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PLINE L'ANCIEN

 

HISTOIRE NATURELLE

 

LIVRE QUINZE

 

livre 14              livre 16

 

 

Texte français

Paris : Dubochet, 1848-1850.

édition d'Émile Littré

 

LIVRE XV,

TRAlTANT DES ARBBES FRUITIERS.

I. De l'olivier; époque où il n'existait qu'en Grèce ; quand il a été planté pour la première fois en Italie, en Espagne, en Afrique.  - II. Nature de l'olive et de l'huile fraîche. - III. De l'huile ; patries diverses et qualités de l'huile. - IV. Quinze espèces d'olives. - V. De la nature de l'huile. - VI. Culture des oliviers ; de l'art de conserver les olives ; comment on fait l'huile. - VII. Quarante-huit espèces d'huiles artificielles. - VIII. Du marc d'huile. - IX. Des espèces diverses de fruits, et de leur nature. Quatre espèces de pommes de pin. - X. Quatre espèces de coings. Quatre espèces de struthées. - XI Quatre espèces de pêchers. - XII. Douze espèces de pruniers. - XIII. Du perséa. - XIV. Trente espèces de pommes. Quand chaque espèce de fruits exotiques vint en Italie, et d'où. - XV. Quelles espèces ont été introduites dans ces derniers temps. - XVI. Quarante et une espèce de poiriers. - XVII. Divers modes d'enter les arbres; expiation de la foudre. - XVIII. Conservation des fruits et des raisins. - XIX. Vingt-neuf espèces de figues. - XX. Faits historiques touchant les figues. - XXI. De la caprification. - XXII. Trois espèces de nèfles. - XXIII. Quatre espèces de sorbes. - XXIV. Onze espèces de noix. - XXV. Dix-huit espèces de châtaignes. - XXVI. Des carouges. - XXVII. Des fruits charnus; des mûres. - XXVIII. De l'arbouse. - XXIX. Nature des fruits à grains. - XXX. Neuf espèces de cerises. - XXXI. Cornouilles ; lentisques. - XXXII. Treize espèces de sucs. - XXXIII. De la couleur et de l'odeur du suc. - XXXIV. Diverses natures des fruits. - XXV. Le myrte.  - XXXVI. Anecdotes sur le myrte. - XXXVII. Onze espèces de myrte. - XXXVIII. Emploi du myrte à Rome dans l'ovation. - XXXIX. Le laurier ; treize espèces de laurier. - XL. Anecdotes sur le laurier.

Résumé : Faits, histoires et observations, 520.

Auteurs :

Fenestella, Fabianus, Virgile, Cornélius Valerianus, Celse, Caton le Censeur, les deux Saserna père et fils, Scropha, M. Varron, D. Silanus, Fabius Pictor, Trogue Pompée, Hygin, Flaccus Verrius, Grœcinus, Atticus Julius, Massurius Sabinus, Tergilla, Cotta Messalinus, Columelle, L. Pison, Pompeius Lenaeus, Plaute, Aldus Flavius, Dossenus, Scaevola, Aelius, Atteius Capiton, Sextlus Niger, Vibius Rufus.

Auteurs étrangers :

Hésiode, Aristote, Démocrite, le roi Hiéron, Archytas, le roi Attale Philométor, Xénophon, Amphiloque d'Athènes, Anaxipolis de Thasos, Apollodore de Lemnos, Aristophane de Milet, Antigone de Cume, Agathocle de Chios, Apollonius de Pergame, Aristandre d'Athènes, Bacchius de Milet, Bion de Soles, Chaeréas d'Athènes, Chaeriste d'Athènes, Diodore de Priène, Dion de Colophon, Ëpigène de Rhodes, Évagon de Thasos, Euphronius d'Athènes, Androtion qui a écrit sur l'agriculture, Aeschrion qui a écrit sur le même sujet, Denys qui a traduit Magon, Diophane qui a fait un abrégé de Denys, le médecin Asclépiade, le médecin Érasistrate, Commiade qui a écrit sur l'art d'apprêter les vins, Aristomaque qui a traité le même sujet, Hicesius qui a écrit sur le même sujet, le médecin Thémison, Onésicrite, le roi Juba.

 

I. [1] Théophraste (Hist., IV, 3), un des plus célèbres auteurs grecs, vers l'an 440 de Rome, a soutenu que l'olivier ne croît pas à plus de quarante milles de la mer (XXI,31). De son côté, Fenestella a dit que l'Italie, l'Espagne et l'Afrique, lors du règne de Tarquin l'ancien, l'an de Rome 173, ne possédaient pas cet arbre, qui aujourd'hui est arrivé au delà des Alpes, dans les Gaules, et au milieu de l'Espagne. L'an de Rome 505, étant consuls Appius Claudius, petit-fils d'Appius Caecus, et L. Junius, douze livres d'huile se vendaient un as (5 cent.) (XVIII, 4).

[2] Plus tard, en 680 de Rome, par les soins de l'édile curule M. Seius, fils de Lucius, le peuple romain ne paya toute l'année qu'un as dix livres d'huile. On s'en étonnera moins quand on saura que vingt-deux ans plus tard, sous le troisième consulat de Cn. Pompée, l'Italie envoya de l'huile aux provinces. Hésiode, qui jugea l'agriculture la connaissance la plus utile aux hommes, a dit que nul n'a retiré un produit d'oliviers plantés par ses mains ; tant alors cet arbre donnait tardivement. Aujourd'hui on le plante dans des pépinières, on le transplante, et l'année suivante on y récolte des olives.

II. [1] Fabianus dit que l'olivier ne croît ni dans les régions très froides ni dans les régions très chaudes. Virgile (Géorg.,II, 85) en a distingué trois espèces, l'orchite, le radius et la pausia; il ajoute que cet arbre ne réclame ni le râteau, ni la serpe, ni aucun soin (Géorg., II, 420). Sans doute le terroir et la température ont sur ce végétal aussi l'influence prépondérante; cependant on le taille en même temps que la vigne, et même il aime à être élagué.

[2] Nous avons à parler maintenant de la récolte, et l'art de faire l'huile est même plus difficile que celui de faire le vin ; en effet, les mêmes olives donnent des produits différents. La meilleure huile provient de l'olive crue, et dont la maturité n'a pas encore commencé ; c'est celle dont le goût est préférable: dans cette huile, on estime le plus le premier pressurage. Les huiles suivantes vont en diminuant de qualité, soi  qu'on presse, soit que, d'après un nouveau procédé, on renferme le marc dans des règles minces. Plus l'olive est mûre, plus le suc exprimé est gras, et moins il est agréable. Pour un produit moyen entre l'abondance et la bonté, le meilleur moment de récolter est quand l'olive commence à noircir. En cet état les Latins la nomment drupe, les Grecs drypète. Au reste, il y a des différences, selon que cette maturité s'est faite sur les pressoirs ou sur les branches, que l'arbre a été arrosé, que l'olive, uniquement alimentée par son suc, n'a bu que la rosée du ciel.

III. (II.) [1] L'huile, différente en ceci du vin, prend un mauvais goût en vieillissant ; elle est déjà vieille à un an. C'est, si nous voulions le comprendre, une prévoyance de la nature : le vin, qui naît pour les ivrognes, elle ne l'a pas rendu d'an usage nécessaire; loin de là, le goût flatteur qu'il gagne en vieillissant invite à le garder ; mais elle n'a pas voulu qu'on épargnât l'huile, et, la faisant de peu de garde, en a rendu l'usage commun et général. En ce produit encore l'Italie tient le premier rang parmi toutes les nations, surtout à cause du territoire de Vénafre, et de la partie de ce territoire qui donne l'huile licinienne ; aussi les olives liciniennes sont-elles les plus renommées.

[2] L'huile licinienne a dû cet honneur aux parfums, parce qu'elle a une odeur qui s'y accommode le mieux ; elle l'a dû aussi au jugement plus délicat du palais. Au reste, aucun oiseau ne touche aux olives liciniennes. Après l'Italie, le débat est entre l'Istrie et la Bétique, débat non vidé. Vient ensuite pour la qualité l'huile des provinces, excepté l'Afrique, dont le sol ne produit que du grain (XVII, 3) : la nature l'a livrée exclusivement à Cérès, et pour l'huile et le vin n'a fait que lui en donner à goûter, lui assurant assez de gloire par les moissons. Quant au reste de l'histoire des olives, tout est plein d'erreurs, et je montrerai qu'il n'est point de sujet où l'on se soit trompé davantage.

[3]  (III.) Les olives sont formées du noyau, de l'huile, de la chair, et d'amurca : l'amurca est un liquide amer composé d'eau, aussi est-il très peu abondant au milieu de conditions desséchantes, et abondant avec l'humidité. L'huile est le suc propre de l'olive; on le reconnaît surtout par les olives non mûres, comme nous l'avons dit au sujet de l'omphacium (XII, 60). L'huile augmente jusqu'au lever d'Arcturus (XVII, 74), c'est-à-dire jusqu'au 16 des calendes d'octobre (le 16 septembre) ; ensuite les noyaux et la chair croissent. Quand une sécheresse est suivie de pluies abondantes, l'huile s'altère, et se transforme en amurca. C'est la couleur de l'amurea qui noircit l'olive : quand le noir commence, il y a le moins d'amurca ; avant le noir, il n'y en a point; et ou se trompe en regardant comme le commencement de la maturité ce qui se rapproche le plus d'une altération.

[4] La seconde erreur, c'est de penser que l'huile augmente avec la chair de l'olive ; tout le suc passe dans la chair, et le noyau croît intérieurement. C'est alors surtout qu'on arrose les oliviers : si par ces soins ou par des pluies abondantes le fruit grossit beaucoup, l'huile est absorbée, à moins qu'il ne survienne du beau temps, qui diminue le volume de l'olive. D'après Théophraste (De causis, I, 23), la cause unique de l'huile est la chaleur; aussi dans les pressoirs et les celliers on fait grand feu, à cause de l'huile. Une troisième faute est dans la parcimonie qui, pour épargner les frais de cueillette, attend que l'olive tombe d'elle même. Ceux qui veulent garder un milieu en cela abattent le fruit avec des gaules, ce qui endommage l'arbre, et nuit à la récolte de l'année suivante. Ce fut en effet une règle très ancienne pour la récolte de l'olive : Ne secouez ni ne gaulez l'olivier.

[5] Ceux qui agissent avec le plus de précaution frappent les branches légèrement avec un roseau, et de côté; mais avec ce procédé aussi on abat les bourgeons, et on force l'arbre à alterner. Même résultat si on attend que les olives tombent : en effet, restant sur l'arbre au delà du temps nécessaire, elles enlèvent l'alimenta celles qui viennent, et en occupent la place ; ce qui le prouve, c'est que, si on ne les cueille pas avant la venue du Favonius (II, 47), elles reprennent de nouvelles forces, et tombent plus difficilement.

