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table des matières d'Aulu-Gelle

 

AULU-GELLE

LES NUITS ATTIQUES

LIVRE DIXIÈME

livre 9 - livre 11

Relu et corrigé

 

 

 

 

 

I. S'il faut dire tertium consul ou tertio ; et comment Cn. Pompée éluda cette difficulté, d'après l'avis de Cicéron, lorsqu'il fit graver ses titres sur le frontispice du théâtre dont il allait faire la dédicace.

J'écrivis d'Athènes à Rome une lettre à un ami. J'y employais l'expression tertium pour lui dire que c'était déjà pour la troisième fois que je lui écrivais. Dans sa réponse, il me demanda pourquoi j'avais dit tertium et non tertio. Il désirait apprendre de moi si l'on doit dire tertium, quartum, ou tertio et quarto consul, consul pour la troisième et pour la quatrième fois, ou en troisième et en quatrième lieu ; qu'il avait entendu à Rome un savant dire tertio et quarto consul, et non tertium et quartum ; que Célius avait adopté cette forme au commencement de son livre ; qu'il avait trouvé au dix-neuvième livre de Q. Claudius : C. Marium creatum septimo consulem, que C. Marius avait été créé consul le septième. Pour toute réponse, je lui citai l'opinion de M. Varron, homme, à mon avis, plus savant que Claudius et Célius ensemble. Cette opinion tranchait les deux difficultés qu'il me soumettait. En effet, Varron nous apprend clairement comment on doit dire, et je n'étais pas désireux de soulever en mon nom, pendant mon absence, une discussion avec un homme qui passait pour savant. Voici les paroles de M. Varron, au cinquième livre de son ouvrage intitulé des Règles :  » Être fait préteur quarto et quartum, n'est pas la même chose ; quarto signifie en quatrième lieu, c'est-à-dire que trois autres ont été nommés auparavant ; quartum, pour la quatrième fois, désigne le temps et signifie que l'on a été nommé déjà trois fois. Ainsi Ennius s'est exprimé correctement lorsqu'il a écrit :

Quintus pater quartum fit consul.
Quintus le père est nommé consul pour la quatrième fois.

Et Pompée se montre timide lorsque, ne sachant s'il devait mettre sur le frontispice de son théâtre tertium ou tertio consul, il supprima les dernières lettres.

Ce que Varron dit de Pompée, en peu de mots et avec quelque obscurité, Tiron Tullius, affranchi de Cicéron, le rapporte dans une lettre avec plus de détails, à peu près en ces termes : « Pompée, dit-il, voulant dédier à la Victoire un temple dont les degrés devaient servir de théâtre, y faisait graver son nom et ses titres de gloire. On se demanda s'il fallait mettre consul tertio ou tertium. Pompée eut le bon esprit de soumettre la question aux hommes les plus savants de Rome, mais comme les avis étaient partagés, les uns voulant tertio, les autres tertium, Pompée pria Cicéron de faire graver le mot qu'il jugerait préférable ; mais Cicéron craignit, en se posant ainsi comme juge entre des savants, de blesser ceux dont il condamnerait l'opinion ; il conseilla donc à Pompée de ne mettre ni tertium ni tertio, mais de n'écrire le mot que jusqu'au second t ; cette abréviation, donnant un sens très clair, laissait cependant incertaine la forme du mot.» Au reste, l'inscription n'est pas aujourd'hui telle que la rapportent Varron et Tiron. Car, plusieurs années après, ce théâtre s'étant écroulé, et ayant été rebâti, le troisième consulat de Pompée fut indiqué, non comme précédemment, par les premières lettres du mot tertium, mais par trois petites lignes. Dans M. Caton, au quatrième livre des Origines, on voit écrit en toutes lettres : « Carthaginienses sextum de foedere decessere, les Carthaginois ont rompu le traité pour la sixième fois. Ce mot signifie qu'ils avaient déjà violé cinq fois le traité, et qu'alors c'était pour la sixième fois. Les Grecs disent aussi, pour rendre des quantités de cette nature, τρίτον καὶ τέταρτον, pour la troisième, pour la quatrième fois, ce qui répond aux expressions latines tertium et quartum

II. Opinion d'Aristote sur le nombre d'enfants qui peuvent naître d'une seule couche.

Le philosophe Aristote rapporte qu'en Égypte une femme mit au monde cinq enfants d'une seule couche ; il ajoute que c'est la limite de la fécondité humaine ; que jamais un plus grand nombre d'enfants ne sont nés en même temps, et même que ce nombre était fort rare. Sous le règne d'Auguste, d'après les historiens de cette époque, une servante de cet empereur mit au monde cinq enfants dans la campagne de Laurente, mais ils ne vécurent que très peu de temps; la mère elle-même mourut très peu après ses couches, Auguste lui fit élever sur la voie de Laurente un tombeau, sur lequel on grava le fait que nous venons de rapporter.

III. Comparaison et critique de quelques passages célèbres de C. Gracchus, de M. Cicéron et de M. Caton.

C. Gracchus passe pour un orateur plein de force et de véhémence : c'est un point qui n'est pas contesté. Mais que quelques-uns le regardent comme plus grave, plus vif et plus abondant que M. Tullius, je demande si cela est supportable ? Je lisais tout récemment le discours de C. Gracchus sur les lois promulguées. Il y déplore, avec toute la force dont il est capable, le traitement infligé à M. Marius et à quelques citoyens honorables des villes municipales de l'Italie ; ces hommes avaient été injustement battus de verges par l'ordre des magistrats du peuple romain. L'orateur s'exprima en ces termes : « Dernièrement, le consul vint à Téanum, ville des Sidicins ; il prévint que sa femme voulait se baigner dans les bains réservés aux hommes. Le questeur des Sidicins fut aussitôt chargé par M. Marius de faire sortir tous ceux qui se baignaient. La dame rapporte à son mari que l'on ne s'est pas empressé de la servir et que les bains étaient peu propres. Aussitôt un poteau est dressé sur la place publique, et l'on y attache l'homme le plus noble de la ville, M. Marius, qui, dépouillé de ses vêtements, est frappé de verges. A cette nouvelle, les habitants de Calès décrétèrent que, pendant la présence d'un magistrat romain dans leur ville, il serait défendu à tout citoyen de pénétrer dans les bains. A Ferentinum, pour la même cause, notre préteur ordonna l'arrestation des questeurs : l'un d'eux se précipita du haut des murailles ; l'autre fut saisi et battu de verges. » Dans un sujet si atroce, dans l'exposition d'une injustice publique si triste et si déplorable, que trouvons-nous d'abondant, de remarquable, de pathétique, de touchant ? L'indignation rend-elle l'orateur éloquent ? Lui inspire-t-elle des plaintes graves et pénétrantes ? Ce discours brille sans doute par la précision, le charme et la pureté ; c'est à peu près la simplicité gracieuse que l'on demande au style de la comédie.

