LA VIE DE SAINT MARTIN - LIVRE V
PAULIN DE PERIGUEUX
Paulinus Petricordiensis
LIBER QUINTUS.Jam semel in laudem tanti prolata patroni Quidnam lingua siles? incondita murmura vocis Indocilesque sonos per longa silentia claudens. Si rubor est tam magna loqui prius ista pudori Lex statuenda fuit, nimis haec velamina tarde Attritae nimium tentas praetendere fronti. At si desidiae vili torpore teneris, Ut tetrae mortis tristis discedat imago, Excute marcentem, depressa morte resurgas. Si merito depressa jaces, confide patrono. Quid rea supplicii pavitas cum sis rea voti? Ergo age, et exstinctam Domino committe favillam, Ut rigor ingenii Christo aspirante tepescat, Et glaciem cordis Martini oratio solvat, Ac faciat brutam quamprimum erumpere vocem Ut quondam similis meruit miracula facti.
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LIVRE CINQUIÈME.Après avoir commencé à chanter la gloire de notre illustre patron, pourquoi te taire, ô ma langue ! pourquoi imposer aujourd'hui silence aux murmures discords de ma bouche, aux sons embarrassés de mes lèvres ? Si tu rougis, honteuse de chanter de si grandes choses, il fallait dès l'abord te faire une loi de cette modestie ; il est trop tard pour essayer de tendre un voile sur ton front qui a déjà bravé tant d'épreuves. Si, au contraire, c'est la paresse qui t'enchaîne de ses lâches torpeurs, chasse cette triste et hideuse image de la mort, secoue un assoupissement qui énerve et abat tes sens, réveille-toi, lève les yeux vers le Christ, et ta mort disparaîtra. Si enfin tu succombes par ta propre faiblesse, que la puissance du saint patron te rassure : quel châtiment, d'ailleurs, pourrais-tu craindre ? tu accomplis le vœu qui t'engage. Poursuis donc ! confie au Seigneur ta flamme éteinte, le souffle du Christ réchauffera la froideur de ton génie, la prière de Martin fondra les glaces de ton cœur et permettra bientôt à ta parole brute de se faire entendre : sa vertu sut jadis opérer ce miracle ; le fait suivant en est la preuve.
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Carnotena jacent patulis qua moenia campis Gallia, et immensis late distenditur agris, Hic jam bissenis quae muta silebat in annis Obstructa et nullis reseraverat ora loquelis Filia, moestorum tristissima cura parentum Angebat jugem miseris vivendo dolorem, Annorum et spatio crescebant vulnera lectus. Heu! quoties doluere aliis indulta potentis Dona Dei periisse sibi, cum saepe viderent Vix dum reptantes in verba erumpere parvos, Nominaque e tenebris praefracta exire labellis? Cum murmur dubium pietas praegressa notaret Incertam agnoscens affectu interprete vocem Excipiens quasi dicta sonos, rapiensque loquenda? Haec quae post primas alii sunt praestita cunas Aemula bis senis pietas defleverat annis, Cum lustris geminis moerens, annisque duobus, Optaret primam nubendi ad tempora vocem. Donec Martini genibus connexus et haerens Exanimis genitor lacrymoso flebilis ore Astrueret cunctam gemitu pandente querelam, Attracta ex imo suspiria pectore ducens. Singultu incidens crebro lacrymabile murmur, Ac madidum pectus perfundens imbre genarum. Etiam Martini mentem concusserat almam Assuetae pietatis amor, sed causa morarum De probitate fuit pretiosi cura pudoris, Et semper claris socianda modestia factis, Ne quod contuleris meritum jactantia perdat Et virtutis opus vitiet praesumptio cordis. Ergo, ait, indignum tanti ad miracula facti Me reor, et trepida pondus cervice pavesco. Quod ferre infirmus nequeo, ne sarcina major Deprimat, et nimio invalidus sub fasce laborem. Sed non difficilis quaevis curatio Christo est, Qui recte haec aliis committit signa ministris, Sanctorum ut meritum Domini miracula prodant. Ecce duo assistunt clari probitate fideque Et virtute viri, quos recte evexit ad istum Talis vita locum, nunquid non promptius illis Haec Domini medicina dabit quae grandia nostrum Excedunt meritum, sed non sunt ardua sanctis. Talia saepe iterans cordis documenta modesti Et meritum renuendo probans, hoc dignior exstat Quod comit reliquos pretiosa modestia mores, Invidiamque fugit qui se conferre pavescit. Haec cernens genitor sancto vehementius instat, Hos quoque conjungens precibus, quorum ille tegendam Dixerat esse fidem, ne vel differre liceret Quod germana pie Christo aspirante voluntas Suaserat atque paris concordis gratia juris. Submotis igitur populis ne forte receptum Oranti obstreperet confuso murmure vulgus, Aut ostentaret proprias jactantia vires, Hos tantum adjunxit socios quos cu men honoris Fecerat esse pares, et queis par cura precandi, Par studium, connexa fides, conjuncta voluntas. Additur et genitor trepidans quem munera Christi Acrius optantem faciebant vota fidelem. Tum sublimi animo erectus, sed corpore pronus, Sursum cor sanctum statuens, sed membra deorsum, Carne jacet, sed mente viget, conscendit in altum Mens conjuncta Deo, premitur jactantia carnis. Sic via dissimilis concordia adjungitur actu. Sic humilis properat quo praecessere fideles. Nec mora, et assueti persensit signa favoris Assidue sanctus congaudens hospite Christo Cordis saepe fores ad talia munera pandens. Tum benedicendo promi praecepit olivum Oblatum inficiens verborum nectare succum, Per quem mutato venit medicina liquori. Qui postquam infusis gratantis in ore puellae est Confestim innexae solvuntur vincula linguae, Et madidas implens subito spiramine fauces Murmur blandiloquae vox exspectata revixit. Ac primum trepidam proprie signare loquelam Incertosque sonos genitoris nomine sumpsit. Haec vox prima fuit, primoque loquentis ab ore Eripuit pater, atque auditam in viscera mersit. Exin prostratis supplex complectitur ulnis, Quique preces solus tulerat reticente puella, Jam Domino gratis non una voce rependit.
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Aux lieux où la cité des Carnutes est assise au sein des rases campagnes, où la Gaule étend au loin de vastes plaines, vivait une jeune fille, muette dès sa naissance. Elle touchait à sa douzième année, et nulle parole ne s'était encore échappée de ses lèvres fermées. Triste objet de la sollicitude de ses pauvres parents, plus elle avançait dans la vie, plus elle ajoutait aux longs chagrins de ces infortunés, et les progrès de son âge irritaient chaque jour les plaies de leur cœur. Que de fois, hélas ! ils se plaignirent avec douleur que le Dieu tout-puissant les eût privés d'un bien qu'il accordait à d'autres, quand partout, sous leurs yeux, des enfants qui rampaient encore à terre, essayaient déjà de lancer quelques paroles, quand de leurs tendres lèvres ces nourrissons balbutiaient à demi les noms le leurs parents, dont l'amour complaisant devinait d'avance ces accents douteux, dont l'affection savait comprendre et traduire ces cris mal articulés, ces sons qu'elle prenait pour des mots entiers on dont elle arrachait la suite ! Ces joies, que les autres enfants donnent à leurs mères au sortir du berceau, la jeune muette, à douze ans, les refusait aux larmes jalouses de sa famille, qui pourtant, après ces douze années d'attente douloureuse, espérait du moins encore que la langue de l'enfant se délierait aux jours de si puberté. Cependant le père, à demi mort, se prosterne et s'attache aux genoux de Martin ; d'une voix plaintive et lamentable, il lui raconte en gémissant le sujet de son affliction : il arrache du fond de son cœur de pénibles soupirs ; ses paroles sont mêlées de larmes, entrecoupées par les sanglots ; les pleurs qui tombent de son visage inondent sa poitrine. Martin était ébranlé, déjà son âme généreuse cédait au sentiment accoutumé d'une charité compatissante : toutefois il hésite encore, retenu par d’honnêtes scrupules, par le soin le cette pudeur précieuse, de cette modestie qui ne l'abandonne jamais dans ses nobles travaux : l'avantage qu'il doit à ses mérites ; il ne veut pas que la vanité l'affaiblisse, on que l'orgueil puisse gâter l'œuvre de la vertu. « Je ne me crois pas digne d'opérer un si grand miracle, disait-il, c'est un poids que je redoute pour mes frêles épaules ; mes forces ne pourraient le supporter ; je tremble que cette énorme charge ne m'écrase, et que ma vigueur ne succombe sous ce lourd fardeau. » Mais il n'est pas de guérison difficile au Christ ; il a remis, dans sa sagesse, à d'autres ministres ce signe de sa puissance, pour faire éclater par ses miracles le mérite des saints. Voici, à mes côtés, deux prélats, célèbres par leur probité, leur foi, leur vertu : ces qualités réunies les ont justement élevés au rang qu'ils occupent. Croyez-vous que le Seigneur ne leur donnera pas plus facilement qu'à moi le pouvoir de guérir ! ces grands prodiges sont au-dessus le ma portée, nuis ils ne sont pas impossibles aux saints. » Il ne cessait de répéter ces excuses qui attestaient l’humilité le son cœur ; mais il prouvait son mérite en le niant ainsi ; et il se montrait d'autant pi os digne qu'il exaltait avec une rare modestie la vertu tics autres, et qu'il évitait de se dire leur égal pour ne pas exciter leur envie. Le père, voyant cela, insiste avec plus de force : les deux prélats que Martin avait désignés à son choix, il les décide à joindre leur voix à ses prières, sachant bien que le saint ne pourrait résister plus longtemps ; la parole persuasive, à la pieuse volonté le ses frères, inspirée par le Christ, à l'autorité de ses pairs, d'accord pour le fléchir. Martin cède : Il éloigne la foule ; il craint la présence du vulgaire, dont les mirai lires confus troubleraient ses prières ; il ne veut pis d'ailleurs faire une vaine ostentation de son pouvoir, il ne garde près de lui que les deux évêques, qui avaient par leur dignité le même rang que lui, et qui avaient aussi même ferveur, même zèle, même foi, même volonté. Il admet avec eux le père de la jeune fille, qui, tout tremblant, attend les bienfaits du Christ avec l'espoir et la vive impatience du fidèle. L'âme de Martin prend alors un essor sublime, mais son corps se prosterne ; son cœur sacré s'élève, mais ses membres s'humilient ; sa chair s'abat, son esprit surgit dans sa force; l’intelligence monte au ciel pour s'unir à Dieu, la matière tombe et s'attache à la terre. C'est ainsi que par un seul acte il se fraye deux voies différentes qui aboutissent à un même point : l’humilité, par un chemin, marche au but où la foi, par un autre, arrive avant elle. Il ne tarda pas à ressentir les signes de la faveur céleste, la présence du Christ, son hôte accoutumé, auquel, pour ces œuvres généreuses, il ouvre si souvent avec joie les portes de son auteur. Il demande de l'huile, qu'on lui apporte ; il la bénit, il mêle aux sucs de cette substance le nectar de quelques paroles saintes qui donnent à cette liqueur transformée la puissance de guérir ; il en verse quelques gouttes dans la bouche de l'heureuse enfant ; aussitôt les liens qui enchaînaient sa langue se détachent ; sa gorge humectée se dilate et soudain se remplit d'un doux murmure ; la voix si désirée à la fin se réveille ; elle parle, et le premier mot que prononce clairement cette pauvre fille, tremblante et incertaine encore, c'est le nom de son père. Cette première parole à peine échappée de ses lèvres entr'ouvertes, le père la saisit avec empressement, et l'enferme en son cœur. Puis il se prosterne et tombe aux pieds de Martin, de ses bras tendus il enlace avec respect les genoux du saint ; et ce père, qui, tant que sa fille était restée muette, avait seul adressa ses prières à Dieu, retrouve une seconde voix aujourd'hui pour rendre grâce au Seigneur. |
Nec sane alterius minor admiratio facti est, Cujus me memorem medicati infusio succi, Et decantati benedictio fecit olivi. Et quotiens pietatis opem medicina poposcit, Disparibus causis par gratia sanctificavit: Namque, ut saepe solent praecauto corde fideles, Vas oleo oppletum servando ea ducta salutis Vel justis offerre viris, vel condere sanctis Relligione locis, quibus aut operatio praesens Martyrii emeritos prodit virtute patronos, Aut quibus in cunas verbum venisse beatas Vel recolit manifesta fides, vel lectio prodit, Aut ubi contiguae praecedens tempora lucis Horrescens dirae scelus exitiabile gentis Inseruit subitas nos interfusa tenebras, Aut ubi disrupti felicia concava saxi Attactu gavisa Dei, sine lege sepulcri Mox surrecturis patuerunt subdita membris. Aut hinc jam reducis gavisa ad sidera Christi Postrema excepit felix vestigia tellus: Quae tam sanctifici conservant munera tactus, Quidquid adornatum commentum dextra paravit, Dedignata suis longe discussit arenis, Disrumpens fragilem transfuso pulvere cratem, Extenti dissolvens septa metalli. His persaepe locis quibus hoc vicinia praestat Pacificum exponunt per vascula pura liquorem, Desuper infusi mutandum nectare roris, Quo fluit in sanctum coelestis gratia succum, Aut quos longarum spatia interfusa viarum Diversa amotos penitus regione retentant, Credentes Dominum non claudi fine locorum, Et miserantis opem cunctas excedere metas, Incunctante fide praesentia munera poscunt Praesentis Domini, qui pro virtute favoris Non longe ad sese venientum vota fatigat, Propter et admotus contingit ubique rogantes Nec tardos vitat: properis vicinior astat, Fitque viae finis solus conatus euntis. Haec qui corde gerunt quacunque in parte vocati Munus habent Domini, seu sacris credita mandent Vota viris, seu sacratis quaecunque recondant Sanctificanda locis. Christus quod corpore sancto Non adiit, virtute tegit, licet ille reversus Ad sublime poli jamdudum et corpore regnet.