IV. [1] La première qu'on récolte après l'automne est la pausia, qui, par la faute du mode de culture et non de la nature, a le plus de chair; puis l'orchite, qui a le plus d'huile; en troisième lieu, le radius : ces trois espèces étant fort tendres, l'amurca s'en empare très promptement, et force à les cueillir. Au contraire, on retarde jusqu'au mois de mars la récolte de celles qui sont dures, réfractaires à l'humidité, et par conséquent très petites : la licinienne, la cominienoe, la contienne, la sergienne, que les Sabius nomment royale ; ces espèces ne noircissent pas avant le souffle du Favonius, c'est-à-dire avant le 6 des ides de février (le 8 février). Alors on les croit mûres ; et comme elles donnent une très bonne huile, l'expérience parait venir en aide à la mauvaise pratique.

[2] Les cultivateurs disent que si le froid diminue la quantité de l'huile, la maturité l'augmente ; mais la vérité est que la bonté de cette huile est due, non au retard de la cueillette, mais à l'espèce, attendu que ces olives n'éprouvent que tardivement la transformation en amurca. On commet une erreur semblable quand on garde sur des planches les olives récoltées, et quand on ne les presse pas avant qu'elles ne suent ; tout délai diminue l'huile, accroît l'amurca. Aussi dit-on qu'ordinairement un boisseau (8 litr. 64), d'olives ne rend pas plus de six livres. Personne ne mesure l'amurca, afin de savoir de combien la quantité en croît par jour de retard en chaque espèce.

[3] C'est une erreur générale de croire que l'huile augmente avec la grosseur de l'olive : ce qui prouve que la grosseur du fruit ne fait pas la quantité de l'huile, c'est l'olive appelée royale, ou majorine, ou phaulienne : elle est très grosse, et cependant elle a très peu de suc. En Égypte, les olives très charnues ont peu d'huile; dans la Décapote de Syrie elles sont très- petites, pas plus grosses que les câpres, et cependant la chair en est estimée.

[4] Par cette raison les olives d'outre-mer sont  préférées pour la table à celles d'Italie; elles sont moins bonnes pour l'huile. Dans l'Italie même, on préfère aux autres celles du Picenum et de Sidicine (III, 9). On les confit à part dans le sel ; puis, comme les autres, dans l'amurca ou le vin cuit; quelques-unes même, dans leur huile, sans autre préparation. Les colymbades nagent dans la saumure; d'autres fois on les concasse, et on les confit avec des herbes vertes.

[5] On les rend aussi, sans qu'elles soient mûres, propres à être mangées, en les arrosant avec de l'eau bouillante. Il est singulier que les olives s'imbibent de sacs doux et se chargent de saveurs étrangères. Il y a les olives pourpres, et, parmi elles, les pausia, qui, comme les raisins, tournent au noir; il y a les superbes, outre les espèces déjà nommées ; il y a les très douces, qui se sèchent d'elles- mêmes, et qui sont plus douces que les raisins secs; elles sont très rares; on les trouve en Afrique et autour d'Émérite, en Lusitanie. On empêche l'huile de s'épaissir en la salant. On fend l'écorce de l'olivier, et par là on donne à l'huile une odeur aromatique; sans cela, comme le vin de la vigne non taillée, elle n'est pas agréable au palais. Il n'y a pas autant de différence entre les huiles qu'entre les vins, on en distingue généralement trois qualités. Dans l'huile fine, l'odeur est plus pénétrante ; toutefois, elle est peu durable, même dans la meilleure.

V. (IV.) [1] La propriété de l'huile est d'échauffer le corps, de le protéger contre l'action du froid, et aussi de rafraîchir les chaleurs de la tète. Les Grecs, pères de tous les vices, en ont fait un abus de luxe en la répandant dans les gymnases ; on sait que des préposés aux gymnases ont vendu 80,000 sesterces (16,800 francs) les raclures d'huile (XXVIII, 13). La majesté romaine a fait un grand honneur à l'olivier : les escadrons des chevaliers, aux Ides de juillet (le 15), défilent couronnés avec des branches d'olivier; de même on porte une couronne d'olivier dans le petit triomphe de l'ovation. Les Athéniens couronnent les vainqueurs avec l'olivier; les Grecs, à Olympie, avec l'olivier sauvage.

VI. (V.) [1] Maintenant exposons les préceptes de Caton (De re rust. VI) sur les olives. Il veut qu'on plante dans un sol chaud et gras la grande radius, la salentine, l'orchite, la pausia, la sergienne, la cominienne, l'albicère. Il ajoute, avec une remarquable prudence,qu'il faut planter dans le voisinage ceux de ces oliviers qu'on estime le plus. En un sol froid et maigre il recommande la licinienne, ajoutant qu'un sol gras et chaud altère l'huile de cette espèce, que l'arbre s'épuise par la fertilité même, et qu'il est en outre infesté par une mousse rouge (XVII, 37, 6). Il pense que les plantations d'oliviers doivent être placées dans un lieu exposé au soleil, et regarder le Favonius. (VI.) Il n'approuve aucune autre exposition. Suivant lui, la meilleure manière de confire les olives, orchites et pausia, est de les mettre ouvertes dans de Ia saumure, ou concassées dans du lentisque.

[2] La meilleure huile se fait avec l'olive la plus acerbe. Du reste, il faut les ramasser à terre le plus tôt possible; si elles sont salies, les laver ; trois jours suffisent pour qu'elles soient sèches; s'il gèle, les mettre sous le pressoir le quatrième jour ; on les saupoudre aussi de sel. Garder les olives sur des planches, c'est en diminuer l'huile, et la détériorer ; de même quand on les garde sur l'amurca et sur le marc; le marc est la chair devenue résidu; par conséquent il faut dépoter l'huile plusieurs fois par jour ; en outre, la mettre dans des conches (espèce de vase) et des chaudières de plomb;

[3]  les vases de cuivre l'altèrent. Tout doit se faire dans des pressoirs très chauds et fermés, où le vent ait le moins d'accès possible ; il ne faut pas même y fendre du bois; le meilleur feu est donc le feu des noyaux mêmes de l'olive. Des chaudières on verse l'huile dans d'autres vases, afin que le marc et l'amurca rendent l'huile qu'elles contiennent. Il faut changer souvent les vases, essuyer avec l'éponge les paniers d'osier, afin que l'huile soit aussi pure que possible. Plus tard on a imaginé de laver en tout cas les olives à l'eau bouillante, puis de les soumettre entières à la presse, opération qui exprime l'amurca ; enfin de les concasser avec le trapetum, et de les presser de nouveau. On pense qu'il ne faut pas en presser à la fois plus de cent boisseaux (864 litr.); c'est ce qu'on appelle un factus. La première huile qui coule sous Ia meule s'appelle fleur (huile vierge). Quatre hommes travaillant sur deux cuves doivent, en un jour et une nuit, presser trois factus.

VII. (VII.) [1] Alors il n'y avait pas d'huile artificielle, et c'est, je pense, pour cela que Caton n'en a rien dit; maintenant on en a plusieurs espèces. Parlons d'abord dé celles que donnent les arbres, et avant tout l'olivier sauvage. Elle est ténue, et beaucoup plus amère que l'huile d'olive; on ne l'emploie que dans les préparations médicamenteuses. A cette huile ressemble beaucoup celle chamélée (daphae cnidium, XXIV, 22), arbrisseau qui croît parmi les rochers, dont la hauteur ne dépasse pas une palme, et dont les feuilles et les fruits sont ceux de l'olivier sauvage.  Une troisième se prépare avec le cici (ricinus communis, L.) (XXIII, 41), arbre très abondant en Égypte, nommé par les uns croton, pour les autres trizis, pour d'autres sésame sauvage ; il n'y a pas lontemps qu'on y extrait cette huile. En Espagne, il vient vite à la hauteur de l'olivier ; la tige est celle de la férule; la feuille, celle de la vigne; la
a graine, semblable à des raisins grêles et pâles.

[2] En latin on le nomme ricin, à .cause de la ressemblance de la graine [avec l'insecte de ce nom] (tique). On fait bouillir cette graine dans l'eau, et on recueille l'huile qui surnage. En Égypte, où le ricin abonde, on n'emploie ni eau ni feu; on saupoudre la graine de sel et on en tire par expression une huile repoussante dans les aliments, mais bonne à brûler. L'huile d'amandes, que quelques-uns nomment métopium (XIII, 2), se fait avec des amandes amères desséchées, pilées et réduites en pâte, humectées, pilées de nouveau et pressées. On fait de l'huile avec le laurier, en y mêlant de l'huile d'olive ; quelques-uns expriment l'huile de laurier des baies seulement, d'autres des feuilles seulement, d'autres des feuilles et de la peau des baies ; on y ajoute aussi du styrax et d'autres odeurs.

[3]  Le meilleur laurier pour cela est le laurier sauvage, à larges feuilles et à baies noires. L'huile de myrte noir est semblable ; le myrte noir à large feuil le est aussi le meilleur. On pile les baies mouillées avec de l'eau chaude, puis on les fait bouillir. D'autres font bouillir les feuilles les plus tendres dans de l'huile, et les expriment; d'autres, les mettant dans de l'huile, les font auparavant cuire au soleil. Même procédé pour le myrte cultivé; mais on préfère le myrte sauvage (petit houx, ruscus aculeatus, L.), à petite baie, nommé par les uns oxymyrsine, par les autres chamœmyrsine, par d'autres acoron (XXV, 100), à cause de sa ressemblance avec cette plante; il est en effet bas et touffu. On fait encore de l'huile avec le citre (XXIII, 29 ; XXIII, 45), avec le cyprès, avec les noix (XXIII, 45), dont l'huile se nomme caryinon (κάρυον, noix), avec les pommes de cèdre, dont l'huile porte le nom de pisselœon (XXIV, 11);

[4] avec la graine de Gnide   (XXIII, 45) (daphne gnidium, L.), qu'on nettoie et qu'on pile, avec le lentisque. Quant aux huiles de cypre (XII, 51l, XXIII, 45) (lawsonia inermis), et de gland d'Égypte (XII, 46 ; XXIII, 46) (noix de Ben; moringa oleifera, Lam.), nous avons dit comment elles se préparent pour la parfumerie. Les Indiens font, dit-on, de l'huile avec les châtaignes, le sésame et le riz; les Ichthyophages, avec le poisson. Le manque d'huile pour l'éclairage force quelquefois à en faire avec les baies de platane, macérées dans de l'eau salée. L'œnanthine se fait avec la vigne sauvage, comme nous l'avons dit (XII, 61) en parlant des parfums. Pour faire l'huile gleucine, ou cuit avec de l'huile du moût de vin à petit feu ; d'autres n'emploient pas le feu, ils entourent le vase de marc de raisin pendant vingt-deux jours, et remuent le mélange deux fois par jour ; l'huile consume le moût. Quelques-uns mêlent non seulement de la marjolaine, mais aussi des parfums plus précieux : pour les gymnases, on y fait entrer, il est vrai, des parfums, mais des parfums de très bas prix.

