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table des matières d'Aulu-Gelle

 

 

AULU-GELLE

 

LES NUITS ATTIQUES

 

LIVRE ONZIÈME

 

livre 10 - livre 12

 

Relu et corrigé

 

 

 

 

 

I.  Sur l'origine du mot Italie. Amende appelée suprema ; origine de ce nom. Loi Aternia. Origine ancienne de l'amende appelée minima.

Timée, dans ses histoires romaines qu'il a écrites en grec, et M. Varron, dans ses Antiquités des choses humaines, ont assigné une origine grecque au mot Italie. Les Grecs, dans l'ancien langage, donnaient aux bœufs le nom d'ταλο, et les bœufs  étaient très nombreux en Italie. Ils y paissaient en grandes troupes dans les pâturages. Ce qui est encore propre à nous prouver la multiplicité de ces animaux, c'est l'amende dite suprema, la plus élevée ; elle consistait à payer deux brebis et trente bœufs, à cause du grand nombre de ceux-ci, et de la rareté des brebis. Mais lorsque cette amende d'animaux petits et grands avait été infligée par les magistrats, on se procurait des bœufs et des brebis d'une valeur tantôt moins, tantôt plus élevée, ce qui mettait l'inégalité dans la peine. Aussi, dans la suite, la loi Aternia fixa le prix de chaque brebis à dix as, et de chaque bœuf à cent. L'amende dite minima, la moins élevée, était d'une brebis. Nous venons de faire connaître la plus élevée, suprema ; il n'est pas permis de la dépasser : de là l'expression suprema, c'est-à-dire la plus forte, la plus grande. Lors donc qu'aujourd'hui les magistrats du peuple romain prononcent, selon l'usage de nos ancêtres, l'une des deux amendes, minima ou suprema, ils ont coutume de faire le mot oves, brebis, du genre masculin ; de là cette formule légale que nous trouvons dans M. Varron : M. Terentus quando citatus neque respondit neque excusatus est, ego ei unum ovem mulctam dico, M. Térentius sommé de comparaître n'ayant pas répondu, et n'ayant donné aucune excuse, je le condamne à payer une brebis. Un autre genre employé rendrait, dit-on, la peine illégale. Le mot mulcta, d'après M. Varron, au vingt et unième livre des Choses humaines, n'est pas latin d'origine, mais sabin, et il est resté en usage, jusqu'à son époque, dans la langue des Samnites, descendus des Sabins. Mais la foule des grammairiens modernes n'a vu dans ce mot, comme dans plusieurs autres, qu'une antiphrase, κατ' ντφασιν. Mais l'usage est aujourd'hui, comme autrefois, de dire mulctam dixit et mulcta dicta est, il a appliqué une amende, une amende a été imposée. J'ai cru qu'il n'était pas hors de propos de noter une autre forme employée par M. Caton. Je trouve dans le quatrième livre de ses Origines : Imperator noster, si quis extra ordinem depugnatum ivit, ei mulctam facit, si quelqu'un combat hors des rangs, notre général lui impose une amende. On peut croire que c'est bien à dessein qu'il a changé le verbe, le regardant comme plus élégant pour exprimer une amende non prononcée dans les comices et devant le peuple.

II. Que le mot elegantia, dans l'ancien langage, ne s'appliquait pas aux charmes de l'esprit, mais était pris en mauvaise part pour exprimer une trop grande recherche dans les vêtements et dans la nourriture.

Le mot elegans, élégant, appliqué à un homme, n'était pas pris en bonne part, et ce mot, jusqu'au temps de M. Caton à peu près, exprima un vice et non une qualité. On en voit des exemples dans plusieurs écrivains, et entre autres dans l'ouvrage de Caton, qui a pour titre Plaintes sur les moeurs. J'y remarque ces mots : Avaritiam omnia vitia habere putabant : sumptuosus, cupidus, elegans, vitiosus, irritus qui habebatur, is laudabatur, ils pensaient que l'avarice renferme tous les vices : le luxe, la cupidité, l'élégance, la luxure, la paresse, obtenaient leurs éloges. Ainsi le mot elegans, dans l'ancien langage, ne s'appliquait pas à un esprit délicat, mais à celui qui mettait un excès de recherche dans ses vêtements et dans sa nourriture. Dans la suite, l'homme elegans cessa d'être blâmé ; il n'était cependant réputé digne d'éloge que si son élégance était très modérée. C'est ainsi que M. Tullius ne loue pas L. Crassus et Q. Scévola de leur élégance simplement, mais d'une élégance unie à l'économie : Crassus erat parcissimus elegantium : Scaevola parcorum elegantissimus, Crassus était le plus économe des élégants, Scévola, le plus élégant des économes. Je citerai encore, du même livre de Caton, quelques passages pris çà et là :

« Ils avaient coutume, dit-il, d'être vêtus honnêtement dans le forum, chez eux convenablement. Les chevaux leur coûtaient plus cher que les cuisiniers. L'art de la poésie n'était pas en honneur ; ceux qui s'y livraient et qui ne se plaisaient qu'à table étaient appelés parasites. »

