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PLINE L'ANCIEN

HISTOIRE NATURELLE

LIVRE SEIZE

livre 15           livre 17

Texte français

Paris : Dubochet, 1848-1850.

édition d'Émile Littré

 

 

 

LIVRE XVI

TRAITANT DES ARBRES SAUVAGES

I. Contrées sans arbres.
II. Faits merveilleux touchant les arbres dans les contrées septentrionales.
III Des arbres à gland. De la couronne civique.
IV. De l'origine des couronnes.
V. Quels citoyens ont été honorés de la couronne de feuillage.
VI. Treize espèces de glands.
VII. Du hêtre.
VIII. Des autres glands. Du charbon.
IX. De la noix de galle.
X. Abondance des produits que ces mêmes arbres donnent, outre le gland.
XI. Le cachrys.
XII. L'écarlate.
XIII. L'agaric.
XIV. Arbres dont on emploie l'écorce.
XV. Des bardeaux.
XVI. Du pin.
XVII. Du pinaster.
XVIII. Du picéa; de l'abies.
XIX. Du larix; du taeda.
XX. De l'if.
XXI. De quelle façon se fait la poix liquide; comment se fait le cedrium.
XXII. De quelle manière se fait la poix épaisse.
XXIII. Comment se fait la poix zopissa.
XXIV. Bois précieux; quatre espèces de frênes.
XXV. Deux espèces de tilleuls.
XXVI. Dix espèces d'érables.
XXVI. Bruscum; molluscum; staphylodendron.
XXVIII. Trois espèces de buis.
XXIX. Quatre espèces d'ormes.
XXX. Variétés des arbres suivant leur situation; arbres des montagnes ; arbres des plaines.
XXXI. Arbres qui habitent les lieux secs; arbres qui habitent les lieux humides; arbres qui habitent les uns et les autres.
XXXII. Division des espèces.
XXXIII. Arbres qui ne perdent pas leurs feuilles : le rhododendron. Arbres qui ne perdent pas toutes leurs feuilles. Lieux où aucun arbre ne perd ses feuilles.
XXXIV. De la nature des feuilles qui tombent.
XXXV. Arbres dont les feuilles sont de couleurs variées: arbres dont la forme des feuilles change. Trois espèces de peupliers.
XXXVI. Quelles sont les feuilles qui se retournent tous les ans.
XXXVII. Soins à donner aux feuilles du palmier, et usage de ers feuilles.
XXXVIII. Faits remarquables sur les feuilles.
XXXXIX. Ordre de la nature dans le développement des plantes.
XL. Arbres qui ne fleurissent jamais : les genévriers.
XLI. Fécondation des arbres: bourgeonnement; production du fruit.
XLII. Ordre de la floraison.
XLIII. Époque à laquelle chaque arbre produit. Du cornouiller.
XLIV. Arbres qui rapportent tous les ans, qui rapportent tous les trois ans.
XLV. Arbres stériles; arbres réputés funestes.
XLVI. Quels sont les arbres qui perdent avec le plus de facilité leurs fruits ou leurs fleurs.
XLVII. Quels arbres ne rapportent pas, et en quels lieux.
XLVIII. Comment les arbres rapportent.
XLIX. Arbres qui ont des fruits avant d'avoir des feuilles.
L. Arbres à double récolte, à triple récolte.
LI. Arbres qui vieillissent le plus rapidement, le plus lentement.
LII. Arbres qui donnent plusieurs espèces de produit. Crataege.
LIII. Différences des arbres d'après le tronc et les rameaux.
LIV. Rameaux.
LV. Écorce.
LVI. Racines.
LVII. Arbres qui ont repris d'eux-mêmes.
LVIII. De quelle façon les arbres naissent spontanément. Diversité de la nature, qui n'engendre pas toute chose en tout lieu.
LIX. Quels végétaux ne naissent pas en certains lieux, et quels sont ces lieux.
LX. Du cyprès.
LXI. Que la terre produit souvent ce qu'elle n'avait jamais produit auparavant.
LXII. Du lierre et de ses vingt espèces.
LXIII. Smilax.
LXIV. Plantes aquatiques. Des roseaux; vingt huit espèces de roseaux.
LXV. Des roseaux à flèches, des roseaux à écrire.
LXVI. Des roseaux à flûtes. Du roseau d'Orchomène. Du roseau de l'oiseleur, du roseau du pêcheur.
LXVII. Du roseau des vignerons.
LXVIII. Des saules et de ses sept espèces.
LXIX. Des végétaux qui, outre le saule, fournissent des liens.
LXX. Des joncs. Des joncs à mèches; des cannes; des cannes à couvrir les toits.
LXI. Des sureaux, des ronces.
LXXII. Sucs des arbres.
LXXIII. Veines et fibres des arbres.
LXXIV. De la coupe des arbres.
LXXV. Préceptes de Caton sur ce point.
LXXVI. De la grandeur des arbres; de la nature du bois.
LXXVII. Moyen d'obtenir du feu avec du bois.
LXXVIII. Bois qui ne se carient pas, qui ne se fendent pas.
LXXIX. Faits historiques touchant la durée des bois.
LXXX. Espèces de térédons.
LXXXI. Bois de charpente.
LXXXII. Bois de menuiserie.
LXXXIII. Des bois que l'on assemble au moyen de la colle.
LXXXIV. Du placage.
LXXXV. Longue durée des arbres. Arbre planté par le premier Scipion l'Africain. Arbre de cinq cents ans à Rome.
LXXXVI. Arbres qui datent de la fondation de Rome.
LXXXVII. Arbres plus anciens que la ville dans les faubourgs.
LXXXVIII. Arbres plantés par Agamemnon, datant de la première année de la guerre de Troie. Arbres du temps où la ville d'llium reçut ce nom, antérieurs à la guerre de Troie, et plantés près de cette ville.
LXXXIX. Arbres plantés à Argos par Hercule. Arbres plantes par Apollon. Arbre plus ancien qu'Athènes.
XC. Quelles sont les espèces d'arbres qui durent le moins.
XCI. Arbres auxquels des événements ont donné de la célébrité.
XCII. Arbres qui n'ont point pour naître de sol qui soit à eux. Arbres qui vivent sur des arbres, et ne peuvent naître dans la terre (15). Neuf espèces de plantes parasites. Cadytas; polypode; phaunos; hippophaeste.
XCIII. Trois espèces de gui. De la nature du gui et de plantes semblables.
XCIV. De la manière de faire la glu.
XCV. Faits historiques sur le gui.
Résumé : Faits, histoires et observations, 1235.

Auteurs :
M. Varron, Fétilalis, Nigidius, Cornelius Nepos, Hygin, Massurius. Caton, Mucien, L.. Pison, Trogue Pompée, Calpurnius Bassus, Cremutius, Sextius Niger, Cornelius Bocchus, Vitruve, Graecinus.
Auteurs étrangers:
Alexandre Potyhistor, Hésiode, Théophraste, Démocrite, Homère, Timée le mathématicien.



 

I [1] Les arbres fruitiers, ceux qui, par leurs sucs plus doux, ont les premiers apporté le plaisir dans la nourriture et appris à rendre délicieux un aliment nécessaire, qualités précieuses qu'ils doivent à des mariages et à des greffes soit spontanées soit créées par la main de l'homme, et cadeau que nous avons fait ainsi aux oiseaux même et aux quadrupèdes; les arbres fruitiers, dis-je, sont tous compris dans ce qui précède.

[2] A la suite il conviendrait de parler des arbres à gland, qui ont fourni la première nourriture des mortels, et qui les ont alimentés dans leur condition dénuée et sauvage ; mais j'intervertis cet ordre pour laisser parler l'étonnement que j'ai éprouve en voyant quel était le genre de vie d'hommes vivant sans arbres ni arbustes. J'ai déjà dit (XIII, 50) que dans l'Orient plusieurs nations près de l'Océan sont réduites a cette nécessité. Mais j'ai vu moi-même dans le Nord les Chauques (IV, 29) qu'on appelle grands et petits :

[3] là est un espace immense, inondé deux fois dans les vingt-quatre heures par les flots débordés de l'Océan, qui envahit ce théâtre de l'éternelle question posée par la nature, à savoir si la contrée appartient a la terre ou à la mer. Une nation misérable y occupe des buttes élevées, ou des tertres faits de mains d'homme, au-dessus des plus hautes marées, point connu par expérience. Là sont les cabanes. Semblables à des navigateurs quand les eaux couvrent tout alentour, à des naufragés quand elles se sont retirées, ces hommes poursuivent autour de leurs chaumières les poissons qui s'enfuient avec la mer.

[4] Ils ne peuvent avoir de bétail, se nourrir de lait comme les nations limitrophes, ni même guerroyer contre les bêtes sauvages, puisque tout taillis est relégué au loin. Avec des algues et des joncs marins ils font des cordes pour tisser leurs filets; ils façonnent à la main de la boue, qu'ils sèchent au vent plutôt qu'au soleil, et c'est avec cette tourbe qu'ils cuisent leurs aliments et réchauffent leurs entrailles glacées par le nord ; ils n'ont pour boisson que de la pluie gardée dans des trous à l'entrée de leurs demeures. Voila des nations qui, si elles sont vaincues aujourd'hui par le peuple romain, disent qu'on les réduit en esclavage! Soit; souvent la fortune épargne ceux qu'elle veut punir.

II. [1] Autre merveille des forêts: elles couvrent tout le reste de la Germanie, et ajoutent de l'ombre au froid. Les plus hautes ne sont pus éloignées des Chauques susnommés, surtout autour de deux lacs. Le littoral lui-même est occupé par des chênes, fort pressés de pousser; minés par les flots ou poussés par les vents, ils entraînent avec eux de vastes îles qu'ils embrassent de leurs racines; et ainsi debout, en équilibre, ils naviguent avec leurs branches immenses pour agrès. Ils ont souvent effrayé nos flottes, quand les flots les poussaient comme à dessein contre les proues des vaisseaux arrêtés la nuit, et que les marins, ne sachant à quel remède recourir, engageaient un combat naval contre des arbres. (II.)

[2] Dans les mêmes régions septentrionales, la forêt Hercynienne, aux chênes énormes, respectés par le temps et contemporains de l'origine du monde, est, par cette condition presque immortelle, la plus surprenante des merveilles. Sans parler de singularités qu'on ne croirait pas, il est certain que la rencontre des racines qui vont au-devant les unes des autres soulève des collines, ou, si la terre ne les accompagne pas, elles s'élèvent jusqu'aux branches, rivalisent à qui montera le plus haut, et forment des arcades assez larges pour laisser passer des escadrons. (III.) Ces arbres sont particulièrement de l'espèce du chêne à gland, qui est le plus honoré chez les Romains.

III. (IV.) [1] C'est le chêne qui fournit les couronnes civiques, la plus illustre décoration du courage militaire, et depuis longtemps l'emblème de la clémence impériale, alors que, au milieu de l'impiété des guerres civiles, on a commencé à regarder comme une belle action de ne pas tuer un citoyen. La couronne civique remporte sur la couronne murale, sur la couronne vallaire, sur la couronne d'or, quoique celle-ci l'emporte par le prix du métal; elle l'emporte aussi sur les couronnes rostrales, bien qu'illustrées dans les temps modernes par deux noms glorieux M. Varron (VII, 31) à qui Pompée le Grand la donna à l'issue de la guerre des pirates, et M. Agrippa, qui la reçut de César [Auguste] après la guerre de Sicile, qui fut aussi une guerre de pirates.

[2] Jadis les rostres des vaisseaux, fixés au-devant de la tribune, décoraient le forum, et semblaient une couronne posée sur la tête même du peuple romain. Mais les rostres, lorsqu'ils eurent été foulées et souillés par les séditions tribunitiennes, lorsque l'intérêt public céda peu à peu aux intérêts individuels, et qu'on eut profané tout ce qui était sacré; les rostres, dis-je, passèrent du pied des citoyens sur leurs têtes. Auguste donna la couronne rostrale a Agrippa; lui reçut du genre humain la couronne civique.

IV. [1] Dans l'antiquité on ne donnait de couronne qu'a la Divinité; aussi Homère n'attribue-t-il les couronnes qu'au ciel et à la bataille (Il., XIII, 736) tout entière; mais il n'en attribue à aucun individu, même pour les exploits guerriers. On dit que Bacchus, le premier de tous, mit sur sa tête une couronne de lierre. Dans la suite, ceux qui faisaient des sacrifices en l'honneur des dieux mirent des couronnes, et les victimes étaient en même temps couronnées. En dernier lieu on les employa dans les combats sacrés, et aujourd'hui encore on ne les donne pas au vainqueur, mais on déclare que la patrie est couronnée par lui (VII, 27).

[2] De là vint l'usage de les conférer aussi aux triomphateurs, pour qu'ils les consacrent dans les temples, et ensuite de les donner dans les jeux. Il serait long (et cela n'entre pas dans le plan de cet ouvrage) d'exposer quel est le premier Romain qui a reçu une couronne : les Romains n'en connaissaient pas d'autres que les couronnes militaires. Ce qui est certain, c'est que le peuple romain, à lui seul, a plus d'espèces de couronnes que toutes les nations ensemble.

V. [1] Romulus couronna de la couronne de feuillage Hostus Hostilius, pour être le premier entré dans Fidène. Cet Hostilius fut le grand-père du roi Tullus Hostilius. P. Décius le père, tribun militaire, reçut en don, de l'armée qu'il avait sauvée, une couronne de feuillage, sous le général Cornelius Cossus, consul (an de Rome 411), dans la guerre contre les Samnites. La couronne civique fut d'abord faite avec l'yeuse, puis on préféra employer l'esculus consacré à Jupiter, et parfois le quercus (quercus robur, L.); enfin on a employé indifféremment le chêne qui se rencontrait, à la condition toutefois que la branche portât de beaux glands.

[2] On fit, à ce sujet, des lois étroites, hautaines, et rendant notre couronne civique comparable à cette couronne suprême de la Grèce qui est donnée en présence de Jupiter même, et pour laquelle la ville natale du vainqueur, pleine d'allégresse, fait une trouée à ses murailles. Voici ces lois: Sauver un citoyen, tuer un ennemi; le lieu où le fait s'est passé aura été occupé, ce jour-là, par l'ennemi; l'individu sauvé en portera témoignage, les autres témoins ne servent pas; cet individu sera un citoyen. Sauver un soldat auxiliaire, fût-ce un roi, ne confère pas de droit à cette récompense. L'honneur n'est pu plus grand pour la conservation du général, les auteurs de la loi ayant voulu qu'il n'y eût ni plus ni moins, quel que fût le citoyen. Quand on a reçu cette couronne, on peut la porter constamment.

[3] Quand le couronne entre dans le lieu où se célèbrent les jeux, la coutume veut que tout le monde se lève, même le sénat; il a le droit de s'asseoir auprès des sénateurs; l'exemption de toute charge publique est accordée à lui, à son père et à son aïeul paternel. Siccius Dentatus reçut quatorze couronnes civiques, comme nous l'ayons rapporté en son lieu (VII, 29) ; Manlius Capitolinus, six (VII, 29), et dans ce nombre une pour avoir sauvé son général Servilius. Sciplon l'Africain ne voulut pas recevoir la couronne civique pour avoir sauvé son père à la bataille de Trébie. O mœurs éternellement admirables, qui n'accordèrent que l'honneur pour récompense de si grands exploits, et qui, attachant aux autres couronnes la recommandation de l'or, ne voulurent pas évaluer le salut d'un citoyen, déclarant par là clairement qu'il n'est pas permis même de sauver son semblable en vue du gain.

VI. (V.) [1] Il est certain que de nos jours encore les glands sont une richesse pour plusieurs nations, même en temps de paix. Les céréales venant à manquer, on sèche les glands, on les moud, et on en pétrit la farine en forme de pain. Aujourd'hui même, en Espagne, le gland (quercus ballota, L.) figure au second service. II est plus doux cuit sous la cendre. D'après la loi des Doute Tables on est autorisé à recueillir le gland qui est tombé sur le fonds d'autrui. Les chênes comptent de nombreuses espèce. Ils diffèrent par le fruit, la localité, le sexe, le goût. Autre est la configuration du gland du hêtre, autre celle du quercus, autre celle de l'yeuse; de plus, les espèces offrent, chacune, beaucoup de variétés.

[2] Quelques-uns sont sauvages, d'autres ont des fruits plus doux, et viennent dans les lieux cultivés. Les chênes des montagnes diffèrent de ceux des plaines; les mâles diffèrent des femelles; et le goût y introduit de nouvelles différences. Les glands les plus doux sont ceux du hêtre : d'après le récit de Cornélius Alexander. Ils suffirent pour soutenir les assiégés dans la ville de Chios. Les espèce ne peuvent se distinguer par les noms, qui varient suivant les localités. Nous voyons en tous lieux le rouvre (quercus sessiliflora, Smith) et le quercus (quercus robur, L.). Il n'en est pas de même pour l'esculus (quercus esculus, L). La quatrième espèce, que l'on nomme cerrus (quercus cerris, L.) est même ignorée de la plus grande partie de l'Italie. Nous les distinguerons donc par leurs caractères naturels, et, quand il le faudra, même par leurs noms grecs.

VII (VI.) [1] La faîne (fagus silvatica, Lamark), semblable à un noyau, est renfermée dans une enveloppe triangulaire. La feuille du hêtre est mince, des plus légères, semblable à celle du peuplier, jaunissant très promptement; du milieu, sur la face supérieure, sort presque toujours une petite baie verte, pointue au sommet. La faine est très agréable aux rats; aussi, quand elle abonde, cet animal pullule. Elle engraisse aussi les loirs, et les grives la recherchent. Presque tous les arbres ne produisent des fruits en abondance que de deux années l'une : cela est surtout vrai du hêtre.

VIII. [1] Le gland proprement dit vient sur le rouvre, sur le quercus, I'esculus, le cerrus, l'yeuse (quercus ilex, L.), le liège (quercus suber, L.). Il est renfermé dans une cupule rugueuse, embrassant le fruit plus ou moins, suivant les espèces. Les feuilles, excepté celles de l'yeuse, sont pesantes, charnues, longues, découpées sur les bords, et au moment ou elles tombent elles ne sont pas jaunes comme celles du hêtre; elles sont plus courtes ou plus longues, suivant les variétés des espèces. Il y a deux espèces d'yeuses (quecus ilex, L.) : l'une d'elles, qui existe en Italie, ne diffère pas beaucoup de l'olivier par la feuille; quelques Grecs la nomment smilax; les provinces la nomment aquifolia. Le gland de ces deux espèces d'yeuses est plus court et plus grêle que celui des autres chênes; Homère le nomme acylos (Odyssée, X, 223), et par ce nom il le distingue du gland.

