table des matières d'Aulu-Gelle AULU-GELLE LES NUITS ATTIQUES LIVRE NEUVIÈME Relu et corrigé
I. Pourquoi Q. Claudius Quadrigarius dit-il dans le dix-neuvième livre de ses Annales, qu'on lance un objet plus droit et plus sûrement de bas en haut que de haut en bas. Q. Claudius, racontant au dix-neuvième livre de ses Annales le siège d'une ville conduit par le proconsul Métellus, et la vigoureuse résistance des habitants postés sur leurs murailles, s'exprime en ces termes : « Archers et frondeurs combattaient des deux côtés avec la plus grande ardeur. Mais il est fort différent de diriger une pierre ou une flèche de haut en bas ou de bas en haut, car de haut en bas, on ne peut diriger avec justesse ; de bas en haut, au contraire, la chose est très facile. Ainsi les soldats de Métellus recevaient beaucoup moins de blessures, et, ce qui était très important, ils éloignaient aisément les ennemis des créneaux. » Je demandai au rhéteur Antonius Julianus comment Quadrigarius avait pu dire qu'on lançait plus sûrement et plus facilement un trait ou une pierre de bas en haut que de haut en bas, tandis que l'objet lancé semblait suivre, au contraire une ligne plus naturelle et plus facile, quand l'impulsion est donnée de haut en bas. Julianus, approuvant la manière dont j'avais posé ma question me répondit : « Ce que Quadrigarius a dit d'un flèche et d'une pierre peut s'appliquer à toute sorte de projectiles, sans doute, comme tu le penses, lorsqu'on ne veut que jeter, sans rien viser, il est plus facile de la faire de haut en bas, mais quand il s'agit de modérer et de diriger vers un but l'impulsion donnée, alors si vous lancez de haut en bas, la direction imprimée par la main est naturellement contrariée par le poids du corps jeté et par la rapidité de sa chute Mais si vous lancez de bas en haut, et votre mains et vos yeux visant un lieu élevé, le trait suivra sans dériver la ligne que vous lui aurez tracée. » Telle fut l'opinion donnée par Julianus conversant avec moi sur le passage de Q. Claudius. Quant à l'expression du même Q. Claudius : a pinnis hostis defendebant facillime, ils repoussaient très facilement les ennemis des créneaux, on doit remarquer qu'il a employé defendebant, non dans l'assertion vulgaire, mais pourtant dans un sens propre et latin : car les mots defendere et offeendere défendre et attaquer, ont un sens opposé : ce dernier signifie ἐμποδὼν ἔχειν, c'est-à-dire se diriger vers un obstacle, le heurter ; l'autre verbe signifie ἐμποδὼν ποιεῖσθαι, c'est-à-dire se détourner, repousser un obstacle. Telle est la signification dans ce passage de Q. Claudius. II. Paroles sévères d'Hérode Atticus sur certain personnage qui, composant son attitude et enveloppé dans un manteau, imitait les manières et prenait le nom de philosophe. Hérode Atticus, consulaire célèbre par les charmes de son esprit et par son éloquence dans les lettres grecques fut un jour accosté en ma présence, par un personnage recouvert d'un manteau : cet homme portait une longue chevelure et une barbe qui descendait au-dessous de la ceinture : il lui demanda de l'argent pour acheter du pain. Hérode lui demanda qui il est. Celui-ci, d'un air et d'un ton de grandeur, dit qu'il est philosophe, et je m'étonne, ajouta-t-il, qu'on me fasse cette question, puisqu'on sais bien qui je suis : « Je vois, dit Atticus, une barbe et un manteau, mais je ne vois pas encore un philosophe. Dis-moi, sans te fâcher, à quelle marque veux-tu que nous le reconnaissions selon toi ? » Alors un de ceux qui se trouvaient avec Hérode dit que cet homme était un vagabond, un vaurien, qu'il fréquentait de mauvais lieux, et poursuivait d'ordinaire par de grossières injures ceux qui lui refusaient l'aumône. « Qu'il soit ce qu'il voudra dit alors Atticus, mais donnons-lui quelque argent, non comme à un homme, mais parce que nous sommes nous-mêmes des hommes. » Et il lui fit donner de quoi acheter du pain pendant trente jours. Puis, se tournant vers nous : « Musonius, dit-il, rencontrant un mendiant de cette espèce, qui se vantait aussi d'être philosophe, lui lit compter mille deniers ; et, comme on lui faisait observer de tous côtés que c'était un vaurien, un misérable, un fripon qui ne méritait aucune pitié, Musonius dit en souriant à ce qu'on rapporte : En ce cas, l'argent est fait pour lui. Au reste ajouta Hérode, c'est pour moi un sujet de douleur et d' affliction de voir des êtres aussi abjects et aussi vils usurper le nom le plus saint et se dire philosophes. Les Athéniens, mes ancêtres, défendirent par un décret public de donner à des esclaves les noms d'Harmodius et d'Aristogiton, qui, pour rendre la liberté à leur pays, avaient tenté d'immoler le tyran Hippias : ils eussent craint de souiller par le contact de la servitude des noms consacrés à la liberté de la patrie. Pourquoi donc souffrons-nous que le nom de philosophe, le plus illustre de tous, soit déshonoré par des misérables ? Les anciens Romains ont donné un exemple analogue, quoique dans un genre opposé, quand ils décrétèrent que les prénoms de quelques patriciens, condamnés pour attentat contre la république, ne seraient jamais portés par aucun membre de la famille. C'était afin que leurs noms mêmes parussent flétris et morts avec ces traîtres. » III. Lettre du roi Philippe au philosophe Aristote à propos de la naissance d'Alexandre. Philippe, fils d'Amyntas, ce roi de Macédoine qui eut, par son courage et par sa politique, enrichir ses États, étendre sa domination sur un grand nombre de peuples, et se rendre, par ses armes, redoutable à toute la Grèce, ainsi que le répètent sans cesse les discours et les fameuses harangues de Démosthène, Philippe, disions-nous, quoique presque toujours absorbé par les soins de la guerre et par les émotions de la victoire, ne