Texte numérisé et mis en page par Thierry Vebr et François-Dominique FOURNIER
AUSONE
IDYLLES.
IDYLLES[1] I. Vers sur la Pâque[2]. Voici revenir les saintes solennités du Christ sauveur, et ses pieux ministres célèbrent les jeûnes que leur vœu leur impose[3]. Mais nous, qui renfermons son culte éternel en notre âme[4], nous lui continuons l’effusion perpétuelle de nos hommages sans tache. Aux temples les cérémonies annuelles, à nous l’adoration de chaque jour. Souverain père des choses, à qui la terre, l’océan et les airs, le Tartare et la plage lactée du ciel étoilé obéissent ; que redoute la plèbe coupable des pécheurs, et qu’en retour la troupe immaculée des âmes pieuses glorifie en ses prières, tu donnes à nos jours de si courte durée, à notre âme caduque et si tôt exhalée, le bienfait de la vie éternelle ; tu accordes au genre humain les doux préceptes de ta loi et les sacrés prophètes ; tu sauves la postérité d’Adam ; tu as pitié d’Adam trompé par Ève, qui, prise au piège empoisonné, enveloppa son compagnon dans l’erreur qui l’avait séduite. Tu envoies au monde, ô bon père, ton Verbe, ton fils, Dieu comme toi, en tout semblable et égal à toi, vrai Dieu né du vrai Dieu, Dieu vivant d’origine vivante. Instruit de tes commandements, il n’y ajoute qu’un précepte, c’est que l’Esprit, qui nageait au-dessus des eaux de la mer, raviverait par un bain régénérateur nos membres languissants. Croire à trois dieux en un seul et procédant d’un seul, c’est assurer le salut qu’on espère, si, à la foi qui confesse ce nombre, on joint la pratique de la vertu. Une image de ce mystère se présente à nos yeux ici-bas : c’est Auguste le père, qui créa deux Augustes[5], et qui, entourant tout ensemble un frère et un fils de son divin amour, partage avec eux l’empire, sans le diviser, conserve seul toute la puissance, et la dispense tout entière. Donc, pour notre bonheur, sur cette trinité terrestre dont l’amour fait la force, sur ces maîtres bienfaisants du monde, sur ces ministres du ciel, ô Christ, appelle par ton intercession les grâces de ton père éternel. II. Ausone à son lecteur, salut. Après Dieu, c’est mon père que j’ai toujours adoré : mon second culte, c’est à mon père qu’il était dû. Ainsi, cet hommage au Dieu très haut sera suivi de l’Épicède[6] de mon père. Ce mot, emprunté aux auteurs grecs, et consacré par eux à honorer les morts, n’est point un titre ambitieux, mais un terme de piété. Je le recommande à mon lecteur, qu’il soit fils, ou père, ou l’un et l’autre. Je n’exige point qu’on loue cet ouvrage[7] ; mais je demande qu’on l’aime. Du reste, je ne fais point ici l’éloge de mon père, il n’en a pas besoin, je ne dois pas écraser un mort de ces jouets qui amusent les vivants. Je ne dis rien qui ne puisse être reconnu de ceux qui ont été les témoins d’une partie de sa vie. Avancer un mensonge, aujourd’hui qu’il n’est plus, n’est pas un moindre crime à mes yeux que de taire la vérité. Ces vers ont été inscrits sous son portrait, ce qui ne m’empêche pas de les comprendre dans le recueil de mes œuvres. Tous mes autres écrits me déplaisent[8] ; celui-là seul, j’aime à le relire - Adieu. Épicède de Julius Ausonius, son père. Ausonius est mon nom : je n’étais point le dernier dans l’art de guérir, et, pour qui connaît mon siècle, j’étais le premier[9]. J’ai eu pour patrie et pour demeure deux villes voisines : je naquis à Vasates, mais j’habitai Burdigala. Une double curie, un double sénat[10] me compta parmi ses membres ; mais, étranger à leurs travaux, je n’y participai que de nom[11]. Ni riche, ni pauvre, je fus économe sans être sordide. Ma nourriture, ma tenue, mes mœurs, n’ont jamais changé. Je parlais difficilement en latin, mais la langue de l’Attique[12] me prêtait pour m’exprimer d’élégantes paroles. J’ai offert gratuitement le secours de mon art à tous ceux qui l’ont réclamé[13], et mes soins n’allaient pas sans la charité. J’ai tâché de répondre à l’opinion des hommes de bien ; jamais, à mon propre jugement, je ne fus content de moi-même. Les services de diverse nature que je dus rendre à plusieurs, je les dispensai toujours selon les personnes, les mérites ou l’occasion[14]. Ennemi des procès, je n’ai accru ni diminué mon bien. Nul n’a dû sa perte à mes délations ou à mon témoignage. Je n’ai envié personne j’ai fui tous désirs et toute ambition - jurer ou mentir, était selon moi la même chose. Factieux ou conjurés ne m’ont jamais rattaché à leur parti. J’ai cultivé l’amitié avec une foi sincère. J’ai reconnu que l’homme heureux était, non celui qui possédait ce qu’il voulait, mais celui qui ne souhaitait pas ce que la fortune lui avait refusé. Je ne fus ni un importun ni un bavard je ne regardais que devant moi, et je ne cherchais point à pénétrer ce qu’une porte ou un voile cachait à mes regards. Je n’ai point forgé de ces bruits qui pouvaient déchirer la réputation d’un honnête homme ; et si j’en ai su de vrais, je les ai tus. J’ai banni la colère, j’ai banni le vain espoir, j’ai banni les soucis inquiets ; les fausses joies des biens de la terre, je les ai bannies. J’ai fui la foule et le tumulte, j’ai repoussé les amitiés des grands toujours mensongères. Je n’ai jamais pensé qu’on pût se faire un mérite de ne point faillir, et je préférais aux lois les bonnes mœurs. Enclin à la colère, j’ai comprimé de bonne heure ces emportements, et je me suis puni de ma légèreté. Je ne me suis marié qu’une fois : de cette union, qui dura neuf lustres sans atteinte et sans nuage, nous avons eu quatre enfants[15]. Ma première fille mourut à la mamelle : celui qui naquit le dernier succomba dans sa puberté ; bien qu’à son enfance encore, ce n’était déjà plus un enfant. L’aîné parvint au comble des honneurs suprêmes ; il fut préfet des Gaules, de la Libye[16], du Latium. Le calme, la douceur, la sérénité de son âme se peignaient dans ses yeux, sur ses traits, dans son langage ; il montra pour son père un cœur, un amour paternel. J’ai vu son fils et son gendre proconsuls[17] ; et j’eus l’espoir certain qu’il serait consul lui-même. Ma fille[18] eut la gloire d’être mère ; elle mérita de nobles éloges comme épouse et comme veuve, et elle vit son fils[19], son gendre[20] et le mari de sa petite-fille[21], illustrer tous ensemble leurs maisons par l’éclat de leurs nombreuses dignités. Moi, sans rechercher ou refuser les honneurs, je fus nommé préfet de la grande Illyrie. Ces immenses faveurs de la fortune m’engagèrent, après avoir remercié la divinité, à la prier de me retirer du monde ; je craignis que quelque jour le destin ne vînt mordre et déchirer la trame encore intacte de cette vie fortunée. J’obtins ce que je demandais : ma prière fut exaucée. Je m’endormis d’un sommeil tranquille, et je laissai à d’autres l’espoir, les désirs et la crainte. Au milieu des regrets de mes amis, je mourus sans regrets, après avoir réglé les dispositions de mes funérailles. Je vécus quatre-vingt-dix ans, sans bâton, et avec l’usage entier de tous mes membres et de toutes mes facultés. Toi qui liras ces vers, tu ne refuseras pas de dire : Telle fut ta vie, qu’elle me fait envie. III. La petite villa d’Ausone. [Après plusieurs années passées dans les honneurs[22], car il avait été consul, Ausone quitta la cour et retourna dans sa patrie[23]. En entrant dans la petite villa que son père lui avait laissée, il s’amusa à faire ces vers, à la manière de Lucilius[24].] Salut, petit héritage, royaume de mes ancêtres, que mon bisaïeul, que mon aïeul, que mon père a cultivé, que m’a laissé mon père enlevé déjà vieux par une mort trop rapide encore. Hélas ! J’aurais voulu pouvoir ne pas sitôt jouir ! Sans doute il est dans l’ordre de la nature qu’on succède à son père ; mais, quand on s’aime bien, il est plus doux de posséder ensemble. A moi maintenant les travaux et les soucis : auparavant le plaisir seul était mon partage ; le reste regardait mon père. Bien petit est mon petit héritage, j’en conviens ; mais rien ne semble petit quand on vit en paix avec soi-même, et, on peut ajouter, en paix avec les autres. Il vaut mieux, je pense, que la chose obéisse à l’esprit, que l’esprit à la chose. Crésus désire tout, et Diogène rien. Aristippe jette son or au milieu des Syrtes, et tout l’or de la Lydie ne suffit pas à Midas. Qui ne met point de borne à ses désirs, n’en sait point mettre à son avoir. Il n’y a de mesure aux richesses, que celle qu’on impose à sa cupidité. Mais apprends quelle est l’étendue de mon domaine : tu apprendras ainsi à me connaître, et à te connaître toi-même, si c’est possible. Car cette connaissance n’est pas chose facile, et ce γνῶθι σεαυτόν que nous lisons si vite, nous l’oublions de même. Je cultive deux cents arpents en terre labourable : j’ai cent arpents en vignes, moitié en prés, et, en bois, au moins deux fois autant qu’en prés, en vigne et en labour. Pour la culture de mon champ, je n’ai ni trop ni trop peu d’ouvriers. Auprès, une source, un puits peu profond, et un fleuve limpide et navigable[25] : son flux et reflux m’amène et me remmène. Je conserve toujours des fruits pour deux ans : qui ne fait pas de longues provisions, sent vite la famine. Ma campagne est située ni trop loin ni trop près de la ville ; j’échappe ainsi aux importuns, et je suis maître de mon bonheur. Et chaque fois que l’ennui me force de changer de place, je pars, et je jouis tour à tour de la ville et des champs. IV. Ausone à son fils Hesperius[26]. Je t’ai envoyé d’avance les vers que je m’étais amusé à composer en forme d’exhortation pour mon petit-fils[27], pour l’enfant de ta sœur : tu les liras avant mon arrivée. J’ai mieux aimé cela que te les réciter moi-même : tu auras plus de liberté pour la critique ; car deux causes l’enchaînent d’ordinaire : d’abord, ce qui frappe notre oreille échappe plus vite à notre esprit qu’une lecture ; et puis la présence de l’auteur impose à la franchise du juge. Ici, pour toi, nulle gêne de part ou d’autre : tu liras toi-même, à ton aise, à loisir ; et tu pourras juger sans te contraindre par égard pour moi. Mais ce n’est pas tout, fils bien-aimé, j’ai un mot encore à te dire. Quelques-uns de ces vers (je crains qu’il n’y en ait beaucoup) te paraîtront arrangés avec plus d’apprêt que de naturel, avoir plus de coloris que de sève : je le sais ; mais je les ai laissés couler sans peine, afin qu’ils aient de la grâce plutôt que de la force ; comme ces jeunes filles Dont les mères ont soin d’écraser les épaules et d’étrangler la poitrine, pour les rendre mignonnes[28]. Tu sais le reste. Mais maintenant tu vas me dire : Pourquoi attendre mon sentiment sur un ouvrage dont tu signales toi-même les défauts ? Je te répondrai que je rougirais de ces vers devant un étranger ; mais entre nous j’ai moins de scrupules. Car je les ai écrits pour l’âge de mon petit-fils plutôt que pour le mien ; peut-être bien aussi pour le mien, puisque “la vieillesse est une seconde enfance.” Au surplus, je me moque de ta sévérité : je ne dois compte de ces vers qu’à un enfant. Adieu, fils bien-aimé. Exhortation à mon petit-fils Ausonius, sur les études de l’enfance. Les Muses ont aussi leurs passe-temps[29] : à leurs travaux, petit-fils, mon doux miel, se mêlent des loisirs, et la voix impérieuse d’un maître acariâtre ne fatigue pas toujours les enfants. Mais la récréation et l’étude se succèdent à des heures fixes et déterminées[30]. C’est assez, pour l’enfant qui a de la mémoire, d’avoir lu de bon cœur : il doit se reposer ensuite. L’école est ainsi appelée d’un mot grec[31], à cause des justes loisirs qu’on doit accorder aux Muses laborieuses. Puisque tu es sûr que le jeu doit venir son tour, apprends avec plaisir : nous accordons des intervalles qui délassent des longues fatigues. Le zèle de l’enfant s’épuise, si quelques heures joyeuses ne varient ses austères journées. Apprends avec plaisir, ô mon petit-fils, et ne maudis pas les rênes d’un précepteur sévère. Jamais l’aspect d’un maître n’est effrayant[32]. Il est vieux et maussade ; sa voix revêche et querelleuse annonce l’orage ; son front renfrogné menace toujours ; et pourtant il n’aura rien de repoussant, une fois qu’il aura su, par le charme de l’habitude, accoutumer l’élève à son visage. Un enfant aimera les rides de sa nourrice, et fuira la vue de sa mère. Les petits-fils préfèrent à leurs pères les grands-papas et les aïeules tremblotantes, pour qui les derniers nés sont un nouveau sujet de sollicitude. Le Thessalien Chiron, à moitié cheval, n’effrayait pas Achille, fils de Pélée, ou Atlas, armé de pins, le fils d’Amphitryon : mais l’un et l’autre, par ses caresses et de doux entretiens, savait gagner l’esprit de ces tendres élèves. Toi non plus ne tremble pas, malgré les coups nombreux qui retentissent dans la classe et la mine rechignée de ton vieux précepteur. La peur décèle une âme dégénérée : sois maître de toi, sois sans crainte ; que les gémissements, que le fouet qui résonne, que l’effroi du châtiment ne t’agitent pas dès le matin, parce que le roi de la férule brandit son sceptre, parce qu’il a une riche provision de verges, parce qu’il a, le traître ! ; affublé son martinet d’une molle lanière, parce que vos bancs bourdonnent d’un frémissement de terreur : oublie ce prestige du lieu, ce vain appareil d’épouvante. C’est ainsi qu’en suivant autrefois ces conseils, ton père et ta mère ont assuré le calme et le bonheur de ma vieillesse. Toi aussi, pour réjouir le peu de vieux jours que le destin m’accorde encore au déclin des années, toi, le premier de mes petits-enfants qui portes au premier âge le nom de ton aïeul, donne-moi sinon des effets, au moins des espérances. Je vois ton enfance aujourd’hui, je verrai ta jeunesse bientôt[33], et puis ton âge mûr, si le sort le permet ; ou, s’il m’envie ce bonheur, j’espérerai du moins, et mes vœux ne seront pas trompés, que tu n’oublieras pas l’exemple de ton père et le mien, que tu sauras aspirer aux difficiles couronnes des Muses, que ton éloquence un jour te conduira dans cette voie où nous t’avons précédé, où marchent ton père proconsul[34], et ton oncle préfet[35]. Étudie tout ce qui est digne de mémoire. Je vais te désigner chaque auteur. Tu liras en entier le créateur de l’Iliade, et les œuvres de l’aimable Ménandre[36]. Que les inflexions et les intonations de ta voix, accentuée avec art, conservent du nombre aux nombres des poètes[37]. Marque bien le sens en lisant : l’idée ressort mieux si on la détache, et une suspension donne de la force aux plus faibles pensées. Quand ma vieillesse jouira-t-elle enfin du bonheur de t’entendre ? Quand ta voix pourra-t-elle réveiller pour moi tant de poèmes oubliés, et toutes ces histoires qui s’enchaînent d’âge en âge, et les socques et les draperies des rois[38], et tous les chants de la muse et de la lyre ? Quand feras-tu rajeunir les sensations énervées du vieillard ? En suivant tes pas, enfant, je puis apprendre encore les vers que modulait Flaccus, et les sublimes accords de Virgile. Et toi aussi, Térence, qui pares d’un style choisi la langue du Latium, toi dont le socque bien attaché ne traîne pas sur le théâtre[39], ramène ma vieillesse oublieuse à tes dialogues[40] presque nouveaux pour elle. Je lis d’abord, Catilina, le récit de tes crimes, et des troubles de Lépide[41], et, à partir de Lépide et de Catulus, je parcours la suite de l’histoire et de la vie de Rome pendant douze ans ; je lis cette guerre, à la fois étrangère et civile, soulevée par Sertorius exilé, associé aux Ibères. Et ces conseils, ce n’est point un aïeul sans expérience qui te les donne ; c’est un maître qui sur mille esprits en a fait l’épreuve. J’ai nourri beaucoup d’enfants de mes leçons : je les prenais à la mamelle ; les réchauffant dans mon sein et leur déliant les lèvres, j’arrachais leurs tendres années aux caresses des nourrices. Puis, un peu plus grands, quelques encouragements flatteurs, un léger sentiment de crainte, les engageaient à tenter, par d’âpres chemins, d’agréables progrès, afin de recueillir un jour de doux fruits d’une racine amère. Et quand la sève de la puberté les couvrait de son duvet, je les dirigeais vers la morale, les beaux-arts, les luttes de l’éloquence, bien que leur tête refusât le joug de l’autorité, et que leur bouche se détournât du mors qu’on lui présentait. Une modération difficile, un rude apprentissage, un succès rare qu’on ne peut attendre que d’un long usage, beaucoup de douceur dans les réprimandés pour venir à bout d’une jeunesse indocile : j’eus à supporter bien des ennuis jusqu’au jour où ce tourment même eut du charme, où la force de l’habitude et de l’usage adoucit ma peine ; jusqu’au jour où je fus appelé aux pieuses fonctions de l’éducation d’un prince[42], et, dans ce poste élevé, revêtu de divers honneurs ; où j’eus le droit de commander dans les palais dorés. Que Némésis me pardonne, et que la Fortune me permette ce badinage. J’ai présidé à l’empire, quand mon élève, en prétexte encore, maître de la pourpre ; du sceptre et du trône, se soumit à la volonté de son précepteur ; quand Auguste estima nos honneurs plus grands que les siens. Mûri par l’âge, il leur donna bientôt un accroissement sublime ; je fus créé questeur par les Augustes, par le père et le fils ; je reçus, pour prix de mes travaux, une double préfecture, et la chaise curule, et la trabée, et la toge peinte ; je fus consul enfin, et inscrit le premier aux fastes de mon année[43]. C’est ainsi que ton aïeul consul attira sur son petit-fils un relief immense ; je suis le flambeau qui éclaire ta vie. Bien qu’illustré déjà par le nom de ton père, qui peut être une parure, qui peut être une charge aussi pour toi, tu reçois de nous encore une éclatante gloire[44]. Fais qu’elle ne soit pas un fardeau pour toi, puise en toi-même la force de t’élever aux grandeurs, et aspire, si tu deviens consul, à ne devoir tes faisceaux qu’à toi-même. V. Au même Ausonius, pour l’anniversaire de sa naissance. Ausone grand-père à Ausone petit-fils[45]. Quand l’apprentissage de la poésie charmait les jours de ton enfance, quand les soins assidus d’un maître pénétraient si bien de ces premières leçons ton oreille novice encore et ton esprit attentif, que les mots, pour répondre, s’échappaient dociles de ta bouche, dont ta langue savait déjà corriger la rudesse ; nous n’avons rien ajouté de triste à ces enseignements : les avis d’un vieillard grondeur pouvaient te blesser, et leur amertume corrompre de si douces saveurs. Mais aujourd’hui que l’élan de ta puberté est dans sa force, que tu sais distinguer la raison d’un enfantillage, que tu peux enfin te tracer à toi-même la règle de tes paroles et de tes actions, reçois de moi, non des leçons, mais les vœux d’un aïeul qui prie pour son petit-fils, et qui le complimente au jour solennel de sa naissance…… ……………… Souris à ma vieillesse qui recule devant le terme fatal, se prolonge sans infirmités, assiste à tes fêtes, et peut contempler encore ces astres presque effacés pour elle, au moment de quitter la vie et d’entrer dans la tombe. Le retour de ton jour natal, petit-fils mon doux miel, m’apporte un double profit, et me fait sentir plus vivement le bonheur de vivre encore : ta gloire grandit avec ton bel âge, et je puis voir en ma vieillesse l’adolescence de mon petit-fils. Ta sixième triétéride commence, et nous ramène les ides de septembre, célèbres par ta naissance ; les ides, noble jour, sanctifié encore par la naissance de plusieurs dieux. Hécate, fille de Latone, revendique les ides de sextilis[46], et Mercure, admis aux honneurs célestes, les ides de mai ; Virgile consacre les ides d’octobre qui l’ont vu naître. Fêtez longtemps toutes les ides des douze mois de l’année, vous qui célébrez les ides de mon Ausone. Adieu, petit-fils bien-aimé. VI. Ausone à son fils Gregorius[47], salut. As-tu jamais vu la nuée peinte sur la muraille[48] ? Oui, tu l’as vue, et tu t’en souviens. C’est à Trèves, dans la salle d’Éole[49] ; c’est là qu’une peinture représente Cupidon mis eu croix par des femmes amoureuses, non de celles de notre âge, qui pèchent sans regret, mais par des Héroïnes qui veulent se justifier, et punissent le dieu. Notre Virgile en a compté quelques-unes dans le champ des Pleurs[50]. Le sujet et l’exécution de ce tableau me ravirent d’étonnement. De cette extase d’admiration, je passai à la sottise de versifier. Ici rien ne me plaît que le titre. Mais je te confie mes erreurs. Nous aimons nos taches et nos cicatrices, et, non contents d’avoir péché seuls et par notre faute, nous cherchons encore à faire aimer nos faiblesses. Mais pourquoi défendre avec tant de chaleur cette églogue[51] ? Je suis sûr que tu aimeras tout ce que tu sauras venir de moi, et j’aspire plus à cela qu’à tes louanges. Adieu. Cupidon mis en croix[52]. Dans ces champs aériens que la Muse de Virgile a chantés, où les âmes aimantes, à l’ombre d’un bois de myrtes, égarent leur délire, les Héroïnes promenaient leurs orgies[53]. Chacune portait la marque du genre de mort qu’elle avait subi jadis. Elles erraient dans la vaste forêt, à la lueur d’une clarté douteuse, parmi les tiges des roseaux, les lourds pavots, des lacs taciturnes sans chute, et des ruisseaux sans murmure. Sur ces rivages, à cette lumière vaporeuse, languissent ces fleurs autrefois pleurées sous des noms de rois et d’enfants, Narcisse qui s’admire, Hyacinthe fils d’Oebale, Crocus aux cheveux dorés, Adonis que la pourpre a rougi, Aeas de Salamine enfin, qui porte gravé le cri de sa douleur. Tous ces tableaux lamentables des larmes et des angoisses de l’amour, et qui réveillent, même après la mort, le souvenir de la souffrance, rappellent les Héroïnes à leurs anciens jours. Sémélé, trompée pendant sa grossesse, pleure son enfantement hâté par la foudre, et, déchirant dans le vide un berceau embrasé[54], secoue les feux impuissants d’une foudre imaginaire. Maudissant une vaine faveur, Cénis, si joyeuse autrefois de son sexe viril, gémit d’être rendue à sa première forme. Procris étanche encore sa blessure ; elle chérit toujours la main sanglante de Céphale qui l’a frappée. La jeune fille qui se précipita de la tour de Sestos, élève sa lampe de terre où fume la flamme, et la mâle Sapho[55], que tueront les traits du Lesbien, menace de s’élancer des sommets nuageux de Leucate. La triste Ériphyle refuse la parure d’Harmonia : malheureuse mère ! Épouse non moins infortunée ! Toute la fable de Minos et de la Crète se dessine dans l’air et perce sous les traits d’une image légère[56]. Pasiphaé suit les traces d’un taureau de neige ; Ariane abandonnée porte un fil roulé dans sa main, et Phèdre regarde avec désespoir sa lettre dédaignée. Celle-ci porte un lacet ; celle-là, le vain simulacre d’une couronne : l’autre rougit de s’être enfermée dans les flancs de la génisse de Dédale. Laodamie plaintive regrette les deux nuits et les caresses perdues de son mari vivant et de son mari mort. D’un autre côté, l’œil menaçant et toutes le fer en main, s’avancent dans un horrible appareil Thisbé, Canacé, Elissa la Sidonienne, tenant le glaive, l’une de son époux, l’autre de son père, la troisième de son hôte. La Lune elle-même erre en ces lieux : comme jadis sur les rochers de Latmos, où elle aimait à caresser le sommeil d’Endymion, elle a son flambeau, son croissant et son diadème étoilé. Cent autres, rouvrant les blessures de leurs amours passés, raniment de douces et tristes plaintes et savourent leurs tourments. Soudain, de ses ailes bruyantes, perçant l’obscurité de la nuit infernale, l’Amour étourdiment arrive au milieu d’elles. Toutes ont reconnu l’enfant. Un souvenir rapide leur rappelle l’auteur commun de tous leurs maux. Malgré l’humide brouillard qui l’entoure et voile l’éclat de son baudrier aux bulles d’or[57], et son carquois, et les feux étincelants de son flambeau, elles le reconnaissent et dirigent contre lui les élans d’une vigueur impuissante. L’ennemi est seul, égaré, loin de son empire ; son vol paresseux se traîne dans l’épaisse vapeur : elles forment une nuée qui l’enveloppe. Il tremble, il veut fuir : vains efforts ! On l’entraîne au milieu de la troupe assemblée en conseil. On choisit, dans la triste forêt, un myrte bien célèbre, témoin maudit du châtiment des dieux : c’est là que Proserpine un jour avait puni les mépris d’Adonis, trop fidèle à Vénus. Au tronc de ce grand arbre, l’Amour est suspendu[58] : les mains enchaînées derrière le dos, les pieds serrés par des liens, il pleure... Point de ménagements : il subira sa peine. Il est accusé sans crime, et condamné sans juge. Chacune a hâte de s’absoudre, et de reporter sur autrui le fardeau de sa propre faute. Toutes l’accablent de reproches, et recourent aux instruments du trépas qu’elles ont souffert. C’est autant d’armes pour elles, c’est une douce vengeance pour chacune de chercher à punir l’Amour avec les tourments dont elles ont péri. L’une tient un lacet, l’autre lève sur lui la vaine image d’une épée ; celle-là montre des fleuves profonds, un roc escarpé, les épouvantements d’une mer en furie, un océan sans flots. Plusieurs secouent des flammes, et menacent l’enfant transi de leurs torches qui pétillent sans brûler. Myrrha déchire ses flancs gonflés de grosses larmes[59], et lance contre le malheureux le succin qui roule en perles de son tronc qui pleure. Quelques-unes, feignant le pardon, veulent seulement se jouer de lui ; elles le piquent de la pointe effilée d’une aiguille, qui fait jaillir ce tendre sang d’où naquit la rose, ou approchent de sa verge les feux effrontés d’une torche. Sa mère aussi, complice du même crime, pénètre d’un pas tranquille au milieu de ce tumulte, et, loin de porter un secours empressé à son fils assailli, elle redouble sa terreur ; elle irrite d’aiguillons plus amers ces nouvelles Furies[60] ; elle fait un crime à son fils de son propre déshonneur, des filets invisibles où Mars fut surpris par son époux, de l’engin honteux qui donne à Priape, enfant de l’Hellespont, un aspect ridicule, de la cruauté d’Éryx, et du sexe demi-mâle d’Hermaphrodite. Et les reproches ne lui suffisent pas : d’un bouquet de roses, la blonde Vénus frappe l’enfant qui pleure et qui craint pis encore. Une sanglante rosée jaillit de ses membres meurtris sous les coups redoublés de la rose flexible, qui, déjà teinté de sa pourpre, rougit de feux plus vifs son vermeil incarnat. Enfin s‘apaisent les fureurs de la rage la vengeance paraît plus grande que le crime, et Vénus, à son tour, va se rendre coupable. Les Héroïnes intercèdent, et chacune, à cette heure, aime mieux attribuer sa mort à la cruauté du destin. La tendre mère alors les félicite de cette pitié qui désarme leur douleur, et qui remet à l’enfant ses fautes pardonnées. De nocturnes fantômes apparaissent parfois sous de telles images, et tourmentent de vaines terreurs le sommeil agité. Après avoir ainsi souffert durant cette longue nuit, Cupidon s’échappe, et dissipant enfin ces prestiges d’un songe, prend son vol vers les cieux, et s’esquive par la porte d’ivoire. VII. Ausone à son fils Paulus[61], salut. Tu l’emportes enfin ; et les mystères de ma muse, voilés jusqu’ici d’une religieuse obscurité, tu les violes, quoique tu ne sois pas un profane, ô mon Paulus bien-aimé. Je ne te range pas avec ce vulgaire dont Horace éloigne les approches : cependant chacun a les secrets de son culte ; autre est celui de Cérès, autre celui de Liber, bien qu’avec les mêmes adorateurs. Je m’étais amusé à chanter ma jeune captive ; et ces vers, imparfaits encore, ébauchés seulement pour me distraire à fredonner au logis, reposaient sans crainte à l’abri du mystère, et voilà que tu forces ces enfants des ténèbres à se produire au jour. Tu ambitionnais les dépouilles de ma modestie ; tu as voulu m’arracher contre mon gré la preuve de ton pouvoir sur moi. Certes, tu as poussé l’obstination plus loin qu’Alexandre de Macédoine, qui, ne pouvant délier les courroies du char fatal, les coupa, et qui pénétra dans l’antre de la Pythie un jour qu’il était défendu de l’ouvrir. Use donc de ces vers comme des tiens, du même droit, mais non pas avec la même confiance car les tiens n’ont rien à craindre du public, et je rougis des miens au dedans de moi-même. Tu l’as voulu, Paulus, tu auras tous les vers de la Bissula, les chants que j’essayais à la louange de la jeune Suève, plutôt pour occuper mes loisirs que dans l’intérêt de ma gloire. Ennuyeux demandeur, lis ces vers ennuyeux : tu as fait la pilule, il faut que tu l’avales. Un vieux proverbe veut que le forgeron s’attache aux pieds les fers qu’il a forgés[62]. Au lecteur Avant de parcourir ces légers essais d’une muse un peu nue, dépose ta gravité, lecteur. Tu fronceras le sourcil pour juger des œuvres sérieuses : nous, nous suivons la Thymélé[63]. C’est Bissula qu’on va chanter dans cette ébauche, ce n’est pas l’Erasinus[64]. J’ai un conseil à te donner, c’est de commencer par boire[65]. Je n’écris pas pour un censeur à jeun. Il faut me lire en quittant la table, pour bien faire. Qu’on fasse mieux encore : qu’on s’endorme, et qu’on se croie sous le charme d’un rêve. La Bissula d’Ausone. En quel pays est née Bissula, et comment elle vint au pouvoir de son maître. Bissula est née, elle a sa famille et son pays au-delà des bords glacés du Rhin ; Bissula connaît la source du Danube[66]. La main la prit[67], mais la main l’affranchit, et elle règne sur le bonheur de celui dont elle fut la proie par les armes. Séparée de sa mère, privée de sa nourrice, elle n’a point connu l’autorité d’une maîtresse ……… …………… ……… Elle n’a point senti l’opprobre de sa destinée et de sa patrie : elle a eu sa liberté sur l’heure, avant de subir l’esclavage. Les bienfaits de l’éducation latine l’ont changée, sans lui enlever ses grâces germaniques, ses yeux bleus et sa blonde chevelure. Son langage et sa beauté donnent à la jeune fille une double origine : la beauté révèle une enfant du Rhin, et le langage une Romaine. Sur la même Bissula. Bonheur, délice, joie, amour, volupté, tu es une barbare, mais tu vaux mieux, mignonne, que les poupées du Latium. Bissula, tel est le nom presque sauvage de la tendre enfant ; il est un peu rude à ceux qui n’y sont pas accoutumés, mais il a bien du charme pour son maître. A un peintre, sur le portrait de Bissula. La cire et les couleurs ne reproduiront jamais l’image de Bissula : sa grâce naturelle ne se prête point aux mensonges de l’art. Céruse et vermillon, dessinez d’autres beautés[68] : les nuances délicates de ces traits échappent à la main de l’homme. A l’œuvre, artiste ! Mêle le lis à la rose de pourpre ; confonds les bien ensemble, et saisis le reflet dont l’air se colore : c’est la teinte de son visage. A un peintre. Le moyen de peindre Bissula. Si tu veux rendre, ô peintre, les traits de ma mignonne, que ton art rival imite les abeilles de l’Attique. VIII. Prière d’Ausone, consul désigné, en recevant les faisceaux la veille des calendes de janvier[69]. Viens, Janus ; viens, nouvel an ; viens, soleil renouvelé ! Tu verras la curule latine du consul Ausone. Mais que peux-tu admirer, après la majesté impériale[70], aujourd’hui que cette Rome, que cette demeure de Quirinus, que ce sénat dont la toge prétexte rayonne de pourpre, marquent de cet auguste nom la date de leurs années dans les Fastes éternels ? Année, qui commences sous d’heureux auspices, donne au printemps salubre les tièdes souffles du zéphyr ; donne la rosée au solstice du Cancer, un frais Borée[71] aux heures de septembre. Qu’un froid modéré morde les frimas de l’automne, et que, par degrés affaibli, l’été lentement se retire. Que le Notus arrose les semailles ; et que l’hiver se couvre de neige jusqu’au retour de mars, père de l’ancienne année. Que mai respire le parfum des fleurs, sa nouvelle parure ; que juillet cuise les moissons, et soumette la mer aux Eurus. Que Sirius n’augmente pas de ses feux les ardeurs du Lion, et que Pomone bigarrée varie les saveurs de ses vergers. Que l’automne attendrisse ce que l’été aura mûri, et que l’hiver, voué aux plaisirs, jouisse des biens dont on l’a doté. Que le monde vive en paix ; et que les astres funestes n’aient plus sur lui d’empire. Que nulle étoile, ô Gradivus, ne heurte tes pénates[72] ; que nulle ne te soit contraire, ni la Cynthienne, ni le rapide Arcadien, voisin de la terre, ni toi, Saturne, le plus reculé et le plus lent dans ta marche. Tu resteras à distance de Pyroïs[73], et tu parcourras tranquillement ton cercle loin de lui. Allez ensemble, salutaire planète de Jupiter, et toi, Vesper, étoile de Cythérée, et que parfois se joigne à vous le Cyllénien, toujours si bien avec ses hôtes. Viens, Janus ; viens, nouvel an ; viens, soleil renouvelé ! Vainqueur de tous nos ennemis ; des Francs, qui, mêlés aux Suèves, s’empressent de se rendre et demandent à combattre dans les rangs latins ; et des hordes vagabondes du Sarmate alliées aux Huns ; et du Gète, qui, ligué aux Alains, bondissait insolemment sur les rives de l’Ister (c’est la Victoire qui, d’une aile rapide, m’apporte ces nouvelles) ; Auguste arrive pour rehausser l’éclat de nos dignités[74] : il veut ennoblir de ses faveurs des honneurs qu’il eût désiré de partager[75]. Viens, Janus ; viens, nouvel an ; viens, soleil renouvelé ! Au prochain retour de Janus, ô soleil, accorde-nous un bonheur doré. Dans un an César succèdera aux faisceaux d’Ausone, et, pour la cinquième fois, il prendra la prétexte du magistrat romain. Voilà ce qui met pour moi le comble aux honneurs de la pourpre (ô Némésis, que ton oreille m’entende sans colère ! ) : Auguste daigne, après moi, devenir consul, il semble faire plus que m’égaler à lui, en voulant que mes faisceaux passent avant les siens. Viens, Janus ; viens, nouvel an ; viens, soleil renouvelé ! Presse par leurs douze issues la fuite des mois qui vont se suivre. Que le soleil dépasse vite un des tropiques, puis qu’il laisse l’autre encore derrière lui, que les deux tropiques subissent ainsi l’influence de cet astre, et que les quatre changements de l’année se succèdent rapidement de trois en trois signes. Hâte la marche des jours de l’été, et que l’hiver aux lentes nuits s’empresse de nous montrer l’année qui nous promet César. Si je puis la voir, alors je serai trois et quatre fois heureux, alors je serai deux fois consul, alors mon front touchera le ciel. IX. Prière du même, pour les calendes de janvier. Année commencée sous de favorables auspices[76], tu vois les heureux débuts du consulat d’Ausone. Découvre, soleil éternel, ton front resplendissant, et, avec plus d’éclat que jamais, épanouis tes rayons de pourpre et la bienfaisante clarté des feux de ton aurore. Année, mère des événements que tu déroules depuis le mois de Janus au double front jusqu’aux derniers jours de décembre glacés par l’hiver, viens, année nouvelle, viens contempler les fêtes du vieux Janus. Parcours tes voies accoutumées, les douze stades de ta carrière, variés d’autant de signes qui se partagent également les saisons, et achève ton cours emporté par une rotation perpétuelle. Roule entraînée sur les pentes du ciel ; que Phébus avec ordre accomplisse sa tâche, en nous ramenant les jours de diverse durée, et renaisse avec de nouvelles clartés au départ de l’hiver. Ainsi, après les trente révolutions successives de chacun des mois, reparaîtra le croissant de la lune, et ta main tournera le cercle des levers et des couchers du jour, contenant dans chacun des signes le cours régulier du soleil. X. La Moselle d’Ausone[77]. J’avais traversé sous un ciel nébuleux la Nava rapide[78], et j’avais admiré les nouveaux remparts ajoutés à cette bourgade antique[79], où les revers[80] de la Gaule balancèrent un jour les désastres de Cannes, où gisent à l’abandon, dans la plaine, des bataillons que nul n’a pleurés[81]. De là, suivant à travers des forêts sauvages un chemin solitaire, où nulle tracé de culture humaine ne s’offrit à mes yeux, je dépasse Dumnissus[82], au sol aride et partout altéré, les Tabernes[83] qu’arrose une source intarissable, et les champs mesurés naguère aux colons sarmates[84] ; et je découvre enfin, sur les premiers confins des Belges[85], Nivomagus, lieu célèbre où campa le divin Constantin[86]. L’air est plus pur en ces campagnes, et Phébus, dont l’éclat resplendit sans nuage, dévoile enfin l’Olympe éblouissant de pourpre. L’œil n’a plus à percer une voûte de rameaux entrelacés, pour chercher le ciel que lui dérobent de verts ombrages ; l’air est libre, et la transparente clarté du jour ne cache plus aux regards ses limpides rayons étincelant dans l’espace. Je revis alors comme une image de ma patrie, de Burdigala, de sa brillante culture, à l’aspect riant de toutes ces villas dont les faîtes s’élèvent au chant des rivages, de ces collines où verdoie Bacchus, et de ces belles eaux de la Moselle qui roulent à leurs pieds avec un doux murmure. Salut, fleuve béni des campagnes, béni des laboureurs ; les Belges te doivent ces remparts honorés du séjour des empereurs[87] ; fleuve riche en coteaux que parfume Bacchus, fleuve tout verdoyant, aux rives gazonneuses[88] : navigable comme l’océan, entraînée sur une douce pente comme une rivière, transparente comme le cristal d’un lac, ton onde en son cours imite le frémissement des ruisseaux, et donne un breuvage préférable aux fraîches eaux des fontaines : tu as seul tous les dons réunis des fontaines, des ruisseaux, des rivières, des lacs, et de la mer même, dont le double flux ouvre deux routes à l’homme. Tu promènes tes flots paisibles[89] sans redouter jamais le murmure des vents ou le choc des écueils cachés[90]. Le sable ne surmonte point tes ondes pour interrompre ta marche rapide[91], et te forcer de la reprendre ; des terres amoncelées au milieu de ton lit n’arrêtent point ton cours, et tu ne crains pas qu’une île, en partageant tes eaux, ne t’enlève l’honneur mérité du nom de fleuve. Tu présentes une double voie aux navires, soit qu’en se laissant aller au courant de ton onde, les rames agiles frappent ton sein agité ; soit qu’en remontant tes bords, attaché sans relâche à la remorque, le matelot tire à son cou les câbles des bateaux. Combien de fois, étonné toi-même du retour de tes eaux refoulées, n’as-tu pas pensé que ton cours naturel s’était ralenti ? L’herbe des marécages ne borde pas tes rives, et tes flots paresseux ne déposent point sur tes grèves un limon impur. Le pied qui t’approche ne se mouille jamais avant d’avoir effleuré tes ondes[92]. Allez, maintenant[93] ! Semez le sol uni des incrustations de la Phrygie, étendez une plaine de marbre sous les lambris de vos portiques ! Moi, je méprise ces magnificences du luxe et de la richesse : j’admire les œuvres de la nature, et non ces recherches des dissipateurs, ce faste d’une folle indigence qui rit de sa ruine. Ici une arène solide recouvre d’humides rivages, et ne retient point l’empreinte fidèle des pas qui l’ont foulée. L’œil plonge à travers ta surface polie dans tes profondeurs transparentes, tu n’as rien de caché, ô fleuve. Ainsi que l’air nourricier étale à ciel ouvert, à tous les yeux, ses fluides clartés, quand les vents endormis ne troublent point les regards dans l’espace ; de même, si la vue pénétrante s’enfonce au loin dans les abîmes du fleuve, nous apercevons à découvert ses retraites mystérieuses, quand ses flots roulent paisibles ; et le cours limpide des eaux nous laisse entrevoir les divers objets qu’il éclaire de ses reflets d’azur : ou le sable qui se ride, sillonné par la vague légère ; ou le gazon qui s’incline et tremble sur un fond de verdure. Au-dessous de ces eaux qui l’ont vue naître, l’herbe s’agite battue par le flot qui passe, le caillou brille et se cache, et le gravier nuance la mousse verdoyante. C’est un tableau connu des Bretons de la Calédonie, quand le reflux laisse à nu l’algue verte et le rouge corail, et ces blanches perles écloses des coquillages, les riches délices des mortels, et tous ces bijoux que façonnent les mers à l’imitation de nos parures. Ainsi, sous le paisible courant de la riante Moselle[94], l’herbe bigarrée découvre les cailloux dont elle est mêlée. Cependant l’œil tendu se fatigue à voir aller et venir ces essaims de poissons qui glissent en se jouant. Mais il ne m’est pas permis de décrire tant d’espèces, et leurs obliques circuits, et ces bandes qui se suivent en remontant le fleuve, et les noms et toutes les familles de ces peuplades nombreuses : un dieu me le défend, le dieu qui reçut en partage le second lot de l’empire du monde et la garde du trident des mers. Ô Naïade qui habites les bords de la Moselle, montre-moi les groupes du troupeau qui porte écaille[95], et décris-moi ces légions qui nagent dans le sein transparent du fleuve azuré. Le Meunier[96] écaillé brille parmi les herbes sablonneuses : sa chair très-molle est criblée d’arêtes serrées, et il ne peut se conserver plus de six heures pour la table. La Truite[97] a le dos étoilé de gouttes de pourpre ; la Loche[98] n’a pas pour nuire la pointe d’une épine, et l’Ombre légère[99] échappe aux regards par la célérité de sa marche. Et toi, longtemps ballotté dans les gorges de l’oblique Saravus[100], où bouillonnent les bouches frémissantes de six piles de pierre, quand tu glisses, ô Barbeau[101], dans de plus nobles ondes, plus libre en ton essor, tu nages au large. Tu as meilleur goût dans le plus mauvais âge, et de tous les êtres qui respirent, tu es le seul dont la vieillesse ne soit pas sans prix. Je ne te passerai pas sous silence, ô Saumon[102], toi dont la chair a l’éclat de la pourpre : du milieu de l’abîme, les coups vagabonds de ta large queue se répètent à la surface, et ton élan caché se trahit sur l’onde endormie. Ta poitrine est cuirassée d’écailles, ton front est lisse : tu peux faire l’ornement d’un repas ambigu[103], et tu supportes sans te corrompre les délais d’une longue attente : ta tête est semée de taches remarquables ; ton large ventre tremble sous le poids d’une panse gonflée de graisse. Et toi, qu’on pêche dans les mers d’Illyrie, dans les flots de l’Ister aux deux noms, Lotte[104], toi qu’on devine à l’écume qui surnage, tu passes aussi dans notre océan pour que le large fleuve de la Moselle ne soit point privé d’un hôte aussi célèbre. De quelles couleurs la nature a su te peindre ! Ton dos est marqué de points noirs qu’un cercle jaunâtre entoure. Le long de ta peau lisse s’étend une teinte bleuâtre : chargé de graisse jusqu’au milieu du corps, de cette partie jusqu’à l’extrémité de la queue, ta peau est sèche de maigreur. Toi non plus, délices de nos tables, je ne t’oublierai pas, ô Perche[105], fille des fleuves comparable aux poissons des mers, et qui seule peux le disputer sans peine au Surmulet[106] pourpré ; car ton goût n’est pas sans saveur : les parties de ton corps charnu se composent de segments[107] divisés par des arêtes. Là aussi, ce poisson plaisamment désigné par un prénom latin, l’hôte des étangs, l’ennemi acharné des criardes grenouilles, le Brochet[108], recherche des trous obscurs dans les herbes et la vase. Sans attraits et sans usage pour nos tables il va bouillir dans les tavernes enfumées de sa vapeur fétide. Qui ne connaît la verte Tanche[109], ressource du vulgaire, et l’Ablette[110], facile proie des hameçons de l’enfant, et l’Alose[111] grillée au foyer pour le régal du peuple ? Et toi, qui participes de deux espèces, qui, sans être ni l’une ni l’antre, es de l’une et de l’autre, toi qui n’es pas encore le Saumon et n’es déjà plus la Truite, tu tiens, Truite saumonée[112], le milieu entre ces deux poissons, et tu dois avoir, pour être pêchée, la moitié de leur âge. Il faut te chanter aussi parmi ces enfants du fleuve, toi dont la longueur n’excède pas deux mains sans les pouces, Goujon au corps très-gras, arrondi, allongé, mais plus trapu quand ton ventre est gonflé d’œufs ; Goujon, dont les barbes imitent les tentacules effilés du Barbeau[113]. A toi mes louanges à présent, gibier de mer, énorme Silure[114], au dos empreint des reflets de l’olive actéenne, et que je regarde comme le Dauphin des rivières, à te voir ainsi promener au large ta vaste masse, ne déroulant qu’à peine toute l’étendue de ton grand corps au sein des eaux trop basses et des herbages qui le gênent. Mais quand tu poursuis majestueusement ta marche dans le fleuve, à ta vue les verts rivages, à ta vue la troupe azurée des poissons, à ta vue l’onde limpide s’émerveille. La vague bouillonne, se divise et reflue en courant sur l’une et l’autre rive. Ainsi parfois, dans les gouffres de l’Atlantique, si, poussée par les vents ou par son élan vers la plage, la Baleine refoule les flots qui se déchirent, les vagues surgissent immenses, et les montagnes voisines tremblent de décroître. Mais lui, mais cette douce Baleine de notre Moselle, loin d’être un fléau, est un bonheur de plus pour ce grand fleuve[115]. Assez longtemps déjà nous avons contemplé les plaines liquides et dénombré leurs légions luisantes et leurs mille cohortes. Que l’aspect de la vigne nous présente d’autres tableaux ; que les dons de Bacchus attirent nos regards errants sur la longue chaîne de ces crêtes escarpées, sur ces rochers, ces coteaux au soleil, avec leurs détours et leurs renfoncements, amphithéâtre naturel où s’élève la vigne. Ainsi la grappe nourricière revêt les coteaux du Gaurus et du Rhodopé, ainsi de son pampre brille le Pangée, ainsi verdoie la colline de l’Ismarus qui domine les mers de Thrace, ainsi mes vignobles se reflètent dans la blonde Garonne. Suivant, du pied de la montagne, le penchant qui monte jusqu’à la dernière cime, le vert Lyéus se montre partout sur les bords du fleuve. Le peuple joyeux à l’ouvrage et l’alerte vigneron parcourent avec empressement, les uns le sommet de la montagne, les autres la croupe inclinée de la colline, et se renvoient à l’envi de grossières clameurs : ici le voyageur qui chemine en bas sur la rive, plus loin le batelier qui glisse sur l’onde, lancent aux campagnards attardés des chants moqueurs que répètent les rochers, la forêt qui frissonne, et la vallée du fleuve. Et la scène de ces paysages ne divertit pas seulement les mortels. Là aussi je croirais voir les rustiques Satyres et les Naïades à l’œil bleu accourir ensemble sur ces bords, quand une folle pétulance agite les Pans aux pieds de chèvres, et qu’ils bondissent sous les eaux, épouvantant leurs sœurs tremblantes au fond du fleuve, dont ils battent les vagues de coups forcenés[116]. Souvent aussi, après avoir dérobé des raisins sur les collines, Panopé, fille de l’onde, se mêle aux Oréades qu’elle aime, pour éviter les Faunes, lascives divinités des campagnes. On dit même qu’à l’heure où le soleil en feu s’arrête au milieu de son cours, les Satyres et leurs humides sœurs se réunissent au bord de leur fleuve commun, pour y former des chœurs, pendant que la chaleur dans toute sa force éloigne de leurs secrets ébats l’approche des mortels. Alors les Nymphes de bondir en folâtrant sur leurs ondes[117], de plonger au fond des eaux les Satyres, sûres d’échapper toujours aux mains de ces inhabiles nageurs, qui, croyant en vain saisir leurs membres glissants, n’embrassent, au lieu d’un corps, que les vagues ruisselantes. Mais ces jeux n’ont jamais eu de témoins, et nul regard n’a osé les surprendre ; si j’ai pu sans crime les révéler en partie, que le reste demeure ignoré, et que le respect couvre à jamais ces mystères confiés au rivage. Voici un spectacle dont l’œil peut jouir en liberté. Quand l’azur du fleuve répète les ombrages de la colline, l’eau paraît avoir des feuilles, la rivière semble plantée de vignes[118]. Quelle teinte colore les ondes lorsque Hesperus allonge les ombres du soir, et projette sur la Moselle la montagne verdoyante ! Tous ces coteaux nagent sous l’ondulation qui les balance, le pampre absent frissonne, et la vendange se gonfle dans le cristal des eaux. Le batelier trompé compte les ceps verdoyants, le batelier qui vogue en sa barque d’écorce au milieu des ondes, là où l’image de la colline se confond avec le fleuve, et où le fleuve reflète la limite des ombres. Quels doux tableaux encore viennent charmer les yeux, quand les batelets que fait marcher la rame joutent sur les flots, décrivent mille détours, ou rasent sur les verts rivages les tendres herbes que les prés tondus laissent poindre encore ! A la vue de ces alertes patrons qui bondissent de la proue à la poupe, de ces jeunes rivaux qui s’ébattent sur le dos du fleuve, on oublie que le jour passe ; à ses travaux on préfère leurs jeux, et le plaisir présent efface les soucis de la veille. Tels sont les jeux que Liber contemple sur la mer de Cumes, en parcourant les coteaux cultivés du Gaurus sulfureux, et les vignes du Vésuve qui vomit la fumée, quand Vénus, dans la joie des triomphes remportés par Auguste près d’Actium, ordonne aux Amours folâtres d’imiter, en se jouant, ces combats furieux que les flottes du Nil et les trirèmes du Latium se livrèrent sous les remparts de Leucade l’Apollonienne ; ou quand, sur l’Averne mugissant, les barques eubéennes retracent la bataille de Myles, si fatale à Pompée[119] : chocs innocents, luttes pour rire ; dont la Sicile et Pélore sont les témoins, et dont la mer azurée répète la verte image. Tel est l’aspect que présente cette pétulante jeunesse, avec sa puberté, son fleuve, et les rostres peints de ses nacelles. Et lorsque le soleil verse sur ces matelots ses flammes verticales, le miroir des eaux réfléchit leurs formes et réduit les ombres écrasées de leurs corps renversés : et, suivant que leurs mouvements agiles s’opèrent ou de la droite ou de la gauche, et qu’ils déposent ou reprennent tour à tour la rame pesante, l’onde dessine d’autres matelots et reproduit, leur humide ressemblance. Les jeunes bateliers s’amusent à voir ainsi leur image ; ils admirent ces figures trompeuses que le fleuve ramène toujours. Ainsi, pour lui montrer l’arrangement de sa chevelure, quand pour la première fois, à son élève chérie, la nourrice présente la blanche surface du miroir dont l’éclat au loin rayonne, l’enfant jouit à plaisir d’un prestige dont elle ignore la cause ; elle croit voir les traits d’une jeune sœur, elle donne au métal brillant des baisers qu’il ne sait pas lui rendre ; elle veut toucher ces aiguilles, et de ses doigts qu’elle porte vivement au bord du front, elle essaye de lisser encore cette chevelure. De même nos matelots, devant ces ombres qui les abusent, jouissent de ces formes indécises de la fiction et de la réalité. Cependant, aux lieux où la rive donne un accès facile, une foule dévastatrice fouille en tous sens les abîmes du fleuve. Pauvre poisson, hélas ! Que protégeront mal ses retraites profondes ! Un pêcheur, traînant au loin en pleine eau ses lins humides, balaye des essaims de poissons qui se prennent en ses mailles noueuses. Un autre, à l’endroit où le fleuve promène des flots paisibles, étend ses filets qui flottent avec leurs signaux de liège. Celui-là, du haut d’un rocher, se penche sur l’onde, incline la tige courbée d’une verge flexible, et lance ses hameçons garnis d’amorces mortelles[120]. Ignorant le piège, le peuple errant des eaux s’y précipite en ouvrant une gueule avide, et sa mâchoire béante a senti, mais trop tard, la piqûre du fer caché. Le blessé se débat : ce mouvement le trahit à la surface ; par secousses la soie tremble, et le roseau qu’elle agite obéit et se balance. Aussitôt la main de l’enfant tire obliquement sa proie, et l’arrache d’un coup de sa ligne qui déchire l’air en criant. Ce bruit frappe l’écho qui le répète, comme parfois les sons brisés du fouet qui claque dans l’espace et fait siffler les airs qu’il ébranle. L’humide butin sautille sur la roche aride, redoutant les traits mortels de la lumière du jour. Ce poisson, que sa vigueur soutenait dans son fleuve, s’affaiblit au dehors, et notre air qu’il aspire consume bientôt sa vie. Déjà son corps épuisé bat le sol de palpitations moins vives : déjà retombent les derniers tremblements de sa queue engourdie ; ses lèvres ne se ferment plus, et l’air que sa gueule béante avait absorbé, ses branchies le rejettent en exhalant le souffle de la mort[121]. Ainsi quand le soufflet allume les feux d’une forge, le tampon de laine, qui joue dans sa prison de hêtre, reçoit et repousse le vent tour à tour. J’ai vu des poissons, palpitant déjà près de mourir, recueillir leurs forces, se soulever d’un bond, et s’élancer pour retomber dans le fleuve, où ils retrouvaient un élément qu’ils n’espéraient plus revoir. Et l’enfant, qui regrette sa proie, se précipite étourdiment du haut de la rive, et tente follement de la ressaisir à la nage. Ainsi Glaucus d’Anthédon, dans les mers de Béotie, après avoir goûté les mortels herbages de Circé, cueillit des plantes que ses poissons mourants avaient touchées, et s’élança dans l’océan de Carpathos, sa nouvelle patrie. Ce pêcheur, si redoutable par ses hameçons et ses filets, qui fouillait les abîmes de Nérée, qui balayait les vagues de Téthys, cet écumeur de mer s’en vint nager lui-même au milieu de ces légions, naguère ses captives. Tels sont les tableaux qui se déroulent sur la longue étendue des eaux, à la vue des villas qui penchent suspendues à la crête des rochers. Le fleuve errant les divise, en promenant ses replis sinueux au milieu d’elles ; et, de chaque côté, des châteaux décorent ses rivages. Qui peut admirer à présent la mer de Sestos, les eaux d’Hellé, fille de Néphélé, et le détroit de l’adolescent d’Abydos ? Et cet océan de Chalcédoine, dont l’œuvre du grand roi réunit les deux rives, à l’endroit même où un euripe partage de ses eaux l’Europe et l’Asie, et leur défend de se rapprocher ? Ici on ne redoute ni la rage des vagues marines, ni les luttes forcenées des Caurus en furie. On peut enchaîner ici de longs entretiens, échanger tour à tour des paroles suivies. Ces complaisants rivages se transmettent les voix qui se saluent, les voix - et presque les mains elles-mêmes : l’écho, qui va et vient au milieu du fleuve, répète les mots partis de l’un et l’autre bord. Qui pourrait, parcourant les ornements nombreux et les beautés de chacun de ces domaines, décrire toutes les formes de leur architecture ? Oeuvre admirable, que ne mépriserait ni l’artiste ailé de Gortyne[122], fondateur du temple de Cumes, qui essaya de graver sur l’or la chute d’Icare, et ne put surmonter sa douleur paternelle ; ni Philon d’Athènes ; ni ce génie, estimé de l’ennemi lui-même[123], qui sut prolonger les nobles luttes de la guerre de Syracuse. Peut-être aussi que ces merveilleux travaux de la main et de la science de l’homme ont eu pour auteurs les sept artistes célébrés au dixième volume de Marcus[124]. Ici s’est révélé dans tout l’éclat de sa vigueur, et l’art de Ménécrate, et la main qui s’illustra dans Éphèse[125], et celle d’Ictinus qui éleva la citadelle de Minerve, où une chouette, enduite d’un appât magique[126], attire à elle les oiseaux de toute espèce, qu’elle tue de son regard. Ici peut-être est venu le fondateur du palais de Ptolémée, Dinocharès, qui dressa cette pyramide dont chaque pan carré s’élève en cône[127], et qui absorbe ses ombres. On lui avait commandé, en mémoire d’une alliance incestueuse, de suspendre Arsinoé dans l’air à la voûte d’un temple égyptien : un Corus d’agate[128] souffle sous cette coupole, et son haleine enlève la jeune reine attirée par un cheveu de fer. Oui, on doit croire que ces artistes, ou d’autres semblables, ont tracé le dessin de ces édifices des campagnes de la Belgique, et disposé ainsi les superbes villas qui sont la parure du fleuve. L’une se dresse sur un massif de roche naturelle ; une autre est assise sur la pointe avancée du rivage ; celle-ci s’éloigne et attire avec elle les replis du fleuve qu’elle captive ; celle-là, occupant une colline qui domine au loin le fleuve, peut à son aise contempler en souveraine les lieux cultivés ou sauvages, et, grâce à la richesse du coup d’œil, jouir de ces terres comme de son domaine. Une autre enfonce son humble pied dans les fraîches prairies ; mais les avantages naturels de la haute montagne sont compensés pour elle par l’élévation de son faîte qui s’élance menaçant dans les airs, et par cette tour colossale qu’elle montre comme Pharos, sœur de Memphis. Cette autre a seule le privilège d’enfermer et de prendre le poisson que la rivière amène entre les cavités de ses rochers, dont les plateaux en culture sont échauffés par le soleil. Une dernière repose sur un pic escarpé, et n’entrevoit qu’à travers un brouillard le fleuve qui roule à ses pieds. Que dirai-je de ces portiques semés sur de vertes prairies, de ces toits soutenus de colonnes sans nombre ? Et de ces bains qui fument sur la grève[129], quand Vulcain, aspiré par l’étuve brûlante, souffle et roule ses flammes dans les conduits cachés de la muraille, et promène partout sa vapeur enfermée dont la chaleur s'exhale au dehors ? J’ai vu des baigneurs, qu’une sueur abondante avait épuisés, dédaigner les froides eaux des cuves et des piscines, pour jouir des eaux courantes, et, retrouvant bientôt leur vigueur dans le fleuve, frapper et refouler en nageant ses vagues rafraîchissantes. Si un étranger arrivait ici des murs de Cumes, il croirait que Baïes l’Eubéenne[130] a voulu donner à ces lieux un abrégé de ses délices tant leur recherche et leur propreté ont de charme, sans que le plaisir qu’on y goûte exige aucun luxe. Mais comment cesser enfin de chanter tes vertes ondes et de vanter ta gloire, ô Moselle, rivale de l’océan, sans dire ces innombrables rivières qui viennent au loin se joindre à toi par diverses embouchures ? Elles pourraient retarder leur jonction, mais elles ont hâte de confondre leur nom dans le tien. Grossie des eaux de la Pronéa et de la Némésa[131], la Sura[132], qui n’a pas démérité, s’empresse de se rendre dans ton sein ; la Sura, qui t’enrichit des affluents qu’elle a reçus, et fait plus pour sa gloire en s’attachant ainsi à ton nom, que si elle allait se perdre par des embouchures ignorées dans l’océan commun. C’est à toi que le Gelbis rapide, à toi que l’Erubrus[133] renommé pour ses marbres, apportent les baisers empressés de leurs ondes esclaves : le Gelbis qui nourrit des poissons si vantés ; l’Erubrus qui tourne avec vitesse la roue de pierre sur le grain qu’elle écrase, et qui traîne sur le marbre poli la lame stridente de la scie, dont le continuel sifflement se fait entendre sur ses deux rives. Je passe la faible Lesura, et le pauvre Drahonus[134], et je ne parle pas du ruisseau méprisé de la Salmona[135]. Chargé de navires, depuis longtemps le Saravus aux larges et bruyantes ondes m’appelle en déployant tous les plis de sa robe[136] : il prolonge exprès son cours pour déverser ses eaux fatiguées sous les remparts de la cité impériale. Non moins forte, et coulant sans bruit à travers de grasses campagnes, l’heureuse Alisontia[137] effleure des rivages couverts de moissons. Mille autres, selon que leur élan les entraîne, veulent s’unir à toi : autant la masse de leurs eaux est grande, autant ces rivières empressées ont d’ambition pour cet honneur. Si Smyrne, si l’illustre Mantoue t’eût donné son poète, divine Moselle, le Simoïs tant vanté sur les plages troyennes te cèderait la palme, et le Tibre n’oserait préférer sa gloire à la tienne. Pardonne-moi, Rome puissante[138] ; repousse, je t’en conjure, et l’envie, et Némésis qui n’a point de nom dans la langue latine : les pères de Rome eux-mêmes ont placé là le siège de l’empire. Salut, mère féconde en fruits comme en grands hommes, ô Moselle, toi qu’une illustre noblesse, toi qu’une jeunesse exercée aux armes, toi qu’un langage rival de la langue du Latium pare de tant d’éclat ! La nature a donné à tes enfants des mœurs douces et un esprit enjoué sous un front sévère. Rome n’est pas la seule qui puisse citer des Catons antiques ; Aristide, ce fidèle observateur de la justice et de l’équité, n’est plus seul digne de ce titre qui honore la vieille Athènes. Mais où vais-je, emporté trop loin par mes rênes flottantes, et subjugué par trop d’amour ? Je compromets ta gloire[139]. Muse, renferme ta lyre, et que nos derniers vers résonnent sur ses cordes vibrantes. Un temps viendra où, charmant mes ennuis dans les travaux d’un obscur loisir, et réchauffant mes derniers beaux jours au soleil de la poésie, je chanterai, soutenu par la grandeur du sujet, les hauts faits de chacun des héros belges, et les vertus et les nobles gloires de ma patrie. Les Piérides me fileront des vers faciles et déliés, elles sèmeront ce fin tissu d’élégantes broderies, et la pourpre même sera donnée à nos fuseaux. Que ne dirai-je pas alors ? Je louerai la paix du laboureur, le savoir du magistrat, la puissante parole de l’orateur, sublime appui des accusés ; je chanterai ces hommes, chefs suprêmes de la curie dans leurs municipes, et sénateurs dans leur propre ville ; ceux que leur éloquence, renommée dans les écoles de la jeunesse, a élevés au rang glorieux du vieux Quintilien ; ceux qui ont gouverné leurs cités, qui n’ont point souillé de sang leur tribunal, et qui ont illustré d’innocents faisceaux ; ceux qui ont régi les peuples de l’Italie ; puis, appelés à la deuxième préfecture[140], ont commandé aux Bretons, enfants de l’Aquilon ; celui enfin qui gouverna Rome, la capitale du monde, et le peuple et le sénat, sous un nom qui n’en avait qu’un avant lui dans l’empire[141] : celui-là, bien qu’il ait été au-dessus des princes[142], il se hâte, ô Fortune, d’abjurer ton erreur ; ces honneurs, qu’il a goûtés à peine, il n’en jouira pleinement qu’en les rendant à leurs vrais maîtres, à ces nobles héritiers des empereurs qui remonteront au faîte des dignités suprêmes. Mais achevons, il en est temps, notre œuvre commencée. Différons l’éloge des hommes, pour revenir à ce fleuve si heureux en sa marche riante au sein des vertes campagnes, et consacrons-le dans les flots du Rhin. A présent, ô Rhin, déroule ta robe d’azur et les verts replis de ton voile, mesure une place à ce nouveau fleuve qui veut t’enrichir de ses ondes fraternelles. Et ses eaux ne sont pas le seul don qu’il t’apporte : mais il vient des murs de la ville impériale ; il a vu les triomphes réunis d’un père et de son fils, vainqueurs partout, sur le Nicer, à Lupodunum[143], aux sources de l’Ister inconnues dans les annales du Latium. Ce dernier laurier de leurs armes t’est venu naguère ; d’autres suivront, puis d’autres encore. Vous, marchez unis, et, de votre double cours, refoulez ensemble la mer étincelante. Ne crains pas, ô Rhin majestueux, de paraître affaibli : ton hôte ne connaît point l’envie. Reste maître à jamais de ton nom : ta gloire est assurée ; ne refuse pas d’adopter un frère. Riche en eaux, riche en Nymphes, ton lit fera la part de chacun ; il divisera sa masse en deux branches, et ouvrira diverses embouchures à vos courants communs. Arriveront sans peine alors des forces qui feront trembler les Francs, les Chamaves et les Germains : tu seras la véritable barrière de l’empire. Tu recevras, de l’union d’un si grand fleuve, un double nom ; et quoique tu coules d’une source unique, on t’appellera le Rhin à deux fronts. Ainsi, Vivisque d’origine[144], moi qui ne suis connu des Belges que par les liaisons récentes de l’hospitalité, moi Ausone, italien par le nom[145], qui ai ma patrie et mes foyers entre l’extrémité des Gaules et les hautes Pyrénées, là où la riante Aquitaine adoucit l'âpreté des mœurs naïves[146], ainsi j’osais chanter sur une faible lyre. Qu’on ne me fasse pas un crime d’avoir essayé, en l’honneur d’un fleuve sacré, cet humble hommage de ma muse. Je ne recherche point la louange, je sollicite un pardon. Beaucoup d’autres, près de toi, fleuve nourricier, aiment à puiser aux saintes sources d’Aonie, et boivent toute l’Aganippé. Moi, pour peu que ma veine me donne de sève encore, quand Auguste le père, quand son fils, si cher à mon amour, me renverront à Burdigala, ma patrie, au nid de ma vieillesse, et m’auront paré des faisceaux d’Ausonie et des honneurs de la curule, après le temps accompli de l’enseignement que j’ai commencé, je reprendrai avec plus d’étendue l’éloge de mon fleuve du nord : je dirai aussi les villes qui se baignent dans tes ondes silencieuses, et les antiques forteresses dont les murailles te contemplent. Je dirai ces asiles construits pour les jours de péril, et qui ne sont plus les arsenaux, mais les greniers de la Belgique pacifiée. Je dirai les heureux laboureurs qui cultivent tes deux rives, et tes flots qui, mêlés aux travaux des hommes et des bœufs, coulent en pressant leurs bords[147], et sillonnent de grasses campagnes. Nul autre ne peut te disputer le pas ; ni la Loire, ni l’Aisne rapide, ni la Marne qui passe aux confins des Gaules et de la Belgique, ni la Charente elle-même, où reflue la mer de Saintonge. Tu lui céderas aussi, Dordogne, qui roules du sommet glacé d’une montagne ; et la Gaule ne pourra lui préférer le Tarn aux sables d’or ; et ce torrent furieux qui se précipite en bondissant au loin de rochers en rochers, l’Adour des Tarbelles devra rendre hommage à la divinité de la Moselle sa souveraine, avant d’entrer dans la mer étincelante. Ô Moselle, parée de cornes[148], on doit te célébrer aux