SOLIN
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XXI. De la Germanie, et, dans la Germanie, des oiseaux dits hercyniens, des bisons, des tires, de l'alcé de l'île Gangavie, du succin, de la pierre callaïque, de la cérannienne blanche.
Une
montagne gigantesque, le Sévon, aussi considérable que la chaîne des
Riphées, commence la Germanie. Elle est occupée par les Ingévons, qui les
premiers, après les Scythes, voient le nom des Germains s'établir. C'est une
terre de guerriers, de peuples nombreux et redoutés. Elle s'étend de la forêt
Hercynienne aux rochers des Sarmates. Où elle commence, elle est arrosée par
le Danube ; où elle finit, par le Rhin. Des fleuves très considérables,
l'Albis, le Guthale, la Vistule, coulent de ce pays dans l'Océan.
Dans la forêt Hercynienne il y a des oiseaux dont les plumes brillent et
étincellent au milieu des ténèbres de la nuit la plus épaisse. Les personnes
qui voyagent de nuit ont recours à eux pour se diriger ; ils s'en font
précéder, et l'éclat des plumes de ces oiseaux suffit pour leur indiquer la
route.
Dans ces contrées, et dans toute la plage du nord, abondent les bisons, qui,
semblables au boeuf sauvage, ont le cou velu, la crinière hérissée ; ils
surpassent les taureaux en agilité, et, lorsqu'on les a pris, ne peuvent
s'apprivoiser.
On y trouve aussi les ures, que le vulgaire ignorant appelle bubales ; mais le
bubale est un animal d'Afrique, qui a des rapports de ressemblance avec le cerf.
Les ures ont des cornes, semblables à celles des taureaux, mais d'une dimension
telle qu'aux festins des rois on les présente, à cause de leur grande
capacité, pour servir de coupes.
On y trouve enfin l'alcé, que l'on pourrait prendre pour un mulet ; sa lèvre
inférieure est si longue qu'il ne peut paître qu'à reculons.
L'île de Gangavie, en Germanie, produit un animal semblable à l'alcé, mais
dont les jambes, comme celles de l'éléphant, ne peuvent se plier. Aussi ne se
couche-t-il pas pour dormir : il s'appuie contre un arbre, que l'on coupe
d'avance, pour faire tomber cet animal lorsqu'il veut prendre son appui
habituel. C'est ainsi qu'on s'en empare, et cela serait difficile autrement,
car, malgré la raideur de ses jambes, il fuit avec une vitesse inconcevable.
Des îles germaniques, l'île Gangavie est la plus grande ; mais elle n'a rien
de grand qu'elle-même.
La Glésarie donne le cristal, et le succin, que dans leur langue les Germains
nomment glése. Nous avons dit plus haut quelques mots sur la nature du succin.
C'est pendant que Germanicus César côtoyait la Germanie que l'on découvrit un
arbre de l'espèce des pins, d'où découle en automne ce qu'on appelle le
succin. Le mot même fait voir qu'on peut le regarder comme le suc de l'arbre.
Si on brûle cette substance, l'odeur qu'elle exhale indique son origine. Il
importe de donner ici plus de détails pour que l'on ne s'imagine pas que ce
sont les forêts des environs du Pô qui fournissent le succin. Des barbares
l'ont introduit dans l'Illyrie : les rapports des Pannoniens et des habitants de
la Transpadane l'ont fait connaître à ceux-ci, et comme c'est chez eux que
nous l'avons vu pour la première fois, nous avons cru qu'il y était né.
Néron déploya une grande magnificence d'objets tout en succin ; ce qui lui fut
facile, car le roi de Germanie lui avait fait don de treize mille livres pesant
de cette substance. Le succin naît d'abord brut et plein d'écorce ; mais en le
faisant bouillir avec de la graisse de cochon de lait, il acquiert l'éclat que
nous lui connaissons. Il a des noms divers, selon l'aspect qu'il offre : on lui
donne les noms de mielleux ou de Falerne, d'après la ressemblance qu'il peut
avoir avec le miel ou avec le vin. Il est prouvé qu'il attire à lui les
feuilles et les brins de paille. L'usage qu'en font les médecins prouve son
utilité dans les maladies. L'Inde aussi a du succin, mais la Germanie en plus
grande quantité et en meilleure qualité.
En passant à l'île de Glésarie, nous avons d'abord parlé du succin. Mais
dans la Germanie on trouve la pierre précieuse dite callaïque, que l'on
préfère à la callaïque d'Arabie : celle de Germanie a, en effet, plus
d'éclat. Les Arabes disent qu'on ne la trouve que dans le nid des oiseaux que
l'on nomme mélancoryphes ; ce qui n'est admis par personne, puisqu'en Germanie
elle se rencontre (rarement il est vrai) dans les rochers. On la recherche et on
l'estime à l'égal de l'émeraude ; elle est de couleur vert-pâle, et nulle
autre pierre ne se marie plus agréablement qu'elle à l'or.
Il y a plusieurs espèces de céraunies : celle de Germanie est blanche ; mais
elle a un reflet azuré, et, au jour, elle s'imprègne de l'éclat des astres.
XXII. De la Gaule, des pays où elle aboutit. De l'huile médique.
La Gaule s'étend du Rhin aux Pyrénées, de l'Océan aux Cévennes et au Jura ; elle est riche en terres fertiles, en fruits, en vignes, en arbres, et abondamment dotée de tout ce qui appartient à la vie animale. Elle est arrosée par des rivières, par des sources nombreuses, mais qui parfois exhalent des vapeurs funestes. Dans ce pays, dit-on (car je ne prends pas sur moi la responsabilité de cette assertion), il y a d'horribles sacrifices : au mépris de tout sentiment religieux, on immole des victimes humaines. On peut de la Gaule se diriger facilement vers tous les points de l'univers : en Espagne, et en Italie par terre et par mer ; en Afrique, par mer seulement. Si l'on veut aller en Thrace, le territoire de Rhétie, si riche, si fertile, s'offre d'abord ; puis le Norique, qui, lorsqu'il s'éloigne des Alpes, présente l'aspect le plus gai ; puis la Pannonie avec ses plaines fécondes, et ses fleuves renommés, le Drave et le Save, qui forment sa ceinture ; puis la Mésie, que nos aïeux appelaient à bon droit le grenier de Cérès, pays, nommé Pontique, où l'on trouve une herbe que l'on mêle à l'huile dite médique. Si l'on essaye d'éteindre avec de l'eau le feu allumé par cette huile, elle brûle avec plus de force, et on ne peut maîtriser la flamme qu'en projetant de la poussière.
XXIII. De la Bretagne, et, dans la Bretagne, de la gagate, de ses peuplades barbares, des îles remarquables qui l'entourent.
Le
monde se terminerait aux côtes de la Gaule, si, par son étendue en tous sens,
l'île de Bretagne ne méritait presque d'être nommée un autre monde. Elle a
dans sa longueur plus de huit cent mille pas, si nous la mesurons jusqu'à la
pointe de la Calédonie où aborda Ulysse, comme l'atteste un autel dont
l'inscription en lettres grecques exprime un voeu. Elle est entourée d'un grand
nombre d'îles assez remarquables. L'une d'elles, l'Hibernie, a la même
étendue ; les moeurs des habitants sont barbares ; elle a tant de pâturages
qu'on n'en éloigne le bétail que dans la crainte des suites d'une nourriture
trop abondante. On n'y trouve point de serpents ; il y a peu d'oiseaux ; le
peuple y est inhospitalier et redoutable à la guerre. Les vainqueurs se
couvrent le visage du sang de leurs ennemis, après en avoir bu d'abord. Ils ne
font pas la distinction du bien et du mal. Si une mère enfante un fils, elle
lui donne ses premiers aliments avec le glaive du père, les lui enfonce
légèrement dans la bouche avec la pointe de l'arme, et, par une formule propre
au pays, exprime le voeu qu'il ne périsse que sur le champ de bataille. Ceux
qui aiment la parure décorent la garde de leurs épées de dents d'animaux
marins : car elles brillent à l'égal de l'ivoire, et les guerriers mettent
leur principale gloire dans l'éclat de leurs armes. L'Hibernie n'a pas
d'abeilles ; la poussière apportée de cette île, et jetée sur les ruches,
suffit pour faire que les essaims abandonnent leurs rayons. La mer qui sépare
l'Hibernie de la Bretagne est toute l'année houleuse, agitée ; elle n'est
navigable que pendant très peu de jours : or, les Hiberniens naviguent dans des
nacelles formées de bois pliants et recouvertes de peaux de boeufs. Tant que
dure la navigation, ils s'abstiennent de nourriture. La largeur du détroit est
de cent vingt mille pas, d'après les appréciations les plus probables.
L'île de Silure est séparée par un bras de mer orageux de la côte des
Dumnoniens, peuple breton. Les habitants de cette île conservent encore
maintenant les anciens usages : ils ne veulent pas de monnaie ; ils payent et
reçoivent en nature ; c'est par des échanges surtout qu'ils se procurent le
nécessaire. Ils vénèrent les dieux ; les hommes et les femmes ont la
prétention de lire dans l'avenir.
L'île d'Adtanatos est rafraîchie par le vent de la mer des Gaules. Elle est
séparée du continent de la Bretagne par un bras de mer de peu d'étendue ;
elle a des blés en abondance, un sol fertile ; c'est un pays favorable pour
ceux qui l'habitent comme pour les peuples des autres contrées : car comme les
serpents n'y peuvent vivre, la terre que l'on transporte de là quelque part que
ce soit, tue les serpents.
Beaucoup d'autres îles entourent la Bretagne. La dernière est l'île de
Thulé, où il n'y a pas de nuit à l'époque du solstice d'été, quand le
soleil franchit le signe du Cancer, et pas de jour au solstice d'hiver, car le
lever et le coucher du soleil se confondent. En partant du cap de la Calédonie
pour Thulé, on arrive après deux jours de navigation aux îles Hébudes, qui
sont au nombre de cinq. Il n'y a pas de fruits dans ces îles, dont les
habitants ne vivent que de poisson et de lait. Ils ont un roi commun, car,
quoique distinctes, ces îles ne sont séparées que par de petits bras de mer.
Le roi n'a rien à lui ; tout appartient au peuple ; des lois précises le
retiennent dans les limites de l'équité, et pour que l'avarice ne le détourne
pas du bien, il est soumis à la justice par la pauvreté, puisqu'il n'a rien.
Il est entretenu aux frais de l'État. Il n'a aucune femme qui lui soit propre ;
il prend temporairement celle qui lui convient.
De là vient qu'il ne forme ni le voeu ni le désir d'avoir des enfants. Les
Orcades sont les îles que l'on rencontre ensuite quand on a quitté le
continent. Il y a sept jours et sept nuits de navigation des Orcades aux
Hébudes. Elles sont au nombre de trois. Elles sont inhabitées ; il n'y a pas
de forêts, il n'y a qu'un amas de joncs et des sables arides. Des Orcades à
Thulé, la navigation est de cinq jours et de cinq nuits. Thulé abonde en
fruits que l'on recueille presque en tout temps. Ceux qui habitent cette île
vivent au commencement du printemps, d'abord de l'herbe des pâturages avec
leurs troupeaux, puis de lait. Ils font pour l'hiver des récoltes de fruits.
Chez eux, les femmes sont à la disposition de tous ; le mariage n'existe pas.
Au-delà de Thulé, la mer est dormante et lourde. Le tour de la Bretagne est de
quatre mille huit cent soixante-cinq milles. Elle renferme des fleuves
considérables et nombreux, des sources d'eau chaude appropriées avec un soin
particulier aux besoins des hommes. À ces sources préside la déesse Minerve,
dans le temple de laquelle brûlent perpétuellement des feux qui jamais ne se
réduisent en cendres, mais qui, lorsqu'ils sont consumés, se changent en
rochers.
En outre, pour ne pas parler d'une multitude très variée de métaux dont la
Bretagne offre partout de riches mines de tout genre, on y trouve de fort belles
pierres gagates, et en quantité considérable : la couleur de cette pierre est
d'un noir brillant ; une de ses propriétés naturelles est de s'enflammer par
le contact de l'eau et d'être éteinte par l'huile ; échauffée par le
frottement, elle retient les objets, comme le succin. Les habitants de ce pays
sont en partie des barbares, qui, par des incisions, des plaies artificielles,
figurent sur leurs corps, dès leur enfance, des formes diverses d'animaux, et
qui se servent de couleurs pour se faire des inscriptions qui croissent avec le
développement de leur corps ; et ces nations farouches regardent comme une
preuve éclatante de courage et de patience de pouvoir étaler plus tard de
menteuses cicatrices.
XXIV. De l'Espagne, et, dans l'Espagne, de la ceraunienne rouge, du détroit de Gadès ; de la Méditerranée, de l'Océan.
Revenus
au continent, l'Espagne nous appelle. Ce pays est comparable aux plus
privilégiés, et n'est inférieur à aucun pour l'abondance de ses productions
et la fécondité du sol, pour les vignes comme pour les arbres. Il abonde en
toutes matières précieuses ou utiles : il a de l'or, de l'argent, des mines de
fer ; il ne le cède par ses vignes à aucun pays, et l'emporte sur tous par ses
oliviers. L'Espagne, divisée en trois provinces, nous appartient depuis la
seconde guerre punique. Elle ne présente rien de superflu, rien de stérile. Le
sol qui refuse une récolte de telle ou telle nature offre au moins de riants
pâturages ; celui qui semble aride et improductif fournit aux marins de quoi
faire des cordages. On n'y fait point usage de sel factice, on le tire de mines.
Ils extraient du minium les parcelles les plus brillantes ; ils en teignent les
toisons jusqu'à ce qu'elles aient pris la couleur de l'écarlate. Dans la
Lusitanie est le cap Artabrum, que l'on nomme aussi Olysippo. Il sépare le
ciel, la terre, la mer : la terre, puisque là se termine l'Espagne ; le ciel et
la mer, puisque, quand on l'a doublé, commencent l'océan Gaulois et le nord,
et que là aussi se terminent l'océan Atlantique et l'ouest. Là se trouve la
ville d'Olysippo, bâtie par Ulysse ; là est le fleuve du Tage. Le Tage charrie
de l'or dans ses sables, et, pour cette raison, est considéré comme le fleuve
le plus important de cette contrée. Aux environs d'Olysippo sont des cavales
dont la fécondité est une merveille : car elles conçoivent par le souffle du
favonius, qui les accouple, pour ainsi dire, aux mâles en chaleur. Le fleuve de
l'Ébre a donné son nom à toute l'Espagne, le Bétis à une province : tous
les deux sont célèbres. Les Carthaginois ont fondé chez les Ibères une
nouvelle Carthage, qui bientôt devint une colonie ; les Scipions ont fondé
Tarragone : c'est la capitale de la province Tarragonaise.
On trouve en grande quantité dans la Lusitanie des céraunies, que l'on
préfère même à celles de l'Inde. Elles sont de même couleur que le pyrope ;
on les éprouve par le feu : si elles subissent cette épreuve sans en être
altérées, elles sont regardées comme un préservatif contre la foudre.
Vis-à-vis de la Celtibérie sont beaucoup d'îles dites Cassitérides : elles
donnent beaucoup de plomb ; il en est trois, dites les îles Fortunées, dont il
suffit de remarquer le nom. L'île d'Ebuse, éloignée de Dianium de sept cents
stades, ne renferme point de serpents : la terre de ce pays les fait fuir.
Colubraria, vis-à-vis de Sucron, en est pleine. Bocchoris régna dans les
Baléares, autrefois remplies de lapins qui infestaient les moissons. Au front
même de la Bétique, où est la limite du monde connu, une île est séparée
du continent de sept cents pas. Les Tyriens, qui venaient de la mer Rouge, ont
donné à cette île le nom d'Érythrée ; les Carthaginois l'ont nommée dans
leur langue, Gadis, c'est-à-dire une haie. C'est ce pays qu'habitait Géryon,
comme le prouvent plusieurs monuments, quoique l'on dise aussi qu'Hercule y mena
ses troupeaux d'une autre île située en face de la Lusitanie.
Le détroit de Gadès a été ainsi appelé de la ville de ce nom. L'océan
Atlantique se joint ainsi, en séparant les terres, à la Méditerranée.
L'Océan, ainsi nommé par les Grecs parce qu'il est à l'occident, baigne
l'Europe à gauche, l'Afrique à droite, et, séparant les monts Abinna et
Calpé, que l'on nomme les colonnes d'Hercule, se répand dans la Mauritanie et
l'Espagne. Puis, à ce bras dont la longueur est de quinze milles pas, et la
largeur à peine de sept, il ouvre un passage dans les mers intérieures, en se
mêlant aux golfes de la Méditerranée, qu'il étend jusqu'à l'orient. Celui
de ces golfes qui baigne l'Espagne s'appelle Ibérique et Baléarique ; celui
qui baigne la province Narbonnaise, Gaulois ; puis viennent le golfe Ligurien ;
le golfe Toscan, nommé par les Grecs Ionien ou Thyrrénien, et par les Italiens
mer Inférieure ; le Sicilien, de la Sicile jusqu'à la Crète ; le Crétois,
qui pénètre dans la Pamphylie et l'Égypte. Toute cette masse d'eaux, en
tournant le nord, vient ensuite par de longs détours, le long de la Grèce et
de l'Illyrie, se resserrer par l'Hellespont dans les détroits de la Propontide.
La Propontide, qui sépare l'Europe de l'Asie, va jusqu'aux Méotides. Les
causes de ces noms divers tiennent ou aux provinces, mers Asiatique et
Phénicienne ; ou aux îles, mers Carpathienne, Egéenne, Icarienne,
Baléarique, Cyprienne ; ou aux peuples, mers Ausonienne, Dalmatique,
Ligurienne, de Toscane ; ou aux villes, Adriatique, Argotique, Corinthienne,
Tyrienne ; ou à des accidents survenus aux hommes, mer Myrtoënne, Hellespont ;
au souvenir d'un roi, mer Ionienne ; au passage d'un boeuf, ou peut-être à
l'espace étroit que peuvent franchir des boeufs, le Bosphore ; aux moeurs des
habitants, l'Euxin, autrefois nommé Axin ; enfin au cours que suivent les eaux,
la Propontide. La mer d'Égypte appartient à l'Asie ; celle des Gaules à
l'Europe ; celle d'Afrique à la Libye. Les diverses parties de ces diverses
contrées ont donné leurs noms aux mers qui les avoisinent. Voilà pour
l'intérieur des terres.
L'extérieur a pour limite l'Océan, qui emprunte à ses rivages les noms
d'Arabique, de Persique, d'Indien, d'Oriental, de Sérique, d'Hyrcanien, de
Caspien, de Scythique, de Germanique, de Gaulois, d'Atlantique, de Libyen,
d'Éthiopien. Les flots gonflés de l'Océan se précipitent sur les côtes de
l'Inde avec la plus grande violence, soit que l'eau s'enfle par l'action de la
chaleur, soit que sur ce point du globe il y ait une plus grande affluence de
sources et de rivières. On ne sait encore aujourd'hui comment s'élève
l'Océan, comment après son débordement il rentre dans son lit ; et il est
clair que bien des opinions ont été exprimées plutôt d'après une manière
de voir particulière à chacun, que d'après une croyance fondée sur la
vérité. Laissant de côté ces divergences, exposons les avis les plus
accrédités. Les physiciens disent que le monde est un animal, qu'il est formé
de différents corps, qu'un souffle l'anime, qu'une intelligence le dirige, et
que ces éléments se répandant dans tous ses membres, la masse éternelle y
puise sa vigueur. Ainsi, de même que dans nos corps il y a un esprit vital,
dans les profondeurs de l'Océan sont, en quelque sorte, les narines du monde,
qui, par la respiration ou par l'aspiration, enflent tantôt les mers et tantôt
les abaissent. Ceux qui ont foi à la science des astres prétendent que ces
mouvements viennent des phases de la lune, de sorte que cette succession du flux
et reflux dépend du croissant ou du décours de cette planète : et en effet le
flot ne revient pas chaque jour à la même heure, mais suit les mouvements
successifs de l'astre qui le guide.
XXV. De la Libye. Jardins des Hespérides. Mont Atlas.
De
l'Espagne on passe en Libye : car arrivé à Belone, en Bétique, on se rend par
un trajet de trente-trois mille pas à Tingis, maintenant colonie de Mauritanie,
mais dont le fondateur fut Antée. Comme c'est dans cette contrée que finit la
mer d'Égypte et que commence la mer de Libye, nous donnons à la Libye le nom
d'Afrique. Quelques auteurs toutefois croient que la Libye tire son nom de
Libye, fille d'Épaphos, et l'Afrique d'Afer, fils d'Hercule Libyen. Dans ces
contrées est aussi la colonie de Lix, où fut le palais d'Antée, qui,
redoutable dans l'art d'attaquer et de se défendre à la lutte quand il
touchait la terre, dont il passait pour être fils, fut vaincu par Hercule.
Quant aux Hespérides, et au dragon qui veillait à la porte de ce jardin, pour
ne pas blesser la vérité par une relation fabuleuse, nous exposerons le fait.