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Il est un autre fait non moins admirable que rappellent à mon souvenir la guéri son que je viens de chanter et l'emploi de l'huile purifiée par la bénédiction. Versée par une main pieuse et secourable, cette liqueur sanctifiée guérissait toutes les infirmités : malgré la différence des maladies, sa puissance était toujours la même. Les fidèles, en effet, par une sage et prévoyante habitude, et dans l'espoir de rétablir un jour leur santé, remplissent souvent un vase d’huile, et le présentent à la bénédiction des hommes justes, ou renferment dans certains endroits consacrés par la religion. Ils choisissent, par exemple, les lieux témoins d'un martyre, où se manifeste à leurs yeux la miraculeuse protection des vétérans du Christ ; puis encore ces lieux où, dans son berceau vénérable, naquit le Verbe de Dieu, suivant les traditions avérées de la foi ou les leçons de l'Ecriture ; ces lieux où, coupant par le milieu la durée du jour, la nuit, dans son horreur pour l'exécrable forfait d'une race inhumaine, s'introduisit tout à coup au sein de la lumière qu'elle intercepta de ses ténèbres ; ces lieux où le roc se brisa, ou ses cavités, heureuses d'avoir touché des membres divins, s'ouvrirent malgré les lois du sépulcre, pour livrer passage au corps d'un Dieu ressuscité ; ces lieux, enfin, où, s'élevant dans les cieux ravis de son retour, le Christ marqua sur le sol la dernière empreinte de ses pas : sol bienheureux ! il conserva toujours cette trace précieuse et sainte ; en vain le génie et la main des hommes ont essayé de l'embellir ; il dédaigna toutes ces parures, les rejeta de sa surface : sa couche de poussière dispersa tous ces ornements fragiles et fit voler en éclats les marbres étendus pour la couvrir. Dans ces endroits divers, les peuples que le voisinage favorise exposent souvent ainsi les sucs de l'olivier pacifique enfermés dans un vase pur : le nectar de la rosée qui tombe d'en haut transforme cette huile, que la grâce céleste pénètre et sanctifie. Mais ceux que l'intervalle d'une longue route sépare de ces lieux et retient éloignés dans d'autres pays, convaincus que les limites des contrées n'arrêtent point le Seigneur, que les secours de sa miséricorde franchissent toutes les barrières, ceux-là réclament de loin avec une ferme confiance la présence du Seigneur, et le Seigneur, qui, par un don de sa faveur miraculeuse, est présent partout à ceux qui viennent à lui, ne résiste pas longtemps à leurs prières : il s'approche, il touche tous ceux qui l'implorent ; il ne néglige point ceux qui tardent, quoiqu'il assiste plus tôt ceux qui s'empressent : un seul effort pour aller à lui dispense du voyage. Ceux qui portent cette croyance en leur cœur reçoivent les bienfaits de Dieu, en quelque lieu qu'ils l'invoquent, soit qu'ils remettent et confient leur huile à de pieux personnages, soit qu'ils la déposent eux-mêmes, pour la sanctifier, dans une partie des lieux saints. Ce que le corps sacré du Christ n'a point touché, sa puissance le protège, bien que depuis longtemps il soit retourné avec son corps dans les sublimes régions du ciel où il est roi. |
Haec secum stimulante fide, persaepe revolvens Excedens fragilem sexum virtute fidei, Et non feminei sublimis femina cordis, Credidit, emissum tum sancto offerret olivum Quod precibus tanti pietas vicina ministri Non aliter votis Martino orante faveret, Quam si pernici propere translata volatu Intra ipsum Domini ferret sua vota sepulcrum, Vexillum complexa crucis, lignumque salutis. Tali plena fide canenti sedula vitro Sollicitis manibus viridans infudit olivum. Permutat niveum descendens unda colorem, Et tacito manans in concava subdita lapsu Crescit per nitidi paulatim augmenta liquoris, Ac sonitu reticente silens pinguedo tumescit. Attamen ut vacuae fauces ad claustra paterent, Nec nimis oppleto nutaret dextra fluento, Qua de subjecto consurgunt colla rotundo, Oris adhuc vacui patulus residebat hiatus, Tum puer accepto properans perrexit olivo, Ad sanctum referens et vota et verba precantis. Nec tardat pietatis opus, cita gratia justum Commendat studium, ne vel cunctando fidelem Differat, aut dubium faciat mora parva favorem. Confestimque Deus per signa indulta probavit Quantum conferret praesens benedictio donum, Ne fortasse fides sensu trepidante labaret. Praesentes stupuere viri, quod Christus adesse Jusserat electos tanta ad miracula testes. Sic crevisse illum Martino orante liquorem, Ut sursum elati consurgens unda tumoris Oppleret vacuam suspenso gurgite partem, Sic jugi ad summum properans ne linqueret imum; Ferveret exundans, considens plena maneret, Cresceret infusis, sed non vacuanda receptis Ad dominam donec felicia dona reportans Pergeret exsultans famulus, meritumque beati Offerret tantis congaudens dextera signis. Talis praeclari benedictio sancta prophetae Cum vidua exiguum finisset prodiga sumptum Vascula mansuris supplevit inania donis. Ut quae munificae dederat documenta fidei. Ditior expensis fieret secura petitis.
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L'esprit nourri de ces pensées et soutenu par l'aiguillon de la foi, une femme, que la force de sa conviction élevait au-dessus des faiblesses de son sexe, femme sublime et qui n'était point femme par le cœur, voulut envoyer au saint de l'huile pour qu'il la bénît ; persuadée qu'en s'adressant ainsi, dans son voisinage, à la piété du grand prélat, elle obtiendrait les faveurs célestes aussi facilement, grâce aux prières le Martin, que si, d'un vol rapide, elle se transportait à la hâte jusque dans le tombeau du Seigneur, pour y placer son vase, après avoir embrassé l'étendard de la croix et le bois du salut. Rem plie de cette croyance, elle verse avec soin d'une main attentive nue huile verdâtre dans une fiole d'un blanc cristal : l'huile qui descend change la blanche couleur du verre : elle coule et tombe sans bruit dans les cavités inférieures ; peu à peu la limpide liqueur s'accroît et monte, et ses flots onctueux grossissent en silence. Cependant l'ouverture de la fiole doit rester libre pour recevoir le bouchon ; si d'ailleurs elle était trop pleine, la main pourrait trembler de crainte de répandre. Ainsi le long col qui surmonte les flancs larges et arrondis du vase est laissé vide, et l'embouchure demeure ouverte, puis cette huile est confiée à un esclave qui part à la hâte et court transmettre au saint les désirs et les prières de sa maîtresse, Martin ne diffère pas l'acte pieux qu'on lui demande : il veut, par son obligeance empressée, reconnaître un zèle si méritoire ; la moindre hésitation ferait attendre un cœur fidèle, le plus léger retard ferait douter de sa bienveillance. Dieu lui-même montra sur l'heure par des signes manifestes quelle soudaine puissance apportait avec elle la bénédiction du saint, afin de saisir les sens par ces preuves visibles, et de rassurer la foi qu'ils feraient chanceler. Choisis par la volonté du Christ pour assister à l'accomplissement de ce grand prodige, plusieurs témoins étaient là : ils virent avec surprise, pendant que Martin priait, l'huile croître, monter, se soulever, s'étendre et remplir sans retomber la partie vide du vase, se porter avec force jusqu'à l'embouchure, sans pourtant quitter le fond, déborder et se répandre sans cesser de former une masse continue et reposée à l'intérieur : le volume augmentait, mais la quantité versée dans le verre restait toujours la même. Le serviteur rapporte à sa maîtresse ce précieux trésor ; il vole en bondissant de joie, ravi de lui montrer sur ses mains inondées les signes éclatants des mérites du bienheureux. Ainsi jadis, quand la veuve eut généreusement consommé ses petites provisions, la sainte bénédiction d'un prophète célèbre remplit ses vases vides de dons inépuisables afin que cette femme, qui avait prouvé sa foi par tant de libéralité, s'enrichit par sa dépense même et fût rassurée par son profit. |
Nec sane ut reliquas paveam contingere laudes Virtutesque viri, saltim haec narrare valebo, In quibus ejusdem similis benedictio succi Multiplicis digne poscit praeconia vocis. Una fides medicina frequens non dissonat actu, Sed distat numero par signis altera donis. Testis adest docto mirabilis ore Severus Et tota Christum cordis virtute secutus Insignis mundi titulis, sed clarior illa Qua mundum tempsit sanctae virtute fidei Nobilitate potens, sed multo extentius idem Nobilior Christi cultu quam sanguinis ortu, Hic sacrum canonem, distentae et scripta coarctans Historiae, geminis conclusit cuncta libellis Quaecunque a primis percurrerat edita saeclis. Idem Martini titulos, vel gesta retexens Scrutator cautus veri fidusque relator Protulit in medium tam clarae insignia vitae. Sic justam retinens aequato examine libram Ne dubia astrueret dicens, nec certa taceret. Hic sancto persaepe pie sociatus adhaesit, Ut solet in speculo cordis perspectio mentis Cognatae similis morum sociare figuras. Quo mage credendum est testem magis esse probatum Qui coram comperta docet cum visa loquatur. Ergo inter reliqua affectus documenta poposcit, Sumeret ut sancti munus speciale liquoris Cui postquam fido tribuit benedictus amico Congaudens virtutis opem, monumenta favoris, Invexit Domini cum relligione fidei Credens indultam sese deferre salutem, Et statuit celsae sublimi in parte fenestrae Qua praetenta diem claudunt specularia purum Obvia ventorum flabris, et pervia luci. Hic niveae ampullam texit velamina pallae Ut distenta vagos prohiberent lintea visus Occursura oculis, sed non arcentia mentes. Tum puer ignarus properantis turbine dextrae Dum rapit incauto festinus tegmina nisu, Vas vitreum illidens in marmora subdita jecit. Exsanguis stupuit domino pallente minister, Exsonitus rapido redit ad fastigia pulsu, Tinnituque vago simul omnia murmure complens, Inlisit semet, sumit, surrexit ab imis, Non sensit tantos ampulla impacta fragores Illaesa, et vitreae manserunt tegmina crustae. Sic liquor interior fragili conclusus amictu Exteriora cavae duravit tympana cratis, Marmora ut in plumas penitus mutata putares Excepisse illam per mollia fulcra ruinam. Sic, Martine, tuum sic jugis gratia donum Sanctificata pie recipit, benedicta tuetur.
