ALLER A LA TABLE DES MATIERES DE TITE-LIVE TITE-LIVE Ab Urbe Condita, Livre XXIV
624 LIVRE VINGT-QUATRIÈME. SOMMAIRE. — Hiéronyme, roi de Syracuse, dont l'aïeul Hiéron avait été l'ami constant du peuple romain, embrasse le parti des Carthaginois ; tyran farouche et cruel, il est massacré par ses sujets. — Ti. Sempronius Gracchus, proconsul , remporte auprès de Bénévent une victoire sur les Carthaginois, et sur Hannon , leur chef : il doit son succès principalement aux esclaves; il leur rend la liberté. — Claudius Marcellus, consul, assiége Syracuse en Sicile, contrée qui s'était presque tout entière soulevée en faveur de Carthage.—On déclare la guerre à Philippe, roi de Macédoine; ce prince, vaincu pendant la nuit, et mis en fuite auprès d'Apollonie , regagne difficilement sou royaume avec des troupes presque désarmées. — Le prêteur Valérius est chargé du soin de cette expédition. — Avantages obtenus en Espagne sur les Carthaginois par P. et Cn. Scipion. — Alliance faite avec Syphax, roi de Numidie.—Défait par Massinissa , roi des Massyliens, et alors allié des Carthaginois , Syphax passe avec des forces imposantes, dans le pays des Maurusiens, du côté de Gadès, où l'Espagne est séparée de l'Afrique par un détroit. Les Celtibériens sont admis également au nombre des alliés de Rome. — Pour la première fois, la république reçoit dans ses armées des soldats mercenaires. I. (1) À son retour de la Campanie dans le Bruttium, Hannon, aidé et conduit par les Bruttiens, chercha à se rendre maître des villes grecques qui persistaient d'autant plus à rester fidèles à l'alliance de Rome, qu'elles voyaient avec les Carthaginois les Bruttiens, objet pour elles de crainte et de haine à la fois. (2) Ce fut sur Rhégium que se porta la première tentative, et Hannon y employa quelques jours fort inutilement. Pendant ce temps-là les Locriens transportent en hâte de leurs champs dans la ville le blé, le bois et toutes les choses nécessaires à la vie, dans l'intention aussi de ne rien laisser à l'ennemi dont il pût profiter. De jour en jour la foule qui sortait par toutes les portes devenait plus considérable. (3) On en était venu à ne laisser dans la ville que ceux que l'on forçait à réparer les murs et les portes, et à faire des amas d'armes sur les remparts. (4) Cette multitude, composée d'habitants de tout âge et de toutes conditions, errait dans la campagne en grande partie sans armes. Le général carthaginois Hamilcar lança contre eux quelques cavaliers; il leur fut défendu de maltraiter qui que ce fût, et ils se contentèrent de disposer quelques pelotons de manière à fermer tout retour aux fuyards. (5) Le général lui-même se plaçant sur une éminence d'où il dominait la campagne et la ville, envoya sous les murs une cohorte de Bruttiens, avec ordre d'appeler à une conférence les principaux Locriens, de leur promettre l'amitié d'Hannibal, et de les engager à livrer la ville. (6) D'abord ils ne voulurent pas ajouter foi à ce que disaient les Bruttiens; mais lorsque les Carthaginois se montrèrent sur les hauteurs, et que quelques fuyards vinrent annoncer que tout le reste du peuple était au pouvoir de l'ennemi, vaincus par la crainte, ils répondirent qu'ils allaient consulter le peuple. (7) L'assemblée fut aussitôt convoquée; tous les hom - 625 mes sans consistance se déclarèrent pour un changement et pour cette alliance nouvelle, et ceux dont les parents étaient retenus hors de la ville par l'ennemi se trouvaient aussi liés que s'ils eussent donné des otages. (8) Quelques citoyens seulement, tout en sentant bien qu'il valait mieux rester fidèles à la foi jurée, n'osaient pas toutefois déclarer que tel était leur avis. Il y eut donc, au moins en apparence, unanimité dans la résolution de se donner aux Carthaginois. (9) L. Atilius, qui commandait la garnison, et les soldats romains qui la composaient, furent conduits secrètement au port et placés sur des vaisseaux qui devaient les porter à Rhégium. On reçut alors Hamilcar et les Carthaginois dans la ville, à condition qu'un traité serait fait aussitôt, dans lequel les deux parties seraient considérées comme égales. (10) Aussitôt après la reddition de la ville, ces conditions faillirent être rompues, le Carthaginois accusant les Locriens d'avoir employé la ruse pour faire échapper les Romains, et les Locriens, au contraire, prétendant que les Romains avaient pris d'eux-mêmes la fuite. (11) Hamilcar envoya même des cavaliers pour les poursuivre, dans le cas où le vent les eût retenus dans le détroit, ou contraints de prendre terre. Ceux qui les poursuivaient ne purent les atteindre, mais ils aperçurent d'autres navires qui traversaient de Messine à Rhégium. (12) C'étaient des soldats romains que le préteur Claudius envoyait tenir garnison dans la ville. Hasdrubal ne pensa donc plus à Rhégium. (13) Par ordre d'Hannibal les conditions du traité avec les Locriens furent celles-ci: « ils devaient vivre libres sous leurs lois; la ville serait ouverte aux Carthaginois et le port resterait au pouvoir des Locriens. Aux termes de l'alliance, les Carthaginois devaient aider les Locriens en temps de paix et en temps de guerre, et les Locriens les Carthaginois. » II. (1) Les Carthaginois s'éloignèrent donc du détroit, et les Bruttiens en murmurèrent, parce qu'il leur avait fallu respecter Rhégium et Locres, qu'ils avaient résolu de piller. (2) Ils se décident à enrôler et à armer quinze mille hommes de leur jeunesse, et marchent seuls contre Crotone, dont ils font le siège. Crotone étant aussi une ville grecque et une ville maritime, (3) ils comptaient bien augmenter considérablement leur puissance s'ils pouvaient s'emparer d'un port de mer, entouré de fortes murailles. (4) Mais ils avaient une inquiétude: il était bien difficile qu'ils n'appelassent pas les Carthaginois à leur aide, sous peine de paraître ne plus agir en alliés; et, d'un autre côté, si le Carthaginois devait se faire une fois encore l'arbitre de la paix plutôt que leur auxiliaire dans leur projet de conquête, ils auraient encore combattu sans avantage contre l'indépendance de Crotone, comme auparavant contre celle de Locres. (5) Ils crurent que ce qu'ils avaient de mieux à faire, c'était d'envoyer une ambassade à Hannibal et de prendre leurs précautions à son égard, afin que Crotone, une fois prise, appartînt aux Bruttiens. (6) Hannibal répondit que c'était à ceux qui étaient sur les lieux de décider la question, et il les renvoya à Hannon. Hannon ne leur répondit rien de positif; (7) et, en effet, ni lui ni Hannibal ne voulaient abandonner au pillage une ville célèbre et opulente, et ils espéraient bien que quand les Bruttiens l'assiégeraient, et qu'il serait évident que les Carthaginois n'approuvaient ni ne secondaient 626 cette attaque, Crotone ne s'en livrerait que plus vite aux Carthaginois. (8) À Crotone, il n'y avait ni résolution ni volonté unanime parmi les citoyens. Il semblait que la même maladie se fût répandue sur tous les états de l'Italie; partout le peuple et les principaux citoyens étaient divisés d'opinion: le sénat était pour Rome, et le peuple se prononçait pour les Carthaginois. (9) Un transfuge annonce aux Bruttiens que Crotone est ainsi divisée: qu'Aristomachus, tout puissant sur le peuple, veut livrer la ville; que dans une si vaste enceinte, où les diverses parties des remparts sont si éloignées les unes des autres, quelques postes, quelques corps de garde seulement sont occupés par les sénateurs; mais que sur tous les points confiés à des hommes du peuple, l'accès leur serait facile. (10) Encouragés et guidés par le transfuge, les Bruttiens cernèrent la ville: reçus par le peuple, ils se rendirent maîtres, à la première attaque, de tous les postes, à l'exception de la citadelle qui était au pouvoir des nobles. (11) Déjà depuis longtemps ils s'étaient préparé ce refuge contre les chances d'un pareil malheur. Aristomachus s'y réfugia aussi, montrant par là qu'il avait voulu livrer la ville aux Carthaginois et non pas aux Bruttiens. III. (1) Crotone avait un mur de douze mille pas de circonférence avant l'arrivée de Pyrrhus en Italie. (2) Dépeuplée par cette guerre, les habitants en occupaient à peine la moitié. Le fleuve, qui d'abord avait traversé la ville, passait maintenant en dehors des lieux habités; (3) la citadelle aussi était éloignée de la partie peuplée. À six milles de la ville était un temple célèbre, plus célèbre encore que la ville: c'était le temple de Junon Lacinia, fort révéré de tous les peuples d'alentour. (4) Là un bois sacré, qu'entourait une forêt épaisse de hauts sapins, renfermait d'abondants pâturages. Y paissaient sans bergers des troupeaux de toute sorte consacrés à la déesse, (5) et chaque espèce, à l'approche de la nuit, retournait séparément à son étable sans avoir jamais eu à souffrir des attaques des bêtes sauvages ou des pièges des hommes. (6) Aussi les produits de ce troupeau étaient considérables: on les avait employés à élever une colonne d'or massif, consacrée à la déesse, et le temple, déjà célèbre par sa sainteté, l'était devenu aussi par ses richesses. (7) Comme il arrive presque toujours pour des lieux aussi renommés, il se rattache à ce temple quelque chose de miraculeux: on dit donc qu'il y a dans le vestibule un autel où les vents ne troublent jamais la cendre des sacrifices. (8) Quant à la citadelle de Crotone, qui d'un côté domine la ruer et de l'autre regarde la campagne, elle n'eut d'abord d'autres fortifications que sa position naturelle: par la suite elle fut aussi entourée d'un mur à l'endroit où Denys, tyran de Sicile, l'avait surprise par ruse en prenant les rochers à revers. (9) Telle était cette citadelle, à l'abri, semblait-il, de toute attaque, et alors occupée par les nobles de Crotone. Le peuple s'était joint aux Bruttiens pour l'assiéger. (10) Enfin ceux-ci se voyant incapables de la prendre avec leurs seules forces, et contraints par la nécessité, implorent le secours d'Hannon. (11) Hannon essaya d'obtenir la soumission des Crotoniates, à condition qu'ils recevraient une colonie de Bruttiens, qui repeuplerait cette ville autrefois si populeuse et 627 dont la guerre avait depuis fait une vaste solitude. Il ne put ébranler qu'Aristomachus. (12) Tous juraient de mourir plutôt que de recevoir parmi eux les Bruttiens, et de dénaturer ainsi leur religion, leurs moeurs, leurs lois et bientôt leur langage même. (13) Aristomachus, n'ayant pas à lui seul assez de crédit pour les engager à se rendre, et ne trouvant pas l'occasion de livrer la citadelle comme il avait livré la ville, vint se réfugier auprès d'Hannon. (14) Bientôt après les députés de Locres entrant dans la citadelle avec la permission d'Hannon, persuadèrent aux Crotoniates de se laisser transporter à Locres, et de ne pas attendre les dernières extrémités. (15) Hannibal, à qui une ambassade avait été envoyée, avait déjà lui-même accordé cette permission. Ainsi Crotone fut abandonnée, et les Crotoniates, conduits jusqu'au rivage, montèrent sur les vaisseaux. Presque tous se retirèrent à Locres. (16) En Apulie, l'hiver même ne s'était pas passé sans combats entre les Romains et Hannibal. Le consul Sempronius s'était établi à Lucéria, et Hannibal non loin d'Arpi. (17) Le hasard, ou quelque occasion favorable à l'un ou à l'autre parti, donnait entre eux naissance à de légers engagements; et les Romains en devenaient chaque jour plus forts, plus prudents, plus habiles à se garantir des surprises. IV. (1) En Sicile, la mort d'Hiéron et la montée sur le trône d'Hiéronyme, son petit-fils, avaient tout changé pour les Romains. Hiéronyme était un enfant capable à peine de supporter convenablement la liberté, bien loin d'être assez fort pour le pouvoir. (2) Son âge, son caractère, ses tuteurs, ses amis le précipitèrent dans toute espèce de vices. Hiéron, qui avait prévu ce qui devait arriver, voulut, dit-on, dans sa vieillesse, laisser Syracuse libre, de peur que, sous la domination d'un enfant, ce pouvoir qu'il avait acquis et affermi par une si noble conduite, ne pérît au milieu du mépris général. (3) Les filles d'Hiéron s'opposèrent de toute leur force à ce projet, bien sûres que cet enfant n'aurait que le nom de roi, et que tout le pouvoir leur appartiendrait à elles et à leurs maris, Adranodorus et Zoïppus, laissés par Hiéron comme les premiers tuteurs d'Hiéronyme. (4) À l'âge de quatre-vingt-dix ans, assiégé jour et nuit par des caresses de femmes, il n'était pas facile à Hiéron de conserver une âme libre, et de ne penser qu'aux affaires de l'état, sans s'occuper de celles de sa famille. (5) Il donna quinze tuteurs au jeune homme, les suppliant, avant de mourir, de conserver intacte la foi que pendant cinquante ans il avait gardée au peuple romain, et de faire en sorte que le jeune roi ne s'écartât jamais des traces de son grand-père, ni des principes dans lesquels il avait été élevé. Telles furent ses recommandations. (6) Dès qu'il eut cessé de vivre, les tuteurs du roi rendirent le testament public; ils produisirent dans l'assemblée le jeune homme qui avait alors à peu près quinze ans. (7) Un petit nombre seulement de citoyens qu'ils avaient disposés dans l'assemblée pour exciter les acclamations, approuvèrent le testament. Les autres, comme s'ils eussent perdu leur père, ne témoignaient que de la crainte au milieu de la cité en deuil. (8) On célébra les funérailles du roi, où l'amour, la tendresse des citoyens se firent remarquer bien plus que les soins de sa famille. (9) Bientôt après, Adranodorus écarte 628 tous les autres tuteurs, disant hautement qu'Hiéronyme était homme déjà, et capable de gouverner. Renonçant lui-même à la tutelle qui lui était commune avec plusieurs autres, il concentre en sa personne le pouvoir de tous. V. (1) Il eût été difficile, même à un roi vertueux et bon, de se concilier l'amour des Syracusains en succédant à Hiéron, qu'ils avaient tant chéri; (2) mais Hiéronyme, comme s'il eût voulu par ses vices faire regretter son aïeul, montra, dès les premiers moments, combien tout était changé désormais. (3) Ceux qui, pendant tant d'années, n'avaient vu ni Hiéron, ni Gélon son fils, se distinguer du reste des citoyens par leurs vêtements ou par aucun autre insigne, (4) aperçurent tout à coup la pompe, le diadème, des satellites armés, et quelquefois même le roi sortant de son palais dans un char attelé de quatre chevaux blancs, à la manière du tyran Denys. (5) À cet appareil, à cet extérieur si orgueilleux répondaient bien son mépris pour tous, son dédain quand il écoutait, sa parole toujours injurieuse, le soin de se rendre inaccessible, non pas seulement aux étrangers, mais même à ses tuteurs; enfin des débauches inouïes et une cruauté sans exemple parmi les hommes. (6) La terreur fut si grande et si générale, que parmi ses tuteurs, quelques-uns, par une mort ou par un exil volontaire, prévinrent les supplices qu'ils redoutaient. (7) Trois d'entre eux, les seuls qui eussent un accès plus facile dans le palais, Adranodorus et Zoïppus, gendres d'Hiéron, et un certain Thrason, n'avaient guère de crédit auprès du roi que sur une seule question: (8) les deux premiers penchaient pour Carthage, Thrason pour l'alliance avec Rome; et leurs débats, la passion qu'ils y mettaient, attiraient de temps en temps l'attention du jeune homme. (9) Bientôt une conjuration dirigée contre la vie du tyran fut découverte, grâce à un certain Callon, qui était de l'âge d'Hiéronyme et admis dès l'enfance à tous les droits d'une intime familiarité. (10) De tous les conjurés, le dénonciateur ne put nommer que Théodotus, qui lui avait fait à lui- même quelques ouvertures. Théodotus, saisi sur-le-champ et livré à Adranodorus pour être soumis à la torture, avoua sans hésitation tout ce qui le regardait lui-même; mais il cacha le nom de ses complices. (11) Enfin, déchiré par les tourments plus forts que l'homme n'en peut supporter, il feint de céder à la douleur, détourne les soupçons de ses complices, et chargeant des innocents, (12) il accuse faussement Thrason d'être à la tête du complot, déclarant que sans l'appui d'un chef aussi puissant, les intimes du tyran n'auraient jamais osé tenter une telle entreprise, (13) et il nomma, parmi les plus indignes, ceux qui en outre se présentaient à son imagination au milieu des douleurs et des gémissements. Au nom de Thrason, le tyran ne douta plus de rien. Il le fit traîner aussitôt au supplice, où il fut suivi de presque tous les autres accusés, innocents comme lui. (14) Bien que leur complice fût livré à de si longues tortures, aucun des conjurés ne se cacha ni ne s'enfuit, tant ils avaient de confiance dans le courage et l'honneur de Théodotus; tant Théodotus lui-même avait de force pour cacher un secret. VI. (1) Ainsi le seul lien qui maintint l'alliance avec Rome avait été rompu par la mort de Thrason. 629 La défection de la Sicile n'était donc plus douteuse. (2) Des ambassadeurs furent envoyés à Hannibal, qui à son tour envoya au roi, avec Hannibal, jeune homme d'illustre naissance, Hippocrate et Épicyde, nés à Carthage, mais dont le grand-père était un Syracusain exilé, et qui toutefois étaient Carthaginois du côté de leur mère. (3) Ils furent les intermédiaires du traité d'alliance entre Hannibal et le tyran de Syracuse, auprès duquel ils restèrent avec l'agrément d'Hannibal. (4) Le préteur Ap. Claudius, qui commandait en Sicile, apprenant cette nouvelle, envoya des députés à Hiéronyme; lesquels dirent au roi qu'ils venaient renouveler avec lui l'alliance qui existait entre Rome et son aïeul. Hiéronyme les reçut et les congédia avec dédain; il leur demanda en raillant « quel avait été pour eux le succès de la bataille de Cannes? (5) que les députés d'Hannibal en racontaient des choses à peine croyables, et qu'il voulait savoir là-dessus la vérité, pour se décider d'après les chances que lui offriraient les deux partis. » (6) Les Romains lui dirent « qu'ils reviendraient lorsque le roi serait en état d'entendre sérieusement une députation ». Ils l'avertirent plutôt qu'ils ne le prièrent de ne pas changer légèrement d'alliance, et ils partirent. (7) Hiéronyme envoya aussitôt une ambassade à Carthage pour arrêter un traité d'après les bases convenues entre lui et Hannibal. Le traité portait que, les Romains une fois chassés de la Sicile, ce qui se ferait promptement si Carthage envoyait une armée et une flotte, le fleuve Himera, qui sépare à peu près l'île en deux, serait la limite du royaume de Syracuse et des possessions carthaginoises. (8) Bientôt après, enivré des flatteries de ses courtisans, qui l'engageaient à se rappeler non seulement Hiéron, mais le roi Pyrrhus, son aïeul maternel, il envoya une nouvelle ambassade par laquelle il exigeait comme un droit la possession de la Sicile entière, disant que la domination en Italie était ce que cherchaient les Carthaginois. (9) Cette légèreté, cette jactance, les Carthaginois ne s'en étonnaient pas dans un jeune homme insensé, et ils ne se récriaient pas non plus, pourvu qu'ils pussent le détacher des Romains. VII. (1) Mais tout en lui contribuait à précipiter sa chute. Il avait envoyé en avant Hippocrate et Épicyde avec deux mille soldats pour faire une tentative sur les villes occupées par des garnisons romaines, (2) et lui-même, avec le reste de son armée (quinze mille hommes environ d'infanterie et de cavalerie), il marchait sur Léontium. (3) Les conjurés, qui par hasard se trouvèrent tous à l'armée, s'établirent dans une maison qui était libre et qui donnait sur une rue étroite, par où le roi descendait ordinairement au forum. (4) Là, tous étant à leur poste, bien armés et attendant le passage du roi, l'un d'eux, nommé Dinomène, qui était garde du corps, fut chargé, au moment où le roi approcherait de la porte, de retenir, sous un prétexte quelconque, l'escorte qui devait la suivre. Tout s'exécuta comme il avait été convenu. (5) Dinomène leva le pied pour relâcher les liens de sa chaussure, comme s'ils l'eussent gêné, et il arrêta ainsi l'escorte à une distance assez grande pour que les conjurés, s'élançant sur le roi sans gardes, eussent le temps de le percer de plusieurs coups avant qu'on pût le 630 secourir. (6) Aux clameurs, au bruit qui se fit entendre, on lança sur Dinomène, qui opposait alors une résistance ouverte, des traits, à travers lesquels il put s'échapper, bien qu'atteint de deux blessures. (7) Les satellites prirent la fuite à la vue du roi étendu mort, sur la terre. Des meurtriers, les uns courent au forum vers la multitude joyeuse de sa liberté recouvrée, les autres à Syracuse, pour prévenir les desseins d'Adranodorus et des autres partisans du roi. (8) Dans ces vicissitudes, Ap. Claudius voyant une guerre s'élever à côté de lui, écrivit au sénat que la Sicile se prononçait pour Carthage et Hannibal. (9) Lui-même, pour se mettre en mesure contre les entreprises des Syracusains, dirige toutes ses troupes sur la frontière qui sépare la province du royaume de Syracuse. (10) Sur la fin de cette année, Fabius, d'après les ordres du sénat, fortifia Putéoli, qui, grâce à la guerre, était devenu un marché très fréquenté, et y mit garnison. (11) Puis venant à Rome pour les comices, il en fixa la réunion pour le premier des jours comiciaux, et il se rendit droit au Champ de Mars, sans même traverser la ville. (12) Ce jour-là, le sort désigna pour voter la première la centurie des mobilisables de l'Anio. Elle nomme consuls T. Otacilius et M. Émilius Régillus. Le silence rétabli, Q. Fabius prononça le discours suivant: VIII. (1) « Si nous avions la paix en Italie, ou si nous avions affaire à un ennemi qui n'exigeât pas tant de vigilance, celui qui viendrait opposer le moindre obstacle à votre choix, déjà fixé quand vous arrivez au Champ de Mars sur ceux que vous voulez élever aux honneurs, celui-là me semblerait se souvenir bien peu que vous êtes libres. (2) Mais, dans cette guerre, et en face d'Hannibal, il n'est pas arrivé une seule fois qu'un de nos généraux fît une faute sans qu'il en résultât quelque grand désastre pour la république. Il convient donc que vous mettiez autant de soin à nommer les consuls qu'à vous armer pour marcher au combat; il convient que chacun se dise: Je vais nommer un consul capable de résister à un général tel qu'Hannibal. (3) Cette année, devant Capoue, Vibellius Tauréa, le meilleur des cavaliers campaniens, nous avait provoqués: nous lui avons opposé le meilleur des cavaliers romains, Asellus Claudius. (4) Autrefois, un Gaulois provoqua les Romains sur le pont de l'Anio; nos ancêtres envoyèrent contre lui T. Manlius, plein de confiance en son courage et en ses forces. (5) Ce fut encore, je m'en assure, par ce motif que, peu d'années après, on ne se défia pas de M. Valérius, lequel prit les armes pour combattre un autre Gaulois qui nous avait provoqués. (6) Nous voulons des fantassins et des cavaliers plus vigoureux, ou tout au moins aussi vigoureux que ceux de l'ennemi. Cherchons donc aussi un général qui vaille le général ennemi. (7) Et alors même que nous aurons choisi le meilleur, élu subitement, nommé seulement