Un bras de mer présente des détours sinueux, des replis tortueux, au point que
de loin on croit voir se glisser un serpent dont les évolutions se multiplient
; on a nominé jardins l'espace qu'il entoure ; on a vu là un gardien des
fruits, et ainsi s'est propagée la fiction. Mais cette île, jetée au milieu
des flots qui refluent, et située dans de certaines sinuosités, ne présente,
à l'exception de ses arbres qui ressemblent à l'olivier sauvage, et de l'autel
d'Hercule, rien qui puisse consacrer son antique souvenir. Toutefois, outre ses
rameaux d'or, outre, ce métal couronné de feuilles, ce qu'il y a de plus
étonnant, c'est que là terre, quoique, un peu plus basse que les terres
voisines, n'est jamais couverte par les eaux : une sorte de barrière naturelle
les arrête ; les bords, recouverts de petites éminences, contiennent l'effort
des flots : spectacle merveilleux, le sol reste sec, quoique la vague arrive
impétueuse et menaçante ! La ville de Sala est sur les bords du fleuve de ce
nom. C'est par le pays des Autololes que l'on se rend de Sala aux déserts de
l'Atlas.
Le mont Atlas s'élance du sein de ces immenses plaines de sable pour cacher sa
tête au-dessus des nues, dans le voisinage de l'orbite lunaire. Du côté de
l'Océan, auquel il a donné son nom, il n'y a que des sources, de sombres bois,
d'âpres rochers, de la stérilité, une terre nue et sans verdure ; mais en
regard de l'Afrique, il étale de riches productions qui naissent
d'elles-mêmes, des arbres élevés et touffus qui exhalent une odeur
pénétrante, et dont les feuilles, semblables à celles du cyprès, sont
recouvertes d'une laine qui ne le cède en rien aux tissus de soie. On trouve en
abondance sur les flancs du mont l'euphorbe dont le suc est excellent, soit pour
éclaircir la vue, soit contre les poisons. Son sommet est toujours couvert de
neige. On trouve dans ses bois des quadrupèdes, des serpents, d'autres animaux,
même des éléphants. Le jour, il y règne un silence universel et l'horreur
des déserts ; la nuit, on voit briller des feux, on entend le bruit de la danse
des Egipans, les accords de la flûte, le son des cymbales qui retentissent sur
toute la côte. Il est distant de Lix de deux cent cinq mille pas : Lix est à
cent douze milles du détroit de Gadès. Il fut autrefois habité, comme
l'indique l'aspect du lieu, où l'on trouve des traces de la culture de la vigne
et du palmier. Son sommet, inaccessible à tout autre, fut atteint par Persée
et par Hercule, comme l'atteste l'inscription des autels. Du côté du couchant,
entre l'Atlas et le fleuve Anatis, et sur un espace de quatre cent
quatre-vingt-seize mille pas, sont des forêts infestées par des bêtes
farouches.
Aux environs de l'Atlas coulent d'autres fleuves qu'il ne faut pas omettre ;
quoique à une certaine distance de cette montagne, ils sont, pour ainsi dire,
de son domaine : l'Asana, où remonte la marée ; le Bambothe, dont les eaux
nourrissent une quantité considérable de crocodiles et d'hippopotames. Plus
loin est un fleuve dont les flots noirs coulent au milieu de régions brûlées
et solitaires, où la chaleur toujours active d'un soleil plus ardent que le
feu, dévore et consume. Voilà sur l'Atlas, que les Maures appellent Adderis,
ce que nous ont appris et le Périple d'Hannon, et Juba, fils de Ptolémée, qui
fut roi des deux Mauritanies. Suétone Paulin a mis la dernière main aux
connaissances relatives à ce sujet, lui qui, le premier et presque le seul, a
porté au delà de l'Atlas les étendards romains.
XXVI. De la Mauritanie, et, dans la Mauritanie, des éléphants, de leurs combats avec les serpents dits dragons. D'où provient le cinabre.
Des
provinces de la Mauritanie, la Tingitane, du côté du midi et de la
Méditerranée, s'élève sur sept montagnes, que leur ressemblance a fait
nommer les Sept-Frères. Ces montagnes, où abondent les éléphants, nous
amènent tout d'abord à parler de ce genre d'animaux. Les éléphants ont une
intelligence qui approche de celle de l'homme : ils ont beaucoup de mémoire,
ils observent le culte des astres ; à l'apparition de la lune, ils se
rassemblent aux bords des fleuves, et, après des ablutions, ils attendent le
soleil à son lever pour le saluer par des mouvements qui leur sont propres ;
puis ils regagnent leurs forêts. Il y a deux espèces d'éléphants : ceux de
pure race sont plus grands que ceux qui appartiennent à une race abâtardie. On
reconnaît que les éléphants sont jeunes à la blancheur de leurs défenses :
l'une est pour le service journalier ; ils réservent l'autre pour les combats,
et se gardent d'en émousser la pointe. S'ils sont pressés par des chasseurs,
ils se brisent l'une et l'autre afin de se soustraire aux recherches par le
sacrifice qu'ils font de leur ivoire : car ils savent que c'est pour cela qu'on
les attaque. Ils marchent toujours de compagnie : le plus âgé conduit la
troupe, le second en âge ferme la marche. Lorsqu'ils traversent une rivière,
ils font passer d'abord les plus petits, de peur que le poids des plus gros
n'enfonce le terrain et n'augmente la profondeur du gué. La femelle ne connaît
l'amour que vers la dixième année, le mâle vers la cinquième. Les
accouplements n'ont lieu que tous les deux ans, et seulement pendant cinq jours.
Ils ne rejoignent ensuite la troupe qu'après une ablution dans des eaux vives.
Ils ne combattent pas pour la possession des femelles ; ils ne connaissent pas
l'adultère. Ils sont bienveillants : en effet, s'ils rencontrent un voyageur
égaré dans les déserts, ils le remettent dans le chemin connu ; s'ils
rencontrent un troupeau de moutons, ils s'ouvrent le chemin doucement et sans
précipitation, au moyen de leur trompe, afin de ne blesser aucun animal dans la
route qu'ils suivent. S'il arrive un conflit fortuit, ils prennent soin de leurs
compagnons et reçoivent au milieu d'eux ceux qui sont fatigués ou blessés.
S'ils tombent par captivité entre les mains de l'homme, un peu d'orge suffit
pour les apprivoiser. Lorsqu'ils doivent traverser les mers, ils ne montent sur
les vaisseaux qu'après que le conducteur a juré de les ramener. L'éléphant
de la Mauritanie craint celui de l'Inde, et par une sorte de conscience de ses
petites dimensions, il cherche à n'en être pas vu. La femelle ne porte pas dix
ans, comme le pense le vulgaire, mais deux ans seulement, comme le dit Aristote
; elle ne produit qu'une fois, et jamais qu'un seul petit. Les éléphants
vivent trois cents ans. Ils supportent difficilement le froid. Ils mangent les
troncs d'arbres, avalent les pierres, et trouvent dans le palmier leur plus
agréable nourriture. Ils fuient par-dessus tout l'odeur du rat ; ils refusent
les fourrages qu'a touchés cet animal. S'il arrive à un éléphant d'avaler un
caméléon, ver qui lui est funeste, en mangeant de l'olivier sauvage, il
prévient l'action du poison. Il a la peau très dure sur le dos et molle sous
le ventre : nulle part elle n'est recouverte de poil. Entre les éléphants et
les dragons il y a des luttes continuelles. Voici comment ces reptiles leur
dressent des embûches. Ils se cachent près des chemins que fréquentent les
éléphants ; et, laissant passer les premiers, attaquent les derniers pour que
ceux-ci ne puissent être secourus par les autres ; et d'abord ils
s'entortillent autour de leurs pieds, afin de retarder, par ces sortes
d'entraves, la marche de l'animal qu'ils attaquent : car l'éléphant, à moins
d'être atteint par ces replis embarrassants, se rapproche des arbres ou des
rochers pour écraser et faire périr le reptile sous le poids de sa chute. La
principale cause de ce combat, est, dit-on, que l'éléphant a le sang très
froid, et que les serpents en sont très avides, surtout dans les grandes
chaleurs ; ils n'attaquent l'éléphant que quand il vient de se désaltérer,
pour pouvoir, dans ses veines récemment rafraîchies, s'abreuver eux-mêmes
plus largement. Ils visent surtout aux yeux, qui seuls leur donnent prise, comme
d'ailleurs ils le savent, ou bien ils se glissent dans l'oreille, parce que
c'est la seule partie du corps que la trompe ne peut défendre. Quand les
dragons se sont gorgés de sang, les éléphants tombent et les écrasent. Le
sang, ainsi répandu de deux côtés, arrose la terre et devient une couleur que
l'on nomme cinabre.
L'Italie vit pour la première fois des éléphants l'an quatre cent
soixante-douze de la fondation de Rome, pendant la guerre d'Épire, en Lucanie,
et de là on leur donna le nom de boeufs lucaniens. Dans la colonie Césarienne
on trouve Césarée, qui doit à Claude son titre, et qui d'abord fut le séjour
royal de Bocchus, pour appartenir ensuite à Juba, par une faveur des Romains.
Là se trouve aussi Siga, que Syphax habitait. N'oublions pas de mentionner
Icose. Quand Hercule passa dans ce pays, vingt de ses compagnons qui l'avaient
quitté choisirent ce lieu et y jetèrent des murs ; et pour qu'aucun d'eux ne
pût se glorifier d'avoir fondé la ville, ils lui donnèrent le nom des vingt
fondateurs.
XXVII. De la Numidie, et des ours qui s'y trouvent.
Au
fleuve Amsaga commence la Numidie. Tant que ses habitants furent errants et
vagabonds, on les appela Nomades. Elle renferme des villes nombreuses et
célèbres : la première est Cirta ; vient ensuite Chulles, dont les tissus en
pourpre rivalisent avec ceux de Tyr. Cette contrée est bornée par la
Zeugitane. Dans les forêts de ce pays, il y a des bêtes farouches, et dans les
montagnes, des chevaux. On vante la beauté de ses marbres.
Les ours de Numidie l'emportent sur les autres, mais seulement par la fureur et
par la longueur de leur poil ; car partout leur mode de génération est le
même. Je vais l'exposer. Ils ne s'accouplent pas à la manière ordinaire des
quadrupèdes ; mais ils s'étreignent dans des embrassements mutuels à la
manière des hommes. Les ours se recherchent au commencement de l'hiver. Les
mâles, par un sentiment de pudeur, s'isolent des femelles quand elles sont
pleines, et, quoique dans les mêmes cavernes, trouvent une couche à part dans
quelque trou. Les femelles mettent bas après une courte gestation, le
trentième jour est le terme de leur délivrance ; cette fécondité si rapide
donne lieu à des productions informes. Les petits ne sont d'abord qu'une petite
masse de chair blanche, où l'on ne distingue pas les yeux, matière brute à
cause de sa précocité, et qui ne présente de saillant que les ongles. C'est
en léchant cette masse que la mère lui donne une forme ; et de temps en temps
elle la presse sur sa poitrine, pour que l'animal réchauffé par ce soin
respire l'air vital. Pas de nourriture alors : pendant les quatorze premiers
jours, la mère tombe dans un sommeil si profond que les blessures même ne
peuvent l'éveiller. Après avoir mis bas, les femelles restent quatre mois
cachées. Puis, se produisant en plein air, elles supportent si difficilement
une lumière inaccoutumée qu'on les croirait aveugles. La force de l'ours n'est
pas dans la tête : elle est, et au plus haut degré, dans les épaules et les
reins ; ce qui fait que parfois il s'appuie sur les pattes de derrière. Il
attaque les ruches des abeilles, recherche les rayons de miel, qu'il préfère
à tout. Le fruit de la mandragore est mortel pour les ours ; mais ils savent
arrêter les progrès du mal, et pour se guérir ils mangent des fourmis. Si
parfois ils attaquent les taureaux, ils savent à quelles parties surtout ils
doivent s'attacher ; ils s'adressent aux cornes ou aux naseaux : aux cornes,
pour fatiguer l'ennemi par leur poids ; aux naseaux, pour que la douleur soit
plus vive dans cette partie plus délicate.
Sous le consulat de M. Messala, Domitius Enobarhus, édile curule, mit en
présence, dans le cirque romain, cent ours de Numidie et un nombre égal de
chasseurs éthiopiens : ce spectacle est consigné parmi les faits remarquables.
XXVIII. De l'Afrique et de la Cyrénaïque, et, dans cette contrée, des lions, du léontophone, de l'hyène, de la pierre d'hyène, de la crocotte, des onagres, des serpents, de la pierre héliotrope, des Psylles, de la pierre nasamonite, de la pierre corne d'Hammon, de l'arbre dit mélope, du lait sirpicien, du basilic, de l'espèce des singes.
À
la Zeugitane commence l'Afrique, opposée a la Sardaigne par le cap d'Apollon,
et par le cap de Mercure, à la Sicile. Elle s'étend sur deux promontoires,
dont l'un est appelé le cap Blanc, et l'autre, qui est dans la Cyrénaïque, le
cap Phyconte. Par le golfe Crétois, elle est opposée au golfe de Crète, et
fait saillie du côté du Ténare en Laconie. Par les sables de Catabathme, elle
pénètre en Égypte, dans la partie voisine de la Cyrénaïque, et se prolonge
entre les deux Syrtes, que le flux et le reflux d'une mer pleine de bas-fonds
rend inaccessibles. Il est difficile d'expliquer le flux et le reflux dans cette
mer, qui, par des mouvements incertains, tantôt s'élève et couvre les
écueils, tantôt déborde avec violence. Varron dit que, comme les vents
tourmentent la côte, c'est leur action plus ou moins impétueuse qui force la
mer à sortir de son lit, ou à y rentrer. Toute cette contrée depuis
l'Éthiopie et les bornes de l'Asie, fixées par le Niger, d'où sort le Nil,
est séparée de l'Espagne par un détroit. Du côté du midi, elle n'a point de
sources, et l'on chercherait vainement à s'y désaltérer. Du côté du nord,
elle offre des eaux abondantes. Dans la plaine de Byzacium, qui a deux cents
milles ou plus d'étendue, le terrain est si fertile que la semence rend cent
pour un. Nous établirons, par l'énumération des villes et des lieux, qu'un
grand nombre d'étrangers sont venus dans cette contrée. C'est ainsi que les
Grecs ont donné le nom de Borion à un promontoire battu par le vent du nord.
C'est à des cavaliers grecs que l'on doit la fondation d'Hippone, appelée
depuis Regium, puis d'une autre Hippone, qu'ils ont nommée Diarrhyte, à cause
du détroit qui la divise : ce sont deux villes très célèbres. Les Siciliens
bâtirent la ville de Clypea, nommée depuis Aspis, puis Vénéric, où ils
transportèrent les cérémonies de Vénus Erycine. Les Achéens ont, dans leur
langue, donné le nom de Tripolis à trois villes, OEa, Sabrate, la grande
Leptis. Les autels des Philènes tirent leur nom grec de l'amour des deux
frères pour la gloire. Ce sont les Tyriens qui ont fondé Adrumète et Carthage
; je vais rapporter ce qu'on a dit de plus exact sur Carthage. Cette ville, dit
Caton dans son discours au sénat, fut fondée, sous le règne du Libyen Japon,
par la Phénicienne Elisse, qui la nomma Carthade, ce qui, en phénicien,
signifie ville nouvelle. Bientôt, ces noms, en passant dans la langue punique,
devinrent Elissa et Carthage : cette ville fut détruite sept cent trente-sept
ans après sa fondation. Puis, C. Gracchus en fit une colonie italienne, et on
l'appela Junonia ; ce n'était plus alors qu'une ville assez obscure et dans un
état peu florissant. Cent deux ans après, sous le consulat de M. Antoine et de
P. Dolabella, elle brilla d'un nouvel éclat sous le nom de Nouvelle-Carthage,
et devint, après Rome, la première ville du monde.
Pour revenir à l'Afrique, l'intérieur de ce pays est peuplé d'un très grand
nombre d'animaux, mais surtout de lions. Ce sont, suivant Aristote, les seuls du
genre nommé denté qui voient dès leur naissance. On en distingue trois
espèces : les premiers ont le corps ramassé, la crinière crépue, et ils
sont, en général, timides et lâches ; les autres, plus allongés, et couverts
d'un poil lisse, sont plus ardents et plus forts ; quant à ceux qui proviennent
des pardes, ils n'ont pas de crinière, et n'offrent rien de remarquable. Ils
évitent tous également l'excès de la nourriture : d'abord ils ne boivent et
ne mangent que de deux jours l'un ; et souvent, si la digestion ne s'est pas
fait, ils passent un jour de plus sans prendre de nourriture ; si leur estomac
est trop plein, ils s'enfoncent les griffes dans le gosier, et ils eu retirent
ce qui le surcharge. C'est ce qu'ils font aussi quand il faut fuir dans l'état
de satiété. La chute des dents est chez eux un signe de vieillesse. Les lions
ont souvent donné des exemples de clémence : ils font grâce à ceux qu'ils
ont terrassés ; leur fureur s'exerce plutôt contre les hommes que contre les
femmes, et ce n'est que pressés extrêmement par la faim qu'ils dévorent les
enfants. Ils éprouvent le sentiment de la pitié : il y a beaucoup de preuves
de leur générosité à l'égard de captifs, qui, quoique exposés à leurs
atteintes, ont pu, sans avoir été attaqués, revenir dans leur patrie. Les
livres de Juba citent le nom d'une femme de Gétulie, qui les toucha par ses
prières au moment où ils l'allaient dévorer, et qui revint saine et sauve.
Ils s'accouplent par derrière, comme le font d'ailleurs les lynx, les chameaux,
les éléphants, les rhinocéros, les tigres. La lionne à sa première portée
produit cinq petits ; chacune des années suivantes, elle en produit un de moins
; enfin, quand elle arrive à n'en plus produire qu'un seul, elle devient à
jamais stérile. Les diverses affections du lion se connaissent à sa face et à
sa queue, comme celles du cheval aux oreilles. La nature a donné ces signes
expressifs aux animaux de la plus noble espèce. La plus grande force du lion
est dans sa poitrine ; sa tête est la partie la plus ferme. Pressé par les
chiens, il se retire d'un air de dédain, s'arrête de temps en temps pour
dissimuler sa crainte par une retraite incertaine : c'est du moins ce qu'il fait
en plaine et à découvert ; mais, dans les forêts, comme s'il n'avait plus à
redouter les témoins de sa peur, il fuit aussi vite qu'il le petit. Quand il
poursuit, il s'élance par bonds, ce qu'il ne sait pas faire en fuyant. Quand
les lions marchent, ils enferment leurs ongles dans une sorte de gaine, pour que
la pointe n'en soit pas émoussée, et ils les gardent ainsi tant qu'ils ne
courent pas ; alors ils retirent leurs griffes en arrière. Entourés de
chasseurs, ils fixent les yeux sur la terre, pour n'être pas intimidés par la
vue des épieux. Ils ne regardent jamais en dessous, et ne veulent pas qu'on les
regarde ainsi. Le chant du coq, le bruit des roues, le feu surtout les
effraient.
J'ai entendu dire qu'il existe de petits animaux appelés léontophones, que
l'on brûle pour saupoudrer de leur cendre des lambeaux de chair que l'on jette
à l'endroit où aboutissent plusieurs chemins, dans le but de donner la mort
aux lions, qui expirent, si peu qu'ils en aient mangé. Aussi les lions leur
portent-ils une haine naturelle, et quand ils le peuvent, ils les mettent en
lambeaux et les écrasent du pied, en s'abstenant toutefois de les mordre.
Le premier spectacle de lions à Rome fut donné par Scévola, fils de Publius,
dans son édilité curule.
L'Afrique produit aussi l'hyène, chez qui l'épine du dos se prolonge jusque
dans le cou, ce qui fait qu'elle ne peut se tourner qu'en faisant participer
tout son corps à ce mouvement. On raconte sur cet animal beaucoup de choses
merveilleuses : on dit qu'il suit les bergers ; qu'à force d'entendre leur nom
il le retient, et parvient à le répéter en imitant la voix humaine : par ce
stratagème il les attire quand il fait nuit, et les met en pièces. Il
contrefait aussi le vomissement de l'homme, et par ces faux hoquets attire les
chiens, qu'il dévore ; s'ils courent à sa poursuite, le contact seul de son
ombre les rend incapables d'aboyer : ils ont perdu la voix. L'hyène fouille les
tombeaux pour déterrer les corps. On parvient plus facilement à prendre les
mâles que les femelles, auxquelles la nature a départi plus de ruse et
d'astuce. Les couleurs de ses yeux varient de mille manières ; ils renferment
une pierre, nommée hyénienne, et douée du pouvoir de révéler l'avenir à
l'homme qui la place sous sa langue. L'hyène enfin rend immobile l'animal
autour duquel elle aura tourné trois fois : aussi lui a-t-on attribué un
pouvoir magique.