Je trouve dans le même livre cette pensée d'une grande vérité :

«  La vie humaine, dit-il, est comme le fer. Servez-vous du fer, il s'use ; ne vous en servez pas, la rouille le détruit. De même nous voyons l'homme s'user par le travail. Mais s'il reste inactif, l'inertie et la torpeur lui sont plus funestes que l'exercice. »

III. Nombreuses acceptions de la particule pro ; exemples a ce sujet.

Lorsque les occupations du barreau et mes affaires privées me laissent du repos, et que pour me donner de l'exercice, je me promène à pied ou en voiture, je me plais souvent à me poser des questions légères, d'un mince intérêt, méprisables même aux yeux de l'homme peu éclairé, et cependant de la première nécessité pour qui veut approfondir les anciens écrits et la science de la langue latine. C'est ainsi que dernièrement, dans ma retraite de Préneste, me promenant seul sur le soir, je me demandais quelles sont les différentes fonctions de certaines particules dans la langue latine, par exemple de la préposition pro. Je lui trouve, en effet, une signification différente dans ces phrases Pontifices pro collegio decrevisse, et Quempiam testem introductum pro testimonio dixisse, les pontifes ont décrété au nom du collège, et un témoin introduit déposa ainsi ; et ce passage de M. Caton au quatrième livre des Origines : Praetium factum, depugnatumque pro castris, on en vint aux mains, et l'on combattit pour la défense du camp. Le même auteur dit au cinquième livre : Urbes insulasque omnes pro agro Illyrio esse, toutes les villes et toutes les îles dépendaient de l'Illyrie. Voici d'autres acceptions : Pro aede Castoris ; pro rostris ; pro tribunali ; pro contione ; tribunum plebis pro potestate intercessisse, devant le temple de Castor ; à la tribune ; devant le tribunal ; devant l'assemblée ; les tribuns intervinrent en vertu des droits de leur charge. Mais croire que dans toutes ces locutions le sens de la particule est le même ou qu'il est complètement différent, ce serait également se tromper. A mon avis, toutes ces variétés de signification proviennent d'une origine commune, quoique se dirigeant vers un but différent. C'est ce que l'on comprendra facilement pour peu que l'on veuille réfléchir avec attention, se rendre familier l'ancien langage, et acquérir à ce sujet des connaissances profondes.

IV. Comment Q. Ennius lutta contre Euripide.

On lit dans l'Hécube ces vers d'une justesse de pensée et d'une précision vraiment remarquables. Hécube s'adresse à Ulysse : « Ton avis, quelque mauvais qu'il soit, l'emporte ; car le langage de l'homme obscur peut être le même que celui de l'homme illustre, mais ils n'ont pas la même autorité. »

Q. Ennius, en traduisant cette tragédie, a lutté contre son modèle sans trop de désavantage. Voici ses vers en nombre égal à ceux d'Euripide :

 « Ton avis, quelque mauvais qu'il puisse être, entraînera facilement les Grecs ; car si un homme opulent et un homme sans naissance prennent la parole et tiennent un langage tout semblable, ils n'ont pas cependant une égale autorité. »

Ennius a bien traduit, je l'ai dit. Cependant, ignobiles pour δοξοντες, et opulenti pour δοκοῦντες, ne me paraissent pas rendre la pensée, car l'homme sans naissance n'est pas toujours sans illustration, de même que tous les riches ne sont pas toujours illustres.

V. Quelques observations sur les pyrrhoniens et sur les académiciens : différence qui existe entre ces philosophes.

Les philosophes que nous nommons pyrrhoniens sont appelés par les Grecs σκεπτικο, sceptiques, ce qui signifie à peu près chercheurs, qui considèrent. En effet, ils ne décident rien, ils n 'établissent rien, mais sans cesse ils cherchent, ils étudient ce qui pourrait en toute chose être décidé, être établi comme certain. Ils ne savent pas positivement s'ils voient, s'ils entendent. Ils croient simplement qu'ils subissent une impression, qu'ils sont affectés comme s'ils voyaient, comme s'ils entendaient. Mais quelles sont les causes de ces affections qu'ils éprouvent ? quelle en est la nature ? C'est là l'objet de leurs recherches, de leurs investigations. La vérité, obscurcie par un mélange confus de vrai et de faux, est, à leurs yeux, tellement insaisissable, que tout homme qui ne précipite pas, qui ne prodigue pas son jugement doit s'en tenir à ces mots que Pyrrhon, le chef de cette école philosophique, avait, dit-on, habituellement à la bouche : « Cela n'est pas plus ainsi qu'ainsi ou autrement. » Les preuves de toute chose, leur nature intime, ne peuvent être ni connues ni saisies ; c'est ce qu'ils enseignent, ce qu'ils s'efforcent de démontrer par toutes sortes d'arguments. A ce sujet, Favorinus a composé dix livres pleins de finesse et de subtilité ; il a intitulé son ouvrage Idées des pyrrhoniens. Une question ancienne, et traitée par beaucoup d'écrivains grecs, consiste à savoir en quoi diffèrent les pyrrhoniens et les académiciens. On les appelle également σκεπτικο, chercheurs, φεκτικο, qui suspendent leur jugement, ἀπορητικοὶ, incertains. Ces deux écoles n'affirment rien, pensent que l'on ne peut rien savoir. Les choses ne frappent notre vue que comme de vaines images, φαντασίαι, selon leur expression ; elles nous apparaissent non d'après leur nature, mais d'après les affections de l'âme ou du corps de ceux auxquels ces images parviennent. Ainsi tout ce qui émeut les sens de l'homme, n'existe, disent-ils, que par rapport, τῶν πρός τι, ce qui signifie qu'il n'y a rien qui existe par soi-même, qui ait une force propre et naturelle, mais que tout se rapporte à quelque chose. Nous jugeons les objets sur l'apparence ; nous les créons non tels qu'ils sont par leur nature, mais d'après l'impression qu'ils font sur nos sens. Les pyrrhoniens et les académiciens sont d'accord à ce sujet, mais ils diffèrent sur d'autres points. La différence la plus marquée est celle-ci : les académiciens comprennent, du moins en quelque sorte, qu'on ne peut rien comprendre, et décident presque qu'on ne peut rien décider. Les pyrrhoniens refusent même de reconnaître cette vérité, car il n'y a rien de vrai à leurs yeux.

