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PLINE L'ANCIEN

 

HISTOIRE NATURELLE

LIVRE QUATORZE

livre 13           livre 15

Texte français

Paris : Dubochet, 1848-1850.

édition d'Émile Littré

 

LIVRE XIV,

TRAITANT DES ARBRES FRUITIERS.

I et II Nature de la vigne; de quelle manière elle porte des fruits. -  III. De la nature du raisin et de la culture de la vigne. - IV Quatre-vingt-onze espèces de vignes.  - V Faits remarquables touchant la culture des vignobles. - VI Quels sont les vins les plus anciens. VII De la nature du vin. - VIII Cinquante vins généreux. - IX Trente-huit vins d'outre-mer. - X. Sept espèces de vins salés. - XI Dix-huit espèces de vins doux. Du passum et de l'hepsema. - XII Trois espèces de vins secondaires ou  piquettes.  - XIII Nouveauté du renom des vins d'Italie. - XIV Pratique observée par Romains touchant le vin. - XV De quels vins se sont servis les anciens Romains. - XVI Faits notables touchant les celliers. Du vin d'Opimius. - XVII  A quelle époque on servit pour la première fois quatre espèces de vin. - XVIII Usage de la vigne sauvage, et quel est le suc le plus froid dans la nature. - XIX Soixante-six espèces de vins artificiels. - XX Hydromel ou mélicrat. - XXI Oxymel. - XXII Douze espèces de vins mis au rang des prodiges. - XXIII  De quels vins il n'est pas permis de se servir pour les sacrifices. XXIV Par quel procédé on apprête les moûts. - XXV De la poix, des résines. - XXVI Du vinaigre ; de la lie. - XXVII Des vaisseaux à vin, des celliers. - XXVIII De l'ivresse. - XXIX Qu'avec l'eau et des grains on fait des boissons qui ont la force du vin.

Résumé : Faits, histoires et observations, 510.

Auteurs :

Cornélius Valerianus, Virgile, Celse, Caton le Censeur, les deux Saserna père et fils, Scro pha, Varron, D. Silanus, Fabius Pictor, Trogue Pompée, Hygin, Flaccus Verrius, Grœcinus, Julius Àtticus, Columelle, Massurius Sabinus, Fenestella, Tergilla, Plaute, Alfius Flavius, Dossenus, Scaevola, Aelius, Atteius Capiton, Cotta Messalinus, L. Pison, Pompeius Lenaeus, Fabianus, Sextius Niger, Vibius Rufus.

Auteurs étrangers :

Hésiode, Théophraste, Aristote, Démocrite, le roi Attale Philométor, le roi Hiéron, Archytas, Xénophon, Amphiloque d'Athènes, Anaxi polis de Thasos, Apollodore de Lemnos, Aristophane  de Milet, Antigone de Cume, Agathocle de Chios, Apollonius de Pergame, Aristandre d'Athènes, Botrys d'Athènes, Bacchius de Milet, Bion de Soles, Chœréas d'Athènes, Chœriste d'Athènes, Diodore de Priène, Dion de Colophon, Épigène de Rhodes, Evagon de Thasos, Euphronius d'Athènes, Androtion qui a écrit sur l'agriculture, Aeschrion qui a écrit sur l'agriculture, Lysimaque qui a écrit sur l'agriculture, Denys qui a traduit Magon, Diophane qui a fait un abrégé de Denys, le médecin Asclépiade, Onésicrite, le roi Juba.


 

I. [1]. Les arbres exotiques, qui, se refusant à croître ailleurs que dans leur patrie, ne se transplantent  pas dans des contrées étrangères, sont à peu près tous compris dans ce qui vient d'être dit. Il nous est maintenant loisible de parler des arbres communs, dont l'Italie peut être considérée comme la mère spéciale. Les hommes instruits se souviendront seulement que nous exposons pour le moment les caractères de ces arbres, et non le mode de les cultiver, bien qu'au reste la culture dépende beaucoup des caractères. Ce dont je ne puis assez m'étonner, c'est que le souvenir de certains arbres et la connaissance des noms que les auteurs ont rapportés aient disparu.

[2] Et cependant qui ne penserait, vu les communications ouvertes entre les parties du monde, vu la grandeur majestueuse de l'empire romain, que la civilisation a fait des progrès, grâce à l'universalité des échanges et à la jouissance commune d'une paix fortunée, et qu'une foule d'objets qui jadis étaient demeurés cachés sont devenus d'un usage vulgaire ? Mais aujourd'hui on ne trouve plus personne qui connaisse tout ce que l'antiquité a relaté; tant l'industrie des anciens a été plus féconde, ou leur habileté plus heureuse. Il y a mille ans qu'Hésiode, à l'origine même des lettres, a commencé à donner des préceptes aux agriculteurs, suivi en cela par bon nombre d'autres. De là accroissement de labeur pour nous; car il faut rechercher non seulement les découvertes des modernes, mais encore celles des anciens,  au milieu de l'oubli que l'incurie a jeté sur les choses. Quelles causes assigner à cette léthargie, si ce n'est les causes générales du monde?

[3] De nouvelles mœurs sont survenues; les hommes ont d'autres préoccupations, et l'on ne cultive que les arts de l'avarice. Autrefois, les peuples et par conséquent les esprits étaient renfermés dans les limites des États, sans grandes destinées à accomplir; il ne leur restait qu'à exercer les facultés de l'intelligence ; une foule de rois recevaient les hommages des arts, et, dans l'ostentation de leurs grandeurs, mettaient celles-là au premier rang, persuadés que c'était le gage de leur immortalité. Alors abondaient et les récompenses et les travaux. Pour les âges suivants, un monde trop vaste et des richesses trop grandes ont été un mal. Depuis que les sénateurs sont choisis d'après la fortune, les juges choisis d'après la fortune; depuis que les magistrats et les généraux n'ont plus eu d'autre mérite que la fortune ; depuis que l'absence d'héritiers est devenue une autorité et une puissance si grande; depuis que la captation est la profession la plus lucrative, et qu'il n'y a plus d'autres joies que la possession, les récompenses ont été sans honneur; les arts dits libéraux, parce qu'une existence libre est le plus grand bien, ont cessé de mériter leur nom, et la servilité seule profite. L'un l'adore d'une façon et l'autre d'une autre ; mais les vœux sont toujours les mêmes, il s'agit toujours de la richesse. On voit même des hommes distingués aimer mieux cultiver les vices d'autrui que leurs propres qualités. La volupté a commencé à vivre, la vie elle-même a cessé. Quant à nous, nous scruterons même ce qui a été oublié ; et la trivialité de certains détails ne nous détournera pas plus qu'elle ne nous a détourné dans l'histoire des animaux. Cependant nous voyons que pour cette raison Virgile, ce poète admirable, a omis de célébrer les mérites des jardins : des grandes choses qu'il a traitées, poète heureux et chéri, il n'a cueilli que la fleur, ne nommant que quinze espèces de vignes, trois d'oliviers, autant de poiriers, le citronnier, et passant tout le reste sous silence.

II. [1] Par quoi commencerions-nous de préférence à la vigne ? Elle donne à l'Italie une supériorité si spéciale, que par ce seul trésor, on peut le dire, elle l'emporte sur les trésors végétaux de tous les pays, excepté les pays à parfums; et même, quand la vigne est en fleur, aucune odeur n'est plus suave. La vigne a été à juste titre, à raison de sa grandeur, rangée chez les anciens parmi les arbres. Dans la ville de Populonium, nous voyons une statue de Jupiter faite avec un seul cep, et les siècles ne l'ont point endommagée; à Marseille, une coupe du même bois. Le temple de Junon, à Métaponte, était soutenu par des colonnes en bois de vigne. Encore aujourd'hui on monte sur le toit du temple de Dlane d'Éphèse par un escalier fait, dit-on, avec un seul cep de vigne de Chypre ; les vignes de cette île arrivent à la plus grande taille. Aucun bois ne dure plus longtemps. Toutefois je suis porté à croire que les ouvrages dont je viens de parler ont été faits en bois de vigne sauvage.

III. [1] La vigne se taille tous les ans. On en appelle toute la force vers les sarments, ou on la repousse vers les provins ; on ne lui permet de s'échapper qu'en vue du jus qu'elle doit produire, de diverses façons suivant le climat et la nature du terrain. Dans la Campanie, on marie les vignes aux peupliers : embrassant cet époux qu'on leur donne, elles étendent le long de ses rameaux leurs tiges noueuses comme autant de bras amoureux, et en atteignent le sommet à une telle hauteur, que le vendangeur stipule, dans son marché, le prix du bûcher et du tombeau. Elles croissent sans fin, et on ne peut les séparer ou plutôt les arracher de l'arbre qui les supporte. Des vignes seules, de leurs sarments incessamment déroulés, ont entouré des maisons de campagne et des palais: Valérianus Cornélius a regardé ce fait comme un des plus curieux qu'on pût transmettre.

[3] Une seule vigne, à Rome, dans les portiques de Livie, forme une tonnelle sous laquelle on se promène à l'ombre ; la même vigne donne 12 amphores de vin ( 233 litr. ). Partout les vignes dépassent les ormeaux. On rapporte que l'ambassadeur du roi Pyrrhus, Cinéas (VII, 24), qui avait admiré la hauteur de ces vignes à Aride, dit spirituellement, en faisant allusion au goût âpre du vin, que c'était justice d'avoir pendu la mère d'un tel vin à une croix si élevée. Il est en Italie, au delà du Pô, un arbuste nommé rumbotinus (XXIV, 112), et portant aussi le nom de populus : les vignes en garnissent les larges étages circulaires, montant pour se ramifier jusqu'à l'endroit où l'arbuste se ramifie, et dispersant leurs sarments dans les digitations un peu redressées des branches de l'arbuste.

[3] D'autres, soutenues à hauteur d'homme par des échalas, se dressent, et forment un vignoble. D'autres, ardentes à étendre leurs pampres qui foisonnent, remplissent de leur vaste développement, sous la direction d'un propriétaire habile, une cour entière. Telles sont les variétés multipliées que présente la seule Italie. Dans quelques provinces la vigne se tient debout sans aucun appui, ramassant ses membres, et devenant épaisse en devenant courte.

[4] En d'autres lieux les vents ne permettent pas ce mode de culture, par exemple en Afrique et dans certaines parties de la Gaule Narbonnaise (II, 46) : empêchées de croître au delà des premiers bourgeons (XVII, 35, 26), et toujours semblables aux plantes que l'on travaille avec le hoyau, elles rampent sur le sol comme des herbes, et pompent par leurs grappes le suc de la terre ; ces grappes, dans l'intérieur de l'Afrique, dépassent  en grosseur le corps d'un enfant.

