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TITE-LIVE

Ab Urbe Condita,

Livre XXXI



Collection des Auteurs latins sous la direction de M. Nisard,

Oeuvres de Tite-Live, t. II, Paris, Firmin Didot, 1864

 

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178 LIVRE TRENTE ET UNIÈME.

SOMMAIRE. — La guerre contre Philippe, roi de Macédoine, est rallumée à l'occasion de l'événement dont on va parler. — Au temps de la célébration des mystères de Cérès, deux jeunes Acarnaniens, qui n'y étaient pas initiés, viennent dans l'Attique et pénètrent avec la foule dans le sanctuaire de la déesse. Cette impiété est regardée comme le plus grand des crimes par les Athéniens, qui punissent de mort les coupables. — Les Acarnaniens, irrités du meurtre de leurs concitoyens, implorent le secours de Philippe pour se venger de cet outrage. — Quelques mois après la paix accordée aux Carthaginois, cinq cent quarante ana après la fondation de Rome , Philippe assiégé Athènes. — Les habitants envoient une ambassade demander aux Romains du secours contre ce prince. Le sénat est d'avis d'en accorder, et son avis prévaut, malgré l'opposition du peuple , fatigué de voir les guerres se succéder sans interruption. — La conduite de cette guerre nouvelle est confiée au consul P. Sulplicius. Ce général passe en Macédoine à la tête d'une armée et a l'avantage sur Philippe dans plusieurs combats de cavalerie. — Désespoir des habitants d'Abyde, qui, assiégés par Philippe, se tuent avec tous leurs proches, à l'exemple des Sagontins. — Le préteur L. Furius défait en bataille rangée les Gaulois Insubriens, qui s'étaient soulevés, et le Carthaginois Hamilcar qui cherchait à rallumer, dans cette contrée, le feu de la guerre. Ce général y périt avec trente-cinq mille hommes. — Expédition du roi Philippe, du consul Sulpicius, aidé des Rhodiens et du roi Attale, et prise de plusieurs villes par l'un et par l'autre. — Le préteur Furius triomphe des Gaulois.

I. Et moi aussi, je me réjouis d'être parvenu à la fin de la guerre punique, comme si j'eusse pris part en personne aux fatigues et aux dangers. [2] J'ai osé prendre la tâche d'écrire l'histoire romaine tout entière, et je sais qu'il serait peu convenable de me laisser rebuter par le détail d'une si vaste entreprise. Pourtant, lorsque je pense que soixante-trois années [3] [car c'est là le temps écoulé depuis la première guerre punique jusqu'à la fin de la seconde] [4] ont rempli autant de livres que les quatre cent quatre- vingt-huit années écoulées depuis la fondation de Rome jusqu'au consulat d'Ap. Claudius, qui commença la guerre contre les Carthaginois, [5] mon esprit s'effraie de l'avenir: je suis comme un homme qui, des bas-fonds voisins du rivage, descendrait à pied dans la mer; plus j'avance, plus je vois s'ouvrir devant moi de vastes profondeurs et comme un abîme sans fond; il semble que ma tâche s'agrandisse au lieu d'avancer, vers sa fin, comme je le croyais, à mesure que j'en achevais les premières parties. [6] La paix avec Carthage fut suivie de la guerre avec la Macédoine, guerre où rien n'est comparable à ce que nous avons vu, ni le danger, ni les talents du général, ni la valeur des soldats; [7] mais sur laquelle l'illustration des anciens rois de cette contrée, la gloire d'une antique nation, l'étendue d'un empire qui conquit jadis par la force de ses armes une grande partie de l'Europe et une portion encore plus vaste de l'Asie, répandent en quelque sorte un plus vif éclat. [8] Commencée con- 179 tre Philippe environ dix ans auparavant, cette guerre avait cessé depuis trois ans par l'entremise des Étoliens, qui firent conclure la paix après avoir été cause de la guerre. [9] Les Romains se trouvant libres enfin par la paix avec Carthage, et ne pouvant pardonner à Philippe, ni d'avoir violé les traités à l'égard des Étoliens et des autres alliés que Rome avait en Grèce, [10] ni d'avoir envoyé naguère en Afrique des troupes et de l'argent à Hannibal et aux Carthaginois, cédèrent aux instances des Athéniens, dont le roi de Macédoine avait ravagé le territoire, et qu'il avait refoulés dans leurs murs, et recommencèrent les hostilités.

II. [1] Vers le même temps, les ambassadeurs d'Attale et des Rhodiens vinrent annoncer qu'on cherchait à soulever les cités de l'Asie. [2] Il leur fut répondu que le sénat s'occuperait des affaires de cette contrée. La délibération sur la guerre de Macédoine fut renvoyée en entier aux consuls, qui étaient alors dans leurs provinces. [3] En attendant on députa vers Ptolémée, roi d'Égypte, trois ambassadeurs, C. Claudius Néron, M. Aemilius Lépidus, et P. Sempronius Tuditanus, pour annoncer à ce prince la défaite d'Hannibal et des Carthaginois, et pour le remercier [4] d'être resté fidèle aux Romains dans un moment de crise où ils étaient abandonnés par leurs alliés même les plus voisins. Ils devaient aussi lui demander que, dans le cas où les Romains seraient contraints par les injustices de Philippe à lui faire la guerre, il voulût bien conserver au peuple romain son ancienne affection. [5] A la même époque environ, le consul P. Aelius, qui était dans la Gaule, ayant appris que les Boïens avaient fait des courses sur les terres des alliés avant son arrivée, [6] détacha deux légions qu'il avait levées à la bâte pour faire face à cette attaque, y ajouta quatre cohortes de son armée, et ordonna à C. Ampius, l'un des chefs alliés, de traverser avec ce corps improvisé la partie de l'Ombrie, que les Gaulois appellent la tribu Sapinia, pour aller envahir le territoire des Boïens; il prit lui-même cette direction en passant par les montagnes sans rencontrer d'obstacles. [7] Ampius entra sur les terres ennemies et les ravagea d'abord avec assez de bonheur et de sécurité. Puis, ayant choisi près de Castrum Mutilum une position avantageuse, il se mit en campagne pour moissonner les blés, parvenus alors à leur maturité. Il avait négligé de faire reconnaître les environs [8] et d'établir des postes assez forts pour protéger de leurs armes les travailleurs désarmés et tout entiers à leur ouvrage. Aussi fut-il surpris par une brusque attaque des Gaulois et enveloppé avec ses fourrageurs; l'épouvante gagna même les postes armés, qui s'enfuirent. [9] Sept mille soldats environ, dispersés au milieu des blés, furent taillés en pièces; de ce nombre était C. Ampius lui-même. Les autres regagnèrent le camp avec terreur; [10] puis, comme ils n'avaient. plus de chefs reconnus, ils partirent tous de concert, la nuit suivante, abandonnant la plus grande partie de leurs bagages, et rejoignirent le consul à travers des bois presque impraticables. [11] Celui-ci se contenta de ravager les frontières des Boïens, fit un traité d'alliance avec les Ligures Ingaunes, et revint à Rome sans s'être signalé dans sa province par aucune autre entreprise.

180 III [1] Dès la première séance du sénat, l'assemblée entière demanda qu'avant toute autre affaire ou s'occupât de Philippe et des plaintes des alliés. La question fut discutée sur-le-champ, [2] et l'assemblée, qui était fort nombreuse, décréta que le consul P. Aelius ferait choix de quelqu'un pour l'investir du commandement militaire et l'envoyer en Macédoine avec la flotte que Cn. Octavius ramènerait de Sicile. [3] Ce fut M. Valérius Laevinus qui reçut le titre de propréteur; il se rendit à Vibo où Cn. Octavius lui remit trente-huit vaisseaux, puis il passa en Macédoine. [4] Le lieutenant M. Aurélius vint aussitôt le trouver et lui fit connaître la force des armées du roi, le nombre des vaisseaux qu'il avait équipés [5] et les manoeuvres qu'il employait non seulement auprès de toutes les villes du continent, mais dans les îles mêmes, soit qu'il y allât en personne, soit qu'il y dépêchât des émissaires, pour appeler les habitants aux armes. [6] Il fallait, ajouta le lieutenant, que les Romains déployassent plus de vigueur au début de cette guerre, parce que leurs hésitations donneraient à Philippe l'audace d'entreprendre ce que Pyrrhus autrefois avait osé avec des ressources bien moins considérables. Il fut convenu qu'Aurélius écrirait tous ces détails aux consuls et au sénat.

IV [1] A la fin de cette année, on s'occupa d'assigner des terres aux vétérans qui, sous la conduite et les auspices de P. Scipion, avaient terminé la guerre d'Afrique; le sénat décréta [2] que le préteur urbain, M. Junius, nommerait, s'il le jugeait à propos, des décemvirs pour faire arpenter et distribuer les terres du Samnium et de l'Apulie, qui étaient du domaine public: [3] le choix tomba sur P. Servilius, Q. Caecilius Métellus, C. et M. Servilius, surnommés tous deux Géminus, L. et A. Hostilius Cato, P. Villius Tappulus, M. Fulvius Flaccus, P. Aelius Paetus, Q. Flamininus. [4] A la même époque, le consul P. Aelius présida les comices, et on créa consuls P. Sulpicius Galba et C. Aurélius Cotta. Puis on nomma préteurs Q. Minucius Rufus, L. Furius Purpurio, Q. Fulvius Gillo et Cn. Sergius Plautus. [5] Les jeux Romains scéniques furent célébrés cette année avec magnificence et splendeur par les édiles curules L. Valérius Flaccus et L. Quinctius Flamininus:les représentations durèrent deux jours. [6] Scipion avait envoyé d'Afrique une immense quantité de blé. Les édiles le distribuèrent au peuple à raison de quatre as la mesure, et la bonne foi avec laquelle ils firent ce partage, leur concilia la faveur générale. [7] Les jeux Plébéiens furent célébrés trois fois en entier par les édiles plébéiens L. Apustius Fullo et Q. Minucius Rufus, qui passa de l'édilité à la préture; il y eut aussi à l'occasion des jeux un repas public au temple de Jupiter.

V [1] L'an de Rome cinq cent cinquante-deux, sous le consulat de P. Sulpicius Galba et de C. Aurélius, fut commencée la guerre avec le roi Philippe, quelques mois après que Carthage eut obtenu la paix. [2] Ce fut la première affaire que le consul P. Sulpicius mit en délibération aux ides de mars, jour où les nouveaux magistrats entraient en fonctions. [3] Le sénat décréta que les consuls immoleraient les grandes victimes aux dieux qu'ils jugeraient à propos de choisir et qu'ils leur adresse- 181 raient cette prière: [4] « Puissent les projets arrêtés par le sénat et le peuple romains, dans l'intérêt de la république et de la guerre nouvelle qu'ils vont entreprendre, avoir pour le peuple romain, les alliés et le nom latin, une bonne et heureuse issue! » Après le sacrifice et la prière, les consuls prendraient l'avis du sénat sur les affaires publiques et le partage des provinces. [5] Plusieurs circonstances se réunirent fort à propos ces jours-là pour exciter les esprits à la guerre. Pendant qu'on recevait les lettres du lieutenant M. Aurélius et du propréteur M. Valérius Laevinus, une nouvelle députation des Athéniens [6] vint annoncer que Philippe s'avançait vers leurs frontières, et que bientôt leur territoire et Athènes elle-même seraient en son pouvoir, si les Romains ne leur envoyaient quelques secours. [7] On voulut d'abord apprendre de la bouche des consuls que le sacrifice avait été fait avec toutes les cérémonies d'usage, que les dieux avaient accueilli la prière, ainsi que l'assuraient les haruspices, et que les entrailles des victimes n'offraient que d'heureux présages, et promettaient un accroissement de territoire, des victoires et des triomphes. On lut ensuite les lettres de Valérius et d'Aurélius, et on donna audience aux envoyés athéniens. [8] Puis on rédigea un sénatus-consulte pour remercier les alliés d'une fidélité que de longues sollicitations et la crainte même d'un siège n'avaient pu ébranler. [9] Quant à la demande de secours, on y répondrait lorsque les consuls auraient tiré au sort leurs provinces, et que celui à qui la Macédoine tomberait en partage aurait proposé au peuple de déclarer la guerre à Philippe, roi de Macédoine.

VI. [1] Ce fut à P. Sulpicius que le sort assigna la département de Macédoine; il proposa aussitôt la résolution suivante:

« Veuille et ordonne le peuple que la guerre soit déclarée au roi Philippe et aux Macédoniens ses sujets, à cause des violences et hostilités commises par eux contre les alliés du peuple romain. »

L'Italie échut à Aurélius, l'autre consul. [2] Les préteurs obtinrent ensuite par la voie du sort Cn. Sergius Plancus, la juridiction de la ville; Q. Fulvius Gillo, la Sicile; Q. Minacius Rufus, le Bruttium; et L. Furius Purpurio, la Gaule. [3] La proposition de la guerre de Macédoine fut rejetée aux premiers comices par presque toutes les centuries: les citoyens étaient las d'une guerre aussi longue et aussi désastreuse, et l'ennui des fatigues et des dangers les avait naturellement poussés à ce refus; [4] d'ailleurs le tribun du peuple, Q. Baebius, reprenant l'ancien système de récriminations contre les sénateurs, les accusait de faire naître guerres sur guerres pour empêcher le peuple de goûter jamais les douceurs de la paix. [5] Ces attaques irritèrent les sénateurs; ils osèrent en pleine assemblée déchirer de leurs outrages le tribun du peuple, et chacun à l'envi ils engagèrent le consul à convoquer de nouveau les comices pour leur soumettre le projet de loi, à gourmander l'indifférence du peuple [6] et à lui faire sentir tout le dommage et tout le déshonneur auxquels il s'exposerait en différant cette guerre.

VII [1] Le consul tint les comices au champ de mars; mais avant d'appeler les centuries aux suffrages, il leur adressa ces paroles: [2]

« Vous ignorez, ce me semble, Romains, que ce n'est point sur le choix de 182 la guerre ou de la paix que vous avez à délibérer; Philippe ne vous a point laissé cette alternative, puisqu'il fait d'immenses préparatifs sur terre et sur mer pour vous combattre. Mais il s'agit de savoir si vous transporterez vos légions en Macédoine, ou si vous attendrez l'ennemi en Italie. [3] Vous sentez la différence des deux partis, car elle est assez grande, et d'ailleurs la dernière guerre punique est là pour vous l'apprendre. Peut-on douter en effet que si nous eussions, lorsque Sagonte assiégée fit un appel à notre bonne foi, volé à son secours aussi promptement que nos pères le firent pour les Mamertins, tout le poids de la guerre ne fût retombé sur l'Espagne, tandis que nos délais l'attirèrent sur l'Italie, où nous avons éprouvé de si cruels désastres? [4] N'est-il pas avéré qu'au moment où Philippe allait passer en Italie pour remplir les engagements contractés avec Hannibal de vive voix et par écrit, c'est en envoyant Laevinus avec une flotte porter la guerre dans ses états, que nous sommes parvenus à la retenir en Macédoine? [5] Ce que nous avons fait alors, quand un ennemi tel qu'Hannibal était au coeur de l'Italie, pouvons-nous, aujourd'hui que l'Italie est délivrée d'Hannibal, que Carthage est vaincue, hésiter à le faire? [6] Laissons Athènes succomber comme nous avons laissé jadis Sagonte succomber sous les coups d'Hannibal; donnons à Philippe cette preuve de notre indolence. [7] Eh bien! il ne lui faudra pas cinq mois, comme il les fallut à Hannibal pour venir de Sagonte, mais cinq jours pour que sa flotte passe de Corinthe en Italie. [8] Philippe ne vaut pas Hannibal, les Macédoniens sont au-dessous des Carthaginois, je le sais; mais vous admettrez au moins la comparaison avec Pyrrhus. Que dis-je, avec Pyrrhus? Quelle différence d'homme à homme, de nation à nation! [9] L'Épire a toujours été une dépendance peu importante du royaume de Macédoine; elle l'est encore aujourd'hui. Philippe tient sous sa domination le Péloponnèse tout entier et Argos même; Argos moins illustrée par son antique renom que par la mort de Pyrrhus. [10] Comparez maintenant notre position: combien l'Italie était plus florissante! combien nos forces plus entières! Nous avions tous ces généraux, nous avions toutes ces armées que la guerre punique a moissonnés depuis. Et pourtant les attaques de Pyrrhus ont ébranlé notre puissance, et nous l'avons vu venir camper en vainqueur presque sous les murs de Rome. [11] Ce ne sont pas seulement les Tarentins, ni cette partie de l'Italie nommée la Grande-Grèce qui nous ont trahis alors, gagnés à l'ennemi vous pourriez le croire, par une similitude de langage et de nom; la Lucanie, le Bruttium et le Samnium se sont levés contre nous. [12] Ces populations, si Philippe vient à passer en Italie, resteront-elles tranquilles et fidèles à leurs serments? Le croyez- vous? Elles nous ont en effet si bien soutenus plus tard pendant la guerre punique! Non, jamais ces peuples, tant qu'ils auront un chef pour les rallier, ne cesseront de nous trahir. [13] Si vous aviez reculé devant la nécessité de passer en Afrique, aujourd'hui l'Italie aurait encore à combattre Hannibal et les Carthaginois. Faisons de la Macédoine plutôt que de l'Italie le théâtre de la guerre. Que nos ennemis voient leurs villes et leurs campagnes mises à feu et à sang. [14] Nous en avons l'expérience: c'est au dehors et non dans la patrie, que nos 183  armes sont le plus heureuses et le plus redoutables. Allez aux voix, suivez les inspirations des dieux et ratifiez la décision des sénateurs. [15] Voilà ce que vous conseille votre consul, et, avec lui, les dieux immortels, ces dieux qui ont accueilli mes sacrifices et mes prières, quand je leur ai demandé que cette guerre eût pour moi, pour le sénat et le peuple, pour les alliés et le nom latin, pour nos flottes et nos armées, une bonne et heureuse issue, et qui m'ont présagé toutes sortes de succès et de prospérités. »