resta pourtant jamais étranger au commerce des Muses et aux études littéraire. Beaucoup de ses paroles et de ses écrits témoignèrent d'un esprit aussi fin que poli. On a de lui des lettres pleines de pureté, de grâce et de sagesse ; telle est celle qu'il adressa au philosophe Aristote, pour lui annoncer la naissance d'Alexandre. Elle est bien propre à exalter la sollicitude des pères pour l'éducation de leurs enfants ; j'ai donc jugé convenable de la transcrire, dans l'espérance qu'elle fera impression sur l'esprit des parents. Je me garderai bien d'en altérer une seule expression. « Philippe à Aristote, salut, - Sache qu'il m'est né un fils ; ce dont je remercie les dieux, c'est moins de me l'avoir donné que de l'avoir fait naître de ton vivant. Car j'espère qu'élevé et formé par toi, il se montrera digne de son père et de l'empire qu'il doit diriger un jour. » Voici le texte même de la lettre de Philippe : Φίλιππος Αριστοτέλει χαίρειν - Ἴσθι μοὶ γεγενότα υἱόν. Πόλλην οὖν τοῖς θεοῖς χαρὶν ἔχω οὐκ οὕτως τῇ γενέσει τοῦ παιδός, ὃς ἐπὶ τῷ κατὰ τὴν σὴν ἡλικίαν αὐτὸν γεγονέναι. Ἐλπίζω γάρ, αὐτὸν ὑπὸ σοῦ τραφέντα καὶ παυδευθρρντα ἄξιον ἔσεσθαι καὶ ἡμῶν καὶ τῆς τῶν πραγμάττν διαδοχῆς. IV. Traditions merveilleuses sur quelques nattons barbares. Enchantements funestes et déplorables. Femmes changées subitement en hommes. Revenant de Grèce en Italie, je débarquai à Brindes. Au sortir du vaisseau, je me promenais sur ce port fameux qu'Ennius a appelé praepes, assuré, en donnant à ce mot une acception fort peu usitée, mais très convenable, lorsque j'aperçus un étalage de livres mis en vente. C'était une collection de livres grecs remplis de merveilles, de fables, de récits inouïs, incroyables, dont les auteurs étaient anciens et d'une autorité considérable : Aristée de Proconnèse, Isigone de Nicée, Ctésias, Onésicrite, Polystéphane, Hégésias. Tous ces livres, abandonnés depuis longtemps, étaient couverts de poussière et avalent la plus triste apparence, toutefois, je m'approchai, je demandai la prix, et, séduit par un bon marché inattendu et tout à fait étonnant, j'achetai presque rien un grand nombre d'ouvrages ; je passai les deux nuits suivantes à les parcourir. En faisant cette lecture, j'ai noté quelques traits merveilleux, que l'on chercherait vainement, je crois, dans d'autres écrivains. J'ai jugé convenable de leur donner place dans cet ouvrage, pour les faire connaître à mes lecteurs, afin qu'ils ne soient pas tout à fait étrangers aux récits de ce genre. Voici quelques extraits de ces livres : Les Scythes, qui vivent aux extrémités septentrionales du monde, mangent de la chair humaine, ce qui leur a fait donner le nom d'anthropophages. Dans les mêmes régions se trouvent des hommes qui n'ont qu'un œil au milieu du front, et qu'on appelle Arimaspes ; c'est ainsi que les poètes représentent les Cyclopes. Il y a encore dans cette même contrée une race d'hommes qui marchent avec une grande vitesse; mais au lieu d'avoir pieds tournés en avant comme les autres hommes, il les ont tournés en arrière, Enfin, à l'extrémité du monde est un pays appelé Albanie, où naissent des hommes dont la chevelure blanchit dès l'enfance, et qui voient mieux la nuit que le jour. On donne encore pour certain que les Sarmates, qui habitent au delà du Berysthène, ne prennent leur nourriture que de deux jours l'un, et ne mangent rien dans l'intervalle. J'ai même trouvé dans ces ouvrages des détails que j'ai lus depuis dans Pline Second, le septième livre de son Histoire naturelle : Qu'il y a en Afrique certains familles dont les membres peuvent jeter des sorts, en faisant entendre un son de voix de quelques paroles. Leur arrive-t-il, par malheur, de louer de beaux arbres, des moissons fécondes, des enfants bien venus, des chevaux de race, des troupeaux bien nourris, bien soignés, bientôt tout cela meurt par le seul effet de ce charme. Ces mêmes auteurs attribuent aux yeux une influence non moins fatale ; et même on rapporte qu'il y a en Illyrie des personnes qui tuent ceux qu'ils regardent longtemps et fixement quand ils sont irrités. Les hommes et les femmes dont la vue a un pouvoir si redoutable ont deux prunelles à chaque œil. Dans les montagnes de l'Inde, on trouve des hommes à tête de chien et qui aboient. Ils se nourrissent des oiseaux et des animaux sauvages qu'ils prennent. Les terres situées à l'extrémité de l'Orient offrent encore d'autres merveilles : on y voit des hommes appelés monocoles ; ils n'ont qu'une jambe dont ils se servent en sautant avec une très grande agilité. Il y a même une espèce d'hommes sans tête, et qui ont les yeux placés sur les épaules. Mais ce qui dépasse les bornes du merveilleux, c'est que, d'après les mêmes écrivains, on trouve aux confins de l'Inde des hommes entièrement couverts de plumes, comme les oiseaux, qui ne prennent aucune nourriture substantielle, mais qui se contentent pour vivre d'aspirer par la nez le parfum des fleurs. Non loin de là sont les pygmées, dont les plus grands n'ont pu plus de deux pieds un quart. Voilà ce que j'ai lu entre mille autres récits merveilleux. Mais, après avoir écrit ce qui précède, j'ai pris en dégoût un genre de connaissances si extraordinaires, et qui ne peuvent contribuer ni à l'utilité ni à l'agrément de la vie. Cependant, à propos de prodiges, on me permettra de citer Pline Second, un des hommes les plus remarquables de son époque par son génie, la dignité de son caractère, et l'autorité dont il jouissait. Je rapporterai, non pas un fait dont il ait entendu parler, ou qu'il ait lu, mais ce qu'il raconta comme l'ayant vu lui-même. Voici un passage extrait textuellement du septième livre de son Histoire naturelle : on verra qu'il ne faut pas tant se moquer des vieux récits des anciens poètes sur Caenis et