[5] Aucun raisin n'est plus agréable par sa fermeté ; c'est peut-être de là que vient ce nom de duracina qu'il porte. Les variétés, déjà innombrables par la grosseur, la couleur, le goût et le grain, se multiplient encore par les variétés du vin. Là les grappes ont l'éclat de la pourpre, ici le brillant de la rosé, ailleurs un reflet verdoyant. Les grappes blanches et noires sont communes. Les bumastes sont gros comme des mamelles. Les dactyles ont des grains très allongés. La nature, qui se joue, attache à de très grandes vignes de petits raisins doux et d'un goût délicieux; on les nomme leptorages (grain-menu).

[6] Des raisins durent tout l'hiver, suspendus au plancher par un nœud. D'autres, tout frais cueillis, sont mis, sans plus, dans des vases de terre qu'on enferme dans des tonneaux, et qu'on entoure de marc de raisin tout suant. D'autres reçoivent, de la fumée des forges, la saveur agréable que cette fumée communique aux vins : l'empereur Tibère donna la vogue aux raisins fumés dans les forges d'Afrique. Avant lui, on servait au premier service les raisins de Rhétie et ceux du Véronais. La dessiccation produite par le soleil a fait donner aux raisins secs le nom qu'ils portent. On confit aussi des raisins dans du moût, et on les enivre de leur propre vin. D'autres, bouillis dans du moût, s'adoucissent.

[7] D'autres restent suspendus sur la tige jusqu'à une nouvelle pousse, aussi transparents que du verre. L'astringence de la poix versée sur le pédicule de la grappe donne aux grains ce corps et cette durée que, mise dans les tonneaux et les amphores, elle donne aux vins. Au reste, on a trouvé un raisin qui, sans apprêt, fournit un vin à saveur de poix ; c'est un raisin célèbre du Viennois (XIV, 4-, 6 ; XXIII, 24 ); les territoires des Arvernes, des Séquanes et des Helves s'en sont enrichis récemment; il n'était pas connu à l'époque de Virgile, mort il y a quatre-vingt-dix ans.

[8] Ajouterai-je qu'au sein des camps la vigne, dans la main du centurion, est la garde de l'autorité suprême et du commandement? qu'elle est la récompense opime qui, par un lent avancement, mène du dernier rang jusqu'à l'aigle ? et que, même dans le châtiment des fautes, elle est une distinction ? Les vignobles ont donné aussi l'idée de machines de siège. Quant aux applications médicales, la vigne y tient une place si considérable, qu'a eux seuls les vins sont des remèdes.

V. (II.) Démocrite, qui a déclaré connaître  toutes les espèces de vignes de la Grèce, est le seul qui ait cru que les variétés pouvaient être énumérées. Les autres auteurs ont dit qu'elles étaient innombrables, assertion qui paraîtra encore plus vraie si on considère les vins. Nous ne parlerons donc pas de toutes les espèces de vignes; nous indiquerons seulement les plus remarquables ; il y en aurait presque autant que de vignobles : il suffira de signaler les plus célèbres et celles qui ont quelque propriété singulière.

[2] Le premier rang est donné aux vignes amminéennes ( gros plant }, à cause de la fermeté et de la vitalité du vin, qui gagne en vieillissant. On en a cinq espèces. Deux s'appellent sœurs : la petite sœur a le grain plus petit, passe mieux la floraison, supporte les pluies et les mauvais temps. Il n'en est pas de même de la grande sœur; toutefois, cette dernière souffre moins, mariée aux arbres que mise en treille. Deux autres portent le nom de jumelles, parce que les grappes y viennent toujours deux à deux ; le vin a un goût très âpre, mais une grande force. De ces deux dernières la plus petite souffre du vent du midi, tandis que les autres vents la nourrissent, par exemple sur le mont Vésuve et les collines de Surrente; dans les autres parties de l'Italie, on la in; inr toujours à des arbres. La cinquième espèce se nomme laineuse ; elle est tellement revêtue de duvet, que nous ne devons pas nous étonner des arbres à laine de la Sérique ou de l'Inde ; c'est la première des vignes amminéennes qui mûrisse ; le raisin en pourrit très promptement.

[3] Le second rang appartient aux vignes nomentanes, dont le bois est rouge ; aussi quelques-uns les ont-ils appelées vignes rouges : elles donnent moins de vin, à cause d'un excès de marc et de lie. Elles résistent très bien aux frimas ; la sécheresse leur fait plus de mal que la pluie, la chaleur que le froid ; aussi les préfère-t-on dans les localités froides et humides. Celle qui a le grain plus petit produit davantage ; celle qui a la feuille fendue produit moins.

[4] Les vignes apianes (le muscat) ont reçu ce surnom des abeilles, qui en sont très friandes. On en a deux espèces; elles sont couvertes aussi de duvet; ce qui les distingue, c'est que l'une mûrit plus rapidement, quoique l'autre soit hâtive aussi. Elles ne craignent pas les localités froides; et Cependant aucune ne pourrit plus vite par la pluie. Le vin qu'elles produisent, doux d'abord, prend de l'âpreté avec les années : c'est la vigne que l'on cultive le plus en Étrurie. Telles sont les plus célèbres vignes propres à l'Italie et originaires de cette contrée ; les autres ont été transportées de Chios ou de Thasos.

[5] La petite grecque n'est pas inférieure en bonté aux vignes amminéennes; le grain en est extrêmement tendre, et la grappe si petite, qu'il n'y a de profit à la cultiver que dans un sol très gras. L'eugénie, dont le nom indique la bonté, est venue des coteaux de Taurominium ; elle n'a réussi que dans le territoire d'Albe; transplantée ailleurs, elle dégénère aussitôt. En effet, quelques vignes ont un tel amour pour le sol qui les a portées, qu'elles y laissent toute leur gloire, et ne passent nulle part ailleurs tout entières.

[6] C'est ce qui arrivée pour la vigne rhétique et pour la vigne allobrogique, que plus haut (XIV, 3, 7 ) nous avons appelée poissée ; célèbres dans leur patrie, ailleurs elles ne sont pas reconnaissables. Toutefois, productives, elles compensent la bonté par l'abondance. L'eugénie aime les lieux brûlants, la rhétique, les lieux tempérés, l'allobrogique, les lieux froids : cette dernière mûrit par la gelée, et le fruit en est noir. Les vins provenant des vignes que nous avons jusqu'à présent énumérées, même des vignes à raisin noir, passent en vieillissant à la couleur blanche. Les autres vignes n'ont pas de renom.

[7] Quelquefois cependant, grâce au ciel ou au sol, les vins se conservent, par exemple les vins de la vigne fécenienne et ceux de la vigne biturique, qui fleurit en même temps, mais dont le grain est moins serré. La fleur de
ces vignes n'est pas sujette à couler, parce qu'elles sont hâtives et qu'elles résistent aux vents et aux pluies; cependant elles sont meilleures dans les lieux froids que dans les lieux chauds, dans les lieux humides que dans les lieux privés d'eau. La visule produit plus de bois que de fruit ; elle supporte mal les variations atmosphériques, mais
elle résiste bien à une température continue soit en froid, soit en chaud. Dans cette espèce la plus petite est la meilleure; mais, difficile sur le choix du terroir, elle pourrit dans un sol gras et ne vient pas du tout dans un sol maigre; il faut à sa délicatesse un terrain moyen, aussi est-elle commune sur les collines du pays des Sabins. Le raisin n'en est pas beau, mais il a un goût agréable. Si on ne cueille pas la grappe juste au point de la maturité, elle tombe même avant de pourrir. La grandeur et la dureté des feuilles la protègent contre la grêle.

[8]  Les helvoles sont remarquables par leur couleur entre le pourpre et le noir, couleur qui, variant souvent, leur a fait donner par quelques-uns le nom de variane. Des deux espèces d'hevoles, on préfère la plus noire. Toutes deux produisent de deux années l'une ; mais le vin est d'autant meilleur que la récolte est moins abondante. La vigne précie se divise aussi en deux espèces, que l'on distingue par la grosseur des grains ; elle donne beaucoup de bois ; le raisin est très bon à être conservé dans les amphores ; la feuille est semblable à l'ache. Les habitants de Dyrrachium célèbrent la basilique, qu'en Espagne on nomme cocolobis. La grappe est moins serrée, et résiste aux chaleurs et aux vents du midi ; son vin porte à la tête : cette vigne en donne beau coup. Les Espagnols en distinguent deux espèces, l'une à grains oblongs, l'autre à grains ronds; c'est la vigne qu'on vendange la dernière.

[9] Plus la cocolobis est douce, plus elle vaut. Celle qui a un goût astringent devient douce en vieillissant, et celle qui fut douce devient astringente avec le temps ; alors ce vin rivalise avec celui d'Albe : on dit que c'est le meilleur pour les affections de vessie. L'albuelis produit davantage au haut des arbres, la visule au pied : aussi, plantées autour des mémes arbres, elles doublent le produit, grâce à la diversité de leur nature L'inerticule, qu'on appellerait plus justement sobre, donne un raisin noir; le vin en est recommandable, surtout quand il est vieux ; fort, il ne fait point de mal ; c'est le seul qui n'enivre pas.

[10] L'abondance des produits est ce qui fait le mérite d'autres vignes, et la première à ce titre est l'helvénaque. Il y en a deux espèces : la plus grosse, que quelques-uns appellent longue; le plus petite, qu'on nomme émarque : celle-ci n'est pas aussi abondante, mais le vin en est plus agréable à boire; on la distingue à sa feuille arrondie. Mais elles sont toutes deux grêles; il faut en soutenir les branches avec des fourches, autrement elles ne peuvent porter leurs produits Elles se plaisent aux brises de mer; elles haïssent la rosée

[11] Aucune vigne n'aime moins l'Italie; elle y est peu fournie, petite ; elle y pourrit ; le vin même qu'elle y produit ne passe pas l'été ; aucune autre ne vient mieux dans un sol maigre. Gracinus, qui du reste a copié Corn. Celse, pense que c'est non la nature de cette vigne, mais le mode de culture provoquant la pousse exagérée des sarments, qui l'empêche de réussir en Italie, et que cela en absorbe la fertilité, à moins qu'un terroir très gras n'en prévienne l'épuisement. On dit qu'elle n'est pas sujette au charbon (XVII, 37, 5)  ; grande qualité, s'il est vrai qu'il y ait une vigne
indépendante des influences célestes.

[12] La vigne spionienne, que quelques-uns appellent spinéenne, supporte la chaleur ; l'automne et les pluies la nourrissent ; elle est même la seule que les brouillards développent; aussi est-elle particulière au territoire de Ravenne. La vénicule est une de celles qui passent le mieux la floraison ; son raisin est très bon à conserver dans des pots. Les Campaniens préfèrent l'appeler sircule, d'autres stacule. Terracinea la vigne numisiane, sans qualités propres, et qui ne vaut qu'autant que vaut le sol ; le vin, mis dans des cruches de Surrente (XXXV, 46 ), en est très bon, mais jusqu'au Vésuve. La, en effet, est la murgentine (III, 14), la meilleure de celles qui viennent de Sicile ; quelques-uns la nomment pompéienne ; elle ne produit beaucoup que dans le Latium. De même î'horconienne, dans la Campanie; elle n'est bonne qu'à manger, mais elle donne considérablement. La mœrique subsiste pendant des années, et résiste parfaitement a toutes les influences des constellations ; le raisin en est noir, le vin rougit en vieillissant.

