langage sera simple ; sans ornement, sans recherche : l'hommage de la douleur suffit pour honorer les morts. La nénie[ii] aux complaintes funèbres est une offrande trop convenable, pour qu'on ne néglige pas dans le silence ces devoirs annuels, ces solennités que Numa consacre aux mânes des familles, en observant le degré de parenté et la date de la mort. Cette pratique suffit aux tombeaux comme aux cadavres sans sépulture : la voix qui appelle les âmes vaut des funérailles. Les cendres recueillies se plaisent à entendre leurs noms, et une inscription gravée au front des monuments prescrit cet usage[iii]. A celui qui n'a pu avoir l'urne du triste sépulcre, le triple appel de son nom est presque une sépulture. Mais toi, lecteur, qui daignes repasser ces douloureux souvenirs de la destinée des miens, puisses-tu parcourir sans secousses la carrière : de cette vie, et ne pleurer d'autres morts que des morts naturelles !

I. Julius Ausonius, mon père.

JE commence par Ausonius, mon père : son fils hésitait à lui donner la première place, mais l'ordre le veut ainsi. Aimé de Dieu, il arriva au terme d'une vieillesse. tranquille et honorable, après avoir vécu deux fois onze olympiades[iv]. Tous ses projets, il les vit réussir, et chacun de ses vœux s'accomplit selon son gré : ce qu'il dut, non pas à une excessive faveur de la fortune, mais à la modération de ses désirs. Son siècle le comparait aux sept Sages, dont il pratiqua la doctrine : mais il s'appliqua plus à vivre qu'à discourir à la manière de ces philosophes, bien que son esprit disert ne fût pas sans culture. Il eut le don de prolonger la vie de l'homme par le secours de la médecine, et de, reculer le terme fatal. De là vient cette vénération qui s'est attachée à sa mémoire, si bien que notre âge lui a décerné cet éloge : Ausonius n'eût point de modèle, il n'aura pas d'imitateur.

II. Émilia Éonia, ma mère.

A TOI le second rang, Éonia, ma mère, qui naquis de l'union d'une Tarbelle et d'un Éduen[v]. Toutes les vertus d'une épouse débonnaire furent ton partage : chasteté renommée, mains filandières, foi conjugale, souci de l'éducation de tes enfants, gravité mêlée de douceur, et sérieuse avec enjouement. Puisque tu embrasses pour toujours les mânes paisibles de ton époux, si vivante autrefois tu réchauffais sa couche, morte aujourd'hui réchauffe son tombeau.

III. Émilius Magnus Arborius, mon oncle.

C'ÉTAIT un pieux devoir pour moi de nommer d'abord mon père et ma mère ; mais je me reproche de ne parler qu'en troisième lieu d'Arborius[vi]. Je ne pouvais sans crime lui donner le premier rang et le second à mon père ; et d'un autre côté c'est presque un crime de ne l'avoir pas placé le premier. Il faut prendre un milieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . avant les autres, quoiqu'il ne vienne qu'après mon père. Frère de ma mère et ami de mon père, tu fus pour moi un père et une mère tout ensemble. Mon berceau, mon enfance, ma jeunesse, mon âge mûr, te doivent les bienfaits de cette instruction qui a tant de charmes et de prix. Tolosa la Palladienne[vii] te plaçait au-dessus de ses doctes toges ; la Gaule Narbonnaise te préférait à ses maîtres ; ton éloquence latine fit la gloire de son forum et des tribunaux de l'Ibérie et de la Novempopulanie. De là ta renommée s'étendit aussi loin que l'Europe, et Constantinople s'illustra des lumières de ta rhétorique. A travers les mille formes, les mille ressources de ta parole, brillaient ton savoir, ton éloquence, ta verve et ta mémoire. Remis entre tes mains dès mon premier âge, je te plaisais déjà ; tu disais, en m'appelant ton fils, que tu ne souhaitais rien de plus ; tu répétais que je serais ta gloire et l'orgueil de mes parents ; et tu dictais, en partant ainsi, pour le livre de mes destins[viii]. Adieu, oncle chéri, qui occupes une place dans l'Élysée : ces vers, dont je t'offre l'hommage, je les dois à tes Muses.

IV. Cecilius Argicius Arborius, mon aïeul.

POURSUIS ton œuvre pieuse, page reconnaissante. Après eux, rappelons mon aïeul maternel, Arborius, illustre nom d'origine. Éduenne, dont la noblesse embrassait plusieurs familles, et dans la province Lugdunaise, et dans la puissante cité des Éduens, et dans la Viennaise aux cimes alpestres. Mais des revers jaloux ruinèrent notre maison et son opulente magnificence. Mon aïeul et son père furent proscrits lorsque Victorinus vainqueur eut l'empire, et que le pouvoir retomba ensuite aux mains des Tetricus[ix]. Il s'enfuit dans ces contrées où l'Adour s'échappe vers la mer, où l'océan des Tarbelles mugit en fureur, et. redoutant toujours les traits de la fortune qui le poursuivait depuis si longtemps, il s'attacha au sort de la pauvre Émilia. Alors un peu d'argent gagné à grand'peine soulagea sa détresse, sans lui apporter l'opulence. Tu connaissais les nombres célestes, et les astres arbitres de nos destinées ; mais tu pratiquais cette science en secret[x]. Tu n'ignorais point l'avenir de ma vie, tu l'avais tracé d'avance sur des tablettes scellées, et tu ne le révélas jamais : mais la curiosité d'une mère sut découvrir ce que la timide prudence de l'aïeul cachait avec tant de soin. Après avoir traîné quatre-vingt-dix ans une vie ainsi exposée aux redoutables traits de la déesse Fortune, tu pleuras la perte d'un fils enlevé à sa trentième année. Blessé au cœur, et privé ainsi d'une des lumières de ton âme[xi], tu te consolais en te flattant du lointain espoir de cet honneur suprême que me réservait le destin. Et maintenant que tu fais partie de l'assemblée des saintes âmes, tu sais que la destinée promise à ton petit-fils s'est accomplie : tu sais que c'est un questeur, un préfet, un consul même qui t'adresse ici l'hommage d'un honorable souvenir.