VIII [1] Après ce discours on alla aux voix, et conformément au projet de loi, la guerre fut votée. [2] Les consuls ordonnèrent ensuite, d'après un sénatus-consulte, trois jours de supplications. On pria les dieux, devant tous les autels, d'accorder une bonne et heureuse issue à la guerre que le peuple avait décrétée contre Philippe. [3] Le consul Sulpicius consulta les féciaux pour savoir s'il fallait que la déclaration de guerre fût faite à Philippe en personne, ou s'il suffisait de la lui faire sur les frontières de son royaume, à la première garnison. Les féciaux répondirent que les deux modes seraient également réguliers. [4] Le sénat s'en remit au consul du soin de choisir, en dehors de l'assemblée, le député qui irait déclarer la guerre au roi. [5] On s'occupa ensuite des armées consulaires et prétoriennes: les consuls reçurent l'ordre d'enrôler chacun deux légions et de licencier les vieilles troupes. [6] Sulpicius, qui était chargé d'une guerre nouvelle et importante, fut autorisé à prendre, dans l'armée que Scipion ramènerait d'Afrique, le plus de volontaires qu'il pourrait, aucun vétéran ne devant être emmené malgré lui. [7] Les préteurs L. Furius Purpurio et Q. Minucius Rufus recevraient du consul cinq mille alliés latins. Avec ces troupes, l'un occuperait la Gaule, l'autre le Bruttium. [8] Q. Fulvius Gillo eut ordre de choisir lui-même dans l'armée du consul P. Aelius les soldats alliés et du nom latin qui auraient le moins de service, pour en former un corps de cinq mille hommes, qui irait tenir garnison en Sicile. [9] M. Valérius Falto, qui avait commandé l'année précédente comme propréteur en Campanie, obtint une prorogation de pouvoirs pour un an [10] et fut envoyé en Sardaigne avec le titre de préteur; il devait choisir, dans l'armée qui occupait cette île, cinq mille auxiliaires du nom latin parmi ceux qui avaient le moins de service. [11] Les consuls furent encore chargés de lever deux légions urbaines qu'on pût employer au besoin. Beaucoup de peuples en Italie avaient été entraînés, pendant la guerre, dans l'alliance de Carthage, et étaient encore tout pleins de ressentiment. Six légions romaines devaient ainsi, cette année, défendre la république.

IX. [1] Au milieu des préparatifs de la guerre, des ambassadeurs du roi Ptolémée vinrent annoncer

« que les Athéniens avaient demandé du secours à leur maître contre Philippe; [2] qu'au reste, bien qu'Athènes fût leur commune alliée, le roi ne se déciderait pas, sans l'autorisation du peuple romain, à envoyer en Grèce une flotte ou une armée, soit pour défendre, soit pour attaquer qui que ce fût; [3] qu'il proposait ou de rester en repos dans 184 son royaume, si le peuple romain était en mesure de protéger ses alliés; ou de laisser aux Romains la liberté de se reposer s'ils l'aimaient mieux, et d'envoyer lui-même les secours nécessaires pour mettre Athènes à l'abri des entreprises de Philippe. »

[4] Le sénat remercia Ptolémée et lui fit répondre

« que l'intention du peuple romain était de défendre ses alliés; que si toutefois on avait besoin de quelque assistance dans cette guerre, on l'en instruirait: on savait bien que le roi, les ressources de l'Égypte étaient un appui sûr et fidèle pour la république. »

[5] Chaque ambassadeur reçut ensuite, en vertu d'un sénatus-consulte, un présent de cinq mille as. Tandis que les consuls enrôlaient les légions et préparaient tout pour la guerre, Rome, dont les scrupules religieux s'éveillaient surtout au début d'une guerre nouvelle, [6] ne se borna pas aux supplications déjà faites et aux prières prononcées devant tous les autels: ne voulant omettre aucune des cérémonies observées en d'autres circonstances, elle ordonna que des jeux et une offrande seraient voués à Jupiter par le consul qui avait eu en partage la province de Macédoine. [7] Le grand-pontife Licinius fit suspendre ce voeu public; il prétendait

« qu'on ne devait pas vouer une somme indéterminée, si cette somme ne pouvait être appliquée aux besoins de la guerre; qu'il fallait la mettre de côté sur-le-champ, et ne point la mêler à d'autres; sans cette formalité, le voeu serait entaché d'irrégularité. »

[8] Cette observation venant d'un tel personnage fit impression; néanmoins le consul fut invité à consulter le collège des pontifes pour savoir si le voeu d'une somme indéterminée pouvait être fait régulièrement; les pontifes déclarèrent le chose possible et même plus régulière. [9] Le consul prononça le voeu en répétant, après le grand-pontife, les mêmes termes que ceux dont on s'était servi auparavant pour les voeux quinquennaux; [10] en vouant des jeux et des offrandes, il ajouta seulement que la somme serait indiquée par le sénat au moment de l'exécution. Bien souvent déjà on avait voué les grands jeux, mais en fixant la somme: ce fut la première fois qu'on la laissa indéterminée.

X [1] L'attention générale était portée sur la guerre de Macédoine, quand tout à coup, au moment où l'on s'y attendait le moins, la nouvelle d'un soulèvement des Gaulois parvint à Rome. [2] Les Insubres, les Cénomans et les Boïens avaient entraîné avec eux les Celini, les Ilvates et les autres peuples de la Ligurie, et sous la conduite d'un général carthaginois, nommé Hamilcar, qui s'était établi dans ces contrées avec les débris de l'armée d'Hasdrubal, ils avaient assailli Plaisance. [3] Ils livrèrent cette ville au pillage et dans leur fureur ils la brûlèrent en grande partie; puis laissant à peine deux mille hommes an milieu de ses ruines fumantes, ils traversèrent le Pô, et marchèrent sur Crémone pour la piller. [4] Les habitants apprirent le désastre de leurs voisins assez à temps pour fermer leurs portes et disposer des soldats le long des remparts; ils étaient décidés à soutenir un siège avant de se laisser forcer, et comptaient faire prévenir le préteur romain. [5] L. Furius Purpurio commandait alors la province: conformément aux ordres du sénat, il avait licencié toute son armée, à l'exception de cinq mille alliés latins, avec lesquels il s'était établi à proximité de la province, 185 dans les environs d'Ariminium. Il écrivit au sénat pour l'informer de l'agitation qui régnait dans le pays: [6]

« Des deux colonies, disait-il, qui avaient échappé au fléau dévastateur de la guerre punique, l'une avait été prise et saccagée par les ennemis, l'autre était assiégée; [7] son armée était trop faible pour sauver la colonie; l'essayer c'était jeter ses cinq mille hommes sous le fer de quarante mille Gaulois, car tel était le nombre des insurgés; c'était vouloir augmenter par un grand désastre l'insolence d'un ennemi déjà si fier d'avoir ruiné une colonie romaine. »

XI [1] Après la lecture de cette lettre on décréta que le consul C. Aurélius, qui avait donné rendez-vous à son armée en Étrurie, lui commanderait d'être le même jour à Ariminium, [2] et qu'il irait en personne, si l'intérêt de la république le permettait, étouffer l'insurrection gauloise; ou bien qu'il écrirait au préteur Q. Minucius [3] de se mettre à la tête des légions, dès qu'elles seraient arrivées d'Étrurie, d'envoyer à leur place ses cinq mille alliés pour défendre cette province, et d'aller faire lever le siège de la colonie. [4] On fut aussi d'avis d'envoyer en Afrique des ambassadeurs, qui se rendaient d'abord à Carthage, puis en Numidie auprès de Masinissa. [5] Ils devaient signifier aux Carthaginois:

« qu'un de leurs concitoyens, Hamilcar, était resté dans la Gaule; qu'on ne savait trop si c'était un débris de l'armée d'Hasdrubal, ou plus tard de celle de Magon; [6] mais qu'il faisait la guerre, contrairement au traité, et qu'il avait appelé aux armes contre le peuple romain les populations gauloises et liguriennes; que si les Carthaginois tenaient à la paix, ils eussent à le rappeler et à le livrer aux Romains. »

[7] Ils avaient ordre aussi de déclarer

« que tous les transfuges n'avaient pas été rendus; qu'une grande partie d'entre eux se montraient, disait-on, en plein jour dans Carthage; qu'il fallait les rechercher tous, les arrêter et les remettre aux Romains suivant le traité. »

Telle fut la mission des députés pour Carthage. [8] Quant à Masinissa, ils étaient chargés de le féliciter de ce qu'il avait recouvré le royaume de ses pères et de ce qu'il l'avait accru en y réunissant la partie la plus florissante des états de Syphax. [9] On lui mandait aussi

« qu'on avait déclaré la guerre à Philippe, parce qu'il avait prêté secours aux Carthaginois, [10] parce que les violences exercées par lui contre les alliés de Rome, au moment où le feu de la guerre embrasait l'Italie, avaient nécessité l'envoi de flottes et de troupes en Grèce; enfin parce que cette diversion avait été une des principales causes du retard qu'avait éprouvé l'expédition d'Afrique. On demandait à Masinissa pour cette guerre un secours de cavalerie numide. »

[11] Les ambassadeurs emportèrent des présents magnifiques pour Masinissa, des vases d'or et d'argent, une toge de pourpre, une tunique brodée de palmes, un sceptre d'ivoire, une robe prétexte et une chaise curule. [12] Ils eurent ordre de lui promettre que

« s'il croyait avoir besoin de quelque appui pour affermir et accroître sa puissance, le peuple romain n'épargnerait rien dans l'intérêt d'un roi qui l'avait si utilement servi. »

[13] Vers le même temps des ambassadeurs de Vermina, fils de Syphax, se présentèrent au sénat; ils cherchè- 186 rent à l'excuser en parlant de son imprudence et de sa jeunesse et rejetèrent toute la faute sur la perfidie des Carthaginois. [14]

« Masinissa lui-même, disaient-ils, avait été l'ennemi des Romains avant de devenir leur ami; Vermina aussi ferait tous ses efforts pour ne point se laisser vaincre en bons offices à l'égard du peuple romain, ni par Masinissa, ni par aucun autre. Il demandait que le sénat lui accordât le titre de roi, d'allié et d'ami. »

[15] On répondit aux ambassadeurs:

« Que son père Syphax avait, sans aucun motif, passé tout à coup de l'alliance et du parti des Romains dans les rangs de leurs ennemis; que Vermina lui-même avait fait ses premières armes en combattant les Romains: [16] aussi devait-il tenter d'obtenir la paix du peuple romain avant de demander le titre de roi, d'allié et d'ami; que ces noms honorables, le peuple ne les accordait ordinairement qu'aux rois qui s'étaient signalés envers lui par de grands services; [17] qu'au reste, des ambassadeurs romains seraient bientôt en Afrique, et que le sénat leur recommanderait de dicter à Vermina les conditions de la paix, le peuple romain leur laissant tout pouvoir à cet égard; que, si le prince voulait ajouter, retrancher ou changer quelque clause, il aurait à s'adresser de nouveau au sénat. »

[18] Les ambassadeurs qui partirent pour l'Afrique avec ces instructions furent C. Térentius Varro, Sp. Lucrétius et Cn. Octavius: chacun d'eux était à bord d'une quinquérème.

XII [1] On lut ensuite au sénat une lettre du préteur Q. Minucius, qui avait le département du Bruttium; il mandait

« qu'à Locres on avait, pendant la nuit, soustrait de l'argent des trésors de Proserpine, et qu'aucun indice ne pouvait mettre sur la trace des coupables. »

[2] Le sénat apprit avec indignation que les sacrilèges ne cessaient pas et que l'exemple de Pléminius, la punition éclatante qui avait naguère frappé ce criminel, ne prévenaient pas de pareils attentats. [3] On chargea le consul C. Aurélius de répondre au préteur dans le Bruttium

« que le sénat ordonnait de faire sur cette profanation une enquête aussi rigoureuse que celle que le préteur M. Pomponius avait faite trois ans auparavant. [4] Tout l'argent retrouvé serait replacé dans le trésor; ce qui manquerait à la somme serait complété, et des sacrifices expiatoires seraient, si on le jugeait convenable, ainsi que l'avaient prescrit antérieurement les pontifes, offerts en réparation de l'outrage fait au temple. »

[5] Vers la même époque on reçut de divers points des annonces de prodiges: en Lucanie, le ciel avait, disait-on, paru tout en feu; à Priverne, par un temps serein le soleil avait été un jour entier d'un rouge de sang; [6] à Lanuvium, un bruit extraordinaire s'était fait entendre pendant la nuit dans le temple de Juno Sospita. On annonçait aussi la naissance de plusieurs monstres en différents endroits: dans la Sabine, c'était un enfant d'un sexe douteux, homme et femme tout à la fois; on y avait aussi trouvé un autre hermaphrodite âgé de seize ans; [7] à Frusinone, c'était un agneau avec une tête de porc; à Sinuessa, un porc avec une tête d'homme; en Lucanie, dans un champ qui appartenait à l'État, un poulain à cinq pattes: [8] hideuses et informes productions qu'on regardait comme autant d'erreurs d'une nature pervertie. On avait surtout horreur des hermaphrodites; on les fit aussitôt 187 jeter à la mer, comme précédemment, sous le consulat de C. Claudius et de M. Livius, on y avait jeté un monstre du même genre. [9] Néanmoins on ordonna aux décemvirs de consulter les livres sibyllins sur ce prodige; et, d'après ces livres, les décemvirs prescrivirent les mêmes cérémonies qu'on avait célébrées tout récemment à la suite d'un prodige semblable. Ils décrétèrent en outre que trois chœurs de neuf jeunes filles chanteraient un hymne, en parcourant la ville, et porteraient une offrande à Juno Regina. [10] Le consul C. Aurélius fit exécuter les ordres des décemvirs. C'était Livius qui précédemment avait composé l'hymne; cette fois ce fut P. Licinius Tégula.

XIII. [1] Toutes les expiations étaient terminées. À Locres même les sacrilèges avaient été découverts par Q. Minucius, et les biens des coupables avaient remplacé la somme prise au trésor; les consuls se disposaient à partir pour leurs provinces, [2] lorsqu'une foule nombreuse de citoyens se présenta au sénat. C'étaient ceux qui, sous le consulat de M. Valerius et de M. Claudius, avaient prêté de l'argent à la république; ils devaient toucher cette année le troisième paiement de leur créance. [3] Mais les consuls, prévoyant que pour une guerre nouvelle, qui exigerait une flotte nombreuse et de puissantes armées, le trésor suffirait à peine, leur avaient déclaré qu'on ne pouvait les payer en ce moment. [4] Le sénat comprit la justice de leurs plaintes:

« Si l'argent prêté pour la guerre punique, disaient-ils, devait encore servir à la république pour celle de Macédoine, et que les guerres se succédassent ainsi les unes aux autres, n'était-ce pas confisquer leur fortune et punir leur dévouement comme un crime?  »

 [5] La réclamation des citoyens était légitime et pourtant la république ne pouvait payer ses dettes; [6] on prit un terme moyen entre la justice et la nécessité, et on décréta

« que la plupart des créanciers ayant témoigné le désir d'acheter des terres qui se trouvaient à vendre de tous côtés, qu'on leur abandonnerait la propriété des terres de l'état, situées à cinquante milles autour de Rome; [7] que les consuls en estimeraient la valeur et imposeraient chaque arpent à un as, pour indiquer qu'elles faisaient partie du domaine public. [8] Ainsi lorsque le peuple pourrait s'acquitter, tous ceux qui préféreraient de l'argent à ces terres les rendraient à l'état. »

[9] Les créanciers acceptèrent avec joie cet arrangement. On appela ces terres Trientabulum, parce qu'elles avaient servi à payer le tiers de la dette publique.

