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César fit en huit ans la conquête d'un territoire plus vaste que la France. Une telle entreprise ne fut possible que par la combinaison de succès militaires et de manoeuvres politiques et psychologiques.
I. LA MANIPULATION DE LA POLITIQUE LOCALE OU "DIVISER POUR RÉGNER"
Remarque : Dans la suite, il sera beaucoup question de collaborateurs et de résistants. Il s'agit d'une terminologie utilisée pendant la 2e Guerre Mondiale pour désigner ceux qui approuvaient ou combattaient l'occupation allemande. Elle s'applique ici aux Gaulois ralliés aux Romains et à leurs adversaires.
1. La clé de voûte du système : les collaborateurs
César pénètre en Belgique. Des Rèmes se présentent à lui.
[1] Eo cum de improviso celeriusque omni opinione venisset, Remi, qui proximi
Galliae ex Belgis sunt, ad eum legatos
Iccium et Andocumborium primos civitatis, miserunt, [2] qui dicerent se suaque omnia in fidem atque in potestatem populi Romani permittere, neque se cum Belgis
reliquis consensisse
neque contra populum Romanum coniurasse, [3] paratosque
esse et obsides dare et imperata facere et oppidis recipere et frumento ceterisque rebis
iuvare. II, 3, 1-3 |
[1] |
César est en Bretagne. Il engage la lutte avec un adversaire décidé, Cassivellaunos.
[1] Interim Trinovantes, prope firmissima earum regionum civitas, ex qua
Mandubracius adolescens Caesaris fidem secutus ad eum in continentem venerat, cuius pater
in ea civitate regnum obtinuerat interfectusque erat a Cassivellauno, ipse fuga mortem vitaveratpse fuga mortem vitaverat, [2] legatos ad Caesarem mittunt
pollicenturque sese ei
dedituros atque imperata facturos; [3] petunt ut Mandubracium ab iniuria Cassivellauni defendat atque in
civitatem mittat, qui praesit imperiumque obtineat. [4] His Caesar imperat obsides quadraginta frumentumque exercitui Mandubraciumque ad eos mittit. Illi imperata
celeriter fecerunt, obsides ad numerum frumentumque miserunt. V, 20 |
[1] |
2. Comment utiliser les collaborateurs ?
Les interventions de César dans la politique intérieure de la Gaule sont guidées par la constatation suivante :
En Gaule non seulement dans toutes les cités, mais dans tous les cantons et les sous-cantons et presque jusque dans les maisons particulières, il y a des partis. CÉSAR
a) dans les relations entre les cités gauloises
César rappelle quelle était la situation en Gaule avant son arrivée : deux blocs dominés l'un par les Héduens, l'autre par les Séquanes et les Arvernes.
[6] Adventu Caesaris facta commutatione rerum, obsidibus Haeduis redditis, veteribus clientelis restitutis, novis per Caesarem comparatis, quod ii qui se ad eorum amicitiam adgregaverant meliore condicione atque
aequiore imperio se uti videbant, reliquis rebus eorum gratia dignitateque amplificata,
Sequani principatum dimiserant. [7] In eorum locum Remi successerant : quos quod adaequare apud Caesarem gratia intellegebatur, ii qui propter veteres inimicitias
nullo modo cum Haeduis coniungi poterant se Remis in clientelam dicabant.
[8] Hos illi diligenter tuebantur : ita et novam et repente
collectam auctoritatem tenebant. [9] Eo tum statu res erat, ut longe principes haberentur Haedui, secundum locum dignitatis Remi obtinuerant. IV, 12, 6-9 |
[6] |
b) dans les conflits de personnes
César prépare sa seconde expédition en Bretagne, mais des nouvelles inquiétantes lui parviennent de chez les Trévires. Il se rend sur place pour s'informer et rétablir la situation.
3.
