YVES DE CHARTRES.
LETTRES XXVI à L
lettres I à XXV - lettres LI à LXXV
Œuvre numérisée par Marc Szwajcer
LETTRES
DE
SAINT IVES
EVEQUE DE CHARTRES
TRADUITES ET ANNOTÉES
PAR LUCIEN MERLET
Membre correspondant de l'Institut.
CHARTRES
IMPRIMERIE GARNIER
15, rue du Grand-Cerf, 15
M DCCC LXXXV
EPISTOLA XXVIII. PHILIPPO, Dei gratia magnifico Francorum regi, IVO, humilis sublimitatis suae clericus, sic se regere ut Regi regum valeat complacere. Excellentiae vestrae litteras nuper accepi, quibus submonebar ut apud Pontesium vel Calvum montem cum manu militum vobis, die quem statueratis, occurrerem, iturus vobiscum ad placitum quod futurum est inter regem Anglorum et comitem Northmannorum; quod facere ad praesens magnae et multae causae me prohibent. Prima, quia domnus papa Urbanus interdicit vobis auctoritate apostolica thorum mulieris quam pro uxore habetis, et quia sacramentum de securitate concilii quod vobis mandaverat, fieri vetuistis. A cujus commistione si amodo non cessatis, separat vos eadem auctoritas a participatione corporis et sanguinis Dominici. Interdicit etiam omnibus episcopis ne capiti illius mulieris coronam imponant, quam, ut ubique pene terrarum dicitur, lateri vestro illicite copulastis. Parcens igitur majestati vestrae dissimulo vestram adire praesentiam, ne sedis apostolicae jussione compulsus, cui vice Christi parere me oportet, quod nunc dico in aure, cogar in vestris et multorum auribus publicare. Ego autem nolo vos scandalizare, vel regiam majestatem vestram minuere, quandiu possum aliqua honesta ratione dissimulare. Praeterea casati ecclesiae et reliqui milites pene omnes vel absunt, vel pro pace violata excommunicati sunt, quos sine satisfactione reconciliare non valeo, et excommunicatos in hostem mittere non debeo. Postremo novit vestra serenitas quia non est mihi in curia vestra plena securitas, in qua ille sexus mihi est suspectus et infestus qui etiam amicis aliquando non satis est fidus. Exspecto igitur ut aliquando cor vestrum illustrante divina clementia, contra sibilum serpentis auditum obturetis et monitis salutis aures cordis aperiatis. Hoc desidero; hinc ante Deum quotidie preces effundo Valete. |
XXVI. (28, A et C. — 105, B.) A Philippe, par la grâce de Dieu, magnifique roi des Français, Ives, humble clerc de sa sublimité, esprit de conduite qui puisse plaire au Roi des rois. J'ai reçu récemment la lettre de votre excellence, dans laquelle elle me demandait de me trouver au jour qu'elle m'indiquait, à Pontoise ou à Chaumont, avec une troupe de chevaliers, pour vous accompagner à l'entrevue qui doit avoir lieu entre le roi d'Angleterre et le comte de Normandie.[1] Je ne puis le faire à présent pour de nombreux et de graves motifs. Le premier est que le seigneur pape Urbain vous interdit, de son autorité apostolique, la couche de cette femme que vous traitez comme épouse, et que vous avez refusé de garantir par serment la sécurité du concile, comme il vous l'avait mandé.[2] Si vous ne renoncez sans retard à votre union avec cette femme, l'autorité papale vous sépare de la participation du corps et du sang de Notre-Seigneur. Elle défend aussi à tous évêques de poser la couronne sur la tête de cette femme, que presque toute la terre sait avoir été illicitement placée à vos côtés. Par égard pour votre majesté, j'hésite à me présenter devant vous, de peur que, contraint par les ordres du siège apostolique auquel je dois obéir comme au Christ, ce que je vous dis aujourd'hui à vous seul, je ne sois forcé de le publier à vos oreilles et à celles de beaucoup d'autres. Je ne veux point scandaliser ni diminuer votre royale majesté, tant que je pourrai dissimuler par quelque motif honorable. En second lieu, les vassaux de l'Église et les autres chevaliers sont presque tous absents ou excommuniés pour la violation de la paix,[3] et je ne puis les réconcilier avec l'Église sans qu'ils aient donné satisfaction, ni ne dois les envoyer à l'ennemi tant qu'ils sont sous le coup de l'excommunication. Enfin, votre sérénité sait bien que je n'ai pas sécurité suffisante en votre Cour, où j'ai tout lieu de suspecter comme ennemi ce sexe qui même à ses amis n'est pas toujours fidèle. J'attends donc le jour où, éclairé par la divine clémence, vous fermerez votre cœur au sifflement du serpent et où vous ouvrirez vos oreilles aux conseils salutaires. Je le souhaite ardemment, et tous les jours je répands à cet effet mes prières devant Dieu. Adieu. |
EPISTOLA XXIX. IVO, humilis Carnotensium episcopus, ROGERIO confratri et compresbytero, salutem. Quoniam sub disciplina et timore Domini a pueritia tua nutritus es et eruditus, et in excessibus regularis vitae tam verborum quam verberum severitate correctus, non tantum ad presbyterii dignitatem promotus es, sed etiam nomen tuum in tantam enituit claritatem ut opinio tua non tantum inter eruditos, sed etiam celebris fieret inter Dei servos. Unde quidam quaerentes bonas margaritas, postpositis aliis multis aeque vel plus nitentibus, te tanquam singulariter pretiosam margaritam sua existimatione repererunt, et tanquam lucernam ardentem et lucentem, ut in domo Dei luceres, te super candelabrum posuerunt. Quis ergo te fascinavit, quis oculos tui cordis excaecavit, ut flagitium hoc quod tibi imponitur, non tantum non perpetrares, sed ne saltem de te probabiliter confingi posset modis omnibus praecaveres? Putabam concupiscentiae carnalis ardorem flumine lacrymarum tuarum medullitus in te refrigeratum; et si quid ille ignis urens aliquando reliquerat in conscientia tua cauteriatum, putabam frequenti sacrae Scripturae meditatione, tanquam temperativi malagmatis superpositione malaxatum, et coelitus infusa sancti Spiritus unctione curatum. Putabam quod angelus primogenita Aegyptiorum percutiens, domum tuam in utroque poste signatam inter Hebraeos pertransisset, et primogenita tua intacta reliquisset (Exod. XII). Nunc vero publicus rumor est te esse reversum in Aegyptum, et hoc primogenitum, quod est castitas, malleo universae terrae miserrimae in te esse contritum. Hic oculis meis pene quotidianus fletus occurrit, hic jam mihi a tergo revertitur, hic a dextera et laeva frequenter auribus meis, quasi novus infertur. Hoc devotarum muliercularum submurmurat et circumfert curiosa loquacitas. Hoc eremitarum contristat habitacula. Hoc monasteriorum quasi commiserando mirantur conventus. Hoc quasi argumentum ad defensionem suarum abusionum subsannando sibi resciscunt quidam ecclesiarum coetus. Hoc audiens et ideo alte ingemiscens, amplius sustinere non valui, quin dolorem tibi mei cordis effunderem ( cod. S. Ger. infunderem), et de mea tristitia te salubriter contristarem. Suadeo ergo tibi, seu vera, seu verisimilia sint quae dicuntur, ut a candelabro cui superpositus es (Matth. V), inventa honesta occasione descendas, ne amodo fumum magis quam splendorem circumstantibus effundas. Si enim vera sunt, apud auditores tuos reprobus est sermo tuus, et qui flagitiorum tuorum sarcina premeris, aliena non corriges. Si autem tantum verisimilia sunt, nec sic tamen proficies, quia famam tuam neglexisti, quam propter utilitatem proximorum tuorum immaculatam conservare debuisti. Quod si honore gaudens et quaerens tua, praeesse magis desideras quam prodesse, conventus ille pauperum fratrum tibi commissus, non tantum per manum tuam ultra non multiplicabitur, sed etiam quotidianis defectibus ad nihilum redigetur. Quod si hoc consilium meum ad praesens videtur tibi importabile, obtestor te per tribunal aeterni Judicis, ante quod stabis, ut saltem nunc utili rubore suffusus, amodo suspectarum personarum colloquia fugias, familiaritatem perhorrescas, ne illud propheticum jure objiciatur tibi : Facies meretricis facta est tibi. Noluisti erubescere (Jer. III). In futuro autem sublatus a facie judicantis, tradaris ministro puniendus sine respectu miserantis. Non ut confundam te haec scribo, sed ut filium charissimum moneo, ut saluti tuae provideas, et pravo exemplo mores simplicium non corrumpas. Vale. |
XXVII. (29, A et C. — 21, B.) Ives, humble évêque de Chartres, à Roger,[4] son frère en religion et en sacerdoce, salut. Comme, depuis ton enfance, tu as été nourri et formé dans la science et la crainte du Seigneur ; comme dans les fautes de ta vie monastique tu as été corrigé par les paroles et par les coups, non seulement tu es arrivé à la dignité de prêtre, mais encore ton nom s'est élevé à une telle célébrité que ta renommée est devenue considérable, non pas parmi les savants seuls, mais même parmi les serviteurs de Dieu. Aussi quelques-uns, à la recherche de perles fines, prisant moins beaucoup d'autres perles qui brillaient autant et même davantage, t'ont jugé un bijou singulièrement précieux, et, comme un flambeau ardent et brillant, t'ont placé sur le candélabre, afin que tu brillasses dans la maison de Dieu. Qui donc a pu ainsi te fasciner, qui a pu assez aveugler les yeux de ta raison pour que tu ne prisses pas garde, de toutes manières, non seulement de ne pas commettre le crime qui t'est reproché, mais encore de ne pas même donner apparence au soupçon ? Je pensais que l'ardeur de la concupiscence charnelle était éteinte dans tes veines par le fleuve de tes larmes, et si ce feu brûlant avait encore laissé quelque cicatrice dans ta conscience, je croyais que la fréquente méditation de la sainte Écriture, comme un remède émollient, avait adouci cette plaie, et que l'onction du Saint-Esprit pénétrant en toi-même l'avait complètement guérie. Je pensais que l'ange frappant les premiers-nés des Égyptiens, aurait passé devant ta maison marquée des deux côtés de la porte parmi celles des Hébreux, et aurait laissé intacts tes premiers-nés. Mais maintenant le bruit public est que tu es retourné en Egypte, et que ce premier-né, qui est la chasteté, a été misérablement écrasé en toi sous le marteau de la terre entière. C'est ce que retracent à mes yeux des larmes presque journalières ; c'est ce qui me revient par derrière ; c'est ce qu'à droite et à gauche, bruit toujours nouveau, entendent fréquemment mes oreilles. C'est ce que murmure et répète partout le bavardage curieux des femmes dévotes ; c'est ce qui contriste les retraites des ermites ; c'est ce qui excite la compassion étonnée des monastères ; c'est ce dont, en se moquant, se servent, pour la défense de leurs abus, certaines assemblées ecclésiastiques. C'est ce que j'entends de toutes parts, ce qui me fait profondément gémir : aussi ne pouvant le supporter plus longtemps, j'ai voulu répandre dans ton cœur toute ma douleur et te contrister, pour ton salut, de toute la tristesse de mon âme. Je te conseille donc, que ce que l'on dit soit vrai ou seulement vraisemblable, de chercher un honnête prétexte pour descendre du candélabre au haut duquel tu es placé, de peur qu'à l'avenir tu ne répandes sur ceux qui t'entourent plus de fumée que de lumière. Si l'accusation est vraie, tes discours sont réprouvés par tes auditeurs, et, étouffé que tu es par le bagage de tes fautes, tu ne pourras corriger celles d'autrui. Si elle est seulement vraisemblable, tu ne pourras néanmoins être utile, car tu as négligé le soin de ta réputation que tu devais conserver sans tache pour le bien de ceux qui vivent près de toi. Que si, te plaisant dans les honneurs et ne consultant que toi-même, tu préfères commander que servir, le couvent des pauvres frères qui t'est confié non seulement ne multipliera pas à l'avenir entre tes mains, mais encore verra chaque jour des défections et bientôt sera réduit à rien. Ce conseil que je te donne peut aujourd'hui te paraître insupportable, mais je t'en conjure, par le tribunal du juge éternel devant lequel tu auras à répondre, fuis du moins, couvert d'une sainte rougeur, les entretiens des personnes suspectes ; aie horreur de leur familiarité, de peur que ces paroles prophétiques ne te soient à bon droit appliquées : Tu as la face d'une courtisane ; tu ne sais plus rougir. Crains que, dans l'avenir, chassé loin de la présence du juge, tu ne sois livré sans miséricorde au ministre chargé de te punir. Ce n'est pas pour te couvrir de confusion que je t'écris ainsi, mais je t'avertis, comme mon fils bien-aimé, de songer à ton salut et de ne pas corrompre par tes mauvais exemples les mœurs des simples de cœur. Adieu. |
EPISTOLA XXX. FULCONI, Dei gratia Belvacensium episcopo, IVO, eadem gratia Carnotensium episcopus, in adversis fortitudinem, in prosperis humilitatem. Quoniam diabolus adversarius noster tanquam leo rugiens circuit quaerens quem devoret (I Petr. V), fraternitatem vestram familiari exhortatione commoneo, ut fallaces ejus circuitus omni vigilantia cavere studeatis, quatenus propositi et officii vestri memor mundanam superbiam non armis mundanae malitiae, sed armis Christianae militiae superare valeatis. Suadendo etiam consulo, et consulendo suadeo, ut contra mandata domni apostolici, et legati ejus Lugdunensis archiepiscopi, ubi restat adhuc anchora aliqua spei nostrae, nulla ratione caput erigatis, sipost quantascunque procellas ad portum pervenire cogitatis. Exemplar litterarum quas misit mihi domnus papa de causa regis, postquam legati regis nuper discesserunt ab eo, vobis transmitto: ut sciatis quia domnus papa, et si non antecedit, non tamen retrocedit. Valete. |
XXVIII. (30, A et C. — 106, B.) A Foulques, par la grâce de Dieu, évêque de Beauvais,[5] Ives, par la même grâce, évêque de Chartres, force dans l'adversité, humilité dans le bonheur. Comme le diable notre adversaire, semblable à un lion rugissant, rôde autour de nous, cherchant quelqu'un à dévorer, j'avertis votre fraternité, par une exhortation familière, d'être sans cesse sur vos gardes pour échapper à ses perfides circuits : ainsi, toujours soucieux de votre propos et de votre devoir, vous pourrez vaincre l'orgueil mondain, non par les armes de la milice des hommes, mais par celles de la milice chrétienne. Je vous invite et vous engage, je vous engage et vous invite, si, après toutes ces tempêtes, vous songez à arriver au port, à ne pas élever la tête, sous aucun prétexte, contre les mandements du seigneur pape et ceux de son légat, l'archevêque de Lyon ; car là seulement se trouve encore quelque ancre d'espérance. Je vous transmets une copie de la lettre que m'envoya le seigneur pape au sujet de l'affaire du Roi, après que les députés royaux se furent récemment éloignés de lui. Vous verrez par là que s'il ne va pas en avant, du moins il ne retourne pas en arrière. Adieu. |
EPISTOLA XXXI. FULCONI, Dei gratia Belvacensium episcopo, IVO eadem gratia humilis Carnotensium episcopus, gravitatis anchora se in sancto proposito retinere. Quoniam, tam scientia quam experientia, novi praelatos in congregatione sibi commissa assiduos esse debere, postquam placuit ei qui ad convivium suum me invitaverat, ut recumbenti mihi in loco humili diceret: Ascende superius (Luc. XIV), frequenter monui fratres mihi commissos, ut de confratribus suis vel aliunde si ita eis complaceret, praelatum sibi eligerent, qui eos in disciplina sibi tradita posset custodire, et ad ascensiones in corde de valle lacrymarum quotidianis monitis sublevare, ne lupus invisibilis aditum inveniens ovile Domini ingrederetur, et oves Dominicas aut extra raperet, aut intus occultis morsibus strangularet. Quod cum hactenus suis de causis ab eis dilatum sit, nunc tandem acquieverunt monitis meis, et disponunt aliquem secundum quod mentibus eorum inspiraverit Deus sibi praeficere, qui pro viribus sibi collatis in necessitatibus eorum studeat eis tam spiritualia quam corporalia ministrare. Ea igitur hora qua litteras istas acceperitis, per easdem litteras, licet absens corpore, praesens tamen spiritu, depono in manu vestra praelationem quam hactenus habui in ecclesia Beati Quintini, toto desiderio expostulans, ut quem congregatio illa concorditer vel pars sanioris consilii regulariter sibi praeferri postulaverit, in eo loco et ordine in quo ibi eram substituatis, et substitutum in anxietatibus suis pro officio vestro paterna consolatione relevetis. Ego tamen et si depono praelationem, non desero illius Ecclesiae societatem, in qua aliquando potero vobis esse utilis, si Deus reddiderit pacem servis suis. Valete. |
XXIX. (31, A et C. — 107, B.) A Foulques, par la grâce de Dieu, évêque de Beauvais, Ives, par la même grâce, humble évêque de Chartres, que le poids de l'ancre le retienne dans son saint propos. Je sais de science certaine et d'expérience sûre que les prélats doivent sans cesse résider au milieu de la congrégation qui leur est confiée. Comme donc il a plu à celui qui m'avait invité à son festin de me dire, en me voyant à une place modeste : Monte plus haut, j'ai souvent prié les frères dont j'avais la garde de se choisir, soit parmi leurs confrères, soit ailleurs, si cela leur plaisait, un chef qui pût les conserver dans leur antique discipline, et par ses avis de chaque jour élever leurs cœurs au-dessus de cette vallée de larmes, de peur qu'un loup invisible, trouvant la porte ouverte, ne fit irruption dans la bergerie du Seigneur et n'entraînât au-dehors les brebis de Dieu ou ne les étouffât à l'intérieur de ses morsures secrètes. Jusqu'à ce jour ils ont différé pour des raisons particulières, mais enfin ils viennent de céder à mes exhortations, et ils se disposent à mettre à leur tête, selon ce que Dieu leur inspirera, un chef qui, suivant ses forces, s'étudie à leur fournir dans leurs nécessités les secours spirituels et corporels. A l'heure donc où vous recevrez cette lettre, par cette même lettre, quoique absent de corps, présent cependant en esprit, je dépose en votre main le commandement que j'ai eu jusqu'à ce jour dans l'église de Saint-Quentin. Je vous prie de toutes mes forces de substituer, aux lieu et place que j'occupais, celui que la congrégation tout entière ou-la partie la plus saine de la congrégation se sera régulièrement choisi pour chef, et dans ses anxiétés de le soutenir, suivant votre pouvoir, de vos paternelles consolations. Quant à moi, si je dépose le gouvernement, je n'abandonne pas la société de cette église, dans laquelle je pourrai un jour vous être utile, si Dieu rend la paix à ses serviteurs. Adieu. |
