YVES DE CHARTRES.
LETTRES LXXVI - LXXX
lettres LI à LXXV - lettres CI à CXXV
Œuvre numérisée par Marc Szwajcer
LETTRES
DE
SAINT IVES
EVEQUE DE CHARTRES
TRADUITES ET ANNOTÉES
PAR LUCIEN MERLET
Membre correspondant de l'Institut.
CHARTRES
IMPRIMERIE GARNIER
15, rue du Grand-Cerf, 15
M DCCC LXXXV
EPISTOLA LXXIV. IVO, Dei gratia, Carnotensis Ecclesiae minister, HILDEBERTO Cenomanensi episcopo, in tribulatione tolerantiam, in tolerantia perseverantiam. Quantum ex tenore litterarum tuarum perpendi, ad suggestionem aemulorum tuorum de proditione Cenomanicae urbis nuper facta insimulare te molitur regis Anglorum metuenda severitas, nulla adversum te legitima accusatione prolata, sed pravorum delatione conjecturarum divinationibus palliata, et cum paratus sis ad perficiendam purgationem legitimam, non aliter vult te hujus proditionis immunem credere, nisi igniti ferri examinatione demonstres innocentiam tuam. Consulis itaque humilitatem meam utrum tibi bene conscius pro conservanda integritate famae tuae, et recuperanda regis gratia debeas voluntati ejus acquiescere, an quaelibet adversa pati, ut non recedas ab ordine: breviter itaque tibi respondeo, consulens ut non transgrediaris terminos antiquos, terminos quos posuerunt patres tui. Aliter namque innocentiam defendere, est innocentiam perdere monomachiam enim et ferri calidi examinationem nec consuetudo ecclesiastica in discutiendis causis ecclesiasticis recipit, nec canonica auctoritas instituit. Unde Nicolaus in causa regis Lotharii et Thebergae de falsis criminibus impetitae: « Monomachiam in legem non assumimus, quam praeceptam esse non reperimus; cum haec et hujusmodi sectantes, Deum solummodo tentare videantur. » Dicit autem Augustinus in libro Quaestionum super Genesim: « Quando habet homo quod faciat, non debet tentare Deum suum. » Inde etiam ita scripsit Alexander II papa Ramuldo Cumano episcopo: « Super causa Gislandi presbyteri tui de morte episcopi sui praedecessoris tui infamati in medium consuluimus. Itaque circum astantium omnium fratrum assensu unanimi tuae dilectioni rescribimus, praefatum Gislandum ante te praesentandum, ubi, si certi accusatores defuerint, tunc dictante justitia, sine omni controversia presbyter quaecunque ob hoc injuste amisit, ac sacerdotium et integra accipiat beneficia, purgationem tamen antea duobus sibi sacerdotibus junctis, ubi accusator cessaverit eumdem ex se praebere tuo committimus arbitrio. Vulgarem denique legem ac nulla canonica sanctione fultam, ferventis scilicet sive frigidae aquae ignitique ferri contactum, aut cujuslibet popularis inventionis, (quia fabricante haec sunt omnino ficta invidia) nec ipsum exhibere, nec aliquomodo te volumus postulare, imo apostolica auctoritate prohibemus firmissime. » Inde etiam Stephanus V papa dicit Lamberto episcopo Magontino : « Ferri candentis vel aquae ferventis examinatione confessionem extorqueri a quolibet, sacri non censuerunt canones, et quod sanctorum Patrum documento sancitum non est, superstitiosa adinventione non est praesumendum. Spontanea enim confessione vel testium approbatione publicata delicta, habito prae oculis Dei timore, commissa sunt regimini judicare: occulta vero et incognita illius sunt judicio relinquenda, qui solus novit corda filiorum hominum. » Plura tibi perscripsissem super his, si licuisset. Tu itaque his et aliis auctoritatibus Patrum undique munitus viriliter age, et ne de te aliis praebeas exemplum futuris et praesentibus nociturum. Si enim aliquid contra justitiam pateris, de tribulatione purgaberis, et probaberis, deque probatione misericordiam consequeris. Vale. |