Le même Gracchus, dans un autre endroit, s'exprime ainsi : « Pour vous montrer jusqu'où va la licence, la passion effrénée de nos jeunes gens, un exemple, me suffira. Dans ces dernières années, fut envoyé de l'Asie en qualité d'ambassadeur un jeune homme qui n'avait pas encore exercé de magistrature. On le portait dans une litière. Il fut rencontré par un bouvier de la campagne de Vénuse. Cet homme, ne sachant pas qui est dans la litière, demande en riant si l'on portait un mort. Le jeune homme ordonne aussitôt d'arrêter la litière, d'en détacher les cordes, et il en fait frapper cet infortuné jusqu'à ce qu'il succombe sous les coups. » Ce récit d'un acte plein de violence et de cruauté ne diffère certainement en rien du langage ordinaire. Mais lorsque, dans des circonstances semblables, M. Tullius nous dépeint des citoyens romains, condamnés malgré leur innocence, et contrairement au droit naturel et aux lois, à être battus de verges, ou à subir la peine capitale, quel tableau déchirant ! que de larmes ! quelle lave brûlante d'indignation ! Certes, à la lecture de ces pages de M. Cicéron, mon esprit est comme pénétré de ces terribles images ; j'entends les coups, les cris, les lamentations. Telle est la peinture des cruautés de ce Verrès ; je rapporterai les expressions de l'orateur aussi fidèlement que me le permettra ma mémoire : «Lui-même, respirant le crime et la fureur, vint au Forum : ses yeux étincelaient ; tous ses traits portaient l'empreinte de la cruauté ; on était dans l'attente, Qu'allait-il faire ? A quel excès allait-il se porter ? Quand tout à coup il ordonne que l'on traîne un homme au milieu du Forum, qu'il soit dépouillé, qu'on l'attache au poteau, que l'on prépare les verges. » Certes, ces mots seuls : « il ordonne qu'il soit dépouillé, qu'on l'attache au poteau, que l'on prépare les verges », inspirent tant d'effroi, tant d'horreur, que vous croyez entendre, non un récit, mais assister à l'action même. Gracchus, au contraire, ne se plaint pas, ne gémit pas ; il se contente de raconter : «Un poteau, dit-il, fut dressé sur la place publique ; on le dépouilla de ses vêtements, et il fut battu de verges. » Que j'aime bien mieux M. Cicéron me développant son tableau ; il ne dira pas « on le battit de verges », mais : « On battait de verges, au milieu de la place de Messine, un citoyen romain ; et cependant, en proie à la douleur, au milieu des coups redoublés, ce malheureux ne poussait pas un seul gémissement et ne faisait entendre d'autre cri que ces mots : Je suis citoyen romain, pensant qu'il lui suffisait de rappeler ce titre pour éloigner les coups et délivrer son corps des tortures. » Avec quelle énergie, quelle vivacité et quel feu il déplore ensuite un acte aussi cruel, excitant contre Verrès la haine des citoyens romains, lorsqu'il s'écrie : «O doux nom de liberté ! ô droits précieux du citoyen romain ! ô toi Porcia, lois de Sempronius ! puissance tribunicienne vivement regrettée, et rendue enfin au peuple romain ! N'avons-nous reconnu ces privilèges sacrés que pour voir un citoyen romain, dans une province romaine, dans une ville appartenant à nos alliés, attaché, battu de verges sur une place publique par l'ordre de celui qui tenait du peuple romain les faisceaux et les haches ! Quoi ! Verrès, lorsque tu faisais approcher les feux, les lampes ardentes et les autres instruments de torture, si sa douleur, si sa voix lamentable ne te touchaient pas, comment les larmes et les gémissements des citoyens romains présents à ce triste spectacle n'ont-ils pu t'émouvoir ? » Dans ce tableau déchirant, quelles vives couleurs, quelle dignité, quelle abondance, que de justice ! Du reste, s'il est un homme dont l'oreille soit assez sauvage, assez barbare pour ne pas sentir toute la richesse, toute la grâce d'un tel style, pour n'être pas charmé d'un pareil arrangement de mots ; s'il préfère le premier orateur, lui trouvant un style sans recherche, concis, facile, d'une naïveté pleine de douceur, d'un coloris sombre, portant un cachet rembruni d'antiquité ; cet homme s'il n'est pas dépourvu de jugement, peut considérer, dans un sujet semblable, M. Caton, orateur plus ancien que Gracchus, qui n'a jamais aspiré à cette force, à cette abondance, il comprendra, je pense, que Caton, peu satisfait de l'éloquence de son temps, ait essayé d'arriver à cette perfection que Cicéron atteignit dans la suite. En effet, dans le livre qui a pour titre des Faux combats, Caton invective en ces mots contre Q. Thermus : « Il dit que les décemvirs n'avaient pas assez de soin de ses provisions de bouche ; aussitôt il les fait dépouiller de leurs vêtements et frapper de coups de fouet. Des décemvirs furent frappés par des Bruttiens en présence de nombreux témoins. Un traitement si infâme, un pouvoir si tyrannique, une telle servitude est-elle supportable ? Jamais roi n'osa rien de semblable ; et c'est ainsi que l'on traitera des gens de bien, issus de bonnes familles ! Vous y consentiriez, honorables citoyens ? Où sont les droits de l'alliance, la foi de nos ancêtres ? Ainsi donc, injures outrageantes, blessures, coups de fouets dont les traces sa voient encore, douleurs, tortures par la main des bourreaux, opprobre, infamie : voilà ce que tu as osé contre des décemvirs, en présence de leurs concitoyens et d'une foule innombrable. Mais aussi quel deuil ! quels gémissements ! que de larmes ! quelles lamentations ! Les esclaves ne supportent qu'avec indignation les injures, et ces hommes, d'un sang noble et d'une grande vertu, quel fut, à votre avis, leur ressentiment ? Et ne pensez-vous pas qu'il durera autant que leur vie ?»

Pour ce qui est de l'expression de Caton, frappés par les Bruttiens, en voici l'explication. Quand Annibal occupait l'Italie à la tête de ses Carthaginois, après qu'il eut remporté quelques victoires sur le peuple romain, les Bruttiens furent les premiers à abandonner Rome pour Carthage. Annibal parti, les Romains, vainqueurs des Carthaginois, manifestèrent leur ressentiment contre les Bruttiens : ils les déclarèrent indignes de servir dans les légions, de porter le titre d'alliés, et décidèrent qu'ils serviraient, en qualité d'esclaves, les gouverneurs des provinces. Les Bruttiens suivaient donc les magistrats ; semblables à ceux que l'on appelle lorarii, fouetteurs, correcteurs, dans les comédies, ils garrottaient et frappaient ceux qui leur étaient désignés. Originaires du Bruttium, ils étalent appelés Bruttiens.

IV. Observation ingénieuse par laquelle P. Nigidius prouva que les mots sont des signes naturels et n'ont rien d'arbitraire.

P. Nigidius, dans ses Commentaires sur la grammaire, enseigne que les mots et les expressions ne sont point le produit du hasard, mais de la nécessité et de la raison naturelle. C'est même là une question célèbre dans les disputes philosophiques. En effet, les philosophes ont coutume de se demander si les mots doivent leur origine à la nature ou à une simple convention. A ce sujet, Nigidius donne plusieurs arguments pour démontrer que les mots sont plutôt naturels qu'arbitraires. Parmi ces preuves, je citerai la plus ingénieuse et la plus piquante : « Lorsque nous prononçons vos, vous, dit-il, le mouvement de notre bouche est en rapport avec le sens du mot que nous employons : nous avançons légèrement l'extrémité des lèvres ; notre souffle, notre haleine se dirigent vers ceux avec lesquels nous conversons. Au contraire, lorsque nous disons nos, nous, nous ne prononçons pas en dirigeant au dehors notre souffle, en avançant nos lèvres, mais nous retenons, pour ainsi dire, notre souffle et nos lèvres en nous-mêmes. Une observation analogue s'applique aux mots tu et ego, toi et moi, tibi et mihi, à toi et à moi. Quand nous approuvons ou désapprouvons, le mouvement de la tête ou des yeux n'est pas sans rapport avec la nature de l'idée qu'il exprime ; ainsi, dans les mots que je viens de citer, la direction de la bouche et des yeux sont, pour ainsi dire, le signe naturel de l'idée. On peut faire sur les mots grecs les mêmes observations que sur nos expressions latines. »

V. Le mot avarus est-il simple ou double et composé, comme le pense P. Nigidius.

Avarus, avare, n'est pas un mot simple ; c'est un mot composé, d'après Nigidius, au vingt-neuvième livre de ses Commentaires : «  En effet, dit-il, on appelle avarus celui qui est avide d'argent, avidus aeris, mais, dans la composition du mot, la lettre o a disparu. De même, ajoute-t-il, locuples, riche, est formé de qui pleraque loca tenet, celui qui a beaucoup de lieux, c'est-à-dire, celui qui a de nombreuses possessions. » Cette origine du mot locuples me paraît plus probable et mieux établie ; quant à celle du mot avarus, elle est douteuse. Ne pourrait-on pas, en effet, le considérer comme simplement dérivé d'aveo, je désire ? Ce mot est peut-être formé de la même manière qu'amarus, amer, que l'on ne dira pas un mot composé.