EPISTOLA XXXII. IVO, Dei gratia Carnotensis Ecclesiae servus, vestrae autem societatis fidelis frater, confratribus suis, devotum fraternitatis obsequium. Sicut navis praesentia gubernatoris destituta, licet bonos habeat nautas, et reliquos navis adjutores, licet etiam prosperum habeat ventum, tamen aut fluitat, aut fluctibus immergitur, aut scopulis illiditur, et sic planctum magis invenit quam portum; sic Ecclesia Dei, rectoris sui praesentia viduata, multis modis in hoc mundo tanquam in mari naufragoso periclitatur, et ab aditu aeternae quietis, tanquam ab inroitu portus, aut diu differtur, aut in aeternum removetur. Quod ego attendens, sicut saepe monui (ut supra, epist. 17), ita nunc moneo et licentiam do, ut vobis rectorem regulariter eligatis, quem sicut patrem animarum vestrarum omni honore dignum habeatis, cujus salutaribus monitis cum omni humilitate in omnibus obediatis. Nolo enim cum periculo meo et vestro vobis praeesse et non prodesse; terram occupare, et messem quam terra culta latura est, umbra mea praefocare. Malo vos viventes videre sub alieno regimine quam lugere mortuos sub praelationis meae velamine; habere vos fratres ordinatos, quam filios incompositos. Nolo enim sine causa laborasse in vobis, quos materno affectu de veteri homine in novum mediante Dei timore generavi, quos geminorum uberum lacte usque ad solidi cibi perceptionem educavi, quos ita unice dilexi ut cum gaudentibus gauderem, cum dolentibus dolerem, cum infirmis infirmus fierem, quorum onera tanta mansuetudine supportavi quanta parentes filios carnis suae tolerasse vix possunt inveniri. Cum ergo impediente nescio qua Dei dispositione ex maternis uberibus lac sumere non possitis, quaerite vobis matrem adoptivam, de cujus uberibus lac sugatis, ne aliqui vestrum ante tempus ablactati, matrem quam exspectant non inveniant, et sic ad solidam escam non perveniant. In eligendo itaque omnes in commune consulite, ut nemo ibi privatam occasionem attendat, nemo de privata excellentia intumescat, nemo contentiosus existat, nec illi humiliter subdi refugiat, quem fraterna concordia provisa utilitate sibi praeferri expostulat. Qui tamen tanto nunc diligentius a vobis est discutiendus, quanto postea non reprehendendus, sed ab omnibus aequanimiter est tolerandus. Nolo autem certam vobis designare personam, sed habere liberum electionis arbitrium, ut electum vestrum eo aequanimius toleretis quo eum voluntarie vobis praetuleritis. Hoc tamen in fraternitate vestra retineo, ut quem de fratribus mecum habere voluero, mihi sicut patri filium transmittatis, et sic ubi eum manere voluero, sine scandalo concedatis. Qua in re non est vobis formidandum, quia satis in hoc servabo modum. Hoc etiam apud vos interim volo habere privilegium, ut si quae, quod absit! inter praelatum vestrum et aliquem de fratribus orta fuerit contentio, et aliqua intemperantia zeli adversus alterum alter exarserit, si hoc commode per vos sedari non poterit, non prius ad aures publicas causa haec prodeat quam ad me deferatur, ut studeam vel immoderatum zelum illum temperare, vel demum canonicae severitati vires dare. Inexpertus enim auriga, dum nescit frena moderari, primo cursu cogit equum acceleratione lassari. Cum ergo sit ars artium, onus onerum regimen animarum, postquam usu ipsius artis edoctus fuerit vester praelatus, quid debeat dissimulare, quid debeat in promptu vindicare, tunc jam suo et vestro judicio contenti, poteritis omnia commode negotia vestra commodare. Quicunque autem ille sit, talem eligat fraternitas vestra, qui sciat de thesauro suo proferre nova et vetera, qui etiam noverit mores vestros, cujus mores et vos non habeatis ignotos, melius enim sibi invicem cohaerent lapides, qui frequenter collimati, inaequalitatem suam deposuerunt frequenti limaturae exercitio. Quod si forsitan contigerit eum in causis exterioribus minus esse exercitatum (in c. Petrus distinct. 39), ad disponenda omnia sibi commissa, juvabit cum bona conscientia et bonum testimonium. Ipse etiam faciat sibi praepositum, qui consilio ejus et vestro omnia exteriora disponat. Ipse autem intus secundum traditionem sanctorum Patrum vacet orationi et lectioni, et nutriendae fraternae dilectioni. Multa loquor, sed quasi nunc demum vos ablactans vellem vos in omnibus esse instructos: ut quae sunt recta sapiatis, et recte intellecta, opere impleatis. Sed quia ad hoc non sufficitis, consulite Angelum magni consilii, ut consilia vestra dirigat, et ad bonum finem perducat. Deus patientiae et solatii sit vobiscum. Valete. |
XXX. (32, A et C. — 22, B.) Ives, par la grâce de Dieu, serviteur de l'église de Chartres, frère fidèle de votre société, à ses confrères les chanoines de Saint-Quentin de Beauvais, hommage dévoué de fraternité. Comme un navire privé de la présence de son pilote, bien qu'il ait de bons matelots et de zélés serviteurs, bien même qu'il soit servi par un vent favorable, flotte au hasard ou est submergé par les flots ou brisé sur les écueils, et trouve ainsi la ruine plutôt que le port : de même une église de Dieu, veuve de la présence de son chef, court toutes sortes de dangers dans ce monde comme sur une mer orageuse, et est longtemps éloignée ou pour toujours privée de l'entrée du repos éternel comme de l'accès du port. Dans cette pensée, je vous renouvelle le conseil que je vous ai si souvent adressé, et je vous donne pleine liberté de vous élire régulièrement un chef, que vous honorerez de tout votre pouvoir comme le père de vos âmes, et dont vous suivrez toujours en toute humilité les avis salutaires. Car je ne veux pas, au péril de mon âme et des vôtres, vous commander sans vous servir, occuper la terre et étouffer de mon ombre la moisson que la culture lui fera rapporter. J'aime mieux vous voir vivants sous la direction d'un autre, que de vous pleurer morts sous le couvert de mon administration ; j'aime mieux avoir en vous des frères bien ordonnés que des fils indisciplinés. Je ne veux pas avoir travaillé en vain pour vous, que, d'une affection maternelle, avec l'aide de la crainte de Dieu, j'ai engendrés du vieil homme dans le nouveau, que j'ai nourris du lait de mes mamelles jusqu'au jour où vous avez pu prendre des aliments solides, que j'ai chéris si singulièrement que je jouissais de votre joie, je pleurais de vos pleurs, je souffrais de vos souffrances, dont j'ai supporté les défauts avec une mansuétude telle que les parents eux-mêmes l'ont à peine pour les fils de leur chair. Puis donc que, par je ne sais quelle volonté de Dieu, vous ne pouvez plus sucer le lait des mamelles maternelles, cherchez-vous une mère adoptive qui vous allaite, de peur que quelques-uns de vous, sevrés avant le temps, ne trouvent pas la mère qu'ils attendent et ne puissent ainsi arriver à l'usage des aliments solides. Ne consultez que l'intérêt de tous pour le choix de votre chef : que personne ne cherche son avantage privé ; que personne ne se prévale de sa soi-disant excellence ; que personne n'élève de prétention et ne refuse de se montrer humblement soumis à celui que, pour l'utilité commune, la concorde de tous aura élu comme chef. Mettez dès maintenant d'autant plus de soin à arrêter votre choix qu'il vous faut éviter d'avoir à le discuter plus tard, et que tous vous devrez l'accepter sans récriminations. Je ne veux vous désigner personne ; je vous laisse la liberté complète de l'élection, afin que vous obéissiez d'autant plus facilement à celui que vous aurez choisi que vous l'aurez mis volontairement à votre tête. La seule chose que je réclame de votre fraternité est que vous m'envoyiez, comme un fils vers son père, celui de vos frères que je voudrai avoir près de moi, et que vous lui permettiez de rester avec moi tout le temps qu'il me plaira sans vous en scandaliser ; du reste, ne craignez rien, je saurai en cela user de modération. Il est encore un privilège que je désire garder près de vous : si, ce qu'à Dieu ne plaise, quelque difficulté survient entre votre chef et quelqu'un des frères, ou si, par quelque excès de zèle, l'un est enflammé contre l'autre, si vous ne pouvez par vous-mêmes apaiser le différend, que la discussion n'en vienne pas aux oreilles du public avant qu'il ne me soit déféré : je ferai tous mes efforts, ou pour tempérer ce zèle immodéré, ou pour confirmer de mon autorité la sévérité canonique. Un cocher inexpérimenté qui ne sait modérer le frein, dès la première course, fatigue son cheval en le pressant trop vivement. Le gouvernement des âmes est l'art des arts, le fardeau des fardeaux : lorsque votre chef aura appris, par l'expérience de cet art, ce qu'il doit dissimuler, ce qu'il doit au contraire corriger aussitôt, alors, vous contentant de son jugement et du vôtre, vous pourrez facilement régler vous-mêmes toutes vos affaires. Quel qu'il soit du reste, que celui-là soit choisi par votre fraternité qui sache de son propre fonds tirer de nouveaux et d'anciens enseignements : qu'il connaisse vos caractères, et que son caractère à lui ne vous soit pas inconnu. Les pierres en effet ont plus de cohésion entre elles quand, fréquemment frottées l'une contre l'autre, elles ont perdu leurs inégalités par le frottement continuel. Que si par hasard il arrive que dans les affaires extérieures il soit moins habitué à défendre tous les intérêts qui lui sont confiés, il sera aidé par sa bonne conscience et par votre appui. Qu'il se choisisse un prévôt pour veiller aux choses du dehors, sous votre surveillance et la sienne. Que lui-même, à l'intérieur, selon la tradition des Saints Pères, se consacre à la prière et à la lecture et à l'entretien de l'affection fraternelle entre vous. Je vous parle longuement, mais c'est comme la dernière fois que je vous donne la nourriture, et je voudrais vous laisser fortifiés en toutes choses, afin que vous compreniez ce qui est bien, et qu'après l'avoir compris vous l'accomplissiez fidèlement. Mais comme, par vous-mêmes, vous n'avez pas la force suffisante, invoquez l'ange du grand conseil, afin qu'il vous inspire et vous mène à une bonne fin. Que le Dieu de patience et de consolation soit avec vous. Adieu. |
EPISTOLA III. URBANO summo pontifici patri et domino suo IVO Carnotensis. Si animo meo morem gerere vellem, si denique sic esset tolerabile ut non etiam poenale judicaretur successorem Petri in arce summi pontificatus positum lacessere, jam quidem in vos odiorum castra movere, maledictis persequi non cessarem. Credo enim, propter quod loquor, me opera vestra de tranquillitatis littore abstractum in altitudinem maris inopinato casu devenisse, et temporalium occupationum quasi procellosis fluctibus jactandum prospicio, ubi, dum multorum utilitatibus providere compellor, tam meae quam ipsorum saluti posse sufficere despero. Elegeram abjectus esse in domo Dei, utpote cui non generis nobilitas, non scientiae dignitas eloquentiae animos dabat, et paucorum, fratrum pia societas charitate plena plus omnibus divitiis mihi applaudebat, cum sic mihi latenti, nec tale quid suspicanti Ecclesia Carnotensis pontificatus professionis pondus obtrusit (epist. 8) ; nec sane ejus voluntati aliqua ratione victus cederem, nisi id vos velle atque praecepisse (epist. 12), cui non obedire nefas est, protestaretur. Episcopum Belvacensem sanctitati vestrae commendo, cujus simplicitas hoc habet laudabile, quod nec perversa agentibus placere, nec recte sapientibus displicere potest; novit enim prudentia vestra eum in quibusdam accusatum, non tam zelo justitiae quam virtutis aemulatione. Sed mihi non videtur rationabiliter posse fieri, ut a minori persona debeat retractari quod sub vestri judicii examine finem sortiri meruit. Sed ad me revertar, quem pastoralis curae vincula premunt; qui etiam, quod nondum erratibus meis adhibui, cogor debere correctionem alienis erroribus; cujus vita, licet olim in conspectu summi Judicis calumniosa haberetur, nunc maxime tamen vicinior est accusationi suae quam excusationi alienae. Vale. |
XXXI. (289, C.) A Urbain, souverain Pontife, son père et seigneur, Ives de Chartres, salut. Si je voulais écouter l'inspiration de mon esprit, s'il était licite et non coupable d'attaquer le successeur de Pierre dans la citadelle du souverain pontificat où il est placé, je ne cesserais de vous harceler de mes haines et de vous poursuivre de mes malédictions. C'est par vous qu'arraché au tranquille rivage, je me suis vu tout-à-coup transporté dans la haute mer où je suis battu par les occupations temporelles comme par des flots irrités. Forcé de veiller aux besoins d'un grand nombre, je sens mon insuffisance et je désespère de mon salut et du leur. J'avais choisi l'abjection dans la maison de Dieu. Ni la noblesse de mon origine, ni la dignité de ma science ne me donnaient l'autorité de la parole : la pieuse société de quelques frères pleins de charité me plaisait plus que toutes les richesses. Tandis que je me cachais ainsi et que je ne pouvais prévoir rien de tel, l'Église de Chartres m'imposa le poids de la charge épiscopale. Certes jamais elle n'eût pu par aucune raison vaincre ma résistance, si elle n'eût protesté que vous le vouliez et que vous l'ordonniez, vous à qui ne pas obéir est un crime. Je recommande à votre sainteté l'évêque de Beauvais.[6] Sa simplicité a cela de louable qu'il ne peut être l'ami de ceux qui font le mal, ni l'ennemi de ceux qui agissent sagement. Votre prudence sait que ceux qui l'accusent, ce n'est pas par zèle pour la justice, mais par haine pour sa vertu. Il ne me paraît d'ailleurs pas raisonnable qu'une personne inférieure puisse remettre en discussion ce que par votre décision vous avez mené à fin. Mais je reviens à moi qui, écrasé par les soucis de la charge pastorale, suis forcé de consacrer à corriger les fautes d'autrui un temps que je n'ai pu encore employer à ma propre perfection. Autrefois, ma vie passée en la présence du souverain juge pouvait donner lieu à quelques reproches, mais aujourd'hui ce que je fais ne tourne-t-il pas à ma condamnation plus qu'au salut d'autrui ? Adieu. |
EPISTOLA XXXIII. LAMBERTO, Dei gratia Atrebatensium episcopo, IVO, Ecclesiae Carnotensis servus, sincerae dilectionis munus. Si tanta esset nobis convicinitas locorum quanta est animorum, frequenter vellem tuo dulciloquio mulceri, tua consolatione refoveri. Desiderarem tibi frequenter aestus meos effundere, perturbationum mearum crebras incursiones tuis orationibus propulsandas ostendere, amissam quietem spiritus tecum saepe deflere; in qua licebat aliquando divini amoris dulcedinem apposita divini verbi mensa gustare. Sed quoniam et tu jubente Deo remigasti in altum, ut laxares retia in capturam, amodo poteris ex tuis mea pensare pericula, qualia praelatos in profundo experiri pronuntiat Psalmista: Ascendunt usque ad coelos, et descendunt usque ad abyssos; anima eorum in malis tabescebat. Turbati sunt et moti sunt sicut ebrius, et omnis sapientia eorum devorata est (Psal. CVI). In quibus periculis unum est singulare consilium, quatenus toto affectu clamemus ad Dominum, cui mare et venti obediunt (Matth. VIII), ut procellam nostram convertat in auram, et sileant fluctus ejus. Quod si Dominus in navi dormiens, ut experiatur sustinentiam nostram, moram fecerit, sustinentes sustineamus, quia veniet, et supra sustinentiam nostram tentari nos non permittet (I Cor. X). De caetero, charissime, laeta tua, tristia tua communica suo tempore diligenti et dilecto, quia laeta et tristia tua mea sunt, sicut mea tua esse non ambigo. Vale. |
XXXII. (11, A et C— 108 B.) A Lambert, par la grâce de Dieu, évêque d'Arras,[7] Ives, serviteur de l'église de Chartres, hommage de sincère affection. Si nous étions aussi voisins de résidence que nous le sommes d'esprit, je voudrais souvent jouir de la douceur de ta conversation, être réchauffé de tes consolations. Je souhaiterais répandre devant toi mes fréquentes inquiétudes, t'exposer les troubles qui viennent si souvent fondre sur moi, afin que tu pusses les chasser par tes prières. Je voudrais pleurer avec toi le repos que j'ai perdu pour mon esprit, repos dont nous jouissions ensemble autrefois, quand nous goûtions tous deux à la table de la parole divine la douceur de l'amour divin. Mais puisque, toi aussi, par l'ordre de Dieu, tu as vogué vers la haute mer pour lancer tes filets, tu pourras mieux juger mes périls d'après les tiens. En parlant des dangers que les prélats courent sur la mer profonde, le Psalmiste ne dit-il pas : Ils montent jusqu'au ciel et descendent jusqu'aux abîmes : leur âme séchait dans la douleur. Ils sont troublés et agités comme un homme ivre, et toute leur sagesse a disparu. Au milieu de ces périls, il est un conseil que nous ne devons pas oublier, c'est de crier de tout notre cœur vers le Seigneur, auquel la mer et les vents obéissent, afin qu'il change notre tempête en sérénité et qu'il impose silence à ses flots. Que si le Seigneur, dormant dans la barque, pour éprouver notre patience, nous fait attendre le salut, supportons ce retard avec courage, car le Seigneur viendra et ne permettra pas que nous soyons tentés au-delà de nos forces. Fais-moi savoir d'ailleurs, très cher frère, en leur temps, tes joies et tes tristesses comme à ton frère bien-aimé et attentif, car tes joies et tes tristesses sont miennes, comme je ne doute pas que les miennes sont tiennes. Adieu. |