LXXVI. (74, A et C. — 91, B.) Ives, par la grâce de Dieu, ministre de l'église de Chartres, à Hildebert, évêque du Mans, patience dans la tribulation, persévérance dans la patience. Autant que j'ai pu le comprendre par la teneur de ta lettre, à la suggestion de quelques-uns de tes ennemis, la sévérité redoutable du roi d'Angleterre tente de te rendre responsable de la défection de la ville du Mans.[1] Il ne porte à la vérité contre toi aucune accusation légitime, mais il s'appuie sur la délation des méchants grossie de vaines conjectures, et comme tu te déclares prêt à te disculper selon les lois, il ne veut point accepter la preuve de ton innocence si tu ne la démontres par l'épreuve du fer rouge. Tu consultes donc mon humilité pour savoir si, fort de ta bonne conscience, pour conserver intacte ta réputation et pour recouvrer la faveur du Roi, tu dois te soumettre à sa volonté ou t'exposer à toutes les adversités plutôt que de contrevenir à l'ordre établi. Je te réponds en peu de-mots et je te conseille de ne pas transgresser les limites posées de toute antiquité par tes pères. Car défendre autrement son innocence, c'est la perdre. Les combats singuliers, les épreuves du fer rouge ne sont pas acceptés par la coutume ecclésiastique dans l'examen des causes ecclésiastiques et n'ont pas été institués par l'autorité des canons. Nicolas, dans la cause entre le roi Lothaire et Tetberge accusée de prétendus crimes, s'exprime ainsi : Nous ne reconnaissons pas comme loi le combat singulier dont nous ne trouvons nulle part le précepte : ceux qui ont recours à ces pratiques et à d'autres du même genre ne font à nos yeux que tenter Dieu. Augustin dit dans son livre des Questions sur la Genèse : Quand un homme a sous la main un moyen de se défendre, il ne doit pas tenter son Dieu. De même le pape Alexandre II écrit à Ramald, évêque de Cumes : Nous avons délibéré sur la cause de Ghisland, prêtre de ton diocèse, accusé de la mort de son évêque ton prédécesseur. De l'avis unanime de tous les frères qui nous entouraient, nous conseillons à ton affection de faire comparaître devant toi ledit Ghisland. Si aucun accusateur sérieux ne se présente, alors, comme le demande la justice, en l'absence de tout contradicteur, tu rétabliras ce prêtre dans tout ce qui lui a été enlevé injustement, l'exercice du sacerdoce et ses bénéfices. Cependant auparavant, nous confions à ta sagesse le soin, tout accusateur faisant défaut, d'exiger de lui, assisté de deux prêtres, la justification de ce crime. Quant à cette loi vulgairement invoqua, bien qu'elle ne soit appuyée sur la sanction d'aucun canon, je veux dire quant à ces épreuves de l'eau froide ou de l'eau bouillante, ou du fer rouge, ou de toute autre invention populaire (toutes créations d'une envie déguisée), nous ne voulons point qu'il s'y soumette ou que tu les exiges de lui, bien plus nous le défendons absolument de notre autorité apostolique. Enfin le pape Etienne V dit à ce sujet à Lambert, évêque de Mayence[2] : Les sacrés canons n'ont pas jugé bon d'extorquer l'aveu d'un crime par l'épreuve du fer rouge ou de l'eau bouillante : or ce que renseignement des Saints Pères n'a pas consacré, ce n'est pas une invention superstitieuse qui doit l'établir. Les fautes reconnues par un aveu spontané ou par la déposition de témoins, la punition en appartient à la justice humaine, guidée par la crainte du Seigneur ; quant aux crimes cachés ou ignorés, le jugement doit en être laissé à celui qui seul connaît les cœurs des fils des hommes. Si j'avais le loisir, j'aurais pu te citer bien d'autres textes à ce sujet. Armé donc de ces témoignages et de tant d'autres tirés des Pères, agis virilement et n'offre pas au temps présent et aux générations à venir un exemple nuisible. Que si tu souffres quelque chose contre la justice, tu trouveras dans la tribulation l'expiation de tes fautes, l'épreuve de ta vertu, et l'épreuve te méritera la miséricorde. Adieu. |