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Je tremble de toucher aux autres gloires, aux autres miracles du saint prélat : je voudrais pouvoir au moins raconter un trait concernant encore un vase d'huile par lui bénite, et qui mériterait d'être répété par toutes les bouches. La seule foi de Martin opère des guérisons nombreuses : ses actes sont les mêmes, mais ils se renouvellent de diverses manières ; les signes se ressemblent, mais l'espèce diffère. Le fait suivant eut pour témoin Sévère, l'admirable et savant écrivain, qui s'attacha au Christ de toutes les forces de son âme : le monde l'avait paré de ses dignités, mais sa foi pieuse l'illustra plus encore en lui donnant le courage de mépriser le monde ; son origine était noble et puissante, mais il se montra bien plus vraiment noble par son amour du Christ que par l'éclat de sa naissance. Il réduisit en abrégé les textes du sacré canon et les développements de l'histoire sainte, et il renferma en deux livres tous les événements écoulés et connus depuis les premiers âges. Il voulut aussi retracer les actions de Martin et ses titres de gloire, et, après avoir recherché avec soin la vérité, il consigna dans un récit fidèle et publia les traits remarquables de cette illustre vie. Les appréciant tous avec exactitude, il sut garder toujours une juste mesure, afin de ne point affirmer des faits douteux ou taire des faits avérés. Une pieuse affection le retint souvent dans la compagnie du saint ; dans le miroir de l'âme, deux cœurs formés de même savent se reconnaître, se confondre et s'unir. Ici son témoignage est d'autant plus croyable et d'autant plus sûr qu'il raconte un prodige accompli en sa présence, et qu'il dit ce qu'il a vu. Entre autres preuves de leur mutuel attachement, il avait désiré recevoir de Martin, par une grâce toute spéciale, un vase d'huile sanctifiée. Le bienheureux ne refusa point ce présenta son fidèle ami. Sévère, tout joyeux, s'empresse d'emporter à son logis ce don d'une vertu secourable, ce monument de la faveur du saint, bien convaincu, dans la sincérité de sa foi, qu'il tenait dans sa main le gage assuré de son saint. Il le dépose sur le bord élevé d'une de ces hautes fenêtres où sont tendus des vitrages transparents qui enferment les purs rayons du jour, qui repoussent le souffle des vents, et livrent passage à la lumière. Il couvre ensuite ce vase d'un blanc tissu de lin, afin de le protéger contre les regards indiscrets, à l'abri de ce voile impénétrable aux yeux, mais que l'esprit perce sans peine. Un jour, un esclave, ignorant cette sage précaution, tire vivement ce linge, et, dans ce mouvement rapide, son bras étourdi entraîne en même temps le vase de verre qu'il renverse, et qui heurte en tombant le pavé de marbre. Le maître pâlit, le serviteur à demi mort reste muet de stupeur. Le son du verre monte aussitôt chassé jusqu'à la voûte ; ce tintement aigu retentit à la fois dans la salle entière, depuis le sol d'où il s'élève jusqu'aux lambris où il va se briser et se perdre. Mais la fiole, malgré le choc, ne souffrit point de cette chute effrayante ; son écorce de cristal est demeurée intacte ; le liquide, enfermé à l'intérieur sous ce fragile rempart, avait durci l'enveloppe de ce ballon de verre : on dirait que le pavé de marbre s'est changé en duvet, pour amortir le coup sous sa molle épaisseur. Ainsi ton mérite, ô Martin, ainsi la grâce, ta compagne fidèle, préserve et protège avec amour les dons sanctifiés par ta bénédiction ! |
Quidam cum diri violentia saeva molossi Irrueret quatiens furiosos gutture rictus, Rugatas retrahens oris de tegmine nares, Nudatos crebro collidens murmure dentes: Tam subito terrore pavens, non fuste, nec ictu, Sed solo os rabidum Martini nomine clausit, Quod simul insonuit compressi haesere latratus, Erectae cecidere jubae, torvumque minaces Exstantesque oculi suffusas sanguine flammas Depositis clausere minis, tum blandius aures Mulcere, et terram contorta verrere cauda, Et caput inflexo pronum demittere collo.
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Un chien féroce, emporté par la fureur, allait se précipiter sur un homme : sa mâchoire béante frémissait de rage ; ses naseaux ridés, retirés en arrière, découvraient son museau, et ses dents nues s'entrechoquaient avec d'horribles grognements. Frappé d'une terreur soudaine, cet homme n'eut recours ni au bâton ni aux coups, mais au seul nom de Martin, pour fermer cette gueule enragée. À peine il a prononcé ce nom, que les aboiements s'arrêtent étouffés, les poils hérissés retombent, les regards louches et menaçants, les yeux gonflés de sang et de flamme se ferment adoucis : le chien dépose sa colère, ses cris caressants ne blessent plus l'oreille, sa queue s'agite en balayant la terre, son cou s'abaisse et sa tête humblement se courbe et s'incline. |
Quae merito, Martine, tuis non mitia cedant Cum tantam rabiem vel solo nomine vincas? Quid nunc miretur saevorum corda virorum Cedere, et humanos tibimet mitescere motus? Ut quondam stupuere homines quod dira potestas Et vis crudelis tibi cesserit Avitiani, Cui feritas connexa minis et sola voluptas Ungula, carnifices, tortores, flagra, catenae, Mors hominum, vox plangentum, pallorque reorum Carcer edax, fassi interitus, tormenta negantis Tartarei nimium saevissima bestia cordis Spirans innumeras furioso pectore caedes, Immiti feritate fremens intraverat urbem Quam sancto antistes Martinus honore regebat. Moestorum pallens infelix ordo reorum Haerebat, nexis per squallida colla catenis Incutiens fratris stridentia vincula membris, Et motans tardos incurvo pectore gressus Talia Martino Phalaris spectacula praebens Proxima diversas parat ad subsellia caedes. Festinant rapidi furialis turba ministri, Instrumenta feris certatim exquirere poenis. Illi ad tartareas depromunt vascula flammas. In quibus incluso diri fervore vaporis Pix resoluta trucis crepitacula posceret ignis, Qui procul exundans funestae gurgite flammae Sulphureo exceptum torreret corpus in antro. Ast alii sursum porrecti robora ligni Triste ministerium furioso corde parabant, Ut caro distentis propere male pendula membris Tortori laceros crucianda exponeret artus. Tartaream misero perfundens sanguine dextram, Et spargens tristem per vulnera crebra cruorem. Utque eadem geminum satiaret poena furorem, Incussor laceri quatiebat corporis artus, Disjiciens ruptis membrorum vincula nodis. Ast alii deferre faces, atque unguine multo Inficere in longum contextae vincla papyri, Non ut discussas lux vinceret illa tenebras Obscuram ignifluo distinguens lumine noctem, Verum ut funereos miseris succenderet ignes Infigens laceris admota incendia membris. Haeccine Martino debuisset in urbe videri, Et placidam tanto configi vulnere mentem, Ut sanctas saltim fama haec contingeret aures, Aut pia concuteret vel solus viscera rumor. Ergo ut funereo inens est perculsa paratu, Nuntius et diri saeva haec commenta tyranni Praevia vicini dispersit signa furoris: Percurrit totas miseratio justa medullas, Ac sparsit celerem pietatis flamma calorem. Et quamvis mortes miserorum flere reorum Cogeret humano recolens clementia casus, Non minor illa aderat praesentis causa doloris Idem quod fautor sceleris qui criminis ultor Se faceret prius ipse reum plectendo reatum. Crassior obtectum caligo obvolverat orbem, Grata quies placidam per cuncta elementa soporem Sparserat, et madido marcebant omnia somno, Pressaque mutarum reticebant murmura vocum. Horrebant mediae nimis alta silentia noctis Obscura et proprium caligo fusa colorem Texerat, abripiens cunctis sua signa figuris. At non Martino capiendae cura quietis, Sed sancta assistunt humanae vota salutis Affectu stimulante animum, petit ergo cruenti Judicis instanti feralia limina gressu, Solus et intrepidus per opaca silentia vastae Noctis, et horrentum secreta obscura viarum. Credo quidem umbrarum cunctas cessisse catervas Quas malus instigat nocturna ad crimina daemon, Atque alias diros blando siluisse molossos Terrificique oris strictum siluisse latratum. Ergo ubi perventum est obstructa ad limina diri Judicis, et saevi claustrum ferale furoris, Ante domum media prostratus in aggere septis Arcetur foribus, sed fletu ad sidera pulsat. Saeva gravem tumido perflabat pectore somnum Bestia, distentis et mortis imagine membris Torpentes penitus stratis rejecerat artus, Cum subito angelicus concussit viscera terror, Vox etiam attonitas stupefacti irrupit ad aures. Tene gravi infelix oppressit inertia somno Bestia, corrupti ructantem pocula vini, Ac pigrum crudi distendit sarcina ventris, Et famulus domini nudae super arida terrae Dorsa pium multo perfundens pulvere corpus, Pro foribus jacet ecce tuis, ut claustra quietis Objicis ad turpis nocturna silentia somni? Diriguit visu subito, propereque vocatos Praecipit ad claustrum rapide properare ministros, Ut seriem veri per nuntia verba referrent. Verum ut saepe solet membris torpore ligatis Grata quies pressum vincire et vincere sensum, Progressi paulum vix prima ad limina servi Marcentes visu nimium, gressuque labentes Murmura perplexis reddunt fallacia verbis, Nullum pro foribus solerti indage repertum. Rursum vicini longe amota voluptas, Marcida confestim conclusit lumina somno. Tum vero tremefacta novus praecordia terror Concutit angelicaeque minax sententia vocis Surgere praecipitem praeceptum iterando coegit, Nec placuit rursum mandati afferre periclum. Ipse ad claustra cito contendit limina gressu, Obstructaeque fores domino reserante patescunt. Obfulsit claro venerabilis ore sacerdos Ostentans sancto virtutum stemmata vultu, Florebat multis elucens gratia signis Relligione, fide, affectu, pietate, pudore, Mens laeta in gravibus, constans et seria laetis, Nec feritate rigens, nec risu austera resolvens; Prorsus sic media semper probitate refulgens Ut non ira trucem faceret, non gratia segnem. Talis pallenti species veneranda tyranno Occurrit tetrae disrumpens nubila noctis. Et jam prodiderat sine verbis conscia tanti Mens sceleris, quae causa pii foret illa laboris. Nec precibus pandenda fuit, prior ipse paventem Protulit et tremulo confusus pectore vocem, Cur mea, sancte, metu dudum torpore fatigans, Excusso penitus turbas praecordia somno? Tu foribus procul arceris, penetralia sancto Irrumpis merito, subsistis corpore, jure Ingrederis, terrore quatis qui carne moraris. Nec sane abnuerim meritis haec debita nostris Cum duro innumeras spirarem pectore caedes Saevus in urbe tua, precor ergo, ignosce fatenti, Utere jure tuo, parci cupis, esto remissus, Suppliciis emitte reos, me solve reatu. Nec mora: laxatae raptim cecidere catenae Quae modo pallentum stringebant colla reorum, Servantes dirae morientia corpora morti. Exsultat subito miseris spes reddita voto; Laetitia mixtoque metu tam magna repente Credere diffidunt trepidi, sed credere malunt. Certant gratantes genibus se advolvere sanctis, Cingere supplicibus vestigia blandius ulnis. Ille Deo grates suadet magis esse ferendas, Auctoremque hujus Christum monet esse salutis, Qui sic criminibus parcat, si vera dolorem Commissi sceleris saltim conversio prodat, Nam poenas superesse reis durante reatu. Talibus alloquiis simul et pietate laborans Supplicio absolvit vinctos, culpisque solutos.