plages étrangères, te célébrer partout et non pas seulement aux lieux où, jaillissant de ta source, tu découvres l’éclat doré de ton front de taureau, où tu traînes à travers les champs tes ondes calmes et sinueuses, aux ports enfin de la Germanie, où s’ouvre ton embouchure. Si quelque souffle de gloire soutient mon humble essor, si quelqu’un daigne perdre ses loisirs à lire ces vers, tu voleras sur les lèvres des hommes, et tu vivras dans mes chants applaudis. Tu seras connue des fontaines, des sources vives, connue des fleuves azurés, des antiques forêts qui font l’orgueil des campagnes ; pour toi la Drôme, pour toi la Durance qui porte çà et là sa course incertaine, pour toi les fleuves des Alpes auront des hommages, ainsi que le Rhône lui-même, qui traverse une cité[149] qu’il partage, pour donner aussi un nom à sa rive droite[150]. Et moi, je te recommanderai aux flots bleus des étangs, aux grandes rivières mugissantes, à l’océan de ma Garonne. XI. Ausone à Symmaque[151], salut. Ignoré jusqu’ici, cet ouvrage restait enfoui avec d’autres bagatelles : plût au ciel qu’il y fût encore, et qu’il ne se perdît pas comme la souris, en se montrant. C’est moi qui, comme le coq d’Euclion[152], le déterrai de la poussière où moisissent mes paperasses : après l’avoir secoué, je le relus ; et, comme un avide usurier, j’aimai mieux placer cette mauvaise pièce que la garder. Puis, repassant en mon esprit, non ce vers de Catulle : A qui donner ce joyeux livre neuf ? mais cet autre, moins poétique et plus vrai : A qui donner ce livre insipide et sans art ? je n’ai pas longtemps cherché ; car tu étais là présent à ma pensée, toi que je choisirais toujours, si je n’avais que le choix d’un seul entre tous les hommes : et je t’ai envoyé ces badinages ! Plus futiles que les claies des Siciliens[153], pour que tu les lises quand tu n’as rien à faire, et pour t’empêcher ainsi de n’avoir rien à faire. Donc, ces pages frivoles, à demi déchirées déjà par des lectures secrètes mais vulgaires, arriveront enfin entre tes mains. Alors, ou comme Esculape[154], tu les rappelleras à la vie, ou comme Platon[155], Vulcain aidant, tu les sauveras de la honte, si elles ne doivent pas parvenir à la renommée. Voici à quel sujet je m’occupai de ces bagatelles. Dans une expédition[156], et tu sais que c’est là une occasion pour la licence militaire, on proposa, à ma table, de boire, non, comme au repas de Rubrius[157], à la manière grecque ; mais comme en cette ode d’Horace[158] où pour célébrer le milieu de la nuit, la lune nouvelle et l’augure Muréna, le poète en son délire demande trois fois trois coupes. A cette citation sur le nombre trois, notre gale poétique se mit à nous gratter, et comme c’est un mal dont la contagion est facile, je souhaite que la démangeaison te gagne aussi, et qu’en ajoutant à cette ébauche le vernis de tes corrections, tu lui jettes l’éponge qui acheva l’imparfaite image du cheval sans écume[159]. Et tu sauras que c’est une œuvre dont je puis être fier ; car ces vers, commencés en dînant, je les ai terminés avant la fin du repas, c’est-à-dire en buvant, ou un peu avant de boire. Il faut donc que la critique ait égard au sujet et au temps. Toi-même, ne lis cela qu’avec une pointe de vin et de gaîté, car il n’est pas juste qu’un poète peu sobre ait pour juge un lecteur à jeun. Je n’ignore pas qu’il se trouvera quelque censeur au nez fin, au front rechigné, pour condamner ce badinage, et dire que je n’ai pas traité tout ce qui avait rapport aux nombres trois et neuf. C’est parler vrai, je l’avouerai ; mais juste, je le nie : car, avec un peu de bon vouloir, il reconnaîtra que ces lacunes ne sont pas des oublis, mais des omissions volontaires. Quel qu’il soit d’ailleurs, qu’il songe, en y réfléchissant, combien de ces rapprochements il n’eût point trouvés, s’il eût cherché lui-même. Qu’il sache aussi que je n’ai point usé de toutes mes découvertes, et que j’ai abusé de quelques bonnes rencontres. Combien de choses, en effet, sur le nombre trois j’ai à dessein négligées ! Les temps[160], les personnes[161], les genres[162], les degrés de comparaison[163], les neuf mètres naturels[164] et les trimètres, et toute la grammaire[165], et la musique[166], et les livres de médecine[167], le trois fois très-grand Hermès[168], et le premier philosophe[169], et les nombres de Varron[170], et tout ce que le profane vulgaire n’ignore pas lui-même. Enfin, ce qui est facile, quand il aura beaucoup trouvé, qu’il établisse une comparaison entre lui et moi, entre un homme occupé et un homme qui prend son temps, entre un homme à table et un homme à jeun, entre un amusement, un pur badinage comme le mien, et une censure étudiée, une chicane comme la sienne. L’un peut trouver plus que l’autre, personne ne trouve tout. Que si je parais obscur à quelqu’un, voici comment tu pourras me défendre. D’abord, des tours de force de ce genre ne sont rien s’ils ne sont obscurs ; ensuite, un vers, de sa nature, n’est pas un jonc, pour être sans nœuds. Enfin, si je suis obscur même pour toi qui as tout lu et tout compris ; mais alors je serai heureux, j’aurai atteint mon but : car je veux que tu me recherches, que tu me désires, que tu penses à moi. Adieu. Griphe[171] sur le nombre trois. Bois trois coups ou trois fois trois coups : telle est la loi mystique[172] ; il faut qu’on boive trois coups ou qu’on multiplie par trois ces trois coups, afin de produire le cube[173] par la triple répétition du nombre impair neuf. Trois a la même force que trois fois trois ; tout est là : le premier développement du germe[174] de l’homme, l’accomplissement régulier de l’enfantement, le terme suprême de la vie après neuf fois neuf années ; les trois frères enfants d’Ops[175] ; puis ses trois filles, les trois sœurs Vesta, Cérès et Junon ; puis le triple dard des foudres de Jupiter ; puis Cerbère, puis le trident, et le triple œuf d’où naquit Hélène avec ses frères. Trois fois pour Nestor une pourpre[176] nouvelle emplit les fuseaux des Parques, et, plus vivace encore, la corneille dure trois fois trois âges : elle compterait trois fois neuf siècles révolus, que le cerf aux pieds d’airain l’emporterait sur elle de trois fois trois Nestors, surpassé lui-même de trois âges par l’oiseau de Phébus[177], qui le cède à son tour à l’oiseau du Gange[178], lequel vieillit neuf fois davantage en son nid de cinname où sa tête rayonne. On connaît la triple Hécate, les trois fronts de la vierge Diane, les trois Grâces, les trois fatales Sœurs, les trois tons de la voix, les trois éléments, et les trois Sirènes de la Sicile, qui, triples en tout, sont trois oiseaux, trois demi-déesses, trois demi-filles, forcées de disputer la palme aux trois fois trois Muses[179], par le gosier, la main, le souffle, avec le buis, la corde, ou la voix en chantant : les trois parties de la philosophie[180], les trois guerres Puniques, les changements trimestriels des années et du ciel, et les trois veilles durant la nuit[181]. La sentinelle en retard, qui laissa surprendre Mars, chante trois fois l’éclatant signal de l’approche de l’Aurore[182]. Un héros, conçu dans l’ombre d’une nuit triplée[183], éleva trois fois quatre trophées des dépouilles qu’on lui avait demandées Le nombre des poètes lyriques[184] est le même que celui des filles de Mnémosyne : elles n’étaient que trois autrefois[185], placées sous la main d’Apollon mais le Cithéron en consacra trois fois trois en airain, la religion de nos pères craignant d’en rejeter six. Les jeux de Terentum[186] se célèbrent pendant trois fois, et la nuit, comme les Triétériques à Thèbes en l’honneur de la double origine de Bacchus. Les trois premiers combats de Thraces, exécutés par trois paires de gladiateurs[187], furent un hommage lugubre rendu par les fils de Junius aux funérailles de leur père. Le monstre qui demanda : “Quel animal peut avoir deux pieds, quatre pieds, et trois pieds, sans cesser d’être le même ?”[188] Triple énigme dont le prix était l’alliance d’une reine, le Sphinx, terreur de l’Aonie[189], avait trois formes oiseau, lion et fille, il était oiseau par les ailes, lion par les pieds, et fille par le visage. Trois hôtes brillent réunis au temple Tarpéien[190]. La demeure de l’homme s’achève par le concours de trois arts différents : l’art qui élève les pierres en murailles, celui qui place les poutres du comble, et celui qui revêt la cloison de sa dernière parure. Le quadrantal de Bromius et les médimnes de Sicile contiennent, pour nos besoins, l’un trois, et les autres deux fois trois modius. En physique, trois principes : Dieu, la matière et la forme. Trois espèces dans toute espèce de génération ; l’engendrant, l’engendrante, et l’engendré. La figure du triangle se dessine sous trois aspects : le triangle équilatéral, celui qui a deux côtés égaux, et celui qui sur tous est inégal[191]. Le nombre parfait se forme de la réunion de trois parties ; de sorte que ce nombre, composé de trois fois trois, se décompose par trois fois trois[192]. Trois est le premier nombre qui contienne un nombre pair, un impair, et un milieu, l’unité : mais cette unité elle-même, qui est le milieu de trois, est aussi le milieu de cinq et de sept. Placée au centre du nombre entier, elle coupe chacun des trois nombres pleins dont l’ensemble forme le cube, en détachant deux nombres pairs de la réunion des trois impairs, et cette unité est aussi le triple milieu de trois nombres pairs, lorsque entre quatre, entre six, entre huit, elle est le centre qu’on distingue. Trois sortes de droit sanctionnées par les Douze Tables : le droit sacré, le droit privé, et le droit public. Trois espèces d’interdits[193] : Unde vi, Utrobi et Quorum honorum. Trois moyens d’acquérir la liberté[194], et trois manières de changer d’état[195]. Trois genres d’éloquence : le sublime, le tempéré, le simple. Trois doctrines dans l’art de guérir : le dogme, la méthode et l’empirisme ; et un triple but dans la médecine : conserver, prévenir, guérir. Trois genres de style oratoire[196] : celui qui vient de Rhodes, royaume du Colosse ; celui qu’Athènes et l’Attique préfèrent, et celui que traîna de la scène aux bancs austères du forum la prose asiatique, imitant dans ses plaidoyers les cadences des chœurs. Du nombre trois vient le trépied d’Orphée[197], parce qu’il y a trois éléments : la terre, l’eau, le feu. Trois choses à observer dans les astres la position, la distance, la forme. Trois modes dans la musique[198], et cette musique, mère des modes, est triple elle-même : musique écrite[199], dans les livres, musique secrète des corps célestes, musique publique du théâtre[200]. La cité de Mars, Rome, est triple : les chevaliers, le peuple, le sénat. Du nombre trois on a fait les tribus, et les tribuns créés au mont Sacré[201]. Trois escadrons de chevaliers[202], et trois noms pour la noblesse[203] ; les cordes ont trois noms[204], le mois trois noms aussi[205]. Triple est Géryon, triple l’assemblage de la Chimère[206], triple Scylla, composée de trois corps : chien, vierge et poisson. Les Gorgones, les Harpies, les Furies marchent par trois ; par trois aussi ces prophétesses qui portent le nom commun de Sibylles, et dont les fatales prédictions, renfermées en trois livres[207], se conservent par les soins de trois fois cinq magistrats. Bois trois coups : le nombre trois est au-dessus de tout : le Dieu un est triple[208]. Enfin, pour que ce badinage lui-même n’aille pas atteindre un nombre sans valeur, qu’il ait dix fois trois fois trois vers ou dix fois neuf vers. XII. Technopégnie[209]. Ausone à Pracatus[210], proconsul. Je sais que d’autres ne sauront point proportionner la louange à la mesure de mon travail ; mais si tu m’accordes ton suffrage, alors, comme dit Afranius dans sa Thaïs[211] : J’aurai trouvé plus de gloire que de peine. Ce sont des monosyllabes que tu vas lire, et comme certains points de discours. Là, nulle place à la période, nul ensemble dans les pensées ; point de proposition, de reddition, de conclusion, aucune de ces beautés de la sophistique qui ne peuvent entrer dans un seul vers mais ces monosyllabes se tiennent comme les différents anneaux d’une même chaîne. Habitué à des compositions plus graves, j’ai voulu aussi broder un tissu léger : c’est une œuvre de peu de valeur, mais non de peu de gloire, si elle plaît. Tu feras qu’elle soit quelque chose. Car, sans toi, ce ne sera que des monosyllabes, ou moins encore. Quant à moi, ces vers m’ont rapporté de l’amusement, mais ils m’ont coûté du travail. J’ai donné au recueil le nom de Technopégnie[212], afin que tu ne penses pas que l’amusement a été pour rien dans ce travail, ou l’art dans cet amusement. Adieu. Ausone à son Paulinus[213]. Je t’ai envoyé ma Technopégnie, œuvre inutile de mon désœuvrement. Ce sont des vers qui commencent par des monosyllabes et que terminent des monosyllabes. Mais toute la difficulté n’est point dans cet écueil. Ajoute à cela le tourment de chercher comment le même monosyllabe qui finissait un vers pourrait être le commencement du suivant. Tu peux bien dire : ô temps perdu ! Mais j’en porte la peine ; car je me suis attaché à un sujet frivole : c’est court, et ça ennuie ; décousu, et tout s’y embrouille ; c’est quelque chose, et on n’en tient pas compte. J’ai travaillé pourtant à y mettre un peu d’histoire et de dialectique : car, pour les grâces de la poésie et de la sophistique, la nécessité d’observer les règles les rejette. En somme, il n’y a pas là de quoi crier merveille ; il y a plutôt, en changeant quelques lettres, de quoi crier miséricorde. Ne cherche pas à m’imiter. Si tu descendais jusque-là, tu trouverais plus de dégoût à dépenser ainsi ton esprit et ta verve, que de plaisir à essayer l’imitation. Adieu. Vers commencés et finis par des monosyllabes, qui, de la fin d’un vers, reviennent au commencement de l’autre. Les biens fragiles de ce monde naissent, se gouvernent ou périssent au gré du sort : sort incertain et toujours mobile, que soutient la flatteuse espérance ; l’espérance qui n’a point de bornes dans les âges, et dont le seul terme est la mort ; la mort avide, qui se plonge dans les infernales ténèbres de la nuit. La nuit doit s’effacer à son tour, quand reparaîtra la lumière dorée du jour ; du jour, présent des dieux, et que précède le soleil ; le soleil, à qui n’ont pu échapper les amours furtifs de Vénus et du dieu des armes Mars[214] ; Mars, qui n’eut point de père, et qu’adorent la Thraee et son peuple ; peuple sans frein, qui du crime où il se jette se fait un droit ; un droit d’immoler des hommes en sacrifice, car tel est du pays l’atroce usage ; usage atroce d’une race forcenée que n’enchaîne point la loi ; la loi, que de son autorité naturelle institua la justice ; la justice, fille de la piété des hommes ; la justice, émanation certaine de la divine intelligence ; l’intelligence, qui, de célestes pensées dont il est digne, arrose le cœur ; le cœur, principe de vie, image du monde[215], vigueur et force de l’âme. De la force, il n’y en a point ici : car ce n’est qu’un jeu, ce n’est rien. Il est un vieux dicton : “Le plancher suit la poutre”[216] ; c’est ainsi qu’après ces bagatelles en voici une série d’autres non moins mauvaises. Ces vers se terminent aussi par des monosyllabes ; ils commencent à volonté, mais la fin est selon les règles. J’ai essayé, et je n’ai pu réussir que pour les oreilles les plus indulgentes, d’accorder les idées discordantes, de rendre piquantes les plus insipides, d’enchaîner les plus décousues, de donner enfin quelque douceur à l’amertume, des attraits à la laideur, et du poli à la rudesse. Puisse tout cela, en dépit du sujet ingrat qui en gâte le charme, trouver grâce devant une lecture bienveillante. Toi, de ton côté, envoie-moi tes vers, avec plus de confiance, car ils sont meilleurs, afin que nous finissions par un proverbe ce que nous avons commencé par un adage, et que “les mulets se grattent mutuellement.”[217] Émule des dieux, rival de la nature, art, père de toute chose, pour que ce badinage amuse Pacatus, dirige mon œuvre. Malgré la gêne d’une loi déplaisante et contraire à la poésie, elle obtiendra sous un tel juge le droit de se faire comprendre. Car le burlesque même a sa gloire, si le sort ne s'y oppose. Les membres. De nouvelles dents annoncent que l’enfant touche à sa septième année. Aux approches de la puberté, la voix devient plus mâle. Le front de l’homme brave les vents et les soleils. Les nerfs attachent les durs os à la chair. Plein de vie, de force, de chaleur, le cœur rond palpite sans cesse. Il donne la vigueur à nos pensées que vivifie l’intelligence souveraine, et que la bouche traduit en paroles suivant la loi qui règle son langage. Que de puissance a le fiel jaunâtre, une si mince portion de l’homme ! Que la jambe est grêle, et quelle masse de corps elle supporte ! Sous quel fardeau le pied dirige notre marche ! Objets sans rapports entre eux. Souvent la dot, si elle est trop forte, est nuisible aux ménages. L’un et l’autre sexe a la puissance, mais le mâle commande en maître. Celui qui fait bien, et non celui qui aspire à dominer, sera toi. Un procès jette le trouble au sein de l’amitié et la désunion dans les alliances. Commence, quoi que tu fasses ; la première partie de l’œuvre est presque l’œuvre entière. La gloire ouvre le ciel aux plus dignes et les place au rang des dieux. Les vertus et les vices, tout est pêle-mêle dans les villes. Dans une place forte, ce qui est plus fort que la place, c’est la citadelle. On fait grand état de l’or, et pourtant l’or se paye avec du cuivre. Les longues journées fatiguent l’homme, mais la nuit le délasse ; la nuit qui manque à l’Éthiopie[218], à ces peuples qui toujours veillent et jamais ne reposent, car la lumière tourne là dans un cercle éternel, et les éclaire sans jamais s’éteindre. Les dieux. Les habitants du ciel ont aussi leurs monosyllabes. La première des divinités est Fas, la Thémis des Grecs[219]. Après elle Rhéa, chez les Latins Ops. Puis le frère de Jupiter et de Consus, le dieu du Tartare, Dis. Puis cette sœur, épouse de son frère, la reine des dieux, Vis[220] ; et le père du jour, traîné sur un char à quatre coursiers, le Soleil ; et celui qui soulève les furieuses tempêtes de la guerre, le dieu puissant des armes, Mars, que jamais ne touche la piété, jamais la bonne Paix. Je ne t’oublierai pas, hôte des forêts, dieu du Ménale, Pan ; ni toi, génie des foyers, fils de Larunda, Lar[221] ; ni le Nar sulfureux[222] qui commande aux fleuves d’Italie ; ni le Styx, couleur de nuit, qui expie les parjures des dieux ; ni Leuconotus le Libyen[223], qui calme les flots où volent les voiles ; ni enfin la bienfaisante Espérance, qui jamais n’abandonne un mortel aux abois. Les aliments. Je ne tairai point les aliments qui, depuis longtemps, sont chez nous en usage ; le sel marin qu’on y ajoute en relève la saveur. Autrefois le gland était une nourriture commune à la brute et à l’homme, avant que, dans les champs, l’épi n’offrît son grain. Bientôt vint la farine, puis la fleur de farine, et, de cette fleur, la pâte, dont le peuple romain jadis garnissait sa table, et qui lui servait de mets, ou de boisson si on la délayait avec de l’eau. La nielle est une plante dont le mordant égale celui du poivre[224]. La lentille plate et ronde est une semence de Péluse. La noix, qui a cinq espèces, est protégée par une double enveloppe. Le miel, que travaille l’active abeille, plaît comme aliment et comme breuvage : c’est une liqueur de nouvelle nature, car sa lie surnage[225]. Faits historiques. La fleur ébalienne te donna, Phébus, une consolation inespérée[226]. Une autre fleur accuse de la mort de Narcisse une fontaine maudite. Un sanglier foudroyant se fait une cruelle gloire du meurtre d’Adonis. Un Lapithe parjure[227] est la dupe d’une nuée qu’il prend pour Junon. Le dieu du Parnasse abuse un Éacide[228] avec un oracle de Delphes. Une vache[229] fend à la nage les mers de Thrace et de Libye, et les vagues Cimmériennes. Nul tronc d’arbre ne tombe sans qu’une Hamadryade ne meure avec lui. La faux de Saturne a coupé ce qui donna naissance à Vénus[230]. Une croix desséchée se dressa au sommet des roches Scythiques, et les oiseaux arrachèrent du corps de Prométhée la sanglante rosée qui trempa la pierre, et créa sur le roc le redoutable aconit. Quand Ibycus périt, la grue[231] volait dans les airs pour sa vengeance. Au tombeau d’un Éacide fut immolée la belle-sœur d’Andromaque[232]. Dans les prisons des Argiens, Philopoemen trouva lentement la mort. Les troisièmes dépouilles opimes vinrent d’un Lars de l’Armorique[233]. Une fin tardive emporte Annibal empoisonné par un breuvage. Quelle puissance d’Asie, digne d’un meilleur sort, un fourbe mit en ruines ![234] Une torche vengeresse s’alluma sur les rochers d’Eubée[235]. Le fils de Tros le Dardanien[236] se tient près de Jupiter pour remplir sa coupe. Porté sur des ailes rapides, un Crétois s’éleva dans les airs[237]. Un Thrace féroce exerça sur toi, Philomèle, la violence et l’inceste[238]. Le Lydien est barbare, le Gète belliqueux, le Phrygien efféminé, le Ligurien rusé, le Carien sans valeur. Le Sère à la robe traînante file les toisons des forêts. Le Sphinx thébain est connu parmi les monstres à trois corps. Un animal femelle, la Strix[239], n’est pas moins connu au berceau des enfants. La venue du printemps. Quand l’année qui commence ramène le printemps, père des fleurs, tout s’anime : la forêt verdoie, la campagne brille couronnée d’or. L’arbre étend ses racines, et promet de l’ombrage[240]. La neige, qui ne tombe plus sur la terre à flocons pressés, fond et s’écoule. La fleur exhale son parfum, comme l’encens dont le mont Liban fait sa gloire. Demandes et réponses. Qui subit la peine pour le coupable, après une condamnation capitale ? Le répondant. Si c’est une affaire d’argent, qui payera ? La caution. Qui se mesure avec le Mirmillon ? Le Thrace adroit des deux mains. Entre toutes les vertus de Mercure, quelle est celle qui le distingue ? Le vol. Après les encensoirs et les patères, quel est le troisième vase des sacrifices ? Le plat. Quelle terre, au milieu des mers, donna le jour à Hippocrate ? Cos. Qui tente le plus la femme de Minos, l’animal ou le trône ? L’animal. Outre la nuée, qui fut imposé aux Phéaciens ? Un roc[241]. Dis, à défaut de nourriture, qui s’engraisse en dormant ? Le loir. Qui rend le cuir plus propre aux boucliers ? La glu. Quel est le nominatif de l’ablatif sponte ? Spons. Quel est le quadrupède qui s’adjoint aux oiseaux pour les augures ? Le rat. Qui flotte sur la mer, et ne surnage pas au-dessus d’un fleuve ? La poix. Qui contient deux fois six parties égales ? L’as. Ôte le tiers de l’as, que reste-t-il ? Un bès[242]. Lettres monosyllabiques des Grecs et des Latins. La première lettre qui brille en tête de l’alphabet latin est A, et le dernier signe de l’écriture chez les Grecs est Ω. Moi, l’E du Latium, je représente la valeur de deux lettres éoliques[243], de l’ ·ta d’abord, et comme l’E latin peut toujours être bref, je suis aussi l’ε dorique. Le peuple de l’Attique a, pour dire non, ce son plein et sonore, 8. L’O romain vaut seul l’Ω et l’Ο des Grecs. Moi, j’ai la forme de l’iota, je suis la lettre impérative[244], I. Un signe ignoré des enfants de Cécrops, c’est le U, au son lugubre[245]. Mes deux branches à moi, Y, s’ouvrent comme le double chemin de Pythagore[246]. Dans les mots grecs on ne me voit jamais, M, la dernière. Le zêta couché, s’il se redresse, deviendra la lettre N. Moi, ξ, dans mes zigzags, j’imite le Méandre et ses détours sinueux. Le monosyllabe latin B (bé) est la moitié du bêta. Moi, je n’ai pas la figure du delta, mais j’en porte le nom ; je suis le D romain. La forme du joug destiné à l’ennemi se retrouve dans le Π[247]. Si tu écris le P ausonien, je serai le Ρ grec, de même que le rho grec peut se changer en P latin. Moi, je ressemble au mât qui porte antenne en tête, je suis le T. L’H est un esprit dont l’aspiration donne de la force aux plus faibles mots. Cette lettre, K, ne s’applique plus qu’à trois mots dans le Latium[248], depuis que le C, qui tenait la place du gamma, a prévalu, et qu’en s’arrondissant il a donné une lettre nouvelle appelée Q. Quand l’iota se trouvera couché entre deux anses, tu liras un Θ. En latin, le X grec désigne le nombre dix. Le Φ de Palamède présente l’image d’une grue. L’antique cappa béotien est aujourd’hui le K latin. J’ai l’air d’une fourche à trois cornes, moi le Ψ, l’avant-dernière lettre de l’alphabet. Tortures pour les grammairiens. Toi dont l’aigre fausset nous maltraite sans pitié, viens-tu, en vertu des règles de la belle éloquence, condamner ces enfantillages ? Tu as tort : c’est une marchandise qui te rapportera. Ainsi donc, comme dit Ennius, que le gau[249] joyeux remplisse ton âme, et que, dans le cœur de l’envieux, fermente le pus épaissi de fiel. Dis-moi, que signifie dans les Catalectes de Virgile[250] cet a celtique, suivi du tau qui n’est pas plus clair, et du min mortel dont un rhéteur fait un si mauvais mélange pour son frère ? Pourquoi le seul mot res pour désigner un empire, un procès, et le coït[251] ? Est-ce un nom étranger ou latin que le mot sil[252] ? Deux bateaux réunis forment-ils un ponton ou un pont ? Virgile a dit sepes dans ses Bucoliques : pourquoi seps dans Cicéron[253] ? Lac est un mot usité et que tout le monde reconnaîtra rien qu’à l’entendre : pourquoi condamner lact, que la raison préfère ? Ce monstre funeste de la Libye, le seps[254], est-il un nom latin ? Si insons désigne un innocent, l’opposé, le coupable, est sons. Pourquoi appelle-t-on un riche du nom de Jupiter Stygien, dis ? D’où vient que le poète de Rudies a dit du ciel : Divum domus altisonum cœl ? Et d’après quelle autorité écrit-il Endo suam do, “dans sa maison” ? ou encore, en parlant de la feuille du peuplier, pourquoi dit-il populea frus ? Mais où vais-je ? Quelle sera la fin, le terme, la limite[255] de cet ouvrage ? Pardonne-moi, Pacatus, toi qui es bienveillant, docte et débonnaire, tous ces vers épars comme la chevelure d’Antiphile. Paix ! [256] XIII. Ausone à Paulus[257], salut. Lis encore, si tu le juges à propos, cet opuscule frivole et sans valeur, qui n’a été ni martelé par le travail, ni limé par l’étude ; où l’on ne trouve ni la vivacité des saillies, ni la maturité de la réflexion. Les premiers qui se sont divertis à ce genre de composition[258], l’appellent centon[259]. C’est un pur travail de mémoire : rassembler des lambeaux épars, et former un tout de ces découpures ; cela peut mériter un sourire plutôt qu’un éloge. Si une telle oeuvre, aux Sigillaria[260], se vendait à l’enchère, Afranius n’en donnerait pas un zeste, et Plaute n’en offrirait pas sa pelure de grenade[261] ; c’est une honte en effet que de prostituer à ce burlesque usage la majesté du vers Virgilien. Mais que faire ? On me l’avait ordonné ; et, par une manière d’injonction plus puissante encore, celui-là m’en priait, qui avait le droit de commander : c’est-à-dire l’empereur très-sacré[262] Valentinien, homme érudit, à mon sens ; lequel un jour s’était ainsi amusé à décrire une noce, en vers habilement choisis[263], ma foi, et disposés avec esprit. Il voulut, dans un défi, éprouver à quel point il nous surpasserait, et il nous demanda une composition semblable sur le même sujet[264]. Si je fus embarrassé, tu le comprends. Je ne voulais ni vaincre, ni paraître vaincu. Aux yeux des autres, je laissais voir une grossière flatterie, si je lui cédais le pas, et c’eût été une impertinence que de m’ériger en rival. J’ai donc accepté en semblant refuser, et j’ai eu le bonheur de conserver sa faveur par ma déférence et de ne pas le blesser par ma victoire. Ce poème, écrit à la hâte en un jour et une nuit, je l’ai retrouvé dernièrement parmi mes brouillons, et telle est ma confiance en ta franchise et ton amitié, que je n’ai pas voulu soustraire, même ces vers ridicules, à ta sévérité. Reçois donc un opuscule où, avec des morceaux décousus, j’ai fait un récit suivi, un tout avec des parties diverses, du burlesque avec des idées sérieuses, et avec le bien d’autrui le mien. Ne t’étonne plus maintenant de voir dans nos livres sacrés et dans nos fables Dionysus et Hippolytus, transformés, l’un en Thyonianus et l’autre en Virbius[265]. Et si tu permets que je t’instruise, toi qui serais mon maître, je vais te définir le centon. C’est un échafaudage poétique construit de morceaux détachés et de divers sens ; on accole deux hémistiches différents pour en former un vers, ou on joint un vers et la moitié du suivant à la moitié d’un autre. Placer deux vers entiers de suite, serait une maladresse ; et trois à la file, une pure niaiserie. On découpe ces lambeaux à toutes les césures admises par le vers héroïque, de manière que la première penthémiméris d’un vers puisse s’en chaîner avec l’anapestique qui en termine un autre, ou la césure du trochée avec une fin de vers, ou sept demi-pieds avec un anapestique chorique, ou avec un dactyle et un demi-pied tout ce qui reste pour l’hexamètre. C’est comme qui dirait le jeu des ostomaties chez les Grecs. Ce sont des osselets qui forment en tout quatorze figures géométriques : il y en a d’équilatérales, de triangulaires, à lignes droites, à angles droits ou obtus ; ou pour parler grec, isocèles, isopleures, orthogones, scalènes. Des divers assemblages de ces osselets se dessinent mille sortes d’images : un éléphant monstrueux, un lourd sanglier, une oie qui vole, un mirmillon sous les armes, un chasseur à l’affût, un chien qui aboie, une tourterelle, un canthare, et un nombre infini d’autres figures qui varient suivant le plus ou le moins d’habileté du joueur. Ces combinaisons, sous une main adroite, tiennent du prodige : un maladroit ne fait qu’un agencement ridicule. Cela dit, tu sauras que je n’ai pu imiter que ce dernier. Le centon est donc une œuvre qui se traite de la même manière que ce jeu. Ce sont des pensées dissemblables qu’on accorde, des phrases adoptives qui ont un air de famille, des mots étrangers qui ne ressortent pas avec trop d’éclat, rapportés sans trahir la gêne, pressés sans déborder outre mesure, décousus sans laisser du vide. Si tout ce qui suit te paraît conforme à ces règles, tu peux dire que j’ai composé un centon. Et comme j’ai fait cette campagne sous les ordres de mon empereur, tu ordonneras que ma paye me soit comptée comme aux soldats en temps de guerre ; sinon, tu me feras casser aux gages, et, cette pile d’hémistiches retombant dans la caisse[266], les vers retourneront d’où ils sont venus. Adieu. Centon nuptial. Écoutez, et que vos esprits me prêtent une attention bienveillante[267], ô vous qui, signalés tous deux par le courage, tous deux par la gloire des armes, florissez tous deux, invincibles dans les combats : toi d’abord, car tu marches sous de plus puissants auspices, on n’en peut douter, vers ta haute destinée, et nul ne montra plus de justice, nul ne fut plus grand par sa piété, par ses exploits ni par ses armes ; toi, et après toi ton fils, autre espoir de la superbe Rome, fleur et vertu de nos anciens héros, le plus tendre objet de mes soins, lui qui a le nom de son ancêtre, mais l’âme et le bras de son père. Vous l’ordonnez, je chante : chacun trouve le prix de son œuvre dans le revers ou le succès. Exécuter vos ordres, voilà mon devoir. Le repas des noces. Le jour désiré paraît, et pour l’heureux hyménée se rassemblent les mères, les pères, et les enfants sous les yeux de leurs parents. On prend place sur des tapis de pourpre. Des esclaves versent l’onde sur les mains des convives, chargent les corbeilles des dons préparés de Cérès, et apportent les grasses entrailles des animaux rôtis. Une longue suite de mets se succèdent : oiseaux et troupeaux s’y trouvent ; la chèvre vagabonde, le mouton, le chevreau pétulant, et le peuple des eaux, et le daim, et le cerf timide. Devant leurs yeux et sous leurs mains sont les fruits savoureux. La faim apaisée et l’appétit satisfait, on apporte de larges coupes, on verse la liqueur de Bacchus. Les chants sacrés résonnent. Les danseurs frappent la terre en cadence : on récite des vers. Le chantre de la Thrace, vêtu d’une longue robe, fait parler en nombres harmonieux les sept voix de la lyre. D’un autre côté la flûte fait entendre sa double mélodie. Tous ensemble ils oublient leurs travaux : puis, quittant la table, ils se lèvent, et se répandent en foule dans les joyeuses galeries ; ils vont, ils viennent, peuple, pères, matrones, enfants ; leurs voix roulent en éclats sous les vastes lambris. Les