VI. Que les femmes ne pouvaient, à Rome, jurer par Hercule, ni les hommes par Castor.

Dans les vieux écrits, les dames romaines ne jurent jamais par Hercule ni les hommes par Castor. On comprend facilement que les femmes ne jurent point par Hercule, puisqu'elles s'abstiennent de lui sacrifier, mais il est plus difficile de dire pourquoi les hommes n'invoquent pas Castor dans leurs serments. Ainsi vous ne trouverez jamais dans un bon auteur une femme disant mehercle, par Hercule ou un homme mecastor, par Castor. Le serment par Pollux, aedepol, est au contraire commun à l'homme et à la femme. Toutefois M. Varron assure que, dans les temps les plus reculés, les hommes ne juraient ni par Castor ni par Pollux, que les femmes seules se servaient de ces formes de serments, quelles tenaient des initiations aux mystères d'Eleusis. Peu à peu cependant, par oubli des anciens usages, les hommes ont dit aedepol, par Pollux, et cet usage a été adopté, mais dans nul écrivain, on ne trouvera le serment mecastor prononcé par un homme.

VII. Qu'il ne faut jamais employer des expressions trop anciennes, que l'usage a rejetées, ni celles qui n'ont que l'autorité d'un jour.

Se servir de mots vieillis, hors d'usage, ou d'expressions nouvelles, mais rudes et sans grâce, me paraît également une faute. Cependant, je croirais volontiers qu'il y a encore plus d'inconvénients à se servir de mots nouveaux, inusités, inouïs, que d'expressions vieillies et triviales. Je rangerai même dans la classe des mots nouveaux ceux qui, anciennement usités, avaient disparu du langage. C'est là le plus souvent le vice de cette érudition tardive que les Grecs appellent ὀψιμαθία. Lorsque l'on commence à savoir ce que l'on avait longtemps ignoré, on y attache une grande importance, et l'on aime à le placer dans quelque sujet que ce soit. Ainsi à Rome, en notre présence, un vieil avocat bien connu au barreau, mais d'une science soudaine, et en quelque sorte improvisée, parlait devant le préfet de la ville. Pour peindre la pauvreté d'un chevalier qui faisait maigre chère en mangeant journellement du pain de son, et n'ayant pour boisson, qu'un vin nauséabond et fétide, il dit : Hic eques Romanus apludam edit, et floces bibit, ce chevalier romain mange du son et boit de la lie de vin. Tous les assistants se regardaient d'abord d'un air sérieux et troublé, se demandant la signification de deux mots, mais bientôt, comme si l'avocat eût tenu je ne sais quel langage toscan ou gaulois, tous à la fois éclatèrent de rire. Il faut savoir que l'orateur avait lu qu'autrefois les habitants de la campagne appelaient apluda le son du froment, que ce mot se trouvait dans le Bât de Plaute, si toutefois cette pièce est de lui. Il avait également appris que dans l'ancien langage le mot floces signifiait la lie du vin exprimée du marc de raisin, comme fraces signifie la lie de l'huile. Il avait trouvé cela dans les Polumènes de Cécilius et il avait retenu ces deux expressions pour en orner son discours. Un autre orateur, devenu également πιρκαλος, ignorant, ennemi du beau, entendait son adversaire demander la remise de la cause : « Je t'en supplie, préteur, dit-il, au secours, au secours ! Jusqu'où ce bovinator veut-il nous emmener ? » Et on l'entendit répéter à grands cris : « c'est un bovinator ! » La plupart des assistants firent entendre un murmure d'étonnement, en entendant un mot aussi monstrueux. Mais lui, avec un geste plein d'orgueil : « Vous n'avez donc pas lu Lucilius, dit-il, qui appelle bovinator un tergiversateur ? » On trouve en effet, dans la satire onzième de Lucilius, ce vers :

Hic 'st strigosu', bovinatorque, ore improbu' duro,
(C'est un chercheur de défaites et de détours, il a toujours la chicane et l'injure à la bouche. )

VIII. Opinion de M. Caton sur Albinus, qui, quoique Romain, à écrit l'histoire de Rome en langue grecque, en demandant grâce pour son inexpérience dans cet idiome.