EPISTOLA LXXV. IVO, Dei gratia Carnotensis episcopus, Joanni eadem gratia Aurelianensium episcopo, salutem. Quod licentiam postulavi a domno papa Putuacensem dominam et milites ejus excommunicandi, magna et manifesta me compulit necessitas pro interminatis injuriis Carnotensi Ecclesiae ab eis frequenter illatis, et ab Aurelianensi Ecclesia nondum emendatis. Ad quod etiam nunc laborare videntur qui pro vobis scripserunt, ad libitum suum interpretantes litteras domni papae, sensum suum non aptantes ejus voluntati, sed insidias facientes grammaticae positioni, tanquam et ipsi qui litteras apostolicas scripserunt, non fuerint grammatici. Quando enim dixit, ut confirmaretis sententiam nostram canonice dictatam in praedictam domnam, jam dixerat esse parochianam vestram, et tamen dedit Carnotensi Ecclesiae licentiam excommunicandi eam pro suis injuriis. Canonicum itaque est eam excommunicare admonitam, et saepe vocatam, et non resipiscentem Satanae tradere, cum illa potestas hoc concesserit, cujus est de omni persona et de omni Ecclesia judicare (epist. 78). Rogo itaque et moneo ut impleatis praeceptum quod accepistis, quia et ego ad praesens non privabor apostolico munere quod accepi. Quod autem offertis mihi eam ad justitiam in capitulo Aurelianensi, vos ipse scitis non esse canonicum: quia honor quem contra canones invadit, Carnotensis Ecclesiae est, in qua obtuli ei omnem justitiam, et adhuc offero. Sed ipsa omnino refugit, quia injustam se novit habere calumniam. Debet autem nosse vestra fraternitas quod, (epist. 184; Grat. can. 3, q. 6) quaeque negotia in locis in quibus orta sunt, primum sunt discutienda. Valete. |
LXXVII. (75, A et C. —-120, B.) Ives, par la grâce de Dieu, évêque de Chartres, à Jean, par la même grâce, évêque d'Orléans, salut. J'ai demandé au seigneur pape l'autorisation d'excommunier la dame du Puiset et ses chevaliers, poussé par une impérieuse et évidente nécessité de défendre l'église de Chartres contre les injures qu'on lui porte sans cesse, et que l'église d'Orléans ne s'est pas encore préoccupée de réprimer. Ceux qui ont écrit en votre place me semblent encore chercher de vaines excuses : ils interprètent à leur guise les lettres du seigneur pape ; ils substituent leur opinion à sa volonté et cherchent de misérables querelles grammaticales, comme si ceux qui ont écrit les lettres apostoliques n'étaient pas des grammairiens. Car lorsque le pape vous a prescrit de confirmer notre sentence canoniquement portée contre ladite dame, il avait reconnu auparavant qu'elle était votre paroissienne, et cependant il a accordé à l'église de Chartres la liberté de l'excommunier pour ses injures. C'est donc canoniquement que j'ai pu l'excommunier après l'avoir avertie et l'avoir souvent citée devant moi, et que j'ai dû l'abandonner à Satan puisqu'elle ne voulait pas revenir à résipiscence : cette puissance m'avait été accordée par celui à qui appartient le jugement sur toute personne et sur toute église. Je vous prie et je vous conseille de vous conformer à l'ordre que vous avez reçu : pour moi, je ne renoncerai pas à présent à la faveur apostolique qui m'a été accordée. Quant à l'offre que vous me faites de l'appeler en justice dans le chapitre d'Orléans, vous savez bien que cela n'est pas canonique puisque les terres qu'elle a envahies appartiennent à l'église de Chartres et que je lui ai proposé et lui propose encore toute justice en cette église : mais elle s'y refuse absolument, connaissant bien l'injustice de sa cause. Votre fraternité sait assurément que les différends doivent d'abord être vidés dans les lieux où ils ont pris naissance. Adieu. |
EPISTOLA LXXVI. DAIMBERTO, Dei gratia Senonensium archiepiscopo, IVO, humilis sacerdos, salutem et debitam reverentiam. Quoniam ex antiqua institutione provincialem synodum celebrare vestra sollicitudo disposuit, in qua ad correctionem pravorum promulganda sunt instituta apostolica et canonica, parvitatem meam quam invitatis, licet minus utilem, subtrahere nec volo nec debeo, si tamen divina miseratio libertatem mihi conservaverit et sospitatem. Per quamcunque autem viam eadem divina miseratio venire me concesserit, ante aliquot dies praemando vobis ut in loco competenti quam securiorem conductum poteritis mihi transmittatis. De electione autem Nivernensium, in qua se studia partium diviserunt, ex institutione Patrum instructam credo esse prudentiam vestram ut illum modis omnibus praeferatis, qui majoribus studiis juvatur et meritis. Sed quia nemini cito manus imponenda est, si id ad praesens ad plenum deprehendere non valetis, differendum mihi hoc negotium usque ad futuram synodum videtur, ut tunc evidentius discutiantur et eligentium studia et electorum merita. De caetero Adeliciam (epist. 