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Quels cœurs dépouillés de rudesse ne céderaient, Martin, à tes mérites, quand ton seul nom peut dompter ces instincts sauvages ? Qui s'étonnerait aujourd'hui que ta puissance ait su fléchir des esprits farouches et calmer les emportements des passions humaines, comme on s'étonnait autrefois de te voir triompher de l'autorité cruelle et des violences forcenées d'Avitianus ? Toujours impitoyable et menaçant toujours, il ne trouvait son bonheur qu'au milieu des ongles de fer, des bourreaux, des tortures, des fouets, des chaînes, des tueries, des cris de la souffrance, de la terreur des accusés, des prisons dévorantes, des supplices après les aveux, des tourments après le refus. Ce monstre inhumain, dont l'âme infernale ne respirait en sa furie que le sang et le meurtre, était entré, frémissant de haine et de rage, dans la ville que Martin dirigeait alors sous les saintes lois de son pouvoir épiscopal. A sa suite marchait, triste et pâle d'effroi, une longue file de pauvres accusés, attachés par des chaînes qui marquaient leurs cous de livides empreintes : le bruit aigu de leurs fers résonnait sur leurs membres brisés ; la poitrine courbée, ils allaient à pas lents, n'avançant qu'avec peine. Tel est le spectacle que ce Phalaris vient offrir à Martin : il prépare pour le lendemain devant son tribunal le tableau varié de plusieurs genres d'agonie. Déjà les ministres de ses fureurs recherchent avec un zèle empresse les divers instruments de ces cruels supplices. Les uns apportent les vases où s'allumeront des flammes infernales, où la poix enfermée, et fondue aux ardeurs d'un feu dévorant, doit fournir un aliment barbare à ce foyer pétillant, qui, déroulant au loin les torrents d'une flamme homicide, rôtira les corps exposés dans cet abîme enduit de soufre. Les autres (triste ministère, qui plaît à leur furie !) disposent et dressent des poteaux de bois ou le bourreau suspendra ces malheureux et tiendra leurs membres écartés pour déchirer plus à l'aise leur chair en lambeaux, puis rougira son bras maudit du sang qu'il arrachera des veines de ces martyrs par mille blessures douloureuses. Le même supplice devait assouvir une double fureur : un second bourreau frappait à coups redoublés le corps en lambeaux, pour en briser les jointures et disloquer les membres. D'autres enfin apportent des torches, et trempent de flots de graisse le papyrus en longs rouleaux tressé : flambeaux sinistres, qui s'allumeront, non pour vaincre et dissiper les ténèbres, ou jeter des flots de lumière au sein de la nuit obscure, mais pour brûler de leurs feux meurtriers les corps des malheureux, pour attacher l'incendie à des membres hachés. Fallait-il donc étaler de telles images dans la ville de Martin, et porter de tels coups à son cœur débonnaire ? N'était-ce pas déjà trop que son oreille sainte en apprit la nouvelle, et que ce bruit seul vint remuer ses entrailles pieuses ? A peine il eut l'esprit frappé de ces préparatifs funèbres, à peine on lui eut annoncé les abominables projets du tyran farouche, et dépeint ces signes avant-coureurs de ses cruautés menaçantes, qu'un juste sentiment de pitié se répandit dans tout son être, et la flamme de la charité l'embrasa rapidement de ses feux. Sa clémence, en songeant aux faiblesses humaines, le formait de pleurer ces malheureux accusés qui allaient mourir, mais sa douleur présente avait un autre motif plus puissant encore, c'est que cet homme, vengeur du crime, était en même temps passionné pour le crime, et qu'il se rendait déjà bien coupable lui-même en frappant des coupables. La nuit, de son voile épais, enveloppait le monde : tous les éléments étaient plongés dans les douceurs du calme et du repos ; les vapeurs du sommeil s'étaient appesanties sur la nature entière ; tout bruit avait cessé, toute voix était muette ; un profond silence ajoutait encore aux horreurs de la nuit parvenue au milieu de son cours ; l'obscurité avait étendu sur tous les corps ses teintes sombres, enlevant aux objets leur forme et leurs couleurs. Et pourtant, Martin n'a point souci de prendre du repos : il veille, tourmenté du pieux désir de sauver des hommes ; l'amour aiguillonne son cœur. Il sort, et, d'un pas empressé, se dirige vers la sanglante demeure de ce juge inhumain, seul et sans crainte, dans l'ombre et le silence de cette nuit profonde, dans les horreurs de l'obscurité, par les détours des chemins solitaires. Je crois sans peine que sa présence avait effrayé ces esprits des ténèbres suscités par la malice du démon pour accomplir tic noirs forfaits dans l'ombre, et que d'un autre côté les chiens cruels, pour respecter sa marche, retenaient dans leurs gueules fermées leurs aboiements épouvantables. Bientôt il arrive au seuil du logis sinistre où s'était enfermé l'impitoyable juge où, derrière, les verrous, s'abritait sa fureur redoutable : il s'arrête devant la maison, et se couche au milieu du chemin ; les portes éloges l'empêchent d'entrer, mais il va heurter au ciel avec ses larmes. Le monstre sauvage dormait alors ; sa poitrine gonflée exhalait un souffle pénible ; engourdis par le sommeil, image de la mort, ses membres gisaient abattus sur sa couche. Mais soudain la terreur ébranle ses entrailles ; la voix d'un ange retentit à son oreille et le frappe de stupeur et d'effroi : « Tu dors, bête féroce, lourdement enseveli sous le poids du sommeil ! tu rotes les vapeurs d'un vin fétide, abattu sans force sous l'indigeste fardeau de ton ventre assouvi ! Tu dors, et le serviteur de Dieu, étendu sur l'aride surface de la terre nue, et souillant de poussière son corps vénérable, est courbé là devant ta porte ! Et tu fermes les verrous pour jouir en paix des tranquilles douceurs de ce honteux sommeil ! » A cette vue, glacé d'épouvante, Avitianus appelle à la hâte ses esclaves, et leur commande d'aller aussitôt ouvrir la porte, afin de s'assurer de la vérité et de lui en rendre compte. Mais les esclaves, cédant à l'influence accoutumée du sommeil, dont les deux liens, engourdissant les membres, enchaînent et subjuguent les sens assoupis, s'avancent à peine jusqu'à la première porte, l'œil encore appesanti, la démarche incertaine, et rapportent à leur mettre une réponse équivoque et trompeuse : malgré les recherches les plus actives, ils n'ont trouvé personne devant la porte. Le forcené retombe bientôt sous le charme du repos qui ne l'avait pas quitté, et son œil languissant se referme et s'endort. Mais alors une terreur nouvelle vient ébranler son âme épouvantée ; la voix impérieuse de l’ange répète ses injonctions menaçantes, et le force de se lever précipitamment. Il ne veut pas risquer une seconde fois de voir ses ordres mal exécutés : il se dirige lui-même, et d'un pas rapide, vers le seuil de sa demeure, et les portes fermées s'ouvrent sous la main de leur maître. A ses regards brillent soudain la face vénérable de l'illustre prélat, cette sainte figure où s'est gravée l'image des vertus. Sur ses traits éclatent les signes nombreux de la grâce en sa fleur, la religion, la foi, l'amour, la charité, la modestie, et cet esprit enjoué dans sa gravité, mais toujours réservé, toujours maître de lui dans son allégresse, qui, sans affecter une rigidité farouche, ne s'abandonne jamais à une joie sans dignité, qui sait enfin, par une sage mesure, se conserver toujours pur entre deux excès, éviter la cruauté dans la colère, et l'oubli du devoir au sein du bonheur. Le tyran pâlit à l'aspect imposant de ce visage qui rayonne à travers les ombres de la nuit. La conscience de son crime lui fit comprendre seule, sans autre explication, le pieux motif d'une si pénible démarche. Martin ne lui adressa pas un mot, une prière ; Avitianus le premier rompit lui-même le silence ; le cœur troublé de confusion, et d'une voix tremblante : « Pourquoi, lui dit-il, ô saint homme ! me livrer ainsi aux tourments de l'épouvante et torturer mon âme en secouant mon sommeil ? Ma porte fermée te repousse, mais ton sacré mérite franchit les obstacles ; ton corps reste au dehors, mais ta justice entre sans peine ; tu fais trembler mon logis de terreur, et tes membres sont couchés là ! Je ne le nierai pas ; j'ai mérité mon sort, puisque mon âme inflexible ne respirait que meurtre et massacre dans ta ville. Mais, je t'en conjure, pardonne-moi : tu le vois, j'avoue ma faute ; observe les lois de ta justice : tu veux que je fasse grâce, sois indulgent toi-même ; préserve les accusés du supplice, mais délivre-moi du péché. » Il dit, et, sans retard, du cou des pâles prisonniers se détachent et tombent les étreintes qui les tenaient enchaînés, et qui conservaient pour une horrible mort ces mourantes victimes. L'espoir revient aux malheureux, leurs vœux sont exaucés ; ils bondissent de joie, mais un sentiment de crainte se mêle encore à leur allégresse : ils n'osent croire à un bonheur si grand et si soudain ; ils en doutent encore, tout en voulant y croire. Ils s'empressent de rendre grâce au saint évêque, se roulent à ses genoux, enlacent humblement ses pieds de leurs mains caressantes. Martin les engage à reporter plutôt à Dieu ces actions de grâces ; car le seul auteur de leur salut, c'est le Christ, qui toujours pardonne aux coupables, s'ils témoignent, par un retour sincère, d’un vrai repentir de leurs crimes ; mais qui réserve un châtiment au pécheur, s'il s'obstine dans le péché. C'est ainsi que, par ses conseils tout ensemble et par ses actes charitables, Martin arrache des prisonniers au supplice, et, en détachant leurs liens, les délie aussi de leurs fautes. |
Jam vero hoc donum quae digne lingua loquetur, Quod pavet attonito saltim contingere sensu Mens ad tam clari titulos angusta patroni? Sic meritum sancti cunctas trepidasse catervas Daemonis, et tanti sic prodita signa pavoris, Ut quoties propriae progressus limina cellae Eminus amotam gressus movisset ad urbem, Commissam invisens sancto moderamine plebem, Vel cupiens offerre sacri mysteria ritus, Gratia sic rapido propere progressa volatu Torqueret trepidas captivo in corpore larvas; Ut vixdum egressum sanctae penetralia sedis Per tormenta prius longe praegressa viderent Adfore confestim, stridenti et murmure vocis Judicis adventum clamaret poena reorum. Ut vero in foribus vestigia prima locasset Cernere erat raptis propere ad sublimia membris Constricta aeriis attolli corpora vinclis. Et per inane gravis nutantia pondera carnis Linquere contiguas pernici turbine terras Supplicio suspensa suo, sed libera nexu, Vincta precum meritis, propriis pendentia poenis, Clamare admissas tacito sub judice culpas; Nec percontantis confessio reddita verbis Eruta per trepidam prodebat crimina vocem. Namque solo acclinis transibat sidere voto, Spe Dominum tangens sanctus, sed corpore pronus, Corde humilis, celsus merito, sine murmure clamans, Occultus visu judex, virtute probatus, Ad cujus meritum miracula tanta paterent Inter inane reus pendens, et in aere tortor Porrectis sursum pedibus, constricta rigentis Vellera vestitus, tectis haerentia membris; Ne flexu curvata suo vel lapsa retrorsum Nudarent turpes appensi corporis artus.