pour une année, il se trouvera en face d'un vieux général qui conserve perpétuellement le commandement, qu'aucune borne, soit dans le temps, soit dans ses pouvoirs, ne viendra gêner ni empêcher dans tout ce qu'exigeront les divers accidents de la guerre. (8) Chez nous, au contraire, les préparatifs mêmes, ou à peine le commence- 631 ment d'une expédition, consument une année entière. (9) Je viens de vous expliquer assez quels hommes vous devez nommer consuls; il me reste à vous parler en quelques mots de ceux qui ont réuni les suffrages de la centurie appelée la première à voter. (10) M. Émilius Régillus est flamine quirinal, et nous ne pouvons ni l'enlever à ses fonctions sacrées, ni le retenir ici, si nous ne voulons pas que le culte du dieu ou la guerre en souffrent. (11) T. Otacilius a épousé la fille de ma soeur, il a eu d'elle des enfants. Mais, Romains, vos bienfaits envers moi et envers mes ancêtres ne sont pas tels que je ne doive pas sacrifier à la république mes intérêts de famille. (12) Il n'est pas de matelot ou de passager qui, sur une mer tranquille, ne puisse prendre en main le gouvernail; mais dès que s'élève une violente tempête, que sur la mer bouleversée les vents emportent le navire, il faut alors un homme, un pilote. (13) Nous ne naviguons point sur une mer tranquille. Déjà plusieurs tempêtes nous ont presque submergés; il vous faut donc mettre tous vos soins, toute votre prudence, à bien choisir celui qui doit s'asseoir au gouvernail. Nous t'avons vu à l'oeuvre, T. Otacilius, dans des circonstances moins difficiles, et certes tu n'as rien fait qui doive nous engager à nous fier à toi pour quelque chose de plus important. (14) En équipant, cette année-là, la flotte que tu commandais, nous avions trois motifs: d'abord nous voulions ravager la côte d'Afrique, ensuite protéger les rivages de l'Italie; enfin, et par-dessus tout, empêcher que Carthage ne fît parvenir à Hannibal des recrues avec de l'argent et des vivres. (15) Eh bien! nommez consul P. Otacilius, s'il peut rendre bon compte à la république, je ne dis pas de ces trois commissions, mais d'une seule. Si, pendant que tu commandais la flotte, tout ce qu'on a envoyé de Carthage à Hannibal lui est arrivé comme s'il n'y eût pas eu de guerre maritime, sans le moindre danger et sans aucune perte; (16) si les côtes de l'Italie, cette année, ont été ravagées plus que celles de l'Afrique, que diras-tu donc pour obtenir qu'on te nomme général de préférence à tout autre en face d'un ennemi comme Hannibal? (17) Si tu étais consul, nous demanderions qu'à l'exemple de nos ancêtres un dictateur fût créé; et tu ne pourrais t'indigner que dans Rome tout entière on trouvât un général préférable à toi. Personne n'est plus intéressé que toi, P. Otacilius, à ce qu'on ne fasse pas peser sur ta tête un fardeau qui t'écraserait. (18) Pour moi, je vous engage de toutes mes forces à nommer vos consuls dans le même esprit où vous seriez si, armés déjà pour combattre, il vous fallait choisir tout à coup deux généraux sous la conduite et sous les auspices desquels vous auriez à marcher à l'ennemi; (19) c'est entre les mains de ces consuls que vos enfants vont prêter serment; c'est par leurs ordres qu'ils se rassembleront, c'est sous leur tutelle, sous leur protection qu'ils feront toute une campagne. (20) Le lac Trasimène et Cannes sont de tristes exemples à rappeler; mais ce sont aussi des enseignements utiles pour nous apprendre à nous garder de pareils malheurs. Héraut, dis aux jeunes gens de la centurie de l'Anio de venir voter de nouveau. » IX. (1) T. Otacilius s'écria alors avec rage que Fabius voulait se continuer dans le consulat, et il poussait de grands cris, lorsque Fabius ordonna à ses licteurs de se diriger vers lui, (2) et il l'avertit 632 que, comme il n'était pas entré dans la ville et qu'il était arrivé directement au Champ de Mars, les faisceaux de ses licteurs étaient surmontés de haches. (3) La centurie qui avait voté la première alla donc de nouveau aux voix, elle nomma consul Q. Fabius Maximus pour la quatrième fois, et M. Marcellus pour la troisième. Les autres centuries nommèrent à l'unanimité les mêmes consuls. (4) Un seul préteur, Q. Fulvius Flaccus, fut réélu; tous les autres furent nouveaux: c'étaient T. Otacilius Crassus pour la seconde fois; Q. Fabius, fils du consul, qui était alors édile curule; puis P. Cornélius Lentulus. (5) Après la nomination des préteurs, un sénatus-consulte chargea extraordinairement Q. Fulvius de l'administration de la ville, et d'y commander de préférence à tout autre, lorsque les consuls seraient partis pour la guerre. (6) Il y eut, cette année-là, deux inondations: le Tibre déborda dans les campagnes, entraînant avec lui les maisons, les troupeaux et les hommes. (7) Ce fut dans la cinquième année de la seconde guerre punique que les consuls entrèrent en charge: Q. Fabius Maximus pour la quatrième fois, M. Claudius pour la troisième. Les yeux étaient fixés sur eux avec plus d'intérêt que d'ordinaire. Il y avait, en effet, bien du temps qu'on avait vu deux aussi grands hommes occuper à la fois le consulat. (8) Les vieillards rapportaient que c'était ainsi que l'on avait autrefois élu ensemble Maximus Rullus et P. Décius pour la guerre des Gaules, et plus tard Papirius et Carvilius contre les Samnites et les Bruttiens, contre les Lucaniens et les Tarentins. (9) Marcellus avait été nommé pendant son absence, car il était à l'armée; Fabius était présent, et présidait lui-même les comices, lorsqu'il fut continué dans le consulat. (10) Les circonstances, les besoins de la guerre, la position difficile de l'état empêchèrent qu'on ne blâmât cet exemple, ou qu'on suspectât le consul d'être trop avide du pouvoir. (11) On louait, au contraire, cette grandeur d'âme avec laquelle, voyant que la république avait besoin du plus grand de ses généraux, et sachant qu'il n'en avait aucun au-dessus de lui, il s'occupa moins de la haine qu'il pourrait s'attirer que de l'intérêt de la république. X. (1) Le jour où les consuls entrèrent en charge, l'assemblée du sénat se tint au Capitole, (2) et il fut décidé, avant tout, que les consuls tireraient au sort ou s'arrangeraient entre eux pour savoir lequel des deux, avant de partir pour l'armée, présiderait les comices pour la nomination des censeurs. (3) On prorogea ensuite le commandement de tous ceux qui étaient aux armées, et l'on maintint dans leurs provinces Tib. Gracchus à Lucéria, où il avait une armée d'esclaves enrôlés volontaires, C. Térentius Varron dans le Picénum, M. Pomponius en Gaule. (4) Des préteurs de l'année précédente, Q. Mucius eut la Sardaigne comme propréteur, M. Valérius le commandement des côtes près de Brundisium, pour surveiller tous les mouvements de Philippe, roi de Macédoine. (5) Le préteur P. Cornélius Lentulus eut le commandement de la Sicile; Otacilius la même flotte qu'il avait eue l'année précédente contre les Carthaginois. (6) Cette année-là on annonça un grand nombre de prodiges, et plus les hommes simples et 633 religieux y ajoutaient de confiance, plus on en annonçait. À Lanuvium, dans l'intérieur du temple de Junon Sospita, des corbeaux avaient fait leur nid; (7) en Apulie, un palmier vert s'était embrasé; à Mantoue, l'étang que forme le Mincio avait paru ensanglanté; à Calès, il avait plu de la craie, et à Rome, dans le Forum Boarium, il avait plu du sang. (8) Dans la rue Insteius, une source souterraine avait coulé avec tant d'impétuosité que des vases et des tonneaux, qui se trouvaient là, furent entraînés comme par un torrent impétueux. (9) Le feu du ciel tomba sur l'atrium public au Capitole, sur le temple de Vulcain au Champ de Mars, sur une citadelle et sur la voie publique en Sabine, sur un mur et sur une porte à Gabies. (10) D'autres miracles encore avaient été déjà rapportés. La lance de Mars, à Préneste, s'était mise d'elle-même en mouvement; en Sicile un boeuf avait parlé; chez les Marruciniens, un enfant dans le sein de sa mère, s'était écrié: « Io! Triumphe! ». À Spoletum, une femme avait été changée en homme; à Hadria, on avait vu dans le ciel un autel, et autour, des fantômes d'hommes vêtus de blanc; (11) à Rome même, au sein de la ville, on vit un essaim d'abeilles dans le forum, et quelques personnes affirmèrent qu'elles avaient aperçu des légions armées sur le Janicule, et appelèrent les citoyens aux armes. (12) Toutefois ceux qui étaient sur le Janicule déclarèrent qu'il n'y avait paru personne d'autres que ceux qui y habitaient ordinairement. (13) D'après la réponse des haruspices, on expia ces prodiges par des sacrifices solennels, et l'on adressa des prières à tous les dieux qui avaient à Rome un pulvinar. XI. (1) Après avoir achevé toutes les cérémonies qui devaient apaiser les dieux, les consuls firent un rapport au sénat sur l'état de la république, sur les opérations de la guerre, sur le nombre des troupes et la position qu'elles occuperaient. (2) Il fut décidé qu'on emploierait dans cette campagne dix-huit légions; les consuls en devaient prendre chacun deux. Il devait y en avoir deux pour la Gaule, deux pour la Sicile, deux pour la Sardaigne, (3) deux sous les ordres du préteur Q. Fabius en Apulie. Tib. Gracchus en commandait deux composées d'esclaves enrôlés volontaires, aux environs de Lucéria. On en laissait une au proconsul C. Térentius dans le Picénum, une à M. Valérius pour le service de la flotte, aux environs de Brundisium; deux enfin restaient pour la défense de Rome. (4) Pour atteindre à ce nombre il fallut en créer six nouvelles; (5) les consuls reçurent ordre de les former au plus tôt, et d'équiper une flotte. En comptant les navires qui tenaient la mer sur les côtes de la Calabre, on avait une armée navale de cent cinquante vaisseaux longs. (6) Lorsque les cadres furent remplis et les cent nouveaux bâtiments lancés à la mer, Q. Fabius convoqua les comices pour la nomination des censeurs. M. Atilius Régulus et P. Furius Philus furent élus. (7) Les bruits d'une guerre en Sicile prenaient de la consistance. T. Otacilius reçut ordre de s'y rendre avec sa flotte. Comme les matelots manquaient, les consuls, d'après un sénatus-consulte, ordonnèrent « que tous ceux qui, sous la censure de L. Émilius et de C. Flaminius, avaient eu leur fortune ou celle de leur père évaluée de cinquante à cent mille as de cuivre, ou qui, depuis, l'auraient élevée jusqu'à ce taux, 634 fourniraient un matelot avec six mois de paie; (8) de cent à trois cent mille, trois matelots et la solde d'un an; de trois cent mille jusqu'à un million, cinq matelots; au-delà d'un million, sept. Les sénateurs devaient donner huit matelots et un an de paie. » (9) Les matelots, recrutés en vertu de ce décret, furent armés et équipés par leurs maîtres, et ils s'embarquèrent avec des vivres pour trente jours; et la flotte romaine, pour la première fois alors, fut montée ainsi par des matelots aux frais des particuliers. XII.] (1) Ces préparatifs, plus considérables qu'ils ne l'avaient jamais été, effrayèrent surtout les Campaniens, qui craignirent que les Romains ne commençassent la campagne par le siège de Capoue. (2) Ils envoyèrent donc prier Hannibal de rapprocher son armée de leur ville, disant « que pour en faire le siège on avait levé à Rome de nouvelles années; qu'aucune défection, en effet, n'avait irrité les esprits des Romains autant que celle de Capoue. » (3) À ces nouvelles, apportées tout en hâte, Hannibal pensa qu'il devait se presser pour ne pas être prévenu par les Romains. Il quitta donc Arpi, et revint s'établir au-dessous de Capoue à son ancien camp du mont Tifate. (4) Il y laissa un corps de Numides et d'Espagnols pour défendre et le camp et Capoue; puis, avec le reste de son armée, il se dirigea vers le lac d'Averne, en apparence pour y faire un sacrifice, mais de fait pour hasarder une tentative sur Putéoli et la garnison de cette ville. (5) Maximus apprend qu'Hannibal a quitté Arpi et qu'il rentre en Campanie. À cette nouvelle il marche nuit et jour, et vient retrouver son armée. (6) Il envoie l'ordre à Tib. Gracchus de partir de Lucéria avec ses troupes, pour se porter sur Bénéventum; et au préteur Q. Fabius (c'était le fils du consul), de remplacer Gracchus à Lucéria. (7) Deux préteurs arrivèrent à cette époque eu Sicile, P. Cornélius qui se rendait à l'armée, T. Otacilius qui venait prendre le commandement de la côte maritime et de la flotte. (8) Les autres se rendirent chacun dans leurs départements; ceux dont les pouvoirs avaient été prorogés conservèrent les positions qu'ils avaient occupées l'année précédente. XIII. (1) Hannibal était sur les bords de l'Averne lorsqu'il vit arriver près de lui cinq jeunes nobles de Tarente, qu'il avait faits prisonniers, les uns au lac Trasimène, les autres à Cannes, et qu'il avait renvoyés chez eux avec cette générosité qu'il avait montrée envers tous les alliés des Romains. (2) Ils lui annoncent que « reconnaissants de ses bienfaits, ils avaient engagé une grande partie de la jeunesse de Tarente à préférer l'amitié et l'alliance d'Hannibal à celle du peuple romain; qu'ils lui étaient députés pour le prier de s'approcher de Tarente avec son armée, (3) que dès qu'on apercevrait ses enseignes et son camp, la ville se donnerait aussitôt à lui. Les jeunes gens disposaient du peuple, et le peuple de Tarente. » (4) Hannibal les comble d'éloges, les accable des promesses les plus pompeuses, et les prie de retourner chez eux pour hâter l'exécution de cette entreprise: « quant à lui, il se trouvera à temps sous leurs murs ». Les Tarentins s'en retournèrent avec cet espoir, (5) et Hannibal lui-même avait le plus 635 grand désir de s'emparer de Tarente; il la voyait puissante, illustre, située sur la côte; et si heureusement pour lui placée en face de la Macédoine. Le roi Philippe, s'il passait en Italie, aborderait à ce port, les Romains étant maîtres de Brundisium. (6) Après avoir achevé le sacrifice pour lequel il était venu, et ravagé, pendant son séjour, tout le territoire de Cumes jusqu'au promontoire de Misène, il se porte tout à coup sur Putéoli, pour en écraser par surprise la garnison romaine. (7) Il y avait là six mille hommes, dans une position fortifiée par l'art aussi bien que par la nature. Le Carthaginois y passa trois jours, essayant sur tous les points de surprendre la garnison. Ne pouvant y réussir, il s'avança pour dévaster le territoire de Naples, par colère plutôt que dans l'espoir de s'emparer de la ville. (8) À l'arrivée d'Hannibal dans le voisinage, le peuple de Nola tenta de se soulever. Depuis longtemps, en effet, il était opposé aux Romains et ennemi de son sénat. Ils envoyèrent donc une députation à Hannibal, avec la promesse positive de livrer la ville. (9) Le consul Marcellus, appelé par les nobles, prévint leur dessein. En un jour il était allé de Calès à Suessula, quoique le passage du Vulturne l'eût retardé de quelques heures. (10) La nuit suivante il fit entrer à Nola six mille piétons et trois cents cavaliers, qui devaient protéger le sénat. (11) Le consul avait donc agi avec la plus grande activité pour s'établir le premier dans Nola. Hannibal, au contraire, hésitait, deux tentatives infructueuses l'ayant rendu moins prompt à s'en rapporter aux habitants de cette ville. XIV. (1) Vers le même temps le consul Q. Fabius vint faire une tentative sur Casilinum, occupée par une garnison carthaginoise; d'un autre côté, Hannon partit du pays des Bruttiens avec une troupe nombreuse de fantassins et de cavaliers, et Tib. Gracchus de Lucéria: tous deux, comme de concert, se dirigeaient sur Bénéventum. (2) Gracchus entra d'abord dans la ville. Ensuite ayant appris qu'Hannon avait campé à trois milles environ, sur les bords du fleuve Calor, et que de là il ravageait la campagne, il sort de la ville, établit son camp à mille pas environ de l'ennemi, (3) et convoque ses soldats en assemblée. Ses deux légions étaient en grande partie composées d'esclaves enrôlés volontaires. Depuis deux ans ils avaient mieux aimé mériter en silence la liberté, que de la réclamer hautement. Cependant en sortant des quartiers d'hiver, T. Gracchus avait entendu quelques soldats murmurer et demander s'ils ne combattraient jamais comme hommes libres. (4) Il avait donc écrit au sénat, non pas tant ce qu'ils demandaient que ce qu'ils avaient mérité. « Jusqu'à ce jour, disait Gracchus, il les avait trouvés pleins de courage et d'ardeur, et pour être de vrais soldats, il ne leur manquait que d'être libres. » (5) Le sénat s'en remit à lui pour faire ce qu'il jugerait dans l'intérêt de la république. Alors, avant d'en venir aux mains avec l'ennemi, Gracchus leur déclare « que l'instant est venu pour eux de conquérir cette liberté qu'ils avaient longtemps attendue; que le lendemain le combat allait s'engager dans une plaine sans accident de terrain, découverte de tous côtés, 636 où, sans craindre aucune embuscade, le vrai courage déciderait la victoire: (6) que celui qui rapporterait la tête d'un ennemi, il le déclarerait libre à l'instant même; (7) que celui au contraire qui fuirait, il le ferait punir du supplice réservé aux esclaves; chacun d'eux avait sa fortune entre les mains; (8) et ce n'était pas lui seulement qui leur garantissait leur liberté, mais le consul M. Marcellus et le sénat tout entier s'en étaient remis à ce sujet à sa décision. » (9) Et il leur lit la lettre du consul et le sénatus-consulte. Alors s'élèvent des cris et d'unanimes acclamations; tous demandent le combat, et le pressent ardemment d'en donner le signal. (10) Gracchus fixe le jour de la bataille au lendemain et renvoie l'assemblée. Les soldats joyeux, ceux-là surtout dont la liberté devait être le prix de leur courage pendant un seul jour, passent le temps qui leur reste à préparer leurs armes. XV. (1) Le lendemain, au signal de la trompette, les premiers de tous ils se réunissent tout prêts, tout armés, devant la tente du général. Au lever du soleil, Gracchus range ses troupes en bataille, et les ennemis acceptent aussitôt le combat; (2) ils avaient dix- sept mille fantassins, en grande partie du Bruttium et de la Lucanie, et douze cents cavaliers, qui, à l'exception de quelques Italiens, étaient presque tous Numides et Maures. (3) On combattit avec ardeur et longtemps. Pendant quatre heures entières la victoire fut indécise; et le plus grand embarras des Romains, ce fut que leur liberté eût été mise au prix d'une tête. (4) En effet, dès qu'un soldat avait tué bravement son ennemi, il perdait son temps à s'efforcer de lui couper la tête au milieu de la mêlée et du tumulte; et puis les plus braves, tenant tous de la main droite une tête, avaient cessé de combattre: les timides seuls et les lâches combattaient encore. (5) Les tribuns des soldats vinrent informer Gracchus «que des ennemis qui étaient debout aucun ne recevait plus de blessures, que les soldats s'occupaient à égorger ceux qui étaient abattus, et portaient à la main non plus leurs épées, mais des têtes humaines. » Gracchus leur fait aussitôt donner l'ordre de les jeter toutes et de se précipiter sur l'ennemi; (6) leur courage était assez prouvé, assez éclatant, et les braves étaient assurés de leur liberté. Alors le combat recommença, et la cavalerie aussi fut lancée sur l'ennemi. (7) Les Numides la reçoivent intrépidement, et la mêlée devenant aussi furieuse entre les cavaliers qu'entre les fantassins, la victoire est de nouveau douteuse. Les deux généraux s'écriaient, le Romain, qu'ils n'avaient affaire qu'à des Bruttiens et à des Lucaniens, tant de fois vaincus et soumis par leurs ancêtres; le Carthaginois, qu'ils n'avaient devant eux que des esclaves de Rome, des hommes sortis de prison pour être soldats. (8) Enfin Gracchus déclare à ses troupes « qu'ils n'ont plus à espérer d'être jamais libres, si ce jour-là même les ennemis ne sont défaits et mis en fuite. » XVI. (1) Ces derniers mots leur inspirent une telle ardeur, que jetant un nouveau cri, et devenus tout à coup d'autres hommes, ils se précipitent avec rage sur l'ennemi, qui ne peut soutenir plus longtemps leur choc. (2) Les premiers rangs des Carthaginois furent d'abord ébranlés, puis les enseignes, puis enfin l'armée tout entière fut culbutée. Dès lors la 637 déroute ne fut plus douteuse. Les Carthaginois se précipitent en fuyant vers leur camp, si troublés et si pleins d'épouvante, qu'aux portes mêmes et derrière les retranchements ils n'opposent aucune résistance. Les Romains, qui les poursuivent, entrent avec eux comme s'ils ne faisaient qu'une seule armée. Renfermés dans l'intérieur du camp, ils ont à livrer une nouvelle bataille. (3) Le combat étant restreint dans des limites plus étroites, le carnage ne fut que plus affreux. Les captifs l'aidèrent encore. Au milieu du tumulte, ils saisissent des armes, se réunissent en troupe, et frappant par derrière les Carthaginois, leur enlèvent tout moyen de fuir. (4) D'une armée aussi considérable, il s'échappa moins de deux mille hommes, cavaliers pour la plupart, avec leur général à leur tête. Tout le reste fut tué ou pris. On prit aussi trente-huit enseignes. (5) Les vainqueurs perdirent environ deux mille hommes. Tout le butin, excepté les captifs, fut abandonné au soldat. Les bestiaux aussi furent réservés pour les propriétaires qui durent les reconnaître dans les trente jours. (6) Lorsque l'armée chargée des dépouilles de l'ennemi fut rentrée au camp, quatre mille volontaires environ, qui avaient combattu avec mollesse et n'étaient pas rentrés dans le camp avec les autres, s'étaient, par crainte du châtiment, réfugiés sur une colline non loin du camp. (7) Ramenés le lendemain par les tribuns des soldats, ils arrivent à l'assemblée déjà réunie par les ordres de Gracchus. (8) Le proconsul distribua d'abord aux vieux soldats les récompenses militaires, selon que chacun s'était distingué dans ce combat par son courage et ses services. (9) Quant aux volontaires, il dit « qu'il aimait mieux les louer tous, qu'ils l'eussent ou non mérité, que de punir quelqu'un dans un pareil jour. Qu'il les déclarait donc tous libres, souhaitant que cette mesure fût bonne, utile et heureuse pour la république et pour eux-mêmes. » (10) À ces paroles de grands cris de joie se firent entendre; ils s'embrassaient, se félicitaient, levaient les mains au ciel, souhaitant au peuple romain et à Gracchus toutes sortes de prospérités. Alors Gracchus reprit la parole: (11) « Avant de vous faire tous égaux par les droits de la liberté, je n'ai voulu appliquer à aucun de vous le nom de brave ou de lâche. (12) Maintenant que la république vient d'acquitter sa dette, comme il ne faut pas laisser s'effacer toute distinction entre la bravoure et la lâcheté, je me ferai donner les noms de ceux qui, se sentant coupables d'avoir faibli dans le combat, viennent de se séparer de l'armée. Je les ferai venir l'un après l'autre devant moi, et je les forcerai de me jurer (13) qu'à moins de maladie qui les en empêche, ils ne mangeront et ne boiront que debout pendant toute la durée de leur service. Et cette punition, vous vous y soumettrez sans