Caeneus. « Les métamorphoses des femmes en hommes ne sont point une fable. Nous lisons dans les annales que, sous le consulat de Q. Licinius Crassus et de C. Cassius Longinus, une fille de Casinum, vivant avec ses parents, devint un jeune garçon, et qu'elle fut transportée par l'ordre des aruspices, dans une île déserte. Licinius Mucianus prétendit avoir vu à Argos un jeune homme appelé Arescon, qui, jadis fille, sous le nom d' Arescusa, avait été marié ; mais la barbe et les organes de la virilité s'étant manifestés, il avait épousé une femme. Le même Licinius dit avoir vu, à Smyrne, un jeune homme qui subit une semblable métamorphose. J'ai vu moi-même en Afrique L. Cossicius, citoyen de Thysdrus, qui, femme d'abord, changea de sexe le jour de ses noces. Il vit encore au moment où je raconte son aventure. Pline, dans le même livre, dit encore : « Il y a des êtres qui réunissent les deux sexes, nous les appelons hermaphrodites ; on les appelait autrefois androgynes, et on les regardait comme des monstres. Aujourd'hui ils font les délices du libertinage » V. Opinions diverses de plusieurs philosophes illustres sur l'essence et la nature de la volupté. Paroles par lesquelles le philosophe Hiéroclès flétrissait les doctrines d'Épicure. Les philosophes de l'antiquité ont professé de bouche et par écrit diverses opinions sur la volupté. Épicure pose en principe que la volupté est le souverain bien; cependant il la définit « un état paisible et harmonieux du corps. » Antisthène, le Socratien la regarde comme le plus grand des maux. On cite de lui cette parole : « Plutôt devenir fou, que d'aimer le plaisir ». Speusippe et toute l'ancienne Académie disent que la volupté et la douleur sont deux maux contraires, et que le bien est dans un juste milieu à égale distance de ces deux extrêmes. Zénon a regardé la volupté comme indifférente, comme n'ayant aucun rapport avec le bien ni avec le mal, aussi l'appelle-t-il ἀδιάφορον, indifférente. Le péripatéticien Critolaüs dit que la volupté est un mal, et qu'elle enfante beaucoup, d'autres maux, l'injustice, la paresse, l'oubli, la lâcheté. Platon, avant tous ces philosophes, avait émis tant d'opinions diverses sur la volupté, que celles dont je viens de parler pourraient être regardées comme prônant leur source dans ses ouvrages. La volupté présentant naturellement mille formes diverses, Platon la peint selon l'usage qu'il veut en faire, et d'après le sujet qu'il traite. Quant à mon maître Taurus, toutes les fois qu'il était question devant lui d'Épicure, il ne manquait jamais de répéter cette parole du stoïcien Hiéroclès, homme grave et de mœurs irréprochables : Dire que la volupté est la fin de l'homme, c'est une opinion de courtisane ; et de même encore, dire qu'il n'y a point de Providence. VI. Comment doit se prononcer la première syllabe du verbe qui est le fréquentatif d'ago. On a fait de ago, egi, je fais, j'ai fait, le verbe actito, actitavi je fais souvent, j'ai fait souvent, forme appelée fréquentative par les grammairiens. J'ai entendu des personnes qui ne manquaient pas d'instruction prononcer brève la première syllabe de ces mots : ils s'appuyaient sur ce que la première syllabe du primitif ago est brève, Pourquoi donc alors la première syllabe de edo, je mange, et de ungo, j'oins, étant brève, les fréquentatifs esito je mange souvent, et unctito, j'oins souvent ont-ils longue leur première syllabe ? Pourquoi prononçons-nous brève la première de dictito, je dis souvent, qui vient de dico, je dis? Ne serait-il pas plus convenable d'allonger la première syllabe dans actito actitavi, je fais souvent, j'ai fait souvent, puisque le plupart des fréquentatifs adoptent, pour leur première syllabe, la quantité du participe passé de leur primitif ? Ainsi de lego, lectus, je lis, lu, on fait lectito, je lis souvent ; unctito, j'oins souvent, de ungo, unctus, j'oins, oint ; scriptito, j'écris souvent, de scribo, scriptus, j'écris, écrit ; monito, j'avertis souvent, de moneo, monitus, j'avertis, averti; pensito, je paye souvent, de pendeo, pensus, je paye, payé ; esito, je mange souvent, de edo, esus, je mange, mangé. Au contraire, dico, dictus, je dis, dit, fait dictito, je dis souvent (avec la première syllabe brève) ; gero, gestus, je fais, fait, fait gestito, je fais souvent ; veho, vectus, je charrie, charrié, vectito, je charrie souvent ; rapio, raptus, j'enlève, enlevé, raptito, j'enlève souvent ; capio, captus, je prends, pris captito, je prends souvent ; facio, factus, je fais, fait, factito, je fais souvent. Ainsi donc la première syllabe de actito, je fais souvent, doit se prononcer longue, puisque ce verbe vient de ago, actus, je fais, fait. VII. Que les feuilles des oliviers se retournent aux solstices : que pendant les mêmes époques, si l'on frappe quelques cordes d'un instrument, on entend résonner celles qui n'ont point été touchées. C'est un fait attesté par beaucoup d'auteurs et admis, qu'a l'époque du solstice d'hiver et du solstice d'été, les feuilles de l'olivier se retournent da manière à ce que la partie inférieure et cachée se trouve exposée aux regards, et reçoit la lumière du soleil. J'ai fait moi-même cette expérience, je l'ai répétée, et elle m'a parut à peu près concluante. Mais ce que l'on dit des cordes d'un instrument, est moins connus et plus étonnant : plusieurs savants, et Suetonius Tranquillus entre autres, dans son premier livre des Récréations historiques, regardent comme un fait certain et suffisamment prouvé que pendant les solstices d'hivers, si l'on vient à pincer quelques cordes d'une lyre, on entend résonner celles qui n'ont point été touchées. VIII. Que les besoins croissent nécessairement avec les manques, et à ce sujet avis du philosophe Favorinus rendus avec son élégante brièveté.