[13]  (III.) Jusqu'à présent nous avons parlé des espèces généralement répandues. Les autres appartiennent à des contrées, à des localités, ou sont le produit de la greffe. Ainsi la tudernis et la florence-tudernis sont particulières à la Toscane. A Aretium, la talpane, l'étésiaque et la conséminie sont excellentes. La talpane noire donne un vin blanc ; l'étésiaque est trompeuse ; plus elle rapporte, plus le vin est bon; mais, chose singulière, la fécondité la lasse. La conséminie noire fournit un vin très-peu durable, mais le raisin l'est beaucoup ; on la vendange quinze jours plus tard qu'aucune autre; elle donne beaucoup, et le raisin en est bon à manger ;

[14] les feuilles, comme celles de la vigne sauvage, prennent une couleur de sang avant de tomber. Cela se voit dans quelques autres vignes, et c'est un indice d'une qualité très mauvaise. L'irtiole est particulière à l'Ombrie, au Mévanate et au Picénum ; la pumule, au territoire d'Amiterne. Dans ces mêmes territoires est la bannanique, qui est trompeuse, et qu'on aime cependant. La ville de Pompéies (III, 9 ) a donné le nom à la vigne pompéienne, qui toutefois est plus féconde dans le terroir de Clusium. La tiburtine est ainsi appelée de Tibur (III, 17), territoire où l'on vient de trouver l'oléagine, ainsi nommée de sa ressemblance avec l'olive ; c'est la dernière espèce découverte.

[15] Les Sabins et les Laurentes (III, 9 ) connaissent seuls la vinaciole. Les vignes du mont Gaurus (III, 9 ; XIV, 8, 9), qui sont un plant venu de Falerne, se nomment, je le sais, falernes ; les plants de Falerne dégénèrent rapidement partout. Quelques-uns aussi ont fait une espèce tarentine (XIV, 8, 9), dont le raisin est très doux. La capoias, la bucconlatis et la tarrupie, sur les coteaux de Thurium, ne se vendangent pas avant les gelées. Pisé a la vigne pharienne ; Modène a la prusinienne, dont le grain est noir et dont le vin blanchit au bout de quatre ans. Chose singulière il est un raisin qui suit le soleil dans son mouvement, nommé streptos pour cela. En Italie, on aime la vigne des Gaules; celle du Picénum, au delà des Alpes. Virgile (Géorg., II, 91 ) a nommé la thasienne, la maréotide et la lagée, et plusieurs vignes étrangères qu'on ne trouve pas en Italie.

[16] L'ambrosiaque et la duracine (xiv, 3, 5) sont remarquables non par le vin, mais par le raisin, qui peut se garder sur le cep même, sans être mis dans des pots ; tant il résiste aux froids, aux chaleurs et aux mauvais temps! L'orthampélos (XIV, 3, 3) n'a besoin ni d'arbre ni d'échalas, elle se soutient elle-même: il n'en est pas de même de la dactylide, qui n'est pas plus grosse que le doigt. La colombine est de celles qui ont les plus grosses  grappes, et surtout la colombine pourpre, surnommée bimammie;car les grappillons sont non pas des grappillons, mais autant d'autres grappes.

[17] Nommons encore la tripédanée (de trois pieds), dont le  nom vient des dimensions de la grappe; la scirpule au grain ridé; et la rhétique, ainsi nommée dans les Alpes maritimes, et différente de la rhétique dont il a été parlé plus haut (XIV, 3, 6). La grappe en est courte, à grains serrés, donnant un mauvais vin, mais ayant la peau extrêmement fine, un seul pépin très- petit qu'on nomme chius, et un ou deux grains très gros. Il y a encore l'amminéenne noire, qu'on appelle syriaque. L'espagnole est la meilleure des espèces inférieures.

[18] On met en treille les espèces de table : parmi les duracines, les blanches et les noires; les bumastes noires et blanches, et, parmi les vignes non encore nommées, la vigne d'Égium (IV, 6), la rhodienne et l'onciale, dénomination propre à donner une idée de la pesanteur du grain; la picine, qui est la plus noire de toutes ; la stéphanitis, qui, par un jeu de la nature, a la forme d'une guirlande, les feuilles étant entrelacées parmi les grains ; les vignes appelées foraines, venant vite, se vendant sur la bonne mine, et aisées à transporter. On rebute, au contraire, même à sa vue seule, la cendrée, la rabuscule et l'asinusque; on rebute moins l'alopécis, qui imite la queue du renard.

[19] On nomme alexandrine âne vigne qui vient autour de Phalacra [dans la Troade]; elle est petite, les branches ont une coudée, le grain est de la grosseur d'une fève, le pépin est tendre et très petit, les grappes sont obliques et très douces, la feuille est petite, ronde et sans divisions. On a trouvé, il y a sept ans, à Alba HeIvia, dans la province Narbonnaise, une vigne dont la floraison passe en un jour, ce qui la met grandement à l'abri des accidents. On la nomme narbonique; aujourd'hui toute la province en fait des plants.

V. (IV.)Caton l'ancien, tant illustré parle triomphe et la censure, mais surtout par sa gloire dans les lettres, et par le soin qu'il a pris de donner à la race romaine des préceptes sur tous les objets d'utilité et principalement sur la culture des terres ; Caton l'ancien, cultivateur excellent et sans rival, de l'aveu de son siècle, n'a nommé que peu d'espèces de vignes ; et les noms de quelques- unes sont déjà oubliés. Il faut citer à part, dans toute sa teneur, le passage, pour faire connaître quels étaient les plants les plus renomma l'an 600 de Rome, vers la prise de Carthage et de Corinthe, temps auquel il mourut; et combien la civilisation a fait de progrès depuis) deux cent trente ans.

[2] Voici ce qu'il a dit des vignes et des raisins (De re rust., cap. vi) : « Dans les terrains les plus favorables à la vigne et exposés au soleil, plantez le petit amminéen, les deux eugénies, et le petit helvin. Dans les terrains plus gras et plus sujets aux brouillards, plantez le grand amminéen, ou le murgentin, ou l'apicius de Lucanie. Les autres vignes s'accommodent indifféremment de tous les terroirs. On en fait très bien de la piquette. Les duracins et les gros amroinéens sont bons à suspendre au plancher, ou, exposés dans une forge, se conservent bien comme raisins secs. » Il n'y a pas là-dessus de préceptes plus anciens en langue latine ; tant nous sommes voisins de l'origine des choses!

[3] La vigne amminéenne dont il vient d'être parlé est nommée scantienne par Varron. Notre temps a offert peu d'exemples d'une habileté consommée ; c'est une raison pour ne pas omettre de citer des exemples qui feront connaftre les profits; le profit en toute chose est ce que l'on considère le plus. Acilius Sthénélus, fils d'un affranchi plébéien, s'est acquis beaucoup de gloire par la culture d'un vignoble dans le territoire de Nomente, lequel n'avait pas plus de soixante jugères (15 hect. ), et qu'il vendit 400,000 sesterces (84,000 fr.). Vetulenus Aegialus, également fils d'un affranchi, a eu aussi, dans la campagne de Liternum (III, 9), en Campanie, un grand renom, que la faveur publique accroissait encore, car il cultivait le lieu d'exil de Scipion l'Africain.

[4] Mais celui dont la célébrité a été la plus grande, c'est, par l'aide du même Sthénélus, Rhemmius Palœmon, grammairien renommé, qui acheta, il y a vingt ans, une campagne au prix de 600,000 sesterces (126,000 fr.) dans le même territoire de Nomente, à dix milles de Rome. On connaît le bas prix de toutes les propriétés dans la banlieue; et cette propriété s'était encore vendue moins que les autres, attendu qu'elle avait été négligée, et qu'elle était située en un fonds qui même, dans les plus mauvais terroirs, n'aurait pas été estimé bien haut. C'est là le domaine qu'il entreprit d'exploiter, non en vue de faire quelque chose d'utile, mais par cette vanité extraordinaire qu'on lui a connue : les vignes furent défoncées complètement, sous la direction de Sthénélus; et le soi-disant agriculteur obtint ce résultat, à peine croyable, qu'au bout de huit ans la vendange sur pied fut adjugée au prix de 400,000 sesterces :

[6]  tout le monde courut voir les monceaux de raisin dans ces vignobles. Les voisins, pour excuser leur paresse, attribuaient ce succès à ses profondes connaissances dans les lettres; et enfin Annœus Sénèque, le premier personnage de l'époque par sa science et sa puissance, qui finit par être excessive et par l'accabler; Sénèque, qui certes n'était pas un admirateur de frivolités, s'éprit tellement de ce domaine, qu'il ne craignit pas d'accorder cette victoire à un homme qui s'en vanterait et qu'il haïssait d'ailleurs, payant, au bout d'environ dix ans, la propriété quatre fois plus qu'elle n'avait coûté. C'était une habileté digne d'être appliquée aux terroirs de Cécube et de Sétia, qui en effet ont, depuis, rendu souvent par jugère sept culéus, c'est-à-dire 140 amphores (1360 litr., 80). Et qu'on ne croie pas l'antiquité vaincue en ceci : le même Caton rapporte qu'un jugère (25 ares) produisait dix culéus (litres 1944); exemples décisifs montrant que les mers profanées, et les marchandises cherchées sur les rives de la mer Rouge ou de l'océan Indien, ne rendent pas plus au marchand, qu'à l'agriculteur une terre bien cultivée.

VI. [1] Le vin le plus anciennement célèbre est celui de Maronée (IV, 18 ), sur la côte de Thrace ; Homère ( Od., IX, 1 97 ) en parle. Je laisse de côté les fables et les traditions différentes sur les origines; je noterai seulement qu'Aristée(VII, 57, 8), du même pays, est le premier qui ait mêlé le miel au vin, deux produits naturels de première excellence. Homère a dit (Od., IX, 308) qu'il faut  mêler au Maronée vingt fois autant d'eau. Le vin de ce terrain est toujours aussi généreux et d'une force aussi indomptable.

