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PLUTARQUE

 

OEUVRES MORALES

LES OPINIONS DES PHILOSOPHES.  

 

 

texte grec

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LES OPINIONS DES PHILOSOPHES.

PRÉFACE DU TRADUCTEUR.

Le traité des Opinions des philosophes a donné lieu à divers sentiments sur son véritable auteur. Plusieurs pères de l'Église, tels que saint Cyrille d'Alexandrie, Eusèbe, Théodoret, et Suidas parmi les écrivains profanes, l'ont cru de Plutarque et l'ont toujours cité comme étant de lui. Entre les modernes, Budée, Xylandre, l'interprète latin de Plutarque, Fabricius, et en dernier lieu le P. Corsini des écoles pies, et professeur à Pisé, qui a donné une édition très soignée de cet ouvrage, enrichie de dissertations et de notes savantes, ont été du même avis. Ils se sont fondés sur l'autorité des écrivains ecclésiastiques que je viens de citer et sur le catalogue de Lamprias, fils de Plutarque, où ce traité est compris au numéro 59 des ouvrages de son père, dont il donne la liste. Il est vrai que dans ce catalogue le titre n'est pas précisément le même que celui qui se trouve dans toutes les éditions de Plutarque. Lamprias le borne aux seules opinions des philosophes sur la physique. Mais cette différence, loin de former une objection contre le sentiment de ces critiques, vient au contraire à son appui. L'ouvrage qui nous reste ne traite en effet que des matières de physique; il est, comme celui dont le catalogue de Lamprias donne le titre, divisé en cinq livres ; et cette double conformité a fait conclure que ce n'était qu'un seul et même ouvrage. Il est probable, disent ces écrivains, que les éditeurs des Oeuvres de Plutarque auront, par méprise, supprimé du titre le mot physique, et donné par là à cet ouvrage une généralité qu'il n'a pas, puisqu'il ne contient que des objets purement physiques. La qualification d'abrégé qui lui est donnée semble confirmer encore son identité avec le traité qui se trouve dans le catalogue de Lamprias.

Ces preuves n'ont point paru décisives à d'antres critiques, qui sont persuadés que cet ouvrage n'est pas de Plutarque. De ce nombre sont Vossius, Jonsius et surtout M. Beck, professeur de langue grecque à Leipsig, qui a donné depuis peu une édition de ce traité, et qui, dans son épître dédicatoire, prouve, ce me semble, d'une  manière assez convaincante que Plutarque n'en est pas l'auteur. Il le regarde comme une compilation informe et mal rédigée par un


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auteur médiocre qui, pour accréditer les productions de sa plume, a emprunté le nom d'un philosophe célèbre, ou qui, peut-être, n'a fait qu'extraire l'ouvrage même que Plutarque avait composé sur cette matière, et qui, par là, nous aura fait perdre le traité plus étendu et plus exact du philosophe de Chéronée. Il est certain qu'à en juger soit par le fond même de l'ouvrage, soit par la manière dont il est écrit, on rie peut raisonnablement l'attribuer à Plutarque, à moins qu'on ne veuille supposer que c'est un fruit de sa première jeunesse, dans lequel il se rendait compte à lui-même de ses lectures à mesure qu'il s'instruisait des opinions des anciens philosophes, et que, dans ce travail rapide, il se contentait de prendre des notes succinctes et de réduire à quelques mots très précis le sentiment de chaque auteur. Il est certain qu'on y trouve souvent des citations, des tours de phrase et des expressions qui semblent déceler la main de Plutarque. Mais il est possible aussi que l'écrivain qui aura fait l'extrait de cet ouvrage avec l'intention de le publier sous le nom de ce philosophe se soit attaché, pour couvrir son imposture, à se rapprocher, autant qu'il l'aura pu, de la manière de Plutarque.

C'est sur ces motifs que je suis persuadé, avec M. Beck, que c'est une compilation faite à la hâte d'après l'ouvrage du philosophe de Chéronée. En effet, outre les défauts que je viens de relever dans le fond de ce traité, il y en a encore, sous ce même rapport, d'autres bien plus frappants. L'écrivain qui l'a rédigé y est souvent en contradiction avec Plutarque, qui, dans d'autres traités, dont il est incontestablement l'auteur, rapporte différemment les opinions de quelques philosophes. Il attribue aux uns ce qui a été soutenu par d'autres, et défigure même quelquefois les sentiments et les expressions de ceux dont il cite les passages. Il est bien vrai que Plutarque, dans quelques ouvrages, rapporte des faits ou des opinions d'anciens auteurs d'une manière différente qu'il ne les a exposés dans d'autres. Mais que dans un même ouvrage ces méprises soient fréquentes, c'est ce qu'on ne peut croire d'un philosophe si judicieux et si instruit, qui, même dans les premiers essais de sa jeunesse, était incapable d'extraire d'une manière si peu fidèle tes ouvrages qu'il lisait.

Cependant les sentiments sur le mérite intrinsèque de ce traité n'ont guère été moins partagés que sur son véritable auteur. Les pères que j'ai déjà cités en ont parlé avec éloges. Fabricius, dans sa Bibliothèque grecque, t. IIl, p. 361, le regarde comme un abrégé utile et digne d'être imprimé à part pour l'instruction des jeunes gens. Mais personne n'en a fait plus de cas que te P. Corsini, qui, dans sa Vie de Plutarque, placée à la tête de son édition, page 15,


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ne craint pas de dire que de tous les ouvrages de Plutarque il n'en est aucun, si l'on en excepte ses Vies parallèles des Grecs et des Romains, qui prouve de la part de son auteur plus de travail, plus de diligence, plus de soin à méditer, à analyser les écrits des anciens philosophes, qui montre plus d'érudition et de savoir, qui suppose une connaissance plus profonde des divers systèmes enfantés par la philosophie, plus de sagacité à en pénétrer le sens, plus de subtilité à en exposer les différentes opinions, plus de précision à réduire à une courte et simple analyse les sentiments d'un si grand nombre d'auteurs sur tant de matières différentes.

Des jugements si contradictoires nous ont décidé à traduire ce traité, qui se trouve d'ailleurs dans toutes les éditions grecques de Ptutarque.


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LES OPINIONS DES PHILOSOPHES.

PRÉFACE DE L'AUTEUR.

(874d) La physique est l'objet de cet ouvrage. Je commencerai par la division de toutes les parties de la philosophie, afin de savoir quelle place la physique y occupe (874e) et quelle est sa nature Les stoïciens ont dit que la sagesse est la science des choses humaines, et que la philosophie est la pratique des règles analogues à cette science. Or, rien n'est plus convenable à l'homme que la vertu, dont les trois espèces les plus générales sont la vertu naturelle, la vertu morale, et celle qui a pour objet le raisonnement (01). Voilà pourquoi la philosophie se divise aussi en trois parties, qui sont la physique, la morale et la logique (02). La première traite du monde et de ce qu'il contient ; la morale donne des préceptes pour la vie humaine ; la logique, qu'on appelle aussi dialectique, prescrit des règles pour le raisonnement. (874f) Voici comment Aristote, Théophraste, et presque tous les péripatéticiens, ont divisé la philosophie. Il est nécessaire, disent-ils, que l'homme, afin d'être parfait, connaisse ce qui est, et fasse ce qui est convenable à sa nature. Les exemples suivants peuvent faire entendre cette division. On demande si le soleil est un animal ou non ; car il paraît être animé. Celui qui fait cette question est un philosophe spéculatif; il ne se propose d'autre objet que de rechercher ce qui est. De même, examiner si le monde est infini ou s'il existe quelque chose au delà du monde, ce sont des questions purement spéculatives; (875a) mais demander comment il faut régler sa vie, conduire ses enfants, exercer des fonctions publiques et faire des lois, voilà des recherches qui ont pour objet les actions humaines, et celui qui s'en occupe est un philosophe pratique.


