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PLUTARQUE

 

OEUVRES MORALES

LES OPINIONS DES PHILOSOPHES.  

 

 

texte grec

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LES OPINIONS DES PHILOSOPHES.

PRÉFACE DE L'AUTEUR.

[886b] Après avoir achevé ce que j'avais à dire sur les principes des êtres, sur les éléments et sur les objets qui y tiennent de plus près, je vais parler des effets qui en sont le résultat, en commençant par celui qui contient tous les autres.

LIVRE SECOND.

CHAPITRE PREMIER.

Du monde.

Pythagore est le premier qui ait donné à l'univers le nom de monde (01), à cause de l'ordre qui y règne. Thalès et les philosophes de son école n'ont admis qu'un seul monde (02). [886c] Démocrite, Épicure et Métrodore, leur disciple, supposent une infinité de mondes dans un espace qui est infini suivant toutes ses dimensions. Empédocle dit que le monde ne s'étend pas au delà du cours du soleil, qui eu détermine les homes. Séleucus a cru le monde infini. Diogène prétend que l'univers est infini, et que le monde ne l'est pas. Les stoïciens mettent de la différence entre le monde et l'univers. Ce dernier, selon eux, comprend l'espace plein et le vide, et il est infini ; le vide ôté, il reste le monde ; en sorte que l'univers et le monde ne sont pas une même chose.


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CHAPITRE II.

De la figure du monde.

Les stoïciens disent que le monde a la figure sphérique ; d'autres lui donnent la forme d'un cône, [886d] quelques uns celle d'un œuf. Épicure pense que les mondes peuvent avoir la forme sphérique, mais qu'ils sont susceptibles aussi d'autres figures.

CHAPITRE III.

Si le monde est animé.

Tous les autres philosophes croient que le monde est animé et dirigé par une providence ; mais Démocrite, Épicure et tous ceux qui admettent les atomes et le vide disent qu'il n'est ni animé ni régi par une providence intelligente, mais par une certaine nature privée de raison (03). Aristote prétend que le monde n'est ni animé dans toutes ses parties, ni sensible, [886e] ni raisonnable, ni intelli-


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gent, ni conduit par la Providence. Toutes ces propriétés conviennent, selon lui, aux corps célestes, parce que leurs sphères sont vivantes et animées; mais les substances terrestres n'ont aucun de ces attributs, et l'ordre même qui s'y trouve est purement accidentel, et n'est pas l'effet d une cause préagissante.

CHAPITRE IV.

Si le monde est incorruptible.

Pythagore et Platon (04) disent que le monde est la production de Dieu ; que de sa nature il est corruptible, parce qu'il est sensible, et par conséquent corporel ; que cependant il ne périra pas, et qu'il sera conservé par la Providence. Épicure prétend qu'il est corruptible, parce qu'il a été produit comme l'est un animal et une plante. Xénophane le croit incréé, incorruptible [886f] et éternel. Aristote veut que la partie sublunaire du monde soit passible, et que les corps terrestres y éprouvent des altérations.

CHAPITRE V.

De quoi se nourrit le monde.

Aristote dit que si le monde prenait de la nourriture, il


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périrait un jour; mais que, n'ayant besoin d'aucun aliment, il est éternel. [887a] Platon croit que le monde trouve sa nourriture dans ce qui périt par les altérations qu'il éprouve. Philolaüs croit que le monde a un double aliment, soit dans le feu qui tombe du ciel, soit dans les eaux de la lune que la révolution de cet astre verse sur la terre ; et ces doubles exhalaisons sont la nourriture du
monde.

CHAPITRE VI.

Par quel élément Dieu commença à former le monde.

Les physiciens disent que la formation du monde a commencé par la terre, qui en occupe le centre (05), et le centre est le commencement de la sphère. Pythagore croit que c'est parle feu et par le cinquième élément. [887b] Empédocle prétend que l'éther fut séparé le premier, le feu le second, ensuite la terre, qui, se trouvant fortement comprimée par la rapidité de sa révolution, fit sourdre l'eau, d'où l'air se dégagea. Le ciel fut formé de l'éther, le soleil du feu, et les corps terrestres des autres éléments. Platon dit que le monde visible a été formé sur le modèle du monde idéal ; que l'âme est la première partie du monde visible; qu'après elle vient la substance corporelle, dont la première portion a été formée du feu et de la terre, et la seconde de l'air et de l'eau. Pythagore veut qu'entre les cinq figures des corps solides qu'on appelle mathématiques, la terre ait été formée du cube,[887c]  le feu de la pyramide, l'air de l'octaèdre, l'eau de l'icosaèdre, et la sphère de l'univers, du dodécaèdre. Platon est, à cet égard, de l'avis de Pythagore.