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Mais quelle langue chantera dignement cet autre mérite, qui étonne mon intelligence et que je n'ose aborder sans crainte (car c'est trop de grandeur et de gloire pour les bornes étroites de mon esprit), ce don merveilleux octroyé au saint de faire trembler toutes les légions du démon, et de les contraindre à révéler aux yeux les signes de leur frayeur ! Chaque fois qu'il quittait le seuil de sa cellule et dirigeait ses pas loin de là, vers la ville, pour visiter le peuple confié à son autorité sainte, ou pour célébrer les mystères du culte divin, la grâce le précédait d'un vol agile, et allait tourmenter les esprits malfaisants qui s'agitaient dans le corps des possédés. Ainsi, Martin était à peine sorti du sein de sa pieuse retraite, que déjà, et longtemps d'avance, ils sentaient à leurs souffrances, qu'il allait venir, et, d'une voix stridente, ces maudits annonçaient l’approche du juge et leur châtiment. Mais aussitôt qu'il avait mis le pied dans l'enceinte de l’église, on voyait les membres de ces possédés se dresser rapidement vers la voûte, leurs corps s'élever dans l'air, comme attirés par des liens invisibles, et ces lourdes masses de chair se balancer dans le vide et tourbillonner avec vitesse sans toucher le sol. Soulevés ainsi par leurs tortures, mais libres de tous liens, enchaînés par la puissance de la prière et suspendus pour leur suppliée, ces malheureux confessaient hautement devant leur juge muet les faites qu'ils avaient commises. Martin ne leur adressait pas un mot, pas une question : leur voix tremblante exhalait d'elle-même cet aveu de leurs crimes. Couché sur la terre, le saint, de sa prière, allait percer la nue ; son espoir montait jusqu'au Seigneur, son corps demeurait prosterné ; humble de cœur, mais grand par ses mérites, parlant liant sans se faire entendre, et caché à tous les regards, ce juge, par le pouvoir de sa vertu tant de fois éprouvée, opérait de tels miracles, qu'on voyait alors retenus en suspens, dans l'espace et le vide, la victime et le bourreau, les pieds tendus en l'air, et les vêtements de l'énergumène se roidir d'eux-mêmes et s'attacher étroitement à ses membres malgré leur direction verticale, sans jamais se replier ou retomber vers la terre pour découvrir les parties honteuses du corps suspendu. |
Sic meritum, Martine, tuum, sic sancta potestas Et prodenda Dei per servos gloria Christi Excedens terras titulis et in aere regnat. Siccatas etiam certum est te supplice nubes, Grandinis et dirae suspensam haesisse ruinam Constricto penitus densati gurgite nimbi, Qui gravis et rigidi connexus frigore venti In lapides duratus aquis, sic turbine crebro In terras solidi jaciebat saxa liquoris, Ut fruges, arbusta, hortos, pomaria, vites Protererent crebris nimborum tela ruinis, Confossa et valido quateretur verbere tellus. Haec pestis Senonum late grassata per agros, Supplicii et leges consueta explere quotannis Elisa assiduis nudaverat arva ruinis. Amissam segetem pallens referebat arator Perfracti penitus plangens vestigia culmi, Et fossor vacuum sine fructu et palmite vitem, Saepe gemens jugis post annua vota laboris De jam turgidulis numerabat damna racemis. Monstrabat fructus mater moestissima ramos Repere consuetis per mitia pomula natis, Propter et arentis pallentia germina campi Mugitu pecudum reboantia saxa sonabant. Tabida lustrabant vacuos sarmenta recessus Quo poterant gemitu querulam testantia causam. Hoc igitur compuncta malo plebs cuncta vel acta, Tam clarum sibimet cupiens adhibere patronum Martinum exorat legato interprete supplex, Ut placare Deum studeat, veniamque precari Pro miseris, tandemque gravem depellere pestem. Suppliciis satis esse datum, clementia Christi Auferret nimiam saltim post verbera cladem: Nec sane miseros spes exspectata fefellit. Nam simul a Domino semper connexus et haerens Martinus solitae pietatis dona poposcit. Suffragium sensere pium, depulsa quievit Tempestas, puroque dies nituere sereno, Ac exoptatis maduerunt germina nimbis. Nec spatio constricta brevi, sed tempore longo Gratior extentis commendans munera metis Quattuor et plenis permansit gratia lustris: Nec prius insanae senserunt damna procellae Quam Dominus clauso praesentis tempore vitae Ad requiem veram benedictum assumpsit amicum. Sic utriusque piae transegit tempora vitae, Ante salus terris, at nunc sublimis in astris.
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Ainsi ton mérite, ô Martin ! ainsi ton pouvoir sacré, ainsi la gloire de Dieu, que doivent révéler les serviteurs du Christ, s'élèvent par leur grandeur au-dessus du sol, et règnent dans les airs. Il est certain aussi que ta prière a séché les nuages et arrêté la chute de la grêle funeste ; qu'elle a retenu dans l'espace ces épaisses nuées dont les flots accumulés se gèlent sous la froide haleine des vents et se durcissent comme la pierre, et qui, lançant à tourbillons pressés sur la terre ces cailloux de cristal, écrasent les moissons, les forêts, les jardins, les vergers et les vignes, sous les coups précipités, sous l'effort impétueux de ces traits meurtriers qui battent et bouleversent au loin la plaine. Déchaîné sur les champs des Sénonais, ce fléau, qui revenait régulièrement chaque année accomplir sa loi d'extermination, avait, par ses ravages continuels, dépouillé les campagnes meurtries. Le laboureur désespéré s'en retournait pleurant sa moisson perdue et ses gerbes hachées jusqu'à la racine. Souvent, après un an d'espoir et d'un labeur assidu, le vigneron, voyant périr les fruits de ses vignes et leurs ceps déchirés, calculait son dommage en comptant ses grappes déjà pleines. La mère, avec tristesse, montrait ses arbres brisés à ses enfants qui aimaient à se traîner sous leurs branches chargées de doux fruits. Près des herbages flétris des prairies épuisées, les troupeaux fatiguaient de leurs mugissements les échos des rochers, et les taureaux maigris, parcourant en vain leurs pâturages désolés, témoignaient leur douleur par des accents plaintifs, leur unique langage. Les habitants de tout rang, de tout âge, étaient victimes de cette calamité. Ils résolurent de recourir à l'assistance de l'illustre prélat. Un député vint en leur nom supplier Martin d'intercéder pour eux, d'apaiser le Seigneur, de lui demander grâce pour un peuple aux abois, et de détourner enfin un fléau si cruel. Ils étaient assez punis : frappés par tant de désastres, ils espéraient que la clémence du Christ leur épargnerait au moins de plus longues souffrances. Ces infortunés ne furent point trompés dans leur attente : car à peine Martin, que des liens intimes rattachaient toujours au Seigneur, eut imploré de Dieu les dons de sa miséricorde accoutumée, qu'ils ressentirent les effets de cette protection charitable : le fléau cessa et disparut ; les jours brillèrent désormais purs et sereins, ou, s'ils devenaient sombres, c'était pour répandre sur les guérets une pluie désirée. Et Dieu ne borna pas à un court espace la durée de ce bonheur ; pendant un long temps, au contraire, il se plut à en reculer le terme, pour en doubler le prix. Durant quatre lustres entiers son bienfait subsista, et le fléau destructeur ne recommença point ses ravages avant que le Seigneur eût fermé au saint la carrière de cette vie, pour rappeler son auguste ami au sein du repos véritable : car tel est le sort du bienheureux dans l’une et l'autre vie ; autrefois notre sauveur ici-bas, il siège aujourd'hui dans les hauteurs des cieux. |
Jam longa nimis languentis pagina libri Enervat clari titulos et gesta patroni, Grandia dum parvus loquor, et sublimia signis Splendorem laudis trepidus corrumpo relator. Sed quid agam? versu historiam percurrere novi, Judicium narrata timent, suppressa reatum. Rectius haec lector fors fastidita relinquet, Quam pius auditor penitus subtracta requiret. Et prius immitem jam contigit Avitianum Sermo prior, nunc ordo operis revocatur ad ipsum. Hic saevos vincens dira feritate tyrannos, Tristia moestorum sitiens tormenta reorum, Parcebat paulum Turonum mitior urbi. Hic tantum humani sensus vestigia prodens, Subdebat sanctis licet ora rebellia frenis Ingenitum reprimens Martini ad jussa furorem. Et sane manifesta hujus documenta medellae Sic quadam patuere die: venerandus adibat Martinus diram tali sub judice sedem Lenior ut tantis feritas mitescere posset Officiis, sancti obsequiis obstricta patroni. Ille in praecelso residebat forte sedili Conspicuus solio excellens nimiumque superba Ambitione tumens, subito cum sanctus ad ipsum Aspiciens videt horrentis tetrique cruentam Daemonis insani speciem cervice reclinem, Innexam toto pronam decumbere nisu. Quam procul ut flatu benedicti contigit oris Sanctus et admoto verbi terrore fugavit, Ignarus socii se credidit Avitianus Excepisse gravem maledicti in imagine poenam. Ille refert: Ne crede meo te forte notatum Judicio, aut subiti signum hoc existere motus, Haec pietas, non ira fuit quae saevit in hostem, Pro misero miserata dolet, prorumpit in illum Hic noster toto penitus de pectore flatus Quem premere horrendo celsa haec subsellia nisu, Quemque tuae pronum cervici incumbere vidi. Desine jam talis collegia ferre latronis, Consiliis plus crede piis, deprensa fugetur Calliditas, experta dolos cautela repellat. Jam pudeat parere reo, servire fugato. Talibus ejecto praeclusa est janua cordis Daemonio, sedisque suae praerupta potestas: Mitior hinc proprio tandem sine judice judex Et gravis excusso rejecta est sarcina collo. Sic cuncta extrusos hostes de sede fugabat, Corda hominum absolvens, profugis nec templa relinquens