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LIVRE PREMIER.

CHAPITRE PREMIER.

Qu'est-ce que la nature.

Puisque je me propose de considérer les choses naturelles, il me paraît nécessaire d'expliquer d'abord ce qu'on entend par nature. Il serait absurde de vouloir parler de la nature, et d'ignorer quel est le sens et la force de ce terme. (875b) La nature donc, suivant Aristote, est tout ce qui a essentiellement en soi, et non accidentellement, le principe du mouvement et du repos (03). Ainsi, toutes les choses visibles qui ne sont pas l'effet du hasard ou de la nécessité, qui n'ont ni une substance ni une cause divines, sont appelées naturelles et ont chacune leur propre nature. De ce genre sont la terre, le feu, l'eau, l'air, les plantes et les animaux. On peut y joindre les effets que nous voyons tous les jours se produire, comme les pluies, la grêle, la foudre, les vents et les tempêtes. Toutes ces substances ont une origine, puisque aucune d'entre elles n'est éternelle et qu'elles sont produites par un principe (04). Par exemple, les animaux et les plantes ont un principe de production, et la nature est en eux ce premier principe, non seulement du mouvement, mais encore du repos. (875c) En effet, tout ce qui a un principe de mouvement peut aussi en avoir le terme. Ainsi, c'est la nature qui est le principe du mouvement et du repos.


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CHAPITRE Il.

En quoi diffèrent le principe et l'élément.

Aristote et Platon mettent de la différence entre les principes et les éléments. Thalès le Milésien croit qu'ils sont une même chose; cependant ils diffèrent beaucoup. Les éléments sont composés, au lieu que les principes n'ont aucune composition et ne sont pas des produits. Par exemple, nous appelons éléments la terre, l'air et le feu; (875d) mais nous donnons le nom de principe aux êtres qui n'ont reçu l'origine d'aucune cause qui leur soit antérieure. Ce qui est produit n'est pas un principe ; c'est la chose même qui produit (05). Il est des substances antérieures à la terre et à l'eau, et qui les ont produites : c'est la matière d'abord informe, ensuite la forme que nous appelons entéléchie, et la privation (06). Thalès se trompe donc lorsqu'il dit que l'eau est un élément et un principe.

CHAPITRE III.

Des principes.

Thalès de Milet a dit que l'eau est le principe de tous les êtres. (875e) On peut le regarder comme le premier philosophe (07), et c'est de lui que la secte ionique a pris son nom,


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car il y a eu plusieurs écoles de philosophie. Thalès, après l'avoir apprise en Égypte, vint s'établir à Milet dans un âge avancé. Il enseigna que tout est composé d'eau, et que tout doit se résoudre en eau. Il le conjecturait de ce que les germes productifs de tous les animaux sont des principes, et par conséquent qu'il est vraisemblable que tous les êtres ont leur principe dans l'humidité. Une seconde conjecture, c'est que toutes les plantes sont nourries et fécondées par la substance humide, et qu'aussitôt qu'elles en sont privées, elles se flétrissent. Une troisième enfin, (875f) c'est que le feu du soleil et des astres, et le inonde lui-même, se nourrissent des exhalaisons de l'eau. Homère attribue à l'eau cette production universelle, lorsqu'il dit :

Et le vaste Océan, père de tous les êtres.

Anaximandre de Milet prétend que l'infini est le principe de toutes choses ; que tout en vient, et que tout doit s'y replonger ; qu'ainsi il produit une infinité de mondes qui se dissolvent ensuite dans le principe d'où ils sont sortis. Et pourquoi y a-t-il un infini? c'est, dit-il, afin que la production destinée à tout réparer ne manque jamais. (876a) Mais un défaut de ce philosophe, c'est qu'il n'explique pas ce que c'est que son infini, si c'est de l'air, de l'eau, de la terre ou quelque autre corps de cette espèce. Son système pèche en ce qu'il n'assigne qu'une cause matérielle et qu'il ôte toute cause efficiente; car cet infini n'est autre chose que la matière, et la matière ne peut rien produire s'il ne s'y joint une cause efficiente.

Anaximène, aussi de Milet, a dit que l'air est le principe de tout ce qui existe (08) ; que tous les êtres sont faits


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d'air et qu'ils se résolvent en air.

« Ainsi, dit-il, notre âme, qui est composée d'air, nous soutient et nous conserve, et le monde entier est contenu par l'air et l'esprit ; »

(876b) car ces deux mots sont synonymes. Mais il se trompe en croyant que les animaux sont composés d'un air et d'un esprit simple et uniforme. Il est impossible que la matière seule soit le principe de tous les êtres ; il faut y joindre une cause efficiente. Ainsi l'argent seul ne suffit pas pour faire une coupe s'il n'y a une cause efficiente, c'est-à-dire un orfèvre. Il faut en dire autant de l'airain, du bois ou de toute autre matière.

Anaxagore de Clazomène a admis des homéoméries (09) pour principe de toutes choses. Il lui paraissait impossible d'expliquer autrement comment ce qui n'est point peut donner l'existence à quelque chose, ou ce qui existe (876c) se réduire au néant. Nous prenons, disait-il, une nourriture simple et uniforme, comme du pain et de l'eau ; et cette nourriture donne de l'aliment à nos cheveux, à nos veines, à nos artères, à nos nerfs, à nos os et à toutes les antres parties de notre corps. D'après cela, il faut reconnaître que cette nourriture contient des substances de toute espèce, qui donnent l'accroissement à tous les corps; que par conséquent elle renferme des parties propres à produire du sang, des nerfs, des os et toutes les autres substances que la raison nous fait apercevoir en nous. Car il ne faut pas tout borner aux parties sensibles qui sont formées (876d) par le pain et l'eau : il y en a qui ne sont connues que par l'intelligence. Comme il y a donc dans les aliments des parties semblables à celles qui sont produites dans nos corps, il les a appelées homéoméries, et en a fait les principes de tous les êtres. Ces parties similaires sont la matière d'où les corps sont tirés, et l'intelligence suprême, qui donne à tout l'ordre convenable,


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est la cause efficiente. Voici comment il débute dans l'exposition de son système : Toutes choses étaient dans un état de confusion ; l'intelligence les a divisées et les a mises en ordre. Par ces mots, toutes choses, il entend les êtres qui ont été formés. Anaxagore a eu raison de joindre à la matière une intelligence qui l'a mise en ordre (10).