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CHAPITRE VII.

De la disposition du monde.

Parménide forme le monde de plusieurs couronnes appliquées l'une sur l'autre, qui sont, les unes d'une matière dense, et les autres d'une matière raréfiée. Elles sont mélangées de la lumière et des ténèbres, qui les séparent entre elles ; et la substance qui les environne toutes est aussi solide qu'un mur (06). [887d] Leucippe et Démocrite enveloppent le monde d'une tunique ou membrane. Épicure dit que l'extrémité de certains mondes est d'une substance raréfiée, et celle de quelques autres plus condensée; que les uns sont en mouvement, et les autres immobiles. Platon met le feu au premier rang, ensuite l'éther, puis l'air, l'eau, et enfin la terre ; quelquefois il joint l'éther avec le feu. Aristote place d'abord l'éther, qui est impassible, et dont il fait une cinquième substance ; après lui, les corps passibles, tels que le feu, l'air, l'eau, et, en dernier lieu, la terre. Il donne aux corps célestes un mouvement circulaire. Pour les corps sublunaires, il suppose dans les plus légers un mouvement d'ascension, et, dans les plus pesants, un mouvement vers le centre. [887e] Empédocle ne croit pas que les places qu'occupent les éléments soient déterminées et toujours les mêmes, mais qu'ils en changent entre eux.

CHAPITRE VIII.

Quelle est la cause de l'inclinaison du monde.

Diogène et Anaxagore disent qu'après que le monde


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fut formé et les animaux produits de la terre, le monde reçut une inclinaison spontanée vers le midi. Peut-être fut-elle l'effet de la Providence, afin que certaines parties du monde fussent inhabitables, et que d'autres pussent être habitées à raison de la température du froid et du chaud. [887f] Empédocle croit que l'air ayant cédé à l'action violente du soleil, les pôles furent inclinés, les parties boréales s'élevèrent, et celles du midi s'abaissèrent, et ainsi tout le monde fut incliné.

CHAPITRE IX.

S'il y a du vide hors du monde.

Les pythagoriciens disent qu'il y a hors du monde un vide dans lequel et hors duquel le monde respire (07). [888a] Les stoïciens admettent un vide infini dans lequel le monde se dissoudra par un embrasement général. Posidonius, dans son livre premier sur le vide , croit que le vide n'est pas infini, mais seulement aussi grand qu'il le faut pour que le monde puisse s'y dissoudre. Aristote prétend qu'il y a du vide (08). Platon n'en admet ni dans le monde ni hors du monde.

CHAPITRE X.

Quelle est la partie droite du monde, et quelle est sa partie gauche.

Pythagore, Platon et Aristote placent la partie droite du monde [888b] à l'orient, où les corps célestes commencent leur révolution, et la partie gauche à l'occident. Empé-


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docle met la partie droite vers le tropique d'été, et la gauche vers le tropique d'hiver (09).

CHAPITRE XI.

Du ciel et de sa substance.

Anaximènes dit que la dernière circonférence du ciel est d'une substance terrestre (10). Empédocle croit que le ciel est solide, qu'il est formé d'un air vitrifié par le feu, et semblable à du cristal, et qu'il contient dans chacun de ses hémisphères une substance aérienne et ignée. Aristote dit qu'il est composé de la cinquième substance; d'autres, qu'il est formé du feu ou d'un mélange de froid et de chaud.

CHAPITRE XII.

En combien de cercles le ciel est divisé.

[888c] Thalès, Pythagore et ses sectateurs ont divisé toute la sphère du ciel en cinq cercles qu'ils appellent zones. Ils nomment le premier cercle, l'arctique (11), toujours visible ; le second, le tropique d'été; le troisième, l'équinoxal; le quatrième, le tropique d'hiver, et le cinquième, l'antarctique, qui n'est jamais visible. Il y en a un autre, appelé zodiaque, qui tombe obliquement sur les trois cercles du milieu, et qui les touche tous les trois. Le cercle du méridien coupe tous les autres à angles droits d'un pôle à l'autre. On dit que Pythagore a le premier observé cette


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obliquité [888d] du zodiaque (12); mais Énopide de Chio s'est attribué l'honneur de cette découverte.

CHAPITRE XIII.

Quelle est la substance des astres, et comment ils ont été formes.

