Cogitosus

YVES DE CHARTRES.

 

LETTRES CLXXVI - CLXXXIX

lettres CLI - CLXXV -

Œuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

LETTRES

DE

SAINT IVES

EVEQUE DE CHARTRES

TRADUITES ET ANNOTÉES

PAR LUCIEN MERLET

Membre correspondant de l'Institut.

CHARTRES

IMPRIMERIE GARNIER

15, rue du Grand-Cerf, 15

M DCCC LXXXV


 

 

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EPISTOLA CLXXIV. MATHILDI excellenti Anglorum reginae, IVO, humilis Ecclesiae Carnotensis minister, devotarum munus orationum.

 Vestrae piae devotionis opinio multorum maxime religiosorum mentes afflavit, et quadam sanctae dilectionis suavitate indulcavit. Unde pro gratia nobis divinitus collata grates summo referimus bonorum omnium largitori, qui femineo pectori virile robur immisit, non solum ad evitanda flagitia vel facinora, sed etiam ad impendenda indigentibus necessaria suffragia. Nos igitur tam communium quam privatorum beneficiorum non immemores, excellentiae vestrae preces devote suscepimus, et pro anima fratris vestri religiosi regis, quod peccatis nostris exigentibus parum est, devotas Deo preces effundimus, quamvis animam ejus in sinu Abrahae collocatam, si vita ejus ita se habuit ut dicitur indubitanter confidamus. Sed, quia incertus est status animarum post animal, non videtur otiosum si pro his intercedimus, qui jam requie perfruuntur, ut eorum requies augeatur, et pro his qui locis purgatoriis deputati sunt, ut fidelium orationibus indulgentiam consequantur. Haec et alia quae vires nostras non excedant humeris nostris imponere potest excellentia vestra. Valete.

 

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CLXXVI. (15, A. — 198, B. — 174, C.) A Mathilde, excellente reine d'Angleterre, Ives, humble ministre de l'église de Chartres, présent de ferventes prières.

La renommée de votre pieuse dévotion a volé de bouche en bouche surtout parmi les amis de la religion et a rempli leurs esprits d'un souffle plein de suavité et d'une sainte affection. Aussi, par la grâce que Dieu nous a conférée, nous remercions le souverain dispensateur de tous biens qui a mis dans un cœur de femme une force virile, non seulement pour éviter les fautes ou les crimes, mais encore pour prodiguer aux indigents les secours nécessaires. Nous souvenant donc des bienfaits que votre excellence a rendus à nous et aux nôtres, nous avons accueilli dévotement vos prières et, pour l'âme du pieux roi votre frère,[1] malgré notre indignité comme pécheur, nous répandons devant Dieu nos ferventes prières, bien que nous ayons la ferme confiance, si sa vie a été telle qu'on le rapporte, que son âme est placée dans le sein d'Abraham. Mais comme l'état de l'âme, après sa séparation du corps animal, est incertain, il ne nous paraît pas superflu d'intercéder pour ceux qui jouissent déjà du repos afin que ce repos soit augmenté, et pour ceux qui sont dans le purgatoire afin que par les prières des fidèles ils obtiennent l'indulgence. Votre excellence peut en toute assurance imposer à nos épaules cette charge et d'autres qui ne dépassent pas nos forces. Adieu.

 

EPISTOLA CLXXV. PASCHALI summo pontifici, IVO, humilis Ecclesiae Carnotensis minister, debitum cum omni devotione servitium.

Parabam me pro viribus meis ad iter concilii a vestra paternitate indicti, sed, quia frequentia curiae vestrae ea tempestate qua solitus eram, purgatorium accipere me non permisit, tota confluentia humorum repente in caput ascendit, et ita media pars capitis congelascente flegmate in quemdam rigorem tumoris induruit. Cum vero propter propositum iter adhuc purgare me differem, ut et caput resoluto per se flegmate detumesceret, exspectarem, non solum non detumuit, sed adhuc gravius et periculosius intumuit. Hac itaque necessitate compulsus catharticum accepi, nec de laxatione cathartici nec de duritia tumoris bene convalui, ita ut nec breve iter aggredi valeam sine periculo corporis mei, quia, etsi tumor exterius est digestus, dolor tamen interius non adhuc est sedatus. Misi itaque tres ex archidiaconibus Ecclesiae nobis commissae cum litteris nostris, qui testimonium ipsis litteris perhibeant, et apud paternitatem vestram excusatum me habeant, quamvis sit propositum meae voluntatis ante solutionem concilii videre faciem vestram, si Deus mihi plenam restituerit sanitatem, et veniendi ad vos dederit opportunitatem. Sed, quia secretiora dicenda sunt, isti fratres dicent vobis. Valete.

 

CLXXVII. (176, A. — 199, B. — 175, C.) A Pascal, souverain pontife, Ives, humble ministre de l'église de Chartres, obéissance avec tout le dévouement qui lui est dû.

Je me disposais, dans la mesure de mes forces, à me mettre en route pour le concile indiqué par votre paternité[2] ; mais le concours de peuple attiré par votre présence[3] ne me permit pas de prendre une purgation au temps où j'ai coutume de le faire. Il en résulta que toutes les humeurs se portèrent tout-à-coup vers la tête, et, se congelant, déterminèrent une sorte de tumeur dure sur le milieu de la tête. Cependant, à cause du voyage que j'avais projeté, je différai de me purger, espérant que la fluxion disparaîtrait avec l'inflammation : non seulement elle n'a pas disparu, mais elle a augmenté d'une manière grave et dangereuse. Contraint par cette nécessité, j'ai pris une purgation, mais je ne suis pas encore bien guéri des suites de ce remède, et la dureté de la tumeur n'a pas encore cédé. Je ne puis donc entreprendre le moindre voyage sans exposer ma santé, car bien que l'enflure extérieure ait diminué, la douleur interne n'est pas apaisée. C'est pourquoi j'ai envoyé vers vous, avec une lettre de nous, trois archidiacres de l'église qui m'est confiée, pour confirmer les termes de ma lettre et pour présenter mes excuses à votre paternité, bien que j'aie l'intention d'aborder votre présence avant la fin du concile, si Dieu me rend la santé et me fournit les moyens d'aller vers vous. J'ai à vous communiquer plusieurs choses secrètes que ces frères vous rapporteront. Adieu.

 

74 EPISTOLA CLXXVI. PASCHALI summo pontifici, IVO humilis Carnotensis Ecclesiae minister, debitam cum omni subjectione obedientiam.

Reversus a concilio Trecensi, filius noster Wlgrinus Ecclesiae nostrae cancellarius anxie conquestus est, quod Dolensis Ecclesia, destinatis excellentiae vestrae quibusdam legatis suis, eum sibi in episcopum sub praesentia vestra elegerit, et huic electioni ad eorum petitionem vestra paternitas assensum praebuerit (epist. 178), nec ejus excusationibus quamvis idoneis adhuc aurem accommodare voluerit. Quamvis enim sit bene litteratus, et bonis moribus ornatus, multis tamen allegationibus humiliter insufficientiam suam praetendens, dicit se potius multa gravia perpessurum quam onus episcopi hoc tempore subiturum. Novit autem vestra paternitas quia leges saeculi (l. XII, c. De nupt.) dissentiente filiofamilias sub ejus nomine sponsalia fieri non permittunt, quanto magis in sponsalibus Ecclesiae id observari convenit, in quibus nisi sincera subveniat charitas, quid boni est quod per angariam facere possit, sive facultates suas distribuendo, sive seipsum ad martyrium exponendo, humana imbecillitas? Nemo enim invitus bonum facit, etiamsi bonum est quod facit (cap. Praesens, caus. 20, q. 3). Unde nos admonet Spiritus sanctus in Cantico canticorum: Adjuro vos, filiae Hierusalem, nolite suscitare dilectam, neque evigilare, donec ipsa velit (Cant. II). Ne igitur nostro Jacob amanti Rachel, nocte supponatis Liam (Gen. XXIX), nisi forte Rachel mandragoras primogeniti Liae concupiscat, et hac mercede conductum Jacob cum Lia dormire permittat (Gen. XXX). Tali enim ordine posset de tali copula merces boni operis provenire, et fortitudo quae plurimum necessaria est omni regimini ad tolerandos ejusdem regiminis labores, exuberare. Et ne diu verbis oneremus sanctitatem vestram, flexis genibus cordis opportune et importune imploramus clementiam vestram, ut nullis vinculis obedientiae praedictum fratrem constringatis, cujus saluti, quantum possumus, providere debemus, quia eum de sacro fonte suscepimus, qui etiam elegit magis in loco humili salvari quam in alto periclitari. Valete.

 

CLXXVIII. (177, A. — 200, B. — 176, C.) A Pascal, souverain pontife, Ives, humble ministre de l’église de Chartres, obéissance et soumission qui lui sont dues.

A son retour du concile de Troyes, notre fils Vulgrin, chancelier de notre église, plein d'anxiété, s'est plaint à nous ijue l'église de Dol, par des députés envoyés à votre excellence, l'eût choisi pour évêque en votre présence et que votre paternité, se rendant à leur demande, eût accordé son assentiment à cette élection, sans vouloir prêter l'oreille à ses excuses qui cependant sont légitimes. Car bien qu'il soit versé dans les lettres et recommandable par ses bonnes mœurs, il allègue dans son humilité une foule de raisons pour prouver son insuffisance, et il déclare qu'il est prêt à supporter toutes sortes de traverses plutôt que d'accepter en ces temps-ci le fardeau episcopal. Or votre paternité sait que les lois humaines défendent de faire des fiançailles sans le consentement du fils de famille ; à combien plus forte raison faut-il observer cette règle dans les fiançailles ecclésiastiques ? Car, s'il n'existe une vraie charité, quel progrès pourra accomplir la faiblesse humaine, contrainte et forcée, soit qu'elle distribue ses richesses, soit qu'elle s'expose même au martyre ? Personne ne fait le bien quand il le fait malgré lui, même lorsque ce qu'il fait est bien. Aussi l'Esprit-Saint nous avertit dans le Cantique des cantiques : Je vous en conjure, filles de Jérusalem, ne tourmentez pas ma bien-aimée, ne la réveillez pas, avant quelle ne le désire. A notre Jacob, plein d'amour pour Rachel, ne substituez pas Lia pendant la nuit, à moins que Rachel, désirant les mandragores du fils de Lia, ne permette en échange à sa sœur de partager à ce prix la couche de Jacob. Car ce n'est qu'à cette condition que cette union pourra produire des œuvres de bien et procurer la force nécessaire à tout administrateur pour supporter les fatigues de son gouvernement. Pour ne pas fatiguer votre sainteté de mes paroles, fléchissant les genoux, j'implore de tout cœur, à temps et à contretemps, votre clémence, vous priant de ne pas enchaîner notre frère par les liens de l'obéissance : car nous devons veiller de tout notre pouvoir à son salut, puisque c'est nous qui l'avons levé sur les saints fonts de baptême, et puisqu'il aime mieux se sauver dans l'humilité que courir les dangers d'un poste élevé. Adieu.

 

EPISTOLA CLXXVII. GAUFRIDO, Dei gratia Belvacensium episcopo, IVO, eadem gratia Carnotensis Ecclesiae minister, in prosperis timorem, in adversis fortitudinem.