lustres pendent aux plafonds dorés. Description de la sortie de l’épousée. Enfin se montre celle qui est si digne de la sollicitude de Vénus : déjà mûre pour l’hymen et dans ses pleines années de puberté, elle a les traits et le maintien d’une vierge ; une vive rougeur colore ses joues et court sur son visage qu’elle enflamme. Son œil fixe étincelle, et brûle du regard. Toute la jeunesse, toutes les mères accourues en foule de leurs champs et de leurs demeures, admirent sa démarche et la blancheur de son pied qui effleure la terre, et sa chevelure qu’elle laisse flotter au gré des vents. Elle porte un vêtement que nuance un tissu d’or, parure de la grecque Hélène. Telle la blonde Vénus aime à se découvrir aux yeux des Immortels, telle on la voit paraître : joyeuse, elle se dirige vers sa nouvelle famille et va s’asseoir sur un trône élevé. Description de la sortie de l’époux. D’un autre côté s’avance sons les hauts portiques le jeune époux dont un premier duvet ombrage à peine le visage. Il porte et la chlamyde brodée d’or où serpente en double méandre la bordure circulaire de pourpre de Mélibée, et la tunique que sa mère a tissue de fils d’or. Il a les traits, les épaules d’un dieu, et l’éclat de la jeunesse. Tel, baigné des eaux de l’Océan, Lucifer dresse vers le ciel son front sacré ; tel il paraît, levant le front et les yeux. Dans son transport il s’élance vers le seuil ; embrasé d’amour, il attache ses lèvres sur les joues de la jeune vierge, y cueille un baiser, et la presse longtemps entre ses bras. Offre des présents. Des jeunes gens arrivent, chargés des présents qu’ils mettent sous les yeux de chaque famille : un manteau hérissé d’or et de broderies, d’autres cadeaux, des talents d’or et d’ivoire, un siège, un voile que l’acanthe a nuancé des reflets du safran, une nombreuse argenterie pour les tables, un collier de perles, et une couronne où l’or s’enlace aux pierreries. On donne à l’épousée une esclave avec ses deux enfants à la mamelle : à son époux quatre jeunes garçons et autant de jeunes vierges ; tous ont, suivant l’usage, les cheveux rasés, et une chaîne d’or, dont les replis s’enroulent autour de leur cou, retombe sur leur poitrine. Épithalame en l’honneur de l’un et de l’autre. Alors les mères, avec un zèle empressé, conduisent la jeune fille au logis. Pendant ce temps les jeunes garçons avec les vierges de leur âge, s’amusent à répéter en chœur des chants rustiques, et récitent des vers. “Compagne d’un héros digne de toi, gracieuse épousée, sois heureuse, aux jours où tu connaîtras les premiers travaux de Lécine, où tu seras mère. Prends une coupe de vin de Méonie. Mari, jette des noix, entoure l’autel de bandelettes ; fleur et vertu de tes ancêtres, on t’amène une épouse : elle passera, comme tu le mérites, sa vie entière auprès de toi, et te rendra père d’enfants beaux comme elle. Couple fortuné ! Si les dieux justes le permettent, vivez heureux ! “Courez !” ont dit à leurs Fuseaux les Parques d’accord avec l’ordre immuable des destins.” Entrée dans la chambre à coucher. Arrivés enfin sous les voûtes de pierre de la chambre nuptiale, ils se livrent en liberté à de doux entretiens : ils se rapprochent, enlacent leurs mains et se placent sur la couche. Mais Cythérée, et Junon qui préside à l’hymen, sollicitent des exploits nouveaux, et les excitent à commencer des combats inconnus. L’époux échauffe la jeune fille de ses tendres caresses, et soudain embrasé de cette flamme accoutumée du lit conjugal : “Ô vierge, beauté nouvelle pour moi, gracieuse compagne, tu es enfin venue, toi mes seules délices, si longtemps attendues ! Ô douce compagne, ce n’est point sans la volonté des dieux que ce bonheur nous arrive : pourras-tu combattre un amour qui te plaît ?” Il dit, elle le regarde et détourne la tête : elle hésite craintive, elle sent le trait qui la menace, elle tremble. Incertaine entre la peur et l’espérance, elle lui adresse ces paroles : “Par toi, par ceux qui t’ont donné la vie, ô bel enfant, je t’en conjure ; je ne te demande qu’une nuit encore, que cette seule nuit. Console une pauvre fille, aie pitié de sa prière. Je succombe, la langue me manque, mon corps ne trouve plus sa force accoutumée, ma voix et mes paroles expirent” Mais lui : “Ce sont là de vains prétextes et d’inutiles détours !” et il renverse tous les obstacles et brise les liens de la pudeur. Digression. Jusqu’ici, pour me faire entendre des chastes oreilles, j’ai voilé ces mystères de circonlocutions et de mots détournés. Mais comme la solennité du mariage aime les fescennins, et que cette fête, connue par l’antiquité de son institution, admet la licence dans les paroles, je vais révéler les autres secrets de la chambre et du lit, et je les tirerai du même auteur, afin d’avoir deux fois à rougir, en faisant ainsi de Virgile un libertin. Vous, si vous le voulez, suspendez ici votre lecture, et laissez le reste aux curieux. La défloration. Ils se rapprochent, seuls et dans l’ombre de la nuit : Vénus leur donne de l’ardeur ; ils essayent des combats nouveaux pour eux. Il se lève et se dresse : elle s’efforce en vain de lui résister : il s’attache à ses joues, à ses lèvres, et, tout brûlant, du pied lui presse le pied. Mais le traître vise plus haut. Une verge se dérobait sous son vêtement, la tête nue et rouge comme le vermillon, comme la baie sanglante de l’hièble. Quand leurs pieds sont entrelacés, il tire de sa cuisse ce monstre horrible, informe, démesuré, privé de la vue, et se jette avec feu sur sa tremblante victime. Dans un réduit, où mène un étroit sentier, s’ouvre une fente chaude et luisante : de ses profondeurs s’exhale une vapeur impure ; nul homme chaste ne doit pénétrer dans ce coupable lieu. C’est une caverne horrible, un gouffre ténébreux qui vomit des exhalaisons dont l’odeur blesse les narines. Le jeune héros s’y porte par des routes connues, et, pesant sur le ventre et rassemblant ses forces, il y plonge, sa javeline noueuse et d’une dure écorce. Elle s’y enfonce et s’abreuve à longs traits d’un sang virginal. Les cavités retentirent et les cavernes rendirent un long gémissement. Elle, d’une main mourante, veut arracher le trait ; mais, à travers les os pénétrant les chairs vives, le dard se fixe dans la blessure. Trois fois avec effort elle se soulève appuyée sur le coude, trois fois elle retombe sur sa couche. Lui, rien ne l’émeut, rien ne l’étonne : il ne connaît ni trêve ni repos ; il s’acharne, tient ferme et n’abandonne jamais son clou. Les yeux tournés vers le ciel, il va et revient dans ce ventre qu’il ébranle, perce les côtes et les meurtrit de sa dent d’ivoire. Bientôt enfin ils arrivent tous deux au bout de la carrière : fatigués, ils atteignent le but. Leur haleine pressée agite leurs flancs et leurs lèvres arides : la sueur ruisselle de leurs membres. Le héros se pâme et succombe : de l’engin le virus découle. Que cela te suffise, mon Paulus ; c’est assez d’une page libertine, Paulus ; je ne veux pas badiner davantage. Mais, quand tu m’auras lu, défends-moi contre ces gens dont parie Juvénal : Qui font les Curius et vivent en Bacchantes, pour qu’ils ne jugent[268] pas de mes mœurs par mes vers. Libres sont nos écrits, mais notre vie est pure, comme dit Pline[269]. Qu’ils se souviennent donc, car je les suppose érudits, que Pline, cet écrivain si estimé, était libre dans ses poésies, mais châtié dans ses mœurs. La luxure chatouille les vers de Sulpitia[270], l’austérité plisse son front. Apulée, qui vécut en philosophe, parle en amoureux dans ses épigrammes. Sévère en tous ses préceptes, Cicéron laisse percer le badinage dans ses lettres à Cérellia[271]. Le Banquet de Platon contient des vers sur les adolescents[272]. Parlerai-je d’Annianus et de ses fescennins[273] ? Du vieux poète Lévius et de ses livres d’Érotopégnies[274] ? D’Evenus[275] que Ménandre appelait le Sage ? De Ménandre lui-même[276] ? De tous les comiques enfin, qui avaient des mœurs sévères et s’égayaient dans leurs écrits ? Citerai-je encore celui qu’on a nommé la Vierge[277] à cause de sa pudeur ? Au huitième livre de son Énéide, quand il décrit les amours de Vénus et de Vulcain, n’a-t-il pas mêlé, décemment il est vrai, la volupté à la pudeur ? Et au troisième livre de ses Géorgiques, à propos des accouplements dans le troupeau, a-t-il voilé d’une chaste périphrase une définition obscène ? Si donc quelqu’un de ces hommes aux dehors sévères, s’avisait de condamner nos gaillardises, qu’il sache qu’elles sont empruntées à Virgile. Ainsi, celui qui n’aime pas ce badinage, ne doit pas le lire ; s’il l’a lu, qu’il l’oublie ; et, s’il ne peut l’oublier, qu’il l’excuse. Car enfin il s’agit d’une noce ; et, qu’il le veuille ou non, cette cérémonie-là ne se fait pas autrement. XIV. Les roses[278]. C’était au printemps : la douce haleine du matin et sa piquante fraîcheur annonçaient le retour doré du jour. La brise froide encore, qui précédait les coursiers de l’Aurore, invitait à devancer les feux du soleil. J’errais par les sentiers et les carrés arrosés d’un jardin, dans l’espoir de me ranimer aux émanations du matin. Je vis la bruine peser suspendue sur les herbes couchées, ou retenue sur la tige des légumes ; et, sur les larges feuilles du chou, se jouer les gouttes rondes et lourdes encore de cette eau céleste. Je vis les riants rosiers que cultive Paestum briller humides au nouveau lever de Lucifer. Çà et là, sur les arbrisseaux chargés de brouillards, luisait une blanche perle qui devait mourir aux premiers rayons du jour[279]. On doute si l’Aurore emprunte aux roses son éclat vermeil, ou si le jour naissant donne à ces fleurs la nuance qui les colore[280]. Même rosée, même teinte, même grâce matinale à toutes deux ; car l’étoile et la fleur ont pour reine Vénus : même parfum peut-être mais le parfum de l’une se dissipe dans les hautes régions des airs[281] : plus rapproché, on respire mieux le parfum de l’autre. Déesse de l’étoile et déesse de la fleur, la divinité de Paphos a voulu leur donner à toutes deux la couleur de la pourpre. Le moment était venu où les germes naissants de ces fleurs allaient se développer en même temps. L’une verdoie couverte encore d’un étroit chapeau de feuilles : l’autre se nuance déjà d’un rouge filet de pourpre. Celle-ci commence à découvrir la cime effilée de son haut obélisque, et laisse poindre sa tête empourprée : celle-là déploie le voile étendu sur son front, avide déjà de faire compter ses feuilles nombreuses ; et sans plus attendre elle étale les richesses de son riant calice, et livre au jour la poussière dorée qu’il renferme. Une d’entre elles, qui rayonnait naguère de tous les feux de sa chevelure, pâlit abandonnée de ses feuilles qui tombent. J’admirais les rapides ravages du temps dans sa fuite, et ces roses que je voyais éclore tout ensemble et vieillir[282]. Et voici que la chevelure empourprée de la fleur radieuse se détache au moment où je parle, et la terre brille jonchée de sa rouge dépouille. Et toutes ces formes, toutes ces naissances, toutes ces transformations variées, un seul jour les produit, un seul jour les enlève. Nous nous plaignons, nature, que la beauté des fleurs soit fugitive : les biens que tu nous montres, tu les ravis aussitôt. La durée d’un jour est la durée que vivent les roses : la puberté pour elles touche à la vieillesse qui les tue. Celle que l’étoile du matin a vue naître, à son retour le soir elle la voit flétrie. Mais tout est bien : car, si elle doit périr en peu de jours, elle a des rejetons qui lui succèdent et prolongent sa vie. Jeune fille, cueille la rose, pendant que sa fleur est nouvelle et que nouvelle est ta jeunesse, et souviens-toi que ton âge est passager comme elle[283]. XV. Imité du grec[284] ; d'après les Pythagoriciens : sur l’incertitude où l'on est de choisir un état. Quel chemin prendre en cette vie ? si le forum est rempli de tumulte ; si le logis est tourmenté par les soucis ; si le regret du logis suit le voyageur ; si le marchand a toujours de nouvelles pertes à attendre, et si la honte de la pauvreté lui défend le repos ; si le travail accable le laboureur ; si d’horribles naufrages rendent la mer tristement célèbre ; si le célibat est un fardeau et un supplice ; si la surveillance, autre fardeau qu’un mari prudent s’impose, est inutile ; si les travaux de Mars nous coûtent tant de sang ; si le prêt à intérêts n’a que de honteux profits, et si l’usure n’est qu’un moyen rapide de tuer le pauvre ! Toute vie a ses peines, nul n’est content de son âge. L’être faible qu’on allaite encore, est privé de raison ; l’enfance a de rudes apprentissages, et la jeunesse de folles témérités : la fortune expose l’homme mûr, dans les combats et sur mer, à la haine, à la trahison, à tout cet enchaînement de périls qui se succèdent et s’aggravent sans cesse : enfin, la vieillesse, si longtemps attendue, appelée par tant de vœux imprudents, livre le corps en proie à des infirmités sans nombre. Tous, ici-bas, nous méprisons le présent : il est certain pourtant que plusieurs n’ont pas voulu devenir dieux. Juturne se récrie : “Pourquoi m’avoir donné une vie éternelle ? Pourquoi ai-je perdu le droit de mourir ?[285]” Ainsi sur les rochers du Caucase, Prométhée accuse le fils de Saturne, il interpelle Jupiter qu’il nomme, et ne cesse de lui reprocher l’immortalité qu’il a reçue de lui. Considère maintenant les qualités de l’âme. Le malheureux souci qu’il eut de sa pudeur a perdu le chaste Hippolyte. Un autre, au contraire, aime à passer sa vie dans les souillures de la volupté ; qu’il songe aux supplices des rois criminels, de l’incestueux Térée ou de l’efféminé Sardanapale. Les trois guerres Puniques sont une leçon qui dégoûte de la perfidie ; mais Sagonte vaincue défend de garder la foi jurée. Vis et cultive toujours l’amitié : criminelle maxime, qui fit périr Pythagore et les sages de sa docte école[286]. Crains donc un pareil sort, n’aie point d’amis : maxime plus criminelle encore, qui fit autrefois lapider Timon dans Athènes la Palladienne. L’esprit, toujours en butte à des désirs contraires, n’est jamais d’accord avec lui-même. L’homme veut, ce n’est point assez ; il rejette ce qu’il a voulu. Les dignités lui plaisent, puis lui répugnent : afin de pouvoir commander un jour, il consent à ramper ; parvenu aux honneurs, il est exposé à l’envie. L’éloquence coûte bien des veilles, mais l’ignorance vit sans gloire. Sois patron, défends les accusés ; mais la reconnaissance d’un client est rare. Sois client ; mais l’empire du patron te pèse. L’un est tourmenté du désir d’être père, et son vœu n’est pas accompli, que d’âpres soucis lui surviennent[287]. D’un autre côté, on méprise le vieillard sans enfants, et celui qui n’a pas d’héritiers est la proie des captateurs d’héritages. Mène une vie économe, on te déchirera du reproche d’avarice : un autre est prodigue, il encourt une censure plus grave encore. Toute cette vie n’est qu’une lutte de hasards contraires. Aussi cette pensée des Grecs est bien sage : ce serait, disent-ils, un bonheur pour l’homme de ne point naître, ou de mourir aussitôt qu’il est né. XVI. Sur l’homme de bien, d’après la doctrine de Pythagore. L'homme de bien, le sage, qu’Apollon consulté eut peine à découvrir entre plusieurs milliers d’hommes, est son propre juge et passe l’ongle sur toutes ses actions. Sans souci de l’opinion des grands et des vains discours du vulgaire, il est comme le globe du monde, arrondi et ramassé eu lui-même pour que nulle souillure extérieure ne s’attache à sa surface lisse. Tant que dure le jour sous le signe du Cancer, tant que la nuit se prolonge sous le tropique du Capricorne, il s’examine, il se pèse au plateau d’une juste balance : rien de moins, rien de trop ; il faut que l’angle se forme de lignes égales, que le niveau ne dévie pas, que tous les contours soient solides, et que le son produit sous le doigt qui les frappe n’annonce pas du vide. Jamais le doux sommeil n’appesantit ses yeux, avant qu’il n’ait repassé tous les actes de sa longue journée. “Ai-je en quelque chose été trop loin ? Qu’ai-je fait à propos, ou à contretemps ? Pourquoi nulle dignité dans cette action, nulle raison dans cette autre ? Qu’ai-je oublié ? Pourquoi cette résolution a-t-elle prévalu, quand il eût mieux été d’en changer ? J’ai eu pitié du pauvre ; pourquoi ai-je senti quelque douleur en mon âme brisée ? Pourquoi ai-je voulu ce qu’il était bien de ne pas vouloir ? Pourquoi ai-je à tort préféré l’utile à l’honnête ? Ai-je d’un mot ou d’un regard blessé quelqu’un ? Pourquoi obéir à la nature plutôt qu’au devoir ?” Entrant ainsi dans l’examen de toutes ses paroles et de toutes ses actions, et repassant tout depuis le lever jusqu’au coucher du soleil, il condamne le mal, et donne la palme et le prix au bien. XVII. Le Oui et le Non des Pythagoriciens[288]. Oui et non, tout le monde emploie ces monosyllabes connus : supprimez-les, et le langage humain n’a plus sur quoi rouler. Tout est là, tout part de là, affaire ou loisir, agitation ou repos. Quelquefois l’un ou l’autre de ces deux mots échappe en même temps à deux adversaires, souvent aussi on les oppose l’un à l’autre, suivant que la dispute rencontre des esprits d’humeur facile ou difficile, Si on s’accorde, arrive sans délai : Oui, oui. Si on se contredit, le dissentiment réplique : Non ! De là les clameurs qui éclatent au forum ; de là les querelles furieuses du cirque, et les séditions pour rire des gradins du théâtre, et les discussions qui agitent le sénat. Les époux, les enfants et les pères se renvoient ces deux mots dans ces débats pacifiques dont leur mutuelle affection n’a point à souffrir. Les disciples réunis d’une même école les lancent aussi dans la tranquille mêlée de leurs controverses dogmatiques. De ces deux mots, toutes les chicanes de la tourbe des philosophes dialecticiens. “La lumière existe ; donc il fait jour.” Non pas : ceci n’est pas juste. Car de nombreux flambeaux ou des éclairs, la nuit, produisent la lumière, mais ce n’est pas la lumière du jour. Ainsi, toujours oui et non car, il faut en convenir, oui c’est la lumière ; non ce n’est pas le jour. Et voilà la source de mille disputes ! Voilà pourquoi quelques hommes, plusieurs même, méditant sur de telles questions, étouffent leurs murmures, et dévorent leur rage en silence. Quelle vie que la vie de l’homme, agitée ainsi par deux monosyllabes ! XVIII. Sur l’âge des animaux, d’après Hésiode[289]. Deux fois trois ans ajoutés à neuf fois dix autres complètent la juste durée de la vie des hommes. La corneille bavarde vit neuf fois davantage ; le cerf dépasse de quatre siècles la corneille ; le corbeau l’emporte de trois siècles sur le cerf aux pieds ailés ; l’oiseau qui renaît de lui-même, le phénix, compte neuf fois plus d’années encore, et dix fois au delà s’étend la durée de votre âge, nymphes hamadryades ; car votre vie est la plus longue. Telles sont les bornes où se renferment les jours et la destinée des animaux. Dispensateur des âges inconnus, Dieu sait quels espaces de temps Stilbon et Phénon doivent parcourir ; quelles révolutions ont à décrire Pyroïs et Jupiter aux feux bienfaisants[290] ; en quels cercles rapides tournera la belle Vénus, et quelle durée est fixée aux travaux de Titan et de Phébé, jusqu’à l’accomplissement de la Grande année[291], jusqu’à l’époque où les astres errants, revenus à leur point de départ, reprendront la place qu’ils occupaient à la création du monde. XIX. Monostiques sur les travaux d’Hercule. Le premier de ces travaux écrasa le lion de Cléones ; le suivant abattit par le fer et le feu l’hydre de Lerne ; le troisième coup frappa le sanglier d’Érymantbe ; le quatrième enleva les cornes d’or du cerf aux pieds d’airain ; un cinquième combat mit en fuite les oiseaux du Stymphale[292] ; le sixième dépouilla de son baudrier l’Amazone de Thrace ; le septième s’accomplit dans les étables d’Augias. On compte comme la huitième gloire l’expulsion du taureau, et comme la neuvième, la victoire sur les chevaux de Diomède. L’Ibérie accorde la dixième palme au meurtre de Géryon. Un onzième triomphe ravit les pommes des Hespérides. Cerbère fut le dernier et le terme suprême de ces travaux. XX. Découvertes et attributions des Muses[293]. Clio chante les exploits et rend la vie au passé. Melpomène déclame sa douleur en hurlements tragiques. La comique Thalie aime un langage effronté. Euterpe de son souffle anime la flûte aux doux accords. Terpsichore, avec la cithare, éveille, commande, développe les passions. Érato porte la lyre : elle danse du pied, du chant, du visage. Calliope confie aux livres des accents héroïques. Uranie étudie les mouvements du ciel et les astres. Polyhymnie désigne tout de la main, et son geste est un langage. L’âme et la verve d’Apollon inspirent toutes ces Muses assis au milieu d’elles, il réunit en lui seul tous leurs mérites.
[1] L'Idylle aujourd'hui est un poème bucolique. Dans l'antiquité, le mot εἰδύλλιον, dilinutif de εἴδος, désignait toute espèce de petit poème sur un sujet quelconque. C'est dans ce sens qu'on a appliqué le mot Edyllia à cette partie des œuvres d'Ausone. Pline le Jeune, envoyant à Paternus des hendécasyllabes sur différents sujets, lui dit (liv. IV, lett. 14) : Proinde, sive epigrammata, sive idyllia, sine eclogas, sive, ut multi, poematia, seu quod aliud vocare malueris, licebit votes : ego tantum hendecasyllabos prœsto. Il semble que les éditeurs d'Ausone aient eu sous les yeux ce passage, et qu'ils se soient amusés, dans le classement de ses poésies, à épuiser la liste des synonymes de Pline ; car nous avons vu les Epigrammata, voici les Idyllia, nous verrons plus loin l'Eclogarium. [2] Cette pièce, dans quelques anciennes éditions, était intitulée : Versus in Dominicam resurrectionem. Scaliger préféra l'autre titre qui se trouvait dans un manuscrit de Lyon, mais sans expliquer d'une manière satisfaisante le mot procodicti. Il faut lire , selon lui, Proclo dicti, parce que, dit-il, ce nom de Proclus est fort commun parmi les personnages de cette époque ; mais Souchay fait observer que ces Proclus sont ou antérieurs ou postérieurs à Ausone. On trouve parmi les amis d'Ausone un Proculus (Epigr., XXXIV, et Epigr. in fast., III. Voir les notes sur ces épigrammes ; Souchay n'en parle pas. J.-A. Fabricius (Biblioth. lat., lib. III, c. 10, p. 142 de l'éd. d'Ernesti) propose a proconsule dicti ; mais Ausone n'a jamais été proconsul. Scaliger, qui prétend qu'après son consulat, Ausone s'en alla en Orient pour y être vicaire du diocèse d'Asie et proconsul, l'a confondu à tort avec Auxonius et le fils de cet Auxonius. Bayle (Dict. hist., art. Ausone, note F) et Souchay (Dissert. de vita et script. Ausonii, p. 18) en font la remarque (*), et ce dernier pense qu'il faut lire Probo dicti. Il s'agirait, selon lui, de Sext. Petr. Probus, auquel Ausone adresse la lettre XVC. J'oserai, après tant d'autres, risquer aussi une conjecture. Je crois qu'il faut écrire pro co. dicti, ou pro consulibus dicti, « vers prononcés au nom des consuls. » Cette pièce porte sa date avec elle : il est certain, par les huit derniers vers, qu'elle fut composée quelque temps après que Valentinien Ier eut partagé le pouvoir avec Valens son frère, et Gratien son fils, c'est-à-dire lors de l'arrivée d'Ausone à la cour, en 367 ou 368. Or, en 368, les consuls étaient Valentinien et Valens. Mais Valens étant en Orient, et Valentinien ne voulant pas ou ne pouvant pas paraître aux solennités de Pâques, le poète se sera chargé d'excuser leur absence, et aura fait ce poème en leur nom. Les cinq premiers vers de cette pièce viennent à l'appui de cette opinion. Le poète dit que ceux au nom desquels il parle peuvent se dispenser d'assister aux cérémonies extérieures de l'Église, parce qu'ils adorent Dieu en esprit. Il est évident que c'est là une espèce de justification. Ausone donc, saisissant cette circonstance qui lui permettait aussi de parler en son nom, en aura profité pour se mettre dès l'abord en paix avec l'Église en faisant bégayer à sa muse païenne de rhéteur les premiers dogmes de la foi catholique, et pour gagner la faveur et l'amitié des empereurs dont il amène adroitement l'éloge à la fin de cette pièce. (*) Cette conjecture de Scaliger, qui, avant Bayle et Souchay, avait été rectifiée déjà par Rubenius (in Vita Mallii Theodori), et qui avait disparu des Biographies, se trouve reproduite dans un ouvrage tout récent, le Dictionnaire universel d'histoire et de géographie de M. Bouillet. Il est fâcheux qu'un livre adopté par l'Université, et destiné, sous l'autorité du nom recommandable de son auteur, à être répandu dans les collèges, renferme encore de pareilles erreurs. [3] Le dédain et la raillerie percent sous les formes respectueuses de cette poésie officielle. Ausone laisse dévotement jeûner les prêtres et les fidèles ; car, dit saint Jérôme dans une lettre à saint Paulin : Plenus venter facile de jejuniis disputat. [4] Il a dit à peu près de même dans son Action de grâces, en s'adressant à Dieu : Qui templa tibi et aras penetralibus initiatorum mentibus condidisti. Ces passages nous donnent la mesure de la foi de Valentinien, d'Ausone et de la plupart des grands personnages de cette époque, qui, chrétiens par nécessité ou par intérêt, avaient trouvé une manière facile d'adorer Dieu, et, abusant de cette pensée chrétienne de saint Paul (Ire Épître aux Corinth., c. III, v. 16). Nescitis quia templum Dei estis, exprimée aussi par saint Jérôme dans la lettre que je viens de citer : Verum Christi templum anima credentis est, s'étaient fait des temples et des autels au fond du cœur, pour ne point aller aux temples et aux autels publics, et se conserver neutres entre les diverses croyances. [5] Valentinien Ier, qui fit Augustes Valens son frère, en 364, et Gratien son fils, en 367, comme nous venons de le dire, et comme Ausone le dit ici lui-mime : qui fratrem natumque, etc. [6] Ce mot signifie un éloge funèbre. C'est en grec ce qu'est la Nœnia en latin. Servius, dans son commentaire sur Virgile (Ecl. V, 14), dit que l'épicède différait de l'épitaphe, en ce que l'épitaphe se prononçait après, et l'épicède avant la sépulture. [7] Il parle de l'éloge. Il a dit (Professeurs, XXV, 5) : Viventum illecebra est laudatio. [8] La plupart des éditions portent hos. J'ai rétabli hoc d'après un manuscrit cité par Vinet. [9] Cet éloge n'est pas une flatterie de la tendresse filiale ; il est confirmé par Marcel l'Empirique, qui vivait un siècle plus tard, et fut maître des offices sous Théodose le Grand. Dans la préface du livre où il recueillit pour ses enfants tous les remèdes connus à cette époque, il nomme Ausonius parmi les plus illustres médecins auxquels il emprunte ces remèdes : Nec solum veteres medicinœ artis authores Latino duntaxat sermone perscriptos (cui rei operam uterque Plinius, et Apuleius, et Celsus, et Apollinaris, ac Designatianus, aliique nonnulli etiam proximo tempore inlustres honoribus viri, cives ac majores nostri, Siburius, Eutropius, atque Ausonius, commodarunt) lectione scrutatus sum, sed etiam ab agrestibus et plebeiis remedia fortuita atque simplicia, quœ experimentis probaverunt, didici. Plus loin, au chap. XXV du même recueil, il cite pour guérir la goutte, un moyen infaillible employé par Ausonius sur lui-même et sur beaucoup d'autres : Incredibile et unicum remedium ischiadicis et arthriticis hoc est, quo et ipse Ausonius medicus sanatus est, et multos ita jacentes ut movere se sine cruciatu nequirent, intra quinque dies stare, ambulare autem intra septem dies fecit. Conficitur sic, etc. Suit la manière de composer et d'administrer ce remède. [10] Le sénat de Bordeaux et celui de Rome, selon Vinet et Fleury, qui pensent qu'Ausonius, pour être élevé à la préfecture d'Illyrie, avait du préalablement être nommé citoyen et sénateur romain. Souchay croit qu'il s'agit plutôt du sénat de Bazas que de celui de Rome, et que Bordeaux, et Bazas, ville natale de ce médecin, avaient voulu le récompenser par cette dignité sénatoriale des services qu'elles avaient reçus de lui. [11] On peut voir, sur la triste condition des curiales et sur les lourdes charges qui pesaient sur eux, l'Histoire de la civilisation en France, par M. Guizot, deuxième leçon, et l'Histoire des institutions Mérovingiennes, de M. Lehuërou, p. 145. Ausonius, qui devait sans doute cette dignité au crédit de son fils et aux bontés de Gratien, était, par sa profession, exempté des charges qu'elle entraînait. Deux édits de Constantin, rendus en 321 et 333, et confirmés, en 370, par Valentinien (Code Théod., liv. XIII, tit. 3, l. 1, 3 et 10), dispensent les médecins et les professeurs des charges municipales, tout en leur permettant d'arriver aux honneurs. — Voir l'Appendice en fin de ce volume (nos I, II et III). [12] L'étude de la médecine avait dû, en effet, lui rendre la langue grecque plus familière. [13] Il suivait ainsi l'exemple d'Hippocrate, mais il paraît qu'il n'avait pas beaucoup d'imitateurs, et que les pauvres même n'obtenaient pas facilement des médecins des secours gratuits ; car une loi de Valentinien adressée à Pretextatus le 30 janvier 368 (Code Théod., liv. XIII, tit.. 3, l. 8), force Rome d'entretenir à ses frais un médecin pour les pauvres, avec ordre à ce médecin de n'accepter que ce qu'on lui offrira après la guérison, et non ce qu'on lui aura promis pendant la maladie : Honeste obsequi tenuioribus malint, quam turpiter servire divitibus. Quos (archiatros) etiam ea patimur accipere quœ sani offerunt pro obsequiis, non ea quœ periclitantes pro salute promittunt. [14] « C'est-à-dire, si je ne me trompe (c'est Bayle qui parle), qu'il faisait une bonne action parce qu'elle était bonne, et non pas afin de se conformer aux lois. » [15] Voir la Notice, en tête du premier volume. [16] C'est pour le besoin de son vers et peut-être aussi de son amour-propre, qu'Ausone nomme ici la Libye ; car l'Afrique faisait partie de la préfecture d'Italie. [17] Hesperius et Thalassius , qui furent proconsuls d'Afrique. — Voir la Notice. [18] Julia Dryadia, sœur d'Ausone, et femme de Pomponius Maximus. — Voir Parentales, XII. [19] Julia Dryadia, soeur d'Ausone, eut deux fils, Pomponius Maximus Herculanus, mort avant de s'être rendu célèbre (Parentales, XVII ; Professeurs, XI), et Arborius, qui épousa Veria Liceria (Parentales, XVI). C'est de ce dernier, sans doute, qu'il est ici question. Tillemont (Hist. des Emp., t. V, p. 164 et 187 ; Mém. ecclés., t. X, p. 320), les Bénédictins (Hist. littér. de la France, t. I, 2e partie, p. 98), et Souchay dans ses notes, croient que cet Arborius est le même que celui qui fut préfet de Rome en 380. S'il faut ajouter foi à Sulpice Sévère (De B. Martini vita, c. XX ; Dial., III, c. 14), ce préfet guérit sa fille de la fièvre en lui appliquant sur la poitrine une lettre de saint Martin. Il fut si frappé de ce miracle, qu'il voua sur-le-champ cette fille à Dieu, et lui imposa une virginité perpétuelle. Il voulut que ce fût saint Martin lui-même qui la consacrât. Arborius assurait aussi qu'il avait vu une fois, pendant la célébration du sacrifice divin, la main de saint Martin tout éclatante de pourpre et de lumière, comme si elle eût été chargée de pierreries, et que, quand cette main remuait, il avait entendit comme le cliquetis de ces pierreries. Voilà enfin un vrai croyant dans la famille d'Ausone. Je ferai remarquer seulement qu'Ausone donne un fils et non une fille à son Arborius (Parentales, XVI, 11 et 12), et il s'exprime de manière à montrer clairement que Veria Liceria, en mourant, ne laissait pas d'autre enfant à Arborius. Il est donc fort douteux que l'Arborius de Sulpice Sévère soit le même que le neveu d'Ausone, ce que, du reste, Tillemont s'était gardé d'affirmer. [20] Paulinus, mari de Mégentira (Parentales, XXIV). Voir la Notice. [21] Le nom de ce petit-gendre de Julia Dryadia est inconnu. Il avait épousé, ou Dryadia dont il est question dans la pièce XXIII (v. 9 et 10) des Parentales, et qui mourut toute jeune, presque aussitôt après son mariage, raptam thalami de sede, ou un des deux enfants qui restaient encore à la sœur d'Ausone quand le poète pleurait la mort des deux premiers (v. 19 et 20 de la même pièce). [22] Cette espèce de préface, qui, selon Fleury, n'est pas d'Ausone, était intitulée dans le manuscrit de Lyon : Incipit de prœdiolo prœfatio in prosa. [23] Ausone quitta Trèves et la cour et revint à Bordeaux après la mort de Gratien, probablement vers 383. [24] C'est-à-dire qu'Ausone improvisa ces vers avec la facilité de Lucilius, qui, selon Horace (Serm., lib. I, sat. 4, v. 9):
.