[2] Mucianus, trois fois consul, un de nos derniers auteurs, a vu, se trouvant sur les lieux, mêler à un setier (0 litr., 54) de vin quatre-vingts setiers d'eau ; il ajoute que ce vin est noir, parfumé, et devient gras en vieillissant. Le vin pramnien, qu'Homère (IL, CI, 639) a vanté, est encore en honneur; il vient dans le territoire de Smyrne, autour du temple de la Mère des dieux. Parmi les autres on n'en cite aucun qui ait eu jadis de la célébrité. Tous les vins furent bons l'année du consulat de L. Opimius (XXXIII, 14), année où fut tué C. Gracchus, tribun, agitant le peuple par des séditions : il y eut alors cette température qui cuit, comme on dit, le raisin, par l'action du soleil ;

[3] c'était l'an de Rome 633 (II,29; XIV, 16) ; et l'on conserve encore de ces vins, qui ont par conséquent près de deux cents ans, et qui sont devenus comme un miel de goût amer. C'est là, en effet, la propriété des vins très vieux ; on ne peut les boire purs, il faut y mêler de l'eau, qui en dompte l'amertume, fruit de la vieillesse (XXIII, 22). Mais une très petite quantité de ces vins suffit pour bonifier les autres vins. Mettons, d'après l'évaluation du temps d'Opimius, le prix de l'amphore (19 litr., 44) à 100 sesterces (21 fr. ); il faut donc calculer l'intérêt composé de 100 sesterces à 6 pour 100, intérêt modique et légal, au bout de cent soixante ans, pour avoir le prix, sous le règne de Caligula, fils de Germanicus, du douzième d'amphore en vin opimien ; nous l'avons fait voir par un exemple célèbre, en racontant la vie du poète Pomponius Secundus (VII, 18) et le repas qu'il donna à ce prince. Tant il dort de capitaux dans les celliers!

[4] Aucun ne croît plus de valeur jusqu'à la vingtième année, et, à partir de là, ne devient plus coûteux, attendu que le prix n'augmente pas. Rarement, en effet, on a vu des gens, et encore des débauchés prodigues, mettre mille sesterce (210 fr.) à une amphore. Les Viennois seuls ont, dit-on, vendu plus cher leurs vins poissés, dont nous avons parlé (XIV, 3), mais entre eux, et, pense-t-on, par amour-propre national. Ce vin, bu frais, passe pour être de qualité plus froide que les autres.

VII. (V.) [1] La propriété du vin est, pris en boisson, de faire éprouver un sentiment de chaleur intérieure; administré en irrigation extérieure, de rafraîchir. Il ne sera pas hors de propos de rapporter ici ce qu'Androcyde, célèbre par sa sagesse, écrivit à Alexandre le Grand, pour mettre un frein à l'intempérance de ce prince : " Quand vous allez boire du vin, ô roi, souvenez- vous que vous buvez le sang de la terre ! la ciguë est un poison pour les hommes, le vin est un poison pour la ciguë (XXIII, 23 ; XXV, 95 ). » Si Alexandre eût suivi ces conseils, il n'aurait pas, dans l'ivresse, tué ses amis. En définitive, ou peut dire avec raison que si rien n'est plus utile pour fortifier le corps, il n'est pas non plus de plaisir plus fatal si on ne sait se garder de l'excès.

VIII. (VI.) [1] Parmi les vins, qui doute que les uns soient plus agréables que les autres, ou que des vins issus de la même cuvée ne présentent des différences de qualité, soit à cause de l'amphore, soit par quelque circonstance fortuite? En conséquence, que chacun se fasse juge de la primauté. Livie Augusta, qui vécut quatre- vingt-deux ans, attribuait sa longévité au vin de Pucinum (III, 22 ) ; elle n'en buvait pas d'autre : il vient près du golfe Adriatique, non loin du Timave, sur une colline rocailleuse, où le vent de mer n'en mûrit qu'un petit nombre d'amphores; on le regarde comme le meilleur pour les usages médicaux.

[2] Je suis porté à croire que c'est ce vin du golfe Adriatique auquel les Grecs ont donné, sous le nom de Précien, de merveilleuses louanges. Le dieu Auguste préférait à tous les autres le vin de Sétia; presque tous les princes ses successeurs ont suivi son exemple, l'expérience ayant fait voir qu'avec cette liqueur il n'y a guère d'indigestions malfaisantes. Il vient au-dessus de Forum Appii (III, 9, 11 ). Auparavant le cécube  (III, 9, 7) jouissait de la réputation d'être le vin le plus généreux ; il venait dans des lieux marécageux, plantés de peupliers, autour du golfe d'Amycle : ce vignoble a disparu, grâce à l'insouciance du cultivateur, à sa petite étendue, et encore plus à cause du canal navigable que Néron avait entrepris de creuser du lac de Baies à Ostie.

[3] Le second rang était donné au falerne, et surtout au Falerne faustien. Le mérite en était dû au soin et à la culture; il baisse aujourd'hui, attendu qu'on vise plus à la quantité qu'à la qualité. Le vignoble de Falerne commence au pont de Campanie. à gauche, quand on va à Urbana, colonie de Sylla, récemment attribuée au ressort de Capoue; le vignoble faustien est à environ quatre milles d'un bourg voisin de Cédies (XI, 97), lequel bourg est éloigné de six milles de Sinuessa. Aucun vin n'a plus de vogue; il est le seul qui prenne feu. On en distingue trois espèces : l'astringent, le doux et le léger. Quelques-uns, faisant d'autres distinctions, disent que le gauran (XIX, 4. 15) vient sur le haut des coteaux, le faustien au milieu, et le Falerne au bas. Il ne faut pas oublier qu'aucun de ces vins célèbres ne provient d'un raisin agréable au goût

[4] Au troisième rang étaient divers vins d' Allie, dans le voisinage de Rome, très doux et rarement joignant de l'astringence à cette douceur, et les vins de Surrente, qui ne viennent que sur échalas, très bons pour les convalescents, à cause de leur légèreté et de leurs qualités bienfaisantes. L'empereur Tibère disait que les médecins s'étaient accordés pour donner de la célébrité au vin de Surrente, mais que ce n'était qu'un bon vinaigre; Caligula, son successeur, l'appelait une piquette renommée.

[5] Le troisième rang est encore disputé par les vignobles massiques, qui, du haut du mont Gaurus, regardent Putéoles et Baies. Quant au vin de Stata dans le voisinage de Falerne, il a eu autrefois le premier rang: cela n'est pas douteux, et prouve manifestement que les terroirs ont leurs époques, comme les choses ont leur croissance et leur décadence. On lui préférait d'ordinaire les vins de Cales (III, 9, 7), qui en sont voisins, et ceux de Fond! (III, 9, 6), qui viennent sur des vignes échalassées ou mariées à des arbustes. On estimait aussi les vins de Véliterne et de Priverne, dans le voisinage de Rome. Quant à celui de Signia, il a une astringence excessive, qui le rend propre à resserrer le ventre, et qui le fait ranger parmi les substances médicamenteuses.

[6] Le quatrième rang fut donné dans les repas publics au mamertin par le dieu Jules [César], qui le premier le mit en faveur, comme on le voit dans ses lettres. Le mamertin vient dans les environs de Messine en Sicile; et le potulan, ainsi nommé du nom du premier cultivateur, est la variété qu'on estime le plus dans la portion de la Sicile voisine de l'Italie. Le vin de Tanrominium, sicilien aussi, a du renom, et on en fait passer les bouteilles pour du mamertin.

[7] Parmi les autres vins, on cite, sur la mer Supérieure, ceux de Praetuffa (III, 18) et d'Ancône, et les vins nommés palmésiens (III, 18), peut-être à cause d'un palmier Dé par hasard dans le même lieu. Dans l'intérieur des terres sont les vins de Césène (III, 20) et ceux de Mécène ; dans le Véronais, les vins rhétiques, auxquels Virgile (Géorg., II, 95j) ne préfère que le falerne ; au fond du golfe, les vins d'Adria (III 20); sur les bords de la mer Inférieure, les vins latiniens, de Gravisque,  de Statonie. Luna a la palme parmi les vins de l'Étrurie, Gênes parmi ceux de la Ligurie

[8] Entre les Pyrénées et les Alpes, Marseille produit deux vins; l'un, plus épais, et, comme on dit, succulent, sert à préparer les autres La réputation  du vin de Béziers ne s'étend pas au delà des Gaules. Quant aux autres que produit la province Narbonnaise, on ne peut rien en dire : les vignerons de ce pays ont établi des fabriques de cette denrée, et ils fument leurs vins; et plût au ciel qu'ils n'y introduisissent pas des herbes et des ingrédients malfaisants! N'achètent Ils pas de l'aloès, avec lequel ils en altèrent le goût et la couleur?

[9] Les régions de l'Italie éloignées de la mer Ausonienne ne manquent pas de vins renommés : les vins de Tarente, ceux de Servitie, ceux de Consentia (III, 10), ceux de Tempsa, ceux de Babie, ceux de Lucanie, parmi lesquels les vins de Thurium ont la prééminence. Mais le plus célèbre de tous, parce que Messala en a usé et lui a dû la santé, c'est le vin de Lagarie, qui vient non loin de Grumentum (III 10). Dernièrement, en Campanie de nouveaux crus, soit par une bonne culture, soit par le hasard, sont devenus célèbres ; ce sont, à quatre milles de Naples, le vin trébellique, le vin Caulin près de Capoue, le vin du territoire de Trébule (III, 9); au reste, la Campanie s'est toujours glorifiée du trifolin parmi les vins communs. Les vins de Pompéies (III, 9 ) sont arrivés à toute leur bonté au bout de dix ans; ils ne gagnent rien en vieillissant davantage;

[10] ils ont l'inconvénient de causer de la douleur de tête jusqu'au lendemain vers le milieu de la journée. Ces exemples, si je ne me trompe, prouvent que ce qui importe c'est la contrée et le terroir, non le raisin; et qu'il est superflu de chercher a énumérer les espèces, puisque la même vigne, transplantée, donne des produits différents. Les vignobles laletans (III, 4), en Espagne, sont renommés par l'abondance de vin qu'ils donnent; ceux de Tarragone et de Lauron, par leurs qualités de choix : ceux des îles Baléares sont comparés aux premiers vins d'Italie. La plupart des lecteurs penseront, je ne l'ignore pas, que j'ai fait bien des omissions, car chacun juge son vin le meilleur ; et partout où l'onva l'on entend le même conte, à savoir, qu'un affranchi du dieu Auguste, gourmet du palais le plus fin, chargé de déguster les vins de la table impériale, dit en pays étranger, à celui qui logeait l'empereur, au sujet du vin du cru : « Le goût de ce vin m'est nouveau, et n'est pas de première qualité; cependant l'empereur n'en boira pas d'autre. " Je ne nierai pas, non plus, qu'il y en a d'autres dignes de réputation ; mais les vins que j'ai énumérés sont ceux qui ont pour eux le suffrage du temps.

IX. (VII.) [1] Maintenant nous exposerons de la même manière les vins d'outre-mer. Après les vins nommés par Homère et dont nous avons parlé ( XIV, 6 ), les plus célèbres ont été celui de Thasos, celui de Chios, et, parmi les vins de Chios, celui qu'on nomme arvisien. A côté prit place le vin de Lesbos, par l'autorité d'Érasistrate, très grand médecin, vers l'an de Rome 450. Maintenant le plus recherché est celui de Clazomène (V, 3l), depuis qu'on y mêle moins d'eau de mer. Le vin de Lesbos a le goût d'eau de mer naturellement. Celui du mont Tmolus (V, 30) n'est pas estimé pour lui-même comme boisson, mais à cause de sa douceur. On le mêle aux autres pour en tempérer la dureté, et en même temps il les vieillit; car aussitôt après le mélange ils paraissent plus âgés.