Antequam legissem litteras dilectionis vestrae, cognovi cumulum tribulationis vestrae, audivi et condolui, quia degener filius essem, si matris meae Belvacensis Ecclesiae miserias immisericordi animo sustinerem. In quo discrimine summa et sola medicina est clamare ad Dominum, ut nubilum tantae tempestatis convertat in auram serenitatis, et fluctus tanti mali silere faciat, qui pro arbitrio suo imperat ventis et mari. De caetero de clerico, illo qui Drogoni excommunicato in missa et in mensa communicavit, dilectioni vestrae consulo ut competentem ei poenitentiam injungatis, quae a simili facto caeteros absterreat, si tamen defendere non vult per tumorem, quod deliquit forsitan per timorem. Alioquin detur sententia in contumacem, quae eum et officio privet et beneficio. Poenitentiae autem modus in arbitrio est constitutus episcopi, cui a Domino concessa est potestas ligandi atque solvendi. Unde Augustinus in libro De poenitentia (c. 85, distinct. 1) : « Judicet se homo voluntate dum potest, ne cum jam voluntate non poterit, praeter voluntatem judicetur a Domino. Veniat ad antistites, per quos illi claves in Ecclesia ministrantur, et tanquam jam incipiens bonus esse filius, maternorum membrorum ordine constituto a praepositis sacramentorum satisfactionis suae modum accipiat, et in offerendo sacrificio contribulati cordis devotus et supplex permaneat. Id tamen agat quod non solum ipsi prosit ad recipiendam salutem, sed etiam caeteris ad exemplum ut si peccatum ejus non solum in gravi ejus malo sed etiam in tanto scandalo aliorum est, atque hoc expedire utilitati Ecclesiae videtur antistiti, in notitia multorum vel etiam totius plebis agere poenitentiam non recuset, non resistat, ne lethali plagae per pudorem addat tumorem. » Si autem praedictus frater posteaquam notatus est de excommunicationis culpa ante audientiam communioni se ingessit, secundum decretum Martini papae (c. Si quis episcopus, caus. 11, q. 3), et concilium Carthaginense (c. Placuit, caus. 11, q. 3), ipse in se damnationis judicatur sententiam protulisse. De alio autem clerico qui negat se Drogoni communicasse, nec se sciente in Ecclesia eo praesente orasse, qui tamen in Ecclesia profanorum orasse non negat, mihi videtur sufficere, si sub duobus testibus idoneis suae possit conscientiae innocentiam approbare. Possemus haec multis testimoniis confirmare, nisi vitaremus prolixitatem epistolae. Ego de proposito ita sentio, majorum sententias non praeveniens aliquo meo praejudicio. Valete.

 

CLXXIX. (178, A. — 201, B. — 177, C.) A Geoffroy, par la grâce de Dieu, évêque de Beauvais, Ives, par la même grâce, ministre de l'église de Chartres, crainte dans la prospérité, courage dans l'adversité.

Avant d'avoir lu la lettre de votre dilection, je connaissais le comble de votre tribulation, je le connaissais et je le déplorais, car je serais un fils dégénéré si je voyais sans douleur les misères de ma mère l'église de Beauvais. En ce péril, le souverain et le seul remède est de crier vers le Seigneur et de lui demander de changer ces ouragans terribles en souffle serein et de faire taire les flots d'un si grand mal, lui qui à son gré commande aux vents et à la mer.

Quant à ce clerc qui, à la messe et à la table, a eu communion avec Dreux l'excommunié, je conseille à votre dilection de lui imposer une pénitence telle qu'elle inspire aux autres la frayeur de commettre une pareille faute, si toutefois il ne veut pas aujourd'hui par orgueil défendre ce qu'il n'a peut-être fait que par crainte.[4] Autrement prononcez contre lui la peine des contumaces et privez-le de son office et de son bénéfice. Le mode de pénitence a été remis à la libre volonté de l'évêque qui a reçu du Seigneur le pouvoir de lier et de délier. Augustin dit à ce sujet dans le livre de la Pénitence : Que l'homme se juge volontairement pendant qu'il le peut, de peur que, lorsqu'il ne pourra plus être jugé de sa bonne volonté, il soit malgré lui jugé par le Seigneur. Qu'il se présente donc devant les prélats qui lui ont confié les clefs de l'Église, et, revenant aux sentiments d'un bon fils, qu'il reçoive de l'autorité maternelle de ceux qui sont préposés aux sacrements le mode de sa pénitence, et qu'en offrant le sacrifice d'un cœur contrit il demeure humble et suppliant. Qu'il prenne soin cependant que sa pénitence ne serve pas seulement à lui assurer le salut, mais qu'elle soit aussi un exemple pour autrui. Si son péché n'a pas été seulement un mal pour lui, mais un grave scandale pour le prochain, et que le prélat juge une expiation publique utile pour le bien de l'Église, qu'il n'hésite pas à faire pénitence aux yeux d'un grand nombre et même du peuple tout entier, qu'il ne refuse pas de pur, par une fausse honte, d'envenimer encore sa mortelle blessure. Si ledit frère, après avoir été accusé d'une faute qui mérite l'excommunication, sans attendre le jugement, s'est permis de communier, qu'il sache, selon le décret du pape Martin et du concile de Carthage, qu'il a porté contre lui-même une sentence de damnation.

Quant à cet autre clerc qui nie avoir communiqué avec Dreux et avoir prié dans l'église, sachant que ledit Dreux était présent, mais qui avoue avoir fait une prière dans une église profanée, il me semble qu'il suffit d'exiger de lui que, par deux témoins honorables, il établisse l'innocence de ses intentions. Je pourrais appuyer mon opinion sur une foule de textes, mais je veux éviter la prolixité dans ma lettre. Ce que je pense d'ailleurs est sans préjudice des avis de plus savants que moi. Adieu,

 

EPISTOLA CLXXVIII. IVO, Dei gratia Carnotensis Ecclesiae humilis minister, clero Dolensis Ecclesiae et STEPHANO comiti, salutem.

Bonae intentionis vestrae laudamus affectum quod Wlgrinum filium nostrum, vita honestum, scientia clarum, elegistis vobis in archiepiscopum (epist. 176). Sed, quantum nobis videtur, frustra laborat studium vestrum, quia nec praetaxati filii nostri voluntas est electioni vestrae acquiescere, nec nostrae potestatis ad hoc eum invitum cogere. Habent enim leges imperiales, quia filiofamilias dissentiente, nequaquam possunt sponsalia sub nomine ejus contrahi (l. XII, cod. De nuptiis, et l. XI, De ritu nupti). Multo itaque minus spiritualis sponsi animus ad spiritualis sponsae copulam in angaria est pertrahendus. Praedictus enim frater jam super hoc per litteras nostras et suas allegationes domno papae transmisit, et onus episcopi, prout potuit, refutavit. Si ergo studia vestra mutare non vultis, si in aliam personam deliberatione vestra declinare non vultis, non a nobis, sed a summo pontifice est quaerendus, cui concessum est invitos ad haec officia cogere et de volentibus et de nolentibus Ecclesiae Dei pontifices ordinare. Quantum ergo domnus papa super hoc me coegerit tantum ego praedictum fratrem cogam. Valete.

 

CLXXX. (179, A. — 202, B. — 178, C.) Ives, par la grâce de Dieu, ministre de l'église de Chartres, au clergé de l'église de Dol et au comte Etienne,[5] salut.

Je loue la bonne intention qui vous a fait choisir pour votre archevêque notre fils Vulgrin, homme de vie honnête et de science profonde ; mais, selon ce qui nous semble, c'est en vain que vous avez formé ce désir ; car la volonté de notre fils n'est pas de consentir à cette élection et notre pouvoir ne va pas jusqu'à le contraindre à accepter. Les lois de l'Empire portent que, sans le consentement du fils de famille, les fiançailles faites en son nom sont nulles : on peut encore bien moins forcer la volonté d'un fiancé spirituel à s'unir avec une fiancée spirituelle. Ledit frère a déjà envoyé sur ce sujet au seigneur pape, avec une lettre de nous,[6] les raisons pour lesquelles il refuse, autant qu'il est en lui, le fardeau episcopal. Si donc vous ne voulez pas changer de détermination, si vous ne voulez pas porter votre choix sur une autre personne, ce n'est pas à nous qu'il faut vous adresser, mais au souverain pontife, qui seul a le pouvoir de contraindre les récalcitrants à subir de tels offices et qui seul peut faire pontifes de l'Eglise de Dieu ceux qui acceptent comme ceux qui refusent. Telle le seigneur pape m'imposera sa volonté, telle je l'imposerai audit frère.[7] Adieu.

 

75 EPISTOLA CLXXIX. IVO, humilis Dei gratia Carnotensis Ecclesiae minister, ADELAE, excellenti comitissae, bene sapere et bene facere.

Interdictus est, ut audivimus (epist. 121 et 136), praecepto vestro filiis nostris canonicis beatae Mariae Exitus Viarum, panis et aqua, et omnia huic vitae necessaria quae sunt sub potestate vestra. Quod quid aliud est facere quam homines innocentes et arma non tenentes sine audientia et sine judicio morti destinare? Ita enim necat fames et sitis, sicut gladius. Quod truces Turci, Christiani nominis persecutores possent truculentius edictum in Dei servos promulgare quam necessaria eis vitae subtrahere? Unde monendo consulo et consulendo moneo nobilitatem vestram, quatenus inconsideratum sententiae vestrae rigorem usque ad audientiam in melius commutetis, et non convictos, non judicatos tam severa sententia morti addicatis. Nos enim pro amore vestro sententiam nostram quamvis justam et judicio diffinitam temperavimus, nec baptismi sacramentum, nec confessionem, nec poenitentiam, quae saluti animarum in necessitate sufficiunt, etiam ipsis persecutoribus denegavimus. Ita ergo vos habetote, ut laus fortis mulieris quam Sapientia commendat (Prov. XXXI), de vobis praedicetur, non crudelitas perversae mulieris (quam in Herodiade Chrysostomus detestatur) per omnes nostras provincias publicetur. Quod si sanis et piis admonitionibus meis acquiescere non vultis, commoneo vos per pacem quam praesenti anno in manu domni papae, ante autem tertium annum in manu mea promisistis, quatenus diem competentem exsequendae justitiae per praesentium portitorem nobis denominetis, et interim filios Ecclesiae secundum institutum pacis, suis rebus libere potiri permittatis. Quod si haec omnia contempseritis, procul dubio sciatis quia Ecclesia corde contrito et humiliato, ascitis sibi omnibus Ecclesiis subjectis quotidie ante corpus et sanguinem Domini et sanctorum patrocinia clamorem faciet adversus omnes hujus mali patratores et consentaneos, et ad hoc ipsum ex debito omnes vicinos episcopos cum Ecclesiis sibi subjectis invitabit. Dolens haec dico, consulens tamen in hoc honestati et famae vestrae, nihil aliud quaerens, nisi ut secundum morem et legem justitiam faciatis, et, si qua adversus Ecclesiam calumnia est, justitiam habeatis. Valete.

 

CLXXXI. (180, A. — 203, B. — 179, C.) Ives, par la grâce de Dieu, humble ministre de l'église de Chartres, à Adèle, comtesse de Chartres, prudence dans les conseils et dans les actions.