XIV [1] P. Sulpicius, après avoir fait des vœux au Capitole et revêtu le paludamentum, sortit de Rome avec ses licteurs et se rendit à Brindes. [2] Il incorpora dans ses légions les vétérans de l'armée d'Afrique qui voulurent le suivre; il fit un choix dans la flotte du consul Cornélius, et, deux jours après son départ de Brindes, il aborda en Macédoine. [3] Il y fut rejoint par des envoyés athéniens, qui venaient le prier de faire lever le siège de leur ville. Il dirigea aussitôt vers Athènes C. Claudius Centho avec vingt vaisseaux longs et quelques troupes; car le roi ne conduisait pas le siège en personne. [4] Il était alors sous les murs d'Abydos, et s'était déjà mesuré avec Attale et les Rhodiens, 188 dans deux batailles navales où il n'avait pas eu l'avantage. [5] Mais ce qui relevait son courage, c'était, outre sa fierté naturelle, l'alliance qu'il avait conclue avec Antiochus, roi de Syrie, et le partage qu'ils avaient fait entre eux de toute l'Égypte: depuis qu'ils avaient appris la mort de Ptolémée, ils menaçaient tous deux ce royaume. [6] La guerre avait éclaté entre Philippe et les Athéniens pour un motif bien futile: de son ancienne fortune ce peuple n'avait gardé que l'orgueil. [7] Pendant les mystères d'Éleusis, deux jeunes Acarnaniens qui n'étaient pas initiés et ne connaissaient rien à cette cérémonie entrèrent avec la foule dans le temple de Cérès. [8] Leur langage et plusieurs questions étranges les eurent bientôt trahis; on les conduisit devant les prêtres, et, bien qu'on ne pût douter qu'ils fussent entrés par erreur, on considéra leur imprudence comme un sacrilège horrible, et on les mit à mort. [9] Cet acte de cruauté et de barbarie fut dénoncé à Philippe par les Acarnaniens; ils obtinrent de lui un corps de troupes macédoniennes, et la permission de faire la guerre aux Athéniens. [10] Leur armée mit d'abord l'Attique à feu et à sang, et retourna en Acarnanie, chargée d'un riche butin. Ce fut là comme le prélude de l'irritation des esprits. Depuis on en vint à une guerre en règle. Athènes fut la première à se déclarer. [11] Le roi Attale et les Rhodiens poursuivirent Philippe, qui se retira eu Macédoine, et arrivèrent à Égine; de là Attale se rendit au Pirée, pour renouveler et consolider son alliance avec les Athéniens. [12] La ville entière se précipita au-devant de lui; les citoyens avec leurs femmes et leurs enfants, les prêtres vêtus de leurs ornements sacerdotaux, et j'ai presque dit les dieux eux-mêmes, sortirent de leurs demeures pour aller recevoir le roi à son entrée.

XV [1] Le peuple fut aussitôt convoqué pour entendre de la bouche même du roi les propositions qu'il avait à faire; mais ensuite on jugea plus convenable de les lui demander par écrit [2] que de l'exposer à rougir, soit lorsqu'il rappellerait en public ses propres bienfaits envers la ville, soit lorsqu'il entendrait les acclamations et les applaudissements de la multitude, dont les flatteries excessives ne pouvaient être qu'un embarras pour sa modestie. [3] Dans la lettre qu'Attale envoya et qu'on lut en pleine assemblée, il parlait d'abord de ses bienfaits envers les Athéniens ses alliés, ensuite de ses exploits contre Philippe; [4] il terminait en exhortant les citoyens à commencer la guerre, taudis qu'ils avaient son appui, celui des Rhodiens, celui des Romains mêmes; que si par leur indécision ils laissaient échapper une si belle occasion, ils chercheraient vainement à la retrouver. [5] On donna audience ensuite aux députés des Rhodiens; ils avaient à signaler un service tout récent: quatre galères athéniennes avaient été capturées naguère par les Macédoniens, ils les avaient reprises et rendues. Aussi la guerre contre Philippe fut-elle décrétée par acclamation. [6] On prodigua de grands honneurs au roi Attale d'abord; puis aux Rhodiens. C'est alors qu'il fut question, pour la première fois, de créer une nouvelle tribu qui se nommerait Attalide, et qui serait ajoutée aux dix anciennes. On offrit aux Rhodiens une couronne d'or en témoi- 189 gnage de leur valeur, [7] et on leur donna le droit de cité, comme les Rhodiens l'avaient auparavant conféré aux Athéniens. [8] Immédiatement après, Attale alla rejoindre sa flotte à Égine; d'Égine, les Rhodiens firent voile vers Cia, puis vers Rhodes, en passant par les Cyclades: toutes, excepté Andros, Paros et Cythnos, qui étaient occupées par des garnisons macédoniennes, firent alliance avec eux. [9] Attale avait envoyé des députés en Étolie, et la nécessité d'attendre leur retour le retint quelque temps dans l'inaction à Égine. [10] Il ne réussit point à soulever les Étoliens, qui s'estimaient heureux d'avoir fait la paix avec Philippe. Néanmoins si le roi de Pergame et les Rhodiens avaient alors serré de près ce monarque, ils auraient pu mériter le titre glorieux de libérateurs de la Grèce. [11] Mais en laissant Philippe passer de nouveau dans l'Hellespont, occuper en Thrace les points les plus favorables et rassembler ses forces, ils entretinrent la guerre et laissèrent aux Romains l'honneur de la soutenir et de la terminer.

XVI. [1] Philippe montra plus d'énergie et se conduisit en roi; bien qu'il n'eût pu tenir tête aux forces d'Anale et des Rhodiens, il ne s'effraya point de la guerre dont les Romains le menaçaient. [2] Il envoya Philoclès, l'un de ses généraux, avec deux mille hommes d'infanterie et deux cents chevaux, ravager les terres des Athéniens; [3] mit sa flotte sous la conduite d'Héraclide, et lui ordonna de faire voile vers Maronéa; il se dirigea lui-même par terre sur cette ville avec deux mille hommes de troupes légères et deux cents cavaliers, [4] et l'emporta du premier assaut. Il prit ensuite Aenos, après un siège pénible, et n'en triompha que par la trahison de Callimède, lieutenant de Ptolémée. Il s'empara successivement de plusieurs autres villes, Cypsèle, Dorisque et Serrheum. [5] Puis il s'avança dans la Chersonèse, où Éléonte et Alopeconnesus lui ouvrirent leurs portes. Callipolis et Madytos se soumirent également ainsi que plusieurs autres places obscures. [6] Mais Abydos refusa même de recevoir les envoyés du roi et lui ferma ses portes. Le siège de cette ville arrêta longtemps Philippe; elle aurait pu être sauvée sans l'inaction d'Attale et des Rhodiens. [7] Attale se contenta d'y faire passer un secours de trois cents hommes, et les Rhodiens une seule quadrirème de leur flotte, qui stationnait cependant à Ténédos. [8] Plus tard lorsque les assiégés furent presque aux abois, Attale passa en personne sur le continent, s'approcha de la ville et se contenta de faire briller aux yeux de ses alliés l'espérance d'un secours, sans faire la moindre tentative ni sur terre ni sur mer.

XVII [1] Les Abydéniens avaient placé sur leurs murs des machines qui défendaient les abords du côté de la terre, et rendaient même la position des vaisseaux ennemis fort périlleuse. [2] Mais lorsqu'ils virent une partie du rempart détruite, et les mines poussées déjà jusqu'au mur intérieur qu'ils avaient élevé à la hâte, ils envoyèrent des députés au roi pour négocier une capitulation. [3] Ils demandaient que la quadrirème rhodienne avec son équipage, et 190 le renfort fourni par Attale, pussent sortir de la ville, et qu'on leur permit à eux-mêmes de se retirer chacun avec un vêtement. [4] Philippe refusa d'entrer en accommodement, s'ils ne se rendaient à discrétion. A la nouvelle de cette réponse, l'indignation et le désespoir enflammèrent leur courroux. [5] Entraînés, comme les Sagontins, par un vertige de fureur, ils coururent enfermer leurs femmes dans le temple de Diane, les jeunes gens de condition libre, les jeunes filles et même les enfants en bas âge avec leurs nourrices, dans le gymnase; [6] ils apportèrent au forum leur or et leur argent, entassèrent leurs étoffes précieuses à bord du vaisseau rhodien et d'un navire de Cyzique, qui se trouvaient dans le port; firent venir les prêtres et les victimes et dresser des autels au milieu de la place. [7] Là ils choisirent d'abord ceux qui devraient, au moment où ils verraient leurs concitoyens tomber morts sur la brèche en cherchant à repousser l'ennemi, égorger aussitôt les femmes et les enfants, précipiter dans la mer l'or, l'argent et les étoffes entassés dans les vaisseaux, [8] puis mettre le feu aux édifices publics et particuliers dans le plus grand nombre d'endroits. [9] Ils s'engagèrent tous par serment et en répétant après les prêtres d'horribles imprécations, à exécuter ce triste et exécrable forfait. Puis tous ceux qui étaient en état de servir jurèrent de ne quitter la brèche que morts ou vainqueurs. [10] Fidèles à leur parole, ils combattirent avec tant d'acharnement que, sans attendre la nuit qui allait mettre fin à la mêlée, Philippe, effrayé de leur désespoir, s'empressa de faire sonner la retraite. [11] Les chefs qui avaient été chargés du rôle le plus odieux dans ce drame sanglant, voyant qu'un petit nombre de combattants avaient survécu et qu'ils étaient épuisés de blessures et de fatigues, envoyèrent, dès le point du jour, les prêtres avec les bandelettes sacrées pour remettre la ville à Philippe.

XVIII [1] Avant la soumission d'Abydos et sur la nouvelle du siège, M. Aemilius, le plus jeune des trois ambassadeurs envoyés à Alexandrie s'était rendu auprès de Philippe avec l'aveu de ses collègues. Il lui reprocha d'avoir entrepris la guerre contre Attale et les Rhodiens [2] et surtout d'assiéger en ce moment Abydos. Le roi répondit qu'Attale et les Rhodiens l'avaient provoqué:

« Et les Abydéniens, dit Aemilius, vous ont-ils aussi attaqué les premiers? »

 [3] Peu accoutumé à entendre la vérité, Philippe trouva ce langage bien fier pour être adressé à un roi:

« Votre jeunesse, dit-il, votre beauté et surtout le nom romain vous inspirent de l'orgueil. [4] Mais je voudrais avant toutes choses vous voir demeurer fidèles aux traités, et observer la paix avec moi. Si vous m'apportez la guerre, eh bien! je suis tout disposé aussi à la faire afin de vous montrer que la puissance et le nom des Macédoniens ne sont, pas plus que celui des Romains, sans éclat militaire. »

[5] Après avoir ainsi congédié l'ambassadeur, Philippe s'empara de l'or et de l'argent qu'on avait mis en monceaux; mais il perdit tout ce qu'il croyait avoir de prisonniers. [6] Les habitants, aveuglés par une rage forcenée, s'imaginèrent tout à coup qu'on avait trahi ceux qui avaient trouvé la mort en combattant; ils s'accusèrent les uns les autres de parjure; ils reprochèrent surtout aux prêtres d'avoir livré vivants à l'ennemi ceux qu'ils avaient 191 dévoués à la mort. [7] Aussitôt ils coururent chacun de leur côté égorger leurs femmes et leurs enfants, et se tuèrent eux-mêmes à l'envi et comme ils purent. Surpris de ces transports frénétiques, le roi contint l'ardeur de ses soldats, et fit savoir qu'il accordait trois jours aux Abydéniens pour mourir. [8] Les vaincus profitèrent de cet intervalle pour exercer sur eux-mêmes plus d'actes de cruauté que ne s'en fût permis le vainqueur le plus implacable; si l'on excepte ceux que leurs chaînes ou d'autres obstacles empêchèrent de se donner la mort, pas un habitant ne tomba vivant au pouvoir de l'ennemi. Philippe laissa une garnison dans la ville et retourna dans son royaume, [9] Comme Hannibal après la ruine de Sagonte, Philippe, après le désastre d'Abydos, ne fut que plus impatient de combattre les Romains; ce fut à ce moment qu'il rencontra des courriers et apprit d'eux que le consul était déjà en Épire, et qu'il avait pris ses quartiers d'hiver à Apollonie pour son armée de terre, et à Corcyre pour sa flotte.

XIX. [1] Cependant les ambassadeurs envoyés en Afrique avaient porté plainte contre Hamilcar, qui commandait l'armée gauloise. Les Carthaginois répondirent que tout ce qu'ils pouvaient faire, c'était de le condamner à l'exil et de confisquer ses biens; [2] que pour les transfuges et les déserteurs, ils avaient rendu ceux que des recherches actives leur avaient fait découvrir. et qu'ils députeraient vers le sénat une ambassade chargée d'y faire donner satisfaction. A ce sujet ils firent passer deux cent mille boisseaux de blé à Rome et autant à l'armée de Macédoine. [3] Les envoyés romains se rendirent ensuite en Numidie, à la cour de Masinissa; lui remirent les présents et lui communiquèrent les instructions qu'ils avaient reçues; ils acceptèrent mille cavaliers numides, au lieu de deux mille qu'offrait Masinissa. [4] Ce prince surveilla lui-même leur embarquement et les dirigea vers la Macédoine avec deux cent mille boisseaux de froment et la même quantité d'orge. Les ambassadeurs devaient, en troisième lieu, voir Vermina. [5] Ce prince s'avança au-devant d'eux jusqu'à la frontière de son royaume, et souscrivit d'avance aux conditions de paix qu'ils voudraient lui dicter, [6] déclarant que toutes conditions lui seraient bonnes et justes, pour être en paix avec le peuple romain. On lui fit connaître les clauses du traité et on l'invita à nommer des ambassadeurs qui iraient à Rome le ratifier.

XX [1]Vers la même époque, le proconsul L. Cornélius Lentulus revint d'Espagne. [2] Il rendit compte devant le sénat des exploits et des succès par lesquels il s'était signalé durant plusieurs années, et demanda l'autorisation d'entrer en triomphe dans la ville. [3] Le sénat reconnut que Lentulus méritait le triomphe;

« mais, ajouta-t-il, il n'y avait point d'exemple que leurs ancêtres eussent accordé cet honneur à un général qui n'avait pas eu le titre de dictateur, de consul ou de préteur; [4] or, c'était comme proconsul qu'il avait commandé en Espagne, et non comme consul ou préteur. »

[5] On penchait cependant pour lui accorder l'ovation. Le tribun du peuple Ti. Sempronius Longus s'y opposa; il soutint que cette innovation ne serait pas moins contraire aux usages des ancêtres et qu'elle était sans exemple. [6] Mais il finit par se rendre au voeu général de l'assemblée; le sénatus-consulte fut 192 rendu, et L. Lentulus entra dans Rome avec les honneurs de l'ovation. [7] Du produit de son butin il versa dans le trésor quarante-quatre mille livres pesant d'argent, et deux mille quatre cent cinquante livres d'or; chaque soldat eut pour sa part cent vingt as.