[2] On prétend que les yeuses mâles ne portent pas de fruits. Le gland le meilleur et le plus gros vient sur le quercus; celui de l'esculus occupe le second rang; celui du rouvre est petit ; celui du cernus est d'un vilain aspect, et la cupule en est hérissée comme la châtaigne. Parmi les glands du quercus, celui du quercus femelle est plus mou et plus tendre, celui du quecus mâle est plus compacte. On estime surtout le gland du quercus dit latifolia, à cause de ses larges feuilles. Les glands différent entre eux par leur grosseur et par la finesse de l'enveloppe; ils différent encore parce que les uns ont en dessous une peau raboteuse et couleur de rouille, tandis que les autres offrent immédiatement une chair blanche.

[3] On estime aussi le gland dont les deux extrémités, suivant la longueur, ont la dureté de la pierre. Le gland qui présente cette particularité dans l'écorce est meilleur que celui qui la présente dans la chair. Ces deux variétés ne se trouvent que sur le chêne mâle. En outre, les uns sont ovales, les autres ronds ; d'autres ont une forme plus aiguë. La couleur diffère aussi, foncée ou claire; on préfère cette dernière. Les bouts sont amers, le milieu doux. La brièveté ou la longueur des pédicules est encore une différence.

[4] Quant aux arbres eux-mêmes, celui qui porte les glands les plus gros se nomme hemeris (quercus pubescens) ; (IV.) il est petit, à touffe arrondie, et souvent excavé dans l'aisselle des branches. Le quercus a un bois plus fort et moins attaquable; il est touffu aussi, mais il s'élève plus haut, et le tronc en est plus gros. Toutefois, le plus élevé est l'aegilops (quercus aegilops, L.), ami des lieux incultes. Le plus élevé ensuite est le chêne à larges feuilles (quercus sessiliflora, Sibth.), mais le bois en est moins utile pour les constructions et pour faire le charbon; travaillé, il est sujet à se gâter; aussi l'emploie-t-on sans le charpenter. Ce charbon n'est économique que dans les forges des ouvriers en cuivre : s'éteignant dès qu'on cesse de souffler, il sert ainsi un grand nombre de fois; au reste, il donne beaucoup d'étincelles. Fait avec des arbres jeunes, il est meilleur. On entasse en forme de cheminée des tronçons encore verts, on les enduit d'argile, on y met le feu, et on perce avec des pieux la croûte qui se durcit, afin que l'humidité du bois ait une issue.

[5] Le plus mauvais pour la carbonisation et pour la charpente est le chêne dit haliplaeos (quercus suber, L.), qui a l'écorce la plus épaisse et le tronc le plus gros, mais dont le bois est presque toujours creux et spongieux. C'est la seule espèce de chêne qui pourrisse même sur pied. De plus, il est souvent frappé par la foudre, bien qu'il n'atteigne pas à une très grande hauteur: aussi n'est-il pas permis d'en employer le bois pour les sacrifices. Il porte rarement des glands, et quand il en a, ces glands sont amers. Aucun animal n'y touche, excepté les cochons, et encore n'en veulent-ils que quand ils n 'ont rien autre à manger. Ce qui fait encore qu'on l'exclut des actes religieux, c'est qu'il s'éteint pendant le sacrifice. La faîne donne de la gaieté au cochon, rend sa chair cuisante, légère et bonne à l'estomac; le gland de l'yeuse rend le porc efflanqué, luisant, chétif et lourd. Le gland du quercus le rend gras; c'est aussi le plus pesant et le plus doux des glands. D'après Nigidius, le second rang appartient au gland du cerrus; aucun gland ne rend la chair plus ferme, mals elle est dure. Cet auteur dit que le gland de l'yeuse fait mal aux cochons, à moins qu'on ne le donne en petites quantités à la fois; qu'il tombe le dernier, que la chair devient fongueuse par le gland de l'esculus, du rouvre et du liège.

IX. [1] Tous les arbres glandifères produisent aussi la noix de galle. Ils ne portent du gland que de deux années l'une. La noix de galle est la meilleure sur l'héméris (quercus pubescens), et la plus propre à la préparation des cuirs. Celle du chêne à large feuille y ressemble, mais elle est plus lisse et beaucoup moins estimée; cet arbre porte aussi une noix de galle noire. Il y a, en effet, deux espèces de noix de galle (XXIV, 5); la noire est la meilleure pour la teinture. (VII.) La noix de galle naît le soleil quittant le signe des Gémaux; toujours elle sort tout entière en une seule nuit.
La noix de galle blanche croît aussi en un jour : sl la chaleur la surprend, elle se desséche aussitôt, et n'arrive pas à ses dimensions régulières, qui sont celles d'une fève. La noix de galle noire reste plus longtemps verte, et croît au point d'atteindre parfois la grosseur d'une pomme. Celle de la Commagène est la meilleure ; la plus mauvaise est celle du rouvre ; on la reconnaît à des trous qui laissent passer la lumière.

X. [1] Le rouvre, outre le gland, donne encore plusieurs autres produits : les deux espèces de noix de galle, et une production qui ressemble à une mûre, si ce n'est qu'elle est sèche et dure : la plupart du temps elle a l'aspect d'une tête de taureau; elle renferme un fruit semblable au noyau de l'olive. Il naît encore sur le rouvre de petites boules ressemblant assez à des noix, et contenant à l'intérieur des flocons mous, propres à être employés dans les lampes; car ils brûlent même sans huile, comme la galle noire. Il porte aussi une autre petite boule, chevelue, sans aucun orage, mais qui cependant au printemps et un suc mielleux.

[2] Dans les aisselles des branches on trouve de petites boules non pédiculées, mais sessiles, ayant le point d'attache blanc, du reste bigarrées de noir; dans le milieu, elles ont une couleur écarlate ; l'intérieur est vide, et a un goût amer. Quelquefois le rouvre produit aussi des pierres ponces, de petites boules formées par des feuilles roulées, et, sur une feuille rougeâtre, des noyaux aqueux, blanchâtres, transparents, tant qu'ils sont mous, dans lesquels il se forme des insectes; ils mûrissent à la façon des noix de galle.

XI. (VIII.) [1] Le rouvre porte aussi le cachrys: on donne ce nom à une petite boule employée en médecine à cause de ses propriétés caustiques. Le cachrys vient aussi sur le sapin, le larix, le picca, le tilleul, le noyer, le platane; il survit à la duite des feuilles, et dure tout l'hiver. Il contient un noyau semblable aux pignons; ce noyau croît pendant l'hiver; au printemps, la boule tout entière s'ouvre ; elle tombe quand les feuilles ont commencé à croître. Telle est la mul tiplicité des produits que les rouvres donnent en outre des glands.

[2] Il faut ajouter les bolets et les champignons dits suilli (XXII, 47), derniers stimulants trouvés par la gourmandise, lesquels poussent autour des racines. Les plus estimés sont ceux du quercus; ceux du rouvre, du cyprès et du pin sont nuisibles. Les rouvres produisent aussi le gui, et, au dire d'Hésiode (Op., 230), un miel. Il est certain que les rosées célestes, tombant, comme nous l'avons dit (XI, 12 ), du haut du ciel, se déposent de préférence sur les feuilles de cet arbre. Il est certain encore que le rouvre, bûlé, donne une cendre nitreuse.

XII. [1] L'yeuse (quercus coccifera) défie toutes ces productions par la seule écarlate. C'est un grain semblant d'abord une gale de l'arbre, qui est la petite yeuse aquifolia (XVI, 8) ; on le nomme cuscullum. En Espagne, les pauvre acquittent une moitié du tribut avec cette denrée. Nous avons, à propos de la pourpre (IX, 62), indiqué le moyen de l'employer avec le plus de succès. II vient aussi dans la Galatie, l'Afrique, la Pisidie, la Cilicie; le plus mauvais est celui de Sardaigne.

XIII. [1] Ce sont surtout les arbre à gland des Gaules qui produisent l'agaric (XXV, 57 ). C'est un champignon blanc (agaricus officinalis), odorant, utile comme antidote, croissant au sommet des arbres, et luisant pendant la nuit. Ce signe le fait reconnaître, et on le cueille pendant les ténèbres. Parmi les arbres à gland, celui qu'on nomme aegilops est le seul qui porte des toiles sèches, couvertes d'un poil blanc et mousseux, attachées non seulement à l'écorce, mais encore aux branches, de la longueur d'une coudée, odorantes comme nous l'avons dit en parlant des parfums (XII, 50).

[2] Le liège est un arbre très petit; le gland en est très mauvais et très peu abondant; l'écorce seule est de produit; elle est très épaisse; enlevée, elle revient; on en a vu même des planches de dix pieds. On l'emploie surtout pour les câbles des ancres des navires, pour les filets des pêcheurs, et pour fermer les vases; en outre, elle entre dans la chaussure d'hiver des femmes. Les Grecs nomment assez plaisamment ce végétal l'arbre de l'écorce. Quelques-uns le nomment yeuse femelle; et dans les pays où l'yeuse ne vient pas on y substitue le liège, surtout pour la charpenterie, par exemple aux environs d'Élis et de Lacédémone. On ne le trouve pas dans toute l'Italie; on ne le trouve pas du tout dans la Gaule.

XIV. (IX.) [1] L'écorce du hêtre, du tilleul, du sapin, du picea (XVI, 18) est très en usage dans les campagnes; on en fait des paniers, des corbeilles, et de grands mannequins pour transporter la moisson et la vendange; on en borde le toit des chaumières. Les éclaireurs, écrivant au chef qui les envoie, gravent les lettres sur de l'écorce fraîche et pleine encore de suc. L'écorce du hêtre a de plus quelques usages religieux; l'arbre lui-même ne subsiste pas dépouillé de son écorce.

XV. (x.) [1] Les meilleurs bardeaux se font avec le rouvre, puis avec les autres arbres à gland et le hêtre; les plus aisés à fabriquer sont ceux des arbres résineux, mais ils durent très peu, si ce n'est ceux du pin. D'après Cornelius Népos, Rome fut couverte avec des bardeaux jusqu'à la guerre de Pyrrhus, pendant quatre cent soixante-dix ans. Il est certain que des forêts remarquables étaient répandues dans son enceinte. Aujourd'hui encore le nom de Jupiter Fagutal indique l'emplacement d'un bois de hêtres; des chênes étaient à la porte Querquetulane; on allait chercher des osiers à la colline Viminale, et tant de lieux ou se trouvaient un bois et même deux. Après la retraite du peuple sur le Janicule (an de Rome 367 ), Q. Hortensius, dictateur, porta dans l'Esculetum (bois de chênes) une loi obligeant tous les Quirites [Romains] à obéir aux plébiscites.

XVI. [1] On regardait alors comme exotiques, parce qu'ils n'étaient pas dans la banlieue, le pin (pineus pinea, L.) le sapin et les arbres résineux, dont nous allons parler maintenant, afin que l'on connaisse toute la méthode de préparer les vins. En Asie ou dans l'Orient, quelques-uns des arbres nommés plus haut produisent de la poix; en Europe, six espèces parentes les unes des autres en produisent; dans ce nombre sont le pin et le pinaster, qui ont la feuille en forme de chevelure, très effilée, longue, et terminée en pointe. Le pin donne le moins de résine; les pommes de pin, dont nous avons parlé (XV, 9), en contiennent quelquefois, et à peine assez pour qu'on le compte parmi les arbres résineux.

XVII. [1] Le pinaster (pinus silvestris, L.) n'est qu'un pin sauvage; il s'élève à une hauteur mer-veilleuse, touffu à partir du milieu, comme le pin à la cime. Il donne plus de résine; nous en décrirons plus bas l'extraction (XVI, 23). Il vient aussi dans les plaines. La plupart des auteurs pensent que le pinaster est, sous un autre nom, le même arbre que celui qui est répandu sur la côte d'Italie, et appelé tibule; mais un pinaster grêle, plus ramassé, sans noeuds, propre à la construction des Iiburniques (sorte de vaisseau de guerre), et presque sans résine.

XVIII. [1] Le picea (faux sapin, obies excelsa, DC.) aime les montagnes et le froid ; arbre funèbre qu'on met aux portes comme emblème de mort, et qui verdoie pour les bûchers. Toutefois, il est reçu depuis quelque temps dans les jardins des maisons, à cause de la facilité avec laquelle on le taille. Il donne beaucoup de résine, et cette résine est entremêlée de granulations blanches comme des perles, tellement semblables à l'encre, que mélangées, on ne peut, à la vue les en distinguer; de la les sophistications du marché de Séplasie (place de Capoue où se tenaient beaucoup de parfumeurs).

[2] Toutes ces espèces ont pour feuille une soie courte, épaisse et dure, comme le cyprès, Le picea est presque dè la racine garni de branches d'une grosseur médiocre, adhérentes comme des bras aux côtés de l'arbre. Il en est de même du sapin, qu'on recherche pour les constructions navales. Le sapin (abies pectinata, D C) habite le haut des monts, comme s'il fuyait les mers; la forme n'en est pas différente de celle du picea ; c'est un bois excellent pour les poutres et divers autres ouvrages. L'écoulement de la résine, qui est le seul produit du picea fait du mal eu sapin, qui en rend parfois un peu par l'exposition au soleil. Au contraire, Ie bois, qui est très beau dans le sapin, ne sert dans le picea qu'à faire des bardeaux, des cuves et quelques autres ouvrages de menuiserie en petit nombre.

XIX. [1] La ciquième espèce a le même habitat, le même aspect; on la nomme larix (mélèze, larix europaea, D C). Le bois en est de beaucoup préférable; il est incorruptible et rebelle à la destruction; en outre il est rougeâtre, et d'une odeur assez forte. Il donne issue à une résine plus abondante, d'une couleur de miel, plus visqueuse et ne se durcissant jamais.

[2] La slxième espèce est la teda proprement dite (pinus mugho ou pinus cembro), donnant plus de résine que les autres, moins que le picea, et une résine plus liquide, employée aussi pour les feux et les lumières dans les cérémonies religieuses. Des teda les mâles seuls portent ce que les Grecs appellent sucé (figue), d'une odeur très forte.

[3] Le larix devient teda par une maladie. Tous ces arbres, mis au feu, donnent une fumée excessive, lancent soudainement le charbon avec un bruit de crépitation et le projettent au loin, excepté le mélèze, qui ne brûle pas, ne fait pas de charbon, et n'est pas plus consumé qu'une pierre par la force du feu. Tous sont perpétuellement verts; et ils ne sont pas faciles à discerner les uns des autres au feuillage, même pour des connaisseurs, tant les espèces se confondent! Cependant le picea est moins haut que le mélèze; celui-ci est plus gros, il a l'écorce plus lisse, la feuille plus velue, plus grasse, plus dense et plus flexible. Le picea a la feuille plus rare, plus sèche, plus ténue et plus roide; dans son ensemble il est plus herissé. et Il est tout enduit de résine; le bois en est plus semblable à celui du sapin. Le mélèze brûlé sur pied ne repousse pas; le picea repousse, comme cela arriva à Lesbos après l'embrasement du bois de la montagne des Pyrrhéens.

[4] Dans la même espèce le sexe crée une nouvelle différence: le mâle est plus court, et à feuilles plus dures; la femelle, plus haute, à feuilles plus grasses, simples et non rigides. Le bois du mâle est dur, tordu, et difficile à mettre en oeuvre; celui des femelles est plus tendre; la hache en fait la distinction. Dans toutes les espèces la hache fait reconnaître le mâle ; car elle est repoussée, s'enfonce avec plus de bruit, s'arrache avec plus de peine. Le bois du mâle est tordu, et la racine plus noire.

[5] Autour du mont Ida, en Troade, la montagne ou la plage maritime ajoute une nouvelle différence. En Macédoine, en Arcadie, près d'Elis, les noms sont changés, et les auteurs ne sont pas d'accord entre eux sur ceux qu'on doit assigner à chaque espèce; pour nous, nous n'emploierons que des dénominations romaines. Le sapin est de tous le plus grand; la femelle est encore plus considérable; le bois en est plus tendre et plus ouvrable; l'arbre est plus rond; la feuille, pinnée, est touffue, au point de ne pas laisser passer la pluie; et, en somme, l'aspect de ce végétal est plus gai.

[6] Des rameaux de ces divers arbres pendent, en forme de panicules, des espèces de noix recouvertes de squames imbriquées. Le mélèze seul n'en présente pas. Dans le sapin mâle, ces pignons ont des noyaux en avant. Il n'en est pas de même dans le sapin femelle. Dans le picea, ces noyauxx, qui sont très petits et noirs, occupent le pignon entier, qui est plus petit et plus grêle; les Grecs, qui nomment ces noyaux phthirs, appellent le picea phthirophoros (portant des phthirs) ; dans ce même arbre les pignons du mâle sont plus ramassés et moins humides de résine.

XX. [1] Afin de ne rien omettre, nous dirons que pour l'aspect l'if (taxus baccata, L.) ressemble à ces arbres. L'if est très peu vert, grêle, triste, funeste, sans aucun suc, et de tous ces arbres le seul qui produit des baies. Le fruit est vénéneux dans le mâle, dont les baies, surtout en Espagne, renferment un poison mortel. Des faits prouvent que des barils propres à porter du vin en voyage faits en Gaule avec ce bois ont donné la mort. D'après Sextius, cet arbre est appelé smiIax par les Grecs; et en Arcadie le poison en est si actif, qu'il tue ceux qui s'endorment ou mangent dessous. Des auteurs même prétendent que les poisons nommés aujourd'hui toxiques, dans lesquels on trempe les flèches, avaient été appelés taxiques (c'est-à-dire tirés du taxis, l'if). On a découvert que l'if devient inoffensif si on y enfonce un clou d'airain.

XXI. (XI.) [1] La poix liquide, en Europe, s'obtient de la teda par le feu; on s'en sert pour enduire les navires, et elle a en outre beaucoup d'autres emplois (XXIV, 23). On fend ce bois en menus morceaux; on le met dans des fours qu'on chauffe en les entourant de feu de toute part à l'extérieur. La poix vierge coule comme de l'eau par un canal; on la nomme en Syrie cedrium; elle possède tant de force, que dans l'Egypte on l'emploie, en onction, à la conservation des cadavres (XXI, 3; XXIV, 23).

XXII. [1] La racine qui vient ensuite, déjà plus épaisse, constitue la poix proprement dite. Jetée ensuite dans des chaudières de cuivre, on l'épais-sit avec du vinaigre; et, coagule, elle a reçu le nom de poix Brutienne. On ne s'en sert que pour poisser les jarres et les vases (XXIV, 23) ; elle diffère des autres poix par la viscosité; de plus, elle a une couleur rutilante; elle est plus grasse que toutes les autres. Ou en prépare avec le picea; on met dans de fortes cuves de chêne du picea et des pierres très échauffées; ou si on n'a pas de cuves, on fait un tas de morceaux de picea, comme pour la fabrication du charbon (XVI, 8) : c'est avec cette poix qu'on pré pare les vins (XIV, 24); on la moud comme de la farine; la couleur en est assez noire.

