Cogitosus

YVES DE CHARTRES.

 

LETTRES CI - CXXV

lettres LXXXI - C - lettres CXXI - CL

Œuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

LETTRES

DE

SAINT IVES

EVEQUE DE CHARTRES

TRADUITES ET ANNOTÉES

PAR LUCIEN MERLET

Membre correspondant de l'Institut.

CHARTRES

IMPRIMERIE GARNIER

15, rue du Grand-Cerf, 15

M DCCC LXXXV


 

 

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EPISTOLA XCIX. IVO, Dei gratia Carnotensis Ecclesiae minister, dilecto in Christo fratri et compresbytero GUALONI, salutem in Domino.

Sciscitata est a me dilectio tua utrum pueri sex annorum, vel infra, possint inter se sponsalium vel matrimonii contrahere sacramenta: et celebratis sponsalibus, si alter obierit, utrum possit superstes cum sorore, vel cum fratre defuncti inire matrimonium, cum quo prius inierat desponsationis vinculum (epist. 246). Et de matrimonio quidem, si legem naturalem consulimus, et verba Domini diligenter attendimus ubi dicit: Propter hoc relinquet homo patrem et matrem, et adhaerebit uxori suae, et erunt duo in carne una (Gen. II), respondere incunctanter possumus, quia tunc primum initur legitimum matrimonium, cum conjuges per commistionem carnis reddere sibi invicem possunt conjugii debitum. Si autem ante annos pubertatis ratione dilatandae vel conservandae Pacis inter aliquos talia sacramenta celebrantur, si inter eas personas fiat inter quas lex id fieri non prohibet, et ex amborum consensu, non reprehendimus, quia sicut papa Nicolaus dicit (epist. 243. l. VII et XI, d. De sponsalibus) ; « Matrimonium facit consensus, non coitus. » Unde etiam in libro Pandectarum, continetur libro XXIII titul. I: « In sponsalibus consensus eorum exigendus est, quorum in nuptiis desideratur. Et ideo sicut nuptiis, ita sponsalibus filiam famlias consentire oportet; » Et in consequentibus (l. XIII, d. eod. et epist. 134) : « Filiofamilias dissentiente, sponsalia ejus nomine fieri non possunt. » Qua autem aetate ista fieri debeant, nec ecclesiasticis, nec humanis legibus pleniter est diffinitum. Unde in supradicto continetur libro: « In sponsalibus contrahendis aetas contrahentium diffinita non est, ut in matrimoniis, » quapropter a primordio aetatis sponsalia effici possunt, si modo id fieri ab utraque persona intelligitur, id est, si non sint minores quam septem annis. Postquam vero sponsalia utriusque personae consensu contracta sunt, conjugii nomen acceperunt. Unde dicit Ambrosius ad exhortationem virginitatis, libro primo (epist. 148 et 246). « Desponsata viro conjugis nomen accipit. Cum initiatur conjugium, tunc conjugii assumitur; non enim defloratio virginitatis facit conjugium, sed pactio conjugalis. » Item Isidorus ethymologiarum lib. IX: « Conjuges veri appellantur a prima desponsationis fide, quamvis adhuc ignoretur conjugalis concubitus. » Inde etiam Augustinus in libro De nuptiis et concupiscentia: « Neque fallaciter ab angelo dictum est ad Joseph: Noli timere accipere Mariam conjugem tuam (Matth. I). Conjux vocatur a prima desponsationis fide, quam concubitu nec cognoverat, nec cognosciturus erat. His igitur auctoritatibus manifestum est quia postquam per desponsationis foedus inter duas personas ex majori parte fuerit conjugium ex utrorumque voluntate compactum, non potest (Gratianus causa 27, q. 2) ulterius frater uxorem fratris ducere nec soror sororis marito nubere. Unde legitur in concilio Triburiensi capitulo 10: « Decretum est ut, quamvis mulier nupta esse non potuerit legitimo viro, desponsatam tamen fratri frater habere non possit. » Haec tibi interim, charissime, ad interrogata sufficiant. Ex his enim quasi rationum scintillis poteris majora colligere et quibus necesse fuerit de propositis satisfacere. Vale.

 

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CI. (99, A et C. — 46, B.) Ives, par la grâce de Dieu, ministre de l'église de Chartres, à Galon,[1] son bien-aimé frère en Jésus-Christ et en sacerdoce, salut dans le Seigneur.

Ton affection s'est informée de moi si des enfants de six ans ou au-dessous peuvent contracter entre eux des engagements sacrés par la cérémonie des fiançailles ou du mariage, et si, dans le cas où les fiançailles auraient été célébrées, l'un des deux venant à mourir, l'autre pourrait contracter mariage avec la sœur ou le frère de celui auquel il avait été précédemment lié par les serments de fiançailles. Quant au mariage, si nous consultons la loi naturelle, si nous étudions attentivement les paroles du Seigneur : L'homme quittera son père et sa mère et restera attaché à son épouse, et ils seront deux dans une seule chair, nous pouvons répondre sans hésiter que le mariage légitime a lieu seulement lorsque les deux époux, par une union intime, peuvent se rendre le devoir conjugal. Si cependant, devançant les années de la puberté, pour développer ou pour conserver la paix entre des familles, on célèbre de tels sacrements, si l'union a lieu entre personnes qui peuvent le faire légitimement, si elle est contractée du consentement des deux parties, nous ne saurions la blâmer ; car, ainsi que le dit le pape Nicolas : Le consentement fait le mariage, et non la cohabitation. On lit aussi dans les Pandectes, livre 23, titre I : Pour les fiançailles, on doit exiger le consentement des mêmes personnes que pour le mariage. Aussi de même que pour les noces, pour les fiançailles le consentement de la fille de famille est nécessaire. Et plus loin : Sans le consentement du fils de famille les fiançailles faites en son nom sont nulles. A quel âge peut-on faire les fiançailles ? C'est ce qui n'est pleinement défini ni par les lois humaines ni par les lois ecclésiastiques. Aussi l'auteur des Pandectes dit : Pour les fiançailles l'âge des contractants n'est pas défini comme pour le mariage. Dès le plus jeune âge on peut donc faire des fiançailles, pourvu que chacun des contractants comprenne à quoi il s'engage, c'est-à-dire pourvu que chacun soit âgé au moins de sept ans. Du moment que les fiançailles sont faites avec le consentement des deux parties, elles reçoivent le nom de mariage. Ce qui fait dire à Ambroise, dans son Éloge de la Virginité, livre Ier : La femme fiancée à un homme reçoit le nom d'épouse. Dés que l'union est entamée, elle prend le nom de mariage ; car ce n'est pas la perte de la virginité qui fait le mariage, mais le pacte conjugal. Isidore dit de même au liv. IX de ses Étymologies : Dès les premiers serments de fiançailles, les promis sont de véritables époux, bien que la cohabitation conjugale n'existe pas encore. Et Augustin, dans son livre des Noces et de la Concupiscence : Ce n'est pas à tort, écrit-il, que l'Ange a dit à Joseph : « Ne crains rien, prends Marie pour ton épouse ; » car on devient époux des la première promesse des fiançailles, bien que la cohabitation n'ait pas lieu et ne doive peut-être jamais avoir lieu. L'autorité de ces paroles démontre évidemment que lorsque, par le lien des fiançailles, le mariage a été contracté pour la majeure partie, du consentement des deux personnes intéressées, le frère ne peut dans la suite se marier à la femme de son frère, ni la sœur au mari de sa sœur. Aussi lit-on dans le concile de Tribur, chap. 10 : Il a été décidé que bien qu'une femme n'ait pu être mariée légitimement à un homme, cependant le frère ne put épouser celle qui a été fiancée à son frère. Que ces réponses, mon cher frère, suffisent à tes demandes. De ces étincelles de raisons tu pourras tirer une plus grande lumière, et satisfaire aux désirs de ceux qui pourraient être intéressés dans la question. Adieu.

 

EPISTOLA C. IVO, Dei gratia Carnotensis Ecclesiae minister, JOANNI, eadem gratia Aurelianensis Ecclesiae episcopo, salutem.

Exspectans exspectavi et non intendisti mihi, quia altare de basilicis, quod mihi in concilio Pictavensi adjudicatum est, secundum judicium synodi non restituisti mihi. Paganus (epist. 112 et 114) enim praedicti altari sacrilegus invasor adhuc manum mittit ad sacrilegium, et tam tuo consensu quam Turonensis archiepiscopi patrocinio, cui plus justo subjacet fraternitas tua, sibi usurpat jus meum. Si autem huic rei consensum non praebere te dicas, credi non potest, qui pro officio tuo cum possis vindicare non vindicas: « Facientis autem procul dubio culpam habet (c. 3, dist. 86, et epist. 77), qui quod potest corrigere non studet emendare; nec caret naevo consensionis occultae, qui manifesto facinori desinit obviare. » Unde sciat fraternitas tua quia si de praedicto pervasore plenam justitiam mihi non feceris, quod exigi potest a faciente, de caetero quibus modis potero exigam a consentiente. Quid autem super hoc mihi facturus sis, per praesentium portitorem scripto mihi remandet tua fraternitas. Vale.

 

CII. (100, A et C. — 157, B.) Ives, par la grâce de Dieu, ministre de l'église de Chartres, à Jean, par la même grâce, évêque de l'église d'Orléans, salut.

J'ai attendu longtemps une satisfaction que tu ne m'as pas donnée. Le concile de Poitiers m'ayant adjugé le droit d'autel à Bazoches-en-Dunois, tu aurais dû obtempérer à sa décision, et tu as refusé jusqu'ici de me rendre justice à cet égard. Payen en effet, usurpateur sacrilège de cet autel, persévère dans sa criminelle entreprise, et, de ton consentement et de celui de l'archevêque de Tours, à qui ta fraternité est soumise plus qu'il ne convient, continue à détenir ce qui m'appartient. Si tu objectes que tu ne donnes pas ton assentiment à son usurpation, je ne puis te croire, puisque, quand par ton office tu pourrais me faire rendre cet autel, tu ne le fais pas. Ne pas arrêter le mal de tout son pouvoir quand on a la puissance de s'y opposer, c'est encourir la même faute que celui qui fait le mal ; ne pas se mettre à la traverse d'un crime évident, c'est s'exposer à la tache d'un consentement secret. Que ta fraternité sache donc que si elle ne fait pas pleine justice de cet usurpateur, la réparation qu'on peut exiger d'un malfaiteur je l'exigerai de toutes les manières de son fauteur. Par le porteur des présentes mande-moi par écrit ce que compte faire ta fraternité en cette occurrence. Adieu.

 

EPISTOLA CI. IVO, humilis Ecclesiae Carnotensis minister, ADELAE excellenti comitissae, salutem et orationum munus.

Audivi quod a Radulfo archipresbytero nostro bannum leugae requiritis propter quamdam pseudomonacham, cujus reculas saisivit, quas apud quemdam Burgensem Blesensem invenit. Unde rogamus et monemus excellentiam vestram ut hanc nobis non inferatis injuriam (sic epist. 121). Omnes enim pseudopraedicatores, et pseudomonachi, et pseudoclerici fornicatores, adulteri, foeneratores et alii qui in Christianismo offendunt (exceptis his qui poena capitali puniendi sunt), a nobis distringendi et corrigendi sunt, et ipsi et eorum res nostri sunt juris. Et haec est antiqua et inconcussa consuetudo non tantum Carnotensis Ecclesiae, sed omnium ecclesiarum per totum regnum Galliarum et hoc astruere parati sumus, sive in Ecclesia nostra, sive in omni Ecclesia quae canonicum super nos possit facere judicium. Cesset ergo a tali incoepto prudentia vestra et sicut inconcussum vultis habere principatum vestrum, sic Ecclesiam permittite habere jus suum. Nec obsit nobis apud excellentiam vestram, quod vos et vestra diligimus, et inviti adversum vos aliquid etiam ratione movente attentamus. Sciat autem prudentia vestra quia quod fecerunt ministri vestri in praedictum archipresbyterum, graviter ferimus, sed propter dilectionem vestram dissimulamus. Sed si res in pejus, quod absit! se verterit, adhuc ab eis pro officio nostro districte exigemus. Valete.

 

CIII. (101, A et C. 138, B.) Ives, humble ministre de l'église de Chartres, à Adèle excellente comtesse, salut et hommage de prières.

J'ai appris que vous invoquiez le droit de banlieue contre Raoul, notre archiprêtre,[2] parce qu'il a saisi les effets d'une fausse religieuse chez un bourgeois de Blois où il les a trouvés. Nous prions et conjurons votre excellence de ne pas nous faire cette injure. En effet tous les faux prédicateurs, les feux moines, les faux clercs, les fornicateurs, les adultères, les usuriers et tous autres qui offensent la loi chrétienne (excepté ceux qui encourent la peine capitale) tombent sous notre justice et notre répression, et eux et leurs biens sont de notre juridiction. C'est là l'antique et inviolable coutume, non seulement de l'église de Chartres, mais de toutes les églises du royaume de France, et nous sommes prêt à le prouver, soit dans notre église, soit dans toute autre où nous pourrions être jugé canoniquement. Que votre prudence abandonne donc son entreprise, et de même que vous vouiez posséder sans conteste votre seigneurie, de même souffrez que l'Église jouisse inviolablement de son droit. Nous ne voulons pas non plus que votre excellence se prévale de l'affection que nous avons pour elle et les siens et du regret que nous éprouverions d'être forcé d'agir contre elle pour quelque motif impérieux. Que votre prudence sache bien que nous sommes blessé de la conduite de vos officiers vis-à-vis de notre archiprêtre, et que, si nous dissimulons encore, c'est à cause de l'affection que nous vous portons. Mais si l'affaire s'envenime, ce qu'à Dieu ne plaise, nous agirons contre vos gens avec toute la sévérité de notre office. Adieu.