M. Caton se montra aussi juste que spirituel dans un reproche qu'il adressa à A. Albinus, qui fut consul avec L. Lucullus, et s'aventura à écrire en grec l'histoire romaine. En tête de son ouvrage, on lit à peu près ces mots : « Il serait injuste de m'en vouloir, si l'on trouve dans ce livre peu de correction et d'élégance ; car je suis Romain, né dans le Latium ; et combien la langue grecque ne diffère-t-elle pas de la nôtre ? » Par là il demandait grâce à ses lecteurs ; il cherchait à fléchir leur sévérité dans le cas où il commettrait quelque faute. M. Caton ayant lu ce livre dit : «  Certes, Aulus, tu es par trop plaisant, toi qui as mieux aimé demander grâce, que d'éviter la faute : car d'ordinaire on demande grâce quand on est tombé dans l'erreur, soit par imprudence, soit par une impulsion étrangère. Mais dis -moi, je te prie, qui t'a poussé à agir de telle sorte, quil fallût solliciter ta grâce avant de te rendre coupable ? » On trouve cette anecdote dans l'ouvrage de Cornélius Nepos, des Hommes illustres.

IX. Anecdote trouvée dans les oeuvres de Critolaüs, au sujet des députés de Milet et de l'orateur Démosthène.

Nous lisons dans Critolaüs que Milet envoya dans ses intérêts à Athènes, une ambassade, probablement pour implorer le secours des Athéniens. Les députés choisirent des orateurs pour plaider la cause des Milésiens devant le peuple, et ceux-ci s'acquittèrent de leur mandat. Démosthène leur répondit avec force, déclarant que les Milésiens étaient indignes des secours d'Athènes, que se rendre à leurs vœux serait contraire à la République. L'affaire fut remise au lendemain. Les députés allèrent trouver Démosthène, et le supplièrent de ne point parler contre eux. L'orateur leur demanda de l'argent, et il obtint tout ce qu'il voulut. Le lendemain, l'affaire ayant été reprise, Démosthène, la tête et le cou enveloppés de laine, parut dans l'assemblée, et déclara que, souffrant d'une esquinancie, il lui était impossible de prendre la parole contre les Milésiens. Alors quelqu'un s'écria du milieu de la foule : « Ce n'est pas une esquinancie, mais une argyrancie, non συννγκη, sed  ργυργκη, qui tient Démosthène. » Au reste Critolaüs prétend que, dans la suite, cet orateur, loin de s'en cacher, l'avouait publiquement et s'en faisait gloire. Il demandait un jour à l'acteur Aristodème combien il recevait pour parler sur la scène : « Un talent, lui répondit-il. - Et moi, reprit Démosthène, j'ai reçu davantage pour garder le silence. »

X. C. Gracchus, dans un de ses discours, attribue le mot rapporté dans le chapitre précédent, non à Démosthène, mais au rhéteur Démade. Extrait du discours de C. Gracchus.

Le mot que Critolaüs (comme nous l'avons dit dans le chapitre précédent) attribue à Démosthène, C. Gracchus, dans un discours qu'il prononça contre la loi Auféia, l'attribue à Démade. Voici le passage : « En effet, Romains, si vous voulez juger avec sagesse et prudence, et si vous examinez attentivement, vous trouverez que pas un seul d'entre nous ne se présente à cette tribune sans l'espoir de quelque récompense. Oui, nous tous qui prenons la parole, nous ambitionnons quelque chose. Nul de nous ne paraît en votre présence, pour traiter quelque sujet que ce soit, sans désirer obtenir un salaire. Moi-même qui vous parle, pour augmenter vos revenus, pour que vous puissiez plus facilement veiller à vos intérêts et à l'administration de la République, je ne parle pas gratuitement : je veux obtenir de vous, non de l'argent, mais votre estime, mais l'honneur. Ceux qui parlent contre la loi, recherchent, non votre estime, mais l'argent de Nicomède. Ceux qui vous conseillent de l'accepter, s'occupent également fort peu de votre estime, mais beaucoup de l'argent et des récompenses de Mithridate. Quant à ceux qui, siégeant à vos côtés, gardent le silence, ce sont les plus avides : car ils prennent de toutes mains, et trompent tout le monde. Persuadés qu'ils restent étrangers à ces débats, vous leur accordez votre estime ; mais les députés des rois, interprétant ce silence en leur faveur, les comblent de richesses. Ainsi, dans la Grèce, un poète tragique se glorifiait d'avoir reçu un grand talent pour une seule pièce ; le plus éloquent des orateurs de cette époque, Démade, lui répondit : « Quoi ! tu regardes comme un prodige d'avoir reçu un talent pour avoir parlé ; et moi, pour me taire, j'ai reçu du roi dix talents. » Il en est de même ici : ceux qui se taisent se font payer le plus cher.