[5] On fait de l'huile avec l'aspalathe (convolvulus scoparius, L.), le calamus (XII, 48), le baume (XII, 54), l'iris (XXI, 19), le cardamome (amomum cardumomum, L.) (XII. 29), le mélilot, le nard celtique, le panax (pastinaca opopanax, L.) (XII, 57), la marjolaine, l'hélénium, la racine de cinnamome, toutes plantes qu'on fait macérer dans l'huile et qu'ensuite on presse. Ainsi se font aussi l'huile de rosé avec les roses, l'huile de jonc avec le jonc (andropogon schœnanthus, L.), laquelle est très semblable à l'huile de rose; les huiles de jusquiame (XXIII,,49), de lupin (lupinus albus, L.),de narcisse (XXIII, 49). On en fait beaucoup en Égypte avec la graine de raifort (raphanus sativus, L.) (XIX, 26), ou avec un gramen ; cette dernière se nomme chortine. Le sésame donne une huile, l'ortie une aussi qu'on nomme cnédine (XXII, 15). En certains pays on fait l'huile de lis par la macération en plein air, sous l'action du soleil, de la lune et du brouillard.

[6] Entre la Cappadoce et la Galatie, on compose avec les herbes du pays une huile nommée selgitique (XXIII, 49), très bonne pour les tendons et les ligaments, de même que l'huile d'Iguvium (III, 9; XXIII, 49) en Italie. Avec la poix on fait l'huile appelée pissine, en la faisant cuire, et en étendant, au-dessus de la vapeur qui s'en exhale, des toisons,  qu'on exprime ensuite; la meilleure huile de
poix se fait avec la poix du Bruttium, laquelle est très grasse et très résineuse. La couleur de l'huile est fauve. Ce qu'on nomme éléomiel (XXIII, 50) sont spontanément sur les côtes de la Syrie ; il découle des arbres ; c'est une substance grasse, plus épaisse que le miel, plus ténue que la résine, d'une saveur douce, et qu'on emploie en médecine. La vieille huile a des usages dans certaines maladies ; on la regarde aussi comme utile pour préserver l'ivoire de la carie. Toujours est-il qu'une statue de Saturne à Rome est remplie d'huile à l'intérieur.

VIII. (VIII.) [1] Mais c'est l'amurca (XXIII 37) que Caton (De re rust., LXIX-CXXX) a vantée par-dessus tout ; il veut que les tonneaux et barils à huile en soient enduits, pour qu'ils n'absorbent pas l'huile; que les aires à battre le grain en soient pétries, afin d'éloigner les fourmis et d'empêcher les crevasses; qu'on en asperge le mortier des murailles, le crépi et le plancher des greniers à grain ; qu'on en asperge même la garde-robe, pour préserver les étoffes des teignes et des insectes nuisibles ; qu'on en arrose les semences des céréales; qu'on se serve pour les maladies des quadrupèdes, et même des arbres, de cette substance, efficace aussi contre les ulcérations de l'intérieur de la bouche de l'homme ;

[2] qu'avec l'amurca  bouillie on oigne les courroies, tous les cuirs, les chaussures, les essieux, les vases de cuivre, qui ainsi sont protégés contre le vert-de-gris et ont une plus belle couleur; tous les ustensiles en bois, les pots de terre dans lesquels on veut garder des figues sèches ou des branches de myrte avec leurs feuilles et leurs baies, ou autre chose semblable ; enfin, que le bois trempé dans l'amurca brûle sans incommoder par la fumée. D'après M. Varron (De re rust., I, 2), un olivier léché ou brouté lors de ses premières pousses par une chèvre est frappé de stérilité (VIII, 76). Nous terminerons ici le chapitre de l'olivier et de l'huile.

 IX. (IX.) [1] Les autres fruits des arbres peuvent I à peine être énumérés, en raison de la diversité de leurs apparences et de leurs formes, sans parler des saveurs et des sucs, modifiés par tant de combinaisons et de greffes. (X.) Le fruit le plus gros et suspendu le plus haut est la pomme de pin ; elle renferme à l'intérieur de petits pignons qui sont dans des loges voûtées, et que revêt une autre enveloppe couleur de rouille : la nature a un soin merveilleux de placer mollement les semences. Une seconde espèce de pomme de pin se nomme térentine; l'écorce se casse sous les doigts, et les oiseaux les dérobent sur les arbres. Une troisième espèce nommée sappinie (XVI, 23) vient du faux sapin cultivé; les pignons en sont recouverts d'une peau plutôt que d'une écorce, et cette peau est tellement tendre qu'on la mange avec le fruit. Une dernière espèce se nomme pi-tyis; elle provient du pin sauvage, c'est un remède excellent contre la toux. Les pignons bouillis dans du miel sont appelés aquicèles chez les Taurins. Les vainqueurs aux jeux isthmiques sont couronnés avec une couronne de pin.

X. (XI.) [1] Les fruits les plus gros ensuite sont les cotonées des Latins, cydoniens des Grecs (coings) (cydonia vulgaris, Lam.) ; ils viennent de l'ite de Crète. Ils courbent les rameaux sous leur poids, et empêchent de croître l'arbre qui les produit. On en distingue plusieurs espèces : les chrysomèles sont marqués de sillons, la couleur en tire sur l'or; les coings dits d'Italie sont plus blancs et d'une odeur excellente; les coings de Naples ont aussi leur mérite. Les struthées, qui appartiennent au même genre, sont plus petits, l'odeur en est plus pénétrante : ils sont tardifs ; les mustées sont précoces. Le cotonée greffé sur le struthée a produit une espèce particulière, nommée mulvienne; c'est la seule espèce qui se puisse manger crue. Toutes ces espèces se renferment dans les chambres à coucher où se font les salutations, même dans celles des hommes : on les pose sur ces témoins de nos nuits, les statues qui y sont dressées. Il y a en outre de petits coings sauvages, les plus odorants après les struthées; ils viennent dans les haies:

XI. [1] On donne le nom de pomme, quoique d'une espèce différente, à la pomme de Perse (pèche) et à la grenade, dont j'ai énuméré neuf espèces en parlant des grenadiers (XIII, 34). Ce dernier fruit a le grain à l'intérieur, sous l'écorce ; la pèche a un noyau dans l'intérieur du fruit. Quelques poires aussi, appelées poires de livre, montrent par leur nom quelle grosseur elles atteignent, (XII.) Parmi les pèches, la palme est aux duracines. Deux espèces sont distinguées par des noms de nation, la gauloise et l'asiatique ; elles mûrissent après l'automne. Les précoces (abricots) mûrissent en été; il n'y a que trente ans qu'on les a; originairement on les vendait un denier (82 cent) la pièce. Les abricots supernates viennent de la Sabiole ; les abricots communs viennent partout.  C'est un fruit innocent qu'aiment les malades; il y en a eu de vendus jusqu'à trente sesterces (6 fr. 30) ; aucun fruit n'a été payé davantage: chose étonnante, car il n'y en a point qui passe plus vite. Cueilli, dieux jours est le terme au delà duquel on ne peut le garder, et on est obligé de le vendre.

XII. (XIII.) [1] Vient ensuite la foule immense des prunes : bigarrées, noires, blanches ; la prune d'orge (prune précoce), ainsi nommée parce qu'elle accompagne cette céréale ; une autre de la même couleur que la prune d'orge, mais plus tardive et plus grosse, se nomme prune d'âne (prune cerisette), parce qu'elle est peu estimée. Il y a aussi la prune noire (damas noir), la cérine (mirabelle), plus recherchée, et la pourprée (prune myrobalan). La prune arménienne (reine-claude?), exotique, est la seule qui se recommande par son odeur. Le prunier greffé sur le noyer porte un fruit qu'on peut dire impudent; il a la forme de son origine et le goût de son adoption; on l'appelle prune-noix. Ces prunes-noix, les pêches, les prunes cérines, les prunes sauvages, mises comme le raisin dans des tonneaux, se gardent jusqu'à la récolte suivante. Quant aux autres prunes, elles mûrissent rapidement et passent rapidement aussi.

[2] Récemment, dans la Bétique, on a greffé des pruniers sur des pommiers, ce qui a donné un produit appelé prune- pomme. On a greffé aussi des pruniers sur des amandiers, et obtenu la prune-amande : le noyau renferme à l'intérieur une véritable amande; aucun fruit n'est plus ingénieusement doublé. En parlant des arbres étrangers, nous avons parlé des prunes de damas (XIII, 10), ainsi nommées de Damas de Syrie : cette prune vient depuis longtemps en Italie; cependant le noyau y est plus gros et la chair plus petite; elles ne s'y sèchent pas non plus au point de se rider, attendu qu'elles n'ont  pas le soleil de leur patrie. Les sébestes peuvent  en être dites les compatriotes (XIII, 10) ; elles commencent aussi à se naturaliser à Rome, où on a greffé le sébestier sur le sorbier.

XIII.[1]  En somme, le nom de pomme persique (pêche) (XVI, 47) montre que ce fruit est exotique même dans l'Asie et la Grèce, et qu'il vient de la Perse. Quant au prunier sauvage, il est certain qu'il croît partout ; aussi m'étonné-je que Caton  n'aît pas fait mention de ce fruit, d'autant plus qu'il a indiqué les procédés pour garder même certains fruits sauvages. Les persiques n'ont été introduits que tardivement et avec difficulté ; ils sont en effet stériles dans l'île de Rhodes, attendu que c'était leur première étape à partir de l'Egypte. Il est faux que dans la Perse ce fruit soit un poison douloureux, et que les rois de ce pays l'aient, par vengeance, transplanté dans l'Egypte, on il perdit ces propriétés malfaisantes.

[2]  C'est du perséa que les auteurs exacts (XIII,17) ont dit cela, arbre absolument différent, dont le fruit est semblable aux sébestes qui rougissent, et qui refuse de croître hors de l'Orient.  Les érudits ont soutenu que le perséa n'avait pas été apporté de Perse pour punir l'Égypte, mais qu'il avait été planté à Memphis par Persée; et que pour cette raison Alexandre prescrivit d'en couronner les vainqueurs, en honneur de son ancêtre. Le perséa a toujours des feuilles et des fruits qui naissent au fur et à mesure. Quoi qu'il en soit, il est manifeste que les prunes n'ont commencé à se répandre qu'après Caton.