VI. De l'amende prononcée par les édiles plébéiens contre une dame noble, la fille d'Appius Caecus, pour quelques propos inconsidérés.

Les lois de Rome attaquaient non seulement les actions criminelles, mais même les paroles inconsidérées. Par là on croyait rendre inviolable la dignité des mœurs  romaines. La fille du célèbre Appius Caecus, au sortir d'un spectacle, fut ballottée par le flux et reflux de la multitude. Lorsqu'elle se fut tirée d'embarras, elle se plaignit d'avoir été maltraitée : « Que me serait il arrivé, dit-elle, et combien j'aurais été pressée avec plus de force et de violence, si P. Claudius, mon frère, n'avait pas perdu dans un combat naval, avec ses vaisseaux, un grand nombre de citoyens ? Certes j'aurais péri étouffée par la foule. Plût aux dieux ! ajouta-t-elle, que mon frère revînt à la vie pour conduire une nouvelle flotte en Sicile et faire périr cette multitude qui m'a traitée si indignement ! » Pour un propos si cruel et si peu digne d'une dame romaine, C. Fundanius et Tib. Sempronius, édiles plébéiens, lui infligèrent une amende de vingt-cinq mille as. Ce fait eut lieu, selon Capiton Attéius, dans son Commentaire sur les Jugements publics, pendant la première guerre punique, sous le consulat de Fabius Licinus et d’Otacilius Crassus.

VII. De tous les fleuves qui coulent au-delà des limites de l'empire romain, le plus grand est le Nil, vient ensuite l'Ister, puis le Rhône, d'après ce que je me souviens d'avoir lu dans M. Varron.

De tous les fleuves qui se jettent dans la mer qui baigne l'empire romain et que les Grecs appellent τὴν ἴσω θάλασσαν la mer Intérieure, le Nil est sans contredit le plus grand ; puis, vient l'Ister, d'après Salluste. Varron, en traitant de l'Europe, place le Rhône au nombre des trois plus grands fleuves de cette partie du monde ; il semble donc le regarder comme le rival de l'Ister, qui coule aussi en Europe.

VIII. Qu'une des peines infamantes infligées aux soldats consistait à leur tirer du sang. Quelle paraît avoir été la cause de ce châtiment ?

Un châtiment militaire, qui remonte à une haute antiquité, c'est celui qui consiste à faire ouvrir une veine et à tirer du sang aux soldats qu'on veut frapper d'une peine infamante. Je ne trouve pas le motif de cet usage dans les anciens écrits que j'ai pu me procurer ; mais je pense que, dans l'origine, on se proposait d'agir par ce moyen sur des esprits troublés, sur des intelligences engourdies, si bien que la saignée était moins une punition qu'un remède. Dans la suite, cependant, on prit, à ce que je pense, l'habitude de punir ainsi plusieurs autres délits militaires, comme si ceux qui commettent une faute devaient être regardés comme malades.

IX. Sur les diverses dispositions d'une armée romaine ; termes employés pour les désigner.

Certains termes militaires sont en usage pour désigner les parties et les diverses dispositions d'une armée rangée en bataille : le front, les renforts, le coin, le cercle, le globe, les ciseaux, la scie, les ailes, les tours. On trouve ces termes, et quelques autres, dans les ouvrages de ceux qui ont écrit sur la tactique militaire. On les a empruntés, par figure, aux choses qui portent naturellement ces noms, les dispositions diverses d'une armée ayant la forme des divers objets dont ces noms rappellent l'idée.

X. Pourquoi les anciens Grecs et les Romains ont adopté l'usage de porter un anneau à la main gauche, au doigt voisin du plus petit.

Nous savons que les anciens Grecs portaient un anneau à la main gauche, au doigt voisin du plus petit. Le même usage devint, dit-on, général chez les Romains. Voici la cause qu'en rapporte Apion, dans ses Égyptiaques : En disséquant les corps humains, selon la coutume égyptienne, la science, appelée par les Grecs anatomie, fit découvrir un nerf très délié, partant de ce seul doigt pour se diriger vers le cœur où il vient aboutir, et l'on accorda cette distinction à ce doigt, à cause de ce lien, de cette espèce de rapport qui l'unit au cœur, la partie noble de l'homme.

XI. Signification du mot mature ; son étymologie ; sens que lui donne improprement le vulgaire. Que praecox fait au génitif praecocis et non praecoquis.

Mature signifie maintenant à la hâte, vite, en opposition avec le sens primitif du mot. Autre chose est, en effet, d'agir mûrement, mature, autre chose d'agir à la hâte, propere. Aussi P. Nigidius, homme d'un savoir universel, dit-il : « C'est agir mûrement que d'agir ni trop vite ni trop lentement ; c'est tenir avec modération le juste milieu. » Définition fort exacte et précise. En effet, parmi les productions de la terre, nous appelons mûrs, non les fruits qui sont verts et acides, ou passés et pourris, mais ceux qui sont parvenus à leur développement, à leur maturité. Mais comme ce qui se faisait sans lenteur était dit se faire mûrement, ce mot a reçu plus d'extension ; et, pour désigner ce qui ne se fait pas lentement, mais avec précipitation, on emploie maintenant le mot mature. Toutefois, il serait plus juste d'appeler immatura, non mûre, une chose hâtée outre mesure. Ce juste milieu, ainsi exprimé par Nigidius, était rendu par le divin Auguste avec beaucoup d'élégance par deux mots grecs : Σπεῦδε βραδέως, hâtez-vous lentement. Ces mots revenaient, dit-on, fréquemment dans ses lettres et dans sa conversation. Par là, il demandait d'unir dans les affaires la promptitude de l'activité à la lenteur dans l'exécution, qualités opposées, dont l'alliance fait agir mature. Pour peu qu'on y fasse attention, on verra que Virgile a aussi fort heureusement opposé properare et maturare dans ces vers :

Frigidus agricolam si quando continet imber,
Multa, forent quae mox caelo properanda sereno,
Maturare datur,
(Si la froide pluie retient parfois le laboureur, il peut exécuter avec une sage lenteur bien des travaux qu'il faudrait faire à la hâte sous un ciel serein.)

C'est avec beaucoup d'élégance qu'il oppose ces deux verbes ; car dans les préparatifs des travaux rustiques, le loisir que font au laboureur les orages et les pluies lui permet d'agir avec une lenteur prudente maturare. Dans les beaux jours, au contraire, le temps presse, on est forcé de se hâter, properare. Cependant, pour exprimer une action faite avec trop de violence et de hâte, il y a plus de justesse à employer praemature que mature. Aussi Afranius, dans sa pièce du Titulus, a-t-il dit :

Appetis dominatum demens praemature praecocem,
(Insensé, tu ambitionnes trop tôt un pouvoir prématuré.)

Nous devons remarquer que, dans ce vers, il dit praecocem et non praecoquem, le nominatif étant, non pas praecoquis, mais paecox.

XII. Prodiges fabuleux attribués fort injustement par Pline l'Ancien au philosophe Démocrite. Colombe de bois qui volait.