EPISTOLA XXXIV. IVO, humilis Carnotensis Ecclesiae servus, ROBERTO jam bonae spei fratri, ascensiones in corde. Quoniam, sicut quorumdam relatione didicimus, jam vilescit tibi mundus et omnis vana spes ejus, credimus quia propitia divinitas inchoavit in pectore tuo templum suum, et locum sanctum habitationis suae; unde bonorum omnium largitori, a quo fit haec de vetustate in novitatem laudanda mutatio, grates exsolvimus, et bonis principiis felicem provectum et bonum exitum conferri ( ita omnes v. c. antea, proferri], ab eodem omnium bonorum largitore postulamus. Tu igitur, charissime, adjuvante divina clementia sollicite cave, ne immundus spiritus ad te revertens, domum quam reliquit, intus vacantem et foris ornatam inveniat, et secum alios septem nequam spiritus virtutum specie palliatos inducat, sicque novissima tua pejora prioribus efficiat (Luc. XI). Contra spirituales itaque nequitias pugnaturus, si securus vis pugnare, castris Christi militum ordinate pugnantium te insere, ne si singulari certamine contra exercitatos inexercitatus pugnare contenderis, innumera adversariorum tuorum multitudine comprimaris. Postquam vero Spiritu consilii et fortitudinis armatus calliditates antiqui hostis evitare consueveris, jam exercitatior in spirituali certamine poteris solus, si ita contingat, contra quoslibet hostes certamen inire, quorum impetus didiceris sustinere in acie. Unde Dominus noster Jesus Christus discipulos nondum Spiritu sancto confirmatos, et adhuc spiritualis certaminis expertes admonuit dicens: Vos autem sedete in civitate, quoadusque induamini virtute ex alto (Luc. XXIV). Possem fraternitati tuae hunc in modum multa scribere, sed quia tu per te sapis, hoc prae caeteris obsecro, ut qui jam de tuis Deo in membris ejus coepisti offerre sacrificium, principalitar ei de te offerre studeas holocaustum, ne si aliter, quod absit! feceris, dicatur tibi: « Si recte offeras, recte autem non dividas, peccasti, cum tua tribuas, et teipsum tibi retineas. » Vale. |
XXXIII. (34, A et C. — 96, B.) Ives, humble serviteur de l'église de Chartres, à Robert, frère déjà de grande espérance,[8] élévations vers le ciel. Nous avons appris par quelques-uns que tu regardes déjà avec mépris le monde et toutes ses espérances vaines : aussi nous pensons que le Dieu de miséricorde a commencé à former dans ton cœur son temple et le lieu saint de son habitation. Nous rendons grâces au distributeur de tous biens, qui a accompli en toi cette louable transformation du vieil homme en l'homme nouveau, et nous lui demandons instamment d'accorder un heureux progrès et une parfaite fin à de si bons commencements. Toi donc, très cher frère, aidé de la divine clémence, veille avec sollicitude, de peur que l'esprit immonde revenant vers toi ne trouve la maison qu'il a abandonnée vide à l'intérieur et ornée seulement au-dehors. Prends garde qu'il n'y fasse entrer avec lui, sous le manteau de la vertu, sept autres esprits de malice, et qu'ainsi tu ne deviennes pire que tu n'étais auparavant. Tu as à combattre l'esprit du mal : si tu veux donc lutter avec assurance, entre dans le camp des soldats du Christ habitués à la tactique des batailles ; car si, inexpérimenté, tu prétends livrer un combat singulier contre ces troupes exercées, tu seras écrasé par l'innombrable multitude de tes adversaires. Mais après que, armé de l'esprit de conseil et de force, tu te seras habitué à éviter les ruses de l'ancien ennemi, alors, plus expérimenté dans le combat spirituel, tu pourras, seul, si l'occasion se présente, engager l'action contre n'importe quels ennemis, dont tu auras appris à repousser le choc en bataille rangée. Quand ses disciples n'étaient pas encore confirmés par le Saint-Esprit et avaient l'ignorance du combat spirituel, Notre-Seigneur Jésus-Christ les avertit en disant : Demeurez dans la cité jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la vertu d'en haut. Je pourrais en écrire bien long à ta fraternité sur ce sujet, mais je connais ta sagesse, et ce que je te demande par dessus tout, c'est que toi qui as déjà commencé à offrir à Dieu dans ses membres le sacrifice de tes membres, tu fasses tous tes efforts pour t'offrir tout entier en holocauste, de peur que si, ce qu'à Dieu ne plaise, tu agissais autrement, on ne dise de toi : Si ton offrande est bonne, mais que ton partage ne soit pas loyal, tu as péché, car tu donnes ce que tu possèdes, mais tu ne te donnes pas toi-même. Adieu. |
EPISTOLA XXXV. RICHERIO, Dei gratia sanctae matris Ecclesiae Senonensis archiepiscopo, IVO, Ecclesiae Carnotensis servus, obedientiam secundum constitutiones Patrum, et caeteris coepiscopis in urbe Remensi congregatis fraternae dilectionis obsequium. Si divinae legis fuissetis memores, cujus debetis esse doctores atque tutores, non contra sanctorum Patrum instituta me invitassetis ad concilium, praesertim cujus facinus ignoratis aut flagitium. Primo, quia invitaverunt me quidam episcopi non comprovinciales mei, qui sine auctoritate apostolica mei judices esse non debent, cum peregrina judicia nullius esse momenti decretorum pariter et canonum generali sanctione decernat auctoritas. Secundo, quia admonitione metropolitani mei protrahere nitimini causam meam extra provinciam. Quod cum multis sanctionibus sanctorum Patrum praecisum sit, unam ex multis beati Stephani papae et martyris producam ad medium, quae tanquam gladius biceps utriusque intentionem reverberet, invitantis scilicet et accusantis. Dicit enim beatus papa Stephanus (epist. 2) : « Ultra provinciae terminos accusandi licentia non progrediatur, sed omnis accusatio intra provinciam audiatur, et a comprovincialibus terminetur, nisi ad apostolicam sedem fuerit tantum appellatum. » Et: « Neganda est accusantibus licentia criminandi, priusquam se crimine quo premuntur exuerint (c. Qui accus. non poss., et c. 1, caus. 3, q. 11). » Postremo quia non de veritatis tramite, sed de odii fomite mea procedit accusatio, apostolicam sedem appello. Quod omnibus in crimine pulsatis apostolica concedit auctoritas, ut per se, aut per vicarios suos loco et tempore, quod mihi praescripserit, causam meam discutiat, et cum peroratum fuerit, legitimam sententiam proferri praecipiat. Neque hoc bene mihi conscius causa vitandi judicii facio, cum manifesta et brevis sit mea purgatio de crimine perjurii, qui nulli hodie viventium aliquando juramentum feci. Sed nolo exemplum esse caeteris recedendi ab ordine, neque sanum est consilium pro incerto commodo vel nullo certis periculis me opponere. Conductum enim a domino meo rege quaesivi, nec habere potui. Quantum vero ex intentatis minis intelligo, non liceret mihi in conventu vestro impune dicere veritatem; qui pro jam dicta veritate, et apostolicae sedis obedientia tantam sentio jam severitatem, ut perjurium arguar incurrisse, et majestatem regiam minuisse. Quod ut pace vestra dicam, rectius in eos retorqueri potest, qui vulnus fomentis incurabile tanquam pii medici cauteriis competentibus dissimulant urere, vel medicinali ferro praecidere. In qua sententia si mecum firmiter fuissetis, jam aegrotum nostrum ad sanitatem perduxissetis. Quod quandiu differtis, videte si fidelitatem quam debetis pleniter exhibetis, si officii vestri munus expletis. Faciat ergo dominus rex adversum parvitatem meam, quantum Deo permittente libuerit et licuerit, includat, excludat, proscribat, inspirante Dei gratia et prosequente, decrevi pati pro lege Dei mei, nec ulla ratione cogente volo ei consentaneus in culpa esse, qui nolo esse consors in poena. Angelus magni consilii, et Spiritus fortitudinis sit vobiscum, ut recta sapiatis et recta faciatis. Valete. |
XXXIV.[9] (35, A et C. — 109, B.) A Richer, par la grâce de Dieu, archevêque de la sainte église métropolitaine de Sens, Ives, serviteur de l'église de Chartres, obéissance suivant les constitutions des Pères, et aux autres évêques réunis dans la ville de Reims, hommage d'affection fraternelle. Si vous vous étiez souvenus de la loi divine, dont vous devez être les docteurs et les défenseurs, vous ne m'eussiez pas, contre les constitutions des Saints Pères, cité à un concile, surtout quand vous ne connaissez de moi ni erreur ni crime. D'abord, cette citation m'a été adressée par des évêques qui ne sont pas de ma province et qui ne peuvent sans l'ordre apostolique être mes juges, car l'autorité partout reconnue de tous les décrets et de tous les canons déclare que des jugements rendus par des étrangers sont de nulle valeur. Puis, vous servant de l'appui de mon métropolitain, vous vous efforcez d'attirer ma cause hors de ma province. Une foule de décisions des Saints Pères condamnent cette façon d'agir : entre toutes je citerai un texte de saint Etienne, pape et martyr, qui, comme un glaive à deux tranchants, frappe à la fois et ceux qui m'invitent et ceux qui m'accusent. Voici donc ce que dit le saint Pape : Que nul n'ait la licence d'accuser hors des limites de la province, mais que toute accusation soit jugée dans la province même, par la décision des évêques corn-provinciaux, à moins qu'il ne soit fait appel au siège apostolique. Et aussi : Les accusateurs ne peuvent avoir le droit d'accuser s'ils ne se sont purgés des accusations dont ils sont chargés. Comme l'accusation portée contre moi ne procède pas du sentier de la vérité, mais du foyer de la haine, j'en appelle au siège apostolique. Ce que l'autorité apostolique accorde à tous les accusés, je le demande pour moi, c'est à savoir que, par lui-même ou par ses vicaires, le Saint Père, dans le lieu et le temps qu'il me prescrira, examine ma cause, et lorsqu'il l'aura approfondie, prononce à mon égard une sentence légitime. Sûr de ma bonne conscience, ce n'est pas pour éviter votre jugement que j'agis ainsi. Il ne me serait ni long ni difficile de me purger de l'accusation de parjure, moi qui jamais n'ai prêté serment à aucun homme vivant. Mais je ne veux pas que mon exemple puisse autoriser personne à abandonner l'ordre établi ; puis il ne serait pas sage, pour un avantage incertain et même nul, de m'exposer à des périls certains ; car j'ai demandé un sauf-conduit au seigneur Roi et je n'ai pu l'obtenir. D'ailleurs, autant que je puis le comprendre par les menaces que l'on m'adresse, il ne me serait pas loisible, dans votre assemblée, de dire impunément la vérité, puisque, pour l'avoir déjà dite et pour avoir obéi au siège apostolique, je suis traité si sévèrement par vous que vous m'accusez de parjure et d'attentat à la majesté royale. Ce reproche, soit dit avec le respect qui vous est dû, se retournerait plutôt contre ceux qui, devant une plaie qui ne peut être guérie par aucun lénitif, hésitent à la brûler par des caustiques, comme le feraient de savants médecins, ou à l'enlever par le fer de la médecine. Si vous étiez demeurés fermes avec moi dans notre ordonnance, nous eussions déjà ramené notre malade à la santé. Tant que vous différerez de suivre ce conseil, considérez si vous faites preuve pleinement de la fidélité que vous devez au Roi, si vous remplissez complètement les devoirs de votre charge. Que le seigneur Roi fasse donc contre mon humilité tout ce que, avec la permission de Dieu, il lui sera permis et agréable de faire. Qu'il m'emprisonne, qu'il m'exclue, qu'il me proscrive. La grâce de Dieu m'inspirant et me soutenant, j'ai résolu de souffrir pour la loi de mon Dieu, et rien ne pourra me forcer à partager la faute de celui dont je ne veux pas partager la peine. Que l'ange du grand conseil et l'esprit de force soient avec vous, afin que vous compreniez ce qui est juste et que vous l'observiez. Adieu. |
EPISTOLA XXXVI. Reverendo confratri PETRO Pictaviensi episcopo, IVO, humilis Carnotensis Ecclesiae minister, sic bona plantare, ut non studeat bona convellere. Si fraternitatem vestram in jus vocare possemus, quantum salvo charitatis vinculo fieri posset, jure a vobis multas expostularemus injurias, partim communes, partim proprias: proprias, quia clericum in dioecesi nostra Deo militantem, et pro pulchritudine et dulcedine vitae contemplativae, fonti vitae totis desideriis inhiantem, ad publicum prodire, quietem suam interrumpere, nostra admonitione, nostra auctoritate compulistis. Quem cum vobis ad regimen cujusdam regularis ecclesiae dioecesis vestrae, vestris epistolis crebro compulsi concessimus, et canonice electum ab ipsa Ecclesia transmisissemus, non satis aptam a vobis passus est repulsam, qui praepostero ordine tunc de ejus praelatione disceptare coepistis, quando jam facta a fratribus et collaudata a vobis ejus electione, in prioratus sui sede eum sublimare debuistis. In quo et illi fratri non modicam intulistis verecundiam, et amico vestro non minimam fecistis injuriam. Non enim erat tanta precum instantia ab amico postulandus, qui ad injuriam doni et donantis tam facile mutata sententia fuerat refutandus. Nec satis tuentur vestram fraternitatem litterae domni papae, quibus dictandis a latere interfuimus, quae confirmant abbati Sancti Cypriani jus illud praedictae Ecclesiae, quod se habere dicebat ex legitima concessione quorumdam monachorum, qui (ut audivimus) quietam possessionem clericorum approbant, monachorum vero Sancti Cypriani intrusionem prorsus improbant. Ad hoc enim praedictus abbas modis omnibus nitebatur, ut praedictae Ecclesiae prioratus ei a domno papa concederetur. Quod domnus papa nobis reclamantibus, et libertatem clericorum pro posse nostro defendentibus facere noluit, praecavens, sicut ipse dicebat, ne sub hac occasione praedictus abbas clericos moliretur excludere, et monachos suos intrudere. Clericorum autem ordini publicam infertis injuriam, qui monachorum ordinem ad tam ruinosam superbiam erigitis, ut clericos eis subjugare studeatis, quorum tanta debet esse excellentia, ut secundum beatum Augustinum : « Vix etiam bonus monachus bonum clericum faciat. » Sed quia clericus ista dixit de clericis, audiamus monachum dicentem de monachis. Dicit enim Hieronymus : « Monachus non docentis, sed dolentis habet officium. » Et alibi: « Clerici oves pascunt; ego pascor. » Et alibi: « Si cupis esse quod diceris monachus, id est solus, quid facis in urbibus (GRATIAN. sub causa 16, q. 1) ? Quae utique non sunt solorum habitacula, sed multorum. Habet unumquodque propositum principes suos. Et ut ad nostra veniamus, episcopi et presbyteri habeant ad exemplum apostolos et apostolicos viros, quorum honorem possidentes habere nitantur et meritum. Nos autem habeamus propositi nostri principes Paulos, Antonios, Julianos, Hilarios, Macharios. » Et alibi: « Mihi oppidum carcer, et solitudo paradisus est. Quid desideramus urbium frequentiam, qui de singularitate censemur? » Possemus in hunc modum multa colligere de privilegio clericorum, et subjectione monachorum, nisi vitaremus prolixitatem epistolae. Nec tamen ista dicendo, monachorum religioni detrahimus, imo ut veri monachi sint, id est, ut vere singularem sectentur vitam, tota mente desideramus. Laudamus quidem eos et beatos esse profitemur, si non transgrediantur terminos a patribus suis positos (Prov. XXII) ; et tunc magis esse beatos, cum subesse magis studuerint quam praeesse, cum humilitas et obedientia sit eorum summa provectio, ambitio vero et superbia lamentabilis dejectio. Haec et his similia diligenter attendite, et ordinem clericorum, in quo estis, et cui Deo auctore praeestis, ad meliora provocando honorate, et nulli alii ordini eum contra morem ecclesiasticum subjugari permittite. Vale. |
XXXV. (36, A et C. — 23, B.) A son révérend confrère Pierre, évêque de Poitiers,[10] Ives, humble ministre de l'église de Chartres, esprit de sagesse pour semer le bon grain et ne pas le déraciner. Si nous pouvions appeler en jugement votre fraternité, autant que le permettent les liens de la charité, j'aurais le droit de vous reprocher beaucoup d'injustices, les unes communes, les autres particulières. Particulières, car un clerc qui, dans notre diocèse, combattait pour Dieu, et, plein d'amour pour la beauté et la douceur de la vie contemplative, soupirait de tous les désirs de son cœur après la source de vie, vous l'avez forcé, en vous servant de nos conseils et de notre autorité, à sortir en public, à interrompre son repos. Pressé par vos lettres fréquentes, nous vous l'avons accordé pour gouverner une église régulière de votre diocèse ; après son élection canonique par cette église nous l'avons envoyé vers vous : mais, contre toute convenance, vous l'avez repoussé ; renversant tout ordre, vous vous êtes mis à contester son élection faite par les frères et approuvée par vous, quand vous auriez dû l'élever sur le siège de son prieuré-En agissant ainsi, vous avez infligé à ce frère une grande humiliation et vous avez fait à votre ami une souveraine injustice. Il ne fallait pas employer des prières si pressantes pour l'obtenir de votre ami, puisque, à la honte de celui qui donnait et de celui qui était donné, vous deviez si facilement changer de pensée. Et ne croyez pas que votre fraternité puisse trouver une excuse suffisante dans les lettres du seigneur Pape, près duquel nous étions quand il les a dictées, lettres qui confirment à l'abbé de Saint-Cyprien le droit de cette église. Ce droit lui a été abandonné parce qu'il prétendait le posséder de la concession de certains moines, lesquels, comme nous l'avons appris, approuvent la tranquille possession des clercs, et désapprouvent complètement l'intrusion des moines de Saint-Cyprien. Ce que cherchait ledit abbé, par tous les moyens possibles, était que le prieuré de cette église lui fut concédé par le seigneur Pape, et c'est ce que celui-ci, devant nos réclamations et la défense faite par nous, de tout notre pouvoir, de la liberté des clercs, a refusé de lui accorder. Il craignait, en effet, comme il le disait lui-même, que, sous ce prétexte, ledit abbé ne s'efforçât d'en exclure les clercs et d'y introduire ses moines. Vous faites une injure publique à l'ordre du clergé, en élevant si haut l'orgueil désastreux de l'ordre monacal, par la prédominance que vous vous efforcez de lui donner sur le clergé. La supériorité de celui-ci au contraire doit être telle que, suivant saint Augustin : Un bon moine a bien de la peine à faire un bon clerc. Mais comme c'est un clerc qui parle ainsi des clercs, écoutons un moine parier des moines. Jérôme dit : Le moine a pour office non d'enseigner, mais de pleurer. Et ailleurs : Les clercs nourrissent les brebis, moi je suis nourri. Ailleurs encore : Si tu désires, comme tu le dis, être moine, c'est-à-dire seul, que fais-tu dans les villes ? Ce n'est pas la demeure de ceux qui vivent seuls, mais de ceux qui vivent en société. Chacun, dans son état, a ses modèles. Pour parler de ce qui nous touche, que les évêques et les prêtres prennent pour modèles les Apôtres et les hommes apostoliques et qu'ils s'efforcent, puisqu'ils ont leurs honneurs, d'atteindre leurs, mérites. Pour nous, regardons comme nos chefs les Pauls, les Antoines, les Juliens, les Hilaires, les Macaires. Et ailleurs : Pour moi une ville est une prison et la solitude le paradis. Comment désirerions-nous le tumulte des villes, nous qui ne songeons qu'à l'isolement ? Nous pourrions en cette sorte rassembler beaucoup de textes sur les privilèges des clercs et la sujétion des moines, mais nous désirons éviter la prolixité dans une lettre. Et en parlant ainsi, nous ne voulons rien enlever à la religion des moines ; ce que nous souhaitons au contraire, c'est qu'ils soient vraiment moines, c'est-à-dire qu'ils observent la vie solitaire. Nous les louons et nous proclamons leur sainteté, lorsque nous les voyons ne pas transgresser les bornes posées par leurs pères, et nous les proclamons d'autant plus saints qu'ils s'étudient plutôt à obéir qu'à commander, que l'humilité et l'obéissance sont pour eux le suprême honneur, l'ambition et l'orgueil la plus lamentable abjection. Réfléchissez avec soin à ce que je vous ai mandé et aux autres textes du même genre. Honorez, en le poussant vers le progrès, l'ordre des clercs dont vous faites partie et auquel vous êtes préposé, et ne permettez pas que, contre les usages ecclésiastiques, il soit jamais assujetti à aucun autre ordre. Adieu. |