 

EPISTOLA CII. MANASSAE reverendo Remorum archiepiscopo, IVO, humilis Carnotensis Ecclesiae minister, salutem in Domino

Quam crebris luporum incursionibus, quam multiplicibus filiorum alienorum deceptionibus aggravata sit Belvacensis Ecclesia, non est necessarium vestram docere prudentiam, cujus ista non praeteriere notitiam. Sed, quia Ecclesia illa in Christo me genuit, et fundamentum religionis in me posuit, quamvis ab aliis, quantum Deus donavit, superaedificatum sit, cum infirmatur, non possum non infirmari; cum scandalizatur, non possum non uri. Unde non miretur vigilantia vestra, si apud paternitatem vestram intercedo pro genitrice et nutrice mea, ut vos qui quotidianas ejus ruinas frequenti relatione cognoscitis, pro officio vestro lamentabilibus ejus lapsibus occurrere studeatis. Vestrum est enim dissipatas oves in die nubis et caliginis per avia quaerere, et ad ovile, quantum ad vos pertinet, reducere, licet velint errare, licet velint perire (ep. 89, in fine; S. August. in c. Displicet caus. 23, q. 4). Vestrum est etiam quaerendo oves perditas, per ardua vos et aspera coarctare, ut possitis gaudens et non gemens bonam aeterno Judici de commissa vos sollicitudine rationem reddere. Vestrum est oves morbidas quae contagione sua plurimas perdunt, ab ovili interim removere, et inter eas quae vocem pastoris audiunt non connumerare; sanis autem et non errantibus pascua providere, et pastori quem oves cognoscunt et expetunt, ovile committere. Et quia integritatem personae electi per vos bene nostis, et voluntatem summi pontificis et consilium super hoc audistis, sanum consilium mihi videretur ut communicato et confirmato cum coepiscopis consilio, consecrationem electi praedictae Ecclesiae acceleraretis, ne differendo, vel non faciendo quod vestrum est, honorem vestrum alteri detis. Non enim licet regibus, sicut sanxit octava synodus, quam Romana Ecclesia commendat et veneratur, electionibus episcoporum se immiscere, vel aliqua eas ratione impedire. Francorum etiam reges Carolus et Lodovicus electiones episcoporum Ecclesiis concesserunt, quod et in suis capitularibus scriptum reliquerunt (lib. I, c. 84), et in conciliis episcoporum provincialibus sanciri permiserunt. Habeat ergo Deus in Ecclesia sua principaliter quod suum est. Habeat rex posteriori ordine post Deum quod sibi a Deo concessum est. Neque id impedire videatur quod regi de obnoxietate parentum ejus invidiose suggestum est, quia secundum mediocritatem suam de honestis parentibus progenitus est, et obnoxietas eorum a nullo vivente legitime comprobari potest. Quod si Deus vult humilia et mundi infirma suo more eligere ut confundat fortia, quis est qui possit vel debeat ejus ordinationi resistere? Sic David de post fetantes ad regnum assumptus est. Sic Petrus ad summum apostolatum de piscatione vocatus. Sic multi egeni de pulvere suscitati et ad summa regimina Dei providentia sublimati, ut ostenderet quia apud eum mundi sapientia vel saecularis potentia nullius sunt momenti. Sed quia haec omnia non ignota sunt vobis, summam repetendo concludam nostrae apud vos intercessionis, videlicet ut labenti Ecclesiae cito subvenire studeatis. Vale.

 

CIV. (102, A et C. — 47, B.) A Manassès, révérend archevêque de Reims, Ives, humble ministre de l'église de Chartres, salut dans le Seigneur.

Je n'ai pas besoin d'apprendre à votre prudence, car vous ne l'ignorez pas, combien l'église de Beauvais a eu à souffrir des fréquentes déprédations des loups, des trahisons multipliées de quelques fils étrangers. Cette église m'a enfanté dans le Seigneur, et a posé en moi les bases de l'édifice spirituel, que d'autres, par la volonté de Dieu, ont achevé de construire sur ces fondements : aussi, quand elle souffre, je ne puis pas ne pas souffrir ; quand elle est scandalisée, je ne puis pas ne pas être déchiré. Que votre vigilance ne s'étonne donc pas de me voir intercéder près de votre paternité pour ma mère et ma nourrice : vous qui connaissez, par de fréquents rapports, ses ruines journalières, veuillez, suivant votre office, la secourir dans ses chutes lamentables. A vous de chercher à travers le brouillard et l'obscurité les brebis errantes et de les ramener, autant que vous le pourrez, vers le bercail, même quand elles veulent errer à l'aventure, même quand elles veulent périr. A vous, en cherchant les brebis perdues, de vous engager dans les voies rudes et difficiles, afin que, plein de joie et non de repentir, vous puissiez rendre au juge éternel bon compte du troupeau confié à vos soins. A vous d'éloigner du bercail les brebis malades, qui en perdent d'autres par leur contagion, et de ne plus les compter parmi celles qui entendent la voix du pasteur. Fournissez au contraire de bons pâturages aux brebis saines et restées à la bergerie, et confiez-les à un pasteur qu'elles connaissent et qu'elles désirent. Comme donc vous savez par vous-même l'honnêteté de la personne de l'élu, comme vous avez appris à ce sujet la volonté et l'avis du souverain pontife, il me semble que vous devez, après vous être concerté avec vos coévêques et vous être fortifié de leur conseil, hâter la consécration de l'élu de l'église de Beauvais, de peur qu'en différant ou qu'en ne faisant pas ce qu'il vous appartient de faire, vous ne vous exposiez à voir vos prérogatives passer à un autre. Il n'est pas en effet permis aux Rois, comme l'a sanctionné le huitième synode que l'Église Romaine suit et approuve, de s'immiscer dans les élections des évêques ou de les empêcher pour des raisons quelconques. Les rois des Francs, Charles et Louis, ont concédé aux églises l'élection des évêques, comme on le voit dans leurs capitulaires, et ont accordé aux conciles provinciaux le droit de confirmer cette élection. Que Dieu d'abord ait dans son église ce qui lui appartient ; que les Rois ensuite après Dieu aient ce qui leur a été concédé par Dieu. Son élection ne peut d'ailleurs être viciée par cette insinuation malveillante qu'on a faite auprès du Roi de l'état servile de ses parents ; car il est né de parents honnêtes quoique d'une position obscure, et leur servilité n'a jamais pu être légitimement établie par personne. Si Dieu veut à son gré choisir les humbles et les déshérités de ce monde pour confondre l'orgueil des grands, qui donc peut et doit résister à sa volonté ? Ainsi David de berger monta sur le trône. Ainsi Pierre de l'état de pêcheur fut appelé au souverain apostolat. Ainsi beaucoup de pauvres furent tirés de la poussière et élevés par la providence de Dieu aux fonctions les plus hautes, parce que Dieu voulait montrer que près de lui la sagesse du monde et la puissance du siècle ne sont d'aucune valeur. Mais vous n'ignorez rien de tout cela : aussi je me résume en intercédant près de vous pour que vous vous hâtiez de secourir cette église près de s'écrouler. Adieu.

 

EPISTOLA CIII. PASCHALI summo pontifici, IVO, humilis Carnotensis Ecclesiae minister, cum Petro militare et cum Petro donativum recipere.

Filius vester et confrater noster Silvanectensis Episcopus (epist. 244 et 258) pro Romana Ecclesia contra Romanam Ecclesiam absque audientia et judicio de propria sede pulsus, rerumque suarum damna perpessus, quamvis hoc anno redierit a sede apostolica munitus litteris apostolicis, tamen nec apud regem tribulationis suae aliquod invenit remedium, nec apud metropolitanum suum paternum suffragium, nec apud comprovinciales suos fraternum solatium. Reditus quoque praebendae suae Parisiensis, de qua specialiter intuitu misericordiae mandaveratis, nullos recepit, imo, sicut dicitur, decanus Parisiensis praebendam suam alteri tradens, episcopi praebendam sibi mancipavit. Condolens itaque non tantum ejus miseriae, quantum ingemiscens apostolicae sedis injuriae, hac aestate, eum apud me detinui, et pro modulo meo stipendia ministravi. Supplicando itaque moneo, et monendo supplico, ut tam pro vestra quam pro destituti filii injuria, jam non desistatis arcum intendere; sed cervici eorum, qui contemptores exstiterunt praeceptorum apostolicorum, nitamini gladium fortiter imprimere. Si enim filius vester, creatio vestra, sub maternis alis protectionem non invenerit, ignotus quid sperabit? Sicut igitur Romana Ecclesia omnium Ecclesiarum mater est et magistra (c. Non decet., dist. 12) ; sic eam decet filiorum injurias propulsare, et contemptorum inobedientiam vindicare, ut et filius fuisse se subditum gaudeat, et contemptores inobedientes se fuisse poeniteat. Valete.

 

CV. (103, A et C. — 48, B.) A Pascal, souverain pontife, Ives, humble ministre de l'église de Chartres, combat avec Pierre et récompense avec Pierre.

Votre fils et notre confrère, l'évêque de Senlis,[3] pour la défense de l'Église Romaine, au mépris de l'Église Romaine, a été chassé, sans débat et sans jugement, de son propre siège et a perdu tous ses biens. Il était revenu cette année du siège apostolique, muni de lettres du souverain pontife, et cependant il n'a pu trouver près du Roi un remède à sa tribulation, ni près de son métropolitain un secours paternel, ni près de ses comprovinciaux une consolation fraternelle. Il n'a reçu aucuns revenus de sa prébende de Paris que votre miséricorde lui avait particulièrement assignée : bien plus, on nous a rapporté que le doyen de Paris, cédant sa propre prébende à un autre, s'était emparé pour lui-même de la prébende de l'évêque. Plein de compassion pour son infortune, mais surtout gémissant de l'outrage fait au siège apostolique, je l'ai gardé, cet été, près de moi[4] et, suivant mes moyens, je lui ai fourni les choses nécessaires à la vie. Je vous supplie et vous demande, je vous demande et vous supplie, pour venger l'injure faite à vous et à votre fils qu'ils ont dépouillé, de ne point cesser de tendre votre arc ; levez hardiment votre glaive sur la tête de ceux qui se montrent les contempteurs des préceptes apostoliques. Car si votre fils, que vous avez vous-même établi, ne trouve pas protection sous les ailes maternelles, quelle espérance y aura-t-il pour un inconnu ? De même que l'Église Romaine est la mère et la maîtresse de toutes les églises, de même il convient qu'elle venge les injures faites à ses fils et qu'elle punisse la désobéissance de ceux qui la méprisent. Ainsi le fils se réjouira d'être resté soumis ; ainsi les indociles se repentiront de n'avoir pas obéi. Adieu.

 

EPISTOLA CIV. PASCHALI summo pontifici, IVO, humilis Carnotensis Ecclesiae minister, cum devoto filii affectu debiti famulatus obsequium.

Belvacenses clerici melioris famae, et consilii sanioris, praecedente consilio vestro, consilio optimatum dioecesis suae, et laude populi domnum Galonem (epist. 105) virum vita honestum, litteralibusque studiis et ecclesiasticis disciplinis ornatum in episcopum sibi elegerunt. Pauci tamen ex clericis Stephani illius (epist. 95) repudiati complices, quos sibi pelliculis peregrinorum murium atque aliis hujusmodi vanitatum aucupiis inescaverat, huic electioni non assenserunt, nec tamen ei aliquid quod sacris canonibus obviet, objicere potuerunt. Cum vero rem per se impedire non valerent, regem adierunt, quaedam verba auribus ejus instillaverunt, quae facile in cor ejus eliquaverunt, videlicet quod praedictus electus discipulus meus fuerit apud me nutritus, apud me eruditus, addentes quod a sanctitate vestra fuerit electus, et quod magnus ei futurus esset adversarius si in regno ejus aliquando fieret episcopus. Rex itaque virulentis his verbis succensus, et ab omni bona voluntate turbatus non vult electioni assensum praebere, nec electo bona episcopalia dimittere. Unde electores ejus ad paternitatem vestram jam confugissent, nisi quia metropolitanus eorum eos detinet condicto die inter contradictores et electores, sicut dicitur pacem volens componere, vel forsitan propter voluntatem regis rem callide impedire. Superest ergo, dilectissime Pater, ut pro potestate et auctoritate vestra, sicut coepistis, Ecclesiae, prout clerici rationabiliter postulaverint, succurratis, et consilium vestrum inconfusibile faciatis, ne insidiatores et detractores vestri, subsannando de vobis dicere incipiant: Hic homo coepit aedificare, et non potuit consummare (Luc. XIV). De caetero notum facio sanctitati vestrae, quod Francorum rex Romam in proximo se venturum dicit, quod tamen non credimus. Sed seu veniat, seu mittat, cavete et vobis et nobis, ut semper clavibus et catenis Petri fortiter teneatur. Et si forte absolutus fuerit, et ad vomitum, sicut jam contigit, reversus fuerit, e vestigio eisdem clavibus recludatur, eisdem catenis religetur. Et hoc litteris vestris omnibus Ecclesiis manifestetur. Ita enim corrosorum dentes confringetis, et justitiae satisfacietis. Quod si forte Deus cor ejus ad poenitentiam illustraverit, mementote nostri qui portavimus pondus diei et aestus, ut, sicut fuimus particeps tribulationis, ita simus et consolationis. Valete.