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Depuis longtemps déjà ma poésie languissante affaiblit les mérites et les actes de l'illustre patron. Mes accents sont bien bas pour de si grandes œuvres, bien traînants pour ces faits sublimes, et mes timides récits atténuent l'éclat de sa gloire. Mais que faire ? Je me suis engagé à raconter en vers toute son histoire : si j'écris encore, j'ai des juges à craindre ; si je me tais, je manque à mon devoir. Au reste, le lecteur qui laissera là mon livre dédaigné, sera mieux avisé peut-être que le pieux auditeur qui réclamerait contre son silence. J'ai rapporté, dans les pages qui précèdent, un premier trait de l'impitoyable Avitianus ; la suite de mon récit me ramène encore à lui. Cet homme, qui surpassait en férocité les plus sauvages tyrans, ce magistrat toujours avide de se repaître des tourments et des angoisses déchirantes des accusés, montrait cependant plus d'indulgence et de douceur pour la ville de Tours. Là, du moins, il laissait entrevoir parfois des sentiments d'humanité ; sa bouche rebelle obéissait au frein sacré, et ses instincts farouches pliaient sous la volonté de Martin. Une preuve de cette influence salutaire éclata un jour à tous les yeux. Le vénérable évêque était entré dans la salle où ce juge prononçait ses arrêts redoutables. Il espérait, par cette démarche imposante, par cette noble déférence du saint patron des malheureux, enchaîner la fureur du monstre et adoucir sa rigueur. Avitianus était monté sur un siège élevé, du haut duquel il dominait la foule, superbe et tout gonflé d'une vaine arrogance. Tout à coup Martin, portant sur lui ses regards, aperçoit l'image sanglante d'un horrible et hideux démon assis sur le cou du forcené, et accroupi sur ses épaules, où il pesait de tous ses efforts. Du souffle béni de sa bouche, le saint frappe de loin le démon, et lui lance un mot terrible qui le met en fuite. Avitianus, qui ne s'était pas douté de la présence de ce compagnon, crut que l'injure dirigée contre le maudit s'adressait à lui-même. « Tu te trompes, lui répondit Martin ; ce n'est pas toi que ma justice a voulu flétrir : ce mouvement soudain n'était pas un transport de colère ; c'était un élan de la charité, qui devait sévir contre un ennemi, mais qui plaint ta misère en sa miséricorde. Ce souffle s'est élancé du fond de ma poitrine contre un démon dont je voyais la masse hideuse peser sur ton tribunal élevé, et s'étaler accroupie sur tes épaules. Repousse un pareil hôte, renonce à la société de ce larron ; prête l'oreille à mes conseils charitables. J'ai surpris et découverte tes yeux la malice du démon ; évite-la désormais : tu connais ses artifices, que ton expérience t'en préserve. Tu ne peux plus sans honte rester sous les lois d'un damné, sous le joug d'un fuyard. » C'est ainsi qu'après avoir expulsé le démon, Martin lui ferma la porte du cœur d'Avitianus, et lui ôta le pouvoir d'y siéger encore. Ce juge, débarrassé enfin lui-même de son propre juge, revint à des sentiments plus doux, et rejeta pour toujours de ses épaules le lourd fardeau qui l'écrasait. Martin délogeait ainsi partout de leurs retraites ces ennemis de la vérité ; et non content de les exclure du cœur des hommes, il ne leur laissait pas un temple debout pour abriter leur fuite. |
Jam quidquid vanus fanorum exstruxerat error Ardebat pronis late vastare ruinis. Haud longo spatio praefata amotus ab urbe Vicus erat, veteris quondam vestigia castri Tunc famulis habitata Dei Christique ministris. Ambaciae nomen priscum prior incola dixit. Hic immensi operis praecelsam exstruxerat aedem Sacrilegi quondam vecors dementia coetus; In conum surgens turritae molis in altum Mirificum tendebat opus, sic prorsus ad unguem Connexis semper crebro licet ordine saxis Ne celsum nutaret onus, ne rima pateret, Sed pulchra admotos lapides compago ligaret. Quo magis artificis studium rationis egentes Attonitis stupuere animis: sic stulta pudende Relligio invaluit venerans pro numine solum Ingenium geniumque Dei de nomine fabri. Hanc igitur sanctus subverti jusserat aedem Martinus: neglecta diu mandata fideli Presbytero exprobrat, tamen ille haec jussa modeste Expleri potuisse negat: satis ardua fessis Haec monachis, paucisque Dei docet esse ministris, Quae vix collectae vacuato rure catervae Aut desudantes possent explere cohortes. His patuit penitus justa excusatio verbis. Nec spes est infracta tamen, non ille vocandis, Vota parat populis, nec toto ex orbe coactas Ambaciae ad vicum properat deducere turmas. Auxilium coeleste vocat, spes omnis in illo est Qui coelum terramque regit, cui militat aer Et permansurum servant elementa pavorem. Rursum igitur setosi habitus stimulisque reclinem Consueti penetrare cutem, connexa rebelli Vellere duritiae rigidis in vulnera filis, Pervigiles iterum gemitus, jejunia rursum Dilatis renovata cibis, noctisque laborem Mox successuro rursum jungentia soli. Nec longa hoc votum mora distulit: ecce reverso Tempestas violenta die circumstrepit aedem Turbine ventorum ruptis in flumina nimbis, Dividuae excusso scinduntur lumine nubes, Et collectarum super ardua moles aquarum Raucisono impactam collidit turbine cratem, Reddit et expressum nimborum pugna fragorem. Intremuit tellus imoque excussa profundo Respuit impositae fundamina pendula molis. Disjiciens sparsam procul a compage ruinam Et per prona rotans disruptae fragmina molis, O nimium dilecte Deo, te supplice Christus Jam pronos celso siccavit in aere nimbos. Ad tua vota iterum celeres rediere procellae, Accincta et gravibus nigrantia nubila ventis Parcere jussa satis, validas rumpentia moles Mollia graminibus, durisque immitia saxis.
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Tous ces vains monuments élevés par l'erreur, il brûlait de les abattre et d'en coucher au loin les débris sur la terre. A quelque distance de la ville nommée plus haut était un bourg, dernier reste d'un vieux château, habité alors par les serviteurs de Dieu et les ministres du Christ. Ses premiers habitants lui avaient donné autrefois le nom d'Ambacia (Amboise). Là s'élevait un édifice d'un travail immense, construit jadis par les sectateurs insensés d'un culte sacrilège. Une tour massive, s'allongeant en cône, dressait dans l'air sa merveilleuse structure. Ses pierres étaient si régulièrement taillées, et leurs assises nombreuses si bien liées ensemble, que, malgré sa hauteur et son poids, elle ne penchait d'aucun côté, et que les joints ne laissaient voir aucune fissure. Ce bel assemblage de pierres si parfaitement rapprochées entre elles, frappait de surprise les esprits dénués de raison : émerveillés de la science de l'artiste, ils finirent par rester sous l'empire d'une folle et honteuse superstition, ils adorèrent pour toute divinité le seul génie de l'architecte, et mesurèrent la puissance de leur idole à la renommée de l'ouvrier. Saint Martin avait ordonné depuis longtemps la destruction de cet édifice. Le voyant encore debout, il reproche au prêtre du lieu sa négligence. Le fidèle ministre lui répond avec humilité qu'il n'a pu satisfaire à ses commandements, parce qu'il était bien difficile à des moines épuisés, à quelques serviteurs de Dieu, d'exécuter un travail que les populations réunies de plusieurs villages, que des cohortes entières ne pourraient qu'à grand-peine accomplir. Martin comprit la justesse de ces excuses, mais cet obstacle n'a point brisé son espoir. Pour arriver à son but, il ne convoque pas les populations, il ne dirige pas de toutes les parties du monde sur le bourg d'Ambacia des escadrons sans nombre. C'est le ciel qu'il appelle à son aide : il place tout son espoir en celui qui gouverne les cieux et la terre, qui commande aux puissances de l'air, et dont les éléments observeront sans fin les redoutables lois. Il reprend de nouveau ses vêtements de poils, dont les aiguillons, quand il est couché, s'enfoncent dans sa chair, ces tissus dont l'âpre rudesse est armée de pointes effilées qui le blessent, il recommence ses veilles et ses gémissements ; il s'impose de nouveau les rigueurs du jeûne et de l'abstinence : et cet enchaînement de souffrances se prolongea depuis les premières heures de la nuit jusqu'au soleil du lendemain. Mais alors l'accomplissement de ses vœux ne se fit pas attendre. A peine le jour reparut, qu'un ouragan furieux enveloppe la pyramide ; le vent tourbillonne, des torrents de pluie percent les nuages, l'éclair jaillit des flancs déchirés de la nue ; l'onde accumulée tombe en masse sur le front de l'édifice ; la trombe frappe en mugissant l'assemblage de pierres ; au loin résonne le fracas des nuées qui s'entrechoquent, la terre tremble, ses profondeurs s'ébranlent et rejettent de leur sein les lourds fondements qui s'appuyaient sur elles. La tour vacille et se brise en éclats, et de leur sommet qui s'écroule ses débris massifs roulent dispersés sur la terre. O bien-aimé de Dieu ! à ta prière, le Christ avait déjà séché les nuages prêts à fondre du haut des airs : à ta prière encore, reparaissent les ouragans rapides ; les sombres nuées accourent secondées par les vents terribles : à ton gré, elles épargnent les moissons ou brisent les plus solides monuments ; elles respectent les prairies ou sévissent contre les durs monceaux de pierres. |
Nec minus hoc meritum fuerit, nec dispare causa Gloria consimilis pariles imitata triumphos, Idolicae effigiem celsissima fulcra columnae Tollebant junctis procul ad sublimia saxis Altior ut species solioque elatior isto Despiceret miseram conficto numine plebem. Hanc quoque Martino cupienti evertere molem Cuncti defuerant ad talia vota parato, Sed spes ad Dominum semper festina manebat. Ergo ut pernici revolavit ad aethera sensu Auxiliumque citum coelorum a Rege poposcit; Ignea consimilis specie, sed lumine dispar, Comminuit fragilem delapsa columna ruinam Sulphurea advolvens crepitantes flamma favillas, Fumantem attolens ambusto e pulvere nubem, Atque exundantem consumpta mole vaporem. Sic rutilo, Martine, polo, sic turbine venti Connectis geminos vel nube, vel igne triumphos. Nec mirum ut dominus servo promissa fideli Tam sancto impleret famulo, qui dixerat olim Attonitis nimium tanta ad miracula servis, Haec verae fidei sese documenta daturum, Ut majora horum credentes signa probarent.
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Le miracle suivant n'est pas moins remarquable : le but était le même, et Martin sut remporter avec une gloire égale un semblable triomphe. Elevée au sommet d'une haute colonne, et soutenue dans l'espace sur cette base de pierre, se dressait au loin, vers les nues, l'image d'une idole. On avait voulu la grandir et l'exhausser ainsi sur un trône sublime, pour qu'elle imposât davantage par cette majesté mensongère aux malheureux mortels. Martin désirait aussi jeter à bas cette masse de pierres, et tous les moyens lui manquaient pour exécuter ce dessein, liais son espoir reposait toujours dans le Seigneur ; il eut recours à lui, et, reportant vivement sa pensée vers les cieux, il implora du roi suprême une prompte assistance. Aussitôt une colonne de feu, qui ressemble à l'autre par la forme, mais qui en diffère par son éclat, tombe d'en haut sur le monument fragile et le met en pièces, l'ne flamme sulfureuse s'attache en pétillant à ses débris qu'elle réduit en cendres, un nuage de fumée, un tourbillon de vapeurs ondoyantes jaillit du sein des décombres. Ainsi Martin, grâce au feu du ciel, grâce au souffle des vents, tu triomphes deux fois tour à tour, et par les eaux, et par les flammes. Le Seigneur voulait sans doute accomplir, par les soins d'un si digne serviteur, la promesse qu'il avait l'aile à son fidèle apôtre ; car il avait dit autrefois à ses disciples, étonnés de la grandeur de ses miracles, qu'il transmettrait lui-même les signes de sa puissance aux vrais croyants, afin qu'ils pussent prouver par leurs actes, plus merveilleux que les siens propres, la sincérité de leur foi. |
Quid mirum est eadem Dominum complesse fatentem Per servos qui plura piis spondere ministris, Dignatus sursum sublimia corda paravit? Nam sicuti prodit coelestis pagina libri Femineam testata fidem post flumina multi Sanguinis, et tristem consumpto corpore tabem Attactu vestis celerem remeasse salutem: Sic data Martino est ejusdem gloria facti, Sed sanante Deo, qui nunc quoque celsus in arce Stellantis solii tangi per membra probatur, Quae capiti aeterno sancta compage cohaerent.