En Éthiopie, l'accouplement de cet animal avec la lionne produit un monstre que
l'on nomme crocotte, qui sait pareillement imiter la voix de l'homme. Ses yeux
sont fixes et ne clignotent jamais. Ses mâchoires sont dépourvues de gencives
; sa denture n'est formée que d'un os continu, qui, pour ne pas s'émousser,
est enchâssé dans la mâchoire qui forme une espèce de bourrelet.
Parmi les herbivores, l'Afrique produit beaucoup d'onagres ; dans cette espèce,
chaque mâle règne sur un troupeau de femelles. Ils ne veulent point de rivaux
; et, pour cette raison, ils surveillent les femelles qui sont pleines, et,
s'ils le peuvent, châtrent avec les dents les mâles qui naissent. Les
femelles, par précaution, cachent leurs petits.
L'Afrique est tellement pleine de serpents, qu'on lui accorde à juste titre la
palme de cette malfaisante production Les cérastes portent de petites cornes,
au nombre de quatre, par le mouvement desquelles ils attirent les oiseaux, comme
par un appât, et les font périr : à cet effet, ils ont l'instinct de se
couvrir de sable le reste du corps, et ne laissent paraître que la partie qui,
en présentant une nourriture illusoire, appelle les oiseaux à leur perte.
L'amphisbène a deux têtes, dont l'une est à sa place naturelle et l'autre à
la queue, ce qui fait que son corps suit ses deux têtes en décrivant un
cercle. Le serpent dit jaculus se tient sur les arbres, d'où il s'élance avec
une force prodigieuse pour frapper tout ce qui se présente. La scytale a des
couleurs si variées qu'elle arrête par sa beauté ceux qui la voient, et,
comme elle rampe lentement, elle met à profit l'admiration qu'elle fait naître
pour arriver à ceux qu'elle n'atteindrait pas autrement. Toutefois, c'est elle
qui la première, au, milieu de tout cet éclat, dépose sa dépouille d'hiver.
Il y a de nombreuses et diverses espèces d'aspics, dont chacune nuit à sa
manière : la dipsade tue par la soif ; l'hypnale par le sommeil : on se procure
ce reptile pour se donner la mort, comme le fit Cléopâtre. Le poison des
autres espèces, que l'on peut neutraliser, leur donne moins d'importance.
L'hémorrhoïs fait, par sa morsure, jaillir le sang, et, par l'interruption des
canaux qui le renferment, la vie s'échappe en même temps que ce fluide. La
piqûre du prester produit un gonflement, une obésité dont on meurt. Celle du
seps produit la putréfaction. Il y a encore l'hammodyte, le cenchris,
l'éléphantie, le chersydre, le chamédracon ; et ici autant de noms, autant
d'espèces de morts. Quant aux scorpions, aux scinques, aux lézards, c'est
parmi les vers et non parmi les serpents qu'on les range. Quand ces monstres ont
bu, ils sont moins cruels. Ils ne sont pas dépourvus d'affection : le mâle et
la femelle ne vont guère qu'ensemble ; s'il arrive que l'un soit pris ou tué,
celui qui survit devient furieux. Les femelles ont la tête plus effilée, le
ventre plus gros, le venin plus dangereux. Le mâle est arrondi d'une manière
plus égale ; il est plus grand, il est moins féroce. Les reptiles, en
général, ont une mauvaise vue. Rarement ils regardent devant eux ; cela
s'explique : leurs yeux sont placés non pas au front, mais aux tempes ; aussi
ont-ils l'oreille plus subtile que les yeux.
On a discuté si les plus belles pierres héliotropes venaient de l'Éthiopie,
de l'Afrique ou de l'île de Chypre ; mais des comparaisons nombreuses ont fait
décerner la palme à celles de l'Éthiopie ou de la Libye. L'héliotrope est
d'un vert qui n'est pas très vif, mais plutôt sombre et foncé ; elle est
marquée çà et là d'étoiles pourprées. Son nom lui vient de l'effet qu'elle
produit, et de son caractère particulier. Placée dans un vase d'airain, elle
fait paraître l'image du soleil couleur de sang. Hors de l'eau, elle atténue
et absorbe sa lumière. On dit aussi qu'unie à l'herbe de même nom, et à
l'aide de certaines formules d'enchantement, elle rend invisible celui qui la
porte.
Entre les Syrtes, même pour ceux qui voyagent par terre, la route est indiquée
par les astres ; il n'y a même pas d'autres guides : car un souffle change
l'aspect de ce sol friable, et le moindre vent produit des effets si divers
qu'il bouleverse la face des lieux, et ne laisse plus aucun moyen de se
reconnaître, tantôt créant des vallons où étaient des hauteurs, tantôt
couvrant d'un amas de sable ce qui était vallon. Le continent souffre
également de la mer qui le baigne, et l'on ne sait où est la tempête ; car
les deux éléments conspirant contre les voyageurs, le vent tourmente la terre,
la terre tourmente la mer. Il y a entre les deux Syrtes une distance de deux
cent cinquante milles pas. La petite Syrte est un peu moins dangereuse. On sait
que sous le consulat de Cn. Servilius et de C. Sempronius la flotte romaine
traversa heureusement ces bancs de sable. Dans ce golfe est l'île de Méninx,
qui, après les marais de Minturnes, servit de retraite à G. Marius.
Au-delà des Garamantes étaient les Psylles, dont le corps résistait d'une
manière incroyable aux atteintes du poison. Seuls ils survivaient à la morsure
des serpents, et, quoique atteints de la dent fatale, échappaient à la mort.
Ils exposaient aux serpents leurs enfants nouveau-nés. Si ces enfants étaient
les fruits de l'adultère, leur mort était le châtiment du crime de la mère ;
s'ils étaient légitimes, le privilège du sang paternel les sauvait. C'est
ainsi que le poison décidait de la pureté de leur naissance. Mais cette nation
est tombée sous les coups des Nasamons, qui n'ont laissé subsister du nom des
Psylles que la réputation qui y est attachée.
On trouve chez les Nasamons la pierre nasamonite, qui est couleur de sang, et
qui a des veines noires. À l'extrémité de la grande Syrte, près de l'autel
des Philènes, étaient les Lotophages : c'est du moins ce que disent les
auteurs, et ce qui me paraît hors de doute. Non loin de l'autel des Philènes
est un marais où se jette le fleuve Triton, et où, dit-on, se mira la déesse
des arts.
Près de la grande Syrte est une ville nommée Cyrène, qui fut fondée par
Battus de Lacédémone, vers la quarante-cinquième olympiade, sous Martius, roi
de Rome, cinq cent quatre-vingt-six ans après la prise de Troie, et qui fut la
patrie du poète Callimaque. Il y a entre cette ville et le temple d'Ammon
quatre cents mille pas. Près du temple est une fontaine consacrée au Soleil ;
elle embrasse de ses eaux une terre ayant l'aspect de la cendre, et en forme un
gazon Ce n'est pas sans une sorte de prodige qu'on y voit des taillis
verdoyants, tandis qu'aux environs il n'y a que des plaines arides.
Là aussi se trouve la pierre dite corne d'Ammon : ce nom lui vient de ce
qu'elle est recourbée et arquée de manière à figurer une corne de bélier.
Elle a l'éclat de l'or. Elle donne, dit-on, des rêves divins à ceux qui l'ont
sous leur tête quand ils sont couchés. Il y a encore un arbre du nom de
mélope, d'où découle lentement un suc qui, de ce lieu, a pris le nom
d'ammoniac.
On trouve en outre dans la Cyrénaïque une plante, que l'on nomme sirpé, dont
la racine est odorante, et dont les pousses sont plutôt celles d'une herbe que
celles d'un arbre : de la tige, à une certaine époque, découle une liqueur
grasse, qui s'attache à la barbe des boucs qui mangent de cette plante. Quand
elle est séchée, et que les gouttes qu'elle distille ont pris de
l'accroissement, on l'emploie pour les repas, ou comme remède. On a donné
d'abord au suc le nom de lait sirpique, parce qu'en effet il est laiteux ; puis,
par altération, on l'a appelé laser. Ces plantes, d'abord par suite de
l'invasion des barbares qui ravagèrent ce pays, ensuite à cause de
l'énormité des impôts qui ont forcé les habitants mêmes à les arracher,
ont disparu presque entièrement.
À gauche de la Cyrénaïque est l'Afrique ; l'Égypte à droite ; en face, une
mer orageuse, et qui n'offre aucun port ; par derrière, des peuplades de
barbares, un désert inculte, triste, inaccessible, qui produit un monstre
affreux, le basilic.
C'est un serpent qui a près d'un demi-pied de longueur ; sa tête est marquée
d'une tache blanche en forme de diadème ; il n'est pas seulement fatal à
l'homme et aux autres animaux, il l'est à la terre même, qu'il souille et
qu'il brûle, partout où il établit son fatal séjour. Il fait périr les
herbes, il tue les arbres ; il vicie l'air à tel point, que partout où son
souffle impur s'est exhalé, nul oiseau ne passe impunément. Quand il se met en
mouvement, une moitié de son corps seulement rampe sur la terre ; l'autre
moitié se présente haute et dressée. Son sifflement effraye les autres
serpents ; dès qu'ils l'ont entendu, ils prennent la fuite de tous côtés.
Aucune bête ne goûte, aucun oiseau ne touche à ce qu'il a mordu. La belette
étant le seul animal qui détruise le basilic, on l'enferme dans les cavernes
où il se cache. Toutefois, il peut encore nuire après sa mort. Les habitants
de Pergame se sont procuré à prix d'or les restes d'un basilic : pour écarter
d'un temple construit par Apelle les araignées et les oiseaux, ils y ont placé
le squelette de ce reptile suspendu dans un filet d'or.
Sur le dernier promontoire des Syrtes est la ville de Bérénice, que baigne le
fleuve Léthon, dont les sources sont, dit-on, dans l'enfer, et que les poètes
ont vanté comme procurant l'oubli. La ville de Bérénice fut fondée dans la
grande Syrte par Bérénice, femme de Ptolémée III.
Toute la partie boisée du pays qui s'étend entre l'Égypte, l'Éthiopie et la
Libye, est pleine de singes d'espèces diverses. Que ce nom ne choque personne,
ne détourne personne de s'instruire : car il importe de ne rien omettre de ce
qu'offre à nos observations la sagesse de la nature.
La foule de singes dont, abonde ce pays, a un instinct naturel qui les porte à
l'imitation. Par suite de ce penchant, ils tombent plus facilement entre les
mains de l'homme : on les voit, en effet, s'étudiant à imiter les chasseurs,
et victimes d'une ruse qu'ils ont observée, s'enduire les yeux de la glu que
ceux-ci ont laissée à dessein : une fois les yeux ainsi couverts, il est
facile de les prendre. Ils bondissent de joie à l'apparition de la nouvelle
lune ; ils sont tristes au décours de cet astre. Les guenons n'ont pas le même
attachement pour tous leurs petits, et cette préférence fait qu'elles perdent
plus facilement ceux qui ont leur affection et qu'elles portent entre leurs
bras, que ceux qu'elles négligent et qui se tiennent toujours attachés
derrière leur dos. Les cercopithèques ont des queues : c'est la seule
différence entre cette espèce et les précédentes. Les cynocéphales aussi
sont rangés parmi les singes ; ils sont très nombreux dans une partie de
l'Éthiopie ; leur bond est impétueux, leur morsure est redoutable ; à leur
mansuétude apparente succède la rage. Parmi les singes, on range aussi les
sphinx au poil épais, à la poitrine un peu saillante et développée, et qui
sont faciles à apprivoiser. Il y en a que l'on nomme satyres, qui ont la figure
très agréable, et dont les gestes sont animés et fréquents. Les callitriches
diffèrent presque entièrement des autres par la forme ; ils ont de la barbe et
la queue large. Il n'est pas difficile de les prendre ; mais on parvient
rarement à les dépayser, car ils ne vivent que dans l'Éthiopie, c'est-à-dire
dans la contrée où ils sont nés.
XXIX. Des Amantes et des Asbystes.
Entre les Nasamons et les Troglodytes est la nation des Amantes, qui se construisent des maisons avec des blocs de sel, qu'ils tirent des montagnes, comme on en tire des pierres, et dont ils se servent pour leurs constructions. Il y a dans ce pays une si grande abondance de sel, que les toits mêmes en sont faits. Les habitants font avec les Troglodytes le commerce de la pierre précieuse dite escarboucle. En deçà des Amantes, les plus voisins des Nasamons sont les Asbystes qui vivent de laser : aussi recherchent-ils cette substance qui leur est particulièrement agréable.
XXX. Source chez les Garamantes, et route de ce pays. Bestiaux des Garamantes, et caractères de l'île Gauloë.
Il
y a dans le pays des Garamantes une ville, Débris, où l'on trouve une source
admirable dont, par un retour successif, les eaux sont froides le jour,
brûlantes la nuit, et d'où sortent, par les mêmes conduits, tantôt de
chaudes vapeurs, tantôt un air glacé. C'est quelque chose d'incroyable que
cette variété, cette contradiction de la nature en si peu de temps ! et ceux
qui veulent étudier ce phénomène, pourront croire que pendant la nuit une
torche ardente embrase continuellement ces eaux ; mais s'ils observent ce qu'est
la source pendant le jour, ils croiront qu'elle est toujours glacée. C'est ce
qui rend à juste titre Débris célèbre, puisque, pendant la révolution des
astres, et en sens inverse de cette révolution, les eaux changent de nature ;
car, lorsque le soir rafraîchit la terre, cette eau commence à devenir
tellement chaude, qu'on ne peut la toucher impunément ; quand les rayons du
soleil ont brillé, et que la chaleur se répand sur le monde, cette eau devient
tellement froide que l'on ne peut en boire. Quoi de plus étonnant que cette
source que la chaleur refroidit, qu'échauffe le froid ! La capitale des
Garamantes est Garama, dont la route fut longtemps impraticable, parce que les
voleurs du pays masquaient, à l'aide du sable, l'ouverture des puits, afin que
les voyageurs, privés d'eau par cette supercherie du moment, fussent obligés
d'éviter les lieux où il était impossible de se désaltérer. Mais sous
Vespasien, dans la guerre qu'il soutint contre les peuples d'OEa, cet obstacle
disparut par la découverte d'un chemin plus court. Cornelius Balbus soumit les
Garamantes, et fut le premier qui obtint sur ce peuple le triomphe. Ce fut aussi
le premier étranger, car il était de Gadès, qui fut admis à cet honneur du
triomphe.
Les boeufs de cette nation paissent la tète penchée de côté : s'ils paissent
comme les autres animaux, ils endommagent leurs cornes, dont la pointe tournée
vers la terre leur fait obstacle.
Du côté de Cercine se trouve l'île de Gauloë, où il ne naît pas de
serpents, et où ne vivent pas ceux qu'on y apporte : aussi la terre, prise dans
ce pays et portée dans d'autres contrées, en écarte les reptiles ; jetée sur
le scorpion, elle le tue aussitôt.
XXXI. Des Éthiopiens, et des curiosités de lieux et de peuples qu'offre l'Éthiopie. Des dragons, de la pierre dite dracontia, de la girafe, des cèphes, du rhinocéros, du catoblèpe, des fourmis d'Éthiopie, de Lycaon, du parandre, des loups d'Éthiopie, du porc-épic, des oiseaux dits pégase et tragopane, des pierres dites hyacinthe, chrysopaste, hématite.
Les
Éthiopiens, et les nations atlantiques, sont séparés par le Niger, que l'on
regarde comme le père du Nil. Il offre comme lui le papyrus, le calamus, les
mêmes animaux, les mêmes inondations, et rentre dans son lit en même temps
que le Nil. Les Éthiopiens Garamantes ne connaissent pas le mariage : la
communauté des femmes est un usage du pays. Ainsi les mères seules
reconnaissent leurs fils ; le titre honorable de père n'est applicable à
aucun. Qui pourrait, en effet, distinguer un père au milieu d'une pareille
licence de moeurs ? Aussi les Éthiopiens Garamantes passent-ils pour un peuple
dégénéré, et à juste titre, puisque, par suite de cette promiscuité le nom
de la famille se perd tristement.
L'Éthiopie s'étend au loin. Dans la partie de l'Afrique où se trouve Méroé,
il y a de nombreuses et diverses nations éthiopiennes. De ce nombre sont les
Nomades, qui vivent du lait des cynocéphales. Les Syrbotes ont douze pieds de
hauteur. Les Azachéens se nourrissent des éléphants qu'ils ont pris à la
chasse. Chez les Psambares, tous les quadrupèdes, même les éléphants, sont
sans oreilles. Leurs voisins ont pour roi un chien, dont ils étudient les
divers mouvements pour pouvoir exécuter ses ordres. Les Éthiopiens maritimes
ont, dit-on, quatre yeux, ou plutôt ils ont la vue perçante, et excellent à
tirer de l'arc. À l'ouest sont les Agriophages, qui ne se nourrissent que de la
chair des panthères et des lions, et dont le roi n'a qu'un oeil au milieu du
front. Là aussi sont les Pamphages, qui mangent de toute espèce de
comestibles, et se nourrissent de ce que le hasard leur présente. Puis viennent
les Anthropophages, dont le nom seul indique les habitudes ; les cynomolges qui
ont, dit-on, une gueule de chien et un museau proéminent ; les Artabites, qui
errent comme les bêtes sauvages, et n'ont pas de séjour fixe. Les peuples qui
habitent aux confins de la Mauritanie, à une certaine époque de l'année,
prennent des sauterelles qu'ils salent et conservent pour en faire leur seule
nourriture. La plus longue vie chez eux est de quarante ans. De l'Océan à
Méroé, première île que forme le Nil, il y a six cent vingt mille pas.
Au-delà de Méroé, dans la partie la plus orientale, les Éthiopiens prennent
le nom de Macrobiens. Leur vie est en effet de moitié plus longue que la
nôtre. Ils pratiquent la justice et l'égalité. Ils sont d'une force et d'une
beauté remarquables ; ils emploient le cuivre pour leurs ornements, et
fabriquent avec de l'or les chaînes des malfaiteurs. Dans le pays est un lieu
nommé „HlÛou tr‹peza
XXXII. Des peuples de l'intérieur de la Libye, de la pierre dite hexécontalithe.
Toute
la partie qui s'étend de l'Atlas à la bouche du Nil, où se termine la Libye
et où commence l'Égypte, et qui se nomme Canopique, du nom de Canope, pilote
de Ménélas, enseveli dans une île que forme le fleuve en cet endroit ; toute
cette partie est occupée par des peuples de langages différents, et qui se
sont renfermés dans une solitude presque impénétrable. Parmi eux sont les
Atlantes, qui s'écartent de toutes les coutumes humaines. Chez eux, personne
n'a de nom propre, de nom spécial. Ils accueillent par des imprécations le
lever et le coucher du soleil ; et, brûlés par ses feux, ils détestent le
dieu de la lumière. On affirme qu'ils n'ont pas de songes, et qu'ils
s'abstiennent de la chair de tout animal. Les Troglodytes creusent des grottes
qu'ils habitent. Il n'y a chez eux aucune cupidité, et par une pauvreté
volontaire ils ont renoncé aux richesses.
Ce pays ne nous offre comme pierre précieuse que celle que nous nommons
hexécontalithe, dont les nuances sont si nombreuses que, malgré sa petitesse,
on y distingue les couleurs de soixante gemmes.
Les Troglodytes ne vivent que de la chair des serpents ; et, ne connaissant
aucune langue, ils sifflent plutôt qu'ils ne parlent. Les Augyles n'adorent que
les dieux infernaux. Ils veulent que les premières nuits des noces, leurs
femmes se rendent adultères ; mais ensuite, par les lois les plus sévères,
elles sont astreintes à une rigoureuse chasteté. Les Gamphasantes ne font
point la guerre ; ils fuient la rencontre des autres hommes, ne s'allient avec
aucun étranger. Les Blemmyes, dit-on, n'ont pas de tête : leur bouche, leurs
yeux sont à la poitrine. Les Satyres n'ont rien de l'homme que la figure. Les
Égipans ont la forme sous laquelle on nous les représente ordinairement. Les
Himantopodes, avec leurs jambes flexibles, rampent plutôt qu'ils ne marchent,
se glissent plutôt qu'ils n'avancent. Les Pharusiens, qui accompagnaient
Hercule lors de son expédition contre les Hespérides, s'arrêtèrent dans ces
contrées, fatigués de voyager. Nous n'avons plus rien à dire de la Libye.
XXXIII. De l'Égypte, et, dans l'Égypte, des sources et de la nature du Nil, du bœuf Apis, du crocodile, du scinque, de l'hippopotame, de l'ibis, des serpents d'Arabie, du figuier d'Égypte, du palmier d'Égypte, des moeurs égyptiennes, des villes célèbres.
L'Égypte
s'étend au midi, clans les terres, jusqu'à ce qu'enfin elle ait l'Éthiopie
derrière elle. Sa partie inférieure est limitée par le Nil, qui se divise au
lieu que l'on nomme Delta, et forme par ses branches une espèce d'île ; ce
fleuve, d'ailleurs, vient de sources presque inconnues, comme nous le dirons
plus tard. Il sort d'une montagne de la Mauritanie inférieure, qui n'est pas
éloignée de l'Océan. Voilà ce que l'on trouve consigné dans le Périple
d'Hannon, et ce que nous a transmis le roi Juba. Il forme aussitôt un lac que
l'on nomme Nilide.