Pline rapporte dans le vingt-huitième livre de son Histoire naturelle, que Démocrite, l'illustre philosophe, avait fait un livre sur la vertu et la nature du caméléon : il dit avoir lu ce livre, et rapporte aussi, comme extraites de l'ouvrage, des fables frivoles et révoltantes d'absurdité. En voici quelques-unes que j'ai retenues, malgré l'ennui qu'elles m'ont causé. Quand le plus rapide des oiseaux, l'épervier, passe en volant au-dessus du caméléon rampant sur le sol, celui-ci l'attire par une force inconnue, et le fait tomber de l'air : alors l'oiseau se livre de lui-même aux autres oiseaux, qui le déchirent. Autre fait incroyable : brûlez la tête et le cou du caméléon avec du bois de rouvre, aussitôt un orage éclate, et le tonnerre gronde. Le même effet se produit, si on brûle le foie de l'animal au haut d'un toit. Autre prodige: celui-ci est si sot et si ridicule que j'ai hésité à le rapporter. Je ne lui donne une place ici que pour montrer ce que je pense sur ce charme trompeur des récits merveilleux, qui séduit et égare ordinairement les esprits trop subtils, et surtout ceux que possède une curiosité démesurée. Mais je reviens à Pline : On brûle le pied gauche du caméléon, dit-il, avec un fer chaud; on fait brûler en même temps une herbe qui s'appelle aussi caméléon. On délaye l'un et l'autre dans une liqueur odorante ; on recueille de ce mélange une sorte de gâteau qu'on place dans un vase de bois : celui qui portera le vase sera invisible à tous les regards. Ces fables que Pline reproduit, doivent-elles être mises sur le compte de Démocrite? Je ne le pense pas. J'en dirai autant de cet autre prodige que Pline a trouvé, assure-t-il, dans le dixième livre de Démocrite : certains oiseaux ont un langage qui ne varie pas ; mêlez leur sang, il en naît un serpent, et quiconque mange le serpent comprend la conversation des oiseaux. Ce sont ces hommes sottement curieux dont je parlais tout à l'heure qui ont attribué de pareils contes à Démocrite, afin de mettre leurs absurdités à couvert sous une autorité illustre. Cependant il est un prodige, opéré par Archytas, philosophe pythagoricien, qui n'est pas moins étonnant, et dont on conçoit davantage la possibilité. Les plus illustres des auteurs grecs, et entre autres le philosophe Favorinus, qui a recueilli avec tant de soin les vieux souvenirs, ont raconté du ton le plus affirmatif qu'une colombe de bois, faite par Archytas à l'aide de la mécanique, s'envola. Sans doute elle se soutenait au moyen de l'équilibre, et l'air qu'elle renfermait secrètement la faisait mouvoir. Je veux, sur un sujet si loin de la vraisemblance, citer les propres mots de Favorinus : « Archytas de Tarente, à la fois philosophe et mécanicien, fit une colombe de bois qui volait. Mais, une fois qu'elle s'était reposée, elle ne s'élevait plus ; le mécanisme s'arrêtait là. »

 XIII. Sur l'emploi de l'expression cum partim hominum dans les vieux auteurs.

On dit souvent partim hominum uenerunt, une partie des hommes, quelques hommes sont venus. Dans cette expression, partim sert d'adverbe, et est indéclinable. On peut dire également cum partim hominum, c'est-à-dire avec quelques hommes, et, pour ainsi dire, avec une certaine partie des hommes.  M. Caton, dans son discours Sur les jeux floraux, a dit : « Elle servit alors de courtisane, elle quitta souvent le festin pour passer dans la chambre ; déjà elle avait fait souvent ce métier avec quelques-uns d'entre eux (Cum partim illorum).  » Les moins éclairés disent « cum parti », prenant un adverbe pour un nom décliné.  Q. Claudius, dans le vingt et unième livre de ses Annales, a fait de cette locution un emploi insolite : « Avec une partie des troupes (cum partim copiis), ce jeune homme content de lui ....  » Le même auteur dit encore dans son vingt-troisième livre : « Telle fut ma conduite : faut-il attribuer l'événement à la négligence d'une partie des magistrats (« negligentia partim magistratuum »), à l'avarice, ou au malheur qui poursuit le peuple romain? Je l'ignore. »

XIV. Sur l'expression iniuria mihi factum itur, employée par Caton.

On dit communément : illi iniuriam factum iri, une injure lui sera faite; contumeliam dictum iri, une insolence lui sera dite; et l'usage de cette locution est tellement établi, que je m'abstiens de citer des exemples. Mais contumelia ou iniuria factum itur est plus rare. Citons-en un exemple. M. Caton parle ainsi dans sa défense contre Cassius : «  Or il arrive, Romains, que l'outrage dont me menace l'insolence de cet homme (quae mihi per huiusce petulantiam factum itur) remplit mon âme de pitié pour la République. »  Contumeliam factum iri signifie qu'on va pour faire un outrage, qu'on s'apprête à faire un outrage ; contumelia factum itur a le même sens ; le cas seul est changé.

XV. Cérémonies observées par le prêtre et la prêtresse de Jupiter. Édit par lequel le préteur déclare qu'il n'exigera jamais de serment ni des vestales ni d'un flamine de Jupiter.

Le flamine de Jupiter était obligé à un grand nombre de cérémonies et de rites, que nous trouvons dans les livres qui traitent du sacerdoce public, et dans le premier livre de Fabius Pictor. Voici à peu près ce que je me souviens d'avoir lu dans cet auteur:  « Le flamine de Jupiter ne peut sans crime monter à cheval ; il ne peut voir classem procinctam, c'est-à-dire l'armée sous les armes, hors de l'enceinte des murs. Aussi fut-il rarement nommé consul, lorsqu'il fallait que le consul prît le commandement des armées.  Il ne lui est jamais permis de jurer. L'anneau qu'il porte doit être ouvert et creux. On ne peut prendre dans sa maison d'autre feu que le feu sacré. Si un homme lié entre dans sa maison, il faut qu'il soit délié, que les liens soient montés par la gouttière sur le toit, et de là jetés dans la rue. Il n'a aucun nœud sur lui, ni à la tête, ni à la ceinture, ni en aucun endroit de son corps.  Si un homme qu'on va battre de verges tombe à ses pieds en suppliant, il ne peut sans crime être frappé ce jour-là. Un homme libre peut seul couper les cheveux du flamine. Une chèvre, de la chair crue, des feuilles de lierre, des fèves, sont des objets qu'il ne peut toucher ; il n'en prononce pas même le nom. Il ne doit pas couper les provins des vignes qui s'élèvent trop haut. Les pieds de son lit doivent être enduits d'une légère couche de boue, et il ne peut en découcher trois nuits consécutives. Personne que lui ne doit y coucher. Il ne doit point placer près du bois de son lit un gâteau dans une cassette. Les rognures de ses ongles, et les cheveux qu'on lui a coupés, sont cachés dans la terre sous un arbre heureux. Tous les jours sont pour lui jours de fête. Il ne doit jamais être sans son bonnet en plein air : il peut rester nu-tête sous son toit, mais il y a peu de temps que les pontifes l'ont ainsi établi.  » (Massurius Sabinus nous apprend qu'on s'était relâché aussi sur d'autres points, et qu'on avait fait grâce aux flamines de plusieurs prescriptions). «  Il ne peut toucher à la farine fermentée; il ne dépouille sa tunique de dessous que dans les lieux couverts, pour ne point paraître nu sous le ciel, c'est-à-dire sous les yeux de Jupiter. Dans les repas, le roi seul des sacrifices se place avant lui. S'il perd sa femme, il quitte ses fonctions; son mariage ne peut se dissoudre que par la mort. Il n'entre pas dans les lieux où on brûle les morts. Il ne touche jamais un mort. Il peut cependant assister à un convoi. Les rites imposés aux prêtresses de Jupiter sont à peu près les mêmes. Elles ont un vêtement de couleur ; elles portent à leur voile un rameau d'un arbre heureux ; elles ne doivent monter que trois degrés des échelles appelées échelles grecques; et lorsqu'elles vont aux Argées, elles ne doivent point peigner ni orner leur chevelure.  » J'ajouterai un fragment d'un édit perpétuel du préteur relatif au flamine de Jupiter et aux prêtresses de Vesta: JAMAIS JE N'EXIGERAI, DANS MA JURIDICTION DE SERMENT NI D'UNE PRÊTRESSE DE VESTA NI D'UN FLAMINE DE JUPITER. Voici ce que dit Varron sur le flamine de Jupiter dans son second livre Des choses divines: « Lui seul porte un bonnet blanc ou comme marque de sa supériorité ou parce que les victimes qu'on immole à Jupiter sont blanches.  »