V. Émilia Corinthia la Maure, mon aïeule.

CÉLÉBRONS maintenant, tendre affection d'un petit-fils, notre aïeule, Émilia, qui fut l'épouse d'Arborius dont nous venons de parler. Un surnom lui avait été donné par plaisanterie : comme elle avait la peau brune, ses compagnes autrefois l'avaient appelée la Maure. Mais son âme, loin d'être noire, surpassait la blancheur du cygne, la pureté de la neige que les pieds iront point foulée encore. Peu portée à l'indulgence pour les penchants honteux, elle soumit sa vie et celle des siens à un juste niveau. Elle me tira du berceau et de la mamelle de nia mère pour nie nourrir de ses préceptes dont ses caresses tempéraient l'austérité. Mânes paisibles, si ma parole est pieuse, donnez un repos éternel aux cendres de mon aïeule.

VI. Émilia Hitaria, ma tante maternelle, qui s'était vouée à la virginité[xii].

ET toi, qui fus la sœur de ma mère par les degrés du sang, mais ma mère par le cœur, c'est avec la pieuse affection d'un fils que je te consacre un souvenir : Émilia, tu reçus au berceau le surnom d'Hilarius, parce que ta mine rieuse, et ta grâce un peu mâle, te donnaient, à vrai dire, l'apparence d'un garçon. Tu t'essayas, comme eût, fait un homme, dans l'art de la médecine. L'aversion qui t'éloigna toujours des penchants de ton sexe, t'inspira l'amour et le vœu de la virginité, que tu conservas jusqu'à l'âge de soixante-trois ans ; et le terme de ta vie fui, celui de ta chasteté. Comme tu m'entouras toujours des avis et de la tendresse d'une mère, je te rends aujourd'hui les derniers devoirs d'un fils.

VII. Cl. Contentus et Julius Calippio, mes oncles paternels.

RAPPELLE encore en tes chants, élégie, mes oncles paternels. Contentus, que recouvre la terre de Rutupies[xiii], avait amassé, par différentes voies, de grandes richesses, qui périrent, faute d'un héritier présent pour les recueillir. Enlevé à la fleur de ses belles années, il mourut par-delà l'océan, à l'insu de ses frères. Julius eut de longs jours et une vieillesse avancée ; mais il fut affligé de pertes sans nombre. Doux, affable, faisant bon accueil et bonne chère, il nous laissa ses héritiers, mais de nom seulement. Ces deux tendres frères avaient les mêmes traits mêlés d'enjouement et de gravité, mais ils n'eurent pas le même sort en cette vie. Bien que vous reposiez séparés, sans avoir eu les honneurs d'une commune sépulture, recevez du moins en commun l'hommage de mes adieux.

VIII. Attusius Lucanes Talisius, mon beau-père.

ON ne peut célébrer la noblesse, l'antique sénat et les premières illustrations de Burdigala, sans parler de toi et de ta maison, Lucanus Talisius, qui rehaussas par tes vertus la vieille gloire de tes ancêtres. Remarquable par la noblesse de ton visage, la sérénité de ton âme, la grâce de tes manières, tu brillais plus encore par la verve de ton éloquence. La chasse, la culture des champs, la recherche des goûts les plus simples, occupèrent tous les moments de ta vie. Tu méprisas les honneurs publics : jaloux d'être compté au premier rang, tu refusas d'être le premier, et tu vécus à ta grise loin de la foule. Ton désir était de voir fleurir ma jeunesse pour m'appeler ton gendre : tu as pu former ce désir, tu n'as pu le réaliser. Mais les dieux approuvent les vœux des mortels ; les destins secondent les volontés saintes, et accomplissent les projets de l'homme de bien. Et maintenant, au fond du tombeau qui renferme à jamais tes restes honorés, tu sais quel respectueux souvenir je conserve pour ta fille et pour toi. Ton gendre est veuf encore aujourd'hui qu'il te rend ce pieux hommage, et jamais ton gendre ne cessera d'être fidèle à son veuvage.