On présume que là est la source du Nil, puisque l'on y trouve les herbes, les
poissons, les animaux que produit le Nil ; et si la Mauritanie, d'où il sort,
est inondée par des fontes de neiges plus considérables ou des pluies plus
abondantes qu'à l'ordinaire, les crues se montrent en Égypte dans la même
proportion. Mais au sortir de ce lac, il disparaît sous les sables, et se cache
dans des cavités souterraines ; puis, s'élançant plus majestueux dans la
Mauritanie Césarienne, il offre les mêmes caractères qu'à sa source, se
cache de nouveau, et ne reparaît enfin qu'après avoir atteint, après un long
cours, les contrées de l'Éthiopie. En reparaissant, il forme le Niger, fleuve
qui, comme nous l'avons dit, est la limite de l'Afrique. Les indigènes lui
donnent le nom d'Astape, qui veut dire eau prenant sa source dans les
ténèbres. Il forme aussi des îles nombreuses et considérables ;
quelques-unes sont d'une étendue telle, que ses eaux, malgré leur
impétuosité, ne mettent pas moins de cinq jours à en achever le tour. La plus
connue est Méroé, où il se divise en deux bras, dont le droit prend le nom
d'Astosape, et le gauche celui d'Astabore. Après avoir parcouru une grande
étendue de pays, où son impétuosité est d'abord excitée par les récifs
qu'il rencontre, il se précipite ensuite avec tant de force au milieu des
rochers, qu'il jette ses flots plutôt qu'il ne les épanche ; arrivé enfin à
la cataracte, nom que les Égyptiens donnent à certains réservoirs du Nil, il
devient plus paisible, et perdant le nom de Niger, il suit un cours tranquille.
Il se jette par sept bouches au midi de la mer d'Égypte. L'ignorance du cours
des astres, ou celle des lieux, a assigné diverses causes aux débordements du
Nil. Les uns prétendent que les vents étésiens rassemblent d'épais nuages
aux lieux où ce fleuve prend sa source, et que cette source, augmentée par les
eaux du ciel, donnent au Nil des accroissements proportionnés à l'abondance de
la pluie. D'autres croient que, refoulé par les vents, et ne pouvant poursuivre
son cours ordinaire, ses eaux trop à l'étroit se gonflent, et que plus le
souffle des vents contraires est violent, plus les eaux ont de force pour
remonter : le cours ordinaire du fleuve ne suffisant pas pour épuiser son lit,
où déjà resserré il a reçu les eaux impétueuses des torrents, il résulte
de la violence de l'élément, poussant d'un côté et repoussé de l'autre, que
la masse de ses vagues mugissantes s'accroît et produit les débordements.
D'autres enfin disent que sa source, nommée Phiale, est soumise aux mouvements
des astres, et que quand le soleil approche, ses rayons attirent le fleuve, qui
reste comme suspendu, mais non sans obéir à une certaine loi, c'est-à-dire à
l'influence de la nouvelle lune. Selon eux, les débordements viennent du
soleil, quand il entre dans le signe du Cancer ; et quand il a parcouru les
trente phases de sa carrière, quand il est entré dans le signe du Lion, quand
vient le Sirius, le Nil coule naturellement avec moins d'abondance. C'est
l'époque que les prêtres regardent comme l'anniversaire de la création du
monde : c'est entre le treizième et le onzième jour des calendes d'août. Il
redescend ensuite quand le soleil passe dans le signe de la Vierge, et rentre
complètement dans son lit quand l'astre est entré dans la Balance. Ils
ajoutent que ses crues trop peu abondantes ne sont pas moins nuisibles que ses
trop grands débordements : en effet, une crue médiocre n'apporte pas aux
terres assez de fécondité, et un débordement excessif les couvre trop
longtemps, et retarde la culture. La crue la plus forte est de dix-huit coudées
; la plus habituelle, de seize ; celle de quinze ne compromet rien ; au-dessous,
il y a famine. On accorde au Nil le don précieux de présager l'avenir,
s'appuyant sur cette particularité, que sa crue ne fut que de cinq coudées
pendant la guerre de Pharsale. Une chose reconnue, c'est que, seul de tous les
fleuves, il n'exhale pas de vapeurs. Le Nil ne commence à couler, sous la
domination égyptienne, qu'à Syène, limite de l'Égypte et de l'Éthiopie ; et
de là jusqu'à la mer, il garde son nom.
Parmi les choses dignes d'être mentionnées en Égypte, on cite surtout le
boeuf Apis : il y est adoré comme une divinité ; sa marque distinctive est une
tache blanche en forme de croissant sur le côté droit. Le nombre de ses
années est déterminé : quand le temps en est venu, on le fait mourir en le
noyant dans la fontaine sacrée, car il ne peut vivre au-delà de l'époque
fixée. Ensuite on prend le deuil jusqu'à ce qu'on lui ait trouvé un
successeur ; ce successeur une fois trouvé, cent prêtres le conduisent à
Memphis, pour qu'initié aux cérémonies sacrées, il devienne lui-même
sacré. Il y a pour lui des temples où il entre, où il repose, et que l'on
désigne sous le nom mystique de couches. On le consulte sur tout ce qui doit
arriver ; le présage le plus favorable est quand il accepte des aliments de la
main de ceux qui le consultent. S'étant détourné de la main de Germanicus
César, il lui annonça ainsi ce qui le menaçait ; bientôt après, Germanicus
mourut. Les enfants suivent en foule le boeuf Apis, puis, comme inspirés,
prédisent l'avenir. Une fois l'année, on lui présente une génisse qui a,
comme lui, ses marques distinctives, et que l'on fait mourir le jour même où
un l'a trouvée et présentée. On célèbre à Memphis la naissance du boeuf
Apis, en jetant une coupe d'or dans un certain endroit du Nil. Cette solennité
dure sept jours ; pendant ce temps les crocodiles observent une sorte de trêve
avec les prêtres, et ne font point de mal à ceux qui se baignent. Au huitième
jour, après les cérémonies, ils reprennent leur férocité, comme si le
privilège de faire des victimes leur était rendu.
Le crocodile, animal malfaisant, également redoutable sur la terre et dans le
fleuve, n'a point de langue, il a la mâchoire supérieure mobile ; il imprime
une morsure terrible, parce que ses dents s'engrènent les unes dans les autres.
Sa longueur est souvent de vingt coudées. Ses oeufs ressemblent à ceux des
oies. Il calcule, par un instinct providentiel, le lieu où il les doit placer,
et ne les dépose que là où ne doivent pas arriver les eaux du Nil dans sa
crue. Le mâle et la femelle couvent tour à tour. Outre leur énorme gueule,
les crocodiles ont des griffes formidables. Ils passent la nuit dans l'eau, et
le jour ils se reposent sur la terre. Leur peau est si solide que leur dos peut
repousser les coups portés par n'importe qu'elle machine. Le trochile est un
petit oiseau qui vient chercher sa nourriture dans ce qui reste entre les dents
du crocodile ; il lui nettoie ainsi peu à peu la gueule, l'affecte
agréablement par ses picotements, et pénètre ainsi jusque dans la gorge.
C'est alors que l'ichneumon, qui observe le monstre, pénètre dans son corps,
et n'en sort qu'après lui avoir rongé les intestins.
Il y a dans le Nil des dauphins dont le dos est arme d'épines disposées en
dents de scie. Ces dauphins provoquent le crocodile, le forcent à nager, puis,
par une manoeuvre perfide, plongent sous l'eau, fendent au ventre la peau tendre
du crocodile, et le tuent. Il y a, en outre, dans l'île formée par le Nil, des
hommes de petite taille, mais d'une telle intrépidité qu'ils vont au-devant du
crocodile : car ce monstre poursuit ceux qui le fuient, redoute ceux qui lui
résistent. On le prend alors, et, soumis, il subit l'esclavage dans les eaux,
son domaine : la crainte l'a rendu tellement docile, que, ne conservant plus
aucun reste de sa férocité, il porte ses vainqueurs à cheval sur son dos.
Aussi les crocodiles se gardent-ils d'approcher cette île, et fuient-ils le
peuple qui l'habite partout où l'odorat leur révèle sa présence. Le
crocodile a la vue mauvaise dans l'eau, excellente sur la terre. L'hiver, il ne
prend aucune nourriture, et même, à partir du moment où commencent les
frimas, il passe quatre mois sans manger.
On trouve aussi les scinques en grande quantité dans les environs du Nil : ils
ressemblent aux crocodiles ; mais ils sont petits et minces. Ils sont d'un assez
grand secours en médecine : les hommes de l'art en tirent des breuvages, qui
réveillent les nerfs engourdis et neutralisent l'action du poison.
L'hippopotame naît dans le même pays et dans le même fleuve ; il a le dos, la
crinière et le hennissement du cheval, le museau relevé, le pied fendu, les
dents du sanglier, la queue tortueuse. La nuit, il dévaste les moissons, où,
par ruse, il ne va qu'à reculons, pour mettre en défaut ceux qui voudraient
lui tendre des embûches à son retour. Lorsqu'il se sent surchargé
d'embonpoint, il va vers des roseaux nouvellement coupés, et s'y promène
jusqu'à ce qu'un piquant de ces tiges aiguës l'ait blessé, et que le sang
qu'il perd ait dégagé son corps ; ensuite il enduit la plaie de limon, pour
qu'elle se cicatrise. Marcus Scaurus fut le premier qui fit voir à Rome des
hippopotames et des crocodiles.
Dans les mêmes contrées est l'oiseau ibis. Il détruit les oeufs de serpents,
et porte à ses petits cette nourriture qui leur est fort agréable. Ainsi
diminue l'espèce des animaux malfaisants. Ces oiseaux ne sont pas particuliers
à l'Égypte : en Arabie, lorsque des essaims de serpents ailés sortent des
marais, serpents qui, quoique très petits, ont cependant un venin si dangereux
que leur morsure est suivie de mort avant qu'on en ait ressenti la douleur, les
ibis, avec une sagacité particulière, viennent les envelopper, et avant que
cette redoutable espèce n'ait franchi les limites du pays, ils l'arrêtent dans
les airs et la détruisent entièrement. Aussi regarde-t-on les ibis comme des
oiseaux sacrés et inviolables. Ils pondent par le bec. On ne trouve des ibis
noirs que dans les environs de Pelusium ; partout ailleurs ils sont blancs.
Des arbres que l'Égypte seule produit, le principal est le figuier, qui, par la
feuille, ressemble au mûrier, et qui porte des fruits non seulement aux
branches, mais au tronc même : tant il a de peine à suffire à sa fécondité.
Il les produit chaque année sept fois ; dès que l'on a cueilli une figue, une
autre commence à pousser. Le bois du figuier plongé dans l'eau va d'abord au
fond ; après y être resté un certain temps, il surnage, et l'eau dont
s'imbibent tous les autres bois, lui enlève, au contraire, son humidité.
Parlons aussi du palmier d'Égypte nommé proprement adipsos, comme il était
naturel de l'appeler, puisque son fruit étanche la soif. Ce fruit a l'odeur du
coing ; mais il n'apaise la soif que s'il est cueilli avant sa maturité : si
l'on en goûte lorsqu'il est mûr, il trouble les sens, il embarrasse la marche,
il épaissit la langue, et, agissant à la fois sur l'esprit et sur le corps, il
produit l'effet de l'ivresse.
Les frontières de l'Égypte sont, du côté de Diacecaucène, habitées par des
peuples qui observent le moment où recommence la révolution annuelle du ciel.
On choisit un bois sacré, où sont renfermés des animaux d'espèces tout à
fait différentes. Au moment où la révolution nouvelle se produit, ils
trahissent leurs divers sentiments chacun à sa manière : les uns hurlent, les
autres mugissent ; on en entend d'autres siffler, d'autres braire ; d'autres, en
troupe, vont se jeter dans des bourbiers. Voilà comment ils attestent qu'ils
ont saisi le moment qu'ils attendaient. Les habitants de ce pays disent tenir de
leurs aïeux que le soleil se couche maintenant où il se levait autrefois.
Parmi les villes d'Égypte est Thèbes, fameuse par le nombre de ses portes, et
qui est un entrepôt pour les Arabes et les Indiens. Là commence la Thébaïde.
Abydos, célèbre autrefois par le palais de Memnon, l'est aujourd'hui par le
temple d'Osiris. Alexandrie se recommande, et par la beauté de ses édifices,
et par le nom de son fondateur. L'architecte Dinocrate, qui en traça le plan,
occupe, après Alexandre, une place dans le souvenir des hommes. Alexandrie fut
fondée vers la cent douzième olympiade, sous le consulat de L. Papyrius
Spurius, fils de Spurius, et de C. Pétilius, fils de Caïus, non loin de la
bouche du Nil, que les uns appellent Héracléotique, et les autres Canopique.
Puis vient Phare, colonie fondée parle dictateur César, d'où brillent la nuit
des feux qui indiquent aux vaisseaux leur direction : car l'entrée d'Alexandrie
est semée de bas-fonds perfides ; et la mer, fort dangereuse, n'y présente que
trois canaux navigables, le Tégane, le Posidée, le Taurus. Aussi appelle-t-on
phares les fanaux placés dans les ports. Les pyramides sont des tours
élevées, en Égypte, au-delà de toute hauteur que semble pouvoir atteindre le
travail des hommes ; et comme elles excèdent la mesure des ombres, elles ne
projettent pas d'ombres. Quittons maintenant l'Égypte.
XXXIV. De l'Arabie et des curiosités qu'elle renferme ; sources qui s'y trouvent ; mœurs et coutumes de ses habitants ; du fleuve Eulée, de l'encens, de la myrrhe, du cinname, du phénix, des oiseaux dits cinnamolgues, de la pierre dite sardonique, de la molochite, de l'iris, de l'andradamanle, de la pierre dite pédéros, de la pierre arabique.
Au-delà
de l'embouchure Pélusiaque est l'Arabie, qui s'étend jusqu'à la mer Rouge,
nommée Érythrée, du roi Erythra, fils de Persée et d'Andromède, et non pas
seulement à cause de sa couleur. Tel est, du moins, le sentiment de Varron, qui
affirme que sur le rivage de cette mer il y a une source qui change la nature de
la toison des brebis qui y boivent : de blanches qu'elles étaient, elles
prennent bientôt après une couleur noire. La ville d'Arsinoë est située sur
les bords de la mer Rouge.
Ce pays s'étend jusqu'à l'autre Arabie, si riche en parfums, si opulente,
occupée par les Catabanes et les Scénites, peuples célèbres par le mont
Casius. Les Scénites tirent leur nom des tentes qui sont leur seule demeure.
Ces tentes se nomment cilicines : dans leur langage, ils appellent ainsi des
pièces d'étoffe tissues de poil de chèvres. Ils s'abstiennent entièrement de
la chair de porc. Cet animal d'ailleurs, transporté dans ce pays, y meurt
sur-le-champ. Cette Arabie a été nominée par les Grecs EédaÛmvn,
et par nous Beata (2). Elle est située sur une
colline faite de main d'homme, entre le Tigre et le fleuve Eulée, dont la
source est en Médie, et dont l'eau est si pure que les rois n'en boivent pas
d'autre.
Ce n'est pas sans motif qu'on l'a nommée Heureuse ; car outre les parfums
qu'elle produit en quantité, elle donne seule l'encens, et encore n'est-ce pas
partout. Vers le milieu du pays sont les Atramites, canton des Sabéens, à huit
journées de la contrée d'où vient l'encens : on l'appelle Arabie,
c'est-à-dire sacrée.
Tel est, du moins, le sens qu'on a donné à ce mot. Les arbrisseaux qui
produisent l'encens ne sont pas une propriété publique ; mais chose nouvelle
chez les barbares, ils passent dans les familles par droit de succession, et
quiconque en est possesseur est, chez les Arabes, regardé comme sacré. Lors de
la récolte ou de la taille, ceux qui sont chargés de ce soin ne doivent ni
assister à des funérailles, ni avoir aucun commerce avec les femmes. Ces
arbres, avant qu'il y eût une autorité irrécusable, passaient pour ressembler
au lentisque ou au térébinthe ; mais dans les livres écrits par Juba à
César, fils d'Auguste, il est établi que l'arbre de l'encens a le tronc
tortueux, que ses branches ressemblent à celle de l'érable, qu'il jette une
gomme semblable à celle de l'amandier, et qu'on lui fait une incision, au lever
de la canicule, dans les plus fortes chaleurs.
Dans les mêmes bois naît la myrrhe, qui, comme la vigne, aime le hoyau, et à
qui le déchaussement est profitable. Dénudée, elle jette plus de gomme. Quand
cette gomme découle naturellement, elle a plus de prix ; si elle vient d'une
incision, elle est moins estimée. Le tronc de cet arbre est tortueux, épineux
; sa feuille est celle de l'olivier, mais plus piquante ; sa plus grande hauteur
est de cinq coudées. Les Arabes entretiennent, avec ses branches, leurs feux,
dont la fumée malsaine engendre, si l'on n'y remédie par l'odeur du storax
brûlé, des maladies le plus souvent incurables.
Là aussi naît le phénix, qui a la grandeur de l'aigle, la tête ornée d'une
touffe de plumes, la mandibule inférieure parée de caroncules, le cou
rayonnant d'or, le reste du corps de couleur pourpre, si ce n'est la queue, qui
est azurée et semée de plumes incarnates. Il est prouvé qu'il vit cinq cent
quarante ans. Il se construit un bûcher avec du cinname qu'il recueille près
de la Panchaïe, et il établit ce bûcher sur les autels dans la ville du
Soleil. La révolution de la grande année se rapporte, d'après les auteurs, à
la vie du phénix ; quoique beaucoup d'entre eux disent que cette grande année
n'est pas de cinq cent quarante, mais bien de douze mille neuf cent
cinquante-quatre ans. Sous le consulat de Plautius Sextus et de P. Apronius, un
phénix parut en Égypte, et pris l'an huit cent de Rome, il fut, par ordre de
l'empereur Claude, montré en assemblée publique. Ce fait, abandonné
d'ailleurs à la critique, est attesté par les actes de Rome.
Il y a aussi en Arabie un oiseau nommé cinnamolgue qui, dans les bois les plus
élevés, construit son nid avec de petites branches de cinname ; comme on ne
peut les atteindre à cause de la hauteur et de la fragilité des branches, les
habitants du pays abattent le nid de ces oiseaux avec des flèches garnies de
plomb, et vendent à un prix très élevé ceux qu'ils peuvent faire tomber,
parce que le cinname d'Arabie est plus estimé que les autres. Les Arabes, qui
s'étendent en sens divers, ont des moeurs et des pratiques diverses. La plupart
ont la chevelure longue, portent la mitre, et se rasent en partie la barbe. Ils
s'appliquent au commerce, n'achètent rien de ce qui vient de l'étranger,
vendent ce que produit leur pays. Leurs forêts et la mer les rendent assez
riches. Les ombres qui sont à notre droite, sont à leur gauche. Une partie
d'entre eux, dont le genre de vie est âpre, se nourrissent de serpents, et
n'ont souci ni de leurs corps ni de leur âme. On les nomme ophiophages.
C'est des côtes de l'Arabie que vint cette pierre du roi Polycrate, nommée
sardoine, qui, la première, excita chez nous l'ardeur du luxe. Nous ne nous
étendrons guère à son sujet, tant elle est connue. On l'estime, quand elle
est d'un beau vermillon ; elle a peu de valeur, si elle est couleur de lie ;
elle se distingue par un cercle d'une blancheur éclatante ; elle est parfaite,
si sa couleur ne se répand hors d'elle, et si une couleur étrangère ne peut
altérer la sienne. Le fond est noir. Plus elle est transparente, moins ou
l'estime : sa beauté dépend de son opacité.
On trouve aussi en Arabie la molochite, d'un vert plus foncé que l'émeraude,
et qu'une vertu naturelle rend propre à servir de préservatif aux enfants. On
trouve aussi dans la mer Rouge l'iris, qui est hexagone, comme le cristal.
Frappée des rayons du soleil, elle reflète les nuances de l'arc-en-ciel.
Les Arabes ont encore l'androdamas, qui a l'éclat de l'argent, et les côtés
régulièrement carrés ; cette pierre tient du diamant. Elle a, dit-on, reçu
ce nom, parce qu'elle dompte l'ardeur des animaux en chaleur, et les transports
de la colère.
On tire encore de ces contrées la pédéros et la pierre dite arabique.
L'arabique a l'aspect de l'ivoire ; on ne peut la graver ; elle est réputée
bonne contre les affections des nerfs. Le pédéros, par une sorte de
privilège, réunit toutes sortes de beautés : il a le brillant du cristal,
l'éclat de la pourpre, et près de ses bords une couronne de safran, nette et,
pour ainsi dire, limpide. Cette pierre, par sa grâce, charme les yeux, captive
le regard, fixe l'admiration ; les Indiens mêmes sont séduits par tant de
beauté. En voilà assez sur l'Arabie ; revenons à Pelusium.