Thalès croit qu'ils sont d'une substance terrestre, mais cependant enflammée. Empédocle prétend qu'ils sont de nature ignée, et qu'ils ont été formés de ce feu que l'éther contient, et qui en a été exprimé dans la première séparation des éléments. Anaxagore a cru que l'éther qui environne la terre est d'une nature ignée; que la rapidité de son mouvement circulaire ayant détaché de la terre des pierres de son globe, et les ayant enflammées, les astres en avaient été formés. [888e] Diogène croit que les étoiles sont de la nature des pierres ponces, et qu'elles sont les soupiraux du monde. Il pense que ces pierres sont invisibles, et qu'elles s'éteignent en tombant souvent sur la terre, comme il arriva à Egos-Potamos, où il tomba un astre de pierre en forme de feu (13). Empédocle dit que les étoiles fixes sont attachées au cristal du ciel, et que les planètes en sont détachées. Platon veut que les étoiles soient, en grande partie, d'une substance ignée, à laquelle les parties des autres éléments s'attachent comme à une espèce de colle. [888f] Xénophane dit que


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les astres se forment de nuages enflammés qui s'éteignent chaque jour, et qui, la nuit, se rallument comme des charbons. Il ajoute que leur lever et leur coucher ne sont autre chose que l'embrasement et l'extinction de ces nuages. Héraclide et les pythagoriciens croient que chaque astre est un monde qui contient dans un air infini une terre et un éther. Ces opinions se trouvent dans les vers orphiques, où de chaque astre on fait un monde. [889a] Épicure ne rejette aucun de ces sentiments, et s'en tient à dire que tout cela est possible.

CHAPITRE XIV.

De la figure des astres.

Les stoïciens pensent que les astres sont de figure sphérique, comme le monde, le soleil et la lune. Cléanthe dit qu'ils ont la forme d'un cône ; Anaximènes, qu'ils sont attachés comme des clous au cristal du ciel ; d'autres veulent que ce soient des lames enflammées, semblables à des tableaux.

CHAPITRE XV.

De l'ordre et de la situation des astres.

Xénocrate (14) croit que les astres sont placés sur une même surface. Les autres stoïciens disent qu'ils occupent des surfaces qui diffèrent en hauteur et en profondeur. [889b] Démocrite place d'abord les étoiles fixes, ensuite les planètes, et après elles le soleil, l'étoile de Vénus et la lune. Platon met au premier rang, après les étoiles fixes, la planète de Saturne, qu'il appelle Phénon, et


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ensuite celle de Phaéton ou de Jupiter. La troisième est Pyroïs ou Mars ; la quatrième, Lucifer ou Vénus ; la cinquième, Stilbon ou Mercure; la sixième, le soleil; et la septième, la lune. Quelques mathématiciens sont de l'avis de Platon ; d'autres placent le soleil au milieu des autres planètes (15). Anaximandre, Métrodore de Chio et Cratès placent le soleil dans la partie du ciel la plus élevée, après lui la [889c] lune, et au-dessous de ces deux astres, les étoiles fixes et les planètes.

CHAPITRE XVI.

Du mouvement des astres.

Anaxagore, Démocrite et Cléanthe disent que tous les astres vont d'orient en occident, Alcméon et les mathématiciens croient que les planètes ont un mouvement opposé à celui des étoiles fixes, et qu'elles vont d'occident en orient. Anaximandre prétend qu'ils sont emportés par les sphères et les cercles sur lesquels ils sont placés. Anaximènes dit qu'ils sont mus également au-dessus et autour de la terre. Platon et les mathématiciens croient que le soleil, Vénus et Mercure font leur révolution avec la même vitesse.

CHAPITRE XVII.

D'où les astres tirent leur clarté.

[889d] Métrodore dit que toutes les planètes empruntent leur lumière du soleil. Héraclite et les stoïciens veulent que les astres soient alimentés par des exhalaisons qui s'élèvent de la terre. Aristote croit que les corps célestes n'ont pas besoin d'aliment, parce qu'ils ne sont pas cor-


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ruptibles, mais éternels. Platon et les stoïciens pensent que les astres, comme le reste de l'univers , tirent leur nourriture d'eux-mêmes.

CHAPITRE XVIII.

Des étoiles nommées Dioscures.

Xénophane a cru que ces espèces d'étoiles, qui paraissent autour des vaisseaux, sont des vapeurs légères que le mouvement fait briller. Métrodore dit que ce sont des étincelles qui sortent des yeux de ceux [889e] que la frayeur fait regarder fixement (16).

CHAPITRE XIX.

Des pronostics des astres, et des causes de l'hiver et de l'été.