XIV. (XIV.) Les pommes sont de plusieurs espèces. Nous avons parlé des citrons à propos du citronnier (XII, 7), que les Grecs appellent arbre médique du nom de sa patrie. Les jujubes (zizyphus vulgaris, Lam.) et les tubères sont également exotiques, et il n'y a même pas longtemps que ces fruits sont venus en Italie; les tubères de l'Afrique, les jujubes de la Syrie. Sext. Papinius, que nous avons vu consul (an de Rome 779), les a, le premier, apportés tous les deux, dans les derniers temps du règne du dieu Auguste; on les sema dans les camps. Les jujubiers portent des fruits plus semblables à des baies qu'à des pommes; c'est surtout pour les terrasses qu'ils forment un ornement, puisque maintenant nous faisons grimper des forêts jusque sur les toits. Il y a deux espèces de tubères : le blanc, et celui qu'on appelle syrique (XXXV, 24) à cause de sa couleur (rouge). Il faut mettre presque au rang des fruits exotiques ces fruits croissants dans le seul territoire de Vérone, qu'on nomme laineux : un duvet les recouvre, duvet, il est vrai, abondant sur les coings struthées et sur les péches, mais qui toutefois a donné le nom à cette espèce, que ne recommande aucune qualité remarquable.

XV. [1] Pourquoi dédaignerais-je de nommer les autres espèces, puisqu'elles ont assuré un renom éternel à ceux qui les ont découvertes, à titre de service éclatant rendu à l'humanité? Si je ne me trompe, on y verra combien l'art de la greffe est ingénieux, et qu'il n'est rien de si petit qui ne puisse procurer la gloire. Ainsi des espèces de pommes portent le nom de Matius (XII, 6), de Gestius, de Manlius, de Scandius ; Appius, de la famille Claudia, ayant greffé le cognassier sur le pommier de Scandius, le fruit qui en résulte porte le nom d'appien; il a l'odeur du coing, la grosseur de la pomme de Scandius: et il est d'une couleur rouge. Et qu'on ne s'imagine pas que ce surnom soit une flatterie envers une famille illustre : la pomme sceptienne doit ce nom à un fils d'affranchi qui l'a découverte ; elle est remarquable par sa rondeur. Caton (De re rust. VII) cite encore les quiriènes et les scantiènes (ib. CXLIII) : ces dernières, dit-il, se gardent dans des tonneaux. Les plus récemment adoptées sont les pétisiennes, petites, et d'un goût très agréable.

[2] La pomme amérine (IIII, 19;  XV, 17 et 18) et la pomme grecque ont fait honneur à leur patrie. Les autres ont été dénommées d'après différentes causes : la disposition, pommes jumelles, ainsi appelées à cause qu'elles sont toujours deux à deux, et jamais isolées sur le pédicule ; la couleur, pommes syriques (rouges) ; la ressemblance avec la poire, les mélapies (pommes-poires); la rapidité de la maturation, les mustées; le goût, les mélimèles, ainsi nommées à cause de leur saveur miellée; la forme, les orbiculaires, à cause de leur figure sphérique (les Grecs les nomment épirotes, et cela prouve qu'elles sont originaires de l'Épire); les orthomasties, à cause de leur ressemblance avec les mamelles; l'absence de pépins, les spadonies des Belges. Les mélofoliées ont une feuille, et quelquefois deux, qui sortent de côté au milieu du fruit.

[3] Les pannucées se rident très promptement. Les pulmonées sont d'une grosseur déraisonnable. Quelques-unes sont d'une couleur de sang, et elles doivent cette coloration à la greffe sur mûrier. Au reste, toutes sont rouges du côté exposé au soleil. Il y a de petites pommes sauvages, d'un goût agréable et même d'une odeur plus pénétrante ; elles servent de sobriquet injurieux pour les caractères méchants et acerbes, et la force de leur suc est si grande, qu'il attaque le tranchant du couteau. Les pommes farineuses sont les moins estimées, mais elles sont les premières à venir, et elles ont hâte d'être cueillies.

XVI. (XV.) [1] Une précocité semblable a valu tel surnom de superbe à une espèce de poire ; elle est très petite, mais très hâtive. Tout le monde préfère la crustumienne; au second rang est la Falerne, ainsi nommée parce qu'elle donne à boire, tant elle est juteuse (ce jus porte le nom de lait) ; d'autres de la même espèce, de couleur noire, reçoivent le nom de syriennes. Les dénominations des autres varient suivant les localités. Parmi les poires dont les noms sont adoptés à Rome, la décimienne et la pseudodécimienne, qui en vient, ont rendu célèbre le nom de leurs auteurs, ainsi que les dolabelliennes, dont le pédicule est très long,

[2] la pomponieone, surnommée mammosa, la licérienne, la sévienne, et la turranienne, variété de la sévienne, et qui s'en distingue par la longueur de son pédicule ; la favonienne rouge, un peu plus grosse que la superbe; la latérienne, l'anicienne, qui vient après l'automne, agréable par son goût acidulé. On appelle libérienne une poire, la favorite de l'empereur Tibère : elle est plus colorée par le soleil et acquiert plus de volume : autrement elle serait absolument la même que la licérienne. Le lieu d'origine donne le nom à l'amérine, la plus tardive de toutes, à la picentine, à la numantine, à l'alexandrine, à la numldique, à la grecque, à la tarentine, variété de la grecque, à la signine, nommée par d'autres testacée à cause de sa couleur, comme l'onychine et la purpurine. Sont dénommées d'après l'odeur, la myrapie (poire-parfum), la laurée, la nardine ; d'après le temps de la récolte, l'hordéaire; d'après la forme du col, l'ampullacée; d'après la peau lanugineuse, la brute; d'après la ressemblance avec la courge, la cucurbitine; d'après le goût, l'acidulé. On ignore le motif du nom de la poire barbarique, de la poire de Vénus, qui sont dites colorées; de la royale, qui a un pédicule très court, et qui est presque sessile ; de la patricienne, de la voconienne, verte et oblongue. En outre, Virgile (Géorg., II, 87) a nommé la volème, empruntée à Caton (De re rust., VII), lequel parle aussi de la sémentive et de la mustée.

 XVII. [1] Cette partie de la civilisation est depuis longtemps arrivée au plus haut point; les hommes ont tout essayé : Virgile (Géorg., II, 69) a parlé de la greffe du noyer sur l'arbousier, du pommier sur le platane, et du cerisier sur l'ormeau. On ne peut rien imaginer de plus. Depuis longtemps on ne trouve plus aucun fruit nouveau. La religion, qui défend de greffer sur l'épine, ne permet pas de tout confondre par la greffe; l'expiation de la foudre serait difficile, car il y aurait à expier autant de foudres que de greffes ;

[2] la forme des poires est conique. Les tardives restent sur l'arbre jusqu'aux gelées, qui les mûrissent; telles sont la grecque, l'ampullacée, la laurée, et, parmi les pommes, l'amérine et la scandienne. Les poires se gardent comme les raisins, et d'autant de façons différentes; c'est le seul fruit, avec les prunes, qu'on met dans des barils. Les pommes et les poires ont une propriété vineuse ; les médecins les défendent comme le vin dans les maladies (XXIII, 62). On les fait cuire dans du vin et de l'eau, et elles forment une marmelade ; préparation qu'on ne peut faire en outre qu'avec le coing et la variété appelée struthée.

XVIII. (XVI.) [1] Donnons maintenant les règles générales de la conservation des fruits. Les fruitiers doivent être placés dans un endroit frais et sec; par un beau jour, on en ouvre les fenêtres qui regardent le nord ; il faut fermer l'accès au vent du midi par des vitres en pierre spéculaire (XXXVI, 45); le souffle de l'aquilon ride aussi les fruits et les déforme. Les pommes se cueillent après l'équinoxe d'automne; on n'en commence la récolte ni avant le seizième jour de la lune, ni avant la première heure du jour ; il faut mettre à part celles qui sont tombées d'elles- mêmes, et placer les autres sur des sarments, des nattes ou de la paille; on les met à distance les unes des autres, afin que chaque rangée reçoive l'air également. Les amérines se gardent le plus, les mélimèles le moins (XV, 15).

[2] (XVII.) Les coings se gardent dans un lieu fermé, à l'abri de l'air; ou bien on les cuit dans du miel, ou on les y plonge. Les grenades se durcissent dans de l'eau de mer bouillante, puis on les fait sécher pendant trois jours au soleil, sans que la rosée delà nuit les touche, et on les pend ; quand on veut s'en servir, on les lave à l'eau douce. M. Varron (De re rust., I 59) recommande aussi de les conserver dans des vases où il y a du sable; si elles ne sont pas mûres, il dit de les mettre dans des cruches dont le fond est brisé, et de les enfouir dans la terre, de manière que l'accès soit fermé à l'air, et en enduisant la queue de poix : de cette façon, ajoute-t-il, elles grossissent plus qu'elles n'auraient fait sur l'arbre. Quant aux autres fruits appelés mala, on les enveloppe un à un dans des feuilles de figuier, excepté ceux qui «ont tombés spontanément : on les met dans des paniers d'osier, ou on les enduit de terre à potier.

[3] Les poires se gardent dans des vases de terre poissés qu'on renverse, et qu'on enfouit dans des trous; les tarentines se cueillent très tard ; les aniciennes se conservent aussi dans du vin de raisin cuit. Les sorbes se gardent également dans des trous où l'on met, en un lieu exposé au soleil, les vases renversés, après en avoir plâtré le couvercle, et en les recouvrant de deux pieds de terre ; on les suspend aussi comme les raisins, avec leurs branches, dans des tonnes.

[4] Parmi les auteurs les plus récents, quelques-uns prennent les choses de plus loin : pour conserver les fruits et les raisins, ils recommandent de les cueillir au décours de la lune, après la troisième heure du jour, par un ciel serein et un vent sec; de les prendre aussi dons un terrain sec et avant la maturité parfaite, en choisissant le moment où la lune est sous l'horizon ; de suspendre les grappes avec un sarment dur, après en avoir ôté avec les ciseaux les grains gâtés, dans un vaisseau neuf poissé, et de fermer tout accès à l'air avec un couvercle et du plâtre : même procédé pour les sorbes et les poires, dont les queues auront été enduites toutes de poix ; de tenir les vaisseaux loin de l'eau. Quelques-uns les mettent de cette façon avec leurs branches dans du plâtre, enfonçant les deux bouts de la branche dans une racine de scille.

[5] D'autres les placent même dans des vaisseaux qui contiennent du vin, pourvu que le raisin ne le touche pas. Quelques-uns mettent les pommes dans des plats de terre qui flottent sur le vin; de cette façon on pense que le vin communique une odeur au fruit. D'autres aiment mieux conserver tout cela dans du millet. La plupart fout un trou de deux pieds de profondeur, le garnissent de sable, mettent par dessus un couvercle d'argile, et le recouvrent de terre. D'autres enduisent les raisins avec de la terre à potier, les sèchent au soleil et les suspendent; pour cet objet, on enlève cette terre avec de l'eau. On la délaye aussi avec du vin, et on enduit les fruits. Les meilleures pommes sont enduites de la même façon avec du plâtre ou de la cire; si on les prépare ainsi avant qu'elles ne soient mûres,. elles rompent l'enduit en grossissant. On place toujours les pommes sur la queue.