XI. Différence entre mentiri et mendacium dicere, d'après P. Nigidius.

Je transcris les expressions mêmes de P. Nigidius, homme qui a excellé dans l'étude des beaux-arts, et dont M. Cicéron révérait l'esprit et l'érudition: « Entre mendacium dicere, dire un mensonge et mentiri, mentir, il y a une grande différence ; c'est que celui qui ment, ne se trompe pas, il veut tromper autrui; celui qui dit un mensonge, est lui-même trompé. » Nigidius ajoute ce qui suit : « Celui qui ment, qui mentitur, trompe autant qu'il est en son pouvoir, mais celui qui dit un mensonge, at qui mendacium dicit, ne trompe pas, du moins volontairement. » Il dit encore sur le même sujet : « L'homme de bien doit se garder de mentir; l'homme prudent, de dire un mensonge : le premier retombe sur l'homme, l'autre ne l'atteint pas. » Je ne puis assez admirer avec quelle variété et quelle grâce Nigidius a su présenter le même sujet, comme s'il offrait sans cesse des idées nouvelles.

XII. Que, selon le philosophe Chrysippe, tous tes mots sont ambigus et douteux. Opinion contraire de Diodore.

Tout mot, dit Chrysippe, est ambigu par sa nature, puisqu'il peut avoir deux sens et même davantage. Diodore, surnommé Cronus dit au contraire : « Il n'y a pas de mot ambigu ; il ne peut y avoir d'ambiguïté ni dans la parole ni dans la pensée, et l'on ne doit voir dans la parole que la pensée de celui qui parle. Cependant, ajoute-t-il, j'ai pensé une chose, et vous en avez compris une autre ; mais cela provient de l'obscurité, non de l'ambiguïté. En effet, jamais un mot ne peut être de sa nature ambigu, autrement on aurait dit à la fois deux choses ou davantage. Or, on ne dit pas deux et trois choses à la fois, puisqu'on ne peut avoir à la fois qu'une pensée.»

XIII. Critique de T. Castricus sur un passage de C. Gracchus; il prouve que ce passage est vide de sens.

Un jour, dans l'école de rhétorique de T. Castricius, homme d'un jugement sûr et sévère, on lisait le discours de C. Gracchus contre P. Popilius. Dans l'exorde, l'arrangement des mots offre plus d'art et plus d'harmonie qu'on n'en trouve ordinairement dans les anciens orateurs. Voici ses expressions dans leur ordre symétrique : « Ce que dans ces dernières années vous avez souhaité, voulu avec passion, si vous le rejetez aujourd'hui par caprice, vous ne pourrez vous défendre ou de l'avoir autrefois désiré avec passion, ou de l'avoir rejeté aujourd'hui par caprice.» Ce tour de phrase, cette pensée rendue par une période sonore, arrondie et rapide, nous charmait au dernier point, d'autant plus que l'illustre orateur nous semblait, malgré la gravité, avoir eu de la prédilection pour cette manière de formuler sa pensée. Ce passage ayant été relu plusieurs fois, à notre demande, Castricius nous avertit d'examiner quelle pouvait être la force, la valeur de cette pensée, et de ne pas permettre que nos oreilles, enchantées par la chute harmonieuse d'une période, séduisissent notre esprit par une volupté sans réalité. Cet avertissement nous rendant plus attentifs : « Examinez avec attention, dit-il, la signification de ces expressions, et dites- moi, je vous prie, si l'on peut trouver dans une telle pensée quelque valeur, quelque beauté réelle : «Ce que dans ces dernières années vous avez souhaité, voulu avec passion, si vous le rejetez aujourd'hui par caprice, vous ne pourrez vous défendre ou de l'avoir autrefois désiré avec passion, ou de l'avoir rejeté aujourd'hui par caprice. » Ne tombe-t-il pas sous le sens, qu'on a désiré avec passion ce qu'on a désiré avec passion, et rejeté par caprice ce qu'on a rejeté par caprice ? Mais, ajoute Castricius si l'orateur s'était exprimé ainsi : « Si vous rejetez aujourd'hui ce que vous avez désiré et voulu pendant ces dernières années, vous ne pourrez vous défendre ou de l'avoir autrefois désiré avec passion, ou de l'avoir aujourd'hui rejeté par caprice ; » s'il s'était ainsi exprimé, répétait le rhéteur, la pensée serait plus grave, plus solide ; elle eût mieux répondu à la juste attente des auditeurs. Mais ces mots avec passion et par caprice, qui sont les plus importants, il ne les place pas seulement dans sa conclusion, mais ils se trouvent encore, sans aucune nécessité, au début de sa phrase ; il place ainsi hors de propos ce qui ne devait paraître que comme le résultat de son raisonnement. Car dire : « Si tu fais cela, tu passeras pour l'avoir fait avec passion, » c'est présenter un sens complet, appuyé sur la raison ; mais dire « Si tu agis avec passion, tu passeras pour avoir agi avec passion,» n'est-ce pas dire : « Si tu agis avec passion, tu auras agi avec passion ? » Si j'ai fait cette observation, ajouta Castricius, ce n'est pas dans l'intention de rabaisser le mérite de C. Gracchus. Que les dieux éloignent de moi de tels sentiments ! Car si, dans ce puissant orateur, on peut trouver quelques fautes, quelques erreurs, elles sont effacées par l'autorité du grand homme, et le temps les a fait évanouir. Jai voulu seulement vous prémunir contre la séduction trop facile d'une harmonie brillante et sonore, pour que vous pesiez avant tout la force même des choses et la valeur des mots. Que si la pensée vous paraît grave, saine, vraie, alors applaudissez à la marche, aux mouvements du style, mais si vous ne trouvez qu'une idée froide, légère et futile, renfermée dans des mots arrangés avec nombre et mesure, que l'écrivain soit pour vous tel qu'un homme d'une insigne difformité qui s'efforcerait d'imiter les gestes ridicules d'un histrion. »