Platon dit que les pronostics de l'hiver et de l'été (17) viennent du lever et du coucher des astres, du soleil, de la lune et des autres étoiles, soit fixes, soit errantes. Anaximènes n'y fait entrer pour rien la lune, et l'attribue uniquement au soleil. [889f] Eudoxe et Aratus les tirent en commun de toutes les étoiles. Voici comment ce dernier s'en explique :

Jupiter séparant les astres radieux ,
Les a tous dispersés dans la voûte des cieux.
Ils servent à marquer par leur cours admirable
Des ans et des saisons le cours invariable.


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CHAPITRE XX.

De la substance du soleil.

Anaximandre dit que c'est un cercle vingt-huit fois plus grand que la terre (18) ; que son orbite est semblable à la roue d'un char, qu'elle est creuse et remplie de feu, et qu'elle a dans une de ses parties [890a] un orifice par lequel les rayons du soleil sortent comme par le trou d'une flûte. Xénophane croit qu'il est un assemblage de petits feux formés d'exhalaisons humides, et dont la réunion compose la masse du soleil, ou même qu'il n'est autre chose qu'un nuage embrasé. Les stoïciens veulent que ce soit un corps enflammé et doué de raison, qui se forme des vapeurs de la mer. Suivant Platon, c'est une masse considérable de feu. Anaxagore, Démocrite et Métrodore disent que c'est une masse ou une pierre ardente; Aristote, que c'est un globe formé du cinquième élément ; le pythagoricien Philolaüs, que c'est une substance transparente comme le verre, qui reçoit la réverbération du feu dont le monde est rempli, [890b] et qui nous en transmet la lumière comme à travers un tamis. Ainsi, selon Philolaüs, il y a comme trois soleils, la matière ignée qui remplit le ciel, la réverbération qu'elle envoie sur le miroir, auquel il compare cet astre, et en troisième lieu enfin, la lumière qui de ce miroir se répand jusqu'à nous par la réfraction, et à laquelle nous donnons le nom de soleil, comme étant l'image même de l'image (19). Empédocle a


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cru qu'il y avait deux soleils, l'un qui est le feu même élémentaire, contenu dans l'autre hémisphère du monde, qu'il remplit, et toujours opposé à la lumière de ce feu qu'il réfléchit vers nous; l'autre soleil est celui qui, par la réfraction, paraît dans notre hémisphère, que remplit un air mêlé de feu, et dont l'éclat est l'effet de la réfraction que la sphéricité de la terre cause dans ce soleil, qui est de nature cristalline, et cet éclat nous est apporté par le mouvement [890c] du corps igné. Pour le dire, en un mot, Empédocle croit que le soleil n'est autre chose que la réverbération du feu qui est autour de la terre (20). Épicure dit que le soleil est une concrétion terrestre, poreuse comme une pierre ponce, et que le feu a pénétrée.

CHAPITRE XXI.

De la grandeur du soleil.

Anaximandre a cru que le soleil est égal à la terre, mais que le cercle sur lequel il est porté, et par où il respire, est vingt-huit fois plus grand que la terre. Anaxagore dit qu'il est plusieurs fois aussi grand que le Péloponnèse ; Héraclite, qu'il n'a qu'un pied de large (21). Épicure dit encore ici que toutes ces opinions peuvent être vraies ; il ajoute que le soleil est de la grandeur dont il


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paraît, peut-être un peu plus, peut-être un peu moins.

CHAPITRE XXII.

De la figure du soleil.

[890d] Anaximènes croit que le soleil a la figure d'une lame ; Héraclite lui suppose la forme concave d'une nacelle. Les stoïciens disent qu'il est sphérique aussi bien que le monde et les astres. Épicure regarde toutes ces opinions comme probables.

CHAPITRE XXIII.

Des révolutions du soleil.

Anaximènes dit que les astres sont poussés par l'action de l'air condensé; Anaxagore, par l'impulsion de l'air qui environne les pôles, que le soleil lui-même presse, et dont il augmente la force en le condensant. [890e] Empédocle croit que la sphère qui enferme le soleil, et les cercles tropiques l'empêchent de s'avancer jusqu'aux extrémités de l'univers. Diogène dit que le soleil est éteint par l'action du froid sur la chaleur. Les stoïciens disent que le soleil parcourt l'espace qui est au-dessous de lui, et dont il fait sa nourriture, c'est-à-dire l'océan ou la terre, dont les exhalaisons lui servent d'aliment (22). Platon, Pythagore et Aristote disent qu'il va d'un tropique à l'autre, en suivant l'obliquité du zodiaque , qui est comme escorté par les deux tropiques ; ce qui est démontré par la sphère même.


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CHAPITRE XXIV.