[6]  D'autres les cueillent avec la branche, enfoncent celle-ci dans la moelle du sureau, et les enfouissent comme il a été écrit. D'autres mettent chaque poire et chaque pomme dans un vase de terre, et puis renferment ces vases, après en avoir poissé le couvercle, dans un tonneau. Quelquefois on les place sur des flocons de laine ou dans des paniers garnis de torchis. D'autres emploient ce procédé, mais sur des plats de terre ; d'autres l'emploient, mais dans une fosse garnie de sable, recouvrant le tout avec de la terre sèche. Il y en a qui enduisent les coings avec la cire du Pont (XXI, 49), et les plongent dans du miel. Columelie (De re rust, XII, 43) conseille de les mettre dans des vases déterre soigneusement enduits de poix, et de descendre ces vases dans des puits on des citernes. La Ligurie maritime, voisine des Alpes, fait sécher les raisins au soleil, les enveloppe de bottes de joncs, et les met dans des tonneaux qu'elle ferme avec du plâtre.

[7] Les Grecs substituent au jonc des feuilles de platane ou de vigne ou de figuier, séchées en un seul jour à l'ombre, et disposées alternativement avec des couches de marc dans le tonneau. De cette façon l'on conserve le raisin de Cos et celui de Béryte, qui ne le cèdent à nul autre en douceur. Quelques-uns, pour cette préparation, les plongent dans de la cendre de lessive aussitôt après les avoir cueillis, puis les sèchent au soleil; alors, les enveloppant de feuilles, comme il a été dit plus haut, ils les entassent dans du marc. Il y en a qui aiment mieux conserver les raisins sur de la sciure ou des copeaux de sapin, de peuplier ou de frêne. D'autres recommandent de les suspendre loin des pommes, et aussitôt après la récolte, dans les greniers, attendu que la meilleure enveloppe pour les raisins suspendus est la poussière. On les protège contre les guêpes en les aspergeant avec de l'huile tenue dans la bouche. Nous avons parlé des dattes (XIII, 9).

XIX. (XVIII.) [1] Parmi les autres fruits dits poma, la figue est le plus gros; quelques-unes égalent même les poires. Nous avons parlé, à propos des figues exotiques, des merveilles de l'Égypte et de Chypre (XIII, 14et 15). La figue du mont Ida est rouge, de la grosseur d'une olive, plus ronde seulement, et a le goût de la nèfle; on nomme, dans cette contrée, alexandrin un figuier de la grosseur d'une coudée, rameux, d'un bois fort, pliant, sans lait, ayant l'écorce verte, la feuille du tilleul, mais molle. Onésicrite rapporte qu'en Hyrcanie les figues sont beaucoup plus douces que les nôtres, et que les figuiers y sont plus productifs, un seul donnant 270 boisseaux (2339 litr., 80) de figues.

[2] L'Italie a reçu des autres pays, de Chalcis et de Chios, des figues de plusieurs espèces : les lydiennes, qui sont purpurines; les mamillanes, qui y ressemblent; les callistruthies, qui sont de peu meilleures: ce sont les plus froides des figues. Quant aux figues d'Afrique, que beaucoup préfèrent à toutes les autres, elles sont l'objet d'un grand débat; cette espèce n'est naturalisée que depuis peu de temps eu Afrique, elle porte le nom du pays qui la produit. Quant à la figue d'Alexandrie, elle est noire; mais, entr'ouverte, la fente en est blanche; elle porte le nom de délicate. La rhodienne est noire aussi, ainsi que la tiburtine, qui est parmi les précoces.

[3] Les livies, les pompéiennes ont les noms de ceux qui les ont découvertes ; la pompéienne est la meilleure à sécher au soleil et à garder d'une année à l'autre, ainsi que les marisques (sorte de figue) et celles qui ont des feuilles tachées comme le roseau. Il y a encore l'herculanée, l'albicérate, l'aratie blanche, très grosse, et à pédicule très court. La plus hâtive est la porphyritis, qui a un très long pédicule ; elle est accompagnée de la populaire, qui est très petite et très peu estimée. Au contraire, la chélidonie mûrit la dernière sur la fin de l'hiver. Il y a des figuiers qui sont à la fois tardifs et précoces : ils portent deux fois des figues blanches et des figues noires, mûrissant avec la moisson et la vendange. Il y a des figues tardives qui ont reçu leur nom de la dureté de leur peau. Parmi les figues de Chalcis, quelques-unes portent trois fois. Tarente seule donne les figues extrêmement douces qu'on nomme onas.

[4] Caton (De re nat., VIII) parle ainsi des figues : « Plantez les figues marisques dans un terrain crayeux ou découvert ; dans un terrain plus fort ou fumé, les africaines, les herculanées, les sagontines, les figues d'hiver, les télanes noires a long pédicule. » Dans la suite, les noms et les espèces se sont tellement multipliés, qu'a considérer ce seul objet, on reconnaît que la civilisation a changé. Certaines provinces ont aussi des figues d'hiver, par exemple les mœsiennes; mais elles sont un produit de l'art et non de la nature. On couvre de fumier, après l'automne, une petite espèce de figuier, et les fruits encore verts que l'hiver surprend; puis, quand la température est devenue plus douce, dégagés avec l'arbre qui les porte et rendus à la lumière, ces fruits reçoivent avidement, comme s'ils renaissaient, un soleil nouveau, un soleil tout différent de celui qui les a fait vivre : mûrissant en même temps que les autres figuiers fleurissent, ils sont précoces dans une année qui n'est pas la leur, et précoces même dans la contrée la plus froide.

 XX. [1] L'Afrique me revient en mémoire à propos de la figue africaine, ainsi nommée dès le temps de Caton, qui s'en servit pour frapper les esprits. Brûlant d'une haine mortelle contre Carthage, inquiet pour la sécurité à venir des Romains, et répétant, à chaque séance du sénat, qu'il fallait détruire la rivale de Rome, il apporta un jour au sein de l'assemblée une figue précoce qui provenait de cette province ; et la montrant aux sénateurs : « Je vous demande, dit-il, quand vous pensez que ce fruit ait été cueilli? » Tous convenant qu'il était fraîchement cueilli : « Eh bien, répliqua-t-il, sachez qu'il l'a été à Carthage, il y a trois jours, tant l'ennemi est près de nos murs ! »

[3] Et bientôt on entreprit la troisième guerre punique, où Carthage fut détruite, bien que Caton eût été enlevé l'année qui suivit cette allocution. En ce trait que devons-nous admirer ? une occasion ingénieusement ménagée ou offerte par le hasard, la rapidité du trajet, la véhémence de Caton? Ce qui est par-dessus tout, ce qui me frappe le plus, c'est que cette grande ville, qui pendant cent vingt ans avait disputé l'empire du monde, fut renversée par un argument tiré d'un fruit : une ligue a fait ce que n'avait pu faire le souvenir de la Trébie, du Trasimène, de Cannes où le nom romain semble enseveli, du camp carthaginois placé à trois milles de Rome, et d'Annibal lui-même venant à cheval au pied de la porte Colline. Plus que ces souvenirs, une figue dans la main de Caton rapprocha Carthage de Rome.

[4] Dans le forum même, et au milieu des comices, on cultive un figuier, en mémoire d'une consécration faite pour la foudre qui tomba en ce lieu, ou plutôt en mémoire d'un autre figuier qui abrita [ sur les bords du Tibre] Romulus et Rémus, nos fondateurs, et qu'on nomma ruminal  parce que, sous son feuillage,  fut trouvée la louve donnant aux enfants sa mamelle, en vieux latin rumen : un groupe en bronze représentant cette merveille a été consacré par l'augure Attus Navius dans le forum, comme si le figuier ruminal y avait passé spontanément [ des bords du Tibre ]. Là cet arbre se dessèche, mais les prêtres ont soin, de le renouveler. Il y eut aussi devant le temple de Saturne un figuier qu'on arracha l'an de Rome 260 (les vestales firent à cette occasion un sacrifiée) parce qu'il attaquait la base de la statue du dieu Sylvain.

[5] Un autre figuier, semé fortuitement, vit au milieu du forum, dans le lieu où un danger menaçant pour le berceau de l'empire romain, et annoncé par un prodige, fut détourné par Curtius au prix des plus précieux trésors, c'est-à-dire la vertu, la piété et une mort glorieuse. Un hasard a encore placé dans le même lieu une vigne et un olivier, cultivés par le peuple pour l'agrément de leur ombrage. Un autel s'y trouvait; le dieu Jules [César] le fit enlever, à l'occasion des derniers combats de gladiateurs (XIX, 6) qu'il donna dans le forum.

XXI. [1] La figue, seule entre tous les fruits, arrive d'une façon merveilleuse à la maturité par un artifice de la nature. (XIX.) On nomme caprifique le figuier sauvage, qui ne mûrit jamais, mais qui donne aux autres ce qu'il n'a pas lui-même, les causes productrices se transférant naturellement, et la putréfaction produisant parfois quelque chose. Ce figuier engendre dons des moucherons ; ces insectes, privés d'aliment sur l'arbre natal, lorsque tout y est transformé en putrilage, volent sur le parent (figuier cultivé) ; et, criblant de morsures la figue, c'est-à-dire ouvrant les pores du fruit par leur avidité, ils pénètrent dans l'intérieur, amènent d'abord avec eux le soleil, et introduisent par ces portes ouvertes l'air fécondant. Bientôt ils consomment l'humeur laiteuse, qui est l'enfance de la figue, et qui du reste s'absorbe spontanément aussi.

[2] C'est pourquoi dans les plantations de figuier on place un caprifique au-dessus du vent, pour que le souffle emporte sur les figues le vol des moucherons. Partant de là, on a imaginé d'apporter d'ailleurs des tiges de caprifique, de les attacher ensemble, et de les jeter sur le figuier domestique. Cela n'est pas nécessaire dans les terrains maigres et exposés à l'aquilon; là, en effet, les figues se dessèchent spontanément par le bénéfice du lieu, et les fentes qui s'y forment donnent à la cause de maturation le même accès que le travail des moucherons. Une poussière abondante produit aussi le même effet, ce que l'on voit sur les figuiers placés le long d'une route fréquentée ; la poussière a la propriété de dessécher la figue et d'en absorber le suc laiteux. L'action du terroir l'emporte sur celle de la poussière et de la capriflcation : elle empêche les figues de tomber, en prévenant la formation de l'humeur laiteuse, qui rend le fruit pesant et cassant.

[3] Toutes les figues sont molles au toucher; mûres, elles présentent des grains à l'intérieur. Le goût, quand elles approchent de la maturité, est celui du lait ; quand elles sont mûres, du miel. Elles vieillissent sur l'arbre, et elles distillent alors une liqueur qui ressemble à la gomme. Les figues sèches qu'on estime se gardent dans des paniers ; les meilleures et les plus grosses sont celles de l'île d'Ébuse (III, 11) ; viennent ensuite les marruciniennes (III, 17). Quand les figues abondent, on en remplit les orques (vase à large ventre) en Asie, et les tonneaux à Ruspine, ville d'Afrique. Séchées, elles tiennent lieu de pain et de viande; en effet, Caton (De re rust., LVI), fixant  par un règlement, qui est une sorte de loi, les aliments des ouvriers employés à l'agriculture, recommande d'en diminuer la quantité au moment de la maturité des figues.