Archélaüs d'Athènes, fils d'Apollodore, disait que l'air infini, sa condensation et sa raréfaction sont les principes des êtres ; que, de ces deux dernières propriétés, la première produisait l'eau, et la seconde, le feu. (876e) Tels sont les philosophes qui, depuis Thalès, se sont succédé dans l'école ionique (11).

Pythagore de Samos, fils de Mnésarque, qui, le premier, donna le nom de philosophie à l'objet de ses études, fonda une nouvelle école. Il assigne pour principe des êtres les nombres et leurs proportions, qu'il appelle harmonies, avec les éléments composés de ces deux principes, et qu'on nomme géométriques. Il compte encore au nombre des principes la monade et la dyade (12), qui est indéfinie. (876f) Le premier de ces principes se rapporte à la cause efficiente et formelle, qui est la substance intelligente ou Dieu ; et le second, à la cause matérielle et passible, qui est ce monde visible. Il dit que toute la nature des nombres est comprise dans la dizaine ; car tous les peuples grecs et barbares comptent jusqu'à dix, après quoi ils recommencent par l'unité. Il dit encore que le nombre dix est éminemment renfermé dans le


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nombre quatre, parce qu'en commençant par un et prenant les quatre premiers nombres séparément, on complète le nombre dix ; et si l'on va plus loin que quatre, on passe aussi le nombre dix. Par exemple, si on compte d'abord un, puis deux, ensuite trois, et enfin quatre, (877a) on aura dix. Ainsi, tous les nombres, en les prenant un à un, sont compris dans la dizaine. Mais en ne considérant que leur puissance, ils sont renfermés dans le nombre quatre. Aussi les pythagoriciens juraient-ils par ce dernier nombre, comme par le serment le plus sacré.

Par le nombre de quatre, en effets admirable,
Je jure, et ce serment est le plus redoutable.

Notre âme, ajoute Pythagore, est aussi formée sur l'analogie du nombre quatre. Ses facultés sont l'intelligence, la science, l'opinion et la sensation. Ces quatre facultés ont été les sources de tous les arts et de toutes les sciences ; et c'est par là que nous sommes des êtres raisonnables. L'âme est l'unité, (877b) et c'est dans l'unité qu'elle considère les objets. Par exemple, dans la multitude d'hommes qui existent, il est impossible de les connaître tous en particulier, parce que le nombre en est presque infini. Mais nous connaissons un homme seul que nous distinguons de tous les autres, parce qu'aucun individu n'est semblable à un autre. Nous concevons de même un cheval seul, et non tous les individus de cette espèce, qui sont infinis. Tous les genres et toutes les espèces sont comme des unités. C'est pourquoi les pythagoriciens, appliquant à chacune de ces généralités une même définition, veulent qu'ou définisse l'une un animal raisonnable, l'autre un animal hennissant. Ainsi l'intelligence, qui nous fait concevoir ces idées générales, est une unité. La dyade, qui est indéfinie, porte à bon droit le nom de science : (877c)  car toute démonstration, tout raisonne-


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ment qui produit la science, enfin tout syllogisme conclut une chose douteuse de deux propositions avouées par le moyen desquelles on en démontre une troisième, et la certitude des trois propositions s'appelle science. Ainsi la science est fondée sur le nombre binaire. L'opinion, qui naît de la compréhension, l'est sur le nombre trois, parce qu'elle porte sur plusieurs objets, et que le nombre trois désigne une multitude. Ainsi l'on dit :

Trois fois heureux les Grecs! ...

Voilà pourquoi l'opinion a rapport au nombre ternaire. La secte de Pythagore prit le nom d'italique, parce que ce philosophe, abandonnant Samos, sa patrie, par haine pour la tyrannie de Polycrate, alla tenir son école en Italie.

Héraclite et Hippasus de Métaponte ont cru que le feu est le principe de toutes choses ; que tout vient du feu, et que tout doit s'y résoudre; que le monde fut formé après son extinction, que les parties les plus denses de cet élément, s'étant réunies, produisirent la terre ; (877d) que la terre, dilatée par le feu, avait donné naissance à l'eau, et que des exhalaisons de celle-ci s'était formé l'air; qu'un jour le monde et tous les êtres qu'il contient doivent être consumés dans un embrasement général. Ainsi, suivant ces philosophes,. le feu est le principe de tout, parce que toutes les substances sont sorties de lui, et qu'il en est le terme, parce que tout doit se résoudre en cet élément.

Épicure d'Athènes, fils de Néoclès, qui adopta les opinions philosophiques de Démocrite, établit pour principes des êtres, des corps qui ne sont aperçus que par la raison, qui n'admettent point de vide, qui, incréés, éternels et incorruptibles, ne peuvent ni se briser, ni se diviser, ni s'altérer. (877e) L'âme seule peut les connaître. Ils se meuvent dans le vide et par le moyen du vide. Ce vide est infini, comme les corps eux-mêmes, auxquels il attribue


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trois propriétés, la figure, la grandeur et la pesanteur.  Démocrite ne leur en avait donné que deux, la grandeur et la figure; Épicure y ajouta la pesanteur. Ces corps, disait-il, ne peuvent se mouvoir que par l'impulsion de leur gravité; sans cela, ils n'auraient pas de mouvement. Leurs figures sont bornées, et non infinies. (877f) Ils ne sont ni crochus, ni triangulaires, ni circulaires (13), parce que ces figures se brisent facilement ; au lieu que les atomes ne sont susceptibles ni d'altération ni de rupture, et ils ont leurs figures propres que l'esprit nous fait concevoir. On les appelle atomes, non à cause de leur extrême petitesse, mais parce qu'ils sont indivisibles, étant incapables d'altération et n'admettant aucun vide. Ainsi, qui dit atome, dit un corps qui ne peut être divisé, qui n'éprouve aucune altération et n'a point de vide. Quant à l'existence des atomes, elle est évidente; car il y a des éléments qui subsistent éternellement ; il y a aussi des espaces vides et des unités.

(878a) Empédocle d'Agrigente, fils de Méton, admet quatre éléments, le feu, l'air, l'eau et la terre ; et deux principes ou facultés, l'amitié et la discorde, dont l'une unit les substances, et l'autre les sépare. Voici comme il s'exprime :

Le brillant Jupiter et l'aimable Junon,
La féconde Nestis (14), le sévère Pluton,
Exerçant de concert la suprême puissance,
A ce vaste univers ont donné l'existence.

Il donne au feu et à l'éther le nom de Jupiter, à l'air celui


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de Junon vivifiante, à la terre celui de Pluton, et à l'eau celui de Nestis, qui est le principe de la fécondité humaine.

Socrate, fils de Sophronisque, et Platon, fils d'Ariston, tous deux Athéniens, ont eu l'un et l'autre les mêmes opinions sur la formation de l'univers (15). Ils établissent trois principes, Dieu, la matière et l'idée (16). Dieu est l'intelligence suprême ; la matière est le premier sujet de la génération et de la corruption ; l'idée est l'essence incorporelle des choses, laquelle existe dans la pensée et l'imagination divine, et Dieu est l'âme du monde.