[1] Haec civitas longe plurimum totius Galliae equitatu valet
magnasque habet copiae peditum, Rhenumque, ut supra demonstravimus, tangit. [2] In ea civitate duo de principatu inter se
contendebant, Indutiomarus et Cingetorix; [3] e quibus alter, simul atque de Caesaris legionumque adventu cognitum est, ad eum venit, se suosque
omnes in officio futuros neque ab amicitia populi Romani defecturos confirmavit quaeque in
Treveris gererentur
ostendit. [4] At Indutiomarus
equitatum peditatumque cogere iisque qui per aetatem in armis esse non poterant in silvam Arduennam abditis, quae
ingenti magnitudine per medios fines Treverorum a flumine Rheno ad initium Remorum
pertinet, bellum parare instituit. V, 3-4 |
[3] simul atque: dès que gerere,o : au passif : se passer [4] per + acc.: à cause de |
[5]
Mais dans la suite, un certain nombre de chefs trévires, à cause du lien qui les
unissait à Cingétorix et de la peur que leur avait causée l'arrivée de notre armée,
vinrent trouver César et se mirent à lui demander de protéger leurs biens, puisqu'ils
ne pouvaient pas veiller aux intérêts de leur cité. Aussi Indutiomaros, de peur de se
voir abandonné par tout le monde, envoya-t-il des émissaires à César : [6] "S'il n'avait pas quitté les siens et n'avait pas voulu
se présenter à César, c'était pour maintenir plus facilement sa cité dans le devoir
et de peur qu'en l'absence de l'aristocratie, la plèbe ne se laisse aller par ignorance: [7] en conséquence, il tenait sa cité bien en mains et, si César
le permettait, il viendrait le trouver dans son camp et placerait ses biens et ceux de sa
cité sous sa protection." 4. [1] Bien qu'il comprît la raison de ce discours et ce qui détournait Indutiomaros de ses projets, César, pour ne pas être forcé de passer l'été chez les Trévires, alors que tout était prêt pour l'expédition de Bretagne, lui ordonna de se présenter avec deux cents otages. [2] Quand il les eut amenés, y compris son propre fils et tous ses proches qui avaient été réclamés nommément, César le réconforta et l'encouragea à demeurer dans le devoir. |
[3] Nihilo tamen setius principibus Treverorum ad se convocatis hos singillatim Cingetorigi conciliavit, quod cum merito eius a se fieri intellegebat, tum magni interesse arbitrabatur eius auctoritatem inter suos quam plurimum valere, cuius tam egregiam in se voluntatem perspexisset. [4] Id tulit factum graviter Indutiomarus, suam gratiam inter suos minui, et qui iam ante inimico in nos animo fuisset, multo gravius hoc dolore exarsit. | [3] |
c) dans les conflits socio-politiques
1° César soutient l'aristocratie
Entré en campagne contre les Helvètes à la demande des Héduens, César s'étonne de ne pas recevoir des alliés de Rome les livraisons de blé promises. L'Héduen Liscos lui apprend le pourquoi de cette "trahison".
[1] Tum demum Liscus oratione Caesaris adductus quod antea tacuerat proponit
: "Esse nonnullos, quorum auctoritas apud plebem plurimum valeat, qui
privatim plus possint quam ipsi
magistratus. [2] Hos seditiosa atque improba oratione
multitudinem deterrere ne
frumentum conferant quod debeant. [3]
Praestare, si iam principatum Galliae
obtinere non possint, Gallorum quam Romanorum imperia perferre; [4] neque dubitare quin, si Helvetios
superaverint Romani, una
cum reliqua Gallia Haeduis libertatem sint erepturi. [5] Ab isdem nostra consilia quaeque in castris gerantur hostibus enuntiari : hos a se coerceri non posse. [6] Quin etiam, quod necessariam rem
coactus Caesari enuntiarit, intellegere sese quanto id cum periculo fecerit, et ob eam
causam quam diu potuerit tacuisse." I, 17, 1-6 |
[1] |
César ne se satisfait pas de ces propos allusifs. Il retient Liscos
pour un entretien particulier et obtient les précisions qu'il désire.
[3] "Ipsum esse Dumnorigem, summa audacia, magna apud plebem propter
liberalitatem gratia, cupidum rerum novarum. Complures annos portoria* reliquaque omnia Haeduorum vectigalia parvo pretio redempta habere, propterea quod illo licente contra liceri audeat nemo. [4] His rebus et suam rem familiarem auxisse et facultates ad largiendum magnas comparasse; [5] magnum numerum equitatus suo sumptu
semper alere et circum se habere, [6] neque solum domi, sed etiam apud finitimas civitates
largiter posse atque huius potentiae
causa matrem in Biturigibus homini illic nobilissimo ac potentissimo collocasse; [7] ipsum ex Helvetiis uxorem habere, sororem
ex matre et propinquas suas nuptum in alias civitates collocasse. [8] Favere et cupere Helvetiis propter eam
affinitatem, odisse etiam suo nomine Caesarem et
Romanos, quod eorum adventu potentia eius deminuta et Diviciacus frater in antiquum locum
gratiae atque honoris sit restitutus. [9] Si quid accidat Romanis, summam in spem per Helvetios regni obtinendi
venire; imprio populi Romani non modo de regno, sed etiam de ea quam habeat gratia
desperare." I, 18, 3-9 * PORTORIA : Dumnorix avait pris les impôts à ferme, c'est-à-dire que moyennant une somme versée à la collectivité, il avait le droit de percevoir les impôts à son profit personnel. Les péages sur les cours d'eau devaient rapporter gros, car c'est par voie fluviale que circulait une part importante du commerce gaulois. Des fleuves et des rivières considérés aujourd'hui comme non navigables étaient largement utilisés dans l'Antiquité (et continueront à l'être longtemps après, jusqu'au XIXe siècle). C'était, entre autres, le cas de la Loire.