C'est l'observation qui a suggéré aux sages cette pensée dont la pratique est
certaine : que l'homme qui possède beaucoup manque de beaucoup de choses ; et
qu'une grande indigence prend sa source, non dans une grande disette, mais dans
une grande abondance. Riche, on éprouve de nouveaux désirs afin de conserver ce
que l'on possède déjà. Aussi l'homme comblé de biens désire-t-il se mettre à
l'abri du besoin, se garantir de l'indigence, qu'il fasse en sorte que sa
fortune diminue, et non qu'elle augmente ; moins il possédera, moins il aura de
besoins. Je me souviens qu'un jour Favorinus exprima en quelques mots cette
pensée aux applaudissements redoublés de ses auditeurs . Voici ses paroles : CHAPITRE IX. Manière de traduire les Grecs. Passages d'Homère que Virgile a traduits avec plus ou moins de succès. (ce chapitre étant illisible dans le volume, j'ai repris la traduction chez un autre traducteur) Les savants ont coutume de dire que lorsqu'un écrivain cherche à s'approprier dans sa langue, ou lien traduire quelques passages remarquables des poètes grecs, il ne doit pas s'attacher à rendre mot pour mot, ni conserver scrupuleusement l'ordre qui de trouve dans l'original : car s'obstiner à faire peser dans un idiome étranger, comme malgré elles, les beautés d'un modèle, c'est, à coup sûr altérer les grâces et le mérite. Pénétré de ces maximes, le judicieux Virgile, en de dessinant ses tableaux d'après ceux d'Homère, d'Hésiode, d'Apollonius, de Parthtenius, de Callimaque, de Théocrite, ou de quelques autres poètes, a eu grand soin d'en emprunter certains traits et d'en rejeter certains autres. L'autre jour, pendant mon repas, en entendant la lecture des Bucoliques de Théocrite comparées à celles du célèbre poète latin, je remarquai que celui-ci passe adroitement sur une circonstance charmante dans le poète grec, mais qu'il n'a pu ni dû traduire. Il me semble même que le trait qu'il a substitué respire plus de douceur et d'élégance. On lit dans Théocrite : Cléariste jette des pommes au conducteur des chèvres qui les chasse devant lui, et elle lui dit des douceurs. Virgile dit : La jeune folâtre Galatée me jette une grande, puis court se cacher sous les saules , et meurt d’envie d'être vue auparavant. Dans un autre endroit du même, je n'ai pas remarqué sans admiration l'adresse de Virgile à passer sur certains mots qui plaisent infiniment dans l'auteur grec. Voici comment ce dernier s'exprime : O Tityre, que j'aime tant, fais paître chèvres, et mène-les à la fontaine, Tityre ; mais garde ce jaunâtre de Libye, de peur qu'il ne frappe de la corne. Comment, en effet, Virgile aurait-il pu traduire ces mots, que j'aime tant, qui doivent leurs charmes à la douceur même de la langue originale ? Aussi le poète latin y renonce, et s'approprie très heureusement le reste, en n'y changeant qu'un mot ; c'est-à-dire , en appelant bouc, ce que Théocrite appelle le mâle. En effet, selon M. Varron, l'on ne désigne en latin sous le nom de boucs (capri), que ceux d'entre ces animaux qui sont châtrés. Voici les paroles de Virgile: Tityre, jusqu'à mon retour, je na vais pas loin, fais paître mes chèvres, mène les boire ensuite ; mais, en les conduisant, ne va pas remontrer le bouc, car il frappe de la corne : prends-y garde, Tityre. Et puisqu'il s'agit ici des traducteurs, j'ajouterai que quelques disciples du célèbre Valérius Probus, cet homme si recommandable par l'étendue de son érudition et la profonde connaissance qu'il avait des auteurs anciens, m'ont raconté que leur maître avait coutume de dire que si Virgile n'avait pas toujours réussi dans ses imitations d''Homère, c'était surtout dans ces vers charmants, où le père de la poésie parle de Nausicaa. Les voici :
Telle que Diane, en prenant avec ses flèches le plaisir de la chasse, parcourt
les montagnes, poursuit les sangliers et les cerfs rapides. Virgile : Telle sur les rives de l'Eurotas, ou sur les sommets du Cynthe, Diane dirige les danses de ses compagnes. Autour d'elle ce groupent de différents côtés des milliers d'Oréades. La déesse s'avance le carquois sur l'épaule, et dominant de toute la tête les nymphes qui la suivent. A cette vue une joie secrète agita le cœur de Latone. Telle était Didon ; telle elle s'avançait joyeuse au milieu de ses sujets, hâtant par sa présence les travaux, et portant la future grandeur de son empire. Avant tout, Probus remarquait que chez Homère la vierge Nausicaa folâtrant avec ses jeunes compagnes, dans un lieu solitaire, est comparée justement et avec bonheur à Diane chassant sur la sommet des montagnes, au milieu des nymphes des bois ; mais Virgile, ajoutait-il, était loin d'avoir fait une comparaison aussi juste parce que Didon, au milieu de sa ville naissante, s'avançant entourée de ses chefs tyriens, avec une démarche grave, un extérieur imposant, hâtant les travaux, comme dit le poète, et préparant la future grandeur de son empire, n'offre aucun rapport, ne présente aucun point de comparaison avec Diane au milieu des joyeux ébats de la chasse ; ensuite Homère peint avec conscience et vérité Diane se livrant avec ardeur à son exercice favori ; Virgile, au contraire, sans avoir parlé de la chasse de la déesse, se contente de lui mettre sur l'épaule un carquois que l'on prendrait volontiers pour un fardeau, pour un véritable, paquet. Mais ce qui étonnait surtout Probus, disaient ses disciples, c'est que, ayant pour modèle une joie naturelle et profonde qui pénètre, vivante, au milieu de l'âme et du cœur de Latone (car n'est-ce-pas là le sens de γέγηθε δέ τε φρένα Λητώ) ; Virgile, dans son imitation, ait peint la joie de la déesse comme un sentiment froid, léger, tranquille, qui n'effleure, pour ainsi dire que la surface du coeur. « Car, dit Probus, peut-on donner une autre acception au mot pertentant. A toutes ces critiques, il ajoute que Virgile lui paraît avoir négligé la fleur de ce passage, lorsqu'il traduit si faiblement ce vers de son modèle :