Vous avez interdit, à ce que nous avons appris, à nos chanoines de Notre-Dame le parcours, le pain et l'eau et tout ce qui est nécessaire à la vie, dans toute l'étendue de vos domaines.[8] Faire une pareille défense, n'est-ce pas condamner à la mort, sans les avoir entendus et sans les avoir jugés, des hommes innocents et désarmés ; car la faim et la soif tuent aussi bien que l'épée. Les Turcs barbares, ces persécuteurs du nom chrétien, pourraient-ils rien inventer de plus atroce contre les serviteurs de Dieu, que de les priver de ce qui est nécessaire à la vie ? J'invite donc et je convie, je convie et j'invite votre noblesse à adoucir, jusqu'à ce qu'elle les ait entendus, la rigueur inconsidérée de cette défense et à ne pas condamner à la mort par une si sévère sentence des hommes qui ne sont point reconnus coupables, qui n'ont point été jugés. Car nous, par affection pour vous, nous avons adouci notre sentence, quoique juste et appuyée sur un jugement, et nous n'avons pas refusé, même aux persécuteurs, le sacrement de baptême, la confession et la pénitence qui, dans un cas de nécessité, suffisent pour le salut des âmes. Faites donc en sorte de mériter la réputation de femme forte qui est célébrée par la Sagesse, et non le renom, par toutes nos provinces, de femme cruelle et perverse, renom que Chrysostôme infligea à Hérodiade. Si vous ne voulez vous rendre à nos prudentes et affectueuses remontrances, par la paix qu'en cette présente année vous avez jurée entre les mains du seigneur pape, par cette paix qu'il y a trois ans vous avez promise entre mes mains, je vous adjure de nous assigner, par le porteur des présentes, un jour compétent pour faire ce qu'exige la justice, et en attendant de permettre aux fils de l'Eglise de jouir librement de leurs biens, comme le veulent les statuts de la paix. Que si vous méprisez tous ces avis, sachez bien que notre église, d'un cœur contrit et humilié, s'associant toutes les églises qui dépendent d'elle, chaque jour, devant le corps et le sang du Seigneur et devant les reliques des Saints, poussera des cris vers Dieu contre tous les auteurs et les fauteurs du mal, et invitera tous les évêques voisins et les églises qui leur sont soumises à faire de même, comme ils le doivent d'après les canons. C'est avec douleur que je vous parle ainsi, mais je dois veiller à votre honneur et à votre réputation. Je ne vous demande rien autre que de rendre justice, suivant les coutumes et suivant les lois, et de la réclamer de nous si vous avez en quelque chose à vous plaindre de notre église. Adieu.

 

EPISTOLA CLXXX. LEODEGARIO, Dei gratia Bituricensi archiepiscopo, IVO, humilis Carnotensis Ecclesiae minister, salutem et servitium.

 Placet admodum parvitati nostrae quod audivimus vos rigorem justitiae inflexo tramite velle custodire. Sed, cum in pectore sacerdotis rationale affixum esse debeat, et connexum superhumerali (Exod. XXVIII) condecens est ut rector sic moderationem justitiae teneat, quatenus nec immoderatus rigor corrigendos desperatione misericordiae in profundum malorum dejiciat, vel indiscreta misericordia arrogantiam augeat. Quod ideo suggero sanctitati vestrae, quia audivi quosdam parochianos vestros submurmurantes, vos ita esse obligatum cum quibusdam parochianis vestris, ut nisi eorum consensu justitiam intendere vel remittere non valeatis; unde nuper contigit, ut audivimus, dura eorum obstinatione causam Arnulfi Virsionensis in curia vestra ita esse exasperatam, ut in eadem causa facto judicio sedes apostolica sit appellata, et finitiva ejusdem causae sententia usque ad apostolicam audientiam sit dilata. Quod quanta sit vexatio, quanta rerum expensa, quam incertus negotiorum exitus, tam experimento in vestris negotiis didicistis, quam ex aliorum causis audistis. Consilium ergo quod per quosdam pacis amatores didici, necessarium vobis scribere existimavi, videlicet ut per Radulfum Belgeiacensem aliquanto prolixas inducias detis praetaxato Arnulfo, non de minoranda justitia ecclesiastica, sed tantummodo de non ducenda super eum communia Interim autem sicut dixit praetaxatus Radulfus, eo mediante inter Arnulfum et ejus adversarios pax reformabitur, et justitia in nullo periclitabitur, et appellatio quae in curia vestra facta est, sine vestra vel vestrorum vexatione ad nihilum redigetur. Vos itaque quod dico, prudenti deliberatione pensate, et si vera sunt quae dicuntur, si meliora vobis non occurrunt, vos ipsi probate, quia, suadente charitate, salva justitia placeret mihi pax vestra. Valete.

 

CLXXXII. (181, A. — 90, B. — 180, C.) A Léger, par la grâce de Dieu, archevêque de Bourges, Ives, humble ministre de Chartres, salut et obéissance.

Notre humilité a appris avec plaisir la rigueur avec laquelle vous marchez dans le sentier de la justice : mais de même que le rational doit être fixé sur la poitrine du prêtre et uni à l'huméral, de même il convient que celui qui dirige sache user avec mesure de la justice, de manière à ne pas jeter, par une rigueur immodérée, ceux qu'il veut corriger, dans les abîmes du mal, en les faisant désespérer de la miséricorde, ou à ne pas augmenter leur insolence par une miséricorde mal comprise. Je parle ainsi à votre sainteté parce que j'ai entendu murmurer à quelques-uns de vos paroissiens que vous étiez lié si étroitement envers quelques-uns de vos fidèles que, sans leur consentement, vous ne saviez ni appliquer ni modérer la justice. Aussi est-il arrivé récemment, à ce qu'on nous a dit, que, par l'obstination impitoyable de ces conseillers, la cause d'Arnoul de Vierzon, qui se traitait en votre Cour, s'est tellement envenimée qu'après le jugement rendu devant vous on a fait appel au siège apostolique, et la sentence définitive de cette cause a été renvoyée devant le Saint-Siège. Or que de vexations, que de dépenses entraîne cet appel ! Combien l'issue en est incertaine ! Vous le savez, tant par votre propre expérience que par ce que vous avez appris de l'expérience d'autrui. J'ai donc jugé utile de vous soumettre l'avis que m'ont suggéré quelques personnes amies de la paix, à savoir de proroger, par l'entremise de Raoul de Beaugency, la trêve accordée audit Arnoul, non pas pour amoindrir la justice ecclésiastique, mais seulement pour ne pas le forcer à subir le joug de la Commune.[9] Pendant ce temps, comme l'affirme ledit Raoul, par sa médiation, la paix se rétablira entre Arnoul et ses adversaires : la justice ne courra aucun risque, et l'appel qui a été fait en votre Cour sera réduit à néant sans que vous ou les vôtres ayez à souffrir en rien. Pesez donc attentivement le conseil que je vous soumets, et si ce que l'on rapporte est vrai, si vous ne voyez pas un meilleur avis, suivez celui que je vous donne ; c'est la vérité qui me l'inspire, car je voudrais vous voir en paix, les droits de la justice étant saufs. Adieu.

 

EPISTOLA CLXXXI. RICHARDO, Dei gratia Albanensium episcopo, IVO, humilis Ecclesiae Carnotensis minister, salutem et debitum Romanae Ecclesiae servitium.

Intelligens in vobis pro gratia divinitus coliata fervere zelum justitiae, veritatem quam novi de causa Vigeliacensis et Belvacensis monasterii Sancti Luciani sollicitudini vestrae intimare curavi. Buglensis ecclesia, de qua nunc controversia est, inter praedicta monasteria, olim fuit juris monasterii Sancti Luciani. Sed, cum Northmannorum persecutio monasteria Belvacensis territorii devastasset et in solitudinem redegisset bona monasteriorum propter defensionem terrae ex magna parte in usus laicorum distracta sunt. Antequam autem illa vastitas plene reformari potuisset, in Buglensi ecclesia quidam canonici ordinati fuerunt. Et ita per successiones usque ad tempora Guidonis Belvacensis episcopi, et Hugonis Buglensis comitis, canonici canonicis successerunt. Hugo autem comes habito consilio cum Guidone episcopo, praedictam ecclesiam Sancto Luciano reddidit, sibi et praedecessoribus suis indulgentiam postulans, qui eam injuste detinuerant. Sed abbas praedicti monasterii Sancti Luciani, contradicentibus clericis praedictae ecclesiae, pro sua simplicitate distulit aliquanto tempore monachos suos ibi ordinare, exspectans ut cum pace clericorum posset omnia transigere. Et quia praedictus comes posthabito discretionis moderamine, monachos quomodocunque festinabat intrudere, Vigeliacenses monachos, qui ibi prope habebant cellam unam, vocari fecit, et eis, reclamantibus clericis et monachis Sancti Luciani, absque consensu episcopi ecclesiam quae jam sua non erat, concessit. Postea, vero ductus poenitentia cum a multis argueretur, eamdem ecclesiam beato Luciano reddidit. Sed quia monachi Sancti Luciani rem quamvis suam absque judicibus ab invasoribus acceperunt (epist. 268), in concilio Exolidunensi adjudicata est Vigeliacensibus sola vestitura, usque ad tempus legitimae discussionis. Neque ulla finitiva sententia ibi data est quae monachis Sancti Luciani suam justitiam auferret, et monachis Vigeliacensibus praedictam ecclesiam perpetuo habendam adjudicaret. Hujus negotii ordinem, utpote Belvacensis, ita processisse cognovi, et qui in Exolidunensi concilio huic discussioni interfui, haec, si praesens essem, vera esse probare possem. Et ideo ea vobis scripsi, ut, cognita veritate, melius sciatis cui parti aurem securius inclinare audeatis. Val.

 

CLXXXIII. (182, A. — 204, B. — 181, C.) A Richard, par la grâce de Dieu, évêque d'Albano, Ives, humble ministre de l'église de Chartres, salut et obéissance due à l’Eglise Romaine.

Je sais que la grâce divine a fait fleurir en vous le zèle de la justice : aussi je veux faire connaître à votre sollicitude la vérité telle que je la connais, au sujet du différend survenu entre le monastère de Vézelay et celui de Saint-Lucien de Beauvais. L'église de Bulles, qui fait aujourd'hui l'objet de la contestation entre les deux monastères, fut autrefois de la juridiction de l'abbaye de Saint-Lucien.[10] Les ravages des Normands ayant dévasté les monastères du pays de Beauvais, et les ayant transformés en solitudes, les biens des couvents, pour la défense du territoire, furent en grande partie attribués aux laïcs. Or, avant qu'on eût pu entièrement réparer ces désastres, des chanoines furent établis en l'église de Bulles. Et ainsi des chanoines succédèrent régulièrement aux chanoines jusqu'au temps de Gui, évêque de Beauvais,[11] et de Hugues, comte de Bulles. Le comte Hugues, de l'avis de l'évêque Gui, rendit cette église à l'abbaye de Saint-Lucien,[12] implorant indulgence pour lui et pour ses prédécesseurs qui l'avaient détenue injustement. Mais l'abbé de Saint-Lucien, sur l'opposition des clercs de ladite église, par excès de bonté, différa quelque temps d'y installer ses frères, attendant qu'il pût le faire du consentement des clercs. Cependant le comte, ne se souciant pas de ces sages atermoiements, voulait y introduire des moines quelconques : les moines de Vézelay avaient près de là un prieuré, il les appela à lui, et, malgré les réclamations des clercs et des moines de Saint-Lucien, sans le consentement de l'évêque, il leur donna cette église qui n'était plus à lui. Puis, plus tard, touché de repentir devant les reproches qui lui étaient adressés, il rendit cette église à l'abbaye de Saint-Lucien. Mais bien que ce fut dans leur propre bien que les moines de Saint-Lucien étaient rentrés, comme ils y étaient rentrés sans jugement, le concile d'Issoudun adjugea l'église de Bulles aux moines de Vézelay, mais sous forme d'investiture seulement, en attendant que l'affaire pût être légitimement discutée. Dans ce concile, on ne rendit aucune sentence définitive qui enlevât le droit légitime des moines de Saint-Lucien ou qui adjugeât à toujours ladite église aux moines de Vézelay.[13] Comme clerc de Beauvais, je connais toute la suite de cette affaire ; j'assistai à la discussion dans le concile d'Issoudun, et si j'étais présent, je prouverais la vérité de ce que j'avance. Je vous l'écris pour que, la connaissant, vous sachiez mieux à laquelle des deux parties vous devez prêter une oreille favorable. Adieu.