Aristote de Stagire, fils de Nicomachus, suppose plusieurs principes, qui sont l'entéléchie ou la forme, la matière et la privation. Il dit qu'il y a quatre éléments, et une cinquième substance de nature éthérée et immuable.

Zénon le Citien, fils de Mnaséas, établit deux principes, Dieu et la matière, (878c) dont l'un est cause efficiente et l'autre sujet. Il admet aussi quatre éléments.

CHAPITRE IV.

Comment le monde a été formé.

Le monde a pris de la manière suivante la forme sphérique qu'il a maintenant. Les atomes n'ayant qu'un mouvement fortuit, qui n'était pas l'effet d'une faculté intelligente, (878d) et étant mus constamment avec beaucoup de rapidité autour d'un même point, plusieurs de ces corps se réunirent, et prirent nécessairement différentes figures et


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différentes grandeurs. Ainsi resserrés dans un même espace, les plus grands et les plus pesants occupèrent le bas ; et tous ceux qui étaient légers, ronds, polis et glissants, pressés par le choc de tous ces corps, gagnèrent l'espace supérieur. Dès que la puissance dont l'impulsion les forçait de s'élever se fut affaiblie, et que le choc ne fut plus capable de les faire monter, comme en même temps il leur était impossible de descendre, ils furent poussés vers les lieux qui pouvaient les recevoir, (878e) c'est-à-dire vers les espaces qui les environnaient, où un grand nombre de corps s'étant repliés, formèrent le ciel par leur réunion et leur réflexion mutuelle. Les atomes de même nature et de forme différente, poussés, comme on l'a déjà dit, vers les régions supérieures, produisirent les astres. Le grand nombre de corps qui s'élevèrent en exhalaisons frappèrent l'air, le comprimèrent; et cet élément ayant acquis par cette impression la nature du vent, il environna les astres, (878f) les entraîna dans sa marche, et produisit cette révolution des corps célestes qui dure encore aujourd'hui. Des atomes qui occupèrent l'espace inférieur se forma la terre, et de ceux qui s'étaient élevés dans les parties supérieures naquirent le ciel, le feu et l'air. Comme il restait beaucoup de matière renfermée dans la terre, et qu'elle avait été condensée par la pression des vents et par le souffle des astres, chacune de ces petites parties fut comprimée et produisit la substance humide. Celle-ci, par sa fluidité naturelle, alla occuper les endroits creux qui pouvaient la recevoir et la contenir, ou bien le séjour qu'elle fit sur certains lieux y produisit des cavités. C'est ainsi que se formèrent les principales parties du monde (17).


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CHAPITRE V.

(879a) S'il n'y a qu'un monde.

Les stoïciens prétendent que le monde est unique, qu'il est la même chose que l'univers (18), et qu'il est corporel.

Empédocle dit que le monde est unique, que cependant il n'est pas la même chose que l'univers, qu'il en est seulement une petite portion, et que le reste est une matière inerte et sans forme.

Suivant Platon, il n'y a qu'un monde et un univers, et il se fonde sur trois conjectures : la première, qu'il ne serait pas parfait s'il ne comprenait tous les êtres; la seconde, qu'il ne serait pas semblable à son modèle s'il n'était passa production unique (19); la troisième, qu'il ne serait pas incorruptible s'il existait quelque chose hors de lui. Mais il faut dire à Platon que le monde n'est point parfait, (879b) car il ne renferme pas tout ce qui existe ; et comment serait-il parfait, si quelque chose peut se mouvoir hors de lui? L'homme est parfait, et cependant il ne contient pas tout. Il peut y avoir plusieurs images du même modèle, comme on le voit par les statues, les peintures et les maisons. Le monde n'est pas incorruptible, et il ne peut l'être, puisqu'il a été produit.

Métrodore dit qu'il est aussi absurde de supposer un seul monde dans un espace infini, que de vouloir qu'il n'y ait qu'un seul épi dans un vaste champ; que la preuve qu'il existe des mondes à l'infini, c'est qu'il y a une infinité de causes. Et si le monde était fini, comment les causes communes qui l'ont produit seraient elles infinies ? Il faut donc que les mondes soient infinis en nombre. (879c) Dès que les


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causes existent, les effets doivent exister aussi (20). Or ces causes sont les atomes ou les éléments.

CHAPITRE VI.

D'où les hommes ont tiré la connaissance de Dieu.

Les stoïciens définissent Dieu un esprit intelligent et igné, qui n'a point de forme propre, mais qui prend toutes celles qu'il veut et s'assimile à toutes. Ils ont puisé cette notion de Dieu dans la beauté du monde visible ; car rien de ce qui est beau n'est produit par le hasard, mais par une cause efficiente et intelligente. (879d) Or le monde est beau, et c'est ce que prouvent évidemment sa figure, sa couleur, sa grandeur, et la variété des astres qui l'environnent. Il est de figure sphérique, et c'est la plus belle de toutes, la seule qui soit semblable à toutes ses parties. Ainsi le monde est rond, et ses parties le sont aussi. C'est pourquoi, suivant Platon, l'esprit de l'homme, qui en est la portion la plus auguste, a son siége dans la tête, qui est de forme ronde. La couleur du monde est belle aussi. Le ciel est teint d'un azur qui, plus sombre que le pourpre, a cependant assez d'éclat pour que la vivacité de sa couleur pénètre l'air et le fasse apercevoir à une si grande distance. (879e) Le monde est encore beau par sa grandeur : car dans tous les corps de même genre, l'extérieur, qui contient et enferme le reste, a toujours de la beauté, comme on le voit dans l'homme et dans l'arbre. Enfin tout ce qui est visible à nos yeux achève la beauté du monde. Le cercle oblique du zodiaque est distingué dans le ciel par des images diverses.

On y voit le Cancer, la Vierge et le Lion,
L'Archer et la Balance, avec le Scorpion,
Le Chevreau, les Poissons, le Verseau, qui féconde


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La terre en lui portant les bienfaits de son onde ;
Le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, que nos yeux
Avec étonnement regardent dans les cieux.

(879f) Dieu a fait une foule innombrable d'autres constellations qui sont dans de semblables convexités du monde; ce qui a fait dire à Euripide :

Ces globes dont l'éclat pare le firmament
Annoncent aux mortels un être intelligent.