En
Gaule, les cours d'eau sont si heureusement distribués les uns par rapport aux autres
qu'ils assurent dans les deux sens les transports d'une mer à l'autre, les marchandises
ayant à peine à être voiturées par terre, et toujours dans des plaines d'une
traversée facile. Le plus souvent, on les transporte par voies fluviales en choisissant
les unes pour la descente, les autres pour la montée. |
[3] |
2° César restaure la monarchie
César est rentré de la seconde expédition en Bretagne sans résultat appréciable. Le mécontentement des Gaulois s'amplifie, le soulèvement couve.
[1] Erat in Carnutibus summo loco natus Tasgetius*, cuius maiores in sua civitate
regnum** obtinuerant. [2]
Huic Caesar
pro eius
virtute atque in se benevolentia, quod in omnibus bellis singulari eius opera fuerat
usus, maiorum locum restituerat. [3] Tertium iam hunc annum regnantem inimici, multis palam ex civitate etiam
auctoribus, eum interfecerunt. V, 25, 1-3 *
TASGETIUS : C'est la seule et unique mention de ce personnage dans tout
le Bellum Gallicum. ** REGNUM : Quand César arrive en Gaule, il existe encore des monarchies, mais elles sont en recul. Depuis une ou deux générations, les monarchies cèdent la place à des régimes aristocratiques. Un exemple : ...
Casticos, fils de Catamantaloedis le Séquane, dont le père avait obtenu la royauté chez
les Séquanes pendant de longues années et avait reçu le titre d'ami du Sénat et du
peuple romain ... Or, la monarchie s'appuyait sur le peuple. Luernios
[roi arverne, vers 150 ACN], pour se rendre populaire, parcourait en char les campagnes et
y semait l'or et l'argent aux milliers de Gaulois qui le suivaient. Il faisait aménager
une enceinte carrée de douze stades [2,1 à 2,3 km.] de côté, à l'intérieur de
laquelle il faisait remplir des cuveaux de boisson de prix et préparer une telle
quantité de nourriture qu'il était possible pendant plusieurs jours à qui le voulait de
profiter de tout ce qui était préparé en se faisant servir sans interruption. La chute des monarchies semble avoir entraîné une dégradation du sort des classes populaires. La
plèbe est presque tenue au rang des esclaves; elle n'ose rien par elle-même, ne prend
part à aucune décision. La plupart, quand ils sont écrasés par les dettes, l'ampleur
des tributs ou l'injustice des grands se proclament dans la servitude des nobles. Sur ces
gens-là, les droits sont semblables à ceux dont les maîtres disposent sur leurs
esclaves. |
[2] |
3. L'agent de la collaboration : la corruption
Pendant la guerre civile, César assiège Pompée, bloqué dans Dyrrachium. Des cavaliers gaulois de l'armée de César, coupables de malversations, désertent; César nous les décrit.
Erant
apud Caesarem in equitum numero Allobroges II fratres, Roucillus et Egus, Abducilli filii,
qui principatum in civitate multis
annis obtinuerat, singulari virtute homines, quorum opera Caesar omnibus Gallicis bellis optima et
fortissima erat usus. His domi ob has causas amplissimos magistratus mandaverat atque eos extra ordinem in senatum legendos
curaverat agrosque in Gallia ex hostibus captos praemiaque
rei pecuniariae magna tribuerat locupletesque ex
egentibus
fecerat. |
multis
annis : abl. de durée singularis,e : exceptionnel, extraordinaire curare,o + adj. verbal : veiller à ce que extra ordinem in senatum legere : inscrire au sénat en dehors du tour régulier praemium rei pecuniariae : l'avantage en argent egens,ntis : pauvre |