[2] Après viennent ceux de Sicyone, de Chypre, de Telmesse, de Tripoli, de Béryte, de Tyr, et le sebennytique : ce vin, qui vient en Égypte, y est célèbre ; il est fourni par trois espèces de raisin, le thasien (XIV, 22), l'aethale et le peucé. Puis on estime l'hippodamantien, le mystique, le cantharite, la mère-goutte du vin gnidien, le catacecauménite (en Méonie ), le pétrite, le myconien (IV, 22 ) : quant au mésogite (mont Tmolu)s, il est reconnu qu'il cause des douleurs de tête ; l'éphésien n'est pas non plus bienfaisant, parce qu'on y mêle de l'eau de mer et du vin cuit. Le vin d'Apamée (V, 29) est, dit-on, très bon pour faire du vin miellé, qualité que possède aussi le praetutien en Italie. Il faut en effet remarquer cette particularité, que le mélange de deux substances douces ne donne pas un bon résultat. Le protagion est oublié; les écoles d'Asclépiade l'avaient mis à côté des vins italiens. Le médecin Apollodore, dans le livre où il a indiqué au roi Ptolémée les vins qu'il devait boire (à cette époque les vins d'Italie n'étaient pas connus), a vanté le naspercénite dans le Pont, puis l'oretique (IV, 20), l'œnéate, le leucadien, l'ambraciote, et, celui qu'il préfère à tous, le vin de Péparèthe (IV, 23) ; mais il dit que ce dernier jouit d'une moindre réputation, parce qu'il ne plaît qu'après six ans.

X. (VIII.) [1] Quittons maintenant les vins dont la bonté est due au terroir. En Grèce, le vin qu'on nomme bios (vie), et qui s'emploie dans plusieurs maladies, comme nous le dirons en traitant de la médecine (XXIII, 26), est très célèbre à juste titre. Il se prépare de la façon suivante : le raisin, cueilli un peu avant la maturité, est séché à un soleil vif; on le tourne trois fois par jour pendant trois jours; le quatrième, on le presse; on met le vin dans des pièces, et on le laisse vieillir au soleil. Les habitants de Cos mêlent de l'eau de mer en grande quantité, invention due à un esclave qui réparait ainsi ses larcins; on l'appliqua au vin blanc nouveau, et on fit ce qu'on appelle le leuconium.

[2] Dans les autres pays, on prépare de la même manière le vin appelé tethalassomenon (mariné).  On fait le thalessite en jetant dans la mer les pièces pleines de vin nouveau ; cela vieillit le vin avant le temps.  Caton a enseigné le moyen de faire du vin de Cos avec du vin d'Italie : il faut, outre la préparation indiquée, le laisser se faire pendant quatre ans au soleil.  Le vin de Rhodes est semblable à celui de Cos ; le phorinéen est plus salé.  On estime que tous les vins transmarins sont en six ou sept ans arrivés à une vieillesse moyenne.

XI. (IX) [1] Les vins doux sont peu odorants ; plus le vin est léger, plus il est odorant.  les vins ont quatre couleurs : blanche, jaune, rouge, noire.  le psythien et le mélampsythien sont des espèces de vins cuits; Ils ont une saveur spéciale,  et non celle du vin. Le scybilite et l'aluntium ( III, 14, 4) ont le goût du vin doux; le premier vient en Galatie, le second en Sicile. Quant au siréen, nommé sapa par les Latins, et hepsema ailleurs, c'est le produit de l'art et non de la nature : on le prépare en faisant bouillir du moût jusqu'à ce qu'il soit réduit au tiers; quand il est réduit à moitié, nous l'appelons defrutum. Tous ces vins ont été imaginés pour falsifier le miel ; mais ceux dont nous avons parlé d'abord sont dus seulement au raisin et au terroir. Après le vin cuit de Crète, on fait cas de celui de Cilicie et de celui d'Afrique, tant dans l'Italie que dans les provinces limitrophes.

[2] Il est certain qu'on le fait avec le raisin que les Grecs nomment sticha, et que nous nommons apian (XIV, 4) ; on le fait  aussi avec le scirpule (XIV, 4) ; on laisse longtemps le raisin sur pied se confire aux rayons du soleil, ou on le trempe dans l'huile bouillante. Quelques-uns le font avec tout raisin blanc doux, pourvu qu'il soit très mur; ils le sèchent au soleil, jusqu'à ce que le poids soit réduit d'un peu moins de moitié; ils l'écrasent et l'expriment doucement; ensuite ils versent sur le marc de l'eau de puits en quantité égale au jusqu'ils ont retiré, ce qui produit le vin cuit de seconde qualité. Les fabricants plus soigneux font, il est vrai, sécher le raisin de la même manière, mais ils l'égrènent, l'humectent, ainsi débarrassé de son bois, avec du vin excellent, jusqu'à ce qu'il se gonfle, puis ils le pressent. Cette espèce de vin cuit est estimée plus que les autres; en ajoutant de l'eau comme pour la précédente, on obtient le via cuit de secode qualité.

[3] L'aïgleucos des Grecs (ce qui signifie : toujours moût) tient le milieu entre les substances douces et le vin ; il est dû au soin qu'on prend de l'empêcher de fermenter (on.appelle fermentation la transformation du moût en vin) : le moût tiré de la cuve et mis dans les pièces est plongé immédiatement dans l'eau, jusqu'à ce que le solstice d'hiver ait passé et que la saison des gelées soit venue. Il y a aussi une espèce d'aïgleucos naturel, qui est nommé doux par les habitants de la province Narbonnaise, et spécialement par les Vocontiens.

[4] Pour le faire, on conserve longtemps le raisin sur pied, en tordant le pédicule de la grappe. D'autres fendent le sarment même jusqu'à la moelle; d'autres fout sécher le raisin sur des tuiles. Il n'y a que la vigne helvénaque (XIV, 3) qui soit employée à cet usage. Quelques-uns ajoutent à la liste de ces vins doux ce qu'on nomme diachyton : on le fait en séchant les raisins dans un lieu clos pendant sept jours sur des claies à sept pieds du sol, à l'abri, la nuit, de la rosée, et en les foulant le huitième jour; cette préparation, dit-on, donne un vin d'un goût et d'une odeur excellente. Le mélite est aussi du genre des vins doux ; il diffère du vin miellé en ce qu'il est fait avec du moût : on mêle cinq congés (16 litr., 20) de moût astringent, un congé (3 litr., 24) de miel et un cyathe (0 litr., 045) de sel, qu'on a fait bouillir ensemble;, il est astringent. Parmi ces boissons je dois placer aussi le protrope; quelques-uns appellent ainsi le moût qui s'écoule spontanément avant qu'on ait foule le raisin. On le met aussitôt en bouteilles, on l'y laisse passer la fermentation ; puis on le laisse cuire au soleil pendant quarante jours de l'été suivant, au lever même de la Canicule.

XII. (X.) [1] On ne peut appeler véritablement via'- ce qui est nommé par les Grecs deutéria, par Caton et nous lora (piquette), qu'on prépare en faisant macérer du marc de raisin dans l'eau : cependant on compte la piquette parmi les vins d'ouvrier. Il y en a trois espèces. Première espèce : on ajoute en eau la dixième partie du moût qui a été exprimé ; dans cet état on laisse macérer le marc pendant un jour et une nuit, et on le soumet de nouveau au pressoir. Seconde espèce, c'est le procédé des Grecs : on ajoute en eau le tiers de ce qui a été exprimé, mais on réduit un tiers par la décoction après le pressurage. Troisième espèce : on presse la lie du vin, c'est ce que Caton appelle fœcatum (de Re rust., cap. 158). Aucun de ces vins ne dure plus d'un an.

XIII. ( XI.) [1] En écrivant ceci je remarque que sur quatre-vingts espèces célèbres en fait de vins qu'on trouve dans tout l'univers l'Italie en produit environ les deux tiers; ainsi elle l'emporte de beaucoup sur tous les autres pays. En poursuivant cette pensée, je m'aperçois que les vins de l'Italie n'ont pas été tout d'abord en faveur, (XII.) et qu'ils n'ont commencé à avoir de la réputation qu'après l'an 600 de Rome.

XIV. [1] Romulus faisait les libations avec le lait et non avec le vin ; c'est ce que montrent les rites religieux établis par lui, et que l'on observe encore aujourd'hui. La loi Postumia de Numa porte : "N'arrosez pas le bûcher avec du vin. » Il ne faut pas douter qu'il n'ait rendu cette loi à cause de la rareté du vin. Par la même loi il a défendu de faire des libations aux dieux avec du vin provenant d'une vigne non taillée; c'était afin d'obliger à tailler la vigne un peuple de laboureurs peu curieux de s'exposer sur les arbres qui la portent, M. Varron dit que Mézence. roi d'Étrurie, secourut les Rutules contre les Latins à condition qu'on lui donnerait le vin qui était alors dans le territoire du Latium.

[2] (XIII) À Rome il n'était pas 1 ] permis aux femmes d'en boire. Nous trouvons parmi les anecdotes que la femme d'Égnatius Mécénius fut tuée par son mari à coups de bâton parce qu'elle avait bu du vin au tonneau, et qu'il fut absous de ce meurtre par Romulus. Fabius Pictor, dans ses Annales, a écrit qu'une dame ayant descellé la bourse dans laquelle étaient les clefs du cellier, ses parents la firent mourir de faim. Caton dit que les parents embrassaient les femmes pour savoir si elles sentaient le temetum, c'était alors le nom du vin ; d'où vient le mot de temulentia (ivresse). Le juge Cn. Domitius prononça qu'une femme lui paraissait avoir bu plus que n'exigeait sa santé, à l'insu de son mari ; et il la condamna à la perte de sa dot. Longtemps on fut à Rome très économe de vin.

[3] L. Papirius impérator, prêt à livrer bataille aux Samnites, voua à Jupiter, s'il remportait la victoire, une petite coupe de vin. Enfin, nous trouvons la mention de dons eu setiers de lait, et non en setiers de vin. Caton, se rendant par mer en Espagne, d'où il revint avec le triomphe, dit : « Je ne bus pas d'autre vin que celui des rameurs;» bien différent de ceux qui servent à leurs convives d'autre vin que le leur, ou qui en substituent d'autres dans le cours du repas.