 

EPISTOLA CLXXXII. DAIMBERTO, Dei gratia Senonensium archiepiscopo, IVO, humilis Carnotensis Ecclesiae minister, salutem et servitium.

Nuper, cum in capitulo nostro quaedam officia secundum Ecclesiae consuetudinem dispensarem, et porrecto libro investituram subdecaniae Fulconi elerico strenuo et in agendis causis ecclesiasticis valde necessario facere vellem, veteri odio inflammati insurrexerunt in me (epist. 227) Hugone pos decani et ipse decanus, cum duobus senibus cantore et fratre ejus, ascitis sibi quibusdam juvenculis qui de domibus eorum prodierant, et tumultuose contradicere coeperunt ne facerem, nihil aliud certum objicientes, nisi quia id eorum consilio non facerem. Ego autem sciens quod hanc consuetudinem in Ecclesia non inveni, nec in ipsis contradictoribus quando suos honores acceperunt observavi, ne potestatem meam minuerem, ab incoepto non destiti. Ipsi igitur quamvis mei homines essent et per manum et per sacramentum, furiose et clamose sedem meam circumdederunt, librum de manibus meis rapientes, verba turpia, falsa, probrosa, et sacro ordini valde contraria in me protulerunt. In tanta itaque turba mortem timens obmutui, et non aperui os meum, et praesidio caeterorum qui sanius sapientes cum istis non conspiraverant, vix eorum manus evasi. Ipsi itaque furori suo aliquod fore remedium existimantes, priores me monuerunt, ut de me ipso justitiam eis facerem. Ego autem eis respondi me esse paratum, et justitiam ab eis accipere, et justitiam facere, aut sub judicibus electis, vel secundum judicium metropolitanae sedis, eo ordine quo canonica auctoritas dictaret. Cum ergo elegerint judicium Senonensis Ecclesiae, concorditer misimus ad vos, ut diem et locum agendae causae nobis designetis circa mediam Quadragesimam, prout vobis opportunum fuerit. Locum autem talem constitui nobis a vestra paternitate misericorditer postulamus, ad quem possimus ire secure, et redire secure. Rogamus etiam ut aliquos de suffraganeis ad hoc judicium convocetis. Non enim levis injuria, sed inaudita pontificali ordini illata est. Quod si petitioni meae addere praesumerem, flexis genibus cordis postularem, ut Carnotensem Ecclesiam visitaretis, et in propria persona injurias mihi, imo omni pontificali ordini in me illatas, a clericis et laicis plenius audiretis. Decens enim est ut etiam in tranquillitate mater filiam consoletur, quanto magis in perturbatione? Sed, ne longius verba protraham, per praesentium portitorem remandabit nobis vestra paternitas diem, locum, securitatem itineris, vel si parvitatem nostram visitare dignabitur vestra sublimitas. Valete.

 

CLXXXIV. (183, A. — 205, B. — 182, C.) A Daimbert, par la grâce de Dieu, archevêque de Sens, Ives, humble ministre de l'église de Chartres, salut et obéissance.

Tout récemment, comme, dans notre chapitre, je distribuais certains offices suivant la coutume de l'Eglise et que, tenant le livre des serments, je voulais donner l'investiture du sous-doyenné à Foulques, clerc plein de zèle et d'habileté dans les affaires ecclésiastiques, enflammés d'une ancienne haine, Hugues, neveu du doyen,[14] et le doyen lui-même,[15] assistés de deux vieillards, le chantre et son frère, et de quelques jeunes gens qui étaient sortis de leurs maisons, s'insurgèrent contre moi et s'opposèrent avec menaces à l'exercice de mes fonctions, sans alléguer d'autre raison d'ailleurs que celle de n'avoir pas été consultés. Sachant que je n'avais jamais rien trouvé de semblable dans les coutumes de l'église, me souvenant que, dans la collation des honneurs faits par moi à mes adversaires, je n'avais rien observé de cette sorte, pour ne point amoindrir mon pouvoir, je persistai dans l'œuvre que j'avais commencée. Alors ceux-ci, quoiqu'ils fussent mes hommes, et par l'investiture et par le serment, entourèrent mon siège en poussant des clameurs furieuses, m'arrachèrent le livre des mains et se répandirent contre moi en invectives aussi fausses, honteuses et ignominieuses que contraires à l'ordre sacré.[16] Devant une telle révolte, craignant la mort, je me tus et n'ouvris pas la bouche ; puis, avec l'aide des autres chanoines, qui plus, sages n'avaient pas conspiré avec ces hommes, j'échappai avec peine de leurs mains. Croyant sans doute pouvoir trouver une excuse à leur fureur, ils me citèrent les premiers, en me demandant de leur rendre justice de moi-même. Je leur répondis que j'étais prêt, et à leur rendre justice, et à la recevoir d'eux, soit devant des juges choisis, soit devant le siège métropolitain, suivant l'ordre que dicterait l'autorité canonique. Ceux-ci ayant donc préféré le jugement de l'église de Sens, d'un commun accord, nous avons envoyé vers vous, pour vous prier de nous assigner, vers le milieu du Carême, selon qu'il vous sera opportun, un lieu et un jour pour entendre cette cause. Or nous demandons à votre paternité d'avoir la bonté de nous assigner un lieu tel que nous puissions y aller et en revenir en toute sécurité.[17] Nous vous prions enfin d'appeler à ce jugement quelques-uns de vos suffragants ; car ce n'est pas là un léger outrage, c'est une injure inouïe faite à l'ordre pontifical. Si j'osais ajouter quelque chose à ma demande, je vous supplierais à genoux de visiter l'église de Chartres, afin d'apprendre plus amplement des clercs et des laïcs l'injure faite non seulement à ma personne, mais à tout l'ordre pontifical. Car s'il convient que, même dans la paix, la mère console sa fille, combien plus ne lui doit-elle pas ce secours dans les tribulations ? Mais pour ne pas vous écrire plus longuement, que votre paternité nous mande, par le porteur des présentes, le jour, le lieu, la sécurité que nous trouverons pour notre route, ou bien que votre sublimité fasse connaître à notre humilité si elle daignera nous visiter. Adieu.

 

EPISTOLA CLXXXIII. IVO, Dei gratia Carnotensi Ecclesiae minister, WILLELMO, Parisiensi archidiacono, salutem.

De milite qui de filia sua pactum cum alio milite fecit, hoc dilectioni vestrae pro intellectu meo respondeo. Si petitor adversus eum testes produxerit, qui ipsis sponsalibus interfuerint, vel alios qui ipsum patrem puellae in sua praesentia confitentem haec sponsalia se fecisse testificati fuerint, et haec jurejurando firmare voluerint, ita sponsalia rata esse oportebit cum secundum leges, probatio ei incumbat qui dicit, non ei qui negat. Credo autem vos mecum sentire, quia sicut in Christo neque servus est, neque liber, neque masculus, neque femina (Gal. III) ita in contractibus Christiani populi quos communes habent liberi cum servis, et omnes homines cujuscunque conditionis, si de his controversia orta fuerit, quascunque (tamen vitae honestae, personas et boni testimonii ) ad testimonium rationabiliter posse admitti, et in civilibus causis vel criminalibus hanc discretionem personarum solummodo debere servari. In hujusmodi autem causis monomachia (epist. 205) nullo modo admittenda est, quia, secundum beatum Augustinum: « Quandiu habet homo quid faciat non debet tentare Deum suum. » Sponsio vero pecuniae servata, vel violata, non debet impedire conjugium, si sponsalia facta sunt consensu contrahentium. Haec breviter prudentiae vestrae scripsi, rogans ut id faciatis quod per domnum Walterium monachum a fraternitate vestra volumus impetrari. Vale.

 

CLXXXV. (184, A. — 78, B. — 183, C.) Ives, par la grâce de Dieu, ministre de l'église de Chartres, à Guillaume, archidiacre de Paris, salut.

Au sujet de ce chevalier qui a promis sa fille à un autre chevalier, voici ce que, suivant mes faibles connaissances, je crois pouvoir répondre à votre dilection. Si le demandeur peut produire contre son adversaire des témoins qui ont été présents aux fiançailles ou qui peuvent affirmer que le père de la jeune fille a avoué en leur présence que les fiançailles ont eu lieu, et que ces témoins soient disposés à confirmer leurs dires par serment, les fiançailles doivent être ratifiées, car, suivant les lois, la preuve doit être faite par celui qui affirme, et non par celui qui nie. Je pense que vous trouverez comme moi que si, aux yeux du Christ, il n'y a ni serf ni homme libre, ni homme ni femme, de même, dans les contrats passés entre chrétiens, contrats qui sont les mêmes pour les serfs que pour les hommes libres et quelle que soit la condition des contractants, s'il s'élève quelque discussion, on peut admettre raisonnablement le témoignage de toute personne, pourvu qu'elle soit honnête et digne de créance. C'est seulement dans les causes civiles et criminelles qu'il faut établir une distinction entre les personnes. Dans des différends de ce genre, le combat singulier ne peut en aucune façon être permis, car, ainsi que le dit saint Augustin : Quand l'homme a entre les mains les ressources nécessaires, il ne doit pas tenter son Dieu. Que l'on ait d'ailleurs tenu ou non la promesse d'argent que l'on avait faite, cela ne peut empêcher le mariage, si les fiançailles ont été conclues du consentement des contractants. J'écris ces quelques mots à votre prudence, vous priant de régler cette affaire, comme nous le mandons à votre fraternité par le seigneur Gautier, moine. Adieu.

 

EPISTOLA CLXXXIV. IVO, Dei gratia Carnotensis Ecclesiae minister, WALTERIO Belvancensis Ecclesiae bibliothecario, salutem.