XVI. Erreurs historiques relevées par J. Hygin dans le sixième livre de l'Énéide.

Hygin trouve dans le sixième livre de l'Enéide des erreurs que Virgile n'aurait pas manqué, dit-il, de corriger, si la mort ne l'eût surpris. Palinure, dans les Enfers, prie Énée de rechercher son corps et de lui donner la sépulture : «  Héros invincible, dit-il, arrache-moi à ce supplice ; jette sur moi un peu de terre, tu le peux ; retourne au port de Vélia.  » Comment, dit le critique, Palinure a-t-il pu connaître et nommer le port de Vélia ? Comment Enée a-t-il pu trouver l'endroit que lui désignait Palinure, puisque la ville de Vélia n'a été bâtie sur le rivage de Lucanie que plus de six cents ans après l'arrivée d'Énée en Italie, sous le règne de Servius Tullius? En effet, les Phocéens, chassés de leur pays par Harpalus, lieutenant de Cyrus, s'en allèrent fonder les uns Vélia, les autres Marseille. Il est donc ridicule de prier Énée de retourner au port de Vélia, puisque le nom même de cette ville n'existait pas. On peut être moins sévère pour ce passage du premier livre : «  Exilé par le destin, il vint en Italie, sur le rivage de Lavinium  », et pour cet autre du sixième livre : «  Enfin il se posa d'un vol léger sur la citadelle de Chalcis.  » Le poète, parlant en son nom, peut bien par anticipation faire figurer dans ses vers des faits qu'il a pu apprendre dans l'histoire : ainsi Virgile savait qu'une ville avait porté le nom de Lavinium, que les habitants de Chalcis avaient fondé une colonie en Italie. Mais Palinure, comment aurait-il pu connaître ce qui n'a eu lieu que six cents ans après lui? à moins qu'on ne dise qu'il l'a deviné, profitant du privilège dont jouissent les morts. Mais quand cela serait (et Virgile n'en parle pas), Énée, qui n'était pas devin, pouvait-il retourner au port de Vélia, dont le nom, nous l'avons dit, n'existait pas? Voici une autre erreur qu'Hygin relève, et qu'il croit que Virgile aurait corrigée aussi. Virgile met Thésée au nombre de ceux qui sont descendus aux Enfers et en sont revenus, dans le vers suivant : «  Parlerai-je de Thésée, du grand Alcide? Et moi aussi je descends de Jupiter.  » Le poète dit ensuite : «  Le malheureux Thésée est assis, et demeurera assis éternellement.  » Comment pourra-t-il demeurer assis éternellement, lui qui tout à l'heure faisait partie de ceux qui ont pu descendre aux Enfers et en revenir? Observez même que Thésée, selon la fable, fut détaché par Hercule de la pierre où il était assis, et ramené au jour. Virgile est également en faute dans les vers suivants : Il détruira Argos et Mycènes, patrie d'Agamemnon ; et, vainqueur de l'Éacide, descendant du terrible Achille, il vengera les Troyens ses ancêtres, et le temple profané de Minerve.  »  C'est confondre et les hommes et les temps. La guerre contre les Achéens, et celle que Rome eut avec Pyrrhus, n'ont pas eu lieu à la même époque. Pyrrhus, que Virgile appelle Éacide, ayant passé de l'Épire en Italie, eut à combattre contre Manius Curius, qui commandait les troupes romaines dans cette guerre ; mais la guerre Argienne ou Achaïque fut faite longtemps après par L. Mummius. On peut donc, dit Hygin, retrancher le second vers, où il est mal à propos parlé de Pyrrhus, et que Virgile aurait certainement supprimé.

 XVII. Motif pour lequel Démocrite se priva de la vue. Vers élégants de Labérius à ce sujet.

On lit dans les écrits historiques des Grecs que Démocrite, ce sage vénérable, ce philosophe fameux par son savoir, se priva volontairement de la vue. Il pensa que ses idées, dans la recherche des causes naturelles, auraient plus de justesse et de force si elles n'étaient pas troublées par les plaisirs et les distractions que ce sens fait naître. La manière ingénieuse dont il s'ôta facilement l'usage des yeux a été décrite par Labérius, dans son Cordier, en vers élégants et expressifs. Mais Labérius prête une autre intention au philosophe : et voici par quel rapprochement heureux il introduit ce trait dans sa pièce. Le personnage qui parle dans le poème est un riche, économe jusqu'à l'avarice, qui déplore le luxe et la prodigalité d'un jeune homme.  Je cite les vers: «  Démocrite d'Abdère, physicien et philosophe, plaça un bouclier en face de l'orient, afin que l'éclat de l'airain paralysât ses yeux. Il voulut perdre l'usage de la vue, pour ne pas voir les mauvais citoyens dans la prospérité. Et moi je veux, sur la fin de ma vie, que l'éclat de l'or étincelant me rende aveugle, afin que je ne voie pas dans les plaisirs un indigne fils. »

XVIII. Histoire d'Artémise. Combat d'écrivains célèbres auprès du tombeau de Mausole.

On dit qu'Artémise eut pour son époux Mausole un amour extraordinaire, au-dessus des passions célèbres que nous retrace la fable, au-dessus de tout ce qu'on peut attendre de la tendresse humaine. Mausole fut, selon Cicéron, roi de la Carie ; selon certains historiens grecs, gouverneur ou satrape de la province de Grèce. Après sa mort, Artémise serrant son corps entre ses bras, et l'arrosant de ses larmes, le fit porter au tombeau avec un magnifique appareil. Ensuite, dans l'ardeur de ses regrets, elle fit mêler les os et les cendres de son époux à des parfums, les fit réduire en poussière, les mêla dans sa coupe avec de l'eau, et les avala. Elle donna encore d'autres marques d'un violent amour. Elle fit élever à grands frais, pour conserver la mémoire de son époux, ce sépulcre fameux, qui mérita d'être compté au nombre des Sept Merveilles du monde. Le jour où elle dédia le monument aux mânes de Mausole, elle établit un concours pour célébrer les louanges de son époux ; le prix était une somme considérable d'argent, et d'autres récompenses magnifiques. Des hommes distingués par leur génie et leur éloquence, vinrent disputer le prix ; c'était Théopompe, Théodecte, Naucrites. On a même dit qu'Isocrate avait concouru. Quoi qu'il en soit, Théopompe fut proclamé vainqueur. Il était disciple d'Isocrate. Nous avons encore de Théodecte la tragédie qu'il composa sous le nom de Mausole. Ce poème de Théodecte fut plus goûté que sa prose, si l'on en croit Hygin dans ses Exemples.

XIX. Qu'on ne justifie pas ses fautes en alléguant l'exemple de ceux qui en ont commis de semblables. Paroles de Démosthène à ce sujet.

Le philosophe Taurus adressait, à un jeune homme qui venait de passer de l'école d'un rhéteur dans la sienne, une réprimande vive et sévère sur une action contraire à l'honnêteté et à la justice. Le disciple ne niait pas sa faute, mais il alléguait la coutume. Il voulait couvrir sa honte des exemples d'autrui, et invoquait l'indulgence qu'on accorde aux fautes devenues générales. Taurus, que cette défense irritait davantage, s'écria : «  Jeune insensé, ni les philosophes ni la philosophie ne peuvent te prémunir contre la séduction des mauvais exemples, ne te souvient-il plus du moins d'une pensée de votre grand modèle, de Démosthène? Cette pensée, revêtue d'une forme ingénieuse et habilement cadencée, a pu se graver dans ta mémoire de rhétoricien, comme un modèle d'élégance et d'harmonie. Si je n'ai pas oublié ce que j'ai appris dans ma première enfance, voici ce que disait cet orateur à un homme qui prétendait comme toi justifier sa faute par les fautes d'autrui :  »Ne me dis pas que cela est souvent arrivé, mais que cela est bien. Que d'autres aient violé les lois, que tu aies suivi leur exemple, qu'importe? Ce n'est pas là une raison pour t'absoudre : c'en est une, au contraire, pour te punir. Car si quelqu'un de ceux-là avaient été punis, tu n'aurais pas fait rendre ce décret ; de même, si tu es puni aujourd'hui, personne ne sera tenté de t'imiter. » C'est ainsi que Taurus, par des exhortations et des autorités de tout genre, enseignait à ses élèves à vivre selon les principes de la vertu.