XIV. Sobriété et bon mot du roi Romulus sur l'usage du vin.

C'est avec une délicieuse simplicité de pensée et de style que L. Pison Frugi, dans son premier livre des Annales, a parlé de la vie et des mœurs du roi Romulus. Le passage suivant est extrait de cet ouvrage : « On rapporte que le même Romulus invité à un repas, prit fort peu de vin, parce qu'il avait le lendemain une affaire à traiter. On lui dit : « Romulus, si tous les hommes faisaient comme vous, le vin se vendrait à plus vil prix. - Au contraire, dit-il, il serait plus cher si chacun en buvait selon son désir car c'est ainsi que j'en ai bu moi-même. »

XV. Sur les mots ludibundus, errabundus et autres adjectifs de cette espèce. Que Labérius a dit amorabundus, comme on dit ludibundus, errabundus. Que Sisenna à l'aide d'un pareil mot, a formé une nouvelle figure.

Labérius, dans son Lac Averne, se sert de l'expression inusitée amorabunda, portée à l'amour, au sujet d'une femme amoureuse. Césellius Vindex, dans le commentaire ayant pour titre Leçons antiques, prétend que c'est là une forme analogue à ludibunda, folâtre, ridibunda, rieuse, errabunda, errante, pour ludens, ridens, errans. Mais Térentius Scaurus, l'un des grammairiens les plus distingués du temps du divin Adrien, reproche, entre bien d'autres erreurs à Césellius, de s'être trompé en ne mettant pas de différence entre ludens et ludibunda, ridens et ridibunda, errans et errabunda : « Ludibunda, ridibunda, errabunda signifient, dit-il, une femme qui se livre, ou vient de se livrer au jeu, au rire, à l'égarement. » Mais par quelle raison Scaurus a-t-il été conduit à critiquer en cela Césellus, c'est je l'avoue, ce que je ne pouvais découvrir. Car il n'est pas douteux que ces mots n'aient au fond, par leur nature, une signification semblable à celle de leurs primitifs. Mais que signifierait cette expression ludentem agere ou imitari, faire ou imiter celui qui rit ? J'aime mieux paraître ne pas comprendre que de taxer le critique de peu de discernement. Scaurus aurait d'ailleurs bien mieux fait, puisqu'il critiquait les commentaires de Césellius, de réparer son oubli, en nous disant quelle est la légère différence entre ludibundus et ludens, ridibundus et ridens, errabundus et errans, et autres mots semblables, si ces adjectifs diffèrent un peu des primitifs, et quelle valeur cette terminaison ajoute au radical. C'était là plutôt ce qu'il fallait rechercher, en traitant de ces sortes de formes, de même que l'on se demande si dans vinotentus, ivre, lutulentus, boueux, turbulentus, turbulent, trouble, cette terminaison est sans aucune valeur, n'est qu'une simple dérivation, παραγωγα, comme disent les Grecs, ou bien si elle a une signification qui lui est propre. Au moment où nous blâmions cette critique de Scaurus, nous nous rappelâmes ce passage de Sisenna, au quatrième livre des Histoires, où il a employé cette même déclinaison : Populabundus agros ad oppidum pervenit,ce qui signifie : en dévastant les campagnes, il parvint à la ville, et non pas, selon l'explication que donnerait Scaurus, en jouant, ou en simulant le ravage. Nous recherchions donc le sens de cette désinence, populabundus, qui ravage, errabundus, errant, laetabundus, qui se réjouit, et beaucoup d'autres expressions analogues, lorsque notre ami Apollinaris dit avec beaucoup de justesse, εὐεπιβόλως, que cette terminaison, dans tous les mots où elle se trouve, annonce la force, la quantité, l'abondance de la chose exprimée par le radical ; qu'ainsi laetabundus signifie qui est au comble de la joie ; errabundus, qui erre au loin, sans cause. Il prouve donc que toutes les terminaisons de ce genre annoncent abondance, force et profusion.