XXI. [1] Déjà l'armée consulaire s'était transportée d'Arrétium à Ariminum, et les cinq mille auxiliaires latins étaient passés de la Gaule en Étrurie. [2] Aussitôt L. Furius s'avança à grandes journées d'Ariminum contre les Gaulois, occupés alors au siége de Crémone, et alla camper à quinze cents pas des ennemis. [3] L'occasion était belle pour remporter un éclatant succès, si, dès son arrivée, il eût mené ses troupes contre leur camp. [4] Les Gaulois étaient épars et dispersés dans la campagne, et n'avaient laissé pour le garder que des forces insuffisantes. Mais Furius craignit la fatigue de ses soldats après une marche forcée. [5] Les Gaulois, rappelés par les cris de leurs compagnons d'armes, renoncèrent au butin qu'ils avaient sous la main, rentrèrent dans leur camp et le lendemain présentèrent la bataille. Le préteur l'accepta sans balancer; [6] mais à peine eut-il le temps de ranger ses troupes: les ennemis s'avancèrent au pas de course. [7] La droite des deux divisions que formait l'armée des alliés fut placée en première ligne, et les deux légions romaines à la réserve. [8] M. Furius commandait cette division de droite, M. Caecilius les légions, et L. Valérius Flaccus, la cavalerie; tous les trois avaient le grade de lieutenant. Le préteur avait avec lui deux autres lieutenants, M. Laetorius et P. Titinius; [9] il s'était chargé d'observer les ennemis et de se porter partout où ils tenteraient quelque surprise. [10] Les Gaulois réunirent d'abord tous leurs efforts sur un seul point; ils se flattaient d'écraser et de détruire la division de droite, qui était en première ligne. [11] Voyant qu'ils ne pouvaient y réussir, ils essayèrent de tourner les ailes et d'envelopper les Romains, ce qui leur semblait facile à cause de leur supériorité numérique. [12] Dès que le préteur s'en aperçut, il songea à étendre aussi sa ligne, fit avancer les deux légions de la réserve à droite et à gauche de la division qui combattait au premier rang, et voua un temple à Jupiter, si ce jour-là il mettait les ennemis en faite. [13] Puis il ordonna à L. Valérius de lancer d'un côté la cavalerie des deux légions; de l'autre celle des alliés sur les ailes des ennemis, et de les empêcher de tourner la ligne des Romains. [14] En même temps, comme il vit que les Gaulois avaient dégarni leur centre pour prolonger leurs ailes, il le fit attaquer par ses soldats, en leur recommandant de serrer les rangs afin de rompre l'ennemi. [15] Les ailes furent enfoncées par la cavalerie et le centre par l'infanterie; aussitôt les Gaulois, culbutés sur tous les points et ayant fait des pertes considérables, prirent la fuite et regagnèrent leur camp en désordre. [16] La cavalerie se mit à leur poursuite; les légions arrivèrent bientôt après et forcèrent les retranchements. [17] A peine six mille hommes purent-ils s'en échapper. Les ennemis perdirent, tant en morts qu'en prisonniers, plus de trente-cinq mille hommes; on leur prit soixante-dix enseignes et plus de deux cents chariots gaulois, chargés d'un riche butin. [18] Hamilcar, 193 le général carthaginois, périt dans celte mêlée, et avec lui, trois des principaux chefs de l'armée gauloise. Les captifs de Plaisance, au nombre de deux mille, tous de condition libre, furent rendus à la colonie.

XXII. [1] Cette victoire était importante: elle combla Rome de joie. [2] Dès qu'on eut reçu la lettre du préteur, on décréta trois jours de supplications. Deux mille hommes environ, tant Romains qu'alliés, étaient restés sur le champ de bataille; ils appartenaient pour la plupart à la division de droite où s'étaient portés d'abord tous les efforts des Gaulois. [3] Le préteur avait à peu près terminé cette guerre; néanmoins le consul C. Aurélius, libre des soins qui l'avaient retenu à Rome, se rendit en Gaule et se fit remettre par le préteur le commandement de l'armée victorieuse. [4] L'autre consul était arrivé dans sa province vers la fin de l'automne, et avait établi ses quartiers aux environs d'Apollonie. [5] De sa flotte, qui stationnait à Corcyre, il avait détaché vingt trirèmes pour les envoyer, comme je l'ai dit plus haut, vers Athènes, sous les ordres de C. Claudius. L'arrivée de ce secours au Pirée, dans un moment où les alliés commençaient à perdre courage, releva leurs espérances. [6] Sur terre, en effet, les partis qui de Corinthe venaient par Mégare ravager l'Attique, cessèrent leurs incursions; [7] et sur mer, les pirates de Chalcis, qui infestaient ces parages et désolaient même les campagnes voisines de la côte, n'osèrent plus doubler le cap Sunium, ni même sortir du détroit de l'Euripe et se hasarder en pleine mer. [8] Outre ce secours, les Athéniens reçurent de Rhodes trois quadrirèmes; ils avaient eux-mêmes trois vaisseaux non pontés qu'ils avaient équipés pour la défense de leurs côtes. Avec cette flotte, Claudius n'avait pour le moment d'autres prétentions que de mettre Athènes et son territoire à l'abri de toute insulte; la fortune lui offrit l'occasion de tenter un coup plus hardi.

XXIII. [1] Des exilés de Chalcis, chassés par les violences des soldats du roi, annoncèrent qu'on pouvait s'emparer de cette ville sans coup férir. [2] Les Macédoniens, disaient-ils, sachant qu'ils n'avaient à craindre aucun ennemi dans le voisinage, étaient dispersés de côté et d'autre, et les habitants, qui comptaient sur la garnison macédonienne, négligeaient la garde de la ville. [3] Sur cet avis, Claudius mit à la voile; il arriva assez tôt à Sunium, pour avoir le temps de gagner l'entrée du détroit de l'Eubée; mais il craignit d'être aperçu, s'il doublait le cap, et tint sa flotte à l'ancre jusqu'à la nuit. [4] Au crépuscule, il reprit sa route par un temps calme, arriva à Chalcis un peu avant le jour, et, abordant du côté où les habitations étaient fort rares, fit escalader et prendre par quelques soldats la tour la plus voisine et le mur attenant; ici les gardes étaient endormis, là les postes étaient abandonnés. [5] On s'avança ensuite vers des quartiers plus peuplés, on massacra les sentinelles, on ouvrit la porte et on fit entrer le reste des troupes. [6] La ville tout entière fut alors envahie, et, pour accroître le tumulte, on mit le feu aux maisons qui entouraient le forum. [7] L'incendie dévora les greniers du roi et l'arsenal, avec tout l'attirail de guerre et les machines qu'il 194 renfermait. On égorgea indistinctement et ceux qui fuyaient et ceux qui voulaient résister; [8] on frappait surtout ou l'on forçait à fuir tout homme en état de porter les armes. Sopater l'Acarnanien, qui commandait la garnison, fut tué avec les autres. Après quoi l'on réunit tout le butin dans le forum, d'où on le transporta à bord des vaisseaux. [9] Les Rhodiens enfoncèrent la prison, et rendirent la liberté aux captifs que Philippe y tenait cachés comme dans le lieu le plus sûr. [10] Enfin on renversa et on mutila les statues du roi. Alors la trompette ayant sonné le départ, on se rembarqua, et la flotte retourna au Pirée, d'où elle était partie. [11] Si les Romains avaient eu assez de forces pour occuper Chalcis sans abandonner la défense d'Athènes, c'eût été, dès le commencement de la guerre, un grand avantage que d'enlever au roi la possession de Chalcis et de l'Euripe; [12] car si les Thermopyles ferment l'entrée de la Grèce par terre, le détroit de l'Euripe est la clef de ce pays par mer.

XXIV. [1] Philippe était alors à Démétriade; c'est là qu'il apprit le désastre de ses alliés. Il était trop tard pour les secourir, leur ruine, étant consommée; mais de l'impossibilité de les secourir au désir de la vengeance il n'y avait qu'un pas. [2] Il partit donc avec cinq mille hommes d'infanterie légère et trois cents chevaux, et courut pour ainsi dire jusqu'à Chalcis, se croyant sûr d'y surprendre les Romains. [3] Trompé dans cet espoir, et n'ayant pu arriver que pour être témoin du triste spectacle que présentaient les ruines encore fumantes d'une ville alliée, il y laissa quelques- uns des siens, en très petit nombre, pour ensevelir les victimes de la guerre; puis, retournant sur ses pas aussi rapidement qu'il était arrivé, il passa l'Euripe sur un pont, traversa la Béotie et marcha sur Athènes; il se flattait que cette nouvelle entreprise aurait un meilleur succès. [4] Il eût réussi, en effet, sans un de ces coureurs que les Grecs appellent Hémérodromes, parce que dans un jour ils parcourent un chemin considérable; cet homme ayant aperçu, du poste où il était en vedette, l'armée du roi qui était en marche, prit les devants et parvint à Athènes au milieu de la nuit. [5] Les habitants étaient plongés dans le sommeil; ils n'étaient pas sur leurs gardes: c'est là ce qui avait perdu Chalcis peu de jours auparavant. [6] Réveillés à la hâte par le coureur, le préteur d'Athènes et Dioxippe, capitaine d'une cohorte de mercenaires, rassemblèrent leurs troupes dans le forum, et firent sonner la trompette du haut de la citadelle pour avertir tous les citoyens de l'approche des ennemis. [7] On courut aussitôt de tous les points de la ville aux portes et aux remparts. Quelques heures après, un peu avant le jour cependant, Philippe parut sous les murs. Lorsqu'il vit beaucoup de feux allumés et qu'il entendit un bruit confus d'hommes qui s'agitaient, comme il arrive ordinairement dans une alerte, [8] il s'arrêta et donna ordre à ses soldats de faire halte et de prendre quelque repos; il était décidé à employer la force ouverte, puisque la ruse avait échoué. [9] Ce fut du côté de la porte Dipyle qu'il attaqua la ville: cette porte, placée pour ainsi dire à l'entrée d'Athènes, est un peu plus haute et plus large que toutes les autres; deux voies spacieuses y aboutissent, l'une au-dedans, l'autre au-dehors: la première per- 195 mettait aux habitants de se rendre du forum à la porte en ordre de bataille; la seconde est une chaussée de mille pas environ, qui conduisait au gymnase de l'Académie et laissait un libre espace à la cavalerie et à l'infanterie ennemies pour se développer. [10] Ce fut par cette chaussée que les Athéniens, après s'être formés en bataille derrière la porte, débouchèrent avec le renfort d'Attale et la cohorte de Dioxippe. [11] En les voyant, Philippe crut les tenir en sa puissance et pouvoir satisfaire cette soif de carnage dont il brûlait depuis longtemps; car Athènes était celle des villes de la Grèce qu'il haïssait le plus. Il engagea son armée

« à combattre les yeux fixés sur lui, [12] et à ne pas oublier qu'enseignes et soldats devaient se trouver partout où serait le roi. »

Puis il poussa son cheval contre les ennemis, emporté par l'amour de la gloire autant que par la colère. [13] Une foule immense couronnait les remparts comme pour jouir d'un spectacle, et Philippe était jaloux qu'on le vît payer de sa personne. [14] Il s'élança en avant de sa ligne avec quelques cavaliers, et fondit au milieu des Athéniens, animant ainsi les siens d'une vive ardeur et jetant l'épouvante parmi les ennemis. [15] Il en blessa un grand nombre de sa propre main, tant de près que de loin, repoussa les Athéniens et les poursuivit en personne jusqu'à la porte. Le passage qu'elle offrait se trouvant trop étroit pour la foule qui s'y pressait, Philippe put y faire un affreux carnage; puis il se retira sans être inquiété, malgré l'imprudence avec laquelle il s'était avancé. [16] Ceux qui garnissaient les tours de la ville n'osaient point faire usage de leurs traits, de peur d'atteindre leurs compagnons, confondus pêle-mêle avec les ennemis. [17] Dès ce moment, les Athéniens se tinrent enfermés dans leurs murs. Philippe donna le signal de la retraite et alla camper au Cynosargès, où il y a un temple à Hercule et un gymnase entouré d'un bois sacré. [18] Le Cynosargès, le Lycée et tous les endroits sacrés, tous les lieux de plaisance des environs d'Athènes furent livrés aux flammes; les Macédoniens détruisirent non seulement les maisons, mais les tombeaux mêmes, et dans leur colère aveugle ils ne respectèrent ni les lois divines ni les lois humaines.

XXV. [1] Le lendemain, les portes, qui d'abord étaient restées fermées, s'ouvrirent tout à coup pour recevoir les renforts qu'Attale envoyait d'Égine et les Romains qui venaient du Pirée; Philippe se retira alors à trois milles environ d'Athènes. [2] De là il marcha sur Éleusis, espérant surprendre le temple et la forteresse qui le domine et l'entoure. Mais il s'aperçut que les postes étaient sur leurs gardes et que la flotte arrivait du Pirée au secours de la place; il renonça donc à cette entreprise et se dirigea vers Mégare, puis directement vers Corinthe. Là il apprit que la ligue achéenne s'était réunie à Argos, et, au moment où on s'y attendait le moins, il se présenta dans l'assemblée. [3] On y délibérait sur la guerre contre Nabis, tyran de Lacédémone. Depuis que Philopoemen avait été remplacé dans le commandement par Cycliadas, général beaucoup moins habile, les ressources des Achéens s'épuisaient. Nabis avait profité de cette circonstance pour rallumer la guerre; il ravageait les terres de ses voisins et commençait même à menacer leurs villes. [4] C'était pour le combattre qu'on s'occupait alors de régler le contingent de 196 troupes que devait fournir chaque cité de la ligue. Philippe promit de les délivrer de toute inquiétude du côté de Nabis et des Lacédémoniens; il s'engagea non seulement à préserver les terres des alliés de tout pillage, [5] mais à rejeter tous les fléaux de la guerre sur la Laconie, en y conduisant aussitôt son armée. [6] Cette offre fut accueillie par des applaudissements unanimes.

« Mais, ajouta-t-il, il est juste que tout en vous offrant pour vos possessions le secours de mes armes, je ne compromette pas la sûreté des miennes. [7] Si donc vous le jugez convenable, mettez sur pied ce qu'il faut de troupes pour défendre Orée, Chalcis et Corinthe; par là je n'aurai rien à craindre sur mes derrières et je pourrai sans inquiétude tomber sur Nabis et les Lacédémoniens. »

[8] Les Achéens comprirent alors le but de ses offres si généreuses et de ses promesses de secours contre les Lacédémoniens; ils virent que Philippe ne cherchait qu'à emmener leur jeunesse hors du Péloponnèse pour s'en faire des otages et engager la ligue dans la guerre contre les Romains. [9] Le préteur Cycliadas crut inutile de relever ses propositions insidieuses; il se borna à répondre que les lois des Achéens défendaient de traiter d'autres affaires que celles qui étaient l'objet de la convocation; [10] et, lorsqu'on eut décrété la levée d'une armée pour combattre Nabis, il congédia l'assemblée qu'il avait présidée avec courage et indépendance, bien que, jusqu'à ce jour, il eût passé pour l'un des courtisans les plus dévoués du roi. [11] Philippe, frustré d'une grande espérance, enrôla quelques volontaires, puis retourna à Corinthe et de là dans l'Attique.

XXVI. [1] Pendant que Philippe était en Achaïe, Philoclès, un des généraux du roi, partit de l'Eubée avec deux mille Thraces et Macédoniens pour ravager les frontières de l'Attique, et franchit le défilé du Cithaeron du côté d'Éleusis. [2] Puis il envoya la moitié de ses troupes piller la campagne, et il se tint caché avec le reste dans un lieu propre à une embuscade, [3] pour être prêt à tomber brusquement et à l'improviste sur les ennemis en désordre si, du fort d'Éleusis, ils faisaient une sortie contre ses fourrageurs. Le piège ayant été découvert, [4] Philoclès rappela les soldats qui s'étaient dispersés pour piller, les mit en bataille et alla faire le siège de la forteresse d'Éleusis. Il y fut très maltraité, se retira et fit sa jonction avec Philippe, qui arrivait d'Achaïe. [5] Ce prince essaya aussi d'enlever la forteresse; mais la flotte romaine accourue du Pirée, et le renfort qu'elle introduisit dans la place le forcèrent à renoncer à son entreprise. [6] Il divisa alors son armée, chargea Philoclès d'en conduire une partie à Athènes, et se dirigea lui-même avec l'autre vers le Pirée. Il espérait que la diversion de Philoclès, qui, en s'avançant jusqu'au pied des murs et en menaçant la ville d'un assaut, y retiendrait les Athéniens, lui permettrait de s'emparer du Pirée qu'on aurait laissé avec une faible garnison. [7] L'attaque du Pirée ne lui réussit pas mieux que celle d'Éleusis: c'étaient à peu près les mêmes troupes qui les défendaient. Du Pirée le roi se porta tout à coup sur Athènes; [8] mais, assailli brusquement par un corps d'infanterie et de cavalerie dans l'étroit espace compris entre les deux murs à 197 demi détruits qui joignent Athènes au Pirée, il fut repoussé, [9] et, renonçant au siège de la ville, il partagea de nouveau ses troupes avec Philoclès, et alla ravager la campagne. Dans ses dévastations précédentes il s'était borné à détruire les tombeaux qui entourent Athènes; [10] cette fois, il ne voulut rien épargner dans ses profanations; il fit démolir et incendier les temples consacrés aux dieux dans chaque bourgade. [11] L'Attique était couverte de chefs- d'œuvre de ce genre, grâce à l'abondance de ses marbres et au génie de ses artistes; aussi la fureur du roi trouva-t-elle à se satisfaire. [12] Il ne se contenta point de démolir les temples et de renverser les statues des dieux, il fit briser les pierres mêmes, pour empêcher qu'elles ne servissent à relever ces ruines s'il les laissait entières. [13] Quand il eut ainsi assouvi sa colère, ou plutôt quand sa colère n'eut plus où se prendre, il passa du territoire ennemi dans la Béotie, et ne fit plus rien de mémorable en Grèce.