murmures, si vous réfléchissez qu'il ne peut y avoir de flétrissure plus légère pour votre lâcheté. » (14) Alors il donne le signal de rassembler le bagage, et les soldats, portant et conduisant devant eux leur butin, retournent à Bénéventum, en se livrant à tous les transports et à tout l'abandon de la joie, (15) de telle sorte qu'ils semblaient revenir d'une fête, d'un festin, et non point d'un combat. (16) Les Bénéventins sortent en foule à leur rencontre, embrassent les soldats, les félicitent, leur offrent l'hospitalité. (17) Ils avaient tous fait dresser des tables 638 dans les cours de leurs maisons, et ils appelaient les soldats, priant Gracchus de permettre qu'ils vinssent s'y asseoir. Gracchus le permit, mais à condition qu'on mangerait en public. (18) Chaque habitant transporta donc devant sa porte ce qui composait le repas: les volontaires, la tête couverte du pileus, du bonnet de laine blanche, prirent part à ce banquet, les uns couchés, les autres debout, servant et mangeant à la fois. (19) De retour à Rome, Gracchus pensa que le spectacle de cette fête méritait d'être peint dans le temple de la Liberté, construit et inauguré sur le mont Aventin par les soins de son père, lequel y avait employé l'argent produit par les amendes. XVII. (1) Tandis que les choses se passaient ainsi auprès de Bénéventum, Hannibal, après avoir ravagé le territoire de Naples, vint camper devant Nola. (2) Dès que le consul fut instruit de son arrivée, il rappela auprès de lui le propréteur Pomponius avec les troupes qui occupaient le camp de Suessula, et se prépara à marcher au-devant de l'ennemi, bien résolu à combattre sans retard. (3) Dans le silence de la nuit, il fait sortir par la porte la plus éloignée de l'ennemi C. Claudius Néron avec l'élite de la cavalerie. Il lui ordonne de tourner, sans être aperçu, les derrières de l'ennemi, de le suivre de près à son insu, et de le prendre en queue dès qu'il verrait le combat engagé. (4) Soit qu'il eût fait une fausse marche, soit que le temps lui eût manqué, Néron ne put exécuter ces ordres. (5) Dans le combat qui fut livré sans lui, les Romains avaient évidemment l'avantage. Mais comme la cavalerie ne parut pas à temps, les plans du général se trouvèrent ainsi dérangés: Marcellus n'osa pas poursuivre les ennemis qui pliaient, et donna le signal de la retraite à son armée victorieuse. (6) On prétend cependant que les ennemis perdirent ce jour-là plus de deux mille hommes; les Romains n'en perdirent pas quatre cents. (7) Vers le coucher du soleil, Néron, après avoir en vain fatigué les chevaux et les hommes par une marche d'un jour et d'une nuit, revint sans avoir même aperçu l'ennemi. Le consul l'accabla de reproches, il lui dit même qu'il avait seul empêché que l'on rendît aux Carthaginois la défaite essuyée à Campes. (8) Le lendemain les Romains vinrent se ranger en ligne, mais le Carthaginois avoua tacitement sa défaite en se tenant renfermé dans son camp; et le troisième jour, au milieu de la nuit, perdant tout espoir de s'emparer de Nola après tant de tentatives infructueuses, Hannibal part pour Tarente, qu'il avait l'espoir plus fondé qu'on lui livrerait. XVIII. (1) Et Rome n'agissait pas avec moins d'énergie au-dedans qu'au-dehors. (2) Les censeurs n'ayant pas à affermer de travaux publics puisque le trésor était vide, mirent tous leurs soins à régler les moeurs et à châtier les vices nés de la guerre, comme ces plaies qui couvrent le corps après de longues maladies. (3) Ils citèrent d'abord à leur tribunal ceux qui étaient accusés d'avoir voulu, après la bataille de Cannes, abandonner la république et fuir loin de l'Italie. Le premier de tous était M. Cécilius Métellus, alors questeur. (4) Il reçut ordre, ainsi que ceux qu'on accusait de la même faute, de présenter sa défense. Comme ils ne purent se justifier, les cen- 639 seurs déclarèrent qu'ils avaient tenu contre la république des conversations et des discours dont le but avait été de former une conjuration pour abandonner l'Italie. (5) Après eux furent cités ces interprètes si habiles à se délivrer de la foi du serment, ces captifs qui, après être partis du camp d'Hannibal, y rentrèrent furtivement, et se crurent alors quittes du serment qu'ils avaient fait d'y revenir. (6) Ceux-là et ceux dont nous avons parlé plus haut furent privés des chevaux que leur fournissait l'état; chassés de leurs tribus, ils devinrent tous simples contribuables. (7) Ce ne fut pas seulement à la conduite du sénat et des chevaliers que se bornèrent les investigations sévères des censeurs. Sur les registres où étaient inscrits les jeunes gens, ils prirent le nom de ceux qui depuis quatre ans n'avaient pas servi, quoiqu'ils n'eussent aucun motif légitime d'exemption, aucune maladie à alléguer pour excuse. (8) Ils s'en trouva plus de deux mille. ils furent portés aussi parmi les contribuables et tous chassés de leurs tribus. (9) À cette flétrissure des censeurs, qui ne fixait aucun châtiment, vint se joindre un sénatus-consulte plein de rigueur. Il portait que tous ceux que les censeurs avaient notés serviraient à pied et iraient en Sicile rejoindre les débris de l'armée de Cannes, dont le temps de service ne devait cesser que le jour où l'ennemi serait chassé de toute l'Italie. (10) Les censeurs, à cause de l'épuisement du trésor, n'avaient pas encore passé de marchés pour l'entretien des édifices sacrés, ni pour la fourniture des chevaux destinés aux magistrats curules, ni enfin pour rien de semblable. (11) Ceux qui d'ordinaire se chargeaient de ces sortes de ventes vinrent en foule auprès d'eux, et les engagèrent « à agir en tout comme s'il y avait des fonds dans le trésor; qu'aucun d'eux ne demanderait d'argent avant la fin de la guerre. » (12) Bientôt après se réunirent les maîtres de ceux que T. Sempronius avait affranchis auprès de Bénéventum. Ils dirent qu'ils avaient été appelés par les triumvirs administrateurs des finances pour en recevoir le prix, mais qu'ils n'accepteraient rien avant que la guerre fût terminée. (13) Par suite de cette disposition de tout le peuple à venir au secours du trésor épuisé, les fonds des orphelins d'abord, puis ceux des veuves, y furent aussi apportés, (14) et ceux qui en avaient l'administration ne crurent pas pouvoir trouver de lieu de dépôt plus sûr et plus sacré que la foi publique. Aussi, si quelque chose était acheté ou acquis par des orphelins ou des veuves, le questeur en prenait note dans ses comptes. (15) Ce bon vouloir des particuliers passa même de la ville dans le camp. Les chevaliers, les centurions ne voulaient pas de solde, et ils donnaient le nom odieux de mercenaire à celui qui en recevait. XIX. (1) Le consul Q. Fabius était campé auprès de Casilinum, qu'occupait une garnison de deux mille Campaniens et de sept cents soldats d'Hannibal. (2) Leur chef était Statius Métius, envoyé par Cn. Magius Atellanus; Magius qui, cette année-là, était médix tutique, armait indistinctement les esclaves et le peuple dans l'intention d'attaquer le camp romain pendant que le consul porterait toute son attention sur le siège de Casilinum. (3) Fabius s'en aperçut bientôt, et il écrivit à Nola à son collègue « qu'il avait besoin, tandis qu'il assiégeait 640 Casilinum, d'opposer une seconde armée aux Campaniens: (4) qu'il vînt donc lui-même, en laissant à Nola une garnison suffisante, ou bien que, s'il était retenu à Nola, et qu'il y eût encore quelque chose à craindre d'Hannibal, il allait faire venir auprès de lui, de Bénéventum, le proconsul T. Gracchus. » (5) À cette nouvelle, Marcellus laisse une garnison de deux mille hommes à Nola, et, avec le reste de l'armée il se rend à Casilinum. À son arrivée, les Campaniens suspendirent le mouvement qu'ils avaient déjà commencé. (6) Ainsi Casilinum fut assiégé par les deux consuls réunis. Les soldats romains, en s'approchant sans précaution des murailles, recevaient de fréquentes blessures et le siège n'avançait pas. Fabius pensait qu'il fallait abandonner cette entreprise peu importante, et toutefois aussi difficile que de plus grandes; en effet des affaires bien autrement sérieuses les appelaient ailleurs. (7) Marcellus, au contraire, soutenait « qu'il y avait, à la vérité, beaucoup de tentatives que ne devaient pas hasarder de grands généraux, mais qui, une fois hasardées, voulaient être achevées, l'influence de la renommée étant, en bien comme en mal, immense; » et il tint bon pour que l'armée ne se retirât pas après un échec. (8) On approcha donc des murs les mantelets et tous les autres instruments, toutes les autres machines employées à la guerre. Les Campaniens prièrent alors Fabius de permettre qu'ils se retirassent, sans être inquiétés, à Capoue; (9) quelques-uns à peine étaient sortis, que Marcellus s'empara de la porte par laquelle ils quittaient la ville. D'abord, tous ceux qui se trouvaient auprès de la porte furent massacrés indistinctement; puis les Romains se précipitèrent dans la place, qui fut livrée au carnage. (10) Cinquante Campaniens environ, qui étaient sortis les premiers et qui s'étaient réfugiés auprès de Fabius, parvinrent à Capoue, grâce à sa protection. Ainsi Casilinum fut prise par un coup du hasard, tandis que les assiégés négociaient et hésitaient, tout en demandant à se rendre. (11) Les captifs, Campaniens ou soldats d'Hannibal, furent envoyés à Rome et mis en prison. Quant aux habitants de Casilinum, on les distribua dans les villes voisines et on les mit sous leur surveillance. XX. (1) À l'instant même où les consuls quittaient Casilinum, Gracchus, qui alors était en Lucanie, détacha quelques cohortes levées dans cette contrée, pour aller piller le territoire ennemi. Le commandement en fut confié au chef des troupes alliées. (2) Elles erraient sans ordre dans les campagnes, lorsque Hannon tomba sur elles et rendit à l'ennemi une défaite égale à peu près à celle qu'il avait essuyée lui-même auprès de Bénéventum; et de là il se retira en toute hâte chez les Bruttiens, de peur que Gracchus ne l'atteignît. (3) Quant aux consuls, Marcellus se retira à Nola d'où il était venu, et Fabius s'avança dans le Samnium pour ravager les campagnes et soumettre de nouveau les villes qui s'étaient révoltées. (4) Les Samnites Caudiens eurent, plus que tous les autres, à souffrir. Leurs champs furent brûlés sur une grande étendue; les hommes, les troupeaux, furent la proie des ennemis; (5) Compultéria, Télésia, Compsa,chez eux, Fagifulae et Orbitanium chez les Lucaniens furent enlevées d'assaut; on attaque Blanda et Aecae dans l'Apulie. (6) Il y eut dans ces villes vingt- 641 cinq mille hommes de pris ou de tués. On y reprit aussi trois cent soixante-dix transfuges: le consul les envoya à Rome, où ils furent battus de verges au Comitium, et précipités de la roche Tarpéienne. (7) Voilà ce que fit Q. Fabius dans l'espace de quelques jours. Marcellus était retenu à Nola par une maladie qui l'empêchait d'agir. (8) En même temps à peu près, le préteur Q. Fabius, qui commandait dans les environs de Lucéria, prenait la ville d'Acuca, et fortifiait son camp auprès d'Ardanaea. (9) Pendant que les Romains étaient occupés à ces diverses expéditions, Hannibal était déjà parvenu à Tarente, dévastant tout sur son passage; (10) mais, une fois sur le territoire tarentin, les Carthaginois ne s'avancèrent plus en ennemis; ils ne commettaient point de violence, et ne s'écartaient jamais de la route. Il était évident qu'il n'y avait pas là modération de la part des soldats et des chefs, mais bien désir de se concilier les Tarentins. (11) Du reste, il était déjà presque sous les murs de la ville, sans qu'aucun mouvement se fût déclaré, comme il le croyait, à l'approche de son avant-garde. II vint cependant s'établir à mille pas environ de la ville. (12) Mais, trois jours avant qu'Hannibal se fût rapproché de Tarente, le propréteur, M. Valérius, qui commandait la flotte à Brundisium, (13) y avait envoyé M. Livius, lequel avait aussitôt enrôlé l'élite de la jeunesse et placé des postes à toutes les portes, et sur les murs, là où ils étaient nécessaires. Par l'activité qu'il déployait la nuit comme le jour, il enleva aux ennemis ou à ceux de ses alliés dont la fidélité était douteuse, tout moyen de hasarder une tentative. (14) Après y avoir perdu quelques jours, Hannibal, ne voyant aucun de ceux qui étaient venus le trouver auprès du lac d'Averne, et ne recevant d'eux ni message ni lettres sentit bien qu'il s'était confié légèrement à de vaines promesses, et se retira. (15) Mais alors même il respecta le territoire de Tarente; car, bien que sa feinte douceur lui eût été inutile, il ne renonçait pas à l'espoir d'ébranler leur fidélité. Il se rendit ensuite à Salapia, où il fit venir du blé du territoire de Métapontum et d'Héracléa; l'été était à moitié passé, et ce lieu lui semblait favorable pour y prendre ses quartiers d'hiver. (16) De là il envoya les Numides et les Maures ravager le territoire sallentin et les bois voisins de l'Apulie. Ils n'y firent pas un butin considérable, si l'on en excepte de grands troupeaux de chevaux qu'ils emmenèrent, et dont quatre mille furent partagés entre les cavaliers pour être dressés. XXI. (1) Cependant il s'élevait en Sicile une guerre qui ne méritait pas peu d'attention. La mort du tyran avait donné aux Syracusains des chefs remplis d'activité plutôt qu'elle n'avait changé leurs plans et leurs intentions. Les Romains confièrent donc le commandement de cette province à M. Marcellus, l'un des consuls. (2) Après le meurtre d'Hiéronyme, il y avait eu d'abord à Léontium une émeute parmi les soldats: ils s'étaient écriés avec rage qu'il fallait faire aux mânes du roi le sacrifice de la vie des conjurés. (3) Cependant on leur répéta ces mots, si doux à entendre, de liberté recouvrée; on leur fit espérer qu'ils auraient leur part des trésors royaux et qu'ils serviraient sous de meilleurs généraux; on leur raconta les crimes horribles du tyran, ses débau- 642 ches plus horribles encore, et il s'opéra un tel changement dans les esprits, que ce prince, naguère tant regretté, ils le laissèrent, étendu sans sépulture. (4) Les conjurés restèrent à l'armée pour y établir leur pouvoir; seulement Théodotus et Sosis, montés sur des chevaux du roi, se rendirent en toute hâte à Syracuse, pour écraser les partisans du tyran avant qu'ils connussent rien de tout ce qui se passait. (5) Ils furent prévenus par la renommée, si prompte à répandre de tels bruits, et par l'arrivée d'un des esclaves du roi qui en donna la nouvelle. (6) Adranodorus avait rempli de troupes l'île, la citadelle et tous les autres postes avantageux dont il avait pu s'emparer. (7) Théodotus et Sosis, entrés par l'Hexapyle, après le coucher du soleil, et quand la nuit se faisait obscure, traversèrent à cheval le quartier de Tycha, exposant à tous les regards l'habit sanglant du roi, ainsi que sa couronne. Ils appellent le peuple à la liberté et aux armes, et lui recommandent de se rassembler dans l'Achradine. (8) De toute cette multitude, les uns se précipitent dans les rues, les autres s'établissent sous les vestibules, ou regardent des toits et des fenêtres en demandant ce qui se passe. (9) Des lumières éclairent toute la ville, qui se remplit de bruits confus; les hommes armés se réunissent sur les places; ceux qui sont sans armes vont au temple de Jupiter Olympien s'emparer des dépouilles des Gaulois et des Illyriens, que le peuple romain avait offertes à Hiéron, et qu'il avait suspendues dans ce temple; ils supplient Jupiter (10) de leur être favorable, et de leur prêter ces armes sacrées avec lesquelles ils vont combattre pour la patrie, les temples des dieux et la liberté. (11) Toute cette multitude se réunit aux postes établis dans les principaux quartiers de la ville. Dans l'île, Adranodorus s'assure avant tout des greniers publics. (12) Ce sont des bâtiments entourés d'un mur de pierres de taille, fortifiés à la manière d'une citadelle. La jeunesse, à qui la défense en avait été confiée, s'en empare, et envoie dans l'Achradine annoncer au sénat que les greniers et le blé sont à sa disposition. XXII. (1) Au point du jour, tout le peuple, armé ou sans armes, se rend dans l'Achradine auprès du sénat. Là, devant l'autel de la Concorde qui se trouve dans ce quartier, l'un des principaux citoyens, nommé Polyaenus, adressa au peuple un discours plein de sentiments libres et toutefois modérés. (2) « Longtemps soumis à une indigne servitude, ils s'étaient révoltés quand ils avaient senti toute l'étendue de leurs maux. Quant aux malheurs qu'entraînent les discordes civiles, les Syracusains les connaissent d'après les récits de leurs pères, plutôt que par leur propre expérience. (3) Il louait ses concitoyens de ce qu'ils avaient couru sans hésiter aux armes; il les louerait plus encore s'ils ne s'en servaient qu'à la dernière extrémité. (4) Pour l'instant, son avis était qu'il fallait envoyer à Adranodorus l'ordre de se soumettre au pouvoir du sénat et du peuple, d'ouvrir les portes de l'île et d'en livrer la garnison; (5) que s'il voulait faire de son titre de tuteur de roi une royauté, lui, Polyaenus, était d'avis qu'il fallait mettre bien plus d'ardeur à reconquérir la liberté sur Adranodorus que sur Hiéronyme. » (6) Après ce discours, on fit partir les députés; et dès ce jour le sénat recommença de siéger. Maintenus sous le règne d'Hié - 643 ron comme conseil publie, depuis la mort de ce roi jusqu'à ce jour, les sénateurs n'avaient été ni convoqués ni consultés sur aucune affaire. (7) À l'arrivée de la députation, Adranodorus fut ébranlé en voyant cet accord de tous les citoyens, et aussi de ce qu'ils avaient en leur pouvoir la plus grande partie de la ville, et cette portion de l'île, la mieux fortifiée, que venait de lui enlever la trahison. (8) Mais sa femme, Damarata, la fille d'Hiéron, ayant conservé tout l'orgueil du sang royal dans le coeur passionné d'une femme, le prenant à part, lui rappelle ce mot répété tant de fois par Denys le Tyran, (9) « qu'un roi ne doit jamais renoncer à la tyrannie que quand on le tire par les pieds, et non pas tant qu'il est à cheval. Il est facile, à l'instant où l'envie en prend, de renoncer à une haute fortune, mais difficile et dangereux de se la faire et de s'y établir. (10) Il faut donc qu'il demande à la députation quelque temps pour se consulter, et qu'il emploie ce temps à faire venir des troupes de Léontium; en leur promettant une part dans le trésor du roi, il lui sera aisé de s'emparer de la souveraine puissance. » (11) Adranodorus ne dédaigna pas tout à fait ces conseils de sa femme; mais il ne les adopta pas sur-le-champ. Il crut que le meilleur moyen pour arriver au pouvoir, c'était de céder cette heure aux circonstances. (12) Il charge donc les députés de répondre de sa part qu'il allait se mettre à la disposition du sénat et du peuple. Le lendemain, au point du jour, il fait ouvrir les portes de l'île et se rend au forum dans l'Achradine. (13) Là il monte à l'autel de la Concorde, d'où la veille Polyaenus avait prononcé son discours, et commence la harangue suivante, demandant d'abord qu'on lui pardonnât ses délais. (14) « Il avait tenu ses portes fermées, non qu'il eût séparé sa cause de la cause publique, mais parce que l'épée, une fois tirée, il avait attendu avec crainte quelle serait la fin des massacres, si l'on se contenterait de la mort du tyran, qui suffisait à la liberté, ou si tous ceux que les liens du sang, l'intimité ou quelques fonctions attachaient au palais seraient mis à mort comme accusés des crimes qui n'étaient pas les leurs. (15) Voyant bien maintenant que ceux qui avaient délivré la patrie voulaient aussi la conserver libre, et que de toutes parts on s'occupait des intérêts publics, il n'avait pas hésité à remettre au pays et sa propre personne et tout ce qui avait été confié à sa foi et à sa garde, celui qui le lui avait commis ayant péri victime de sa folie. » (16) Se tournant alors vers les meurtriers du tyran et appelant par leurs noms Théodotus et Sosis: « Vous avez fait, dit-il, une action mémorable; (17) mais, croyez- moi, votre gloire ne fait que commencer et n'est pas à son sommet: il est encore bien à craindre, si vous ne mettez tous vos soins à assurer la paix et la concorde, que la république ne se laisse entraîner à la licence. » XXIII. (1) Après ce discours, il dépose à leurs pieds les clefs des portes et du trésor royal. Ce jour-là, tous les citoyens quittèrent l'assemblée pleins de joie, et se rendirent dans tous les temples, avec leurs femmes et leurs enfants, pour offrir aux dieux des actions de grâces. Le lendemain on rassembla les comices pour la nomination des pré- 644 teurs. (2) Adranodorus fut nommé l'un des premiers; les autres, en grande partie, étaient des meurtriers du tyran, et parmi eux, quoique absents, Sopater et Dinomène. (3) En apprenant ce qui se passait à Syracuse, ils y firent apporter les trésors du roi, qui étaient à Léontium, et les remirent à des questeurs créés à cet effet. (4) On leur livra aussi ce qui se trouvait d'argent dans l'île et dans l'Achradine, et la partie du mur qui séparait l'île du reste de la ville, et en faisait ainsi une position trop forte, fut renversée d'un avis unanime. Tout suivit cet entraînement des esprits à la liberté. (5) Au bruit de la mort du tyran, qu'Hippocrate avait essayé de cacher même par le meurtre de celui qui en avait apporté la nouvelle, Épicyde et lui furent abandonnés par leurs soldats, et revinrent à Syracuse, pensant que c'était le parti le plus sûr dans les circonstances présentes. (6) Là, ne voulant pas être soupçonnés de chercher l'occasion d'un nouveau mouvement, ils se rendent d'abord auprès des préteurs; puis, conduits par eux auprès du sénat, (7) ils déclarent « qu'ils ont été envoyés par Hannibal vers Hiéronyme comme vers un prince son ami et son allié, qu'ils avaient obéi aux ordres du roi en obéissant à leur général, (8) qu'ils demandaient à retourner vers Hannibal; que du reste, comme la route n'était pas sûre à travers la Sicile, que parcouraient alors en tous sens les Romains, ils demandaient une escorte qui les conduisit à Locres en Italie; qu'Hannibal leur saurait fort bon gré de ce service de peu d'importance. » (9) Leur demande leur fut facilement accordée. Les Syracusains, en effet, désiraient voir s'éloigner des généraux dévoués au roi, habiles dans l'art de la guerre, et à la fois pauvres et audacieux. Mais ce que voulaient les Syracusains, ils ne l'exécutèrent pas avec toute la promptitude nécessaire. (10) En attendant, les jeunes gens, soldats eux-mêmes et habitués aux soldats, semaient des accusations contre le sénat et les grands, soit dans l'armée, soit auprès des transfuges, en grande partie matelots romains, soit enfin auprès des dernières classes du peuple. (11) « Le sénat, disaient-ils, avait secrètement machiné un complot pour soumettre Syracuse à la domination de Rome, sous prétexte de renouveler l'ancienne alliance, et pour qu'ensuite le parti peu nombreux de ceux qui auraient conseillé cette mesure régnât en maître sur la ville. » XXIV. (1) Une