IX. Attusia Lucana Serina, ma femme.

JUSQU'ICI ma nénie a chanté des parents bien chers et bien dignes des pleurs versés à leurs funérailles ; ses pieux accents m'ont acquitté envers leur mémoire. Maintenant, ô douleur ! ô tortures ! ô foudre qui me brûle ! il faut que je rappelle la mort de l'épouse que j'ai perdue. Illustre par ses nobles ancêtres et par son origine sénatoriale, Sabina s'illustra plus encore par ses rares et constantes vertus. Déçu bien jeune encore, je t'ai pleurée dès les premières années de notre union, et, depuis neuf olympiades, je te pleure dans le veuvage. La vieillesse même ne peut assoupir ma douleur que rien n'a su distraire : chaque jour irrite et renouvelle mon chagrin. D'autres reçoivent du temps un soulagement à leurs peines : le temps par sa durée aggrave ma blessure. La solitude de ma vie est un tourment pour ma vieillesse délaissée, et plus non isolement se prolonge, plus ma tristesse est grande. Ce qui alimente ma douleur, c'est que ma maison est muette et silencieuse, que ma couché est froide, et que personne n'est là pour partager ma peine ou mon bonheur. Je souffre si je vois à un autre une bonne épouse, je souffre de même si j'en vois une mauvaise ; tu es toujours là devant moi pour la comparaison, et ton souvenir fait mon supplice à la vue de ces deux femmes : de la mauvaise, parce que tu ne lui ressemblas jamais ; de la bonne, parce qu'elle est ton image. Je ne regrette point de frivoles richesses et de vaines jouissances : je m'afflige que tu aies été ravie si jeune à moi si jeune encore ! Enjouée, sage, réfléchie, distinguée par la naissance, non moins distinguée par la beauté, tu fais la douleur et la gloire d'Ausone ton époux. Tu allais achever quatre fois sept années, et tu me laissas deux enfants[xiv] gages de nos amours. Grâce à Dieu, tes vœux sont accomplis : ces enfants prospèrent, comblés des biens que tu leur avais souhaités ; et je prie le ciel de les conserver, et de permettre à ma cendre d'annoncer un jour à la tienne qu'ils nous survivent l'un et l'autre.

X. Le petit Ausonius, mon fils.

JE ne te refuserai point les larmes et le chant du souvenir, ô mon fils, premier enfant appelé de mon nom. Tu cherchais encore à bégayer les premiers sons du langage, et nous t'avons pleuré comme un enfant d'un âge accompli. Nous t'avons placé auprès de ton bisaïeul ; tu partages sa sépulture : un tombeau pour toi seul eût excité l'envie.

XI. Pastor, mou petit-fils, enfant de mon fils.

ET toi aussi, victime prématurée, tu prends de force ta place en ces mûres, douleurs, enfant, deuil si amer au cœur affligé de ton aïeul ! Pastor, cher petit fils, troisième enfant d'Hesperius[xv], tu nous donnais déjà de si sûres espérances ! Ton nom, tu le devais au hasard, aux accents d'une flûte pastorale qui avait chanté ta naissance. On comprit trop tard ce présage de la brièveté de ta vie, qui s'envola comme le souffle échappé du roseau qu'il anime. Tu péris frappé d'une tuile, que laissa tomber du haut d'un toit la main d'un ouvrier. Non, ce n'était point la main d'un ouvrier, c'était la main du sort, qui voulait ton sang, et qui supposa un coupable. Hélas ! que de projets, que de bonheur tu me détruis là, ô Pastor ! C'est ma tête que cette tuile en tombant a brisée[xvi] ! N'était-ce pas à toi plutôt de pleurer le ternie de ma vieillesse, et de gémir tristement à mes funérailles ?

XII. Julia Dryadia, ma sœur.

S'IL est quelque vertu qu'une femme sage pût désirer en partage, ma sœur Dryadia la vit briller en elle. Elle en eut plusieurs même qui pouvaient faire envie à un sexe moins faible, au noble cœur de l'homme. Elle en savait assez pour mettre, à l'aide du fuseau, sa vie et son honneur à l'abri ; elle savait ce qui fait les bonnes mœurs. et l'enseignait aux autres. La vérité lui fut plus chère que la vie ; son unique souci était de connaître Dieu et d'aimer son frère par-dessus tout. Elle était jeune quand elle perdit son mari[xvii] ; mais son esprit sérieux s'éleva sans peine jusqu'à l'austère morale de la vieillesse. Elle prolongea durant soixante ans sa vie trop rapide encore.. et mourut dans la même maison et sous le même toit que son père.

XIII. Avitianus, mon frère.

MUSE, honore d'une funèbre complainte mon frère Avitianus. il m'était inférieur en âge, mais supérieur pour les qualités de l'esprit : mon père le nourrit des leçons de son art. Mais il ne put jouir de la riante fleur de la jeunesse, et la cruelle Atropos lui défendit de passer l'âge de la puberté. Pour nous, hélas ! quelle douloureuse blessure ! Quelle vie glorieuse, quelles riches espérances tu perds, hélas ! ô mon jeune frère ! Mon frère ! oui, par les lois de la chair et les degrés du sang, mais presque mon fils par l'affection !

XIV. Val. Latinus Euromius, mon gendre.

Ô GLOIRE d'une illustre famille ! ô perte amère pour mon cœur ! Euromius[xviii], toi que j'avais choisi pour gendre dans la foule de tes jeunes rivaux, tu meurs, ravi à mon amour dans la fleur de ta première jeunesse, père d'un enfant à la mamelle, et qui te connaît à peine encore ! issu d'une de nos grandes familles, tu fus plus grand que ceux-là même à qui tu devais la splendeur de ta noble origine. Des traits imposants, un cœur généreux, de l'éloquence, toutes les ressources d'un esprit ferme et habile, et surtout la foi. au devoir, telles sont les qualités dont tu fis preuve au siége de ta préfecture, sur les rives de l'Illyrie où tu fus gouverneur, et au profit du fisc lui-même qui fut ton client. Toutefois la courte durée de ta vie ne t'a rien ôté de ta gloire : ta mort fut prématurée. mais ton génie était dans sa maturité.