[2] La même résine, bouillie légèrement avec de l'eau et puis passée, prend une couleur fauve, devient visqueuse, et se nomme poix distillée. Pour cet usage on n'emploie guère que les rebuts et les parties dures de la résine. Autre est la préparation de la poix appelé empala (XIV, 24): on prend de la fleur crue de résine (résine non encore cuite), détachée de l'arbre avec beaucoup d'éclats de bois minces et courts; on la broie assez menu pour qu'elle passe au crible; puis on l'arrose avec de l'eau bouillante jusqu'à cuisson.

[3] La partie grasse qu'on en exprime (XV, 7, 6) est la meilleure résine; elle est rare, on ne la trouve que dans un petit nombre de lieux de l'Italie Subalpine; les médecins l'emploient. On fait cuire un conge (3 litr., 24) de résine blanche dans deux conges d'eau de pluie. D'autres pensent qu'il vaut mieux la cuire sans eau à petit feu pendant un jour entier, et toujours dans un vase de cuivre blanc (XXXIV, 20). D'autres font aussi bouillir de la térébenthine (XIV, 25; XXIV, 22) dans une poêle très chaude; ils la préfèrent aux autres. La résine qu'on estime le plus ensuite est celle du lentisque.

XXIIII. (XII.) [1] Il ne faut pas omettre que les Grecs nomment zopissa de la poix raclée sur les navires (XXIV, 26) et mêlée avec de la cire; il n'est rien que les hommes n'essayent : elle est de beaucoup préférable pour les usages auxquels on emploie la poix et la résine, sans doute à cause de la dureté que lui a communiquée le sel marin.

[2] On ouvre le picea du côté du soleil, non par une incision, mais par l'ablation d'un Iambeau d'écorce; cette ouverture est ordinairement de deux pieds, et à une coudée au moins du sol; et on n'épargne même pas le bois, ce qui se fait pour les autres arbres, les éclats avant aussi de l'utilité : on estime l'éclat qui est le plus voisin du sol; les éclats plus élevés donnent de l'amertume.

]3] Puis tout le liquide résineux arrive de l'arbre entier dans la plaie. II en est de même dans la teda (XVI, 19). Quand le liquide a cessé de couler, on fait une semblable ouverture d'un autre côté, puis une troisième; puis l'arbre tout entier est coupé, et on en brûle la moelle [comme chandelle]. Dans la la Syrie on enlève l'écorce du térébinthinier; et là on l'enlève même aux branches et aux racines, bien que pour les autres résines on rebute ces parties. Dans la Macédoine on brûle le mélèze mâle entier, et les racines seulement du mélèze femelle. Théopompe a écrit que dans le territoire des Apolloniates on trouve de la poix fossile (XXXV, 51), qui n'est pas plus mauvaise que la poix de Macédoine.

[4] La meilleure poix, partout, se tire d'arbres venus dans des lieux exposés au soleil et à l'aquilon. Celle que produisent les lieux ombragés a un aspect désagréable et une odeur repoussante. Dans les hivers froids la poix est plus mauvaise, moins abondante et incolore. Quelques-uns pensent que dans les lieux montagneux elle est plus abondante, plus colorée et plus douce; que l'odeur aussi est plus agréabte tant qu'elle reste résine (XVI, 22), mais qu'à la cuisson elle rend moins de poix, parce qu'elle s'en va en sérosité; que les arbres résineux sont dans les montagnes plus menus que dans les plaines, et que ceux des montagnes et des plaines donnent moins de résine par un temps serein. Quelques arbres donnent un produit l'année qui suit l'incision ; d'autres, deux ans après; d'autres, trois. La plaie se remplit de résine, mais il ne se forme ni écorce ni cicatrice : ces arbres ne se cicatrisent pas.

[5] Quelques auteurs ont fait une espèce particulière du sappium, parce qu'il provlent de la graine des arbres résineux, comme nous l'avons dit en parlant des pignons (XV, 9); et ils donnent le nom de teda aux parties inférieures de cet arbre, bien que la véritable teda ne soit rien autre chose que le picea, qui, par la culture, a perdu un peu de son caractère sauvage. On nomme sapinus le bois coupé des arbres résineux, comme nous le dirons (XVI, 76).

XXIV. (XIII.) [1] C'est en effet pour le bois que la nature a produit les autres arbres, et le frêne (fraxinus excelsior, DC.) surtout en fournit en abondance. C'est un arbre é!evé et rond; la feuille en est pinnée : il a eté.rendu très célèbre par les éloges d'Homère et par la lance d'Achille (Il. XX, 277). Le bois en est employé dans plusieurs ouvrages, Le frêne qui croît sur le mont Ida en Troade ressemble tellement au cèdre, que, l'écorce étant enlevée, il trompe les acheteurs. Les Grecs en ont distingué deux espèces : l'une longue et sans noeuds, l'autre courte, plus dure, plus foncée, à feuilles de laurier. Les Macédoniens donnent le nom de bumella à un frêne très grand, et dont le bois est très flexible. D'autres ont divisé les espèces d'après la considération de l'habitat, le frêne de plaine ayant le bols madré, celui de montagne l'ayant serré. Les auteurs grecs disent que les feuilles de cet arbre sont mortelles aux bêtes de somme, et inoffensives pour les ruminants.

[2] En Italie elles ne font aucun mal, même aux bêtes de somme; loin de la, dans les morsures des serpents rien n'est plus utile que de les appliquer sur les plaies, après avoir bu du suc exprimé de ces feuilles. Telle en est la vertu, que les serpents ne se mettent pas sous l'ombre que cet arbre projette, même le matin ou le soir, alors qu'elle est la plus longue, et que même ils s'en tiennent fort loin. Si on renferme (nous en avons fait l'expérience) un serpent entre un cercle de feuillage de frêne et un brasier, le reptile ira se jeter plutôt dans le brasier que dans le frêne. Par une merveilleuse bonté, la nature a placé la floraison du frêne avant la sortie des serpents, et la chute des feuilles de cet arbre après leur retraite dans leurs trous.

XXV. (XIV.) [1] Dans ie tilleul (tilla europaea, L.) le mâle et la femelle diffèrent à tout égard. Dans le mâle le bois est dur, noueux , plus roux et plus odorant; l'écorce aussi est plus épaisse, et, détachée, on ne peut la plier. Il ne porte ni graine ni fleur, comme en porte le tilleul femelle, dont l'arbre est plus gros, le bois blanc et excellent. Il est singulier qu'aucun animal ne touche au fruit, le suc des feuilles et de l'écorce étant doux. Entre l'écorce et le bois sont des enveloppes, membranes fines et multipliées qu'on nomme tilleuls; on en fait des liens; les plus fines se nomment pbilyres; elles sont célèbres par le cas que les anciens en ont fait, comme bandelettes des couronnes (XXI, 4). Le bois n'est pas attaqué par les vers; il s'élève a une hauteur très mé¬diocre, mais il est utile.

XXVI. (XV.) [1] L'érable (acer pseudoplatanus, L. ), a peu près de la même grosseur, vient immédiatement après le citre (XVIII, 29), pour l'élégance et le fini des ouvrages. On en distingue plusieurs espèces. Le blanc (acer pseudoplatanus, L. ), qui est d'une blancheur admirable, est appelé gaulois dans l'Italie transpadane, et il vient au delà des Alpes. L'autre espèce a des taches marbrées; dans toute sa beauté, il est dénomme d'après sa ressemblance avec la queue du paon; le meilleur est en Istrie et en Rhétie. L'érable de qualité inférieure se nomme crassi venium. Les Grecs les distinguent par l'habitat : l'érable de plaine étant blanc, ou marbré (ils le nomment glinus) (acer creticum), l'érable de montagne étant marbré, plus dur; et dans cette espèce même le mâle est plus marbré et s'emploie dans des ouvrages plus élégants. La trolsième espèce, d'après les Grecs, est le zygia (acer compestre, L. ), bois rougeâtre, facile à fendre, a écorce livide et raboteuse; d'autres auteurs aiment mieux en faire une espèce indé pendante de l'érable, et le nomment en latin carpinus (charme, carpinus netulus, L.)

XXVII. (XVI.) [1] Ce qu'il y a de plus beau dans l'érable, c'est le bruscum, et surtout le molluscum. Ce sont deux tubérosités de cet arbre; le bruscum a des veines plus contournées; celles du molluscum sont repandues d'une manière plus simple: et si le molluscum était assez gros pour faire des tables, on le préférerait indubitable
ment au citre (XIII, 29): au lieu qu'à part les couvertures des tablettes et le plaqué des lits, on ne le voit que rarement employé. On fait aussi avec le bruscum des tables noirâtres. On trouve dans l'aune (talnus lutinosa, L) une tubérosité aussi inférieure aux précédentes que l'aune lui-même est inférieur à l'érable. L'érable mâle fleurit le premier. On préfère aussi les érables venus dans des lieux secs aux érables venus dans des lieux humides; il en est de même pour le frêne. Il y a encore au delà des Alpes un arbre dont le bois est très semblable a celui de l'érable blanc; on le nomme staphylodendron (staphylea ponnata, L. ); il porte des gousses, et dans ces gousses des noyaux, qui ont le goût de l'aveline.

XXVIII. [1] Au rang des bois les plus estimés est le buis (buxus semper virens, L.), rarement veiné, et jamais ailleurs que dans la racine. Du reste, c'est un bois pour ainsi dire dormant et silencieux, recommandable par sa dureté et sa couleur jaune. L'arbre lui-même est employé dans la topiaire. Il y en a trois espèces: le gaulois, que l'on fait monter en pyramide et atteindre une hauteur considérable; l'oléastre, bon a rien et répandant une odeur désagréable: le bois d'Italie, espèce sauvage, je pense, que la culture a améliorée: ce dernier s'étend davantage, forme des haies épaisses, est toujours vert, et se laisse tailler.

[2] Le buis abonde dans les Pyrénées, les monts Cytoriens et la contrée de Bérécynte (V, 29) ; il est très gros dans la Corse, et la fleur n'en est pas à dédaigner ; elle rend le miel amer. La graine en est rejetée par tous les animaux. Le buis du mont Olympe en Macédoine est plus grêle, mais petit. Il aime les lieux froids, bien exposés. Il résiste au feu comme le fer; il n'est bon ni pour chauffer, ni pour la fabrication du charbon.

XXIX. (XVII.) [1] Entre les arbres precédents et les arbres à fruit se place l'orme (ulmus campestris, L.), à cause, d'une part, de son bois, de l'autre, de sa sympathie pour les vignes. Les Grecs en distinguent deux espèces : l'orme de montagne, qui est plus grand, et celui de plaine, qui est comme un arbrisseau. L'Italie donne le nom d'atiniens aux plus élevés, et parmi ceux-ci préfère ceux qui viennent dans un lieu sec et non arrosé. La seconde espèce est l'orme gaulois. La troisième est l'orme italien à feuilles plus touffues, un seul pédicule portant plusieurs feuilles. La quatrième est l'orme sauvage. Les ormes atiniens ne portent pas de samara; c'est le nom de la graine d'orme. Tous les ormes proviennent de bouture (XVII, 9 et 15) ; tous, excepté l'atinien, proviennent aussi de graine.

XXX. (XVIII.) [1] Après avoir parlé des arbres les plus célèbres, il me reste à exposer certaines généralités sur eux tous. Le cèdre, le mélèze, la teda, et les autres arbres résineux, aiment les montagnes; il en est de même du houx, du buis, de l'yeuse, du genévrier, du térébinthinier, du peuplier, de l'orne, du cornouiller et du charme. On trouve encore dans l'Apennin un arbrisseau appelé cotinus (XIII, 41) (le fustet, rhus cotinus, L.), renommé pour colorer les étoffes de lin à la façon de la pourpre. Le sapin, le rouvre, le châtaignier, le tilleul, l'yeuse, le cornouiller, se plaisent également dans les montagnes et les vallées.

[2] L'érable, le frêne, le sorbier, le tilleul, le cerisier, aiment les montagnes arrosées. On ne voit guère dans les montagnes le prunier, le grenadier, l'olivier sauvage, le noyer, le mûrier, le sureau. Le cornouiller, le coudrier, le quercus, l'orne (frasinus ornus, L.), l'érable, le frêne, le hêtre, le charme, descendent aussi dans les plaines; l'ormeau, le pommier, le poirier, le laurier, le myrte, le cornouiller sanguin (XVI, 43; XXIV, 43), l'yeuse, et les genêts propres à la teinture des étoffes (genista tinctoria, L.), montent aussi jusque dans les lieux montagneux.

[3] Le sorbier, et encore plus le bouleau, se plaisent dans les lieux froids. Le bouleau est un arbre de la Gaule, très blanc et très élancé. Il figure dans les faisceaux redoutables des magistrats; on l'emploie aussi à faire des cercles et les côtes des corbeilles. En Gaule, on en extrait de la résine par la cuisson. Aux lieux froids appartient aussi l'épine, qui donne les torches nuptiales du meilleur augure, parce que les pasteurs qui enlevèrent les Sabines fixent des torches avec ce végétal, au dire de Masurius. Maintenant on emploie le plus ordinairement pour torches le charme et le coudrier (XV, 24).

XXXI. [1] Le cyprès, le noyer, Ie châtaignler, et (XVII, 35, 17) l'aubour (cytisus laburnum, L), haïssent l'eau. L'aubour est un arbre des Alpes, assez peu connu, ayant le bois dur et blanc, et une fleur longue d'une coudée, à laquelle les abeilles ne touchent pas. L'eau ne plaît pas non plus à l'arbre appelé barbe de Jupiter (anthyllis barba Jovis, L.), lequel se laisse tailler par la topiaire, est touffu et arrondi, et a une feuille argentée. Il faut des lieux humides au saule, à l'aune, au peuplier, au siler (XXIV, 44) (salix capraea ou salix vitellina, L.), au troène (ligustrum vulgare, L.), utile pour les tessères militaires; il en faut de même au vaccinium, cultivé en Italie, et employé par les marchands d'esclaves (XXI, 7), et au vaccinium dont en fait dans les Gaules une pourpre servant à la teinture des vêtements des esclaves (airelle, vaccinum myrtilus, L ). Tous les arbres qui sont communs aux montagnes et aux plaines deviennent plus grands et prennent une apparence plus belle dans les plaines; mais ils ont le bois meilleur et plus veiné dans les montagnes, excepté les pommiers et les poiriers.

XXXII. (XIX.) [1] De plus, parmi les arbres, les uns perdent les feuilles, les autres sont couverts d'une chevelure toujours verte. Avant de parler de cette différence, signalons en une autre, qui doit passer devant : il y a certains arbres, pour ainsi dire civilisés, qui doivent être dénommés par cette qualité; ces arbres bienfaisants, qui charment l'homme par leurs fruits ou quelque propriété avantageuse, ou par l'ombre qu'ils donnent, peuvent être, à bon droit, appelés arbres civilisés.

XXXIII (XX.) [1] Parmi ces derniers ne perdent pas les feuilles : l'olivier, le laurier, le palmier, le myrte, le cyprès, le pin, le lierre, le rhododendron (laurier-rose, nerion oleander, L.) et la sabine (XXIV, 61), quoiqu'on en fasse une herbe. Le rhododendron, comme le nom l'indique, vient de la Grèce : les uns l'ont appelé nérion, d'autres rhododaphné, feuillage éternel, fleurs semblables à la rose, tige arborescente; c'est un poison pour les bêtes de somme, les chèvres et les moutons. Le même est pour l'homme un remède contre le venin des serpents (XXI.).

[2] Parmi les arbres des forêts, ne perdent pas les feuilles : le sapin, le mélèze, le pinaster, le genévrier, le cèdre, le térébinthinier, le buis, l'yeuse, le houx, le liège, l'if, le tamarix (XIII, 37). L'adrachné (arbustus adrachne, L) en Grèce, et partout l'arbousier (XIII, 40) (arbustus unedo, L.), tiennent le milieu entre les arbres toujours verts et ceux dont les feuilles tombent : ces deux végétaux perdent toutes les feuilles, excepté celles de la cime. Parmi les arbrisseaux, une certaine ronce et le roseau ne perdent pas leurs feuilles.

[3] Dans le territoire de Thurium, où fut Sybaris, on apercevait de la ville un chêne dont les feuilles ne tombaient jamais, et qui ne commençait pas à bourgeonner avant le milieu de l'été. II est singulier que cette particularité, rappelée par les auteurs grecs, ait été depuis passée sous silence parmi nous. Telle est, en effet, la puissance de certaines localités, que dans les environs de Memphis d'Égypte, et à Eléphantine dans la Thébaïde, nul arbre, pas même la vigne, ne perd ses feuilles.

XXXIV. (XXII.) [1] A part les arbres qui viennent d'être nommés, tous les autres (il serait long de les énumérer) perdent les feuilles. On a observé qu'elles ne se dessèchent que si elles sont minces, larges et molles ; que celles qui ne tombent pas sont dures, épaisses et étroites. C'est un faux principe de dire que les arbres dont le suc est gras ne perdent pas les feuilles : qui, en effet, pourrait retrouver cette condition dans l'yeuse? Timée le mathématicien pense qu'elles tombent, le soleil traversant la constellation du Scorpion, par l'influence de cet astre et un certain venin de l'air: mais nous sommes en droit de nous étonner pourquoi cette cause, qui est générale, n'agit pas sur tous les arbres. C'est dans l'automne que tombent les feuilles de la plupart des arbres; quelques-uns les perdent plus tard, et en retardent la chute jusqu'en hiver;

[2] et pour cela il n'importe pas que le bourgeonnement de l'arbre ait été précoce, quelques-uns bourgeonnent des premiers et se dépouillant des derniers, par exemple l'amandier, le frêne, le sureau, tandis que le mûrier bourgeonne des derniers, et perd ses feuilles des premiers. En ceci le terraln a aussi une grande influence; les feuilles tombent plus tôt dans les terrain secs et maigres, plus tôt encore quand l'arbre est vieux. Plusieurs même les perdent avant la maturité des fruits : sur le figuier tardif, le poirier d'hiver et le grenadier, il arrive un moment où l'on ne voit plus que des fruits sur la tige. Ce n'est pas que sur les arbres à feuillage perpétuel les mêmes feuilles durent toujours, mais pendant que les nouvelles poussent les vieilles se dessèchent; cela arrive surtout à l'époque des solstices.

XXXV. [1] Les feuilles restent les mêmes dans chaque espèce, excepté sur le peuplier, le lierre et le ricin. qui, avons-nous dit (XV, 7 ), se nomme également cici (XXIII.) On connaît trois espèces de peupliers : le blanc (populus alba, L.), le noir (populus pigra, L.), et le libyque tremble (populus tremula). Les feuilles très petites, très noires, et qui est très estimé pour les champignons qu'il produit. Le peuplier blanc a la feuille bicolore, blanche en dessus, verte en dessous. Ce peuplier, le noir et le ricin, ont dans leur jeunesse la feuille arrondie au compas; elle devient anguleuse dans la vieillesse de l'arbre; au contraire, la feuille du lierre, d'abord anguleuse, s'arrondit. Les feuilles du peuplier laissent tomber un duvet très long; sur le peuplier blanc, qui, dit-on, a des feuilles plus nombreuses, ce duvet est blanc, et ressemble à des villosités. Les grenadiers et les amandiers ont des feuilles rouges.