multitude d'hommes, disposés à écouter et à croire de tels bruits, affluait à Syracuse et y grossissait de jour en jour. Aussi non seulement Épicyde, mais Adranodorus lui-même, commençaient à espérer une révolution. (2) Adranodorus, fatigué, se rend enfin aux conseils de sa femme: « c'était, disait-elle, le moment de s'emparer du pouvoir, au milieu du trouble et du désordre occasionnés par cette liberté nouvelle, maintenant qu'il avait avec lui des soldats nourris de la solde du roi, et des généraux envoyés par Hannibal, accoutumés aux soldats et capables de l'aider dans son entreprise. » Il s'associe avec Thémistus, qui avait épousé la fille de Gélon, et peu de jours après il s'en ouvre imprudemment à un acteur tragique, nommé Ariston, confident de tous ses autres secrets. (3) Ariston avait de la naissance 645 et une position honorable, à laquelle ne nuisait point l'exercice de son art, cette profession n'ayant rien d'avilissant chez les Grecs. Il pensa qu'il devait avant tout fidélité à sa patrie, et déclara tout aux préteurs. (4) Ceux-ci, d'après des indices certains, voyant que l'affaire est sérieuse, consultent les plus vieux des sénateurs. D'après leur conseil, ayant placé des gardes à la porte de la curie, ils font tuer Thémistus et Adranodorus, à l'instant même où ils entraient. (5) À cette action si cruelle en apparence, et dont les autres ignoraient le motif, un violent tumulte s'éleva. Le silence rétabli, les préteurs introduisent le dénonciateur. (6) Ariston révèle tout le complot; il dit que la conjuration date du mariage d'Harmonia, fille de Gélon, avec Thémistus; (7) que les auxiliaires africains et espagnols ont été chargés du meurtre des préteurs et des principaux citoyens, dont les assassins devaient se partager la fortune; (8) que les mercenaires, accoutumés à obéir à Adranodorus, s'étaient mis en mesure de s'emparer une seconde fois de l'île; enfin, il met sous les yeux du sénat tout le détail des opérations de chacun et des forces, tant en hommes qu'en armes, dont les conjurés disposaient. Le sénat pensa que leur mort était aussi juste que celle d'Hiéronyme. (9) Devant la curie, dans le vestibule, la multitude, incertaine de ce qui se passait et divisée d'opinions, faisait entendre des cris et des menaces horribles; mais, à la vue des cadavres des conjurés, elle fut saisie d'une telle crainte, qu'elle suivit en silence à l'assemblée ceux du peuple qui n'avaient pas trempé dans le complot. (10) Sopater fut chargé par le sénat et ses collègues de prononcer une harangue. XXV. (1) Alors, comme s'il accusait Adranodorus et Thémistus devant un tribunal, Sopater examinant leur conduite avant la conjuration, leur attribua tous les attentats qui avaient été commis depuis la mort d'Hiéron. (2) « En effet, que faisait de lui-même Hiéronyme enfant, qu'avait-il pu faire, étant à peine en l'âge de puberté? Ses tuteurs, ses maîtres, avaient régné, protégés par la haine qui retombait sur un autre qu'eux. Ils auraient donc dû périr avant ou tout au moins. avec Hiéronyme. (3) Et pourtant ces hommes, promis d'avance à une mort qui leur était due, depuis que le tyran n'était plus, avaient médité de nouveaux crimes. D'abord ouvertement, Adranodorus, fermant les portes de l'île, avait pensé à l'hérédité du trône, et retenu comme maître ce dont il n'avait que l'administration. (4) Abandonné ensuite par ceux qui étaient dans l'île, assiégé par tous les citoyens qui occupaient l'Achradine, il avait en secret et par ruse essayé de s'emparer d'un pouvoir qu'il avait en vain voulu emporter ouvertement et à la vue de tous. (5) Les bienfaits mêmes et les honneurs n'avaient pu le vaincre. En vain, associé aux libérateurs de la patrie, lui, l'ennemi secret de la liberté, il avait été nommé préteur. (6) Qui leur avait inspiré à tous deux cette ambition de régner, si ce n'est d'avoir épousé deux filles de rois, l'une, celle d'Hiéron, l'autre, celle de Gélon? » (7) À ces mots, de tous les côtés de l'assemblée on s'écrie qu'aucune d'elles ne doit plus vivre, qu'il ne doit plus rester personne de la 646 race des tyrans. (8) Telle est la nature de la multitude, ou bassement esclave, ou tyranniquement maîtresse. La liberté, placée entre ces deux excès, ils ne savent ni la mépriser ni en jouir avec mesure; (9) et il ne manque jamais de complaisants ministres de leur colère qui poussent au sang et au meurtre ces esprits ardents et impétueux du peuple. (10) On en eut alors un exemple: les préteurs proposèrent une loi, et cette loi fut acceptée, pour ainsi dire, avant d'être promulguée. Elle portait que toute la famille royale serait mise à mort. (11) Les préteurs envoyèrent égorger Damarata et Harmonia, filles, l'une d'Hiéron, et l'autre de Gélon, et femmes d'Adranodorus et de Thémistus. XXVI. (1) Héracléa était fille d'Hiéron, et femme de Zoïppus. Zoïppus, envoyé en ambassade par Hiéronyme auprès du roi Ptolémée, s'était condamné à un exil volontaire. (2) Héracléa, ayant appris que les assassins se dirigeaient vers sa demeure, se réfugia aux pieds de l'autel domestique et des dieux pénates, ayant avec elle ses deux filles, les cheveux épars et dans un état bien propre à exciter la pitié. (3) Elle y joignit les prières, au nom de son père Hiéron, et de Gélon son frère, suppliant les meurtriers « de ne point envelopper une femme innocente dans la haine qu'avait soulevée Hiéronyme. (4) Qu'au règne de ce prince elle n'avait gagné que l'exil de son mari; que sa fortune, pendant la vie d'Hiéronyme, n'avait pas été la même que celle de sa soeur, et que Hiéronyme une fois mort, sa cause n'était pas non plus la même. (5) Si Adranodorus avait réussi dans ses projets, Damarata eût régné avec son mari; mais Héracléa aurait dû être esclave avec tout le peuple. (6) Si quelqu'un allait annoncer à Zoïppus qu'Hiéronyme est mort, que Syracuse est libre, pourrait-on douter qu'il ne s'embarquât aussitôt pour revenir dans sa patrie? (7) Ô combien les espérances des hommes sont trompeuses! Dans sa patrie devenue libre, sa femme et ses enfants se débattent pour conserver la vie! (8) Comment pouvaient- elles être un obstacle à la liberté ou aux lois? Qui pouvait redouter quelque chose d'elle, seule comme elle est, presque veuve, et de deux jeunes filles privées de leur père? Mais peut-être sans causer de craintes, leur sang royal excitait la haine. (9) Oh! qu'alors on les relègue loin de Syracuse et de la Sicile, qu'on les transporte à Alexandrie, elle auprès de son mari, ses filles auprès de leur père. » (10) Mais leurs oreilles et leurs âmes étaient fermées à ces prières, et déjà quelques-uns tiraient leurs épées pour épargner le temps. (11) Alors, cessant de supplier pour elle- même, elle persiste à demander grâce du moins pour ses filles, dont l'âge fléchirait même des ennemis irrités. « En punissant des tyrans ils ne doivent pas imiter leurs crimes. » (12) Les assassins l'arrachent de l'autel et l'égorgent; puis ils se précipitent sur les jeunes filles couvertes du sang de leur mère. Égarées par la douleur et, la crainte, et comme saisies de démence, elles s'élancent loin de l'autel avec tant de rapidité, que si elles eussent trouvé quelque moyen de fuir ver la ville, elles l'eussent remplie de tumulte. (13) Alors même, dans l'espace si étroit de cette maison, au milieu de tant d'hommes armés, elles échappèrent quel- 647 que temps sans blessures et s'arrachèrent aux bras vigoureux qui les retenaient et dont elles trompaient l'effort. (14) Enfin, atteintes de plusieurs coups, remplissant tout de leur sang, elles tombèrent sans vie. Ce meurtre, si déplorable par lui-même, le devint plus encore par l'arrivée d'un messager qui, peu de temps après, apporta la défense qu'on les immolât, les esprits s'étant bientôt tournés à la compassion. (15) Mais cette compassion fit ensuite place à la colère, un supplice si prompt n'ayant laissé de temps ni au repentir ni à un retour vers des sentiments plus doux. (16) La multitude frémit et demanda que les comices fussent réunis pour la nomination des successeurs d'Adranodorus et de Thémistus, qui tous deux avaient été préteurs. Ces comices ne devaient pas tourner selon les vues des préteurs en charge. XXVII. (1) Le jour en avait été fixé. Ce jour-là, sans que personne s'y attendît, un homme placé à l'extrémité de la foule, nomma Épicyde, puis un autre Hippocrate. Ces noms se répètent de tous côtés; l'assentiment de la multitude devient évident. (2) L'assemblée était composée, non seulement du peuple, mais des soldats, et il s'y était aussi mêlé un grand nombre de transfuges, qui ne demandaient qu'un bouleversement. (3) Les préteurs dissimulent d'abord et veulent traîner l'affaire en longueur. Enfin, vaincus par l'unanimité des suffrages, et redoutant une sédition, ils proclament le nom des nouveaux préteurs. (4) Ceux-ci ne découvrent pas tout d'abord leurs intentions; toutefois ils étaient mécontents qu'on eût envoyé des députés à Ap. Claudius pour demander une trêve de dix jours, et, après l'avoir obtenue, une seconde ambassade pour travailler au renouvellement de l'ancienne alliance. (5) Les Romains avaient alors une flotte de cent vaisseaux à Murgantia. Ils voulaient voir ce que deviendraient les troubles soulevés à Syracuse par le meurtre des tyrans, et dans quelle voie le peuple serait entraîné par cette liberté si nouvelle, si étrange pour lui. (6) À cette époque même, Appius avait envoyé à Marcellus, qui arrivait en Sicile, les députés syracusains. Marcellus entendit leurs propositions, parce que la paix pouvait se conclure, et envoya lui-même une députation à Syracuse, avec ordre de discuter de vive voix avec les préteurs les bases sur lesquelles serait renouvelé l'ancien traité. (7) La ville était déjà loin de jouir de la même tranquillité. Quand le bruit se répandit que la flotte carthaginoise était en vue de Pachynum, libres de toute crainte, Hippocrate et Épicyde, tantôt auprès des soldats mercenaires, tantôt auprès des transfuges, se mirent à se plaindre que Syracuse était livrée aux Romains. (8) Or, dès qu'Appius vint stationner avec ses vaisseaux à l'entrée du port, pour donner du courage aux gens du parti contraire, cette vue donna en apparence beaucoup de crédit à des accusations jusque-là sans fondement; (9) et d'abord toute la multitude s'était portée en tumulte pour repousser les Romains s'ils essayaient de descendre à terre. XXVIII. (1) Au milieu de ce trouble, on pensa à convoquer l'assemblée. Les esprits étaient divisés; une sédition allait éclater peut-être! Lorsque Apollonidès, l'un des citoyens les plus considérables 648 de la ville, prononça le discours suivant, utile autant qu'il se pouvait en de pareilles circonstances (2) « Jamais, dit-il, aucune ville n'avait vu de plus près ou son salut ou sa ruine. (3) En effet, si le peuple entier, d'un consentement unanime, se prononçait pour les Romains ou pour les Carthaginois, jamais aucun état ne se trouverait dans une position plus heureuse ou plus prospère. (4) Si au contraire il se divisait, la guerre ne serait pas plus atroce entre les Carthaginois et les Romains, qu'entre les deux partis à Syracuse. Dans les mêmes murs, chaque faction allait avoir ses soldats, ses armes, ses généraux. (5) Il fallait donc obtenir à tout prix que tous les Syracusains fussent d'accord. Décider quelle était des deux alliances la plus utile, c'était une question bien moins grave, bien moins importante; (6) quoiqu'il fallût plutôt pour le choix des alliés s'en rapporter à l'autorité d'Hiéron qu'à celle d'Hiéronyme, et que des amis si heureusement éprouvés pendant cinquante ans dussent être préférés à des amis aujourd'hui inconnus, autrefois perfides. (7) Une autre considération d'un grand poids, c'est qu'on pouvait rejeter l'alliance des Carthaginois sans entrer aussitôt en guerre avec eux; avec les Romains, il fallait choisir aussitôt ou la paix ou la guerre. (8) Moins ce discours parut empreint de passion et de partialité, plus il fit impression. Aux préteurs et à l'élite du sénat on joignit encore un conseil militaire. Les chefs des troupes et ceux des alliés reçurent ordre de prendre part à la délibération. (9) Les discussions furent souvent violentes; enfin, comme on vit bien, qu'il était impossible de soutenir la guerre contre les Romains, on se décida pour la paix, et il fut résolu qu'on leur enverrait des députés pour conclure le traité. XXIX. (1) Peu de jours après, des ambassadeurs vinrent de Léontium demander des troupes pour protéger leurs frontières. Cette ambassade parut un excellent prétexte pour débarrasser la ville d'une multitude sans ordre et sans discipline, et pour en éloigner les chefs. (2) Le préteur Hippocrate reçut ordre d'y conduire les transfuges. Une foule de mercenaires le suivirent, et formèrent ainsi un corps de quatre mille hommes. (3) Cette expédition fut également agréable à ceux qui partaient et à ceux qui les envoyaient. En effet, les premiers trouvaient l'occasion qu'ils cherchaient depuis longtemps d'exciter quelque révolution, les autres se réjouissaient d'avoir, à ce qu'ils croyaient, purgé la ville des ordures qui l'infectaient. Du reste, ce fut là comme un remède pour un corps malade que l'on soulage pour l'instant, mais qui bientôt retombe dans une crise plus dangereuse. (4) Hippocrate, en effet, par des excursions secrètes, ravagea d'abord les frontières de la province romaine: ensuite, un jour qu'Appius avait envoyé des troupes pour protéger le territoire des alliés, il se précipita avec toutes ses troupes sur ce corps qui était campé en face de lui, et en fit un grand carnage. (5) À cette nouvelle, Marcellus envoya aussitôt à Syracuse des députés chargés de déclarer qu'il regardait la paix comme rompue, qu'il y aurait toujours quelque motif de guerre, à moins qu'Hippocrate et Épicyde ne fussent chassés, non pas seulement de Syracuse, 649 mais de la Sicile tout entière. (6) Épicyde, pour ne pas avoir à supporter, en restant à Syracuse, les griefs qui pesaient sur son frère absent, ou bien ne voulant pas manquer pour sa part à exciter la guerre, partit lui- même pour Léontium. Voyant alors les Léontins fort animés coutre Rome, il essaya aussi d'amener une rupture entre eux et Syracuse. (7) Il disait que « Syracuse avait conclu la paix avec Rome, à condition que tous les peuples qui avaient fait partie du royaume restassent sous sa domination; que, non contente d'être libre elle- même, elle voulait aussi régner et dominer sur les autres. (8) Il fallait donc lui annoncer que les Léontins aussi prétendaient être libres, leur ville étant celle où le tyran était mort, où la liberté avait été proclamée pour la première fois, et où l'on avait abandonné les chefs de l'armée royale pour courir à Syracuse. (9) Il fallait donc ou effacer cet article du traité, ou ne pas accepter le traité. » (10) La multitude se laissa facilement persuader, et, lorsque les ambassadeurs des Syracusains vinrent se plaindre du massacre des troupes romaines, et ordonner qu'Hippocrate et Épicyde fussent envoyés à Locres, ou partout où ils l'aimeraient mieux, pourvu qu'ils quittassent la Sicile, on leur répondit avec orgueil (11) « que Léontium n'avait pas chargé Syracuse de conclure pour elle la paix avec les Romains, et qu'elle n'était pas liée par une alliance à laquelle elle n'avait point pris part. » (12) Les Syracusains rapportèrent aux Romains cette réponse, ajoutant « que Léontium ne dépendait pas d'eux; que les Romains, sans porter atteinte au traité, pouvaient donc lui faire la guerre, et qu'eux- mêmes leur viendraient en aide, à condition que quand Léontium aurait été soumise, elle retomberait sous le pouvoir de Syracuse, d'après les conditions mêmes du traité. » XXX. (1) Marcellus, avec toute son armée, partit pour Léontium. Il appela même auprès de lui Appius, pour qu'il attaquât la ville d'un autre côté; et les soldats, irrités par le souvenir de leurs camarades égorgés pendant que l'on traitait pour la paix, marchèrent avec tant d'ardeur qu'au premier assaut la ville fut enlevée. (2) Hippocrate et Épicyde, voyant les murs pris et les portes brisées, se retirèrent avec quelques hommes dans la citadelle, et, la nuit venue, ils se réfugièrent en secret à Herbesus. (3) Les Syracusains, au nombre de huit mille hommes, étaient partis de leur ville, lorsque auprès du fleuve Myla ils rencontrèrent un homme qui leur annonça la prise de Léontium. (4) Cet homme, mêlant des mensonges à la vérité, dit qu'on avait massacré indistinctement les soldats et les citoyens, et qu'il n'y devait pas rester, à son compte, un seul homme au-dessus de l'âge de puberté. La ville avait été pillée, les biens des riches donnés aux soldats. (5) À cet horrible récit, l'armée s'arrêta; au milieu de l'irritation générale, les généraux Sosis et Dinomène se consultaient sur le parti qu'ils avaient à prendre. (6) Ce qui donnait à ce mensonge une apparence d'effrayante vérité, c'est que deux mille transfuges à peu près avaient été battus de verges et frappés de la hache. (7) Du reste, pas un seul Léontin, pas un soldat n'avait eu à souffrir de violences une fois la ville prise, et on leur rendait tous leurs biens, excepté ce qui avait été pris dans le tumulte inséparable d'une prise d'assaut. (8) Il fut im- 650 possible de déterminer l'armée syracusaine à aller jusqu'à Léontium. Ils se plaignaient hautement de ce qu'on eût envoyé leurs compagnons d'armes à une boucherie, et se refusèrent même à faire halte pour attendre des nouvelles plus certaines. (9) Les préteurs voyant les esprits tournés à la révolte, mais pensant que ce mouvement serait de courte durée s'ils en faisaient disparaître les chefs, conduisent l'armée à Mégare. (10) Eux-mêmes, avec quelques cavaliers, ils partent pour Herbesus dans l'espérance qu'au milieu de la terreur générale ils pourraient s'emparer par trahison de la ville. (11) Ils n'y réussirent pas, et se décidèrent alors à agir par la force. Le lendemain ils quittèrent Mégare et vinrent, avec toutes leurs troupes, assiéger Herbesus. (12) Hippocrate et Épicyde étaient sans ressources; ils sentirent qu'ils n'avaient plus qu'un parti à prendre; dangereux en apparence, mais le seul qui leur restât, celui de se livrer aux soldats accoutumés eu grande partie à eux, et que le bruit du massacre de leurs compagnons avait enflammés de fureur; ils vont donc au-devant de l'armée. (13) Par hasard à l'avant-garde se trouvaient six cents Crétois qui avaient servi sous eux auprès d'Hiéronyme, et qui de plus devaient de la reconnaissance à Hannibal, pour les avoir renvoyés libres après les avoir faits prisonniers auprès de Trasimène parmi les autres troupes auxiliaires de Rome. (14) Dès qu'à leurs enseignes et à leurs armes Hippocrate et Épicyde les ont reconnus, ils se présentent à eux avec des rameaux d'olivier et l'extérieur ordinaire des suppliants; ils les prient « de les recevoir, de les prendre sous leur protection, de ne point les livrer aux Syracusains, qui bientôt les remettraient aux Romains pour être massacrés. » XXXI. (1) Tous leur crient « d'avoir bonne espérance, et qu'eux-mêmes ils s'associeront à leur sort quel qu'il soit. » (2) Pendant cette entrevue, les enseignes s'étant arrêtées, la marche se trouvait ainsi suspendue, et les chefs ne savaient pas encore les motifs de ce retard. Dès que le bruit se fut répandu qu'Hippocrate et Épicyde étaient là, la nouvelle de leur arrivée fut reçue dans tous les rangs avec un frémissement bien évident de plaisir. Aussitôt les préteurs poussent leurs chevaux à l'avant-garde. (3) Ils demandent « quelle est cette conduite, cette licence des Crétois de parlementer avec les ennemis et de les admettre dans leurs rangs sans en avoir reçu l'ordre des préteurs. » Ils ordonnent qu'on se saisisse d'Hippocrate et qu'on le charge de chaînes. (4) À ces mots, les Crétois poussent les premiers et le reste de l'armée répète un si grand cri, que les préteurs comprirent qu'il leur faudrait craindre pour eux-mêmes s'ils insistaient. (5) Inquiets, incertains, ils ordonnent le retour à Mégare, d'où ils venaient de partir, et ils font porter à Syracuse la nouvelle de cet événement. (6) Hippocrate, par un mensonge, soulève encore les esprits ouverts à tous les soupçons. Il envoie quelques Crétois se poster sur le chemin, et feignant ensuite d'avoir, grâce à eux, intercepté une lettre qu'il avait composée lui-même, il la lit publiquement. (7) Après le salut d'usage, « les préteurs de Syracuse au consul Marcellus, » ils écrivaient: « Qu'il avait eu bien raison de n'épargner aucun des Léontins, (8) mais que tous les soldats mercenaires étaient dans la même position, et que 651 Syracuse ne serait jamais tranquille tant qu'il y aurait à la ville ou dans l'armée quelques troupes étrangères. (9) Qu'ils le priaient donc de s'emparer de ceux qui, avec leurs préteurs, étaient campés à Mégare, et par leur supplice de délivrer enfin Syracuse. » (10) À la lecture de cette lettre on courut aux armes en poussant de telles clameurs, qu'au milieu du tumulte les préteurs, remplis d'effroi, regagnèrent à cheval Syracuse. (11) Leur fuite même ne mit pas fin à la révolte. Déjà l'on se précipitait sur les soldats syracusains, et il n'en fût pas resté un seul si Épicyde et Hippocrate ne se fussent opposés à la colère de la multitude, (12) non pas par compassion on par un sentiment d'humanité, mais parce qu'ils voulaient se ménager quelque espoir de retour. Ils s'attachaient les soldats tout en les gardant comme otages; (13) par un si grand bienfait, et comme par les gages qu'ils retenaient auprès d'eux, ils s'assuraient la reconnaissance de leurs parents et de leurs amis. (14) Mais ils avaient, eux aussi, éprouvé combien est vaine et changeante au moindre souffle la faveur de la multitude. Ayant donc par hasard trouvé un des soldats de la garnison qui avait défendu Léontium, ils le subornent, et le chargent de porter à Syracuse des nouvelles qui s'accordent avec le faux récit lu auprès du fleuve Myla, (15) afin que se présentant comme témoin, et déclarant avoir vu ce qui était douteux, il excitât la colère dans tous les coeurs. XXXII. (1) Ce ne fut pas seulement le peuple qui y ajouta foi: introduit auprès du sénat, cet homme émut tous les esprits. Des personnes graves allaient répétant hautement « que l'avidité et la cruauté des Romains s'étaient heureusement montrées à nu à Léontium; que leur conduite serait la même, et plus horrible encore, s'ils entraient à Syracuse, car leur avarice y trouverait une plus riche proie. » (2) Il fut décidé à l'unanimité qu'on fermerait les portes, et qu'on pourvoirait à la défense de la ville. Tous les Syracusains étaient entraînés par la crainte et par la haine, mais non pas tous contre les mêmes hommes. Tous les soldats et une grande partie du peuple avaient en horreur le nom romain: (3) les préteurs et quelques-uns des grands, quoique remplis de colère à cette fausse nouvelle, pensaient plutôt à se mettre en garde contre un péril plus proche, plus imminent. (4) Déjà Hippocrate et Épicyde étaient devant l'Hexapyle; ceux du peuple qui étaient dans l'armée engageaient