. . . . . . . . . . . In hora sæpe ducentos, Ut magnum, versus dictabat, stans pede in uno. Mais cette facilité entraîna Ausone un peu trop loin. « L'idylle qui a pour titre Villula, dit M. Demogeot (Études hist. et littér. sur Ausone, p, 54), est sans doute fort courte, mais elle a encore dix vers de trop : sans ces vers, où le goût du rhéteur vient refroidir l'inspiration du poète, cette pièce serait un petit chef-d'œuvre de sentiment et de délicatesse, qu'on croirait dérobé aux tablettes d'Horace. » [25] La Garonne, selon Vinet et Fleury. Le père d'Ausone étant de Bazas, on suppose que cette petite campagne était dans le voisinage de cette ville. [26] Voir sur Hesperius, la Notice. [27] Il se nommait Ausonius, comme son grand-père, ainsi que le poète va le dire lui-même (v. 36). Quant à sa mère, la fille d'Ausone, elle n'est nommée nulle part. — Voir la Notice et la première note de la pièce XIV des Parentales. [28] Ces vers sont tires de Térence, Eunuque, acte II, sc. 3 , v. 21. [29] La discipline des écoles gauloises était fort sévère, et il est assez plaisant de voir le professeur Ausone, devenu vieux, recommander les distractions et les passe-temps à un écolier. Il paraît, du reste, que tous les étudiants de cette époque n'attendaient pas cette recommandation ; car, en 370, c'est-à-dire quelques années seulement avant la composition de ce poème, une loi de Valentinien (Cod. Théod., liv. XIV, t. 9, l. 1), conseillée peut-être par Ausone, qui était à la cour, défend aux écoliers de Rome, sous les peines les plus rigoureuses, de se livrer avec trop d'ardeur au divertissement des spectacles et des festins. Cette loi, qui nous fait connaître les mœurs des étudiants, est assez curieuse à rapprocher de ces vers d'Ausone, qui ne nous donnent que le portrait des maîtres. Elle se trouve dans l'Appendice de ce volume (n° IV). [30] Requie (v. 4). Forme ancienne du génitif pour requiei, comme dans Virgile (Géorg., l. I, v. 208) die pour diei. Ausone s'est plusieurs fois permis cette licence. Les anciens disaient aussi dies et dii pour diei. On peut consulter là-dessus un chapitre curieux d'Aulu-Gelle (l. IX, c. 14) et le Valesiana, p. 133. [31] De σχολή, loisir. Les Latins disaient ludus dans le même sens. [32] Ausone conseille ici à l'enfant de ne point s'effrayer du maître et de la férule. Martial, avant lui (Epigr., l. X, ep. 62), invitait le maître à se faire aimer de ses élèves et à ne point les effaroucher de son sceptre :
Ludi
magister, parce simplici turbæ : Cette comparaison de la férule à un sceptre semble avoir inspiré les vers suivants d'un sonnet de Joachim du Bellay :
.
. . . . . Un pedant et un roi
Ne
te semblent-ils pas avoir je ne sais quoi [33] Voir la première note de la pièce XIV des Parentales. [34] Thalassius, proconsul d'Afrique en 377 et 378. [35] Hesperius, préfet des Gaules en 378, 379 et 380. [36] Au temps d'Ovide déjà (Trist., l. II, v. 369), Ménandre, malgré la licence de ses écrits, était mis entre les mains des enfants :
Fabula
jucundi nulla est sine amore Menandri,
Et
solet hic pueris virginibusque legi. Ovide semble dire que les professeurs le lisaient eux-mêmes à leurs élèves, et plusieurs commentateurs l'ont pensé ainsi. M. Weichert (Poet. Latin. reliquiœ, p. 37, note) n'est pas de cet avis. Cependant voici Ausone, un professeur, un grand-père, qui en prescrit formellement la lecture à son petit-fils. [37] Selon Turnèbe (Advers., l. X, c. 12), innumeros signifie la prose et numeros les vers. Scaliger, Fleury et Souchay disent qu'Ausone désigne par ces mots les vers de Ménandre, les vers de la comédie, qui sont des vers, numeri, et, qui n'en ont pas l'air, innumeri. Mais Ausone, qui vient de nommer des poètes, enseigne ici l'art de les lire, et il parle d'Homère aussi bien que de Ménandre. J'ai donc suivi l'opinion de Barth, qui distingue ainsi ces mots, in numeros numeros, et qui pense qu'Ausone recommande de lire les vers de manière à faire sentir la mesure sans pourtant les chanter ni les parler, nec plane canas, nec prorsus loquare, sed intermedio quodam sono numeros poeticos serves in pronuntiando. Laurent van Santen, qui cite ces vers dans ses notes sur Terentianus Maurus (v. 1633, p. 165), les a compris de même. [38] Les comédies et les tragédies. Le socque était, comme on sait, la chaussure des acteurs de la comédie. Quant au mot aulœa, je ne sais s'il faut l'entendre, comme Fleury, de la toile des théâtres, ou, comme Souchay, des décorations magnifiques de la tragédie, et s'il ne signifie pas plutôt ici les manteaux des rois ; car, d'après Nonius Marcellus (De proprietate sermontun, c. XIV, n° 4), le mot aulœa désignait aussi une sorte de vêtement étranger, genus vestis peregrinum, selon ce passage de Varron (De vita pop. rom., l. III) : Quod ex hereditate Attalica, aulœa, chlamides, pallie aureœ. [39] Hémistiche emprunté à Horace (Epist., l. II, ep. 1, v. 174). Voir sur le pulpitum et les différentes parties du théâtre ancien, Rome au siècle d'Auguste par M. Dezobry, t. IV, p. 152 et suiv. [40] On appelait diverbium le dialogue de la comédie, quand plusieurs personnages parlaient en scène ; il était opposé au canticum, qui désigne un monologue ou une monodie, cette partie du rôle où un acteur parlait ou chantait seul. Voir DIOMÈNE, l. III ; et M. Ch. MAGNIN, Les Origines du théâtre moderne, t. I, p. 330 et 485. [41] Il désigne le livre de Salluste sur la conjuration de Catilina. Scaliger suppose, d'après ce passage, que l'Histoire de Salluste commençait à Lépide. Salluste confirme lui-même cette conjecture dans le fragment suivant, qui nous a été conservé par deux grammairiens, Pompeius Messalinus (De numeris et pedib. orat. (*)) et Priscien (Instit. grammat., l. XV, c. 3) : Res populi romani, M. Lepido, Q. Catulo, coss., ac deinde militiœ et domi gestas composui. Voir les Œuvres de Salluste, trad. par M. Du Rozoir, t. I, p. 330, dans la Bibliothèque Latine-Française de M. Panckoucke. (*) Cité par le rhéteur Rufinus (Versus de comp. et metris orat., p. 355 des Antiqui Rhetores Latini de l'éd. de Cl. Capperonnier, Strasbourg, 1756). [42] Voir la Notice. [43] Il avait été nommé premier consul, et il en tire plusieurs fois vanité. On peut voir toutes les circonstances de sa nomination au consulat dans son Action de grâces. [44] Quelques éditions portent au v. 97, honoratus. J'ai adopté la leçon (ornatus) de Vinet et de Fleury. Ausone, comme la plupart des poètes latins, aime beaucoup ces jeux de mots et ces allitérations. [45] Ausonius avus Ausonio nepoti. J'ai rétabli ce titre donné par un ancien manuscrit cité par Vinet et Scaliger, et que ces éditeurs avaient supprimé sans motif, tout en conservant les mots Vale, repos dulcissime, à la fin de cette pièce, qui n'est point ici à sa place et devrait être rangée parmi les Lettres. C'est peut-être la dernière composition d'Ausone, et on voit que, quoique prope conclamatus, il est toujours fidèle à la mythologie et aux superstitions païennes. [46] Ces derniers vers sont une imitation de Martial (l. XII, épigr. 68).
[46] Ces derniers vers sont une imitation de Martial (l. XII, épigr. 68). [47] On ne sait trop quel était ce Gregorius qu'Ausone, par affection, appelle son fils. Souchay pense que c'est celui dont parle Sulpice Sévère à la fin du livre II de son Histoire sacrée, qui fut préfet des Gaules en 383, et ami de Symmaque (liv. VII, lett. 88), qui lui adressa plusieurs lettres (liv. III, lettr. 17 et suiv.). On trouve un autre Gregorius intendant des vivres en 376. (Voir TILLEMONT, Hist. des Emp., t. V, p. 146, 147 et 722.). On peut croire, par l'amitié qui unissait Grégorius à Symmaque, qu'Ausone appelle aussi son fils, que la conjecture de Sonchay a quelque fondement. Voici ce que les Bénédictins ont pu recueillir, d'après les écrivains qui viennent d'être cités, de l'histoire de ce Grégorius. « On ignore quelle fut la patrie de ce préfet ; mais personne ne doute qu'il ne fût Gaulois de nation.... Grégoire avait reçu de la nature tous les dons du corps et de l'esprit qui font les grands hommes : c'était un génie rare qui faisait l'admiration des beaux esprits de son temps. Il avait un talent particulier pour bien écrire. Tout ce qui sortait de sa plume était assaisonné du sel d'une sagesse que l'on ne pouvait assez louer. Outre cet avantage, qui en devait faire le principal mérite, on y voyait briller la nouveauté des pensées sous les termes de la savante antiquité. L'orateur Symmaque, un de ses amis et un de ses plus grands admirateurs, était si charmé de la beauté de son style, qu'il lui faisait presque continuellement des reproches de ce qu'il ne lui écrivait pas assez souvent. Nous avons encore sept lettres de cet orateur à Grégoire, qui en supposent beaucoup d'autres de l'un à l'autre, et qui sont remplies de cette sorte de reproches. « Symmaque, dans une de ces lettres, fait mention d'un discours de la composition de son ami, qu'il insinue avoir reçu de grands applaudissements. On croit que c'est une déclaration de Gratien que Grégoire avait envoyée à Symmaque pour être lue dans le sénat, en 376. On juge par là que Grégoire était alors questeur de l'empire, ayant succédé à Ausone dans cette charge, qui demandait, comme l'on sait, un homme éloquent et versé dans la connaissance des lois. Il est au moins certain, suivant ces mêmes lettres, que Grégoire était employé dans les affaires publiques, et il n'y a pas même lieu de douter que ce ne soit le même qui remplissait la charge de préfet du prétoire des Gaules et d'Espagne avec Probe, en l'année 383. Grégoire y fit paraître beaucoup de zèle pour la justice et pour la vérité contre les priscillianistes. Ithace, persécuté par ces hérétiques et contraint de se réfugier dans les Gaules, eut recours à notre préfet, et lui raconta ce qui s'était passé en Espagne au sujet de cette grande affaire. Grégoire l'écouta favorablement, et donna aussitôt ordre qu'on lui amenât les auteurs du trouble. Et afin que l'empereur ne se laissât pas surprendre par les ruses des hérétiques, il lui fit un rapport fidèle de toutes choses. Mais ses bonnes intentions furent frustrées, et sa diligence inutile. L'avarice de quelques courtisans, qui rendaient toutes choses vénales, rompit toutes ses sages mesures. Au moyen d'une somme considérable comptée à Macédoine, un des premiers officiers du palais du prince, les hérétiques obtinrent que la connaissance de leur cause fût ôtée au préfet et renvoyée au vicaire d'Espagne. C'était Marinien, qui, gagné comme Macédoine, favorisa les priscillianistes de tout son pouvoir. « Grégoire avait au moins un fils qui, suivant la coutume de la plupart de nos jeunes Gaulois de ce temps-là, était allé à Rome hanter le barreau. Nous avons une lettre par laquelle Symmaque, qui était prié de veiller sur ses études, le recommande à Messala, comme habile dans les lettres, et depuis préfet d'Italie, en 399. Symmaque, dans cette lettre, parle de Grégoire comme d'un homme du premier mérite, qui n'était plus au monde. De sorte qu'il mourut quelques années avant la fin de ce IVe siècle. Il ne nous reste plus aujourd'hui aucun monument de cette grande éloquence que Symmaque admirait si fort en lui, et qui lui faisait dire en lui parlant à lui-même : Oratione mirabilis es. » (Histoire littéraire de la France, t. I, 2e part., p. 320.) [48] Nebulam pictam in pariete. Quelques éditeurs ont changé nebulam en tabulam, mais comme tous les manuscrits donnent invariablement nebulam, que ce mot s'accorde d'ailleurs avec le sujet que chante Ausone, et qui se passe dans les champs de l'air, sous un jour douteux, nebuloso lumine, la plupart des commentateurs ont conservé nebulam pictam, expression singulière, employée encore ailleurs (lett. XVII) par Ausone, mais, je crois, dans un autre sens. [49] Les manuscrits varient : quelques-uns portent Zoili, que Scriverius trouve bien préférable à Æoli, parce que le nom d'Éole se rencontre moins souvent dans l'histoire que celui de Zoïle. Partant de là, il passe en revue tous les Zoïles connus, depuis l'impie censeur d'Homère jusqu'aux plus saints Zoïles du martyrologe, et il en conclut qu'il faut ici Zoili et non Æoli. Cependant, comme il est persuadé qu'il s'agit, non d'une maison particulière, mais d'une salle du palais impérial, il propose deux autres variantes : in triclinio solii, parce qu'Ausone a dit (Clar. Urb. IV, 2) Trevericœque urbis solium, et in triclinii tholo. Selon Fleury, cette salle avait sans doute reçu son nom d'un portrait ou d'une statue d'Éole qui s'y trouvait : car, presque toujours, dit-il, les divers appartements des palais tirent ainsi leur dénomination des principaux objets qu'ils renferment. [50] Voyez VIRGILE, Æneid., lib. VI, v. 440 et sq. [51] Il en est de l'églogue comme de l'idylle ces mots sont pris chez nous dans une acception particulière qu'ils n'avaient pas chez les anciens. Nous avons vu plus haut (note i, sur le mot Edyllia) que ces termes s'appliquaient à toute espèce de petit poème, quel qu'en fût le sujet. [52] Ce poème, qui, avec la Moselle, passe pour un des meilleurs d'Ausone, a eu, comme elle, l'honneur d'être plusieurs fois imprimé séparément, et plus qu'elle celui d'être traduit ou imité trois ou quatre ibis en vers français : d'abord, par notre vieux poète Hughes Salel, au XVIe siècle ; ensuite par l'abbé de Marolles au XVIIe, par P. Ch. Roy et par Fuzelier, ou Vergier, au XVIIIe, et enfin par Moreau de la Rochette, en 1806. On retrouve aussi comme un souvenir de cette pièce dans l'épisode de Céphise et l'Amour, qui termine le Temple de Cnide de Montesquieu. Une épigramme assez jolie, dont l'idée semble empruntée de même à cette idylle d'Ausone, quoiqu'on l'attribue au jurisconsulte Herennius Modestinus, qui vivait au IIIe siècle, a été publiée par Burmann (Anthol. lat., l. I, ep. 31), et réimprimée par Lemaire, à la suite du Cupido cruci affixus, au t. I, p. 665 des Poetœ Lat. minores de Wernsdorf. La voici :
MODESTINI
DE AMORE.
Forte
jacebat Amor, victus puer alite somno, « Amour reposait un jour, abattu, l'enfant ! sous l'aile du sommeil, parmi des branches de myrte, sur des herbes blanches de rosée. Autour de lui se lèvent, sorties de la cour ténébreuse de Pluton, les âmes dont son flambeau cruel a fait le supplice. “Voici mon chasseur, dit Phèdre, enchainons-le !” “Coupons-lui le cheveu !” criait l'inhumaine Scylla. Progné, la veuve de Colchide : “Perçons-le de mille coups !” Didon et Canacé : “Exterminons-le par le glaive cruel !” Myrrha : “Avec mes branches !” Évadné : “Qu'il brûle dans les flammes !” Aréthuse et Byblis : “Qu'il périsse dans les flots!” Mais Amour qui s'éveille : Envolons-nous, mes ailes !” » [53] Fleury, qui donne plusieurs étymologies du mot orgia, dit qu'il s'agit ici des orgies de l'amour malheureux, sans autre explication. Selon Souchay, ce mot signifie une sorte de pompe ou de cérémonie où les Héroïnes portaient chacune le symbole de leur mort, leti argumenta, comme en l'honneur des dieux infernaux. Selon le P. Oudin, c'était une espèce de fête que faisaient ces Héroïnes, et selon Wernsdorf, des chœurs qu'elles formaient, non en l'honneur de quelque dieu, mais pour se divertir et se distraire. Wernsdorf oublie que ces Héroïnes sont dans le Champ des Larmes, qui n'est pas un lieu de divertissement et de plaisir. Il faut, je crois, en revenir, comme Fleury, à l'étymologie, et entendre ce mot de cette extase furieuse, de ce délire mystique et passionné que ces victimes de l'amour avaient conservé jusque dans l'Élysée, et dont leur persécuteur sentira bientôt les effets. [54] Les anciennes éditions portent : Ambustus latera per inania cunas. Cet endroit, selon l'expression du P. Oudin, a bien fait suer les interprètes. Scaliger propose laccrans au lieu de latera ; Barth, laterum, et cunas signifie, selon lui, le corps même de Sémélé, qui sert de berceau à l'enfant. Scriverius, adoptant laterum, corrige ainsi : Ambustis lateruan per inania cunis. Saumaise veut late, et au vers suivant, ignavo igne ; Boxhornius accepte cette dernière leçon, et remplace late par iterum, ce qui paraît plaisant à Scriverius. Tollius conserve dans le texte la correction de Scaliger, mais il préfère, en note, celle de Scriverius. Un éditeur anonyme de ce poème (La Haye, 1712) rejette toutes ces conjectures, et met : ambusti lateris per inania currens. Le P. Oudin (Mémoires de Trévoux, mars 1714), sans prétendre, dit-il, se mesurer avec ces grands hommes, « ose hasarder une conjecture simple, mais vraisemblable : » il change cunas en crines, parce qu'il est prouvé par Noël Le Comte (Mythol., l. V, c. 13), et par Nonnus (Dionys, l. VII, v. 144, 169, 260), que Sémélé avait les cheveux fort longs ; et au vers suivant, fulminis en fulguris, malgré tous les manuscrits. Il est réfuté trois ans après (Mém. de Trévoux, juill. 1717) par le chanoine Michel Chaillou, sous le pseudonyme de Ravion de Varennes, qui pense qu'il faut conserver la leçon ancienne, latera, sans qu'il soit besoin d'y rien changer, et qui, plaçant Sémélé dans une alcôve, traduit : « Elle agite de tous côtés les draps enflammés de son lit, où l'enfant vient de naître. » Oudin combat aussitôt cette ridicule interprétation, et il persiste dans sa conjecture, qu'il appuie de nouveau, en citant plusieurs exemples où, dans les manuscrits, on trouve u pour ri, de sorte que les copistes, voyant cunes, auront mis cunas. Il se résume ainsi : « La conjecture que je donne fait évanouir la difficulté, et présente un sens fort beau, et qui revient au but de l'auteur que j'explique.
Fulmineos
Semele decepta puerpera partus
Deflet,
et ambustos lacerans, per inania, crines,
Ventilat
ignavum simulati fulguris ignem. Voilà Sémélé dans la situation où Ausone la représente, et telle que le peintre a dû la faire paraître dans le vide des Champs Élysées, per inania. Pour symbole, leti argumenta, une flamme de tonnerre voltige autour de ses longs cheveux ; la figure est animée : Sémélé porte les mains à ses cheveux ; vous diriez qu'elle se les arrache ; si ce n'est pas de douleur, comme je l'ai dit autrefois, c'est pour en détacher la flamine, ambustos lacerans... crines. Les mouvements qu'elle se donne produisent un effet tout contraire, et la flamme en devient plus vive, ventilat ignem : mais le feu ne gâte ni ne consume rien ; c'est un feu et un éclair en peinture, ignavum simulati filguris ignem, etc. » Mais Saumaise avait déjà fait remarquer avec raison que ventilare, ici, ne signifie pas « exciter la flamme », mais « secouer dans l'air », comme ventilare aurum, dans Juvénal (sat. I, v. 28 ). Fleury et Wernsdorf s'en tiennent à la correction de Scaliger, et je fais comme eux. [55] Horace (Epist. l. I, ep. 19, v. 28) donne la même épithète à Sapho, parce que, dit Vinet, Sapho aimait non seulement les hommes, mais aussi les femmes, comme un vrai mâle. [56] Barth propose la leçon picturatum que Tollius a seul adoptée. Quoique j'ai conservé, avec Fleury et les autres éditeurs, la leçon vulgaire, picturarum, je n'en ai pas moins traduit d'après la correction de Barth ; car il ne faut pas oublier qu'Ausone décrit un tableau, et ne peut dire que cette peinture a l'air d'une peinture. [57] Auratas, fulgentia cingulas, bulla (v. 49). Scriverius veut auratis.... bullis, et tous les éditeurs ont accueilli cette correction. Tollius fait remarquer cependant qu'on retrouve fréquemment dans les poètes, il aurait pu dire dans le nôtre, des exemples qui justifient la première leçon, que pour cette raison j'ai conservée. [58] Afficiunt (v. 62). Barth et Scriverius mettent ici affigunt, parce que c'est l'expression employée par Ausone dans sa préface à Gregorius et dans son titre. Ce puissant motif ne m'a pas convaincu. Tollius lui-même, qui avait adopté affigunt dans son texte, le désapprouve dans ses Omissa Commissa. En effet, après suspensum, après devinctum post terga manus et substricta plantis vincula, le mot affigunt est de trop. Afficiunt s'accorde bien mieux, quoi qu'en dise Wernsdorf, avec nullo moderamine pœnœ. Juste Lipse établit ici deux genres de crucifiement : le simple et le composé. Celui-ci est du genre simple ; c'est le crucifiement primitif, qui consiste seulement à attacher le patient à un arbre par les pieds et les mains, sans lui étendre les bras en croix sur un autre bois placé en travers, ce qui constituerait le crucifiement composé. [59] La plupart des éditions portent lugentibus, ce qui avec lacrymis forme nue redondance choquante. On lit dans quelques manuscrits vigentibus. Accurse propose lucentibus, Scriverius lucentibus et urgentibus, Saumaise ingentibus, Fleury turgentibus, quoiqu'il finisse par adopter la correction de Saumaise ; Wernsdorf humentibus. J'ai conservé ingentibus avec Saumaise et Fleury. [60] En voyant ces Héroïnes le torturer ainsi, l'Amour peut douter si ce sont des femmes ou des Furies. Ausone avait employé déjà la même expression en parlant des Naïades qui entraînent Hylas pour le noyer (Epigr., XCV, 4). [61] On ne peut guère douter que ce Paulus, comme celui auquel Ausone adresse son Cento nuptialis, ne soit Axius Paulus à qui il écrit sa lettre VIII et les six lettres suivantes. On ne sait de lui que ce qu'Ausone nous en apprend. Il était né dans le Bigorre, il avait été le condisciple d'Ausone, soit à Bordeaux, soit à Toulouse ; avait quelque temps plaidé, comme lui, devant les tribunaux ; puis professé la rhétorique ; et comme lui aussi, plus que lui peut-être, il était poète, et il excellait dans tous les genres, dans l'ode aussi bien que dans la tragédie et la comédie. Il est probable qu'il professait à Saintes ; car Ausone dit, dans sa lettre XIV, qu'il a quitté Bordeaux pour venir en Saintonge et se rapprocher ainsi d'Axius. Ce rhéteur avait dans le Bigorre un domaine appelé Crebennus, et il n'en était pas plus riche pour cela, car il tenait encore une école dans sa vieillesse. On ne sait pas plus la date de sa mort que celle de sa naissance ; mais on peut croire qu'il survécut à Ausone, car celui-ci n'eût pas manqué de joindre son éloge funèbre à ceux des autres professeurs de son temps. [62] Proverbe tiré du Phormion de Térence, acte II, sc. 1, v. 4. [63] Thymélé était une danseuse et une mime célèbre, femme du mime Latinus, et de mœurs fort équivoques. (voir MARTIAL, liV. I , epigr. 5 : JUVÉNAL, Sat. I, v. 36 ; VIII, v. 197.) Elle devait son nom sans doute à cette partie de l'orchestre, nommée thymélé, sur laquelle jouaient les acteurs de pantomimes. [64] Scaliger suppose que cet Erasinus était un parasite ridicule ou un mime du temps d'Ausone, comme le Caramallus et le Phabaton de Sidoine Apollinaire (Carm. XXIII, v. 268), ou comme Pâris sous Domitien, et Ausone en le citant ici annoncerait qu'il veut rire ou faire rire comme cet Erasinus. Pulmann propose de lire haud Erasinus, leçon qui me paraît préférable et que j'ai suivie dans ma traduction. L'Erasinus est un fleuve d'Achaïe, chanté par Ovide (Métam., l. XV, v. 276) et par Stace (Théb., l. I, v. 357) , qui sont ici deux poètes sérieux ; or Ausone a soin de dire en commençant qu'il n'imite pas les œuvres sérieuses. Peut-être aussi, sous le nom de ce fleuve, faisait-il une allusion à la Moselle qu'il venait de chanter, sujet plus grave auquel il renonce un instant pour célébrer les charmes de sa jeune captive. [65] Rien, dans les vers qui suivent ne justifie et n'explique cette recommandation d'Ausone à son lecteur. On a supposé que plusieurs des vers sur Bissula, que les parties licencieuses que le poète semble annoncer ici, avaient péri. Ne peut-on pas soupçonner aussi que le vieillard (Ausone avait alors au moins soixante ans) ne demande des lecteurs indulgents, que parce qu'il rougit de ses ridicules amours de soldat avec une jeune esclave, et parce qu'il ne peut, comme après le Cento nuptialis, alléguer pour sa justification la pureté de ses mœurs ? Cependant je ne sais si ce soupçon même serait bien fondé ; il semble, en effet, par les vers qui nous restent, que cette Bissula n'était qu'une enfant bien jeune, qui charmait le poète par sa gentillesse et ses grâces mignonnes, et on a eu tort peut-être d'accuser Ausone d'amours grossières et de chants obscènes sur la foi de cette préface, car il prend les mêmes précautions et presque dans les mêmes termes, pour s'excuser auprès de Symmaque d'avoir composé le Griphe, que nous avons en entier et qui ne renferme rien de libre ou de licencieux. Voir la lettre qui précède le Griphe. [66] Bissula était née chez les Alemanni, qu'Ausone appelle les Suèves, et c'est dans leur pays (aujourd'hui grand-duché de Bade) que le Danube prend sa source. [67] Elle avait été prise sans doute dans le combat livré par Valentinien aux Alemanni, en 368, près de Solicinium. Ausone, tout récemment arrivé à la cour, avait suivi l'armée avec Gratien, son élève. Les Bénédictins, trompés apparemment par le sens qu'ils donnaient aux mots initiorum obscuritas, qui se trouvent au commencement de la lettre à Paulus, disent qu'Ausone semble témoigner que ce poème était une des premières productions de sa muse. Mais ils n'ont pas remarqué que Bissula était un butin fait à la guerre, bellica prœda fuit. Or Ausone n'alla à la guerre qu'au temps où il était précepteur de Gratien, et par conséquent dans sa vieillesse. [68] C'est-à-dire que le peintre doit choisir parmi les fleurs les nuances les plus fraîches et les plus délicates. Il répète en d'autres termes ce qu'il vient de dire :
Puniceas
confunde rosas et lilia misce. Tollius pense, avec quelque raison, qu'après avoir, dans deux préfaces, annoncé à grand bruit ses vers sur Bissula, il est impossible qu'Ausone se soit borné à ces quatre petits poèmes. Il est donc probable qu'une grande partie de cette idylle nous manque. Il paraît qu'entre autres choses, Ausone avait chanté le babil de sa Bissula, d'après le passage suivant de Fulgence Plauciade (Mytholog., l. I, p. 616 des Mythologi Latini de Munster), cité par Tollius : Plautini Saureœ dominatus obdormit, et sua Bissulæ (c'est nue correction de Dempster et de Nic. Heinsius ; le texte porte Sulpicillœ) Ausonianœ loquacitas deperit, etc. [69] Dans l'ancienne Rome, c'était le jour même des calendes de janvier que les nouveaux consuls recevaient les faisceaux de leurs prédécesseurs. Il paraîtrait, d'après les termes de ce titre, tirés d'un manuscrit de Lyon, que cet usage n'était pas toujours strictement observé, ou qu'au siècle d'Ausone, il s'était, comme la manière de créer les consuls, légèrement modifié. [70] Il veut dire que le consulat, la seconde dignité de l'empire, n'a plus rien de remarquable, puisqu'il se confond maintenant avec la dignité impériale, puisque les Augustes eux-mêmes deviennent consuls, et que l'éclat du sceptre efface celui des faisceaux. Dans ce sens, hoc capite, au sixième vers, doit désigner l'empereur, le chef de l'État, et non, comme le croit Fleury, le commencement du mois de janvier. C'est un trait de fausse modestie qui perce, du reste, dans toute la suite de cette pièce. Ausone ne trouverait de gloire dans son consulat que s'il le partageait avec Gratien. N'ayant pas eu ce bonheur, il a hâte de voir finir ses fonctions qui vont commencer, parce qu'il aura pour successeur Auguste, et que c'est là un honneur qu'il préfère au consulat lui-même. [71] Egelidum Boream (v. 9). C'est une correction de Tollius. La leçon vulgaire, et gelidum, conservée par Fleury, ne s'accorde pas avec les vers qui suivent. [72] Il demande que les planètes, dans leur marche, ne heurtent pas celle de Mars, protecteur de l'empire. Au vers suivant, les premières éditions portaient celer arcus, que Gronovius a changé en celer Arcas, nom sous lequel Ausone désigne encore Mercure dans les ïambes de la lettre XXI, v. 7. [73] L'étoile de Mars, à cause de sa lumière d'un rouge de feu. [74] Gratien, revenu à Sirmium, après la mort de Valens, s'y trouvait encore à l'époque où cette pièce a été écrite, en décembre 378. Il ne vint point, comme l'espérait Ausone, pour assister à son entrée en fonctions. Il ne rentra à Trèves que l'année suivante (Voir l'Action de Grâces), après avoir battu les barbares et pacifié, selon l'expression d'Ausone, le Rhin et le Danube. Ces victoires de Gratien ne sont rapportées que par Ausone, et les flatteries du poète sont le seul témoignage qui nous en reste, « n'ayant point d'historiens, dit Tillemont (Hist. des Emp., t. V, p. 155), pour nous en apprendre le détail ; car Ammien finit aussitôt après la mort de Valens. » [75] Insolence de courtisan et de rhéteur, qui sert de transition et de prétexte aux flatteries qui vont suivre. [76] Cette prière et celle qui la précède nous donnent une juste idée des véritables croyances d'Ausone. Les anciens consuls, en entrant en charge, offraient un sacrifice à Jupiter et rendaient grâce aux dieux. Ausone n'adresse point ses prières et ses remerciements à Jupiter, il aurait pu déplaire à Gratien ; mais il invoque le soleil, la lune, les étoiles ; car, s'il peut croire à quelque chose sans se compromettre, c'est aux astres et aux planètes qui ont enrichi son grand-père et qui ont prédit la grandeur future du poète-consul. Tout conspire donc à prouver qu'il était païen. S'il eût été chrétien, loin de remercier Dieu d'avoir obtenu le consulat, il devait lui demander pardon d'avoir accepté ces honneurs que repoussaient les évêques et les enfants du Christ. Car, dit M. Beugnot (Hist. de la destruction du Pagan., t. I, p. 351), « le christianisme se connaissait lui-même , et reniait un ordre de choses avec lequel il se sentait incompatible. Ces dignités, cette pourpre si enviée, ces consulats si vivement sollicités, qu'étaient-ils pour lui ? Les magistratures de la Babylone, le siége injuste de la puissance. » « Nos prêtres, disaient les chrétiens (S. AMBROISE, t. IV, p. 443 i, de l'éd. de Paris, 1642), ont aussi leurs honneurs préférables aux préfectures et aux consulats ; nous avons les dignités de la foi, qui ne peuvent pas périr. » « On devient noble en se faisant chrétien, disait Prudence (Peristeph., X, 123). » Saint Augustin a dit aussi (Psalm. contra part. Donati, v. 91) : Honores vanos qui quærit, non vult cum Christo regnare.