EPISTOLA XXXVII. IVO, Carnotensis Ecclesiae servus, ROBERTO in Christo dilecto fratri, memorem esse uxoris Lot. Gloria misericordi et sapienti Deo, qui cor tuum inanitum inflatum, sagittis acutis vulneratum, ad tantam humilitatem perdomuit ut jam ad petras montium confugias, et ab ira Agni (Apoc. VI) abscondi desiderans ab eis vitam salutis ardenter inquiras. Et quia decorem domus Dei diligere, et de valle lacrymarum ascendens canticum graduum cantare coepisti, quod ipse per te nosti, solum hoc superest ut cum Apostolo quae retro sunt oblitus in anteriora te extendas (Phil. III), donec ad montem Bethel virtutum ascensione pervenias (Isa. III), ubi dilectum fugientem desiderii lacrymis prosequaris, et aliquando revertentem interni amoris brachiis complectaris. Sed quis sit aptus vitae modus, vel quis locus ad ambulandum in via Dei eligendus sit affecto uti nunc es, nec tua fraternitas quaesivit, neque ipse scire possum, nisi me pulsante ad ostium cordis tui, tuos aestus ipse proferres, et in quo vetus homo resistat, quominus novum hominem perficias, simpliciter aperires. Quod licet aliqua ratione impediente ad praesens fieri non contingat, Deum tamen pro amabili fraternitate tua rogabo, ut qui in pectore tuo templum suum inchoavit, ipse perficiat, simul exhortans ut certum vitae modum quem Deus tibi ipse inspiraverit, eligas: in quo humilitatis viam sub obedientiae freno insistas, et experimento simul et exemplo vitae tuae moderamen addiscas. Sic enim decens est ut ab imis inchoans ad summa proveharis, non ut a summis incipiens ad ima dilabaris. Quod cum nostris temporibus de quibusdam ipse videris et audieris, exemplo illorum te oportet esse correctum, ut non simile incurras retrogradationis opprobrium. Plumesce igitur in nido, antequam voles in altum, ut solidatis virtutum pennis possis alas in activae vitae moderatione deponere, et easdem in altitudinem contemplationis elevare. Vale. Apud fratrem Lambertum habe me excusatum, quia nondum mihi scribere licuit quae voluit. Scribam autem quae Deus donaverit, cum mihi opportunum fuerit. |
XXXVI. (37, A et C, — 110, B.) Ives, serviteur de l'Église de Dieu, à Robert, son cher frère en Jésus-Christ,[11] souvenance de l'épouse de Loth. Gloire au Dieu miséricordieux et sage qui, ayant percé de ses flèches aiguës ton cœur enflé de vanité, l'a réduit à une telle humilité que maintenant tu te réfugies vers les pierres des montagnes, et que, pour te soustraire à la colère de l'Agneau, tu vas leur demander avec ardeur la voie du salut. Tu commences à chérir la beauté de la maison du Seigneur, et, t'élevant au-dessus de cette vallée de larmes, tu te mets à chanter le cantique des degrés : aussi il ne te reste plus, ainsi que tu l'as compris toi-même, qu'à oublier, comme l'Apôtre, le passé, pour marcher en avant jusqu'à ce que, soutenu par tes vertus, tu parviennes au sommet du Béthel, où tu atteindras, par les larmes du désir, le bien-aimé qui fuit devant toi, et où, le saisissant au passage, tu l'embrasseras des étreintes de l'amour intérieur. Mais quel est le mode de vie le plus favorable, ou, dans la disposition de ton esprit, quel est le lieu que tu dois choisir pour marcher dans la voie de Dieu ? Ce sont là des questions que ta fraternité ne m'a pas posées et que moi-même je ne puis résoudre, à moins que, lorsque, tu m'entends frapper à la porte de ton cœur, tu ne me découvres tes inquiétudes et que tu ne me dévoiles, avec toute simplicité, en quoi le vieil homme résiste en toi pour se changer en homme nouveau. Quelque raison sans doute t'empêche de me le révéler maintenant, néanmoins je prierai Dieu pour mon frère bien-aimé, afin que le Seigneur achève le temple qu'il a commencé en son honneur dans ton cœur. Je t'exhorterai en même temps à faire choix du genre de vie que Dieu lui-même t'aura inspiré, et, dans cette vie, à suivre, sous le frein de l'obéissance, la voie de l'humilité, et à apprendre par l'expérience et par les exemples que tu auras devant toi à régler sagement tes actions. Car ce qu'il faut, c'est commencer par le bas pour monter au sommet, et non partir du sommet pour descendre ensuite au fond de l'abîme. C'est là ce qui, de notre temps, arrive à certains, tu le vois et tu le sais ; apprends donc à te corriger par leur exemple, de peur de tomber dans une pareille honte. Laisse pousser tes plumes dans le nid avant de prendre ton essor, afin que les ailes de ta vertu ayant pris des forces, tu puisses tour à tour les replier dans le terre-à-terre de la vie active ou les déployer dans les hauteurs de la contemplation. Adieu. Excuse-moi près du frère Lambert, si je n'ai pu encore répondre à ses questions : dès que je le pourrai, je lui écrirai ce que Dieu m'inspirera. |
EPISTOLA XL. IVO, Carnotensis Ecclesiae non satis aptus minister, fratri MANEGALDO, sic crucem Christi portare ut ejus remigio mare hujus mundi valeat transfretare. Quoniam post multos circuitus levem Christi sarcinam subire, et contempto mundi flore in domo Dei abjecte vivere elegisti, sciens quia melius est modicum justo, super divitias peccatorum multas (Psal. XXXVI), divinae bonitati, quae humilibus dat gratiam, grates exsolvimus, et ut de commisso tibi talento, tanquam fidelis nummularius, creditori tuo multiplicem referas usuram, eamdem divinam bonitatem intensius obsecramus. Sic enim ordo rationis poscebat ut qui verbo ad viam vitae plurimos informaveras, aliquos aliquando conformares et confirmares exemplo; et qui de semine patris Jacob tanquam Zelpha inveterata et ancillari consuetudine philosophandi filios pepereras, jam de ejusdem patris semine tanquam speciosa Rachel ex intimae visionis libertate spiritualem sobolem multiplicare non desistas (Gen. XXIX). Ista dicens: Minervam quidem non doceo, a qua magis doceri indigeo; sed fraternis profectibus congaudens, bonis principiis meliores exitus apponi desidero. Simul obsecro, ut pusillanimitatem meam in alto remigantem, et pene aliquando naufragantem, de portu tranquillitatis tuae orationibus juves, salutaribus monitis aliquando consoleris. Notum enim credo prudentiae tuae mihi pro Rachel servienti Liam esse nocte suppositam (epist. 4 et 17.), quam quidem invitus suscepi, et invitus tolero, utpote parum videntem, parum parientem, sed multum exasperantem. Quarum molestiarum taedio frequenter affectus, retrospecta quietis amissae pulchritudine graviter ingemisco, et datis mihi columbae pennis avolare (Psal. LIV), iterum vacare desidero. In qua perturbatione solum mihi refugium est orare, et eum exspectare qui salvum me faciat a pusillanimitate spiritus et tempestate (ibid.). A cujus voluntate si dissentire non timerem, tanto oneri impar, eidem oneri humerum libenter subtraherem. Cum ergo a te ad partes nostras transierint vel redierint aliqui, fac ut videam interiorem hominem tuum in litteris tuis, sicut ex parte vidisti meum in meis. De caetero commendo fratrem istum portitorem praesentium fraternitati tuae, ut familiarem eum habeas, et in lectionibus tuis ei benigne respondeas. Quantum enim de homine aestimare possumus, aedificari quaerit, non inflari. |
XXXVII. (38, A. — 24, B. — 40, C.) Ives, ministre indigne de l'église de Chartres, à son frère Manegold[12] courage à porter la croix du Christ pour pouvoir, avec son aide, traverser la mer de ce monde. Après de longs détours, tu as préféré ne te charger que d'un léger fardeau, et, méprisant les fleurs du monde, tu as choisi une retraite obscure dans la maison de Dieu, sachant que la médiocrité du juste est préférable aux grandes richesses des pécheurs : nous en remercions la divine bonté qui donne la grâce aux humbles de cœurs, et nous lui demandons avec instance que, comme un fidèle banquier, tu rendes avec usure à ton créancier le talent qu'il t'a confié. Il était naturel que toi qui, par ta parole, avais conduit un grand nombre d'hommes dans la voie de la vie, tu pusses un jour, par ton exemple, former et affermir quelques disciples. Longtemps courbé sous le joug de la philosophie, tu avais enfanté des fils, comme la servante Zelpha en a donné à Jacob, mais à ce même Jacob il te faut donner aussi des enfants comme la belle Rachel, et mettre au jour dans la liberté de la vision intérieure une lignée spirituelle. En te parlant ainsi, je ne prétends pas enseigner Minerve dont j'ai plutôt besoin de recevoir les leçons ; mais, heureux des progrès de mes frères, je veux apporter à de bons commencements une fin encore meilleure. Je t'écris aussi pour te prier, du port de ta tranquillité, d'aider de tes prières, de consoler parfois de tes avis salutaires, ma faiblesse qui vogue sur la haute mer où souvent elle risque de faire naufrage. Car je crois que ta prudence n'ignore pas que, tandis que je servais pour obtenir Rachel. Lia lui a été substituée pendant la nuit. Je l'ai acceptée malgré moi, malgré moi je la tolère, car elle voit à peine, elle manque de patience et souvent elle entre en colère. Souvent, accablé de l'ennui qu'elle me fait souffrir, regardant en arrière la beauté du repos que j'ai perdu, je me prends à gémir péniblement : je suis tenté de m'envoler sur les ailes de la colombe et de retourner à mon repos si cher. En ce trouble, mon seul refuge est la prière et l'attente de celui qui me sauvera de la pusillanimité et de la tempête. Si je ne craignais de désobéir à sa volonté, incapable de supporter un tel fardeau, je le rejetterais joyeusement de mes épaules. Lorsque tu trouveras quelqu'un qui, passant par tes contrées lointaines, reviendra vers nous, envoie-moi une lettre pour me peindre ton homme intérieur, comme tu vois que je viens de le faire pour moi. Je recommande à ta fraternité le frère porteur des présentes, afin que tu le reçoives dans ta familiarité et que tu l'admettes avec bienveillance à tes leçons : car autant qu'il est permis de juger d'un individu, il cherche à se former, mais non à s'exalter. |
EPISTOLA XXXVIII. GUACELINO, reverendo Vuintoniensium episcopo, IVO, humilis Carnotensis Ecclesiae servus, salutem. Liberalitatis tuae fama nullo simulationis fuco palliata, jampridem mihi per multos innotuit et placuit. Qua fiducia per Gullielmum Sancti Satyri praepositum, vasculum chrismale, cujus forma nostris artificibus erat ignota, a tua munificentia postulavi, et sine dilatione impetravi. Quod mihi gratius fecit charitas dantis quam appetitus postulantis. Unde quoties mihi ad usus necessarios ante oculos ponitur, tui memoria dulciter mihi ad mentem revocatur, et fraterna charitas ad rependendam vicem, si opportunitas se offerret, excitatur. Unde postulo fraternitatem tuam, ut et tu memoriam confratris in tua mente reponas, quatenus et orationum manus desideranti mihi porrigas, et utrum apud te hanc gratiam impetraverim, aliquo signo ostendas. Vale. |
XXXVIII. (39, A. — 111, B. — 38, C.) A Vauquelin, révérend évêque de Winchester,[13] Ives, humble serviteur de l'église de Chartres, salut. La renommée de ta libéralité, que ne pare aucun artifice, m'est connue et m'est chère depuis longtemps, par de nombreux récits. Confiant en elle, par l'entremise de Guillaume, prévôt de Saint-Satur, j'ai demandé à ta munificence un vase à mettre le saint chrême, dont la forme était inconnue à nos artistes, et je l'ai obtenu aussitôt. Ce présent m'a été agréable, plus encore par la grâce avec laquelle il m'a été donné que par le désir que j'avais de le posséder. Aussi chaque fois que je le revois quand je m'en sers pour le service divin, ton souvenir me revient doucement à l'esprit, et mon affection fraternelle est excitée à te rendre la pareille, si une occasion favorable se présentait. Je demande à ta fraternité de conserver en ton cœur le souvenir de ton confrère, afin que dans mes besoins tu me tendes les mains de tes prières, et je te prie de me témoigner par quelque signe que j'ai obtenu de toi cette grâce. Adieu. |
EPISTOLA XXXIX. ANSELMO, reverendo Cantuariensium archiepiscopo, IVO, humilis Ecclesiae Carnotensis servus, pro modulo sibi collato fidelium orationum munus. Quamvis placuerit ei qui te invitavit, tibi non alta requirenti dicere : Ascende superius (Luc. XIV) ; non tamen ideo credimus paternitatem tuam nulli religioso onerosam minus esse memorem eorum quos aliquando in Christo dilexerat, vel a quibus pro Christo aliquod obsequium fraternitatis acceperat. Quod tamen si aliquando ex quotidiana ecclesiasticorum negotiorum instantia contingeret, tamen non immemores vestri, parvitatis nostrae memoriam tuae sublimitati quibus possumus vehiculis ad mentem reducimus, utpote qui tuis desideramus orationibus fulciri, et copiis si necesse fuerit relevari. Astitimus enim hoc anno pro multa in te benivolentia monachis Beccensibus contra Molismenses, quantum ratione et auctoritate suffragante potuimus. Et jam de Pixiacensi monasterio plenam per nos consecuti fuissent justitiam, nisi quod prius affectant regis captare benivolentiam. De caetero commendo paternitati tuae fratrem Rothardum praesentium latorem, per obedientiam confratrum ad partes istas directum, ut in quo indiguerit consilio, eum munias et auxilio. Si autem servitium nostrum in aliquo tuae sanctitati fuerit commodum, obedituro praecipe. Vale. |
XXXIX. (40, A. — 112, B. — 39, C.) A Anselme, révérend archevêque de Cantorbéry,[14] Ives, humble serviteur de l'église de Chartres, hommage de fidèles prières selon la mesure de ses forces. Bien qu'il ait plu à celui qui t'a invité de te dire à toi qui ne recherches pas les places élevées : Monte plus haut, nous ne croyons pas cependant quêta paternité, douce pour tous les religieux, ait oublié ceux qu'autrefois elle chérissait en Jésus-Christ ou dont elle avait reçu pour Jésus-Christ quelque hommage de fraternité. Que si néanmoins la fatigue quotidienne des affaires ecclésiastiques t'avait apporté cet oubli, nous, qui n'avons pas perdu ta mémoire, nous rappelons à ta sublimité le souvenir de notre humilité par les moyens que nous avons entre les mains, car nous souhaitons être appuyé de tes prières, et, s'il en est besoin, être fortifié de tes secours. L'affection que nous avons pour toi nous a fait cette année prêter aide aux moines du Bec contre ceux de Molesmes, autant que nous le permettaient le bon droit et notre autorité pastorale.[15] Et déjà ils auraient obtenu par nos soins pleine justice du monastère de Poissy, s'ils n'avaient préféré d'abord avoir recours à la bienveillance royale. Je recommande à ta paternité le frère Rothard, porteur des présentes, envoyé par ses confrères vers ces contrées lointaines : aide-le, en tous ses besoins, de tes avis et de tes secours. Si en quelque chose nos services peuvent être utiles à ta sainteté, commande à ton serviteur. Adieu. |
EPISTOLA CCLXXVIII. ROBERTO, Dei gratia Lincholiensis Ecclesiae episcopo, IVO, eadem gratia Ecclesiae Carnotensis minister, assumptis pennis columbae in extremis maris habitare. Quanto de remotiori provincia vicinior fuit vestrae munificentiae parvitatis nostrae memoria, tanto amplior a nobis eidem dilectioni referenda est gratia, quae memoriam humilitatis nostrae nullo merito nostro praecedente pura mente concepit, et operis exhibitione probavit. Unde, si qua nobis divinitus collata est gratia, quae utilis esse possit aut vobis aut vestris, quod voce promit affectus Deo donante in rei exhibitione probabit effectus. Si ergo aliquod servitium nostrum placet benevolentiae vestrae, per alumnos vestros apud nos morantes, quos tam pro sua honestate quam pro vestra charitate diligimus, nobis scribite, ut illis mediantibus voluntati vestrae pro viribus satisfaciamus, et charitatis vestrae affectum circa nos arctius astringamus. Interim autem mutuas orationum manus nobis invicem porrigamus, quatenus emenso procelloso hujus vitae salo, in tuto aeternitatis portu sedem collocare mereamur. Valete |