 

CVI. (105, A. — 49, B. — 104, C.) A Pascal, souverain pontife, Ives, humble ministre de l’église de Chartres, hommage du service qui lui est dû, avec l'affection dévouée d'un fils.

Les clercs de Beauvais, les mieux renommés et les plus sages, d'après votre avis, d'après celui des principaux du diocèse et avec l'approbation du peuple, ont élu pour leur évêque le seigneur Galon, homme d'une vie sans tache, instruit dans les belles-lettres et dans la doctrine ecclésiastique. Mais un petit nombre de clercs, complices d'Etienne, cet aspirant rejeté, séduits par des peaux de martres et autres hochets de vanité qu'il leur avait donnés, ne voulurent pas accorder leur assentiment à cette élection, sans néanmoins rien objecter qui eût été contraire aux sacrés canons. Voyant qu'ils ne pouvaient pas eux-mêmes empêcher l'élection, ils allèrent trouver le Roi et lui soufflèrent dans l'oreille de mauvaises raisons qui se glissèrent facilement dans son cœur. Ils lui remontrèrent que Galon était mon disciple,[5] nourri près de moi, instruit près de moi, qu'il avait été élu par votre sainteté, qu'il deviendrait son adversaire acharné si un jour il était évêque dans le royaume. Le roi, excité par ces paroles empoisonnées et perdant toute bonne volonté, ne veut plus consentir à l'élection, ni remettre à l'élu les biens de l'évêché. Ses électeurs se fussent déjà réfugiés vers votre paternité, mais leur métropolitain les retient, parce qu'il leur a assigné un jour à eux et à leurs contradicteurs, sous prétexte de rétablir la paix entre eux, mais peut-être plutôt pour trouver quelque ruse afin d'empêcher l'élection suivant la volonté du Roi. Il vous reste donc, très cher père, comme vous l'avez commencé, à venir au secours de cette église suivant votre pouvoir et votre autorité, ainsi que les clercs vous le demandent raisonnablement. Ne laissez pas confondre vos décisions, afin que vos ennemis et vos détracteurs ne puissent pas dire de vous en se moquant : Cet homme a commencé à bâtir, mais il n'a pu achever son édifice.

Je fais en outre savoir à votre sainteté que le roi de France dit qu'il doit aller prochainement à Rome, mais nous ne le croyons pas.[6] Qu'il y aille ou qu'il y envoie, prenez garde pour vous et pour nous qu'il soit toujours enfermé sous les clefs et lié par les chaînes de Pierre. Et si par hasard il était absous et qu'il revînt à son crime, comme cela est déjà arrivé, qu'il soit aussitôt enfermé sous les mêmes clefs, lié par les mêmes chaînes, et que vos lettres l'apprennent à toutes les églises. Ainsi en effet vous briserez les dents des envieux, et vous satisferez à la justice. Que si au contraire Dieu voulait éclairer son cœur et l'amener à la pénitence, souvenez-vous de nous qui avons porté le poids de la chaleur du jour, afin que, comme nous avons partagé la tribulation, nous partagions aussi la consolation. Adieu.

 

EPISTOLA CV. PASCHALI summo pontifici, IVO, humilis Carnotensis Ecclesiae minister, spiritu fortitudinis abundare.

De tribulatione qua a filiis vexatur alienis Belvacensis Ecclesia, et de regis Francorum in flagitio suo sacrae religioni perniciosa et ignominiosa pertinacia (epist. 13 et 104), nihil apertius et nihil vestrae auctoritati utilius et honestius scribere vel dicere possum quam scripsi (epist. 104), praeter quod sacramentum sacris canonibus et omni religioni obvium per quemdam servientem suum ad suggestionem Drogonis cantoris, qui omni reilgioni, quantum praevalet, adversatur, dari fecit, quod Galo in vita ejus nunquam futurus esset Belvacensis episcopus (epist. 104). Qua in re prudentiam vestram muniri oportet spiritu fortitudinis, quia si tali sacramento annullari potest canonica electio, nulla ulterius in regno Francorum futura est, nisi aut Simoniaca aut violenta intrusio. Quod si sanctitati vestrae objicitur regem non oportere cogi ad perjurium, recordari potestis quid dicat beatus Ambrosius libro primo De officiis. Dicit enim (Gratia. cau. 22, q. 4) : « Est nonnunquam contra officium promissum custodire sacramentum, ut Herodes qui juravit quoniam quidquid petiturus esset, daret filiae Herodiadis, et necem Joannis concessit ne promissum negaret. » Dicit etiam Augustinus in sermone quem fecit in decollatione Joannis Baptistae: « Video David hominem pium, sanctum in jurationem temerariam procidisse, et maluisse non facere quod juraverat quam jurationem suam fuso sanguine hominis implere. » Item: « Juravit David temere, sed non implevit jurationem majori pietate. De duobus peccatis elegit minimum. » Item Ambrosius in libro tertio De officiis: « Plerique saepe se constringunt jurisjurandi sacramento, et cum ipsi congnoverint promittendum non fuisse, sacramenti tamen contemplatione faciunt quod spoponderunt, sicut de Herode supra scripsimus. Quanto tolerabilius fuisset tale perjurium sacramento, si tamen perjurium dici posset, quod ejuratus inter saltantium choros promiserat? » Item Hieronymus, lib. I super Jeremiam. « Animadvertendum quod jusjurandum hos habeat comites, veritatem, judicium atque justitiam (epist. 16, et in c. 2, cau. 22, q. 2). Si ista defuerint, nequaquam juramentum erit, sed perjurium. » Et in actione septimae synodi legitur (c. Actione. cau. 22, q. 4) : « Herodes observavit sacramentum, et periit. Petrus negavit cum juramento, et conversus flevit et salvatus est. » Sed quia scientibus ista loquor, non docendo sed commemorando et commonefaciendo haec dicere me arbitror. Ad summam veniam. Si rex a sanctitate vestra, seu per se, seu per alios poenitentiam acceperit, et, ut pro certo credimus, ad vomitum reversus fuerit (epist. 104), qualiter me habere debeam, instruite et litteris praemunite. Valete.

 

CVII. (106, A. — 50, B. — 105, C.) A Pascal, souverain pontife, Ives, humble ministre de l'église de Chartres, esprit de force en abondance.

Au sujet des tribulations que l'église de Beauvais a à endurer de la part de fils étrangers, au sujet de l'opiniâtreté du roi de France dans son crime, opiniâtreté si pernicieuse et si honteuse pour la sainte religion, je n'ai rien à écrire ni à dire à votre sainteté de plus clair, de plus utile, de plus juste que ce que je vous ai déjà écrit. Cependant je dois vous faire savoir que, par un de ses serviteurs, à la suggestion du chantre Dreux, ennemi déclaré de toute religion, le Roi a fait le serment, contraire aux sacrés canons et à toute foi, que jamais, lui vivant, Galon ne serait évêque de Beauvais. Que votre prudence s'arme, en cette circonstance, de l'esprit de force ; car si par un pareil serment une élection canonique peut être annulée, il n'y aura plus à l'avenir dans le royaume de France que des intrusions simoniaques et violentes. Si l'on objecte à votre sainteté qu'il est impossible de forcer le Roi à un parjure, vous pouvez vous rappeler ce que dit saint Ambroise dans le Ier livre des Devoirs : Il est quelquefois contraire au devoir d'observer un serment juré, comme Hérode qui jura de donner à la fille d'Hérodiade tout ce qu'elle lui demanderait et qui lui accorda la mort de Jean pour ne pas manquer à son serment. Augustin dit aussi dans son sermon sur la Décollation de Jean-Baptiste : Je vois David, homme pieux et saint, qui fait un serment téméraire, mais qui aime mieux ne pas accomplir ce qu'il avait juré que de remplir son serment en versant le sang d'un homme. Et encore : David jura témérairement, mais par piété il n'accomplit pas son serment. De deux péchés il choisit le moindre. De même encore Ambroise, dans le 3e livre des Devoirs : Beaucoup se lient par serment et lorsqu'ils reconnaissent qu'ils ont eu tort de jurer, ils font néanmoins ce qu'ils ont promis pour ne pas être parjures, comme nous l'avons rapporté d'Hérode. Combien le parjure eût été préférable à l'accomplissement d'un tel serment, si toutefois on peut appeler parjure la violation d’un serment fait au milieu des chœurs de danse ! Jérôme dans son livre Ier sur Jérémie : Il faut considérer, dit-il, que trois qualités doivent accompagner le serment : la vérité, le droit et la justice. Si ces trois qualités manquent, ce n'est pas un serment, mais un parjure. Dans les actes du septième synode, on lit : Hérode observa son serment et périt ; Pierre nia avec serment, puis se repentit et pleura, et il fut sauvé. Mais comme je parle à quelqu'un qui sait aussi bien que moi, je ne prétends pas vous enseigner, mais vous remémorer. Je me résume. Si le Roi, après avoir reçu de votre sainteté, soit par lui, soit par d'autres, le pardon, revient à son ancienne faute, comme nous le tenons pour certain, instruisez-moi à l'avance par lettre de la conduite que je devrai observer. Adieu.

 

EPISTOLA CVI. HENRICO excellenti Anglorum regi, IVO, humilis Carnotensis Ecclesiae minister, in eo vivere et regnare per quem reges regnant.

Quoniam paterni regni solium conscendere vos fecit divina dispensatio, pro gratia nobis collata divinam interpellamus clementiam, quatenus paternos mores, paternam vos faciat imitari honorificentiam, ut in nullo vestra sublimitas ab eorum nobilitate degeneret, et in nullo ab eorum frugalitate declinet. Et quia res omnes non aliter bene administrantur, nisi cum regnum et sacerdotium in unum convenerint studium (epist. 60, 214 et 239), celsitudinem vestram obsecrando monemus, quatenus verbum Dei in regno vobis commisso currere permittatis, et regnum terrenum coelesti regno, quod Ecclesiae commissum est, subditum esse debere semper cogitetis. Sicut enim sensus animalis subditus debet esse rationi, ita potestas terrena subdita esse debet ecclesiastico regimini. Et quantum valet corpus nisi regatur ab anima, tantum valet terrena potestas nisi informetur et regatur ecclesiastica disciplina. Et sicut pacatum est regnum corporis, cum jam non resistit caro spiritui, sic in pace possidetur regnum mundi, cum jam resistere non molitur regno Dei. Hoc cogitando, servum servorum Dei vos esse intelligite, non dominum; protectorem, non possessorem; unam debere esse de cedris Libani quas plantavit Dominus, in qua nidificent passeres (Psal. CIII), id est sub cujus tutela quiete fructificent, et conversentur Christi pauperes; quorum orationes pro statu regni vestri et incolumitate vestra quanto quietiores, tanto saniores, quanto saniores, tanto constat esse efficaciores. Hoc enim faciendo, et regnum terrenum quiete Deo cooperante possidebitis, et ad regnum aeternum ejusdem miseratione pervenietis. De caetero commendo vobis hos canonicos nostros praesentium litterarum portitores quos Ecclesia nostra excellentiae vestrae pro sua necessitate transmittit, quatenus, ea audita, prout vobis visum fuerit et Deus inspiraverit, eidem necessitati occurratis, et charitatem, quam erga eamdem Ecclesiam parentes vestri habuerunt (epist. 118), et vos habere studeatis. Eadem enim Ecclesia parentes vestros specialius caeteris benefactoribus suis habet in memoria, tam pro eorum excellentia quam pro eorum munificentia. Valete.

 

CVIII. (107, A. — 51, B. — 106, C.) A Henri, excellent roi des Anglais,[7] Ives, humble ministre de l'église de Chartres, vie et puissance en celui qui fait régner les rois.

Comme la divine providence vous a appelé sur le trône de votre père, par la grâce qui nous est conférée, nous implorons la divine clémence pour qu'il lui plaise vous faire imiter les mœurs paternelles, l'honneur paternel : que votre sublimité ne dégénère en rien de la noblesse de l'illustre Guillaume et n'abandonne en rien la simplicité qui le distinguait. Il ne saurait y avoir de bonne administration sans concorde entre la royauté et le sacerdoce. Aussi nous conjurons votre grandeur et nous lui conseillons de laisser la parole de Dieu courir librement dans le royaume qui vous est confié et de ne jamais oublier que le royaume terrestre doit être subordonné au royaume céleste qui a été confié à l'Église. Comme le sens animal doit être subordonné à la raison, de même la puissance terrestre doit être soumise au gouvernement ecclésiastique. Si le corps n'est régi par l'âme, il n'a plus de valeur ; il en est ainsi de la puissance terrestre si elle n'est animée et régie par la discipline de l'Église. Et de même que le règne du corps est paisible quand la chair ne résiste plus à l'esprit, de même les royaumes du monde sont en paix lorsqu'ils ne tentent pas de résister au royaume de Dieu. Dans cet ordre d'idées, comprenez que vous êtes le serviteur des serviteurs de Dieu et non leur maître, leur protecteur et non leur possesseur. Vous devez être un de ces cèdres du Liban qu'a plantés le Seigneur, où les passereaux font leur nid, c'est-à-dire sous la tutelle duquel les pauvres du Christ fructifient en paix et se reposent. Leurs prières pour le salut de votre État et la conservation de votre personne seront d'autant plus saines qu'elles seront plus tranquilles, d'autant plus efficaces qu'elles seront plus saines. En agissant ainsi, vous posséderez en repos, avec l'aide de Dieu, votre royaume terrestre, et par la miséricorde divine, vous parviendrez au royaume éternel.