Ce qui nous conduit encore à la connaissance de Dieu, c'est que le soleil, la lune et les autres astres, qui, dans leur révolution, passent sous la terre, conservent toujours leur couleur et leur grandeur, et reparaissent dans les mêmes temps et dans les mêmes lieux. Aussi, ceux qui nous ont enseigné le culte des dieux nous l'ont-ils présenté sous trois formes différentes : l'une physique, (880a) l'autre fabuleuse, et la troisième appuyée sur le témoignage des lois. La première nous est donnée par les philosophes, la seconde par les poètes, et la troisième, qui n'est autre chose que les lois religieuses mêmes, a été établie par chaque république. Toute la doctrine qui regarde les dieux se divise en sept espèces. La première est celle qui se tire des météores et des phénomènes naturels. Les hommes commencèrent à se former une idée de la Divinité lorsqu'ils virent l'harmonie admirable qui résultait de la révolution des astres, la vicissitude régulière des jours et des nuits, des hivers et des étés, du lever (880b) et du coucher des constellations, et ensuite la production des animaux et des fruits terrestres. Ils regardèrent le ciel et 'la terre comme le père et la mère des êtres : le ciel, parce que les eaux qu'il verse de son sein sont un principe de fertilité ; la terre, parce qu'elle est fécondée par ces eaux célestes. Quand ils eurent vu que les astres étaient toujours en mouvement, que c'était au soleil et à la lune qu'on devait la vue distincte des objets,


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ils donnèrent à tous les astres le nom de dieux. Par la seconde et la troisième espèce de doctrine religieuse, on divisa les dieux en divinités bienfaisantes et en divinités nuisibles. (880c) On mit dans la première classe Jupiter, Junon, Mercure et Cérès ; dans la seconde, les peines, les Furies et le dieu Mars, dont on apaise par des sacrifices la violence et la cruauté. La quatrième et la cinquième espèce de doctrine eurent pour objet les actions et les affections; ils désignèrent les dernières sous les noms de l'Amour, de Vénus et de Cupidon ; et les actions sous ceux de l'espérance, de la justice et de l'équité. La sixième espèce renferma les fictions des poètes. Car Hésiode, voulant donner des pères aux dieux qui avaient été engendrés, il imagina ceux-ci :

Céus et Créius, Japet, Hypérion.

Voilà pourquoi on donne à cette espèce de doctrine le nom de fabuleuse. La septième et la dernière fut celle de mortels qui, par leurs bienfaits envers la société, méritèrent les honneurs divins : de ce nombre furent Hercule, les Dioscures et Bacchus. (880d) Ils donnèrent à ces dieux la forme humaine, parce que si d'un côté la Divinité est ce qu'il y a de plus excellent, de l'autre l'homme, considère dans son âme, est supérieur à tous les autres animaux par l'éclat des vertus qui en font l'ornement. Ils ont donc pensé que la forme la plus belle devait être le partage des êtres qui surpassent tous les autres par leur mérite.

CHAPITRE VII.

Qu'est-ce que Dieu ?

Quelques philosophes, tels que Diagoras de Mélos, Théodore de Cyrène, et Évhémère de Tégée, ont soutenu ouvertement qu'il n'y avait point de dieux. Callima-


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que le Cyrénéen désigne dans les vers suivants le dernier de ces philosophes :

(880e) Venez, accourez tous aux portes de la ville,
Approchez-vous du temple où ce vieillard débile,
Qui fit de Jupiter un simple, bloc d'airain,
De ses sombres écrits distille le venin. 

Il fait allusion aux ouvrages qu'Évhémère composa pour prouver qu'il n'y avait point de dieux. La crainte de l'Aréopage a empêché le poète Euripide de s'expliquer librement à ce sujet. Mais il fait entendre ce qu'il en pense quand il prête son opinion à Sisyphe, qui l'expose en ces termes :

Jadis l'homme sauvage habitait dans les bois,
Au désordre livré, méconnaissant les lois,
Et n'ayant d'autre frein que la force et l'audace.

(880f) Il ajoute que l'établissement des lois réprima l'injustice; mais, comme la loi ne pouvait arrêter que les crimes manifestes, et qu'il s'en commettait beaucoup de secrets, un homme habile et prudent imagina de substituer à la vérité un mensonge officieux, en persuadant aux hommes

Que d'un être éternel la suprême puissance
Entend tout et voit tout ; que sa vaste science
Par les plus sages lois dirige l'univers;

D'autres traitent de rêves poétiques ces vers de Callimaque :

Connaissez-vous de Dieu la nature et l'essence ?
Il n'est rien d'impossible à sa toute-puissance.

Dieu, disent-ils, ne peut pas tout faire, ou s'il le peut comme Dieu, (881a) qu'il fasse donc que la neige soit noire, que le feu soit froid, qu'un homme assis soit debout, ou qu'un homme debout soit assis. Car Platon, qui emploie ordinairement des expressions pompeuses, en disant que Dieu a


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formé le monde d'après l'idée exemplaire qu'il avait en lui-même, ne répète en cela que de vieilles rapsodies dignes des poètes de l'ancienne comédie. En effet, comment Dieu, en se regardant lui-même, formait-il le monde? ou comment donne-t-il à Dieu une forme sphérique, et le fait-il ainsi inférieur à l'homme?

Anaxagore dit qu'au commencement les corps étaient sans mouvement, mais que l'intelligence divine les mit tous en ordre, et leur donna la naissance. Platon a supposé que les corps n'étaient pas en repos, mais qu'ils avaient un mouvement irrégulier, et que Dieu, jugeant l'ordre préférable à la confusion, leur donna la disposition qu'ils ont actuellement. (881b) Mais ils se trompent l'un et l'autre, en ce qu'ils veulent que Dieu s'occupe des choses humaines, et que ce soit par ce motif qu'il a formé le monde. Un être heureux et exempt de toute altération, à qui il ne manque aucun bien, incapable de tout mal, dont l'existence est dans sa propre félicité et dans son immutabilité, ne peut pas s'embarrasser des choses humaines. Il serait malheureux si, comme un ouvrier ou un architecte, il se fatiguait et se tourmentait à la construction du monde (21). (881c) D'ailleurs, ou ce dieu d'Anaxagore n'existait point avant les siècles, quand les corps n'avaient pas de mouvement, ou qu'ils erraient sans ordre; ou bien il dormait, ou il veillait, ou enfin il ne faisait ni l'un ni l'autre. La première supposition est inadmissible, puisque Dieu est éternel. La seconde ne l'est pas moins : si Dieu eût dormi depuis l'éternité, il serait mort ; car un sommeil éternel n'est pas différent de la mort. Bien plus, Dieu est incapable de sommeil : l'immortalité divine et un état très voisin de la mort sont deux choses


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incompatibles. Si Dieu était éveillé, ou il manquait quelque chose à sa félicité, ou il était parfaitement heureux. Dans la première supposition, il n'eût pas été heureux ; celui au bonheur duquel il manque quelque chose n'est point heureux. Dans la seconde, il ne l'est pas davantage, puisque, n'ayant besoin de rien, il va s'embarrasser de soins inutiles. (881d) Enfin, s'il est Dieu, et qu'il gouverne par sa providence les choses humaines, comment se fait-il que les méchants soient heureux ici-bas, et les gens de bien malheureux? Agamemnon,

Qui fut aussi bon roi que guerrier courageux,

est tué par un homme et une femme adultères ; et Hercule, l'auteur de la race de ce prince, après avoir délivré le genre humain des fléaux qui le ravageaient, est trahi et empoisonné par Déjanire.

Thalès dit que Dieu est l'âme du monde ; Anaximandre, que les astres sont les dieux célestes ; Démocrite, que Dieu est un esprit igné, et qu'il est l'âme du monde. (881e) Pythagore dit que des deux principes, l'unité est Dieu et le premier bien, qu'elle est la nature de l'âme, l'âme elle-même ; et que la dyade, infinie de sa nature, est le mauvais génie qui produit la multitude des êtres matériels, et qu'elle est le monde visible.