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Est-il étonnant que le Seigneur, après de telles paroles, ait voulu renouveler, par l'entremise de ses serviteurs, les prodiges qu'il avait opérés déjà, puisqu'il avait daigné promettre à ses pieux ministres un pouvoir plus grand que le sien, en appelant leurs cœurs vers les sublimes pensées d'en haut ! Les pages de la divine Ecriture nous apprennent qu'une femme de beaucoup de foi, dont le corps, après une perte de sang considérable, s'épuisait tristement consumé par la maladie, toucha le vêtement du Christ, et recouvra aussitôt la santé, Martin eut la gloire de procurer une guérison semblable ; mais elle était l'œuvre de Dieu : car, aujourd'hui même encore, bien que le Christ siège sur le trône étoile de l'empire céleste, il est prouvé qu'on le touche en louchant les membres d'un saint homme, qui tiennent par un lien sacré à son chef éternel. |
Quid non mite pio, quae non subjecta fideli Monstra viro? jussi parebant saepius angues, Nec suberat victis feritas cognata venenis. Tranabat virus propter vada proxima serpens Et vitreas sulcabat aquas, exstabat ab undis Cum cervice caput, findebat pectore summum Festinus fluvium, reliquos per caerula tractus Flectebat vario sinuamina lubrica motu, Intorquens laevis curvata volumina caudae, Et vibrans tremulam meditata in vulnera linguam. Hunc ubi vix medio Martinus in aequore vidit Contiguae properum jamjamque accedere terrae Compulit his dictis: Raptim remeare retrorsum Obstrictum virtute Dei, vel nomine Christi. Nequaquam ad vetitam ulterius contendere ripam Te jubeo: stetit in medio mala bestia fluctu, Et fractos rigidus torpor connexuit artus, Membraque captivo paulatim haesere natatu, Donec praecluso praestricti gurgitis aestu Languida promisso fluitarent colla profundo, Et retro seminecem ferret piger alveus anguem. Atque utinam nostrum simili virtute venenum, Quod male transcursae vitiavit lubrica vitae Immergens rapido semper mea crimina saeclo, Convertat sancti miseratio fida patroni, Cogat et oblitae rursus meminisse salutis, Ne prona in luteo mergantur membra profundo, Infectum et madeat vitiorum gurgite corpus, Sed stabiles sursum virtutum in margine gressus, Insistant fidei, terrena et gaudia calcent, Quaeque fluunt celeri cupiant evadere nisu. Hoc tantum et paulum subsistam ad flumina voto Dum clari titulos recolens percurro patroni, Ad cujus meritum gaudens se subdere sancti Paruit imperiis jussarum gurges aquarum.
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Quel cœur n'était point adouci par le pieux évêque ? quels monstres n'étaient point subjugués par la puissance de sa foi ? à sa voix obéirent souvent les reptiles, et leur venin vaincu perdit sa violence naturel ! Un serpent redoutable traversait un fleuve et s'approchait de Martin en sillonnant le cristal de l'onde. Sa tête et son cou se dressent au-dessus des eaux ; sa poitrine fend avec vitesse la surface du fleuve : le reste de son corps se traîne et glisse en décrivant sur les vagues de sinueux détours ; sa croupe luisante se recourbe et bat les flots de ses replis déroulés ; sa langue s'agite et s'apprête d'avance à darder ses blessures. Quand Martin le vit au milieu du fleuve se hâtant d'approcher et d'atteindre la rive, il le força aussitôt de rebrousser chemin, après l'avoir enchaîné par ces paroles, avec l'aide de Dieu et le nom du Christ : « Tu n'iras pas plus loin, tu ne viendras point jusqu'à ce rivage ; je te le défends ! » Le dangereux reptile s'arrête au milieu des eaux : brisés par la torpeur, ses membres se roidissent ; sa marche est suspendue et son élan captif : devant l'onde engourdie qui lui ferme le passage, sa crête défaillante flotte sur l'étendue de l'abîme, et le courant paresseux remporte en arrière le serpent à demi mort. Dieu veuille opérer en ma faveur un semblable prodige ! Le venin de l'erreur empoisonna ma vie ; mes pieds mal dirigés sur un terrain glissant ont cédé au torrent du siècle, qui les entraîne toujours vers le vice. Puisse le saint patron en qui j'ai confiance, avoir pitié de moi, me ramener au bien, rappeler en mon cœur le souvenir effacé du salut, empêcher ainsi mes membres de s'enfoncer plus avant dans la fange de l'abîme, et mon corps de s'engloutir à jamais dans les souillures du péché ! Que mes pieds mieux assurés se redressent, qu'ils regagnent le rivage où la vertu les soutiendra sur les traces de la foi, qu'ils marchent sur les joies du monde, et, par un élan rapide, s'arrachent sans regret au courant qui les égare. Que j'obtienne cette grâce, et je m'arrêterai quelque temps encore au bord des fleuves, et, pour acquitter mon vœu, je continuerai de recueillir les titres de gloire de mon illustre patron, et je dirai comment l'abîme des eaux, complaisamment soumis à l'autorité de ses mérites et docile à sa voix, s'empressa d'obéir à sa volonté sainte. |
Continuum semper jejunia ducta per annum Laxabant paulum sanctae solemnia Paschae: Mitius his tantum cruciabat membra diebus. Tum solum exiguam piscem sumebat in escam. Sed dum venturis servantur tempora signis Consueta officii votum captura fefellit. Ille ubi piscantum vanum fluxisse laborem, Linaque per vacuum fluitasse extenta profundum Agnovit querulis moerentum murmure verbis, Nam reliquis praesens diebus diaconus satis ore fideli sic Astipulator erat, quem cura instantior hujus Obsequii vigilem praegressae tempora noctis Et fessum exacta praesentis parte diei Testem communis faciebat adesse laboris. Cujus ut anxietas sancti pia viscera movit Permotus moerore pio, perge, inquit, et amnem Transcursis propere solers scrutare fluentis; Jam tibi captivam concludent retia praedam. Nec mora: confusus tanti sermone magistri Festinat diaconus, trepido spes reddita voto est, Nec dilata licet properum captura fefellit. Nam simul ac modico sepsit vada proxima lino Incussus tremuit motato cortice funis Implicitam prodens super invia caerula praedam. Innexum propere vicina ad littora traxit Congaudens esocem, tum toto pectore pronus Brachia labenti circumdabat humida pisci. Lubrica nudatis vix haeret praeda lacertis Concussa et madidis jam pene elabitur ulnis. Donec paulatim cognata elementa relinquens Efflaret tenuem moribundus in aere vitam, Oraque languidulo tremulus reseraret hiatu Rejectae applaudens signi motamine caudae. Obstupuere suum monachorum gaudia votum, Qui de vicinis tanta ad spectacula cellis Egressi, implendum tali sponsore faventes Crediderant sancto prolatum pectore verbum: O vere aeternae speculum virtutis, ab ipso Haec tibi dona fluunt, qui quondam retia jussit Ducere nocturno incassum molimine fessos Discipulos mittens numerosam in retia praedam, Concludens lectos sancta ad convivia pisces Quos medii abreptos penitus de turbine mundi Ad Dominum traheret sanctae doctrina fidei.
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Martin observait un jeûne continu durant toute l'année, mais son régime devenait moins sévère aux jours solennels de la sainte Pâque. Alors seulement il apportait quelque relâche aux macérations de ses membres, se permettait une légère nourriture et mangeait un poisson. On avait d'avance noté cette époque, afin de répondre à son premier signe ; mais la pêche, ordinairement heureuse, trompa cette fois l'attente générale. Les pêcheurs avaient perdu leur temps et leur peine ; leurs filets tendus avaient flotté sans succès sur une onde stérile. Martin s'en aperçut à leur tristesse, à leurs douloureux murmures ; il l'apprit d'ailleurs de la bouche même de son diacre fidèle, dont le récit confirma leur témoignage. Plus jaloux et plus empressé qu'eux de satisfaire aux désirs de Martin, il avait veillé toute la nuit précédente, était resté sur pied une grande partie du jour, et pouvait attester l'inutilité de leurs fatigues, qu'il avait partagées. Le saint et charitable évêque, le voyant fort inquiet, fut touché de ses chagrins, et, prenant pitié de ce bon serviteur : « Cours, lui dit-il, retourne vers le fleuve, sonde avec adresse ses profondeurs, et le butin que tu veux prendre ne tardera pas à s'enfermer dans les filets. » Confiant dans la parole d'un si grand maître, le diacre vole : son cœur tremblant a retrouvé l'espérance, et, malgré son impatience, le succès ne se fit pas attendre : car, à peine, sans aller bien loin, il avait jeté dans le fleuve une ligne assez frêle, que le liège agité secoua le fil, dont le mouvement trahit, à la surface des eaux, la proie surprise au piège. Il tire vivement à lui sa capture et ramené sur la grève, ô bonheur ! un ésox. Il se penche de toute sa hauteur vers la terre pour envelopper de ses bras mouillés le poisson qui se détache. Ses membres nus ont peine à retenir leur proie glissante qui se débat et cherche à s'échapper de leur étreinte humide. Mais peu à peu, séparé de l'onde maternelle, le poisson exhale en mourant sa faible vie dans les airs : il ouvre, en palpitant, sa bouche défaillante ; sa queue engourdie retombe, et ses derniers mouvements expirent sur le sable. Les moines sont ravis de joie et d'admiration en voyant leurs vœux exaucés : ils étaient sortis de leurs cellules voisines pour contempler ce merveilleux spectacle : car ils avaient cru facilement à la parole émanée des lèvres du saint ; avec un tel garant elle devait s'accomplir. O Martin, vrai miroir de la puissance éternelle ! Ces dons répandus sur toi découlent de celui-là même qui ordonna jadis à ses disciples de jeter encore leurs filets, malgré leurs vaines tentatives et leurs fatigues de la nuit ; qui envoya dans leurs rets un butin nombreux ; qui mit à part, pour le festin sacré, ces poissons d'élite qu'il arracha au tourbillon du monde afin de les attirer vers le Seigneur par les saintes doctrines de la foi. |
Saepe Deus voluit meritum sublime beati Illustres proferre viros, quo clarius, illis Testibus extulerat penitus quos gloria mundi, Prolata in populos virtutum signa micarent. Nam gestae clarus tum culmine praefecturae Arborius, vidit fulgentum luce micantem Gemmarum, dum sancta Deo solemnia defert Martini rutilasse manum, lumenque coruscum Vestire ignitam pretioso murice dextram, Et collisorum lapidum crepitare fragorem. Non tales vexilla ducum pinxere lapilli, Talia nec frontes regum diademata cingunt, Sed quales claris sanctorum in fine coronis Inserit emeritas Domini sententia gemmas.