XV. [1] Les vins les plus estimés étaient, chez les anciens, parfumés avec de la myrrhe, comme on le voit dans la comédie de Plaute intitulée le Perse. Toutefois, il recommande d'y ajouter le calamus odoriférant (XII, 49) ; aussi quelques-uns pensent- ils que les anciens recherchaient surtout le vin aromatisé (XIV, 19, 6). Mais Fabius Dossénus décide la question par ces vers : « J'envoyais du bon vin myrrhé. » Et dans l'Acharistion : « Du pain, de vin de la polente et du vin myrrhé. » Je vois que Scœvola, Lœlius et Atteius Capiton ont été du même avis, parce qu'on lit dans le Pseudolus (act. II,  scène 4, v. 729) : « S'il est nécessaire qu'il donne quelque douceur, qu'a-t-il ? CHAR.. Tu le demandes? Du myrrhe, du vin de raisin sec, du vin cuit, du miel. » Ce qui prouve que le myrrhe était rangé non seulement parmi les vins, mais aussi parmi les friandises.

XVI. (XIV.) [1] Dès l'an 633 de Rome, on avait des celliers et on soutirait le vin, cela est démontré par le vin opimien. L'Italie commençait des lors à comprendre les avantages qu'elle possédait; cependant les espèces qui sont célèbres ne l'étaient pas encore ; aussi tous les vins produits l'année du consulat d'Opimius (XIV, 4} n'ont pas d'autre nom que celui du consul. Les vins d'outre-mer ont eu la vogue longtemps encore après, et jusqu'au temps de nos grands-pères, même après la découverte du falerne, ainsi qu'on le voit par ce vers d'un poète comique : « Je prendrai cinq de vin de Thasos et deux de vin de Falerne. » P. Licinius Crassus et L. Julius César, censeurs l'an de Rome 665, défendirent de vendre plus de huit as (40 cent.) un quadrantal (25 litr. 92 ) de vin grec et de vin amminéen : ce sont les termes du décret Le vin grec était si estimé, qu'on n'en donnait qu'un coup à boire dans un repas.

XVII. [1] M. Varron nous dit quels vins étaient les plus estimés pour la table : « L. Lucullus, enfant, ne vit jamais, chez son père, un repas même d'apparat, où l'on servit plus d'une fois du vin grec. Lui, quand il revint d'Asie, en fit distribuer en largesse au peuple plus de cent mille cadus. C. Sentius, que nous avons vu préteur, disait que  le vin de Chios n'était pas entré dans sa maison avant que le médecin ne lui eût ordonné pour la maladie cardiaque (XI, 71, 1.)

[2] Hortensius laissa à son héritier plus de dix mille cadus.  Telles sont les paroles de Varron. (XV) Hé quoi ! César dictateur, dont le repas donné pour son triomphe, n'a-t-il âs distribué à chaque groupe de convives une amphore (24 litr. 92) de Falerne, et un cadus de vin de Chio? Dans son triomphe d'Espagne, il a donné du Chios et du Falerne. Nommé épulon (prêtre chargé de fixer les repas pour les dieux) lors de son troisième consulat, il distribua du Falerne, du Chios, du Lesbos, du mamertin : c'est la première fois qu'on ait servi quatre espèces de vin. Puis tous les autres prirent la vogue vers l'an 700 de la fondation de Rome.

XVIII. (XVI.) [1] Je ne m'étonne donc pas qu'on ait imaginé, il y a des siècle», un nombre presque infini de vins artificiels, dont je vais maintenant parler : ils sont tous employés a des usages médicaux. Nous avons dit dans un des livres précédents, a propos des parfums, comment on préparait l'omphacium (XII, 6l). Avec la vigne sauvage on fait ce qu'on nomme l'œnanthia : on fait macérer deux livres de fleur de vigne sauvage dans un cadus (30 ou 40 litr. ) de moût, on transvase au bout de trente jours. En outre, la racine et les raisins de la vigne sauvage sont employés à la préparation des cuirs. Ces raisins, peu après la floraison, sont un remède de vertu singulière pour tempérer les chaleurs du corps dans les maladies; c'est, dit-on, une substance très froide : une partie meurt par l'effet de la chaleur, les autres résistent, on les appelle solsticiaux ni les uns ni les autres ne mûrissent jamais, et si avant que la grappe ne soit complètement fanée, ou la donne, cuire, a manger à la volaille, on lui ôte l'envie de toucher au raisin.

XIX. [1] Le premier des vins artificiels se fait avec le vin même; on le. nomme adyname; en voici la préparation : on prend vingt setiers (10 litr., 80) de moût blanc et dix setiers d'eau ; on fait bouillir jusqu'à ce que dix setiers se soient évaporés. D'autres mettent dix setiers d'eau de mer et dix setiers d'uni de pluie, et ils laissent le tout quarante
jours au soleil. On le donne aux malades pour lesquels on craint les effets nuisibles du vin.

[2] Le vin artificiel suivant se fait avec la graine de millet mûre : On prend une livre un quart de cette graine avec la paille, on la met dans deux congés (6 litr.,48)de moût; on laisse macérer pendant sept mois, et on transvase. Nous avons dit comment on fait du vin avec le lotus arbre, le lotus arbrisseau, et le lotus herbe (XIII, 32).

[3]  Avec les fruits on fait des vins dont nous allons parler, n'ajoutant que les explications nécessaires. D'abord on en fait avec les dattes (XIII, 9 ); les Parthes et les Indiens en usent, ainsi que tout l'Orient : on jette un muid de dattes appelées chydées, qu'on prend mûres, sur trois congés (9 litr., 72 ) d'eau; on fait macérer, et on presse. Le sycite se prépare avec la lfgue; les uns le nomment palmiprime, les autres, catorchite: si on ne veut pas qu'il soit doux, on verse, au lieu d'eau, une quantité égale de marc de raisin. Avec la figue de Chypre (XIII, 15) on fait aussi un vinaigre excellent; il est encore meilleur avec la figue d'Alexandrie. On obtient aussi du vin avec la silique du caroubier de Syrie ( XIII,16), avec les poires, et avec toutes les espèces de pommes ;

[4] on en fait avec les grenades, le vin est appelé rhoïte; on en fait avec les fruits du cornouiller, les nèfles, les sorbes, les mûres sèches, et les pignons de la pomme de pin : ces derniers se mouillent avec du moût et se pressurent; les autres sont doux par eux-mêmes. Mous exposerons tout à l'heure (XV, 37) le procédé que Caton a indiqué pour fabriquer le vin de myrte ; les Grecs ont un autre procédé : ils font bouillir des branches tendres avec leurs feuilles dans du moût blanc, ils les pilent, ils en font bouillir une livre dans trois congés (9 litr., 72) de moût, jusqu'à réduction d'un tiers. Le vin préparé de cette façon avec des baies de myrte sauvage se nomme myrtidanum; il tache les mains.

[5] Parmi les plantes cultivées dans les jardins, on fait du vin avec le raifort, l'asperge, la sarriette, l'origan, la graine d'ache (apium graveolens, L. ), l'aurone (artemisia abrotanum, L. ), le mentastre, la rue (ruta graveolens, L.), la nepète (nepeta cataria, L. ), le serpolet ( thymnus serptyllum, L. ), le marrube ( marrubium vulgare, L. ). On en met deux poignées dans un cadus ( 30 à 40 litr. ) de moût, un setier ( 0 litr., 54 ) de vin cuit, et une hémine (0 litr., 27) d'eau de mer. On fait du vin de navet en mettant deux drachmes de navet sur deux setiers de moût-, même procédé avec la racine de scille. Parmi les fleurs, celles de rosé fournissent un vin : on les pile dans un linge qu'on met ensuite dans du moût avec un petit poids, pour le faire aller au fond ; la dose est de quarante drachmes pour vingt setiers de moût ; on n'ouvre pas le vase avant trois mois. On agit de même pour le nard gaulois (valeriana celtica, L.) et pour le nard sauvage (XII, 26), qui donnent chacun un vin.

[6] Je trouve aussi qu'on a fait des vins aromatiques, dont la composition ne diffère guère de celle des parfums : d'abord, comme nous l'avons dit (XIV, 15), avec de la myrrhe, puis avec du nard celtique, du calamus odoriférant, de l'aspalathe (convolvulus scoparius, L. ) ; on fait de ces substances des masses pilées, qu'on jette dans du moût ou un vin doux. D'autres font le vin aromatique avec le calamus, le jonc odorant (andropogon schœnanthus, L. ), le costus (costus indicus, L. ), le nard de Syrie (andropogon nardus, L. ), l'amome ( XII, 42), la casia  (XII, 43 ), le cinnamome, le safran ( crocus sativus, L. ), les dattes, l'asarum (asarum europœum, L. ) ; on fait également de ces substances des masses pilées. D'autres ajoutent une demi-livre de nard et de malobathre (XII,59) dans deux conges de moût : c'est de cette façon que se fabriquent encore aujourd'hui, avec addition de poivre ou de miel, les vins nommés par les uns confits, par les autres poivrés. On parle aussi d'un vin nectarite fait avec l'herbe nommée héléoion (inula helenium, L. ) ( XXI, 91 ), ou médica, ou symphyte, ou idée, ou orestion, ou nectarée : on prend quarante drachmes de racine, on les met dans six setiers de moût, enveloppées préalablement dans un linge.

[7] Quant aux autres herbes, on fabrique le vin d'absinthe en mettant une livre d'absinthe du Pont dans quarante setiers de moût, qu'on fait bouillir jusqu'à réduction d'un tiers, ou en mettant des poignées d'absinthe dans du vin. De la même façon, on fait le vin d'hysope (hyssopus officinalis, L. ) en jetant trois onces d'hysope de Cilicie dans deux congés de moût, ou deux onces d'hysope pilé dans un congé ( 3 litr., 24 ). On obtient encore ces deux vins d'une autre manière, en semant ces plantes autour de la racine des vignes. C'est de cette dernière manière que Caton enseigne à faire l'elléborite avec l'ellébore noir (veratrum nigrum, L. ) ; c'est de cette manière que se fait le vin de scammonée. La vigne a la propriété merveilleuse de contracter la saveur des plantes voisines : ainsi, dans les lieux marécageux de Padoue, le raisin a un goût de saule ; et à Thasos on sème entre les vignes l'ellébore, ou le concombre sauvage, ou la scammonée ; le vin s'appelle phthorium, ce qui signifie abortif.

[8] On fait du vin avec des herbes dont les propriétés seront exposées en leur lieu : avec la stéchade (lavendula stœchas, L.) (XXVII, 107), la racine de gentiane (gentiana lutea, L. ) (xxv, 34), le tragorigan (thymus tragoriganum, L. ) (XX, 68), le dictamne (origanum dictamnus, L.) (XXV, 63), l'asarum (asarum europœum, L. ) (XII, 27 ), le daucus (athamanta cretensis, L. ) ( XXV, 64 ), l'élelisphacos ( une sauge ), le panax (XXV, 11, 12 et 13), l'acore (acorus calamus, L. ) (xxv, 100), le conyza (XXI, 22 ), le thym (XXI, 31), la mandragore, le jonc (andropogon schœnanthus, L. ) (XXI, 72). On trouve les noms des vins scyzin, itaeomelia, et lectisphagites, dont la recette est perdue.