Socrate et Platon ont dit que Dieu est un, qu'il n'a qu'en lui-même le principe de son existence, qu'il est l'unité et le véritable bien. Tous ces attributs se rapportent à l'intelligence. Ainsi Dieu est un esprit, une forme séparée et distincte de toute matière, qui n'est mêlée à rien de passible.

Aristote croit que le Dieu suprême est une forme distincte (881f) de toute autre, qu'il est placé au-dessus de la sphère de l'univers, laquelle est une substance éthérée, qu'il appelle quintessence. Cette substance étant divisée en sphères, qui, jointes par la nature, sont séparées par la raison,


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il dit que chaque sphère est un animal composé de corps et d'âme; que le corps est d'une nature éthérée, et se meut circulairement ; et l'âme, un être raisonnable qui, immobile en soi, est par son énergie le principe du mouvement.

Les stoïciens disent assez généralement que Dieu est un feu artiste, qui procède avec méthode à la formation du monde, et contient en lui toutes les raisons séminales d'après lesquelles le Destin donne naissance à tous les êtres. (882a) Ils disent aussi que Dieu est un souffle qui pénètre de son action tout l'univers, et qui reçoit des noms différents, d'après les changements divers que subit la matière dans laquelle il passe tour à tour. Dieu, selon eux, est encore le monde, les étoiles et la terre, et le Dieu suprême est l'intelligence qui réside dans la région éthérée.

Épicure dit que tous les dieux ont une forme humaine, mais que la raison seule peut les apercevoir, à cause de la ténuité des parties qui forment leurs simulacres. Il donne aussi l'incorruptibilité à quatre autres substances, les atomes, le vide, l'infini et les parties semblables. Il appelle aussi ces dernières parties, similaires et éléments.

CHAPITRE VIII.

(882b) Des génies et des héros.

Il est naturel qu'après les dieux nous parlions des génies et des héros. Thalès, Pythagore, Platon et les stoïciens ont dit que les génies sont des substances spirituelles, et les héros, des âmes séparées des corps qu'elles ont autrefois animés ; qu'ils sont de bons ou de mauvais esprits, suivant que leurs âmes ont été bonnes ou mauvaises. Épicure n'admet ni génies ni héros.


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CHAPITRE IX.

De la matière.

(882c) La matière est le premier sujet de la génération des êtres, de leur corruption, et de tous leurs autres changements. Les sectateurs de Thalès, ceux de Pythagore et les stoïciens disent que de sa nature elle est variable, changeante, et susceptible dans toutes ses parties de toutes les formes possibles. Les partisans de Démocrite prétendent que les premiers principes des êtres, c'est-à-dire les atomes, le vide et les substances incorporelles, ne sont sujets à aucune altération. Aristote et Platon veulent que la matière, à ne considérer que sa nature, soit corporelle, qu'elle n'ait ni forme, ni espèce, ni figure, ni qualité ; mais qu'elle reçoive toutes les formes, qu'elle en soit comme la mère, la nourrice, et le fond d'où elles sont tirées. Ceux qui disent que la matière est de l'eau, de la terre, du feu et de l'air, ne la supposent plus privée de toute forme, et ils lui donnent le nom de corps (22) ; mais ils veulent que la matière soit composée de corps indivisibles.

CHAPITRE X.

(882d) De l'idée.

L'idée est une substance incorporelle qui, subsistant par elle-même, donne la forme aux matières qui n'en ont point, et est le premier principe de leur ordre et de leur disposition. Socrate et Platon disent que les idées sont des substances séparées de la matière, qui existent


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dans la pensée et l'imagination de Dieu, c'est-à-dire de l'être intelligent. Aristote a admis les idées et les formes, mais il ne les croit pas séparées de la matière ; et c'est d'après elles que Dieu, selon lui, a tout formé. (882e) Les stoïciens, sectateurs de Zénon, ont dit que les idées étaient des conceptions de notre esprit.

CHAPITRE XI.

Des causes.

Une cause est ce qui produit un effet, ou à l'occasion de quoi il arrive. Platon en distingue trois, l'efficiente, la matérielle et la finale. Il regarde la première comme la plus excellente, et c'est l'être intelligent lui-même. Pythagore et Aristote disent que les causes premières sont incorporelles, et que les causes secondes ou accidentelles sont corporelles ; en sorte que le monde est corporel. (882f) Les stoïciens veulent que toutes les causes soient corporelles, puisque ce sont des esprits.

CHAPITRE XII.

Des corps.

Le corps est composé de trois dimensions, largeur, longueur et profondeur (23). Selon d'autres, c'est une masse qui, par sa nature, résiste à l'impression du tact, ou enfin, c'est ce qui occupe un espace. Platon dit qu'un corps est ce qui n'a ni pesanteur ni légèreté, lorsqu'il se trouve dans la place qui lui convient, et qui, s'il est dans un espace qui ne lui convient pas, a une inclinaison (833a) qui lui donne de la tendance à la légèreté ou à la pesanteur. Aristote prétend que généralement la terre est le corps


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le plus pesant, et le feu le corps le plus léger ; que l'air et l'eau sont tantôt plus et tantôt moins pesants. Les stoïciens disent que des quatre éléments, deux sont légers, c'est le feu et l'air; et deux sont pesants, la terre et l'eau. Les corps légers sont ceux qui s'éloignent naturellement de leur propre centre, et les corps graves, ceux qui y tendent. Le centre lui-même n'est point grave. Épicure croit que les corps sont infinis ; que les premiers éléments sont simples, mais que les êtres composés, formés de ceux-ci, ont de la gravité ; qu'entre les atomes, (833b) les uns sont mus perpendiculairement, et les autres ont une direction oblique ; que parmi ceux qui s'élèvent en haut, les uns le font par impulsion, et les autres par répercussion.

CHAPITRE XIII.

Des corps les plus petits.

Empédocle dit qu'avant les quatre éléments, il y a des corps infiniment petits, composés de parties similaires et rondes, et qui sont comme des éléments antécédents aux quatre (883c) premiers. Héraclite admet aussi des fragments très petits, et qui sont indivisibles.

CHAPITRE XIV.

Des figures.

La figure est la superficie, le contour et la terminaison des corps. Les pythagoriciens disent que les corps des quatre éléments sont sphériques, et que le feu seul, qui occupe l'espace le plus haut, est de figure conique.

CHAPITRE XV.

Des couleurs.

La couleur est dans les corps la qualité qui les rend


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visibles. Les pythagoriciens donnent à la surface du corps le nom de couleur ; Empédocle l'applique à ce qui  est analogue aux pores de la vue ; Platon, à la flamme qui émane des corps, et dont les parties sont proportionnées à celles de notre vue. Zénon le stoïcien dit que les couleurs sont les premières figures de la matière. Les disciples de Pythagore comptent quatre espèces générales de couleurs, qui sont le blanc (883d) et le noir, le rouge et le jaune ; ils ajoutent que les nuances intermédiaires sont produites par les divers mélanges des éléments, et que les couleurs des animaux viennent de la différence des nourritures, et de l'air.