XV. Pomponius Maximus, mon beau-frère.

ET toi, qui fus mon frère, sinon par le sang, du moins par alliance, notre nénie, Maximus, doit te chanter aussi. Uni à ma sœur par les liens du mariage, tu la laisses veuve, tu la prives des fruits de ton avenir. Et ce coup n'a pas frappé ta maison seule ; il a frappé le sénat de Burdigala, blessé cruellement, hélas ! de cette perte amère. Tu étais son chef et sa force ; tu succombes, il chancelle, et retombe par ta mort aux mains de Valentinus. Ravi à notre amour, hélas ! que ne peux-tu, Maximus, jouir de ton fils[xix], et de tes petits-enfants[xx], fruits et fleurs de ta race ? Mais tu en jouis, si une divine parcelle de nous-mêmes habite chez les Mânes, et s'il est permis d'y connaître le bonheur qui doit venir un jour. Et alors pour toi la jouissance d'un tel bonheur aura été d'autant plus longue, que tu auras pu prévoir d'avance les joies que tu partages avec nous aujourd'hui.

XVI. Veria Liceria, femme d'Arborius, fils de ma sœur.

Toi aussi, que j'aimais à appeler ma bru, à regarder comme ma fille, Veria, reçois l'hommage suprême de mes chants. Si ta probité, ta beauté, ton honneur, ta fidélité à tous tes devoirs d'épouse, et tes mains filandières, avaient aujourd'hui besoin d'éloges, il faudrait rappeler du lointain séjour des Mânes la voix de ton bisaïeul Eusebius[xxi]. Mais comme depuis longtemps il a fini sa tâche en cette vie, il m'a transmis le soin de parler à sa place. Reçois donc ma funèbre complainte, nièce tant pleurée, épouse à jamais regrettable de mon Arborius. Tu lui laisses un fils,comme un faible soulagement à son immense douleur ; mais ce fils, tu l'abandonnes lui-même, et tu ajoutes ainsi aux tourments de son père. Pour que ses tendres soins ne te manquent jamais, cet époux que tu chérissais a placé près de ta couche le sépulcre que tu habites. Les lieux témoins de tes premiers amours sont les tristes gardiens de ta cendre ; et c'est là pour toi un nouvel hymen plutôt qu'une sépulture.

XVII. Pomponius Maximus Herculanus, file de ma sœur.

HERCULANUS, le fils de ma sœur, a droit aussi aux honneurs de la nénie, et ses tristes accents ne peuvent le laisser dans l'oubli. L'heureux naturel de ce jeune homme est une source abondante de brillants éloges ; mais un simple souvenir sied mieux que l'éloge à sa cendre. Il faisait l'orgueil de sa mère et le mien, lorsque aux jours de son adolescence il succomba sous les coups d'un destin jaloux. Hélas ! Maximus, à quoi nous ont servi ta verve[xxii], tes talents en musique, ta vivacité, la bonté de ton cœur, l'étendue de ton esprit, ta légèreté à la course, les grâces de ta personne, les finesses de ton langage, et le charme de ta voix mélodieuse ? Reçois ce triste hommage de ta famille, ces essais plaintifs d'une muse éplorée, ces lamentables accents que t'adresse un oncle désolé.

XVIII. Fl. Sanctus, mari de Pudentilla, sœur de ma Sabina.

TOI qui aimes la joie et le plaisir, qui nargues la tristesse, qui vis sans ressentir et sans inspirer la crainte, qui ne dresses de piéges et n'intentes de procès à personne, mais qui mènes, indulgent et sage, une vie irréprochable, viens, et que ta bouche pieuse honore de paroles favorables les mânes paisibles et les. calmes restes de Sanctus. Guerrier, nul revers ne mit sa vigilance en défaut ; gouverneur de la province de Rutupies, il sut la rendre heureuse. A quatre-vingts ans, la vieillesse n'avait point encore altéré d'un seul mauvais jour la tranquillité de sa vie. Prie donc, afin que, grâce à toi, Sanctus retrouve chez les Mânes le repos qu'il goûta sur la terre.

XIX. Namia Pudentilla, ma belle-sœur.

ET toi, femme, qui as souci de l'honneur et de la vertu, adresse à Pudentilla les paroles suprêmes. Noble par sa naissance, économe, probe, enjouée, pudique et belle, elle fut l'épouse fidèle de Sanctus. Elle conserva sans atteinte la chasteté qui faibait sa gloire. Elle administra ses biens elle-même, à défaut de son époux ami du loisir ; et jamais un reproche, jamais un nuage de son front n'accusa son mari de laisser ainsi à sa femme seule tout le poids de la maison. Elle mourut trop jeune, hélas ! mais, contente de voir un fils et son époux lui survivre, elle subit avec résignation son destin suprême. Elle était l'amie et la sœur de ma Sabina, et je lui donnais aussi le nom sacré de sœur. Aujourd'hui encore ma pieuse sollicitude aime à se reporter vers ses mânes paisibles pour honorer Pudentilla[xxiii] du culte de la muse.