XL. (281, B. — 278, C.) A Robert, par la grâce de Dieu, évêque de l'église de Lincoln,[16] Ives, par la grâce de Dieu, ministre de l'église de Chartres, heureuse traversée sur mer sur les ailes de la colombe. Plus, du sein de votre province éloignée, votre munificence s'est souvenue de notre petitesse, plus nous devons rendre d'actions de grâces à votre affection, qui a daigné conserver la mémoire de notre humilité bien que rien ne nous eût mérité cet honneur, et qui nous a prouvé par ses œuvres ce bon souvenir. Si Dieu nous faisait la grâce de trouver l'occasion d'être utile à vous ou aux vôtres, par nos actes, avec l'aide de Dieu, nous vous prouverions la vérité des sentiments que nous vous exprimons en paroles. Si donc votre bienveillance a besoin en quelque chose de nos services, mandez-le-nous par vos élèves que nous avons près de nous, et que nous chérissons, tant à cause de l'honnêteté de leurs mœurs que pour l'affection que nous avons pour vous. Par leur intermédiaire nous obéirons, suivant nos forces, à votre volonté et nous resserrerons plus étroitement les liens de l'amitié qui nous unissent à vous. Cependant tendons-nous l'un à l'autre nos mains dans la prière, afin qu'après avoir traversé la mer orageuse de cette vie, nous méritions de trouver place dans le port tranquille de l'éternité. Adieu. |
EPISTOLA XLI. IVO, humilis Ecclesiae Carnotensis minister, GAUFREDO Vindocinensis monasterii abbati, cum dilectione salutem. Quantum ex tenore litterarum tuarum perpendere potui, summa inquisitionis tuae fuit utrum monachus qui tantum a monacho, et non a suo abbate benedictus est, ab abbate suo iterum benedicendus sit. Quod fieri posse et dimitti posse arbitror absque ullo benedicti vel benedicentis incommodo. Monachi enim benedictio non est manus impositio, vel alicujus sacramenti ex apostolica traditione celebratio. Nec aliam vim habere mihi videtur, quam super poenitentem absolutio, vel super populum sacerdotis oratio. Dicit enim B. Hieronymus: « Monachus non habet officium docentis, sed plangentis, qui se et mundum lugeat. » Sicut ergo monachus in hoc officio sibi soli prodest, ita ex gratia vocantis solus ad hoc officium accedere potest, nec praejudicat ad salutem, utrum simpliciter a monacho vel abbate suscipiat benedictionem, quia verum monachum nulla facit exterior adjectio, nisi mundi contemptus et plena Dei dilectio. Quod in principibus hujus ordinis, Paulo videlicet et Antonio, et multis aliis Aegyptiis monachis facile apparet, qui nullam a praecedente abbate vel monacho suscipientes benedictionem, perfectam ab eo qui habitare facit monachos in domo, sui laboris consecuti sunt retributionem. Quod vero postea multiplicatis monachorum congregationibus professiones ab eis exactae sunt, et benedictiones super eos datae, quadam cautela factum est ut monasticus ordo quanto firmius in conspectu Dei et hominum et solemnius ligaretur, tanto robustius et devotius ab ipsis servaretur. Et si qui vellent ab hoc proposito recedere, testimoniis pluribus convincerentur, et tanquam jurati in Christi sacramenta tirones, ad propositum suum reverti cogerentur. Quibus liquet traditiones hujusmodi nihil esse aliud quam quaedam religionis vincula, humanae instabilitati provisa. Quoniam omnis traditio religionis novitate et raritate viget et floret, antiquitate vero et numerositate, nisi districte ligetur et servetur, frigescit et vilescit. Unde in discretione abbatum hoc mihi ponendum videtur, utrum debeant professiones, coram aliis factas, vel benedictiones, ab aliis datas, in sua praesentia iterare, quia non est hoc ecclesiastica sacramenta iterando violare, sed pro instabilitate personarum vinculum vinculo superponere. Quod si monachi benedictio esset consecratio etiam apud Cluniacenses apud quos (ut asseritis) est ista consuetudo, nulla prorsus fieri posset benedictionis iteratio. Unde nec consecratio virginum, quae ex auctoritate apostolica episcoporum privilegio reservatur (can. Sicut, et can. Presbyteri, dist. 68), si aliquando a presbyteris usurpetur, propter sacramentum Christi et Ecclesiae quod ibi continetur, nullatenus ab episcopis iteratur. Dixi de proposita quaestione quod sensi, et quantum mihi videtur, in nullo a ratione vel auctoritate dissensi. Vale, et quomodo ieris vel redieris, et quod audieris de consilio domni papae mihi rescribe. |
XLI. (41, A et C. — 25, B.) Ives, humble ministre de l'église de Chartres, à Geoffroi, abbé du monastère de Vendôme, salut et dilection. Autant que j'ai pu le comprendre par la teneur de ta lettre, le fond de ta demande est de savoir si un moine béni seulement par un moine et non par un abbé, doit ou non recevoir une nouvelle bénédiction de son abbé. Je crois que l'un et l'autre peuvent se faire sans aucun inconvénient pour celui qui reçoit la bénédiction ou pour celui qui la donne. La bénédiction d'un moine en effet n'est pas l'imposition des mains ou la célébration d'un sacrement prescrit par la tradition apostolique : elle ne me semble avoir d'autre force que l'absolution extra-sacramentelle qu'on donne au pénitent ou la prière que le prêtre répand sur le peuple. Saint Jérôme dit en effet : Le moine n'a pas la mission d'instruire, mais de pleurer sur lui et sur le monde. Comme donc le moine en son office ne sert qu'à lui seul, seul il peut se consacrer à sa mission par la grâce de celui qui l'appelle, et peu importe à son salut qu'il reçoive la bénédiction d'un simple moine ou d'un abbé, car le vrai moine ne reçoit rien du dehors : ce qui le constitue, c'est le mépris du monde et la pleine affection de Dieu. Dans les commencements de cet ordre, chez les Pauls, les Antoines et les autres moines Égyptiens, on reconnaît clairement la vérité de ce que j'avance : ils ne recevaient la bénédiction d'aucun abbé et d'aucun moine (il n'en existait pas avant eux), et cependant ils ont conquis l'entière récompense de leurs travaux de celui qui fait habiter les moines dans son palais. Plus tard, les congrégations de moines s'étant multipliées, on a exigé d'eux des professions et on leur a donné des bénédictions : c'était par prudence, afin que l'ordre monastique, lié plus fortement et plus solennellement en présence de Dieu et des hommes, fût observé avec plus de fidélité et de persévérance par ceux qui s'y consacraient, et aussi afin que ceux qui voudraient abandonner leur profession, fussent convaincus de parjure par un plus grand nombre de témoignages, et, comme des soldats qui viennent de prêter serment au Christ, forcés de rester fidèles à leur vocation. D'où l'on voit que les traditions de cette sorte ne sont que comme des liens religieux, imaginés pour venir au secours de l'instabilité humaine. En effet, toute tradition religieuse est toute-puissante et florissante tant qu'elle est récente et peu pratiquée, mais, si l'on n'emploie des liens puissants pour la conserver, elle se refroidit et tombe dans l'oubli, quand elle est déjà ancienne et généralement observée. Aussi il me semble que c'est à la discrétion des abbés à décider s'ils doivent renouveler en leur présence les professions faites devant d'autres ou les bénédictions données par d'autres que par eux. Cela n'est pas violer, en les répétant, les sacrements ecclésiastiques, mais, à cause de l'instabilité des personnes, ajouter un lien à un autre lien. Que si la bénédiction d'un moine était une consécration, chez les Clunistes où, dites-vous, existe cette coutume, on ne pourrait absolument faire aucune nouvelle bénédiction. Aussi la consécration des vierges, dont le privilège, d'après l'autorité apostolique, est réservée aux évêques, si par hasard elle est usurpée par des prêtres, ne peut en aucune façon être renouvelée par les évêques à cause du sacrement du Christ et de l'Église qui s'y trouve renfermé. Voilà ce que je pense sur cette question que vous m'avez posée, et il me semble que ma réponse n'est en rien contraire à la raison et à l'autorité. Adieu. Écrivez-moi comment vous aurez fait votre voyage à l'aller et au retour, et ce que vous aurez appris des intentions du seigneur Pape. |
EPISTOLA XLII. HUGONI, Dei gratia Suessionensium episcopo, IVO, humilis Carnotensis Ecclesiae minister, confortari in Domino. Publicis negotiis praepeditus, plura quae volui fraternitati vestrae scribere non valui. Si autem aliquando mererer dulce colloquium vestrum, dicerem plurima in aure tuta, quae chartula celare non posset, si in aemulorum manus, antequam ad vestras perveniret, incideret. Hoc itaque interim suadeo vobis, ut juventutem vestram honestis exercitiis occupetis, lectione, oratione, sacrae legis meditatione, ut si aliquando aliqua foeda imaginatio per sensuum fenestras templum cordis irrumpens ibi appingi tentaverit, vel prorsus ab ipso introitu repellatur, vel si forte aliqua incuria vel importunitate ostium cordis irrepserit, casta intus vigente dignitate cum dedecore excludatur. Sic enim testimonio bonae conscientiae poteritis in justitia Dei exsultare, et internae suavitatis gustum proximis fiducialiter fideliter] eructare. Nec infructuosus esse poterit sermo doctoris, quem intus accendit et format divini virtus amoris. Si vero perversorum odia et detractiones ex hoc incurrerit vestra fraternitas, toleranda erunt vobis verbera verborum, qui in eorum numero estis, qui apostolico gradu insistentes pro domo Dei sustinuerunt non tantum rapinas bonorum suorum, sed etiam tormenta et mortes corporum. Quod enim illi sustinuerunt pro fidei defensione, nos sustinere habemus pro criminosorum actuum reprehensione, alioquin erimus pastores nosmetipsos pascentes, nostra quaerentes, oves morbidas non sanantes, sed fortes et pingues devorantes (Ezech. XXIV). Nec ab hac fortitudine deterreat vos raritas praesentium exemplorum, cum excusare nos non valeat haec ratio apud judicem internorum. Valete, et fratres nostros Bistesiaci Deo militantes sub patrocionio vestro pro Dei amore et nostro juvate, et contra aemulorum infestationes paterne supportate. |
XLII. (42, A et C. — 113, B.) A Hugues, par la grâce de Dieu, évêque de Soissons,[17] Ives, humble ministre de l'église de Chartres, réconfort dans le Seigneur. Empêché par les affaires publiques, je n'ai pu écrire à votre fraternité tout ce que je voulais lui mander. Si j'avais un jour le bonheur de jouir de la douceur de votre entretien, je vous dirais en toute sécurité à l'oreille bien des choses que cette lettre ne pourrait cacher si, avant d'arriver dans vos mains, elle tombait dans celles de mes adversaires. Cependant je vous donnerai ce conseil d'occuper votre jeunesse à d'honnêtes exercices, à la lecture, à la prière, à la méditation de la loi sacrée, afin que si parfois une imagination honteuse, entrant dans le temple de votre cœur par les fenêtres des sens, tentait de s'y fixer, elle fût repoussée dès l'entrée même, ou que si, par quelque incurie ou par ses importunités, elle forçait la porte de votre cœur, elle en fût expulsée, à son déshonneur, par la chaste dignité qui y règne. C'est ainsi que, grâce au témoignage d'une bonne conscience, vous pourrez vous réjouir dans la justice de Dieu, et répandre en toute sûreté sur tous ceux qui vous approchent la bonne odeur de votre suavité intérieure. Il ne saurait être infructueux le discours du docteur que l'amour divin enflamme intérieurement et munit de sa force. Si à cause de cette conduite votre fraternité encourt les haines et les calomnies des méchants, vous devrez souffrir patiemment leurs coups, car vous êtes du nombre de ceux qui, marchant sur les traces des Apôtres, doivent supporter non seulement la perte de leurs biens, mais le tourment et la mort de leurs corps. Ce que ceux-ci ont eu à soutenir pour la défense de la foi, nous devons, nous, le souffrir, pour l'expiation de nos actes criminels : autrement nous serions des pasteurs nous repaissant nous-mêmes et cherchant nos intérêts, ne guérissant pas les brebis malades, mais dévorant celles qui sont saines et grasses. Ne vous laissez pas détourner de cette voie de courage par la rareté des exemples que l'on rencontre de nos jours : cette raison en effet ne peut nous servir d'excuse près du juge de nos âmes. Adieu. Pour l'amour de Dieu et le nôtre, venez en aide à nos frères, qui, à Béthisy, combattent pour Dieu sous votre patronage, et défendez-les paternellement contre les attaques de leurs rivaux. |
EPISTOLA XLIII. Domno et Patri suo URBANO summo pontifici, IVO, ( humilis) Ecclesiae Carnotensis minister, cum Petro pugnare, et cum Petro regnare. Quoniam Romana Ecclesia post multa naufragia sub vestro regimine ad portum pene pervenit, et Italiae regnum jamdiu rebelle in conspectu vestro totum pene conticuit, ita ut novus rex ad voluntatem Dei et vestram in manus vestras se dederit; gaudeo in Domino, et gaudium meum nullis syllabarum metis explicare sufficio. Quotidianas etiam preces coram Deo pro vestra incolumitate et pace multiplico, ut sermo Dei per vos currat (II Thess. II), et de die in diem magis proficiat, et bona quae per vos inchoavit, ad finem usque perducat. Notum autem facio sublimitati vestrae quod Guillelmum bonae spei fratrem in Carnotensi Ecclesia nutritum, Parisiensis Ecclesia elegit in episcopum. Qui quidem sine consilio et assensu nostro nihil tale praesumere voluit. Misimus itaque cum eo quosdam de fratribus, qui diligenter inquirerent, utrum in eum vota omnium concurrerent, utrum haec electio mediante pecunia, vel aliqua esset a rege extorta violentia. Quibus bene cuncta renuntiantibus, illi fratri dedimus consilium et assensum, ut illi electioni cederet, et divinae ordinationi se non subduceret. Timebamus enim ne alius ex transverso intruderet, et Ecclesiam Simoniaca peste macularet. Addidimus quoque consilio ejus, quia aliquantulum infra annos legitimos nobis esse videbatur, ut promotiones ad gradus ecclesiasticos per congrua intervalla differret, et interim aut per se aut per nuntios Ecclesiae pro his quae ad integritatem ordinationis minus sunt, a paternitate vestra indulgentiam postularet. Quod scribo absens, si opportunitas se offerret, dicerem praesens, et pro ipsa Ecclesia, et cum ipsa Ecclesia a paternitate vestra magna in vos fiducia (magna animi fiducia ms. c. ) postulo, ut nulli aemulo de ejus insimulatione aurem de caetero commodetis., et per praesentium latorem mihi et ipsi Ecclesiae litteris vestris, quo ordine et quo modo res incoepta ad exitum cum gratia vestra perduci possit, vos ipse disponatis. Conterat Dominus Satanam, oro, sub pedibus vestris (Rom. XVI). Valete. |
XLIII. (43, A et C. — 26, B.) A son seigneur et père Urbain, souverain pontife, Ives, ministre de l'église de Chartres, combat avec Pierre et triomphe avec Pierre. Après plusieurs naufrages, l'Eglise Romaine, sous votre direction, a presque atteint le port : le royaume d'Italie si longtemps révolté s'est presque apaisé à votre vue, et le nouveau roi, se soumettant à la volonté de Dieu et à la vôtre, s'est remis en vos mains.[18] Je m'en réjouis dans le Seigneur et c'est à peine si je peux trouver des mots pour exprimer ma joie dans les bornes d'une lettre. Je multiplie chaque jour mes prières devant Dieu pour votre salut et votre tranquillité. Que la parole de Dieu se propage par votre entremise, qu'elle s'étende de jour en jour et qu'elle mène à bonne fin les biens qu'elle a commencés par vos soins. Je fais savoir à votre sublimité que l'église de Paris a élu comme évêque Guillaume,[19] frère de bonne espérance, élevé dans l'église de Chartres. Il n'a pas voulu accepter cet honneur sans notre avis et sans notre consentement. Nous avons donc envoyé vers lui quelques-uns de nos frères pour rechercher soigneusement s'il avait été choisi par le vœu de tous ou si son élection avait été extorquée par quelque argent ou par la violence du Roi. Sur leur rapport favorable, nous avons conseillé et permis à ce frère d'accepter cette élection et de ne pas se soustraire à l'ordination divine ; car nous craignions que quelque autre ne se mît à la traverse et n'infectât l'église de la peste simoniaque. Nous lui avons en outre conseillé, comme il n'avait pas encore tout-à-fait l'âge légitime,[20] de différer ses promotions aux grades ecclésiastiques, suivant les termes assignés par les canons, et, qu'en attendant, par lui ou par des députés de son église, il demandât à votre paternité des dispenses pour ce qui peut manquer à l'intégrité de l'ordination. Ce que je vous écris de loin, je vous le dirais de vive voix si l'occasion se présentait. Pour cette église et avec cette église, je demande en toute confiance à votre paternité de ne prêter l'oreille aux calomnies d'aucun de ses rivaux et de nous écrire à moi et à cette église, par le porteur des présentes, quel ordre et quelles mesures nous devons employer pour conduire cette affaire à bonne fin avec votre grâce. Je prie le Seigneur de briser Satan sous vos pieds. Adieu. |