des entretiens avec leurs parents, les priant de leur ouvrir les portes et de leur permettre de défendre leur commune patrie contre les attaques des Romains. (5) Une porte de l'Hexapyle leur avait été ouverte, et déjà on les recevait, lorsque surviennent les préteurs; d'abord ils cherchent à arrêter le peuple par des ordres et des menaces, puis, mais inutilement, par l'ascendant et en employant les conseils: alors, oubliant la majesté de leur rang, ils supplient la foule de ne pas livrer la patrie à des misérables naguère satellites du tyran, aujourd'hui corrupteurs de l'armée. (6) Mais la multitude irritée restait sourde à toutes leurs paroles; tous, au-dedans comme au-dehors, mettaient une égale ardeur à briser les portes. Les portes brisées, toute l'armée fut reçue dans l'Hexapyle. (7) Les préteurs se réfugient dans 652 l'Achradine avec la jeunesse de Syracuse; les soldats mercenaires, les transfuges et tout ce qui restait à Syracuse de l'armée royale viennent grossir la masse des ennemis. (8) L'Achradine fut emportée à la première attaque, et tous les préteurs furent mis à mort, excepté ceux qui s'étaient enfuis au milieu du tumulte. La nuit mit fin au massacre. (9) Le jour suivant les esclaves sont affranchis, les prisonniers délivrés. Cette multitude confuse nomme préteurs Hippocrate et Épicyde, et Syracuse, après avoir un instant vu briller la liberté, retombe dans son antique servitude. XXXIII. (1) À cette nouvelle, les Romains quittent Léontium et marchent sur Syracuse. (2) Une ambassade envoyée par Appius arrivait alors par mer sur une quinquérème; une quadrirème détachée en avant s'engagea dans le port et fut prise. Les députés échappèrent avec peine. (3) Ce n'étaient donc pas seulement les droits de la paix, mais même ceux de la guerre qu'on venait de méconnaître. Dès lors l'armée romaine vint camper près de l'Olympium (c'est un temple de Jupiter), à quinze cents pas de la ville; (4) d'où il fut encore résolu qu'on enverrait des députés. Pour qu'ils n'entrassent pas dans la ville, Hippocrate et Épicyde vinrent hors des portes à leur rencontre. (5) Le député qui prit la parole déclara « qu'ils n'apportaient pas la guerre aux Syracusains, mais bien aide et protection à ceux qui, échappés du massacre, étaient venus leur demander asile, et à ceux aussi qui, comprimés par la crainte, supportaient un esclavage plus horrible que l'exil, plus horrible que la mort même; (6) que le meurtre infâme des alliés de Rome ne resterait pas sans vengeance; qu'ainsi donc si ceux qui s'étaient réfugiés au camp romain pouvaient rentrer en toute sûreté dans leur patrie, si les auteurs du massacre étaient livrés, si l'on rendait à Syracuse et sa liberté et ses lois, il n'y avait pas lieu de prendre les armes; mais que si ces propositions étaient repoussées, les Romains poursuivraient par les armes qui que ce fût qui s'y opposerait. » (7) À cela Épicyde répondit « que si les députés avaient eu quelque mission pour Hippocrate et pour lui, ils auraient reçu une réponse, mais qu'à présent ils n'avaient qu'à revenir, quand ceux-là auxquels ils s'adressaient seraient maîtres de Syracuse. (8) Que si les Romains attaquaient la ville, l'événement leur ferait comprendre qu'il était bien différent d'assiéger Syracuse ou Léontium. » Puis il quitta les députés et ferma les portes. (9) Dès lors le siège de Syracuse fut commencé par terre et par mer, par terre du côté de l'Hexapyle, par mer du côté de l'Achradine, dont les murs sont baignés par les flots. La terreur ayant, au premier assaut, livré Léontium aux Romains, ils espéraient bien pénétrer sur quelque point dans une ville si vaste et coupée par de grands intervalles. Ils amenèrent donc sous les murs tout le matériel employé dans les sièges. XXXIV. (1) Le succès n'eût pas manqué à une attaque menée avec tant de vigueur, sans la présence d'un seul homme, que possédait alors Syracuse; (2) c'était Archimède, homme sans rival dans l'art d'observer les cieux et les astres, mais plus merveilleux encore par son habileté à inventer, à construire des machines de guerre, à l'aide desquelles, par un lé- 653 ger effort, il se jouait des ouvrages que l'ennemi avait tant de peine à faire agir. (3) Les murs s'étendaient sur des collines inégales en hauteur; le terrain était presque partout fort élevé et d'un abord difficile; mais il se rencontrait aussi quelques vallées plus basses et dont la surface plane offrait un accès facile. Selon la nature des lieux, Archimède fortifia ce mur par toute espèce d'ouvrages. (4) Marcellus, avec ses quinquérèmes, attaquait le mur de l'Achradine, baigné, comme nous l'avons déjà dit, par la mer. (5) Du haut des autres vaisseaux, les archers, les frondeurs et même les vélites, dont les traits ne peuvent être renvoyés par ceux qui n'en connaissent pas l'usage, ne permettaient à personne, pour ainsi dire, de séjourner impunément sur le mur. (6) Comme il faut de l'espace pour lancer ces traits, ces vaisseaux étaient assez éloignés des murailles. Aux quinquérèmes étaient attachés deux par deux d'autres vaisseaux dont on avait enlevé les rangs de rames de l'intérieur afin de les attacher bord à bord. (7) Ces appareils étaient conduits comme des vaisseaux ordinaires par les rangs de rames de l'extérieur; ils portaient des tours à plusieurs étages et d'autres machines destinées à battre les murailles. (8) À ces bâtiments ainsi préparés, Archimède opposa sur les remparts des machines de différentes grandeurs. Sur les vaisseaux qui étaient éloignés, il lançait des pierres d'un poids énorme; ceux qui étaient plus proches, il les attaquait avec des projectiles plus légers, et par conséquent lancés en plus grand nombre. (9) Enfin, pour que les siens pussent sans être blessés accabler les ennemis de traits, il perça le mur depuis le haut jusqu'en bas d'ouvertures à peu près de la hauteur d'une coudée, et à l'aide de ces ouvertures, tout en restant à couvert eux-mêmes, ils attaquaient l'ennemi à coups de flèches et de scorpions de médiocre grandeur. (10) Si quelques vaisseaux s'approchaient pour être en deçà du jet des machines, un levier, établi au-dessus du mur, lançait sur la proue de ces vaisseaux une main de fer attachée à une forte chaîne. Un énorme contrepoids en plomb ramenait en arrière la main de fer qui, enlevant ainsi la proue, suspendait le vaisseau droit sur la poupe; (11) puis par une secousse subite le rejetait de telle sorte, qu'il paraissait tomber du mur. Le vaisseau, à la grande épouvante des matelots, frappait l'onde avec tant de force que les flots y entraient toujours même quand il retombait droit. (12) Ainsi fut déjouée l'attaque du côté de la mer, et les Romains réunirent toutes leurs forces pour assiéger la ville par terre. (13) Mais de ce côté encore elle était fortifiée par toute espèce de machines, grâce aux soins, aux dépenses d'Hiéron pendant de longues années, grâce surtout à l'art merveilleux d'Archimède. (14) Et ici la nature était venue à son aide, car le roc qui supporte les fondements du mur est, sur une grande étendue, tellement disposé en pente, que non seulement les corps lancés par les machines, mais même ceux qui ne roulaient que par leur propre poids, retombaient avec violence sur l'ennemi. (15) Par la même raison, il était bien difficile de gravir cette côte et d'y assurer sa marche. (16) Marcellus tint un conseil où il fut décidé que, toutes ses tentatives d'attaque étant déjouées, le siège serait suspendu, et la ville seulement bloquée de manière à ce qu'on ne pût 654 y recevoir aucun convoi par terre ni par mer. XXXV. (1) Pendant ce temps-là Marcellus, avec le tiers à peu près de son armée, partit pour aller reprendre les villes qui, au milieu des troubles, avaient passé aux Carthaginois. Hélorus et Herbesus se rendirent d'elles-mêmes. (2) Il prit d'assaut Mégare, la détruisit et l'abandonna, afin d'effrayer les autres et surtout les Syracusains. (3) Au même instant à peu près, Himilcon, qui avait tenu longtemps sa flotte en vue du promontoire de Pachynum, débarqua à Héracléa, appelée aussi Minoa, avec vingt-sept mille fantassins, trois mille cavaliers et douze éléphants. Il s'en fallait bien qu'il eût d'abord autant de troupes quand il tenait la mer en face du promontoire; (4) mais lorsque Hippocrate se fut emparé de Syracuse, il était parti pour Carthage, et là, aidé par les députés d'Hippocrate et par les lettres d'Hannibal, qui déclarait que l'instant était venu de reconquérir glorieusement la Sicile, (5) lui-même, donnant par sa présence du poids à cet avis, il avait facilement obtenu que l'on fît passer en Sicile autant que l'on pût d'infanterie et de cavalerie. (6) Arrivé à Héracléa, il reprit peu de jours après Agrigente. Les autres villes qui étaient du parti des Carthaginois reprirent tant d'espoir de chasser les Romains de la Sicile, que le courage même des assiégés de Syracuse en fut ranimé. (7) Persuadés qu'ils auraient assez d'une partie de leurs troupes pour défendre la ville, ils se partagèrent la conduite des opérations. Épicyde devait rester et garder la ville, et Hippocrate se joindre à Himilcon et ouvrir avec lui la campagne contre le consul. (8) Hippocrate partit la nuit traversant les intervalles qui séparaient les postes romains, et avec dix mille fantassins et cinq cents cavaliers, il alla camper près de la ville d'Acrillae. (9) Il fut surpris clans ses travaux de retranchement par Marcellus, lequel revenait d'Agrigente, où, malgré ses efforts et la rapidité de sa marche, il avait trouvé l'ennemi déjà établi. Marcellus était bien loin de s'attendre à rencontrer en face de lui, dans ce lieu et dans ces circonstances, une armée de Syracusains. (10) Toutefois, par crainte d'Himilcon et des Carthaginois, dont l'armée était bien plus considérable que la sienne, il se tenait le plus possible sur ses gardes, et s'avançait avec ses troupes préparées à tout événement. XXXVI. (1) Le hasard fit que ces précautions prises contre les Carthaginois servissent contre les Siciliens. Marcellus les trouva tout en désordre, dispersés, la plupart sans armes, occupés à établir leur camp. Il enveloppa l'infanterie. La cavalerie, après un léger engagement, s'enfuit à Acrae avec Hippocrate. (2) Ce combat contint ceux des Siciliens qui pensaient à se séparer de Rome. Marcellus revint à Syracuse. Peu de jours après, Himilcon, auquel s'était joint Hippocrate, vint camper sur le fleuve Anapus à huit mille de là environ. (3) Vers ce temps à peu près, cinquante-cinq vaisseaux longs, commandés par Bomilcar, chef de la flotte carthaginoise, entrèrent de la haute mer dans le grand port de Syracuse, (4) et de son côté la flotte romaine, composée de trente quinquérèmes, débarqua à Panormus la première légion; on eût pu croire que la guerre avait été transportée de l'Italie en Sicile, tant les 655 deux peuples y concentraient de forces. (5) Himilcon, bien persuadé que la légion romaine qui avait débarqué à Panormus et se dirigeait sur Syracuse, allait devenir sa proie, se trompe de chemin. (6) Pendant qu'il s'engageait dans l'intérieur des terres, la légion, escortée par la flotte, arriva en suivant les côtes auprès d'Ap. Claudius, qui, avec une partie de ses troupes, était venu à sa rencontre jusqu'à Pachynum. (7) Les Carthaginois ne restèrent pas plus longtemps devant Syracuse. Bomilcar n'avait pas grande confiance dans sa flotte, celle des Romains étant au moins du double plus nombreuse, outre qu'il voyait qu'un séjour plus long ne faisait qu'augmenter la disette de ses alliés. Il remit à la voile et retourna en Afrique. (8) Himilcon, de son côté, avait en vain suivi Marcellus jusqu'à Syracuse, cherchant quelque occasion de le combattre avant qu'il eût réuni des forces plus considérables. Cette occasion ne se présenta pas, et comme il voyait l'ennemi en sûreté devant Syracuse et par la force de ses retranchements et par le nombre de ses troupes, (9) pour ne pas perdre inutilement son temps à contempler ses alliés assiégés, il leva son camp dans le dessein de porter ses troupes partout où l'appellerait l'espoir de quelque révolte contre les Romains, et d'augmenter ainsi par sa présence l'ardeur de ses partisans. (10) Il reprit d'abord Murgantia, dont les habitants lui livrèrent la garnison romaine. Les Romains y avaient amassé une grande quantité de blé et des provisions de tout genre. XXXVII. (1) À cette défection les autres villes s'enhardirent. Les garnisons romaines étaient chassées des citadelles ou surprises par la trahison des habitants. (2) Henna, située sur un lieu élevé et escarpé de toutes parts, était inexpugnable par sa position même, outre que la citadelle renfermait une forte garnison commandée par un homme dont les traîtres n'eussent pas aisément trompé la vigilance. (3) C'était L. Pinarius, homme plein d'activité, et qui, pour déjouer tous les complots, comptait beaucoup plus sur cette activité même que sur la fidélité des Siciliens. Sa défiance était encore réveillée par la nouvelle de trahisons de tant de villes qui se révoltaient et massacraient les troupes. (4) Aussi, jour et nuit il y avait sur pied des vedettes et des sentinelles préparées à tout, et les soldats ne quittaient jamais leurs armes ou leurs postes. (5) Les principaux habitants d'Henna, qui déjà étaient convenus avec Himilcon de lui livrer la garnison romaine, sentirent bien qu'avec un tel chef il n'y avait pas de trahison possible, (6) et ils résolurent d'agir ouvertement. « La ville et la citadelle doivent, disent-ils, être en leur pouvoir, s'ils se sont donnés aux Romains comme des alliés libres et non pas comme des esclaves qu'il faut retenir prisonniers; ils pensent donc qu'il est juste qu'on leur rende les clefs des portes; (7) que le lien le plus fort qui unisse de bons alliés, c'est réciprocité de confiance; que le peuple et le sénat romains ne leur seront reconnaissants qu'autant qu'ils seront restés fidèles par leur propre volonté et non pas par la force. » (8) À cela le Romain répondait « qu'il avait été mis en garnison à Henna par son général, qu'il avait reçu de lui les clefs des portes et la garde de la citadelle; qu'il ne devait en disposer ni d'après sa propre volonté ni d'après la volonté des habitants d'Henna, mais bien d'après celle 656 du chef qui les lui avait confiées. (9) Qu'abandonner son poste était un crime capital chez les Romains, et qu'on avait vu des pères sanctionner cette loi par la mort même de leurs enfants. Le consul Marcellus n'était pas loin; il fallait que les habitants lui envoyassent des députés, comme à celui qui avait le commandement suprême. » (10) Ils répondirent « qu'ils n'enverraient pas de députés à Marcellus, et déclarèrent que si les paroles étaient inutiles, ils chercheraient quelque autre moyen de recouvrer leur liberté. » (11) Pinarius, à son tour, répliqua « que s'ils avaient quelque répugnance à envoyer une ambassade à Marcellus, on lui accordât de convoquer l'assemblée du peuple, afin qu'il pût savoir si les sentiments qu'on lui avait montrés étaient les sentiments d'un petit nombre, ou ceux de toute la ville. » Il fut convenu que l'assemblée serait convoquée pour le lendemain. XXXVIII. (1) Après cette entrevue, Pinarius se retire dans la citadelle et rassemble ses soldats. « Soldats, leur dit-il, vous savez tous, je pense, comment ces jours derniers, des garnisons romaines ont été surprises et massacrées par les Siciliens. (2) La bonté des dieux d'abord, puis votre courage, votre vigilance à rester nuit et jour sous les armes, vous ont garantis de la trahison; et plût aux dieux que nous pussions continuer à vivre ici sans avoir à souffrir ou à consommer quelque grand malheur! (3) Contre des attaques secrètes nous avons les précautions employées jusqu'ici par nous; mais, comme la trahison ne leur réussit pas, ils m'ont demandé hautemeut, ouvertement, de leur remettre les clefs des portes. Or, les clefs une fois livrées, Henna sera aux Carthaginois, et nous serons massacrés ici plus cruellement encore que ne l'a été la garnison de Murgantia. (4) J'ai obtenu avec peine une nuit pour me consulter, car je voulais, avant tout, vous faire part du péril qui nous menace. Au point du jour ils vont tenir une assemblée pour m'accuser et pour soulever contre vous le peuple. (5) Demain donc Henna sera inondé de notre sang ou de celui de ses habitants; attaqués les premiers, il ne vous reste plus d'espoir; en les attaquant, au contraire, il ne vous reste plus de danger à craindre. C'est à celui qui le premier tirera le glaive qu'appartiendra la victoire. (6) Tous, couverts de vos armes, et vous tenant sur vos gardes, vous attendrez le signal: je serai à l'assemblée, et je traînerai le temps à force de discours et de discussions, jusqu'à ce que tout soit prêt. (7) Lorsque, par un mouvement de ma toge, je vous aurai donné le signal, alors, de tous les côtés, poussez un cri, tombez sur la foule, tuez tout, et gardez bien qu'il reste un seul de ceux dont vous auriez à redouter quelque violence ou quelque surprise. (8) Et vous, vénérable Cérès; vous, Proserpine; vous tous, dieux du ciel et de l'enfer, qui habitez cette ville, ces lacs, ces bois sacrés, écoutez ma prière. Soyez-nous bienveillants et propices, s'il est vrai que ce soit pour éviter une trahison, et non pour en commettre une, que nous prenons cette résolution. (9) Soldats, je vous en dirais plus si vous deviez avoir à combattre des gens armés; mais ils sont sans armes, ils ne s'attendent à rien; vous en tuerez jusqu'à satiété. D'ailleurs le consul ayant son camp tout près de nous, il n'y a rien à craindre d'Himilcon et des Carthaginois. » 657 XXXIX. (1) Après ce discours ils se séparent et vont prendre de la nourriture et du repos. Le lendemain ils se placent à différents postes pour occuper les rues et fermer tout passage. La plus grande partie se tient au-dessus et dans les environs du théâtre où ils étaient accoutumés au spectacle des assemblées. (2) L'officier romain est amené par les magistrats devant le peuple: il répète que tout dépend du consul et nullement de lui-même, et il insiste sur tout ce qu'il avait dit la veille. (3) D'abord, quelques-uns seulement, puis un plus grand nombre, puis tous enfin lui ordonnent à la fois de rendre les clefs. Comme il hésite et qu'il diffère, ils s'emportent en menaces et semblent disposés à en venir à la force. Pinarius alors, comme il en était convenu, donne le signal avec sa toge. (4) Les soldats, attentifs depuis longtemps, et tout près à agir, poussent un grand cri. Les uns s'élancent du haut en bas sur l'assemblée, qu'ils prennent à dos, les autres se précipitent en foule à toutes les issues du théâtre. (5) Les citoyens, renfermés dans cette enceinte profonde, sont massacrés; ils tombent en masse, frappés par les Romains ou étouffés dans leur fuite. Précipités les uns sur la tête des autres, ils s'entassent, les blessés sur ceux qui ne le sont pas, les vivants sur les morts. (6) Les Romains se répandent de tous côtés. La fuite et le carnage remplissent Henna et la font ressembler à une ville prise d'assaut. Quoique les soldats n'eussent à massacrer qu'une foule sans armes, ils s'y portaient avec autant d'acharnement que s'ils eussent été animés par les risques et l'ardeur d'un combat à forces égales. (7) Ce coup de main coupable ou nécessaire conserva Henna aux Romains. Marcellus n'en témoigna point de mécontentement; il abandonna même aux soldats le butin fait dans la ville, persuadé que la crainte retiendrait les Siciliens et les empêcherait de livrer les garnisons romaines. (8) Ce désastre d'une ville placée au milieu de la Sicile, célèbre par la force de sa position naturelle, et par les sacrés vestiges qui s'y voient de l'enlèvement de Proserpine, se répandit presque en un seul jour dans toute la Sicile. (9) On regarda ce carnage affreux comme un attentat envers les dieux aussi bien qu'envers les hommes, et tous les peuples qui jusqu'alors ne s'étaient pas encore déclarés passèrent aux Carthaginois. (10) Hippocrate se retira à Murgantia, Himilcon à Agrigente, après avoir inutilement conduit leur armée vers Henna, où les appelaient des traîtres. (11) Marcellus rentra chez les Léontins; il fit venir dans son camp du blé et d'autres provisions, y laissa quelques troupes, et revint au blocus de Syracuse. (12) Envoyant alors à Rome Ap. Clandius briguer le consulat, il nomma à sa place T. Quinctius Crispinus pour prendre le commandement de la flotte et de l'ancien camp. (13) Lui-même il se construisit des quartiers d'hiver, qu'il fortifia, dans un lieu situé à cinq mille pas de l'Hexapyle, et que l'on appelle Léonte. Ce fut là tout ce qui se passa en Sicile jusqu'au commencement de l'hiver. XL. (1) Pendant cette campagne commença la guerre avec le roi Philippe. Depuis longtemps cette guerre était prévue. (2) Le préteur M. Valérius, qui commandait la flotte et les côtes de Brundisium et de la Calabre, reçut d'Oricum une députation qui lui annonça que Philippe avait remonté le fleuve 658 avec cent vingt galères à deux rangs de rames, qu'il avait fait d'abord une tentative sur Apollonia; (3) que, ne réussissant pas aussi vite qu'il l'avait espéré, il s'était approché de nuit, en secret, d'Oricum; que cette ville, située en plaine, sans remparts, sans garnison, sans armes, avait été emportée au premier assaut. (4) Ils suppliaient donc le préteur de venir à leur secours, et d'éloigner, soit avec une armée de terre, soit avec une flotte, cet ennemi déclaré de Rome, qui ne les attaquait que parce qu'ils étaient aux portes de l'Italie. (5) M. Valérius laisse pour garder le pays P. Valérius, son lieutenant, avec sa flotte toute prête et tout équipée; et, après avoir placé sur des vaisseaux de transport ceux des soldats qui ne pouvaient tenir sur les vaisseaux longs, il parvient le lendemain à Oricum, (6) où Philippe, en partant, n'avait laissé qu'une faible garnison. Il s'en rendit maître sans grande difficulté. (7) Des députés d'Apollonia vinrent l'y trouver lui annonçant « que leur ville était assiégée parce qu'ils n'avaient pas voulu renoncer à l'alliance de Rome; qu'elle ne pouvait résister plus longtemps aux efforts des Macédoniens, si l'on n'y envoyait pas une garnison romaine. » (8) Valérius promit ce qu'ils demandaient, et envoya à l'embouchure du fleuve deux mille soldats d'élite, embarqués sur des vaisseaux longs, et qu'il mit sous le commandement du chef des alliés Q. Naevius Crista, homme brave et habile officier. (9) Crista débarque ses troupes, renvoie ses vaisseaux rejoindre le reste de la flotte à Oricum, d'où il venait, et, s'éloignant du fleuve, il prend une route que les soldats du roi ne surveillaient nullement; puis, pendant la nuit, sans que personne chez les ennemis s'en fût aperçu, il entre dans Apollonia. (10) Le jour suivant on se reposa; toutefois Naevius passa en revue la jeunesse de la ville, les armes et les forces qu'elle pouvait fournir. Ce qu'il en vit le remplit d'espoir; instruit d'ailleurs par ses éclaireurs de la négligence et de l'insouciance des ennemis, (11) dans le silence de la nuit il sortit sans bruit de la ville, et trouva le camp