XX. Lucanus Talisius, fils d'Att. Lucanus[xxiv].

TOI non plus, unique espoir d'une mère[xxv], jeune Talisius, mon cousin, je ne t'oublierai pas dans mes vers. Tu nous fus ravi dans les premières années de ta jeunesse en fleur ; mais tu étais époux déjà, déjà tu t'étais hâté d'être père. On dirait que la destinée n'allait si vite que pour que ta mort parût moins prématurée à ton père, devenu si tôt grand-père.

XXI. Attusia Lucana Talisia, et Elrminiscius Regulus, mes beau-frère et belle-sœur.

NOUS t'avons peu connue, Attusia, et nous n'avons jamais connu ton époux ; mais tu es la sœur de notre Sabina, et toi, Regulus, tu as pour nous le titre de beau-frère. Puisque le sort leur a donné ces noms qui nous sont si chers, honorons-les en quelques vers d'un triste souvenir. Bien qu'ils reposent au loin' dans les plaines de la Saintonge, cet hommage funèbre arrivera jusqu'à leurs mânes.

XXII. Severus Censor Julianus, père de ma bru[xxvi].

CESSEZ, antiques Calpurnius, de revendiquer comme un patrimoine de votre famille le nom de Frugi. Que Caton ne se vante pas seul du titre de Censeur, ni le seul Aristide du nom de Juste. Car tout homme sage, ami de la vérité, de la bonne foi, doit t'admettre comme son égal, ô Censor. Grave, mais affable, indulgent quoique,juste, tu savais joindre la douceur à la sévérité. Nulle affinité, nuls liens du sang, n'existaient entre nous, et pourtant tu désiras réunir nos deux familles : sans doute parce que la nature de mon esprit t'offrait en moi comme une image de ton caractère, ou que la roue de !a Fortune tournait alors de manière à donner quelque poids à des vœux si purs dans la balance du Destin. S'il te reste quelque sentiment chez les Mânes, ton âme doit être heureuse de voir que la volonté de Dieu a réalisé tes désirs.

XXIII. Paulinus et Dryadia, enfants de Paulinus et de Megentira, fille de ma sœur.

TOI qui avais le nom et les traits de ton père, ô Paulinus, tu étais le vivant portrait de ce père expiré ; grâce à toi, le deuil s'éloignait déjà du cœur de ta malheureuse mère, car tu lui rendais l'image et tu lui rappelais toutes les qualités d'un époux, et tu ajoutais à ces qualités cette facilité d'élocution qui manqua toujours à Paulinus ton père : mais tu nous es ravi aux plus belles années de ton adolescence, et tu déchires le cœur de ta mère, tout saignant encore. Car nous pleurons aussi Dryadia, ta sœur, qu'une mort prématurée, hélas ! enleva au lit nuptial ; nous pleurons, moi surtout, moi l'oncle de votre mère, et qui vous chéris comme le sang de mes enfants. Ta sœur est morte entre les bras de sa mère, sous les baisers de son père, dans une lointaine contrée d'Espagne[xxvii]. Et toi, tendre et nouvelle fleur, te voilà cueillie en ton printemps, et le duvet du jeune âge n'entourait pas encore la pourpre de tes joues. Leur féconde mère avait mis quatre enfants au jour, et deux de ces enfants déjà sont descendus au tombeau. Que cela te suffise, à toi leur père, ô Paulinus ; ta part est faite : les deux autres doivent rester à leur mère[xxviii].

XXIV. Paulinus, gendre de ma sœur.

CELUI qui aime un esprit enjoué, des mœurs régulières, celui qui honore la bonne foi et la piété sainte, celui-là doit vénérer avec moi les mânes de Paulinus, et les arroser de larmes amies, en leur offrant les gâteaux annuels. Tu étais de mon âge, ô Paulinus ; ma sœur t'accorda la main de sa fille, et tu devins ainsi presque mon. gendre. Ta mère était d'une famille d'Aquitaine : ton père tirait son origine de Cossio, municipe des Vasates[xxix]. La préfecture des Archives, l'intendance du Trésor de la Libye, furent autant de magnifiques récompenses accordées à ton mérite. L'Espagnole Tarraco t'offrit le tribunal de Correcteur[xxx], jalouse d'être ainsi ta cliente. Tu adorais ta belle-mère comme une mère, et l'on ne pouvait te considérer comme un gendre puisqu'on te gâtait à l'égal d'un fils. Toujours d'accord avec tes amis, tu leur restas fidèle toute ta vie, qui dura dix-huit olympiades.

XXV. Émilia Dryadia, ma tante maternelle.

A toi aussi, Dryadia, sœur de ma mère, à toi les pieux accents de ma bouche plaintive : enfant de ta sœur, j'étais presque ton fils. La mort jalouse t'a ravie au lit nuptial, aux flambeaux d'hyménée ; elle a remplacé la couche des amours par les funèbres honneurs du cercueil. Tu t'essayais sur moi, tante chérie, aux devoirs d'une mère, et ma douleur aujourd'hui acquitte envers toi les devoirs d'un fils.