 Mandavit mihi fraternitas vestra quorumdam laicorum adversus Belvacensem Ecclesiam ortam esse calumniam, qui ob id judicium clericorum ejusdem Ecclesiae reprobant, quod earum rerum sunt possessores, pro quibus apud ipsos idem laici existunt petitores. Sed non sunt satis periti legum ecclesiasticarum, vel saecularium, qui hoc modo statum Ecclesiarum moliuntur evertere, cum et paginae decretales, et leges imperiales et ecclesiasticae consuetudines manifeste eis resistant, sine quibus res divinae et humanae tutae esse non possunt, si instrumenta sua deserunt, quibus majores nostri eas tutas et incolumes esse sanxerunt. Primo enim in multis decretalibus sententiis legitur: Omnes lites et contentiones in Ecclesiis in quibus ortae sunt (epist. 75 et 168) primo esse discutiendas et terminandas, nisi aut utraque pars ex consensu judices elegerit, vel altera pars majorem audientiam appellaverit. A filiis autem ipsius Ecclesiae, in qua orta contentio est, et non ab aliis terminandum esse judicium clamant plurimorum decreta pontificum, quae ita continent (can. Peregrina, cum seqq. caus. 3, q. 7) : « Peregrina judicia generali sanctione prohibemus. » In quo bene consentiunt instituta imperialia, quae dicunt res ecclesiasticas non esse juris humani, sed divini. Unde Justinianus in libro Institutionum secundo, cap. 1: « Nullius autem sunt res sacrae, et religiosae et sanctae, quod enim divini juris est, id nullius est in bonis. Ea autem sacra sunt, quae rite et per pontifices Deo consecrata sunt, veluti aedes sacrae, et dona quae rite in ministerium Dei consecrata sunt, quae etiam per nostram constitutionem alienari et obligari prohibemus. » Cum ergo ratio et veritas instituto religiosi principis sine ulla retractatione conveniat, nihil obesse videtur, quare clerici qui de sorte sunt Domini, non possint de rebus sacris justum determinare judicium, super quas nullum constat eos habere dominium. Praeterea generalis consuetudo Ecclesiae sic habet, quae si non immobiliter servaretur, Ecclesia omnibus aut pene omnibus bonis suis privaretur. De tenenda autem consuetudine quae legi non obsistit, plurima sanctorum Patrum exstat auctoritas. Dicit enim Augustinus in epistola ad Casulanum presbyterum : « In his enim rebus, de quibus nihil certi statuit divina Scriptura, mos populi Dei et instituta majorum pro lege tenenda sunt. » Et sicut praevaricatores legum divinarum, ita contemptores consuetudinum ecclesiasticarum coercendi sunt. Gregorius etiam (epist. 75, lib. I) universis episcopis Numidiae : « Nos consuetudinem, quae contra fidem catholicam nihil usurpare dignoscitur immotam permanere concedimus. » Isidorus Etymologiarum libro quinto cap. 3: « Mos est vetustate probata consuetudo, sive lex non scripta. » Item: « Consuetudo autem est jus quoddam a majoribus institutum, quod pro lege suscipitur, cum deficit lex. Nec differt utrum scriptura an ratione consistat. » Et codicis libro octavo, tit.. « Consuetudinis ususque longaevi non vilis auctoritas est; verum non usque adeo sui valitura momento, ut aut rationem vincat aut legem. » Potest in hunc modum vestra prudentia multa de authenticis scripturis eligere, quibus poterit adversus Ecclesiam laicorum latratus obstruere. Vale.

 

CLXXXVI. (185, A. — 79, B. — 184, C.) Ives, par la grâce de Dieu, ministre de l'église de Chartres, à Gautier, bibliothécaire de l'église de Beauvais, salut.

Votre fraternité m'a mandé la querelle soulevée par certains laïcs contre l'église de Beauvais. Ils répudient le jugement des clercs de cette église, parce que ceux-ci, disent-ils, sont possesseurs des biens que lesdits laïcs réclament contre eux. Ils ne connaissent pas assurément les lois ecclésiastiques et civiles ceux qui, par de pareilles prétentions, veulent renverser la constitution des églises ; car les décrétales, les lois impériales, les coutumes ecclésiastiques s'opposent manifestement à leurs dires, et les choses divines et humaines perdraient toute sécurité si elles renonçaient à leurs privilèges que nos pères ont établis pour garantir leur sûreté et leur indépendance. D'abord on lit dans une foule de sentences décrétales : Toutes les querelles et les différends doivent être en premier lieu discutés et jugés dans les églises où ils sont nés, à moins que les deux parties, d'un commun accord, n'aient choisi d'autres juges, ou qu'une des parties n'ait fait appel à un tribunal supérieur. Les fils mêmes de l'église, où est né le différend, et non d'autres, doivent être les juges de la cause, c'est ce que proclament les décrets de nombreux pontifes : Nous défendons absolument en général les jugements par des étrangers, décrets avec lesquels concordent les Institutes impériales, qui déclarent que les choses ecclésiastiques ne sont pas de droit humain, mais de droit divin. Ainsi Justinien s'exprime de cette sorte dans le 2e livre des Institutes, chap. 1 : Les choses sacrées, religieuses et saintes n'appartiennent à personne ; car ce qui est de droit divin ne peut être la propriété de personne. Or nous appelons sacrées les choses dédiées à Dieu par les pontifes suivant le rit ecclésiastique, comme les temples saints et les biens consacrés solennellement au ministère de Dieu, et par notre constitution nous défendons de les aliéner et de les mettre en gage. Comme la raison et la vérité s'accordent sans difficulté avec la décision de ce religieux prince, rien ne nous paraît s'opposer à ce que les clercs, qui appartiennent à la maison du Seigneur, puissent rendre un jugement équitable au sujet des choses saintes, sur lesquelles tout le monde sait qu'ils n'ont aucune propriété. C'est d'ailleurs là la coutume générale de l'Église, et si elle n'était immuablement observée, l'Église serait privée de tous ou de presque tous ses biens. Quant à la règle d'observer les coutumes qui ne sont pas contraires aux lois, on en trouve le commandement dans une foule de passages des Saints Pères. Augustin dit dans sa lettre à un prêtre de Casulae[18] : Dans toutes les choses, au sujet desquelles la divine Ecriture n'a rien statué de positif, la coutume du peuple de Dieu et les institutions des Pères doivent être considérées comme la loi. Ceux qui violent les coutumes ecclésiastiques doivent être punis comme les prévaricateurs des lois divines. Grégoire écrit à tous les évêques de Numidie : Nous voulons que les coutumes qui sont reconnues ne rien avoir de contraire à la foi catholique demeurent immuables. Isidore dit au livre 5 de ses Etymologies, chap. 3 : L'usage est la coutume consacra par la tradition, autrement dit la loi non écrite. Et aussi : La coutume est le droit établi par nos aïeux, qui devient loi, lorsque la loi fait défaut, et peu importe qu'elle repose sur l'écriture ou sur la raison. Dans le 8e livre du Code, titre 53 : L'autorité de la coutume ou d'un long usage n'est pas à dédaigner ; cependant il ne faut pas lui attribuer une valeur telle qu'elle détruise celle de la raison ou de la loi. Votre prudence peut choisir dans les Ecritures authentiques bien des textes de ce genre, et avec eux vous pourrez étouffer les aboiements des laïcs contre l'Église. Adieu.

 

EPISTOLA CLXXXV. WILLELMO, Dei gratia Rothomagensium archiepiscopo, IVO, Carnotensis Ecclesiae minister humilis, salutem et servitium.

« De clerico praesentium portitore, qui inordinato et praepropero saltu cum non esset benedictus in clericum, in subdiaconum se fecit ordinari, sublimitati vestrae respondeo, quia si rigorem justitiae tenere vultis, nec in acceptis inordinate ordinibus eum ministrare permittetis, nec ad superiores gradus eum promovebitis.. In decretis enim pontificalibus legitur (can. Vides, distinct. 1), quia « quod contra leges praesumitur, per leges dissolvi meretur. » Si autem honesta vita ejus, aut utilitas ecclesiastica ita exigit, potestis ei dispensatorie dato clericatu cum debita satisfactione eam misericordiam impendere, ut cum sacram ordinationem vos celebrare contigerit, humiliato corde et corpore sacris benedictionibus intersit non ut reordinetur, sed ut competentibus verbis in acceptis ordinibus confirmetur. De talibus excessibus, pro impendenda misericordia propriam sententiam ad manum non habeo, sed pro simili negotio dispensatoriam Alexandri papae secundi sententiam vestrae discretioni transmitto. Cujus exemplo munitus, si vobis visum fuerit dignum, habita ratiocinatione poteritis et accepta confirmare et non accepta concedere. Sententia autem haec est: Alexander secundus Rumaldo Constantiensi episcopo: « Sollicitudo dilectionis tuae nos studuit consulere, utrum portitor istarum litterarum diaconatus et presbyteratus officium idoneus sit peragere, necne, cum ad id praepropero saltu vel cursu, videlicet sine subdiaconatus ordine, negligentia potius quam superbia cognoscatur ascendisse. Unde nos consulendo charitati tuae mandamus, ut ab officio sacerdotali eum prohibeas, donec proximo Quatuor Temporum jejunio, subdiaconatus ministerium ei rite imponas, et sic deinceps ad majora officia eum redire concedas. » Valete.

 

CLXXXVII. (186, A. — 80, B. — 185, C.) A Guillaume, par la grâce de Dieu, archevêque de Rouen, Ives, humble ministre de l'église de Chartres, salut et obéissance.

Le clerc, porteur des présentes, sans avoir encore reçu la bénédiction cléricale, s'est fait ordonner sous-diacre, sautant ainsi trop hâtivement par-dessus les ordres mineurs. Voici ce que je crois devoir à ce sujet répondre à votre sublimité. Si vous voulez vous en tenir à la rigueur de la justice, vous ne lui permettrez pas de remplir l'office de la dignité qu'il a reçue contre l'ordre établi, et vous ne l'élèverez point aux degrés supérieurs ; car on lit dans les décrets pontificaux : Ce qui a été usurpé contre les lois doit être cassé par les lois. Mais si sa conduite honnête ou si l'utilité ecclésiastique vous y engagent, vous pouvez, lui conférant par dispense la cléricature, après avoir obtenu une satisfaction légitime, user envers lui de miséricorde. Lorsque vous célébrerez l'ordination sainte, qu'il se présente aux bénédictions sacrées avec un cœur contrit et une tenue humiliée, non pas pour recevoir une seconde ordination, mais pour être confirmé par les paroles sacramentelles dans les ordres qu'il aura déjà reçus. Pour de telles fautes, je n'ai pas sous la main de jugement particulier qui conseille la miséricorde, mais je transmets à votre discrétion une sentence du pape Alexandre II qui accorde une dispense pour un cas semblable. Muni de cette autorité, vous pourrez, à votre discrétion, selon ce qui vous paraîtra convenable, ou confirmer l'ordre qu'il a reçu, ou lui conférer ceux qu'il n'a pas encore. Voici cette sentence : Alexandre II à Rumald, évêque de Constance : La sollicitude de ta dilection a bien voulu nous consulter pour savoir si le porteur des présentes peut ou non exercer l'office de diacre et de prêtre, ayant, par négligence plutôt que par orgueil, reçu ces deux dignités avec trop de précipitation et de hâte, c'est-à-dire sans avoir auparavant reçu le sous-diaconat. Nous conseillons à ta charité de lui interdire l'office sacerdotal, jusqu'à ce que, au prochain jeûne des Quatre-Temps, tu lui aies conféré, suivant les rites ecclésiastiques, la dignité de sous-diacre, et que tu lui aies ainsi donné le droit d'exercer des fonctions plus élevées. Adieu.

 

EPISTOLA CLXXXVI. IVO, Dei gratia Carnotensis Ecclesiae minister, LAURENTIO, monasterii Charitatis monacho, salutem.