[4] Tout récemment on a imaginé de substituer au fromage des salaisons avec des figues fraîches. A l'espèce des figues appartiennent, comme nous l'avons dit (XIII, 10), les cottanes, les cariques, les caunées, qui, criées par un marchand, furent un présage funeste au moment où M. Crassus s'embarqua pour son expédition contre les Parthes. L. Vitellius, qui fut plus tard censeur (an de Rome 801), transplanta toutes ces variétés de Syrie dans la campagne d'Albe (III, 9), ayant été lieutenant dans cette province vers les dernières années du règne de l'empereur Tibère.

XXII. (XX.) [1] On doit ranger parmi les pommes et les poires les nèfles et les sorbes. On distingue trois espèces de nèfles (mespilus germanica, L.), l'anthedon (7), la sétanie, une troisième espèce qui est d'une qualité inférieure, ressemblant cependant à l'anthédon et nommée nèfle gauloise. La sétanie (mespilus cotoneaster, L.) est la plus grosse et la plus blanche ; le noyau en est plus mou; les deux autres espèces sont plus petites, mais d'une odeur meilleure, et se gardent plus longtemps. L'arbre lui-même est des plus gros. Les feuilles, avant de tomber, rougissent; les .racines sont nombreuses et profondes, et par conséquent difficiles à arracher. Cet arbre n'existait pas en Italie du temps de Caton.

XXIII. (XXI.) [1] Les sorbes (sorbus domestica,  L.) se divisent en quatre espèces : les unes sont arrondies comme la pomme, les autres coniques comme la poire; d'autres, d'une forme ovale, comme certaines pommes, sont sujettes à être acides. Les rondes l'emportent par l'odeur et la douceur; les autres ont une saveur vineuse; les meilleures sont celles dont le pédicule est entouré de feuilles tendres. La quatrième espèce se nomme terminale  [sorbe bonne pour les tranchées]; elle n'est employée que comme remède; le fruit vient très abondamment : il est très petit; l'arbre ne ressemble pas aux autres sorbiers, il a presque la feuille de platane. Aucune espèce ne rapporte avant trois ans. Caton (De re rust., VII, CXLV) écrit que l'on garde aussi les sorbes dans du vin cuit.

 XXIV. (XXII.) [1] Les noix, qui le disputeraient aux sorbes pour la grosseur, le cèdent pour l'estime; les noix, qui cependant accompagnent les chants fescennins dans les solennités nuptiales. La noix, dans sa totalité, est beaucoup plus petite que la pomme de pin, mais proportionnément elle a le noyau plus gros. La nature lui a fait aussi un honneur particulier en la protégeant par une double enveloppe : la première, qui est une espèce de coussin ; la seconde, qui est une écorce ligneuse. C'est cette raison qui a fait d'un fruit si bien gardé un symbole sacré dans les noces; explication plus vraisemblable que celle qui tire cet usage du bruit que font les noix en tombant.

[2] Le noyer a été transplanté de la Perse par les rois, du moins les noms grecs l'indiquent : les Grecs, en effet, nomment la meilleure espèce persique et royale. Ce furent les premières dénominations. On s'accorde à dire que le nom de caryon dérive de la pesanteur de tête que cause le noyer par son odeur forte. Le brou sert à teindre la laine ; les noix encore petites, et commençant à se former, sont employées à teindre les cheveux en blond ; ce procédé a été indiqué par la coloration que l'attouchement des noix laisse sur les mains. Les noix deviennent grasses en vieillissant.

[3] La seule différence des espèces est dans la coquille dure ou fragile, mince ou épaisse,  multiloculaire ou simple. C'est le seul fruit que la nature ait enfermé dans une coquille faite de pièces assemblées ; en effet, la coquille se partage en deux barques, et le fruit lui-même est divise en quatre par l'interposition d'une membrane ligneuse. Les autres espèces sont, coquille et fruit, d'une seule pièce, par exemple les avellanes (noisettes, avélines), qui sont aussi du genre des noix, et qu'on nommait auparavant abellines, du nom de leur origine (III, 9). Elles sont venues du Pont en Asie et en Grèce ; c'est pour cela qu'on la nomme noix pontiques : des barbes molles les protégent aussi ; mais la coquille et l'amande sont rondes et d'une seule pièce; on les grille comme les noix ; elles ont au milieu de l'amande un ombilic.

[4] La troisième catégorie est formée par les amandes, dont l'enveloppe extérieure, quoique plus minet, est semblable à celle de la noix ; la seconde enveloppe est aussi une coquille. Le fruit du dedans, étant large, ne ressemble pas à la noix; il est plus ferme et d'une saveur plus prononcée. On ne sait si l'amandier était en Italie du temps de Caton (De re rust., CXLV); il parle bien de noix grecques, mais quelques-uns rangent ces noix grecques parmi les noix ordinaires. Il cite encore les avellanes, les galbes, les prénestines, qu'il loue surtout; et il rapporte que renfermées dans des pots on les garde fraîches en terre (De re rust., CXLV).

[5] Aujourd'hui on vante les amandes» de Thasos, celles d'Albe (III, 9), deux espèces d'amandes de Tarente, l'une à coquille fragile, l'autre à coquille dure; elles sont très grosses et très allongées. Il y a encore les mollusques, dont  la coquille s'entr'ouvre d'elle-même. Quelques-uns donnent une étymologie honorifique à la noix (juglans), et disent que c'est le gland de Jupiter. Dernièrement j'ai entendu un personnage consulaire déclarer qu'il avait des noyers portant  deux fois l'année. Nous avons déjà parlé des pistaches (XX 10); c'est le même Vitellius qui le premier a transplanté en Italie le pistachier, en même temps que les autres arbres dont nous avons parlé (XV, 21) ; Flaccus Pompéius, chevalier  romain, qui servait avec lui, le porta à la même époque en Espagne.

XXV. (XXIII.) Nous donnons aussi le nom de noix aux châtaignes, bien que plus rapprochées de l'espèce des glands. La châtaigne est protégée par une enveloppe armée d'épines, enveloppe qui dans le gland n'est qu'ébauchée. Il est étonnant que la nature ait mis tant de soin à couvrir des fruits de si peu de prix. Quelquefois trois châtaignes se trouvent sous une même enveloppe. L'écorce est flexible. La pellicule la plus rapprochée du fruit, si on ne l'enlève pas, rend le goût désagréable dans la châtaigne et dans la noix. La meilleure manière de manger les châtaignes est de les faire rôtir ; on les moud aussi, et pour les jeûnes des femmes (i i) et les donnent un semblant de pain. C'est de Sardes qu'elles sont originaires:

[2] aussi les Grecs les nomment-ils glands de Sardes ; ils ont donné plus tard le nom de gland de Jupiter à l'espèce améliorée par la culture (marron). Maintenant on en a plusieurs variétés. Les tarentines sont faciles à dépouiller, la digestion n'en est pas laborieuse, la forme en est aplatie. La châtaigne nommée balanitis est plus ronde, très facile à éplucher, et sortant pour ainsi dire spontanément de sa coque. La salariennee st sans piquants et aplatie ; là tarentine se laisse moins manier; la corellienne est plus estimée, ainsi que l'étérienne, qu'on en a tirée d'après un procédé qui sera décrit à l'article de la greffe (XVII,26); l'étéréienne a une écorce rouge, qui la fait préférer aux châtaignes triangulaires et aux châtaignes noires communes, dites châtaignes à bouillir. Tarente et Néapolis, dans la Campanie, sont les pays des plus estimées. On fait venir les autres pour la nourriture des cochons, attendu que l'écorce est soudée étroitement jusque dans l'intérieur du fruit.

XXVI. (XXIV.) [1] Les carouges (III, 16), très douces, ne doivent pas paraître très éloignées de la châtaigne, si ce n'est qu'on mange l'écorce même. Recourbées quelquefois en forme de faux, elles ont un doigt de long sur un pouce de large. Les glands ne peuvent pas être mis au rang des fruits ; nous en parlerons à l'article des arbres à gland (XVI, 6).

XXVII. [1] Les autres fruits sont charnus, et on les divise en baies, et en fruits charnus proprement dits. Autre est la chair du raisin, autre celle delà mûre, autre celle de l'arbouse. Quelle différence encore entre le raisin, qui n'est que peau et suc, la chair des sébestes (XV, I2),et celle des baies, comme les olives

[2] Dans la mûre le suc de la chair est vineux ; le fruit prend trois couleurs, blanc d'abord, puis ronge, et noir quand il est mûr. Le mûrier fleurit des derniers (XVI, 41) et mûrit des premiers; la mûre, venue à maturité, tache les mains par son suc, et, non mûre, les nettoie. C'est l'arbre sur lequel l'industrie humaine a le moins gagné; point de variétés, point de modifications par la greffe; on n'est parvenu qu'à faire grossir le fruit. À Rome, on distingue les mûres d'Ostie et celles de Tusculum. Il vient aussi dans les ronces des mûres dont la chair est bien différente (XXIV, 73).

XXVIII. [1] Les fraises de terre ont une chair différente de l'arbouse, qui est congénère. C'est le seul genre de fruits qui, engendrés l'un sur un arbre, l'autre à terre, se ressemblent. Quant à l'arbousier, il est touffu ; l'arbouse mûrit en un an, et par-dessous il naît des fleurs pendant que mûrit le fruit précédent. Est-ce le mâle ou la femelle qui est stérile? Les auteurs ne sont pas d'accord sur ce point. L'arbouse est un fruit sans mérite; le nom qu'il porte (unedo) l'indique;  il vient de ce qu'on ne mange qu'une arbouse (unum edo). Cependant les Grecs lui donnent les deux noms de comaron et de memecylon, ce qui montre qu'il y en a deux espèces ; et de fait, outre le nom d'unédon, les Latins ont aussi celui d'arbousier. Juba rapporte que cet arbre atteint en Arabie la hauteur de cinquante coudées.

XXIX. [1] Il y a aussi une grande différence entre les fruits a grain. Et d'abord les raisins eux-mêmes diffèrent par la fermeté, la mollesse, la grosseur, le pépin, petit dans certaines espèces, double dans d'autres, lesquelles donnent le moins de vin. Les grains du lierre et du sureau sont encore très différents, ainsi que ceux de la grenade, qui seuls ont une forme anguleuse : ces derniers n'ont pas une peau particulière pour chacun, mais une enveloppe commune qui est blanche ; les fruits à grain sont tout suc et chair, surtout ceux qui ont  un petit pépin.