Je vous recommande nos chanoines, porteurs de cette lettre, que notre église députe à votre excellence pour lui exposer ses besoins. Lorsque vous les aurez entendus, venez à notre aide selon votre bon plaisir et l'inspiration divine, et montrez envers notre église la charité que vos parents lui ont toujours témoignée. Car l'église de Chartres a la mémoire de vos pères plus chère que celle d'aucuns de ses bienfaiteurs, tant à cause de leur excellence que de leur munificence. Adieu.

 

EPISTOLA CVII. Reverendae Anglorum reginae MATHILDI, IVO, humilis Carnotensis Ecclesiae minister, in finibus terrae audire sapientiam Salomonis.

 Quoniam unam te esse de prudentibus mulieribus fama divulgante cognovimus, corpore longe positam, praesentem te nobis bonae opinionis odor exhibuit, et ad diligendam charitatem, quam in te castarum mentium sponsus ordinavit, excitavit. Unde a tua excellentia mutuam promereri cupimus dilectionem, quam propter praeclaram memoriam reginae Angelorum Mariae, Ecclesiae, cui auctore Deo, licet indigni, deservimus, ante tua tempora exhibuerunt reginae Anglorum. Nec indecens est religioni et famae tuae, si quem diligere debes communi sorte ut hominem, quodam privilegio diligas ut Christi sacerdotem, et Christianae religionis pro suo modulo dilectorem. Hac itaque confidentia transmisimus tuae liberalitati duos de canonicis nostris, qui necessitatem Ecclesiae nostrae tibi referant, et benedictionem quam cordi tuo Deus immiserit (epist. 142), sicut benedictionem accipiant. Peto etiam ut ad imprimendam arctius menti meae tuae excellentiae memoriam, poderem, vel aliquam aliam vestem sacerdotalem parvitati meae transmittas qualem deceat et reginam dare, et episcopum in celebratione divinorum sacramentorum induere. Valete.

 

CIX. (108, A. — 52, B. — 107, C.) A Mathilde, révérende reine d'Angleterre,[8] Ives, humble ministre de l'église de Chartres, bonheur d'entendre à l'extrémité du monde la sagesse de Salomon.

La renommée nous a fait connaître que tu étais une des femmes fortes de l'Écriture. Bien que tu sois loin de nous, l'odeur de ta bonne réputation te rend présente devant nous et nous fait chérir la charité que l'époux des âmes chastes a imprimée dans ton cœur. Aussi nous voudrions mériter de ton excellence l'affection réciproque qu'autrefois, en souvenir de Marie, la reine des Anges, témoignèrent les reines des Angles[9] envers l'église à laquelle, quoique indigne, Dieu nous a préposé. Il n'est en rien contraire à la religion et à ton honneur de chérir, par une sorte de privilège, comme prêtre du Christ, comme serviteur fidèle de la religion chrétienne, celui que par la loi commune tu dois chérir comme homme. Dans cette confiance, nous avons envoyé vers ta libéralité deux de nos chanoines pour t'exposer les besoins de notre église et pour recevoir, comme une preuve de ta bienveillance, ce que Dieu t'inspirera de nous donner. Pour mieux graver dans mon cœur le souvenir de ton excellence, daigne envoyer à mon humilité une soutanelle ou quelque habit sacerdotal,[10] tel qu'il sied à une reine de le donner et à un évêque de le porter dans la célébration des saints mystères. Adieu.

 

EPISTOLA CVIII. PASCHALI summo pontifici, IVO, humilis Ecclesiae Carnotensis minister, debitam cum omni devotione obedientiam.

 Quanta charitate hactenus sollicitudo Romanorum pontificum quieti invigilaverit monachorum, quanto fervore studuerit procul fieri infestationes monasteria gravantium a vexatione monasteriorum, quanto etiam cautelae studio discuti mandaverit personas et causas accusantium et testificantium, non est nostrum docere doctores nostros a quibus tantum exspectamus formam praecepta implendi, sicut accepimus regulam praecipiendi. Quae omnia si observare vult sanctitas vestra in causa domni abbatis Majoris-Monasterii, nec accusatores admittendos credimus ad accusandum, nec testes ad testificandum. Primo enim si personam accusatoris, Turonensis videlicet archiepiscopi attendimus, pene omnia quae in ordinatione ejus facta sunt, contra ordinem usurpata sunt. Crimina vero adversum se commissa vel in se admissa, perjurium videlicet et proditio, quae in praedictum abbatem intendit, non sunt facile, quantum videtur, a judicibus ecclesiasticis audienda; quae aut nunquam perpetrata sunt, aut ordinata curatione ad sanitatem perducta sunt, cum dicat Apostolus: Qui videbantur esse columnae, quales antea fuerint, nihil mea interest. Deus enim personam hominis non accipit (Gal. II). Quae si vera essent, tunc dicenda fuissent, quando videbat eum in publicis conventibus de ecclesiasticis negotiis cum episcopis judicantem, pontificalia sacramenta tractantem; quae tractare non debet nisi manus a crimine immunis, et conscientia innocentiae testis. Si de his recte pulsari poterat, magis arguendus erat propter usurpationem sacerdotii quam propter gerendam sollicitudinem monasterii, in qua nullum novimus esse genus ecclesiastici sacramenti, cum dicat Hieronymus monachorum institutor praecipuus (sup. epist. 36) : « Monachus non docentis habet officium, sed plangentis, qui se et mundum lugeat. » Sed dicet aliquis, quia tunc merito tacuit, quando in episcopatu eum non laesit. Tanto minus itaque iste alienae vitae curiosus inspector et suae desidiosus corrector audiendus est, qui modo sincerum vas non amore justitiae, sed livore vindictae nititur incrustare (HORAT. sat. 3, lib. I, vers. 56), non incrustatum a sorde mundare. Credo enim et bene credo, quia cum veterem hominem depositurus, et novum pariturus, vetustatis suae saccum in oculis Dei me praesente conscinderet, et omne noxium quod intus latebat per confessionem oris effunderet, si haec dedecora in se agnovisset, nullatenus abscondisset. Denique, si causam hujus accusationis inspicitis, manifeste scitis non aliunde exarsisse istam malevolentiam, nisi inde quod interdicente sedis apostolicae decreto non potest Turonensis archiepiscopus in Majori Monasterio publicas missas celebrare (c. Abbatem et c. Luminoso, cau. 18, q. 2), erga monachos imperiose agere, bona monasterii prout libuerit usurpare. Unde etiam hoc anno in synodo agens, sicut dicunt qui adfuerunt, quantum in se est, Juliani renovavit decretum, videlicet, « ne quis saeculo renuntiaturus parochianorum suorum majus ingrederetur monasterium. » Postremo, si testificantium personae discutiuntur et causae, tales sibi subornavit, quos inter notos notum est aut maculis aspersos, aut sibi consanguineos, aut mercede conductos, aut de domo sua productos, quibus personis, sicut scitis, facile poterit imperari, ut testimonium perhibeant tam mendacio quam veritati. Cum igitur ea quae dicta sunt ita se habeant, quamvis non necessario, tamen supplicando exhortamur sanctitatem vestram, quatenus sic in hac causa paternarum traditionum tramitem teneatis, ut et innocentia non periclitetur, et perversa voluntas justo talione punienda suis conatibus corruat, suisque nexibus innodetur. Valete.

 

CX. (109, A. — 139, B. — 108, C.) A Pascal, souverain pontife, Ives, humble ministre de l'église de Chartres, obéissance et respect qui lui sont dus.

La sollicitude des pontifes Romains a toujours veillé avec amour au repos des moines ; elle s'est toujours efforcée d'éloigner des monastères les outrages de ceux qui ne songeaient qu'à les opprimer ; elle a toujours apporté la plus grande prudence dans l'examen des personnes et des dépositions des accusateurs et des témoins. Ce n'est pas à nous à apprendre cela à nos docteurs, de qui nous attendons la forme à suivre pour accomplir les préceptes, comme nous avons déjà reçu la règle à observer pour donner les enseignements. Si votre sainteté veut se conformer à ces traditions dans la cause du seigneur abbé de Marmoutier, nous croyons qu'il n'y a pas lieu d'entendre les accusateurs dans leurs accusations ni les témoins dans leurs témoignages. Car si nous considérons d'abord la personne de l'accusateur, l'archevêque de Tours, nous trouvons que dans son ordination presque tout a été fait contre l'ordre canonique. Les crimes commis contre lui ou faits à son préjudice, le parjure et la trahison, qu'il reproche audit abbé, ne peuvent facilement, ce nous semble, être admis par les juges ecclésiastiques, car, ou ils n'ont pas été perpétrés, ou ils ont été pardonnes par une expiation légitime, selon la parole de l'Apôtre : Ceux qui paraissent être des colonnes, peu m'importe quels ils ont été auparavant : Dieu en effet ne tient pas compte de la personnalité humaine. Si ces crimes étaient vrais, il fallait donc les proclamer quand il voyait cet homme dans les réunions publiques siéger avec les évêques pour la discussion des affaires ecclésiastiques, lorsqu'il le voyait administrer les sacrements pontificaux, car celui-là seul peut administrer ces sacrements qui a les mains pures de tout crime, qui sent sa conscience témoin de son innocence. Si on pouvait l'accuser justement, n'était-ce pas plutôt d'avoir usurpé le sacerdoce que d'avoir pris l'administration d'un monastère ? Car, dans cette charge, nous ne reconnaissons aucune sorte de sacrement ecclésiastique. Jérôme, le principal instituteur de l'ordre monastique, ne disait-il pas : Le moine n'a pas pour office d'enseigner, mais de pleurer, de pleurer sur lui et sur le monde.

Mais, dira quelqu'un, il a eu raison de se taire, tant qu'il n'était pas lésé dans son épiscopat. S'il en est ainsi, pour nous au contraire, il doit d'autant moins être cru, ce scrutateur curieux de la vie d'autrui, si peu soucieux de corriger la sienne, qui s'efforce de ternir un vase pur, non par amour de la justice, mais par désir de vengeance, et qui se met peu en peine de purger le vase de ses souillures. Quant à moi, je crois et j'ai toute raison de croire que lorsque, sur le point de quitter le vieil homme et de revêtir l'homme nouveau, Bernard vidait devant moi, sous les yeux de Dieu, le sac de ses anciennes iniquités, et que, par la confession, il versait dans mes oreilles le secret de ses fautes cachées, s'il avait reconnu en lui ces méfaits, il ne me les eût en aucune sorte dérobés. Enfin, si vous recherchez la source de cette accusation, vous reconnaîtrez évidemment que l'ardeur de cette malveillance ne vient que du décret du siège apostolique, interdisant à l'archevêque de Tours de célébrer publiquement la messe dans l'abbaye de Marmoutier, de commander impérieusement aux moines, d'usurper à son bon plaisir les biens du monastère. Aussi, cette année, en plein synode, comme nous l'ont rapporté ceux qui y assistaient, il a renouvelé, autant qu'il le pouvait, le décret de Julien qu'aucun de ses paroissiens qui veut renoncer au monde n'entre dans le grand monastère.[11] Si nous examinons les personnes des témoins et les motifs qui les font agir, nous verrons que ceux qu'il a subornés sont, à la connaissance de tous, ou souillés de taches, ou ses parents, ou des gens achetés, ou des individus de sa maison, toutes personnes, vous le savez, faciles à commander et prêtes à rendre témoignage aussi bien au mensonge qu'à la vérité. Dans un tel état de choses, bien que cela ne nous semble pas nécessaire, nous supplions cependant avec instance votre sainteté d'observer en cette cause les traditions paternelles. Que l'innocence ne coure aucun péril, que la volonté perverse trouve sa juste punition dans la ruine de ses efforts et qu'elle soit enveloppée dans ses propres filets. Adieu.

 

EPISTOLA CIX. PASCHALI summo pontifici, IVO, humilis Carnotensis Ecclesiae minister, sicut auctoritate, ita praeminere virtute.

Quoniam apud nos quotidie videmus Ecclesiam ruentem, et nullam aut pene nullam manum erigentem, et pro domo Israel murum ponentem, charitas Christi urget nos ut dolorem cordis nostri, quo pro morte et morbis ovium Christi cruciamur, paternitati vestrae revelemus. Interest enim capitis membrorum imbecillitatibus providere, et pro valetudinum quantitate vel qualitate congrua remedia procurare. Cum enim a latere vestro mittitis ad nos cardinales vestros tanquam filios uterinos (epist. 60 et 87), quia in transitu apud nos sunt, non tantum non possunt curanda curare, sed nec curanda prospicere; inde est quod multi praepositorum facta gladio linguae ferire cupientes, dicunt sedem apostolicam non subditorum quaerere sanitatem, sed suam, aut lateralium ( al. collateralium) suorum quaerere commoditatem. Unde ego et quidam corregionales nostri hoc murmur non aequanimiter accipientes, utpote Romanae Ecclesiae filii unanimes, scribere decrevimus sanctitati vestrae, ut alicui transalpino legationem sedis apostolicae injungatis (epist. 12), qui et vicinius subrepentia mala cognoscat, et ea vel per se vel per relationem ad sedem apostolicam maturius curare praevaleat. Cui sollicitudini nullum magis cognovimus idoneum, quam domnum Lugdunensem archiepiscopum, qui et in eodem officio jamdiu ministravit, et ut experimento cognovimus, tam Romanae Ecclesiae quam transalpinis Ecclesiis mirabiliter profuit. Multos enim ad visitandam sedem apostolicam praepediunt, aut pericula imminentia, aut rei familiaris indigentia, aut itineris difficultas, aut proprii corporis imbecillitas. Unde si velletis mediocritatis nostrae suggestioni acquiescere, congruum videretur, ut mediatricem personam huic sollicitudini praeficeretis, potissimum in eadem sollicitudine consuetudine et utilitate probatam, quae emergentia mala tanto frequentius quanto vicinius agnosceret, et levamina quae melius valeret adhiberet. Ausu quidem familiaritatis et filialis amoris haec scribo, quia sic ego cum multis Ecclesiae Dei melius credo posse consuli, et aemulorum obtrectationes posse vitari. Etenim discipuli Domini, Domino licet nihil ignoranti, plurima necessaria suggesserunt, quae ad informandam posteritatem praelatorum non solum patienter audivit, sed etiam aequanimiter adimplevit. Valete.