[77] Ce poème, le plus long et en même, temps le plus célèbre des ouvrages d'Ausone, a été souvent publié à part et toujours avec d'abondants commentaires. Tollius les a réunis dans son édition. Depuis Tollius, et Souchay qui a donné quelques éclaircissements nouveaux, Wernsdorf l'a inséré dans ses Poetœ Latini minores (t. I, p. 243 de l'éd. Lemaire). Il a été traduit séparément en français par M. Émile Bégin dans ses Mélanges d'archéologie et d'histoire (Metz, 1840). Les traductions allemandes sont assez nombreuses : je citerai particulièrement celles de F. Lassaulx (Coblentz, 1802) ; de L. Tross (Hamm, 1821 et 1824), qui donne quelques variantes inédites d'un manuscrit du Xe siècle, conservé à la bibliothèque de Saint-Gall, et celle de M. Édouard Bœcking (Berlin, 1828). On croit généralement que ce poème fut composé au retour de l'expédition de Valentinien contre les Alemanni, et en l'honneur de la victoire qu'il remporta sur eux près des sources du Danube en 368. Mais il est probable qu'Ausone le retoucha et l'augmenta depuis cette époque ; car nous verrons plus loin qu'il y parle des différentes dignités dont il ne fut revêtu que dans le cours des dix années qui suivirent. Quoi qu'il en soit, il paraît que cet ouvrage, quand il fut publié, fit grand bruit à la cour et qu'il obtint un merveilleux succès. Symmaque le compare aux poésies de Virgile (voir la première des lettres de Symmaque comprises dans l'Appendice à la fin de ce volume, sous le n° VI). Ce qu'il y a d'étonnant, disent les Bénédictins, c'est que cette pièce, composée exprès pour faire honneur au pays de Trèves, y était si rare au XIIe siècle, qu'on envoyait à Bordeaux ceux qui voulaient la connaître. On trouve en effet, dans une Histoire de Trèves, écrite, selon D'Achery, par le moine Golscher, ce curieux renseignement sur la Moselle et sur son auteur : Erant etiam apud Treberos multi nobiler et ecclesiastici viri, ille videlicet presbyter Hieronymus de Bethleem et Ausonius Burdegalensis, aliique quant plurimi.... Ausonius vero libellum qui dicitur Mosella metrice composuit ad honorera hujus patriœ : quod qui scire voluerit, in Burdegala reperire poterit. (D. LUC D'ACHEBY, Spicil., t. II, p. 211, éd. de 1723, in-f°.) [78] Ausone venait du pays des Alemamti, où il avait accompagné Valentinien et Gratien : mais les commentateurs sont loin de s'entendre sur le chemin qu'il prit pour retourner à Trèves. Scaliger et Marquant Freher lui tracent deux routes toutes différentes ; mais Freher semble avoir retrouvé la véritable, car son système s'accorde parfaitement avec les indications de la Table de Peutinger. — Lumine. Cette excellente correction, contraire à la leçon des manuscrits, flumine, est due à Scaliger : elle a été adoptée par tous les éditeurs, excepté pourtant par M. Bœcking. — Navam. C'est aujourd'hui la Nahe. Elle prend sa source dans la principauté de Birkenfeld, et se jette dans le Rhin près de Bingert. Tacite (Hist., l. IV, c. 70) parle d'un pont établi sur la Nava à Bingium. Freher pense que c'est sur ce pont qu'Ausone traversa ce fleuve. [79] Ce vicus, selon Scaliger et Schurzfleisch, est Argentoratum (Strasbourg). Mais ce nom de vicus ne convient guère à cette ville, qui était déjà célèbre (*). Ensuite, en supposant qu'Ausone ait passé par Strasbourg, il n'aurait pas traversé la Nahe pour rentrer à Trèves ; car il aurait suivi la route tracée par l'Itinéraire d'Antonin et la Carte de Peutinger : Argentorato, Tabernis, Ponte Saravi, Decenipagos, ad Duodecimum, Divodurum, Treveros. Freher, qui fait ces remarques, prouve qu'Ausone désigne ici Bingen, dont les murailles, ruinées par les barbares, avaient été tout récemment (en 359) réparées par l'empereur Julien (AMM. MARCELL., liv. XVIII). Tross et M. Bœcking mettent Vinco, les copistes ayant pu écrire vico, par abréviation, pour Vinco, ce qui désignerait plus clairement encore Bingen, dont le nom, Bingium, se corrompit par la suite en celui de Vincum. (*) Il est juste de dire pourtant que l'empereur Julien, dans sa lettre aux Athéniens, lorsqu'il parle de la victoire qu'il remporta sur les Allemands près d'Argentoratum, ne mentionne ce lieu que comme un fort ou château, castellum, situé près des Vosges. [80] Suivant Cannegieter, Ausone veut parler ici d'une défaite essuyée par les Gaulois dans une bataille contre Arioviste à Creutznach, dans les provinces rhénanes, près de Bingen. Selon Scaliger, qui tient pour Argentoratum, il s'agit de cette fameuse journée où Julien défit, près de Strasbourg, en 357, Chnodomaire et son armée ; mais ces barbares, selon la remarque de Freher, étaient des Germains et non des Gaulois : le mot quondam, d'ailleurs, ne pourrait s'appliquer à cette affaire toute récente. Henri de Valois pense qu'Ausone rappelle ici la victoire remportée sous Néron, l'an 68 de J.-C., par Virgiluius Rufus contre Vindex et les Gaulois ; mais ce combat eut lieu près de Besançon, et cette conjecture tombe ainsi d'elle-même. Suivant Freher enfin, approuvé par Fleury, le poète désigne dans ces vers, avec un peu d'emphase peut-être, la défaite de Julius Tutor et de ses Trévirs révoltés, qui furent mis en déroute par Sextilius Felix à Bingen même, l'an 70 de J.-C. (TACITE, Hist., l. IV, c. 70). Quoique cette bataille ait peu d'importance dans l'histoire, Freher fait observer qu'elle en avait beaucoup pour Trèves et ses habitants, et que, malgré les trois cents ans qui s'étaient écoulés depuis, le souvenir n'en pouvait encore être effacé ; car, par suite de la défaite de Tutor, Valentirius, autre chef des Gaulois, ayant été battu par Cerialis, Trèves avait été prise et failli être détruite. [81] Il suivit la route militaire tracée par les Romains et dont Freher a reconnu les vestiges. Elle est ainsi indiquée par la Carte de Peutinger : Mogontiaco ; Bingium, XII ; Dùmno, XVI ; Belginum, VIII ; Noviomago, X ; Aug. Tresvirorum, VIII ; ce qui s'accorde exactement avec les vers d'Ausone. [82] Denssen, au-dessous de Kirchberg, selon Freher. Le Dumno de la Table de Peutinger est un fort appelé Dhaune. « Ausone nous apprend que le Dumnissus est un canton inculte et aride : Unde iter, etc. ... Ayant fort examiné le local sur des cartes très circonstanciées, je ne vois point, ensuivant la trace de la route, d'autre endroit qui convienne à cette description, que la traversée d'une grande forêt qui se nomme Sonner-Wald, entre Bingen et Simmeren. Je ne serais même point surpris qu'on trouvât de l'analogie dans la dénomination actuelle avec l'ancienne, parce qu'en glissant sur le D, comme cela est arrivé dans l'altération de beaucoup de noms propres, le D, prononcé Ds, est finalement devenu un S. » (D'ANVILLE, Notice de l'ancienne Gaule, p. 275.) D'après M. Walckenaër (Géogr. ancienne hist. et comp. des Gaules, t. I, p. 516), le lieu nommé Dumnissus par Ausone est le même que le Damnas de la Table de Peutinger, et les mesures qu'elle fournit en déterminent la position à Simmeren (cependant, au tome III du même ouvrage, p. 81, M. Walekenaër traduit Dumnissus par Denzen , près Kirchberg). [83] Bern-Castel, selon Freher, d'après l'étymologie, Taben-Castel (Tabernarum castellum). « M. de Valois, dit encore D'Anville (p. 699), n'a pas pris garde que c'était s'écarter étrangement de la route, que de faire l'application de ce lieu à Berg-Zabern, qui remonte jusqu'au-dessus de Landau. Clavier pense qu'une belle source, près de Baldenau (Belginum), au passage de la route, est ici désignée. Marquard Frelier est porté à croire qu'on trouve Tabernœ dans Bern-Castel, sur la Moselle, un peu au-dessous de Numagen, et où conduit une ancienne chaussée qui part des bords du Rhin. C'est la position que j'adopte pour les Tabernœ d'Ausone, sans néanmoins vouloir la regarder comme bien certaine. » Selon d'autres, Dumnissus et Tabernœ sont aujourd'hui Thaunissen et Sobernheim , entre Creutznach et Neumagen. [84] Depuis longtemps les empereurs romains, pour se débarrasser des barbares, avaient pris le funeste parti de les introduire au sein de l'empire, où on leur donnait des terres désertes à cultiver. Ces barbares, ainsi transplantés sur le sol romain, l'étaient, ou librement et en vertu d'un traité, et alors ils prenaient le nom de fœderati ; ou comme prisonniers et par la force des armes, et on les appelait gentiles, leti ou dedititii. On peut consulter sur ce sujet un chapitre savant et curieux de M. Lehuërou (Histoire des institutions mérovingiennes, l. I, ch. 3). « « Eumène, dans son Panégyrique de Constance-Chlore (ch. IX et XXI), dit que des Chamaves et des Frisiens avaient été transplantés dans les Gaules, et étaient devenus cultivateurs ; et qu'enfin, par les ordres de Maximien, les champs incultes des Nerviens et des Tréviriens étaient fécondés par des Lètes et des Francs.... On doit fixer l'établissement de ces nouvelles colonies des Gaules, trop peu remarquées, vers l'an 293 et 294. Il est probable que ces Lètes étaient une tribu de Sarmates ou de Sauromates, dont Ausone fait mention dans son poème sur la Moselle, et qu'il rencontra au passage de la rivière Nava, la Nahe, qui coule dans le Rhin à Bingen. » (M. WALCKERAËR, Géographie ancienne hist. et comp. des Gaules, t. II, p. 331) Un ou deux ans après, toujours au rapport d'Eumène, Constance transporta encore différentes tribus de Francs dans les Gaules. Valentinien et Gratien firent comme leurs prédécesseurs. Ausone, dans son Action de grâces, loue Gratien pour une transplantation de barbares. Freher pense que c'est à cette même opération qu'Ausone fait allusion ici. [85] Trèves était la métropole de la Belgique première, et Niviomagum dépendait de Trèves. [86] Aujourd'hui Neumagen. M. L. Quicherat, dans son Thesaurus poeticus, veut Novomagum, par contraction, pour Noviomagum, qui se trouve dans l'Itinéraire d'Antonin et la Table de Peutinger. Les manuscrits de Vinet portent Novomagum, Nivomagum et Nuiomagum ; le manuscrit de Saint-Gall cité par Tross, Nojomagum. M. Bœcking repousse Novomagum comme contraire à la mesure (Nŏvomagum). D. Calmet, en citant cette ville dans sa Notice de la Lorraine, a rappelé et commenté ainsi le vers d'Ausone : « Neumagen, dit-il, est situé six lieues au-dessous de Trèves, à droite sur la Moselle. Le roi Pépin, dans une charte de l'an 553, le nomme Noviacum. On y voit les ruines d'un camp romain, où l'on croit que le grand Constantin a campé. Ce lieu est désigné dans Ausone sous le nom d'insigne ou fameux camp de Constantin. On voit la description de ce camp figurée dans Brouverus, Histoire de Trèves, t. II, p. 574. Il est sur la rive droite de la Moselle : entre ce fleuve et des coteaux chargés de vignes, à l'angle du côté du midi, on voit une tour et un pan de muraille, l'un et l'autre assez entiers ; on croit que c'était la demeure du préfet des gardes prétoriennes. Le reste du camp, qui peut être long d'un jet de dard, est un carré oblong, où l'on remarque encore de distance en distance neuf pans de murailles ou de tours très solides. Les soldats étaient campés sur la montagne voisine, où ils étaient en sûreté contre les insultes des ennemis, et où ils avaient au voisinage les eaux de la rivière de Moselle pour leur usage, et le cours du fleuve pour en garder les passages contre les irruptions des ennemis. « Ausone, comme on l'a vu, donne à ce lieu le nom de camp fameux du grand Constantin, peut-être à cause que c'est en ce lieu que cet empereur eut la fameuse vision de la croix, qui lui apparut un peu après midi, rayonnante au-dessus du soleil, avec ces mots distinctement marqués : EN TOUTÔ NIKA, vainquez en ceci ou par ceci. Je n'ignore pas que les sentiments sont partagés, non sur l'apparition de la croix, mais sur le lieu où elle se fit voir. Les uns soutiennent que ce fut à Sinzich sur le Rhin, d'autres que ce fut vers les Alpes, du côté de Lyon ou de Besançon. Il y en a même qui veulent que Constantin ait eu la mène vision deux fois, une fois dans les Gaules, et l'autre fois en Italie, la veille du dernier combat contre Maxence. Lactance ne parle pas de l'apparition de la croix au ciel et peu après midi ; il parle seulement d'une vision que Constantin eut la nuit, qui lui disait de faire peindre sur les boucliers de ses soldats le signe de la croix ; mais Eusèbe parle clairement de la vision qu'il eut après midi du signe de la croix et des mots EN TOUTÔ NIKA. Mais ni lui ni Lactance, ni aucun auteur ancien n'a dit que ce fût à Neumagen ; et l'épithète d'inclyta donnée à ce camp peut marquer simplement que ce camp était distingué par ses tours et ses murailles, qui étaient alors bien plus belles et plus entières qu'elles ne sont aujourd'hui, ou que ce camp était encore en grande réputation de son temps, comme ayant servi de camp à Constantin. » [87] Trèves, où les empereurs, depuis Constantin jusqu'à Gratien, avaient eu leur résidence. [88] « Ceux qui ont suivi, comme notre poète, le cours très pittoresque du beau fleuve qu'il a célébré, seront frappés de la fidélité de ses descriptions. La vallée où coule la Moselle est surtout remarquable par une richesse de verdure vraiment extraordinaire. L'œil la retrouve partout, soit qu'il s'arrête au sommet des collines, soit qu'il s'abaisse au bord des eaux. Ausone insiste sur ce caractère de la Moselle; il l'appelle avec justesse et bonheur fleuve verdoyant, il montre ses rives vertes de vignobles, etc. » (M. J.J. Ampère, Hist. littér. de la France avant le XIIe siècle, t. I, p. 265.) Environ deux cents ans après Ausone, un autre poëte, qui, par la tournure ingénieuse de son esprit et la négligente facilité de sa versification, n'est pas sans rapport avec lui, et qui devait, comme ]ni, à sa muse la faveur dont il jouissait auprès des princes et des personnages les plus illustres de son temps, Venantius Fortunatus, a célébré aussi les rives verdoyantes, les eaux poissonneuses de la Moselle et ses coteaux plantés de vignes. L'éloge de ce fleuve revient plusieurs fois dans ses vers, et ses vers ne sont pas indignes d'être rapprochés de ceux d'Ausone. Un jour, pour amener les louanges de Villicus, évêque de Metz, il commence par chanter celles de la Moselle et de ses bords (l. III, c. 14, édit. de Luchi, Rome, 1786)
Gurgite
cæruleo pelagus btusella relaxat, « Dans son gouffre azuré la Moselle déchaîne un océan, et roule mollement de grandes eaux. Elle caresse le gazon printanier qui parfume ses rives, et baigne, en l'effleurant de son onde, la chevelure des prairies. A sa droite coule un fleuve appelé Salia (la Seille), niais qui traîne en son cours de plus pauvres vagues. Ses flots transparents pénètrent dans la Moselle : il accroît ainsi la force de l'autre , et périt lui-même. Fondée en ce lieu, majestueuse, éclatante, Mettis (Metz) est fière des poissons qui, de part et d'autre, assiègent ses flancs. Son délicieux paysage s'égaye des champs qui fleurissent : ici vous contemplez des guérets en culture, là vous voyez des roses , et devant vous des coteaux que le pampre revêt de son ombrage tous les produits se disputent ces fertiles campagnes. » Un autre jour, il demande aux nuages des nouvelles de Gogon, son ami (l. VII, c. 4)
Nubila,
quie , rapido perflante Aquilone, venitis, « Nuages, qui venez à moi , poussés par le souffle rapide de l'Aquilon, vous que la rotation de l'axe étoilé entraîne suspendus dans l'espace, dites-moi quelle est la santé de Gogon qui m'est si cher, ce qu'il fait pendant que le calme des affaires lui laisse la sérénité de son âme. Dites s'il séjourne près des rives du Rhin aux flots vagabonds, pour tirer des eaux, dans son filet, le saumon charnu, ou s'il se promène sur le sein de la Moselle qui nourrit la vigne, afin qu'une brise légère tempère pour lui les ardeurs du jour, là où le pampre et le fleuve adoucissent les feux du midi, la vigne par son frais ombrage, l'onde par ses vagues toujours nouvelles. » Enfin, dans deux autres pièces (l. III, c. 12, et l. X, c. 10), destinées, l'une à décrire titi château construit sur la rive par S. Nizier, évêque de Trèves, l'autre à raconter un voyage qu'il fit sur la Moselle, depuis Metz jusqu'à Coblentz, à l'invitation de Childebert, roi d'Austrasie, il s'étend avec complaisance, et avec un certain luxe de poésie, sur les richesses et les beautés du fleuve; il rencontre en passant les ruines de Trèves , tant de fois saccagée par les barbares depuis Gratien, et il montre cette ville, qui n'est plus le trône des empereurs, Trevericæque urbis solium, comme disait Ausone, restée pourtant noble et grande encore entre toutes les villes, grâce aux libérales magnificences de ses évêques et à l'utile voisinage de son fleuve. Ces deux poèmes, qui ont surtout de l'intérêt, si on les compare à la Moselle d'Ausone, se trouvent à la fin de ce volume, dans l'Appendice, sous le n° V. [89] Vinet lisait, dans le plus ancien de ses manuscrits, prælapsus, expression que Freher et Wernsdorf préfèrent, parce qu'elle est employée ailleurs par Ausone, en parlant de la Moselle (Clar. urb., IV, v. 6, t. Ier, p. 238), et par Symmaque, dans la lettre où il fait l'éloge de la Moselle d'Ausone. [90] Ce portrait de la Moselle est un peu flatté. Il paraît que ce joli fleuve a ses écueils et ses colères comme un autre. Fortunat faillit en être victime ; c'est lui-même qui nous l'apprend dans un des poèmes que nous venons de citer (l. X, c. 10, v. 7) ; et Freher rappelle l'histoire racontée par Grégoire de Tours (De Mirac. S. Martini, l. IV, c. 29), d'un négociant qui, s'étant endormi avec ses enfants dans sa barque amarrée au pont de Metz, après s'être recommandé, saint Martin, se trouva, le lendemain à son réveil, devant la porte de Trèves, et s'estima fort heureux d'avoir pu échapper aux récifs et à la fureur des flots, en coulant ainsi sur le fleuve, sans pilote et sans rameurs : Nescientes quornodo.... ner fluvium sensiscemus, et Mosellæ tunc sœvientis undas naufragas evitassemus ; et, quod salis est mirabile, quomodo inter saxa nocturno tempore præteriissemus incolumes, non nauta vigilante, nana vento flante, non remo ducente. [91] J'ai conservé la leçon vulgaire, qui présente un sens clair et facile. Un manuscrit cité par Barth portait non sperante, et le manuscrit de Saint-Gall communiqué à Tross, non spirante v. r, properare meatus. Tross et M. Bœcking ont adopté cette leçon, non spirante, malgré la difficulté de lui donner un sens raisonnable. [92] Tross donne ainsi ce vers :
Sicca,
sed in prima adspergis vestigia lympbas, et il cite cette variante du manuscrit de Saint-Gall, qui le change complètement :
Sicca
in primores pergunt vestigia lymphas, leçon adoptée par M. Bœcking. [93] I nunc. C'est une tournure familière aux poètes. L'abbé Jaubert et M. Emile Bégin traduisent : « Coule maintenant, etc. » comme si cette apostrophe s'adressait à la Moselle. [94] Deux manuscrits portaient : Delicias hominum locupletibusque sub undis. Barth regarde ce vers comme une interpolation. Tollius propose : delicias hominum locupletum, correction adoptée par Fleury, mais moins élégante que la leçon de Tross et de M. Bœcking, que j'ai suivie. [95] La Naïade n'a pas été sourde à l'appel du poète ; elle l'a fort bien inspiré dans la description des différents poissons de la Moselle. Les anciens commentateurs d'Ausone n'ont pas toujours vu clair dans l'interprétation de ce morceau. Peu confiant dans leurs assertions souvent contradictoires, et n'ayant personnellement aucune des connaissances nécessaires pour décider entre eux et rectifier leurs erreurs, j'ai eu recours, aujourd'hui que la science a fait de grands progrès en cette matière, aux lumières des maîtres. M. A. Valenciennes, professeur au Muséum d'histoire naturelle, au nom duquel de savantes recherches sur l'histoire des poissons ont acquis une autorité imposante, a bien voulu m'expliquer les difficultés du texte d'Ausone, et, grâce à ses conseils éclairés, j'ai pu éviter les méprises assez nombreuses oit étaient tombés la plupart des interprètes qui m'ont précédé *. * Je dois à son extrême complaisance toutes celles des notes suivantes qui concernent les poissons. [96] Capito. C'est le Meunier, nommé aussi la Dobule, le Vilain, le Chevaine (Cyprinus dobula, Linné). [97] Salar. La Truite (Salmo fario, L.). [98] Redo. La Loche (Cobitis barbatula, L. ). M. Émile Bégin traduit ainsi : « L'anguille innocente, faute d'arêtes. » Il ne s'agit ici ni d'anguilles ni d'arêtes ; les mots nullo spinæ nociturus acumine signifient que ce poisson, dont le corps est visqueux, ne porte extérieurement aucune épine. Ovide (Halieut., v. 130) a dit de même du goujon : Lubricus et spina nocuus non Gobius ulla. [99] Umbra. L'Ombre (Salmo thymalus, L.) [100] Saravi. La Sarre, qui se jette dans la Moselle. [101] Barbe. Le Barbeau (Cyprinus barbus, L.) [102] Salmo. Le Saumon (Salmo salar, L.) [103] C'est un repas où l'abondance des mets rend le choix difficile, d'après la définition de Térence, qui le premier s'est servi de cette expression (Phormion, acte II, sc. 2, v. 28) : PHORMIO : Cæna dubia apponitur. GETA : Quid istuc verbi est ? PHORMIO : Ubi tu dubites quod sumas potissimum. On la retrouve chez Horace (Serm., l. II, sat. 2, v. 77). [104] Mustella. Quoi qu'en dise Scaliger, il est impossible de reconnaître ici la Lamproie. La description d'Ansone se rapporte, au contraire, parfaitement à la Lote (Gadus lota, L.). [105] Perca. La Perche (Perca fluviatilis, L.). [106] Mullis. Le Surmulet (Mullas surmuletus, L.). [107] Par segmentis, le poète entend les couches de chair, les feuillets charnus que la cuisson produit dans les poissons de cette espèce. [108] Lucius. Le Brochet (Esox lucius, L.). Il a perdu aujourd'hui son nom latin, qui le rendait autrefois si ridicule ; mais il a beaucoup gagné dans l'estime des gourmets. [109] Tincas. La Tanche (Cyprinus tinca, L.). [110] Alburnos. L'Ablette (Cyprinus alburnus, L.). [111] Alausas. l'Alose (Clupea alosa, L.). [112] Fario. La Truite saumonée (Salmo trutta, L.). [113] Gobio, Barbi. Le Goujon (Cyprinus gobio, L.) a des barbillons ou tentacules comme le Barbeau : c'est ce qu'Ausone a voulu dire. M. Bégin, qui s'en rapporte un peu trop à son prédécesseur l'abbé Jaubert, a traduit, comme lui, jubas par des nageoires. [114] Magne Silure. La description d'Ausone est si claire et si précise, qu'on ne peut douter qu'il n'ait parlé du Silure (Silurus glanis, L.). Toutefois des passages des anciens, tirés soit de Juvénal, soit du poète Fortunat, montrent que le nom de Silurus était donné aussi à d'autres poissons. Nous avons encore aujourd'hui des exemples nombreux de ces variations de la synonymie vulgaire des animaux, et surtout des poissons. Paul Jove a cru que le Silurus était l'Esturgeon, et en cela il a été copié par ses nombreux successeurs. Mais il faut leur objecter que notre poisson connu aujourd'hui comme le Silure était le Γλανίς d'Aristote, que déjà Pline avait traduit par Silurus l'expression d'Aristote, et que c'est par suite de diverses confusions depuis Scaliger jusqu'à Schneider que le mot de Silurus a été donné comme synonyme de l'Esturgeon. [115] « Quel amateur d'ichthyologie, dit M. Demogeot, ne serait fatigué par cette revue générale de tous les poissons de la Moselle, qui viennent défiler en bon ordre, au son d'une harmonieuse versification, pendant une centaine de vers ? » Symmaque n'est pas de cet avis ; il ne peut se rassasier de voir ces poissons, et il les trouve d'une si rare espèce, qu'il ne se souvient pas d'en avoir mangé de si beaux (Symm., lib. I, epist. 14. - Voir l'Appendice à la fin de ce volume, p. 476). Lemaire prend à la lettre cette hyperbole de l'éloge et de la flatterie, et il assure qu'Ausone a chanté des poissons qui ne se trouvaient pas dans la Moselle ; mais M. Brœcking est là pour le démentir. Le docteur allemand dit positivement (Des D. M. Ausonius Mosella, p. 52 ) que, dans l'été de 1824, il a mangé sa part d'une Mustella de la Moselle qu'un pêcheur avait tuée sur le rivage. C'est bien heureux pour Ausone ! [116] Imitation de Stace (Sylves, l. II, 2, v. 100). Cette pièce en renferme beaucoup d'autres. [117] « Cette esquisse a d'autant plus de mérite qu'Ausone n'y est point tombé dans sa faute ordinaire : il n'a point surchargé de détails ces légères images. Au lieu d'accumuler, il a choisi, et son choix a été si heureux, que je ne crains pas de rapprocher ce passage d'une strophe charmante du Tasse (La Gerusal. liber., c. XV, st. 58) dont le sujet est le même :
Scherzando
sen van per l'acqua chiara “ S'en vont jouant par l'onde claire deux fillettes au doux babil, à la folâtre allure, qui, tantôt se jettent de l'eau au visage, tantôt font un défi à qui arrivera la première à un but marqué. Elles plongent alors, et, après avoir caché leur course, elles découvrent enfin leur tête et leurs épaules. ” Quelle que soit la grâce de cette peinture, les jeux des Naïades d'Ausone ont quelque chose de plus piquant.... C'est avec goût qu'Ausone ne prolonge pas sa description. En effet, il ne peint point une scène dont il ait été témoin, il raconte ou suppose une tradition. Son sujet lui refusait donc des détails plus précis : il ne pouvait, comme fait ensuite le Tasse, développer sous nos yeux de blonds cheveux tout ruisselants d'une onde limpide, et des formes voluptueuses que dissimule mal la transparence de l'eau. La peinture du poète latin est donc plus indécise, plus fuyante ; sa riante mythologie ne se laisse entrevoir qu'à travers un voile mystérieux ; la curiosité est plutôt excitée que satisfaite ; ses détails glissants échappent, comme les Naïades, à l'imagination qui les poursuit. La muse d'Ausone fait comme la bergère de Virgile ; elle désire bien qu'on l'aperçoive, mais elle s'enfuit derrière les saules. » (M. Demogeot, Études hist. et littér. sur Ausone, p. 65.). [118] « Les poëtes des époques naïves peignent les phénomènes les plus tranchés, les objets les plus simples : le lever, le coucher du soleil, le jour, la nuit, le torrent, la mer, la tempète. Dans les époques plus avancées, la poésie se plait aux spectacles plus compliqués et plus vagues ; elle aime à reproduire en nous les sentintents confus et mélangés que ces spectacles éveillent. Ainsi Virgile peindra le voyageur qui voit ou croit voir la lune à travers les nuages ; Ovide et La Fontaine, le jour douteux aux prises avec tes ombres, et Chateaubriand versera la lueur de la lune sur la cime indéterminée des forêts. Les temps de décadence veulent continuer ces conquêtes de la poésie sur ce qu'il y a de plus fugitif et de plus insaisissable dans la nature. Ils redoublent toujours d'effort et de recherche ; ils font ressortir le bizarre, et jouent, pour ainsi dire, avec lui. Cette prédilection pour les effets indécis et compliqués, étranges et quasi-fantastiques, se retrouve dans les vers suivants, qui décrivent les approches du soir descendant sur les rives de la Moselle : Lorsque le fleuve glauque, etc. Ce sont des vers maniérés, mais charmants. » (M. J.J. Ampère, Hist. littér. de la France avant le XIIe siècle, t. I, p. 265.) [119] Cette défaite de Pompée eut lieu en 718. Voir SUÉTONE, Auguste, c. XVI. [120] M. Ampère et M. Demogeot comparent cette description de la pêche a la ligne avec celle de Delille (L'Homme des champs, ch. I, v. 295), dont quelques vers sont imités de la Forêt de Windsor, de Pope.