XVI. Grande difficulté de traduire en latin certains mots grecs, par exemple Πολυπραγμοσνη.

J'ai souvent arrêté mon attention sur certaines idées, et elles sont fort nombreuses, que la langue latine ne peut rendre avec autant de clarté et de justesse que la langue grecque, lors même que nous cherchons à traduire par une périphrase ce que les Grecs expriment par un seul mot. Il y a peu de jours, on m'apporte un livre de Plutarque; je lis le titre , περ Πολυπραγμοσνης. Un homme qui ne connaît ni la littérature ni la langue grecques me demande le nom de l'auteur et l'objet de son livre. Le nom de l'auteur, je le dis aussitôt, mais quant au titre de l'ouvrage, je me trouvai dans lembarras pour le faire connaître, Persuadé qu'il n'interpréterait pas facilement la pensée de l'auteur si je traduisais περ Πραγμοσνης par de Negotiositate, de la surcharge des affaires, je cherche en moi-même un mot qui puisse rendre littéralement l'expression grecque. Mais je consultais vainement les souvenirs de mes lectures, en vain je cherchais à créer : je ne produisais que des mots d'une insigne âpreté, durs et choquants à l'oreille, en désirant exprimer par un seul mot une multitude d'affaires. J'aurais voulu quelque chose d'analogue à multijuga, attelée avec plusieurs, multicolora qui a beaucoup de couleurs, multiforma qui a plusieurs formes; mais il y aurait aussi peu de grâce à rendre ainsi par un seul mot πολυπραγμοσύνη qu'à rendre par une seule expression πολυφιλία, grand nombre d'amis, πολυτροπία, souplesse de caractère, ou πολυσαρκία, abondance de chair. Ainsi, après avoir réfléchi un peu de temps en silence, je finis par répondre que cette pensée ne pouvait être rendue par un seul mot, et je me disposai à la traduire par une périphrase. L'action d'entreprendre et de traiter un grand nombre d'affaires, dis-je, s'appelle en grec πολυπραγμοσύνη; tel est l'objet de ce livre : il est indiqué par ce titre. Alors mon ignorant, trompé par une explication incomplète et informe, se persuada que πολυπραγμοσύνη exprimait une vertu. Ainsi donc, dit-il, cet homme que je ne connais pas, et que vous nommez Plutarque, nous engage à entreprendre un grand nombre d'affaires, à nous mêler activement d'une foule de choses, et il a mis, fort à propos, comme vous le dites, en titre de son livre, le nom de la vertu dont il se proposait de parler. - Pas du tout, lui dis-je, ce titre grec n'est nullement le nom d'une vertu ; je ne veux pas dire, et Plutarque n'a pas voulu faire ce que vous pensez. Il fait, au contraire, dans ce livre, tous ses efforts pour nous détourner de la recherche et de la pensée même d'un mélange d'affaires multipliées et sans utilité. Mais la cause de votre erreur, je le comprends, est dans mon ignorance, puisque je n'ai pu, à l'aide d'une périphrase, exprimer que fort obscurément ce que les Grecs rendent par un seul mot avec tant de clarté et de perfection.

XVII. Du sens des mots flumina retanda publice redempta habent dans les vieux édits des préteurs.  

Les édits des anciens préteurs nous tombèrent sous la main, un jour que nous cherchions autre chose dans la Bibliothèque de Trajan. Nous eûmes la curiosité de les lire, d'en prendre connaissance. Dans un édit fort ancien, je lus ces mots : Qui flumina retanda publice redempta habent, si quis eorum ad me eductus fuerit, qui dicatur, quod eum ex lege locationis facere oportuerit, non fecisse, si quelqu'un de ceux qui ont entrepris, au nom de la République, le curage des cours d'eau est amené devant nous, et convaincu de n'avoir pas satisfait aux prescriptions de la loi... On se demandait ce que signifiait retanda. Alors un de mes amis, assis près de nous, se souvint d'avoir lu dans le septième livre de Gabius, de l'Origine des mots, que l'on appelait les arbres qui s'élèvent près des rives des fleuves ou qui croissent dans leur lit, retae, du mot rete, réseau, filet, etc., parce qu'ils entravent et enlacent, pour ainsi dire, les barques. Ils pensaient donc que les entrepreneurs étaient chargés, pour rendre la navigation plus facile et moins périlleuse, de débarrasser les fleuves de ces arbustes, opération désignée par ces mots flumina retanda.

XVIII. Peine infligée par l'Athénien Dracon pour le vol. Loi établie ensuite par Solon. Loi gravée par les décemvirs sur les Douze Tables. Le vol permis chez les Égyptiens, encouragé à Sparte comme un exercice utile. Opinion remarquable de M. Caton sur les voleurs.