[2] Les baies offrent aussi de grandes différences : elles sont autres sur l'olivier, le laurier; autres sur le lotus (celtis australis, L.), le cornouiller; autres sur le myrte et le lentisque. Elles n'ont pas de suc sur le houx et l'épine.  Les cerises tiennent le milieu entre les baies et les fruits à grain; elles sont d'abord blanches, comme presque toutes les baies. Du blanc, certaines baies passent au vert, comme celles de l'olivier et du laurier; d'autres au rouge, comme la mûre, la cerise et la cornouille, et de là au noir, comme la mûre, la cerise et l'olive.

XXX. (XXV.) [1] Il n'y avait pas de cerisier en Italie avant la victoire remportée par L. Lucullus sur Mithridate. L'an 680 de Borne, il apporta,  le premier, ces arbres du Pont ; au bout de cent vingt ans, ils sont arrivés au delà de l'Océan dans la Bretagne. Quelque soin qu'on ait pris, on n'a pu, comme nous l'avons dit (XIII, 21), les acclimater en Égypte. Parmi les cerises, les aproniennes sont les plus rouges, les lutatiennes socles plus noires ; les céciliennes sont rondes. Les juniennes ont un goût agréable, mais elles ne l'ont, pour ainsi dire, que sur l'arbre, étant tellement délicates qu'elles ne supportent pas transport. Les plus estimées sont les duracines que la Campanie appelle pliniennes : en Belgique on préfère les lusitaniennes.

[2] Sur les bords du Rhin il y a même une cerise tricolore, noire, ronge et verte, qui semble toujours sur le point de mûrir.  Il n'y a pas cinq ans que l'on connaît les laurées, d'une amertume qui n'est pas désagréable ; elles proviennent de greffe sur laurier. Le cerisier macédonien est petit, rarement il dépasse trois coudées ; le chamaecerasus est un arbrisseau encore plus petit. Le cerisier est un des premier» arbres qui récompensent le travail annuel du cultivateur ; il aime le nord et les localités froidei. On sèche aussi la cerise au soleil, et on la conserve, comme l'olive, dans des barils.

XXXI. (XXVI.) [1] On prépare de la même façon les cornouilles (cornus mas, L.) et te lentisque, comme si tout était produit pour la voracité de l'homme. On mêle les saveurs, et l'on force l'une à plaire par son mélange avec l'autre. On mêle les régions et les climats ; pour une espèce de mets on fait contribuer l'Inde, pour une autre l'Egypte, la Crète, Cyrène, et chaque pays. L'homme ne s'arrête même pas devant les poisons, pourvu qu'il dévore tout. Cela se verra mieux quand nous parlerons des herbes.

XXXII. (XXVII.) En attendant, notons les saveurs appartenant tant aux fruits qu'aux sucs, et qui sont au nombre de treize : douce, suave, grasse, amère, astringente, acre, piquante, acerbe, acide, salée ; plus, trois genres de saveurs d'une nature extrêmement merveilleuse. Le premier genre est celui où, comme dans le vin, on sent à la fois plusieurs saveurs, l'astringente, la piquante, la douce et la suave, toutes saveurs qui appartiennent à d'autres substances. Le second genre est celui où, comme dans le lait, on sent, il est vrai, une saveur étrangère, mais aussi une saveur spéciale et qui n'est qu'à lui.

[2] En effet, le lait n'a pas une saveur qu'on puisse vraiment qualifier de douce, grasse, ou suave; mais il y domine un goût agréable, qui tient lieu d'une saveur prononcée. Le troisième genre est l'eau, qui n'a aucun goût (XXXI, 22), aucun principe particulier; mais cela même lui donne un goût propre et la met dans une catégorie à part, à tel point qu'une eau est mauvaise quand  on y sent un goût ou un principe quelconque.  L'odeur joue un grand rôle dans toutes les saveurs, et a avec elles une grande affinité: l'eau n'a aucune odeur ; et elle est altérée si on y sent la moindre odeur. Il est singulier que les trois principaux éléments de la nature soient sans saveur, ni odeur, ni principe particulier : l'eau, l'air et le feu.

XXXIII. (XXVIII.) Parmi les sucs, les sucs vineux appartiennent à la poire, à la mûre, à la baie de myrte, et, chose singulière, n'appartiennent pas au raisin. Les sucs gras appartiennent  à l'olive, à la baie du laurier, à la noix, à l'amande; les sucs doux, au raisin, à la figue, à la datte; le suc aqueux, à la prune. Il y a aussi une grande différence dans la couleur du suc; il est couleur de sang dans la mûre, la cerise, la cornouille, le raisin noir; il est blanc dans le raisin blanc ; il est couleur de lait dans la figue au sommet, il ne l'est pas dans le corps; il est écumeux dans les pommes. Celui des pêches est incolore; et même dans les duracines, qui sont très juteuses, qui pourrait dire la couleur du jus?

[2] L'odeur offre aussi des particularités merveilleuses : elle est piquante dans les pommes, faible dans les pêches, nulle dans les fruits doux. Le fait est que les vins doux sont inodores ; les vins ténus sont plus odorants, et ces derniers sont beaucoup plus promptement potables que les vins épais. Les fruits odorants ne sont pas en même temps agréables au palais, attendu que le goût n'y répond pas à l'odeur. Dans les citrons, l'odeur est très pénétrante, et le goût très âpre ; il en est de même jusqu'à un certain point dans les coings', les figues sont sans odeur.

XXXIV. [1] Tels sont les genres et les espèces des fruits; maintenant présentons-en les caractères dans un cadre plus étroit. Quelques-uns naissent dans des gousses qui sont douces elles-mêmes, et qui renferment une graine amère ; cependant il arrive plus souvent que la graine plaise et que la gousse soit rebutée. D'autres sont formés par des baies qui ont le noyau eu dedans, la chair au dehors, comme les olives, les cerises. Certaines ont la chair en dedans, le bois en dehors, comme les baies qui, avons-nous dit, viennent en Égypte (XIIIi,17).

[2] Ces remarques sur les baies s'appliquent aussi aux poma; les uns ont la chair en dedans et le bois en dehors, comme les noix ; les autres, la chair en dehors et le bois en dedans,  comme les pêches et les prunes; et la partie inutile est entourée du fruit, tandis que dans les autres le fruit est entouré de la partie inutile. Les noix sont renfermées dans une coquille, les châtaignes dans une écorce; on enlève l'écorce des châtaignes, mais on mange celle des nèfles. Les glands sont couverts d'une enveloppe écailleuse, les raisins d'une peau, les grenades d'une écorce et d'une peau. Les mûres sont composées de chair et de soc, les cerises de peau et de suc. Quelques fruits se détachent facilement du bois, comme les noix et les dattes; quelques-uns y adhèrent, comme les olives et la baie du laurier. D'autres possèdent l'une et l'autre propriété, comme les pêches: en effet, dans les duracines (XV, 11), la chair adhère et ne peut être séparée du noyau, tandis qu'elle s'en sépare facilement dans les autres espèces. Quelques fruits n'ont de bois ni au dedans ni au dehors, comme certaines dattes  (XIII, 9).

[3] Dans quelques espèces le bois même se mange comme fruit, par exemple dans l'espèce d'amande qui, avons-nous dit (XIII, 17), vient en Égypte. Certains fruits ont une double enveloppe inutile, les châtaignes, les amandes, les noix. D'autres sont composés de trois parties: le corps, le bois, et une graine dans le bois, exemple les pèches. Quelques-uns sont pressés les uns contre les autres, comme les raisins et les sorbes, qui, rangées de toutes parts autour des branches, les font plier à la manière des grappes de raisin.

[4] D'autres sont clairsemés comme les pèches. D'autres sont renfermés dans une espèce de ventre, comme les grenades. D'autres sont suspendus à des pédicules, comme les poires; d'autres à des grappes, comme les raisins et les dattes ; d'autres à des pédicules et à des grappes, comme sur le lierre et le sureau ; d'autres sont sessiles, comme sur le laurier; d'autres présentent les deux modes, comme les olives, qui ont la queue, les unes courte, les autres longue. Quelques-uns portent une sorte de cupule, comme les grenades, les nèfles, le lotus (nymphœa nelumbo) d'Égypte et de l'Euphrate. Quant aux parties qu'on estime et recherche dans les fruits, elles sont diverses : les dattes plaisent par la chair, les dattes de Thèbes par la peau, les raisins et les dattes caryotes par le jus,

[5] les poires et les pommes par leur chair ferme, les pommes de miel par leur chair tendre, les mûres parleur consistance cartilagineuse, les noyaux par leur amande. Certains fruits en Égypte sont recherchés pour leur peau, par exempte les figues cariques. La peau des figues fraîches se jette comme une pelure, celle des figues sèches plaît beaucoup. Dans le papyrus (XIII, 11), la férule (XX, 9 et 23) et l'épine blanche (XIII, 36), la tige elle-même sert de fruit; des tiges de figuier ont un même emploi. Parmi les arbrisseaux, le câprier se mange tige et fruit. Et dans la caroube, ce qu'on mange (XV, 36), qu'est-ce autre chose que du bois? N'omettons pas la particularité qu'offre la graine de la caroube: elle ne peut être appelée ni une chair, ni un noyau, ni un cartilage, et on ne trouverait pour elle un autre nom.

XXXV. (XXIX.) [1] La nature des sucs est surtout admirable dans le myrte ; car seule de tous les fruits la baie de ce végétal donne deux espèces d'huile (XV, 7) et deux espèces de vin (XIV, 19), et de plus le myrtidanum, dont nous avons parlé (XIV, 19). Chez les anciens, cette baie a eu encore un autre usage : avant que l'on connût le poivre (XII 14), on l'employait comme cette épice (XXVII, 49) ; elle a même donné le nom à un mets de haut goût, qu'on appelle encore aujourd'hui myrte. C'est avec la même substance qu'on relève la saveur du sanglier ; et la baie de myrte s'ajoute dans presque toutes les sauces.

XXXVI. [1] Le myrte lui-même fut, dit-on, vu pour la première fois dans l'Europe citérieure, qui commence aux monts Cérauniens (III, initio), à Circéi (III,  9), sur le tombeau d'Elpénor ; il a gardé je nom grec, ce qui montre que c'est un arbre exotique. Il y avait des myrtes sur l'emplacement qu'occupé Rome, au moment où on la fonda; car la tradition rapporte que les Romains et les Sabins, ayant voulu combattre à cause de l'enlèvement des femmes, se purifièrent, après avoir déposé les armes, avec des branches de myrte, dans le lieu où se trouvent les statues de Vénus Cluacine. Dans l'ancienne langue, eluere signifiait nettoyer. Cet arbre s'emploie aussi en fumigation (XXV, 59).