XX. Qu'est-ce qu'une rogation, qu'une loi, qu'un plébiscite, qu'un privilège?

J'entends demander ce que c'est qu'une loi, qu'un plébiscite, qu'une rogation, qu'un privilège. Capiton, très versé dans le droit public et privé, a ainsi défini la loi : « La loi est un décret général du populus ou de la plebs sur la demande d'un magistrat. Si cette définition est juste, on ne doit pas donner le nom de lois aux décrets, sur le commandement de Pompée, sur le retour de Cicéron, sur le meurtre de P. Clodius, ni à tant d'autres décrets du populus ou de la plebs, qui ne furent pas des décrets généraux, puisqu'ils ne regardaient pas l'ensemble des citoyens, mais seulement quelques particuliers. Il faut les appeler plutôt privilèges, du vieux mot priua, auquel nous avons substitué singula. Ce vieux mot se trouve dans les Satires de Lucilius, au livre premier : . . . . . Abdomina thynni Aduenientibus priua dabo, cephalaeaque, acarnae
 Ceux qui viendront auront pour leur part le ventre et la tête d'un thon.

  Capiton a distingué dans sa définition le populus de la plebs. Le populus se composait de tous les ordres de la cité : la plebs, c'était le peuple, moins les familles patriciennes. Le plébiscite est ainsi, selon Capiton, une loi reçue par la plebs et non par le populus. Mais qu'un décret vienne du populus ou de la plebs, qu'il regarde l'ensemble des citoyens ou les particuliers, qu'il s'appelle loi, privilège ou plébiscite, il a sa source dans la rogation. Tout cela est, en effet, renfermé dans le terme général de rogation ; puisque, si le populus ou la plebs ne sont pas consultés (rogantur ), ils ne peuvent rien décréter. Quoique ces principes soient incontestables, vous ne trouverez pas dans les vieux écrits une grande différence entre tous ces mots. Les plébiscites et les privilèges y sont appelés du nom de lois, et les lois, les privilèges et les plébiscites sont confondus sous le nom de rogation. Salluste lui-même, qui tenait singulièrement à la justesse des termes, s'est laissé aller à l'usage, et a nommé loi le privilège qui eut pour objet le retour de Cn. Pompée : « Sylla, dit-il dans le second livre de ses Histoires, avait voulu, durant son consulat, faire passer une loi sur le retour de Pompée; mais le tribun du peuple C. Hérennius l'en avait empêché. »

XXI. Pourquoi Cicéron a-t-il évité constamment de se servir des mots nouissmus et nouissime?

Il est un assez grand nombre de mots depuis longtemps usités, dont il est certain que Cicéron n'a pas voulu se servir, parce qu'il ne les approuvait pas. Au nombre de ces mots étaient nouissimus et nouissime. Salluste et M. Caton, et d'autres de la même époque, les ont employés sans scrupule ; beaucoup de savants distingués leur ont donné place dans leurs écrits ; et lui, cependant, paraît les avoir évités comme des mots qui n'étaient pas latins. L. Aelius Stilon, un des hommes les plus instruits de l'époque de Cicéron, eut là-dessus le même scrupule. Voici quelle est l'opinion de Varron sur ce mot ; je la trouve dans son sixième livre Sur la langue latine, dédié à Cicéron. «  L'usage s'est introduit de désigner par nouissimus ce qu'on appelait généralement extremus; j'ai souvenir qu'Aelius et d'autres vieillards évitaient ce mot comme trop nouveau. En voici l'origine : de même que de uetus on a fait uetustius et ueterrimum, ainsi de nouus on a tiré nouius et nouissimum

XXII. Passage du Gorgias de Platon, où l'on adresse aux philosophes des reproches qui s'appliquent très justement à la fausse philosophie, mais dont les esprits ignorants et prévenus s'arment à tort contre la vraie.

Platon, ami de la vérité, toujours prêt à la montrer aux hommes, nous enseigne ce qu'il faut penser de ces lâches désœuvrés qui parent du nom de la philosophie l'inutilité de leur loisir et l'obscurité de leur bavardage. La leçon qu'il donne là-dessus, pour être dans la bouche d'un personnage sans autorité, n'en est pas moins l'expression sincère de sa pensée. Sans doute, Calliclès qu'il fait parler, ignore la vraie philosophie, et adresse aux philosophes d'indignes outrages. Profitons toutefois de ses paroles; car elles sont pour nous un avertissement secret de ne pas mériter de tels reproches, et de ne pas cacher sous une apparence de zèle pour la philosophie une oisiveté frivole et honteuse. Le passage dont je parle se trouve dans le Gorgias; je me contente ici de le transcrire, car, lors même qu'il ne serait pas impossible de faire passer dans la langue latine les beautés du style de Platon, mon insuffisance m'interdirait de l'essayer.  »La philosophie, Socrate, est une chose amusante quand on s'en occupe modérément dans la première jeunesse; si l'on s'y arrête plus longtemps qu'il ne faut, elle est pour nous un fléau. Car, fût-on doué du naturel le plus heureux, si l'on se livre à la philosophie dans un âge avancé, on reste nécessairement neuf en toutes les choses qu'il faut savoir pour devenir un homme comme il faut, et obtenir de la considération. On ignore les lois de la cité, le langage dont il faut se servir pour traiter dans le monde les affaires publiques ou privées; on n'a aucune expérience des plaisirs et des passions des hommes, et de tout ce qu'on appelle les mœurs. Aussi vient-on à se trouver engagé dans quelque affaire domestique ou civile, on est ridicule, comme le sont aussi, je crois, les politiques lorsqu'ils assistent à vos réunions et à vos entretiens.  Car rien n'est plus vrai que ce que dit Euripide : « Chacun s'applique aux choses où il excelle, y consacrant la plus grande partie du jour, afin de se surpasser lui-même. » Au contraire est-on sans talent pour un art, on s'en éloigne, et on l'insulte; tandis qu'on loue celui où on excelle, par complaisance pour soi-même, et croyant faire ainsi son propre éloge. Au reste, le mieux, selon moi, c'est d'étudier l'un et l'autre. Il est bon d'avoir une teinture de philosophie ; c'est un moyen de cultiver son esprit, et il n'y a pas de honte à philosopher dans la jeunesse. Mais dans un âge plus avancé, Socrate, philosopher encore! cela devient ridicule. Pour moi, les philosophes me font le même effet que ceux qui bégayent et s'amusent à jouer.  Car, lorsque je vois un enfant, à qui cela convient encore, bégayer en parlant et jouer, cela me plaît, cela me paraît gracieux, noble, et séant au premier âge. Mais que j'entende un enfant articuler avec précision, cela me choque, me blesse l'oreille, et me paraît sentir l'esclave. Au contraire, si c'est un homme qu'on entend balbutier ou qu'on voit folâtrer, la chose paraît ridicule, inconvenante pour cet âge, et digne du fouet.  Or voilà précisément l'effet que me font ceux qui se livrent à la philosophie.  Si je vois un jeune homme s'y appliquer, j'en suis ravi, je trouve cela fort convenable ; je pense que ce jeune homme a une âme noble. S'il la dédaigne au contraire, je conçois de lui une opinion toute différente, et je le regarde comme incapable de rien faire de beau et de généreux. Mais un homme plus âgé qui philosophe encore, qui n'a pas renoncé à cette étude, en vérité, Socrate, je le tiens digne du fouet. Car, je le disais tout à l'heure, cet homme, fût-il doué le plus heureusement, cesse d'être homme, puisqu'il fuit les lieux fréquentés de la ville, et la place publique, où se forment les hommes, selon le poète, et qu'il passera le reste de sa vie dans un coin, à babiller avec trois ou quatre enfants, sans proférer jamais une parole noble, grande, ou bonne à quelque chose. Pour moi, Socrate, j'ai pour toi de la bienveillance et de l'amitié : voilà pourquoi j'éprouve dans ce moment à ton égard les mêmes sentiments que Zethus témoigne à Amphion dans Euripide, que j'ai cité tout à l'heure ; et il me vient envie de t'adresser un discours semblable à celui que ce personnage tient à son frère: Tu négliges, Socrate, ce qui devrait t'occuper; tu dépares un naturel si généreux par un malheureux enfantillage ; tu te rends incapable de proposer un avis dans les délibérations relatives a la justice, de saisir dans une affaire ce qui peut opérer la persuasion ou de suggérer une résolution généreuse. Eh quoi! Socrate, (ne t'offense pas de mes paroles; c'est par pure amitié que je te parle ainsi), ne trouves-tu pas honteux d'être ce que je crois que tu es, et que sont tous les hommes qui poussent au-delà des limites l'étude de la philosophie? Si dans ce moment on venait te saisir, toi ou quelque autre de ceux qui te ressemblent, et te traîner en prison, pour une faute dont tu serais innocent, sais-tu bien que tu serais fort embarrassé de ta personne, que la tête te tournerait, et que tu ouvrirais une grande bouche sans savoir que dire? Traduit devant le tribunal, quelque vil et méprisable que fût ton accusateur, tu serais mis à mort, s'il lui plaisait de demander contre toi cette peine. Or, quelle sagesse peut-il y avoir dans un art qui, trouvant un homme doué du plus heureux naturel, altère et gâte ses facultés, le rend incapable de s'aider lui-même, inhabile à se tirer lui ou les autres des plus grands périls, et l'expose à se voir dépouiller de tout par ses ennemis, et à vivre dans sa patrie sans considération et sans honneur? Je vais te paraître violent ; mais enfin, on peut frapper impunément sur la figure un homme de ce caractère. Ainsi, mon bon ami, écoute-moi, laisse là l'argumentation, cultive les belles choses, exerce-toi à quelque art qui te donne la réputation d'homme habile ; laisse à d'autres toutes ces jolies choses qui ne sont que des extravagances ou des puérilités, et avec lesquelles tu finiras par te trouver ruiné dans une maison vide ; songe à prendre pour modèle non ceux qui disputent sur ces subtilités, mais ceux qui ont du bien, du crédit, et qui jouissent des avantages de la vie. «   Quoique ce discours, ainsi que je l'ai dit, soit mis dans la bouche d'un personnage sacrifié, Platon ne laisse pas d'y développer une pensée juste, raisonnable, confirmée par le sens commun, et dont la vérité ne peut pas être contestée. Sans doute, il ne parle pas de cette philosophie qui nous enseigne toutes les vertus, qui nous instruit de nos devoirs envers les individus et la société, et donne aux États, lorsqu'elle ne rencontre pas d'obstacles, une administration sage, forte et régulière. Platon attaque l'art futile et puéril des vaines arguties, qui n'instruit l'homme ni à défendre sa vie ni à ordonner sa conduite, art où l'on voit vieillir ces oisifs auxquels la multitude, de même que Calliclès, donne très improprement le nom de philosophes.