XXVII. [1] Le consul Sulpicius était alors campé entre Apollonie et Dyrrachium, non loin du fleuve Apsus. Il y manda L. Apustius, son lieutenant, et l'envoya, avec une partie de ses forces, ravager les terres ennemies. [2] Apustius se jeta sur les frontières de la Macédoine, emporta du premier assaut les forts de Corrhagum, Gerunieum et Orgessum, et se présenta devant Antipatréa, ville située dans un étroit défilé. [3] Il invita d'abord les chefs à une conférence, et chercha à leur persuader de se confier à la générosité des Romains. Mais, voyant que la hauteur de leurs murailles et l'assiette de leur ville leur faisaient dédaigner ses propositions, [4] il eut recours à la force des armes, s'empara d'Antipatréa, et, après avoir égorgé tous les jeunes gens et abandonné tout le butin aux soldats, il fit raser les murs et incendier les maisons. [5] La crainte d'un sort pareil décida la place de Codrione, malgré ses défenses naturelles et ses fortifications, à se rendre sans coup férir. [6] On y laissa une garnison, puis on prit d'assaut la ville de Cnide, dont le nom seul est connu à cause de cette autre Cnide, si célèbre en Asie. Le lieutenant retournait vers le consul, chargé d'un assez riche butin, lorsque Athénagoras, un des généraux du roi, fondit sur son arrière- garde, au passage d'un fleuve, et porta le désordre dans les derniers rangs. [7] Aux cris d'alarme de ses soldats, Apustius accourut à toute bride, ordonna aux enseignes de faire volte-face, plaça les bagages au centre, et rangea son armée en bataille. Le choc des Romains ne put dès lors être soutenu par les troupes du roi: elles laissèrent beaucoup de morts et plus encore de prisonniers. [8] Le lieutenant remit l'armée en bon état au consul, et fut aussitôt renvoyé sur sa flotte.

XXVIII. [1] Le succès de cette expédition, qui ouvrait assez heureusement la campagne, fit arriver au camp romain les petits souverains et les chefs voisins de la Macédoine, Pleuratus, fils de Scerdilaedus, Amynander, roi des Athamans, et un chef dardanien, Bato, fils d'un certain Longarus, [2] qui avait fait en son nom la guerre à Démétrius, père de Philippe. Ils venaient offrir des secours; le consul répondit qu'il emploierait les services des Dardaniens et de Pleuratus, lorsque son armée 198 aurait mis le pied en Macédoine: [3] il chargea Amynander de soulever les Étoliens. Les ambassadeurs d'Attale étaient arrivés aussi dans le même temps; on leur recommanda de dire à leur maître qu'il attendît la flotte romaine à Égine, où il hivernait, et qu'après avoir été rejoint par elle, il poursuivît, comme auparavant, la guerre maritime contre Philippe. [4] Des députés allèrent presser les Rhodiens de prendre part aux opérations. De son côté, Philippe, depuis son retour en Macédoine, déployait une grande activité dans ses préparatifs; [5] son fils Persée, quoique très jeune encore, alla, sous la direction d'amis sûrs, qui devaient guider son inexpérience, s'emparer, avec une partie des troupes, des défilés qui sont près de Pélagonia. [6] Sciathos et Péparèthe, villes qui n'étaient pas sans importance et pouvaient offrir à la flotte ennemie une conquête utile et fructueuse, furent détruites par ordre du roi. Les Étoliens furent surveillés par une ambassade qui avait mission d'empêcher ce peuple si remuant de trahir sa foi à l'arrivée des Romains.

XXIX. [1] Une assemblée générale des Étoliens, ou Panaetolium, devait avoir lieu; le jour en avait été fixé. Afin de s'y trouver, les députés du roi hâtèrent leur marche; de son côté l'envoyé du consul L. Furius Purpurio ne fit pas moins de diligence. [2] Les ambassadeurs d'Athènes se rendirent aussi l'assemblée. Les Macédoniens, qui étaient les alliés les plus récents, furent entendus les premiers. [3] Ils déclarèrent

« que rien n'étant changé, ils n'avaient eux-mêmes aucun changement à proposer: les mêmes motifs qui avaient porté les Étoliens à faire la paix avec Philippe, après avoir éprouvé l'inutilité d'une alliance avec les Romains, devaient aujourd'hui leur faire respecter cette paix qu'ils avaient conclue. [4] Aimez-vous mieux, ajouta l'un des ambassadeurs, imiter les Romains, dirai-je dans leur insolence ou dans leur légèreté? eux qui naguère faisaient répondre à vos députés à Rome: Pourquoi vous adresser à nous, Étoliens, lorsque vous ne nous avez pas consultés pour faire la paix avec Philippe? [5] Aujourd'hui ils vous demandent de marcher avec eux contre ce prince. Précédemment c'était à cause de vous, c'était pour vous qu'ils avaient pris les armes contre lui, ils le feignaient du moins; aujourd'hui ils vous défendent de rester en paix avec Philippe. [6] Ce fut aussi pour secourir Messine qu'ils abordèrent la première fois en Sicile; la seconde fois, c'était pour affranchir Syracuse du joug des Carthaginois. [7] Et maintenant Messine, Syracuse, la Sicile tout entière sont en leur pouvoir; et cette province, devenue tributaire des Romains, courbe son front sous leurs haches et leurs faisceaux. [8] Peut-être, en songeant que vous voici réunis à Naupacte, en vertu de vos lois, sur la convocation de magistrats élus par vous, et que vous êtes libres de choisir vos alliés et vos ennemis, libres de vous prononcer pour la paix ou pour la guerre, peut-être croyez-vous que les Siciliens aussi peuvent choisir Syracuse ou Messine, ou Lilybée, pour y tenir leur assemblée? [9] Non; le préteur romain règle seul les convocations: c'est sur son ordre seulement que se réunissent les Siciliens; du haut de son tribunal il leur dicte ses superbes arrêts; il ne se montre qu'escorté de licteurs; les verges menacent leur dos; les haches sont sus- 199 pendues sur leurs têtes; et, chaque année, c'est un nouveau maître que le sort leur envoie. [10] Doivent-ils s'en étonner? le peuvent-ils même, lorsqu'ils voient toutes les villes d'Italie, Rhégium, Tarente, Capoue, et tant d'autres que je ne nomme pas, aux portes de Rome, sur les ruines desquelles Rome s'est élevée, s'humilier sous le même joug? [11] Et encore Capoue est-elle autre chose que le tombeau et le monument funèbre du peuple campanien? Ses habitants n'ont-ils pas été enlevés comme des morts et transportés sur une terre étrangère? débris de cité, sans sénat, sans peuple, sans magistrats, assemblage monstrueux, offrant à ceux qui l'habitent un spectacle plus hideux que le néant même. [12] C'est folie que de se fier à ces étrangers; entre eux et nous le langage, les moeurs et les lois ont jeté une barrière plus insurmontable que la mer et les terres qui nous séparent! Peut-on espérer qu'une fois maîtres du pays, ils y laissent rien de ce qui subsiste? [13] La puissance de Philippe vous inspire de l'ombrage pour votre liberté? Et pourtant lorsqu'il aurait pu à juste titre se montrer irrité contre vous, il ne vous a demandé que la paix; aujourd'hui même il ne réclame que le maintien de la paix jurée. [14] Laissez prendre à ces légions étrangères l'habitude de résider en Grèce, et façonnez-vous au joug; plus tard, lorsque vous aurez les Romains pour maîtres, ce sera en vain que vous rechercherez l'alliance de Philippe. [15] Étoliens, Acarnaniens et Macédoniens, nous tous qui parlons le même langage, nous pouvons, sur de futiles prétextes, nous séparer pour un moment, puis nous réunir de nouveau; mais, avec des étrangers, avec des Barbares, tous les Grecs sont et seront dans un état de guerre permanent. La nature, qui est immuable, et non des causes qui peuvent changer tous les jours, les a faits ennemis. [16] Je termine par où j'ai commencé: c'est ici même qu'il y a trois ans, cette même assemblée a décrété la paix avec le même Philippe, au grand déplaisir de ces mêmes Romains qui veulent la troubler aujourd'hui que vos serments l'ont cimentée. La fortune n'ayant rien changé à cette délibération, je ne vois pas pourquoi vous-mêmes vous y changeriez quelque chose. »

XXX. [1]. Après les Macédoniens, du consentement et à la demande même des Romains, on introduisit les députés athéniens; l'horreur de leurs souffrances donnait plus de force à leurs justes attaques contre la cruauté et la barbarie da roi. [2] Ils déplorèrent les affreux ravages et la désolation de leurs campagnes:

« Ils ne se plaignaient pas, dirent-ils, d'avoir été traités en ennemis par un ennemi: la guerre avait ses droits qu'on pouvait exercer de même qu'il fallait s'y soumettre. [3] L'incendie des récoltes, la ruine des habitations, l'enlèvement des hommes et des bestiaux étaient des calamités plutôt déplorables que révoltantes pour ceux qui les enduraient. [4] Mais ce dont ils se plaignaient, c'est que cet homme qui traitait les Romains d'étrangers et de barbares eût foulé aux pieds toutes les lois divines et humaines. Dans sa première dévastation il avait fait une guerre sacrilège aux dieux des enfers; dans la seconde aux dieux du ciel. [5] Tous les tombeaux et les monuments de l'Attique étaient détruits; les mânes de tous leurs concitoyens étaient privés de leurs asiles, leurs ossements ne reposaient plus au sein 200 de la terre. [6] Ils avaient des temples que leurs ancêtres, dispersés par dèmes, avaient consacrés dans chaque petit fort et dans chaque bourgade, et que plus tard, après leur réunion en une seule ville, ils n'avaient pas délaissés et négligés; [7] tous ces temples avaient été livrés par Philippe à la flamme dévastatrice. Les statues des dieux gisaient à demi brûlées et mutilées au milieu des ruines de leurs sanctuaires. [8] Ce qu'il avait fait de l'Attique, cette contrée naguère si belle et si riche, il le ferait, s'il le pouvait, de l'Italie et de la Grèce tout entière. [9] Athènes elle-même aurait offert le même spectacle de désolation, si les Romains ne fussent venus à son secours. L'impiété de cet homme avait osé s'attaquer aux dieux gardiens de la ville, et à Minerve, protectrice de la citadelle; elle s'était attaquée au temple de Cérès dans Éleusis, au Jupiter et à la Minerve du Pirée. [10] Repoussé par la force des armes loin de leurs temples, loin même de leurs murs, il avait déchaîné sa fureur sur les édifices, qui n'avaient d'autre défense que la religion. [11] Les Athéniens priaient donc et conjuraient les Étoliens de prendre leurs malheurs en pitié, et de se déclarer contre Philippe, ayant pour eux les dieux immortels et ensuite les Romains qui, après les dieux, étaient les premiers par la puissance. »

XXXI. [1] L'envoyé romain prit alors la parole

« Tout le plan de mon discours, dit-il, vient d'être bouleversé d'abord par les Macédoniens, puis par les Athéniens. [2] Les Macédoniens, au moment où j'allais me plaindre des violences exercées par Philippe contre tant de villes alliées de Rome, ont été les premiers à nous inculper; c'est donc une apologie, et non plus une accusation que je dois vous présenter. [3] Les Athéniens, en vous rappelant cette longue série d'attentats et de sacrilèges commis contre tous les dieux, m'ont-ils laissé, à moi ou à tout autre, quelque reproche plus grave à articuler? [4] Ces mêmes plaintes, sachez-le bien, Cios, Abydos, Aenos, Maronée, Thasos, Paros, Samos, Larissa, Messène elle-même, la Messène d'Achaïe, peuvent les faire entendre; ils vous dénonceront même des crimes plus odieux et plus atroces si Philippe a eu plus de moyens de leur nuire. [5] Quant aux reproches qu'il nous adresse, si ce ne sont pas autant de titres de gloire, j'avoue que je renonce à nous en justifier. Il a parlé de Rhégium, de Capoue, de Syracuse; [6] Rhégium reçut, dans ses murs, pendant la guerre de Pyrrhos, une de nos légions, que les habitants eux-mêmes avaient demandée pour leur défense: cette légion, au lieu de protéger la ville, s'en empara par une infâme trahison. [7] Avons- nous approuvé cet attentat? N'avons-nous pas poursuivi de nos armes ces soldats coupables? Et lorsqu'ils furent tombés entre nos mains, lorsqu'ils eurent expié sous les verges et la hache leur perfidie envers nos alliés, n'avons-nous pas rendu aux habitants de Rhégium leur ville, leurs terres, tous leurs biens, ainsi que leurs lois et leur liberté? [8] Syracuse gémissait sous le joug des tyrans étrangers, ce qui était le comble de l'indignité; nous lui avons porté secours; nous avons enduré près de trois années de fatigues, sur terre et sur mer, pour assiéger cette puissante cité; et lorsque les Syracusains, qui s'étaient résignés à vivre esclaves plutôt que de 201 se rendre à nous, eurent enfin cédé à nos armes et furent délivrés du joug, ne leur avons-nous pas rendu leur ville? [9] La Sicile, j'en conviens, est une de nos provinces; celles de ses cités qui ont embrassé le parti de Carthage, et qui ont uni leur haine à celle de nos ennemis pour nous faire la guerre, nous paient aujourd'hui des tributs et des impôts. Loin de le nier, nous voulons vous faire savoir, ainsi qu'à toutes les nations, que le sort de chaque peuple dépend de sa conduite envers Rome. [10] Quant au châtiment des Campaniens, lorsqu'ils n'osent pas eux-mêmes s'en plaindre, pouvons-nous en avoir quelque regret? Pour eux nous avions soutenu contre les Samnites près de soixante-dix années d'une guerre souvent désastreuse pour nous; [11] traités, mariages, alliances de familles, droit de cité, nous avions tout fait pour les attacher à nous; [12] et, au moment de nos revers, ce sont ceux qui, les premiers de tous les peuples d'Italie, nous ont trahis en massacrant lâchement la garnison romaine, et en se livrant à Hannibal. Plus tard, ce sont eux encore qui, furieux de se voir assiégés par nous, ont envoyé Annibal contre Rome. [13] Il ne resterait plus rien de Capoue, il ne survivrait pas un seul de ses habitants qu'on ne pourrait s'indigner d'une vengeance si légitime. [14] La conscience de leurs crimes en a poussé à se donner la mort beaucoup plus que nous n'en avons fait périr dans les supplices. Quant aux autres, si nous leur avons ôté leur patrie et leur territoire, [15] nous leur avons du moins assigné des terres et un asile; la ville elle-même, innocente de leurs fautes, nous l'avons laissée subsister, et quiconque la verrait aujourd'hui ne pourrait croire qu'elle a été assiégée et prise d'assaut. Mais pourquoi parler de Capoue? Carthage vaincue n'a-t-elle pas obtenu de nous la paix et la liberté? [16] Aussi tout ce que nous avons à craindre, c'est qu'une trop grande clémence envers les vaincus n'encourage souvent à tenter contre nous la fortune des combats. [17] Je n'ajouterai rien pour notre défense, rien contre Philippe; les parricides dont ce prince a souillé son palais, les meurtres de ses parents et de ses amis, ses débauches plus monstrueuses, pour ainsi dire, que sa cruauté, vous sont mieux connues qu'à nous; car vous êtes plus voisins de la Macédoine. [18] Revenons à ce qui vous concerne, Étoliens; nous avons, nous, entrepris, dans votre intérêt, la guerre contre Philippe; et vous, vous avez, sans nous consulter, fait la paix avec lui. [19] Peut- être direz-vous que, nous voyant occupés à combattre Carthage, vous avez cédé à la crainte et reçu la loi que vous imposait le plus fort. Nous aussi, pressés par des ennemis plus redoutables, nous avons négligé à notre tour cette guerre à laquelle vous aviez renoncé. [20] Mais aujourd'hui que la bonté des dieux a mis fin à la guerre punique, nous avons déployé toutes nos forces pour écraser la Macédoine, et nous vous offrons une occasion de rétablir les nœuds d'alliance et d'amitié qui vous unissaient à nous, à moins que vous n'aimiez mieux vous perdre avec Philippe que de vaincre avec les Romains. »

XXXII. [1] Ce discours de Furius faisait pencher tous les esprits pour les Romains, quand Damocrite, préteur des Étoliens, corrompu, dit-on, par l'or de Philippe, sans se prononcer pour aucun 202 parti, [2] déclara que

« dans les affaires de haute importance, rien n'était plus funeste que la précipitation. Le repentir venait bientôt à la suite, mais toujours trop tard et inutilement, une décision prise à la hâte ne pouvant être ni rappelée ni remise en question. [3] Quant à l'affaire présente, s'il était d'avis de la laisser venir à maturité, on pouvait dès ce moment fixer l'époque de la délibération. Les lois défendaient de voter la guerre ou la paix ailleurs que dans un Panaetolium ou dans l'assemblée générale des Thermopyles; on n'avait donc qu'à décider sur-le-champ [4] que le préteur convoquerait loyalement une assemblée lorsqu'il voudrait proposer la paix ou la guerre; et toutes les résolutions qui seraient discutées ou adoptées dans cette réunion seraient aussi légales et aussi valables que si elles émanaient d'un Panaetolium ou d'une assemblée générale des Thermopyles. »

[5] Ainsi la question resta pendante, les députés se retirèrent, et Damocrite se vanta d'avoir agi dans l'intérêt des Étoliens: ils restaient libres de se prononcer pour celui des deux partis que favoriserait la fortune. Tel fut le résultat de l'assemblée des Étoliens.