XXXVI. [1] L'orme, le tilleul, l'olivier, le peuplier blanc et le saule, présentent une particularité merveilleuse (XVIII, 68, 2) : les feuilles de ces arbres se retournent en sens inverse après le solstice d'été, et aucun signe n'indique avec plus de certitude que cette époque est passée. (XXIV.) Ces arbres offrent aussi la différence commune à toutes les feuilles, à savoir que la face inférieure qui regarde la terre a une couleur herbacée et est aussi la plus lisse.

[2] Les nervures, la partie dure, les nœuds, sont sur la face supérieure; l'inférieure est marquée de lignes, comme la main humaine. La feuille de l'olivier est en dessus plus blanche et moins lisse; il en est de même pour le lierre. Les feuilles de tous les arbres se retournent chaque jour sous l'action du soleil, afin que les parties inférieures soient échauffés. La face supérieure de toutes les feuilles porte un duvet, en quelque petite quantité qu'il soit; ce duvet est de la laine dans certaines contrées (VI, 20 ).

XXXVII. [1] Nous avons dit (XIII, 7) que dans l'Orient on fait de forts cordages avec les feuilles du palmier, cordages qui valent mieux dans l'eau. Chez nous on cueille d'ordinaire les feuilles du palmier aussitôt après la moisson; les meilleures sont celles qui ne se sont pas divisées. On les fait sécher à couvert pendant quatre jours, puis on les étend au soleil; on les laisse la nuit à l'air jusqu'à ce qu'elles soient sèches et blanches, après quoi on les fend pour les mettre en œuvre.

XXXVIII [1] Les feuilles sont très larges sur le figuier, la vigne et le platane; étroites sur le grenadier et l'olivier; capillaires sur le pin et le cèdre; aiguës sur le houx et l'yeuse (le genévrier a une épine au lieu de feuille); charnues sur le cyprès et le tamarix (XIII, 37); très épaisses sur l'aune; longues sur le roseau et le saule; bifides sur le palmier (XIII, 7) ; arrondies sur le poirier; mucronées sur le pommier; anguleuses sur le lierre; fendues sur le platane; dentelés en forme de peigne sur le picea et le sapin; découpées dans tout le contour sur le rouvre; à surface épineuse dans la ronce. Les feuilles sont mordantes sur quelques végétaux, par exemple sur les orties, piquantes sur le pin, le picea, le sapin, le mélèze, le cèdre et les houx (XVI, 8 et 12); à pétiole court sur l'olivier et l'yeuse, à pétiole long sur la vigne, à pétiole tremblant sur les peupliers, qui sont les seuls dont les feuilles fassent du bruit entre elles.

[2] Dans une espèce de pommier (XV, 15), une petite feuille et parfois même deux proéminent au milieu du fruit. Les feuilles sont rangées les unes autour des branches, les autres au sommet des rameaux; le rouvre en a sur le tronc même. Elles sont serrées ou écartées; celles qui sont larges sont toujours plus écartées. Symétriques sur le myrte (XV, 37), concaves sur le buis, elles sont sans ordre sur le pommier. Plusieurs feuilles sortent d'un même pétiole sur le pommier et le poirier. Elles ont des veines ramifiées sur l'orme et le cytise. Caton (De re rust. V, XXX et XLV) ajoute que l'on coupe les feuilles du peuplier et du chêne, et il recommande qu'on les donne aux animaux avant qu'elles soient complètement desséchées. Il veut même que l'on donne aux bœufs les feuilles de figuier, d'yeuse et de lierre. On fait manger aussi les feuilles de roseau et de laurier. Les feuilles du sorbier tombent toutes à la fois; celles des autres tombent peu à peu. Nous n'en dirons pas davantage sur les feuilles.

XXXIX. (XXV.) [1] Voici l'ordre annuel que suit la nature : le premier acte est la fécondation, quand le Favonius commence à souffler, vers le 6 des ides de février (8 février) (II, ,47). Ce vent féconde tout ce qui vit sur la terre, puisqu'il féconde même les cavales en Espagne, comme nous avons dit (VIII, 67) : c'est le souffle générateur du monde, et, dans l'opinion de quelques-uns, le nom qu'il porte lui vient de fovere (réchauffer). Il souffle du couchant équinoxial, et ouvre le printemps (XVIII, 77). Les paysans disent que la nature est alors en chaleur, parce qu'elle brûle de recevoir les semences, et parce que le Favonius apporte la vie à tous les végétaux. Les végétaux conçoivent à des jours différents, suivant leur nature individuelle : les uns immédiatement comme les animaux, les autres plus tard, et Ils portent pendant un temps plus long le produit de la conception ; on nomme ce travail germination. L'enfantement, c'est la floraison; la fleur sort d'utricules rompues. La croissance du fruit, c'est l'éducation. La croissance du fruit et la germination sont des opérations laborieuses.

XL. [1] La fleur est l'indice du printemps dans sa plénitude, et de la renaissance de l'année; la fleur est la joie des arbres. Alors ils apparaissent tout nouveaux, tout autres qu'ils ne sont; alors ils étalent à l'envi les couleurs variées qui les embellissent. Mais cet ornement a été refusé à beaucoup; tous ne fleurissent pas; il est certains arbres sombres qui ne sont pas sensibles aux joies de la saison. Aucune fleur n'égaye ni l'yeuse, ni le picea, ni la mélèze, ni le pin; aucun signal à nuances diverses n'annonce chez eux la renaissance annuelle des fruits. Il en est de même pour le figuier et le caprifiguier, la fleur se change immédiatement en fruit. Sur les figuiers il faut aussi remarquer ces fruits avortés qui ne mûrissent jamais. Les genévriers ne fleurissent pas non plus. Quelques auteurs en distinguent deux espèces: l'une fleurit, et n'a pas de fruit; l'autre ne fleurit pas, et produit, sans intermédiaire, des baies qui demeurent deux ans sur la tige. Mais cela est faux; l'aspect des genévriers ne s'égaye jamais. Ainsi, dans la vie, la destinée de beaucoup d'hommes est toujours sans fleurs.

XLI. [1] Tous les arbres bourgeonnent, même ceux qui ne fleurissent pas. A cet égard la différence des localités est grande : dans la même espèce, les arbres plantés dans les lieux marécageux bourgeonnent les premiers, puis ceux des plaines; en dernier lieu ceux des forêts. Les poiriers sauvages sont par eux-mêmes plus tardifs que les autres poiriers. Au premier souffle du Favonius bourgeonnent le cornouiller, puis le laurier, et un peu avant l'équinoxe le tilleul et l'érable. Au nombre des plus avancés sont le peuplier, l'orme, le saule, l'aune, le noyer. Le platane aussi est hâtif. D'autres bourgeonnent à l'entrée du printemps : le houx, le térébinthinier, le paliure, le châtaignier, les arbres à gland. Au contraire, le pommier est tardif, et le liège le plus tardif de tous. Quelques-uns bourgeonnent deux fois, soit par la fertilité exubérante du sol, soit par la bénignité excitante de l'atmosphère; cela se voit surtout dans les céréales. Toutefois un bourgeonnement excessif épuise les arbres.

[2] Outre le bourgeonnement du printemps, certains arbres ont naturellement d'autres bourgeonnements qui dépendent de l'influence de constellations particulières, et que nous exposerons plus convenablement dans le dix-huitième livre (XVIII, 57). Le bourgeonnement d'hiver est au lever de l'Aigle, celui de l'été au lever de la Canicule, le troisième au lever d'Arcturus. Quelques-uns pensent que ces deux bourgeonnements sont communs à tous les arbres, mais qu'ils se remarquent surtout dans le figuier, la vigne, le grenadier; et la raison qu'ils allèguent, c'est qu'en Thessalie et en Macédoine les figuiers à cette époque fournissent le plus de figues; mais cela se voit surtout en Egypte.

[3] Le bourgeonnement, dès qu'il est commencé, continue sur tous les arbres, excepté le rouvre, le sapin, le mélèze, qui ont trois intermissions et trois pousses; aussi jettent-ils trois fois des écailles. Tous les arbres jettent des écailles dans le bourgeonnement, l'épiderme de l'arbre qui bourgeonne se rompant. Leur premier bourgeonnement est au commencement du printemps, pendant quinze jours environ. Leur second bourgeonnement est au moment où le soleil traverse les Gémeaux. On voit alors la pointe des premiers bourgeons poussés par ceux qui suivent, ce que l'on reconnaît à une nodosité. Leur troisième bourgeonnement s'opère au solstice, il est le plus court de tous, et ne dure pas au delà de sept jours : alors on voit clairement l'articulation des bourgeons qui croissent.

[4] La vigne seule bourgeonne deux fois : la première lors de l'apparition de la grappe, la seconde lors de la maturation. Les arbres qui ne fleurissent pas n'ont que le bourgeonnement et la maturité du fruit. Quelques-uns fleurissent des qu'ils sont en bourgeons, et traversent hâtivement cette période; mais les fruits mûrissent tardivement, comme sur la vigne. D'autres arbres bourgeonnent et fleurissent tardivement, et le fruit mûrit hâtivement, par exemple le mûrier (XVIII, 67), qui bourgeonne le dernier de tous les arbres domestiques, et seulement quand les froids sont complètement passés; c'est pour cela qu'on le nomme le plus sage des arbres. Mais le bourgeonnement, quand il est commencé, s'y déploie sur tous les points avec tant de force qu'il s'accomplit en une seule nuit, même avec un bruit sensible.

XLII. [1] Des arbres qui, comme nous l'avons dit (XVI, 41), bourgeonnent en hiver au lever de l'Aigle, l'amandier, le premier de tous, fleurit au mois de janvier; au mois de mars l'amande est mûre. Viennent ensuite le prunier d'Arménie (XV, 12) (abricot ), puis le tuber, puis la pêche précoce (XV, 11); les deux premiers sont exotiques, le troisième est précoce par l'effet de la culture. Mais, dans l'ordre de la nature, parmi les arbres sauvages les premiers qui fleurissent sont le sureau, qui a le plus de moelle, et le cornouiller mâle, qui n'en a point.

[2] Parmi les arbres domestiques le premier est le pommier, et peu après (à tel point qu'on pourrait en croire la floraison simultanée) le poirier, le cerisier et le prunier. Le laurier les suit; après le laurier vient le cyprès, puis le grenadier et le figuier; mais la figue et l'olivier bourgeonnent quand ceux-la sont deja en fleur. Ces deux arbres concoivent au lever des Pléiades (XVIII, 66) : c'est la leur constellation. La vigne fleurit au solstice d'été, ainsi que l'olivier, qui commence un peu plus tard. La floraison passe en sept jours, jamais plus tôt, quelquefois plus lentement; aucune ne dépasse quatorze jours. Toutes les floraisons sont terminées avant le 8 des ides de juillet (le 8 juillet ) et l'arrivée (XVIII, 68) des vents étésiens.

XLIII. [1] Sur quelques arbres le fruit ne succède pas immédiatement à la chute des fleurs. (XXVI.) Le cornouiller, vers le solstice d'été, pousse un fruit d'abord blanc, puis couleur de sang. Le cornouiller femelle (cornus sanguinea, L.) après l'automne, porte des baies acerbes, auxquelles aucun animal ne peut toucher; le bois aussi en est spongieux et inutile, tandis que celui du cornouiller mâle est des plus forts, tant est grande la différence dans une même espèce. Le térebinthinier, l'érable et le frêne produisent à l'époque de la moisson; le noyer, le poirier et le pommier, excepté le poirier d'hiver et le poirier précoce, en automne; les arbres à gland, encore plus tard, au coucher des Pléiades (XVIII, 59), excepté le chêne esculus, qui produit en automne; quelques espèces de poirier, et de pommiers, et le liège, à l'entrée de l'hiver. Le sapin porte vers le solstice d'été des fleurs couleur de safran, et la graine est mûre après le coucher des Pléiades. Le pin et le picea bourgeonnent environ quinze jours avant le sapin ; néanmoins ils ne donnent non plus leur graine qu'après le coucher des Pléiades.

XLIV. [1] Le citronnier (XII, 7) le genévrier et l'yeuse passent pour donner des fruits toute l'année, et sur ces arbres le nouveau fruit est suspendu à côté de celui de l'année précédente. Toutefois le plus admirable est le pin: il a un fruit qui est mûr, un qui arrivera à maturité l'année suivante, et un autre qui mûrira la troisième année; aucun arbre ne se prodigue davantage : le mois même où l'on cueille une pomme de pin une autre pomme mûrit; et l'arrangement est tel, qu'il ne se passe pas un mois sans qu'une pomme ne mû risse. Les pommes qui se sont fendues sur l'arbre même se nomment azanies (desséchées), et si on ne les ôte pas elles gâtent les autres.

XLV. [1] Les seuls arbres qui ne portent aucun fruit, c'est-à-dire pas même une graine, sont : le tamarix (XXIV, 41), qui ne sert qu'à faire des balais; le peuplier, l'aune, l'orme atinien (XVI, 29), l'alaterne (rhamnus alaternus, L ), dont les feuilles tiennent le milieu entre les feuilles de l'yeuse et celles de l'olivier. On regarde comme sinistres et la religion condamne les arbres que l'on ne sème jamais, et qui ne portent pas de fruits. Crémutius rapporte que l'arbre auquel Phyllis se pendit n'est jamais vert. Les arbres à gomme se fendent après le bourgeonnement; la gomme ne s'épaissit qu'après que le fruit a été enlevé.

XLVl. [1] Les jeunes arbres sont improductifs tant qu'ils croissent. Les fruits qui tombent le plus facilement avant la maturité sont ceux du palmier, du figuier, de l'amandier, du pommier, du poirier, et aussi du grenadier; ce dernier perd même sa fleur par des rosées excessives et par du brouillard. Aussi les cultivateurs courbent les branches du grenadier, de peur qu'étant droites elles ne reçoivent et ne retiennent l'humidité nuisible. Le poirier et l'amandier (XVIII, 2, 1), quand même il ne pleuvrait pas, mais si le vent du midi souffle ou si le ciel est nuageux, perdent leurs fleurs; ils perdent aussi leurs premiers fruits si la floraison étant passée, il survient un temps semblable. Le saule perd sa graine de très bonne heure, avant qu'elle ne soit aucunement mûre (XXIV, 87.) : aussi Homère (Od., X, 5101) a-t-il donné à cet arbre l'épithète de perdant son fruit (ὠλεσίκαρπος). Les âges suivants, violant les lois de la nature, ont donné un autre sens à cette phrase : il est certain que la graine de saule frappe les femmes de stérilité. La nature, prévoyante aussi en cela, a donné peu de soins à la graine d'un arbre qui vient sans peine de bouture. Cependant il est, dit-on, un saule dont les graines arrivent à maturité : il est dans l'île de Crète, à la descente de la caverne de Jupiter : cette graine farouche et ligneuse est de la grosseur d'un pois chiche.

XLVII. [1] Quelques arbres deviennent improductifs par la faute du terroir: ainsi, dans l'île de Paros est un bois taillis qui ne produit rien; dans l'île de Rhodes, les pêchers ne font que fleurir (IV, 13). Cette stérilité provient aussi du sexe : les arbres mâles ne produisent rien. Quelques auteurs, faisant une transposition, disent que ce sont les mâles qui produisent. Un arbre trop touffu peut aussi être stérile.

XLVIII. [1] Parmi les arbres productifs, quelques uns portent des fruits sur les côtés et au sommet des branches, tels que le poirier, le grenadier, le figuier et le myrte. C'est, au reste, la même disposition que pour les céréales et les légumineuses: dans les unes l'épi est au sommet; dans les autres la gousse est sur les côtés. Le palmier est, comme nous l'avons dit (XIII, 7), le seul dont le fruit pendant en grappe soit dans une spathe.

XLIX. [1] Les autres arbres ont le fruit sous les feuilles, afin qu'il soit protégé. Le figuier fait exception; la feuille eu est très grande, et donne beaucoup d'ombre : aussi le fruit est-ii placé au-dessus, et d'ailleurs la feuille pousse plus tard que le fruit. On rapporte une singularité dans une espèce qu'on trouve en Cilicie, en Chypre et en Grèce : les figues sont sous les feuilles, et les figues qui ne mûrissent pas viennent après les feuilles. Le figuier donne aussi des fruits précoces, qu'à Athènes on nomme prodromes. Cela se voit surtout sur le figuier de Laconie.

L. (XXVII.) [1] Il y a des figuiers (XV, 19) qui portent deux fois. Dans l'île de Céos les figuiers sauvages portent trois fois : le premier produit appelle le suivant, et celui-ci le troisième; avec ce dernier se fait la caprification (XV, 21). Les fruits du figuier sauvage naissent à l'opposite des feuilles. Parmi les poiriers et les pommiers il y en a qui portent deux fois, comme il y en a de précoces. Le pommier sauvage porte deux fois; le second produit vient après le lever d'Arcturus (XVIII, 74), surtout dans les localités bien exposées. Il y a des vignes qui portent jus qu'à trois fois, ce qui les a fait appeler folles : sur le même cep des grappes mûrissent, d'autres grossissent, d'autres sont en fleur.

[2] M. Varron (De re rust. , 7) rapporte qu'il y avait à Smyrne, auprès du temple de la Mère des dieux, une vigne qui portait deux fois, et un pommier dans le territoire de Consentia. Cela se voit constamment dans le territoire de Tacape en Afrique, dont nous parlerons plus amplement ailleurs (XVIII, 51), tant est grande la fertilité du terroir. Le cyprès porte aussi trois fois : on en récolte les baies en janvier, en mai et en septembre, et elles sont de trois grosseurs différentes.

[3] Les arbres offrent des différences, même dans la distribution du fruit : l'arbousier et le chêne en ont le plus à la cime; le noyer et le figuier (XV, 19) marisque, dans le bas. Tous les arbres, à mesure qu'ils vieillissent, deviennent plus hâtifs; ils le sont plus aussi dans les lieux bien exposés, et dans une terre qui n'est pas grasse. Tous les arbres sauvages sont plus tardifs ; quelques-uns même n'ont jamais de fruits complètement mûrs. Les arbres dont on laboure le pied on qu'on arrose sont plus hâtifs que ceux qu'on néglige; ils sont aussi plus fertiles.