EPISTOLA XLIV. IVO, Dei gratia Carnotensis Ecclesiae minister, omnibus in ejusdem Ecclesiae episcopatu positis, salutem in Domino. Notum sit vobis, dilectissimi, qui ad supernam Hierusalem pertinere vos creditis, quia si donativum superni Regis, ad quod vocati estis, promereri desideratis, pacem vobis a Deo mandatam remota omni discordiae peste servare debetis. Hanc enim Christus mundum ingrediens angelica revelatione mundo mandavit coelesti militia concinnente: Gloria in excelsis Deo, et in terra pax hominibus bonae voluntatis (Luc. II). Hanc Christus proxime de mundo egressurus et in brevi ad coelos reversurus commendavit dicens: Pacem meam do vobis, pacem meam relinquo vobis (Joan. XIV). Hanc Apostolus necessario tenendam admonet dicens: Pacem sequimini cum omnibus et sanctimoniam, sine qua nemo videbit Deum (Heb. XII). Cum enim Christi adventus non solum inter se coelestia et terrestria, sed etiam ipsa terrestria ad invicem pacificare venerit, ut in unitate fidei et Christianae pacis unum Christi corpus fierent, quid ei proderit Christi adventus, qui extra pacem fuerit inventus? Hanc professi estis, cum ad Deum, auctorem pacis et amatorem revertentes, diabolo auctori et amatori discordiae et omnibus operibus ejus in fonte vitae renuntiastis. Ergo, fratres, si dissimulare non vultis, magna est vobis indicta necessitas observandae pacis, qui Regis aeterni sacramentis obstricti aeterni praemii exspectatione coelesti militiae vos mancipastis. Pro certo enim sciat fraternitas vestra, quia in regno Christi nullus est relictus discordiae locus. Solum cum auctore mortis et operibus ejus, indeficiens est nobis injuncta discordia. Cum ergo, ut dictum est, Christianorum fides pacem debeat habere continuam, et non tantum mentes eorum a vitiis, sed etiam manus debeant vacare ab operibus vitiosis: videte quantum jam desit vobis ad Christianam perfectionem, qui dies, quos devovistis coelesti militiae ad quaerendam salutem, remitti vobis cogitis exercendae malitiae ad inveniendam mortem. Attendite, fratres, si quis vestrum alternatim carnem suam tribus diebus ferro incideret, vel igni combureret, vel quolibet alio cruciatu affligeret, quatuor vero diebus tantum vocaret, nonne ab amicis ligaretur, nonne tanquam phreneticus ad medicum duceretur? Quanto magis vulnerator animae suae vel interfector fortioribus Christi vinculis esset alligandus, ut a morte animae suae cessaret, et incessanter vitae operam daret! Sed quia prona est omnis aetas ab adolescentia in malum (Gen. VI), et perversi homines stipendia peccati magis quam justitiae diligentes adversus correctores suos insurgunt tanquam phrenetici in medicos, exspectantes de vobis meliora et viciniora saluti (Hebr. VI), toleramus imperfectionem vestram, dissimulamus impietatem vestram, et cum abundante iniquitate sanare vos perfecte nequeamus, malumus infirmos et saucios vos habere quam penitus mortuos. Rogamus itaque et obsecramus, et ex auctoritate Domini Jesu, cujus legatione, licet indigni, fungimur, vobis praecipimus, ut salvationis vestrae memores, saltim hos quatuor dies, quibus et Dominus et Salvator noster medicinalia salutis nostrae sacramenta evidentius operatus est, pacificos firmiter habeatis, et ab omni injuria, tam inimicorum quam amicorum, tam alienigenarum quam indigenarum, mentes, manus, linguas compescatis. Novit enim quicunque est Christianae religionis discipulus, quia quinta feria Dominus Jesus ultimum cum discipulis convivium celebravit (Matth. XXVI; Luc. XXII), in quo corpus et sanguinem suum, quae sunt nostrae reconciliationis sacramenta, et vulnerum nostrorum medicamenta, edendum et bibendum, et de caetero in sui commemorationem faciendum eisdem discipulis commendavit. Completo itaque coenae mysterio, eorumdem discipulorum pedes lavit, in sacramentum poenitentiae et remissionis (Joan. XIII) ; hoc sacramento designans, terreno pulvere etiam religiosa corda sordere, et neminem esse mortalium, qui non egeat poenitentia et peccatorum indulgentia. Ejusdem diei fine, discipulo prodente, traditus est in manus Judaeorum; quod tanta patientia fieri pertulit, ut se male tractantibus in nullo resisteret, imo aurem praecisam servo principis benigne restitueret (Luc. XXII). Quinta quoque feria peracta dispensatione suae incarnationis videntibus discipulis, in glorificata carne coelos ascendit (Marc. XVI) ; de caetero ad dexteram Patris interpellans pro nobis, ut eo sequatur humilitas gregis, quo praecessit celsitudo pastoris. Quid in his omnibus dux noster, quid nisi pacis exempla monstravit? videlicet ut qua die Christiana plebs tot ad vitam medicamenta suscepit, nemo alium laedendo se potius laedat, nemo alium interficiendo se potius interficiat; cum laesus foris, laedens intus, pereat. Sexta vero feria primus Adam de limo plasmatus est (Gen. I) et secundus Adam ad redimendum hominem veniens, in utero Virginis angelo nuntiante est incarnatus (Luc. I). Eadem quoque feria Christus passus est, et homo perditus, ad imaginem Dei per Christi sanguinem est reformatus (Joan. XIX). Qua ergo die pax reddita est mundo, pacem servare debet omnis homo, ne ad mortem redeat, quam protoplastus universo intulit mundo. Septima autem feria requievit Deus ab omni opere suo, significante hoc nobis Spiritu sancto quod non tantum quiescere debemus ab omni opere vitioso, sed et requiem exspectare post tempus quo sabbatizandum est ab omni opere oneroso. Non enim onerosum erit Deum perfecte diligere, et ejus laudibus ex dilectione incessanter insistere. In figuram quoque futuri et praesentis sabbatismi, praedicta feria caro Christi requievit in sepulcro, anima ejus interim debellante tartara, et hostis antiqui fortitudine superata, perdita spolia reportante. Noli ergo, Christiane, Christi sanguine redempte, noli beneficiis tui Redemptoris ingratus existere; noli tartara in hac ereptionis et requietionis die tua praesentia cumulare, bona proximi tui rapiendo, et eum qui aliena non rapuit, sed se ipsum tibi impendit in membris suis iterum persequendo. De octava feria, quae et prima, nulli credenti dubium est quod ea die Dominus resurrexit, et certum nobis argumentum et exemplum duplae nostrae resurrectionis sua resurrectione contulerit, in qua plena pax dabitur filiis adoptionis, jam non concupiscente carne adversus spiritum, vel spiritu adversus carnem (Gal. V). His et aliis de causis quae pro brevitate sermonis onerosum est enumerare, majores nostri in his potissimum diebus servandam pacem esse sanxerunt, et pro qualitate personarum et quantitate malorum diversa et dira supplicia violatoribus pacis inferri decreverunt. Quorum vestigia, pro posse nostro, sequentes, exhortando praecipimus, et praecipiendo exhortamur, ut pacem, cujus constitutionem vobis scriptam dirigimus, sine disceptatione servetis, et servandam tactis sacrosanctis reliquiis propria manu firmetis. Hoc enim vobis bonum est, et ad augmentum rerum temporalium, et ad profectum bonorum incommutabilium. Obedientibus a Deo pax et misericordia; huic autem constitutioni non obediturus, sit anathema maranatha. Valete. |
XLIV. (44, A et C. — 27, B.) Ives, par la grâce de Dieu, ministre de l'église de Chartres, à tous les fidèles de son diocèse, salut dans le Seigneur.[21] Sachez tous, frères bien-aimés, qui croyez appartenir à la Jérusalem céleste, que si vous désirez mériter du Roi suprême la récompense à laquelle vous êtes appelés, éloignant le fléau de la discorde, vous devez conserver la paix qui nous est commandée par Dieu. C'est cette paix que le Christ entrant dans le monde enseigna à l'humanité par une révélation angélique, lorsque la milice céleste chantait en chœur : Gloire à Dieu dans le ciel, et sur la terre paix aux hommes de bonne volonté. C'est cette paix que le Christ, sur le point de quitter le monde et de retourner dans les cieux, recommanda en disant : Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix. C'est cette paix que l'Apôtre déclara qu'il est nécessaire d'observer : Gardons avec tous la paix et la sainteté sans laquelle personne ne verra Dieu. Comme le Christ est venu pacifier entre eux non seulement le ciel et la terre, mais encore les enfants de la terre, afin que, dans l'unité de la foi et de la paix chrétienne, ils ne formassent tous qu'un corps dans le Christ, que servira la venue de Jésus-Christ à celui qui sera trouvé hors de la paix ? C'est cette paix que vous avez embrassée lorsque, retournant à Dieu, auteur et ami de la paix, vous avez renoncé sur les fonts du baptême au diable, auteur et ami de la discorde, et à toutes ses œuvres. Ainsi donc, mes frères, si vous ne vouiez pas vous fermer les yeux, vous comprendrez combien il vous est nécessaire d'observer la paix, vous qui, liés par les serments du Roi éternel, vous êtes agrégés à la milice céleste dans l'espoir d'une récompense éternelle. Que votre fraternité tienne pour certain que dans le royaume du Christ il n'y a aucune place pour la discorde : il n'y a qu'avec l'auteur de la mort et avec ses œuvres que nous devons entretenir une discorde sans merci. Puis donc, comme je vous l'ai dit, que les chrétiens fidèles doivent observer une paix continuelle, et que non seulement leurs cœurs doivent être purs de tous vices, mais que leurs mains mêmes doivent s'abstenir de toutes œuvres vicieuses, voyez tout ce qui vous manque pour être arrivés à la perfection chrétienne, vous qui vous conduisez comme si les jours que vous devriez consacrer à combattre pour arriver au salut ne vous étaient accordés que pour exercer la malice qui vous conduira à la mort. Si quelqu'un de vous, mes frères, pendant trois jours, tantôt coupait ses chairs avec le fer, tantôt les brûlait par le feu, ou les affligeait de quelque autre tourment, et les laissait ensuite reposer pendant quatre jours, ses amis ne l'enchaîneraient-ils pas, ne le conduiraient-ils pas vers un médecin comme un fou furieux ? Combien plus ne devrions-nous pas enchaîner par les liens les plus solides du Christ celui qui blesse son âme ou qui la tue, afin de le contraindre à cesser de donner la mort à son âme et de le forcer à travailler sans relâche à lui assurer la vie ? Mais comme dès l'âge le plus tendre tout homme est porté au mal et que notre nature perverse, plus amoureuse des joies du péché que de celles de la justice, nous fait insurger contre nos correcteurs comme les fous furieux contre leurs médecins, attendant de vous des œuvres meilleures et plus utiles pour votre salut, nous tolérons votre imperfection, nous fermons les yeux sur votre impiété, et comme nous ne pouvons, par l'abondance de vos iniquités, vous avoir parfaits, nous aimons mieux vous conserver infirmes et blessés que vous voir complètement morts. Nous vous prions donc et vous supplions, et de l'autorité du Seigneur Jésus dont nous remplissons la place, quoique indigne, nous vous commandons qu'en souvenir de votre rédemption vous gardiez en paix au moins ces quatre jours pendant lesquels Notre Seigneur et Notre Sauveur a plus particulièrement opéré les sacrements de notre salut : que, pendant ce temps, votre esprit, votre main, votre langue s'abstienne de toute injure envers vos ennemis comme envers vos amis, envers les étrangers comme envers vos concitoyens. Tous ceux en effet qui sont instruits dans la religion chrétienne savent que, le cinquième jour, notre Seigneur Jésus célébra son dernier repas avec ses disciples, repas dans lequel il leur donna à manger et à boire son corps et son sang, qui sont les gages de notre réconciliation et les remèdes de nos blessures, et dans lequel il leur commanda de faire ces choses en mémoire de lui. Après avoir achevé le mystère de la cène, il lava les pieds de ses disciples, en signe de pénitence et de rémission, désignant par cette figure que les cœurs même religieux sont infectés de la poussière terrestre, et qu'il n'est aucun des mortels qui n'ait besoin de pénitence et de pardon pour ses péchés. Sur la fin de ce même jour, il fut livré par la trahison d'un de ses disciples entre les mains des Juifs, et il supporta cette trahison avec tant de patience que non seulement il ne fit aucune résistance à ceux qui le maltraitaient, mais qu'il remit avec bienveillance l'oreille coupée au serviteur du grand-prêtre. C'est aussi le cinquième jour, après que le but de son incarnation eut été atteint, qu'à la vue des disciples son corps s'éleva glorieux dans les deux. Et c'est là qu'il est assis à la droite de son Père, intercédant pour nous, afin que le pauvre troupeau suive son pasteur céleste dans le lieu où il l'a précédé. Qu'a voulu en tout cela notre chef sinon nous donner des exemples de paix ? Afin que, dans ce jour où le peuple chrétien a reçu tant de secours pour le mener à la vie, personne en blessant son prochain ne se blesse lui-même, personne en tuant son frère ne soit son propre meurtrier, car celui qui blesse au dehors, blessé intérieurement, périra. Le sixième jour, le premier Adam fut formé du limon de la terre, et le second Adam, venant pour racheter l'humanité, s'incarna dans le sein d'une vierge, comme un ange l'avait annoncé. C'est aussi en ce jour que le Christ a souffert, et que l'homme, perdu par la faute d'Adam, par le sang du Christ a été reformé à l'image de Dieu. En ce jour donc où la paix a été rendue au monde, tout homme doit observer la paix, pour ne pas retomber dans la mort que le premier homme a apportée à tout l'univers. Le septième jour, Dieu se reposa de son travail, l'Esprit-Saint voulant nous montrer par là que non seulement nous devons nous tenir à l'écart de toute œuvre mauvaise, mais encore que nous devons chercher le repos en nous abstenant de toute œuvre fatigante. Car on ne pourra appeler une fatigue d'aimer Dieu de toute son âme et de s'occuper sans cesse de célébrer ses louanges. Pour figurer ce repos que nous observons aujourd'hui et celui dont nous jouirons plus tard, en ce jour, le corps du Christ reposa dans le sépulcre, son âme cependant combattant les esprits de ténèbres et remportant les dépouilles enlevées à l'antique ennemi que son courage avait vaincu. Prends donc garde, chrétien racheté par le sang du Christ, prends garde de te montrer ingrat envers les bienfaits de ton rédempteur, prends garde, en ce jour de délivrance et de repos, que ton corps ne soit précipité dans les ténèbres, si tu ravis les biens de ton prochain et si tu persécutes dans ses membres celui qui n'a jamais rien dérobé, mais qui au contraire s'est donné à toi tout entier. Le huitième jour, qui est aussi le premier, est pour tout croyant celui où le Seigneur est ressuscité, et par sa résurrection a donné une preuve certaine et une assurance entière de notre double résurrection. En ce jour, une paix entière sera donnée à ses fils d'adoption, la chair ne se révoltant plus contre l'esprit ni l'esprit contre la chair. Pour ces causes et pour d'autres qu'il serait trop long d'énumérer, nos pères ont recommandé d'observer la paix surtout pendant ces jours, et, suivant la qualité des personnes et la quantité des infractions, ont édicté les peines les plus diverses et les plus terribles contre les violateurs de la paix. Marchant sur leurs traces autant que nous le pouvons, nous vous exhortons et vous prions, nous vous prions et vous exhortons d'observer sans hésitation cette paix dont nous vous envoyons par écrit les statuts[22] et de jurer son observation sur les saintes reliques. Ce sera pour vous un mérite qui servira à l'accroissement de vos biens temporels et à votre élévation vers les biens incommutables. A ceux qui obéiront paix et miséricorde dans le Seigneur ; à ceux qui enfreindront ces statuts anathème et malédiction. |
EPISTOLA XLV. IVO, Dei gratia Carnotensis episcopus, clericis Mellentinis, et omnibus in Pixiacensi archidiaconatu, salutem. Perlatum est ad aures nostras quod Mellentinus comes ducere velit in uxorem filiam Hugonis Crispeiensis comitis; quod fieri non sinit concors decretorum et canonum sanctio, dicens: « Conjunctiones consanguineorum fieri prohibemus. » Horum autem consanguinitas nec ignota est, nec remota, sicut testantur et probare parati sunt praeclari viri de eadem sati prosapia. Dicunt enim quia Gualterius Albus genuit matrem Gualeranni comitis, qui genuit matrem Roberti comitis. Item supradictus Gualterius genuit Radulphum patrem alterius Radulfi, qui genuit Vermandensem comitissam, ex qua nata est uxor comitis Hugonis, cujus filiam nunc ducere vult Mellentinus comes. Si autem praedicta genealogia ita sibi cohaeret, legitimum non poterit esse conjugium, sed incestum contubernium, nec filios poterunt habere legitimos, sed spurios. Unde vobis ex apostolica et canonica auctoritate praecipimus, ut tam calumniosum conjugium in ecclesiis nostri episcopatus nec ipsi consecretis, nec ab aliquo, quantum in vobis est, consecrari permittatis, nisi primum in praesentia nostri consanguinitas haec septimum gradum excessisse legitime fuerit comprobata. Valete, et has litteras Mellentino comiti transmittite. |
XLV. (45, A et R. — 114, B.) Ives, par la grâce de Dieu, évêque de Chartres, aux clercs de Meulan et à tous ceux de l'archidiaconé de Pinserais, salut. Il est parvenu à nos oreilles que le comte de Meulan veut épouser la fille de Hugues, comte de Crépy ; ce que défendent d'un commun accord les décrets et les canons : Nous défendons les alliances entre les consanguins. Nul n'ignore en effet leur consanguinité, qui est très proche, comme le témoignent et sont prêts à le prouver des hommes issus de la même race. Gautier le Blanc engendra la mère du comte Galeran, qui donna le jour à la mère du comte Robert.[23] D'un autre côté, le même Gautier engendra Raoul, père d'un autre Raoul, qui eut pour fille la comtesse de Vermandois, de qui est née la femme du comte Hugues, dont le comte de Meulan veut actuellement épouser la fille.[24] Si cette généalogie est exacte, ce mariage ne pourra être légitime ; ce sera une alliance incestueuse, et les enfants ne pourront être légitimes, mais bâtards. Aussi nous vous défendons, au nom de l'autorité apostolique et canonique, de consacrer dans aucune église de notre diocèse une union aussi contestable, ou de la laisser consacrer, autant qu'il dépendra de vous, à moins qu'auparavant il n'ait été prouvé en notre présence que cette consanguinité remonte au-delà du septième degré.[25] Adieu, et communiquez cette lettre au comte de Meulan. |
EPISTOLA XLVI. URBANO summo pontifici, IVO sanctitatis suae filius, fidelium orationum munus. Venturi sunt ad vos in proximo nuntii ex parte regis Francorum, per quorum os locuturus est spiritus mendax, qui infatuati adeptione vel promissione honorum ecclesiasticorum infatuare molientur sedem justitiae. Contra quorum calliditatem a parvitate mea vigilantiam vestram volo esse praemonitam et praemunitam, quatenus rigorem vestrum promissiones eorum non emolliant, comminationes non exterreant. Quidquid enim dicent jam securis ad radicem arboris posita est (Matth. XIII), nisi ut aut arcum remittatis, aut gladium suspendatis. Qui ergo venturi sunt confidentes in calliditate ingenioli sui, et venustate linguae suae, praedictis de causis impunitatem flagitii se impetraturos regi a sede apostolica promiserunt, hac ratione ex parte usuri, regem cum regno ab obedientia vestra discessurum, nisi coronam restituatis, nisi regem ab anathemate absolvatis. Si autem impoenitenti venia concedatur, quanta spes impune peccandi peccantibus de caetero relinquetur, non est meum instruere vestram prudentiam, cujus potissimum interest delinquentium errata non fovere, sed ferire. Si autem aliqui subdoli evidenter ab unitate matris suae discedunt, qui jam pridem mente discesserunt, consoletur sanctitatem vestram divinum responsum: Reliqui mihi septem millia virorum (III Reg. XIX). Et illud Apostoli. Oportet haereses esse, ut hi qui probati sunt manifesti fiant (I Cor. XI). De caetero volo sciat vigilantia vestra quia ex praecepto regis, Remensis et Senonensis, et Turonensis archiepiscopi invitaverunt suffraganeos episcopos, ut post responsa vestra apud Trecas prima Dominica post festivitatem Omnium Sanctorum conveniant. Quo invitatus ire dissimulo, nisi vestro consilio munitus, timens ne quid contra justitiam, et sedem apostolicam moliatur ille conventus. De his itaque; et de his quae circa vos sunt, quae libuerit rescribat mihi vestra paternitas, ut in adversis compati, et in laetis valeam congratulari. Valete. |