Sous
ces saules touffus, dont le feuillage sombre [121] « Cette coupe imitative de la prestesse du mouvement, dit M. Ampère, est excellente : c'est du Delille tout pur, et du meilleur. » « Mais Delille, dit M. Demogeot, ne nous fait pas assister à tous les détails de l'agonie du poisson. Il avait trop de goût pour ne pas sentir que cette peinture aurait assombri son riant tableau. De plus, il a resserré en quatre vers l'énumération des poissons, et animé son récit par de vives tournures. Il a surpassé Ausone comme poète, et lui a laissé le mérite secondaire d'une versification plus minutieusement travaillée. » [122] Gortynius aliger. Dédale. [123] Archimède. [124] Scaliger défend la leçon de quelques manuscrits, Margi ou Margei, au lieu de Marci, et il suppose qu'un écrivain nommé Margeus avait traité, au dixième livre d'un de ses ouvrages, des sept merveilles du monde (hebdomas). Cette conjecture n'est pas admissible. Il est évident qu'Ausone désigne ici Marcus Terentius Varron, qui avait composé un ouvrage appelé Hebdomades, « les Semaines », ou Libri de imaginibus, « Livres des Images. » Varron, dans cet ouvrage, où le nombre 7 jouait un grand rôle (AULU-GELLE, l. III, c. 10), ce que le titre indique assez, avait fait dessiner les portraits de sept cents hommes illustres (PLINE, Hist. Nat., l. XXXV, c. 2), et au bas de chaque portrait, il avait placé une inscription en vers. Aulu-Gelle (l. III, c. 2) et Nonius Marcellus (c. XII, au mot Luces) nous en ont conservé des exemples. Cette espèce de biographie avec figures, que Varron avait le premier introduite à Rome, était, à ce qu'on croit, une imitation d'un célèbre ouvrage attribué à Aristote, et qu'on nommait le Peplus, lequel paraît avoir consisté dans une sorte de généalogie et de biographie des héros de la guerre de Troie. C'est pour cela, selon M. Letronne (De l'invention de Varron, dans la Revue des deux Mondes, du 1er juin 1837), que Cicéron (Lettres à Atticus, l. XVI, lett. II) nomme l'ouvrage de Varron Πεπλογραφία. Varron eut, dans la suite, des imitateurs, Atticus entre autres (CORN. NEPOS, Atticus, ch. XVIII ; PLINE, loco cit.), et le père de Symmaque, qui composa ainsi, pour le portrait de quatre personnages célèbres de son temps, des épigrammes qui nous restent encore (SYMMAQUE, liv. I, épît. 2 et 4). Il est probable que Varron avait compris les architectes dans cet ouvrage, et c'est à cette partie des Hebdomades qu'Ausone fait allusion dans ce passage. [125] Chersiphron ou Ctésiphon. [126] Il n'est nulle part ailleurs, dit Fleury, mention de cette chouette automate inventée par Ictinus. [127] Je m'aperçois, en relisant ce vers, qu'il serait peut-être plus exactement traduit ainsi : Dont les quatre pans s'élèvent en cône. [128] Coras Achates. C'est la leçon des plus anciens manuscrits, qui portent aussi au vers suivant Affatam, et non Afflictam ou Affictam, adoptés par quelques éditions. Ausone rappelle ici le temple que Ptolémée Philadelphe avait fait construire à la reine Arsinoé, sa sœur et sa femme, dans Alexandrie, par l'architecte Dinocharès, et dont la voûte était en aimant (PLINE, Hist. Nat., l. XXXIV, c. 42 ou 14), pour que la statue de la princesse, qui sans doute était en fer, attirée par cet aimant, parût suspendue dans l'air. Ce qui suit est plus difficile à expliquer. Wernsdorf, qui repousse avec raison la correction hardie et barbare de Gronovius et de Tollius, vera magnetis au lieu de Corus Achates, essaye de donner un sens passable à ce texte des manuscrits. Ausone, selon lui, semble dire que, sous cette voûte d'aimant, Dinocharès avait dessiné ou attaché l'image d'un vent, du Corus, qui paraissait attirer à lui Arsinoé, pour l'enlever comme Borée enleva Orithye. Mais pourquoi cette image ? parce qu'Arsinoé, après sa mort, fut appelée Zephyritis ou Chloris (CATULLE, LXVI, 54). Or, Chloris est la même que Flore, et Flore fut aimée de Zéphire. Corus remplace ici Zéphire par analogie, c'est un vent pour un autre ; de même que achates remplace magnes, l'agate pour l'aimant; à moins que, comme Scaliger, on ne prenne Achates pour un homme, et qu'on ne voie dans ce mot le nom d'un amant d'Arsinoé. Il faut avouer qu'avec la meilleure volonté du monde, on ne peut guère admettre de semblables suppositions. Wernsdorf l'a bien senti, et, ne pouvant donner une explication plus naturelle de ce passage, il change Corus Achates en Chloridos ales, expression empruntée à Catulle, et qui, dans la pièce citée plus haut et à propos même d'Arsinoé, désigne le Zéphire. Grâce à cette ingénieuse correction, qui a le mérite au moins de se rapprocher de la lettre des manuscrits, toute difficulté cesse, et la fiction d'Ausone se comprend sans peine. [129] Cette description de bains est imitée de Stace (Sylves, I, 3, 43 ; 5, 58 et sq.). [130] Ce souvenir des thermes de Baïes est pris encore de Stace (Sylves, I, 5, 60). Voici quelques vers échappés à Symmaque, sur les beautés et les délices de ce lieu célèbre qu'il habitait souvent (SYMM., liv. épît. 8) :
“Lyæus encorné couvre les sommets du Gaurus ; Vulcain, dans ses caverne, bouillantes, cuit le centre de la montagne ; Thétis règne au bas avec ses poissons nombreux et ses sœurs vagabondes. L'onde brûle, l'air est froid. Dans ces eaux nage et s'ébat la rieuse Amathusienne, la reine des flots et des flammes, la fleur des astres, Dioné.” Un de ces poètes dont P. Burmann a pieusement recueilli les restes, et dont nous ne connaissons que le nom, Regianus, nous a révélé le secret de l'influence voluptueuse des tièdes eaux de Baïes, dans ces vers gracieux qui ont une simplicité antique (Anthol. lat., l. III , ep. 28) :
Ante
bonam Venerem gelidæ per litora Baiæ. “Avant la bonne Vénus, Baies était glacée sur le rivage. Vénus ordonna à l'Amour de nager sur le lac avec son flambeau. Comme il nageait, une étincelle tomba dans les froides eaux. Depuis, la flamme embrasa l'onde, et qui nagea, aima.” [131] Pronœœ Nemesæque. La Prüm et la Nymss. [132] Sura. La Saur ou Sour. [133] Gelbis.... Erubrus. La Kyll et la Rouwer. [134] Lesuram.... Drahonum. La Lieser et la Dhron. [135] Salmonæ. La Salm. [136] VIRG., Énéide, liv. VIII, v.712. [137] Alisontia. L'Alsetz, selon les uns, l'Elz, selon les autres. « C'est la rivière d'Alsetz qui passe à Luxembourg, dit D'Anville (Notice de l'ancienne Gaule, p. 52), et qui tombe dans celle dont le nom est Sura dans Ausone, aujourd'hui Sour, laquelle se joint à la Moselle au-dessus de Trèves. Marquard Freher a mieux aimé l'entendre d'une petite rivière qui se rend directement dans la Moselle, sous le nom d'Eltz, mais beaucoup plus près de Coblentz que de Trèves, ce qui paraît contraire à cette opinion, parce qu'Ausone affecte en quelque manière de se renfermer dans les environs de Trèves. D'ailleurs il est décidé qu'Alisontia est la rivière qui passe à Luxembourg, par des lettres d'un comte Sigifrid de l'an 963 : Castellum Lusilinburch, in pago Metingouv, super ripam Alsuatim fluminis. Il n'y a guère moyen de douter qu'Alsuntia et Alisontia ne soient le même nom. » [138] On lit dans d'autres éditions Romæque tuere parentes, ce qui s'adresse à Némésis et s'accorde moins avec l'idée du poète. Il prie Rome de lui pardonner, s'il préfère la Moselle au Tibre ; car les pères de Rome eux-mêmes, c'est-à-dire les empereurs, ont transporte à Trèves, sur les bords de la Moselle, le siége de l'empire. [139] Tournure imitée d'Horace, l. 1, ode 6, v. 10. [140] Il désigne la préfecture des Gaules, qui comprenait la Gaule Transalpine, les Espagnes et la Bretagne. La première préfecture était celle d'Italie. [141] Tollius et Fleury pensent avec raison que ces vers et ceux qui précèdent s'appliquent aux dignités dont les parents d'Ausone, dont ses amis et lui-même furent honorés (voir la Notice). Plusieurs fois déjà, le poète a rappelé ces dignités et à peu près dans les mêmes termes, dans les Parentales, les Professeurs, etc. Les mots tantum non primo rexit sub nomine désignent évidemment un consul. Souchay repousse cette conjecture, parce que, selon lui, le vers 426 semble indiquer que ce poème fut composé vers la fin de l'année 368, et qu'Ausone ne fut consul qu'en 379. Mais Ausone nous apprend lui-même, dans son Action de grâces, que le consulat lui avait été promis, et dans la Moselle même qui nous occupe, il parle bien clairement de son consulat, puisqu'il dit (v. 451) que les empereurs doivent le renvoyer à Bordeaux fascibus Ausoniis decoratum et honore curuli. Il faut donc en conclure qu'Ausone, en chantant la gloire de ses maîtres, profitait de cette circonstance pour leur rappeler leur promesse, ou que le poète a retouché son œuvre après coup, et qu'une fois consul, il n'a pu résister au désir d'ajouter quelques vers, afin de constater dans le meilleur de ses ouvrages l'insigne honneur qu'il venait de recevoir, et dont il parle si souvent avec une complaisante vanité. [142] Ce vers (v. 411) et les trois suivants présentent quelque obscurité, et les commentateurs ont plutôt réussi à les embrouiller qu'à les éclaircir. Ils renferment, selon moi, une allusion au consulat du poète et à celui de Gratien qui le suivit. Pour mieux les comprendre , il faut relire l'idylle VIII. Il dit ici quamvis præfuerit primis, comme au vers 43 de cette idylle, nostros prœcedere fasces, ou comme dans l'idylle IV, v. 86, præsedi imperio ; les mots libataque supplens prœmia s'expliquent par tunc ero bis consul du vers 52 de l'idylle VIII ; enfin veri fastigia reddet honoris Nobilibus repetenda nepotibus par les vingt derniers vers de la même pièce, où il demande à Janus, au soleil, à toute la nature, de hâter le jour où César lui succèdera dans le consulat. [143] Aujourd'hui le Neckar et Ladenburg. Les commentateurs se trompent en rapprochant ce passage des vers 29 et suiv. de l'idylle VIII. Ici Ausone parle de la victoire remportée par Valentinien et son fils sur les Alemanni, en 368, et racontée par Ammien Marcellin, l. XXVII, c. 10. Dans l'idylle VIII, composée dix ans après, il célèbre des triomphes de Gratien seul, et dont nous n'avons d'autre historien que lui. [144] Bordeaux, patrie du poète, était la capitale des Bituriges Vivisci. [145] Il dit de même, lettre XVI, v. 76 : Ausonius, nomen Italum, ce que Wernsdorf explique par citoyen romain. Je crois plutôt que le poète voulait jouer sur le double sens du mot Ausonius, qui signifie Ausone et Ausonien ou Latin. [146] Allusion sans doute aux fameuses écoles de l'Aquitaine. [147] VIRGILE, Énéide, l. VIII, v. 63. [148] Les noms de fleuve, en latin, sont généralement masculins, malgré leur terminaison féminine. Ausone emploie indifféremment les deux genres pour la Moselle , et ne suit en cela que les règles ou les caprices de l'harmonie. Je crois donc que Tollius et Wernsdorf ont eu tort de rétablir ici le féminin, celebranda Mosella, parce qu'Ausone a dit, deux vers plus haut, dominæ Mosellæ. Ce serait un tort non moins grave, de vouloir rétablir partout le masculin, comme quelques éditeurs, ou comme M. L. Quicherat, qui, dans son Thesaurus poeticus, citant au mot Druentia le v. 479, blâme la leçon vulgaire incerta, et met de son autorité privée incerte, ce qui est une double erreur, puisque le mot Druentia, dans ce vers, n'est pas au vocatif. [149] Arles. [150] On sait que le Rhône se divise à Fourques, près d'Arles, en deux bras. Il paraît qu'une partie du pays qu'il traversait depuis cet endroit jusqu'à Marseille, avait reçu le nom de Ripa dextra ; c'est du moins l'opinion de Scaliger, qui cite à l'appui une inscription antique trouvée à Narbonne, et où les mots ripœ dextrœ se rencontrent. Il est difficile d'admettre cette conjecture, car il serait assez singulier que le pays situé du côté de Marseille, par, conséquent sur la rive gauche du Rhône, eût reçu précisément le nom de rive droite. Cette dénomination aurait pu s'appliquer avec plus de raison à la Camargue. Mais je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'aller chercher si loin le sens de cette expression. Ausone veut dire seulement que le Rhône traverse Arles et coupe cette ville en deux, pour donner un nom, une parure à chacune de ses rives. Le poète fait ainsi allusion à cette seconde partie de la ville d'Arles, qui venait d'être tout récemment construite par Constantin sur la rive droite du fleuve, et qui prit dans la suite le nom de Trinquetaille. Ce faubourg faisait l'ornement de la rive droite, comme l'ancienne ville faisait depuis longtemps la gloire de la rive gauche. [151] « Symmaque était fils de L. Aurelius Avianus Symmachus, qui fut préfet de Rome en 364. Pour lui, il est nommé Q. Aurelius Symmachus à la tête de ses Lettres, dans Macrobe et dans une inscription. Il a eu au moins trois frères, morts avant l'an 389.... Symmaque épousa Rusticienne, dont on marque qu'elle lui tenait quelquefois le flambeau pendant qu'il lisait et qu'il travaillait. Elle était fille d'Orfite, qui fut longtemps préfet de Rome sous Constance, mais qui eut diverses disgrâces : de sorte que Symmaque n'en eut aucun bien. Il ne laissa pas de passer pour un des riches sénateurs de Rome, quoique non pas des plus riches, mais des médiocres. Il n'eut qu'un fils nommé Q. Fabius Memmius Symmachus. Il était grand pontife du paganisme, ce qui paraît assez souvent dans ses Lettres. Il fut questeur, préteur, correcteur de la Lucanie et des Brutiens en 365 ou 368, proconsul d'Afrique en 370 ou 373, préfet de Rome en 384, et consul ordinaire en 391. Son inscription le qualifie comte du troisième ordre.... Symmaque s'était acquis la réputation d'un orateur très éloquent. Il publia plusieurs de ses harangues, qui ne lui réussirent pas néanmoins ; de sorte qu'il ne voulut plus s'appliquer qu'à écrire des lettres, et c'est la seule chose qui nous en reste. Nous en avons dix livres, qui furent publiés après sa mort par son fils, ses lettres ayant été gardées par ses copistes, et par un de ses amis nommé Elpide. » (TILLEMONT, Hist. des Empereurs, t. V, p. 407 et 409.) M. Villemain, dans un remarquable travail sur Symmaque (De Symmaque et de saint Ambroise, dans les Mélanges), s'exprime ainsi sur cet écrivain : « Symmaque, proconsul d'Afrique, préfet de Rome, prince du sénat, souverain pontife, eut par dessus tous ces titres la réputation de grand orateur, et fut comparé à Cicéron. Symmaque, au premier rang des sénateurs de Rome, se trouvait engagé dans la défense du polythéisme, par cet intérêt commun et cet amour-propre d'une grande assemblée, si puissant sur l'esprit de ceux même qui la dominent. Du reste, on ne trouve dans ses écrits nulle expression de haine contre le christianisme ; comme Pline le Jeune, il va même jusqu'à louer la vertu des chrétiens. Ce n'est pas le seul trait de ressemblance que l'on aperçoive entre ces deux orateurs, qui, à trois siècles de distance, brillèrent dans le sénat romain. Symmaque, avec moins de goût et de pureté , travaille à reproduire l'ingénieuse élégance de Pline, plus accessible à l'imitation que la grande éloquence des beaux siècles de Rome. Le hasard a voulu que ces deux hommes, qui, chacun dans leur temps, parurent le modèle de l'éloquence, ne nous soient guère connus que par un recueil de lettres *. Les lettres de Symmaque respirent également le goût de l'étude et de la vertu; quelques-unes sont adressées à Ausone, qui passait alors pour un grand poète, et que ses vers, et la reconnaissance de l'empereur, son disciple, portèrent au consulat. Le seul monument précieux qui nous soit resté du génie de Symmaque, c'est le discours adressé à Valentinien pour le rétablissement de l'autel de la Victoire, peu de mois avant la chute et la mort de ce jeune empereur. C'est l'impuissant et dernier effort du paganisme, etc. » On peut consulter encore sur Symmaque, HEYNE, Censura ingenii et morum Q. A. Symmachi (Opusc. Acad., t. VI, p. 1) ; M. BEUGNOT, Hist. de la destruction du paganisme ; DAUNOU, article Symmaque de la Biographie universelle de Michaud, etc. On trouve dans le recueil des Lettres de Symmaque, trente lettres adressées à Ausone (liv. I, lett. 13 à 43). Fleury en a choisi et détaché sept, qui ont plus particulièrement rapport aux poésies et aux circonstances de la vie d'Ausone, et les a placées en tête de son édition. Nous les avons traduites et comprises dans l'Appendice de ce volume, sous le n° VI. * “M. Angelo Maio, si justement célèbre par ses précieuses découvertes et par ses manuscrits palimpsestes, a trouvé et publié quelques fragments des panégyriques de Symmaque ; mais ces débris d'un genre d'ouvrage insignifiant par lui-même n'offrent aucun intérêt pour l'histoire ou pour le goût. Que faire aujourd'hui de compliments adressés à Valentinien ou à Gratien ?” [152] Souvenir de cette scène de l'Aululuria (v. 421), où Euclion raconte que son coq, en grattant autour de l'endroit où sa marmite était cachée, a failli découvrir son trésor. [153] Le mot g¤rron signifie une claie d'osier. Selon Festus, au mot Cerrones, les Siciliens se servaient de ces claies d'osier en guise de boucliers, dans leurs guerres contre les Athéniens. Le même grammairien, au mot Gerrœ, dit au contraire que les Athéniens, au siège de Syracuse, demandant sans cesse des claies d'osier, firent beaucoup rire les Siciliens, qui, pour se moquer d'eux, les appelaient Gerrœ. Ce mot devint ainsi un terme de mépris. Plaute l'emploie souvent pour exprimer des niaiseries, des bagatelles. [154] Quand Hippolyte eut été déchiré par ses chevaux emportés, Esculape, à la prière de Diane, lui rendit la vie. [155] Platon, dans sa jeunesse, s'était exercé à la poésie ; mais ayant comparé ses vers à ceux d'Homère, il les jeta au feu en parodiant un vers de l'Iliade (l. XVIII, v. 392) : A moi, Vulcain ! Platon a besoin de ton aide. Voir BARTHÉLEMY, Voyage du jeune Anacharsis, ch. VII. [156] Ausone ne suivit les expéditions militaires que lorsqu'il eut été nommé précepteur de Gratien, c'est-à-dire après l'année 368. La date de cette pièce est ainsi facile à déterminer. — Quod tempus, ut scis, licentiæ militaris est. C'est un trait de moeurs qui n'est pas particulier au siècle d'Ausone et aux soldats de Valentinien et de Gratien. De tout temps, depuis Auguste (HORACE, épode IX, v. 13 et suiv.) et Vitellius (TACITE, Hist., l. II, ch. 87), une licence effrénée s'était conservée dans les camps et les armées de l'empire, où l'on comptait autant et souvent plus de cuisiniers, de baladins et de bouffons que de soldats. L'énergique peinture que nous a laissée Ammien Marcellin (l. XXII, c. 4) des désordres des légions de Julien, nous explique ces repas crapuleux et ces improvisations d'un poète aviné au milieu d'une expédition militaire : Quibus tam maculosis, dit l'historien après avoir parlé du luxe et de la débauche des citoyens, accessere flagitia disciplinæ castrensis, quum miles cantilenas meditaretur pro jubilo molliores ; et non saxum crat ut antehac armato cubile, sed pluma et flexiles lectuli ; et graviora gladiis pocula, testa enim bibere jaco pudebat ; et quærebantur ædes marmoreœ, quum scriptum sit in antiquitatibus, Spartanum militem coercitum acriter, quod procinctus tempore ausus sit videri sub tecto, etc. [157] Voir, sur ce Rubrius, CICÉRON, in Verr., act. II, l. 1, c. 25 et 26. [158] HORACE, l. III, ode 19, v. 11 et suiv. [159] Allusion à l'histoire si connue du peintre Néalcès, racontée par Valère Maxime, l. VIII, ch. 2, § 7 extr., et par Pline, Hist. Nat., l. XXXV, c. 36 ou 9. C'est aussi une allusion à cet usage des anciens, qui effaçaient avec une éponge sur le papyrus ou le parchemin les endroits qu'ils voulaient corriger. [160] Le présent, le passé, le futur. [161] La première, la seconde et la troisième personne. [162] Le masculin, le féminin et le neutre. [163] Le positif, le comparatif, le superlatif. [164] L'ïambique, le trochaïque, le dactylique, l'anapestique, le choriambique, l'antipastique, les deux ioniques et le péonique. Voir HERMANN, Elem. doctrinæ metricæ, l. II, c. 1. [165] Les noms, les verbes et les particules indéclinables ; les verbes actif, passif, neutre, etc. [166] Martianus Capella fait dire par la Musique elle-même : Tria tantum mei genera putabantur, Εἰδικὸν, Ἀπεργαστικὸν, Ἐξαγγελτικόν (l. IX, § 936, p. 732 de l'éd. de Kopp, 1836, in-4°). [167] Le nombre trois revient en effet souvent dans la médecine : la physiologie, la pathologie et la thérapeutique ; le triple flux de ventre dans Hippocrate, la triple fièvre dans Galien, etc. [168] Voir sur Hermès trismégiste l'art. Hermès de la Biographie universelle de Michaud, partie mythologique. [169] Pythagore. Pythagorri, dit Cicéron (Academ. I, l. II, c. 37), ex numeris et mathematicorum initiis profacisci volant omnia. Pythagore et ses disciples donnaient à l'intelligence ou au principe actif de l'univers le nom de monade ou d'unité, parce qu'il est toujours le même ; à la matière ou au principe passif celui de dyade ou de multiplicité, parce qu'il est sujet à toutes sortes de changements ; au monde enfin celui de triade, parce qu'il est le résultat de l'intelligence et de la matière. Voir BARTHÉLEMY, Voyage du jeune Anacharsis, ch. XXX. [170] Aulu-Gelle (l. III, c. 10) nous apprend que Varron avait écrit sur le nombre sept (voir plus haut la note 124 dans l'Idylle X). Il paraît qu'il s'était aussi occupé du nombre trois. [171] Griphus. Du grec γρίφος énigme. [172] C'est la loi imposée par le roi du festin. Les convives étaient tenus, sous peine d'amende, d'exécuter ses ordres (PLUTARCH., Sympos., I, 4). Il fixait à chacun le nombre de coupes qu'il devait vider (PLAUTE, Stichus, v. 687) : c'était ordinairement trois ou neuf, le nombre des Grâces et, celui des Muses. Ausone dit mystica lex, parce que les anciens attachaient aux nombres des propriétés mystérieuses. [173] Ce cube est 27. [174] Le germe garde communément le nom d'embryon jusqu'au troisième mois de la conception ; on l'appelle fœtus ensuite, et ce n'est qu'au neuvième mois que son développement s'achève. [175] Jupiter, Neptune et Pluton, enfants d'Ops et de Saturne. [176] Le fil de pourpre, comme le fil d'or, était le symbole d'une vie heureuse. [177] Le corbeau. [178] Le phénix. [179] Voir PAUSANIAS, in Bœot., XI, 34. [180] La morale, la physique, la logique. [181] Les Romains partageaient la nuit en quatre veilles, qui étaient de trois heures chacune : par conséquent chaque sentinelle veillait trois heures. Telle est l'explication que donnent les commentateurs de ce vers d'Ausone, qui affectait, il le dit lui-même, un peu d'obscurité. Cependant Souchay croit que le poète désigne plutôt les trois veilles qui avaient lieu pour la garde du questeur, selon cette phrase de Polybe (l. vi) : Γίνονται δὲ ὡς ἑπίπαν τρεῖς φυλακὰ παρὰ τὸν ταμίαν, etc ; ou bien encore la nuit des Grecs, divisée, comme celle des Hébreux, en trois parties seulement, ainsi qu'on le voit dans Homère et Théocrite. [182] Théocrite (Idylle XXIV, v. 63) dit que le coq chante trois fois pour annoncer le jour. Ausone, selon la plupart des commentateurs, fait ici allusion à la fable racontée par Lucien dans son dialogue intitulé : Ὄνειρος ἢ Ἀλεκτρυών. [183] Hercule. On connaît l'histoire d'Amphitryon. [184] Aux huit poètes lyriques, on joint ordinairement Sapho. Voir l'épigr. XXXII, t. Ier, p. 46. [185] Il n'y eut que trois Muses d'abord (PAUSAN., l. IX, c. 29), guidées, conduites, gouvernées par Apollon : car c'est ainsi, je crois, qu'il faut entendre tenuit quas dextera Phœbi, plutôt que de supposer, comme tous les commentateurs, des statues d'Apollon portant les images des Muses dans la main droite : Macrobe (Saturn., l. I, c. 17) dit qu'Apollon était représenté tenant dans la main les Grâces, et non les Muses. Dans la suite, une ville de Béotie commanda des statues de ces trois Muses à trois artistes, afin de choisir les mieux faites pour les dédier à Apollon. Ces trois artistes ayant également réussi, la ville n'osa choisir, et acheta les neuf statues, à chacune desquelles Hésiode donna ensuite un nom. Cette histoire, qui se trouvait dans Varron, nous a été conservée par saint Augustin (De Doctrina Christ., l. II, c. 27). Elle explique les deux vers qui suivent. [186] Sur les jeux Térentins ou Séculaires, voir VALÈRE MAXIME, l. II, c. 4, n° 5, et Rome au siècle d'Auguste, par M. DEZOBRY, t. II, p. 370. [187] C'est-à-dire qu'on recommença trois fois ces combats de gladiateurs, selon Tollius, Fleury, Wernsdorf et Souchay, ou qu'ils furent exécutés par trois paires de gladiateurs, selon Kirchmann (de Funer. Roman., IV). J'ai adopté cette dernière opinion. Le premier spectacle de ces combats fut offert aux Romains par Marcus et Decius Brutus, l'an 488, à l'occasion des funérailles de Junius Brutus, leur père. Voir VALÈRE MAXIME, l. II, c. 4, n° 7. [188] Tout le monde sait que le mot de cette énigme c'est l'homme, quadrupède dans son enfance parce qu'il se traîne sur les pieds et sur les mains, bipède dans la force de l'âge où ses deux jambes le soutiennent seules, et tripède dans sa vieillesse où il s'appuie sur un bâton. [189] Jocaste avait promis sa main et le trône de Béotie, qu'Ausone appelle l'Aonie, à celui qui devinerait l'énigme du Sphinx. Ce monstre, en proposant son énigme, semblait ainsi chercher un époux pour la reine. C'est le sens que Fleury donne à ce vers : il est un peu forcé. Wernsdorf en propose un autre. Ausone, dit-il, considère ici le Sphinx comme une femme impudique, qui, par ses énigmes, attirait les passants pour en jouir de force. Il est représenté sur une pierre antique (GORLEUS, Dactyl., part. II, n° 527), tenant un jeune homme qu'il a pris pour le faire servir à ces étranges amours. [190] Ces trois hôtes du Capitole étaient Jupiter, Junon et Minerve. [191] L'isopleure, l'isocèle et le scalène. [192] L'énigme contenue dans ces neuf vers a beaucoup occupé les commentateurs, qui l'ont expliquée chacun à sa manière, ce qui prouverait peut-être qu'on n'en a pas encore trouvé le mot. Voici l'explication qu'en donne Lemaire, en partie d'après Tollius, et en partie d'après Wernsdorf le fils. Le nombre parfait désigné ici par Ausone, c'est neuf (c'est trois d'après Tollius et Fleury), composé de trois fois trois unités, congrege ter trino, III III III. Trois est le premier nombre, primus, qui contient un nombre pair II, un impair III, et un milieu I, et ce I partage, coupe, dividit, trois III, cinq IIIII, et sept IIIIIII. Placé au centre du nombre entier, qui est neuf IIIIIIIII, il coupe chacun des trois entiers, solidos trientes, qui forment ce cube, cubo pergente, III III III, en séparant ainsi IIIIIIIII deux nombres pairs IIII IIII de la réunion de ces trois impairs III III III ; et dans ce même nombre neuf, cette unité devient le triple milieu de trois nombres pairs, paribus triplex medium, quand elle est intercalée, quum secernitur, entre quatre IIII, de cette manière IIIII, entre six IIIIIII, et entre huit IIIIIIIII. Au vers 57, quelques éditions portent cubo pereunte, ce qui est plus juste : ce cube est huit, IIIIIIII, et l'unité le détruit en le partageant ainsi : IIIIIIIII, ce qui fait neuf. Tollius, dans ses Omissa Commissa, et Fleury ont donné de ces vers une interprétation plus savante, repoussée par Lemaire, qui ne croit pas qu'Ausone ait mis assez de malice dans son énigme pour exiger un Œdipe aussi ingénieux que Fleury. L'abbé Jaubert a aussi donné son explication, mais comme il n'a pas pour habitude de comprendre les passages les plus faciles de son auteur, il est douteux qu'il ait vu clair à débrouiller ce logogriphe. On trouvera d'autres particularités assez curieuses sur les propriétés du nombre neuf (la plupart présentées par Fontenelle) dans les Nouvelles de la république des Lettres (BAYLE, Œuvres diverses, t. I, p. 363, 406, 490 et 664). [193] Ce sont les interdits relatifs à la possession (Instit. de Justinien, l. IV, t. 15). L'interdit Unde vi, pour recouvrer la possession, était ainsi conçu (Digeste, 13, 16, 3, § 9, f. Ulpien) : Unde tu illum vi dejecisti, aut fanilia tua dejecit, de eo, quœque ille tunc habuit, tantummodo intra annum, vost annum de eo, quod ad eum pervenit, judicitini dabo. L'interdit Utrobi était donné pour retenir la possession. En voici la formule (Digeste, 43, 31, De utrubi, I pr.) : Utrubi hic homo, quo de argitur, majore parte hujusce anni fuit, quominus is eum ducat, vint fieri veto. Enfin l'interdit Quorum bonorum, qui se donnait pour acquérir la possession, était conçu en ces termes (Digeste, 43, 2. Quorum bonorum, I pr.) : Quorum bonorum ex edicto meo illi possessio data est, quod de his bonis pro herede aut pro possessore possides, possideresve, si nihil usucaptum esset, quod quidem dolo fecisti, ut desineres possidere, id illi restituas. [194] Il y avait trois manières d'affranchir les esclaves : 1° par la baguette, per vindictam, quand le préteur, en présence du maître, touchait avec une petite baguette la tête de l'esclave, en disant : “Je déclare que cet homme est libre, jure Quiritium” ; 2° par le cens, sensu, quand un esclave, avec le consentement du maître, était inscrit par les censeurs an nombre des citoyens ; 3° et enfin par testament, testamento.