macédonien si mal gardé et d'un si facile accès, qu'il est constant que mille hommes entrèrent dans le retranchement avant que personne s'en fût aperçu. Si nos soldats ne se fussent pas mis à tuer, ils auraient pu parvenir jusqu'à la tente du roi. (12) Le massacre de ceux qui étaient placés près des portes réveilla les autres; alors la terreur, l'effroi qui s'emparèrent de toute l'armée furent si grands, que non seulement personne ne prit les armes et n'essaya de chasser l'ennemi du camp, (13) mais que le roi lui-même s'enfuit demi-nu, comme il s'était réveillé, et clans un état peu convenable, je ne dirai pas à un roi, mais à un soldat, pour gagner le fleuve et la flotte. C'était là aussi que se portait toute la foule. (14) Il y eut un peu moins de trois mille soldats pris ou tués dans le camp. Le nombre des prisonniers fut plus considérable que celui des morts. (15) Le camp fut pillé. Les habitants d'Apollonia rapportèrent dans la ville les catapultes, les balistes et toutes les autres machines préparées pour le siège, dans l'intention de les employer à la défense de leurs murailles, si pareil événement se représentait. Tout le reste du butin pris dans le camp 659 fut abandonné aux Romains. (16) Sitôt que la nouvelle en fut parvenue à Oricum, M. Valérius conduisit sa flotte à l'embouchure du fleuve, afin d'empêcher le roi de s'échapper par mer. (17) Alors Philippe, désespérant de résister sur terre ou sur mer, fait échouer ou brûle ses vaisseaux, et regagne par terre la Macédoine avec des soldats en grande partie désarmés et dépouillés de tout. La flotte romaine, commandée par M. Valérius, passa l'hiver à Oricum. XLI. (1) Cette même année, les succès furent balancés en Espagne. En effet, avant que les Romains passassent l'Èbre, Magon et Hasdrubal avaient défait des corps nombreux d'Espagnols; (2) l'Espagne ultérieure eût même renoncé à l'alliance de Rome, si Pub. Cornélius, traversant rapidement l'Èbre avec son armée, ne fût venu à temps pour raffermir les alliés indécis. (3) Les Romains campèrent d'abord à Castrum Album, lieu célèbre par la mort du grand Hamilcar. (4) C'était une citadelle fortifiée où l'on avait transporté des grains. Toutefois, comme les ennemis occupaient tout le pays, et que leur cavalerie avait impunément attaqué l'armée romaine et tué environ deux mille hommes, restés en arrière ou qui erraient dans les campagnes, les Romains se retirèrent dans des lieux plus tranquilles, et établirent un camp fortifié auprès du mont de la Victoire. (5) Cn. Scipion y était avec toutes ses troupes. Hasdrubal, fils de Gisgon, l'un des trois généraux carthaginois, arriva aussi avec une armée régulière, et tous s'établirent de l'autre côté du fleuve, en face du camp romain. (6) Pub. Scipion, avec quelques troupes légères, partit secrètement pour reconnaître les lieux d'alentour: il fut aperçu des ennemis qui l'eussent écrasé dans la plaine, s'il ne se fût emparé d'une hauteur qui se trouvait près de là. Il y fut entouré; mais l'arrivée de son frère le délivra. (7) Castulo, ville d'Espagne très forte et très célèbre, et tellement attachée aux Carthaginois qu'Hannibal y avait pris une femme, passa cependant aux Romains. (8) Les Carthaginois entreprirent le siège d'Iliturgis, où se trouvait une garnison romaine, et il semblait que la famine plutôt que la force dût les en rendre possesseurs. (9) Cn. Scipion, afin de porter secours à ses alliés et à la garnison, partit avec une légion sans bagages, traversa les deux camps après avoir fait un grand massacre des ennemis, et entra dans la ville. Le lendemain il fit une sortie également heureuse. (10) Dans ces deux combats les ennemis perdirent plus de douze mille hommes; on en prit plus d'un mille et trente-six enseignes. Aussi se retirèrent-ils de devant Iliturgis. (11) Ils commencèrent ensuite le siège de Bigerra, autre alliée des Romains. À l'arrivée de Cn. Scipion, le siège fut levé sans combat. XLII. (1) Déjà les Carthaginois se portèrent sur Munda; les Romains les y suivirent. (2) On s'y battit en ligne pendant près de quatre heures. Les Romains étaient évidemment victorieux lorsqu'on sonna la retraite. Scipion venait d'avoir la cuisse percée d'un coup de pique, et autour de lui les soldats avaient été saisis de la crainte que la blessure ne fût mortelle. (3) Sans ce malheur, le camp des Carthaginois eût été pris ce 660 jour-là. Déjà les soldats, les éléphants, avaient été poussés jusqu'aux retranchements et sous les retranchements mêmes, trente-neuf éléphants avaient été percés de traits. (4) Dans ce combat, il y eut encore, dit-on, douze mille hommes de tués; trois mille à peu près furent pris avec cinquante- sept enseignes. (5) Les Carthaginois se retirèrent vers la ville d'Auringis, où les Romains les poursuivirent pour profiter de leur terreur. Scipion, porté sur une litière, leur livra encore un combat, où la victoire ne fut pas douteuse. Toutefois on tua la moitié moins d'ennemis, parce qu'il restait moins de combattants. (6) Mais cette nation était née pour faire la guerre et pour en réparer les pertes. Hasdrubal envoya son frère Magon pour lever de nouvelles troupes. Les cadres furent bientôt remplis, et ils inspirèrent à leur armée assez de résolution pour hasarder encore une bataille. (7) Mais les soldats, bien différents de leurs généraux, combattant pour un parti tant de fois vaincu en quelques jours, marchèrent à l'ennemi dans les mêmes dispositions qu'auparavant et aussi avec le même malheur. (8) Il y eut plus de huit mille hommes de tués; on en prit à peu près mille avec cinquante-huit enseignes. Presque tout le butin se composa de dépouilles gauloises, de colliers d'or, de bracelets en grand nombre; il périt aussi à cette bataille deux chefs gaulois de distinction, Moeniacoeptus et Vismarus. Huit éléphants furent pris, trois furent tués. (9) En voyant leur succès en Espagne, les Romains rougirent enfin d'avoir laissé, depuis huit ans déjà, au pouvoir des ennemis la ville de Sagonte, cause première de cette guerre. (10) Ils en chassèrent la garnison carthaginoise, reprirent la ville et la rendirent à ceux des anciens habitants qu'avaient épargnés les malheurs de la guerre. (11) Quant aux Turdétans, qui avaient été cause de la guerre entre Sagonte et Carthage, ils les soumirent, les vendirent comme esclaves et rasèrent leur ville. XLIII. (1)Voilà ce qui se passa en Espagne sous le consulat de Q. Fabius et de M. Clandius. (2) À Rome, dès l'entrée en charge des nouveaux tribuns du peuple, L. Métellus, l'un d'eux, cita devant le peuple P. Furius et M. Atilius, les deux censeurs. (3) L'année précédente, quoiqu'il fût questeur, ils lui avaient ôté son cheval, l'avaient chassé de sa tribu, et mis au rang des contribuables, parce qu'il avait formé à Cannes le complot d'abandonner l'Italie. Grâce aux neuf autres tribuns, les censeurs ne furent pas obligés de se défendre pendant qu'ils étaient encore en charge, et on les renvoya absous. (4) La mort de P. Furius empêcha qu'ils ne terminassent le dénombrement. M. Atilius se démit de ses fonctions. (5) Les comices pour les élections consulaires furent présidés par le consul Q. Fabius Maximus. Les deux consuls nommés, quoique absents, furent Q. Fabius Maximus, fils du consul, et Ti. Sempronius Gracchus pour la seconde fois. (6) On nomma préteurs M. Atilius et P. Sempronius Tuditanus, Cn. Fulvius Centimalus, et M. Émilius Lépidus, tous trois alors édiles curules. (7) La tradition rapporte que les jeux scéniques, célébrés pendant quatre jours, furent cette année, pour la première fois, présidés par les édiles curules. (8) Cet édile Tuditanus était celui qui, 661 à Cannes, lorsque toute l'armée était glacée de terreur par un pareil désastre, s'échappa à travers les ennemis. (9) Les comices terminés, sur la proposition du consul Q. Fabius, les consuls désignés furent appelés à Rome pour entrer en fonctions. Ils consultèrent le sénat sur la guerre, sur leur gouvernement, ainsi que sur celui des préteurs, sur les armées et sur le choix de ceux à qui on confierait chacune d'elles. XLIV. (1) On fit donc le partage des provinces et des armées. On confia aux consuls la guerre contre Hannibal avec le commandement des deux armées de Sempronius et du consul Fabius. Elles étaient chacune de deux légions. (2) Le préteur M. Émilius, chargé par le sort de la juridiction des étrangers, remit ses pouvoirs à M. Atilius, son collègue, préteur de la ville, et prit lui-même le commandement de Lucéria et des deux légions qu'avait commandées Q. Fabius, en ce moment consul. (3) P. Sempronius eut pour département Ariminum, et Cn. Fulvius Suessula, avec deux légions chacun. Fulvius devait se mettre à la tête des légions urbaines, et Tuditanus recevoir les siennes de M. Pomponius. (4) M. Claudius fut continué dans son commandement en Sicile: ce commandement avait pour limites celles de l'ancien royaume d'Hiéron. Le propréteur Lentulus conserva l'ancienne province; P. Otacilius, la flotte. On n'y envoya point de nouvelle armée. (5) M. Valérius eut la Grèce et la Macédoine avec la légion et la flotte qu'il avait déjà. Q. Mucius avec l'ancienne armée, qui était composée de deux légions, eut la Sardaigne; C. Térentius, une légion qu'il commandait déjà, et le Picénum. (6) On enrôla en outre deux légions urbaines et vingt mille alliés. Tels furent les chefs et les troupes qui devaient soutenir l'empire romain contre tant de guerres commencées déjà ou qu'il avait à craindre. (7) Les consuls, après avoir enrôlé les deux légions urbaines et complété les autres, expièrent, avant de quitter la ville, les prodiges qui avaient été annoncés. (8) Les murailles et les portes avaient été frappées de la foudre, et, dans la ville d'Aricie, le temple même de Jupiter avait été atteint du feu du ciel. Les yeux, les oreilles du peuple avaient été frappés par d'autres illusions, auxquelles toutefois on ajoutait foi. À Terracine, sur le fleuve, on avait vu des apparences de vaisseaux longs qui ne s'y trouvaient pas, et dans le temple de Jupiter Vicilinus, qui est sur le territoire de Compsa, le bruit des armes avait retenti. À Amiternum, les eaux avaient roulé du sang. (9) Quand tous ces prodiges eurent été expiés, d'après la décision des pontifes, les consuls partirent, Sempronius pour la Lucanie, Fabius pour l'Apulie. Fabius le père se rendit au camp de Suessula pour servir comme lieutenant de son fils. (10) Le fils vint à la rencontre du père, précédé des licteurs qui se taisaient par respect pour un si grand homme. Déjà le vieillard avait passé à cheval onze faisceaux, quand le consul ordonna au licteur le plus proche de faire attention à sa charge. Celui-ci ayant alors crié à Maximus de descendre de cheval, le vieillard descendit, en disant: « J'ai voulu voir, mon fils, si tu comprenais bien que tu es consul. » XLV. (1) Dasius Altinius d'Arpi vint la nuit en secret, avec trois esclaves, trouver le consul, et lui promit que si une récompense lui était assurée, il 662 lui livrerait Arpi. (2) Fabius en instruisit le conseil, et tous furent d'avis qu'il « fallait frapper de verges et faire périr comme transfuge ce perfide ennemi des deux nations, qui, après la défaite de Cannes, comme si la fidélité devait toujours être du côté de la fortune, s'était retiré auprès d'Hannibal, et avait déterminé la défection d'Arpi; (3) et qui, maintenant que Rome, contre ses espérances et ses voeux, ressuscitait, pour ainsi dire, offrait une nouvelle et plus honteuse trahison à ceux qu'il avait déjà trahis. Toujours du parti contraire à celui qu'il a embrassé, infidèle allié, ennemi sans foi, après les deux misérables qui avaient voulu trahir Falères et le roi Pyrrhus, il fallait en faire un troisième exemple pour les transfuges. » (4) Fabius, au contraire, le père du consul, disait « que c'était oublier l'état on se trouvaient les affaires, que de vouloir, au milieu de la guerre, porter sur chacun, comme si l'on était en paix, un jugement libre de toute considération extérieure; (5) qu'alors qu'il fallait avant tout penser à tous les moyens possibles d'empêcher quelque allié d'abandonner le peuple romain, ils voulaient, sans tenir aucun compte de cette position, faire un exemple de ceux qui se repentaient, et, reportaient avec regret leurs regards sur l'alliance à laquelle ils avaient renoncé. (6) Que s'il était permis de quitter les Romains, et défendu de jamais revenir à eux, il ne fallait pas douter que Rome n'aurait bientôt plus un seul allié, et que tous les peuples de l'Italie se joindraient aux Carthaginois. (7) Il était loin cependant de penser qu'on dût accorder la moindre confiance à Altinius, mais il voulait prendre un moyen terme. (8) Il fallait, pour le moment, ne le regarder ni comme ennemi ni comme allié, mais le mettre en surveillance, quoique libre, dans quelque ville fidèle, peu éloignée du camp, et l'y garder pendant toute la guerre; que, la guerre une fois terminée, on verrait s'il avait mérité par sa première trahison plus de châtiments que d'indulgence par son retour. » (9) L'avis de Fabius fut adopté; Altinius fut chargé de chaînes, lui et ses compagnons; on garda pour la lui rendre une quantité d'or assez considérable qu'il avait apportée. (10) Il fut placé à Calès. Là, pendant le jour, on le laissait libre, quoique suivi de ses gardiens, et la nuit, on le renfermait. (11) À Arpi, sa patrie, on le regretta d'abord, et l'on fit quelques recherches. Mais bientôt la nouvelle se répandit par toute la ville, et comme il en était le chef, sa perte y fit naître quelque tumulte. Dans la crainte d'un changement, on envoya avertir Hannibal. (12) Le Carthaginois ne s'affligea pas de cet événement. Depuis longtemps, en effet, il se défiait d'Altinius comme d'un traître; outre qu'il trouvait une occasion de s'emparer des biens d'un homme si riche et de les vendre. (13) Du reste, pour faire croire qu'il se laissait aller, non pas à son avidité, mais à sa colère, il se montra sévère jusqu'à la cruauté. (14) Il fit venir au camp la femme et les enfants d'Altinius, les interrogea d'abord sur sa fuite; puis sur ce qu'il avait laissé chez lui d'or et d'argent, et lorsqu'il fut bien instruit de tout, il les fit brûler vivants. XLVI. (1) Fabius partit de Suessula et vint d'abord assiéger Arpi. Il s'établit à cinq cents pas envi- 663 ron de la ville, examina de près sa position et celle de ses remparts, et voyant que la partie la mieux fortifiée était la plus négligemment gardée, il résolut de concentrer sur ce point ses attaques. (2) Après s'être pourvu de tout ce qui est nécessaire pour un siège, il réunit les centurions les plus braves de toute l'armée, leur donna pour chefs des tribuns, hommes de coeur, mit à leur disposition six cents soldats, ce qui lui parut suffisant, et leur donna l'ordre de porter, au signal de la quatrième veille, des échelles au lieu désigné. (3) Il y avait là une porte basse et étroite, qui donnait sur une rue solitaire dans une partie déserte de la ville. Il leur enjoint de franchir cette porte avec leurs échelles, puis de se diriger vers le mur, et de briser en dedans les serrures, et une fois maîtres de cette partie de la ville, d'en avertir l'armée en sonnant de la trompette, afin que le consul fit avancer le reste des troupes, que de son côté il tiendrait tout convenablement disposé. (4) Ces mesures furent exécutées avec activité, et ce qui paraissait devoir être un obstacle les aida plus que tout le reste à tromper l'ennemi. Ce fut une pluie violente qui, tombant au milieu de la nuit, força les gardes et les sentinelles à s'éloigner de leurs postes et à se réfugier dans des maisons. (5) D'abord le fracas de l'orage empêcha d'entendre le bruit que faisaient les Romains en enfonçant la porte, puis la chute plus lente et plus mesurée de la pluie, venant frapper les oreilles des gardes, les endormit pour la plupart. (6) Une fois maîtres de la porte, les Romains placent dans la rue leurs trompettes à égales distances et leur ordonnent de suriner pour avertir le consul. (7) À ce signal convenu entre eux, le consul fait avancer ses troupes, et quelques instants après il entre dans la ville par la porte qui vient d'être brisée. XLVII. (1) Alors enfin les ennemis se réveillèrent; la pluie s'apaisait, et le jour était déjà proche. (2) Il y avait dans la ville une garnison carthaginoise de cinq mille hommes environ, et trois mille habitants étaient armés. Les Carthaginois les placèrent au premier rang, en face de l'ennemi, car ils voulaient éviter d'être eux-mêmes surpris par derrière.(3) On combattit d'abord dans les ténèbres, dans des rues étroites, les Romains s'étant emparés des rues et même des maisons les plus proches de la porte, afin qu'on ne pût les attaquer et les blesser du haut des toits. (4) Comme ils avaient quelques connaissances dans la ville, il s'établit des conversations entre eux et ceux d'Arpi. (5) Les Romains leur demandaient ce qu'ils voulaient, quels mauvais traitements de la part de Rome ou quels bienfaits des Carthaginois les avaient engagés, eux Italiens, à combattre contre les Romains, leurs anciens alliés, en faveur d'étrangers et de barbares, et à travailler ainsi à rendre l'Italie tributaire et esclave de l'Afrique. (6) Ceux-ci, pour se justifier, disaient que leurs chefs les avaient vendus, sans qu'ils fussent prévenus de rien, aux Carthaginois; qu'ils avaient été surpris et opprimés par un petit nombre d'entre eux. (7) Le colloque ainsi commencé se propageant de part et d'autre, le préteur d'Arpi est amené par les siens devant le consul. Là, à la vue des enseignes, au milieu du combat, ils jurent alliance, et aussitôt les habitants prennent parti pour les Romains contre les Carthaginois. (8) Les Espagnols aussi, qui étaient à 664 peu près mille, passent au consul sous la seule condition que l'on renverra, sans la maltraiter, la garnison carthaginoise. (9) On lui ouvrit les portes, et on la renvoya fidèlement à Hannibal, qu'elle rejoignit, saine et sauve, à Salapia. (10) Arpi revint donc aux Romains sans qu'il y eût d'autre victime qu'un seul homme, traître autrefois et maintenant transfuge. (11) Les Espagnols reçurent double ration: la république eut souvent occasion d'éprouver leur bravoure et leur fidélité. (12) Tandis que l'un des consuls était en Apulie et l'autre en Lucanie, cent douze nobles cavaliers campaniens, sous prétexte d'aller piller le territoire ennemi, obtinrent des magistrats la permission de sortir de Capoue, et se rendirent au camp romain de Suessula. Ils déclarèrent aux portes qui ils étaient, et qu'ils voulaient parler au préteur. (13) C'était Cn. Fulvius qui commandait. Dès qu'il en fut averti, il donna l'ordre que dix d'entre eux fussent amenés devant lui sans armes; après avoir entendu leur demande (ils ne voulaient rien d'autre que de rentrer dans leurs biens après la prise de Capoue), il les reçut tous en grâce. (14) L'autre préteur, Sempronius Tuditanus avait emporté d'assaut la ville d'Atrinum. Il y prit plus de sept mille hommes, et une certaine quantité de cuivre et d'argent monnayé. (15) À Rome il y eut un horrible incendie qui dura deux nuits et un jour. Tout fut consumé jusqu'au sol, depuis les Salines et la porte Carmentale, jusqu'à l'Aequimélium et la rue Jugarius. (16) De l'autre côté de la porte, le feu s'étendit au loin, et dévora beaucoup d'édifices, saints ou profanes, dans les enceintes consacrées à la Fortune, à la déesse Matuta et à l'Espérance. XLVIII. (1) Cette même année, les deux Scipions, après des succès brillants en Espagne, après avoir renoué beaucoup d'anciennes alliances et en avoir formé de nouvelles, portèrent leurs espérances jusque sur l'Afrique. (2) Syphax, roi des Numides, était devenu tout à coup l'ennemi de Carthage. (3) Ils envoyèrent auprès de lui trois centurions pour faire avec lui un traité d'amitié et d'alliance, et lui promettre, s'il continuait à faire la guerre aux Carthaginois, que le sénat et le peuple romain lui en sauraient bon gré, et feraient dans l'occasion tous leurs efforts pour lui en témoigner largement leur reconnaissance. (4) Cette députation fut agréable au Barbare. II eut avec les envoyés une conversation sur les moyens de faire la guerre, et d'après ce que lui dirent ces vieux soldats, en comparant cette merveilleuse organisation des troupes romaines avec celle de ses propres troupes, il sentit combien de choses il ignorait aussi. (5) Il leur demanda, avant tout, que pour agir en bons et fidèles alliés, « deux des centurions seulement allassent rendre compte de leur ambassade à leurs généraux, et qu'un des trois restât auprès de lui pour enseigner aux Numides l'art militaire; que sa nation était tout à fait inhabile aux combats d'infanterie, et ne savait se servir que de ses chevaux; (6) que, dès l'origine, leurs ancêtres avaient combattu à cheval, et qu'eux-mêmes, depuis leur enfance, n'avaient pas appris à combattre autrement; qu'ayant un ennemi dont 665 l'infanterie était excellente, pour ne pas lui être inférieur, il fallait qu'il organisât aussi une infanterie; (7) que son royaume produisait des hommes en abondance, mais qu'il ignorait la manière de les armer, de les équiper, de les disposer en troupes; que son armée, comme toute multitude rassemblée au hasard, ne présentait que des masses en désordre. » (8) Les envoyés répondirent qu'ils allaient faire à l'instant même ce qu'il demandait, après avoir reçu la parole du roi qu'il renverrait leur collègue si les généraux n'approuvaient pas leur conduite. (9) Celui qui resta auprès du roi se nommait Q. Statorius. Le Numide, avec les deux autres Romains, envoya en Espagne des ambassadeurs qui devaient recevoir la parole des deux généraux, (10) et travailler en même temps à gagner au plus tôt les Numides auxiliaires qui faisaient partie des garnisons carthaginoises. (11) Statorius, dans cette nombreuse jeunesse, créa au roi une infanterie. D'après la méthode romaine, il leur apprit à se former en ligne, à courir en suivant leurs enseignes, à garder leurs rangs. (12) Enfin il les accoutuma tellement au travail et à tout ce qu'exige la discipline militaire, que bientôt le roi eut autant de confiance dans son infanterie que dans sa cavalerie. Il se rencontra avec les Carthaginois en plaine, et les défit dans une bataille régulière. (13) Les Romains, de leur côté, gagnèrent beaucoup en Espagne à l'arrivée des envoyés du roi. Car les Numides, dès qu'ils en furent informés, passèrent en grand nombre aux Romains. Ainsi fut conclue l'alliance avec Syphax. À cette nouvelle, les Carthaginois envoyèrent une ambassade à Gaïa, lequel régnait sur une autre partie de la Numidie, dont les habitants sont appelés Massyliens. XLIX. (1) Gaïa avait un fils nommé Masinissa, âgé de dix-sept ans, jeune homme dont le caractère annonçait déjà qu'il rendrait son royaume plus vaste et plus considérable qu'il ne l'aurait reçu de son père. (2) Les députés annoncent à Gaïa « que, puisque Syphax s'était uni aux Romains pour devenir, à l'aide de leur alliance, plus puissant contre les rois et les peuples de l'Afrique, (3) il était de l'intérêt de Gaïa de s'unir au