Inquisitiones tuae multiplici egent et prolixa responsione, quae epistolari non possunt brevitate commode enodari, imo egerent librorum copiosa explicari disputatione, et multarum scripturarum quae dicerentur fulciri auctoritate. Praeterea si in aliquibus vellemus uti canonum moderatione, videremur quibusdam simplicibus legis aemulatoribus contra canones agere, quorumdam vero ambitioninus defensionis argumenta praeparasse. Idcirco tales disputationes non videntur scripto commendandae, ne, si in multorum manus venerint, plus obsint indiscretis quam prosint discretis. Paterna tamen regula est, quae multis propositionibus tuis diligenter perspecta sufficere poterit, videlicet: « quia communio malorum neminem maculat, sed consensio factorum. » Et alibi: « Nullius crimen maculat nescientem. » Et alibi: « Qui non habet potestatem reum condemnare, aut non potest comprobare, immunis est. » Unde dicit Augustinus in secundo libro De unico baptismo (lib. I, in cap. Forte, caus. 23, q. 4) : « Forte in populo Dei stat juxta te avarus, raptor, rebus alienis inhians, quem nosti talem, et fidelis est vel fidelis vocatur; non eum potes de Ecclesia pellere; non habes aliquem aditum: castigando et corripiendo corrige. Accessurus est tecum ad altare, noli timere. Unusquisque enim onus proprium portabit (Gal. VI). Quomodo, inquis, ferrem quem novi malum? nonne melius ipsum ferres, quam te foras efferres? ecce quomodo ferres, si attenderes Apostolum dicentem: Unusquisque onus proprium portabit, liberaret te ista sententia. Non enim communicares cum illo avaritiam, sed communicares cum illo Christi mensam, et quid tibi obesset, si cum illo communicares Christi mensam? Apostolus dicet: Qui manducat et bibit indigne, judicium sibi manducat et bibit (I Cor. XI) sibi non tibi sane si judex es, si vindicandi potestatem accepisti, ecclesiastica regula, si apud te accusatur, si veris documentis testibusque convincitur, coerce, corripe, excommunica, degrada. » Idem in epistola contra Parmenianum: « Revera cum contagio peccandi multitudinem invaserit (epist. 288), divinae disciplinae severa misericordia necessaria est. Nam concilia separationis et inania sunt et perniciosa atque sacrilega, quia et impia et superba sunt, et plus perturbant infirmos bonos, quam corrigant animosos malos. » Idem in epistola ad Vincentium (epist. 48) : « Non enim propter malos boni sunt deserendi, sed propter bonos mali sunt tolerandi, sicut tolerarunt prophetae contra quos tanta dicebant, nec communione sacramentorum illius populi relinquebant; sicut ipse Dominus nocentem Judam usque ad condignum ejus exitium toleravit, et eum sacram coenam cum innocentibus communicare permisit, sicut et toleraverunt apostoli eos qui per invidiam, quod ipsius est diaboli vitium, Christum annuntiabant. » Haec de non vitanda communione malorum beati viri dicta sufficiant. Si autem quis in impietate sua perdurans ab Ecclesia nominatus fuerit, et judicio Ecclesiae communione privatus, hujus tantum vitanda est communio ab his ad quorum aures excommunicatio illa pervenerit. Unde Apostolus ait: Si is qui frater est nominatur fornicator, aut avarus, aut idolorum serviens, cum hujusmodi nec cibum sumere (I Cor. V). De dandis autem vel non accipiendis muneribus erga tales personas haec ratio mihi servanda videtur, ut nihil eis detur nisi intuitu et compassione humanae indigentiae, neque ab eis aliquid accipiatur, nisi inevitabilis cogat necessitas; quod minime fieri videatur causa familiaris rei augendae, sed tantum causa necessitatis implendae. Sic Israelitae in terra Aegyptiorum bona (Num. XXII), sic in terra Madian ad usus necessarios acceperunt res Madianitarum (Exod. XII). De his consultus Gregorius papa VII, ita scribit (c. 101, Quoniam. caus. 11, q. 3) : « Quoniam peccatis nostris exigentibus, multos quotidie causa excommunicationis perire cernimus, partim ignorantia, partim nimia simplicitate, partim timore, partim etiam necessitate devicti misericordia, anathematis sententiam, prout possumus, temperamus. Apostolica itaque auctoritate ab anathematis vinculo hos subtrahimus, videlicet uxores, filios, servos, ancillas, seu mancipia, necnon rusticos et servientes, necnon et omnes illos qui non adeo curiales sunt, ut eorum consilio scelera perpetrentur et eos qui ignoranter communicant excommunicatis, sive illos qui communicant cum eis qui excommunicatis communicant. Quicunque autem aut arator, seu peregrinus, aut viator in terram excommunicatorum devenirit, ubi non possit emere, vel unde emat non habuerit, ab excommunicatis accipiendi licentiam damus. Et si quis excommnnicatis non pro sustentatione superbiae, sed humanitatis causa voluerit dare, non prohibemus. » De emptionibus vero rerum ecclesiasticarum quas monachi a laicis faciunt, hoc tuae fraternitati respondemus, quia, si res ecclesiasticas de laicorum servitute dato pretio liberarent, et juri ecclesiastico et episcopali dispositioni restituerent, non solum non improbaremus, sed vehementer laudaremus, quia non videretur esse emptio, sed a cunctis pie sentientibus laudanda redemptio; sic captivi fidelium pietate redimuntur, cum redemptores ipsos redemptos non in suam redigunt servitutem, sed in pristinam restituunt libertatem. Verum quia rarus est, aut nullus qui haec emat, nisi suis aut suorum usibus, non est haec appellanda pia redemptio, sed inter ementes et vendentes cupida et periculosa coemptio. De oblationibus malorum quos adhuc intra Ecclesiam toleramus, hoc sentimus, quia, quandiu eis ecclesiastica dispensatione communicamus, vanum et superstitiosum videretur, si oblationes eorum refutaremus. Nam et Dominum Jesum Christum, cujus vita disciplina morum fuit, Zachaeus publicanus in domum suam invitavit, et de suis ei facultatibus ministravit (Luc. XIX). Tunc enim recte incedit Christiana religio, cum aut ea facit quae Christus fecit, aut evitat quae Christum evitasse cognoscit. Donationes vero et concessiones excommunicatorum, quibus nec dicendum est ave (II Joan. I), propter infirmos vitandas esse consulimus, quia, licet Apostolus dicat: Omnia munda mundis (Tit. I) : consequenter tamen addit, sed malum est homini qui per offendiculum manducat (Rom. I, 4). Unde etiam in Epistola ad Corinthios: Si quis, ait, vocat vos infidelium, et vultis ire, omne quod vobis apponitur manducate, nihil interrogantes propter conscientiam. Sive ergo manducatis, sive bibitis, omnia in gloria Dei facite. Sine offensione estote Judaeis et gentibus et Ecclesiae Dei, sicut ego per omnia omnibus placeo, non quaerens quod mihi utile est, sed quod multis, ut salvi fiant (I Cor. X). Haec est apostolica et sana doctrina. Quare talium donationes vel concessiones vitandae sunt, non quod Dei creatura ex eis munda immunda fiat, quia Domini est terra et plenitudo ejus (Psal. XXIII), sed ne simplicium ex hoc infirmetur conscientia, cum talibus conjecturis existimant bonis eorum malefacta facere, vel quae prius abhorrebant mala non esse. Simili de causa divinae leges pariter et humanae refutant et vitant eorum testimonia et judicia, non quod non aliquando vera testificentur, et justa decernant, sed ut tali repulsa confutati ab errore suo desistant. De his qui criminalia peccata occulte confitentur, nihil melius respondere possum quam quod beatus Augustinus in quadam epistola scribit (epist. 206) « Nos a communione nullum suspendimus, nisi accusatum publice atque convictum, vel sponte confessum similiter publice. » De manifestis autem manifesta sententia est, quia qui manifeste peccarunt, manifeste sunt arguendi, et publica poenitentia sunt corrigendi. Dicendum est tamen eis non praecipiendo, sed consulendo, ut seipsos ab officiis ecclesiasticis suspendant, vel a sacramentorum communione abstineant, quia tali humilitate et poenitentia verius agitur, et salus reparata tutius munitur. Sacramenta tamen divina a talibus tractata propter indignitatem eorum non sunt deteriora, sicut, propter dignitatem meliorum non sunt meliora (epist. 73 et 236), sed apud quoscunque sunt, secundum beatum Augustinum, eadem ipsa sunt. De excommunicatis communi sententia non tamen nominatis, sive in capitulo, sive in concilio facta sit illa excommunicatio, sive sint Simoniaci, sive presbyteri uxorati, idem consilium est quod est de aliis criminosis, quia non sunt a communione suspendendi, nisi publice convicti, vel publice confessi, quia et Dominus Judam furem sciebat, et ita excommunicatum ut etiam diabolum nominaret, tamen quia non fuit accusatus, donec seipsum Dominum prodendo manifestavit, minime eum abjecit. De subjectis quoque idem sentimus, quia non debent deserere praelatos suos, nisi prius eos viderint publice damnatos, aut nominatim excommunicatos. De mutua confessione, de qua dicit apostolus Jacobus: Confitemini alterutrum peccata vestra (Jac. V), hoc respondeo, quia sufficit pro quotidianis et levibus peccatis si congrua sequatur satisfactio. Si vero graves sint culpae, ab eo cui data est potestas ligandi atque solvendi, quaerenda est absolutio. De excommunicato hospitio recepto sufficere videtur, si hospes qui eum suscepit contineat se a mensa excommunicati et osculo. Puto me breviter pene ad omnia proposita tua, et si non ad omnia, tamen ad graviora, respondisse, tuae discretioni relinquens, ut singulis capitulis sparsim digestis generales sententias accommodes; quae diligenter perspectae non dicam singulis propositis, sed fere unaquaeque sententia pluribus poterit capitulis obviare. Cum autem simul colloqui Deo disponente poterimus, si qua restant, aut ex his quae modo scripsimus, aut ex aliis quae Dominus inspirare voluerit, gratanter respondebimus. Vale.

 

CLXXXVIII. (187, A. — 81 B. — 186, C.) Ives, par la grâce de Dieu, ministre de l'église de Chartres, à Laurent, moine du monastère de la Charité,[19] salut.

Tes demandes ont besoin de réponses détaillées et longues qui ne peuvent facilement se resserrer dans la brièveté d'une lettre : elles exigeraient plutôt le développement d'une discussion approfondie dans un livre, et l'appui de l'autorité de textes nombreux. En outre, si sur certaines de ces questions je voulais invoquer l'indulgence des canons, à quelques gens simples, trop grands zélateurs de la loi, je paraîtrais parler contre les canons, ou avoir préparé des arguments pour la défense de certaines prétentions. Je crois donc qu'on ne doit point se livrer par écrit à des discussions de ce genre, de peur que, tombant dans un trop grand nombre de mains, elles ne soient plutôt un objet de scandale pour ceux qui manquent de discrétion que d'utilité pour les plus sages. Cependant il est des règles imposées par les Pères, qui, sagement étudiées, suffiront pour résoudre beaucoup de tes propositions ; par exemple celle-ci : Le crime n'est pas de vivre en communion avec les méchants, mais de consentir à leurs actes. Et aussi : Le crime d'autrui n'atteint pas celui qui l'ignore. Et encore : Celui qui n'a pas le droit de condamner un coupable ou qui ne peut prouver la culpabilité, est innocent de l'impunité. D'où Augustin dit dans son 2e livre sur le Baptême unique : Peut-être, au milieu du peuple de Dieu, tu trouves à côté de toi un avare, un ravisseur, un envieux du bien d'autrui ; tu le connais tel, et cependant il est fidèle ou du moins il est appelé fidèle ; tu ne peux le chasser de l'église, tu n'as aucun moyen pour cela : corrige-le en le reprenant et en le châtiant. Il doit s'approcher avec toi de l'autel, ne crains rien ; car chacun porte son propre fardeau. Comment, diras-tu, puis-je supporter celui que je sais mauvais ? Ne vaut-il pas mieux le supporter que de te condamner toi-même à rester dehors ? Pour le supporter, rappelle-toi cette parole de l’Apôtre : « Chacun portera son propre fardeau ; » ces mots te rassureraient. Car tu ne vivras pas en communion de son avarice, mais tu seras en communion avec lui à la table du Christ. Et quel inconvénient vois-tu à être en communion avec lui à la table du Christ ? L'Apôtre dit : « Celui qui mange et qui boit indignement mange et boit son jugement, son jugement et non le tien. Mais si tu es juge, si tu as reçu le pouvoir déjuger, d'après les règles ecclésiastiques, quand quelqu'un est accusé devant toi et qu'il est convaincu par des preuves et des témoignages certains, oh ! alors réprime, frappe, excommunie, dégrade. Et dans l'épître contre Parménien : Lorsque la contagion du péché aura envahi la multitude, alors il faudra user, dans la discipline divine, d'une miséricorde qui n'exclut pas la sévérité. Avoir recours à la séparation est inutile, pernicieux et sacrilège, car c'est faire preuve d'impiété et d'orgueil, et l'on trouble ainsi la faiblesse des bons plus que l'on ne corrige l'animosité des méchants. Enfin, dans l'épître à Vincent : Nous ne devons pas abandonner les bons à cause des méchants, mais nous devons tolérer les méchants à cause des bons : c'est ainsi que les Prophètes ont toléré ceux qu'ils accusaient si vivement et n'ont pas abandonné la communion des sacrements de ce peuple ; c'est ainsi que le Seigneur a toléré jusqu'à sa mort le coupable Judas et lui a permis de prendre la sainte cène en communion avec les innocents ; c'est ainsi que les Apôtres ont toléré ceux qui par envie, ce qui est le crime même du diable, annonçaient la religion du Christ. Que les paroles de ce saint docteur te suffisent pour te prouver qu'on ne doit pas éviter la communion des méchants. Mais si quelqu'un, s'endurcissant dans son impiété, est désigné nominativement par l'Église et mis hors la communion par le jugement de l'Église, son commerce doit être évité par tous ceux à l'oreille desquels son excommunication sera parvenue, comme le dit l'Apôtre : Si l'un de tes frères est déclaré fornicateur, ou avare, ou serviteur des idoles, ne prends point de nourriture avec lui.