75) Puteacensem dominam et Hugonem filium ejus (epist. 111 et 112) cum caeteris adjutoribus suis propter tyrannidem quam in nos exercent, ex auctoritate apostolica a nobis excommunicatos precando insistimus, et insistendo precamur, ut vos quoque excommunicetis, aut male invasa nobis restitui faciatis. Sic enim antiquitus est institutum, et nuper in Avernensi concilio omnium episcoporum qui aderant, consensu confirmatum, ut ab uno episcopo quemlibet pro injuriis ecclesiasticis excommunicatum, vicini quoque episcopi excommunicent (infra epist. 111 et 120). Quos si causatur injuste se excommunicatam, veniat ad Ecclesiam cui calumniam facit, et a qua nullam injuriam pertulit; audiet Deo juvante justam se accepisse sententiam. Apostolica autem auctoritate a nobis eam esse excommunicatam, exemplar apostolicarum litterarum quod vobis transmisi, declarabit. Valete. |
LXXVIII. (76, A et C. — 150, B.) A Daimbert, par la grâce de Dieu, archevêque de Sens, Ives, humble prêtre, salut et respect qui lui est dû. Suivant l'antique usage, votre sollicitude a résolu de célébrer un synode provincial dans lequel vous devez promulguer les décrets apostoliques et canoniques rendus pour la correction des méchants. Vous y avez invité mon humilité, et, bien que je sente mon inutilité, je ne veux ni ne dois me soustraire à votre invitation, à condition toutefois que la divine miséricorde me conserve ma liberté et ma sécurité. Quelle que soit la voie que m'indique cette divine miséricorde pour aller vers vous, je vous le manderai quelques jours à l'avance, afin que vous puissiez me faire parvenir pour me rendre au lieu désigné le sauf-conduit le plus sûr possible. Au sujet de l'élection de Nevers, sur laquelle les avis sont si divisés, je crois que les leçons des Saints Pères ont suffisamment instruit votre prudence de préférer de toutes manières celui qui l'emporte par ses mérites et par les suffrages du plus grand nombre. Mais comme on ne doit pas user de précipitation dans l'imposition des mains, si vous n'êtes pas à présent pleinement convaincu du parti que vous devez prendre, il me semble qu'il faut remettre jusqu'au prochain synode la décision de cette affaire, afin qu'alors on puisse discuter plus à fond et le choix des électeurs et les mérites de l'élu. Quant à Adélaïde, dame du Puiset, et à Hugues, son fils, avec leurs complices, que j'ai excommuniés d'après l'autorité apostolique à cause de la tyrannie qu'ils exercent contre nous, je vous prie avec insistance et j'insiste avec prière pour que vous aussi vous les excommuniiez ou que vous nous fassiez rendre ce qu'ils nous ont injustement enlevé. La coutume antique, récemment confirmée dans le concile de Clermont par tous les évêques présents, veut que le coupable excommunié par un évêque à cause de torts faits aux biens ecclésiastiques soit excommunié également par les évêques voisins. Si cette dame prétend que l'excommunication est injuste, qu'elle se présente devant l'église contre laquelle elle proteste et de laquelle elle n'a reçu aucune injure ; là, avec l'aide de Dieu, elle reconnaîtra qu'elle a été justement condamnée. Pour vous prouver que c'est de l'autorité apostolique que j'ai lancé cette excommunication, je vous transmets la copie des lettres apostoliques. Adieu. |
EPISTOLA LXXVII. IVO, Dei gratia humilis Ecclesiae Carnotensis minister, HUGONI Belvacensis Ecclesiae decano, et caeteris fratribus ejusdem Ecclesiae, salutem in Domino. De molendino quod Ecclesiae vestrae c. ] ab episcopo ejusdem molendini constructore est donatum et non tantum tricenaria ususcapione quiete possessum, sed etiam vestrorum privilegiorum auctoritate firmatum; nunc vero impedimentis pontium et tinctorum sordibus impeditum, molendi amisit officium, justam et omni ratione subnixam causam habere videmini, et maxime adversus episcopum, qui non solum debet suis temporibus illicita non patrare, sed etiam ab antecessoribus suis illicite patrata corrigere. Sic enim scribit papa Gelasius Cresconio et Mesaliae episcopis (cap. Decessorum. caus. 25, q. 2) : « Decessorum statuta sicut legitima et justa successorem convenit custodire ita debet etiam malefacta corrigere. » Ideo nunc est sufficiens ratio quod dicit episcopus, praecepto suo nullum impedimentum illatum fuisse molendino, quo minus officium suum faceret, nisi ipse eos qui impediunt pro potestate sui officii removeat ab impedimento. Sicut enim scribit Joannes VIII papa Ludovico imperatori (epist. 