L'Athénien Dracon passa pour un homme de bien et d'une grande sagesse ; la science des lois divines et humaines lui fut familière. Ce Dracon donna le premier des lois aux Athéniens. Dans sa législation, il punissait de mort le voleur, quel que fût le vol ; la plupart des autres dispositions qu'il sanctionna étaient d'une sévérité inouïe, cette grande rigueur la fit tomber en désuétude, sans décret, et par le consentement tacite des Athéniens. Des lois plus douces leur furent ensuite données par Solon, qui fut au nombre des sept hommes immortalisés par leur sagesse. Sa législation condamnait le voleur, non à la peine de mort, comme celle de Dracon, mais seulement à payer le double de l'objet volé. Nos décemvirs, qui, après l'expulsion des rois, firent les lois des Douze Tables, ne mirent, dans les punitions infligées aux différentes sortes de vol, ni la sévérité de l'un, ni la douceur de l'autre. Leurs lois condamnaient à la peine de mort le voleur pris en flagrant délit, s'il faisait nuit au moment du crime ou s'il s'était défendu avec une arme. Quant aux autres voleurs, pris également en flagrant délit, s'ils étaient libres, on les frappait de verges, et ils étaient livrés à celui qu'ils avaient volé, en supposant qu'ils eussent commis le crime pendant le jour, et qu'ils n'eussent pas cherché à se défendre une arme à la main. Si le voleur était esclave, il était battu de verges et précipité du haut d'un rocher. Quant aux impubères, la loi voulait qu'ils fussent battus de verges autant que le préteur le jugerait convenable, et le dommage devait être réparé. Le vol découvert avec le bassin et la ceinture était puni comme s'il y avait flagrant délit. Mais cette loi décemvirale n'est plus observée, car le voleur pris en flagrant délit est maintenant condamné à payer une valeur quadruple de l'objet volé. « Or, il y a flagrant délit, dit Massurius, lorsque le voleur est surpris au moment où il commet le vol, le vol est consommé lorsque l'objet volé est porté au lieu voulu par le coupable. » Le vol dit oblatum et le vol conceptum sont punis du triple de la valeur. Mais que signifient ces mots conceptum, oblatum, et tant d'autres termes que, sur le même sujet, nous avons reçus de nos ancêtres, et qu'il n'est pas moins agréable qu'utile de connaître ? Si quelqu'un désire le savoir, il peut lire l'ouvrage de Sabinus, ayant pour titre du Vol. On y lit (chose qui semblera peu croyable au vulgaire) que l'on peut voler, non seulement l'homme et le mobilier, mais même les champs et les maisons. On condamna à mort un colon qui, ayant vendu le champ dont il était fermier, avait ainsi dépouillé le propriétaire. Mais, ce qui est bien plus extraordinaire, Sabinus dit que l'on déclara voleur d'hommes quelqu'un qui s'était placé entre un esclave fugitif et son maître, étendant son manteau comme pour se couvrir, mais en réalité pour que l'esclave pût s'échapper. Quant aux autres vols, ils sont punis par la peine du double. Je me souviens même d'avoir lu, dans en ouvrage du savant jurisconsulte Ariston, que chez les anciens Égyptiens, ce peuple si célèbre par ses inventions dans les arts et par ses savantes recherches, le vol était permis et il restait impuni. Chez les Lacédémoniens, ces hommes si sobres, si courageux, et dont l'histoire est moins éloignée de nous que celle des Égyptiens, le vol était permis et passé en usage ; c'est ce qui nous est attesté par un grand nombre d'auteurs célèbres, qui ont écrit sur les mœurs et sur les lois de ce peuple. Mais la jeunesse s'exerçait au vol, non pour acquérir de honteuses richesses ni pour subvenir aux frais du libertinage, mais pour se former aux ruses de guerre. On pensait que l'adresse et l'activité, nécessaires pour le vol, développaient et fortifiaient les esprits des jeunes gens, les formaient à tendre des pièges, à veiller avec patience, à saisir avec rapidité le moment de l'attaque. M. Caton, dans le discours qu'il a composé sur le butin à distribuer aux soldats, se plaint, avec autant de force que d'éclat, de la licence, de l'impunité accordée aux concussionnaires. Je transcris ici ses paroles, qui m'ont frappé d'admiration : « Ceux qui volent les particuliers passent leur vie dans les fers ; les voleurs de l'État vivent dans l'or et la pourpre.» Les plus habiles jurisconsultes ont donné du vol une définition d'une sévérité vraiment religieuse, et je ne dois pas la passer sous silence, on pourrait croire qu'il n'y a de voleur que celui qui enlève ou dérobe en secret. Je cite les expressions de Sabinus au second livre du Droit civil : « Celui qui a touché le bien d'autrui, lorsqu'il savait agir contre la volonté du possesseur, commet un vol. » Dans un autre chapitre, il dit encore : «  Quiconque prend en secret le bien d'autrui pour en retirer un bénéfice, est coupable de vol, qu'il sache, oui ou non, à qui appartient l'objet dérobé. » Ainsi s'exprime Sabinus, dans le livre que je viens de citer, au sujet des diverses sortes de vol. Mais, ne l'oublions pas, d'après ce que j'ai écrit précédemment, on peut aussi voler sans le secours des mains, et par la seule volonté, le simple désir. C'est pourquoi Sabinus ne doute pas que l'on doive condamner, pour crime de vol, le maître qui a ordonné à son esclave de voler.