XXXIII. [1] Philippe poussait activement sur terre et sur mer ses préparatifs de guerre; il concentrait ses forces navales à Démétriade en Thessalie. [2] Prévoyant qu'Attale et la flotte romaine quitteraient Égine au retour du printemps, il chargea Héraclidas du commandement de ses vaisseaux et des côtes, comme il l'avait fait précédemment; [3] lui-même il s'occupa de rassembler ses troupes de terre, se flattant d'avoir enlevé aux Romains deux puissants auxiliaires, les Étoliens d'une part, de l'autre les Dardaniens, parce qu'il avait fait fermer les gorges de Pélagonia par son fils Persée. [4] Le consul n'en était plus à préparer la guerre; déjà il s'était mis en campagne, et conduisait son armée par le territoire des Dassarétiens, traînant avec lui, sans y toucher, le blé qu'il avait emporté de ses quartiers d'hiver; car le pays suffisait à l'entretien du soldat. [5] La plupart des villes et des bourgades se soumirent volontairement ou par crainte: on en força quelques-unes; on en trouva d'autres abandonnées par les Barbares, qui s'étaient réfugiés dans les montagnes voisines. [6] Le consul s'arrêta quelque temps à Lyncus, près du fleuve Bevus; de là ses fourrageurs allaient piller les greniers des Dassarétiens. Philippe voyait la désolation se répandre autour, de lui, et une terreur profonde s'emparer des habitants; mais ignorant de quel côté avait tourné le consul, il détacha un escadron de cavalerie pour reconnaître la route qu'avaient prise ses ennemis. [7] Sulpicius était dans la même incertitude: il savait que le roi avait quitté ses quartiers d'hiver; mais il ignorait de quel côté il s'avançait, [8] et avait aussi envoyé des cavaliers à la découverte. Les deux détachements, partis de deux côtés différents, après avoir erré longtemps dans la Dassarétie sans connaître leur direction, finirent par se rencontrer. Ils furent avertis l'un et l'autre de l'approche de l'ennemi par le bruit des hommes et des chevaux qu'on entendait de loin. Aussi, longtemps avant d'être en présence, ils s'étaient préparés au combat, et dès 203 qu'ils s'aperçurent, ils se chargèrent avec fureur. [9] Ils se trouvaient égaux en nombre et en courage. C'était, de part et d'autre, l'élite de l'armée, et, pendant quelques heures, ils luttèrent à forces égales. Ce fut la fatigue des cavaliers et de leurs chevaux qui fit cesser le combat sans que la victoire fût décidée. [10] Après une perte de quarante hommes du côté des Macédoniens, et de trente-cinq du côté des Romains, ils s'en retournèrent les uns auprès de Philippe, les autres auprès du consul, sans pouvoir éclairer ni l'un ni l'autre davantage sur leur position respective. [11] On obtint ces renseignements par des transfuges, gens faciles à exploiter pour qui veut surprendre à la guerre les secrets d'un ennemi.

XXXIV. [1] Philippe pensa qu'il augmenterait l'attachement de ses soldats et leur ardeur à braver pour lui les dangers [2] s'il prenait soin de faire ensevelir les cavaliers morts dans cette rencontre. Il les fit donc rapporter au camp, afin d'étaler à tous les regards la pompe de leurs funérailles. [3] Rien n'est plus incertain ni plus inexplicable que les sentiments de la multitude: ce qui semblait devoir leur faire affronter avec plus de courage tous les périls, leur inspira de la crainte et du découragement. [4] Ils n'avaient vu jusqu'alors que les blessures de la pique et de la flèche, plus rarement celles de la lance, habitués qu'ils étaient à ne se mesurer qu'avec les Grecs et les Illyriens; mais à la vue de ces cadavres mutilés par le glaive espagnol, de ces bras coupés, de ces têtes abattues et entièrement séparées du corps, de ces entrailles à nu, de tant d'autres blessures non moins horribles, [5] ils ne songeaient plus qu'avec effroi à quelles armes et à quels hommes ils allaient avoir affaire. La peur gagna le roi lui-même, car il n'avait jamais soutenu contre les Romains une bataille en règle. [6] Il rappela donc, afin de renforcer son armée, son fils et les troupes qui gardaient les gorges de la Pélagonie; et il ouvrit ainsi à Pleuratus et aux Dardaniens l'entrée de la Macédoine. [7] Puis il partit guidé par des transfuges, avec vingt mille hommes d'infanterie et quatre mille chevaux, s'avança contre l'ennemi, et alla occuper à un peu plus de deux cents pas du camp romain une éminence voisine d'Athaque, où il s'entoura d'un fossé et d'un retranchement. [8] L'aspect du camp romain, qu'il dominait, le frappa, dit-on, d'admiration, et par son ensemble magnifique, et par la distribution régulière de chaque partie, l'alignement des tentes et la largeur des rues. Il déclara que ce n'était assurément pas là un camp de Barbares. [9] Pendant deux jours le consul et le roi restèrent dans leurs retranchements à s'attendre l'un l'autre. Le troisième jour, le consul fit sortir tontes ses troupes en bataille.

XXXV. [1] Philippe, craignant d'engager une action générale, où tout se décide en un moment, détacha quatre cents Tralles [c'est une peuplade illyrienne, comme nous l'avons dit ailleurs] et trois cents Crétois, joignit à cette infanterie un nombre égal de cavaliers, et les envoya sous les ordres d'Athénagoras, l'un des seigneurs de sa cour, harceler la cavalerie romaine. [2] Le consul qui avait formé sa ligne de bataille à un peu plus de cinq cents pas, fit avancer des vélites et en- 204 viron deux escadrons de cavalerie, afin d'opposer à l'ennemi un nombre égal de fantassins et de chevaux. [3] Les troupes du roi s'attendaient à un de ces engagements auxquels elles étaient habituées; elles pensaient qu'il y aurait alternative de charges et de retraites; que la cavalerie lancerait ses traits, puis tournerait bride; qu'alors l'agilité des Illyriens leur serait d'un grand secours pour s'élancer sur les Romains et les attaquer brusquement, taudis que les Crétois arrêteraient avec leurs flèches les charges désordonnées de l'ennemi. [4] Cette tactique fut déconcertée par le choc impétueux et l'acharnement des Romains; [5] ils combattirent comme si l'action eût été générale. Les vélites, après avoir lancé leurs javelots, tirèrent l'épée et eu vinrent aux mains de près; les cavaliers, parvenus aux lignes ennemies, arrêtèrent leurs chevaux, les uns pour combattre à cheval même, les autres pour mettre pied à terre et se mêler à l'infanterie. [6] Ainsi, cavalerie contre cavalerie, celle du roi avait le dessous, ne sachant pas combattre en place; et quant à son infanterie, comme elle était accoutumée à voltiger et à courir de côté et d'autre, à demi nue sous ses armes, elle ne pouvait tenir contre le vélite romain, qui, avec son glaive et son bouclier, était aussi bien armé pour la défense que pour l'attaque. [7] Aussi les Macédoniens n'opposèrent aucune résistance; ils cherchèrent leur salut dans la fuite, et se replièrent vers leur camp.

XXXVI. [1] Après un jour d'intervalle, le roi, qui avait résolu d'engager toute sa cavalerie et ses troupes légères, mit en embuscade pendant la nuit, dans un lieu favorable à une surprise, entre les deux camps, un corps de ces soldats armés de la cétra, et appelés peltastes. Il ordonna à son général Athénagoras et à la cavalerie [2] d'essayer une attaque ouverte, et, si elle réussissait, de profiter de leur avantage, sinon de reculer peu à peu afin d'attirer l'ennemi dans le piège. [3] La cavalerie recula en effet; mais les chefs des peltastes n'attendirent pas le signal; ils se montrèrent avant le temps et manquèrent ainsi l'occasion d'obtenir un succès. Les Romains rentrèrent dans leur camp après avoir vaincu en plaine et s'être préservés du piège qu'on leur tendait. [4] Le lendemain le consul rangea toutes ses troupes en bataille, et mit en avant de ses lignes quelques éléphants. C'était la première fois que les Romains employaient ces animaux: ils en avaient pris dans la guerre punique. [5] Voyant que l'ennemi se tenait caché derrière ses retranchements, le consul s'en approcha en lui faisant honte de sa lâcheté; mais il ne put entraîner Philippe au combat; et comme la proximité des camps ne permettait pas de faire le fourrage en sûreté, que nos soldats dispersés dans la campagne pouvaient être enveloppés tout à coup par la cavalerie macédonienne, [6] il se porta à huit milles de là pour mettre ses fourrageurs à l'abri de toute surprise, et il établit son camp dans un lieu appelé Ottolobus. [7] Tant que les Romains battirent les environs, Philippe resta dans son camp, afin d'encourager à la fois leur négligence et leur audace. [8] Dès qu'il les vit s'écarter, il sortit à la tête de toute sa cavalerie et de ses auxiliaires crétois, marchant avec toute la diligence que lui permettait de faire une infanterie très agile, qui suivait la cava- 205 lerie au pas de course, et alla se porter entre le camp et les fourrageurs. [9] Là, il divisa ses troupes, en envoya une partie à la poursuite des Romains dispersés, avec ordre de ne faire aucun quartier. Il garda le reste pour fermer les chemins par lesquels l'ennemi pouvait regagner son camp. [10] Bientôt tout fut égorgé ou mis en fuite sans que personne eût encore pu porter au consul la nouvelle de ce désastre. Tous les fuyards tombaient entre les mains du roi, [11] et il en fut tué par les troupes qui fermaient les chemins plus que par celles qui battaient la campagne. Enfin quelques-uns s'échappèrent à travers les postes ennemis; mais ils arrivèrent tout tremblants et apportèrent l'alarme au camp plutôt que des nouvelles certaines.

XXXVII. [1] Le consul ordonna aussitôt à ses cavaliers de se porter au secours de leurs camarades, partout où ils le pourraient; il sortit lui-même du camp avec les légions, et marcha aux ennemis en bataillon carré. [2] Les cavaliers se dispersèrent dans la plaine; les uns s'égarèrent, trompés par les clameurs qui s'élevaient de différents côtés. Les autres rencontrèrent l'ennemi, [3] et le combat s'engagea sur plusieurs points à la fois. La mêlée fut surtout sanglante au poste qu'occupait le roi. La cavalerie et l'infanterie y étaient très nombreuses, et formaient presque une armée complète; comme elles occupaient le milieu du chemin, c'était vers ce point que la plupart des Romains dirigeaient leurs efforts. [4] Ce qui assurait la supériorité aux Macédoniens, c'est que le roi les animait par sa présence, et que les auxiliaires crétois, formés en bataillon serré et prêts à recevoir le choc, faisaient pleuvoir tout à coup une grêle de flèches sur les Romains dispersés et en désordre. [5] S'ils avaient su se modérer dans la poursuite, ils auraient eu non seulement l'honneur de la journée, mais aussi l'avantage de triompher dans la guerre. [6] Mais l'ardeur du carnage les emporta trop loin; il rencontrèrent les cohortes romaines qui avaient pris les devants sous les ordres des tribuns militaires. [7] Les cavaliers qui fuyaient n'eurent pas plus tôt aperçu les enseignes romaines, qu'ils se retournèrent contre l'ennemi en désordre: en un instant le combat eut changé de face, et ceux qui poursuivaient prirent la fuite à leur tour. [8] Les uns périrent en combattant, les autres en fuyant: ils ne tombèrent pas tous sous les coups des Romains; plusieurs d'entre eux se jetèrent dans les marais et s'abîmèrent avec leurs chevaux dans la profondeur de la vase. [9] Le roi lui-même fut en danger: son cheval, qui avait été blessé, s'étant abattu, il fut renversé à terre et faillit être fait prisonnier. [10] Il fut sauvé par un cavalier qui sauta rapidement de son cheval, releva le prince tout tremblant et le mit à sa place. Pour lui, ne pouvant suivre à pied, en courant, les autres cavaliers qui fuyaient, il tomba percé de coups par les ennemis qu'avait attirés la chute du roi. [11] Dans sa frayeur, Philippe s'enfuit à toute bride à travers des marais praticables on non, et parvint enfin dans son camp, lorsque la plupart de ses soldats désespéraient déjà de le revoir en vie. [12] Deux cents cavaliers macédoniens périrent dans cet engagement; près de cent furent faits prisonniers; quatre-vingts chevaux tout caparaçonnés furent ramenés au camp romain, avec les dépouilles des vaincus.

XXXVIII. [1] On a dit qu'en ce jour le roi avait 206 montré trop de témérité, et le consul trop peu d'énergie; que Philippe aurait dû rester en repos, sachant que toute la campagne des environs était dévastée, et qu'au bout de quelques jours les Romains se verraient réduits à la plus grande détresse; [2] que, de son côté, le consul, après avoir mis en déroute la cavalerie et les troupes légères de l'ennemi, et pensé prendre le roi lui-même, aurait dû marcher droit au camp des Macédoniens; [3] car, dans la consternation où ils étaient, ils n'auraient pas attendu, et la guerre pouvait être terminée à l'instant même. Tout cela est plus facile à dire qu'à exécuter, comme il arrive très souvent. [4] En effet, si toute l'infanterie royale eût pris part au combat, peut-être qu'au milieu du tumulte, lorsque les Macédoniens, vaincus et refoulés par la terreur du champ de bataille jusque dans leurs retranchements, auraient vu l'ennemi victorieux franchir avec eux les palissades, leur camp eût couru le risque d'être emporté. [5] Mais l'infanterie tout entière était restée dans le camp; les portes étaient gardées, les retranchements défendus; qu'aurait donc gagné le consul à imiter l'imprudence du roi, qui s'était élancé en désordre à la poursuite des cavaliers romains? [6] La première pensée du roi, celle de charger les fourrageurs dispersés dans la plaine, n'eût même pas mérité le blâme, s'il n'avait pas voulu pousser trop loin ses avantages. [7] On doit d'autant moins s'étonner de sa résolution de tenter la fortune, qu'on parlait d'une invasion de Pleuratus et des Dardaniens dans la Macédoine, à la tête de forces considérables. [8] Si Philippe s'était ainsi laissé envelopper de toutes parts, il était à croire que les Romains eussent terminé la guerre sans tirer l'épée. [9] Aussi, après ce double échec, Philippe, pensant qu'il n'était pas en sûreté s'il restait dans la même position, résolut de décamper, en trompant l'ennemi sur son départ. Il envoya, vers le coucher du soleil, un parlementaire [10] demander au consul une trêve pour ensevelir les cavaliers qu'il avait perdus; et, donnant ainsi le change aux Romains, il partit en silence dès la seconde veille, laissant un grand nombre de feux allumés dans toute l'étendue de son camp.