 

CXI. (110, A. — 53, B. — 109, C.) A Pascal, souverain pontife, Ives, humble ministre de l'église de Chartres, vertu suprême comme suprême autorité.

Chaque jour nous voyons l'Église s'écrouler ; aucune main ou presque aucune ne se lève pour opposer un rempart aux ennemis d'Israël. La charité du Christ nous pousse donc à dévoiler à votre paternité la douleur qui déchire notre cœur devant les maladies et la mort des brebis du Seigneur. C'est au chef qu'il appartient de pourvoir à la défaillance des membres et de proportionner l'énergie des remèdes à l'intensité et à la gravité du mal. Lorsque vous envoyez vers nous, en les détachant de votre côté, vos cardinaux, qui sont comme les fils de votre flanc, comme ils ne font que passer parmi nous, non seulement ils ne peuvent soigner nos maux, mais ils ne peuvent même les apercevoir. Aussi beaucoup, qui ne cherchent qu'à frapper du glaive de leur langue les actions de leurs chefs, disent-ils que le siège apostolique ne s'occupe pas du bien-être de ses sujets, mais du sien propre et des commodités de ceux qui sont près de lui. C'est pourquoi, moi et quelques autres prélats de notre région, indignés de ces murmures, nous avons résolu, en fils dévoués de l'Église Romaine, d'écrire à votre sainteté pour lui demander de confier la légation du siège apostolique à quelque prélat transalpin, qui sera plus à même de reconnaître les maux qui se glissent autour de lui et de les guérir par lui-même ou par le siège apostolique à qui il les dévoilera. Pour cet office, nous ne connaissons personne plus convenable que le seigneur archevêque de Lyon,[12] qui a déjà longtemps rempli cette charge, et dont nous savons par expérience les services rendus à l'Église Romaine et aux églises transalpines. Car beaucoup ne peuvent se rendre près du siège apostolique, soit à cause des dangers qui les menacent, soit par pauvreté, par difficulté des chemins ou par faiblesse de leur santé. Si vous vouliez condescendre à ce que vous suggère notre médiocrité, il nous semblerait bon d'établir entre nous et le saint siège un médiateur, et surtout un médiateur dont l'expérience et l'habileté fussent éprouvées.

Plus il verrait de près les maux menaçants, plus il les reconnaîtrait facilement, et plus il leur appliquerait les remèdes les plus efficaces. Ma familiarité avec vous et mon amour filial serviront à excuser l'audace de mes avis : c'est le meilleur moyen, suivant moi et suivant beaucoup d'autres, de sauver l'Église de Dieu et d'éviter les accusations de ses détracteurs. Les disciples du Seigneur ne donnèrent-ils pas parfois de sages avis au Seigneur qui n'ignorait rien, et lui, pour servir à l'enseignement des prélats à venir, non seulement les accueillait patiemment, mais souvent y obéissait volontiers. Adieu.

 

EPISTOLA CX. PASCHALI summo pontifici, IVO humilis sanctitatis suae filius, quidquid potest esse felicius.

Quoniam pro gratia nobis collata, decorem Ecclesiae Dei diligimus, multa inordinate in eadem fieri vehementer dolemus. Qui in (et cum in ms. c. ) quibusdam subditis cum quaedam illicita corrigere, vel cum quosdam ad meliora promovere studemus, ipsi in stercoribus suis computrescere cupientes, litteras a sede apostolica, nescio quibus subreptionibus impetratas nobis deferunt ad palliandam malitiam suam, vel defendendam inobedientiam. Unde fit in Ecclesia mirabilis contemptus mandatorum Dei, et ineffabilis morum corruptela, cum ibi invenit quorumdam perversitas incorrepta confugium, ubi innocentia sola deberet habere praesidium. Et quod mirabilius et miserabilius est, isti vitae suae curiosi corruptores ab ipsis columnis gratanter audiuntur, cum vitam religiosorum aliquibus maculis respergere moliuntur; quibus non est credendum de aliena injustitia, quandiu non discesserent a sua. Cum itaque tam pro nostra insufficientia quam pro subditorum duritia praedictae causae de fructu laboris nostri pene desperare nos cogant, onus quod pene infructuose portamus, deponere saepe deliberamus, et pennas columbae nobis dari flagitantes (epist. 17 et 25), avolare a molestiis inutilibus, et in mentis solitudine quiescere praeoptamus. Hac itaque necessitate commoniti, praesentiam sanctitatis vestrae adire cupientes, et de his quae dicta sunt, cum multis aliis vobiscum tractare cupientes, venimus pene usque ad Alpes; in quarum angustiis, quia insidias nobis paratas audieramus, usi magnorum virorum consilio, inito itinere supersedimus. Domnum itaque Gualonem confratrem et coepiscopum nostrum, qui in suspectis locis ad occultandum se aptior est, paternitati vestrae transmisimus, in cujus ore verba nostra posuimus, quatenus eum tam pro sua quam pro nostra necessitate paterne audiatis, et quae corrigenda sunt corrigatis, et quae utiliter statuenda firmiter statuatis. Quamvis enim quod ratio suadet, vel quod usus approbat, vel episcopalis moderatio disponit, per se satis vigere videatur, tamen charius fit, et quasi quadam luce irradiatur, cum id, quod prohibendum vel praecipiendum est, decreto apostolico roboratur. Valete.

 

CXII. (111, A. — 29, B. — 110, C.) A Pascal, souverain pontife, Ives, humble fils de sa sainteté, félicité la plus parfaite.

Suivant la grâce qui nous a été conférée, nous chérissons l'honneur de l'Église de Dieu ; aussi sommes-nous vivement affligé des nombreux désordres qui s'y commettent. Lorsque, chez ceux qui nous sont soumis, nous voulons corriger quelques licences, ou que nous tentons de les pousser vers le progrès, eux, se complaisant dans leur fumier, nous présentent des lettres apostoliques obtenues par je ne sais quel stratagème et s'en servent pour pallier leur malice ou pour défendre leur désobéissance : aussi existe-t-il dans l'Église un merveilleux mépris des commandements de Dieu, une corruption de mœurs inouïe.[13] Et nous ne pouvons nous en étonner lorsque la perversité impunie trouve un refuge là où l'innocence seule devrait être accueillie. Ce qu'il y a de plus surprenant et de plus lamentable, c'est que ces hommes, dont la vie n'est que corruption, rencontrent près des colonnes de l'Église des oreilles complaisantes lorsqu'ils s'efforcent de ternir la conduite des hommes religieux. Ne devrait-on pas refuser d'ajouter foi à leurs accusations tant qu'eux-mêmes n'auraient pas renoncé à leur perversité ? Aussi lorsque, par notre insuffisance, par la dureté de cœur de ceux qui nous sont soumis, nous sommes presque forcé de désespérer du fruit de nos labeurs, souvent nous avons la pensée de déposer là notre charge. Vous suppliant de nous donner les ailes de la colombe, nous souhaitons nous envoler loin de ces tracas inutiles et nous reposer dans la solitude de l'esprit. Pressé par cette nécessité, jaloux de nous présenter devant votre sainteté pour nous entretenir avec vous de ces affaires et de beaucoup d'autres encore, nous sommes venu presque jusqu'aux Alpes ; mais, arrivé aux défilés de ces montagnes, nous avons appris qu'on nous tendait des embûches, et, sur l'avis de gens considérables, nous avons renoncé au voyage commencé. Après lui avoir confié nos pensées, nous envoyons donc à notre place vers votre paternité le seigneur Galon, notre confrère et notre coévêque, qui aura plus de facilité pour se dérober aux pièges qui lui seront tendus. Écoutez paternellement ce qu'il vous dira de ses besoins et des nôtres : reprenez ce qui est à reprendre et décidez fermement ce qui doit être décidé. Car bien que ce qui est conforme à la raison, ce qui est approuvé par l'usage, ce qui appartient à l'autorité épiscopale semble assez évident par soi-même, cependant ce qui doit être défendu ou commandé apparaît plus nettement et est éclairé d'une plus grande lumière lorsque l'autorité apostolique l'a confirmé. Adieu.

 

EPISTOLA CXI. DAIMBERTO, Dei gratia Senonensium archiepiscopo, IVO, humilis Ecclesiae Carnotensis minister, salutem et servitium.

Colloquium vestrum jam a multo tempore desiderans, speravi me posse paternitati vestrae loqui in conventu ad quem invitati eramus in civitate Vellavorum, et ore ad os clamorem facere de injuriis quas mihi et Ecclesiae mihi commissae infert Hugo Puteacensis, more suorum semper rependens mala pro bonis (epist. 76, 112 et 211) ; quem nec pudor humanus, nec fides quam mihi debet ut domino, detinet a rapinis, dum nulla nostra in eum praecesserit injuria, vel nulla ei a nobis sit denegata justitia. Quod ergo certa ratione tunc distulimus, nunc praesentibus litteris, flexis genibus cordis, postulamus, ut eum a nobis excommunicatum (epist. 76) excommunicetis, et divinum officium Merarivillae et ejus adjacentiis interdicatis, et Aurelianensi episcopo, ut idem faciat apud Puteacum, praecipiatis. Alioquin, si principes mundi plus timemus quam Deum, manifeste jam portae inferi praevalebunt, et qui pro domo Israel murum ponere debemus (Ezech. XIII), secundum propheticam irrisionem canes muti non valentes latrare reputabimur (Isa. LVI). Res enim ecclesiasticae, sicut testantur etiam saeculi leges, quia divini juris sunt, in nullius bonis sunt, et ideo prorsus errat, qui pro suis occasionibus aut principum jussionibus, a quibus eas maxime servari convenit usurpat, et male tractat (epist. 143). Unde ait Papa Symmachus in sexta synodo (c. Quicunque et c. Praedia, caus. 12, q. 2) : « Qui praedia Ecclesiae petierit, vel acceperit, vel possederit, vel retinuerit, nisi se cito correxerit, anathemate feriatur, sitque danti et accipienti, vel possidenti anathema. » Ista dicendo prudentiam vestram non docemus, sed ad officii vestri sarcinam fortiter portandam cohortamur, quatenus pusillanimitatem nostram consolatio vestra confoveat, patientiam nostram fortitudo vestra communiat. Valete.

 

CXIII. (112, A. — 140, B. — 111, C.) A Daimbert, par la grâce de Dieu, archevêque de Sens, Ives, humble ministre de l'église de Chartres, salut et obéissance.

Désirant depuis longtemps une entrevue avec vous, j'ai espéré pouvoir entretenir votre paternité dans l'assemblée à laquelle nous avions été invité dans la ville du Puy. Je pensais pouvoir vous adresser de vive voix mes plaintes sur les torts que fait à moi et à mon église Hugues du Puiset. Ce seigneur, suivant les traditions des siens, nous rend toujours le mal pour le bien. Ni le respect humain, ni la foi qu'il me doit comme à son seigneur ne le détournent des rapines, tandis que nous ne lui avons causé aucun mal, et que jamais nous ne lui avons refusé justice. Ce que, pour certaines causes, nous avions différé jusqu'aujourd'hui, nous vous le demandons par cette lettre, en fléchissant le cœur et les genoux. Excommuniez cet homme que nous avons excommunié ; interdisez l'office divin à Méréville et dans ses dépendances, ordonnez à l'évêque d'Orléans de faire de même pour le Puiset. Autrement, si nous craignons les grands du monde plus que Dieu, assurément les portes de l'enfer prévaudront dès maintenant, et nous qui devons élever un mur pour la défense de la maison d'Israël, nous serons considérés, suivant la parole de moquerie du Prophète, comme des chiens muets incapables d'aboyer. Les choses ecclésiastiques, ainsi que l'attestent même les lois du monde, appartenant à Dieu, ne sont du domaine de personne, et il est dans une grave erreur celui qui, pour s.es propres besoins ou par ordre des princes qui doivent être les premiers à les protéger, usurpe ou dévaste les possessions de l'Église. C'est ainsi que le pape Symmaque a dit dans le sixième synode : Que celui qui a demandé, accepté, pris ou retenu les biens de l'Église, s'il ne s'amende promptement, soit frappé d'anathème : que cet anathème frappe celui qui donne, comme celui qui accepte et qui retient. En disant cela, nous ne prétendons pas instruire votre prudence, mais nous vous exhortons à supporter avec courage le fardeau de votre charge, afin que votre consolation réchauffe notre pusillanimité, que votre force soutienne notre patience. Adieu.