XXIII. Passage de Caton sur le régime et les mœurs des femmes dans l'ancienne Rome. Droit du mari sur la femme surprise en adultère.

Les auteurs qui ont traité des mœurs et des coutumes du peuple romain, nous apprennent que les femmes de Rome et du Latium devaient être toute leur vie abstemiae, c'est-à-dire s'abstenir de l'usage du vin , appelé temetum dans la vieille langue. Le baiser qu'elles donnaient à leurs parents servait d'épreuve : si elles avaient bu du vin, l'odeur les trahissait, et elles étaient réprimandées. Elles faisaient usage de piquette, de liqueur faite avec des raisins cuits, d'hypocras, et d'autres boissons douces. Je reproduis ces détails d'après les livres que j'ai cités. Caton nous apprend qu'elles n'étaient pas seulement réprimandées pour avoir pris du vin, mais punies aussi sévèrement que si elles avaient commis un adultère. Je citerai ce passage de son discours Sur les dots : « L'homme, à moins d'un divorce, est le juge de sa femme à la place du censeur. Il a sur elle un empire absolu. Si elle a fait quelque chose de déshonnête et de honteux, si elle a bu du vin, si elle a manqué à la foi conjugale, c'est lui qui la condamne et la punit. »  Caton nous apprend dans ce même discours que le mari pouvait tuer sa femme surprise en adultère. «  Si tu surprenais ta femme en adultère, tu pourrais impunément la tuer sans jugement. Si tu commettais un adultère, elle n'oserait pas te toucher du bout du doigt. Ainsi le veut la loi.  »

XXIV. Que des écrivains estimés ont dit, contrairement à l'usage actuel, die pristini, die crastini, die quarti, die quinti.

Nous disons die quarto, die quinto, dans le même sens que les Grecs disent Εἰς τετάρτην, πέμπτην.  Aujourd'hui, les savants eux-mêmes parlent ainsi ; et l'on passerait pour un homme sans savoir ni éducation, si l'on parlait autrement. Mais du temps de Cicéron, et avant lui, on employait une autre forme. On disait die quinte ou die quinti. Ces mots accouplés formaient des adverbes, dans lesquels la seconde syllabe se prononçait brève. L'empereur Auguste, dont on connaît le goût pour l'érudition et le bon style, et qui recherchait dans son langage l'élégance dont son père lui avait laissé l'exemple, a fait un emploi fréquent de cette espèce de mots dans ses lettres. Mais afin de prouver l'ancienneté de cette locution, je crois devoir citer les paroles solennelles dont le préteur, suivant une vieille coutume, se sert pour l'inauguration des fêtes appelées fêtes des carrefours. Voici ces paroles. « Les fêtes des carrefours auront lieu le neuvième jour (die noni); une fois inaugurées, on sera criminel de ne pas les observer.  » Le préteur dit die noni, et non pas die nono. Mais ce n'est pas lui seulement, c'est l'antiquité presque tout entière qui parle ainsi. Je me rappelle en ce moment un vers de Pomponianus, que j'ai lu dans son atellane intitulée Maevia : « Voilà six jours, que je n'ai rien fait ; dans quatre jours (die quarto), je mourrai de faim.  » Je puis citer aussi Caelius au second livre de ses Histoires: «  Si tu veux me confier la cavalerie et me suivre avec le reste de l'armée, dans cinq jours (die quinti) je te ferai souper à Rome, au Capitole.  » Caelius a copié ici Caton, qui dit dans ses Origines : «  Le maître de la cavalerie dit au général carthaginois : Envoie-moi à Rome avec la cavalerie ; dans cinq jours (die quinti) tu souperas au Capitole.  » Ce mot s'écrivait tantôt par « i », tantôt par « e ». Car les Anciens ont souvent confondu ces deux lettres; ainsi, ils disaient indifféremment praefiscine et praefiscini (sans vanité), procliui et procliue (penché). Voici encore d'autres locutions du même genre : on disait die pristini pour die pristino, le jour précédent, ce que l'on exprime aujourd'hui par pridie, où l'on trouve die pristino renversé. On disait de même « die crastini » pour « die crastino ». Les prêtres, lorsqu'ils assignent pour le troisième jour, disent diem perendini, le surlendemain.  M. Caton, s'autorisant de l'expression die pristini, a dit die proximi dans son discours contre Furius. Le savant Cn. Matius, pour dire, il y a quatre jours, ce que nous rendons par nudius quartus, a mis die quarto dans ses Mimiambes: «  Naguère, il y a quatre jours (die quarto), je m'en souviens, il a brisé la seule cruche qu'il eût chez lui.  » Concluons qu'il faut dire die quarto pour le passé, die quarte pour l'avenir.