LI. [1] La fertilité présente encore des différences suivant l'âge: l'amandier et le poirier sont le plus fertiles dans la vieillesse, ainsi que les arbres à gland et une certaine espèce de figuier; les autres sont le plus fertiles dans la jeunesse, et le fruit mûrit plus tardivement; cela se remarque surtout dans les vignes : les vieilles donnent un vin meilleur, les jeunes en donnent en plus grande quantité. Le pommier vieillit très vite et les fruits qu'il donne dans sa vieillesse valent moins; ils sont plus petits, et sujets à être attaqués par les vers; ces insectes attaquent l'arbre même. De tous les arbres à fruit, le figuier est le seul auquel on fasse subir une préparation en vue de la précocité; extravagance du luxe, qui paye plus cher ce qui ne vient pas à son temps (XXIII, 63). Tous les arbres féconds avant le tempe vieillissent plus rapidement, et même quelques-uns meurent tout d'un coup, ayant été épuisés par un ciel trop favorable; cela arrive surtout aux vignes. (XXVIII.)

[2] Au contraire, le mûrier vieillit très lentement; son fruit ne le fatigue pas. Les arbres dont le bois est veiné vieillissent tardivement aussi, tels que l'érable, le palmier et le peuplier. Les arbres dont on laboure le pied vieillissent plus vite. (XXIX.) Ceux des forêts vieillissent le plus tardivement. En somme, toute culture accroît la fertilité, et la fertilité avance la vieillesse; aussi les arbres cultivés sont-ils les premiers à fleurir, les premiers à bourgeonner, en un mot précoces en tout; car tout ce qui est faible est soumis davantage aux influences atmosphériques.

LII. [1] Plusieurs arbres donnent plus d'un produit, comme nous l'avons dit à propos des arbres à gland (XVI, 9-14). Dans ce nombre est le laurier, qui porte des espèces de grappes; surtout le laurier stérile, qui ne produit rien autre : aussi quelques-uns le regardent-ils comme le laurier mâle. Les noisetiers portent, outre le fruit, des chatons durs et compactes, qui ne servent à rien. (XXX.) C'est le buis qui donne le plus de produits: sa semence, une graine qu'on nomme cralaegum, le gui du côté du nord, l'hyphéar du côté du midi, deux objets dont nous parlerons bientôt plus amplement (XVI, 93) ; et quelquefois cet arbre a en même temps ces quatre produits.

LIII. [1] Quelques arbres simples, et n'ayant qu'une tige a partir de la racine, portent des branches nombreuses, comme l'olivier, le figuier, la vigne. D'autres sont à tiges multiples, le paliure, le myrte, ainsi que le noisetier, qui même vaut d'autant mieux, et rapporte d'autant plus qu'il est partagé en plus de tiges. Quelques arbres n'ont point du tout de tronc, une espèce de buis et le lotus d'outre-mer (zizyphus lotus, Desf.). D'autre sont bifurqués, quelques-uns même ont cinq fourches. Quelques- uns se divisent sans être rameux, le sureau; d'autres; sans se diviser, sont rameux, le picea. Les branches affectent un ordre symétrique sur quelques-uns, le picea, le sapin; sur d'autres elles sont sans ordre, le rouvre; le pommier, le poirier. Les divisions du sapin sont dressées; les branches se dirigent vers le ciel, elles ne sont pas étendues sur les côtés. Chose singulière: cet arbre meurt si on coupe la cime des branches, et il ne meurt pas si on les coupe en entier. Si on le coupe au-dessous de l'endroit où naissent les branches, le reste du tronc survit; si au contraire on enlève seulement la cime de l'arbre, il meurt tout entier. D'autres arbres ont des branches au pied même, par exemple l'ormeau ; d'autres sont rameux à la cime, le pin, le lotus ou fève grecque (micocoulier, celtis australis, L.), dont le fruit, sauvage à la vérité, mais ressemblant presque à la cerise, est appelé lotos à Rome à cause de sa douceur.

[3] C'est surtout pour les maisons qu'on le recherche, à cause du jet hardi de ses branches, qui sur un tronc court déploient une ombre très large, et envahissent souvent les maisons voisines. Aucun arbre n'a un ombrage qui soit moins étendu (XVII, 17). En hiver, perdant ses feuilles, il n'ôte pas le soleil. Aucun arbre n'a une écorce plus agréable, et qui plaise davantage aux yeux; aucun arbre n'a les branches plus longues, plus fortes ni plus nombreuses: on dirait autant d'arbres. Avec son écorce on teint les cuirs, avec sa racine les laines. Les rameaux du pommier ont une disposition particulière: ils figurent le mufle des bêtes; ces mufles sont formés par le concours de plusieurs petits rameaux autour d'un rameau principal.

LIV. [1] Quelques branches avortent et ne bourgeonnent pas; c'est un effet naturel si elles ne se développent pas, c'est un accident si elles ont été coupées, et qu'une cicatrice en ait arrêté l'évolution. Ce qu'est la branche dans les arbres qui se divisent, l'oeil l'est dans la vigne, et l'articulation dans le roseau. Tous les arbres sont plus gros vers le pied. Le sapin, le mélèze, le palmier, le cyprès, l'orme et tous les arbres qui n'ont qu'un tronc, se développent en hauteur. Parmi les arbres branchus on trouve des cerisiers qui donnent des poutres de 40 coudées sur une grosseur de 2 dans toute l'étendue. (XXXI.) Quelques arbres dès le pied se divisent en branches, par exemple le pommier.

LV. [1] L'écorce est mince chez quelques arbres, le laurier, le tilleul; épaisse chez d'autres, le rouvre; lisse chez d'autres. le pommier, le figuier: elle est raboteuse sur le rouvre et le palmier; cher tous elle devient plus rugueuse dans la vieillesse. Elle se rompt spontanément chez quelques-uns, par exemple la vigne. Dans d'autres elle tombe même, le pommier, l'arbousier. Elle est charnue sur le liège. le peuplier; membraneuse sur la vigne, le roseau; semblable à celle du papyrus sur le cerisier; composée de plusieurs lames sur la vigne, le tilleul, le sapin; simple dans d'autres, le figuier, le roseau.

LVI. [1] La différence des racines est grande aussi : abondantes dans le figuier, le rouvre et le platane; courte et étroites dans le pommier; uniques dans le sapin et le mélèze, qui ne s'appuient que sur un seul pivot, tout en projetant latéralement des radicule; grosses et inégales dans le laurier ainsi que dans l'olivier, chez lequel aussi elles sont rameuses; charnues dans le rouvre. Le rouvre les enfonce à une grande profondeur. Si nous en croyons Virgile (Géorg. II. 291), le chêne esculus a des racines qui descendent autant dans le sol que la tige s'élève dans les airs.

[2] Les racines de l'olivier, du pommier et du cyprès sont à fleur de terre. Chez quelques arbres elles ont une direction rectiligne, le laurier et l'olivier; chez d'autres, tortueuse, le figuier. Certaines racines sont chevelues, tête le sapin et plusieurs arbres des forêts. Les montagnards en prennent les filaments les plus tenus, et en font des flacons remarquables et d'autres vases. Suivant quelques auteurs, les racines ne descendent pas au delà du niveau où pénètre la chaleur du soleil. La pénétration des rayons dépendant de la nature du sol plus tenu ou plus dense : proposition que je regarde comme fausse.

[3] Du moins, on trouve dans les auteurs qu'un sapin qu'on transplantait avait une racine de 8 coudées de profondeur; encore fût-elle, non déterrée, mais rompue. Une racine très étendue et très grosse appartient aussi au citre (XIII, 29); puis viennent celles du platane (XII, 5), du rouvre et des arbres à gland. Il est des arbres dont la racine est plus vivace que ce qui est hors du sol, par exemple le laurier; aussi, si le tronc vient à se dessécher on le coupe, et elle pousse avec une nouvelle vigueur. Quelques-uns pensent que plus les racines sont courtes, plus les arbres vieillissent promptement. Le figuier donne la preuve du contraire : les racines en sont très longues, et la vieillesse en est très précoce. Je regarde aussi comme faux ce que quelques auteurs ont dit, à savoir que les racines des arbres diminuent par la vieillesse : j'ai vu un vieux chère renversé par un orage, Il embrassait un jugère (25 ares).

LVII. [1] Il arrive souvent que des arbres déracinés, étant replantés, reprennent par une sorte de cicatrice de la terre. Cela est très commun pour les platanes, qui, par leurs branches très touffues, donnent beaucoup de prise au vent; on coupe leurs branches, et après les avoir débarrassée de ce fardeau, on les replace dans leur trou. On a fait aussi cette expérience sur le nover, l'olivier et plusieurs autres. (XXXII.) On cite des cas où sans orage, sans autre cause qu'un prodige, plusieurs arbres sont tombés et se sont redressés spontanément.

[2] Ce prodige s'est fait pour les Quirites du peuple romain dans les guerres des Cimbres : à Nucérie, dans le bois consacré à Junon, un ormeau incliné sur l'autel au point qu'on avait été obligé d'en couper la cime, se redressa spontanément et se couvrit aussitôt de fleurs. Depuis ce moment la majesté du peuple romain que des désastres avaient flétrie, reprit son éclat. On cite un fait semblable dans la ville de Philippes (IV, 18) au sujet d'un saule qui était tombé, et dont la tête avait été coupée; à Stagyre, dans le musée, au sujet d'un peuplier blanc : tout cela a été d'un augure favorable. Mais le fait le plus merveilleux, c'est qu'un platane d'Antandre, dont les côtés avaient même été taillés à la hache, repoussa spontanément et reprit : c'était un arbre d'une hauteur de quinze coudées, et d'une grosseur de quatre aunes.

LVIII. [1] Les arbres que nous devons à la nature naissent de trois façons : spontanément, de graine ou de rejetons. L'art a augmenté le nombre des modes de reproduction; nous en parlerons dans un livre à part (XVII, 9) : ici nous ne nous occupons que de la nature et de ses procédés variés et merveilleux. Les arbres, nous l'avons dit (XII, 7), ne viennent pas tous en tout lieu, et tous ne supportent pas la transplantation; elle échoue tantôt par le dégoût de l'arbre pour le nouveau terroir, tantôt par son indocilité, plus souvent par sa faiblesse, d'autres fois par l'influence contraire du climat, ou par la répulsion du sol.

LIX. [1] Le baume (XII, 54) a du dédain pour toute autre terre que sa terre natale; le citronnier, né en Assyrie, dédaigne ailleurs de donner des fruits ; le palmier, non plus, ne vient pas, ou, s'il vient, ne produit pas partout, ou, s'il promet et montre même (XIII, 16), des fruits naissants, ne mène pas à bien ce qu'il a engendré, pour ainsi dire, contre son gré. L'arbrisseau du cinname n'a pas assez de force pour s'acclimater dans les contrées voisines de la Syrie. L'amome et le nard. ces parfums délicats, ne supportent pas la transplantation hors de l'Inde, même pour l'Arabie, ni le transport par mer; le roi Seleucus en a fait l'essai.

[2] Chose très singulière l presque toujours on obtient des arbres qu'ils vivent et se transplantent; quelquefois on obtient du terroir qu'il adopte et nourrisse les enfants étrangers; jamais on ne fléchit le climat. Le poivrier vit en Italie (XII, 14), la casia même dans les contrées septentrionales (XII, 43); l'arbre de l'encens a vécu en Lydie (XII, 31) : mais comment donner à ces végétaux les rayons du soleil, qui en évaporait toute l'humidité et en mûrissait le suc? Une autre singularité, c'est que la nature peut se modifier sans que l'arbre cesse d'être vigoureux. La nature avait donné le cèdre aux contrées brillantes, et il naît dans les montagnes de la Lycie et de ta Phrygie;

[3] elle avait fait le laurier ennemi du froid, et cet arbre n'est nulle part plus abondant que sur le mont Olympe (IV, 15). Autour du Bosphore cimmérien, dans la ville de Panticapée, le roi Mithridate et les habitants firent, en vue des rites religieux, tous leurs efforts pour naturaliser le laurier et le myrte; ils n'y réussirent pas, bien que les arbres qui aiment la chaleur y soient nombreux, le grenadier, le figuier, ainsi que des pommiers et des poiriers très renommés. La même contrée se refuse à produire, en fait d'arbres des pays froids, le pin, le sapin, le picea. Mais pourquoi aller chercher des exemples dans le Pont? Aux environs de Rome, les châtaigniers et les cerisiers ne viennent qu'à grand-peine ; le pêcher et l'amandier ne se greffent que difficilement dans le territoire do Tusculum, tandis que celui de Terracine en présente des forêts entières.

LX. (XXXIII.) [1] Le cyprès (cupressus semper virens , L.) est exotique, et il est au nombre de ceux qui se naturalisent difficilement; aussi Caton (De re rust., XLVIII et CLI) en a-t-il parlé plus longuement et plus souvent que de tous les autres. Le cyprès ne pousse qu'à regret, le fruit en est inutile, la baie fait faire la grimace, la feuille est amère, l'odeur forte; il ne donne même pas une ombre agréable; il ne fournit que peu de bois, au point d'être presque au rang des arbrisseaux ; il est consacré à Pluton, et pour cette raison on le place en signe de deuil à l'entrée de la demeure des grands. Le cyprès femelle est longtemps stérile. L'aspect pyramidal qu'il présente a empêché de le rejeter, mais on ne l'employa d'abord que pour distinguer les rangs des pins. Aujourd'hui on le taille; on en fait des charmilles épaisses, où, grâce à la serpe, il offre un feuillage toujours naissant.

[2] On le fait entrer même dans les décorations topiaires pour représenter des chasses, des flottes et d'autres tableaux, qu'il revêt d'un feuillage mince, court et toujours vert. Il y a deux espèces de cyprès : l'un pyramidal que l'on appelle femelle, l'autre qui est le mâle, qui se déploie en rameaux, que l'on taille, et auquel on marie la vigne. On fait avec les deux espèces des perches et des ais en coupant les branches. qui, au bout de treize ans, se vendent un denier (0 fr., 82) la pièce. Les plantations de cyprès sont d'un excellent rapport, et dans l'antiquité on les appelait vulgairement la dot des filles. La patrie de cet arbre est l'île de Crète, bien que Caton (De re rust. CLI) le dise tarentin, sans doute parce que Tarente est le premier endroit où le cyprès ait été naturalisé.

[3] Dans l'île d'Aenaria (III, 12), coupé au pied il repousse. Dans l'île de Crète, en quelque lieu que l'on remue la terre, le cyprès y germe par une force naturelle, et perce aussitôt le sol; et même dans cette île il n'est pas besoin de solliciter le sol : spontanément, et surtout dans la chaîne du mont Ida, dans les montagnes nommées Blanches, sur des sommets toujours couverts de neige, le cyprès, chose merveilleuse! abonde, tandis qu'ailleurs il ne vient qu'en des lieux chauds, et encore est-il très dédaigneux du sol qui lui sert de nourrice (XVIII, 14, 1).

LXI. [1] La production des arbres n'est pas seulement soumise à l'influence perpétuelle du sol et du climat, mais les pluies exercent aussi une action temporaire. Les eaux apportent souvent des graines, et non seulement des graines connues, mais des graines inconnues. On en a vu un exemple dans la Cyrénaïque, quand le laser y naquit pour la première fois, comme nous le dirons en parlant des herbes (XIX, 15). Cyrène a vu aussi naître une forêt dans son voisinage, après une pluie poisseuse et épaisse, vers l'an 430 de Rome.

LXII. (XXXIV. ) [1] On dit que maintenant le lierre vient en Asie : Théophraste ( Hist., III, 18) dit qu'il n'y venait pas; cet auteur assure qu'il ne vient dans l'Inde que sur le mont Mérès (VI, 23); que même Harpalus avait fait toutes sortes d'efforts pour le naturaliser en Médie, mais inutilement, et qu'Alexandre, à cause de la rareté de ce végétal, en fit faire des couronnes pour son armée. et revint ainsi du l'Inde en vainqueur; à l'exemple de Bacchus: aujourd'hui encore le lierre orne les thyrses de ce dieu, et les casques et les boucliers chez certaines nations thraces, dans des solennités religieuses. Il est nuisible aux arbres et à toutes les plantes, et fend les tombeaux et les murs; il est très agréable aux serpents; qui recherchent le frais; et il est étonnant qu'on ait eu de la vénération pour cette plante.

[2] Les deux premières espèces du lierre sont, comme pour les autres arbres, le mâle et la femelle: on attribue au mâle une tige plus grosse, une feuille plus dure et plus grasse, et une fleur dont la couleur approche de la pourpre. La fleur du mâle et de la femelle est semblable à la rose sauvage, si ce n'est qu'elle manque d'odeur. Chacune de ces deux espèces se divise en trois autres : le lierre blanc, le lierre noir, et le lierre hélice. Ces espèces se divisent aussi en d'autres : Il y a un lierre dont le fruit seul est blanc, un autre dont la feuille est blanche aussi. Parmi les lierres qui portent un fruit blanc, les uns ont des grains serrés, gros; les grappes sont sphériques; on les nomme corymbes

[3] Le sélénitium a un grain plus petit, et les grappes plus dispersées; et il en est de même dans le lierre noir, dont une variété a la graine noire, et une autre la graine safranée: c'est avec ce dernier lierre que les poètes font leurs couronnes; les feuilles en sont moins foncées : quelques-uns nomment cette espèce lierre de Nysa (V, 16, et VI, 22), d'autres, de Bacchus; c'est celle qui, parmi les lierres noire, a les corymbes les plus grands. Quelques auteurs grecs divisent même cette dernière espèce en deux, d'après la couleur des graines, l'érythranum et le chrysocarpum.

[4] L'hélice diffère le plus des autres à cause des feuilles : les feuilles sont petites, anguleuses, plus élégantes, tandis que les feuilles des autres espèces sont simples; il diffère aussi par la longueur des internoeuds, mais surtout par sa stérilité, car il ne produit pas de fruits. Quelques-uns pensent que c'est une différence d'âge et non d'espèce, et que ce qui est d'abord hélice devient lierre en vieillissant On reconnaît sans peine que c'est une erreur, car ou trouve plusieurs espères d'hélice, mais trois remarquables surtout ; l'hélice herbacé, vert, qui est le plus commun; l'hélice à feuilles blanches, et l'hélice à feuilles de diverses couleurs, qu'on nomme hélice de Thrace.

[5] Une espèce d'hélice herbacé a des feuilles minces, rangées symétriquement et touffues ; dans l'autre espèce tout est différent. Dans l'espèce versicolore, une variété a les feuilles minces, semblablement rangées avec symétrie et touffues; une autre variété manque de tous ces caractères. Les feuilles sont aussi plus grandes ou plus petites, et diffèrent par la disposition des taches; et dans l'hélice blanc les feuilles sont plus ou moins blanches. L'hélice herbacé croît surtout en hauteur.

[6] Le lierre blanc tue les arbres, il en pompe tous les sucs; et il grossit au point de devenir lui-même un arbre. Les caractères en sont : feuilles très grandes et très larges ; bourgeons relevés, tandis qu'ils sont penchés dans les autres lierres; grappes droites et dressées; et tandis que tous les lierres ont les branches en forme de racines, celui-ci a de véritables branches et très fortes. Après lui, c'est le noir qui les a les plus fortes. Un caractère propre au lierre blanc, c'est d'émettre du milieu des feuilles des bras avec lesquels il embrasse a droite et à gauche; ce qu'il fait même sur les murs, bien qu'il ne puisse rien y embrasser.

