ŒUVRES D'AUSONE
texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER
L'ÉPHÉMÉRIDE, OU L'EMPLOI DE LA JOURNÉE
épigrammes parentales
ŒUVRES D'AUSONEL'ÉPHÉMÉRIDE, OU L'EMPLOI DE LA JOURNÉE[i].
DÉJÀ
la clarté du matin perce tes fenêtres, déjà gazouille au nid
l'hirondelle éveillée, et toi, comme au commencement et au milieu de
la nuit, Parménon, tu dors ! AVANT-PROPOS.ENFANT, debout ! Donne-moi ma chaussure et ma tunique de lin : donne-moi tous les vêtements que tu m'as préparés, pour que je sorte. Donne-moi de l'eau de fontaine pour me laver les mains, la bouche et les yeux. Ouvre-moi la chapelle, mais sans aucun apprêt extérieur. De pieuses paroles, des vœux innocents suffisent quand on s'adresse à Dieu. Je ne demande point d'encens à brûler, ni de gâteaux de miel ; et le foyer sur l'herbe vive, je le laisse aux autels païens. J'ai à prier Dieu, et le Fils du Dieu Très-Haut, majesté de même essence, associée au Saint-Esprit. Me voici prêt à commencer ma prière : mon esprit ressent la présence du Seigneur et tremble[iv]. LA PRIÈRE.
DIEU
tout-puissant[v],
que je ne connais qu'en esprit et en adoration ; ignoré des méchants,
mais que nulle âme pieuse n'ignore ; qui n'as ni commencement ni fin ;
plus ancien que le temps qui fut et sera ; toi dont notre âme ne peut
comprendre ou notre langue définir la forme et la grandeur : il n'est
donné de te contempler, d'entendre les commandements de ta bouche, qu'à
celui-là seul qui est assis à la droite de son père, qu'à l'auteur
de toutes choses, cause lui-même de toute création, Verbe de Dieu et
Verbe Dieu, antérieur au monde qu'il devait créer ; engendré dans le
temps où le temps n'était pas encore ; mis au jour avant que le jour,
avant que l'aurore vermeille n'illuminât le ciel ; sans qui rien n'eût
existé, par qui tout existe ; dont le trône est au ciel ; qui siége
au-dessus de la terre, de la mer et de l'impénétrable chaos de la nuit
obscure ; qui, toujours à l'œuvre, donne le mouvement à toute chose,
la vie à la matière ; Dieu engendré d'un père non engendré ; qui,
pour punir l'astuce d'un peuple orgueilleux, appela les nations en son
royaume, et en fit une branche adoptive[vi],
dont les rejetons meilleurs lui seraient fidèles ; qui permit à nos aïeux
de contempler sa divinité[vii],
et ceux qui l'avaient vu virent aussi son père ; qui, chargé de nos
iniquités, subit les outrages d'une mort douloureuse, voulant nous
apprendre ainsi qu'il est un chemin pour retourner à la vie éternelle,
et que l'âme n'y retourne pas seule, mais que le corps tout entier
remonte aux régions célestes, et ne laisse à la terre, ou il n'est
plus, qu'un cercueil vide enfermé dans le sépulcre. LA SORTIE.ASSEZ de prières données à Dieu, quoique jamais le pécheur ne puisse assez adresser de prières au Seigneur. Esclave, donne-moi mon vêtement de ville. Je vais souhaiter à mes amis un bonjour et une bonne santé : c'est un usage réciproque entre nous. Comme je ne reviendrai que dans quatre heures, et qu'il sera près de midi, il est temps d'avertir Sosie. L'HEURE DES INVITATIONS.Voici l'heure de prévenir les amis ; il ne faut pas, par notre faute ou la leur, retarder le dîner. Vite, esclave, cours chez nos voisins : tu sais lesquels ; pendant que je parle, va et reviens. J'en ai invité cinq ; le roi de la table fera le sixième ; c'est le compte juste pour tout repas ; au delà de ce nombre, c'est une cohue. Il est parti : nous voilà seuls avec Sosie.
LE
MOMENT DE SURVEILLER LE CUISINIER.