 

EPISTOLA CXII. IVO humilis Carnotensis minister, FULCONI Parisiensis Ecclesiae decano, et clero sibi commisso, dilectionem et salutem.

Quoniam omnis injuria ecclesiastica quae admonitione non corrigitur, anathemate plectenda est, si ancillam Ecclesiae vestrae adversus dominos suos calcitrantem excommunicastis, quod vestri juris erat fecistis, maxime cum dominorum potestatem in servos suos illibatam debere esse lex constituat (l. II, De his qui sunt sui, vel, Al. jur.), nec cuiquam hominum jus suum detrahi posse permittat. Quod autem ex consuetudine Ecclesiae vestrae hoc vobis licere absque alterius personae interpellatione asseritis, non est haec solius Parisiensis Ecclesiae consuetudo, sed etiam Carnotensis, et aliarum Ecclesiarum, quibus episcopali auctoritate excommunicandi jus concessum est. Unde non aliud sanius consilium vobis dare possumus quam ut consuetudinem fortiter teneatis, a qua si semel cesseritis, non ad arbitrium vestrum recuperare valebitis. De caetero culpo dilectionem vestram, quod Paganum (epist. 114) a nobis ecclesiastice excommunicatum, et apostolica auctoritate exigentibus culpis suis in infamiam pulsum, in communionem recipitis, et Hugonem Puteacensem similiter (epist. 76, 24 et 60), quod a nobis fieri de vestris excommunicatis manifeste culparetis. Moneo itaque ut de caetero quam a nobis justitiam in necessitate vestra vobis fieri velletis, eamdem nobis in nostra necessitate faciatis, ne, si vos negligentes invenerimus in nostris, et nos similes inveniamur in vestris. Et, ut hoc apostolica auctoritate debere fieri sciatis, litteras domni papae, quas misit Senonensi Ecclesiae, et Aurelianensi, et Parisiensi interim vobis transmitto, quas jam bullatas domnus metropolitanus accepit.

 

CXIV. (113, A. — 141, B. — 112, C.) Ives, humble ministre de Chartres, à Foulques, doyen de l'église de Paris[14] et au clergé qui lui est confié, salut et affection.

Quand le droit ecclésiastique est violé, si l'outrage n'est pas réparé, il doit être puni d'anathème. Si donc vous avez excommunié une servante de votre église, récalcitrante contre ses maîtres, vous n'avez fait que ce qui était de votre droit. La loi en effet a reconnu entier le pouvoir des maîtres sur leurs serviteurs et a défendu à tout homme d'attenter à leur privilège. Vous ajoutez que, d'après les coutumes de votre église, vous avez le droit de procéder ainsi sans que personne autre puisse intervenir. C'est là la coutume non seulement de l'église de Paris, mais de l'église de Chartres et des autres églises qui ont reçu, pour l'autorité épiscopale, le droit d'excommunication. Je ne puis donc rien vous conseiller de mieux que de maintenir énergiquement cette coutume : si vous l'abandonnez une fois, il ne vous sera plus possible de la rétablir à votre gré.

Mais j'ai un reproche à faire à votre dilection. Vous admettez à la communion Payen, qui a été excommunié par nous, selon les lois ecclésiastiques, et qui, à cause de ses fautes, a été jugé infâme par l'autorité apostolique. "Vous accueillez également Hugues du Puiset. Si nous agissions de même à l'égard de vos excommuniés, vous nous accuseriez certainement. Nous vous prions donc de nous apporter à l'avenir dans nos besoins la même justice que vous voudriez que nous vous rendions à l'occasion, de peur que si nous vous trouvions négligent à notre égard, vous ne nous voyiez aussi négligent envers vous. Et afin que vous sachiez que tel est le bon plaisir de l'autorité apostolique, je vous envoie les lettres du seigneur pape qu'il a envoyées à l'église de Sens, à celle d'Orléans et à celle de Paris, et que le seigneur métropolitain a reçues munies de leur bulle.

 
 

CXV. (A, ad finem), Ives, par la grâce de Dieu, humble évêque de Chartres, à tous les fidèles chrétiens, couronne de la récompense suprême après avoir gravi les degrés des dons spirituels.

La règle de toute l'Église et les sages décrets des Saints Pères qui ne doivent être ni méprisés ni violés, commandent de s'enquérir avec soin de la personne des clercs, que la pauvreté ou quelque autre nécessité a forcés de s'éloigner du lieu et du diocèse où ils ont été ordonnés. Lors donc qu'ils arrivent dans un autre évêché et que là ils veulent célébrer l'office de leur ordre, on doit rechercher en quel lieu et par quel évêque ils ont été ordonnés, de peur que, poussé par l'avarice ou par quelque désir de s'élever, quelqu'un d'eux, par une audace scélérate, ose faire indignement et illicitement un office qui n'est pas le sien. Pour ne laisser aucun doute sur la qualité du présent clerc, nous avons voulu lui donner ce témoignage, clair et évident pour tous. Que tous les chrétiens sachent donc que ce clerc nommé Evrard a été par nous, à Chartres, avec l'aide de la grâce divine, élevé et promu à la dignité de la prêtrise, et que depuis nous lui avons permis d'aller où bon lui semblerait.[15] Salut et félicité à tous les fidèles.

 

EPISTOLA CXIII. DAIMBERTO, Dei gratia reverendo Senonensium archiepiscopo, IVO, humilis Ecclesiae Carnotensis minister, filialem subjectionem et fraternam dilectionem.

De electione domni Manassae facta in eum a Meldensi Ecclesia (epist. 115), pia tripudiatione gaudemus; quem bonae indolis adolescentem et melioris spei juvenem evidenti morum mansuetudine comperimus, partim aliorum relatione didicimus. Unde ad ejus consecrationem, tam pro vestra paterna admonitione quam pro ejus optabili dilectione, gratanter occurreremus, etiamsi ad remota loca hac de causa invitaremur. Sed quae difficultates, quae pericula vias nostras sepiant, non minus novit vestra paternitas quam nostra parvitas. Unde, si tanta instantia huic consecrationi interesse nos vultis, aut locam ad quem secure venire possimus eligite, aut conductum nobis securum procurate. Alioquin paterna discretione date veniam manifesta pericula metuenti, quam daretis eadem pericula non sine vestrae famae jactura subeunti. Quod si regius metus, vel aliorum qui adversum nos injuste saeviunt, abesse coegerit, consecrationem quam voce et manibus facietis corporaliter praesentes, confirmabimus litteris et corde corporaliter absentes. Omnibus enim aliis cessantibus causis vehementer doleo, quod non mereor vestro colloquio confoveri, vestra consolatione relevari. Gratias tamen quas possum refero excellentiae vestrae, quia tribulationibus nostris compatimini, et doloribus nostris condoletis, et ad subveniendum, manum, quantum potestis, extenditis. Quod si alii confratres nostri similiter facerent, non in tantum portae inferi praevalerent (Matth. XVI). Vale.

 

CXVI. (114, A. — 142, B. — 113, C.) A Daimbert, par la grâce de Dieu, archevêque de Sens, Ives, humble ministre de l'église de Chartres, soumission filiale et affection fraternelle.

Plein d'une joie pieuse, nous applaudissons à l'élection du seigneur Manassès,[16] faite par l'église de Meaux. C'est un jeune homme d'un excellent naturel et donnant des espérances meilleures encore : ainsi je l'avais jugé moi-même à l'honnêteté évidente de ses mœurs ; ainsi il m'a été dépeint par les autres. Aussi, sur votre invitation paternelle, poussé d'ailleurs par notre affection pour lui, nous nous serions avec plaisir rendu à sa consécration, quel que fut l'éloignement du lieu qui nous était indiqué. Mais votre paternité sait, aussi bien que notre humilité, les difficultés, les périls qui nous ferment la route. Si vous désirez donc avec tant d'instance nous voir assister à cette consécration, choisissez un lieu où nous puissions nous rendre en sûreté, ou procurez-nous un sauf-conduit inviolable ; autrement si nous redoutons ces dangers certains, que votre paternelle indulgence ne trouve pas plus sujet de nous blâmer que si nous les affrontions au risque de compromettre votre propre renommée. Si la crainte du Roi ou des autres qui nous tyrannisent injustement nous force à nous abstenir, absent en réalité, nous confirmerons de cœur et par nos lettres cette consécration que, présents, vous ferez réellement de la main et de la voix. Par dessus tout, je regrette vivement de ne pouvoir me réchauffer à votre entretien, me consoler à vos exhortations. Je rends cependant toutes les grâces dont je suis capable à votre excellence qui daigne compatir à mes tribulations, souffrir de mes douleurs, et qui me tend, autant qu'il est en elle, une main secourable. Si nos autres confrères agissaient de même, les portes de l'enfer ne prévaudraient pas comme elles le font. Adieu.

 

EPISTOLA CXIV. JOANNI, Dei gratia Aurelianensi episcopo, IVO, humilis Ecclesiae Carnotensis minister, salutem.

Quod nostris tribulationibus compatiatur vestra fraternitas, quantas sufficimus vobis gratias referimus De pace autem quam inter nos et domnum Ludovicum reformare velletis (epist. 124), hoc vobis respondemus, quia, quantum testatur nobis conscientia nostra, nullas ei injurias intulimus, et si quid a nobis expostularet, judicio vestro et confratrum nostrorum libenter ei satisfaceremus, et si quid adversum parvitatem nostram fecit, quod eum non deceret, patienter supportaremus. Hugonem autem Puteacensem (epist. 112), et Paganum transfugam (epist. 100 et 112) atque desertorem, sine digna satisfactione suscipere non possumus, quia ita est inter nos non sine summa obligatione condictum, et apostolica auctoritate roboratum. Si autem Paganus ideo seipso vult major fieri, quia deterior seipso factus est, et episcopali excellentiae summa fiet injuria, et ordini clericorum ad exorbitandum proclivior patebit via. In hoc ergo negotio ita praecavete periculo vestro sicut et nostro, quia ut vobis vera fateamur, malumus, quae Deus permiserit adversa perpeti, quam in parcendo filiis disscordiae plurimos in discrimen adduci. De loco autem in quo secure colloqui possimus, certum non est mihi consilium, quia intra episcopatum vestrum et nostrum nullus mihi securus est exitus, nisi fraterna charitas vos cogeret, quod petere non praesumo, ut usque ad nos veniretis, et de quibus bonum esset nobiscum consulte quando velletis, tractaretis. Valete.

 

CXVII. (115, A. — 143, B. — 114, C.) A Jean, par la grâce de Dieu, évêque d'Orléans, Ives, humble ministre de l'église de Chartres, salut.

Nous rendons à votre fraternité toutes les grâces dont nous sommes capable pour la part qu'elle prend à nos tribulations. Quant à la paix que vous voulez rétablir entre nous et le seigneur Louis,[17] nous vous répondons que, autant que peut nous le témoigner notre conscience, nous ne lui avons fait aucune injure. S'il réclame quelque chose de nous, nous sommes prêt à lui donner satisfaction suivant votre jugement et celui de nos confrères : et si, contrairement à ce qu'il doit, il a fait tort à notre humilité, nous sommes décidé à le supporter patiemment. Cependant nous ne pouvons pardonner, sans une satisfaction convenable, à Hugues du Puiset et à Payen, ce transfuge et ce déserteur : cette rigueur, nous la devons à nous-même, et elle nous est commandée en outre par l'autorité apostolique. Si ce Payen arrive à s'élever par ce fait seul qu'il a élevé sa malice, l'excellence épiscopale recevra une cruelle atteinte, et l'ordre des clercs verra une route ouverte pour sortir de sa condition. Prévenez donc en cette occurrence votre péril et le nôtre. Pour vous dire le vrai, nous aimons mieux souffrir toutes les adversités qu'il plaira à Dieu de nous envoyer que d'exposer beaucoup de nos frères au danger en pardonnant aux fils de la discorde. Je ne saurais vous indiquer certainement un lieu où nous pourrions nous rencontrer en sécurité, car je ne vois pour moi aucune route sûre pour passer de mon évêché dans le vôtre. Il n'y aurait qu'un moyen, mais je n'ose vous le proposer, c'est que votre charité fraternelle vînt vers nous : quand il vous plairait, nous examinerions ensemble en toute tranquillité les questions qui vous sembleraient utiles. Adieu.

 

EPISTOLA CXV. DAIMBERTO Senonensis Ecclesiae metropolitano, et suffraganeis ejusdem Ecclesiae coepiscopis suis, IVO, humilis Carnotensis ecclesiae minister, salutem et obsequium.

Quia apostolicum illud in me completum est, foris pugnae, intus timores (II Cor. VII), praecordialiter doleo quod sancto et desiderabili conventui vestro interesse non valeo (epist. 113 et 119). Et quia in nomine Salvatoris congregatos vos esse non ambigo, quidquid salubriter statuistis quam ei facturi estis praesentes corpore, hanc ego confirmo et facio, quantum in me est, praesens corde. Credo enim vos esse tanti consilii, et tantae fortitudinis, ut nihil praesumatis illicitum, nihil subterfugiatis legitimum. Valete.

 

CXVIII. (116, A. — 144, B. — 115, C.) A Daimbert, métropolitain de l'église de Sens, et aux évêques suffragants de la même église, Ives, humble ministre de Chartres, salut et respect.