De l'éclipse du soleil.

[890f] Thalès est le premier qui ait dit que le soleil s'éclipse lorsque la lune, qui est d'une substance terrestre et opaque , se trouve perpendiculairement au-dessous de cet astre, ce qui se voit clairement dans un bassin plein d'eau ou dans un miroir. Anaximandre croit que l'éclipse arrive quand l'orifice par où sort le feu du soleil est fermé. Héraclite l'attribue à la forme de nacelle qu'a le soleil; l'éclipse a lieu quand la partie concave est au-dessus, que la partie convexe est en dessous et tournée vers nous. Xénophane dit que le soleil s'éteint quand il s'éclipse, et qu'il s'en reproduit [891a] un nouveau à l'orient. Il cite une éclipse de soleil qui dura un mois entier, et une autre qui fut si totale que le jour se changea en nuit. Quelques philosophes croient qu'elle est causée par la condensation des nuées qui viennent imperceptiblement couvrir le disque du soleil. Aristarque met le soleil au nombre des étoiles fixes ; il fait mouvoir la terre autour du cercle solaire, et dit que, par ses inclinaisons, elle couvre de son ombre le disque du soleil. Xénophane croit qu'il y a plusieurs soleils et plusieurs lunes, selon les différents climats et les zones qui divisent la terre, et qu'à certain temps le disque du soleil tombe dans quelqu'une des divisions de la terre qui n'est pas habitée ; et là, marchant comme dans le vide, il est éclipsé. Le même philosophe prétend que le soleil suit une ligne droite à l'infini, mais que son grand éloignement nous fait croire qu'il se meut circulairement (23).


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CHAPITRE XXV.

De la substance de la lune.

Anaximandre dit que le cercle de la lune est dix-neuf fois plus grand que la terre (24) ; qu'il est plein de feu comme celui du soleil, et que les révolutions de son orbite causent son éclipse. Ce cercle, selon lui, est semblable à la roue d'un char, dont la circonférence est concave, pleine de feu, et qui n'a qu'un orifice par où ce feu se répand. Xénophane dit que c'est une nuée épaisse (25) . Les stoïciens la croient un mélange de feu et d'air. [891c] Platon dit qu'elle est dans sa plus grande partie composée de feu ; Anaxagore et Démocrite, qu'elle est un corps solide et embrasé, qui contient des plaines, des montagnes et des vallées ; Héraclite, que c'est une terre environnée de vapeurs épaisses (26). Pythagore dit que le corps de la lune est de nature ignée.

CHAPITRE XXVI.

De la grandeur de la lune.

Les stoïciens croient que la lune, comme le soleil, est plus grande que la terre. Parménide dit qu'elle est égale au soleil, et qu'elle tire de lui sa lumière.

CHAPITRE XXVII.

De la figure de la lune.

Les stoïciens disent qu'elle est, aussi bien que le soleil,


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d'une figure sphérique. Empédocle croit qu'elle a la forme d'un disque. Héraclite lui donne celle d'une nacelle, et d'autres celle d'un cylindre.

CHAPITRE XXVIII.

De la lumière de la lune.

[891d] Anaximandre croit que la lune brille d'une lumière qui lui est propre, mais qui est plus raréfiée que celle du soleil. Antiphon est du même sentiment ; mais il dit que sa lumière est affaiblie, parce que le voisinage du soleil l'obscurcit et la cache ; car c'est une loi de la nature qu'un moindre feu soit obscurci par un plus grand, ce qui arrive aussi aux autres astres. Thalès et ses sectateurs ont cru que la lune est éclairée par le soleil. Héraclite attribue au soleil et à la lune [891e] les mêmes accidents. Comme ces deux astres ont la forme d'une nacelle, et qu'ils sont alimentés par des exhalaisons humides, ils nous paraissent lumineux ; mais le soleil brille davantage, parce qu'il roule dans un air plus pur, et la lune dans un air plus trouble, qui la fait paraître plus obscure.

CHAPITRE XXIX.

De l'éclipse de la lune.

Anaximandre dit que la lune s'éclipse lorsque l'orifice de son orbite se trouve bouché ; Bérose, quand la face de cet astre qui n'est pas éclairée se tourne vers nous (27); Héraclite, quand la partie concave de la nacelle regarde la terre. [891f] Quelques pythagoriciens croient que c'est par la réfraction de la lumière de notre terre ou par l'interpo-


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sition de la terre qui est opposée à la nôtre (28). Les plus modernes d'entre eux (29) disent que l'éclipse est causée par l'épuisement de sa lumière, qui se ranime régulièrement jusqu'à ce que la lune parvienne à son plein, et qui diminue ensuite dans la même proportion jusqu'à sa nouvelle conjonction avec le soleil, où la lumière s'éteint totalement. Platon, Aristote, les disciples de Zénon et les mathématiciens disent d'un commun accord que les disparitions que la lune éprouve tous les mois viennent de ce qu'elle entre en conjonction avec le soleil, qui absorbe entièrement sa clarté, et qu'elle s'éclipse quand elle entre dans l'ombre de la terre, qui se trouve placée entre ces deux astres, mais qui couvre davantage la lune.