SOSIA, le dîner ! Tout entier sur la quatrième heure[xiv], le soleil brûle, et l'ombre incline déjà vers la cinquième. Vois si la sauce et les assaisonnements relèvent la saveur de tes ragoûts, car on y est souvent trompé : goûte-les pour t'en assurer. Que tes mains retournent et agitent les bouillantes casseroles ; plonge vivement tes doigts dans la sauce brûlante, et que ta langue humectée les suce en vibrant à plusieurs reprises. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
[lacune
de plusieurs vers[xv]]
.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . De quadrupèdes et
d'oiseaux, ou des monstres marins accolés à des animaux terrestres,
jusqu'à ce qu'enfin, balayées par les Eurus, les nuées se dissipent
dans l'espace limpide où elles s'évaporent. Tantôt je vois le forum
et les procès, tantôt les magnificences d'un vaste théâtre ; ou bien
je suis aux prises avec des escadrons de cavaliers, ou des brigands qui
m'égorgent. Une bête féroce nous déchire le visage, ou nous
parcourons, le glaive à la main, l'arène ensanglantée. Je marche à
pied sur la mer qui a brisé mon navire, je franchis les vagues à la
course, ou tout à coup j'ai des ailes et je vole dans les airs. Les
songes nous exposent encore à d'infâmes amours, aux voluptés
honteuses de la nuit, à tous les incestes de la tragédie. Ce qui me
sauve alors, c'est ma pudeur, qui interrompt le sommeil et dissipe les
prestiges des songes : délivré de ces visions hideuses, mon esprit
veille ; ma main, que ma conscience rassure, parcourt tout le lit avec sécurité
; l'opprobre disparaît de ma couche, et le crime s'évanouit avec le rêve
qui s'envole. Je me vois applaudir au milieu des triomphateurs, et puis
soudain on m'entraîne désarmé au nombre des Alains captifs. Les
temples des dieux, les saints portiques, les palais dorés frappent ries
regards, ou je :rois m'étendre sur la pourpre de Sarra, et bientôt je
m'attable en convive dans les tavernes enfumées. [i] D'après les Bénédictins (Hist. littér., t. 1er, 2e part., p. 292), cette pièce ; « qui contient toutes les actions d'une journée sainte, semble avoir été faite pour l'usage de la jeunesse, » à laquelle Ausone tâchait de donner ainsi, « les principes d'une éducation chrétienne. » Il faut avoir bien envie de faire de ce poète un chrétien, pour voir toutes les actions d'une journée sainte dans ces vers, où, à part la prière, qui peut-être n'est pas d'Ausone, on ne rencontre que des allusions à la mythologie, des goûts mondains, des invitations à dîner, des détails gastronomiques, et enfin une invocation aux songes. Cette pièce a dû être composée, non pas dans les écoles de Bordeaux , mais à la cour, à Trèves, où Ausone, comblé d'honneurs et de richesses, menait grand train, et affectait forcément une ferveur de christianisme qui n'était ni dans sa conviction peut-être, ni certainement dans ses habitudes. — Voir la Notice. [ii] Souvenir de la fable d'Endymion. [iii] Parodie d'un vers d'Horace, liv. III, ode II, v. 37.
[iv] Quelques éditeurs,
Tollius et Fleury entre autres, ajoutent ici un mauvais vers : Cette réflexion, écrite par quelque esprit fort sur la marge d'un vieux manuscrit, avait été découverte d'abord par Vinet, qui n'avait pu en déchiffrer que ces mots : Pavetne mequam spes fides, dont on fit pavet nequidquam spes, fides, et ensuite le vers que nous venons de citer. Souchay condamne cette ridicule interpolation, et la rejette avec raison.
[v] Cette prière se retrouve
dans un manuscrit sous le nom de S. Paulin de Nole, l'élève
d'Ausone, et elle a toujours été insérée parmi ses œuvres. —
Voir S. Pontii Meropii Paulini
Opera, Paris, 1685, in-4°. (*) Les vers rhopaliques sont des hexamètres composés de cinq mots, le premier d'une syllabe, le second de deux, le troisième de trois, le quatrième de quatre, le cinquième de cinq. C'est à cette gradation ascendante des mots et des syllabes que ces vers doivent leur nom (de rñpaon, massue, à cause de leur forme). — Voir le Menagiana, t. III, p. 347, édit. de 1729. [vi] Voir l'Épître de saint Paul aux Romains, ch. II. [vii] Voir l'Évangile selon saint Jean, ch. XIV. [viii] Rois, liv. IV, ch. 2. [ix] Énoch, le père de Mathusalem. Genèse, ch. V. [x] Genèse, ch. I. [xi] C'est-à-dire, n'avoir à déplorer la perte d'aucun de mes enfants.
[xii] Souvenir de Martial, liv.
X, épigr. 47 :
Souchay
cite aussi ce quatrain célèbre que notre vieux poète Maynard a
fait graver sur la porte de son cabinet :
[xiii] Tollius et Fleury
rapprochent de ces vers un passage tout semblable d'un poème de S.
Paulin à Nicétas (Carm.,
XVII, v. 115) : Ce qui pourrait bien être un motif de plus pour attribuer cette prière à S. Paulin. [xiv] C'est-à-dire que l'ombre commence à tourner vers la cinquième heure marquée sur le cadran solaire. Cette cinquième heure répond à peu près, pour nous, à onze heures du matin. [xv] Les passages perdus comprenaient sans doute la description du dîner, les occupations de la soirée, le souper et le coucher ; car au dernier fragment le poète demande une bonne nuit aux songes. [xvi] Virgile, Énéide, liv. VI.
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