Quant à recevoir des présents de semblables personnes ou à leur en donner, voici la règle qui me semble devoir être suivie : ne rien leur donner qu'en vue et par compassion de l'indigence humaine ; ne rien en recevoir que par une absolue nécessité, non pas pour augmenter son propre bien, mais lorsqu'on ne peut faire autrement. C'est ainsi que les Israélites reçurent des biens dans la terre d'Egypte ; c'est ainsi que sur la terre de Madian ils acceptèrent pour leurs besoins les présents des Madianites. Consulté à ce sujet, le pape Grégoire VII écrit ce qui suit : La multitude de nos péchés est telle que nous voyons chaque jour un grand nombre d'hommes périr des suites de l'excommunication, les uns par ignorance, les autres par trop grande simplicité, les autres par crainte, les autres même par nécessité : vaincu donc par la miséricorde, nous adoucissons, autant que nous le pouvons, la sentence d'anathème. Ainsi, de notre autorité pontificale, nous absolvons de l'anathème les épouses, les fils, les serfs, les servantes, les esclaves, les colons et les sergents, tous ceux en un mot qui n'ont pas une position telle que leur conseil puisse entraîner au mal. Nous absolvons encore ceux qui, sans le savoir, ont des rapports avec des excommuniés, ou ceux qui fréquentent ceux qui fréquentent des excommuniés. Tout cultivateur ou étranger ou voyageur qui, arrivé sur la terre d'un excommunié, ne pourra y acheter ou n'aura pas de quoi y acheter, nous lui donnons la permission de recevoir des mains de l'excommunié, et si quelqu'un, non pour alimenter l'orgueil, mais par humanité, veut donner quelque chose à un excommunié, nous ne l'interdisons nullement.

Pour ce qui regarde les achats de biens ecclésiastiques faits par des moines à des laïcs,[20] nous répondrons comme il suit à ta fraternité. Si les moines, moyennant un certain prix, retiraient les biens ecclésiastiques des mains des laïcs et les restituaient à l'Église en les mettant à la disposition de l'évêque, non seulement ils ne seraient pas à condamner, mais à louer grandement, car ce ne serait pas à proprement parler un achat, mais une sorte de rachat que tous les fidèles ne sauraient trop approuver. C'est ainsi que les captifs sont rachetés par la piété des fidèles, lorsque ceux qui les rachètent n'en font pas leurs propres esclaves, mais les rendent à leur ancienne liberté. Mais comme il est rare ou plutôt impossible de trouver un acheteur qui n'acquière les biens ecclésiastiques pour lui ou pour les siens, il ne faut pas appeler cela un pieux rachat, mais un échange cupide et dangereux entre les acheteurs et les vendeurs.

Nous recevons dans l'église les oblations des méchants, et voici que je pense à ce sujet. Tant que l'indulgence de l'Église admet les méchants dans la communion, ce serait un zèle inutile et indiscret de refuser leurs offrandes. Zachée le publicain invita Notre-Seigneur Jésus-Christ, dont la vie doit être notre modèle, à entrer dans sa maison, et le servit de ce qu'il possédait. La religion chrétienne est dans la bonne voie quand elle fait ce que le Christ a fait ou qu'elle évite ce qu'elle sait que le Christ a évité. Cependant, à cause des faibles d'esprit, nous conseillons d'éviter les concessions et les dons faits par les excommuniés, qu'il n'est même pas permis de saluer. Car bien que l'Apôtre dise : Tout est pur pour les purs, il ajoute cependant : mais on fait mal de manger quand en mangeant on scandalise les autres. D'où il dit dans l'épître aux Corinthiens : Si un infidèle vous invite à manger chez lui et que vous vouliez y aller, mangez tout ce qui vous sera présenté, sans vous enquérir, par un scrupule de conscience, d'où provient ce qu'on vous offre. Soit que vous mangiez ou que vous buviez, faites tout pour la gloire de Dieu. Ne donnez occasion de scandale ni aux Juifs ni aux Gentils ni à l'Église de Dieu, comme je tâche moi-même de plaire à tous en toutes choses, ne cherchant point ce qui m'est avantageux, mais ce qui est avantageux à plusieurs pour être sauvés. Telle est la saine doctrine apostolique. Il faut donc éviter les dons et les concessions de ces hommes, non pas parce qu'ils pourraient souiller la créature de Dieu puisqu'au Seigneur appartient la terre et tout ce qu'elle renferme, mais de peur de troubler la conscience des simples, qui s'imagineraient peut-être que les biens des excommuniés ne peuvent amener que des malheurs, ou qui s'habitueraient à ne plus considérer comme mal ce qu'ils détestaient. C'est pour la même cause que les lois divines et humaines refusent d'admettre le témoignage et les sentences de ces hommes, non pas qu'ils ne puissent rendre un vrai témoignage et juger sainement, mais pour que, rebutés par un tel affront, ils abandonnent leur erreur.

Au sujet de ceux qui confessent secrètement leurs crimes, je ne puis rien te répondre de mieux que ce que saint Augustin écrit dans une de ses lettres : Nous ne séparons personne de la communion, à moins qu'il n'ait été publiquement accusé et convaincu, ou qu'il n'ait spontanément reconnu sa faute en public. Pour ceux dont le crime est manifeste, la sentence est manifeste : puisque leur faute est évidente, ils doivent être condamnés devant tous et soumis à une pénitence publique. Cependant on ne doit pas leur commander, mais leur conseiller de s'abstenir des offices ecclésiastiques et de la communion des sacrements : une semblable humilité et une telle pénitence sont plus vraies, et l'on arrive plus sûrement à consolider ainsi le salut qu'on aura recouvré. Néanmoins les divins sacrements administrés par ces hommes coupables ne sont pas mauvais à cause de leur indignité, pas plus qu'ils ne sont meilleurs à cause des mérites des bons ; mais, comme le dit saint Augustin, ils sont eux-mêmes, quels que soient ceux qui les administrent.

En ce qui concerne les excommuniés qui cependant n'ont pas été condamnés par une sentence générale, soit que leur excommunication ait eu lieu dans un chapitre ou dans un concile, qu'ils soient simoniaques ou prêtres mariés,[21] nous croyons qu'on doit agir envers eux comme envers les autres criminels, c'est-à-dire qu'on ne doit point les séparer de la communion, à moins que leur faute n'ait été publiquement prouvée ou qu'ils ne l'aient avouée publiquement. Le Seigneur savait que Judas était voleur et il l'excommuniait si bien qu'il l'appelait même diable : cependant comme il ne fut pas accusé, Dieu ne le rejeta pas jusqu'au jour où son crime devint manifeste par la trahison qu'il fit de son Dieu.

Nous pensons de même au sujet des inférieurs ; ils ne doivent pas abandonner ceux qui leur sont préposés, s'ils ne les ont vus d'abord publiquement condamnés et nommément excommuniés.

Quant à la confession mutuelle, à propos de laquelle l'Apôtre Jacques s'exprime ainsi : Confessez vos péchés l'un à l’autre, je réponds qu'elle suffit pour les péchés légers et quotidiens, pourvu qu'elle soit accompagnée d'une satisfaction convenable. Mais si les fautes sont graves, on doit demander l'absolution à celui qui a le pouvoir de lier et de délier.

Avoir reçu comme hôte un excommunié ne me paraît pas condamnable si celui qui a reçu cet hôte s'abstient de manger avec lui et de lui donner un baiser.

Je crois que j'ai répondu rapidement à presque toutes tes demandes, sinon à toutes, au moins aux plus importantes : je laisse à ta discrétion le soin d'appliquer à chacune des questions que tu m'as posées des réponses générales. Si tu le fais avec attention, presque chacune de mes réponses s'accommodera, je ne dis pas à toutes tes questions, mais à plusieurs à la fois. Lorsque Dieu permettra que nous puissions avoir ensemble un entretien, s'il te reste quelque doute, ou sur ce que tu m'as écrit, ou sur d'autres affaires que Dieu te suggérera, nous te répondrons avec plaisir. Adieu.

 

EPISTOLA CLXXXVII. IVO, Dei gratia Carnotensis Ecclesiae minister, ADELAE, excellenti comitissae, salutem et servitium.

Abbas Bonevallensis monasterii, et congregatio sibi commissa lacrymosis et miserabilibus clamoribus aures Dei et hominum pulsant, conquerentes quod propter interfectionem Hugonis Nigri, injuste eos et homines sui juris vexatis, et angarias contra privilegia et instituta praedecessorum vestrorum super eos faciatis, in tantum ut nec misericordiae nec judicio apud vos eis locum relinquatis. Quod ego audiens non possum non ingemiscere gemitibus eorum, qui et in prosperis debeo eis congaudere, et in tribulationibus condolere. Unde monendo rogo, et rogando moneo, ut severitatem intentatam prudenti et discreto consilio temporetis, ne grex Dominicus insolitae tribulationis tempestate dispergatur, et religio quae istis temporibus refloruerat, aut minuatur aut omnino ad nihilum redigatur. Praeterea debetis consulere saluti vestrae et famae vestrae, ne vanum videatur quod monasteria quae non sunt juris vestri, muneribus vestris sustentatis, et quibus modis potestis ampliatis, ea autem quae vestri juris sunt, minuitis et quasi servili oppressione subjugatis. Unde, ne ista ad aures multotum perveniant, et famae vestrae, sicut saluti, plurimum detrahant, sicut monui iterum moneo, ut mitius agatis, ne insolita et intolerabilis severitas posteris vestris sit in exemplum, et vobis in peccatum aeternum. Timendum est enim vobis ne gemitus servorum Dei ad aures ejus perveniant, et qui apud vos misericordiam non inveniunt misericordiae vobis januam claudant. Sicut enim ipsi dicunt qui a vobis opprimuntur, continuo gemitu Dei aures implebunt, et quotidiana conquestione aures populi Dei tam in vicinis quam in remotis locis, donec Dominus imperet ventis et mari, et quiescant fluctus ejus. Quod quia periculosum est vobis et ignominiosum, det vobis Dominus spiritum consilii, ut meliora eligatis, et quae sunt periculosa fugiatis. Valete.