XXXV. Contrée d'Ostracine. Ville de Joppé. Chaînes d'Andromede.
À partir de Pelusium on trouve le mont Casius, le temple de Jupiter Casien, et Ostracine, célèbre par le tombeau du grand Pompée. Vient ensuite l'Idumée, féconde en palmiers ; puis Joppé, la plus ancienne ville du monde, puisqu'elle est antérieure au déluge. Près de cette ville est un rocher, où l'on montre les traces des chaînes d'Andromède. Ce n'est pas un vain bruit qui l'a représentée comme ayant été exposée à un monstre. M. Scaurus, entre autres merveilles qu'il exposa à Rome dans son édilité, produisit les os de ce monstre. Ce fait est consigné dans les annales ; la mesure exacte du monstre s'y trouve ; ses côtes avaient plus de quarante pieds de longueur ; sa taille était plus haute que celle des éléphants indiens, les vertèbres dorsales avaient plus d'un demi-pied de large.
XXXVI. De la Judée, et, dans la Judée, du lac Asphaltite, du baumier, de la nation des Esséniens.
La
Judée est célèbre par ses eaux ; mais toutes n'ont pas la même nature. Les
eaux du Jourdain sont excellentes. Sorti de la fontaine Panéade, il parcourt
les pays les plus agréables, puis il se jette dans le lac Asphaltite, où ses
eaux perdent leur qualité. Ce lac produit le bitume ; nul animal n'y prend vie
; aucun corps n'y peut plonger : les taureaux mêmes et les chameaux surnagent.
Il y a dans la Judée un autre lac nominé Génésara, qui a seize mille pas de
long, et qu'entourent des villes nombreuses et célèbres ; lui-même est très
remarquable. Mais le lac Tibériade l'emporte sur tous par la salubrité et les
propriétés médicales de ses eaux thermales. La capitale de la Judée était
Jérusalem, aujourd'hui ruinée. Puis vint Hiérique, qui succomba sous les
armes d'Artaxerxe.
Près de Jérusalem est la source de Callirhoé, connue par ses eaux chaudes,
dont la médecine a reconnu l'efficacité, et auxquelles elle doit son nom.
Ce pays produit le baume. On n'y cultivait l'arbre qui le produit que dans un
espace de vingt arpents, avant notre conquête de la Judée ; depuis, nous en
avons des bois si nombreux, que nos collines les plus étendues suent, pour
ainsi dire, le baume. Sa souche est semblable à celle de la vigne ; on le
propage par marcottes ; le binage lui donne de la vigueur ; il aime l'eau, il
veut être taillé, il a toujours des feuilles. Si le fer atteint la tige,
l'arbre meurt aussitôt ; aussi se sert-on de verre, ou de couteaux en os, pour
lui faire adroitement, mais seulement sur l'écorce, une incision, une plaie,
d'où s'échappe un suc d'une douceur extraordinaire. Après ce suc, le fruit
est ce que cet arbre a de plus précieux, puis l'écorce, et enfin le bois.
À une longue distance de Jérusalem est un triste lieu, atteint jadis par le
feu du ciel, comme l'atteste une terre noire, qui n'est que de la cendre. Là
sont deux villes, l'une Sodome, l'autre Gomorrhe, où les fruits, malgré
l'apparence de la maturité, ne peuvent être mangés : car la peau ne fait
qu'envelopper un amas de cendres fuligineuses, que la plus légère pression
fait échapper en fumée, et se résoudre en poussière.
À l'ouest de la Judée sont les Esséniens, que des pratiques particulières
isolent des autres peuples, et que la Providence semble avoir destinés à
donner l'exemple de la grandeur. Chez eux pas de femmes ; ils ont renoncé à
l'amour. L’argent leur est inconnu ; ils vivent des fruits du palmier.
Quoiqu'il ne naisse personne parmi eux, leur nombre cependant ne diminue pas.
Leur séjour semble être celui de la pudicité ; quel que soit le nombre des
étrangers qui de toutes parts y affluent, on n'admet que celui dont les moeurs
pures et l'innocence ne peuvent être contestées : celui à qui on pourrait
reprocher la faute, même la plus légère, malgré ses instances pour être
accepté, est écarté, comme par une volonté divine. Ainsi, chose étonnante,
un peuple où il n'y a pas de naissances, subsiste depuis un nombre infini de
siècles. Au-dessous des Esséniens était Engadda, aujourd'hui ruinée. Mais
son ancienne gloire a survécu dans ses bois admirables, dans ses forêts de
palmiers, qui n'ont souffert ni de la guerre ni du temps. La Judée finit au
fort Massada.
XXXVII. De la ville de Scythopolis, du mont Casius.
Je
passe Damas, Philadelphie, Raphiane, pour parler des premiers habitants de
Scythopolis et de son fondateur. Bacchus, après avoir rendu les derniers
devoirs à sa nourrice, bâtit cette ville, pour honorer le tombeau qu'il venait
d'élever. Les habitants manquaient ; il choisit parmi ses compagnons des
Scythes, et pour les affermir dans la volonté de se fixer en ces lieux, il
donna leur nom à la ville.
Il y a dans la Séleucie un autre mont Casius, voisin de l'Antiochie ; de sa
cime on voit, dès la quatrième veille, le soleil se lever, et comme ses rayons
dissipent les ténèbres, on peut, par un simple mouvement de corps, voir la
nuit d'un côté, et de l'autre le jour. Ainsi, du haut du Casius, on peut
observer la lumière, et la voir avant que le jour commence.
XXXVIII. Du Tigre et de l'Euphrate. Des pierres dites zmilanthis, sagda, myrrhite, mithridace, técolithe, hammochryse, aétite, pyrite, chalazie, élite, dionysienne, glessopètre; de la pierre précieuse du soleil, de la chevelure de Vénus; des pierres dites sélénite, méconite, myrmecite, caleophthongue, sidérile, phlogite, anthracie, enhydre.
L'Euphrate
a sa source dans la grande Arménie au-dessus de Zizame, au pied d'une montagne
voisine de la Scythie, et que les habitants du pays appellent Capoté. Là il
s'accroît de quelques fleuves qu'il reçoit dans son sein, et grossi par leurs
eaux, il brise à Élegée les barrières que le mont Taurus lui oppose
vainement, malgré la surface de terrain qu'il recouvre, et qui est de douze
mille pas. Dans son cours long et rapide, il laisse à sa droite la Comagène,
à sa gauche l'Arabie ; puis, après avoir traversé nombre de pays, il divise
la Babylonie, jadis le siège de l'empire des Chaldéens. Il féconde la
Mésopotamie par ses débordements annuels, en couvrant les terrains de limon,
comme fait le Nil. C'est d'ailleurs à peu près dans le même temps,
c'est-à-dire quand le soleil a atteint la vingtième partie du Cancer il
diminue, quand, après avoir parcouru le signe du Lion, le soleil passe à
l'extrémité du signe de la Vierge. Ceux qui s'occupent de gnomonique,
prétendent que cela arrive aux parallèles, qui se trouvent, par l'égalité de
la ligne normale, avoir la même position sur la terre : d'où l'on peut
conclure que, placés sur la même perpendiculaire, deux fleuves, quoique dans
des pays différents, ont les mêmes causes d'accroissement.
Il est convenable maintenant de parler aussi du Tigre. Il sort en Arménie, avec
une remarquable limpidité, d'une belle source qui tombe d'un lieu élevé
nominé Elégos. Il n'est pas lui-même dès le commencement. Il coule d'abord
lentement et n'ayant pas encore son nom ; ce n'est qu'en entrant dans la Médie
qu'il prend le nom de Tigre, qui, dans la langue du pays, veut dire flèche. Il
se jette dans le lac Arethise, dont les eaux supportent tout ce que l'on y
jette, et dont les poissons n'entrent jamais dans le lit du Tigre, de même que
les poissons du fleuve n'entrent jamais dans le lac d'Arethise, qu'il traverse
avec la rapidité d'un oiseau, en gardant sa couleur. Puis, comme le Taurus
devient pour lui un obstacle, il se précipite dans un gouffre, d'où il sort
pour reparaître de l'autre côté près de Zomada, rapportant de l'abîme des
herbes et de l'écume souillée ; puis il se cache de nouveau pour reparaître
encore. Il traverse alors la contrée des Adiabènes et l'Arabie ; puis il
embrasse la Mésopotamie, reçoit le Choaspe, ce fleuve si renommé, et verse
l'Euphrate dans le golfe Persique. Toutes les nations riveraines de l'Euphrate
ont des pierres précieuses de natures différentes.
La zmilantis se trouve dans l'Euphrate même ; elle ressemble au marbre de
Proconèse, si ce n'est que le centre est vert de mer, et brille comme la
pupille de l'oeil.
La sagde nous est venue de la Chaldée ; elle n'est pas facile à trouver, à
moins, comme on le dit, qu'elle ne se fasse prendre : car, par une attraction
naturelle, elle vient du fond de la mer s'attacher aux vaisseaux, et si
fortement qu'on ne peut guère la détacher qu'en coupant le bois. Cette pierre
tient, chez les Chaldéens, le premier rang, à cause des effets qu'ils lui
attribuent ; elle charme d'ailleurs les yeux par une très agréable couleur
verte.
La myrrhite se trouve chez les Parthes : à la simple vue, elle offre la couleur
de la myrrhe, et n'a rien qui puisse fixer l'attention ; mais si vous l'examinez
avec plus d'attention, si vous l'échauffez par le frottement, elle exhale une
odeur de nard. En Perse il y a tant de pierres précieuses, et elles sont de
nature si diverses, qu'il serait déjà long d'en donner les noms.
La mithridace brille de mille couleurs au soleil.
La técolithe, qui ressemble à un noyau d'olive, n'a pas un aspect brillant,
mais elle a une propriété qui fait qu'on la préfère aux pierres les plus
belles : dissoute et prise comme remède, elle guérit la gravelle et apaise les
douleurs de reins et de la vessie.
L'hammochryse, qui est un mélange de sable et d'or, présente des petits
carrés, tantôt de paillettes d'or, tantôt de sable.
L'aétite est de couleur fauve, de forme ronde, et renferme en elle-même une
autre pierre ; le bruit qu'elle rend, quand on l'agite, ne provient pas,
d'après les savants, de la petite pierre intérieure, mais il est dû à un
effet de l'air. Zoroastre place cette pierre au-dessus de toutes les autres, et
lui attribue une puissance souveraine : elle se trouve dans les nids d'aigle, ou
sur les rivages de l'Océan. En Perse, elle est commune. Placée sur le ventre
des femmes, elle prévient l'avortement.
La pyrite est fauve, et ne se laisse pas toucher sans ménagement ; si on la
presse un peu, elle brûle les doigts. La chalazie a la blancheur et la forme
d'un grêlon ; elle est très dure, et ne se brise pas. L'échite est marquée
de taches, comme la vipère. La dionysienne est noirâtre, semée de points
rouges ; elle donne à l'eau, dans laquelle on la broie, le goût du vin, et ce
que son odeur a de remarquable, c'est qu'elle préserve de l'ivresse. La
glossopètre tombe du ciel pendant les éclipses de lune ; elle a l'aspect d'une
langue humaine. D'après les mages, elle a une puissance merveilleuse, puisque
c'est à elle qu'ils attribuent les mouvements lunaires. La pierre du soleil est
d'une blancheur éblouissante, comme l'astre dont elle porte le nom : elle jette
d'éclatants rayons. Le cheveu de Vénus est noir ; mais il présente dans son
intérieur des linéaments semblables à des cheveux roux. La sélénite est
blanche et tirant à la couleur du miel ; elle présente à son intérieur
l'image de la lune, et l'on prétend que cette image s'accroît chaque jour
lorsque l'astre est dans son croissant, et qu'elle diminue lorsqu'il est dans
son décours. La méconite ressemble au pavot. La myrmécite offre l'image d'une
fourmi qui marelle. La chalcophthongue a le son de l'airain ; son usage modéré
entretient la netteté de la voix. La sidérite ressemble au fer ; mais où se
trouve cette pierre malfaisante règne la discorde. La phlogite représente des
tourbillons de flammes. L'anthracie est marquée d'étoiles brillantes ;
l'enhydre suinte, comme s'il y avait en elle une source.
XXXIX. De la Cilicie, et, dans la Cilicie, du Cydnus, de l'antre de Coryce, du mont Taurus.
C'est
de la Cilicie qu'il s'agit maintenant, et si nous la décrivons telle qu'elle
est aujourd'hui, nous paraîtrons ne pas respecter les anciennes traditions ; si
nous indiquons ses anciennes limites, nous serons en désaccord avec ce qui
existe de nos jours. Entre ces deux écueils, le mieux est d'exposer son état
sous les deux époques. Autrefois la Cilicie allait jusqu'à Pelusium en Égypte
; les Lydiens, les Mèdes, les Arméniens, la Pamphilie, la Cappadoce
reconnaissaient les lois de la Cilicie. Bientôt soumise par les Assyriens, elle
fut réduite à de moindres proportions. La plus grande partie est en plaine, et
reçoit dans un large golfe la mer d'Issus ; par derrière, les monts Taurus et
Amanus la bordent. Elle doit son nom à Cilice, dont l'histoire se perd dans la
nuit des temps. Phénix, son père, plus ancien que Jupiter lui-même, fut l'un
des premiers enfants de la terre.
La ville principale de cette contrée est Tarse, que bâtit l'illustre enfant de
Danaé, Persée. Le Cydnus traverse cette ville. Les uns font descendre ce
fleuve du Taurus, d'autres disent que c'est un bras du Choaspe. Les eaux du
Choaspe sont si bonnes, que, tant qu'il coule dans la Perse, les rois de ce pays
ne boivent que de celles-là, et qu'ils en font porter avec eux dans leurs
voyages. C'est à ce fleuve que le Cydnus doit l'excellence de ses eaux. Ce qui
est blanc, est dans ce pays appelé Cydnus : c'est de là que le fleuve a tiré
son nom.
Il se gonfle au printemps, à la fonte des neiges ; tout le reste de l'année,
il est étroit et tranquille.
Près de Coryque, en Cilicie, on récolte en abondance du safran d'excellente
qualité. La Sicile, la Cyrénaïque et la Lycie en produisent aussi ; mais
celui de la Cilicie est le plus estimé : il a une odeur plus suave, une couleur
d'or plus tranchée, et son suc a des vertus médicales plus efficaces.
Là est la ville de Coryque, et une caverne creusée au sommet même d'une
montagne qui domine la mer. Cette caverne a une immense ouverture ; ses flancs,
qui s'abaissent à une profondeur considérable, enveloppent d'une enceinte de
bois le centre qui est vide, et d'où l'on jouit de la verdure de ces bois qui
semblent suspendus. On y descend par un sentier de deux mille cinq cents pas,
où le jour pénètre dans tout son éclat, et où l'on entend continuellement
un bruit de sources. Quand on est arrivé au fond de cet antre, on en découvre
un second, qui d'abord présente une large ouverture, et qui s'obscurcit à
mesure que l'on avance. Là est un temple dédié à Jupiter, et dans le
sanctuaire duquel, d'après une croyance que l'on adoptera, si l'on veut, fut la
couche du géant Typhon. Héliopolis, ancienne ville de la Cilicie, patrie de
Chrysippe, illustre stoïcien, fut soumise par Tigrane, roi d'Arménie, et
longtemps abandonnée, elle reçut de Cn. Pompée, après la défaite des
Ciliciens, le nom de Pompéiopolis.
Le mont Taurus commence à la mer de l'Inde ; puis du cap Chélidoine, entre la
mer d'Égypte et celle de Pamphylie, il se dirige à droite vers le septentrion,
à gauche vers le midi, tandis qu'il se prolonge directement vers l'occident. Il
pénétrerait évidemment dans les terres, après avoir franchi la mer, si elle
n'opposait une résistance à ses envahissements. Ceux qui ont l'expérience des
lieux savent qu'il a par les caps tenté toute espèce d'issue ; partout où les
flots de la mer le baignent, il s'avance par promontoires ; mais tantôt il est
resserré par le golfe de Phénicie, tantôt par celui du Pont, ou par le golfe
Caspien, ou encore par le golfe Hyrcanien, et après les obstacles continuels
qu'il rencontre, il se recourbe vis-à-vis du lac Méotis, et, fatigué de tant
d'obstacles, il vient enfin se joindre aux monts Riphées. Son nom varie selon
la diversité des peuples et des langues. Chez les Indiens il s'appelle lmaüs,
puis Paropamise, Choatras chez les Parthes, puis Niphate, et de nouveau Taurus,
et là où il atteint le plus haut degré d'élévation, Caucase. Les
dénominations suivantes lui viennent des provinces qu'il parcourt : à droite
on l'appelle Carpien ou Hyrcanien, à gauche Amazonique, Moschique, Scythique.
Beaucoup d'autres noms se joignent à ceux-là. Quand il s'entr'ouvre,
démembré pour ainsi dire, il forme des portes, dites Arméniennes, Caspiennes,
Ciliciennes ; puis il se relève en Grèce, sous le nom de monts Cérauniens. Il
sépare la Cilicie de l'Afrique : au midi, le soleil le brûle ; au nord, il est
battu par les vents et les frimas ; sa partie boisée est infestée d'une foule
de bêtes féroces et de lions énormes.
XL. De la Lycie, et, dans la Lycie, du mont Chimère.
Ce qu'est dans la Campanie le Vésuve, en Sicile l'Etna, le mont Chimère l'est en Lycie. La nuit il lance des flammes et de la fumée. De là vient cette fable qui fait de la Chimère un monstre à trois corps ; et comme tout le pays est travaillé par des feux souterrains, les Lyciens ont dédié à Vulcain une ville voisine qu'ils ont appelée Héphestie du nom même de ce dieu. Entre autres villes de la Lycie, Olympe fut jadis célèbre ; elle est ruinée aujourd'hui. Ce n'est plus qu'un château, au-dessous duquel coulent des eaux dont on admire la beauté.
XLI. De l'Asie, de la Phrygie, de la Lydie, de la Teuthranie, et, dans ces contrées, de la ville d'Éphèse, du mont Mimas, des hommes illustres des temps d'Homère et d'Hésiode, de l'animal dit bonnaque, des tombeaux d'Ajax et de Memnon, des oiseaux memnoniens, du caméléon, des cigognes.
Vient
ensuite l'Asie, non pas celle qui, dans le partage du monde, a pour limites des
fleuves, le Nil du côté de l'Égypte, le Tanaïs du côté du lac Méotide ;
mais celle qui commence à Telmesse en Lycie, où commence aussi le golfe
Carpathien. Cette Asie est bornée à l'est par la Lycie et la Phrygie, à
l'ouest par la mer Égée : au midi par la mer d'Égypte, au nord par la
Paphlagonie.
On y trouve une ville très remarquable, Éphèse : Éphèse est célèbre par
le temple de Diane, ouvrage des Amazones, et si magnifique que Xerxès, qui
livrait aux flammes tous les temples d'Asie, épargna celui-là seul ;
toutefois, cette faveur de Xerxès ne sauva pas longtemps l'édifice sacré :
Hérostrate, pour donner à son nom une triste célébrité, incendia de sa main
ce monument fameux ; il avoua lui-même que son but était de s'illustrer ainsi.
On a remarqué que le temple d'Éphèse fut brûlé le jour même qu'Alexandre
le Grand naquit à Pella. Ce jour, d'après Nepos, appartient aux temps du
consulat de M. Fabius Ambustus et de Titus Quintius Capitolinus, c'est-à-dire
à l'an trois cent quatre-vingt-cinq de la fondation de Rome. Comme les
Éphésiens voulurent rétablir ce temple dans de plus larges proportions,
Dinocrate présida à la reconstruction. C'est ce Dinocrate qui, comme nous
l'avons dit plus haut, traça, par ordre d'Alexandre, le plan d'Alexandrie en
Égypte.
Nulle part il n'y a autant de tremblements de terre, autant de villes victimes
des inondations qu'en Asie. C'est ce qu'ont prouvé les désastres de l'Asie,
puisque sous Tibère douze villes à la fois ont été détruites.
L'Asie a produit de beaux génies : parmi les poètes, Anacréon, Mimnerme,
Antimaque, Hipponax, Alcée, et Sapho, cette femme si célèbre ; parmi les
historiens, Xanthus, Hécatée, Hérodote, puis Éphore et Théopompe ; Bias,
Thalès, Pittacus, qui sont comptés au nombre des sept sages ; Cléanthe, si
éminent parmi les stoïciens ; Anaxagore, ce scrutateur de la nature ;
Héraclite, qui pénétra dans les secrets d'une science plus profonde encore.
À l'Asie succède la Phrygie, où se trouve Célène, qui, plus tard, changeant
de nom, et reconstruite par Seleucus, est devenu Apamie. C'est là que naquit et
fut enseveli Marsyas, et c'est de là que le fleuve voisin a pris le nom de
Marsyas. La lutte sacrilège qu'il osa soutenir contre Apollon, en lui disputant
le prix de la flûte, est attestée par une vallée où se trouve une source, et
qui a conservé le monument de ce fait : cette vallée, qui est à une distance
de dix mille pas d'Apamie, s'appelle encore aujourd'hui d'Aulocrène.