CHAPITRE XVI.

De la divisibilité des corps.

Les disciples de Thalès et de Pythagore disent que les corps sont susceptibles d'impressions, et divisibles à l'infini. D'autres philosophes pensent que les atomes et les corps qui n'ont point de parties, ont toujours la même consistance et ne peuvent être divisés à l'infini. Aristote croit que les corps sont divisibles à l'infini en puissance et non pas en acte.

CHAPITRE XVII.

Du mélange et de la combinaison des corps.

(883e) Les anciens ont cru que le mélange des éléments se fait par un changement réciproque de leurs qualités. Anaxagore et Démocrite disent que c'est par une opposition mutuelle des parties. Empédocle compose les éléments des parties les plus petites, qui, selon lui, sont comme les éléments des éléments. Platon admet que les trois premiers corps (car il leur refuse proprement le nom


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l'autre, mais que la terre ne peut se changer en aucun dos trois autres.

CHAPITRE XVIII.

Du vide.

Tous les physiciens, depuis Thalès jusqu'à Platon, (833f) n'ont pas admis le vide. Empédocle a dit :

Il n'est dans l'univers ni superflu ni vide.

Leucippe, Démocrite, Démétrius, Métrodore et Épicure disent que les atomes sont infinis en nombre, et que le vide l'est en grandeur. Les stoïciens prétendent qu'il n'y a point de vide dans le monde, mais que hors du monde il y a un vide infini. Aristote dit que les pythagoriciens admettent un vide qui s'étend jusqu'au ciel, et qui est comme l'aspiration d'un souffle immense ; il est le premier des nombres, car c'est le vide qui en distingue la nature.

CHAPITRE XIX.

(884e) De l'espace.

Platon dit que l'espace est ce qui peut recevoir successivement toutes les formes. Ainsi c'est la matière qu'il a appelée métaphoriquement espace, comme étant la nourrice et le récipient des êtres/Aristote définit l'espace l'extrémité du corps contenant, appliqué au corps contenu.

CHAPITRE XX.

De la capacité.

Les stoïciens et Épicure ont cru que le vide, l'espace et la capacité diffèrent entre eux ; que le vide est la privation de corps, et la capacité, (884b) ce qui n'est occupé qu'en partie, comme le tonneau par le vin.


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CHAPITRE XXI.

Du temps.

Pythagore dit que le temps est la sphère qui environne le monde. Platon, que c'est l'image mobile de l'éternité ou la durée du mouvement de l'univers. Ératosthène a dit que c'est le cours du soleil (24).

CHAPITRE XXII.

De la nature du temps.

Platon croit que la substance du temps est le mouvement du ciel. Le plus grand nombre des stoïciens pensent que c'est le mouvement lui-même. Plusieurs philosophes veulent que le temps soit incréé, et Platon croit qu'on ne peut le dire créé que suivant notre manière ordinaire de concevoir les choses (25)?

CHAPITRE XXIII.

Du mouvement.

Le mouvement, selon Pythagore et Platon, est une différence, un changement- dans la matière. Aristote dit que c'est l'acte de la puissance mobile. Démocrite n'admet qu'une espèce de mouvement, c'est l'oblique. Épicure en suppose deux, l'un perpendiculaire et l'autre de déclinaison. Hérophile croit qu'il y a deux mouvements, l'un qui


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n'est sensible qu'à l'esprit, et l'autre qui l'est aux sens. Héraclite ôte à tous les corps, le repos et l'immobilité, qui, selon lui, ne conviennent qu'aux morts. Il attribue un mouvement perpétuel aux corps éternels, et un mouvement passager aux corps périssables.

CHAPITRE XXIV.

De la génération et de la corruption.

(884d) Parménide, Mélissus et Zénon n'ont admis ni génération ni corruption, parce qu'ils ont cru l'univers immuable. Empédocle, Épicure et tous ceux qui composent le monde de la réunion des corps les [plus petits admettent des coalitions et des séparations ; mais ils ne veulent proprement ni génération ni corruption, parce qu'ils supposent qu'il ne se fait point de changement dans les qualités des substances, mais seulement dans les quantités, par la réunion des corps. Pythagore et tous ceux qui veulent que la matière soit susceptible de changer admettent à la rigueur la génération et la corruption, et croient qu'elles sont l'effet de l'altération, du changement et de la dissolution des éléments.

CHAPITRE XXV.

De la nécessité.

(884e) Thalès dit que la nécessité est ce qu'il y a de plus fort, car elle commande à tout. Pythagore, que la nécessité embrasse le monde. Parménide et Démocrite, que tout est fait par la nécessité, et qu'elle est la même chose que le Destin, la Justice, la Providence et la cause efficiente du monde.

 

CHAPITRE XXVI.

De la nature de la nécessité.

(884f) Platon attribue certains effets à la Providence et d'au-


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tres à la nécessité. Empédocle dit que la nature de la nécessité est la cause qui emploie dans ses opérations les principes et les éléments. Démocrite croit que c'est la résistance, l'action et l'impulsion de la matière. Platon veut que ce soit tantôt la matière, tantôt le rapport que la cause efficiente a avec la matière.

CHAPITRE XXVII.

Du Destin.

Héraclite prétend que tout est fait par le Destin et qu'il est la même chose que la nécessité. Platon admet le Destin comme cause des actions humaines, (885a) mais il y joint celle qui vient de notre libre arbitre. Les stoïciens sont sur ce point du sentiment de Platon : ils disent aussi que la nécessité est une cause immuable et invincible ; que le Destin est un enchaînement réglé de causes, dans lequel sont aussi renfermées celles qui sont dépendantes de notre volonté ; en sorte qu'il y a des actions faites par le Destin et d'autres dont il n'est pas la cause.

CHAPITRE XXVIII.

De la nature du Destin.

Héraclite a cru que la nature du Destin est la raison ou l'âme qui pénètre tout l'univers ; que le Destin lui-même est un corps éthéré et comme le germe de la production de tous les êtres. Platon dit que c'est la raison éternelle et la loi invariable de la nature de l'univers. (885b) Chrysippe veut que ce soit la force spirituelle qui régit avec ordre l'univers. Dans ses définitions, il dit que le Destin est la raison du monde, ou la loi des êtres qui composent le monde et qui sont régis par la Providence, ou la raison d'après laquelle tout a été fait, se fait et se fera.


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Les stoïciens le définissent l'enchaînement des causes, c'est-à-dire l'ordre et la liaison invariables d'après lesquels elles agissent. Posidonius dit que c'est la troisième cause après Jupiter. Ce dieu est la première cause, la nature est la seconde, et le Destin la troisième.

CHAPITRE XXIX.

De la Fortune.