CHAPITRE XXX.

De l'apparence de la lune, et pourquoi elle ressemble à une terre.

[892a] Les pythagoriciens disent que la lune ressemble à une terre parce qu'elle est habitée, comme la nôtre, qu'elle est peuplée de plus grands animaux et de plus belles plantes. Les animaux, selon ces philosophes, y sont quinze fois plus grands que les nôtres, et n'y ont aucune sécrétion. La longueur des jours y est dans la même proportion. Anaxagore croit que l'inégalité qui paraît sur la face de la lune vient des concrétions qu'y éprouvent les parties de froid et de terre qu'elle contient ; car la substance ignée y est mêlée avec des substances ténébreuses. De là vient qu'on l'appelle un astre à fausse lumière. [892b] Les stoïciens prétendent qu'à raison de la diversité de sa substance, sa masse n'est pas incorruptible. 


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CHAPITRE XXXI.

De la distance de la lune au soleil.

Empédocle dit que la lune est deux fois plus éloignée du soleil que de la terre. Les mathématiciens prétendent que c'est dix-huit fois plus. Ératosthène croit que le soleil est éloigné de la terre de huit cent trois mille stades, et la lune de sept cent quatre-vingt mille (30).

CHAPITRE XXXII.

De la grande année de chaque planète.

Saturne fait sa révolution en trente années solaires, Jupiter en douze, Mars en deux, le soleil en douze mois, Mercure et Vénus dans le même temps que le soleil, car leur vitesse est égale (31). La lune fait la sienne en trente jours. [892c] Cet espace forme le mois parfait, à prendre depuis la première apparition de la lune jusqu'à sa nouvelle conjonction avec le soleil. Quant à la grande année, les uns la font de huit années solaires, d'autres de dix-neuf, d'autres de cinquante-neuf. Héraclite prétend qu'elle est de dix-huit mille années solaires; Diogène, de trois cent soixante-cinq années semblables à celles d'Héraclite. D'autres enfin veulent qu'elle soit composée de sept mille sept cent soixante-dix-sept années solaires (32).


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(01) En grec, le même mot signifie ordre et monde. Diogène Laërce dit que Pythagore ne donn.i qu'au ciel seul le nom de monde. 

(02) Tous les disciples de Thalès n'ont pas suivi sur ce point la doctrine de leur maître. Anaximandre, son premier successeur, Anaximènes et Archelaüs admettaient une infinité de mondes.

(03) L'auteur, en assurant que tous ceux qui ont admis les atomes et le vide ont enseigné aussi que lé momie n'était ni animé ni gouverné par aucune providence, attribue à tous ces philosophes de ne supposer dans le monde qu'un mouvement donné parle hasard, et qui par conséquent ne pouvait être l'effet d'une cause sage et prévoyante. Il est très possible cependant d'admettre un monde composé d'atomes et de vide, mais conduit par la Providence, comme Gassendi et plusieurs autres philosophes modernes l'ont démontré. Bien plus, parmi les anciens atomistes, plusieurs ont cru que la Providence dirigeait le monde. Sans parler d'Empédocle, d'Héraclite, de Pythagore et de tant d'autres qui ont regardé les corps indivisibles comme les éléments du monde, Ecphantus, dans Stobée. dit quelle monde est formé d'atomes et qu'il est gouverné par la Providence.  Il faut donc restreindre la généralité que suppose ici notre auteur aux seuls Leucippe, Démocrite et Épicure, qui ont nié toute Providence, non comme une suite nécessaire du système qui établit pour principes constitutifs du monde les atomes el le vide, mais parce qu'ils ont rejeté toute substance incorporelle, l'âme, Dieu et sa providence, qu'ils attaquaient par d'autres arguments que ceux dont ils se servaient pour prouver leur système physique.