100) : « Facientis culpam habet, qui quod potest corrigere, negligit emendare. » Quod si episcopus hoc a sua potestate removere conatur, legat sententiam de concilio Gelasii papae. Dicit enim synodo, ut res vel privilegia quae Dei Ecclesiis ex longa consuetudine pertinent, sive a divae recordationis imperatoribus, sive ab aliis Dei cultoribus in scriptis donata, et ab eis per annos triginta possessa sunt, nequaquam removeantur a potestate praesulum eorum quaecunque saecularis persona per potestatem eis subtrahat, aut per argumenta quaelibet auferat; sed sint omnia in potestate ac jussu praesulis Ecclesiae, quaecunque intra triginta annorum spatium ab Ecclesiis possessa fuisse noscuntur. Quisquis igitur saecularium contra praesentem definitionem egerit, tanquam sacrilegus judicetur: et donec se correxerit, et Ecclesiae propria privilegia, seu res restituerit, anathema sit. » Item de eodem papa Nicolaus Adoni Viennensi archiepiscopo: « De rebus quae semel Deo contributae atque dedicatae sunt, et postea sub occasione concessionis principum a quibusdam invaduntur atque diripiuntur, sancimus ut prius consulto principe ad resecandam tam praesumptivam factionem, et cognoscendum tam praesumptivam factionem, et cognoscendum utrum illius sit concessio, an invasoris praesumptio. Quod si principis inordinata fuerit largitio, et ipse sit princeps pro emendatione redarguendus. Si autem invasoris declaratur praesumptio, usque ad emendationem excommunicationis sit vindicta coercendus. » Oppositio vero annuae possessionis secundum consuetudinem suae civitatis, sive obligatio episcopi qua se promisit observaturum consuetudines ejusdem civitatis, sive turbulenta conjuratio factae communionis nihil praejudicant legibus ecclesiasticis. Pacta enim et constitutiones vel etiam juramenta quae sunt contra leges canonicas et auctoritates sanctorum Patrum, sicut vos ipsi bene nostis, nullius sunt momenti. Dicit enim papa Zozimus Narbonensis : « Contra statuta Patrum aliquid concedere vel mutare, nec hujus quidem sedis potest auctoritas. Quod si adversus canonum formas aliquid vobis judicatum fuerit, si vobis visum fuerit, appellabitis audientiam eorum judicium, qui apud vos majoris videntur esse auctoritatis, sive apud vestrum metropolitanum, sive apud legatum Romanum. Post appellationem vero infra quinque dies postulabitis litteras ab eo a quo appellatum est (ep. 220, c. Si quis cum seq. caus. 2, q. 6), ad eum ad quem appellatum est, ut diem utrique parti constituat, in quo causam vestram judiciali sententia terminari praecipiat. Valete. |
LXXIX. (77, A et C. — 30, B.) Ives, par la grâce de Dieu, humble évêque de Chartres, à Hugues, doyen de Beauvais,[3] et aux autres frères de la même église, salut dans le Seigneur. Votre église a reçu la donation d'un moulin de la main de l'évêque même qui l'avait construit, et non seulement vous le possédez par un usage trentenaire, mais encore il vous a été confirmé par l'autorité de vos privilèges. Aujourd'hui ce moulin ne peut plus moudre, embarrassé qu'il est par la construction de ponts et par les déchets des teinturiers. Vos réclamations à ce sujet me semblent justes et complètement appuyées sur la raison, surtout contre l’évêque, qui non seulement ne doit pas souffrir des injustices pendant son administration, mais aussi doit réparer celles qui ont été commises sous ses prédécesseurs. C'est ainsi que le pape Gélase écrit à Cresconius et à Jean, évêques de Massulae[4] : De même que les actes justes et légitimes des prédécesseurs doivent être observés par leur successeur, de même ce qu'ils