XXVI. Julia Cataphronia, ma tante paternelle.

QUE la sœur de mon père, que Cataphronia, Muse, ait aussi sa part de tes chants funèbres. Vouée au culte de la virginité[xxxi], son seul amour, elle vieillit sans connaître l'hymen, ménagea son bien, et me laissa, comme une mère, tout ce qu'elle put épargner de son pauvre revenu. Aussi j'ai réveillé ton souvenir, et je te salue, et ma triste voix te dit comme à une mère : Adieu.

XXVII. Julia Veneria, ma tante paternelle.

MON autre tante, Veneria fut leste à mourir : chantons-lui des vers brefs sur un mode rapide, afin que sa cendre repose douillettement sur la terre, et que son ombre gagne d'un pied léger les retraites silencieuses de l'Érèbe.

XXVIII. Julia Idalia, ma cousine.

ELLE a vécu aussi, la petite Idalia, qui, parée du nom de Vénus, le justifiait par sa beauté. C'était pour moi presque une sœur, car elle était fille de ma tante, et ma nénie aime à l'honorer ici du pieux hommage d'un funèbre cantique.

XXIX. Émilia Mélania, ma sœur.

ÉMILIA, ma sœur, toi que j'ai connue à peine, reçois les regrets fille ma muse plaintive devait à tes cendres. L'enfance qui réunit nos berceaux, nous donnait le même âge, bien que tu fusses d'un an plus âgée que moi. Mais l'envieuse Lachésis précipita ton heure, et une mort précoce t'envoya chez les Mânes. Puisque tu m'as devancé, reçois mes adieux, et honore les mânes de nos parents qui, l'un plus tôt, l'autre plus tard, sont allés te rejoindre.

XXX. Pomponia Urbica, mère de ma bru, et femme de Julianus Censor.

Ô FEMME d'une illustre origine et de mœurs antiques, Urbica, toi que Censor ennoblit de son alliance ; toi qui, riche déjà de tant de vertus naturelles, en recueillis tant d'autres aux leçons d'un époux, d'un père et d'une mère, tu nous rappelais Tanaquil, et Théano la Pythagoricienne[xxxii], et cette épouse sans modèle qui subit la mort destinée à son mari[xxxiii]. Si le sort eût voulu te permettre un pareil échange, Censor vivrait encore aujourd'hui. D'ailleurs, tu n'eus pas à souffrir longtemps des tourments du veuvage : la mort vint au gré de tes désirs, et tu ne tardas pas à suivre ton époux. Aujourd'hui nous t'apportons l'offrande annuelle de nos douleurs et de nos larmes au nom de ton gendre et de ses enfants, nous leur père commun, Ausone.


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[i] Ce fut Énée, suivant Ovide (Fastes, liv. II, v. 543), qui institua cet usage.

[ii] Festus, au mot Nœnia : Nænia est carmen quod in fancre laudandi gratia cantatur ad tibiam.

[iii] Ronsard, dans l'Avant-propos de ses Épitaphes de divers sujets, s'est souvenu de ce passage :

Le dernier honneur qu'on doit à l'homme mort,
C'est l'épitaphe escrit tout à l'entour du bord
Du tombeau pour mémoire.
On dit que Simonide
En fut premier autheur.
Or, si le sens préside
Encore aux trespassez comme il faisoit icy,
Tel bien memoratif allege leur soucy,
Et se plaisent de lire en si petit espace
Leurs noms et leurs surnoms, leurs villes et leur race.

[iv] Quatre-vingt-huit ans. Dans l'Épicéde (Edyll., II, v. 61), Ausone dit que son père vécut quatre-vingt-dix ans.

[v] Voir les notes 7 et 8 de la seconde Préface.

[vi] Burmann (Anthol. lat., liv. III, n° 275) rapporte un poème élégiaque imité de la seconde élégie du livre II, de Properce, et publié avant lui par André Rivinus et par Lotichius, sous le nom d'Æmilius Magnus Arborius ; mais Burmann doute qu'il soit de lui, et il cite quelques autres personnages du nom d'Arborius, mentionnés par Valois dans ses notes sur Ammien Marcellin, liv. XV, ch. 3. Werusdorf, qui a donné aussi ce poème dans ses Poetæ latini minores (t. II, p. 272, édit. Lemaire), y reconnaît l'œuvre d'un grammairien ou d'un rhéteur, et n'hésite pas à l'attribuer à l'oncle d'Ausone plutôt qu'à aucun autre. Cette élégie, dont la versification ne manque pas d'élégance et de facilité, a été traduite par M. Héguin de Guerle avec les poésies attribuées à Pétrone (t. II, p. 260 du Pétrone de la Bibliothèque Latine-Française), et plus récemment par M. Cabaret-Dupaly (t. I, p. 368 de la 2e érie de cette collection).

[vii] Cette épithète de Palladienne a été donnée plusieurs fois à Toulouse (MARTIAL, liV. IX, Epigr. 99 ; SID. APOLLINAIRE, Carm., VII, v. 431), sans doute à cause du succès avec lequel les beaux-arts et les lettres, dont Pallas ou Minerve est la déesse, étaient cultivés dans cette ville. Athènes portait le même nom chez les Grecs, et pour la même cause. Ausone (Edyll., XV, 34) a dit :
Timon Palladiis olim lapidatus Athenis.