(04) Suivant Stobée, Pythagore disait que le monde avait été créé, non pas réellement dans le temps, mais seulement dans notre idée. Le sentiment de Platon n'est pas présenté d'une manière bien exacte. Il semblerait que Dieu, suivant ce philosophe, avait produit toute la substance du monde, tandis qu'il croyait avec presque tous les autres philosophes que la matière du monde était éternelle, et que Dieu n'avait fait que la séparer, lui donner une forme et en distribuer les parties. Voici comment Plutarque, dans ses Questions platoniques, quest. 2, expose la doctrine de Platon: «Le monde étant composé de deux parties, le corps et l'âme, Dieu n'a point créé les corps que la matière lui a fournis, et auxquels il n'a fait que donner la forme et l'arrangement; il en a lié les différentes parties, et d'infini qu'il était, il l'a rendu fini et déterminé. Pour l'âme du monde, qui est une substance intelligente et raisonnable, non seulement elle est l'ouvrage de Dieu, mais elle est une portion, une émanation de sa substance. »

(05) On sait que presque tous les anciens plaçaient la terre au centre du monde.

(06) Il est assez difficile de dire ce que Parménide entendait par ces couronnes appliquées l'une sur l'autre. Le P. Corsini conjecture que ce sont des écorces concentriques dont l'une environnait l'autre, comme ou croit que les trois régions de l'atmosphère environnent la terre. Ainsi, dans cette hypothèse, la terre, que Parménide croyait ronde, avait autour de son globe plusieurs de ces régions, ou écorces, ou couronnes, dont l'une était distinguée de l'autre par la densité ou la rarité, par l'éclat ou l'obscurité.

(07) Pour entendre ces expressions et d'autres semblables qu'on a déjà vues et qu'on verra encore dans la suite de cet ouvrage, il faut se souvenir que la plupart des philosophes anciens regardaient le monde comme
un animal. 

(08) L'auteur se trompe ici en attribuant ce sentiment à Aristote, qui enseigne formellement le contraire.

(09) Les astronomes modernes se tournent du côté du midi, en sorte que la droite du monde est à l'occident, et la gauche à l'orient.

(10) Cette opinion paraît s'accorder avec celle de Parménide, qui dit que le monde est formé de plusieurs couronnes ou écorces appliquées l'une sur l'autre, et que la substance qui les environne est aussi solide qu'un mur.

(11) C'est le pôle arctique, ou septentrional.

(12) Il paraît, par Diogène Laërce , que Thalès avait connu l'obliquité du zodiaque, et l'auteur lui-même semble le dire au commencement ni de ce chapitre, où il paraît rendre compte de l'opinion de Thalès sur les divers cercles de la terre. Pline le Naturaliste fait honneur à Anaximandre de cette découverte, dont il fixe l'époque à la cinquante-huitième olympiade, cinq cent quarante-quatre ans avant Jésus-Christ.

(13) La chute de cette pierre, arrivée en plein jour, est fixée par Pline à la deuxième année de la soixante-dix-huitième olympiade, quatre cent soixante-huit ans avant Jésus-Christ. Cet événement devint si fameux, qu'il fit une des époques des marbres de Paros; c'est la cinquante-sixième.

(14) Le P. Corsini et M. Beck croient qu'au lieu de Xénocrate, auquel d'autres substituent Xénophane, il faut lire Zénon. Ils se fondent sur ce que tout de suite, l'auteur rapporte l'opinion des autres stoïciens; ce qui suppose qu'il avait nommé précédemment quelque philosophe de celle école. D'ailleurs Stobée attribue cette opinion à l'école du Portique.

(15) Ce système est celui de ceux qui croyaient que le soleil occupait le centre du monde; ce qui était le sentiment d'Aristote et de plusieurs autres philosophes.

(16) Tout le monde sait aujourd'hui que ce météore, connu sous le nom de feu Saint-Elme, tinet à l'électricité dont ta matière, universellement répandue, se manifeste, dès qu'elle est mise en jeu, par le frottement. Si ces effets sont plus fréquents sur mer que sur terre, c'est parce que le vaisseau dans sa course, en fendant rapidement l'air et l'onde, acquiert un frottement très propre à meure en jeu autour de lui les ressorts de l'électricité. 

(17) Ces pronostics ne sont autre chose que les changements remarquables qui s'opèrent dans l'air, et qui produisent les diverses saisons du l'année. Les vers d'Aratus sont tirés de ses Phénomènes.

(18) Il n'est personne qui ne sache combien ce calcul est éloigné de la vérité, puisque le soleil est douze cent mille fuis plus gros que la terre.

(19) Achille Tatius rend d'une manière plus claire l'opinion de Philolaüs. Le soleil, dit-il d'après ce philosophe, nous renvoie la chaleur et la lumière qu'il reçoit du feu éthéré, et il le transmet par une espèce de tamis. Il y a donc un triple soleil : celui qui est formé du feu de l'éther, celui que ce feu communique à l'astre, qui est semblable à une glace, et enfin celui qui est réfléchi de cet astre jusqu'à nous.