XXXIX. [1] Le consul était à table quand on lui annonça l'arrivée du parlementaire et l'objet de sa mission. [2] Il se contenta de répondre que, le lendemain matin, on aurait le temps d'entrer en pourparlers; c'était tout ce que demandait Philippe: il eut la nuit et une partie du jour suivant pour prendre l'avance. Il se jeta dans les montagnes, où il était sûr de n'être pas suivi par les Romains qui étaient trop pesamment armés. [3] Le consul congédia, dès le point du jour, le parlementaire, en lui accordant la trêve. Peu de temps après il s'aperçut du départ de l'ennemi; mais, ne sachant où le suivre, il resta dans son camp, et consacra quelques jours à faire des provisions. [4] Il se rendit ensuite à Stuberra, et y fit réunir tous les blés qui étaient dans les campagnes de la Pélagonie. De là il s'avança jusqu'à Pluinna, ignorant toujours quelle direction avait prise l'ennemi. [5] Philippe avait campé d'abord à Bryanium; puis il était allé, par des chemins de traverse, donner une alerte aux Romains, qui s'éloignèrent aussitôt  207 de Pluvina et s'établirent sur les bords de l'Osphagus. [6] Le roi vint se poster à peu de distance, et se retrancha également sur les bords d'une rivière nommée dans le pays Érigone. [7] Mais bientôt, prévoyant que les Romains se dirigeraient vers Eordaea, il prit les devants pour s'emparer des défilés et empêcher l'ennemi de forcer l'entrée de la province, en franchissant ces gorges étroites. [8] Là, il construisit des palissades, creusa des fossés, entassa des pierres en forme de mur, et abattit des arbres, suivant les nécessités du terrain ou la nature des matériaux; [9] en un mot, il s'entoura de fortifications, et crut, en élevant des ouvrages à toutes les issues, avoir rendu impraticable ce passage, naturellement très difficile. [10] Presque tous les environs étaient couverts de bois, ce qui était très défavorable à la phalange macédonienne; car si ce corps ne peut former, avec ses sarisses, une espèce de mur de fer en avant de ses boucliers [et pour cela il lui faut une plaine découverte], il est incapable de rendre aucun service. [11] Les Thraces ne pouvaient pas plus faire usage de leurs romphées, qui sont aussi d'une longueur démesurée, et qui s'embarrassaient de tous côtés dans les branches. [12] Les Crétois seuls étaient de quelque utilité; mais ce corps, si redoutable dans une charge où le cavalier et le cheval s'offrent nus aux coups de ses flèches, était sans force contre les boucliers romains, qui, trop épais pour être transpercés, ne laissaient rien à découvert et qu'on pût ajuster. [13] Aussi, quand ils eurent reconnu l'inutilité de cette arme, ils assaillirent l'ennemi avec les pierres qui se trouvaient çà et là dans la vallée. Le choc qu'éprouvaient les boucliers sous cette grêle de projectiles, dont les atteintes étaient plus sonores que dangereuses, arrêta quelque temps les Romains à l'entrée du défilé; [14] mais bientôt ils bravèrent aussi ces nouveaux traits; les uns, formant la tortue, se firent jour à travers les ennemis; [15] les autres parvinrent par un léger détour au sommet de la montagne, tombèrent sur les postes macédoniens, déconcertés de cette attaque, les débusquèrent, et, comme le terrain était embarrassé et la fuite difficile, ils les massacrèrent presque tous.

XL. [1] Le passage ainsi forcé avec moins de peine qu'on ne l'avait supposé, l'armée pénétra dans l'Eordaea, et, après avoir dévasté toute la campagne, se replia sur l'Elimea. Elle se jeta ensuite sur l'Orestide et attaqua la place de Celetrum, située dans une presqu'île. [2] Un lac en entoure les murailles, et l'on ne peut y arriver de la terre ferme que par une étroite chaussée. Les habitants, forts de cette position, fermèrent d'abord leurs portes et refusèrent de se soumettre; [3] mais quand ils virent les Romains déployer leurs enseignes, s'avancer jusqu'au pied du mur à l'abri de la tortue, et couvrir de leurs bataillons toute la chaussée, ils ne tentèrent pas même le combat, et, dans leur frayeur, ils se rendirent à discrétion. [4] De Celetrum Sulpicius entra dans la Dassarétie, où il prit d'assaut la ville de Pelion. Les esclaves furent emmenés avec le reste du butin, et les hommes libres renvoyés sans rançon; on leur rendit la ville, mais en y mettant une forte garnison, [5] car la situation en était fort avantageuse pour lancer des attaques en Macédoine. [6] Après avoir ainsi parcouru le terri- 208 toire ennemi, le consul ramena ses troupes dans un pays soumis depuis longtemps, à Apollonie, d'où il était parti pour se mettre en campagne. [7] Philippe avait été occupé par une diversion des Étoliens, des Athamans, des Dardaniens et de tous les ennemis qui s'étaient tout à coup levés de toutes parts contre lui. [8] Au moment où les Dardaniens quittaient la Macédoine, il envoya contre eux Athénagoras avec l'infanterie légère et la plus grande partie de la cavalerie, et le chargea de poursuivre ces barbares dans leur retraite, de harceler leur arrière-garde et de refroidir leur ardeur pour les expéditions du dehors. [9] Les Étoliens avaient été soulevés par Damocrite: ce même préteur, qui, à Naupacte, leur avait conseillé d'attendre pour se déclarer, avait été le premier, dans l'assemblée suivante, à les appeler aux armes, lorsqu'il eut appris l'issue du combat d'Ottolobus, [10] l'invasion de la Macédoine par les Dardaniens et par Pleuratus, à la tête des Illyriens, enfin l'arrivée de la flotte romaine devant Oreum, et lorsqu'il sut que la Macédoine, menacée par tant de nations voisines, était sur le point d'être bloquée par mer.

XLI. [1] C'est là ce qui avait ramené Damocrite et les Étoliens dans le parti des Romains. Amynander, roi des Athamans vint aussi les joindre, et ils allèrent assiéger Cercinium. [2] La ville avait fermé ses portes; on ignore si c'était de force ou volontairement, car elle avait une garnison macédonieune: [3] au bout de quelques jours elle fut prise et brûlée. Ceux qui survécurent à ce désastre, hommes libres ou esclaves, furent emmenés avec le reste du butin. [4] La crainte d'un sort pareil fit abandonner toutes les villes des environs du lac Boebès; les habitants se réfugièrent dans les montagnes. [5] Le pays n'offrant plus de butin, les Étoliens le quittèrent pour aller se jeter sur la Perrhaebia; ils y emportèrent d'assaut Cyretiae, qui fut indignement saccagée; Maloea se soumit volontairement et entra dans la confédération. [6] De la Perrhaebia Amynander conseillait de marcher sur Gomphi. Cette ville touche à l'Athamanie, et paraissait ne devoir opposer qu'une faible résistance. [7] Les Étoliens préférèrent les plaines de la Thessalie qui leur promettaient un riche butin. Amynander les y suivit, quoiqu'il n'approuvât ni leur résolution, ni le désordre de leurs excursions, ni l'indifférence avec laquelle ils établissaient leurs campements au hasard, dans le premier endroit venu et sans prendre la peine de se fortifier. [8] Aussi, craignant pour lui comme pour les siens d'éprouver quelque désastre par ce fait de leur témérité et de leur négligence, lorsqu'il les vit camper dans une plaine dominée par la ville de Pharcadon, [9] il alla s'établir à un peu plus de cinq cents pas, sur une hauteur, où il s'entoura au moins de quelques faibles retranchements. [10] Quant aux Étoliens, à part leurs dévastations, c'était à peine s'ils paraissaient se rappeler qu'ils étaient en pays ennemi; les uns se répandaient dans la campagne où ils erraient à moitié désarmés; les autres restaient au camp sans veiller à sa défense, et passaient la nuit comme le jour plongés dans le sommeil et l'ivresse. Tout à coup Philippe survint. [11] Instruits de son arrivée par quelques fuyards qui revenaient tout tremblants de leurs excursions, Damocrite et les autres chefs  209 s'agitèrent. C'était l'heure de midi; la plupart de leurs soldats, gorgés de nourriture, dormaient étendus à terre. [12] Ils les réveillèrent, leur firent prendre les armes, et dépêchèrent les plus agiles dans toutes les directions pour rappeler les pillards dispersés dans la campagne. La confusion fut si grande qu'on vit des cavaliers sortir du camp sans épée, et la plupart sans cuirasse. [13] Ainsi entraînés à la hâte, et formant à peine tous ensemble, cavaliers et fantassins, un corps de six cents hommes, ils tombèrent au milieu de la cavalerie du roi, qui avait l'avantage du nombre, de la valeur et des armes; [14] aussi furent-ils culbutés dès le premier choc, et sans essayer presque de se défendre, ils s'enfuirent lâchement vers leur camp. Il y en eut quelques-uns de tués ou de faits prisonniers par la cavalerie qui les avaient séparés du gros des fuyards.

XLII. [1] Philippe touchait presque aux retranchements des Romains; il fit sonner la retraite. Hommes et chevaux, tous étaient fatigués, moins du combat que de la longueur du chemin et de la vitesse extraordinaire de leur course. [2] Il envoya chaque escadron de cavalerie à son tour, et successivement aussi chaque manipule des troupes légères, puiser de l'eau et prendre leur repas; d'autres restèrent sous les armes à leurs postes, [3] en attendant l'infanterie pesamment armée qui ne pouvait marcher que plus lentement. [4] Dès qu'elle fut arrivée, elle reçut ordre aussi de planter ses enseignes, de mettre ses armes devant elle, et de prendre à la hâte quelque nourriture, tandis que deux ou trois manipules au plus iraient chercher de l'eau. Pendant ce temps, la cavalerie et les troupes légères se tenaient prêtes et rangées eu bataille, dans le cas où l'ennemi ferait quelque mouvement. [5] Les Étoliens, dont tous les détachements dispersés dans la campagne étaient rentrés au camp, parurent alors déterminés à se défendre; ils placèrent des soldats auprès des portes et le long des retranchements, et montrèrent beaucoup de résolution tant que l'ennemi resta tranquille et qu'ils furent hors de sa portée. [6] Mais lorsque les enseignes se mirent en mouvement et que les Macédoniens s'approchèrent du camp en bon ordre et prêts à l'assaillir, ils abandonnèrent à l'instant même leurs postes, et s'enfuirent par les derrières du camp vers la hauteur qu'occupaient les Athamans. Dans cette retraite si précipitée il y eut encore un grand nombre d'Étoliens tués ou faits prisonniers. [7] Si le jour eût été moins avancé, Philippe aurait, sans aucun doute, pu forcer aussi les lignes des Athamans; mais le combat et ensuite le pillage du camp l'occupèrent toute la journée; il s'arrêta donc au pied de la montagne, dans la plaine voisine, décidé à commencer l'attaque le lendemain dès l'aurore. [8] Les Étoliens, cédant à la terreur qui les avait déjà chassés de leur camp, se dispersèrent pendant la nuit et s'enfuirent. Amynander leur fut alors très utile; à la tête des Athamans qui connaissaient les chemins, il suivit la crête des montagnes par des sentiers inconnus à ceux qui les poursuivaient, et ramena les Étoliens dans leur pays. [9] Il n'y en eut que très peu qui, dans une déroute si complète, s'égarèrent et tombèrent au milieu des cavaliers macédoniens que Philippe, en voyant dès le point du jour la hauteur abandonnée, détacha pour harceler la marche des ennemis.

210 XLIII. [1] Dans le même temps, Athénagoras, général de Philippe, atteignit les Dardaniens au moment où ils rentraient sur leur territoire, et mit d'abord en désordre leur arrière-garde. [2] Les Dardaniens firent volte-face, se formèrent en bataille, et engagèrent un combat en règle où l'avantage fut égal; mais quand ils se furent remis en marche, la cavalerie et les troupes légères du roi les inquiétèrent beaucoup. Les Dardaniens n'avaient aucune ressource du même genre; ils étaient surchargés d'armes trop pesantes et ne pouvaient se mouvoir; enfin le terrain même favorisait l'ennemi. [3] Ils eurent très peu de morts, beaucoup plus de blessés, et pas un prisonnier, parce qu'ils ne quittent pas imprudemment leurs rangs, et qu'ils combattent et font retraite en masse. [4] Ainsi les pertes que Philippe avait éprouvées dans sa lutte avec les Romains, il les avait réparées, tout en châtiant par d'heureuses expéditions deux nations ennemies; et son entreprise avait été aussi heureuse qu'elle était hardie. Une circonstance due au hasard diminua depuis le nombre des Étoliens ses ennemis. [5] Scopas, l'un des chefs du pays, envoyé d'Alexandrie par le roi Ptolémée avec une grande quantité d'or, leva six mille hommes de pied et un corps de cavalerie mercenaire, qu'il emmena en Égypte. [6] Toute la jeunesse étolienne serait partie avec lui si Damocrite ne leur eût rappelé la guerre qui les menaçait, et l'abandon où allait se trouver le pays. [7] On ignore s'il agit ainsi par zèle pour l'intérêt public, ou par opposition contre Scopas, qui ne l'avait pas gagné par quelques présents; mais ses représentations retinrent une partie de la jeunesse.

XLIV. [1] Tels furent les événements de cette campagne entre les Romains et Philippe. La flotte partie de Corcyre, au commencement de cette même campagne, sous les ordres du lieutenant L. Apustius, doubla le cap Malée, et fit sa jonction avec le roi Attale, à la hauteur du promontoire Scyllaeum, sur le territoire d'Hermione. [2] La haine des Athéniens pour Philippe, contenue depuis longtemps par la crainte, se déborda tout entière à l'arrivée d'un si puissant secours. [3] Athènes n'a jamais manqué de démagogues prêts à soulever le peuple par leurs paroles; l'espèce en est commune dans toutes les villes libres; mais surtout à Athènes, dans cette patrie de l'éloquence, où la faveur de la multitude les encourage. [4] On proposa donc aussitôt une loi qui fut adoptée par le peuple; elle portait

« que toutes les statues de Philippe, ses images avec leurs inscriptions, celles de ses ancêtres des deux sexes, seraient supprimées et détruites; les jours de fête, les sacrifices, les prêtres institués eu l'honneur du prince ou de ses aïeux seraient tous supprimés comme profanes; [5] tout lieu où se trouvait quelque objet, quelque inscription en son honneur, serait maudit; il ne serait pas permis d'y élever et d'y consacrer un de ces monuments qu'on ne pouvait élever et consacrer qu'en un lieu exempt de souillures; [6] les prêtres, dans toutes les prières adressées aux dieux pour le peuple athénien, pour ses alliés, pour leurs armées et leurs flottes, prononceraient des imprécations et des malédictions contre Philippe, ses enfants, son royaume, ses troupes de terre et de mer, contre toute la nation macédonienne, et même contre son nom. »

[7] On ajouta que

« toute proposi- 211 tion ayant pour but de flétrir et de déshonorer Philippe serait adoptée par le peuple athénien; [8] mais quiconque hasarderait un mot, une démarche pour le disculper où pour l'honorer, pourrait être tué sans crime. »

On conclut enfin que

« tous les décrets portés jadis contre les Pisistratides seraient remis en vigueur contre Philippe. »

[9] Athènes usait ainsi des seules armes qu'elle avait en son pouvoir, des paroles et des écrits, pour faire la guerre à Philippe.