XLVI. (46, A et C. — 28, B.) A Urbain, souverain pontife, Ives, fils de sa sainteté, hommage de fidèles prières. Vous recevrez prochainement des envoyés du roi de France, et vous entendrez parler parleur bouche l'esprit de mensonge. Infatués de la possession ou de la promesse des honneurs ecclésiastiques, ils s'efforceront de troubler le siège de la justice. Notre humilité veut prévenir et prémunir votre vigilance contre leurs paroles perfides, afin que votre rigueur ne se laisse point fléchir par leurs promesses ni épouvanter par leurs menaces. Car, quoi qu'ils en disent, déjà la hache est placée à la racine de l'arbre, à moins que vous ne débandiez votre arc ou que vous ne remettiez votre glaive dans le fourreau. Ceux qui vont vers vous, pleins de confiance dans les ruses de leur esprit et dans les agréments de leur langue, ont promis d'obtenir pour le Roi du siège apostolique le pardon de sa faute. Pour y parvenir, ils se proposent de vous dire que le Roi et son royaume se sépareront de votre obédience si vous ne lui rendez sa couronne et ne le relevez de l'anathème. Mais si l'on accorde la grâce à l'impénitence, quelle espérance n'auront pas à l'avenir les coupables de pouvoir pécher impunément ? Ce n'est pas à moi qu'il appartient d'instruire là-dessus votre prudence, dont la mission n'est pas de protéger, mais de frapper les coupables. Si quelques-uns se séparent ouvertement de l'unité de leur mère dont ils sont séparés depuis longtemps dans leurs cœurs, que votre sainteté se console avec la réponse divine : Je me suis gardé sept mille fidèles, et avec ces paroles de l'Apôtre : Il est nécessaire qu'il y ait des hérésies, afin de manifester la foi des bons. Que votre vigilance sache que, d'après l'ordre du Roi, les archevêques de Reims, de Sens et de Tours[26] ont invité leurs évêques suffragants, lorsqu'on aura reçu votre réponse, à se réunir à Troyes le premier dimanche après la Toussaint.[27] J'y suis invité, mais j'hésite à m'y rendre, si je n'y suis engagé par vous, car je crains qu'il ne se trame dans cette assemblée quelque chose de contraire à la justice et au siège apostolique. Que votre paternité me réponde donc, selon son bon plaisir, à ce sujet et au sujet de ce qui se passe autour de vous, afin que je puisse compatir à vos douleurs et me réjouir de vos bonheurs. Adieu. |
EPISTOLA XLVII IVO, humilis Carnotensis episcopus, WIDONIS regis dapifero, salutem. Quae mihi mandasti per Landricum presbyterum jam audieram per Ebrardum nepotem tuum, videlicet quod rex multa mala dimittere, et multa bona se promittat velle facere, si cum pace sedis apostolicae et communione ecclesiastica mulierem quam illicite habet, valeat ad tempus retinere. Unde ex auctoritate divina hoc charitati tuae rescribo, quia nulla redemptione vel commutatione quis peccatum suum poterit abolere, quandiu vult in eo permanere, secundum illud Apostoli: Voluntarie peccantibus non relinquitur hostia pro peccato (Hebr. X). Quod est aliis verbis dicere, quia nemo in peccato suo perdurare volens, peccatum suum poterit aliqua eleemosyna vel oblatione redimere. Unde et Dominus Cain sua offerenti, et tamen homicidium cogitanti legitur respondisse (Gen. IV) : « Si recte offeras et non recte dividas, peccasti, quiesce. » Quasi dicat: Peccas non recte partiendo qui tua offers, et de homicidio tractans, teipsum qui tuis melior es, mihi aufers. Hinc etiam dicit beatus papa Gelasius (in c. Legatur, caus. 23, q. 2) : « Legatur ex quo est religio Christiana, vel certum detur exemplum in Ecclesia Dei a quibuslibet pontificibus, aut ab ipsis apostolis, ab ipso denique Salvatore, veniam nisi corrigentibus se fuisse concessam. Auditum autem sub isto coelo ab aliquibus nec legitur omnino, nec dicitur: Date nobis veniam, ut tamen nos in errore duremus. Ostendant ergo quibus occasionibus, quibus regulis, qua lectione vel quo documento, sive a majoribus nostris, sive ab ipsis apostolis, quos potiores fuisse merito non dubium est, sive ab ipso Domino Salvatore, qui judicaturus creditur vivos et mortuos, vel si factum est unquam, vel faciendum esse mandatur. » Propter haec et alia multa his similia, scio consilium domini regis bonum exitum habere non posse, nisi ab hoc peccato desistat, et Christi jugo se poenitendo subjiciat, cum Deus non nostra, sed nos ad salutem nostram requirat. Dic ergo haec omnia domino regi, ut sanius consilium perquirat; quod si ei Deus ministraret, me adjutorem in quibuscunque possem inveniret. Vale. |
XLVII. (47, A et C. — 115, B.) Ives, humble évêque de Chartres, à Gui, sénéchal du Roi,[28] salut. Ce que tu m'as mandé par le prêtre Landry, je l'avais déjà appris d'Evrard, ton neveu, à savoir que le Roi promet de renoncer au mal et de retourner vers le bien si, en paix avec le siège apostolique et en communion avec la sainte église, il peut garder pour un temps la femme à laquelle il s'est illicitement uni. M'appuyant sur l'autorité divine, je réponds à ta charité qu'il est impossible de racheter ou de commuer son péché tant qu'on veut y demeurer, selon cette parole de l'Apôtre : Pour ceux qui prennent plaisir à pécher il n'y a pas de victime capable d'effacer leur faute ; ce qui revient à dire que personne, voulant demeurer dans son péché, ne pourra racheter sa faute par quelque aumône ou quelque sacrifice. Aussi quand Caïn faisait ses offrandes au Seigneur et nourrissait en lui son projet d'homicide, Dieu lui répondit : Si tes offrandes sont bonnes, mais que le partage soit mauvais, tuas péché : abstiens-toi, comme s'il avait dit : Tu pèches en ne partageant pas loyalement ce que tu m'offres ; lorsque tu songes à un homicide, tu me ravis ta personne que je préfère à tous tes biens. C'est aussi dans ce sens que le bienheureux pape Gélase s'exprime ainsi : Que l'on nous montre si, depuis que la religion chrétienne existe ou depuis que nous recevons nos exemples des souverains pontifes ou des Apôtres ou de notre Sauveur même, jamais le pardon a été accordé à d'autres qu'à ceux qui se sont corrigés. A-t-on jamais vu ou lu quelque part qu'on ait entendu dire sous le ciel : Donnez-nous notre pardon afin que nous demeurions dans notre faute. Qu'on nous cite une occasion, un mandement, une pièce, un titre quelconque qui prouve que, soit nos ancêtres, soit les Apôtres nos meilleurs guides, soit ce Sauveur lui-même qui doit juger les vivants et les morts, aient jamais agi ou commandé d'agir ainsi. Tous ces textes et bien d'autres semblables démontrent que le projet du Roi ne peut avoir une bonne fin s'il ne renonce à son péché et s'il ne soumet son cœur pénitent au joug du Christ ; car ce n'est pas ce qui nous appartient, c'est nous-mêmes que Dieu réclame pour notre salut. Dites tout cela au seigneur Roi pour qu'il revienne à de plus sages sentiments : si Dieu les lui inspirait, je m'empresserais de venir à son aide en tout ce qui dépendrait de moi. Adieu. |
EPISTOLA XLVIII. URBANO summo pontifici, IVO, humilis Ecclesiae Carnotensis servus, fidelium orationum munus. Quia Gallicanarum Ecclesiarum pericula, quotidianarum pressurarum experimento cognoscimus, earumdem pressurarum onera sedi apostolicae relevanda notificari praeoptamus. Unde Remensem metropolim quondam matrem vestram, nunc autem filiam, sub omni celeritate vestris consolationibus refoveri, vestro auxilio fulciri postulamus, ne adversarius noster qui circuit quaerens quem devoret (I Petr. V), electionem in domnum Manassem facta aliqua valeat versutia perturbare, aliqua perturbatione cassare. Non enim poterat illa Ecclesia inter omnes filios suos quemquam invenire sedi apostolicae magis devotum, suis utilitatibus magis necessarium, tum propter generis nobilitatem, tum propter morum honestatem. Quantum vero necessarium sit Romanae Ecclesiae, ut in praedicta sede devotum sibi ministrum substituat, non est meum vestram prudentiam instruere, quae novit eamdem sedem diadema regni habere, et omnibus pene Gallicanis Ecclesiis exemplum ruinae vel resurrectionis existere. Valete. |
XLVIII. (48, A et C. — 116, B.) A Urbain, souverain pontife, Ives, humble serviteur de l'église de Chartres, hommage de fidèles prières. Comme une expérience de chaque jour nous fait connaître les périls des églises de France et l'oppression qui pèse sur elles, nous voulons apprendre au siège apostolique le fardeau de leurs tribulations afin qu'il y apporte remède. C'est pour l'église métropolitaine de Reims, autrefois votre mère,[29] et maintenant votre fille, que nous vous demandons en toute célérité le secours de vos consolations, l'appui de votre protection : car nous craignons que notre adversaire qui rôde autour de nous, cherchant une proie à dévorer, ne réussisse par ses intrigues à ébranler l'élection faite récemment du seigneur Manassès,[30] et ne parvienne à la faire annuler. Entre tousses fils cette église n'en pouvait trouver un plus dévoué au siège apostolique, plus capable de la servir, tant à cause de la noblesse de sa race qu'à cause de l'honnêteté de ses mœurs. Or combien il est nécessaire à l'Eglise Romaine d'avoir sur le siège de Reims un ministre tout dévoué, ce n'est pas à moi qu'il appartient de l'apprendre à votre prudence. Vous savez que cette église possède pour ainsi dire le diadème du Royaume, et pour presque toutes les églises de France est le signal de la résurrection ou de la ruine. Adieu. |
EPISTOLA XLIX. IVO, indignus Ecclesiae Carnotensis minister, STEPHANO Palatino comiti, salutem. Mansuetudinem vestram adversum me amaricatam non sufficienter admiror, qui personam vestram laesisse, vel principatus vestri jus legitimum in nullo me minuisse arbitror. Quod tamen si aliqua subreptione fecissem, familiaribus colloquiis ut errorem meum corrigerem, fueram admonendus, aut demum ad jus congruis locis et temporibus invitandus, non verbis indignantibus et minacibus exasperandus. Cum ergo nihil horum praecesserit, cognoscat strenuitas vestra, quam subito in amicum insurrexerit, et compescat indignationem suam; qui sic parati sumus vestrae parere amicitiae, ut tamen ministerium nostrum honorificemus satisfaciendo justitiae. Quod enim a claustro canonicorum omnis saecularis potestas sit eliminata, jamdiu ante tempora patrum vestrorum et regum decretis est cautum, et ecclesiasticis sanctionibus multimode roboratum, et ad usque tempora Gaufridi exepiscopi sine ulla interruptione conservatum. Quod ergo Ecclesia tam liberaliter in primis obtinuit, quod tam multis temporibus quiete possedit, putatis unius hominis levitate vel perversitate a jure Ecclesiae posse auferri, et sine multa discussione, sine judiciali definitione in alienum jus posse transferri? Redeat ergo ad se mansuetudo vestra, et acquiescat verbis sapientiae dicentis: Ne transgrediaris terminos antiquos, terminos quos posuerunt patres tui (Prov. XXII). Quos quicunque praesumpserit adversus Ecclesiam parvitati meae commissum transcendere, parati sumus pro potestate nobis a Deo collata usque ad damna rerum, usque ad exsilium contradicendo resistere; et gladio sancti Spiritus usque ad dignam satisfactionem persequendo ferire. Hic gladius penetrat turres, dejicit propugnacula, et omnem altitudinem adversus humilitatem Christi se erigentem, et haereditatem quam sibi suo sanguine acquisivit, injuste pervadentem. Hic gladius in egestate fortior est, in exsilio non frangitur, carcere non alligatur, juxta illud Apostoli: Verbum Dei non est alligatum (II Tim. II). Quod si nos cum hoc gladio non timetis, timete Deum in nobis, cujus fungimur legatione licet indigni, cujus sacramentorum dispensatores sumus, dicente Domino per Prophetam: Nolite tangere christos meos, et in prophetis meis nolite malignari (Psal. CIV). Habet enim legitimus principatus Ecclesiarum quieti providere, non Ecclesiarum quietem perturbare, sua dare, non suis spoliare, quatenus Ecclesia Deum pro principibus et potestatibus orans, non cum disceptatione hoc faciat, sed cum pietate. De caetero de securitate, pro qua me invitastis, ut eam vobis Mellis facerem, non est mihi consilium ut eam vobis alibi faciam nisi in civitate pro qua et de qua vobis eam debeo. Nec decet tam rectae opinionis hominem, ut aliquid a me exigatis contra consuetudinem propter suscitandi odii occasionem. Non enim adeo sum cupidus aut timidus, ut me, vel hoc, vel illud ducat in aliud quam habet ratio et consuetudo. Ego enim perquisitis Ecclesiae scriptis, consultis etiam antiquioribus Ecclesiae clericis, nullo modo invenire potui aliquem antecessorum meorum canonice promotum, hanc securitatem fecisse antecessoribus vestris, nisi in civitate. Valete, et Deus pacis sit vobiscum. |
XLIX. (49, A et C. — 117, B.) Ives, indigne ministre de l'église de Chartres, à Etienne, comte palatin,[31] salut. Je ne saurais trop m'étonner du changement en amertume de votre mansuétude pour moi, car je n'ai blessé en rien votre personne et je crois n'avoir en rien attenté aux droits légitimes de votre seigneurie. Si cependant je l'avais fait par quelque erreur, vous auriez dû m'avertir familièrement de réparer ma faute, ou me rappeler à ce qui vous est dû en temps et en lieu opportuns, et non pas m'exaspérer par des paroles indignées et des menaces. Mais rien de tout cela n'a eu lieu : que votre générosité reconnaisse donc la précipitation avec laquelle elle s'est irritée contre un ami, qu'elle réprime son indignation ; car nous sommes prêt à obéir à votre amitié, de manière cependant à sauvegarder l'honneur de notre ministère tout en satisfaisant à la justice. Toute puissance séculière est proscrite du cloître des chanoines,[32] c'est ce que dès longtemps, bien avant vos pères, les décrets des Rois ont ordonné, et ce que la sanction ecclésiastique a confirmé de mille manières ; c'est ce qui a été observé sans interruption jusqu'au temps de l'ex-évêque Geoffroy. Ce que donc l'église a si libéralement obtenu autrefois, ce qu'elle a possédé pacifiquement pendant un si long temps, pensez-vous que la légèreté ou la perversité d'un seul homme puisse le lui enlever, et que ce droit puisse passer en des mains étrangères, sans une longue discussion, sans un jugement solennel ? Que votre mansuétude revienne à elle, qu'elle se rende aux paroles de la Sagesse : Ne franchis pas les bornes anciennes, les bornes qu'ont posas tes pères. Que si quelqu'un tente d'enfreindre les privilèges de l'église confiée à notre humilité, nous sommes prêt, avec la puissance qui nous a été donnée de Dieu, à lui résister jusqu'à la perte de nos biens, jusqu'à l'exil, et à le frapper du glaive de l'Esprit-Saint jusqu'à ce que nous obtenions une satisfaction convenable. C'est ce glaive qui traverse les tours, qui renverse les remparts, qui abaisse toute hauteur s'élevant contre l'humilité du Christ et envahissant injustement l'héritage qu'il s'est acquis par son sang. Ce glaive est plus fort dans la pauvreté ; il n'est pas brisé dans l'exil ; il n'est pas enchaîné dans les cachots, suivant cette parole de l'Apôtre : La parole de Dieu n'est pas enchaîna. Si vous ne nous craignez pas malgré ce glaive dont nous sommes armé, craignez en nous Dieu dont nous tenons la place quoique indigne, dont nous dispensons les sacrements, le Seigneur disant par son prophète : Prenez garde de toucher à nos Christs et de tendre des embûches à nos prophètes. La légitime seigneurie consiste à veiller au repos des églises et non à le troubler, à leur conserver leurs droits et non à les en dépouiller, afin que l'Église, priant Dieu pour les seigneurs et pour la conservation de leur puissance, ne le fasse pas avec hésitation, mais avec amour. Quant à l'invitation que vous me faites de vous fournir une garde à Meaux, je ne crois pas devoir vous rendre ce service ailleurs que dans la ville pour laquelle et dans laquelle je vous le dois. Il ne conviendrait pas à un chevalier aussi éclairé que vous d'exiger de moi quelque chose de contraire aux anciennes coutumes, au risque d'exciter les haines. Car je ne suis pas si avide de vos faveurs ni si craintif de vos ressentiments que telle ou telle cause me pousse à agir contre la raison et l'usage. J'ai parcouru les actes de l'église, j'ai consulté les clercs les plus anciens, nulle part je n'ai vu qu'un de mes prédécesseurs canoniquement élu ait fourni cette garde à vos prédécesseurs, ailleurs que dans la ville. Adieu, et que la paix de Dieu soit avec vous. |