plus tôt aux Carthaginois, avant que Syphax passât en Espagne ou les Romains en Afrique. Que l'on pourrait ainsi écraser Syphax, qui n'était encore allié de Rome que de nom. » (4) Gaïa se laissa facilement persuader d'envoyer une armée, car son fils désirait cette guerre. Le jeune homme, unissant ses troupes à celles des Carthaginois, défit Syphax dans une grande bataille. Trente mille hommes, dit-on, y furent tués. (5) Syphax, avec quelques cavaliers, s'échappa du champ de bataille, et se réfugia chez les Maures Numides, qui habitent tout à l'extrémité, sur le bord de l'océan, en face de Gadès. Au bruit de son nom, les barbares arrivèrent de tous côtés, et il en forma bientôt une immense armée. (6) Avant qu'il passât avec eux en Espagne, dont il n'était séparé que par un détroit, Masinissa arriva avec ses troupes victorieuses, et là, tout seul, sans aucun secours de Carthage, il soutint glorieusement la guerre contre Syphax. (7) En Espagne, il ne se passa rien de mémorable, si ce n'est que les généraux romains attirèrent à eux la jeunesse des Celtibères, pour la même solde que celle dont ils étaient convenus avec les Carthaginois, (8) et ils envoyèrent en Italie plus de 666 trois cents Espagnols des plus nobles familles, afin qu'ils essayassent de gagner ceux de leurs compatriotes qui servaient comme auxiliaires dans l'armée d'Hannibal. Il n'y eut dans toute cette année, en Espagne, qu'une seule chose de remarquable, c'est que les Celtibères furent les premiers soldats mercenaires que les Romains eussent jamais admis dans leurs armées. Au début de ce livre Tite Live a fait usage d'annales plus développées, d'après lesquelles il a rapporté les faits qu'Il avait déjà indiqués précédemment à leur place. Ensuite il raconte les événements de Sicile, en ce qui concerne Hiéronyme; événements sur lesquels il paraît que Polybe s'était fort étendu. Il reprend aussi, d'après les historiens latins, les événements de Rome (ch. VII, et suiv. ); les comices tenus par Q. Fabius, et sa harangue aux centuries. Au chap. VI et suiv., les événements de Sicile, tels qu'il sont racontés, paraissent tirés du VIle livre de Polybe (ch. II et suiv. ), dont le récit est plus détaillé et plus exact. Tite-Live a passé sous silence, au sujet de l'ambassade, plusieurs laits qui étaient défavorables aux Romains. Ch. VII, là encore le récit de Polybe est beaucoup plus détaillé que celui de Tite-Live, qui suit toujours l'historien grec, mais en omettant la description géographique de Léontium et les traditions fabuleuses rapportées dans les annales, et dont Potybe avait fait mention. Il a omis encore plusieurs faits relatifs à l'expédition de Philippe en Grèce (cf. Polybe, VII, 9 et suiv.), aux Achéens, et au roi Antiochos. Dans la description du siége de Syracuse (ch. XXXIV et suiv.) il a fait aussi usage de Polybe, mais en intercalant dans son récit plusieurs faits tirés d'autres auteurs (cf. Polybe, VII, 6 et suiv. ) Il en a omis d'autres, par exemple la description de la machine de guerre appelée sambuca, de la main de fer, le mot plaisant de Marcellus. Matthiæ, dans ses Anmerkungen zu der Liv. - Polyb. Besrhr. der Belagerung, v. Syracus, p. 21, a comparé avec soin le récit de Tite-Live avec celui de Polybe, et a montré sur plusieurs points l'inexactitude de Tite-Live. Le chap. XI., sur Philippe, est tiré de Polybe (cf. VII, 10 ), mais Tite-Live a omis ce que l'auteur grec rapporte de Messène. — Ch. XLIII. On raconte, dit-il, que les jeux scéniques furent célébrés, pour la première fois, cette année-là. Cette tradition était sans doute consignée dans les annales latines. Il omet ensuite tout ce que Potlybe (VII. 14-25 ) nous apprend de Philippe et d'Antiochus. Au chap. XLIX, Syphax se réfugie, après la bataille, chez les Maurusiens, qui occupent l'extrémité du continent vis-à-vis Cadix, sur les bords de l'Océan (extremi prope Oceanum adversus Gades colunt). Nauta, sur les fragments de Coelius, p.58, remarque que ces paroles sont presque identiques avec celles de Coelius citées par Servius ( ad En., IV, 206 ) : Maurusii qui juxta Oceanum colunt, et en conclut que Tite-Live a tiré ce détail de Coelius. CHAP. I. — Graecas urbes tentavit. Ceci ne s'accorde pas avec ce que dit Polybe, III, 118, qu'après la bataille de Cannes presque toute la grande Grèce embrassa le parti d'Annibal; Tite-Live (XXII, 61) mentionne parmi les peuples qui se séparèrent des Romains, omnis ferme ora Græcorum. IBID. — lnterim Locrenses, etc. Tite-Live raconte ici le siége de Locres, qui pourtant s'était rendue aux Carthaginois et aux Bruttiens ( voyez ch. XXX, du livre précédent). Sigonius défend Tite-Live en disant qu'il revient sur des faits accomplis, et rapporte en détail ce qu'il n'avait qu'indiqué sommairement. Mais ceci n'est pas sans difficulté: car, plus loin, dans le même livre (XXIll, 41), nous voyons Bomlcar arriver à Locres, avec un renfort de troupes, d'éléphants, de vivres; et les Locriens fermer leurs portes à Appius Claudius Pulcher, qui arrivait de Sicile pour détruire la flotte de Bomilcar. Or il est certain que cela se passait avant l'expédition d'Annibal sur Nola. Et, comme ultérieurement nous voyons Locres encore occupée par une garnison romaine, il faudrait expliquer comment les Locriens ont pu fermer leurs portes à App. Claudius. CHAP. III. — Templum Laciniae Junonis. Ce temple était sur le promontoire de Lacinium, appelé aujourd'hui Capo delle colonne, sans doue à cause des colonnes qui subsistent encore. Il était recouvert en marbre. Voyez XXVIII, 46; XLII, 3; Val.-Max., I, t, 20; Lactance, hist., II, 7, 15; Strabon, VI, 1, 11 et 12, p. 261-265; les interprètes de Virgile, ad Aen., Ill, 552; Ovide, Met., XV, 12 et suiv.; Cicer, de Div., I, 24 et de Invent, Il, 1. 2 (où il raconte que Zeuxis avait été appelé pour orner ce temple de peintures) ; Justin, XX, 4. Athen., XII, 58. Cf. Heyne, Opusc. acad., t. II, p. 174-186; Jacobs, sur l'anthol. gr. l. I, p. 1, p. 413, et surtout le Voyage dans la grande Grèce de Riedesel, qui décrit les ruines du temple (t. Il, p. 191 et suiv. ). CHAP. IV. — Quinquaginta annos ab se cultam. Hiéron était entré dans l'alliance des Romains la deuxième année de la première guerre punique, sous le consulat de M. Valerius Maximus et de M. Otacilius Crassus, l'an de Rome 388. 908 CHAP. V. — Hieronymus velut suis vitiis. Selon Polybe, VII, 7, les vices d'Hiéronyme ont été exagérés par les historiens. IBID. — Nec vestis habitu, nec alio ullo insigni. Spanheim (de praest. et unu numism. Dissert., VIII § 12) conclut de ce passage que les monnaies d'Hiéron et de Gélon, dont l'effigie porte un diadème, sont postérieures à ces princes, et n'ont été frappées qu'après leur mort pour honorer leur mémoire. IBID. — Thraso quidam. C'est ce Thrason, flatteur d'Hiéronyme, selon le témoignage d'Athénée, et qu'un autre flatteur, nommé Osis, aurait fait périr, selon le même auteur (VI, 59, p. 232) : κόλακα γενέσθαι Θράσωνα τὸν Κάρχαρον ἐπικαλούμενον. Et il ajoute : Τοῦτον δ' ἐποίησεν ἀναιρεθηναι ὑπὸ τοῦ Ἱερωνύμου ἕτερος κόλαξ Ὦσις ὄνομα. Il faut probablement, comme l'a vu Gronove, lire Σῶσις, qui serait alors le même Sosis que Tite-Live nomme ensuite parmi les conjurés qui tuèrent le tyran. Voy. ch. XXI, XXII, XXV. IBID. V.— Avertit ab consciis in insontes indicium. etc. Cette phrase offre des difficultés. Une ancienne édition porte, à la suite d'ab latere, ces mots inde eos nominat. M. Lemaire adopte ce texte et lit ainsi :,... Avertit ab conscils in insontes indicium. Trasonem ... ausuros. ab latere inde eos nominat tyranni, quorum, etc. Cette leçon est nette et le sens, qui en résulte, fort clair Gronove rejette ces mots inde eos nominat, parce qu'ils manquent dans les meilleurs manuscrits, et Il lit : Avertit ab consciis in insontes indicium (Thrasonem... ausuros ab latere tyrannis, quorum, etc. Faisant rapporter ainsi ab latere tyranni à ce qui précède la parenthèse, au mot insontes. A la rigueur cette leçon est intelligible, mais difficilement acceptable pour la latinité. Je trouve une troisième leçon dans cette édition et dans celle de la collection Panckoucke. Suivant cette leçon, ab latere n'est nullement séparé d'ausuros, et s'y rapporte immédiatement, ce qui fait dire à la traduction, les intimes du tyran n' auraient jamais osé. Mais il est évident que ab latere rentre dans le récit général, et ne peut appartenir, en aucune façon, à la phrase indirecte qui dépend de mentitus: encore bien moins les mots qui suivent, quorum capita. Et, ce qui le prouve, c'est que le traducteur n'a pu les rendre intelligibles qu'en traduisant les mots inde eos nominat, que cette leçon n'admet pas : et il nomma parmi les plus indignes. Dans l'édition Panckoucke le traducteur, s'apercevant de la difficulté qu il y a à rapporter ab latere à ausuros, a laissé là son texte, et traduit exactement celui de l'éd. Lemaire. C'est en effet à ce dernier qu'Il faut s'en tenir. Draekenborch qui reconnaît, avec Crévier, combien la physionomie de la leçon de Gronove est peu latine, ne la conserve que faute d'une meilleure, et par cette seule raison que l'autre n'est pas autorisée par les manuscrits. Mais M. Lemaire remarque que l'ancienne édition, d'où elle est tirée, a fort bien pu la prendre dans des manuscrits perdus. En outre ces mots, inde eos nominal, sont appelés très naturellement, par ceux qui suivent. quorum capita occurrere « et il nomma ensuite ceux qui lui venaient à l'esprit. » Et, comme nous l'avons fait remarquer, il est presque impossible de rendre ces derniers mots sans y ajouter cette idée. Je m'aperçois encore que, dans un autre endroit, le traducteur n'a pas bien saisi cette phrase. Il dit : et il nomma parmi les plus indignes ceux qui en outre se présentaient, etc., tandis que le texte dit simplement : parmi les intimes du tyran, il nomma les plus vils qui se présentèrent à son esprit. Quand au sens du mot ab latere, voyez Q. Curce (III, 5 ) : « Inexperta remedia haud injuria ipsis esse suspecta, quum ad perniciem ejus etiam a latere ipsius pecunia sollicilaret hostis. » Il est expliqué spécialement ici par ce passage de Valère-Maxime ( III, 3, se rapportant au même événement et au même homme et ou il a peut-être eu en vue la phrase de Tite-Live : « Satellitem (Thrasonem), in quo totius dominationis summa, quasi quodam cardine, versabatur, falsa criminatione inquinando, fidum lateri ejus custodem eripiunt. » CHAP. VII. — Legatique ad Annibalem missi. Ces députés étaient Polyclite de Cyrène et Philodème d'Argos; Polybe ( VII, 2 ) : Πολύκλειτος ὁ Κυρηναῖος καὶ Φιλόγημος ὁ Ἀργεῖος ; Tite-Live les nomme plus tard (XXV, 25 et 28 Polycitus Cyreneus et Plilodemos Argivus. IBID. -- Ac remissi ab eo, etc. Polybe (ibid.) : Ἀπέπεμψε τοὺς πρεσβεῖς (Annibal ), σὺν σὲ τούτοις Ἀννίβαν τὸν Καρχηδόνιον ὄντα τριηραρχον, καὶ τοὺς Συρακοσίους Ἱπποκράτη καὶ τὸν ἀδελφὸν αὑτοῦ τὸν νεώτερον Ἐπικύδην. Cet Annibal ne reparaît pas dans la suite du récit de Tite-Live, où les deus autres jouent au contraire un grand rôle. C'est ce qui fit croire à Glareanus que le texte était altéré, et il corrigea : remissi ab eodem Annibale nobiles adolescentuli. Cette correction, approuvée par Sigoulus, fut reçue dans un grand nombre d'éditions quoique Ursinus en eût démontré la fausseté en citant ce passage de Polybe, dont le témoignage est cependant positif. Cet Annibal partit, à ce qu'il parait, de Syracuse avec les députés qu'Hieronyme envoya au sénat de Carthage: voilà pourquoi il ne reparaît plus ensuite. Hippocrate et Epicyde, nés à Carthage, et d'une mère carthaginoise, étaient originaires de Syracuse, dont leur aïeul avait été exilé, pour avoir tué, disait-on, Agacharchus, un des fils d'Agathocle. CHAP. VIL — Dinomeni fuit nomen. Pausanias ( V, II, 12 ), parle aussi de ce Dinomène, par la main duquel il fait périr, à tort, non pas Hiéronyme, mais Hiéron l'aïeul de celui-ci, IBID. — Provinciam regnique fines, etc. Ce texte n'a pas de sens, mais il est donné par tous les manuscrits. Pighius (Annal., p. 11)5) pense qu'il faut lire ad provinciae regnique fines. Cela est très raisonnable. Après la première guerre punique, lorsque les Carthaginois eurent abandonné la Sicile, l'île entière fut divisée en deux parties, la province romaine et le royaume d'Hiéron. CHAP. VIII. -- M. Aemilius Regillus flamen est Quirinalis. Pighius (Annal. Urb., 529 et 536) pense que c'est le même qui fut prêteur la deuxième année de celte guerre ( XXII, 9 ). Mais il est appelé ici Flamen Quirinal, et au litre XXIX, ch. XI et XXXVIII, Tite-Live parle de L. Aemiius Regillus, Flamen Martial, et cela dix années plus tard. selon Pighius il faut, ou que Tite Live se trompe dans le second cas, ou qu'il y ait eu deux hommes du même nom, dont l'un fut Flamen Quirinal, et l'autre Flamen Martial. Quant au fait en lui-même, la religion interdisait à tous deux, au Flamen Quirinal et au Flamen Martial, de sortir de la ville pour aller à la guerre. IBID. —Si aliquid eorurn reipublicae praestitit. Cependant nous avons delà vu (XXIII, 41) T. Otacilius ravager le territoire de Carthage, et s'emparer de la flotte carthaginoise avec les hommes qui la montaient. 909 CHAP. IX. — Quia in urbem non inierat. On voit, dans Denys d'Halicarnasse, lib. V, p. 292, que Valerius Publicola fit ôter les haches de ses faisceaux dans la ville. Tite Live, en cet endroit (II, 7 ), dit bien qu'il abaissa ses faisceaux devant le peuple, mais il ne dit pas qu'il eu fit ôter les haches. Il résulte cependant des paroles de Fabius que, dans la ville, les faisceaux n'étaient pas surmontés de haches. En effet Fabius, en arrivant de l'armée, se rendit droit au champ de Mars, sans traverser la ville, ex itinere praeter urbem in campum descendit ( ch. VII). Il avertit donc Otacilius qu'il n'est pas entré dans la ville, et que par conséquent les haches sont encore au bout des faisceaux; qu'il en fera usage, si l'ordre est troublé. IBID. — Maximum Rullum. C'est le même qui est appelé, au liv. V III, chap. XXIX, Rullianus ou Rutilus, et Rutilianus car les manuscrits varient, et peut-être faut-il lire Rullus, comme ici et ailleurs encore, XXX, 26. En ces deux endroits en effet quelques manuscrits donnent aussi Rutilius. — Q. Fabius Maximus Rullus et P. Decius Mus furent consuls l'an de Rome 457, Maximus Rullus pour la cinquième fois. L. Papirius Cursor et Sp. Carsilius Maximus furent consuls tous deux, pour la seconde fois, l'an 480, et ils triomphèrent tous deux. CHAP. X. — M'. Pomponius in Gallico. M'. Pomponius avait été prêteur urbain deux ans auparavant (XXII, 55). Mais on ne voit nulle part qu'Il ait été envoyé. l'année. suivante, dans la Gaule comme propréteur. Tite-Live dit au contraire (XXIII, 25 ), qu'à cause du peu de ressources de la république on négligerait la Gaule pour cette année, maigre la juste vengeance que réclamait le massacre du consul L. Postumius et de son armée dans la forêt Litana. Comment donc pouvait-on continuer ce commandement a M'. Pomponius ? Il faut croire qui ou avait change d'avis, et que le propréteur M' Pomponlus avait été envoyé en Gaule avec une armée, ce que Tite-Live aura omis. IBID. — P. Cornelio Lenhilo praetori Sicilia, etc. App. Claudius Pulcher, qui commandait l'année précédente en Sicile comme prêteur, reste cependant dans la province cette année, et y fait la guerre, comme on le voit ch. XXVII et suivants, et ch. XXXIX. IL n'est donc pas douteux qu'il n'ait été aussi continué dans son commandement, malgrè le décret qui attribuait la province à un autre préteur. IBID. — In vico Insteio. Au lieu de Insteio plusieurs éditions, entre autres Drakennorch et Lemaire, donnent Istrico. Comme ces deux noms ne se rencontrent nulle part ailleurs, Gronove lit Tusco. mentionne souvent dans les auteurs. Mais ois a fait remarquer que nous ne connaissons pas tous les noms des rues ou voies romaines, qu'on en retrouve tous les jours de nouveaux dans les inscriptions; qu'ainsi cette raison ne suffit pas pour autoriser un changement. IBID. — Ut serias, etc. Seria est une espèce de vase dont on ne connaît pas très bien la grandeur, la forme, la matière et l'usage. Il paraît cependant qu'ils avaient une forme allongée. Calphurnius sur un vers de Térence (Heaut.. III, I, 5); Relevi dolia omnia, omnes seras, dit:sera, vas fictile, de imo oblongum. Il n'est pas douteux qu'ils n'aient eu d'assez grandes dimensions. On voit, dans Columelle ( XII, 28 ), du vin transvasé de ces serrae dans des vases plus petits, cadi et amphorae. Le même auteur parle aussi de seriae de la contenance de sept amphores. Ce qui prouve en outre que ces vases avaient une capacité assez considérable, c'est que le mot seria avait un diminutif seriola. Perse, Sat. IV, 29 : Seriolae veterem metuens detrahere limum. Il résulte encore de ce vers de Perse, ainsi que du passage de Calphurnius, cité plus haut, que ces vases étaient en argile. Un passage de Lamprtdius (Héliogabal, ch. VI) montre aussi qui ils étaient faits d'argile, ou au moins d'une matière fragile : « Quumque seriam quasi veram rapuisset, quamvis virgo maxima falsam monstraverat, atque in ea mihil reperisset, explosam fregit. » On peut conclure encore d'un passage du vieux poète Pacuvius, cité par Festus, au mot serilla, qu'on en faisait aussi avec des cordes de genet enduites de poix (spartum): voyez la noie du livre XXII, ch. XX, p. 894) :
Nec ulla subscus colubet
compagem alvi Quant à l'usage de ces seriae, ils paraissent avoir servi surtout à contenir du vin. Voy. Ulpien, l. XV. § b, de Usufr. Toutefois ce n'était pas leur seul usage. Ils servaient encore à renfermer des viandes salées; Columelle, Xll, 53 : Sed quuum ad fauces seriae perventum est, sale reliqua pars repletur, etc. On voit aussi dans Varron, de R. R., III, 2, des seriae oleariae, destinés à contenir de l'huile ou des olives confites. CHAP. X. — Arcem in Sabinis. Drakenborch donne nucem au lieu de arcem. Les manuscrits varient entre arcem et vocem. On voit bien quelquefois citer parmi les prodiges des arbres frappés de la foudre Virgil., Ecl., 1, 17 ; Tite-Live, XXVIl, 11 : ln Albano monte tacta de caelo erant signum Jouis arborque templo propinqua. Mais, comme on le voit, c'est seulement quand ces arbres étaient remarquables sous quelque rapport; soit qu'ils fussent eux-mêmes célèbres, ou situes dans quelque lieu important, soit à cause de leur voisinage d'un temple ou d'une ville. Et on ne connaît pas de noyer, nucem, dans le pays des Sabins, assez célèbre pour qu'on citât, comme un prodige, qu'il eût été atteint de la foudre. IBID. — Hastam Martis... sua sponte promotam. Servius (ad Vergil. Aen., Vlll, 3) : « ls, qui belli susceperat curam, sacrarium Martis ingressus primo ancilia commovebat, post HASTAM simulacri ipsius, dicens, Mars vigila. « Aussi la lance de Mars venait-elle à s'agiter d'elle-même, c'était un prodige qui annonçait une guerre terrible. CHAP. XI. — Milliibus aeris quinquaginta, etc. 2,100 fr. de notre monnaie, d'après M. Saigey. Voy. liv. XLIII, ch. 1, p. 785. Cf. Perizonius, de Aere gravi, § 19; Gronove, de Pecun. vet., II, 5, p. 80; Boeekh, Metrologishe Untersuchungen, p. 583. IBID. — Sociis navalibus compleretur. Compleretur, comme en grec πληροῦν ; d'où τὸ πλήρωμα, τὰ πληρώματα, l'équipage du vaisseau. C'est ainsi qu'en latin le nombre de matelots, de rameurs, remiges, socii navales, nécessaires à la manœuvre, est appelé simplement numerus. Cicer., Verr., V, 51, et ailleurs encore. Voy. Schell., de Milit. naval.. II, 3, p. 103. CHAP. XIII. — Duo praetores profecti. Profecti est répété encore un peu plus loin. Un manuscrit donne paefecti. Mais Gronove pense que ce mot doit être supprime comme ayant passe de la marge dans le texte, et il lit : In Siciliam eodem tempore duo praetores... praeesset, et ceteri in suas quisque provincias profecti. 910 CHAP. XVI. — Non aliter quam stantes. Même au souper. Car les soldats romains dînaient ordinairement debout. Cette punition ne pouvait donc avoir d'effet qu'au repas du soir. IBID. — Pileati aut lana alba velatis capitibus. La laine blanche était l'emblème de la liberté. Le pileus était un bonnet de laine blanche que les affranchis recevaient au moment de la manumission. D'où l'expression servos ad pileum vocare, appeler les esclaves à la liberté. Avant de prendre le pileus les affranchis se rasaient la tète. Polybe (XXX, 16) rapporte que Prusias, se reconnaissant pour l'affranchi du peuple romain, et portant les insignes de cet état, se présenta aux députés de Rome la tête rasée et couverte du pileus. Car, ajoute t-il, on se rasait la tête pour prendre le pileus. Voy. Servius. ad Virgil. Aeneid., VIII, 569. Nonius : « Qui liberi fiehant ea causa calvi erant, quod tempestatem servitutis videbantur efrugere; nam naufragio liberati vel qui e morbo periculoso convaluerant, laetitiae causa solent caput radere. » CHAP. XVII. — Pomponio propraetore cum eo exercitu n, etc. On a vu, au commencement de cette année, ch. X, que M'. Pomponius Matho devait rester dans la Gaule, où il commandait l'année précédente, et dont on lui continuait le commandement. Maintenant nous le retrouvons en Campanie, au camp de Suessula, sans qu'il ait été fait mention de lui en aucune façon. Il faut croire que la distribution des provinces, faite au commencement de l'année. fut changée depuis, et que le commandement du camp de Suessula fut assigne à M'. Pomponius. Tite-Live profite, comme il fait souvent, de la première occasion qui lui est donnée, pour indiquer ce changement dont il a négligé de parler. CHAP. XVII. — Tribuque moti, ærarii omnes farti. Selon Marc. Donat on appelait tribu moti ceux que les censeurs faisaient passer d'une tribu dans une autre inférieure, par exemple d'une tribu rustique dans une tribu urbaine. Car les tribus rustiques étaient plus honorables que les tribus urbaines, comme nous l'apprend Pline (XVIII. 