Ῥεῖα δ' ἀριγνώτη πέλεται, καλαὶ δέ τε πᾶσαι Comment faire un éloge plus grand, plus complet de la déesse que de dire : toutes ces nymphes étaient belles, mais Diane les éclipsait par ses attraits ; au premier coup d'oeil on reconnaissait facilement la déesse ? X. Critique dégoûtante et ridicule d`Annéus Cornutus sur les vers dans lesquels Virgile peint, en termes chastes et voilés, Vénus et Vulcain reposant sur la même couche. Le poète Annianus et la plupart de ses confrères ne pouvaient se lasser de louer ces vers où Virgile, voulant montrer et dépeindre Vulcain et Vénus se tenant embrassés dans la couche nuptiale, voile chastement, par des expressions détournées, les mystères que la nature ordonne de dérober aux regards. Voici ce passage. Ayant ainsi parlé, il jouit des embrassements désirés, et, reposant sur le sein de son épouse, il se livre aux douceurs du sommeil. Ils faisaient remarquer qu'en pareille circonstance il est bien moins difficile de se borner à quelques mots suffisant pour tracer une rapide esquisse de semblables images. Ainsi Homère a dit « La ceinture virginale, la loi de la couche nuptiale, les travaux amoureux. » Tous deux s'assoupirent sur la couche où ils avaient goûté les plaisirs de l`amour. Mais développer en termes clairs et manifestes, et cependant si purs, si chastes, les pudiques mystères du lit conjugal, voilà ce que personne n'a tenté, que le seul Virgile. Cependant un homme qui, d'ailleurs, était loin de manquer de savoir et de jugement, Annéus Cornutus, au second livre sur les Figures de pensés, a souillé toute cette délicate peinture par une interprétation aussi forcée qu'inconvenante. Après avoir approuvé ce genre de figure, après avoir dit que ces vers étaient remarquables de réserve : « Ce pendant, ajoute-t-il, Virgile s'est servi imprudemment du mot membra .» XI. Sur Valerius Corvinus. Origine de ce surnom. Il n'est pas un seul de nos historiens célèbres qui n'ait parlé de Marcus Valérius, surnommé Corvinus, à cause du secours que lui prêta un corbeau dans un combat. Voici comment ce fait merveilleux est rapporté dans les livres des Annales : L. Furius et Claudius Appius étant consuls, Valérius, jeune homme de race noble, servait en qualité de tribun militaire, lorsqu'une armée nombreuse de Gaulois envahit le champ Pontin. Déjà les consuls disposaient les légions pour le combat, non sans éprouver quelque inquiétude en songeant au courage et au grand nombre de leurs ennemis. Cependant, un chef gaulois, remarquable entre tous par sa taille gigantesque et par l'or éclatant de ses armes, s'avance à grands pas. Sa main agite un trait ; il jette autour de lui des regards pleins d'orgueil et de mépris ; il appelle, il provoque au combat un Romain, s'il en est un seul qui ose se mesurer avec lui. Alors le tribun Valérius, tandis que tous hésitent entre la frayeur et la honte, demande aux consuls la permission de combattre ce Gaulois si vain et si arrogant. Puis il marche d'un air intrépide et modeste contre son ennemi. Les deux adversaires s'approchent et s'observent. Déjà, le combat commence, lorsque tout à coup les dieux manifestent leur puissance par un prodige : un corbeau fendant les airs arrive à l'improviste ; il se pose sur le casque du tribun ; il attaqua le visage et les yeux du Gaulois ; il s'élançait sur lui, le troublait, lui déchirait les mains, et par ses ailes lui dérobait la vue du Romain ; après ces attaques, il revenait se poser sur le casque de Valérius. Les deux armées contemplaient ce spectacle. Le tribun, fort de son propre courage et du secours de l'oiseau, terrasse et immole son redoutable adversaire. De là lui vint le surnom de Corvinus. Cet événement eut lieu quatre cent cinq ans après la fondation de Rome. L'empereur Auguste voulut que la statue de Corvinus fût dressée sur la nouvelle place dont il embellit Rome. Sur la tête du guerrier est l'image d'un corbeau, pour perpétuer la mémoire du combat et du prodige que nous venons de rapporter. XII. De certains mots à signification double et réciproque. De même quo formidolosus se dit et de celui qui éprouve de l'effroi, et de celui qui on inspire ; invidiosus, de l'envieux et de celui qui inspire l'envie ; suspiciosus, de celui qui soupçonne et de celui qui est soupçonné ; ambitiosus, de l'ambitieux et de celui près duquel on emploie la brigue ; de même que gratiosus désigne l'homme qui obtient une grâce et celui qui l'accorde ; laboriosus, l'homme laborieux et la chose qui exige du travail ; enfin, de même que beaucoup d'autres mots de cette espèce, qui ont une double