ont fait de mal doit être réparé par lui. Il ne suffit donc pas audit évêque d'avancer que par son ordre aucun embarras n'a été apporté au moulin pour l'empêcher de moudre ; il faut encore que par l'autorité de son office il réprime ceux qui ont apporté ces embarras. Comme l'écrit en effet le pape Jean VIII à l'empereur Louis : Celui-là est aussi coupable que le malfaiteur qui, ayant le pouvoir de réparer, néglige de le faire. Que si l'évêque tente de se soustraire à ce devoir, qu'il lise la sentence tirée du concile du pape Gélase : Ce saint et grand synode a ordonné que les biens ou les privilèges qui, par un long usage, appartiennent aux églises de Dieu, qu'elles les aient reçus des empereurs de sainte mémoire ou d'autres fidèles de Dieu, du moment qu'elles les possèdent par un usage de trente ans, ne puissent être enlevés de la main des chefs de ces églises, quel que soit le pouvoir séculier qui les réclame, quels que soient les arguments que l'on fasse valoir. Il a voulu que le chef de ces églises tînt en sa main et en sa puissance tout ce qu'elles possèdent d'une manière certaine depuis l'espace de trente ans. Quiconque donc des séculiers voudra enfreindre ce décret, qu'il soit considéré comme sacrilège et qu'il soit soumis à l'anathème jusqu'au jour où il sera venu à résipiscence et aura rendu aux églises leurs privilèges et leurs biens. Sur le même sujet, le pape Nicolas écrit à Adon, archevêque de Vienne : Touchant les biens qui, après avoir été donnés et consacra à Dieu, plus tard, sous prétexte d'une concession des princes, sont enlevés et usurpés injustement, nous ordonnons que, pour couper court à une si audacieuse entreprise, on s'adresse d'abord au prince pour savoir de lui si véritablement il les a concéda ou si c'est une pure usurpation. Si le prince a fait imprudemment une donation de ces biens, il doit être averti de la rétracter. Si au contraire c'est une pure usurpation, le coupable doit être lié des chaînes de l'excommunication jusqu'à ce qu'il fasse-réparation. Si l'on vous oppose la possession annuelle suivant la coutume de la cité, ou l'obligation qu'a souscrite l'évêque d'observer les coutumes de Beauvais, ou encore la turbulente conjuration de la commune qui s'y est établie,[5] rien de tout cela ne peut préjudicier aux lois ecclésiastiques. Car les pactes et les constitutions, voire même les serments, s'ils sont contraires aux lois canoniques et aux décrets des Saints Pères, ne sont, comme vous le savez, d'aucune valeur. Le pape Zosime dit à l'évêque de Narbonne : L'autorité même du Saint-Siège ne peut rien concéder ni innover contre les décrets des Pères. Si l'on rend contre vous un jugement qui ne soit pas conforme aux règles des canons, vous pourrez, si vous le jugez bon, en appeler à la décision des juges dont l'autorité vous semblera avoir le plus de poids, soit votre métropolitain, soit le légat de l'Église Romaine. Dans les cinq jours qui suivront votre appel, vous demanderez au juge dont vous appelez une lettre pour le juge à qui vous en appelez, afin que celui-ci fixe un jour aux deux parties pour terminer votre affaire par une sentence définitive. Adieu. |
EPISTOLA LXXVIII. IVO, Carnotensis Ecclesiae humilis minister, monachis Dolensis monasterii, unanimes habitare in domo. Venientes ad nos quidam de vestro monasterio diversa sentientes, notificaverunt nobis dissensionem quae inter vos orta est de electione fratris vestri Bernerii quondam Bonaevallis monachi. Quorum relatione audita valde doluimus, procul dubio scientes, quia Satanas expetivit vos, et timentes ne ista occasione vos invicem mordeatis et comedatis, et invicem consumatis. Vocato itaque ad nos abbate Bonaevallis monasterii, et convocatis quibusdam de melioribus Ecclesiae nostrae fratribus diligenter investigavimus, utrum praedictus frater, vel in clericali ordine, vel in monastico aliqua notabilis apparuisset infamia. Bonum ergo ei testimonium in omni aetate et ordine comperimus. Hoc solum abbas et monachi objecerunt quod sine licentia fratrum a monasterio discesserit. Sed hujus