[9] Les vins d'arbrisseaux se font avec les deux èdres (XIII, 11) (juniperus lycia, juniperus phœnicea, L. ), le cyprès, le laurier (XV, 39], le genévrier (juniperus communis, L.), le térébinthe (pistacia terebinthus, L.) (XIII, 82); dans les Gaules, le lentisque (pistacia lentiscus, L. ) (XII, 36). On fait bouillir les baies ou le bois récent dans du moût. On emploie de même le bois de chamélée (daphne gnidium, L. ) (xm, 35), de chamépitys (teucrium chamœpilys, L.) (xxv, 20), et de chamédrys (teucrium chamaedrys, L. ) (XXIV, 80) ; on ajoute dix drachmes de la fleur dans un congé de moût.

XX. (XVII.) [1] On fait aussi du vin avec de l'eau et du miel seulement. On recommande de conserver pour cet objet pendant cinq ans de l'eau de pluie. Des gens experts se contentent, dés qu'elle est tombée, de la faire bouillir jusqu'à réduction d'un tiers; et ils ajoutent un tiers de miel vieux ; puis ils tiennent ce mélange au soleil pendant quarante jours, à partir du lever de la Canicule. D'autres le soutirent au bout de dix jours, et bouchent les vases. On nomme cette boisson hydromel (XXII, 5 1 ), et avec le temps elle prend le goût de vin ; le meilleur hydromel est celui de Phrygie.

XXI. [1] On est allé jusqu'à mêler le miel au vinaigre (XXII, 29): que n'a pas essayé l'homme? On a donné à cette liqueur le nom d'oxymel ; dose : dix livres de miel, cinq hémines (l litr., 35) de vinaigre vieux, une livre de sel marin, cinq setiers (2 litr., 78) d'eau de pluie; on fait jeter à ce mélange dix bouillons, on transvase, et on laisse vieillir. Tous ces vins ont été condamnés par Thémison, auteur du premier ordre ; et certes on en peut regarder l'usage comme quelque chose de forcé, à moins de s'imaginer que c'est la nature qui a fait le vin aromatique, les vins composés avec des parfums, ou qu'elle a engendré les végétaux pour servir de boisson. Toutefois ce sont des efforts curieux à connaître; l'industrie humaine va tout chercher. Aucun de ces vins ne dure plus d'une année, excepté ceux qui, avons-nous dit, ont besoin de temps pour se faire; plusieurs ne se gardent même pas trente jours.

XXII . (XVIII.) [1] Le vin offre aussi des merveilles. En Arcadie est, dit-on, un vin qui rend les femmes fécondes et les hommes enragés. En Achaïe, surtout aux environs de Carynie, un vin fait avorter ; il suffit même qu'une femme grosse mange du raisin de cette vigne, qui cependant ne diffère pas des autres raisins par le goût. On assure que ceux qui boivent du vin de Trézène n'engendrent pas. Thasos produit, dit-on, deux espèces de vin à propriétés contraires : l'un provoque, l'autre chasse le sommeil. Dans la même île, on donne le nom de thériaque (XXIII, 11) à une vigne dont le vin et le raisin sont un remède contre les morsures des serpents.

[2] La vigne libanienne donne un vin à odeur d'encens, avec lequel on fait des libations en l'honneur des dieux ; au contraire, celui delà vigne aspendios est rejeté des autels; on dit même qu'aucun oiseau ne touche à cette vigne. Les Égyptiens donnent le nom de thasien (XIV, 9) à un raisin qui est très doux chez eux, et qui relâche le ventre. En Lycie est un raisin qui resserre le ventre relâché. L'Égypte produit aussi l'ecbolas, qui provoque les avortements. Certains vins, au lever de la Canicule, tournent dans les celliers, puis se rétablissent. La navigation les fait aussi tourner; mais les vins qui résistent à l'agitation de la mer paraissent une fois plus vieux qu'ils ne le sont réellement.

XXIII. (XI.) [1] Comme la religion est la base de la vie, je remarquerai qu'il est défendu de faire des libations aux dieux non seulement avec le vin provenant d'une vigne non taillée, ou frappée de la foudre, ou auprès de laquelle un homme mort par la corde est resté suspendu, mais encore avec les vins foulés par des pieds blessés, avec ceux qui ont été exprimés du marc taillé, avec ceux qui ont été souillés par quelque immondice. tombée d'en haut. Les vins grecs sont également exclus, parce qu'ils contiennent de l'eau . On mange aussi la vigne elle-même, c'est-à-dire les sommités do la tige, ou bouillies ou confites dans du vinaigre et de la saumure.

XXIV. [1] Parlons maintenant de la manière d'apprêter les vins. Les Grecs ont donné des règles à part sur cet objet et en ont fait un art, par exemple Euphronius, Aristomaque, Commiades et Hicésius. L'Afrique adoucit l'âpreté de ses vins avec du plâtre, et, en certaines parties (XXXVI, 48),  avec de la chaux (XXIII, 24). La Grèce relève la  douceur des siens avec de l'argile, on du marbre ou du sel, ou de l'eau de mer ; une portion de l'Italie,  avec la poix rabulane. Au reste, toute l'Italie et les provinces limitrophes ont l'habitude d'apprêter les vins avec de la résine. Quelquefois on les apprête avec de la lie d'un ancien vin, ou avec du vinaigre. On fait aussi avec le moût lui-même  des ingrédients. On le fait bouillir jusqu'à ce qu'il s'adoucisse et perde une portion de ses forces ; on dit que, ainsi préparé, il ne dure pas plus d'un an.  En certains lieux on fait bouillir le moût jusqu'à ce qu'il soit devenu du vin cuit (XIV.11i), et on le mêle aux autres vins pour en briser la dureté. Pour ces vins et pour tous les autres on emploie toujours des vases poissés. Nous expliquerons dans un livre suivant (XVI, 21) la manière de faire la poix.

XXV. (XX.) [1] Parmi les arbres dont le suc fournit la poix et la résine, les uns croissent en Orient, les autres en Europe. La province d'Asie, qui est entre ces deux régions, a quelques-uns des arbres résineux de l'Europe et de ceux de l'Orient. En Orient la poix la meilleure et la plus fine est fournie par le térébinthe (XXIV 12); la seconde, par le lentisque, que l'on appelle aussi mastic (XII, 37); la troisième qualité, par le cyprès: c'est celle dont la saveur est la plus âcre. Tous ces produits sont liquides (XXIV, 22), et ne donnent que de la résine. Le cèdre (XIII, 11 ; XVI, 2l ) donne un liquide plus épais, et propre à faire de la poix. La résine d'Arabie est blanche, d'une odeur acre, et incommode pour ceux qui la font cuire.

[2] Celle de la Judée est plus dure et plus odorante même que la térébenthine (XXIV, 22); celle de Syrie ressemblée du miel attique; celle de Chypre l'emporte sur toutes les autres, elle est de couleur de miel et charnue ; celle de Colophon est plus jaune que les autres; si on la pile, elle dévient blanche, l'odeur en est forte; c'est pour cela que les parfumeurs ne l'emploient pas. En Asie, celle qui est le produit du faux sapin est très blanche ; on la nomme spagas. Toutes les résines sont solubles dans l'huile (XXIV, 22 ) ; quelques- uns pensent qu'elles le sont aussi dans la craie des potiers. Il est honteux d'avouer que ce que fait surtout estimer la poix, c'est d'être propre a l'épilation des hommes.

[3] Le procédé pour poisser les vins est d'y jeter de la poix lors de la première ébullition du moût, qui dure environ neuf jours, de sorte que le vin prend de l'odeur et une pointe de saveur. On croit que la fleur de résine crue (XVI, 22) est plus énergique, et qu'elle donne plus de montant aux vins; qu'au contraire la résine cuite ôte aux vins leur force sauvage et en brise l'âpreté, ou donne de l'âpreté à ceux dont la douceur est plate et inerte. C'est surtout dans la Ligurie et dans les régions circumpadanes qu'on reconnaît l'utilité de mêler de la résine au moût : on en met plus dans les vins généreux, moins dans les vins qui ne le sont pas.

[4] Quelques-uns veulent qu'on poisse les vins à la fois avec de la résine crue et de la résine cuite. Le moût que l'ou emploie pour apprêter les vins n'a pas non plus d'autre utilité que la poix. En certains lieux le vin est sujet a fermenter une seconde fois; cet accident le dépouille de sa saveur, et on le nomme alors vappa (piquette), dénomination injurieuse qu'on applique même aux hommes dont le moral a dégénéré; au lieu que le vinaigre, malgré sa méchanceté, a qualité pour des usages importants sans lesquels la vie perdrait de ses douceurs.

[5] Au reste, la préparation des vins est l'objet de beaucoup de soins : en certains lieux la cendre est employée comme ailleurs le plâtre et les autres substances dont nous avons parlé (XIV, 24 ). On préfère la cendre de sarments de vigne ou de chêne ; bien plus, on recommande d'aller chercher au large de l'eau de mer, et de la conserver depuis l'équinoxe du printemps, ou du moins de la puiser la nuit, au solstice d'été et pendant que l'aquilon souffle, ou de la faire bouillir si on la prend vers l'époque de la vendange. En Italie, c'est la poix du Bruttium que l'on estime le plus pour poisser les vases où l'on met le vin ; on la  fait avec la résine du faux sapin. En Espagne, on la tire du pin sauvage; elle est très peu estimée; cette résine est amère, sèche, et d'une odeur forte. Dans un livre suivant (XVI, 16-23), en parlant des arbres sauvages, nous exposerons les variétés de la poix et les procédés de fabrication. Les défauts de la résine, outre ceux que nous avons indiqués, sont l'acidité et l'odeur de fumée ; le défaut de la poix, c'est d'être trop brûlée. On reconnaît qu'elle est bonne si les fragments sont llisants, et s'ils se ramollissent sous la dent en laissant une acidité agréable. En Asie, on estime surtout la poix du mont Ida; en Grèce, celle de la Piérie; Virgile (Géorg., II, 438) préfère la Tarycienne (IV, 12). Les fabricants les plus soigneux y mêlent du mastic noir qui vient dans le Pont (XII, 36), et qui est semblable au bitume, De la racine d'iris (XXI, 19 ), et de l'huile. On a  reonnu que les vins aigrissent si l'on enduit les vases de cire. Il vaudrait mieux transporter le vin dans des vases qui auraient eu du vinaigre, que dans ceux où il y aurait eu du vin doux ou du vin miellé. Caton (De re rust.,cap. 23) ordonne de parer les vins (il se sert du mot (Ibid., cap. 115 et 122) concinnare) en mettant pour un culeus [(194 lit., 4) un quarantième de lessive bouillie avec du vin cuit, ou une livre et demie de sel avec du marbre en poudre ; il fait aussi mention du souffre parlant de la résine qu'en dernier lieu. Surtout il recommande d'ajouter au vin, quand la fermentation tire à sa fin, du moût qu'il appelle tortivum, c'est-à-dire du moût exprimé le dernier. Nous ajoutons encore dans le vin des substances propres à lui donner de la couleur, à le farder, pour ainsi dire ; cela le rend aussi plus épais. Ce n'est qu'au prix de ces sophistications qu'il nous plaît, et nous nous étonnons qu'il soit nuisible! On reconnaît qu'il tourne lorsqu'une lame de plomb qu'on y plonge change de couleur.