signification, infestus peut se prendre dans un double sens : car on appelle infestus et celui qui fait du mal à quelqu'un, et celui-qui redoute quelque mal d'un autre. Quant au premier sens, il n'est pas nécessaire d'en donner des exemples ; la plupart du temps, infestus s'emploie comme synonyme d'ennemi, d'adversaire. La seconde acception est plus rare et moins facile à saisir. Qui s'aviserait, en effet, dans la langue usuelle, d'employer infestus pour désigner celui qui redoute une autre personne ? Cependant c'est sens de ce mot chez presque tous nos anciens écrivains, et Cicéron l'emploie ainsi dans son discours pour Cn. Plancius : « Je gémissais, ô juges ! je voyais avec la plus vive douleur que le salut de mon client se trouvait en danger, infestior, par cela même que Plancius s'était jadis déclaré avec dévouement le gardien, le protecteur de ma vie, de mon salut ». Je cherchais donc d'où vient ce mot et comment il a été introduit dans la langue, et voici le passage que j'ai trouvé à ce propos dans les commentaires de Nigidius : « Infestus vient de festinare : il s'applique à l'ennemi qui presse quelqu'un, qui se hâte de l'attaquer, qui brûle du désir de l'accabler au plus vite. Infestus se dit encore de celui qui se voit menacé d'un péril, d'une ruine imminente. Ainsi infestus peut exprimer également le danger pressant dont nous menaçons autrui, ou celui dont nous sommes menacés. » Désire-t-on des exemples des mots dont nous avons parlé précédemment suspiciosus, formidolosus, dans leur acception la moins usitée ? Suspiciosus est employé par M. Caton, dans son discours sur les Jeux Floraux : « De telles turpitudes ne sont permises qu'à ceux qui font ouvertement trafic de leur corps, ou qui se louent à un entrepreneur de prostitution, ou dont les moeurs sont affichées ou suspectes, suspiciosus ; mais on a pensé que c'est un crime de faire violence à un homme libre. » Dans ce passage, Caton prend suspiciosus dans le sens de suspect et non de soupçonneux. Quant à formidolosus, Salluste, dans son Catilina, lui donne l'acception de redoutable : « Ainsi donc, dit-il, pour de tels hommes point de travail qui fût nouveau, point de lieu inégal et inaccessible, point d'ennemi qui parût redoutable, formidolosus. » On trouve aussi dans les vers de C. Calvus laboriosus pris, non dans le sens ordinaire, celui qui travaille, mais pour désigner ce qui exige du travail : Tu fuis la campagne et ses pénibles travaux, laboriosum. Labérius, dans sa pièce intitulée les Soeurs, a dit dans un sens analogue : Voilà quelque chose de bien endormant, somniculosum. Le poète Cinna a dit : Comme le Psylle africain à l'égard de l'aspic assoupissant, somniculosam. Metus, crainte ; injuria, injure, et quelques autres mots du même genre, peuvent aussi être employés à l'actif comme au passif. Car metus hostium se dit également de la crainte éprouvée par les ennemis et de la crainte qu'ils inspirent. Ainsi, dans le premier livre des Histoires de Salluste, metus Pompeii ne veut pas dite que Pompée craignait, ce qui serait l'acception ordinaire, mais qu'il était redouté. Voici les paroles même de Salluste : Id bellum excitabat metus Pompei victoris Hiempsalem in regnum restituentis, la cause de cette guerre fut la terreur qu'inspirait Pompée victorieux, rétablissant Hiempsal dans son empire. Le même Salluste dit ailleurs : Postquam remoto metu Punico simultates exercere vacuum fuit, La terreur des guerres puniques ayant disparu, les haines civiles eurent un libre cours. De même injuria se dit aussi bien de celui qui fait l'injure que de celui qui la souffre. On trouverait facilement des exemples ces deux significations. Vulnus, dans Virgile, a aussi un double sens :
et vulnere tardus Vlixi ce qui veut dire non pas la blessure reçue par Ulysse, mais faite par lui. Nescius se dit aussi bien de celui qui n'est pas connu que de celui qui ne connaît pas. Mais ce dernier sens est aussi fréquent que le premier est rare. Ignarus n'emploie également dans la double signification : celui qui est ignoré et celui qui ignore. Ainsi Plaute dans le Cordage :
quae in locis nesciis nescia spe sumus
Et Salluste : par le désir naturel de l'homme de voir ce qui lui est inconnu. Et Virgile :
ignarum Laurens habet ora Mimanta XIII. Passage extrait de l'ouvrage Claudius Quindragigius où se trouve décrit le combat du jeune patricien Manlius contre un Gaulois qui l'avait provoqué. T. Manlius appartenait à l'une des plus nobles familles de Rome. Il reçut le surnom de Torquatus à cause d'un collier d'or porté par un ennemi qu'il avait terrassé. Le portrait de l'adversaire de Manlius, sa race, sa taille gigantesque, ses insolentes provocations, les circonstances du combat, tous ces détails sont décrits au premier livre des Annales de Q. Caudius, dans un style d'une pureté et d'une clarté remarquables. Cette narration simple et dénuée d'art reçoit un nouveau charme de la naïveté de l'ancien langage. Le philosophe Favorinus disait qu'en lisant ce passage il éprouvait les mêmes sentiments, les mêmes émotions que s'il eût assisté à ce combat. Je citerai dans son entier la narration de Q. Claudius : « Alors un Gaulois s'avança, le corps nu, orné de bracelets et d'un collier, n'ayant pour armes qu'un bouclier et deux épées : sa force, sa taille extraordinaire, sa jeunesse et son courage le distinguaient de tous ses compagnons. Au plus fort de la mêlée, lorsque les deux armées se battaient avec fureur, de la main il fait signe de suspendre le combat. On s'arrête, on écoute en silence. Le Gaulois crie d'une voix formidable que si quelqu'un veut se mesurer avec lui, il peut s'avancer. Personne n'osait le faire, à cause de la taille gigantesque, de l'aspect horrible du Gaulois ; alors il éclate de rire, il tire la langue aux Romains. A cette vue, T. Manlius, jeune homme d'une noble naissance, s'indigne qu'un si sanglant outrage soit fait à son pays, sans qu'il se trouve au milieu d'une nombreuse armée un seul homme pour le venger. Il marche donc au barbare, car il ne voulait pas souffrir que la valeur romaine fût honteusement souillée par un Gaulois. Armé d'un bouclier de fantassin et d'une épée espagnole, il alla se placer devant son adversaire. Leur rencontre eut lieu sur le pont, à la vue des deux armées tremblantes sur le sort de chacun d'eux. Ils étaient, comme je l'ai dit, en présence ; le Gaulois, suivant la coutume de sa nation, tenant son bouclier on avant, attendait son ennemi ; Manlius, mettant sa confiance dans son courage plutôt que dans son adresse, frappe de son bouclier le bouclier du barbare qu'il fait chanceler. Tandis que le Gaulois cherche à reprendre sa première position, Manlius frappe de son bouclier le bouclier du Gaulois, qui est une seconde fois ébranlé. Aussitôt la Romain se glisse sous la longue épée gauloise, et de son glaive espagnol il lui perce la poitrine ; et aussitôt, d'un second coup, le blesse à l'épaule droite ; il le presse de manière à ne pas lui laisser l'espace pour frapper ; il redouble ses attaques jusqu'à ce qu'il ait terrassé le barbare. Alors il lui tranche la tête et se saisit de son collier tout sanglant, qu'il met à son cou. Tel fut l'origine du surnom de Torquatus, qu'il reçut et transmit à sa postérité. » C'est ce même T. Manlius dont le combat a été décrit par Quadrigarius, qui a donné lieu à l'expression d'ordre Manlien, pour exprimer un ordre sévère et cruel. En voici la cause : il faisait la guerre aux Latins eu qualité de consul, lorsqu'il fit tomber sous le hache du licteur son propre fils, parce que celui-ci, chargé par son père de faire une reconnaissance, avec injonction de ne pas combattre, avait tué un ennemi par lequel il avait été provoqué. XIV. Que le même Quadrigarius, en mettant facies au génitif a parlé correctement et latin. Quelques autres remarques sur le déclinaison de mots semblables. On lit dans le précédent récit les mots suivants: Propter magnitudinem atque inmanitatem facies, en raison de sa taille gigantesque et de son aspect horrible. J'ai examiné à cette occasion plusieurs exemplaires anciens, et j'ai acquis la conviction que tel doit être le texte. En effet, la plupart de nos anciens écrivains déclinent ainsi ce nom : haec facies, huius facies. Le génitif faciei est seul admis aujourd'hui par la grammaire. J'ai bien lu dans quelques exemplaires infidèles le génitif faciei, mais c'était par altération du texte primitif. Je me souviens même d'avoir, dans la bibliothèque de Tibur, un exemplaire du livre de Claudius portant ces deux leçons, facies et facii ; mais facies était dans le texte même, et facii se trouvait en marge. Je ne serais pas éloigné de regarder cette forme comme usitée anciennement, car on donnait à dies, jour, le génitif dii ; à fames, faim, le génitif fami. Q. Ennius, dans le seizième livre des Annales, met dies pour diei :
postremae longinqua dies confecerit aetas. Cicéron lui-même, si l'on en croit Césellius, a écrit dies pour diei, dans son discours pour P. Sestius, et cette assertion s'est trouvée confirmée parles recherches scrupuleuses que j'ai faites d'un assez grand nombre d'exemplaires anciens de ce discours. Voici les expressions de Marcus Tullius : Equites vero daturos illius dies poenas, Que les chevaliers seraient punis pour ce jour. Aussi je crois sans peine ceux qui prétendant avoir lu dans un manuscrit autographe de Virgile :
Libra dies somnique pares ubi fecerit horas c'est-à-dire libra diei somnique. Mais s'il est probable que Virgile a écrit en ce lieu dies pour diei, il n'est pas douteux que dii est mis pour diei dans ce vers :
Munera laetitiamque .. Des ignorants ont lu dei, rejetant une forme actuellement inusitée ; et cependant les anciens disaient dies dii, le jour, comme fames fami, la faim, pernicies, pernicii, la ruine, progenies, progenii, race, luxuries, luxurii, luxe, acies, acii, tranchant, pointu. M. Caton, dans son discours sur la guerre punique, a écrit :
Pueri atque mulieres extrudebantur fami causa, Nous lisons dans le douzième livre de Lucilius :
Rugosum atque fami plenum et dans Sisenna, au sixième livre de ses Histoires :
Romanos inferendae
pernicii causa venisse, Pacuvius a dit, dans son Paulus :
Pater supreme nostrae progenii patris Cn. Matius, dans le livre XXIe de l'Iliade :
Altera pars acii vitassent fluminis undas Le même Matius, au livre XIIIe du même ouvrage,
An maneat specii simulacrum in morte silentum. C. Gracchus, dans son discours sur les Lois promulguées :
Ea luxurii causa aiunt institui, Plus loin on trouva encore :