« Toulouse est une de ces villes privilégiées et choisies du ciel, a dit Balzac (Œuvres, 1664, in-12, p. 389) ; elle produira toujours des lumières à la France ; elle sera toujours juste et catholique, savante et Palladienne, jusqu'à la fin du monde. » — Voir à ce sujet une note de M. Breghot du Lut, dans les Œuvres d'Apollinaris Sidonius, trad. par MM. Grégoire et Collombet, t. III, p. 376.

[viii] Les anciens croyaient qu'à la naissance d'un enfant les Destins recueillaient de la bouche de Jupiter et notaient sur des tablettes l'avenir que le dieu prédisait à l'enfant. — Voir PACATUS, Panégyr., ch. XVIII.

[ix] Voir TREBELLIUS POLLION, sur les Trente tyrans, dans les Historiæ Augustœ Scriptores.

[x] Les astrologues n'exerçaient leur art qu'en secret, à cause des lois sévères portées contre eux.

[xi] Les Bénédictins (Hist. littér., t. I, part. 2e, p, 581) disent que, pour comble de malheur, Cécilius perdit un œil dans sa vieillesse. Ils ont pris à la lettre l'expression d'Ausone, employée déjà par Quintilien (liv. VI, proœm.) ; mais cet œil, c'est Arborius, son fils, mort à trente ans, comme Ausone vient de le dire, et que les Bénédictins, aveuglés sur ce passage, font vivre soixante à soixante-cinq ans. — Voir la Notice.

[xii] Les commentateurs, d'après ces termes, en font une religieuse ; mais Ausone dit que si elle ne s'est pas mariée, c'est qu'elle n'avait aucun des penchants de son sexe. Ce n'était pas une dévote, c'était un dragon de vertu.

[xiii] C'était, d'après Ptolémée, un port de la Bretagne, aujourd'hui Sandwich. — Voir JUVÉNAL, sat. IV, v. 141 ; LUCAIN, liv. VI, v. 67.

[xiv] Hespérius et une fille dont on ignore le nom — Voir la Notice.

[xv] Un de ces trois enfants est Paulin de Pella, surnommé depuis le Pénitent, et qui nous a laissé dans un poème d'un style assez barbare, mais d'un grand intérêt pour l'histoire, un récit curieux des malheurs de sa vie. Barth prétend que ce Paulin était plutôt fils de la fille d'Ausone, que d'Hespérius ; mais Tillemont (Hist. des Emp., t. V, p. 620) et les Bénédictins (Hist. litter., t. II, p. 363) ont prouvé le contraire. Quoi qu'il en soit, son poème, intitulé Eucharisticon (Actions de grâces), renferme, outre une foule de précieux renseignements historiques que M. Fauriel a mis à profit (Hist. de la Gaule méridionale, t. I, p. 124 et suiv.), des détails curieux sur l'éducation des jeunes patriciens, et sur l'intérieur de la vie domestique gauloise à cette époque (M. J.-J. Ampère, Hist. littéraire, t. II, p. 168. Voir l'analyse ,qu'il en donne et le jugement qu'il en porte.). C'est un monument historique et littéraire qui méritait d'être plus connu (M. Ch. Nodier, dans sa Bibliothèque sacrée, n'en parle pas, non plus que M. F.-Z. Collombet, dans son Hist. civile et religieuse des lettres latines. Schœll l'a omis également dans son Hist. abrégée de la littérature romaine.). Mais il est fort rare ; il n'a encore été, je crois, publié que trois fois en entier, par Margarin de la Bigne d'abord, dans l'Appendice de sa Bibliothèque des Pères, à Paris, en 1579 ; ensuite par Chrét. Daumius, avec ses notes et celles de Barth, à la suite des Poésies de Paulin de Périgueux, à Leipzig, en 1681 ; et enfin à Pesaro, en 1766, par l'éditeur de la Collectio Pisaurensis (t. VI, p. 1). Dom Bouquet, dans la collection des Historiens des Gaules, n'en a donné que quelques passages (t. I, p. 772). Je n'ai donc point hésité à le reproduire après en avoir corrigé le texte sur l'édition de Daumius et les notes de Barth. Mais je n'ai admis que quelques-unes des nombreuses corrections proposées par Barth ; car il est évident que les fautes grossières contre la prosodie et la grammaire dont cet ouvrage fourmille, viennent, non de l'ignorance des copistes, mais de l'ignorance de l'auteur lui-même, qui s'en confesse avec humilité. L'Eucharisticon de Paulin fait partie, sous le n° III, de l'Appendice.

[xvi] « Ce mot, dit M. Demogeot, me semble aussi touchant et moins recherché que celui de madame de Sévigné : Ma chère fille, j'ai mal à votre poitrine. »

[xvii] L'époux de cette sœur d'Ausone se nommait Pomponius Maximus. — Voir Parentale, XV.