Des hauteurs d'Apamie sort le Méandre, dont les eaux sinueuses se précipitent,
entre la Carie et l'Ionie, dans un golfe qui sépare Milet et Priène. La
Phrygie est située au-dessus de la Troade, et bornée au nord par la Galatie,
au midi par la Lycaonie, la Pisidie, la Mygdonie. À l'est de la Phrygie se
trouve la Lydie, au nord la Mésie, au midi la Carie.
En Lydie, se trouve le mont Tmolus, qui produit beaucoup de safran ; et le
Pactole, qui roule de l'or dans ses eaux : ce fleuve est aussi appelé
Chrysorrhoas.
Dans cette contrée naît un animal, que l'on nomme bonnaque, qui a du taureau
la tête et le reste du corps, mais dont la crinière est celle du cheval. Ses
cornes sont tellement contournées sur elles-mêmes, que leur choc ne peut
produire aucune blessure. Mais le secours que lui refuse sa tête, son ventre le
lui fournit : en fuyant, il jette et lance derrière lui, jusqu'à trois
jugères de distance, des excréments qui brûlent tout ce qu'ils touchent.
C'est au moyen de ces excréments dangereux qu'il tient à l'écart ceux qui le
poursuivent.
La ville principale de l'Ionie est Milet, célèbre par la naissance de Cadmus :
je veux parler de celui qui, le premier, écrivit en prose.
Non loin d'Éphèse est la ville de Colophon, célèbre par les oracles qu'y
rendait Apollon Clarien.
On voit aussi près de là le Mimas, dont la cime, quand les brouillards
l'enveloppent, présage la tempête.
La capitale de la Méonie est Sypile, autrefois appelée Tantalis, en souvenir
de la triste maternité de Niobé, qui perdit tous ses enfants.
Smyrne est baignée par le Mélès, qui, parmi les fleuves de l'Asie, occupe le
premier rang. Les plaines de Smyrne sont traversées par l'Hermus, né près de
Dorylée en Phrygie, et qui sépare la Phrygie de la Carie. Les anciens ont cru
que l'Hermus aussi roulait de l'or dans ses flots. Le plus beau titre de
Srnyrne, c'est d'être la patrie d'Homère, qui mourut deux cent soixante-douze
ans après la prise de Troie, sous le règne du roi albain Agrippa Sylvius, fils
de Tyberinus, cent soixante ans avant la fondation de Rome. Entre lui et
Hésiode, qui mourut au commencement de la première olympiade, il y a un
intervalle de cent trente-huit ans.
Sur la côte de Rhétée, les Athéniens et les Mityléniens bâtirent auprès
du tombeau d'Achille, la ville d'Achillion, aujourd'hui en ruines ; puis à
quarante stades, sur la pointe opposée, les Rhodiens bâtirent en l'honneur
d'Ajax de Salamine, une ville qui reçut le nom d'Éantium.
Près d'Ilion est un autre tombeau, celui de Memnon, autour duquel se
rassemblent tous les ans, venant de l'Éthiopie, des oiseaux que l'on nomme
memnoniens. Cremutius dit que ces mêmes oiseaux reviennent en troupe tous les
cinq ans en Éthiopie, quel que soit l'endroit où ils se trouvent, et se
rassemblent autour du palais de Memnon.
Dans les terres, au-dessus de la Troade, est la Teutranie, qui fut la première
patrie des Mésiens. Cette contrée est arrosée par le Caïque.
Dans toute l'Asie on trouve un grand nombre de caméléons : ce quadrupède
ressemble au lézard, et n'en diffère qu'en ce que ses jambes, droites et plus
hautes, ont leur point d'attache sous le ventre ; sa queue est longue et se
replie circulairement ; il a des ongles en forme d'hameçons, aigus et crochus,
une marche lente que l'on pourrait comparer à celle de la tortue ; la surface
de la peau, écailleuse et rude, comme celle du crocodile ; les yeux enfoncés,
et comme perdus dans leur orbite, et que jamais il ne voile en clignant. S'il
regarde autour de lui, ce n'est pas par le mouvement de la prunelle, mais en
tournant un oeil fixe. Il a toujours la gueule ouverte, sans que cependant elle
lui serve : car il vit sans manger et sans boire ; l'air est son seul aliment.
Sa couleur est variable ; elle change selon les objets qu'il touche. Il y a deux
couleurs seulement qu'il ne peut prendre, le rouge et le blanc ; il prend
facilement toutes les autres. Son corps est presque sans chair ; il n'a point de
rate, et ce n'est que dans le coeur qu'on lui trouve un peu de sang. Il se cache
l'hiver, ne paraît qu'au printemps. Le corbeau l'attaque et le tue : mais le
caméléon devient funeste à son vainqueur ; car pour peu que le corbeau en
mange, il meurt ; la nature, toutefois, fournit un remède à cet oiseau : car
quand il se sent empoisonné, il se guérit en avalant une feuille de laurier.
Il y a en Asie de vastes plaines, que l'on appelle Pythonos Come (3),
où, à leur arrivée, se rassemblent les cigognes ; celle qui arrive la
dernière est mise en pièces par les autres. Quelques-uns pensent qu'elles
n'ont pas de langue, et que le craquement qu'elles font entendre est produit par
le bec plutôt que par l'organe vocal. Elles ont une piété admirable : autant
elles ont passé de temps à élever leur couvée, autant leurs petits, à leur
tour, passent de temps à les nourrir. Elles couvent avec tant d'assiduité,
qu'elles en perdent leurs plumes. Leur faire du mal est partout considéré
comme un crime, mais surtout en Thessalie, où il y a une effroyable quantité
de serpents, qu'elles chassent pour en faire leur pâture, rendant par là un
grand service au pays.
La Galatie fut dans les premiers temps occupée par les anciens Gaulois, dont les noms de Tolistobogues, Vétures, Ambitotes subsistent encore. Toutefois la Galatie indique assez, par son nom, à qui elle doit son origine.
XLIII. De la Bithynie, et, dans la Bithynie, mort et tombeau d'Hannibal.
La
Bithynie, à la frontière du Pont, et vis-à-vis de la Thrace du côté de
l'orient, contrée opulente et pleine de villes. commence à la source du fleuve
Sangarius ; elle s'est appelée autrefois Bébrycie, puis Mygdonie, et enfin
Bithynie, du roi Bithynus.
Dans ce pays, la ville de Pruse est baignée par le fleuve Hylas, et par le lac
du même nom, aux bords duquel habitait le jeune Hylas, aimé d'Hercule, puis
enlevé par des nymphes; en mémoire de cet enfant, le peuple fait
solennellement, encore aujourd'hui, le tour du lac, en répétant le nom
d'Hylas.
C'est aussi dans la Bithynie que se trouve Lybyssa, voisine de Nicomédie, et
fameuse par le tombeau d'Hannibal ; de cet Hannibal qui, après la décision des
Carthaginois, se réfugia d'abord auprès d'Antiochus ; qui, depuis, lorsqu'une
bataille malheureuse aux Thermopyles eut abattu le prince, vint demander
l'hospitalité à Prusias ; qui, enfin, pour n'être pas livré à Titus
Quintius, qui avait été envoyé en Bithynie dans le but de s'en emparer,
voulut éviter la honte d'être conduit à Rome, comme captif, et trouva dans le
poison un moyen d'échapper aux fers que lui préparaient les Romains.
XLIV. Port de l'Acone et caverne d'Achéron.
Sur la côte du Pont, après le Bosphore, le fleuve Rhesus et le port Calpas, le fleuve Sagaris, autrement dit Sangarius, qui prend sa source en Phrygie, établit le commencement du golfe Maryandinien. C'est là que sur le fleuve Lycus, est située Héraclée ; c'est là qu'est le port Acone, tellement célèbre par ses mauvaises herbes, que de son nom vient aux plantes vénéneuses celui d'aconit. Près de là est la caverne de l'Achéron, dont les profondeurs, par un sombre conduit, vont, dit-on, jusqu'aux enfers.
XLV. Paphlagonie, et origine des Vénètes.
La Galatie termine la Paphlagonie par derrière. La Paphlagonie, du cap de Carambis, regarde la Taurique ; là s'élève, à une hauteur de soixante-trois mille pas, le mont Cytore ; là est le pays des Hénètes, d'où, selon Cornelius Nepos, se sont rendus en Italie les Paphlagons, qui bientôt après prirent le nom de Vénètes. Les Milésiens ont fondé dans ce pays plusieurs villes ; Mithridate y bâtit Eupatorie qui, après la défaite de ce prince par Pompée, prit le nom de Pompéiopolis.
XLVI. De la Cappadoce, et des chevaux de ce pays.
De
toutes les nations qui avoisinent le Pont, la Cappadoce est celle qui s'étend
le plus dans les terres. Du côté gauche, elle se prolonge au-delà des deux
Arménies et de la Comagène ; du côté droit, elle est environnée d'un grand
nombre de peuples de l'Asie. Elle s'élève vers le Taurus, à l'orient. Elle
passe la Lycaonie, la Pisidie, la Cilicie ; elle s'étend sur la Syrie
Antiochienne, et d'un autre côté en Scythie. L'Euphrate la sépare de la
grande Arménie, qui commence aux monts Parydres. Il y a en Cappadoce beaucoup
de villes célèbres ; nous en passons sous silence plusieurs : remarquons
toutefois Archélaide, sur le fleuve Halys, colonie fondée par l'empereur
Claude ; Néocésarée que baigne le Lycus ; Mélite, bâtie par Sémiramis ;
Mazaque, regardée par les Cappadociens comme la reine des villes : elle est
située au pied du mont Argée, dont le sommet est chargé de neiges, que les
chaleurs mêmes de l'été ne font pas disparaître, et que les peuples voisins
croient habitée par un dieu.
C'est dans cette contrée surtout qu'on élève les chevaux ; et elle leur
convient parfaitement. Nous entrerons ici dans quelques détails sur le
caractère de ces animaux. Une foule d'exemples prouvent leur intelligence. On
en a vu qui ne reconnaissaient que leurs anciens maîtres, oubliant la condition
qu'ils avaient subie depuis. Ils distinguent si bien les ennemis de leur parti,
qu'au milieu du combat ils les attaquent et les mordent. Ce qui est plus
remarquable encore, c'est qu'après avoir perdu les cavaliers qu'ils aimaient,
ils se laissent mourir de faim. Mais c'est dans les chevaux de meilleure race
que l'on trouve ce caractère : car ceux qui sont de race bâtarde n'ont rien
présenté qui soit digne de remarque.
Pour ne paraître avancer rien de suspect, nous citerons des exemples.
Alexandre le Grand eut un cheval, nommé Bucéphale, soit à cause de son regard
farouche, soit parce qu'il avait une tête de taureau marquée sur l'épaule,
soit enfin que de son front, présentant une forme de corne, jaillît la menace.
Il se laissait monter facilement par son palefrenier en toute circonstance ;
mais paré du harnais royal, il ne daignait porter que son maître. Dans
plusieurs combats, il sauva Alexandre des dangers les plus imminents ; ses
services lui valurent, après sa mort dans l'Inde, des funérailles que le
prince honora de sa présence ; Alexandre éleva même, en souvenir de son nom,
la ville de Bucéphale. Le cheval de C. César ne se laissait monter que par
César lui-même. Il avait les pieds de devant semblables à ceux de l'homme :
c'est ainsi qu'il est représenté devant le temple de Vénus Génitrix. Un roi
des Scythes ayant été tué dans un combat singulier, son cheval écrasa sous
ses pieds, et déchira de ses dents le vainqueur qui s'était approché pour
dépouiller le mort. La contrée d'Agrigente a beaucoup de tombes élevées à
des chevaux, en mémoire de leurs services. Ils aiment les spectacles du cirque,
et sont animés à la course, soit par les sons de la flûte, soit par les
danses, soit par la variété des couleurs ; quelques-uns enfin le sont par
l'éclat des flambeaux. Ils expriment leurs sentiments par des larmes. Le roi
Nicomède ayant été tué, son cheval se laissa mourir de faim. Antiochus,
ayant dans une bataille vaincu les Galates, monta, pour triompher, sur le cheval
d'un chef du nom de Cintarète, qui avait été tué en combattant ; le cheval
se rendit tellement maître du frein, que, se laissant tomber à dessein, il
écrasa son cavalier en succombant lui-même. Les jeux du Cirque, célébrés
par l'empereur Claude, ont aussi prouvé l'intelligence de ces animaux. Un des
concurrents ayant été renversé de son char, ses chevaux, par leur adresse
comme par leur célérité, devancèrent tous ceux qui lui disputaient le prix,
et, après avoir fourni la carrière voulue, ils s'arrêtèrent d'eux-mêmes au
lieu où se donnait la palme, semblant réclamer le prix de la victoire. Un
conducteur de char, nommé Rutumanna, s'étant laissé tomber, ses chevaux
quittèrent la lice et se précipitèrent vers le Capitole : ils ne
s'arrêtèrent, malgré les embarras de la voie publique, qu'après avoir trois
fois fait le tour, de gauche à droite, du temple de Jupiter Tarpéien.
Chez les chevaux, les mâles vivent plus longtemps que les femelles : on lit
qu'un cheval vécut soixante-dix ans. Il est certain que les chevaux engendrent
jusqu'à trente-trois ans ; après vingt ans, on les retire du cirque pour les
employer comme étalons. On cite même un cheval d'Oponte qui put être ainsi
employé jusqu'à quarante ans. On apaise l'ardeur des cavales en leur tondant
la crinière.
Les chevaux apportent en naissant le philtre qu'on nomme hippomanès : c'est un
morceau de chair qui est attaché au front du poulain nouvellement né ; il est
de couleur noire, et semblable à une cicatrice. Si on l'enlève sur le champ,
la mère refuse ses mamelles à son petit.
Plus un cheval a d'ardeur et plus il promet, plus il enfonce dans l'eau ses
naseaux pour boire.
Les Scythes n'emploient pas les mâles pour la guerre ; ils préfèrent les
juments, parce qu'elles peuvent rendre leur urine sans cesser de courir. Il y a
des juments qui sont fécondées par les vents ; mais leurs poulains ne vivent
pas au-delà de trois ans.
XLVII. De l'Assyrie et de la Médie, et, dans ces contrées, de l'origine des parfums, de l'arbre médique.
L'Adabiène
ouvre l'Assyrie ; c'est là que se trouve l'Arbalétide, que la victoire
d'Alexandre le Grand ne nous permet pas de passer sous silence : là, il mit en
fuite les troupes de Darius, fit ce prince prisonnier, et dans son camp, dont il
s'était emparé, il trouva, parmi d'autres dépouilles, une boîte de parfums.
Le goût des parfums étrangers s'est depuis répandu à Rome. La vertu de nos
ancêtres nous a préservés quelque temps de leurs attraits pernicieux : ainsi,
pendant leur censure, en l'an de Rome six cent soixante-cinq, Publius Crassus et
Jules César prohibèrent l'entrée des parfums exotiques. Mais nos vices
l'emportèrent bientôt, et ce genre de délices plut tellement aux sénateurs,
que même dans l'exil ils ne s'en abstenaient pas. L. Plotius, frère de L.
Plancus, deux fois consul, proscrit par les triumvirs, fut trahi, dans sa
retraite de Salerne, par l'odeur de ses parfums.
Vient ensuite la Médie, qui produit un arbre illustré par le poète de Mantoue
: c'est un arbre élevé, dont la feuille ressemble à celle de l'arbousier ; il
n'en diffère d'ailleurs qu'en ce qu'il est hérissé de piquants. Le fruit, qui
est un excellent antidote, a une saveur âpre, d'une amertume prononcée ; mais
rien n'est plus agréable que son odeur, qui se répand au loin. Il donne une si
grande abondance de fruits, que ses branches plient sous leur poids. Quand ils
tombent de maturité, aussitôt d'autres se produisent, et cette fécondité
n'éprouve de retard que parce qu'il faut que les fruits venus les premiers
soient tombés. Des nations ont voulu s'approprier cet arbrisseau, et le
propager chez elles par rejetons ; mais la Médie seule a pu jouir de ce
bienfait : la nature l'a refusé à tout autre pays.
Les portes Caspiennes sont formées par un passage pratiqué de main d'homme, et qui a huit mille pas de longueur ; quant à la largeur, à peine un chariot peut-il passer. Dans les aspérités de ces gorges s'élèvent des rochers escarpés, d'où s'échappent en très grande abondance des courants d'eau salée, à laquelle la chaleur donne de la consistance, et qui forme une sorte de glace d'été, ce qui rend ce passage presque inaccessible. En outre, ce trajet qui en tout est de vingt-huit mille pas, n'offre sur aucun de ses points de puits ou de fontaines, où l'on puisse se désaltérer ; et puis des serpents y viennent en foule de toutes parts dès le printemps. Ainsi, soit à cause des dangers, soit à cause des difficultés de la route, on ne peut aborder ce pays qu'en hiver.
XLIX. La plaine Direum. De la Margiane et des villes de cette contrée.
À l'est de la mer Caspienne est une plaine nommée Direum, d'une extrême fertilité : elle est environnée par les Tapyres, les Naricles, les Hyrcaniens. Près de là est aussi la Margiane, dont le sol et le ciel sont si favorables, qu'elle seule, dans tout le pays, voit prospérer la vigne. Des montagnes forment autour d'elle un amphithéâtre de quinze cents stades, dont l'abord est rendu presque inaccessible par une solitude sablonneuse qui n'a pas moins de cent vingt mille pas en tout sens. Alexandre le Grand fut si charmé de la beauté de ce pays, qu'il y fonda Alexandrie, et qu'après la destruction de cette ville par les barbares, Antiochus, fils de Seleucus, la rebâtit, et, du nom de sa famille, l'appela Séleucie. La ville a soixante-dix stades de tour. C'est là qu'Orode conduisit les Romains faits prisonniers à la défaite de Crassus. Alexandre fonda aussi chez les Caspiens une autre ville, nommée Héraclée tant qu'elle subsista, mais qui, détruite par les barbares, fut rebâtie par. Antiochus, qui préféra l'appeler Achaïs.
L. Nations des environs de l'Oxus. Limites des voyages de Bacchus et d'Hercule. Description de ces pays et de leurs peuples. De la nature des chameaux.
L'Oxus
prend sa source dans un lac du même nom ses bords sont habités des deux entés
par les Batènes et les Oxistaques ; mais les Bactres en occupent la plus grande
partie. Les Bactres ont un fleuve du nom de Bactres, d'où est venu le nom de
Bactre, leur ville. Cette contrée a pour limites, par derrière la chaîne du
Paropamise, par-devant les sources de l'Indus ; le reste est embrassé par le
fleuve Oxus.
Au-delà est Panda, ville des Sogdiens, sur les frontières desquels Alexandre
le Grand bâtit une troisième Alexandrie, pour y constater le terme de ses
voyages. C'est le point où furent élevés des autels d'abord par Bacchus, puis
par Hercule, ensuite par Sémiramis, et enfin par Cyrus ; tous ont tenu à
honneur de s'être avancés jusque là.
C'est là que sont les frontières du pays, déterminées par un fleuve que les
Bactres seuls appellent laxarte : les Scythes le nomment Silis. L'armée
d'Alexandre le Grand le prit pour le Tanaïs ; mais Démodamas, général de
Seleucus et d'Antiochus, que l'on doit regarder comme compétent en cette
matière, ayant franchi ce fleuve, et surpassé ainsi la gloire de ses
devanciers, se convainquit que c'était un autre fleuve que le Tanaïs. Pour
consacrer sa gloire, il éleva en ces lieux des autels à Apollon Didyméen. Là
se trouvent les limites de la Perse et la Scythie Les Perses donnent aux Scythes
le nom de Saces ; de leur côté, les Scythes appellent les Perses Chorsaques,
et le Caucase Croucasse, c'est-à-dire blanc de neige. Il y a là une foule de
peuples qui observent inviolablement des lois qui, dès le principe, ont été
adoptées d'un commun accord avec les Parthes. Les plus célèbres d'entre eux
sont les Massagètes, les Essédons, les Satarques et les Apaléens. Après eux
viennent, parmi les nations les plus barbares, des peuples sur les moeurs
desquels on n'a rien dit qui nous ait paru avoir le caractère de la certitude.