XXVI. [1] Parmi les liquides le vin offre la particularité de s'éventer, ou de se changer en vinaigre; il y a des volumes sur les moyens d'y remédier.. La lie de vin desséchée prend feu et brûle seule sans aliment. La cendre qu'elle donne a la nature du nitre et les mêmes vertus, et cela d'autant plus qu'elle est plus grasse au toucher.

XXVII. (XXI.) [1] Les méthodes pour garder le vin sont très différentes : auprès des Alpes on le met dans des fûts de bois que l'on cercle, et même on allume au fort de l'hiver des feux pour préserver le vin du froid. Chose singulière, mais qui a été vue quelquefois! les tonneaux se sont rompus, et des masses glacées sont restées debout, espèce de prodige, puisque le vin ne se congèle pas et que le froid ne fait que le frapper. Dans les contrées plus tempérées, on le met dans des vases de terre qu'on enfonce dans le sol en tout ou en partie, suivant la température du lieu. En certains pays on met le vin à l'air; ailleurs on le recouvre d'une toiture qui l'en défend. On donne encore ces règles-ci : un des côtés du cellier ou du moins les fenêtres doivent être tournées vers l'aquilon, ou, dans tous les cas, vers le lever équinoxial.

[2] Il faut écarter les fumiers, les racines d'arbre, tout ce qui donne une odeur repoussante, laquelle passe très facilement au vin ; éloigner les figuiers cultivés ou sauvages; mettre ries intervalles entre les pièces, de peur que les altérations ne se communiquent de l'une à l'autre, sorte de contagion qui est toujours très prompte. La forme des pièces importe aussi; les pièces à ventre et larges sont moins bonnes; les poisser aussitôt après le lever de la Canicule, puis les laver avec l'eau de mer ou l'eau salée ; ensuite les saupoudrer de cendre de sarment ou d'argile ; essuyées, les parfumer avec de la myrrhe : de la même manière parfumer souvent les celliers; garder les vins faibles dans des vases enfouis sous le sol, les vins forts dans des vases exposés à l'air;

[3] dans tous les cas, ne pas emplir les vases ; enduire l'espace resté vide avec du vin de raisin sec ou du vin cuit, en y mêlant du safran, de la poix ancienne et du vin cuit ; préparer de la même façon les couvercles des vases, eu ajoutant du mastic et de la poix. On défend d'ouvrir les vases pendant l'hiver, si ce n'est un jour serein ; on défend de les ouvrir avec le vent du sud ou la pleine lune. La fleur du vin (mycoderma vini ), blanche, est de bon augure ; rouge, de mauvais, à moins que ce ne soit la couleur du vin. On redoute aussi de voir les vases s'échauffer, ou les couvercles suer. Le vin qui fleurit promptement et contracte de l'odeur n'est pas de durée. Pour le defrutum même et la sapa (XIV, 11), on recommande de les faire quand le ciel est sans lune, c'est-à-dire dans la conjonction de cet astre et non un autre jour, dans des vases de plomb et non dans des 'vases de cuivre, en y ajoutant des noix, parce qu'elles absorbent la fumée.  En Campanie, on expose les meilleurs vins en plein air; on regarde comme très avantageux que les vaisseaux qui les renferment soient frappé du soleil, de la lune, de la pluie et des vents.

XXVIII. (XXII.) [1] Pour peu qu'on y réfléchisse, on reconnaîtra que l'homme ne met à rien autant d'industrie qu'à la fabrication du vin; comme si la nature ne nous avait pas donné l'eau, breuvage le plus salutaire, dont usent tous les animaux. Mais nous forçons les bêtes de somme même à boire du vin. C'est à tant d'efforts, à tant de travail et de dépenses, qu'est due une substance troublant l'esprit de l'homme et excitant la fureur, cause de mille crimes ; une substance si attrayante, que beaucoup ne voient pas d'autre plaisir dans la vie.

[2] Que dis-je ! pour tenir plus de vin, nous en diminuons la force en le passant à la chausse. On imagine des moyens d'exciter la soif; on prépare des poisons pour se créer une cause de boire; et des hommes prennent de la ciguë, afin que la crainte de la mort les force à avaler du vin (XXV, 95); d'autres prennent de la poudre de pierre ponce (XXXVI, 42), et des choses que j'aurais honte d'enseigner en les relatant. Nous voyons les plus prudents se cuire dans des bains brûlants, et en être enlevés à demi morts. D'autres n'attendent pas le lit (le lit de table) ; que dis-je! ils n'attendent pas même leur tunique, mais, nus et tout haletants, saisissent des vases énormes comme pour faire parade de leurs forces, et se les entonnent pour vomir aussitôt, avaler de nouveau, et recommencer cela deux et trois fois, comme s'ils étaient nés pour perdre du vin, et comme si cette liqueur ne pouvait se répandre qu'en passant par le corps humain. Là rentrent ces exercices étrangers et cette habitude de se vautrer dans la boue, et, renversant la tête, d'étaler une large poitrine.

[3] On dit qu'on ne fait tout cela que pour chercher la soif. Parlerai-je des vases où des adultères sont ciselés, comme si l'ivresse seule n'instruisait que peu à la débauche ! Ainsi on mêle l'ivrognerie au libertinage; on l'excite même par des prix; que dis-je! on la paye. A l'un on s'engage, pour prix de son ivrognerie, à donner à manger autant qu'il aura bu ; l'autre boit autant de coups qu'il a amené de points aux dés. Alors les yeux avides marchandent la matrone, que ses regards langoureux trahissent devant son mari ; alors les secrètes pensées se révèlent: ceux-ci dévoilent leur testament, ceux-là tiennent des discours dangereux, et prononcent des paroles qui leur couperont la gorge. Combien sont morts de cette façon !

[4] Un proverbe a attribué la vérité au vin. Échappât-il à ces dangers, le buveur ne voit pas le soleil se lever, et vit moins longtemps. De là cette pâleur, ces paupières pendantes, ces yeux éraillés, ces mains tremblantes qui laissent échapper les vases pleins, ce sommeil troublé par les Furies, qui est la punition Immédiate, cette agitation nocturne, et, récompense suprême de l'ivrognerie, les débauches monstrueuses et le goût des horreurs. Le lendemain, l'haleine a l'odeur d'un tonneau ; presque tout est oublié, et la mémoire est morte.

[5] C'est ce qu'ils appellent enlever la vie; et tandis que chacun ne perd que le jour qui s'est écoulé, eux perdent
aussi celui qui va venir. On a commencé sous le règne de Tibère, il y a quarante ans, à boire à jeun et à prendre du vin avant de manger; c'est un usage étranger (XXIII, 23), introduit par des médecins qui cherchaient de la vogue par quelque nouveauté. Les Parthes cherchent la gloire dans la faculté de boire beaucoup. Chez les Grecs, Alcibiade eut cette réputation. Chez nous, Novellius Torquatus de Milan, qui remplit les charges depuis la préture jusqu'au proconsulat, dut à cette faculté le surnom de Triconge, ayant avalé d'un seul trait trois congés (9 litr., 72) sous les yeux et au grand étonnement de l'empereur Tibère, qui dans sa vieillesse fut austère et même cruel, mais qui dans sa jeunesse avait été enclin au vin.

[6] C'est en raison de ce mérite, a-t-on dit, qu'il commit, étant déjà empereur, L. Pison à la garde de Rome, pour avoir continué à boire sans interruption pendant deux jours et deux nuits. C'était par là, disait-on, que Drusus César (XIX, 41) ressemblait le plus à son père Tibère. Torquatus eut la gloire peu commune (l'art de boire a aussi ses lois ) de ne jamais bégayer, vomir ni uriner pendant une partie de table ; de n'en pas faire moins la garde du matin; de vider d'un seul coup le pi us grand vase, et de boire encore le plus avec des vases ordinaires; d'être le plus loyal à ne pas respirer en buvant, et à ne point cracher; de ne jamais laisser au fond du vase de quoi produire un bruit en tombant sur le plancher ; exact observateur des lois portées contre les fraudes des buveurs.

[7] Tergilla reproche à Cicéron, fils de M. Cicéron, d'avoir l'habitude d'avaler deux congés (6 litr., 48) d'un seul trait, et d'avoir jeté, étant ivre, une coupe à M. Agrippa. Ce sont là les effets de l'ivresse. Sans doute Cicéron voulut enlever à Marc-Antoine, meurtrier de son père, la palme de buveur. Avant lui, en effet, Marc-Antoine s'était montré très jaloux de ce genre de supériorité; il avait même publié un livre sur son ivrognerie. En osant faire son apologie, il a fait voir pleinement, je pense, combien de maux il avait dû causer à l'univers par ce vice. C'est peu de temps avant la bataille d'Actium qu'il vomit ce volume; et cette date fait voir que, ivre déjà du  sang des citoyens, il en était encore plus altéré.  Telle est la nécessité de ce vice : plus on a l'habitude  de boire, plus on veut boire ; et l'on connaît
ce mot d'un ambassadeur scythe, qui disait  que plus les Parthes boivent, plus ils ont soif.

XXIX. [1] Les peuples de l'Occident savent aussi  s'enivrer avec des boissons de grains humectés.  Les procèdes sont divers dans les Gaules et dans l'Espagne, les noms sont différents, mais les effets  sont les mêmes. L'Espagne a même enseigné  que ces liquides pouvaient vieillir. L'Égypte aussi a imaginé de faire pour son usage une boisson semblable avec des grains. Il n'est donc aucune partie du monde où l'on ne s'enivre, car on prend les boissons dont il s'agit pures et sans les tremper avec de l'eau, comme le vin; et cependant terre semblait là n'avoir produit que des grains .Funeste industrie du vice ! on a trouvé moyen de rendre l'eau même enivrante.  Il y a deux liqueurs très agréables au corps humain, le vin en dedans, l'huile au dehors (XXII, 53).  Ces liquides, produits de deux arbres, sont excellents ; mais l'huile est un objet nécessaire.  Les hommes, il est vrai, n'ont pas négligé de l'élaborer : toutefois ils se sont montrés bien plus ingénieux pour les boissons, car ils en ont inventé quatre-vingt-quinze espèces ; le nombre est presque double si l'on compte les variétés.  On a bien moins de sortes d'huiles : nous allons en parler dans le livre suivant.