non est ea luxuries quae
necessario parentur vitae causa, Cette double citation prouve évidemment que Gracchus a donné à luxuries le génitif luxurii. Cicéron, dans son plaidoyer pour Sex. Roscius, a aussi écrit pernicii. Voici le passage :
Quorum nihil
pernicii causa divino consilio, sed vi ipsa et magnitudine rerum factum putamus,
On doit penser que Quadrigarius a écrit au génitif facies ou facii ; quant à faciei, je ne l'ai trouvé dans aucun exemplaire, ancien. Au datif, les auteurs les plus corrects ne disaient pas, comme aujourd'hui, faciei, mais facie. On lit dans les Satires de Lucilius :
Et primum facie quod honestas Lucilius dit encore au septième livre :
Qui te diligat, aetatis facieque tuae se Cependant plusieurs liront facii dans ces deux passages. C. César dans son traité sur l'Analogie, au second livre, croit que l'on doit dire au génitif die et specie, Moi-même j'ai trouvé, dans le Jugurtha de Salluste ouvrage digne de faire autorité, et d'une ancienneté respectable, le génitif die : je cite les expressions : Vix decima parte die reliqua, Il restait à peine la dixième partie du jour. Je ne pense pas, en effet, qu'on puisse admettre cette interprétation subtile, qu'ici die est mis pour ex die. XV. De genre de controverse appelé par les Grecs ἄπορον, inexplicable. Le rhéteur Antonius Julianus et moi, fuyant les brûlantes chaleurs de Rome pendant les vacances d'été, nous nous étions rendus à Naples, Là se trouvait un jeune homme fort riche qui, sous la direction de deux maîtres de latin et de grec, se livrait à l'étude et à l'exercice de l'éloquence latine dans l'intention de suivre la carrière du barreau. Il pria Julianus de venir l'entendre déclamer ; Julianus y consentit, et je l'accompagnai. Le jeune homme paraît : il débuta avec un ton d'arrogance et de présomption in convenant pour son âge ; puis il nous demanda des sujets de controverse. Nous avions avec nous un disciple de Julianus, jeune homme d'un esprit vif, intelligent, et qui avait profité dos leçons de son maître. Il fut choqué de voir un écolier se poser ainsi sur la brèche en face de Julianus, sans craindre d'affronter le péril d'une controverse improvisée. Il lui propose dans, dans l'intention de l'éprouver, un sujet de discussion, peu important dit reste, de l'espèce appelée par les Grecs ἄπορον, et que nous traduirions volontiers on latin par le mot inexplicable, inexplicable. Voici cette question : « Sept juges ont à prononcer la sentence d'un accusé, et cette sentence doit être celle de la majorité des voix. La cause ayant été examinée, deux des juges opinent pour l'exil, deux pour l'amende, trois pour la peine capitale. On veut conduire le coupable au supplice d'après l'arrêt des trois juges ; il interjette appel. » A peine a-t-il entendu ce sujet, que notre jeune présomptueux, sans se donner le temps de réfléchir sans voir si d'autres questions ne lui seraient pas proposées, commence avec une étonnante volubilité, posant je ne sais quels principes au sujet de la controverse qui lui est soumise, déroulant des flots d'expressions vides de sens, des mots sonores, aux applaudissements redoublés de la troupe ordinaire de ses auditeurs, tandis que Julianus à la torture rougissait, était couvert de sueur. Lorsqu'il eut ainsi débité quelques milliers de phrases, il s'arrêta enfin, et nous pûmes nous retirer. Les amis, les admirateurs du jeune homme nous suivirent, demandant avec insistance à Julianus son opinion sur ce qu'il venait d'entendre. Julianus leur répondit tort plaisamment : « Ne me demandez pas ce que j'en pense ; ce jeune homme est sans contestation, sine controversia, trés éloquent. » XVI. Que Pline Second, homme d'un grand savoir, est tombé dans l'erreur en se laissant séduire par l'argument vicieux appelé par les Grecs ἀντιστρέφον, réciproque. Pline Second passe pour avoir été l'homme le plus savant de son temps. Il a laissé un ouvrage ayant pour titre les Amis de la Science, et j'en fais le plus grand cas. Là se trouvent traités un grand nombre de sujets propres à charmer les hommes instruits. Il cite plusieurs arguments employés, selon lui, avec autant d'esprit que de finesse, par les rhéteurs dans leurs déclamations, Voici un de ces arguments et la controverse qui y donne lieu : « La loi ordonne d'accorder à l'homme courageux la récompense qu'il désire ; or, un citoyen s'étant distingué par son courage, demande à épouser la femme d'un autre ; il l'obtient. Mais le premier mari se distingue aussi par son courage, il redemande sa femme ; une contestation s'engage. » Voici, dit Pline, un argument aussi ingénieux que pressant, employé en faveur de ce dernier : « Si vous approuvez la loi, rendez-moi ma femme ; si vous la désapprouvez, rendez-moi ma femme. » Mais Pline ne remarque pas que cet argument, qu'il regarda comme très ingénieux, rentre pourtant dans le genre de sophisme appelé en grec ἀντιστρέφον réciproque. Ce vice est à la vérité caché avec artifice sous l'apparence d'un dilemme ; car un raisonnement semblable pourra être retourné contre celui qui l'emploie, et l'autre époux peut lui répondre : « Si vous approuvez la loi, je ne vous rends pas votre femme ; si vous la désapprouvez, je ne vous la rends pas ».
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