[2] Il fut choisi alors parce qu'il est consacré (XII, 3) à Vénus, qui préside  aux unions. Je ne sais si le myrte n'est pas le premier arbre planté à Rome dans les lieux publics, plantation mémorablement prophétique. Au nombre des plus vieux temples est celui de Quirinus, c'est-à-dire de Romulus lui-même : deux myrtes sacrés, plantée devant le temple, y vécurent longtemps, appelés l'un patricien, l'autre plébéien ; pendant beaucoup d'années le myrte patricien eut la prédominance, plein de sève et de vigueur; et tant que le sénat fleurit il fut énorme : le myrte plébéien était rabougri et chétif;  mais quand il prit le dessus au moment où le myrte patricien commença à se flétrir, pendant la guerre des Marses, l'autorité des sénateurs s'affaiblit, et peu à peu ce corps majestueux tomba dans l'épuisement et la stérilité. Il y eut aussi un vieil autel consacre a Vénus Myrteo, appelée aujourd'hui Vénus Murtia.

XXXVII. [1] Caton a distingué  (De re rust., VIII)  trois espèces de myrtes : le myrte noir, le blanc, le conjugule, appelé ainsi peut-être à cause des mariages et de ce myrte de Vénus Cluacine (XV, 36, 2). Aujourd'hui on distingue le myrte en sauvage et cultivé, qui tous deux renferment une variété a larges feuilles; l'oxymyrsine (XXIII, 33) n'appartient qu'au myrte sauvage. Les topiaires distinguent le myrte cultivé en myrte de Tarente à la feuille petite, en myrte du pays à la feuille large, en myrte hexastiche à feuilles très touffues et disposées sur six rangs, Ce dernier n'est d'aucun usage. Les deux autres espèces sont rameuses. Je pense que le myrte conjugule est celui que nous appelons myrte du pays. C'est en Égypte que le myrte est le plus odorant. Caton (De re rust., CXXV) a écrit qu'on fait un vin avec le myrte noir, en le faisant sécher à l'ombre jusqu'à complète dessiccation, et en le mettant ensuite dans du moût ; que si les baies ne sont pas sèches, il se produit de l'huile. Plus tard on a découvert le moyen de faire un vin blanc avec le myrte blanc ; on prend deux setiers (1 litr. 08) de myrte pilé, ou fait macérer dans trois hémines (0 litr. 81) de vin, et on exprime.

[2] On sèche aussi les feuilles (XXIII, 81), seules, jusqu'à ce qu'elles se réduisent eu une poudre employée au traitement des plaies sur le corps humain : cette poudre est légèrement mordante, et arrête les sueurs.  Bien plus, chose singulière, l'huile de myrte a une certaine saveur vineuse ; c'est une liqueur onctueuse, qui a une efficacité spéciale pour corriger les vins; on en arrose préalablement les chausses ; elle retient en effet la lie, ne laisse passer que le vin purifié, et accompagne la liqueur ainsi filtrée, dont elle rehausse le goût. Une baguette de myrte portée a la main est utile à un voyageur qui fait une longue route à pied.  Des branches de myrte que le fer n'a pas touchées,  disposées en ceinture, sont bonnes contre les hernies.

XXXVIII. [1] Le myrte est aussi entré dans les choses de la guerre. Postumius Tubertus, vainqueur des Sabins pendant son consulat (an de Rome 251), qui le premier fut honoré de l'ovation, marcha couronné du myrte de Vénus Victorieuse, parce qu'il avait obtenu facilement le succès sans verser de sang, et rendit cet arbre désirable même aux ennemis. Ce fut dès lors la couronne de l'ovation, excepté pour M. Crassus, qui, ayant vaincu les esclaves fugitifs et Spartacus, marcha couronné du laurier. Masurius rapporte que les triomphateurs, sur leur char, ont aussi porté la couronne de myrte. L. Pison dit que Papirius Mason, qui le premier (an de Rome 523) triompha des Corses (il triompha sur le mont Albain), assistait, couronné de myrte, aux jeux du cirque ; ce fut le grand-père maternel du second Scipion l'Africain. Marcus Valérius portait deux couronnes, l'une de laurier, l'autre de myrte; c'était un vœu qu'il avait fait.

XXXIX. (XXX.) [1] Le laurier est consacré spécialement aux triomphes; il plaît même dans les maisons ; il garde la porte des empereurs et des pontifes; seul il orne les palais, et veille sur le seuil. Caton (De re rust., CXXXIII) en distingue deux espèces : le laurier de Delphes et celui de Chypre. Pompeius Lenœus (XIV,13) a ajouté celui qu'il a appelé mustax, parce qu'on le met sous le mustaceum (sorte de gâteau) ; il dit que cette espèce a la feuille très grande, flasque et blanchâtre ; que le laurier de Delphes est d'une couleur uniforme, plus vert, et a la baie très grosse, et d'un rouge tirant sur le vert; que c'est avec ce laurier que l'on couronne les vainqueurs à Delphes, les triomphateurs à Rome ; que le laurier de Chypre a la feuille courte, noire, imbriquée sur le bord, et crépue. Depuis, le nombre des espèces a augmenté : le laurier- tin (virbunum tinus, L.), qui est regardé par les uns comme un laurier sauvage, par les autres comme un arbre particulier (la couleur en est : différente, la baie en est bleue); le laurier royal, qui commence à être appelé auguste : l'arbre est très grand ainsi que les feuilles, et le goût des baies n'est pas âpre. Quelques-uns prétendent que le laurier royal et le laurier auguste ne sont pas les mêmes, et que le royal est une espèce particulière, à feuilles plus longues et plus larges. Les mêmes auteurs font une espèce à part du baccalia (XVIII, 11), qui est le laurier le pins commun et le plus fertile en baies. On ajoute que le laurier stérile est le laurier des triomphes, celui qu'emploient les triomphateurs : cela m'étonne beaucoup, à moins que le laurier stérile n'ait été introduit dans les triomphes par le dieu Auguste, et qu'il ne provienne de ce laurier qui, comme nous le dirons (XV, 40), fut envoyé do ciel à ce prince, et qui est le plus petit de tous, à feuille crépue et courte, et très rare. Dans la topiaire figure le taxa (fragon, ruscus hypoglossum, L.), dont les feuilles portent au milieu une foliole en forme de languette. Le laurier spadonien n'a pas cette languette ; il supporte merveilleusement l'ombre : aussi, quelque ombragé que soit un terrain, il y pullule.

[3] Il y a aussi le chamœdaphné (XXIV, 81) (ruscus racemosus, L.), arbrisseau sauvage. Il y a encore le laurier alexandrin (ruscus hypophyllum, L.), que quelques-uns nomment idéen, d'autres hypoglottion, d'autres danaé, d'autres carpophyllon, d'autres hypelate. De la racine, il jette des branches de neuf pouces de long, employées dans les couronnes, a feuille plus aiguë que le myrte, pfus molle, plus blanche et plus grande; la graine, placée entre les feuilles, est rouge: ce laurier abonde sur l'Ida [de la Troade] et autour d'HéracIée du Pont ; on ne le trouve que dans des régions montagneuses. L'espèce nommée daphnoïde est aussi l'objet de dénominations multiples, pélasge, eupétalon, couronne d'Alexandrie : c'est un arbrisseau rameux, dont la feuille est plus épaisse et plus molle que celle du laurier, et dont le goût brûle la bouche et la gorge ; les baies sont d'un roux noirâtre. Les anciens ont noté que la Corse ne renfermait aucune espèce de laurier ; depuis on l'y a semé, et il y prospère.

XL. [1] Le laurier est pacifique : présenté même entre des ennemis armés, il indique la trêve. Pour les Romains messager de joie et de victoire, on le joint aux lettres ; on en pare les lances et les javelots. Il décore les faisceaux des généraux ; de là il est déposé dans le giron de Jupiter très bon et très grand, toutes les fois qu'une nouvelle victoire a apporté l'allégresse. Ce n'est point parce qu'il est toujours vert, parce qu'il est pacifique (à ces deux titres l'olivier lui serait préférable), mais c'est parce qu'il est le plus bel arbre du Parnasse, et pour cela aimé d'Apollon, divinité à laquelle les rois de Rome primitive envoyaient des présents ; témoin L. Brutus.

[2] Peut-être aussi honore-t-on cet arbre parce que là Brutus mérita d« rendre la liberté à son pays, en baisant, d'après l'oracle, cette terre féconde en lauriers. Une raison de plus, c'est que, parmi les arbres plantés et reçus dans nos demeures, seul il n'est pas frappé de la foudre. Je croirais que ce sont là les raisons qui lui ont valu l'honneur de figurer dans les triomphes, plutôt que de croire, avec Masurius, qu'il sert de fumigation et de purification pour le sang versé dans la guerre. Au reste, il n'est pas permis d'abaisser le laurier et l'olivier à des usages profanes; si bien qu'on ne doit pas, même pour le culte propitiatoire des dieux, embraser avec ces bois les arœ (autels des dieux supérieurs et inférieurs) et les altaria (autels des dieux supérieurs).

[3]  Le fait est que le laurier proteste contre le feu par un pétillement manifeste, et par une sorte d'aversion ; le bois en est bon pour les affections des intestins et des nerfs (XXIII, 80). On dit que l'empereur Tibère quand il tonnait se couronnait de laurier, de crainte de la foudre (uII 56).

[4] Il y a aussi dans l'histoire du dieu Auguste des particularités mémorables relatives au laurier. Livie Drusilla, qui par son mariage prit le nom d'Augusta, déjà fiancée à l'empereur, reçut dans son giron, étant assise, une poule d'une blancheur admirable, qu'un aigle laissa tomber du haut des airs sans que la volatile se fit de mal : Livie, contemplant l'oiseau sans crainte, vit, nouvelle merveille, qu'il tenait en son bec un rameau de laurier, chargé de baies. Les aruspices ordonnèrent de conserver la poule et sa progéniture, de planter la branche et d'en avoir soin religieusement; ce que l'on fit dans la maison de campagne des Césars, placée sur le bord du Tibre, à neuf milles de Rome, sur la voie Flaminienne, et dite pour cette raison Ad gallinas (aux poules); et il en provint un bosquet merveilleux.

[5] Dans la suite, Auguste, triomphateur, tint dans la main une branche de ce laurier, et en porta sur la tête une couronne ; tous les empereurs ont suivi son exemple : on prit l'habitude de planter les branches qu'ils avaient tenues, et l'on voit encore des bosquets de lauriers qui ont des noms distincts dus à cette circonstance. De là peut-être date le changement de l'ancien laurier triomphal (XV, 39). C'est le seul des arbres de dénomination latine dont le nom soit donné à des individus du sexe masculin (XXXI, 3); c'est le seul dont la feuille ait une appellation spéciale : nous la nommons laurea. Le nom de cet arbre donné è un lien dure encore dans Rome : on appelle sur le mont Aventin Loretum un emplacement où il y eut une forêt de lauriers. Le laurier est employé dans les purifications. Ajoutons en passant qu'on le plante aussi de bouture (XNII, 11), pour répondre au doute de Démocrite et de Théophraste (Hist., II, 1). Passons maintenant aux arbres des forêts.