(885c) La Fortune est, suivant Platon, une cause accidentelle qui survient dans les actions dont la volonté a fait le choix. Aristote dit que c'est une cause accidentelle dans les actions que la volonté nous fait faire pour une fin particulière; qu'elle est cachée et variable. il ajoute que le hasard diffère de la Fortune ; que ce qui est fait par la Fortune peut admettre aussi le hasard, et a lieu dans les actions pratiques ; mais que le hasard ne donne pas toujours lieu à la Fortune, parce qu'il ne porte point sur les actions dépendantes de la volonté ; que la Fortune n'est relative qu'aux êtres raisonnables, au lieu que le hasard est commun aux animaux raisonnables et à ceux qui ne le sont pas, et même aux choses inanimées. Épicure définit la Fortune une cause qui varie suivant les personnes, les temps et les mœurs. Anaxagore et les stoïciens disent que c'est une cause inconnue à la raison humaine ; qu'il y a des choses qui sont faites par la nécessité, d'autres par la Fortune, (885c) celles-ci par la volonté humaine, et celles-là par le Destin.

CHAPITRE XXX.

De la nature.

Empédocle dit que la nature n'est autre chose que le mélange et la séparation des éléments. Voici comment il s'exprime dans 'son premier livre de la Philosophie naturelle :


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La nature n'est rien ; la mort et la naissance
Ne sont pas les effets de sa vaine puissance;
Elle est îles corps divers la secrète union,
Et de tout composé la séparation.

Anaxagore prétend aussi que la nature n'est autre chose que l'union et la séparation des corps, c'est-à-dire leur production et leur destruction.


(01) Le mot de vertu est pris ici dans un sens plus étendu qu'on ne le prend ordinairement. Nous n'entendons le plus souvent par ce terme que ce qui a rapport aux mœurs et à la conduite de la vie,et c'est proprement la vertu morale. Les anciens y comprenaient les connaissances qui sont purement du ressort de l'esprit, et que nous appellerions des facultés plutôt que des vertus.

(02) Celle division de la philosophie, dont Diogène Laërce attribue l'invention à Zénon, avait été donnée plus anciennement par les académiciens et par les disciples d'Aristote.

(03) Voici le texte même d'Aristote : « Tout ce qui est fait par nature a en soi le principe de son mouvement et de son repos. » Il dit encore : « Et tout être qui a un pareil principe a ce qu'on appelle nature.» 

(04) Aristote faisait le monde éternel et supposait que la matière, qui existait de toute éternité, avait par elle-même son mouvement. Ainsi, quand il parle de choses non éternelles et produites par un principe, il faut l'entendre des espèces et des individus qui forment les êtres sublunaires dont il appelle les principes particuliers entéléchies, c'est-à-dire des natures dont la forme est incorporelle, et qui forment et organisent chaque individu.

(05) Il faut entendre par le mot de principe, non la cause effectrice des choses produites, mais les premières parties de matière qui entrent dans la composition des corps. Ainsi, sous ce rapport, principe et élément sont une même chose, et Thalès ne se trompait pas en les confondant l'un avec l'autre.

(06) Ces trois principes métaphysiques ne sont que des êtres de raison, îles abstractions creuses qui n'ont ni réalité en elles-mêmes, ni action sur des êtres.

(07) Thalès fut le premier qui donna naissance à la philosophie, non en ce sens qu'avant lui personne n'eût traité de matières philosophiques, mais qu'il fui le premier qui réduisit en. quelque sorte la philosophie en art, en forma comme un système, et, comme le dit Diogène Laërce, discourut le premier sur la nature.

(08) Diogène Laërce joint l'infini à l'air ; en sorte que, suivant Anaximène, cet air, principe des êtres, était infini; mais les êtres auxquels il donnait naissance étaient en nombre défini ou déterminé.

(09) C'est-à-dire des parties similaires.

(10) Anaxagore n'est pas le premier qui ait reconnu cette cause intelligente, distincte du principe matériel et passif des êtres ; mais il l'a mieux fait connaître que ses prédécesseurs, ce qui lui en fait attribuer l'invention.

(11) Il ne faut pas conclure de ce qui est dit ici que la secte ionique ait fini à Archélaüs, puisqu'il y eut après lui des philosophes attachés à la doctrine de Thalès. L'auteur veut dire seulement que la physique cessa alors de faire le seul objet des spéculations de cette école, et que Socrate, disciple d'Archélaüs, se livra uniquement à renseignement de la morale.

(12) L'unité et le nombre binaire.

(13) L'auteur n'expose pas bien exactement la doctrine d'Épicure sur la forme des atomes; ce philosophe supposait des atomes crochus, courbés et angulaires.

(14) Ménage, dans ses notes sur Diogène Laërce, croit que ce nom est formé du mot grec qui signifie nager, d'où est tiré aussi celui de Néréides. Au reste, les philosophes ne s'accordaient pas sur les noms des divinités qui désignaient les éléments. Les stoïciens, par exemple, donnaient à l'air le nom de Junon, d'autres à la terre ; de même Pluton était tantôt le symbole de l'air et tantôt celui de la terre.

(15) Socrate n'a rien laissé d'écrit sur ses opinions en physique ; et quoique Platon rende assez ordinairement ses sentiments dans les dialogues où il le fait parler, on peut douter si ce n'est p:is plutôt ses propres opinions qu'il expose sur ces matières que celles de son maître, car on sait que Socrate ne s'occupait guère que de morale.

(16) C'est-à-dire la forme que Dieu a donnée aux êtres, d'après l'exemplaire éternel qu'il en avait en lui-même, comme l'auteur va le dire.

(17) L'auteur a présenté ici la formation du monde d'après Épicure, quoi qu'il n'ait pas nommé ce philosophe. Lucrèce a développé ce système dans son poème : «Ce n'est point, dit-il, par un effet de leur intelligence. »

(18) Les stoïciens menaient de la différence entre l'univers et le monde : suivant eux, l'univers comprenait tout l'espace vide et plein, au lieu que le monde était l'espace plein autour duquel était l'espace vide.

(19) Platon supposait que le monde avait été forme d'après les idées exemplaires que Dieu avait éternellement en lui-même.

(20) Épicure se servait de cet argument pour prouver la pluralité des mondes.

(21) Cette opinion ne peut pas dire celle de notre auteur. Dès qu'il donnait son ouvrage sous le nom de Plutarque, il se serait trahi en soutenant une doctrine aussi opposée à celle du philosophe religieux de Chéronée. Il y a apparence qu'il fait parler encore ici Épicure, dont les copistes auront passé le nom. Cette opinion était celle de son école.

(22) Les anciens philosophes distinguaient entre matière et corps. Ils désignaient par le premier nom la matière informe, qui n'avait pas encore reçu ses modifications ; et par le second, ils entendaient la matière organisée.

(23) Cette opinion n'est attribuée ici à aucun philosophe; mais Stobée dit qu'elle est de Chrysippe et de Posidonius, deux célèbres stoïciens. Épicure définit de même le corps, suivant Sextus Empiricus, adv. Mathem., lib. I, seg. 21.

(24)  L'idée du temps est une de celles qui a le plus exercé les philosophes. Tout le monde connaît le mot de saint Augustin, qui disait : Je sais ce que c'est que le temps quand ou ne me le demande point; mais je ne le sais plus quand on me le demande.

(25) Cette opinion célèbre de Platon, par laquelle ce philosophe paraît avoir admis que le temps est à la fois créé et -incréé, a donné lieu à de vives disputes sur l'éternité du monde, entre les platoniciens et les disciples d'Aristote.