On trouve dans la Bactriane les chameaux les plus forts, quoique l'Arabie en
produise un grand nombre. Ils diffèrent toutefois des chameaux d'Arabie :
ceux-ci ont deux bosses sur le dos, et ceux de la Bactriane n'en ont qu'une. Ils
n'usent jamais le dessous de leurs pieds, car ils sont munis d'une sorte de
semelle charnue qui se renouvelle ; mais, en compensation, ils ont, dans la
marche, à redouter un autre mal, leurs pieds n'ayant rien qui leur soit en aide
quand ils s'appuient dessus pour faire effort. On les emploie à un double
service. Les uns sont plus propres à porter des fardeaux, les autres plus
convenables pour la course : mais les premiers ne veulent porter que des
fardeaux en rapport avec leurs forces ; et les autres ne se soumettent qu'à
parcourir une distance accoutumée. Ils sont tellement tourmentés du désir de
la reproduction, qu'ils entrent en fureur quand ils veulent assouvir leur
passion. Ils ont une aversion naturelle pour le cheval. Ils supportent la soif
pendant quatre jours, et, quand ils en trouvent l'occasion, ils boivent pour la
soif passée et pour la soif à venir. Ils recherchent l'eau trouble, évitent
celle qui est claire. Si l'eau est trop limpide pour eux, ils piétinent pour la
troubler, en délayant la vase. Ils vivent jusqu'à cent ans, à moins que le
changement de climat ne leur cause des maladies. On destine les femelles à la
guerre, et on a imaginé un genre de castration pour éteindre en elles le
désir de l'accouplement : on croit leur donner plus de force en leur rendant
l'approche du mâle impossible.
En
se dirigeant de l'Océan Scythique et de la mer Caspienne vers l'océan
Oriental, on trouve d'abord dans ce pays des amas de neige, puis d'immenses
solitudes, puis l'affreuse nation des Anthropophages, et enfin un pays infesté
de bêtes féroces qui rendent près de la moitié de la route inaccessible.
Tous ces obstacles ne disparaissent qu'à une montagne qui domine la mer, et que
les barbares appellent Tabis ; et puis viennent encore des déserts. Sur cette
plage, du côté de l'orient d'été, les Sères sont le premier peuple que l'on
connaisse ; les feuilles de leurs forêts sont couvertes d'un duvet d'une grande
délicatesse, qu'on ne peut employer qu'en l'imbibant d'eau, et dont on fait des
tissus. C'est ce que l'on nomme le tissu sérique, admis à notre honte dans nos
usages, et qui sert à montrer les corps plutôt qu'à les vêtir ; employé
d'abord par les femmes, il a été ensuite adopté par les hommes : triste effet
de coupables penchants !
Les Sères sont d'un caractère doux, très pacifiques entre eux ; mais ils
fuient l'approche des autres hommes : ils se refusent à des rapports avec les
autres peuples. Toutefois les marchands de cette nation traversent leur fleuve ;
et sur ses bords, sans qu'il y ait aucun commerce de langage entre les parties,
ils livrent leurs richesses à ceux qui les apprécient, mais ils n'achètent
rien qui vienne de nos contrées.
Vient ensuite le golfe Attacénien, et la nation des Attaques, à qui le ciel le plus doux a départi un climat privilégié. Ils n'ont à craindre aucun vent nuisible, protégés qu'ils sont par des collines exposées au soleil, qui éloignent tout souffle pernicieux ; et par cela même, à ce qu'assure Anrornète, ils ont le même genre de vie que les Hyperboréens. Entre eux et les Indiens, les savants ont placé les Cicones.
LIII. De l'Inde ; du caractère et des moeurs de ses habitants ; de la douceur du ciel ; de la nature du sol, des serpents indiens, de l'animal dit leucrocotte, de l'éale, des taureaux indiens, de la mantichore, des boeufs de l'Inde, du monocéros, des anguilles du Gange, des vers du Gange, de la baleine de l'Inde, du physétère, du perroquet, des bois, du figuier et des roseaux de l'Inde, des arbres insulaires de l'Inde, de l'arbre à poivre, de l'ébène, du diamant, des pierres dites béryl, chrysobéryl, chrysoprase, hyacinthizonte.
Aux
monts Émodes commence l'Inde, qui s'étend de la mer du Midi à l'est, et dont
la salubrité tient à l'influence du vent d'ouest. Deux fois l'année elle
jouit de l'été ; deux fois elle récolte des fruits, et, comme si c'était
l'hiver, les vents étésiens y soufflent. Posidonius la croit située vis-a-vis
de la Gaule. Il ne peut certes y avoir rien de douteux sur ce pays : car
révélé par les conquêtes d'Alexandre et par les excursions des rois ses
successeurs, il nous est parfaitement connu. Megasthène, qui resta quelque
temps auprès des rois de l'Inde, a écrit l'histoire de ce pays, pour
transmettre à la postérité ce qu'il avait observé. Denys, qui de son côté
fut envoyé par le roi Philadelphe dans le but d'éclaircir la vérité, a
raconté les mêmes choses. Ils disent donc qu'il y avait dans l'Inde cinq mille
villes importantes, et neuf mille peuples. Longtemps on l'a regardée comme une
troisième partie du monde. Que l'on ne s'étonne pas du nombre des habitants ou
des villes de l'Inde, puisque les indigènes de ce pays sont, parmi les nations,
les seuls qui ne se sont jamais éloignés du sol où ils sont nés.
C'est Bacchus qui le premier entra dans l'Inde ; et c'est lui, en effet, qui le
premier soumit les Indiens. De Bacchus à Alexandre, on compte six mille quatre
cent cinquante et un ans et trois mois, d'après un calcul établi sur le nombre
des cent cinquante-trois rois, qui, dans cet intervalle, ont occupé le trône.
Les fleuves les plus considérables de l'Inde sont le Gange et l'indus. Le
Gange, selon quelques auteurs, vient de sources incertaines et, sous ce rapport,
ressemble au Nil, d'autres le fout venir des montagnes de Scythie. Là aussi se
trouve un fleuve célèbre, l'Hypanis, où finit la marche d'Alexandre, comme le
prouvent les autels élevés sur ses bords. La plus petite largeur du Gange est
de huit mille pas ; la plus grande de vingt mille ; sa profondeur la moins
considérable de cent pieds.
Les Gangarides sont le dernier peuple de l'Inde. Leur roi dispose pour la guerre
de mille cavaliers, de sept cents éléphants, et de soixante mille fantassins.
Parmi les Indiens, quelques-uns s'adonnent à la culture, un grand nombre à la
guerre, d'autres au commerce ; les plus marquants et les plus riches veillent
aux intérêts de l'État, rendent la justice, assistent au conseil des rois. En
ce pays, la sagesse suprême consiste, quand on est rassasié de la vie, à
périr volontairement sur un bûcher. Il y a des Indiens qui se sont choisis un
genre de vie des plus rudes : ils habitent les bois, prennent et domptent les
éléphants, qu'ils dressent au labourage et dont ils font leur monture.
Il y a dans le Gange une île très populeuse, et qui contient une nation
considérable, dont le roi a sous les armes cinquante mille fantassins et quatre
mille cavaliers. Tous ceux qui sont revêtus du pouvoir royal ne s'occupent
d'exercices militaires qu'avec un grand déploiement d'éléphants, de
cavaliers, de fantassins.
Les Prasiens, peuple puissant, ont pour capitale Palibotra, ce qui leur a fait
donner, par quelques auteurs, le nom de Palibotres. Le roi entretient
continuellement une armée de soixante mille fantassins, de trente mille
cavaliers et de huit mille éléphants. Au-delà de Palibotra est le mont
Matée, où l'ombre a tour à tour deux directions, l'une au nord pendant
l'hiver, l'autre au sud pendant les six mois de l'été. La grande Ourse, en ce
pays, ne paraît qu'une fois l'année, et pas plus de quinze jours, comme
l'atteste Béton, qui ajoute que cela a lieu sur beaucoup d'autres points de
l'Inde.
Les habitants des bords de l'Indus, du côté du midi, sont brûlés plus que
les autres par la chaleur du soleil : leur teint en est la preuve. Les Pygmées
occupent les montagnes. Les peuples qui avoisinent l'Océan n'ont point de rois.
Les Pandes sont gouvernés par des femmes ; leur première reine fut, dit-on, la
fille d'Hercule. La ville de Nysa appartient aussi à cette contrée, ainsi
qu'une montagne, consacrée à Jupiter, et du nom de Méros.
C'est dans une grotte de cette montagne que fut élevé Bacchus, disent les
anciens de l'Inde ; c'est le nom de Méros qui a accrédité ce bruit fabuleux,
que Bacchus était né de la cuisse de Jupiter.
Au-delà de l'embouchure de l'Indus sont deux îles, Chrysé et Argyre, où
abondent les mines, à tel point que quelques écrivains prétendent que le sol
même est de l'or et de l'argent. Les Indiens ont une longue chevelure, qu'ils
teignent d'une couleur d'azur ou de safran. Leur principal luxe est dans les
pierres précieuses. Chez eux, point de funérailles pompeuses. En outre,
d'après les livres des rois Juba et Archelaüs, autant diffèrent les moeurs de
ces peuples, autant diffèrent leurs vêtements : les uns portent des habits
tissus de lin ; les autres, tissus de laine ; les uns vont tout nus ; les autres
ne cachent que les parties sexuelles ; d'autres s'enveloppent d'écorces
flexibles. Quelques-uns sont d'une stature si haute, qu'ils montent des
éléphants, comme on monte des chevaux. Pour les uns, c'est un devoir de ne
point tuer l'animal, de s'abstenir de toute chair ; pour d'autres le poisson est
la seule nourriture, et ils ne vivent que de la mer. Il en est qui tuent leurs
proches et leurs parents, comme on tue des victimes, avant que la vieillesse ou
la maladie les aient fait maigrir ; puis ils mangent la chair de ces victimes,
ce qui, dans ce pays, au lieu d'être un crime, est un acte de piété. Il y en
a qui, lorsque la maladie les surprend, s'isolent, et vont loin de la société
des hommes attendre tranquillement la mort naturelle.
Le pays des Astacanes produit des forêts de lauriers, des bois de buis; il est
fort abondant en vignes, et en toute sorte d'arbres gracieux.
Les Indiens ont des philosophes qu'ils nomment gymnosophistes, qui, du matin
jusqu'au soir, regardent fixement le soleil, même lorsqu'il est le plus
éclatant, cherchant à surprendre dans ce globe de feu quelques secrets, et qui
se tiennent tout le jour tantôt sur un pied, tantôt sur l'autre dans des
sables brûlants. Au mont Nulus sont des hommes qui ont les pieds tournés en
arrière, et huit doigts à chaque pied. Megasthène dit que sur diverses
montagnes de l'Inde les habitants ont des têtes de chien, qu'ils sont armés de
griffes, vêtus de peaux de bêtes ; qu'ils n'ont pas de langage humain, mais
qu'ils font seulement entendre des aboiements, en ouvrant une gueule menaçante.
On lit dans Ctésias, qu'il y a des femmes, en ce pays, qui n'accouchent qu'une
seule fois, et que leurs enfants ont les cheveux blancs dès le moment de leur
naissance ; qu'il y a aussi un autre pays dont les habitants ont les cheveux
blancs quand ils sont jeunes, noirs quand ils sont vieux, et qui vivent au-delà
de notre terme ordinaire. On lit encore que là naissent des hommes qui n'ont
qu'une jambe, et qui pourtant sont fort agiles : quand ils veulent se protéger
contre une chaleur trop vive, ils se couchent sur le dos et se donnent de
l'ombre avec le pied, qu'ils ont énorme. Vers la source du Gange, il y a des
hommes qui, pour se nourrir, n'ont besoin d'aucunes ressources : ils ne vivent
que de l'odeur des fruits de leurs forêts, et s'ils poursuivent une longue
route, ils les emportent pour se nourrir en les sentant. S'il leur arrive de
respirer une odeur un peu forte, ils le payent toujours de la vie.
On rapporte aussi qu'il y a dans l'Inde des femmes qui conçoivent à cinq ans,
mais qui ne vivent pas au-delà de huit. Il y a des hommes sans tête, et qui
ont les yeux aux épaules. D'autres, qui vivent dans les forêts, ont le corps
velu, des dents de chien, et ne font entendre qu'un effroyable glapissement.
Chez ceux de ces peuples où l'on adopte un genre de vie régulier, plusieurs
femmes sont les épouses d'un seul homme ; quand l'époux meurt, chacune
établit ses droits auprès des juges les plus graves, et quand un arrêt a
été rendu en faveur de l'une d'elles par les juges, celle qui a obtenu cet
honneur peut allumer, comme elle l'entend, le bûcher du mort, et s'y offrir en
sacrifice ; les autres vivent dans une sorte de déshonneur.
Les serpents de l'Inde parviennent à une telle grandeur qu'ils avalent tout
entiers des cerfs et d'autres animaux de la même taille. Bien plus, ils
pénètrent au milieu de l'océan Indien, et abordent, pour y chercher leur
nourriture, des îles qu'un long espace sépare du continent. Il est évident
qu'il leur faut une grandeur extraordinaire pour arriver, à travers une si
vaste étendue, au but qu'ils veulent atteindre. Il y a dans ce pays une foule
d'animaux remarquables, dont nous allons faire connaître une partie.
La leucrocotte l'emporte en agilité sur tous les autres animaux. Elle a la
taille de l'âne sauvage, le derrière du cerf, la poitrine et les jambes du
lion, la tête du blaireau, les pieds fourchus, la gueule fendue jusqu'aux
oreilles, et, au lieu de dents, un os qui garnit toute la mâchoire. Voilà pour
la forme ; quant à la voix, on prétend qu'elle ressemble à celle de l'homme.
Là aussi se trouve l'éale, qui, sous bien des rapports, ressemble au cheval,
mais qui a la queue de l'éléphant, le poil noir, les mâchoires du sanglier,
des cornes de plus d'une coudée de long et qui se prêtent aux mouvements que
lui imprime l'animal : mais elles ne restent pas raides ; elles ont la mobilité
nécessaire pour le combat ; quand l’éale se bat, il dirige l'une d'elles en
avant, et replie l'autre, afin que si la pointe de la première vient à
s'émousser, l'autre prenne sa place. On le compare à l'hippopotame ; et en
effet il aime aussi l'eau des fleuves.
Les taureaux indiens sont de couleur fauve, leur agilité est extrême, ils ont
le poil à contre-sens, la bouche fendue jusqu'aux oreilles. Ils ont aussi les
cornes mobiles à volonté, une peau dure, impénétrable à toute espèce
d'armes, et tellement indomptables qu'une fois pris, ils meurent de rage.
Chez les mêmes peuples se trouve la mantichore, qui a une triple rangée de
dents, s'engrenant les unes dans les autres, la face de l'homme, les yeux
glauques, la couleur rouge de sang, le corps du lion, la queue armée d'un
aiguillon, comme le scorpion, et dont la voix semble se composer des sous
combinés de la flûte et de la trompette. Cet animal recherche la chair humaine
avec beaucoup d'avidité. Il a dans les pieds tant de vigueur, il bondit avec
tant de souplesse, qu'il n'est arrêté ni par l'espace, ni par la hauteur.
L'Inde produit aussi des boeufs qui n'ont qu'une corne et d'autres qui en ont
trois ; ils sont solipèdes, et non fissipèdes.
Mais le monstre le plus effroyable de ce pays est le monocéros, dont le
mugissement est affreux, et qui a la forme du cheval, les pieds de l'éléphant,
la queue du sanglier, la tête du cerf. Du milieu du front s'élève une seul
corne, d'un éclat remarquable, qui est longue de quatre pieds, et tellement
aiguë qu'elle perce facilement tout ce qu'elle frappe. Cet animal ne tombe pas
vivant entre les mains de ses ennemis : on peut le tuer, mais non le prendre.
Les eaux de ce pays ne produisent pas moins d'animaux merveilleux. On trouve
dans le Gange des anguilles de trente pieds ; Statius Sebosus dit que dans ce
fleuve, entre autres productions remarquables, on trouve des vers appelés
bleus, et qui le sont en effet. Ils ont deux branchies de six coudées de long.
Leur force est telle, que lorsqu'un éléphant vient boire, ils lui saisissent
la trompe, et l'entraînent au fond de l'eau. Les mers de l'Inde ont des
baleines offrant une étendue de plus de quatre jugères.
Mais les animaux que l'on nomme physétères (4),
plus hauts que les plus hautes colonnes, s'élèvent au-dessus même des vergues
des vaisseaux, et jettent une si énorme quantité d'eau, que souvent, par cette
inondation, ils coulent bas les navires.
C'est de l'Inde seulement que vient le perroquet ; son plumage est vert ; il a
un collier rouge ; son bec est si dur, que quand, du haut des airs, il se
précipite sur un rocher, il tombe sur son bec, comme sur un appui d'une
solidité extraordinaire ; sa tête elle-même est d'ailleurs si forte, que
lorsqu'on veut lui apprendre à parler, car il répète les mots qu'il entend,
il faut, pour attirer son attention, le frapper avec une petite verge de fer.
Tant qu'il est petit, et dans la première moitié de son âge, il apprend plus
vite et retient mieux ; plus tard, il oublie, il est indocile. Le nombre des
doigts établit parmi ces oiseaux deux classes : l'une distinguée, l'autre
vulgaire ; les premiers ont cinq doigts aux pieds, les seconds n'en ont que
trois. Ils ont une langue large, beaucoup plus large que les autres oiseaux, ce
qui leur donne la facilité de prononcer distinctement les mots articulés. À
Rome, on fut si charmé de cette habileté des perroquets, que pour s'en
procurer, on fit commerce avec les barbares.
Les forêts des Indiens ont des arbres d'une telle hauteur qu'une flèche n'en
peut atteindre le sommet. On trouve dans les vergers des figuiers dont le tronc
présente une circonférence de soixante pas, et dont les branches couvrent deux
stades de leur ombre. La largeur des feuilles peut se comparer à la pelte des
Amazones ; le fruit a une saveur exquise. Les marais produisent des roseaux
d'une dimension telle, que de la partie comprise entre chaque noeud on peut
former des canots. On exprime des racines une liqueur aussi douce que le miel.
Tylos est une île de l'Inde ; elle produit le palmier, cultive l'olivier, et
offre de nombreux vignobles. Elle a sur tous les pays cet avantage merveilleux
qu'aucun arbre n'y perd ses feuilles. En ces contrées commence le mont Caucase,
dont la chaîne pénètre au milieu d'une très grande partie du globe. Du
côté le plus exposé au soleil, se trouve l'arbre qui porte le poivre, et qui,
dit-on, donne, comme le genévrier, plusieurs fruits : celui qui paraît le
premier, semblable aux chatons du coudrier, se nomme poivre long ; celui qui lui
succède et qui tombe brûlé par l'ardeur du soleil, tire son nom de sa couleur
; celui enfin que l'on cueille à l'arbre même, est appelé poivre blanc, comme
il l'est en effet. Si l'Inde seule produit le poivre, seule aussi elle produit
l'ébène : ce n'est pas pourtant dans toute son étendue, mais seulement dans
une petite partie, qu'on voit des forêts d'ébeniers. Cet arbre, qui le plus
souvent est mince, a beaucoup de branches ; sa souche prend rarement de la
grosseur ; son écorce s'entr'ouvre facilement, et présente une espèce de
réseau, dont les veines se divisent de telle sorte, que la partie intérieure
est à peine couverte d'une pellicule. Le bois en entier, comme le coeur de
l'arbre, a l'aspect et l'éclat du jais. Les rois indiens en tirent leurs
sceptres, et dans l'Inde toutes les images des dieux sont en ébène. D'après
les indigènes, ce bois ne contient aucun suc malfaisant, et détruit par son
contact toute mauvaise influence : aussi se servent-ils de vases d'ébène. Il
n'est donc pas étonnant que les étrangers l'estiment, puisqu'il est prisé
dans le pays même qui le produit. Le grand Pompée fit voir l'ébène à Rome
dans son triomphe, après la défaite de Mithridate. L'Inde produit aussi des
roseaux, dont l'odeur est un spécifique contre les affections morales. Elle
produit d'ailleurs une foule d'autres végétaux d'un parfum délicieux.
Parmi les pierres précieuses, les Indiens assignent le premier rang au diamant.
Il dissipe les hallucinations, neutralise l'effet du poison, et délivre des
vaines frayeurs. Nous avons cru devoir nous occuper d'abord de ce qui regarde
l'utilité ; maintenant nous dirons quelles sont les diverses espèces de
diamants, et quelle est pour chacune la couleur la plus estimée. Le diamant de
l'Inde se trouve dans une espèce de cristal auquel il ressemble par sa
brillante transparence ; ses deux moitiés sont légèrement coniques et
présentent six facettes. Jamais on n'en a rencontré de plus gros qu'une
aveline. Celui que nous placerons au second rang, et qui se trouve dans l'or le
plus pur, est plus pâle, et approche de la couleur de l'argent. Le troisième,
que l'on rencontre dans les mines de cuivre, tire sur le ton du bronze. Le
quatrième, qu'on recueille dans les mines de fer, l'emporte sur les autres en
densité, mais non en dureté : car ainsi que celui de Chypre, il peut être
brisé, et souvent même percé par d'autres diamants ; tandis que ceux que nous
avons désignés les premiers ne peuvent être attaqués ni par le fer, ni par
le feu. Si cependant on les laisse tremper dans du sang de bouc, encore chaud,
ou fraîchement versé, il arrive qu'après avoir brisé quelques marteaux,
quelques enclumes, on parvient à les briser eux-mêmes ; ils se divisent alors
en parcelles que les graveurs recherchent pour travailler toute espèce de
pierres précieuses. Le diamant a une sorte d'antipathie naturelle pour l'aimant
: placé près de lui, il lui enlève la propriété d'attirer le fer, et si le
fer est attaché à l'aimant, le diamant le lui enlève, et semble ravir une
proie.