(20) Il semble, d'après notre auteur, qu'Empédocle supposait que l'hémisphère du ciel ou du monde est plein d'un feu élémentaire, et que le corps du soleil est comme un miroir sur lequel vont frapper les rayons de ce feu, qui de là sont réfléchis jusqu'à nous ; que l'hémisphère, rempli de ce feu primordial, et le corps solaire sont mus également autour de la terre, et que le soleil nous parait toujours à l'opposite du feu, à peu près comme si le soleil et la lune étaient mus avec la même célérité, et que la lune fût toujours opposée au soleil, la clarté de la lune proviendrait des rayons solaires réfléchis sur la surface de la lune comme sur un miroir. Ainsi l'on comprend facilement pourquoi Empédocle admettait deux soleils, et disait que celui que nous voyons fait sa révolution avec le tourbillon du feu, et tourne avec la même rapidité. 

(21) Suivant Diogène Laërce, Héraclite disait que le soleil n'est pas plus grand qu'il ne le paraît à nos yeux.

(22) Dans l'hypothèse de ces philosophes, le soleil, par la combinaison de son mouvement diurne et de son mouvement annuel, forme une spirale de figure sphérique, qui s'étend d'un tropique à l'autre, et qu'il parcourt de nouveau dans son cours rétrograde.

(23) Du temps de Pline, les idées physiques sur ce point étaient plus exactes. Le savant naturaliste dit, liv. II, ch. X, qu'il est démontré que c'est l'interposition de la lune qui éclipse le soleil, et que c'est celle de la terre qui fait éclipser la lune. Thalès, le plus ancien des philosophes physiciens, avait entrevu cette difficulté.

(24) Il s'en faut bien que la lune soit plus grande que la terre; sa solidité, au contraire, suivant les astronomes modernes, n'est que la quarante-neuvième partie de celle de la terre.

(25) Lactance dit que, selon Xénophane, la lune est une seconde terre, et qu'elle a des habitants. D'après cela il est difficile de croire qu'il la regardât comme une nuée épaisse. »

(26) Dans Stobée, cette opinion est attribuée à Héraclides, et non à Héraclite, qui comparait la lune à une nacelle remplie de feu. La confusion de ces deux noms a été facile.

(27)  Pour entendre l'opinion de Bérose, il faut savoir que ce philosophe, au rapport de Stobée, disait que le globe de la lune était, dans sa moitié, composé de feu, et par conséquent éclairé, au lieu que l'autre moitié était d'une substance terrestre et obscure. Mais si cela était, les éclipses arriveraient régulièrement tous les mois, ce qui n'est pas.

(28) C'est-à-dire nos antipodes. 

(29) Les pythagoriciens, plus modernes, connaissaient beaucoup mieux que les anciens les révolutions du soleil et de la lune, et les vraies causes des éclipses et des phases.

(30) Ce calcul est bien au-dessous du vrai. La distance moyenne du soleil à la terre est de plus de trenle-quatrt millions de lieues ; et la lune n'est éloignée de la terre , dans sa plus grande distance , que de quatre-vingt-dix mille lieues. Les sept cent quatre-vingt mille stades d'Ératosthène ne feraient que quarante mille lieues. Au reste, ce passage est très altéré dans le texte. 

(31) L'auteur se trompe, en attribuant la même durée à la révolution de Mercure et de Vénus. Cette dernière planète fait la sienne en huit mois, et Mercure en trois mois et onze jours. Cette révolution ne dépend pas seulement, pour son plus ou moins de durée, de la vitesse des planètes, mais encore de l'étendue de l'orbite qu'elles parcourent.

(32) C'est une grande question que la connaissance exacte de cette révolution complète.... Les modernes n'ont encore rien statué de certain à cet égard... Au reste, il ne faut pas confondre cette grande année planétaire avec lu grande année du firmament ou des étoiles fixes; cette grande révolution, qui a son cours d'occident en orient, se fait, selon Ptolémée, en trente six mille ans... Les derniers calculs modernes n'étendent cette révolution apparente des étoiles autour du cercle écliptique qu'à vingt-cinq mille ans; je dis apparente, car cette révolution ne procède point du mouvement des étoiles, mais de celui de la terre. Il y a beaucoup de physiciens qui regardent la figure sphéroïdale de la terre comme l'une des principales causes du mouvement apparent des étoiles, ou de la précession des équinoxes.