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CLXXXIX. (188, A. — 82, B. — 187, C.) Ives, par la grâce de Dieu, ministre de l'église de Chartres, à Adèle, excellente comtesse, salut et obéissance.

L'abbé du monastère de Bonneval et les frères qui lui sont confiés frappent les oreilles de Dieu et des hommes de leurs pleurs et de leurs cris lamentables. Ils se plaignent des vexations injustes que vous exercez contre eux et leurs hommes à cause du meurtre de Hugues le Noir. Ils disent que, méprisant les privilèges et les institutions de vos prédécesseurs, vous les poursuivez d'une telle haine qu'il n'y a plus pour eux près de vous ni miséricorde ni justice. A ce récit, je ne puis pas ne pas gémir de leurs gémissements, moi qui dois me réjouir de leurs joies et souffrir de leurs souffrances. Aussi je vous avertis et vous prie, je vous prie et vous avertis de tempérer votre sévérité par une sage et prudente réserve, de peur de disperser par la violence de cette tempête inouïe le troupeau du Seigneur, et de peur que la religion, qui, en ces derniers temps, commençait à refleurir dans ce monastère, n'en reçoive quelque dommage ou n'y soit absolument détruite. Vous devez en outre songer à votre salut et à votre réputation. Il ne vous servira de rien, prenez-y bien garde, de soutenir de vos présents et d'enrichir de toutes manières les monastères qui ne sont point de votre juridiction, si ceux qui relèvent de vous, vous les appauvrissez et les opprimez sous un joug presque servile. Redoutant qu'une pareille conduite ne vienne à la connaissance d'un grand nombre et qu'elle ne nuise étrangement à votre réputation comme à votre salut, je vous avertis de nouveau d'user de plus de douceur, afin que votre sévérité inouïe et intolérable ne serve pas d'exemple à vos descendants et ne soit pas pour vous un péché éternel. Craignez que les gémissements des serviteurs de Dieu ne parviennent aux oreilles du Seigneur, et que ceux qui n'auront point trouvé miséricorde près de vous ne vous ferment la porte de la miséricorde. Car ceux que vous opprimez disent qu'ils feront sans cesse monter leurs gémissements vers Dieu et qu'ils frapperont de leurs plaintes quotidiennes les oreilles du peuple de Dieu, dans les lieux voisins comme dans les plus éloignés, jusqu'à ce que le Seigneur commande aux vents et à la mer et que les flots se soient apaisés. Voyant le danger et la honte qui en résulteraient pour vous, je prie le Seigneur de vous donner l'esprit de conseil qui vous fasse choisir un meilleur avis et éviter tout péril. Adieu.

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[1] Le prince dont il est ici question est certainement Edgar, troisième fils de Malcolm III, qui commença à régner en Ecosse en 1098 et mourut le 8 janvier 1107, sans enfant.

[2] Ce concile est celui qui s'ouvrit à Troyes le 19 mai 1107 et que présida Pascal II lui-même.

[3] Saint Ives fait allusion au séjour de Pascal II à Chartres, pendant les fêtes de Pâques (avril 1107).

[4] Nous n'avons pu traduire le jeu de mots employé par saint Ives : per tumorem et per timorem.

[5] Etienne I, comte de Lamballe, puis comte de Penthièvre de 1093 à 1125.

[6] Voir Lettre CLXXVIII.

[7] Pascal II se rendit aux prières de Vulgrin et aux observations de saint Ives : le chancelier de Chartres fut autorisé à refuser l'évêché de Dol, et Baudry de Bourgueil fut élu à sa place.

[8] Par deux bulles du 11 novembre 1102 et du 23 novembre 1103, publiées par nous dans le Cartulaire de Notre-Dame de Chartres, le pape Pascal II, à la prière d'Ives, avait laissé le Chapitre de Chartres juge de la possibilité d'admettre dans son sein des hommes du Comte ou des fiscalins royaux nés de légitimes mariages. C'est pour répondre à ces bulles que la comtesse Adèle avait rendu cette ordonnance sévère contre laquelle le prélat proteste avec tant d'éloquence.

[9] On ne connaît pas précisément la date de la création de la commune de Vierzon ; cette lettre peut servir à la fixer. C'est encore ici un nouvel exemple des difficultés que rencontra l'établissement des Communes. Saint Ives, l'ardent défenseur de la Paix de Dieu, se montre généralement hostile à ces institutions, qui n'étaient pourtant que le développement nécessaire de la Paix de Dieu : on doit attribuer cette méfiance de l'illustre prélat aux troubles qui presque partout accompagnèrent la naissance des Communes.

[10] L'église de Bulles est comprise parmi les possessions données à l'abbaye de Saint-Lucien de Beauvais par le roi Childebert, lors de sa fondation (566 circa).

[11] Gui occupa le siège de Beauvais depuis le mois de décembre 1063 jusqu'en l'année 1085.

[12] Ce fut en 1075 que le comte Hugues de Dammartin, ayant hérité de la terre de Bulles à la mort de Goscelin l'Enfant dont il avait épousé la sœur Roharde, rendit l'église de Bulles avec toutes ses dépendances à Thibaut, abbé de Saint-Lucien.

[13] Malgré l'intervention de saint Ives, l'abbaye de Saint-Lucien fut déboutée de ses droits sur l'église de Bulles, qui resta la propriété de l'abbaye de Vézelay.

[14] Hugues, alors prévôt de Beauce, devint écolâtre de Chartres après Bernard le Scholastique, puis enfin doyen à la mort de son oncle Arnaud (1120).

[15] Arnaud, doyen de l'église de Chartres de 1087 à 1120. A la suite de ses disputes avec saint Ives, Arnaud quitta le décanat, et se retira d'abord à l'abbaye de Cluny, puis à celle de Vendôme qu'il abandonna pour reprendre plus tard le décanat. — Des lettres intimes d'Arnaud et de son frère Jacques (sans doute le père de Hugues) à leur mère Leticia nous offrent des détails curieux sur les mœurs de cette époque : Si vestes contra hiemem nobis mittere proposuisti, agninas pelles grossas, si potes, per presentem legatum nobis mittas, et parcaminum bonum ad psalterium faciendum, et grandes botas domini nostri, et cretam bonam, bonam, bonam, quia nostra nihil valet.

Mater nostra,                                                                                Fer, fer opem,

Mater grata,                                                                                  Per hoc nomen

Nomine Leticia,                                                                Quo vocaris unica.

Nomen tuum,                                                                                Ferte nobis ;

Nomen lectum                                                                                Deus vobis

Prebet nobis gaudia.                                                           Responsabit singula.

Mater, opem                                                                          Si sic agas

Nunc presentem                                                                             Tune nos amas :

Fer utriquefilio ;                                                                 Tuo quidem merito

Tuo namque                                                                                  Te amare

Nunc uterque                                                                                Et laudare

Indiget auxilio.                                                                        Nos perfecte credita.

Glosulas fecimus, nummos debemus. Ego clamidem feci de pellibus meis mirabilem, sed partent nummorum debeo, quos tu vel nobis affer vel mitte ad feriam que prope erit ibi.

[16] La cause des difficultés sans cesse renaissantes qu'éprouva saint Ives au sein même du Chapitre de son église cathédrale, ne doit pas être attribuée seulement aux réformes que le prélat tenta d'introduire ; elle avait une autre source. Le doyen Arnaud appartenait à la famille des seigneurs du Puiset, ces éternels ennemis de l'évêque de Chartres ; il était l'oncle de Guillaume du Puiset, seigneur de la Ferté-Arnaud, qui, vers 1120, fit don à l'abbaye de Saint-Père de l'église de Vicq, près Montfort. Sans trop de crainte de se tromper, on peut supposer qu'Arnaud avait conçu la pensée de succéder à l'évêque Geoffroy et qu'il dut éprouver une dure déception en voyant un étranger s'asseoir sur le trône episcopal de Chartres, qui semblait ne mieux convenir à personne qu'à un membre de la puissante famille du Puiset. De là sans doute la haine des Puisotiers ; de là l'hostilité permanente d'Arnaud, qui, soutenu d'ailleurs par le prévôt Hugues, son neveu, se trouvait, grâce à sa haute position de doyen, à la richesse de sa famille, au nombre de clients qu'il possédait parmi les chanoines, armé d'une puissance qui rendait son opposition formidable.

[17] Tandis qu'Ives s'adressait ainsi à l'archevêque de Sens, les conjurés écrivaient à Hildebert, évêque du Mans, près duquel ils espéraient trouver protection. A la fin de notre manuscrit sont un certain nombre de lettres de personnages contemporains de saint Ives, et parmi celles-ci, outre celle du doyen Arnaud et de son frère Jacques que nous avons rapportée plus haut, une lettre d'Arnaud, du chantre Hilduin et du prévôt Hugues à l'évêque du Mans, où ils le prient de venir défendre leur cause à l'assemblée que l'archevêque de Sens a convoquée à Étampes, pour le mercredi après le quatrième dimanche de carême.

[18] Casulœ Carianensis, chef-lieu d'un évêché dans l'Afrique proconsulaire.

[19] Plusieurs monastères en France portèrent le nom de la Charité. Celui dont il est ici question est le prieuré de la Charité-sur-Loire, membre dépendant de l'abbaye de Cluny, au diocèse d'Auxerre. Il venait alors d'acquérir une grande célébrité par le séjour qu'y fit Pascal II, du 8 au 10 mars 1107, pour la dédicace de sa basilique. « Le concours d'archevêques, d'évêques et d'abbés réunis en cette circonstance, dit Suger, formait comme un nombreux concile. » La plus haute noblesse du royaume s'y trouva assemblée. Le roi s'était fait représenter par le noble comte Guy de Rochefort, son sénéchal. » La foule qui se pressait sur le passage du pape était si nombreuse que l'église, les places, les rues du bourg et les coteaux voisins qui dominent la Loire pouvaient à peine la contenir.

[20] Comme nous l'apprend l'Histoire et comme nous l'indique saint Ives dans sa lettre CLXXXIII, beaucoup de biens ecclésiastiques furent donnés à des laïcs, aux IXe et Xe siècles, pour que ceux-ci les défendissent contre les invasions des Normands. De là les seigneurs se crurent parfois autorisés à envahir les revenus des églises : les évêques s'élevèrent toujours avec force contre ces usurpations. Si qui in hanc fraudent irruperint, dit Fulbert dans sa lettre XX, sicut fures sacrorum et occisores pauperum anathemate condemnentur.

[21] Nous trouvons, dans les Lettres de saint Ives, un grand nombre d'exemples qui prouvent quelle était au XIIe siècle la dissolution des mœurs du Clergé. Le célibat des prêtres était déjà assurément une règle établie par les canons (voir Lettre CCXX) ; mais on n'était pas encore assez éloigné des premiers siècles de l'Église pour que cette règle ne souffrît pas de nombreuses exceptions. Tout en condamnant formellement, dans beaucoup de passages, le mariage des prêtres, saint Ives établit cependant que, par le fait seul de son union avec une femme, le prêtre ne doit pas être excommunié. A cette même époque, Henri Ier, roi d'Angleterre, déclarait qu'il voulait que, dans son royaume, les prêtres eussent le droit de se marier comme ils l'avaient eu du temps de son père et de l'archevêque Lanfranc, et ce fut là l'une des principales causes de ses querelles avec saint Anselme. Enfin, dans le concile tenu le 20 octobre 1119 à Reims par le pape Calixte II, on jugea nécessaire de faire un canon spécial pour prohiber ces alliances.