La parole de l'Apôtre s'est accomplie en moi : Au dehors la lutte, à l'intérieur la crainte ; aussi je suis désolé jusqu'au fond du cœur de ne pouvoir assister à votre sainte réunion, objet de mes désirs. Comme je ne doute pas que vous ne soyez réunis au nom du Sauveur, tout ce que vous aurez décidé de salutaire, je le décide avec vous. Pour ce qui regarde en particulier le seigneur Manassès, si illustre par sa naissance, si modeste dans ses mœurs, que l'église de Meaux s'est choisi pour évêque, j'unis ma voix à la voix de ceux qui l'élisent, et l'imposition des mains que vous lui donnerez étant corporellement présents, je la confirme et je la lui donne autant qu'il est en moi, présent que je serai par le cœur. J'ai une telle confiance en votre sagesse, en votre courage que je suis sûr que vous ne ferez rien d'illicite, que vous n'oublierez rien de légitime. Adieu.

 

EPISTOLA CXVI. IVO, humilis Carnotensis Ecclesiae minister, ADELAE excellenti comitissae, salutem et obsequium.

Charitas qua nobilitatem vestram ab initio dilexi, nullatenus in me refrigescit, sed praecedentibus et subsequentibus in me beneficiis vestris, magis ac magis inardescit. Unde excellentiam vestram rogando moneo, et monendo rogo, ut si quid sinistrum me adversum vos vel vestros fecisse vel dixisse suggestum fuerit (epist. 121), nullatenus credatis, nec quidquam quod ira dictante servientes vestri postulent, ad praesens statuatis. Cum enim terra exterius sit turbata, si etiam intestina surgerent bella, periculum repente imminere plebi posset et urbi. Cum autem Deo prosperante ad nos veneritis, tunc omnia verius addiscetis, et secundum audita sanius consilium capietis. Valete.

 

CXIX. (117, A. — 145, B. — 116, C.) Ives, humble ministre de l'église de Chartres, à Adèle, excellente comtesse, salut et hommage.

L'affection que, dès le principe, j'ai eue pour votre noblesse ne se refroidit nullement en moi, mais au contraire les bienfaits de jour en jour plus nombreux dont vous me comblez ne font qu'en augmenter l'ardeur. Aussi je prie votre excellence et je lui demande de n'ajouter aucune foi aux propos de ceux qui voudraient lui faire croire que j'ai fait ou dit quelque chose contre vous ou les vôtres, et de temporiser, avant de statuer sur ce que, poussés par la colère, vos sergents demandent de vous. Déjà ce ne sont que troubles à l'extérieur ; si des querelles intestines viennent s'y ajouter encore, le peuple et la cité courront les plus grands risques. Lorsque, par la permission de Dieu, nous aurons le bonheur de vous voir parmi nous, alors vous connaîtrez tout plus clairement, et, d'après ce que vous entendrez, vous jugerez mieux ce qu'il convient de faire. Adieu.

 

EPISTOLA CXVII. PASCHALI summo pontifici, IVO, humilis Carnotensis Ecclesiae minister, cum debito obedientiae felicitatem utriusque vitae.

Cum nuper de amputandis pravis Ecclesiae consuetudinibus quaedam mandata (epist. 133), vel interdicta vestrae paternitatis accepissem, et fratribus mihi commissis denuntiassem, quidam c. ] ita gratanter susceperunt, ut non tantum ea verbis approbarent, sed etiam quibusdam additis quae ad honestatem vel libertatem Ecclesiae prodesse videbantur, jurejurando firmarent. Et quia quibusdam qui sua quaerunt, quorum famae vel commodis haec et similia obviare videntur, aliquantisper displicent, ut per succedentia tempora inconvulsa maneant sub clavi Petri, ita ea observari per mediocritatis nostrae intercessionem postulant, ut nulli minori clavi ea ulterius solvere liceat (epist. 126), et a sua stabilitate convellere. Misimus itaque duos ex nostrorum collegio fratres, qui auribus paternitatis vestrae rei ordinem et causam aperiant, ut cum intellexeritis pro quanta libertate et honestate, vel pro quibus incommodis vitandis fecerint quod fecerunt, auctoritate qua praeminetis missis Ecclesiae litteris confirmetis. Valete.

 

CXX. (118, A. — 146, B. — 117, C.) A Pascal, souverain pontife, Ives, humble ministre de l'église de Chartres, avec l'obéissance qui lui est due, souhaits de bonheur dans l'une et l'autre vie.

J'ai reçu récemment la lettre où votre paternité ordonne ou défend ce qu'elle croit utile pour réformer de mauvais usages dans notre église. J'ai communiqué cette lettre aux frères qui me sont confiés : certains l'ont acceptée avec reconnaissance, et non seulement l'ont approuvée, mais, y ajoutant des clauses qu'ils jugeaient utiles pour l'honneur et la liberté de l'Eglise, ils l'ont confirmée par serment. Mais il en est d'autres qui, jaloux de leurs propres avantages, et regardant une semblable réforme comme contraire à leur honneur et à leurs intérêts, l'adoptent avec déplaisir. Aussi pour que, dans la suite des temps, ces décisions demeurent inviolables sous la garde des clefs de Pierre, on vous demande, par l'intercession de notre médiocrité, de les appuyer de telle sorte qu'à l'avenir aucun pouvoir inférieur ne puisse y déroger ni en ébranler jamais la stabilité. Nous envoyons donc vers votre paternité deux frères de notre collège pour vous exposer l'ordre et le détail de cette affaire. Lorsque vous aurez reconnu combien l'honneur et la liberté de l'Eglise sont intéressés à ce qu'ils ont fait, quels inconvénients peuvent par là être évités, veuillez envoyer à notre église des lettres de confirmation, munies de l'autorité suprême qui vous appartient.[18] Adieu.

 

EPISTOLA CXVIII. HENRICO, excellenti Anglorum regi, IVO, humilis Carnotensis Ecclesiae minister, regis regum feliciter militare.

Quoniam instantia precum saepe flectitur excellentia regum, licet importuni videri erubescamus, tamen nunc tertio per portitorem praesentium, domnum videlicet Gulielmum Ecclesiae nostrae canonicum sublimitatis vestrae aures pulsamus, ut saltem nunc benevolentiae vestrae ostium apertum sentiamus, quatenus exsuscitetis dilectionem quam erga praedictam Ecclesiam parentes vestri et affectu habuerunt (epist. 106), et effectu probaverunt. Cum enim in regibus praecipue vigere debeat pietas, mansuetudo, justitia, ad pietatem pertinere credimus, quod ad divinum cultum etiam usque ad nos aliquos facultatum vestrarum ramusculos extendi flagitamus. Ad mansuetudinem vero pertinet, ut petentium importunitatem aequanimiter supportetis; ad justitiam vero, ut promissi vestri debitorem vos esse cognoscatis. Non enim ad proprios vel humanos usus aliquid ab excellentia vestra requirimus, sed in quo non sufficimus ad decorandam vel conservandam domum Dei, adminiculum vestrum misericorditer postulamus. Nec infructuosam credimus futuram largitionem vestram. Quia quod nostris viribus non valemus, meritis beatae et perpetuae Virginis, cui Deo auctore famulamur, indubitanter obtineri posse confidimus. Valete.

 

CXXI. (119, A. — 147, B. — 118 C.) A Henri, excellent roi d'Angleterre, Ives, humble ministre de l'église de Chartres, combat glorieux pour le service du Roi des Rois.

L'excellence royale est souvent fléchie par l'instance des prières : bien donc que nous rougissions de notre importunité, nous venons pour la troisième fois, par l'entremise du porteur des présentes, le seigneur Guillaume, chanoine de notre église,[19] frapper les oreilles de votre sublimité, vous priant de nous ouvrir enfin la porte de votre bienveillance, et de réveiller en vous l'affection qu'eurent vos parents pour notre église et qu'ils lui prouvèrent par de si nombreux effets. Trois qualités doivent surtout distinguer les rois : la piété, la mansuétude, la justice ; or ce sera une œuvre de piété de répandre jusqu'à nous, dans l'intérêt du culte divin, quelques parcelles de vos richesses ; ce sera une œuvre de mansuétude de supporter patiemment l'importunité de nos requêtes ; enfin vous ferez acte de justice en vous rappelant la dette de votre promesse. Ce n'est pas pour nos propres besoins, pour des besoins humains que nous implorons quelque présent de votre excellence ; mais comme nous ne pouvons subvenir à la décoration et à la conservation de la maison de Dieu, nous réclamons votre appui miséricordieux, et nous ne pensons pas que vos largesses nous fassent défaut. Car ce que nous ne méritons pas d'obtenir par nos propres forces, nous avons la ferme confiance que vous l'accorderez aux mérites de la bienheureuse et perpétuelle Vierge, dont, avec l'aide de Dieu, nous sommes les serviteurs. Adieu.

 

EPISTOLA CXIX. DAIMBERTO, Dei gratia Senonensi archiepiscopo, IVO, humilis Carnotensis Ecclesiae minister, salutem et obsequium.

Quoniam adversus electionem domni Manassae contradictionem obortam esse audivimus (epist. 113 et 115), tum pro ipsius Ecclesiae vexatione, tum pro ipsius electi injuria, qua debemus compassione, dolemus. Dicitur enim quod qui adversus praedictum Manassem prodiit accusator, nullo testium sit fultus adminiculo, nihil etiam quod praesens viderit vel audierit in accusatione protulerit, sed quod tantum suspicionibus ipse sibi suasit, vel volaticis rumoribus conjectavit. Quod si ita est, cum etiam ipse accusator pridem sit notatus infamia, nec ejus accusatio ullatenus est admittenda, nec justa electio ullis est dilationibus fatiganda. Habent enim sicut nostis statuta majorum, « ut illae causae a judicibus ecclesiasticis minime audiantur, quae legibus non continentur (epist. 220 et 241). » Tamen si prudentiae vestrae visum fuerit, famae ipsius electi et vestrae congruit, ut quos melioris testimonii fratres de clero Meldensi probaveritis, (juxta c. Illud dist. 23), ad purgandum eum postuletis, et accepta purgatione, sub conspectu eum publico ordinetis. Si enim praesens essem, si ita res se habet, uti superius dixi, nihil aliud reverentiae vestrae suaderem. Vale.

 

CXXII. (120, A. — 148, B. — 119, C.) A Daimbert, par la grâce de Dieu, archevêque de Sens, Ives, humble ministre de l'église de Chartres, salut et hommage.

Nous avons appris qu'on faisait opposition à l'élection du seigneur Manassès[20] ; nous en avons été peiné comme nous le devions, et en raison des vexations causées à l'Église, et en raison de l'injure faite à l'élu lui-même. On dit en effet que l'accusateur qui s'est levé contre ledit Manassès ne produit aucun témoin, n'apporte aucun fait qu'il ait vu ou entendu lui-même, mais se base seulement sur des soupçons qu'il s'est créés ou sur des rumeurs en l'air. S'il en est ainsi, comme d'ailleurs cet accusateur a déjà été taxé d'infamie, son accusation ne doit nullement être admise, et la reconnaissance de la légitimité de l'élection de Manassès ne doit subir aucun délai. Car, ainsi que vous le savez, les décrets des Pères portent que les juges ecclésiastiques ne doivent aucunement admettre les causes qui ne s'appuient pas sur les lois. Si cependant votre prudence le trouve bon, dans l'intérêt de l'honneur de l'élu et du vôtre, appelez, pour purger l'accusation, les clercs de Meaux que vous jugerez les plus recommandables, et ensuite faites l'ordination devant tout le peuple. Si j'étais présent, et si les faits sont tels que je viens de les exposer, je n'aurais rien de mieux à conseiller à votre révérence. Adieu.

 

EPISTOLA CXX. IVO, humilis Carnotensis Ecclesiae minister, Roberto comiti Pontivensi, salutem.

Si injuste vobis a Sagiensi episcopo divinum officium interdictum est, displicet mihi tam propter facientem quam propter patientem. Sed quia id non debeo facere proximo quod nollem ab eo pati, ne miremini si chrisma quod a nobis petitis ad praesens non accipitis. Lex est enim ecclesiastica, ut qui interdicti vel excommunicati sunt ab una Ecclesia, non recipiantur ab alia (epist. 76 et 111). Nec est meum in absentem judicare, etiamsi pensem utrum juste an injuste vester pastor vos obligaverit, cum hoc tantum observare debeam, ut in alienam messem falcem non mittam. Libenter autem tantis malis remedium quaererem, si Deus mihi daret opportunitatem perficiendique facultatem. Vale.

 

CXXIII. (121, A. — 149, B. — 120, C.) Ives, humble ministre de l'église de Chartres, à Robert, comte de Ponthieu,[21] salut.

Si c'est injustement que l'évêque de Sées[22] vous a interdit l'office divin, je le déplore, et pour celui qui a rendu la sentence, et pour celui qui en souffre. Mais comme je ne dois pas faire à mon prochain ce que je ne voudrais pas qu'on me fit à moi-même, ne vous étonnez pas de ne pas recevoir en ce moment le saint chrême que vous me demandez. La loi ecclésiastique statue en effet que ceux qui sont interdits ou excommuniés par une église ne peuvent être accueillis par une autre. Il ne m'appartient pas de juger un absent, quelle que soit mon opinion sur la justice ou l'injustice de la peine que votre pasteur vous a infligée, je dois seulement prendre garde de ne pas porter la faux dans la moisson d'autrui. Ce serait avec plaisir que je tacherais d'apporter remède à de si grands maux, si Dieu me fournissait l'occasion et le pouvoir de le faire. Adieu.