[195] Il s'agit des trois changements d'état (Instit. de Justinien, l. I, t. 16). Trois éléments constituaient l'état, status ou caput, du citoyen romain : la liberté, la cité, la famille. Ces trois éléments pouvaient se perdre par divers événements. « La perte de la liberté entraînait celle des deux autres éléments ; la perte de la cité entraînait celle de la famille, en laissant subsister la liberté ; enfin la perte de la famille n'altérait en rien la liberté ni la cité. Dans les deux premiers cas, l'état de citoyen romain était détruit, n'existait plus, status amittitur. Dans le troisième, l'état de citoyen romain subsistait toujours, mais il était modifié, puisqu'on sortait de la famille pour entrer dans une autre, ou pour en commencer soi-même une autre, status mutatur... Ces événements se nommaient tous les trois capitis deminutio, “diminution de tête” : le premier, maxima, la grande ; le second, media, la moyenne, et le troisième, minima, la petite, la moindre diminution de tête. » (Explication hist. des Instit. de Justinien, par M. ORTOLAN, Ier part., tit. I, ch. 2, § 4.) [196] Cette distinction est établie par Quintilien, l. XII, ch. 10. [197] Selon Vinet, tripodes est au singulier avec la forme grecque, tripñdhw. On suppose qu'Orphée, dans un poème où il chantait l'eau, la terre et le feu, représentait ces trois éléments comme le trépied qui soutenait l'univers. [198] Le mode dorien, le phrygien et le lydien. [199] L'harmonie des vers et de la prose. [200] Le chant et le son des instruments. [201] Romulus institua les tribus en divisant le peuple en trois parties. Varron (de Ling. Lat., l. v, § 81) indique ainsi l'origine du nom des tribuns : Tribuni militum, quod terni tribus tribubus Ramnium, Lucerum, Titium, olim ad exercitum mittebantur. Tribuni plebei, quod ex tribunis militum primum tribuni plebei facti qui plebei defenderent, in secessione Crustumerina. [202] Les trois centuries de chevaliers, formées, selon Tite-Live (l. I, c. 13), après l'enlèvement des Sabines : Eodem tempore et centuriæ tres equitum conscriptæ sunt, Ramnenses ab Romulo, ab Tito Tatio Titienses adpellati, Lucerum nominis et originis causa incerta est. [203] Le prénom, le nom et le surnom. [204] Dans les tétrachordes des anciens, la première corde se nommait çp‹th, gravis, la seconde, m¡sh, media, et la troisième, n®th, acuta. [205] Les calendes, les nones, les ides. [206] Elle avait la tête d'un lion, la queue d'un dragon, le corps d'une chèvre. [207] Les trois livres Sibyllins (il y en avait neuf, selon d'autres) furent confiés d'abord aux duumvirs, puis aux décemvirs, et enfin aux quindécemvirs des sacrifices, chargés des jeux Séculaires. [208] « Rien ne montre mieux, dit M. Ampère, le peu de place que tenait le christianisme dans l'imagination d'Ausone, que son Griphe, petit poème bizarre dans lequel il énumère tous les objets qui sont au nombre de trois... Toutes les triades mythologiques s'y trouvent... mais, vers la fin seulement, il se rappelle que dans les quatre-vingt-sept vers qui précèdent, il a oublié la Trinité, et il lui accorde, non pas tout un vers, non pas la moitié d'un vers, mais trois mots. Mention bizarre du dogme de la Trinité, jetée au bout d'une pièce païenne, et à la fin d'un vers dont le commencement est peu sérieux. » Ajoutons que c'est une pure moquerie, la moquerie effrontée, d'un rhéteur ivre, qui, au milieu des fumées du vin et des “démangeaisons de sa gale poétique”, se rappelle, pour en rire, son christianisme de convention, et, selon la remarque spirituelle de M. Demogeot, Est fidèle à sa pointe encor plus qu'à l'Olympe. Ce n'est pas sans raison, du reste, qu'Ausone a choisi Symmaque pour lui adresser ces vers. Le cadeau, s'il ne pouvait satisfaire l'élégant orateur par la richesse de la poésie, devait flatter sa ferveur païenne par son appareil mythologique, et surtout par cette profane saillie contre la Trinité. [209] Ce poème singulier a eu, comme le Griphe et le Centon nuptial, ses admirateurs et ses imitateurs. Les poètes modernes se sont plusieurs fois essayés à ces tours de force. Turnèbe a fait en vers latins un griphe sur le nombre deux, et Frédéric Morel en a fait un sur le nombre cinq, après avoir traduit en vers grecs celui d'Ausone. Tollius a fait un centon en vers grecs composés d'hémistiches pris à Théocrite, et Clément Marot a imité en vers français la Technopégnie. « Ainsi, dit M. Ampère, à l'aurore de la littérature moderne, on imitait les bizarreries au sein desquelles la littérature antique s'était perdue. » Étienne Pasquier, qui se délassait lui-même à ces jeux poétiques, leur a consacré plusieurs chapitres dans les Recherches de la France (l. VII, ch. 12 et suiv.). Je n'en citerai que ce qui concerne Ausone et la Technopégnie. « Pourquoy, dit-il , envierons-nous à nostre poésie Françoise divers jeux, si les Romains mesmes s'en dispenserent quelquesfois ? Je recognoistray que tant que la poésie latine fut en sa pleine fleur, sous Catulle, Virgile, Horace, Ovide, Tibulle et Properce, telles plaisanteries n'estoient en usage ; mais les survivans ne pouvaut atteindre à leur parangon, s'en voulurent revanger par des jeux poétiques (ainsi les veux-je appeller) ausquels ils se rendirent admirables. Celuy de tous les poètes latins qui s'y esgaya d'avantage fut Ausone, lequel au milieu d'une infinité de poëmes de prix, nous voulut servir de ceux cy, premierernent en ces vers qui commençoient et finissoient par monosyllabes, et dont le commencement du suivant estoit emprunté de la fin du precedent. Res homiuum fragiles alit, et regit, etc. « Je vous passe le demeurant... Il en fit un autre de quatre vingts dix-huit d'une trempe, mais d'une mesure si exacte superstition. Æmula Diis, naturæ imitatrix , etc. « Il n'est pas que puis après il ne se joue en 27 carmes sur toutes les lettres grecques, et latins monosyllabes. Dux elementorum studiis viget, etc. « Au contraire, au lieu des monosyllabes portez par tous ces petits poèmes, il en fait un autre en vers hexametres, qui finissent tous par des mots de cinq syllabes. Spes Deus æternæ stationis conciliator, etc. * * Ces vers rhoptiques qu'Étienne Pasquier croiyait d'Ausone, se trouvent dans l'Appendice. « J'adjousteray le poème qu'il fit du nombre ternaire, et le Centon nuptial, qui est composé de diverses pièces de Virgile, et neantmoins de telle grâce, comme si l'on n'avoit rien emprunté de luy... Ne pensez pas que rostre poésie françoise n'ait ses jeux aussi bien que la latine... Or tout ainsi que le poète Ausone se joue sur des monosyllabes, aussi nous le renviasmes à meilleures enseignes sur luy, parce qu'au lieu de ses monosyllabes qui ferment et ouvrent les vers, se trouve une elegie de quarante-deux carmes, insérée par Estienne Tabourot dans ses Bigarrures, qui est toute composée de monosyllabes... Outre cela, Clement Marot representa, dans une sienne chanson les jeux d'Ausone, mais d'une telle gayeté, qu'elle semble effacer le latin :
Dieu
gard ma maistresse et regente, « Un esprit sombre se mocquera de ces rencontres ; mais quant à moy je ne pense rien de si beau, mesmes que le dernier couplet, où par une belle gradation, Marot met sa plume à l'essor, jusques à ce qu'il vient fondre au point tant desiré par les amans. » Etienne Pasquier cite ensuite plusieurs de ces tours de force de nos vieux poètes, pour prouver que les Français de son temps “ont emporté en cecy le devant des anciens” ; et, après avoir, au milieu de beaucoup d'éloges, reconnu pourtant que les poètes, en s'enchaînant dans ces entraves, “perdoient toute la grace et liberté d'une belle conception”, il termine par cette boutade : « Mestier toutesfois dont je me mocque, et auquel qui moins en fait, mieux il fait. » [210] Voir sur Pacatus la note 1 de la troisième Préface, et la note 1 du Jeu des sept Sages. Pacatus n'ayant été proconsul, comme nous l'avons dit, qu'en 390, ce poème date de la vieillesse d'Ausone. [211] Voir sur L. Afranius la note 2 de l'épigr. LXXI. Je ferai remarquer en passant que ni les Estienne, dans les Fragmenta veterum poetarum, ni Maittaire, ni la Collectio Pisaurensis, ni même M. Bothe, dans ses Poetæ scenici Latinorum, ne citent ce vers parmi les fragments recueillis de la Thaïs et des autres comédies d'Afranius. [212] De τέχνη, art, et παίδιον, enfantillage. [213] Ausone vient d'adresser son poème à Pacatus, et il l'adresse de nouveau à Paulin. Cette double dédicace peut s'expliquer ainsi. Le poème entier avait été d'abord dédié à Pacatus ; il est probable qu'il ne commençait alors qu'au vers : Æmula Diis, etc. ; plus tard, en l'envoyant à Paulin, Ausone y ajouta cette lettre, ainsi que les seize vers : Res hominum fragiles, etc., et l'avertissement qui les suit. Quelques éditeurs, oubliant de faire cette distinction, avaient remplacé à la fin du poème le nom de Pacatus par celui de Paulin, et avaient mis : Indulge, Pauline bonus. C'est par erreur aussi que Vinet, et Fleury après lui, trompés par les premiers mots de cette lettre, prétendent qu'Ausoue n'envoya à Paulin que ce billet et les seize vers qui le suivent. La préface Ut in vetere verbo est, est bien évidemment adressée aussi à Paulin : cette première phrase, qui sert de transition avec ce qui précède, en est la preuve. Voir sur Paulin la note 1 de la lettre XIX. [214] J'ai ajouté à la leçon vulgaire furto Veneris, la préposition in, donnée par un ancien manuscrit que cite Vinet. — Voir, sur ces amours de Mars et de Vénus, outre Ovide, le poème d'un contemporain d'Ausone, Nepotianus, inséré dans l'Appendice. [215] A cause de sa forme, qui est presque ronde, comme la terre. [216] Vara, c'est la poutre verticale, vibia, la poutre transversale, qui s'appuie sur elle. Si la vara se brise et tombe, la vibia s'écroule avec elle. Tel est au moins le sens que donnent de ce passage les gloses d'un manuscrit. L'abbé Fleury lit biviam au lieu de vibiam, et l'entend d'une jambe courbée en dehors, que suit toujours forcément la jambe courbée en dedans, vara. Enfin, l'abbé Jaubert met sequitur vara viam, « la vare suit le chemin », et dit en note que la vare est une mesure dont les Castillans se servent encore pour toiser leurs chemins. Il fallait choisir : j'ai adopté le sens de la glose. [217] Ce proverbe se retrouve dans une des lettres de Symmaque à Ausone (voir l'Appendice), et dans une épigramme de Pomponius, rapportée par Burmann (Anthol. lat. , liv. III, ép. 244). [218] Ce qu'Ausone dit ici des Éthiopiens, qui, placés sous la zone torride, ont des jours et des nuits d'une durée à peu près égale, ne pourrait s'appliquer qu'aux habitants des pôles ; le jour, dans ces régions glacées, est de six mois. [219] Thémis, fille de Cœlus et sœur de Jupiter. [220] Les anciens interprètes de Virgile ont reconnu Junon dans ce vers de l'Énéide (l. VII, v. 432) : Cœlestum vis magna jubet. Ausone l'a compris comme eux. [221] Voir OVIDE, Fastes, l. II, v. 599 ; LACTANCE, Instit. divin., l. I, c. 20 ; et la Biographie universelle de Michaud, partie mythologique, art. Lara et Lares. [222] Aujourd'hui Nera. Ce fleuve d'Italie coule entre l'Ombrie et la Sabine, et se jette dans le Tibre. [223] Horace (l. I, ode 7, v. 15) appelle ce vent, qui soufflait de la Libye, albus Notus : c'est la traduction latine du grec Leuconotos. [224] Voir PLINE (Hist. Nat., l. XIX, c. 8 ou 52, et XX, c. 17 ou 71 ), et les notes de M. Fée , t. XIII, page 244 de l'édition Panckoucke. [225] Voir MACROBE, Saturnales, l. VII, c. 12. [226] Voir OVIDE, Métamorphoses, l. X, v. 162 et suiv. [227] Ixion. [228] Pyrrhus, qui, trompé par cet oracle à double sens : Aio te, Æacida, Romanos vincere posse, fit la guerre aux Romains et fut vaincu. [229] Io. [230] Les organes virils de Célus, dont la semence prolifique, mêlée à l'écume de la mer, donna naissance à Vénus. [231] Cette histoire des grues d'Ibycus, rapportée par Suidas, a inspiré de beaux vers à Schiller. [232] Polyxène, sœur d'Hector, immolée au tombeau d'Achille. [233] Viridomare, chef ou lars des Gaulois insubriens, vaincu par M. Claud. Marcellus en 222 av. J.-C. [234] La ruse de Sinon. [235] Nauplius voulant venger sur les Grecs la mort de son fils Palamède, alluma des feux sur les écueils de l'île d'Eubée, dont il était roi. Plusieurs vaisseaux grecs vinrent s'y briser. [236] Ganymède. [237] Dédale, qui s'envola de l'île de Crète. [238] Térée. [239] Fleury change secus en pecus ; à quoi bon ? La strix est un oiseau fabuleux fort célèbre dans l'antiquité. Ovide (Fastes, l. VI, v. 131) et Stace (Thébaïde, l. I, v. 597) en font une description poétique, mais chacun à sa fantaisie. Plaute (Pseud., v. 809), Tibulle (l. I, élég. 5, v. 52), Sénèque (Herc. fur., v. 688 ), Lucain (l. VI, v. 689), parlent aussi de cet oiseau. Pline le cite sans y croire (Hist. Nat., l. XI, c. 39 ou 95). Il ajoute que le mot strix est devenu une injure. Festus (au mot Strigas) dit en effet qu'on appelait striges les sorcières. C'est ainsi que d'oiseau la strix devint femme et prit forme humaine. Stace lui donne les traits d'une fille ; Ausone, dans ce vers, en fait un monstre femelle, et, s'il faut en croire le Dictionnaire de Moreri (art. Stryges), les vampires, en Pologne et en Russie, ont encore le nom de striges. Buffon, dans l'oiseau décrit par Ovide, a cru reconnaître l'effraie, qui fait, comme la strix d'autrefois, la terreur des enfants et des femmes de nos campagnes. [240] C'est-à-dire que la sève chasse de la racine la pousse, le bourgeon qui doit produire l'ombrage, et non pas, comme le prétend Fleure, qu'on arrache l'arbre qui aurait, sans cela, donné de l'ombrage. Ausone décrit ici le travail de la végétation au printemps ; or, si on arrache des arbres en cette saison, ce ne sont pas ceux qui promettent de l'ombrage. [241] Homère (Odyssée, l. VIII) dit que les vaisseaux des Phéaciens, environnés d'un nuage, voguaient rapidement sans avoir besoin de pilotes. Celui qui ramena Ulysse à Ithaque fut, en revenant, changé en rocher. Ausone, dans ce vers obscur, fait sans doute allusion à cette double fiction homérique. [242] Le bes valait huit onces ; l'as en contenait douze. [243] C'est-à-dire que l'e des Latins, long ou bref à volonté, tient lieu à lui seul de l'·ta et de l'¡cilòn des Grecs. [244] I est l'impératif du verbe co. [245] La voyelle u, en latin, avait le son de ou, selon Priscien. [246] Pythagore traçait un U pour désigner la route de la vertu et celle de la volupté. Ausone a déjà fait mention de cet usage du philosophe (Profess., XI, v. 5). Voici sur cette lettre et sa figure symbolique, des vers qui ont été longtemps attribués à Virgile, et insérés parmi ses Catalectes. Je les emprunte à Burmann (Anthol. lat., l. V, ép. 140) :
Littera
Pythagoræ, discrimine recta bicorni, * Je lis lœva. « La lettre de Pythagore, coupée en deux branches contraires, semble présenter une image de la vie humaine. La rude voie de la vertu se dirige par le sentier de droite, et n'offre d'abord à la vue qu'un difficile accès ; mais, après la fatigue, elle donne le repos au sommet. La voie de gauche présente un chemin plus doux ; mais, au terme du voyage, elle précipite dans l'abîme ceux qu'elle a séduits, et les roule sur d'âpres rochers. Celui qui aura surmonté de dures épreuves par amour pour la vertu, celui-là aura mérité l'éloge et la gloire. Mais celui qui suit la paresse et le luxe indolent, et qui évite imprudemment les labeurs et les obstacles, passera misérablement sa vie dans la honte et la pauvreté. » [247] Tite-Live , l. III, c. 28 : Tribus hastis jugum fit, humi fixis duabus, superque eas transversa una deligata. — Voir aussi FESTUS, au mot Jugum. [248] Quintilien (liv. I, c. 7) proscrit le K de tous les mots latins. Terentiauus Maurus (de Syllabis, v. 798) ne le conserve que dans deux mots, Kalendœ et Kaput ; Martianus Capella (l. III, § 253, éd. de Kopp) dans trois mots, comme Ausone : Kapita, ou Kapua selon Grotius, Kalendœ, Kalumniœ. Du temps d'Isidore de Séville (Orig. , liv. I, c. 4 et 26), il n'était plus employé que dans Karta, Karthago et Kalendœ. [249] Gau est l'abréviation de gaudium, comme plus loin (v. 17 et 18), cœl de cœlum, et do de domus. [250] La pièce désignée ici par Ausone est la seconde dans le recueil des Catalectes de Virgile : elle nous a été conservée par Quintilien (l. VIII, c. 3 ). C'est une épigramme contre le rhéteur Cimber, qui passait pour avoir empoisonné son frère, ce que Cicéron lui reprochait par un calembour : Germanum Cimber occidii. Il paraît que ce rhéteur avait la manie de couper ou d'abréger les mots, et qu'il disait tau pour taurus, al pour allium, min pour minium, etc., ou plutôt, qu'il assaisonnait ses discours de mots baroques empruntés aux Celtes et aux Germains, tels que tau, al, min, et Virgile semble dire que le seul mélange de ces termes barbares lui avait suffi pour donner la mort à son frère. Voir le Quintilien de la collection Panckoucke, t. IV, p. 51, et les notes de M. Ouizille sur ce passage, t. VI, p. 281. [251] Cicéron fait allusion à ce dernier sens du mot res (Philip., II, c. 31), en parlant d'Antoine venu à Rome secrètement pour causer une surprise à sa femme : Productus autem in concionem et tribuno plebis, quum respondisses, te rei tuæ causa venisse, populum etiam dicacem in te reddidisti (Voir le Valesiana, p. 121). Je crois que le peuple donne le même sens au mot chose en français. [252] Le sil est une espèce d'ocre : il y avait le sil gaulois, le sil attique, etc. Voir PLINE, Hist. Nat., l. XXXIII, c. 56 ou 12. [253] Virgile, égl. I, v. 54. On trouve dans un fragment des Pronostics traduits d'Aratus par Cicéron (de Divin., l. I, c. 7), adaugescit scopulorum sepe repulsus. Voici la note de M. J.-V. Le Clerc sur ce passage (Œuvres de Cicéron, t. XXIX, p. 500 de l'éd. in-8°). « Les grammairiens prétendent que le monosyllabe seps, cité par Ausone comme étant de Cicéron, et que nous avons conservé parmi les fragments d'ouvrages inconnus, ne peut s'appuyer aujourd'hui sur aucune phrase de cet auteur. Il est certain qu'il n'offre point d'exemple du nominatif, employé par Valerius Flaccus, l. VI, v. 536 ; mais comme la plupart des manuscrits de la Divination portent ici scopulorum sœpe repulsus, et non repulsu, mauvaise leçon de Davies, il est aisé de reconnaître ici cet ancien mot ; la diphtongue, qu'il admet d'ailleurs quelquefois dans les inscriptions, avait empêché de le distinguer. L'expression, qui a de l'élégance et de la force, répond à celle de Lucrèce, saxea septa, l. IV, v. 701. Mais une preuve que ce mot et la forme que Cicéron lui donne étaient en usage dans la langue poétique, c'est qu'on retrouve l'un et l'autre dans Ovide lui-même , Trist., l. IV, el. I, v. 81 : ....Nondum portarum sepe receptum. » [254] Le seps est un serpent fort venimeux : il est cité par Lucain, Pharsale, l. IX, v. 723. Son nom vient du grec σήπω, je putréfie. [255] Le mot calx signifie chaux et talon. Par extension on l'a dit de la fin, du terme de quelque chose, ou parce que le talon est la partie extrême du corps de l'homme, ou parce qu'on marquait par une ligne tracée avec de la chaux le bout de la carrière. M. L. Quicherat, qui adopte ce dernier sens, l'appuie de plusieurs exemples au mot Calx de son Thesaurus poeticus. [256] Souvenir plaisant de ce passage de Térence (Heaut., act. II, sc. 2 , v. 49) :
Capillus
passas prolixe, circum caput [257] Voir sur Paulus la note 1 de l'Idylle VII. [258] Parmi les écrivains qui, avant Ausone, ont composé des centons, nous ne connaissons que Hosidius Geta, auteur d'une Médée citée par Tertullien, de Præscript. hœret., c. XXXIX, et publiée par P. Burmann, Anthol. lat., l. I, ep. 178, et par Lemaire, Poetœ Lat. min., t. VII, p. 446. [259] Du grec κέντρων. [260] Cette fête faisait partie des Saturnales. Il paraît qu'il se tenait alors à Rome une espèce de foire ou de marché où se vendaient des livres, etc. Turnèbe (Advers., l. XXIII, c. 28) croit que le mot Sigillaria désignait aussi le lieu où se tenait ce marché. Voir AULU-GELLE, l. II, c. 3, et l. V, c. 4. [261] Voir, sur le sens des mots nauci et cicus, FESTUS, aux mots Naucum et Ciccum ; VARRON, de Ling. Lat., l. VII, § 91. [262] Un manuscrit portait sc. pour scilicet. Les éditeurs ont préféré S. pour sacratissimus. [263] La plupart des empereurs romains avaient cultivé la poésie, et plusieurs la poésie érotique. Sans remonter jusqu'à Auguste, dont Martial (l. XI, ép. 20) a conservé une épigramme pleine de chaleur et de verve, mais d'une obscénité dégoûtante, on peut citer un empereur beaucoup plus voisin de Valentinien, Gallien, qui fit pour les noces de ses neveux un épithalame dont Trebellius Pollion rapporte ces trois vers :
Ite,
ait, o pueri, pariter sudate medullis “Allez, enfants! suez ensemble entre vous de toutes vos moelles : que vos murmures surpassent les roucoulements de la colombe, que vos bras s'enlacent comme le lierre, que vos lèvres s'attachent comme la perle au coquillage.” [264] « C'est un symptôme assez fâcheux de la moralité de ce temps, dit M. Ampère (Hist. littér. de la France avant le XIIe siècle, t. I, p. 237), qu'une lutte poétique engagée sur de tels sujets, entre un empereur chrétien et le précepteur de son fils ; le tout entremêlé de petites habiletés assez peu dignes, et qui semblent bien glorieuses à celui qui les raconte. » Je ne sais pas trop s'il est bien juste de reprocher à Ausone ses petites habiletés : Ausone était dans un mauvais pas ; il s'en est tiré, en homme d'esprit et de cœur, à sa gloire. Avec un maître comme Valentinien, qui, au rapport d'Ammien Marcellin (liv. XXX, c. S), invidia medullitus urebatur,... et oderat eruditos.... ut solus videretur bonis artibus eminere, je ne connais guère de moyen plus digne de sortir d'affaire. [265] Il veut dire qu'après l'avoir vu ainsi transformer le sérieux en burlesque, et faire des vers nouveaux avec des hémistiches anciens, Paulus ne doit plus s'étonner des transformations de Bacchus en Thyonianus et d'Hippolyte en Virbius. [266] Il continue sa métaphore. Festus (au mot Dirutum) : Dirutum œre militera dicebant antiqui, cui stipendium ignominiæ causa non erat datum : quod œs diruebatur in fiscum, non in militis sacculum. [267] Cette préface s'adresse à Valentinien et à Valens, son frère. Le poète y fait l'éloge de ces deux empereurs, et de Gratien, empereur comme eux, et son élève. [268] Vinet rétablit, malgré tous les manuscrits, ne forte, parce que cette locution est plus usitée chez les bons auteurs. [269] Le vers qu'Ausone vient de citer est de Martial (l. I, ép. 5). Quelques éditeurs ont donc mis ici Martialis au lieu de Plinius. Scaliger les traite de niais ; comme si, dit-il, deux poètes n'avaient pas pu trouver le même vers ! Quoique cette raison soit peu convaincante, nous laissons Plinius, par respect pour les manuscrits. [270] La plupart des éditions portaient Sulpicii. Il s'agirait alors de Servius Sulpicius Rufus, orateur célèbre, ami de Cicéron, consul en 702, et qu'Ovide (Tristes, l. II, v. 441) et Pline le Jeune (l. V, lett. 3) citent comme un poète érotique, dont l'exemple pouvait leur servir d'excuse. Mais Scriverius a rejeté cette leçon, pour mettre Sulpitiæ. Sulpicia et Calenus, son mari, étaient contemporains et amis de Martial, qui les a chantés (l. x, ép. 35 et 38). Sulpicia célébrait en vers son amour pour Calenus, mais en vers pudiques comme son amour. Car Martial, et Sidoine Apollinaire qui parle aussi de cette femme (Carm. IX, v. 258), ne disent rien qui permette de croire que le prurire d'Ausone puisse s'appliquer, comme le veut Seriverius, aux poésies de Sulpicia. Le scoliaste de Juvénal (sat. VI, v. 536) nous a conservé d'elle deux vers, assez peu intelligibles, mais qui pourtant semblent exprimer un sentiment de pudeur et de chasteté :
Ne
me cadurcis destitutam fasciis “Je ne veux pas qu'on enlève les draps et les voiles qui me couvrent, pour me montrer nue, couchée avec Calenus.” Il nous reste encore de Sulpicia une satire écrite contre Domitien (traduite par M. Perreau, à la suite des Satires de Perse, dans la Bibliothèque Latine-Francaise de M.Panckoucke). Boxhornius pense que quelques poésies de Sulpicia ont été confondues dans les manuscrits avec celles d'Ausone et de Tibulle. Les élégies qui se trouvent au quatrième livre de Tibulle sous le nom de Sulpicia, ne sont point d'elle, selon l'opinion de Heyne et de Wernsdorf ; mais je crois qu'on peut, sans trop de scrupule, lui restituer un fragment élégiaque retrouvé sans non d'auteur dans les manuscrits d'Ausone, et intercalé par ses éditeurs au milieu de ses épigrammes, avec ce titre : De Penelope (épigr. CXXXV, t. Ier, p. 96). C'est une charmante bouderie de jeune femme, exprimée avec une grâce et une délicatesse dont Ausone et les rhéteurs de son temps n'avaient plus le secret. Par compensation, on fera bien de reprendre à Sulpicia deux vers sur Domitien, que P. Burmann lui attribue dans ses Poetæ minores (t. II, p. 440), quoiqu'ils aient été retrouvés sous le nom de Martial, et dont la pensée et presque la forme appartiennent à Ausone. Ces vers :
Flavia
gens, quantum tibi tertius abstulit heres ! sont tout simplement le quatrain d'Ausone sur Domitien (Cœsar., XII, t. Ier, p. 230) réduit en un distique. [271] Cérellia était une dame romaine dont Cicéron devint amoureux dans ses vieux jours, quoiqu'elle fût encore plus vieille que lui. C'est du moins l'historien Dion qui le fait dire à Calenus, dans son invective en réponse à la seconde Philippique. L'abbé Mongault, traducteur de Cicéron, repousse avec chaleur une si odieuse imputation, et, selon lui, les lettres de galanterie à Cérellia, citées par Ausone, ne sont point de Cicéron, mais d'Apulée. L'abbé Mongault est dans l'erreur : il est évident qu'il y a ici une lacune dans le texte d'Ausone. « N'est-il pas possible, dit M. J.-V. Le Clerc (Œuvres de Cicéron, t. XX, p. 332), que certains copistes, craignant, comme l'abbé Mongault, pour la réputation de Cicéron, aient retranché Ciceronis ? Quintilien (l. VI, c. 3) parle des lettres de Cicéron à Cérellia, et nous verrons ici (Lettres à Atticus, l. XIII, ép. 21) qu'il était intimement lié avec elle, puisqu'il lui confiait ses ouvrages avant qu'ils fussent publiés. Il s'en défend ; mais pourquoi l'aurait-il nié, s'il n'avait craint dès lors les propos que Dion prête à Calenus ? » [272] Il reste encore de Platon deux épigrammes sur Aster (Voir les Œuvres de Platon traduites par M. Cousin, t. XIII, p. 210). Ausone en a traduit une en latin (épigr. CXLIV, l. Ier, p. 102). [273] Annianus vivait sous Trajan et Adrien. Il était ami d'Aulu-Gelle (Noct. Att., l. VII, c. 7 ; l. IX, c. 10 ; l. XX, c. 8). Il ne nous reste rien de ses fescennins. [274] Lévius, qu'on a quelquefois confondu avec Livius Andronicus et Nævius, est peu connu. M. Weichert, qui a fait de curieuses et savantes recherches sur ce poète (Poetar. Latin. reliquiæ, p. 19 et sq.), le croit contemporain d'Hortensius et de Cicéron. Ce qui le confirme dans cette conjecture, c'est qu'un fragment des Érotopégnies de Lévius, cité par Aulu-Gelle (l. II, c. 24), fait mention de la loi Licinia, qui fut promulguée l'an de Rome 657. Ces Érotopégnies étaient, à ce qu'il paraît, un recueil de poésies légères divisé en plusieurs livres (car les grammairiens parlent du sixième), qui chacun avait un titre particulier, comme Protesilaodamia, Adonis, Alcestis, Ino, etc. Tous les fragments de ce poète ont été religieusement recueillis par M. Weichert ; mais la plupart sont si courts, qu'on peut à peine en distinguer le sens. [275] Il y eut de ce nom deux poètes grecs : tous deux de l'île de Paros. Le premier, dont il est question Platon, enseigna, dit-on, la poétique à Socrate. Le second vivait 250 ans environ avant J.-C. C'est du premier, par conséquent, qu'Ausone veut parler ici. On lit, sous le nom d'Evenus, quelques épigrammes dans l'Anthologie. [276] Ménandre, né à Athènes en 342 avant J.-C., mourut l'an 290. Il ne nous reste que quelques fragments de ce célèbre auteur comique. La meilleure et la plus complète édition est celle qui vient d'être publiée à la suite de l'Aristophane de M. Firmin Didot. [277] Huet donne une autre étymologie à ce surnom de Virgile (Huetiana, p. 126) : « J'aime trop Virgile, dit-il, pour vouloir médire de lui ; mais j'aime trop aussi la vérité pour consentir à la louange qu'on lui donne, d'une grande pureté de mœurs, fondée sur ce qu'à Naples, où, après un long séjour, il a été enterré, on l'appelait Parthenias ; ce qu'on explique virginal ou amateur de la virginité. Ses églogues mêmes, et ceux qui ont écrit sa vie, n'en parlent pas ainsi, et n'ont pas dissimulé son penchant à l'amour, qui, dans la morale de Rome païenne, n'était pas un vice. Le nom de Parthenias signifie tout autre chose que ce qu'on s'imagine. C'est une traduction du nom de Virginius, que les Napolitains, nation grecque, confondirent avec Virgilius, comme ces deux mêmes noms ont été confondus en d'autres personnes. » [278] Cette idylle et les cinq dernières, qui se trouvaient également dans les manuscrits de Virgile et dans ceux d'Ausone, ont été attribuées tantôt à l'un, tantôt à l'autre de ces deux poètes. On a fini par les laisser à Ausone, parce qu'en effet la versification se ressent davantage du siècle de ce grammairien. [279] Ronsard, dans les Louanges de la rose :
La
rose blanchit tout autour [280] Parseval Grandmaison (Amours épiques, ch. VI, v. 279) a traduit ainsi cette pensée :
L'œil
doute si l'Aurore à son charmant réveil [281] « Ceci est à la fois gracieux, recherché et hardi ; cette confusion des nuances des roses et des teintes de l'aurore, les parfums de la fleur prêtés à l'étoile, sont des imaginations du genre de celles dont Calderon ou Lope de Vega remplissent leurs vers cultos, espèce de tirade lyrique jetée dans leurs drames. » (M. J.-J. AMPÈRE, Hist. littér. de la France avant le XIIe siècle, t. I, p. 269.) [282] M. Sainte-Beuve a dit de même, avec une concision toute latine (Stances d'Amaury, v. 39) : La fleur mourir après éclore. [283] Tout le monde sait par cœur l'ode charmante de Ronsard à Cassandre. C'est une imitation de cette pièce d'Ausone, mais l'imitation vaut mieux que l'original :
Mignonne,
allons voir si la rose,
Las!
voyez comme en peu d'espace,
Donc,
si vous me croyez, mignonne,
[284]
Tiré de Stobée (Serm.
XCVI) et de l'Anthologie,
l. I, c. 13 : Ποίην τὶς Βιότοιο τἀμοι τρίβον
; etc. Ronsard a traduit ainsi cette épigramme de l'Anthologie :
Quel
train de vie est-il boit que je suive, [285] C'est le vers de Virgile, Énéide, l. XII, v. 880. [286] Voir DIOGÈNE DE LAËRTE, Vie de Pythagore. [287] L'abbé Fleury traduit : Hic præficitur rebus agendis suffragiis senatorum. Il ne s'agit point ici des suffrages du sénat ; Ausone, continuant ses comparaisons, oppose l'homme qui a des enfants à celui qui n'en a pas. Le sens est assez indiqué par ces vers de l'épigramme grecque citée par Fleury lui-même :
...Ἔχεις γάμον; Οὐχ ἀμείνος [288] Cette pièce a été plus généralement attribuée à Priscien qu'à Ausone. [289] Les vers d'Hésiode sont dans Plutarque (de Oracul. defectu). Ils ont été réfutés par Pline (Hist. Nat., l. VII, c. 48 ou 49 ) [290] Stilbon est la planète de Mercure ; Phénon, celle de Saturne, et Pyroïs, celle de Mars. Voir CICÉRON, de Nat. Deor., c. xx. [291] Voir, sur cette grande période, appelée aussi l'année platonique, et qui, selon quelques modernes, est de 25.920 ans, CICÉRON, de Nat. Deor., l. II , c. 20 ; MACROBE, Songe de Scipion, l. II, c. II ; PLUTARQUE, Sylla, c. VIII ; SOLIN, c. XXXVI ; CENSORINUS, C. XVIII ; SERVIUS, in Æneid., l. I, v. 269, et l. III, v. 284 ; les Mémoires de l'Académie des Inscriptions, t. XXIII, XLI, etc. [292] Ausone, ou l'auteur, quelqu'il soit, de cette pièce, viole ici la mesure. M. L. Quicherat, qui en fait l'observation (Thes. poet. ling. lat., au mot Stymphalum), propose de lire Stymphali. On peut voir d'autres monostiques sur le même sujet dans l'Anthologie latine de Burmann, l. I, ép. 42. [293] Burmann (Anthol. lat., l. I, ép. 71) cite d'autres vers sur les Muses. Ceux-ci sont traduits du grec de l'Anthologie, l. I, n° 67 : Καλλιόπη σοφίην ἡρωίδος εὗρεν ἀοιδῆς, etc. Ils ont été imités en vers français, par Danchet, par un anonyme et par F. Labouisse. Voici l'imitation de Danchet :
Dans
son rapide essor, Uranie à nos yeux
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