[7] Aussi, quoique coupé transversalement en plusieurs points de la tige, il vit et subsiste, ayant autant de points d'attache qu'il a de bras avec lesquels, plein de force et de vigueur, il suce et étouffe les arbres. Il y a, tant dans le lierre blanc que dans le lierre noir, de grandes différences entre les fruits :quelques-uns l'ont si amer que les oiseaux n'y touchent pas. On distingue encore le lierre droit : il se tient debout sans aucun appui; on l'appelle seul cissos (lierre), par opposition à tous les autres lierres. Au contraire le chamaecissos (lierre de terre, glechoma hederacea, L.) rampe toujours sur le sol.

LXIII. (XXXV.) [1] Semblable au lierre, le végétal nommé smilax (salsepareille d'Europe, smilax aspera, L), qui, bien que provenant de la Cilicie, est plus commun en Grèce, a nombre de tiges garnies de nœuds, des branches épineuses formant arbrisseau, la feuille hédéracée, petite, non anguleuse, émettant des vrilles par le pétiole, la fleur blanche et d'une odeur de lis. Il porte des grappes comme celles de la vigne sauvage et non du lierre, d'une couleur rouge; les grains les plus gros renferment trois noyaux, les plus petits un seul, noirs et durs, il est rejeté de toutes les cérémonies religieuses et de toutes les couronnes; c'est une plante de mauvais augure, parce qu'une jeune fille de ce nom, éprise de Crocus, a été métamorphosée en ce végétal.

[2] Le vulgaire, qui ne connaît pas le smilax, pollue souvent ses fêtes en le prenant pour du lierre; le lierre, qui est aussi l'attribut des poètes de Bacchus et de Silène, ce qui n'est ignoré de personne. On fait des tablettes avec le smilax; et ce bois a la propriété de faire entendre, approché de l'oreille, un bruit léger. On dit que le lierre a une vertu merveilleuse pour l'épreuve des vins: un vase fait avec du bois de lierre laisse passer le vin et retient l'eau, s'il y eu a eu de mélangée.

LXIV. (XXXVI.) [1] Parmi les végétaux qui aiment les lieux froids, il convient de parler des arbrisseaux aquatiques, du premier rang sont les roseaux, indispensables dans la paix et dans la guerre, et fournissant même des instruments de plaisir. Les peuples septentrionaux s'en servent pour couvrir leurs maisons; et cette toiture épaisse dure des siècles. Dans les autres pays on en fait des plafonds très légers. Le roseau est attaché au service du papier, surtout le roseau d'Egypte, par une certaine parenté avec le papyrus. On estime cependant davantage celui de Cnide et celui qui croit en Asie, autour du lac Anaïtique (V, 20).

[2] Le nôtre est d'une substance plus spongieuse, qui boit l'encre, et qui, creuse à l'intérieur et revêtue, à l'extérieur, d'une couche ligneuse mince, se fend en éclats toujours très pointus du reste. La tige mince, articulée et coupée par des nœuds, diminue insensiblement de grosseur, et se termine par une cime épanouie en un large panicule. Ce panicule n'est pas non plus inutile: ou l'on s'en sert, au lieu de plume, pour remplir les lits des tavernes; ou, quand il prend une consistance plus ligneuse, comme en Belgique, on le pile, et on s'en sert pour boucher les joints des navires : cela tient mieux que la colle, et ferme les fentes plus hermétiquement que la poix.

LXV. [1] C'est le roseau qui décide les guerres de l'Orient : on y fixe des pointes en hameçon, qu'on ne peut retirer; des plumes rendent rapide la marche de cet instrument de mort; la flèche brisée dans la blessure devient un nouveau trait. Avec ces armes, les guerriers obscurcissent les rayons du soleil; aussi désirent-ils surtout des jours sereins; ils haïssent les vents et les pluies, qui les condamnent à la paix. Si l'on énumère les Ethiopiens, les Égyptiens, les Arabes, les Indiens, les Scythes, les Pactriens, tant de nations sarmatiques. tant de peuples de l'Orient, tous les royaumes des Parthes, on verra que la moitié du monde environ vit sous un empire immense par les roseaux.

[2] C'est la confiance en ces armes qui a précipité la ruine des guerriers de la Crète. Mais en cela aussi. l'Italie l'emporte sur les autres pays; aucun autre roseau n'est plus propre à faire des flèches que celui qui vient sur les bords du Rhénus, rivière du territoire de Bologne; c'est celui qui a le plus de moelle, et assez de légèreté pour fendre l'air, comme assez de poids pour n'être pas emporté par le vent. Le roseau de Belgique n'a pas les mêmes avantages, qui se trouvent aussi dans les meilleurs roseaux de Crète. Toutefois on préfère ceux de l'Inde, qui, aux yeux de certains auteurs, paraissent d'une autre espèce; car en y ajoutant une pointe on s'en sert en guise de lances.

[3] Le roseau de l'Inde a la grosseur d'un arbre (bambos arundinacea, Lam.), et il est tel que nous le voyons souvent dans les temples. Les Indiens assurent que les mâles et les femelles diffèrent aussi dans cette espèce : le roseau mâle est plus compact, le roseau femelle d'une capacité plus grande; et, si nous ajoutons foi aux récits, un seul internœud suffit pour faire un esquif (VII, 2, 12 ).

[4] Ces roseaux croissent surtout aux bords de l'Acésines. Dans toutes les espèces de roseaux une seule souche donne naissances à des tiges nombreuses, et, coupée, elles repoussent avec plus de fécondité. La racine, naturellement vivace, est noueuse aussi. Les roseaux de l'Inde ont seuls des feuilles courtes. Dans tous les roseaux les feuilles commencent aux nœuds, et entourent la tige d'enveloppes fines; la plupart cessent de l'envelopper vers le milieu de l'internœud, et retombent vers le sol. Le roseau et le calame, quoique ronds, ont deux côtés; au-dessus des nœuds, alternativement, est une aisselle, de telle façon que, l'une étant à droite, l'autre, qui est supérieure, est à gauche, et ainsi de suite. De là partent quelquefois des branches, qui sont autant de petits roseaux.


LXVI. [1] Il y a plusieurs espèces de roseaux (arundo phragmites, L.) : l'un est plus compact, a des nœuds plus gros et les internoeuds courts; l'autre est moins dense, a les internoeuds plus grands, et est aussi moins gros. Un autre calamus est entièrement creux; on le nomme syringia : il est très bon pour faire des pipeaux, parce qu'il n'a ni moelle ni chair. Celui d'Orchomène a un canal ouvert d'une extrémité à l'autre, on le nomme aulétique; il vaut mieux pour les flûtes, l'autre pour les pipeaux. Il y en a un autre à bois plus gros, et dont le canal est très étroit; une moelle spongieuse le remplit tout entier.

[2] L'un est plus court, l'autre plus haut; l'un est plus mince, l'autre plus gros. L'arundo donax (arundo donax, L.) est celui qui jette le plus de tiges; il ne tient que dans les lieux aquatiques, car c'est aussi une différence à noter; et on préfère de beaucoup le roseau qui pousse dans des lieux secs. Le roseau à flèche forme une espèce particulière, comme nous l'avons dit (XVI, 65;); celui de Crète a les internoeuds les plus grands, et, chauffé, on peut le plier dans tous les sens. Les feuilles constituent aussi des différences par le nombre, et encore par la couleur.

[3] Elles sont bigarrées sur le roseau de Laconie, et plus touffues à la partie inférieure. On prétend que celui qui croît autour des étangs ressemble au roseau de Laconie, et diffère des roseaux du bord des rivières, les feuilles montent plus haut au-dessus les nœuds et leur formant une longue enveloppe. Il y a encore un roseau oblique (arundo epigeios, L.) qui ne pousse pas en hauteur, mais qui s'étale près du sol comme un arbrisseau; il est très recherché des animaux quand ii est tendre. Quelques-uns le nomment elegia. On trouve aussi en Italie ce qu'on nomme adarca (XX, 88 ; XXXII, 52) : l'adarca vient deus les marais; elle est attachée a l'écorce du roseau, et seulement sous le panicule même: cette substance est très bonne pour les dents, parce qu'elle a la même force que la moutarde.

[4] L'admiration des anciens m'oblige à donner plus de détails sur les roseraies du lac Orchomène. On nommait characias un roseau plus gros et plus solide, plotias un roseau plus mince; le plotias venait dans des îles flottantes, le characias sur les rives inondées du lac. La troisième espèce appelée aulétique était celle du roseau à flûte, qui poussait tous les neuf ans; c'était aussi dans un pareil intervalle de temps que le lac croissait; prodige de mauvais augure quand il restait débordé pendant deux ans, ce que l'on observa lors du désastre des Athéniens à Chéronée, et beaucoup d'autres fois.

[5] On nomme Lébaïde l'endroit où le Céphise s'y jette. Quand l'inondation a duré un an, les roseaux prennent une grosseur qui les rend bons pour les oiseleurs; on les appelait zeugites. Ils recevaient le nom de bombycles quand le lac se retirait plus tôt : ceux-ci sont minces, et dans cette variété le roseau femelle a la feuille plus large et plus blanche et un peu de duvet: celui qui n'en a point du tout a reçu le nom d'eunuque. C'était avec ces roseaux qu'on faisait les flûtes. Je n'omettrai pas d'indiquer les soins merveilleux que les anciens donnaient à la fabrication de cet instrument, ce qui excusera les modernes de faire aujourd'hui des flûtes d'argent. Le roseau se coupait, mûr, sous la constellation d'Arcturus (XVIII, 74), usage qui dura jusqu'au temps d'Antigénides le joueur de flûte [contemporain d'Alexandre le Grand], durant la période où la musique était simple. Ainsi préparés, les roseaux pouvaient être mis en œuvre au bout de quelques années.

[6] Alors même il fallait les assouplir par un exercice prolongé, et enseigner à la flûte même à rendre des sons harmonieux; car les anches étaient serrées, ce qui convenait mieux aux usages du théâtre de ces temps. Quand la musique devint plus variée, et qu'il y eut aussi du luxe dans le chant, on coupa les roseaux avant le solstice d'été, et on les mit en œuvre au bout de trois ans; on fit les anches plus ouvertes, pour avoir des sons flexibles; c'est encore aujourd'hui de celles-là qu'on se sert. Mais alors on était persuadé que l'anche, pour s'accorder avec la flûte, devait être de même roseau. On pensait aussi que la partie la plus voisine de la racine convenait à la flûte tenue de la main gauche, et la partie la plus voisine de la cime, la flûte tenue de la main droite. On préférait infiniment les roseaux que le Céphise (IV, 12) lui-même avait baignés. Aujourd'hui les flûtes toscanes pour les sacrifices sont en buis, celles des jeux sont de lotus (XIII, 32), d'os d'âne, ou d'argent, Le roseau pour les oiseleurs le plus estimé est celui de Panhormos; pour les pécheurs, celui d'Abarita en Afrique.

LXVII. [1] En Italie on emploie surtout le roseau à soutenir les vignes. Caton (De re rust. VI.) veut qu'on le plante dans des terrains humides, bêchant préalablement le sol, et laissant un intervalle de trois pieds entre les œilleton; qu'on y mette aussi l'asperge sauvage (XIX, 42), d'où proviendra l'asperge domestique, attendu que le roseau et l'asperge sauvage s'accordent (XXXVII.); que dans les environs on plante du saule; car, dit-il, c'est le meilleur des végétaux aquatiques; il l'emporte sur le peuplier, qui pourtant plaît aux vignes et sert de tuteur à celles Cécube; il l'emporte sur les aunes, qui pourtant forment un. rempart par leur haie, qui, plantés dans l'eau, veillent sur la rive, comme sur une muraille, à la défense de la campagne contre les débordements impétueux des rivières, et qui, taillés, pullulent en rejetons innombrables.

LXVIII. [1] Le saule offre plusieurs espèces. L'un élève à une grande hauteur des branches qui, taillées en perche et accouplées, soutiennent la vigne, et l'écorce s'en découpe en lanières propre à former des liens. L'autre fournit des baguettes flexibles qui servent à attacher. Celui-ci a des branches très minces qui entrent dans des ouvrages remarquables de vannerie. Celui-là plus solide, est employé à la fabrique de paniers et d'autres ustensiles rustiques; un autre plus blanc, dont on enlève l'écorce et qui se laisse facilement manier, fournit des ustensiles trop peu chers pour qu'on les fasse en cuir; et il est très bon pour les chaises à dos, et l'on est si à l'aise. Le saule, taillé, prospère; la taille le fait pulluler par le sommet, qui ressemble plus à un poing fermé qu'à la sommité d'une tige. A notre avis, c'est un arbre qu'il faut se garder de mettre au dernier rang. Aucun n'est d'un revenu plus sûr, de moindre dépense, et plus a l'abri de l'intempérie des saisons.

LXIX. [1] Caton (De re rust., VI) donne à cette culture le troisième rang, et il la met avant celle de l'olivier, du froment et des prés. Ce n'est pas que le saule soit le seul arbre qui fournisse des liens : on en obtient du genêt (XXIV, 40), du peuplier, de l'ormeau, de la sanguine (XVI, 30), du bouleau, du roseau fendu, des feuilles de roseau comme en Ligurie, de la vigne même, des ronces privées de leurs épines, du coudrier tordu; c'est chose singulière qu'un bois, battu, forme des liens plus forts. Mais le saule l'emporte sur tout le reste. Le saule grec rougeâtre se fend; le saule d'Amérie, plus blanc, mais un peu plus cassant, ne se fend pas, et forme un lien solide. En Asie on en distingue trois espèces : le noir, employé dans la vannerie; le blanc, dont les paysans se servent; le troisième, qu'on appelle hélice, et qui est très peu élevé. Chez nous aussi on a trois dénominations pour autant d'espèces: le saule viminal ou purpurin; le saule nitelin (mulot) (VIII, 82), appelé ainsi d'après sa couleur, il est plus mince que le précédent; enfin le saule gaulois, qui est le plus mince de tous.

LXX. [1] Ce n'est ni dans la catégorie des arbrisseaux, ni dans celle des ronces ou des tiges, ni dans celle des herbes, mais c'est dans une catégorie spéciale qu'il faut placer le jonc fragile et palustre (scirpus palustris, L.), qu'on emploie pour toiture et en natte; écorcé, il sert de mêcbe aux lumières employées dans l'éclairage et dans les funérailles. En quelques lieux il a plus de dureté et de force : non seulement les mariniers du Pô en font des voiles pour leurs bateaux, mais encore les pécheurs de l'Afrique usent en mer de ces voiles que, par un usage bizarre, ils attachent au mât du côté qui regarde la poupe. Les Maures en couvrent leurs cabanes; et si on examine la chose de prés, on verra que le jonc est employé aux mêmes usages que dans la basse Égypte le papyrus.

LXXI. [1] Aux arbrisseaux appartiennent, parmi les végétaux aquatiques, les ronces (rubus fruticosus, L.) et le sureau (XXIV, 35), plante spongieuse, non cependant comme la férule, car il a plus de bois. Les bergers pensent qu'on fait des trompettes et des cors plus sonores avec un sureau coupé dans un endroit où le chant du coq ne parvienne pas. Les ronces portent des mûres; une autre espèce, nommée églantier (rosa canina, L.), donne une fleur semblable à la rose. Une troisième espèce est appelée idéenne (framboisier, rubus idaeus, L.), du lieu où elle pousse; elle est plus mince que les autres, a les épines plus petites et moins recourbées. La fleur est employée, dans du miel, en applications contre les ophtalmies, et aussi contre l''érysipèle; on en boit des Infusions pour combattre les affections de l'estomac (XXIV, 74 ). Le sureau a des grains noirs et petits, contenant une humeur visqueuse, et propre surtout à teindre les cheveux. On les mange aussi, bouillis dans l'eau.

LXII. (XXXVIII.) [1] L'écorce des arbres renferme une humeur que l'on doit regarder comme le sang des végétaux, et qui n'est pas identique dans tous. Cette humeur est laiteuse dans le figuier, et elle possède pour le fromage la vertu de la pressure; elle est gommeuse dans le cerisier, baveuse dans l'orme, visqueuse et grasse dans le pommier, aqueuse dans la vigne et le poirier. Les arbres sont d'autant plus vivaces que cette humeur est plus visqueuse. Bref, le corps des végétaux comme celui des animaux présente une peau, du sang, de la chair, des nerfs, des veines, des os, de la moelle; c'est l'écorce qui sert de peau. Chose singulière! quand les médecins veulent extraire le suc du mûrier, l'écorce légèrement entamée avec une pierre, dans le printemps à la deuxième heure du jour, fournit ce suc, mais rien ne s'écoule si la plaie pénètre plus avant.

[2] Immédiatement sous l'écorce, dans la plupart des arbres, se trouve une graisse qu'on nomme aubier, à cause de sa couleur; c'est la partie molle et la plus mauvaise du bois; l'aubier pourrit facilement, même dans le chêne, et il est sujet à la vermoulure; aussi l'ôtera-t-on toujours. Au-dessous est la chair, sous laquelle est la partie osseuse, c'est-à-dire ce qu'il y a de meilleur dans le bois. Les arbres dont le bois est sec, comme l'olivier, ne donnent de fruit que de deux années l'une; ceux dont le bois est charnu, comme le cerisier, en donnent plus souvent. Tous les arbres n'ont pas de la graisse ou de la chair en abondance, comme on le voit chez les animaux les plus actifs; il n'y a ni graisse ni chair dans le baie (XVI, 7), le cornouiller (XVI, 42), l'olivier; ils n'ont point non plus de moelle; ils ont aussi très peu de sang. Le sorbier n'a pas de parties osseuses; le sureau (XVI, 71) n'a pas de parties charnues. Le sorbier et le sureau ont le plus de moelle. Les roseaux n'ont presque pas de chair.

LXXIll. [1] Dans la chair de quelques arbres on trouve des fibres et des veines; la distinction en est facile. Les veines sont plus larges et les fibres sont plus blanches dans les bois qui se fendent bien; aussi l'oreille, étant appliquée à l'extrémité d'une poutre, quelque longue qu'elle soit, entend le coup porté, même avec un stylet, à l'autre extrémité (XI, 112) ; le son pénètre par des trajets rectilignes. On reconnaît de la sorte si le bois est tord, et interrompu par des nœuds. Les tubérosités que l'on trouve dans certains bois sont semblables aux glandes dans la chair des animaux. Ces tubérosités n'ont ni veine ni fibres, c'est une sorte de chair dure, roulée sur elle même; elles sont très estimées dans le citre (XIII, 29) et l'érable (XVI, 27).