EPISTOLA L. RICHERIO, Dei gratia Senonensium archiepiscopo, IVO, humilis Carnotensium episcopus, salutem cum debita obedientia. Parabam me sicut mihi mandaverat vestra paternitas, ut venirem ad colloquium vestrum et confratrum nostrorum, cum eruditioribus Ecclesiae nostrae filiis. Sed interim mihi pro certo intimatum est a quibusdam amicis meis, quia parabantur mihi insidiae a quibusdam parochianis vestris, qui sunt affines illius olim dictae reginae (Bertradae, epist. 13 et 105), cujus inimicitiae nondum sunt adversum me aliqua ratione sedatae. Unde rogo mansuetudinem vestram ut a Picuereis usque ad vos securum mihi conductum praeparetis, si praesentia mea adeo necessaria est vobis. Nam in hoc itinere me periculum aliquod incurrere, quantum mihi est damnosum, tantum vobis ignominiosum. Quod si ad praesens fieri non potest, quae dicerem vobis praesens, ea scribo vobis absens. De veteri querela quam habet adversus Senonensem Ecclesiam Lugdunensis Ecclesia, laudo et consulo ut, si qua habetis privilegia, apostolica manu roborata, vel scripta authentica, quae primatum Lugdunensis Ecclesiae (cujus etiam meminit, epist. 54), quem aliquando ex catalogis civitatum conjicimus exstitisse, ab Ecclesia vestra removeant, e t libertatem quam desideramus eidem Ecclesiae defendant, ea confratribus nostris ostendatis et eadem parvitati nostrae transmittatis, quibus tanquam firmis sustentaculis innitamur, et libertatem matris nostrae pro posse nostro tueamur. Quae si modo ad manum non habetis, non est consilium meum ut contra torrentem brachia dirigatis, imo apostolicis sanctionibus interim acquiescatis absque praejudicio privilegiorum vel authenticarum scripturarum, si quando reperiri poterunt, quae hanc subjectionem ab Ecclesia vestra removeant, et ejusdem Ecclesiae libertatem defendant. Qui melius sentiunt, melius consulant. Hoc tantum provideant, quia rerum exitus prudentia metitur, ut ab imminenti gladio caput vestrum eripiant. De caetero sciatis canonicos Parisienses, decanum videlicet cantorem, Rainaldum archidiaconum in praesentia nostra secundum praeceptum domni papae jurasse se nullo terrore regis vel dictae reginae compulsos, domnum Gulielmum episcopum sibi elegisse, neque aliquid Simoniacae pravitatis in ejus electione intendisse. Unde mando vobis ex parte domni papae ut si Parisiensis Ecclesia eum sibi ordinari et consecrari postulaverit, ante festum sancti Remigii secundum auctoritatem et consuetudinem Ecclesiae vestrae ei manum imponatis, et honore pallii ad tempus vobis interdicto, in ejus ordinatione et consecratione uti nullatenus formidetis. Sic enim domnus papa mihi concessit apud montem Pessulanum, cum ad petitionem regis de ejusdem Gulielmi electione tractaretur, et post multam ventilationem ejusdem electionis discussio mihi a domno papa committeretur. Ad ultimum rogo paternitatem vestram, ut secundum institutionem pacis quae a domno papa omnibus Gallicanis Ecclesiis indicta est, de parochianis vestris Stampensibus, videlicet Ursione filio Theodonis et complicibus ejus, justitiam faciatis; qui episcopatus nostri partem episcopatui vestro contiguam omnino devastant, et pacem quam habet reliqua pars episcopatus sine causa perturbant. Praecipite itaque Stampensi archipresbytero, ut vel eos ad satisfactionem adducat, vel ipsis excommunicatis et locis in quibus morantur divinum officium interdicat (epist. 263) secundum consuetudinem pacis. Valete, et quod vobis placet per praesentium portitorem mihi remandate. |
L. (50, A et C.-118, B.) A Richer, par la grâce de Dieu, archevêque de Sens, Ives, humble évêque de Chartres, salut avec l'obéissance qui lui est due. Je me préparais, suivant le mandement de votre paternité, à me rendre à la conférence entre vos confrères et les miens, avec les fils les plus éclairés de notre église ; mais j'ai été informé d'une manière certaine par quelques-uns de mes amis que des embûches m'étaient tendues par certains de vos paroissiens, qui sont alliés de cette femme qu'on disait naguère reine, et dont l'inimité contre moi ne saurait être apaisée d'aucune façon. Je prie donc votre mansuétude de m'envoyer une escorte sûre depuis Pithiviers jusqu'auprès de vous, si ma présence vous est à ce point nécessaire : car si je cours quelque danger dans ce trajet, ce sera aussi ignominieux pour vous que dommageable pour moi. Si vous ne pouvez me procurer cette escorte, ce que je vous dirais de vive voix, je vous le transmets par lettre. Touchant l'antique querelle qu'a l'église de Lyon contre l'église de Sens,[33] je vous prie et vous conseille, si vous avez quelques privilèges confirmés par le siège apostolique ou quelques écrits authentiques qui soustraient votre église à la primatie de l'église de Lyon, que, d'après les catalogues de ces cités, je crois avoir existé, et que ces privilèges soient favorables à la liberté que nous souhaitons à votre église, je vous prie, dis-je, de les communiquer à vos confrères et de les transmettre à notre humilité. Nous nous appuierons sur leur autorité comme sur de fermes colonnes, et avec leur aide nous défendrons de tout notre pouvoir la liberté de notre métropole. Si vous n'avez pas de pareils titres sous la main, je ne suis pas d'avis que vous opposiez vos bras à ce torrent : je vous conseille plutôt de vous soumettre aux ordres apostoliques, sans préjudice des privilèges ou des écrits authentiques que vous pourriez trouver un jour et qui relèveraient votre église de cette soumission et garantiraient sa liberté. Que ceux qui ont un meilleur avis le donnent, mais qu'ils prennent garde de mesurer prudemment la portée de leur conseil, afin de détourner de votre tête le glaive qui la menace. Les chanoines de Paris, le doyen, le chantre, l'archidiacre Renaud,[34] ont juré, en notre présence, suivant l'ordre du seigneur pape, qu'ils n'ont cédé ni à la crainte du Roi ni à celle de la prétendue Reine dans l'élection qu'ils ont faite du seigneur Guillaume comme évêque, et qu'il n'est entré aucune simonie dans son élection. Je vous mande donc, de la part du seigneur pape, si l'église de Paris vous prie d'ordonner et de consacrer son élu, que, suivant l'autorité et la coutume de votre église, vous lui imposiez les mains avant la fête de saint Rémi, et que vous ne craigniez nullement, pour son ordination et sa consécration, de vous servir du pallium dont l'usage vous a été temporellement interdit. Cette faveur m'a été accordée par le seigneur pape à Montpellier,[35] où, à la requête du Roi, je m'étais rendu pour traiter de l'élection de ce même Guillaume, et où, après une longue discussion, j'avais été chargé par le seigneur pape de terminer cette affaire. Enfin je prie votre paternité, suivant l'institution de la paix donnée par le seigneur pape à toutes les églises de France, de faire justice de vos paroissiens d'Étampes, Ursion, fils de Theudon, et ses complices, qui dévastent de fond en comble la partie de notre évêché contiguë au vôtre, et troublent sans cause la paix dont jouit le reste de notre diocèse. Commandez donc à l'archiprêtre d'Étampes, ou de les amener à satisfaction, ou de les excommunier, et d'interdire, suivant les statuts de la paix, l'office divin dans les lieux où ils demeurent. Adieu, et faites-moi connaître votre volonté par le porteur des présentes. |
[1] Nous ne savons à quelle entrevue saint Ives fait allusion. Nous n'avons trouvé mentionnée dans les Histoires qu'une entrevue mémorable entre Guillaume le Roux, roi d'Angleterre, et Robert Courte-Heuse, duc de Normandie, son frère et son perpétuel ennemi ; c'est celle qui eut lieu à Rouen, au commencement de l'année 1091. Or, notre lettre doit appartenir à l'année 1094. Le roi de France et le duc de Normandie étaient allés vers le mois de mars mettre le siège devant Bréval, et avaient fini par s'en emparer. C'est sans doute à la suite de la prise de cette ville, qu'une entrevue fut préparée entre les deux frères pour la conclusion de la paix ; mais nous ignorons si elle eut lieu. [2] Il est sans doute question ici du concile d'Autun (16 octobre 1094), dans lequel Philippe Ier fut excommunié par le légat Hugues de Lyon, à cause de ses relations adultères avec Bertrade. [3] Il s'agit de la paix ou trêve de Dieu, au sujet de laquelle nous trouverons plus loin plusieurs lettres fort intéressantes de notre saint évêque. [4] Nous pensons que le personnage à qui cette lettre est adressée est Roger, qui devint plus tard prieur de Noyon-sur-Andelle en n 13. On lisait dans son épitaphe : Grammaticam didicit puer et botta dogmata legit ; Imberbis mundum deseruit fluidum. [5] Foulques de Dammartin, évêque de Beauvais, de 1089 à 1095. [6] Foulques rencontra contre son élévation à l'épiscopat autant d'opposition que saint Ives. Il hésita longtemps à accepter ces augustes fonctions, et ne céda qu'aux sollicitations de saint Anselme et aux ordres d'Urbain II. Au bout de quelques années, voyant qu'il ne pouvait vaincre la haine de ses adversaires, il résolut de se démettre de ses fonctions épiscopales et se rendit à Rome pour résigner son évêché entre les mains du souverain pontife. Saint Anselme cette fois fut le premier à appuyer la demande de l'évêque de Beauvais, « non pas, dit-il, qu'on puisse trouver en sa vie rien de répréhensible, mais il n'a pas l'énergie nécessaire pour supporter le fardeau qui lui est confié. > C’est sans doute à ce voyage de l'évêque de Beauvais à Rome que saint Ives fait ici allusion. [7] Depuis longtemps, l'évêché d'Arras était réuni à celui de Cambrai. Après la mort de Gérard 11, évêque de Cambrai, le 11 août 1092, les fidèles d'Arras qui faisaient partie du royaume de France résolurent de se séparer de l'évêché de Cambrai, qui relevait de la juridiction des empereurs d'Allemagne. Ils choisirent pour évêque Lambert de Ponthieu, archidiacre de Thérouanne, le 10 juillet 1093 ; mais l'église de Cambrai protesta énergiquement contre ce démembrement. Adoptant les réclamations de cette église, malgré les ordres réitérés d'Urbain II, l'archevêque de Reims, Reinald, refusa de sacrer le nouvel élu. Pour obtenir gain de cause, Lambert dut se rendre auprès du pape, qui le sacra lui-même le 19 mars 1094. [8] Voir la note de la lettre XXXVI. [9] Cette lettre n'est évidemment pas à son rang ; elle a été écrite par saint Ives pendant la tenue du concile de Reims (novembre 1094), et une lettre postérieure adressée à Urbain II (voir XLVI) annonce l'ouverture prochaine du concile. [10] Pierre II tint le siège de Poitiers de 1087 à 1115. Il a été canonisé. [11] Nous avons laissé cette lettre au rang qu'elle occupe dans notre manuscrit. Nous croyons cependant qu'elle est une des plus anciennes que nous possédions de saint Ives, Ce Robert, auquel est déjà écrite la lettre XXXIII, nous paraît avoir été, comme Aimery, à qui est adressée la lettre I de notre recueil, moine de l'abbaye de Saint-Waast d'Arras, et le Lambert, dont il est question à la fin de la lettre que nous publions en ce moment, nous semble être le même que Lambert, évêque d'Arras en 1093, auquel Ives écrit la lettre XXXII. [12] Manegold, abbé de Saint-Georges d'Isen, près de Hess, se distingua par son zèle pour la défense de la papauté contre l’empereur Henri IV. Il mourut le 18 février 1100, frappé par le poignard d'un faux moine. [13] Vauquelin était un des évêques les plus dévoués à Guillaume le Roux. Dans la querelle qui s'éleva en 1097 entre saint Anselme et le roi d'Angleterre, il prit parti pour ce dernier. Il avait été nommé évêque de Winchester le a 3 mai 1070, et il mourut le 3 janvier 1098. [14] Saint Anselme, un des plus grands hommes du christianisme, avait succédé en 1089 dans l'archevêché de Cantorbéry au célèbre Lanfranc, sous lequel il avait pris l'habit monastique dans l'abbaye du Bec. Il mourut le 21 août 1109. Il avait suivi en même temps que saint Ives les leçons de Lanfranc, et s'était lié d'une étroite amitié avec notre évêque. [15] C'est sans doute ce même différend dont saint Ives fait mention en la lettre écrite par lui à Philippe Ier (n° VII). La lettre que nous publions en ce moment devrait donc être reportée plus haut. [16] Robert Blouet, d'abord chapelain de Guillaume le Conquérant, passa en Angleterre avec Guillaume le Roux et fut nommé évêque de Lincoln en 1093. Il mourut le 10 janvier 1123. [17] Hugues de Pierrefonds, évêque de Soissons de 1092 à 1103. [18] Conrad, fils de l'empereur Henri IV, nommé roi des Romains par son père, s'était révolté contre lui, et avec les secours de la comtesse Mathilde avait levé des troupes pour assurer l'indépendance de l'Italie. Il fut en effet proclamé roi d'Italie par les Guelfes et couronné en grande pompe par l'archevêque de Milan (1093). Le pape Urbain II avait encouragé la révolte de Conrad. [19] Guillaume de Montfort, élu abbé du Bec après le départ de saint Anselme, succéda sur le siège de Paris à Geoffroy de Boulogne, mort le 1er mai 1095. Il était le frère de Bertrade, la favorite du roi, fils, comme elle, de Simon Ier, seigneur de Montfort-l'Amaury, et d'Agnès d'Évreux. [20] Le concile d'Agde avait fixé à trente ans l'âge canonique des évêques. [21] Nous avons hésité quelque temps à admettre cette pièce dans notre Recueil. Ce n'est point en effet une lettre familière comme les autres que nous publions, c'est une véritable lettre pastorale ; mais elle renferme des détails si curieux sur la Paix de Dieu, cette sublime invention du XIe siècle, que nous avons cru qu'elle serait lue par tous avec intérêt. [22] On sait que chaque église rédigeait pour l'observance de la Paix de Dieu des statuts particuliers, dont elle faisait jurer le strict accomplissement par tous les fidèles. Ces statuts devenaient une véritable charte, dont tous les jurés étaient chargés d'assurer l'exécution rigoureuse. On reconnaît déjà là les germes de l'organisation communale, qui développa au XIIe siècle le mouvement commencé sous l'inspiration de l'Église. [23] Gautier II le Blanc, comte du Vexin, eut en effet pour fille Alix, qui se maria à Robert II, comte de Meulan, dont elle eut pour fils Galeran I, comte de Meulan. De celui-ci naquit Adeline, qui se maria à Roger de Beaumont, dont elle eut Robert III, comte de Meulan, qui fait l'objet de cette lettre. [24] Gautier II eut pour fils Raoul II, comte de Crépy. Celui-ci fut le père de Raoul III le Grand, comte de Crépy et de Valois. La fille de Raoul III, Adèle, épousa Herbert IV, comte de Vermandois, dont elle eut pour fille Adélaïde, femme de Hugues le Grand, fils du roi de France, Henri Ier, et comte de Crépy. C'est de l'union d'Adélaïde et de Hugues qu'était née Elisabeth, dont Robert III recherchait l'alliance. [25] Malgré les défenses de saint Ives, le mariage de Robert III et d'Elisabeth fut célébré vers 1095. [26] Renaud de Bellai, archevêque de Reims, Richer, archevêque de Sens, et Raoul d'Orléans, archevêque de Tours. [27] Le concile devait s'ouvrir à Troyes, comme l'annonce saint Ives, le 5 novembre 1094. Il ne put se tenir dans cette ville, parce que Renaud, atteint de la goutte, ne pouvait s'y rendre ; mais il eut lieu à Reims même, sous la présidence de ce prélat et de Richer de Sens. L'union de Philippe et de Bertrade y fut sanctionnée, et les archevêques dressèrent un acte d'accusation contre Ives de Chartres. [28] Gui de Rochefort, surnommé le Rouge, un des plus riches feudataires du roi de France, dont il contrebalança un instant la puissance. Il abandonna sa charge de sénéchal en 1096 à Payen de Garlande lorsqu'il partit pour la croisade. Cette lettre est donc antérieure à 1096. [29] Urbain II (Eudes, fils d'Eucher, seigneur de Lagery, près de Reims) était né à Châtillon-sur-Marne, bourgade de l'archevêché de Reims. Il fut d'abord moine de Cluny, puis évêque d'Ostie, et enfin pape le 12 mars 1088. Il mourut le 29 juillet 1099. [30] A la mort de Renaud de Bellai, archevêque de Reims, le 21 janvier 1096, le peuple et le clergé élit à sa place Manassès de Châtillon, prévôt de cette église, l'ami intime de saint Bruno. Le sacre du nouveau prélat eut lieu le 23 mars 1096. [31] Le titre de comte palatin, purement honorifique du reste, était héréditaire dans la maison de Blois. C'était une sorte de distinction qui marquait la prépondérance exercée sur les autres comtes français par le chef de la maison de Blois. « Comte palatin est le premier en France après le roi, » dit la Chronique de Maurigny en parlant de Thibaut IV. [32] La liberté du cloître qui entourait l'église cathédrale de Chartres fut, pendant près de trois siècles, la source toujours renaissante de conflits entre le Chapitre et le comte de Chartres. Les chanoines prétendaient avoir seuls droit de haute, moyenne et basse justice dans l'intérieur du cloître ; sans contester précisément ce privilège, le comte et ses officiers l'enfreignaient sans cesse. De là des querelles souvent renouvelées, des interdits et des excommunications. C'est dans cette lettre d'Ives au comte Etienne que nous trouvons la première trace de ces longs débats. Ils ne furent terminés qu'en 1308 par un traité conclu à Pontoise entre Jean de Chivry, ancien évêque de Carcassonne, représentant du Chapitre, et le comte Charles de Valois. Ce traité reconnaissait la justice exclusive du Chapitre dans le cloître et sur les vingt-six maisons canoniales situées hors de son enceinte, mais il détruisait le droit d'asile dont jouissait autrefois le cloître de l'église de Chartres, comme ceux des principales églises cathédrales de France. [33] En 875, Ansegise, archevêque de Sens, avait reçu du pape Jean VIII le titre de primat des Gaules et de Germanie et de vicaire apostolique du Saint-Siège. Ce dernier titre, bien qu'il fût personnel à Ansegise, n'en passa pas moins à ses successeurs, qui le portèrent, sans contestation aucune, pendant deux cents ans. Mais, à la fin du XIe siècle, Gébuin de Dijon, archevêque de Lyon, réclama contre les prétentions des métropolitains de Sens, et obtint du pape Grégoire VII deux bulles qui reconnaissaient au siège de Lyon le droit exclusif de primatie, qui lui appartenait dès les premiers siècles de l'église. De là naquirent de longues discussions, et malgré les nombreuses sentences qui confirmèrent le privilège de l'église de Lyon, les archevêques de Sens ont continué jusqu'à nos jours de prendre le titre de primat des Gaules et de Germanie. [34] Lorsqu'en 1102 Guillaume de Montfort partit pour Jérusalem, l'archidiacre Renaud fut un des dignitaires qu'il désigna pour gouverner en son absence l'évêché de Paris. [35] Urbain II arriva à Montpellier dans les derniers jours de juin 1096 et y resta jusque vers le milieu de juillet. |