discessionis causam et per nos scientes, et per alios subtilius inquirentes, cognovimus, quia eo tempore quo discessit, magna in eo monasterio perturbatio fuit, quam etiam abbas ejusdem loci ferre non valens, ad majus monasterium, in quo ad conversionem venerat, necessitate compulsus rediit. Causam autem propter quam abbas discessit, propter reverentiam monastici ordinis melius est silere quam revelare. Quapropter illa discessio, quae illi fratri et multis aliis pie sentientibus visa est in melius mutatio, nullum nobis videtur ei facere praejudicium, si vota omnium vestrum vel meliorum in eo conveniant, et mores monastico regimini non congruentes impediant, maxime cum summus pontifex (epist. 75), cujus est de omni persona et de omni Ecclesia judicare, eum ab hoc vinculo absolverit, Missas etiam ab eo audierit, et in omnibus sacramentis ecclesiasticis coram religiosis personis saepe communicaverit. Quapropter si alia quae canonicis institutis contraria sint in eo reperta non fuerint, rogamus et monemus ut in eo charitatem confirmetis, et ad pacis compagem festinanter redire studeatis. Habemus enim prae manibus religiosorum exempla virorum, qui relictis probabili causa monasteriis suis, ad Cluniacense monasterium (ep. 41), vel ad alia monasteria secesserunt, vel etiam ad ecclesiasticas dignitates vel monasteriorum curas sine omni repulsione ascenderunt. Ex quibus duo de monasterio Crucis, litterati et religiosi, Guimundus et Robertus, alter ad episcopatum Aversensem, alter ad gubernationem monasterii Sancti Laurentii Aversensis, auctoritate apostolica assumpti sunt. Arnulfus Belvacensis monasterii Sancti Simphoriani monachus, vir prudens et religiosus, simili de causa relicto monasterio, nunc Cantuariense monasterium regit. Sic et multi alii. Valete. |
LXXX. (78, A et C. — 31, B.) Ives, humble ministre de l'église de Chartres, aux religieux du monastère de Dol, demeure éternelle à tous dans la maison du Seigneur. Plusieurs religieux de votre monastère sont venus à nous, divisés d'opinion sur l'élection faite par vous de votre frère Bernier,[6] jadis moine de Bonneval. Nous avons été affligé de leur récit, car nous avons jugé, à n'en pas douter, que Satan s'est introduit parmi vous, et nous craignons que vous ne vous mordiez et que vous ne vous déchiriez entre vous et qu'ainsi vous n'arriviez à la ruine. Nous avons donc appelé vers nous l'abbé du couvent de Bonneval,[7] et, après avoir convoqué quelques-uns des frères les plus éclairés de notre église, nous avons diligemment examiné si ledit frère était entaché de quelque infamie notable dans sa vie comme clerc ou comme moine. Partout, à tout âge et en tout ordre, nous n'avons que de bons témoignages sur sa conduite. La seule chose que lui reprochent l'abbé et les moines est d'avoir quitté le monastère sans la permission de ses frères. Mais, sachant par nous-même la cause de cette séparation et nous en étant soigneusement enquis près d'autres, nous avons connu qu'à l'époque où il s'éloigna, un grand trouble régnait dans ce monastère, trouble tel que l'abbé de ce lieu, ne pouvant le supporter, fut forcé de retourner dans l'abbaye de Marmoutier où il avait fait profession.[8] Quant au motif qui fit ainsi partir l'abbé, par respect pour l'ordre monacal, j'aime mieux le taire que le révéler. Cette séparation donc, que ce frère et beaucoup d'autres pleins de piété crurent utile pour mieux servir Dieu, semble ne devoir lui être en rien préjudiciable si les vœux de tous les vôtres ou de la partie la plus saine de votre couvent se portent sur sa personne, et si l'indignité de sa vie ne lui interdit pas de prendre le gouvernement d'un monastère, surtout quand le souverain pontife, juge suprême de toute personne et de toute église, l'a délivré de ce lien, a entendu la messe célébrée par lui, et, devant des personnes religieuses, l'a souvent admis à la participation de tous les sacrements ecclésiastiques. C'est pourquoi si vous ne trouvez pas en lui autre chose contraire aux institutions canoniques, nous vous prions et avertissons de suivre vos bonnes