[2] Quant aux autres bois dont on fait des tables, on les fend en long et dans ces planches on taille des segments arrondis ; ils seraient fragiles si on les coupait perpendiculairement au fil du bois. Dans les hêtres la disposition des fibres représente un peigne transversal; de la vient que les anciens estimaient les vases faits avec ce bois. Manius Curius (VII, 15) fit serment que de tout le butin il n'avait pris qu'un guttum (espèce de vase) de hêtre pour faire les sacrifices. Le bois qu'on flotte est dans l'eau selon sa longueur; la partie du côté de la racine s'enfonce plus profondément. Quelques arbres ont des fibres sans veines, et sont uniquement composés d'une trame mince; ce sont les plus faciles à fendre. D'autres se cassent plutôt qu'ils ne se fendent; ceux-là n'ont pas de fibres, tels sont l'olivier (XV, 1), la vigne (XIV, 2). Au contraire, le figuier (XV, 19) est tout chair. Il n'y a que la partie osseuse dans l'yeuse (XVI, 8), le cornouiller (XV, 31), le rouvre {XVI, 8), le cytise (XIII, 47), le mûrier (XV, 27), l'ébénier (XIII, 8), le lotos (rhamnus lotus) (XIII, 31), et ceux qui avons-nous dit (XVI, 72), sont dépourvus de moelle.

[3] Tous ces bois ont une couleur noirâtre excepté le cornouiller, qui est fauve; on en fait des épieux brillants. et qu'on cisèle pour les embellir. Le cèdre (XIII, 11), le mélèze (XVI, 19) et le genévrier (XIII, 11), sont rouges. (XXXIX.) Le mélèze femelle fournit le bois appelé par les Grecs aegis et qui est d'une couleur de miel. Les peintres emploient pour leurs tableaux cet aegis qui, à l'expérience, s'est trouvé incorruptible et qui ne se fend jamais; c'est la partie la plus voisine de la moelle. Dans le sapin, les Grecs l'appellent leuson. Dans le cèdre aussi, la partie la plus dure est plus voisine de la moelle; elle est, pourvu qu'on en ôte l'aubier, aussi dure que les os dans le corps des animaux. On dit aussi que l'intérieur du sureau a une dureté merveilleuse; ceux qui en font des épieux les préfèrent à tous les autres : c'est en effet un bois composé de peau et d'une partie osseuse.

LXXIV. [1] Le temps propre pour couper les bois qu'on ne veut qu'écorcer, tels que les bois ronds destinés à être employés dans les temples et à d'autres usages, est le temps où ils bourgeonnent; autrement on ne peut détacher l'écorce, la pourriture s'y attache, et le bois noircit. Les bois équarris et ceux auxquels la hache enlève l'écorce se coupent depuis le solstice d'hiver jusqu'au Favonius, ou, s'il faut agir avant cette époque, au coucher d'Arcturus ou même au coucher de la Lyre; la dernière limite est le solstice d'été. Nous dirons en lieu et place les jours de ces constellations.

[2] On pense qu'il suffit de ne pas abattre un arbre qu'on doit équarrir avant qu'il ait produit un fruit. Le rouvre coupé au printemps est sujet à la vermoulure ; coupé eu hiver, il ne se gâte ni ne se courbe; autrement il est sujet à se tordre et à se fendre. Cela arrive aussi dans le liège, même coupé à temps. Le cours de la lune a encore une importance infinie; on veut que la coupe ne se fasse que du vingtième au trentième jour de la lunaison. On est unanime sur l'avantage d'abattre les arbres dans la syzygie, jour que les uns nomment interlune et les autres silence de la lune.

[3] C'est ainsi du moins que l'empereur Tibère, après l'incendie du pont de la naumachie, prescrivit de couper en Rhétie les mélèzes pour le rétablissement de ce pont. Quelques-uns disent que la lune doit être en syzygie et au-dessous de l'horizon, ce qui ne peut arriver que de nuit. Ils ajoutent que si la syzygie coïncide avec le jour même du solstice d'hiver, le bois a une durée éternelle; que le meilleur bois ensuite est celui que l'on coupe quand elle coïncide avec les constellations ci-dessus nommées. D'autres ajoutent le lever de la Canicule, et ils disent que c'est ainsi qu'a été coupé le bois employé dans le forum d'Auguste. Le bois destiné à être travaillé ne doit être coupé ni trop jeune ni trop vieux. Quelques-uns (et cette pratique n'est pas mauvaise) coupent tout autour l'arbre jusqu'à la moelle, le laissent sur pied, et donnent le temps à tous les liquides de s'écouler. Voici des faits remarquables de l'antiquité : dans la première guerre punique, la flotte du général Duillus mit en mer soixante jours après la coupe des arbres qui servirent a la construire. L. Pison rapporte que dans la guerre contre le roi Hiéron deux cent vingt vaisseaux furent construits en quarante-cinq jours. A la seconde guerre punique, la flotte de Scipion mit en mer le quarantième jour après le premier coup de hache. Tant on peut aller vite quand on est pressé !

LXXV. [1] Caton, personnage d'une si grande autorité sur toutes choses, a dit ce qui suit touchant les bois : Pour faire un pressoir (De re rust., XXXI ), employez de préférence le sapin noir. Quand vous abattez l'ormeau, le pin, le noyer ou tout autre arbre, abattez-le au décours de la lune, après midi, quand il n'y a pas de vent du sud. L'arbre (ibid. XVII, XXXI, XXXVII) sera bon à couper quand la graine en sera mûre. Prenez garde a ne pas l'arracher ou l'équarrir pendant le temps de la rosée. Un peu plus bas (ib. XXXVII) il dit: "Ne touchez au bois que dans l'interlune ou dans les premiers quartiers; mais dans ce temps même ne déracinez pas, ne coupez pas sur pied. Les sept jours qui suivent la pleine lune sont l'époque la plus favorable pour déraciner. Évitez soigneusement d'équarrir, de couper ou de toucher aucun bois, si ce n'est quand il est sec. Même précaution pour un bois couvert de gelée ou de rosée." L'empereur Tibère observait aussi les interlunes pour se faire couper les cheveux. M. Varron (De re rust., I, 37) a recommandé de ne les couper que dans les pleines lunes, de peur de l'alopécie.

LXXVI. [1] Le mélèze et surtout le sapin (abies pectinata, DC,) (XVII, 18 et 19), coupés, laissent longtemps couler un liquide. Ce sont de tous les arbres les plus élevés et les plus droits. On préfère le sapin, à cause de sa légèreté, pour les mâts des navires et pour les antennes. Ces arbres et le pin ont ceci de commun qu'on y remarque quatre veines, ou deux, ou une seule, Le cœur de ces arbres est excellent pour la menuiserie. Le bois a quatre veines est le meilleur; il est plus tendre que les autres. Les hommes expérimentés jugent de la bonté du bois a l'écorce. La partie du sapin qui est près de la terre est sans nœuds. Ce bois, flotté comme nous l'avons dit (XVI, 73), est dépouillé de son écorce, et il prend le nom de sapinus (XVI, 23). La partie supérieure noueuse et plus dure se nomme fusterna. Dans l'arbre, la partie qui regarde l'aquilon est plus forte. En somme, les sujets valent moins dans les lieux humides et ombragés; lis sont plus compactes et plus durables dans les lieux bien exposés.

[2] Aussi à Rome préfère-t-on le sapin du bord de la mer Tyrrhénienne (III, 10) à celui du bord de la mer Adriatique. Il y a aussi des différences suivant les contrées : le plus estimé est celui des Alpes et de l'Apennin; dans les Gaules, celui du Jura (III, 5) et des Vosges, celui de la Corse, de la Bithynie, du Pont et de la Macédoine. Celui d'Aenéa (IV, 3), et d'Arcadie est moins bon. Le plus mauvais est celui du Parnasse et de l'Eubée, parce qu'il est rameux, noueux, et se pourrit facilement. Quant au cèdre, on estime le plus celui de la Crête, de l'Afrique et de la Syrie.

[3] Le bois frotté avec l'huile de cèdre n'est attaqué ni par la teigne ni par la carie. Le genévrier a les mêmes qualités que le cèdre; il est très gros en Espagne, surtout dans le pays des Vaccéens (III, 4): partout le cœur en est plus solide que le cèdre même. Un défaut commun à tous les bois est la spire, c'est-à-dire une involution des veines et des nœuds. On trouve en certains arbres, comme dans le marbre, des centres c'est-à-dire des durillons aussi résistants qu'un clou, et qui endommagent les scies. Ces durillons se forment aussi quelquefois accidentellement, une pierre ou une branche d'un autre arbre étant saisie par le bois, ou y ayant pénétré.

[4] Il y eut longtemps debout, sur la place publique de Mégare, un olivier sauvage auquel de vaillants guerriers avaient fixé leurs armes; à la longue, l'écorce recouvrit ces armes et les cacha. Un arrêt du destin était attaché à cet arbre, car quand un arbre produirait des armes Mégare devait périr : il en produisit lorsqu'on l'abattit, car on y trouva, dans l'intérieur, des bottines et des casques. On dit que les pierres qui se rencontrent ainsi au dedans des arbres ont la propriété de prévenir les avortements. (XL.) On pense que le plus grand arbre qui ait jamais existé est celui que l'on a vu à Rome, et que l'empereur Tibère fit exposer comme un objet de curiosité sur ce pont de la naumachie dont il a été parlé (XVI, 74). Cet arbre avait été apporté avec d'autres bois; il fut conservé jusqu'à la construction de l'amphithéâtre de Néron (XIX, 6) :

[5] c'était une poutre de mélèze de cent vingt pieds de long, et d'une grosseur uniforme de deux pieds; quand on calculait quelle avait dû être la hauteur de la cime de cet arbre, on trouvait une évaluation à peine croyable. De notre temps, il y eut dans les portiques des Septa (lieu où le peuple votait) une poutre qui fut aussi laissée par M. Agrippa comme objet de curiosité : elle n'avait pu entrer dans la construction du diribitorium (lieu où l'on payait les soldats); de vingt pieds plus courte que la précédente, elle avait un pied et demi de grosseur. On a vu un sapin merveilleux, mât du vaisseau qui apporta d'Égypte, par l'ordre de l'empereur Caligula, l'obélisque, (XXXVI, 14) placé dans le cirque du Vatican, et les quatre blocs de pierre destinés à le soutenir. On n'a certainement rien vu en mer de plus admirable que ce navire; cent vingt mille boisseaux de lentilles lui servaient de lest :

[6] la longueur en occupait en grande partie le côté gauche du port d'Ostie; il fut coulé bas en cet endroit par l'empereur Claude avec trois môles de la hauteur d'une tour, en pouzzolane (XXXVI, 14), qui y avaient été construits, et que le navire avait apportés de Pouzzoles. Il fallait quatre hommes pour embrasser ce mât. On dit que des mâts pareils se vendent 80,000 sesterces et plus (16, 800 fr.), et qu'on fait des radeaux dont le prix est ordinairement de 40,000 sesterces. En Égypte et en Syrie, les rois, manquant de sapin, se sont, dit-on, servis de cèdre pour la marine; le plus gros cèdre dont on fasse mention venait de l'île de Chypre. Il fut abattu pour la galère a onze rangs de rames de Démétrlus [Poliorcète]; il avait cent trente pieds de long, et il fallait trois hommes pour l'embrasser. Les pirates de la Germanie naviguent sur des pirogues faites avec un seul tronc d'arbre creusé; quelques-unes de ces pirogues portent jusqu'à trente hommes.

[7] De tous les bois les plus compactes et par conséquent les plus lourds sont l'ébénier et le buis, qui tous deux sont menus. Ni l'un ni l'autre ne flottent sur les eaux, non plus que le liège si on le dépouille de son écorce, ni le mélèze. Parmi les autres le plus sec est l'arbre qu'à Rome on appelle lotos (XVI, 53), puis le rouvre privé de son aubier : le rouvre a aussi une couleur noirâtre; le cytise la présente encore davantage, et il paraît se rapprocher le plus de l'ébène. Cependant des auteurs assurent que le terébinthinier de Syrie est plus noir. Un artiste, nommé Thériclès, est célèbre pour avoir fait au tour des coupes en térébinthinier ; et le tour est l'épreuve de la bonté du bois.

[8] Le térébinthinier est le seul bois qui demande à être frotté d'huile, et que cette opération améliore. On en imite singulièrement la couleur avec le noyer et le poirier sauvage, que l'on teint en les faisant bouillir dans la teinture. Tous les arbres dont nous venons de parler sont compactes et résistants. Vient ensuite le cornouiller : il est si menu, qu'on peut à peine le regarder comme un bois de charpente; on ne s'en sert guère que pour faire des rayons de roue, ou des coins à fendre le bois, ou des chevilles qu'on emploie comme des chevilles de fer. Viennent ensuite l'yeuse, l'olivier sauvage, l'olivier, le châtaignier, le charme et le peuplier. Le peuplier est veine à la façon de l'érable (XVI, 51), et on l'emploierait en menuiserie si aucun arbre pouvait être bon quand on en coupe souvent les branches ; c'est une castration qui lui enlève les forces.

[9] Au reste, la plupart de ces arbres, mais surtout le rouvre, sont tellement durs, qu'on ne peut les percer avec la tarière qu'après les avoir humectés, et qu'un clou enfoncé ne peut en être arraché, même si on mouille. Au contraire, un clou ne tient pas dans le cèdre. Le plus tendre est le tilleul; il paraît aussi être le plus chaud : ce qui le prouve, dit-on, c'est qu'il émousse très promptement les doloires. Au nombre des arbres chauds sont aussi le mûrier, le laurier, le lierre, et tous les arbres dont on tire du feu par le frottement.

LXXVII. [1] C'est un moyen mis en usage par les éclaireurs des armées et par les bergers, qui n'ont pas toujours sous la main de pierre pour battre le briquet : on frotte deux morceaux de bois l'un contre l'autre, le frottement les allume, et on reçoit le feu sur des substances sèches et inflammables; les champignons et les feuilles sont ce qui prend feu le plus facilement. Rien ne vaut mieux que le lierre pour être frotté, et le laurier pour frotter. On aime aussi une vigne sauvage (XXIV, 49) autre que la vigne labrusca, et qui grimpe sur les arbres à la façon du lierre.

[2] Les bois les plus froids sont ceux des végétaux aquatiques; mais ce sont les plus flexibles, et, pour cette raison, les plus propres à la fabrication des boucliers. L'incision qu'on y fait se resserre aussitôt, tend à se fermer d'elle-même, et par conséquent laisse plus difficilement pénétrer le fer. A cette catégorie appartiennent le figuier, le saule, le tilleul, le bouleau, le sureau, et les deux espèces de peuplier. Les plus légers de ces bois sont le figuier et le saule; aussi sont-ils les plut employés. On s'en sert pour les corbeilles et tous les ouvrages de vannerie; ils ont aussi de la blancheur, de la dureté, et ils se laissent aisément sculpter.

[3] Le platane a de la flexibilité, mais accompagnée d'humidité, de même que l'aune. Flexibles aussi et plus secs, l'ormeau, le frêne, le mûrier et le cerisier sont plus pesants. L'orme conserve très bien sa rectitude; aussi est-il très bon pour les montants et les membrures des portes, attendu qu'il se déjette très peu; il faut seulement avoir la précaution de mettre les montants en sens inverse, de manière que le côté de la racine dans l'un réponde au côté de la cime dans l'autre. Le bois est tendre dans le palmier et le liège; il est compacte dans le poirier et le pommier; il l'est aussi dans l'érable; mais ce bois est fragile ainsi que tous les bois veinés. Dans tous, les différences de chaque espèce sont augmentées chez les arbres sauvages et mâles. Les arbres stériles sont plus résistants que les arbres fertiles, si ce n'est dans les espèces où les mâles sont productifs, par exemple le cyprès et le cornouiller.

LXXVIII. [1] La carie n'attaque pas, le temps ne détériore pas le cyprès, le cèdre, l'ébène, le lotos, le buis, l'if, le genévrier, l'olivier sauvage, l'olivier. Parmi les autres, le mélèze, le rouvre, le liège, le châtaignier, le noyer, n'y sont sujets que très tard. Le cèdre, le cyprès, l'olivier et le buis ne se fendent pas spontanément.

LXXIX. [1] On regarde comme les plus durables l'ébène, le cyprès et le cèdre. Le temple de Diane à Ephèse, est une épreuve célèbre de la bouté de ces bois : il y a quatre cents ans que cet édifice a été construit par la cotisation de l'Asie tout entière (XXXVI, 21); on reconnaît unanimement que le toit en est fait avec des poutres de cèdre. Mais on doute de quel bois est la statue de la déesse: tous les auteurs disent qu'elle est d'ébène, excepté Mucianus trois fois consul; c'est un des écrivains les plus modernes qui l'aient vue : il prétend qu'elle est en bois de vigne, et qu'elle n'a jamais été changée, bien que le temple ait été restauré sept fois.

[2] Il ajoute que Pandémion fit choix de ce bois; il donne même le nom de l'artiste, ce qui me paraît étonnant, car il regarde cette statue comme plus ancienne non seulement que Bacchus, mais même que Minerve. Il dit aussi qu'elle est arrosée avec du nard à l'aide de plusieurs pertuis, afin que cette essence la conserve et en maintienne les jointures; je m'étonne encore qu'il y ait des jointures dans cette statue, qui est d'un volume médiocre. Il dit que les portes sont de cyprès, et que, durant depuis près de quatre cents ans, elles sont absolument comme neuves. Il faut aussi remarquer que ces portes restèrent assemblées au moyen de la colle pendant quatre ans avant d'être posées. Le cyprès fut choisi pour les faire, parce que c'est la seule espèce de bois où le poli se conserve éternellement.

[3] La statue de Jupiter Véjove, en cyprès, ne se conserve-t-elle pas dans le Capitole? et elle e été consacrée l'an de Rome six cent soixante et un. Le temple d'Apollon à Utique est également célèbre : là se voient des poutres en terre de Numidie telles qu'elles furent posées lors de la fondation de la ville, il y a onze cent soixante-dix-huit ans. En Espagne, à Sagonte, on dit que le temple de Diane, apportée de l'île de Zacynthe avec les fondateurs de la ville, est de deux cents ans antérieur à la prise de Troie, selon Bocchus, et qu'il est placé au-dessous de la ville. Annibal l'épargna par respect religieux ; les poutres en genévrier y existent encore. Le plus mémorable de tous ces exemples est celui du temple de Diane en Aulide, construit quelques siècles avant la guerre de Troie; mais l'on ne sait plus quel bois y a été employé. En général, on peut dire que les arbres les plus odorants sont les plus durables.