XLV. [1] Attale et les Romains se rendirent d'abord d'Hermione au Pirée; ils y restèrent quelques jours [2] et y furent accablés dé décrets honorables, où l'enthousiasme du peuple athénien pour ses alliés égalait ses précédentes fureurs contre son ennemi. Du Pirée ils firent voile vers Andros. [3] La flotte ayant jeté l'ancre dans le port nommé Gaurion, on fit sonder les dispositions des habitants pour savoir s'ils aimaient mieux livrer volontairement leur ville que de soutenir un assaut. [4] Ils répondirent qu'une garnison macédonienne occupait la citadelle, et qu'ils n'étaient point leurs maîtres. Aussitôt on débarqua les troupes et toutes les machines nécessaires à un siège; puis Attale et le lieutenant romain, chacun d'un côté, s'approchèrent de la place. [5] Ce qui effraya surtout les Grecs, ce furent ces enseignes et ces armes qu'ils voyaient pour la première fois, et l'intrépidité de ces guerriers qui marchaient avec tant de résolution vers les remparts. [6] Ils s'enfuirent sur- le-champ dans la citadelle, et les Romains s'emparèrent de la ville. La citadelle tint deux jours, grâce à sa position plus qu'au courage de ses défenseurs; et le troisième elle se rendit; les habitants et la garnison eurent la liberté de passer à Delium en Béotie avec un seul vêtement chacun. [7] Les Romains la cédèrent au roi et se réservèrent le butin et tous les ornements de la ville. Attale, craignant de se trouver maître d'une île déserte, persuada à presque tous les Macédoniens et à plusieurs des habitants d'Andros d'y rester. [8] Dans la suite, ceux qui s'étaient transportés à Delium en vertu de la capitulation, y furent rappelés par les promesses du roi; le désir de revoir leur patrie augmentait encore leur confiance en sa parole. [9] D'Andros on passa à Cythnos, où l'on perdit plusieurs jours à faire inutilement le siège de la ville; comme c'était une place sans importance, on remit à la voile. [10] A la hauteur de Prasiae, sur la côte de l'Attique, vingt barques d'Issa vinrent se joindre à la flotte des Romains. On les envoya ravager les terres de Carystii, et l'on attendit leur retour à Geraestos, port fameux de l'Eubée. [11] Puis toute là flotte gagna la haute mer, longea Scyros et alla aborder à Icos, où un vent du nord très violent la retint quelques jours. Dès qu'un temps calme revint, [12] on fit voile vers Sciathos, ville naguère pillée et saccagée par Philippe. [13] Les soldats se dispersèrent dans la campagne et rapportèrent sur leurs vaisseaux le blé et les vivres qu'ils purent trouver; quant au butin, il n'y en avait point à espérer, et d'ailleurs les Grecs n'avaient pas mérité qu'on les maltraitât. [14] On se dirigea alors sur Cassandrea et on 212 jeta l'ancre d'abord à Mendaeum, bourgade maritime dépendante de cette cité; puis quand on eut doublé le promontoire et qu'on voulut s'approcher des murs de la ville, il s'éleva une horrible tempête; les vaisseaux furent presque engloutis par les flots, séparés les uns des autres et dépouillés de la plupart de leurs agrès; les soldats se réfugièrent sur le rivage. [15] Ce désastre maritime fut l'avant-coureur de celui qui les attendait sur terre. Quand la flotte fut ralliée et les troupes débarquées, les alliés attaquèrent la ville; mais ils furent très maltraités et repoussés par la garnison macédonienne, qui était fort nombreuse. Après cette vaine tentative, ils se rembarquèrent, passèrent au cap Canastraeum dépendant de Pallène, doublèrent le cap de Torona et se portèrent sur Acanthe: [16] la campagne fut ravagée et la place elle-même prise et pillée. Là s'arrêtèrent leurs courses; déjà la flotte regorgeait de butin; ils reprirent la route qu'ils avaient suivie, regagnèrent Sciathos et de là l'Eubée.

XLVI. [1] La flotte y resta, tandis que dix vaisseaux légers entrèrent dans le golfe Maliaque pour se concerter avec les Étoliens sur les opérations de la guerre.[2] L'Étolien Pyrrhias était le chef de l'ambassade étolienne qui se rendit à Héraclée pour conférer avec le roi et le lieutenant romain. [3] Il demanda, d'après le traité d'alliance, un secours de mille soldats à Attale: c'était le nombre d'hommes que devait leur fournir ce prince en cas de guerre contre Philippe. [4] Attale s'y refusa, parce que les Étoliens avaient, eux aussi, montré quelque répugnance à se mettre en campagne pour dévaster la Macédoine, lorsque Philippe incendiait les temples et les habitations aux environs de Pergame, et qu'ils auraient pu le rappeler dans ses propres états par une diversion vigoureuse. [5] Mais les Romains firent toutes sortes de promesses aux Étoliens, qui se retirèrent avec des espérances et non avec des secours. Apustius et Attale retournèrent sur leur flotte; [6] ils proposèrent d'assiéger Oreus: c'était une place défendue par de bonnes murailles et par une forte garnison, depuis qu'elle avait eu à essuyer une première attaque. Ils avaient été rejoints, après la prise d'Andros, par l'amiral rhodien Agésimbrote et vingt vaisseaux, tous pontés; [7] ils envoyèrent croiser à la hauteur du cap Zelasium, dans l'Isturie, position avantageuse qui domine Demetrias et d'où les Rhodiens étaient à portée de couvrir les assiégeants au moindre mouvement de la flotte macédonienne. [8] Héraclide, qui la commandait au nom du roi, tenait ses vaisseaux à l'ancre, épiant l'occasion que pourrait lui fournir la négligence des ennemis, mais trop faible pour agir à force ouverte. [9] Les Romains et Attale pressaient Oreus de deux côtés différents: les Romains par la citadelle voisine de la mer; Attale par la vallée qui s'étend entre les deux forteresses, à l'endroit où la ville est défendue aussi par un mur intérieur. [10] La différence des positions exigeait un mode d'attaque différent. Les Romains employaient la tortue, le mantelet et le bélier pour ébranler les murs: les soldats du roi se servaient de balistes, de catapultes et de machines de tout genre pour lancer des traits et même des pierres énormes, sans négliger ni la mine, ni aucun des moyens dont on avait éprouvé l'utilité dans le 213 premier siège. [11] Au reste, la garnison macédonienne qui défendait la ville et les citadelles n'était pas seulement plus nombreuse; elle avait aussi plus de sang-froid et de courage; elle se rappelait les châtiments qui lui avaient été infligés par le roi pour une première faute, ses menaces, ses promesses pour l'avenir: aussi les assiégeants n'avaient-ils que peu d'espoir de s'en emparer par un coup de main. [12] Cependant Apustius crut pouvoir tenter quelque autre entreprise; il laissa des troupes suffisantes pour presser les travaux du siège, passa sur la côte la plus voisine du continent, tomba à l'improviste sur Larissa, non pas la célèbre Larissa de Thessalie, mais celle que les Grecs nomment Cremastès, et l'emporta, moins la citadelle. [13] Attale, de son côté, surprit Ptéléon qui ne craignait rien moins qu'une telle attaque pendant le siège d'une ville voisine. [14] Déjà tous les travaux étaient achevés devant Oreus, et à l'intérieur la garnison était épuisée, par des fatigues continuelles, par les gardes qui se succédaient nuit et jour, par ses blessures enfin. [15] Le mur, ébranlé sous les coups du bélier, s'était écroulé en plusieurs endroits. Ce fut par l'ouverture de cette brèche que les Romains pénétrèrent pendant la nuit dans la citadelle, en passant au-dessus du port. [16] Au point du jour et au signal donné par les Romains du haut de la citadelle, Attale attaqua aussi la ville, dont les murs étaient en grande partie renversés. La garnison et les habitants se réfugièrent dans l'autre citadelle, où ils se rendirent deux jours après. La ville fut pour le roi, les prisonniers pour les Romains.

XLVII. [1] Déjà l'on touchait à l'équinoxe d'automne, époque où le golfe de l'Eubée, nommé Coela dans le pays, est redouté des matelots. Les vainqueurs voulurent en sortir avant les tempêtes de l'hiver; ils retournèrent au Pirée, d'où ils étaient partis au commencement de la campagne. [2] Apustius y laissa trente vaisseaux, doubla le cap Malée, et fit voile vers Corcyre. Attale y resta pendant la célébration des mystères de Cérès, auxquels il assista. Aussitôt après la fête, il partit de son côté pour l'Asie, et renvoya les Rhodiens et Agésimbrote dans leur patrie. [3]Tels furent les événements qui signalèrent sur terre et sur mer cette campagne du consul romain et de son lieutenant, aidés d'Attale et des Rhodiens contre Philippe et ses alliés. [4] L'autre consul C. Aurélius n'était arrivé dans sa province qu'après la fin de la guerre; aussi ne put-il dissimuler son ressentiment contre le préteur qui avait vaincu en son absence. [5] Il le relégua dans l'Étrurie, entra avec les légions sur le territoire ennemi, et y porta le ravage: il conquit un riche butin, mais obtint peu de gloire par cette expédition. [6] L. Furius, voyant qu'il n'avait rien à faire dans l'Étrurie, et impatient d'ailleurs de triompher des Gaulois, pensa qu'il lui serait plus facile de le faire en l'absence du consul dont il avait à craindre le ressentiment et la jalousie; il arriva donc inopinément à Rome, convoqua le sénat au temple de Bellone, [7] rendit compte de ses exploits, et sollicita l'honneur d'entrer en triomphe dans la ville.

XLVIII. [1] La plupart des sénateurs étaient séduits 214 par l'éclat de ses victoires, ou par l'affection qu'ils lui portaient. [2] Les plus vieux rejetaient sa demande

« parce que l'armée avec laquelle il avait vaincu n'était pas la sienne, et parce qu'il avait quitté sa province pour venir arracher par surprise le triomphe qu'il désirait, conduite sans exemple jusqu'alors. »

[3] Les consulaires surtout soutenaient

« qu'il aurait dû attendre le consul, [4] établir son camp près de la ville, protéger la colonie, mais sans livrer bataille, et gagner du temps jusqu'à l'arrivée de ce magistrat; que c'était au sénat à faire ce que le préteur n'avait pas fait; qu'il fallait donc attendre le consul, [5] et qu'après avoir entendu Aurélius et Furius discuter en personne devant eux, ils pourraient se prononcer avec plus de certitude. »

[6] La majorité du sénat pensait qu'on devait seulement considérer le succès, et voir si c'était comme magistrat et sous ses propres auspices que Furius l'avait remporté.

[7] « Lorsque des deux colonies, opposées comme une digue au torrent des Gaulois, l'une avait été saccagée et brûlée; lorsque déjà l'incendie allait gagner l'autre, qui était si rapprochée que les toits des maisons se touchaient pour ainsi dire, qu'avait dû faire le préteur? [8] Fallait-il, pour agir, attendre le consul? Mais alors le sénat avait eu tort de donner une armée au préteur; car s'il ne voulait pas que ce fût l'armée du préteur, mais celle du consul qui fît la guerre, il aurait pu terminer le sénatus- consulte par cette clause expresse; [9] ou bien le consul était coupable de n'être pas parti après avoir ordonné à son armée de passer d'Étrurie en Gaule, et de ne l'avoir pas devancée à Ariminium, pour diriger les opérations d'une guerre que seul il avait le droit de faire.[10] En campagne, les occasions ne s'accommodaient pas des retards et des lenteurs des généraux; il fallait souvent combattre, non pas qu'on le voulût, mais parce que l'ennemi en faisait une nécessité. [11] On devait considérer la bataille et son heureuse issue; l'ennemi avait été battu et taillé en pièces; son camp pris et pillé; la colonie qu'il assiégeait, délivrée; les prisonniers qu'il avait faits dans l'autre colonie, repris et rendus à leurs familles; la guerre terminée d'un seul coup. [12] Non seulement les hommes s'étaient réjouis de cette victoire, mais il y avait eu aussi en l'honneur des dieux immortels trois jours de supplications pour les remercier des heureux succès que le préteur L. Furius, avait obtenus dans son commandement, et non pour expier ses fautes et sa témérité. D'ailleurs la famille des Furius était en quelque sorte marquée par les destinées pour combattre les Gaulois. »

XLIX. [1] Les paroles prononcées en ce sens par Furius lui-même et par ses amis, le crédit qu'assurait au préteur sa présence, l'emportèrent sur la dignité du consul qui était absent, et le triomphe fut accordé à une grande majorité. [2] Le préteur L. Furius triompha des Gaulois pendant le cours de sa magistrature. Il versa dans le trésor trois cent vingt mille livres pesant d'airain, et cent soixante-dix mille d'argent. [3] Aucun captif ne marchait devant son char; il n'était point précédé par les dépouilles, ni suivi de ses soldats. On voyait qu'à l'exception de la victoire, tout était entre les mains du consul. [4] P. Cornélius Scipion fit célébrer 215 ensuite, avec une grande magnificence, les jeux qu'il avait voués pendant son consulat en Afrique. [5] On assigna des terres à ses soldats; on décréta que pour chaque année de service en Espagne ou en Afrique, ils recevraient chacun deux arpents, et que la distribution en serait faite par les décemvirs. [6] On nomma ensuite des triumvirs chargés de compléter la population de la colonie de Vénusie, décimée par la guerre d'Annibal; ce furent C. Térentius Varron, T. Quinctius Flamininus, P. Cornélius Scipio, fils de Cnéius, qui enrôlèrent de nouveaux colons. [7] Cette même année C. Cornélius Céthégus, proconsul en Espagne, tailla en pièces une nombreuse armée d'ennemis sur le territoire des Sédétans: quinze mille Espagnols restèrent, dit-on, sur le champ de bataille, et l'on prit soixante-dix-huit enseignes. [8] Le consul C. Aurélius, étant revenu de sa province à Rome pour présider les comices, ne se plaignit pas, comme on l'avait présumé d'abord,

« de ce que le sénat ne l'avait point attendu, [9] et de ce qu'on n'avait pas permis à un consul de discuter contre un préteur; mais il attaqua le sénatus-consulte qui décernait le triomphe, quand on n'avait entendu que celui qui devait triompher, et non ceux qui avaient pris part au combat. [10] Leurs ancêtres, en établissant que les lieutenants, les tribuns militaires, les centurions, les soldats enfin, assisteraient au triomphe, avaient voulu que leur présence fût un témoignage éclatant et public des exploits de celui qui était jugé digne d'un si grand honneur. [11] De toute l'armée qui avait combattu les Gaulois, y avait-il là un soldat, ou du moins un valet que le sénat pût interroger sur la vérité on la fausseté des assertions du préteur? »

[12] Aurélius fixa ensuite le jour des comices: on y créa consuls L. Cornélius Lcntulus et P. Villius Tappulus; on nomma ensuite préteurs L. Quinctius Flamininus, L. Valérius Flaccus, L. Villius Tappulus, et Cn. Baebius Tamphilus.

L. [1] Le blé fut encore à bas prix cette année. La grande quantité de grains apportée d'Afrique fut distribuée au peuple par les édiles curules M. Claudius Marcellus et Sex. Aelius Paetus, au prix de deux as le boisseau. [2] Ces magistrats célébrèrent aussi avec une grande pompe les jeux romains, mais ils ne renouvelèrent cette représentation qu'une seule fois. Avec le produit des amendes, ils firent placer dans le trésor cinq statues en bronze. [3] Les édiles L. Térentius Massiliota et Cn. Baebius Tamphilus, préteur désigné, célébrèrent trois fois en entier les jeux Plébéiens. [4] A l'occasion de la mort de M. Valérius Laevinus, ses fils Publius et Marcus donnèrent cette année, dans le forum, des jeux funèbres qui durèrent quatre jours: ils y ajoutèrent un combat de gladiateurs; vingt-cinq couples descendirent dans l'arène. [5] M. Aurélius Cotta, décemvir des sacrifices, mourut; il fut remplacé par Manius Acilius Glabrio. [6] Aux comices, on avait choisi pour édiles curules deux citoyens qui se trouvaient dans l'impossibilité d'entrer en charge sur-le-champ: l'un était C. Cornélius Céthégus, élu pendant son absence et qui commandait alors en Espagne; [7] l'autre C. Valérius Flaccus, quoique présent, était flamine de Jupiter, et ne pouvait prêter serment. Or un magistrat n'avait pas le droit d'exercer plus de cinq jours, s'il n'a- 216 vait prêté serment. [8] Flaccus demanda à être dispensé de la loi; le sénat décréta que s'il présentait, avec l'assentiment des consuls, un édile qui jurât pour lui, les consuls engageraient les tribuns à faire accepter ce serment par le peuple. [9] Flaccus présenta son frère L. Valérius, préteur désigné, pour prêter serment à sa place; les tribuns en référèrent au peuple, et le peuple décida que ce serment était aussi valable que s'il avait été prononcé par l'édile en personne. [10] Quant à l'autre édile, sur la proposition que firent les tribuns d'envoyer deux nouveaux généraux commander les armées en Espagne, un plébiscite fut rendu qui enjoignait à l'édile curule C. Cornélius de revenir à Rome exercer sa charge, [11] et à L. Manlius Acidinus de quitter un département qu'il avait depuis tant d'années. Le peuple envoya en Espagne avec le titre de proconsuls Cn. Cornélius Lentulus et L. Stertinius.

 

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