intentions à son égard et de revenir le plus tôt possible à l'observation de la paix. Car nous avons entre les mains les exemples d'hommes pieux qui, après avoir abandonné leurs couvents pour des motifs louables, se sont retirés dans l'abbaye de Cluny et dans d'autres monastères, ou même ont accepté sans rencontrer d'opposition des dignités ecclésiastiques ou le gouvernement de monastères. Nous vous citerons entre autres deux moines de la Croix-Saint-Leufroi, pleins de piété et de science, Guimond[9] et Robert, dont l'un a été nommé par l'autorité apostolique à l'évêché d'Aversa, et l'autre au gouvernement de l'abbaye de Saint-Laurent d'Aversa.[10] Arnoul, moine de Saint-Symphorien de Beauvais,[11] homme prudent et religieux, a quitté pour un semblable motif son monastère et gouverne aujourd'hui l'abbaye de Cantorbéry. Et ainsi de beaucoup d'autres. Adieu. |
[1] Hélie, comte du Maine, était en guerre avec le roi d'Angleterre : fait prisonnier par Robert de Bellême, il fut livré à Guillaume le Roux qui, peu de temps après, sur les instances d'Hildebert, consentit à le remettre en liberté, sous la condition qu'il lui céderait la ville du Mens. Mais la paix dura peu ; les seigneurs manceaux se sentaient humiliés de subir la domination normande et ils vinrent se grouper autour du comte Hélie en l'excitant à secouer le joug des Anglais. A leur tête, Hélie marcha sur le Mans au mois de juin 1099 ; les Anglais furent culbutés au passage du Loir, et les vainqueurs les poursuivirent jusqu'au Mans, où ils furent accueillis par les habitants comme des libérateurs. Les Anglais se retirèrent dans la citadelle qu'Hélie se hâta d'investir ; mais ses efforts se brisèrent contre la résistance courageuse de la garnison, et il dut se retirer, abandonnant sans protection cette population qui venait de lui donner un nouveau gage de son dévouement. C'est de cette révolte des Manceaux que Guillaume le Roux voulait rendre Hildebert responsable, bien qu'à la première nouvelle du soulèvement le saint évêque se fût empressé de se rendre auprès du roi. [2] Saint Ives cite plusieurs fois cette lettre du pape Etienne V et change chaque fois le nom de l'évêque de Mayence. Le vrai nom de celui-ci était Luitbert ; il tint le siège de Mayence de 863 à 889. [3] Hugues de Gerberoi, frère de Garnier, vidame de Gerberoi, fut doyen de Beauvais de 1079 environ à 1100. [4] Notre manuscrit porte Mesaliœ episcopis, nous pensons qu'il s'agit de l'évêché de Massulae en Numidie. [5] Comme on le voit par cette lettre, la commune de Beauvais date de la fin du XIIe siècle. Nous savons que la charte communale de cette ville fut confirmée par Louis VI, puis par Louis VII en 1141. [6] Bernier, moine de Bonneval, s'était retiré à Marmoutier avec l'abbé Gautier II. Son élection comme abbé de Dol eut lieu en 1097 ; mais elle ne paraît pas avoir eu de suite ; car nous le retrouvons abbé de Bonneval vers 1100. [7] L'abbé de Bonneval était alors Robert II, qui avait succédé à Gautier II. [8] Voir la lettre II adressée à Bernard, abbé de Marmoutier. [9] Le comte Roger de Sicile, frère de Robert Guiscard, fut créé, en 1098, par le pape Urbain II, légat apostolique en Sicile, comme autrefois le roi Etienne Ier, en Hongrie. Pendant sa légation, il donna les principaux bénéfices de la Sicile et du duché d'Apulie à des ecclésiastiques qu'il fit venir de Normandie. C'est ainsi qu'il confia l'évêché de Mazara à un clerc de Rouen nommé Etienne ; l'abbaye de Sainte-Euphémie à Robert de Grandmesnil, ancien abbé de Saint-Évroul, et sans doute aussi l'évêché d'Aversa à Guimond. Ce dernier prélat est surtout connu par les écrits qu'il a composés contre l'hérésiarque Bérenger. [10] Le monastère de Saint-Laurent d'Aversa acquit une grande importance pendant l'administration de Robert. Ce fut dans cette abbaye que fut enfermé, en 1102, l'évêque de Sabine, Albert, nommé pape par quelques cardinaux hostiles à Pascal II. [11] Arnoul, du prieuré de Cantorbéry, passa à l'administration de l'abbaye de Peterborough. En 1114, il fut nommé à l'évêché de Rochester. |