XXV. Noms d'armes et de navires qu'on trouve dans les écrits anciens.

Un jour, étant en voiture, je m'amusai à rechercher quels étaient les noms de traits, de javelots, d'épées, et aussi les différents noms de navires, que l'on trouve dans les vieilles histoires. A défaut d'autre bagatelle, j'occupai avec celle-là mon indolent loisir. Voici les noms d'armes que je me rappelai: «  hasta, pilum, phalarica, semi-phalarica, soliferrea, gesa, lancea, spari, rumices, trifaces, tragulae, frameae, mesanculae, cateiae, rupiae, scorpii, sibones, siciles, ueruta, enses, sicae, machaerae, spatae, lingulae, pugiones, clunacula ». Pour le mot lingula, l'emploi en étant peu fréquent, je crois qu'il faut l'expliquer : c'était une épée mince et longue, en forme de langue. Naevius se sert de ce terme dans le vers suivant de sa tragédie d'Hésione: « Laisse-moi me satisfaire. - Oui, avec la langue. - Non, mais avec l'épée. » « Verum lingula ». On appelait rumpia le javelot des Thraces ; on trouve ce mot dans le quatorzième livre des Annales de Q. Ennius. Voici maintenant les noms de navires que j'ai pu retenir : gauli, corbitae, caudiceae, longae, hippagines, cercuri, celoces ou, comme disent les Grecs, celetes, lembi, oriae, renunculi, actuariae, que les Grecs appellent histiokopoi ou epactrides ; prosumiae ou geseoretae ou horiolae, stlattae, scaphae, pontones, uaetitiae, hemioliae, phaseli, parones, myoparones, lintres, caupuli, camarae, placidae, cydarum, ratariae, catascopium.

XXVI. Que c'est à tort qu'Asinius Pollion reproche à Salluste d'avoir employé transgressus pour transfretatio, et d'avoir dit transgressi en parlant d'hommes qui avaient passé un détroit.

Asinius Pollion, dans une lettre à Plancus, et quelques écrivains détracteurs de Salluste, ont jugé à propos de relever dans le premier livre des Histoires le mot transgressus, pris au sens de traversée. Ils ont également blâmé Salluste d'avoir appliqué le mot transgressi à des hommes qui avaient passé un détroit, au lieu de se servir du verbe transfretare, généralement usité dans ce sens. Asinius Pollion cite les propres mots de l'historien : « Sertorius laissa une faible garnison en Mauritanie, et, profitant du flux et de l'obscurité de la nuit, s'efforça, en se hâtant et en dérobant sa marche, d'éviter le combat pendant la traversée (in transgressu). »  Plus bas on lit : « Une montagne, occupée d'avance par les Lusitaniens, les reçut tous à leur débarquement. » « Trangressos omnes recipit. » Les critiques voient là une impropriété, une négligence, une témérité désavouée par tous les bons auteurs. Transgressus, dit Asinius Pollion, vient de transgredi, qui exprime la marche, le mouvement des pieds, pedum gradus ; aussi ne peut-il se dire ni des oiseaux, ni des reptiles, ni des navigateurs ; mais seulement de ceux qui marchent à l'aide de leurs pieds. Fondé sur cette étymologie, il soutient qu'on ne saurait trouver chez un bon écrivain transgressus nauium, ou transgressus pris au sens de transfretatio. Mais je demande pourquoi transgressus ne se dirait pas d'un navire aussi bien que cursus, dont l'emploi, dans ce sens, est très usité. D'ailleurs, ce mot ne s'appliquait-il pas élégamment au petit détroit qui sépare l'Espagne de l'Afrique, et qui n'est qu'un espace qu'on franchit pour ainsi dire en quelques pas? Les critiques demandent une autorité, et prétendent que ingredi et transgredi n'ont jamais été dits des navigateurs. Je les prie de me dire quelle différence si grande ils mettent entre ingredi et ambulare. Or, Caton a dit dans son De re rustica: « Il faut choisir sa terre auprès d'une grande ville, et près d'une mer ou d'un fleuve, où les vaisseaux marchent (ambulant). Tout écrivain aime à employer des expressions métaphoriques de ce genre, et s'en sert pour orner son style. La même métaphore se retrouve chez Lucrèce. Dans son quatrième livre, il nous dit que le cri marche (gradiens) à travers la trachée-artère et le gosier, expression bien autrement hardie que celle de Salluste. Voici les vers de Lucrèce: « Il faut reconnaître que la voix est corporelle, et le bruit aussi, puisqu'ils ont action sur les sens ; car souvent la voix gratte le gosier en passant, et le cri, dans sa marche (gradiens) du dedans au dehors, rend la trachée-artère plus sèche et plus rude. » C'est donc avec raison que Salluste dans le même livre a dit, en parlant d'embarcations en marche, progressae. « Les unes, qui s'étaient un peu avancées (progressae), surchargées et perdant l'équilibre, lorsque la frayeur agitait les passagers, étaient submergées. »

XXVII. Que, dans la rivalité de Rome et de Carthage, les forces des deux peuples étaient presque égales. Anecdote sur ce sujet.

Les vieux écrits attestent qu'il y eut autrefois égalité de force, d'ardeur et de grandeur entre Rome et Carthage. Nous le croyons aisément. En effet, dans les guerres avec les autres nations, il ne s'agissait que de la possession d'un seul État ; avec Carthage, il s'agissait de l'empire du monde. Un trait historique nous peint bien la confiance que chacun des deux peuples avait en ses forces. Quintus Fabius écrivit aux Carthaginois que le peuple romain leur envoyait une lance et un caducée, symboles de la paix et de la guerre ; il leur disait de choisir l'un ou l'autre, et de ne tenir compte que de celui qu'ils auraient choisi. Les Carthaginois répondirent qu'ils ne choisiraient pas, mais que les ambassadeurs seraient libres de laisser à leur choix la lance ou le caducée. Nous tiendrons pour choisi, disaient-ils, le symbole qu'ils auront laissé. Selon M. Varron, ce ne fut point une lance ni un caducée qu'on envoya, mais deux tablettes ou étaient gravés sur l'une un caducée, et sur l'autre une lance.

XXVIII. Limites des trois âges, d'après ce qu'on lit dans les Histoires de Tubéron.

C. Tubéron, dans le premier livre de ses Histoires, nous apprend que Servius Tullius, roi de Rome, lorsqu'il établit, en vue du cens, les cinq classes de jeunes gens, décida qu'on était enfant jusqu'à dix-sept ans, et que tous ceux qui auraient passé cet âge, étant propres à servir la République, seraient enrôlés. La jeunesse commençait à dix-sept ans, et finissait à quarante-six. Alors commençait la vieillesse.  Je cite cette disposition prise par le sage roi Servius Tullius dans son recensement, afin de montrer quelles limites séparaient, au jugement de nos pères, l'enfance de la jeunesse, et celle-ci de la vieillesse.

XXIX. Rôles divers de la particule atque. Qu'elle n'est pas seulement conjonctive.

La particule atque est appelée par les grammairiens conjonctive, et le plus souvent, en effet, elle sert à lier les mots. Toutefois, elle joue aussi d'autres rôles peu connus de ceux qui n'ont pas l'habitude de lire et d'étudier les vieux écrits. Souvent elle est adverbe, comme dans la phrase aliter ego feci atque tu, qui équivaut à aliter quam tu. Redoublée, elle est augmentative, comme chez Ennius, qui, si ma mémoire ne me trompe pas, a dit dans ses Annales : « Atque atque accedit murum romana iuuentus ». « La jeunesse romaine, dont l'ardeur redouble, s'avance vers les murs.  » A atque pris dans ce sens s'oppose deque que nous trouvons également dans les vieux auteurs.  Atque tient aussi lieu de statim ; ceux qui l'ignorent ont trouvé dans les vers suivants de Virgile, où ce mot est employé ainsi, un défaut de suite et de clarté : « Telle est la loi du sort : tout dégénère, tout est entraîné en arrière par une force invincible. Le nautonier qui, la rame à la main, remonte péniblement le courant d'un fleuve, cesse-t-il un instant de roidir ses bras, aussitôt l'onde rapide l'entraîne avec elle. » « Atque ilium in praeceps prono rapit alueus amni. »