[xviii] Plusieurs éditions portent Euroni, et Euronius dans le titre. Tollius propose Euromius, à cause de l'étymologie, , bien, et rÅmh, force. C'est, d'ailleurs, la leçon d'un ancien manuscrit. Symmaque, écrivant à Ausone (liv. I, lett. 25), lui parle de son gendre Thalassius. Quelques commentateurs ont cru qu'il désignait Euromius, qui portait aussi, selon eux, le nom de Thalassius. Tillemont (Hist. des Emp., t. V, p. 726) a fort bien démontré qu'ils étaient dans l'erreur, et voici comment :

« 1°. Le nom de Thalasse n'est point marqué dans le titre de l'épitaphe d'Eurome, au lieu que dans les autres titres on trouve tous les noms de ceux dont Ausone fait l'épitaphe ; et le nom de Thalasse, marqué seul dans Symmaque et dans les lois comme le nom propre du gendre d'Ausone, devait moins être oublié que les deux autres. 2° L'épitaphe d'Eurome ne lui attribue point de charge plus éminente que celle de gouverneur d'une province de l'Illyrie, et il est certain que Thalasse a été au moins proconsul d'Afrique, ce qui était beaucoup au-dessus. Nous ne pouvons donc point douter qu'Eurome et Thalasse ne soient deux, et qu'ils étaient tous deux été gendres d'Ausone. Ausone n'a pas néanmoins eu deux filles mariées, puisque sa femme ne lui laissa en mourant que deux enfants, Hespère et une fille ; mais cette fille peut avoir été mariée deux fois, premièrement à Eurome, et puis à Thalasse, qui peut avoir survécu à son beau-père, puisque Ausone ne fait point son épitaphe, au lieu qu'Eurome est mort avant lui, et est mort tout jeune.
« Eurome laissa un fils qui devait donc être né avant les enfants de Thalasse ; et néanmoins Ausone semble dire que le premier de ses petits-fils, prime nepos, était Ausone fils d'un proconsul, et par conséquent de Thalasse. Je ne sais si ce serait que le fils d'Eurome était déjà mort ; ou s'il appelle ce petit Ausone le premier, parce qu'il l'était entre les enfants de Thalasse. »
Le fils d'Eurome n'était pas mort avant Ausone, car il eût été compris dans les Parentales, où Ausone n'a oublié aucun des parents qu'il avait perdus. Mais le poète nomme le fils de Thalasse prime nepos, par amour-propre de grand-père, parce que cet enfant était le premier de ses petits-fils qui portât le nom d'Ausone, qui nomen avi geris indole prima, comme il le dit au vers précédent (Edyll., XV, 36). Ainsi, la rectification de Tillemont subsiste, et la dernière difficulté qui l'arrêtait n'en est plus une.

[xix] Ce fils était Arborius, qui épousa Veria Liceria, dont il va être question dans la pièce suivante.

[xx] Ce sont les quatre enfants de Megentira, dont deux seulement sont connus, Paulinus et Dryadia, parce qu'ils moururent avant Ausone qui les a chantés, Parentale, XXIII.

[xxi] Cet Eusebius, qu'on ne trouve cité nulle part ailleurs, était sans doute un orateur ou un poète, qui enseignait au IIIe siècle les belles-lettres à Bordeaux.

[xxii] Gronovius propose ici une excellente correction, quam frustra, au lieu de la leçon vulgaire quem fructum. Cet Herculanus mourut au moment de succéder à Ausone dans sa chaire de rhéteur. Professeurs, XI.

[xxiii] Fantis honore colit (v. 14). Malgré Scaliger et Souchay, je préfèrerais, avec Vinet et Fleury, fratris à ce fantis, qui s'accorde moins avec ce qui précède.

[xxiv] Un manuscrit porte cura filii ; Fleury propose cura filius, c'est-à-dire mon fils par l'amitié ; Scaliger, levir, Att. filius, c'est-à-dire mon beau frère, fils d'Attusius. La conjecture de Tollius, Att. Lucani filius, est la plus naturelle.

[xxv] Le texte portait nec tantum matris spes unica. Je n'ai adopté qu'à demi la correction de Tollius, qui met nec tu jam metris, et de son autorité privée tue ainsi la mère de ce Talisius. Tollius dit qu'il n'était pas l'unique espoir d'une mère, puisque Sabina, sa sœur et la femme d'Ausone, vivait encore. Mais il oublie que Sabina était morte à vingt-huit ans, qu'elle était plus âgée que ce Talisius, appelé ici ephebe Talisi ; il est donc probable que ce Talisius lui avait survécu, et avait pu rester ainsi matris spes unica. Mais on n'explique pas pourquoi Ausone le nomme consobrine : peut-être était-ce par sa femme, que Talisius était devenu le cousin du poète.

[xxvi] Le mot consocer désigne également le père du gendre ou le père de la bru. On s'accorde à croire que ce Julianus et Pomponia Urbica, sa femme (Parentale, XXX), étaient le père et la mère de la bru d'Ausone, de la femme d'Hesperius.

[xxvii] A Tarragone. Paulinus, père de ces enfants, avait été corrector de la Tarragonaise — Voir la pièce suivante.

[xxviii] Paulinus avait reçu sa part de ses quatre enfants, chez les morts, où Paulinus et Dryadia étaient allés le rejoindre.

[xxix] Bazas.

[xxx] Selon Fleury, les corrégidors sont aujourd'hui en Espagne, par l'étymologie et par l'emploi, les successeurs des correctores.

[xxxi] Fleury, en sa qualité de chanoine, voit dans ces mots devotæ virginitatis la preuve qu'elle était religieuse. Pourquoi alors Ausone, qui, selon Fleury, était chrétien, lui adresse-t-il l'adieu profane institué par Numa ?

[xxxii] Théano était la femme ou l'élève de Pythagore.

[xxxiii] Arria, femme de Pétus, selon Vinet, qui se trompe ; il s'agit, selon Tollius, d'Alceste, femme d'Adniète. — Voir l'Alceste d'Euripide.

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