3 ) : « Rusticae tribus laudatissimae eorum qui rura habehant. Urbanas vero in quas transferri ignominiae esset, desidiae probro. » Cela provenait du grand honneur où était autrefois l'agriculture à Rome. Varron, lib. II, de R. R., ch. l: « Viri magni majores nostri non sine causa praeponebant Romanos urbanis. Ut ruri enim, qui in villa vivunt ignaviores, quam qui in agris versantur in aliquo opere faciundo, sic qui in oppido sederent, quam qui rura colerent, desidiosiores putabantur. » Aussi les nobles s'empressèrent-ils de passer dans les tribus rustiques. Denys d'Halicarnasse nous apprend qu'App. Claudius passa dans une tribu rustique, qui, de son nom, s'appela plus tard Claudia. C'est ainsi que dans la suite des temps un grand nombre de ces tribus prirent le nom des familles illustres qu'elles avaient reçues dans leur sein: comme les tribus Papiria, Cornelia, Aemilia, Fabia, Horatia, etc. Auguste, qui cependant tirait son origine des deux familles Julia et Octavia, était inscrit dans les tribus rustiques, Fabia et Scaptia; dans la première comme de la famille Julia, dans la seconde comme de la famille Octavia : car Suétone (August., XL.) dit que les Fabiani et les Sraptienses étaient tributaires d'Auguste. Une autre cause de la prépondérance des tribus rustiques, c'est que leur nombre augmentait a mesure qu'on étendait le droit de cite à plus de peuples, tandis que les tribus urbaines restaient toujours, comme primitivement, au nombre de quatre. En outre celles-ci étaient composées des citoyens les plus vils. On voit en effet, dans Tite-Live (liv. 1X, ch. 46 ) que le censeur, Q. Fabius, ramassa tout ce qu'il y avait de plus vil dans les autres tribus, pour les jeter dans les quatre tribus urbaines. Les tribus rustiques étant ainsi supérieures aux tribus urbaines, et par la quantité et par la qualité, elles l'emportaient dans les votes. Aussi tenait on à honneur d'en faire partie, tandis qu'on infligeait les autres comme une punition. Drakenborch, contrairement à l'opinion établie par Marc. Donat, dans une fort longue note, donne, du mot aerarii farti, une explication qui est aussi en opposition complète avec la traduction, et ils devinrent tous simples contribuables. C'est à peu près l'explication de Marc. Donat que Drakenborch réfute par des arguments assez forts. Selon Donat, inter œrarios referri, c'est devenir simple contribuable, ou plus exactement, c'est être réduit au rang de ceux qui ne payaient que l'impôt personnel, par tète, les capite censi, et qui pour cette raison ne pouvaient servir à l'armée. Mais les chevaliers et les sénateurs, en raison de leur patrimoine, payaient certainement un impôt plus fort que le tribut personnel des capite censi. Si cela est, devenus ærarii, ils seraient donc condamnés à payer un impôt moindre que celui qu'ils payaient auparavant; quelle punition? En outre le service militaire était une des charges de la république, et les capite censi n'en étaient exempts, que parce qu'obligés de vivre au jour le jour, il leur fallait pourvoir aux besoins de la vie par un travail assidu. Comment donc croire que, devenus ærarii, les sénateurs et les chevaliers auraient été exempts de cette charge? Bien plus, au liv. XX1X, ch. XXXVIII, le censeur M. Livius note tout le peuple romain, à l'exception de la tribu Maecia. Voilà donc trente-quatre tribus rendues aerarii. Alors, suivant l'explication de Donat, on ne pouvait tirer de soldats pour l'année que de la seule tribu Mascia ; ses tributaires seuls paient l'impôt en raison de leur patrimoine, tandis que tous les autres ne paient que le tribut par tète. Ainsi la seule tribu que n'atteint pas la note du censeur est obligée de supporter toutes les charges de la république; singulière faveur pour l'une et singulière punition pour les autres ! Et plus loin les censeurs rendent ærarii, deux mille jeunes gens qui n'avaient pas fait de service militaire depuis quatre ans. Suivant Donat, en punition de ce qu'ils n'ont pas fait de service, ils en sont exempts. Donat, à l'appui de son explication, cite un passage d'Asconius Paedianus (in Divin. Cicer., ch. III) dont l'exactitude est contestable : « Censores cives sic notabant, ut, qui plebeius esset, in Curitum tabulas referretur et aerarius fieret, ac per hoc non esset in a hoc centuriae suae, sed ad hoc esse civis tantummodo, ut pro capite suo tributi nomine aera penderet. » Il résulte de ce passage que les censeurs notaient les plébéiens en les faisant passer sur la liste des habitants de Caeré, in Caeritum tabulas ( voir la note du chap. LIII, livre XXI, p. 888) et en les rendant ærarii; qu'alors ils étaient rayés de la liste de leur centurie, et n'étaient plus citoyens que par l'impôt personnel qu'ils payaient. D'abord on ne voit nulle part que les sénateurs et les chevaliers, devenus ærarii, cessassent de faire partie de leur centurie. Ensuite les plébéiens étaient pour la plupart capite censi; et par conséquent, suivant cette explication, ærarii. On ne pouvait donc leur infliger comme punition ce qui constituait leur état ordinaire. Inter ærarios referri ne peut donc pas avoir ce sens 911 c'est plutôt, au contraire, être puni d'une augmentation de cens. En vain dira-t-on avec Donat que, quand il s'agit d'une condamnation pécuniare, la somme est toujours exprimée. Cela n'est pas exact pour cette note des censeurs. Car Tlte-Live (IV, 2i ) après avoir dit d'un certain Aemilius, qu'il fut condamné à payer huit fois la valeur de son cens, octoplicato censu aerarium factum; dit simplement plus loin (IX, 34 ), en parlant du même homme, aerarium factum. On voit donc que la proposition d'augmentation du cens, le sextuple, le décuple, exprimée quelquefois par les auteurs, est omise le plus souvent, comme nous disons en français être puni d'une amende, être mis à l'amende, sans en exprimer le montant. En ensuite, c'est mal comprendre que de traduire, ils devinrent tous de simples contribuables. Cf. la note sur le chap. XXIV du livre IV, p. 820, et Niebuhr, t. I, p. 525; t. II, p. 229 et suiv. de la tr. fr. CHAP. XVIII. — Curuliumque equorum praebendorum. « Chevaux destinés sus magistrats curules. » M. Dubois traduit aussi de cette façon; mais ce n'est pas le véritable sens. Festus explique equos curules par equos quadrigales. C'étaient en effet les chevaux qui trainaient les quadriges dans les jeux publics. Dans les deux codes Théodosien et Justinien, et dans les écrivains de la décadence, equi curules et circenses sont employés indistinctement. Ces chevaux ainsi que les quadriges étaient fournis par le trésor public ou par les adjudicataires des jeux. Il paraît, d'après un passage unique d'Asconius, que cette adjudication était permise aux sénateurs : « Antonius redempas habebat ab aerario vectigales quadrigas, quam redemtionem senatori habere licet per legem. » (Asconius, ad Cicer. Or. in toga cand. ) IBID. — Qui hastae hujus generis. Il paraît que les enchères, pour l'adjudication des travaux ou opérations publiques, étaient annoncées par une pique plantée en terre, comme chez nous les ventés à l'encan. — Le traducteur dit : ceux qui se chargent de ces sortes de ventes: c'est un contresens; il ne s'agit pas de ventes, mais au contraire d'enchères et de locations faites par l'état. IBID. — A quaestore perscribebatur. « Le questeur en prenait note dans ses comptes. » Ces mots ont un tout autre sens. Perscribere pecuniam, c'est, comme nous dirions aujourd'hui, tirer une lettre de change (scriptura mensae) ou un billet à ordre, d'ordinaire sur un banquier (argentarius). Maintenant il faut probablement entendre a quaestore dans le même sens que ces mots dHorace, Serm., II, III, 69 : Scribe decem a Nerio ; c'est-à-dire danda ou solvenda. L'argent des pupilles et des veuves ayant été déposé dans le trésor public, lorsque les tuteurs de ceux-ci faisaient pour eux quelque achat, ils donnaient en paiement des billets souscrits à l'ordre du questeur, comme administrateur du trésor public. C'est dans le même sens que Cicéron dit : attribuere pecuniam, per attributionem solvere. Quelques-uns cependant donnent ici à attribuere et attributio le sens d'hypothèques, donner un gage de paiement. CHAP XIX. — Medixtuticus erat. Voyez la note sur le livre XXIII, ch. XXXV, p. 905. CHAP. XX. — Oppida vi capta, Compulteria. Compulteria avait déjà été reprise par les Romains (XXIII, 59). Depuis il n'a pas été question qu'elle fût retombée an pouvoir des Carthaginois; soit qu'elle eût été prise, soit qu'elle eût embrassé de nouveau leur parti. Il faut cependant qu'il en ait été ainsi, puisqu'elle est prise ici par les Romains. CHAP. XXI. — Andranodorus et Insulam. Syracuse était divisée en quatre parties, qui semblaient autant de villes, L'île ( Insula, en grec Νῆσος; ou Νᾶσος;, d'ou Tite-Live l'appelle Nasus, XXIV, 24) située entre les deux ports, le grand et le petit, appelé Laccius; la Tyché, ainsi nommée d'un temple antique, consacré à la Fortune; l'Achradine ou Acradine, la plus vaste, la mieux fortifiée et la plus ancienne : elle renfermait les plu, beaux édifices de Syracuse; baignée par la mer, elle était séparée de la Tyché au nord par un mur élevé: aussi est-elle appelée, par Plutarque, ἡ ἕξω πολις; enfin la partie la plus récente, appelée Néapolis, la nouvelle ville. Quelques-uns même eu distinguent une cinquième, sous le nom d'Epipolae, lieu escarpé et peu habité. Voyez l'ecrit de Goeller, de situ et origine Syracusarum. Leipsic., an 1818. CHAP. XXIi. — Seape usurpalta Dionysii, etc. Ces paroles, devenues proverbiales, sont attribuées à l'historien Philistus, ami de Denys. Voici comment la chose est racontée par Diodore (XIV, 8 ). Les Syracusains s'étaient révoltés, et Denys, accablé de toutes parts, et ne sachant plus quel parti prendre, demanda conseil à ses amis. L'un d'eux, Philoxène, lui conseilla de prendre son meilleur cheval et de gagner au plus vite la province carthaginoise, δεῖν κlβόντα τὸν ὀξύτατον ἵππον εἰς τὴν τῶν Καρχηδονίων ἐπικράτειαν ἀφιππεῦσαι. C'est alors que Philistus rependit qu'il ne fallait pas monter à cheval pour s'élancer au galop hors de la tyrannie, dont on ne devait sortir que tiré par les jambes; προδήκειν οὐκ ἐφ' ἵππου θέοντος (mieux que θέλοντος; à moins qu'on ne veuille lire θέλοντα) ἐκπηδᾷν ἐκ τῆς τυρρανίδος, ἀλλὰ τοῦ σκέλους ἑλκόμενον προσπίπτειν. Plutarque (Dion, ch. XXXV) reproduit aussi ce mot d'après Timée. Case. XXIII. — Interim juveres militares. Ceci ne se rapporte pas à tous les jeunes gens. comme la traduction le fait entendre, mais à ces jeunes gens, c'est-à-dire Hippocrate et Epicyde, dont Tite-Live dit quelques lignes plus haut, duces regios, peritos militiae. CHAP. XXV. — Hereditatem regum creverit. Hereditatem cernere, c'est proprement délibérer pour savoir si l'on doit accepter ou non une hérédité. D'où cretio, le délai fixé par le testateur, et dans lequel l'héritier était appelé à accepter l'hérédité. CHAP. XXVI. — Heraclea erat filia Hieronis. Hiéron, fils d'Hieroclès, descendant de Gélon, ancien tyran de Sicile, fut prêteur d'abord, puis roi de Syracuse. Il eut trois enfants : deux filles, Damarate, qui épousa Andranodorus, et Heraclea, épouse de Zoïppe; un fils, Gélon, qui épousa Neréis, fille de Pyrrhus, et mourut avant son père, laissant deux enfants; Hiéronyme, qui succéda à son grand-père, et Harmonta, qui épousa Thémistus. Mais il n'eut pas deux jeunes filles vierges, comme le dit M. Lemaire, dans une note du chap. IV, où il paraît avoir mal compris l'arbre généalogique de la famille d'Hiéron, dresse par Drakenborch. Il les confond avec les deux jeunes filles d'Héraclée, épouse de Zoïppe, qui furent tuées en présence de leur mère. CHAP. XXVII. -- Ad Murgantiam. il y avait aussi une ville de ce nom dans le Samium. Celle dont il est question ici, aujourd'hui Jaretia, est située sur le bord de la mer, non loin de Syracuse et au-dessus de l'embouchure du Simaetaus. Elle est appelée aussi Morgentia, Μοργεντία, Μοργάντιον, Μόργυνα et Μέογανα. Voy. Schweighaeuser, ad Polyb., I, 8. 912 CHAP. XXVIII. — Mittique cum eis. A quoi se rapporte eis? aux députés romains dont il est parlé au chap. précédent? c'est bien loin. Peut-être faut-il transposer cum eis, et placer ces mots après placuit, de cette façon : « Pacem fieri placuit cum eis ( Romanis) miittique legatos ad rem confirmandam. » CHAP. XXIX. — Nam et illis....et hi. Illis se rapporte ici au plus proche; hi, au contraire, au plus éloigné. Les exemples ne sont pas rares, et sans chercher ailleurs, dans Tite-Live lui-même : « Melior tutiorque est certa pax, quam sperata victoria. Haecr in tua, illa in deorum manu est. » ( XXX, 30). Et encore, « Etsi Demetrius minore aetate, quam Perseus, esset hunc tamen justa matrefamilias, ilium pellice ortum esse. » (XXXIX, 55) . CHAP. XXXI. — Praetores Syracusani, etc. Le traducteur se trompe. Ces mots praetores Syracusani. etc, ne sont pas le salut d'usage. Car alors assolet qui vient ensuite, ne se comprendrait pas trop. Tite Live dit que la lettre commençait par ces mots : praetores Syracusani; venait ensuite le salut d'usage, après lequel on lisait, etc. Cette remarque paraît assez peu importante, mais comme plusieurs éditions portent salutem après Marcello, elle peut n'être pas sans valeur. Enfin, si quelque doute restait, il serait dissipé par ce passage tout à fait semblable de Platon, Epistol, III : πρὸς γὰρ δὴ πάντα ταῦτα ἦν παρεσκευασμένη τὴν ἀρχὴν ἔχουσα ἡ ἐπιστολή, τῇδέ πῃ φράζουσα, ΔΙΟΝΥΣΙΟΣ ΠΛΑΤΩΝΙ· τὰ νόμιμα ἐπὶ τούτοις εἰπὼν οὐδὲν τὸ μετὰ τοῦτο εἶπεν πρότερον ἢ etc. IBID. — Recte cum atque ordine fecisse. C'était la formule solennelle dont se servaient le sénat et le peuple romain pour approuver les actes des citoyens, et surtout des magistrats. Quelquefois on y ajoutait ces mots, et e repubica. CHAP. XXXII. — Praetorumque... omnes. Il faut remarquer ce génitif avec omnes. C'est ainsi que lit Drakenborch arec Gronose. M. Lemaire lit praetoreque, selon la leçon vulgaire. On trouve bien le génitif avec multi, pauci ; mais du génitif avec omnes on trouve rarement des exemples. Tite-Live (liv. XXXi, ch. XLV) « Macedonum fere omnibus et quibusdam Andriorum; cependant on peut suspecter cet exemple, la leçon ne s'appuyant que sur un seul manuscrit. Ici plusieurs manuscrits donnent praetorumque. CHAP. XXXIV. — Ex ceteris navibus. » Du haut des autres vaisseaux « Je ne sais si c'est bien le sens. Il ne s'agit pas ici d'autres vaisseaux, mais des mêmes quinquérèmes, dont les unes étaient remplies de soldats de traits, et les autres étaient réunies par couples pour porter les machines Polybe, VIII, 61. Stroth, au lieu de ceteris, propose ex iis, ou ex sexaginta his, d'après Polybe. Mais cette correction n'est pas nécessaire. Ceteris répond à aliae qui vient ensuite. Sans doute ceteri est ordinairement le dernier terme d'une énumération; mais il n'est pas sans exemple qu'il soit placé avant les autres termes, surtout quand il exprime le plus grand nombre compte ici : tandis que le reste était occupé.... etc., les autres vaisseaux, etc. Il est vrai que aliae est assez loin de ceteris; mais il est évident que ces deux ternies sont correspondants. Car sans cela, après ceteris, il ne resterait plus rien, et on ne pourrait pas dire aliae naves. Polybe d'ailleurs, auquel Tite-Live emprunte tous ces détails, dit positivement que c'étaient des quinquérèmes. Ceci semble, il est vrai, formellement contredit par ces mots : junctae aliae binae ad quinqueremes, qui distinguent ces vaisseaux des quinquérèmes, comme dans la traduction; « aux quinquérèmes étaient attachés, deux par deux, d'autres vaisseaux, » ce qui ne se comprend pas. Mais le texte est certainement fautif, et il n'est pas douteux qu'il ne faille lire, avec Juste-Lipse, d'après Polybe et Plutarque, ad octo quinqueremes, dans le sens de usque ad octo: des quinquérèmes réunies deux à deux jusqu'au nombre de huit, Polybe, VIII, 5 : Ἅμα δὲ τούτοις ὀκτὼ πεντήρεσι παραλελεισμμέναις τοὺς ταρσούς, etc. Plutarque, ( Marc Il ch. XIV Ὑπὲρ δὲ μεγάλου ζεύγματος νεῶν ᾿᾿οκτὼ πρὸς ἀλλήλας συνδεδεμένων μηχανὴν ἄρας, etc. CHAP. XXXIV. — Telum inhabile ad remittendum imperitis esse. Les vélites portaient sept javelots, appelés velitares, et en grec γρόσφοι; d'où ceux qui en étaient armés étaient appelés γροσφομαχοι. Selon Polybe ( VI, 22 ces javelots avaient une hampe de deux coudées, épaisse d'un doigt; et une pointe longue d'une palme, et si fine et si aiguë, qu'au premier choc elle se courbait et ne pouvait plus alors servir aux ennemis : ὥστε κατ' ἀνάγκην εὐθεώς ἀπὸ τῶς πρώτης ἐμβολῆς κάμπτεσθαι, καὶ μὴ δύνασθαι τοὺς πολεμίους ἀντιβάλλειν. Juste-Lipse, de Milit. rom., III. 1, fait remarquer que si ce javelot était si flexible, qu'il ne pouvait plus être lancé de nouveau, commue le dit positivement Polybe, il devenait dès lors inutile, aussi bien aus habiles qu'aux inhabiles; et le mot imperltis, dans la phrase de Tite-Live. ne se comprend pas. Il propose donc impeditis au lieu de imperitis, dans ce sens qu'il fallait du temps et des précautions pour redresser ce javelot; et qu'on ne pouvait le faire lorsqu'on était embarrassé dans le combat, lmpeditus. Cela est très acceptable. Mais je crois qu'il vaudrait encore mieux lire, avec Schel. ad Polyb. ch. XIX : imperitis ou petitis, dans ce sens que ceux qui en étaient atteints ne pouvaient les renvoyer. De cette façon on concilierait très bien Polybe et Tite-Live. IBID. — Velit naves acerentur. Au lieu de velut naves, peut-etre faut-il lire velut navis, selon le conjecture ingénieuse de Juste-Lipse. Les huit quinquérèmes réunies marchaient comme un seul vaisseau. On trouve dans un manuscrit velut unaves : d'où Crevier tire velut una navis.
IBID. — In eas tollenone. Festus :
« Tolleno dicitur machinae genus, quo trahitur aqua in alteram partem
praegravante pondere. » Végèce, IV, 21 : « Tolleno dicitur quoties una trabs in
terram praealte defigitur, cui in sunnno vertice alia transversa trabs longior
dimensa CHAP. XXXV. — Heracleam quam vocant Minoam. Ville maritime, peu éloignée d'Agrigente. Elle fut, dit-on, bâtie par Minos, quand il était a la poursuite de Dédale (Diodore, IV, 59 et XII, 19). CHAP. XXXVII. — At illi, si ad... sibi saltem, etc. Cette syntaxe est assez fréquente dans Tite-Live; I, 41 : « Si tua re subita concilia torpent, at tu mea sequere. » Ili. 31 : « Si plebeiae leges displicerent. et ccommuniter legum latores sinerent creari. » Q. Curt, III, 8, : « Si consilium damnaret, at Ille divideret saltem copias ». Plaute (Capt., III, v, 23) :
Si ego hic peribo, atque
Ille, ut dixit, non redit; Virgile (Aen., I, 512 ) :
Si genus humanum et mortalia
temnitis arma, 913 CHAP. XXXVII. — Consensu in posterum diem concio edicitur. Edicitur manque dans les meilleurs manuscrits. Il faut peut-être lire, avec Gronove : consensa in posterum diem concio. Consensa, comme lib. I, ch. XXXIII : Bellum erat consensum. CHAP. XXXVIII. — Ceres mater ac Proserpina. Henna était consacrée à Cérès et à Proserpine, parce que ce fut dans ses environs que Pluton enleva Proserpine. Voy. cb. XXXIX. Cicéron (Verrr. IV, 48) : « Vos etiam atque etiam imploro atque appeloe, sanctissimae deae, quœ illos Hennenses lacus lucosque colitis. » V, 72 : « Dii, qui urbem, lacus lucosque colitis. » CHAP. XXXIX. — Hœc in Sicilia, etc. Crévier soupçonne Tite-Live d'avoir confondu deux années en une seule. D'abord l'année suivante, sous le second consulat de Tib. Sempronius et de Q. Fabius, Tite-Live ne rapporte aucun fait arrivé en Sicile ; il parle seulement des prières adressées par les soldats de Cannes a Marcellus, et des lettres de celui-ci au sénat. Ensuite, d'après Poybe, lib. VIII, Marcellus passa huit mois à assiéger Syracuse avec Appius Claudius, avant de marcher contre les villes de Sicile qui appelaient les Carthaginois. Mais après ces huit mois le consulat de Marcellus devait se trouver bien près de sa fin. On peut donc reporter ses expéditions contre les Siciliens, contre Himilcon et Hippocrate, à l'année du deuxième consulat de Tib. Sempronius et de Q. Fabius. CHAP. XL. — Apolioniam tentasse. Apollonia, aujourd'hui Pollonia, ville maritime de l'Illyrie macédonienne, voisine d'Oricus et du fleuve Aous qui se jette dans l'Adriatique. Elle était florissante par le commerce et les lettres. CHAP. XLI. — Ad Castrum Album. Toutes les éditions portent Castrum Altum, tous les manuscrits s'accordant sur ce mot. Castrum Album est une bonne correction proposée par Drakenborch dans ses notes, et qui est conflrmée par Diodore ( Eclog. du liv. XXV ), qui dit qu'Hamilcar périt près d'une ville qu'il avait fondée, et qui, à cause de sa situation, s'appelait Ἄκρα Λευκή. CHAP. XLII — Ad Mundam. Ville de la Bétique à quelque distance de la ville moderne de ce nom. Elle est célèbre par le combat acharné dans lequel César vainquit les fils de Pompée. Il y avait aussi une autre Munda dans la Celtibérie. IBID. — Octavum jam annum. Si l'on place, avec Tite-Live ( XXI, 15), la prise de Sagonte à la première année de cette guerre, nous sommes non pas a la huitième année, mais à la cinquième, et à la sixième suivant le calcul plus exact de Polybe qui place la prise de Sagonte un an avant cette guerre. Voyez la note du ch, IV du livre XXI, p. 882. CHIP. XLIV. — Praeter undecim fasces. Il résulte de ce passage, ce qu'on sait d'ailleurs, que les licteurs précédaient le magistrat, non pas en troupe, mais un à un et à la file. C'est ainsi qu'ils sont représentés sur les médailles. Animadvertere était le terme dont se servaient les licteurs pour annoncer le consul : Animadvertite ! (Voyez Pline, Paneg., LXI. ) — Le trait rapporté par Tite-Live est raconté aussi par Plutarque (Fab., ch. XXIV); Valère-Maxime, II, 2; Aulu-Gelle,, II, 2. CHAP. XLV. — Dasius Attinius. ἔκγενός τις... τοῦ Αιομήδους νομιζόμενος, Appien, Annib., XXXI. Selon cet auteur, il se rendit a Rome, d'où il fut chassé et erra dans l'Apulie, redoutant tout le monde. Carthaginois et Romains. CHAP. XLV. — Ad Faleriorum Pyrrhire proditorem. Voyez V, 27 et Epit. lib. XIII; Aulu-Gelle, III, !8 et Valère-Maxime, VI, 5. CHAP. XLVII. — Eam portam scalis prius transgressos, ad murum pergere. Le texte est évidemment altéré. En franchissant la porte ils franchissaient aussi le mur, et ils n'avaient pas besoin de se diriger vers le mur, pergere ad murum. Crévier, d'après celte leçon d'un manuscrit, transgressos amurum perire, corrige: eam portam, scalis prius transgressas murum, aperire. La seule objection à faire, c'est que les portes étant ouvertes il devent inutile d'en briser les verrous, vi claustra refringere. Alex. Roeliius, en transposant seulement ad, arrive à une correction plus nette : Ad eam portam scalis prius transgressas murum, pergere. CHAP. XLVIII. — Syphax erat rex Numidarum.... ad Galam, in parle altera Numidiae ( Massyli ea gens vocatur). Syphax n'était pas roi de tous les Numides, mais seulement des Numides Massaesyliens, comme Gala et Massinissa l'étaient des Numides Massyliens. Syphax commanda cependant quelque temps aux Massyliens, après avoir chassé Massinissa de son royaume. On comprenait sous le nom général de Numides diverses peuplades africaines : les Massyliens, Massaesyliens, Maures et autres. Les Massaesyliens habitaient dans la Mauritanie Césarienne, depuis Metagonium jusqu'au cap Tritum, ou depuis le fleuve Mulucha ou Molochalh ( aujourd'hui Mulvia), jusqu'au fleuve Ampsaga, à peu près l'Algérie. C'est là que régnèrent Syphax, Juba, Boccbus. Les Massyliens habitaient la Mauritanie Tingitane, ou Gaditane, ou Mauritanie proprement dite, depuis le fleuve Ampsaga jusqu'à la Zeugitana, ou depuis les frontières du royaume de Maroc jusqu'au détroit de Cadix. C'est là que régnèrent Gala, Massinissa, Jugurtha, Bogud, etc. Les deux Mauritanies faisaient partie de la Numidie; mais la Mauritanie Tingitane était appelée aussi Numidie nouvelle, ou proprement dite. Voy. Cellarius, Géogr. Ant., IV, 5. CHAO. XLIX.— Septem et decem natos. Massinissa avait certainement plus de dix-sept ans. D'après tous les témoignages des auteurs, il mourut nonagénaire. Selon Valère-Maxime, il mourut l'an de Rome 605, lorsque Manilius était proconsul en Afrique; ce qui porte à peu près l'époque de sa naissance à l'année 515. Nous sommes à l'année 540; il avait donc vingt-sept ans ou au moins vingt-cinq.
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