[4] Après les bois dont je viens de parler, le plus estimé est celui du mûrier; même il noircit en vieillissant. Au reste, il est des arbres plus durables les uns que les autres, suivant les emplois qu'on en fait : l'ormeau résiste très bien exposé à l'air, le rouvre en terre, le quercus dans l'eau; ce dernier arbre, placé au-dessus du sol, se déjette et se fend. Le mélèze est très bon dans l'humidité, ainsi que l'aune noir. Le rouvre se gâte dans l'eau de mer. On ne rejette pas non plus pour les constructions hydrauliques le hêtre et le noyer; ce sont aussi les principaux parmi ceux qu'on enfouit : il en est de même du genévrier, qui n'en est pas moins très propre à être employé à l'air. Le hêtre et le cerrus se détériorent promptement. L'esculus ne supporte pas l'eau.

[5] Au contraire, l'aune enfoncé en terre dans des lieux marécageux est éternel, et il soutient les charges les plus lourdes. Le cerisier est fort; l'ormeau et le frêne sont pliants, mais ils se déjettent facilement; ils perdent cette flexibilité, et on peut y compter davantage quand on les a laissés sécher sur pied, après les avoir entamés tout autour. On dit que le mélèze, employé dans les constructions navales, est sujet aux tarets (XI, 2) ainsi que tous les bois, excepté l'olivier sauvage et l'olivier. Quelques-uns se gâtent plus facilement dans la mer, d'autres dans le terre.

LXXX. (XLI..) [1] Quatre espèces de bêtes attaquent les bois : les térédons (tarets), qui ont la tête très grosse proportionnément au reste du corps, rongent à l'aide de dents; ils n'attaquent le bois qu'en mer, ce sont les térédons proprement dits. Les téredons de terre se nomment teignes; ceux qui ressemblent à des moucherons, thripes ; la quatrième espèce appartient au genre des vermisseaux. De ces derniers les uns sont produits par la corruption même du suc du bois; les autres naissent, comme dans les arbres, du vermisseau appelé céraste (XVII, 37). Quand ils ont assez rongé autour d'eux pour se retourner, ils en engendrent un autre.

[2] La production de ces animaux est empêchée dans certains arbres par l'amertume, exemple le cyprès; dans d'autres, par la dureté, exempte le buis. On dit aussi que le sapin dépouillé de son écorce au temps du bourgeonnement, à l'époque de la lune que nous avons indiquée (XVI, 74), ne se gâte pas dans l'eau. Les compagnons d'Alexandre le Grand ont rapporté qu'a Pylos, île de la mer Rouge, sont des arbres qu'on emploie dans les constructions navales, et dont le bois a été trouvé intact au bout de deux cents ans, et que, submergés, ils sont incorruptibles; que dans la même île est un arbrisseau de la grosseur d'un bâton seulement, moucheté comme la peau d'un tigre pesant, et qui se casse comme du verre dés qu'il tombe sur un corps dur.

LXXXI. (XLII.) [1] Nous avons en Italie des bois sujets à se fendre d'eux-mêmes; les architectes ordonnent qu'on les enduise de fumier et qu'on les fasse sécher, afin que l'air ne les détériore pas. Le sapin et le mélèze, même posés en travers, supportent de grands fardeaux : tandis que le rouvre et l'olivier s'incurvent et cèdent sous le faix; ils résistent et ne se rompent guère; ils manqueront plutôt par la carie que par la faiblesse. Le palmier, qui est, comme le peuplier, un arbre fort, s'incurve autrement que les autres arbres :

[2] ceux-ci s'incurvent par la partie inférieure; le palmier se bombe en forme de voûte. Le pin et le cyprès ne sont attaqués ni de la carie ni des teignes. Le noyer s'incurve facilement; on en fait des poutres; un bruit annonce qu'il va casser : cela est arrivé à a Antandros, dans un édifice destiné aux bains; les baigneurs effrayés par le bruit s'enfuirent. Le pin, le picea, l'aune, servent à faire des tubes pour la conduite des eaux; enfouis en terre, ils durent nombre d'années, au lieu que si le sol ne les recouvre pas ils se détériorent rapidement : la résistance en est encore infiniment plus grande s'ils sont par dehors en contact avec l'eau.

LXXXII. [1] Le sapin a le plus de force dans la position verticale; il est excellent pour les panneaux des portes et tous tes ouvages de menuiserie, travaillé soit à la grecque, soit à la campanienne, soit à la sicilienne. les copeaux chevelus que lui enlèvent les passes rapides du rabot se tortillent comme les vrilles de le vigne. Dans la construction des chars, il s'associe à la colle au point de se fendre plutôt dans la continuité.

LXXXIII. (XLIII.) [1] La colle joue un grand rôle dans le plaqué et dans les autres ouvrages de marqueterie. Pour cet emploi on veut la maîtresse veine du bois : on la nomme ferulea, dénomination tirée de la ressemblance, attendu que la maîtresse veine, dans toutes les essences, est découpée per des marbrures. Certains bois refusent la colle, et on ne peut les assembler ni entre eux ni avec d'autres; tel est le rouvre. En général on n'établit d'adhérence qu'entre les matières de nature semblable, et l'on essaierait en vain de réunir une pierre et du bois. Au cornouiller s'unissent de préférence le sorbier, le charme, le buis, puis le tilleul.

[2] Les bois flexibles, que nous avons désignés sous le nom de bois pliants (XVI, 77), se prêtent à toute espèce d'ouvrage ; ajoutons-y le mûrier et le figuier sauvage. Ceux qui sont médiocrement humides sont faciles à scier et a couper. Les bois secs cèdent plus lentement à la scie. Les bois verts, excepté le rouvre et le buis, opposent une résistance opiniâtre, et, remplissant les intervalles des dents de la scie, ils en rendent le tranchant uniforme et inerte; aussi, pour que la sciure sorte, les dents des scies sont alternativement inclinées à droite et à gauche. Le frêne est le bois qui se prête le mieux à toute espèce de travail; pour les lances (XVI, 24) est meilleur que le coudrier, plus léger que le cornouiller, plus pliant que le sorbier. L'orme gaulois (XVI, 29), assez souple pour entrer même dans la construction des chars, rivaliserait avec la vigne, si on ne lui reprochait d'être trop pesant.

LXXXIV. [1] Le hêtre aussi est aisé à travailler, quoique fragile et tendre. Coupé en lames minces, il est flexible, et seul il fait des boites et des écrins: on coupe encore en lames extrêmement minces l'yeuse, dont la couleur n'est pas non plus désagréable; mais c'est surtout pour les frottements qu'on peut compter sur ce bois, par exemple dans les essieux. Le frêne doit à sa souplesse d'être employé a cet usage, comme l'yeuse le doit a sa dureté: et la réunion de ces deux qualités fait rechercher l'ormeau. Il y a aussi des bois préférés pour de petits outils : ainsi l'on dit que les meilleurs bois pour les manches des tarières sont l'olivier sauvage, le buis, l'yeuse, l'ormeau, le frêne. Avec ces bois on fait des maillets, les plus gros avec le pin ou l'yeuse. Ces bois ont plus de dureté coupés en temps opportun que coupés prématurément; on a vu des montants de porte faits en olivier, bois très dur, végéter comme une plante après être restés longtemps en place. Caton (De re rust., XXXI) veut qu'on fasse !es leviers en bois, en laurier, en ormeau; Hyginus, les manches des instruments de la campagne en charme, en yeuse, en cerrus.

[2] Les meilleurs bois à couper en feuilles et à plaquer sont le citre, le térébinthinier, les divers érables, le buis, le palmier, le houx, l'yeuse. la racine de sureau, le peuplier. L'aune aussi, comme nous Lavons dit (XVI, 27), donne une tubérosité que l'on coupe en feuilles comme celles du citre et de l'érable. Les tubérosités des autres arbres ne sont pas estimées. La partie centrale des arbres est la plus veinée; et plus on se rapproche de la racine, plus les veinures sont petites et flexueuses.

[3] C'est de la qu'a pris naissance ce luxe qui consiste à couvrir un arbre avec un autre, et à rendre un bois vil plus précieux en lui donnant une enveloppe étrangère. Pour faire qu'un seul arbre se vendit plusieurs fois, on a imaginé de le diviser en lamelles. Ce n'est pas assez, on s'est mis a teindre les cornes des animaux, à fendre leurs dents, à orner le bois avec de l'ivoire, et puis à l'en couvrir. Enfin, on est allé chercher des matériaux jusque dans la mer : on a fendu l'écaille de tortue, et, sous le règne de Néron, on est parvenu, par une invention monstrueuse, à la dépouiller de son apparence propre par des teintures, et à la vendre plus cher en lui faisant imiter le bois. C'est ainsi qu'on enrichit les lits, c'est ainsi qu'on veut éclipser le térébinthinier, avoir un faux citre plus précieux que le citre, et simuler l'érable. Tout à l'heure le luxe n'était pas satisfait du bois; maintenant il transforme en bois l'écaille de tortue.

LXXXV. (XLIV.) [1] On peut croire que l'âge de certains arbres se perd dans l'infini, si l'on réfléchit aux profondeurs du monde et aux forêts inaccessibles. Mais ne tenons compte que de ceux qui ont une date : des oliviers plantés de la main du premier Scipion l'Africain durent encore à Literninum, ainsi qu'un myrte d'une grosseur remarquable, qui est dans le même lieu. Au-dessous se trouve une caverne où , dit-on, un dragon garde ses mânes. A Rome, sur la place de Lucine, est un lotos (celtis australis, L.): le temple de cette déesse fut bâti l'an 379 de Rome, année où la république fut sans magistrats; l'on ne sait de combien l'arbre est plus ancien que le temple, il l'est toutefois, cela n'est pas douteux : car la déesse Lucine tire son nom de ce bois (lucus): le lotos en question a donc maintenant environ quatre cent cinquante ans. Le lotos nommé chevelu, parce que les vierges vestales y portent leurs cheveux, est encore plus ancien; mais l'âge en est ignoré.

LXXXXVI. [1] Un autre lotos dans le Vulcanal (temple de Vulcain), que Romulus édifia avec la dîme du butin pris sur l'ennemi, passe pour être contemporain de Rome, d'après Masurius. Les racines de cet arbre pénètrent jusqu'au forum de César à travers les stations des municipalités. Un cyprès en était le contemporain; mais vers la fin du règne de Néron il tomba, et on négligea de le relever.

LXXXVII. [1] Une yeuse dans le Vatican est plus vieille que Rome : une inscription gravée sur une table d'airain, en lettres étrusques, apprend que cet arbre était dès lors l'objet d'un culte rereligieux. La fondation de la ville de Tibur est de beaucoup antérieure à celle de Rome. On y voit trois yeuses encore plus anciennes que Tiburius, le fondateur de la ville, puisqu'on dit qu'il fut inauguré dans leur voisinage. La tradition rapporte qu'il était fils d'Amphiaraüs, qui mourut devant Thèbes une génération avant la guerre de Troie.

LXXXVIII. [1] Des auteurs assurent que le platane de Delphes a été planté de la main d'Agamemnon, ainsi qu'un autre platane à Caphyes, bois sacré de l'Arcadie. Aujourd'hui en face de la ville d'Ilion, auprès de l'Hellespont, sur le tombeau de Protésilas (IV, 18), sont des arbres qui tous les siècles, quand ils ont crû assez pour apercevoir la ville d'ilion, se dessèchent, puis recommencent à végéter. Auprès de la ville même, sur le tombeau d'llus, il y a des chênes qui, dit-on, ont été plantés quand la ville prit le nom d'Ilion.

LXXXIX. [1] On dit qu'a Argos existe encore un olivier auquel Argus attacha Io, changée en vache. Dans le Pont, aux environs d'Héraclée, sont les autels de Jupiter surnommé Stratius; là on voit deux chênes plantés par Hercule. Dans la même contrée est le port d'Amycus (V. 45), célèbre parce que le roi Bebryx y fut tué. Depuis le jour de la mort de ce prince, son tombeau est couvert par un laurier appelé fou, parce que si on en porte une branche dans un navire, la discorde se met dans l'équipage jusqu'à ce qu'on jette à la mer cette branche. Nous avons parlé de l'Aulocrène (V, 29), pays par où l'on va d'Apamée en Phrygie : on y montre un platane auquel fut pendu Marsyas vaincu par Apollon, et ce platane avait été dès lors choisi à cause de sa hauteur ; à Délos on voit un palmier qui date de la naissance de ce dieu. A Olympie est un olivier sauvage avec lequel se fit la première couronne d'Hercule, et maintenant on le conserve religieusement. A Athènes aussi, dit-on ;subsiste encore l'olivier produit par Minerve dans son combat .

XC. [1] Par opposition, la vie est très courte dans le grenadier, le figuier, le pommier; et dans ces espèces même les arbres précoces durent moins que les arbres tardifs, les arbres à fruit doux que les arbres à fruit acide; et parmi les grenadiers celui qui a le fruit le plus doux dure le moins. Il en est de même pour la vigne, et surtout celle qui rapporte beaucoup. Grascinus dit que des vignes ont duré soixante ans. Les végétaux aquatiques paraissent aussi périr plus vite. Le laurier, le pommier et le grenadier vieillissent à la vérité rapidement, mais ils repullulent du pied. L'olivier est donc un des plus vivaces, puisque les auteurs s'accordent pour lui assurer une durée de deux cents ans.

XCI. [1] Dans le territoire de Tusculum. près d'un faubourg, sur une colline nommée Corne, est un bois consacré de temps immémorial par le Latium à Diane: c'est un bois de hêtre, qu'on dirait taillé par l'art. De notre temps, un bel arbre de ce bois a été passionnément aimé par l'orateur Passiénus Crispus, deux fois consul, qui dans la suite fut célèbre pour avoir épousé Agrippine et avoir été le beau-père de Néron : il baisait cet arbre, il l'embrassait, il se couchait à son ombrage, il l'arrosait avec du vin. Dans le voisinage de ce bois est une yeuse qui a aussi du renom : le tronc a trente-quatre pieds de tour, il donne naissance à dix branches dont chacune ferait un arbre d'une grosseur remarquable, et à lui seul il forme une forêt.

XCII. [1] Il est certain que le lierre tue les arbres (XVI, 62); le gui a aussi une influence analogue; toutefois on pense qu'il l'exerce plus lentement. Outre le fruit qu'il donne, le gui doit être compté parmi les plantes qui ne méritent pas le moins d'admiration. En effet, certains végétaux ne peuvent croître à terre; ils naissent sur des arbres; n'ayant pas de domicile à eux, ils vivent sur celui des autres, tel est le gui. En Syrie, on trouve une herbe appelée cadytas, qui se roule non seulement autour des arbres, mais autour des épines (XIII, 46). II en est de même, dans les environs de Tempé de Thessalie, de la plante appelée polypodium, du faséole (XVIII, 22), et du serpolet (XX, 90). Quand un olivier sauvage a été taillé, ce qui y croît se nomme phaunos; ce qui croît sur le chardon à foulon se nomme hippophaeston (XXVII, 66) : l'hippophaeston a des capitules vides, des feuilles petites, la racine blanche; le suc en passe pour très utile dans l'épilepsie, à titre de purgatif.

XCIII. [1] Il y a trois espèces de gui : le gui qui vient sur le sapin et le mélèze se nomme stelis (loranthus europaeus, L.) en Eubée. L'hyphéar (viscum album, L. } est une espèce de gui qui vient en Arcadie. Quant au gui proprement dit, d'après la plupart des auteurs, il croît sur le chêne, le rouvre, le prunier sauvage, le térébinthinier, à l'exclusion de tous les autres arbres. Le gui est très abondant sur le chêne; et en l'y nomme dryos hyphéar (gui de chêne). Sur tous les arbres, excepté sur l'yeuse et le chêne, on distingue le gui proprement dit des deux autres espèces par la mauvaise odeur du fruit et par l'odeur des feuilles, qui n'est pas non plus agréable; le fruit et la feuille dans le gui sont amers et gluants. L'hyphéar vaut mieux pour engraisser les animaux ; il commence d'abord par purger, puis il engraisse ceux qui ont résisté à la purgation. On dit que les animaux qui ont quelque vice intérieur n'y résistent pas. Ce traitement se fait en été, et dure quarante jours.

[2] Autre différence : le gui sur les arbres dont les feuilles tombent perd aussi ses feuilles; au contraire, il demeure toujours vert sur un arbre à feuillage éternel. De quelque façon qu'on le sème. Il ne pousse jamais; il faut qu'il ait été avalé, puis rendu par les oiseaux, surtout les pigeons ramiers et les grives. Telle est la nature de cette plante: elle ne pousse qu'après avoir été mûrie dans le ventre des oiseaux. Ce gui ne dépasse jamais une coudée de haut; il est toujours vert et rameux. Le mâle est fertile, la femelle est stérile; quelquefois même le mâle l'est aussi.

XCIV. [1] La glu se fait avec les baies du gui, que l'on récolte avant la maturité, au temps des moissons; car si elles ont été mouillées par les pluies, elles croissent, il est vrai, en grosseur, mais elles perdent de leur qualité pour la fabrication. On les sèche, on les pile à sec, on les met dans l'eau, et on les y laisse pourrir pendant douze jours environ: c'est le seul objet que la putréfaction améliore. Puis on les pile de nouveau dans de l'eau courante avec un maillet; l'enveloppe s'en va; reste la pulpe intérieure, devenue visqueuse. C'est là la glu; il suffit que les oiseaux y touchent de leur aile pour s'y prendre; on l'amollit avec de l'huile quand on veut dresser des piéges.

XCV.[1] Il ne faut pas oublier à propos du gui l'admiration que les Gaulois ont pour cette plante. Aux yeux des druides (c'est ainsi qu'ils appellent leurs mages) rien n'est plus sacré que le gui et l'arbre qui le porte, si toutefois c'est un rouvre. Le rouvre est déjà par lui-même l'arbre dont ils font les bois sacrés; ils n'accomplissent aucune cérémonie religieuse sans le feuillage de cet arbre, à tel point qu'on peut supposer au nom de druide une étymologie grecque (δρῦς, chêne). Tout gui venant sur le rouvre est regardé comme envoyé du ciel: ils pensent que c'est un signe de l'élection que le dieu même a faite de l'arbre Le gui sur le rouvre est extrêmement rare, et quand on en trouve, on le cueille avec un très grand appareil religieux. Avant tout, il faut que ce soit le sixième jour de la lune, jour qui est le commencement de leurs mois. de leurs années et de leurs siècles, qui durent trente ans : jour auquel l'astre, sans être au milieu de son cours, est déjà dans toute sa force.

[2] Ils l'appellent d'un nom qui signifie remède universel. Ayant préparé selon les rites, sous l'arbre, des sacrifices et un repas, ils font approcher deux taureaux de couleur blanche, dont les cornes sont attachées alors pour la première fois. Un prêtre, vêtu de blanc, monte sur l'arbre, et coupe le gui avec une serpe d'or; on le reçoit sur une saie blanche; puis on immole les victimes, en priant que le dieu rende le don qu'il a fait propice à ceux auxquels il l'accorde. On croit que le gui pris en boisson donne la fécondité à tout animal stérile, et qu'il est un remède contre tous les poisons. Tant, d'ordinaire, les peuples révèrent religieusement des objets frivoles !

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