 

EPISTOLA CXXI. IVO, humilis Ecclesiae Carnotensis minister, ADELAE excellenti comitissae, patientiae et pacis abundare visceribus.

Pro summa charitate qua diligo principatum vestrum, jam semel et secundo monui celsitudinem vestram (epist. 116 et 136), ut quod dictante ira suaderent vobis servientes vestri, non statim reciperetis, sed reditum vestrum ad nos, ad audiendam et cognoscendam veritatem rerum gestarum, exspectaretis, quia parati erant et adhuc sunt omnes canonici beatae Mariae ad exsequendum per manum nostram et quod ratio dictaverit, et justitia exegerit. Cum itaque ad omnem justitiam exsequendam erga vos et erga vestros promptos se exhiberent, praecepto vestro, sicut dicunt, vestri servientes annonam Ecclesiae apud Castrumduni, et apud Bonamvallem violenter acceperunt, et vinum domni Hilduini cantoris in vico coriariorum saisierunt (epist. 101), plurima etiam indigna clericis et hominibus eorum intulerunt. Postulant itaque clerici summa instantia ut in civitate et per totum episcopatum divinum officium interdicam (epist. 94 et 120), donec sua recipiant, quae injuste et praepropere sibi esse ablata reclamant. Et quia justitiae deesse non possum, postulavi ab eis inducias, quas vix impetravi, donec ad vos nunc tertio mitterem, et ad corrigendum quod perperam factum est, excellentiam vestram commonefacerem. Moneo itaque et consulo, ut clericis sua restitui faciatis, ne tam praeclara Ecclesia in tam sanctis diebus divino privetur officio, et de vobis a transeuntibus, qualem non deceret, publicetur opinio. In recuperabili enim re non est tam praeceps danda sententia, nec malevolorum inordinate satianda saevitia. Monui itaque et iterum moneo suadente charitate qua praecordialiter vos diligo, ut quod corrigendum est corrigatis, et quidquid duriter facere intenditis, usque ad legitimam discussionem differatis, ne, digesta ira, poeniteat vos fecisse quod faciendum non fuisse ratione docente videbitis. Quod si admonitionibus et petitionibus meis toties repetitis acquiescere non vultis, et justam satisfactionem respuitis, ne miremini si doleo cum dolentibus, et lugeo cum lugentibus, qui per omnia paratus eram et gaudiis vestris congaudere, et doloribus condolore. Valete.

 

CXXIV. (122, A. — 150, B. — 121, C.) Ives, humble ministre de l'église de Chartres, à Adèle, excellente comtesse, patience et paix abondantes.

Par l'affection profonde que je porte à votre seigneurie, j'ai déjà une première et une seconde fois conseillé à votre altesse de ne point accepter aussitôt les plaintes que la colère dicte à vos sergents, mais d'attendre votre retour parmi nous pour entendre et connaître la vérité des faits. Car tous les chanoines de Notre-Dame étaient et sont encore prêts à faire par nos mains tout ce que dicte la raison et ce qu'exige la justice. Tandis qu'ils se montrent disposés à observer la justice en tout envers vous et les vôtres, par votre ordre, disent-ils, vos sergents ont enlevé de force les provendes de l'église à Châteaudun et à Bonneval, se sont saisis du vin que le seigneur chantre Hilduin avait dans ses caves de la rue des Corroyeurs, enfin ont commis plusieurs violences envers les clercs et leurs hommes. Les clercs me demandent avec la plus grande instance d'interdire l'office divin dans la ville et dans tout l'évêché jusqu'à ce qu'ils aient recouvré ce qui leur appartient et ce qu'ils réclament, comme leur ayant été injustement et violemment enlevé. Ne voulant pas manquer à la justice, je les ai priés de m'accorder quelques jours de trêve, que j'ai obtenus à grand-peine, afin d'envoyer vers vous une troisième fois et de prier votre excellence de réparer le mal qui a été fait. Je vous conseille donc et je vous prie de faire rendre aux clercs ce qui est à eux, pour qu'une église si illustre ne soit pas privée des offices divins pendant des jours aussi saints, et pour que ceux qui y viendront n'aillent pas publier sur votre compte des bruits qui ne seraient pas honorables. Dans une affaire qui peut se remettre, il ne faut pas prendre un parti trop précipité, ni contenter étourdiment la rapacité de quelques malveillants. Par l'affection que je vous porte du fond du cœur, je vous ai conseillé et je vous conseille de nouveau de réparer ce qui doit être réparé et de remettre, jusqu'après une légitime discussion, les mesures sévères que vous auriez l'intention d'adopter. Prenez garde d'avoir à vous repentir d'avoir fait, sous l'inspiration de la colère, des actes que plus tard la raison vous forcerait de désavouer. Que si vous ne voulez vous rendre à nos avis et à nos prières tant de fois répétés, et si vous refusez une juste satisfaction, ne vous étonnez pas de me voir triste avec ceux qui sont tristes, pleurant avec ceux qui pleurent, tandis que j'étais prêt à me réjouir toujours de vos joies et à souffrir de vos souffrances. Adieu.

 

 

EPISTOLA CXXII. IVO, humilis Ecclesiae Carnotensis minister, VULGRINO Parisiensi archidiacono, a zelo justitiae, non tepescere.

Quia portitor litterarum vestrarum festinabat ad reditum, et ego publicis et familiaribus negotiis praepeditus eram, plura scribere non potui. Breviter itaque de Judaea baptizata et Christiano nupta, postea vero ad Judaismum reversa, fraternitati tuae respondemus, quoniam verum connubium fuit, quod inter personas ejusdem legis nulla interveniente causa quae conjugium solvit, rite celebratum fuit. Quamvis itaque mulier dupliciter fornicata sit, quia et ad Judaismum rediit, et viro alteri, Judaici videlicet ritus nupsit, vir tamen Christianus qui aliam, vivente ea, duxit, procul dubio adulterium perpetravit. Canon autem manifeste dicit, sicut ipse bene nosti (epist. 225) : « Quia incestis conjunctionibus nihil veniae reservamus, nisi cum adulterium separatione sanaverint. » Dicit enim beatus Augustinus in libro De nuptiis et concupiscentia (c. ult. caus. 32, q. 7, et epist. 125) : « Manet inter viventes quoddam conjugale, quod nec separatio nec cum alio copulatio possit auferre. » Hieronymus etiam ad Oceanum de morte Fabiolae: « Praecepit Dominus uxorem non debere dimitti, excepta causa fornicationis, et si dimissa fuerit, manere innuptam. Quidquid viris praecipitur, hoc consequenter redundat ad feminas. Neque enim adultera uxor dimittenda est, et vir moechus tenendus. « Multa in hunc modum reperiri possent, sed te haec bene nosse non ambigo. Vale.

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CXXV. (123, A. — 55, B. — 122, C.) Ives, humble ministre de l'église de Chartres, à Fulgrin, archidiacre de Paris, persévérance dans le zèle de la justice.

Le porteur de ta lettre pressait son retour, et moi, accablé d'affaires publiques et privées, je n'ai pu t'écrire longuement. Je ne répondrai donc que quelques mots à ta fraternité au sujet de cette femme juive qui, après avoir été baptisée et mariée à un chrétien, est retournée au judaïsme. C'est un vrai mariage celui qui, sans qu'il se trouvât aucune cause légitime qui pût l'empêcher, a été célébré suivant les rites habituels entre personnes de la même loi. Bien donc que cette femme ait fait une double fornication, en revenant au judaïsme et en prenant un autre époux suivant les rites judaïques, cependant le chrétien qui, pendant la vie de cette femme, en a épousé une autre, a incontestablement commis un adultère. Le canon le dit manifestement, comme tu le sais toi-même : Nous ne réservons aucun pardon aux unions incestueuses, avant que l'adultère soit réparé par la séparation. Saint Augustin s'exprime ainsi dans son livre des Noces et de la Concupiscence : Il reste entre les vivants un lien conjugal que ne peuvent rompre ni la séparation ni l'union avec un autre. Jérôme écrivant à Océan sur la mort de Fabiola : Le Seigneur, dit-il, a commandé de ne pas renvoyer son épouse si ce n'est pour cause de fornication, et si elle est renvoyée, elle ne doit pas se remarier. Tout ce qui est commandé à l'homme l'est également à la femme. Car on ne peut renvoyer une épouse adultère et conserver un mari qui a commis le même crime. On pourrait citer bien d'autres textes à ce sujet, mais je ne doute pas que tu ne les connaisses. Adieu.

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[1] Galon est certainement celui qui allait être élu évêque de Beauvais et qui dans la suite fut transféré à l'évêché de Paris.

[2] Raoul, que nous voyons figurer comme simple chanoine, en 1101, dans la charte d'établissement de chanoines réguliers en l'abbaye de Saint-Jean-en-Vallée, est qualifié de chambrier, en 1114, dans la charte de fondation de l'abbaye de Tiron.

[3] Hubert, évêque de Senlis, de 1099 à 1115.

[4] L'évêque de Senlis signe en effet, comme témoin, des lettres d'exemption données par le comte Henri-Étienne (voir lettre XCVI, note 1.)

[5] Galon avait en effet été le disciple de saint Ives dans le monastère de Saint-Quentin de Beauvais. C'était lui qui avait été choisi par les frères de ce monastère pour succéder à Ives lorsque celui-ci avait été promu à l'évêché de Chartres.

[6] Philippe Ier avait en effet annoncé qu'il irait à Rome pour solliciter son absolution. Comme le prévoyait saint Ives, il ne fit pas ce voyage, mais envoya des députés à sa place.

[7] Henri Ier dit Beauclerc, roi d'Angleterre, quatrième fils de Guillaume le Conquérant, succéda à son frère Guillaume Le Roux, le 5 août 1100, et mourut le 2 décembre 1135.

[8] Mathilde, dont le véritable nom était Edith, fille de Malcolm III, roi d'Ecosse, épousa Henri Ier en 1100. Elle se retira dans l'abbaye de Westminster après avoir donné le jour à deux enfants. A la Cour dissolue d'Angleterre, elle conserva toujours les plus grandes pratiques, de piété. Même sous le manteau royal, elle n'avait jamais quitté le cilice, et, pendant le Carême, c'était avec ses pieds nus qu'elle usait le pavé des églises.

[9] Nous avons cru devoir traduire ainsi l'expression reginae Anglorum, afin de faire sentir le jeu de mots employé par saint Ives : reginae Anglorum, regina Angelorum.

[10] Ce ne fut pas une soutanelle, mais une superbe chasuble dorée que la reine envoya à l'évêque de Chartres. (Voir lettre CXLV, note 3.)

[11] Il y a là un jeu de mots intraduisible : Marmoutier se dit en latin majus monasterium le grand monastère.

[12] Hugues de Lyon ne voulait plus accepter l'office de légat, qui lui avait suscité de nombreuses difficultés. Dès l'année 1099, il avait envoyé des députés à Rome pour solliciter du pape Pascal II l'autorisation de partir pour la Terre-Sainte. Pascal II y avait consenti, en lui conférant le titre et les pouvoirs de légat apostolique dans toutes les provinces de l'Asie. Hugues de Lyon partit l'année suivante, après avoir réuni un synode à Anse, dans lequel on vota des subsides pour lui permettre d'accomplir son voyage.

[13] Les lettres de tous les grands prélats du commencement du XIIe siècle sont remplies, comme celles de saint Ives, de plaintes sur les désordres qui existaient au sein de l'Église à cette époque. L'éloignement du Saint-Siège, la difficulté de correspondre avec lui favorisaient singulièrement l'esprit de révolte des membres du clergé inférieur contre leurs prélats.

[14] Foulques, d'abord chanoine de Senlis, devint doyen de l'église de Paris vers 1090. En 1102, il succéda à Guillaume de Montfort sur le siège episcopal.

[15] Cette missive, comme on peut le voir, n'est pas une lettre familière, mais une lettre de recommandation. Ce n'est pas la seule qui se trouve à la fin de notre manuscrit, et nous avons voulu, en la publiant, donner un exemple des exeat qui étaient, au commencement du XIIe siècle, délivrés par les évêques aux clercs de leurs diocèses.

[16] Manassès, archidiacre de Meaux, fut élu évêque de cette ville en 1103, après la mort de Gautier de Chambly.

[17] Louis, depuis Louis VI le Gros, fils aîné de Philippe Ier, associé à la Couronne vers l'année 1100.

[18] Nous pensons que la bulle sollicitée ici par saint Ives est celle du 11 novembre 1102, que nous avons publiée dans le Cartulaire de Notre-Dame de Chartres (t. I, p. 110).

[19] Guillaume, archidiacre de Chartres.

[20] Voir lettres CXVI et CXVIII.

[21] Il est ici question de Robert de Bellême, fils de Roger de Montgommery, et qui s'est rendu si célèbre par ses brigandages et par ses trahisons successives envers les fils de Guillaume le Conquérant. Nous ne l'avions jamais rencontré désigné sous le titre de comte de Ponthieu, qu'il tenait du chef de sa femme Agnès, fille de Gui Ier, comte de Ponthieu : mais son fils Guillaume Talvâs prit souvent cette dénomination.

[22] Serlon, d'abord abbé de Saint-Évroul, fut sacré évêque de Sées le 22 juin 1091. Il lutta courageusement contre ses deux redoutables voisins Robert de Bellême et Rotrou, comte du Perche. Il avait déjà excommunié Robert de Bellême en 1093 ; la seconde excommunication, à laquelle Ives fait ici illusion, est de l'année 1103.