L'Inde produit aussi la lychnite, dont le feu des flambeaux fait ressortir
l'éclat, ce qui lui a fait donner ce nom par les Grecs. On en distingue deux
variétés : l'une couleur de pourpre éclatante, l'autre d'un rouge écarlate
et qui, lorsqu'elle est pure, offre dans toutes ses parties une admirable
transparence. La lychnite, échauffée par les rayons du soleil, ou par le
contact des doigts, attire à elle des brins de paille, ou des filaments de
papyrus. Elle résiste énergiquement aux efforts du graveur, et si l'on
parvient à la décorer d'emblèmes, quand on veut les imprimer sur la cire, la
pierre en retient une partie, comme le ferait un animal avec les dents. Les
Indiens taillent les béryls en hexaèdre ; car leur nuance terne ne prend
d'éclat que par la réverbération de la lumière sur les angles. Il y a
plusieurs espèces de béryls ; les plus beaux, par un certain mélange de vert
et de bleu, ont l'aspect agréable de la mer calme. Après eux viennent les
chrysobéryls, un peu plus pâles, mais dont l'éclat semble voilé par un nuage
d'or. On a également rangé parmi les béryls les chrysoparses, dont la couleur
tient de celle de l'or et du poireau ; puis entre les hyacinthizontes, celles
qui rappellent l'hyacinthe. Quant à celles qui ont l'aspect du cristal, et que
des filaments qui parcourent leur eau obscurcissent (car tel est le terme dont
on se sert pour exprimer ce défaut), les connaisseurs les abandonnent au
peuple. Les rois Indiens aiment à faire tailler les pierres de cette espèce en
cylindres très longs, qu'ils enfilent avec des crins d'éléphants, après les
avoir percés, pour s'en faire des colliers ; ou bien ils enchâssent les deux
extrémités dans de petites bossettes d'or, pour donner à l'aspect de la
pierre un éclat plus nourri, et pour qu'elle tire une lumière plus brillante
du métal que l'art lui associe.
LIV. De Taprobane, et du caractère de ses habitants ; des astres, de la nature de la mer, des moeurs du pays, de la grandeur des tortues, de la perle.
L'île
de Taprobane, avant que les audacieuses investigations de l'homme au sein des
mers les plus reculées n'eût dévoilé la vérité, passait pour un autre
inonde, habité par des Antipodes. Mais, grâce aux armes victorieuses
d'Alexandre qui a porté la gloire de son nom jusque dans ces contrées
mystérieuses, ce préjugé a été détruit. Onésicrite, amiral de la flotte
macédonienne, chargé d'explorer le pays, nous a fait connaître cette terre,
son étendue, ses productions, son état : elle a sept mille stades de long sur
cinq mille de large. Un fleuve la traverse. Une partie de ce pays est pleine
d'animaux de toute espèce et d'éléphants beaucoup plus gros que ceux de
l'Inde ; l'autre partie est occupée par les hommes. Elle abonde en perles et en
pierreries. Située entre l'est et l'ouest, elle commence à la mer d'Orient, et
se développe le long de l'Inde. De la nation indienne, dite Prasie, à cette
contrée, on comptait d'abord vingt jours de traversée ; aujourd'hui que nos
vaisseaux ont remplacé les bâtiments de papyrus, bons pour la navigation du
Nil, on a réduit ce nombre à sept. La mer qui la sépare du continent a
beaucoup de bas-fonds ; la hauteur des eaux n'est pas de plus de six pas,
excepté dans de certains trous où il y a une telle profondeur que nulle ancre
ne peut en mesurer l'étendue. Les navigateurs, pour se diriger, n'ont point
recours à l'inspection des astres : car on n'y voit ni la grande Ourse ni les
Pléiades. La lune, chez eux, ne se montre à l'horizon que de la huitième à
la sixième heure. L'astre majestueux et brillant de Canope les éclaire. Ils
ont à droite le soleil levant, à gauche le soleil couchant. N'ayant donc
aucune règle pour leur navigation, et rien qui puisse les guider, ils emportent
des oiseaux auxquels ils donnent la volée, et comme ces oiseaux se dirigent
vers la terre, ils les suivent. Ils ne naviguent que pendant quatre mois de
l'année.
Voilà tout ce que nous savions de la Taprobane quand Claude parvint à
l'empire. Mais alors nous dûmes à la fortune de pouvoir compléter nos notions
: car l'affranchi d'Annius Plocamus, qui était chargé de percevoir les impôts
des bords de la mer Rouge, se rendant en Arabie, et porté par les vents
au-delà de la Carmanie, aborda enfin le quinzième jour à un port nommé
Hippures. Au bout de six mois il connut la langue, et, admis à s'entretenir
avec le roi, il a pu rapporter ce qu'il avait vu. D'abord le roi s'étonna de ce
que les effigies des pièces de monnaies que portait avec lui son captif ne
fussent pas les mêmes, quoique leur poids ne présentât aucune différence ;
cette égalité qui le frappa l'excita plus vivement à rechercher l'amitié des
Romains, et il nous envoya des députés, dont le chef se nommait Rachias : ces
étrangers nous firent connaître tout ce qui avait rapport à leur pays.
Les naturels de Taprobane ont une taille plus haute que celle des autres hommes
; ils teignent leurs cheveux en rouge ; ils ont les yeux bleus, le regard
farouche, un son de voix effrayant. Ceux qui meurent avant l'âge vivent environ
cent ans ; les autres parviennent à une vieillesse fort avancée et qui semble
dépasser les bornes assignées à la faiblesse humaine. Ils ne dorment ni avant
ni pendant le jour : ils consacrent une partie de la nuit au repos ; ils se
lèvent avant le jour. Ils bâtissent de modestes maisons. Toute l'année chez
eux n'est qu'une récolte perpétuelle. Ils ne connaissent pas la vigne ; ils
recueillent des fruits en abondance. Hercule est l'objet de leur culte. Chez eux
ce n'est pas la naissance, mais le suffrage universel qui détermine le choix
d'un roi. Le peuple élit un homme de moeurs irréprochables, d'une bonté
reconnue, et même un peu âgé. On exige toutefois de lui qu'il n'ait pas
d'enfants : quelque considéré qu'il soit, s'il est père, il ne peut régner ;
et si pendant son règne il songe à avoir de la famille, il abdique le pouvoir.
C'est une précaution contre l'hérédité du trône. Quand même les actes du
roi seraient tous empreints d'équité, on ne veut pas que tout lui soit permis
; il a quarante conseillers, pour n'être pas seul juge dans les causes
capitales, et du jugement même de ce conseil ou peut faire appel au peuple, qui
nomme soixante-dix juges, dont l'arrêt est alors définitif. Le roi se
distingue du peuple par le costume : il a une robe traînante ; il est vêtu à
peu près comme on représente Bacchus. S'il commet quelque faute, on le punit
de mort : nul toutefois ne peut porter la main sur lui ; seulement, d'un
consentement unanime, on lui interdit toute espèce d'affaires ; on lui refuse
même tout entretien. Les habitants de ces contrées s'adonnent tous à
l'agriculture. Ils se livrent aussi à la chasse, mais ils dédaignent une proie
vulgaire : il leur faut des tigres ou des éléphants.
Ils explorent les mers avec une grande sagacité ; ils se plaisent à prendre
des tortues marines, dont la dimension est telle qu'ils font avec leurs
carapaces des cabanes qui peuvent servir d'abri à une famille entière. La plus
grande partie de cette île est brûlée par le soleil, et ne présente que de
vastes solitudes. La mer qui la baigne est ombragée par une telle quantité
d'arbres, que souvent leurs feuillages sont froissés par le gouvernail des
vaisseaux. Du haut de leurs montagnes ils découvrent les Sères. Ils estiment
l'or, et ornent leurs vases de pierreries. Ils taillent des marbres qui ont la
beauté de l'écaille.
Ils pèchent une quantité considérable de perles, et de fort remarquables par
leur grosseur. Les coquilles où ou les recueille s'entr'ouvrent à une certaine
époque de l'année, pour cette sorte de conception ; elles aspirent après la
rosée comme après un époux, et écartent leurs valves pour la recevoir ; et
c'est surtout quand la lune préside à cette petite pluie du matin qu'elles
absorbent le fluide désiré. C'est ainsi qu'elles conçoivent, et que les
fruits de leur enfantement sont des perles, dont la qualité diffère selon la
qualité de la rosée. Pure, la rosée produit des perles très blanches ;
trouble, elle produit des perles pâles ou rougeâtres. Ainsi les perles
tiennent plus du ciel que de la mer. Elles sont claires, ou obscures, selon que
la rosée est tombée le matin, ou le soir ; plus la rosée est abondante, plus
la perle sera grosse. Si l'éclair vient à briller, la coquille épouvantée se
resserre avant le temps, et cette frayeur subite produit l'avortement : alors
elle ne donne plus que de très petites pierres, ou une vaine apparence. Les
coquilles ne sont pas dépourvues de sentiment ; elles craignent que leurs
fruits ne soient souillés, et quand la chaleur du jour est trop forte, elles
s'enfoncent dans la mer pour garantir les perles de l'atteinte du soleil, et y
trouver elles-mêmes un abri. Mais cette précaution n'empêche pas l'action de
la vieillesse, qui fait perdre aux perles leur blancheur : quand la coquille
grandit, elles jaunissent. Les perles sont molles tant qu'elles restent dans
l'eau ; elles durcissent quand elles sont tirées du coquillage. On n'en trouve
jamais deux ensemble, d'où leur vient le nom d'unions.
On dit qu'on n'en trouve pas qui pèsent plus d'une demi-once. Les coquilles
craignent les pièges des pêcheurs ; de là vient qu'elles se cachent ou dans
les rochers, ou au milieu des chiens de mer. Elles nagent en troupe, et cette
espèce d'essaim a un chef ; s'il est pris, celles même qui s'échappent
viennent bientôt se jeter dans les filets. L'Inde et les côtes de la Bretagne
fournissent des perles. J. César a fait connaître, par une inscription, que
celles qui décoraient la cuirasse dont il orna le temple de Vénus Génitrix
venaient de la Bretagne. On sait que l'épouse de Caligula, Lollia Paullina,
porta une robe toute couverte de perles, estimée à quarante millions de
sesterces : pour satisfaire la cupidité de sa fille, M. Lollius avait pillé
tout l'Orient ; par là, il déplut à Caïus César fils d'Auguste, tomba dans
la disgrâce de ce prince, et s'empoisonna. Les recherches des anciens nous ont
appris que c'est vers le temps de Sylla que l'on apporta, pour la première
fois, des perles à Rome.
LV. Itinéraire de l'Inde. Golfes Persique et Arabique. Mer Azanienne.
Il
est à propos de revenir des îles au continent. Retournons donc de Taprobane à
l'Inde : car il convient d'examiner ce pays. Mais si nous nous étendions trop
longuement sur les villes et les peuples qu'elle contient, nous manquerions à
cette loi de concision que nous nous sommes imposée. Près de l'Indus est la
ville de Caphuse, détruite par Cyrus. Sémiramis bâtit Arachosie sur le fleuve
Erumande La ville de Cadrusie fut fondée par Alexandre le Grand au pied du
Caucase, où se trouve aussi Alexandrie, qui a trente stades d'étendue (5).
Il y a beaucoup d'autres villes ; mais celles que nous venons de nommer sont des
plus remarquables.
Après les Indiens, viennent les Ichtyophages, qui habitent un pays couvert de
montagnes. Alexandre, après les avoir soumis, leur interdit l'usage du poisson
: c'était auparavant leur seule nourriture.
Au-delà, se trouvent les déserts de la Carmanie, ensuite la Perse, et après,
la mer où se voit l'île du Soleil, dont la terre est toujours rouge, et que ne
touche en vain aucune espèce d'animaux : tous ceux qu'on y transporte y
périssent. En revenant de l'Inde vers l'Azarius, fleuve de la Carmanie, on
commence à voir la grande Ourse. Là se sont établis les Achéménides. Du cap
de la Camanie à l'Arabie, il y a cinquante mille pas ; viennent ensuite trois
îles, dans les environs desquelles sont des hydres marines qui ont plus de
vingt coudées de longueur.
Il faut dire ici comment de la ville d'Alexandrie en Égypte, on va jusqu'à
l'Inde. À l'époque des vents étésiens, on navigue sur le Nil jusqu'à Coptos
; puis on va par terre jusqu'à Hydreum ; ensuite, après quelques stations, on
arrive à Bérénice, port sur la mer Rouge ; enfin on atteint Océlis, port de
l'Arabie. La première ville marchande de l'Inde est Zmiris, fameuse par ses
pirates. Par divers ports on arrive à Cottonare, où des canots d'une seule
pièce de bois portent des cargaisons de poivre. Ceux qui se rendent dans
l'Inde, cessent de naviguer au milieu de l'été, avant le lever de la canicule,
ou aussitôt après son coucher. Ceux qui reviennent de l'Inde font leur trajet
au mois de décembre. Le vent favorable pour ce trajet est le vulturne, et quand
on est entré dans la mer Rouge, l'africus ou l'auster. L'Inde a, dit-on,
dix-sept cent cinquante mille pas d'étendue ; la Carmanie, cent mille, dont une
partie est en vignobles. Il y a dans la Carmanie des peuples qui ne mangent que
de la chair de tortue, et dont tout le corps est velu, sauf la tête ; ils se
font un vêtement de peaux de poissons ; on les nomme Chélonophages.
La mer Rouge pénètre dans ce pays et se partage en deux golfes : l'un, à
l'est, est le golfe Persique, qui doit son nom à ce que les Perses ont habité
cette côte ; il a huit millions de pas de circonférence ; vis-à-vis, du
côté de l'Arabie, est le golfe Arabique. La mer qui baigne ce pays, s'appelle
Azanienne.
À la Carmanie confine la Perse, dont l'île d'Aphrodisie est comme la tête.
Cette île riche en biens de toute espèce, a pris jadis le nom de Parthie ; ses
côtes, dans leur direction occidentale, ont une étendue de cinq cent cinquante
mille pas. La ville la plus remarquable est Suse, où se trouve un temple
consacré à Diane Susienne. À cent trente-cinq mille pas de Suse est Babytace,
où tous les hommes, en haine de l'or, achètent ce métal pour l'enfouir dans
les profondeurs de la terre, et pour interdire ainsi à l'avarice le moyen
d'altérer l'équité. La dimension des mesures varie extrêmement dans ce pays
: et cela doit être : car parmi les nations qui limitent la Perse, les unes
font usage du schène, les autres de la parasange, d'autres de dimensions
inconnues pour déterminer les distances ; il a dû résulter de cette
discordance quelque chose d'irrégulier.
LVI. Parthie, et régions voisines. Tombeau de Cyrus.
La Parthie, dans toute son étendue, est bornée au midi par la mer Rouge, au nord par la mer Hyrcanienne. Elle contient dix-huit royaumes, rangés en deux classes. La première comprend onze royaumes, que l'on nomme supérieurs, qui commencent à l'Arménie et aux côtes de la mer Caspienne, et qui s'étendent jusqu'au pays des Scythes, auxquels ressemblent leurs habitants. Les sept autres, qu'on appelle inférieurs, sont limités à l'est par les Aries et les Ariens, au midi par la Carmanie, à l'ouest par la Médie, au nord par l'Hyrcanie. La Médie s'étend en biais à l'ouest, et embrasse les deux divisions du pays des Parthes ; au nord elle est environnée par l'Arménie ; à l'est elle touche aux Caspiens ; au midi elle touche à la Perse. Puis elle s'avance jusqu'au fort de Passargade, occupé par les Mages. Là est le tombeau de Cyrus.
LVII. Babylone. Retour vers l'océan Atlantique ; et, îles Gorgades, Hespérides, Fortunées, situées dans cette mer.
Babylone,
capitale de la Chaldée, bâtie par Sémiramis, est si célèbre, qu'en son
honneur le nom de Babylonie a été donné à l'Assyrie et à la Mésopotamie.
Babylone a soixante mille pas de tour, des murailles de deux cents pieds de haut
sur cinquante de large : or, le pied babylonien a trois doigts de plus que le
nôtre. Elle est baignée par l'Euphrate. On y voit un temple de Jupiter Belus,
inventeur de l'astrologie, comme l'atteste le culte qui en fait un dieu. Les
Parthes ont fondé Ctésiphon, pour rivaliser avec cette ville.
Il est temps de revenir à l'Océan, de retourner vers l'Éthiopie : en effet,
comme nous l'avons dit, il y a longtemps déjà que l'océan Atlantique commence
à l'ouest et à l'Espagne, il convient d'aborder les parties du monde où il
commence à prendre ce nom. La mer Azanienne s'étend jusqu'aux rivages de
l'Éthiopie ; l'Éthiopie va jusqu'au cap de Mossyle, et là reparaît l'océan
Atlantique. La plupart des écrivains pensent que l'extrême ardeur du soleil
rend ces parages inabordables ; Juba, eu faisant, à l'appui de son assertion,
l'énumération des peuples et des îles, prétend que toute cette mer, de
l'Inde à Gadès, est navigable, mais toutefois par le souffle du corus, qui
peut pousser quelque flotte que ce soit au delà de l'Arabie, de l'Égypte, de
la Mauritanie, pourvu que la navigation s'opère en partant du cap indien,
nommé par les uns Lepté-Acra, par les autres Drepanum. Il a donné, de plus,
et l'indication des lieux où l'on peut s'arrêter, et les distances qui les
séparent. Des proéminences de l'Inde à l'île Malichu, il assure qu'il y a
quinze cent mille pas ; de l'île de Malichu à Scénéos, deux cent vingt-cinq
mille ; de là à l'île Adanu, cent cinquante mille : en tout, pour atteindre
la mer libre, dix-huit cent soixante-quinze mille pas. Juba, pour réfuter
l'opinion de ceux qui pensent que l'ardeur du soleil rend la plus grande partie
de ce pays inaccessible, dit que le commerce, dans ces parages, est troublé par
les Arabes, nommés Ascites, désignation prise des outres dont ils font usage :
en effet, jetant un pont sur des outres accouplées deux à deux, ils lancent de
cette embarcation des flèches empoisonnées. Il ajoute que les parties
brûlantes de l'Éthiopie sont habitées par les Troglodytes et les Ichtyophages
: les Troglodytes sont d'une agilité telle, qu'ils atteignent les bêtes à la
course ; les Ichtyophages nagent avec autant de facilité que les animaux
marins. Après avoir ainsi parcouru la mer Atlantique jusqu'à l'ouest, il fait
mention des îles Gorgades.
Les îles Gorgades sont situées, dit-on, en face du cap Hespérucéras. Les
Gorgones les ont jadis habitées, et aujourd'hui encore un peuple monstrueux les
occupe. Elles sont à deux jours de navigation du continent. Xénophon de
Lampsaque dit qu'Hannon le Carthaginois pénétra dans ces îles, et qu'il y
trouva des femmes d'une extrême agilité, et que parmi celles qui s'étaient
montrées, on en prit deux qui avaient le corps tellement rude et velu que, soit
comme preuve du fait, soit comme monument de cette merveille, on suspendit leurs
peaux dans le temple de Juron, où elles restèrent jusqu'à la prise de
Carthage.
Au-delà des Gorgades sont les îles Hespérides, qui, selon Sébose, se
prolongent dans la mer à une distance de quarante jours de navigation.
Il est certain, comme on le dit, que les îles Fortunées sont situées à
gauche de la Mauritanie ; Juba les place au midi, mais toutefois se rapprochant
beaucoup du couchant. Leur nom promet beaucoup ; mais la réalité est loin de
ce qu'il fait attendre. Dans la première, nommée Norion, il n'y a pas, et il
n'y a jamais eu de maisons. Le sommet des montagnes se ressent de l'humidité
des lacs. Les férules s'y élèvent à la hauteur des arbres : les noires
donnent une liqueur très amère ; les blanches une boisson agréable. La
seconde des îles Fortunées, appelée Junonia, a un petit temple, d'une
élévation bien modeste. La troisième, qui porté le même nom que la
précédente, n'offre rien qui soit à remarquer. La quatrième s'appelle
Capraria, et est infestée d'énormes lézards. Vient ensuite Nivaria, dans une
atmosphère dense et nébuleuse, et par cela même toujours couverte de neiges ;
puis enfin Canarie, où se trouvent par milliers des chiens magnifiques : on en
amena deux au roi Juba. Canarie a quelques restes d'édifices. On y trouve aussi
une multitude d'oiseaux, des vergers, des palmiers couverts de dattes, des
pommes de pin en abondance, beaucoup de miel, des fleuves qui nourrissent une
quantité innombrable de silures. On dit aussi que la mer rejette sur les côtes
de cette île des monstres marins, et qu'une fois passés à l'état de
putréfaction, ces animaux infectent toute la côte d'une odeur pestilentielle.
Comme on le voit, la condition de ces îles ne répond pas complètement à leur
dénomination.
1.
Table du soleil.
2. Heureuse.
3. Pays du serpent.
4. Souffleurs.
5. De l'E. à l'O.