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Dieu voulut souvent faire proclamer par d'illustres personnages les mérites sublimes du bienheureux, pour que le récit de ces témoins, élevés si haut par les dignités du monde, fit ressortir avec plus d'éclat les miracles dont ils répandaient les preuves parmi les nations. Un de ces hommes, qui avait glorieusement exercé les éminentes fonctions de la préfecture, Arborius vit un jour resplendir de l'éclat éblouissant des pierreries la main de Martin, pendant qu'il offrait à Dieu le saint sacrifice ; il aperçut une vive lumière revêtir cette main du feu de ses riches clartés, et il entendit le cliquetis des pierres qui s'entrechoquaient. Jamais pareilles pierres n'ont orné les étendards des princes, ou paré les diadèmes qui ceignent le front des rois : non, ces diamants-là, la justice du Seigneur, à la fin des siècles, les attachera, comme une distinction méritée, aux lumineuses couronnes des saints. |
Nec dubium quin praecipuae probitate fidei Ultra hominem vario virtutum flore coruscet, Quem coram angelici meritum solatia verbi Historici felix testatur pagina libri. Nam cum Treverica permoestus ab urbe rediret, In qua dum miseris irato rege pavescit, Interitum, quorum vitam poscebat ab ipso Compulsus proprium paulum laxare rigorem: Mitior ad culpam respexerat Ithacianam Damnatae impulsus clementer parcere causae, Et reparare piae rursum nova foedera pacis. Hunc igitur nimis afflictum moerore revisens Angelus, alloquio coram manifestus et ore Detulit ad moestum solatia blandus amicum, Anxia collatis permulcens viscera verbis, Consilio mutanda docens, commissa resolvens. Talia praecipui signans praeconia vatis Zachariam sancto coelestis nuntius ore Exorsum sancti fecit praedicere nati, Spondens venturam post jussa silentia vocem. Denique non impar meritum par prodidit ordo. Utque illi soboles, sic gratia contigit isti Clarius adjecta virtutum luce coruscans. Nam saepe expulsas captivo a pectore larvas Necdum praesentis verbis vel voce coactas Terrebat sanctae felix vicinia cellae, Excedensque procul benedicta habitacula virtus.
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Peut-on douter que la fleur de toutes les vertus n'ait brillé en Martin d'un éclat surhumain, dû surtout à la pureté de sa foi, quand on sait qu'il mérita qu'un ange lui apparût pour lui apporter des consolations, ainsi que l'attestent les pages éloquentes de son histoire ? Il revenait fort affligé de la ville de Trèves. Tremblant pour la vie de quelques malheureux menacés par la colère de l'empereur, il s'était rendu dans cette ville pour implorer leur grâce. Forcé alors de se relâcher un peu lui-même de sa rigueur accoutumée, il avait vu d'un œil plus indulgent les fautes d'Ithacius ; et, contraint de ménager avec douceur une opinion qu'il avait condamnée, il avait, par amour de Dieu et de la paix, consenti à se rapprocher de ses partisans. Comme il s'en retournait, regrettant sa faiblesse avec amertume, un ange se présenta devant lui, et ne lui déguisant ni sa voix ni son visage, adressa de tendres et rassurantes paroles à cet ami désolé, calma par de sages raisons son cœur agité, le redressa en l'éclairant, et lui remit son péché. C'est ainsi que, signalant jadis la venue du grand prophète qui devait proclamer le Christ, un envoyé céleste annonça d'avance de sa bouche sainte à Zacharie qu'il lui naîtrait un saint enfant, et lui promit, après l'avoir condamné au silence, que la parole lui serait rendue. Zacharie et Martin avaient commis une faute semblable ; ils obtinrent une semblable faveur. Zacharie eut un fils ; Martin recouvra la grâce, mais elle brilla désormais en lui avec un surcroît de lumière et de puissance. Souvent, en effet, les malins esprits sortaient du corps des possédés, sans avoir été chassés par la présence ou la voix du saint : il avait suffi, pour les effrayer, du voisinage salutaire de sa sainte cellule, de la merveilleuse puissance émanée au loin de sa retraite bénie.
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Sic distenta nimis longe lateque micabant Praesentem Domini testantia signa favorem. Nec solo contenta solo, sed crebrius ipsos Martini titulis procul irrumpentia fluctus Videre immenso jactari turbine nautae, Dum furit insanae violentior unda procellae, Quantum vel solo prodesset nomine sanctus. Sulcabat medium Tyrrheno marmore pontum Extentis properans puppis per caerula velis. Concita subjectum scindebat prora profundum Adverso albentes disrumpens pectore fluctus Linquens spumantum vestigia longa viarum. Cum subito obtectum praetendunt nubila coelum, Humida nigrantem praetendunt vellera cratem Et perit in piceo penitus lux condita nimbo. Insistunt validi pontum subvertere venti, Fluctibus et madidae rubris miscentur arenae, Franguntur celsae violento turbine moles, Altius elato suspensa volumina fluctu Instabiles sursum nimium tollentia colles, Dum redeunt crebris solvuntur fracta ruinis, Innumerosque procul reddunt conlaxa fragores. Vela cadunt, resonant tremulo stridore rudentes. Nunc latet abscisso vicina ad nubila monte, Nutat in excelso rursum male pendula dorso Ancipitem casum metuens in utroque profundo. Ast alii quatiunt latera obsistentia fluctus Et fracti elisa tabularum crate resultant Implentes laceram tam crebra aspergine puppem. Excutit avulsum ponti violentia clavum Rejecto rectore procul formido paventum Corda quatit tremulo convellens viscera motu, Pallentesque rigant non sola aspergine malas, Confusi genitus, lacrymosae et murmura vocis, Ruptaque singultu assiduo suspiria flentum Plangunt consimilem vicina morte querelam. Interea extremo quidam terrore coactus, Sed necdum instructus verae ratione fidei, Coeleste auxilium tali clamore poposcit: Ignorate mihi, merito sed cognite sancti Quem veneror famuli, per quem tua gloria fulget Martini, miserere Deus, depelle periclum, Eripe nos, nam cuncta tibi proclivia sanctus, Ut memini, antistes crebra virtute probavit. Nec mora: constrato ceciderunt aequora fluctu, Et jacuit planus placidarum campus aquarum; Leniter exlaceram moderato flamine puppem Optata impellens zephyrus statione locavit. Sic meritum famuli per cuncta elementa probavit, Et sancti titulos Christus distendit amici Glorificans clarum super invia caerula nomen.
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Ainsi, dans tous les sens, en long, en large, à une grande distance, éclataient les signes qui attestaient que partout l'appui du Seigneur était avec lui. Et ces signes ne se manifestaient pas seulement sur la terre ; souvent aussi le pouvoir de Martin se frayait une voie au sein des flots eux-mêmes. Battus par un orage immense, les matelots, au milieu des fureurs des vagues et des bouleversements tumultueux de la tempête, ont vu combien le seul nom du saint était secourable. Un navire sillonnait la mer Tyrrhénienne, et, poussant au large, voguait à pleines voiles sur la plaine azurée. La proue agile fendait la surface de l'abîme, déchirant de front les vagues blanchissantes, et laissant après elle une longue traînée d'écume. Tout à coup un rideau de nuages se développe dans les airs : sous la sombre voûte des cieux s'agglomèrent des flocons humides, et dans cet amas de noires vapeurs la lumière s'efface et disparaît. Les vents s'abattent sur la mer, la soulèvent avec force et entraînent les sables dans les flots rougis par ce mélange. Leurs tourbillons impétueux brisent les vagues amoncelées : l'onde roule, remonte, s'entasse et dresse suspendues dans l'espace ses collines mouvantes ; puis, refoulée par les vents, elle retombe, se divise, et ses lames rompues renvoient de toutes parts le fracas de leur chute. Les voiles se détachent, les câbles sifflent fouettés par la tourmente. Tantôt, emportée jusqu'aux nues, la nef se perd au sein d'une montagne humide ; tantôt elle reparaît chancelante et penchée sur le dos de l'abîme ; mais, dans les profondeurs des cieux ou de la mer, partout un sort terrible la menace. D'autres lames battent ses flancs qui résistent ; les flots heurtent les ais de la carène où ils se brisent, et rejaillissent sur le pont délabré qu'ils inondent. La violence de la mer arrache et enlève le gouvernail en renversant le pilote. Les cœurs des passagers sont frappés d'épouvanté : un frisson convulsif agite leurs entrailles ; des larmes abondantes mouillent leurs pâles visages. Partout des gémissements confus, des voix lamentables et plaintives, des sanglots continus, des soupirs qui s'exhalent au milieu des pleurs ; partout les tristes accents d'une commune douleur aux approches de la mort. Entraîné par l'excès de la terreur, un de ces hommes, qui n'avait point encore reçu les leçons de la vraie foi, implore alors l'assistance du ciel et s'écrie : « O toi que j'ignore, et qui m'es connu seulement par les mérites de ton pieux serviteur que je vénère et qui fait briller ta gloire, Dieu de Martin, aie pitié de nous ! Eloigne le danger, sauve-nous : car tu peux toutes choses ; ton saint pontife, je m'en souviens, l'a souvent prouvé par ses miracles. » A l'instant même, les flots soulevés s'abaissent, et le calme renaît sur la plaine des mers qui repose immobile. Le zéphyr, de sa douce haleine, pousse mollement le navire meurtri, et le conduit au port si longtemps désiré. C'est ainsi que le Christ oblige tous les éléments à prouver les mérites de son serviteur ; c'est ainsi qu'il étend au loin la gloire de son pieux ami, et porte l'éclat de ce noble nom sur les abîmes inaccessibles ! |
Nec mirum est tam multa Deo fautore probandam Martini potuisse fidem, si quando beatis Pervigil excubiis tota virtute precandi Ad Dominum praesens felicia vota tulisset, Si tantum ignari penitus longeque remoti Gratia per solum meruit clarescere nomen. Quanquam ad praecipuam contendens pagina laudem Obstupefacta pedem retrahat, verbisque pavescat Vilibus ad tantam virtutum ascendere molem. Queis non unum hominem sanctus, sed protinus omnem Suffragio medicante domum sanasse probatur. Testis adest clarae celsus vice praefecturae Gratifico assignans haec dona Lycontius ore, Cujus multiplici latae grassata ruina Obruerat lues una domum: tabentia passim Corpora seminecum partes rejecta per omnos Stipabant fessis horrentia limina membris, Tristis ubique dolor, crebra et suspiria, fletus Assidui, et toto penitus de pectoris antro Extorti gemitus, convellens ilia flatus, Et jugis motus, cutis arida, flamma medullis Insita succendens stomachum, gravis unda pavoris, Illa ad vicinum pallebant moesta cadaver Corpora seminecum cognata, at funere tali Moestior exemplo morientum turba pavebat. Ast alii exanimes saltim contingere caros Officio miseri nimium trepidante timebant Ne dispersa graves sererent contagia morbos. Hos metus obsequio subtraxerat, at dolor illis Viscera multiplici praestruxerat anxia luctu At qui postremis tumulassent membra sepulcris Dilati ad similem non longo tempore mortem Portabant pariles ad limina tristia morbos. Nil medicae valuere manus, nil gramina succis, Saepe suis magnas languentum operata medellas. Tali igitur dominus confusus clade suorum, Diffisusque suis precibus, placare laborat Suffragio sancti Dominum, meritoque patroni Allegans querulam Martino interprete cladem. Qui quanquam curae jam laeso judice causae Per nimium sentiret onus, tamen anxia clemens Sollicito affectu poscentis vota recepit: Nec prius absistit jugi cruciata labore Proterere exhaustis arentia membra medullis, Et prono duram tellurem elidere nisu, Assueta adjectis duplicans jejunia poenis, Nec tenui saltim concludens lumina somno Exaesam stimulans setoso vellere carnem; Quam Dominus tanti studio permotus amici, Finita tandem penitus mitesceret ira, Reddens optatae felicia dona salutis; Gratantem et Dominum complectens turba suorum Exciperet totis contestans gaudia votis Narrantem clari titulos et gesta patroni. Qui, post depulsam Martino orante ruinam, Munera sic merito festinans reddere sancto, Argenti centum praedicta ad limina libras Detulit oblatis compensans praemia donis, Ut medici meritum merces vel parva probaret, Munifica et studiis gratantis vota paterent. Quae sanctus cari officio gavisus amici Praemia devoti affectum testantia cordis Nec renuit, dum tradentis dispendia cautus Cogitat, ut fructum fidei praemissa referrent Munera; nec rursum proprios suscepit in usus, Ne mentem sancti votum macularet habendi, Sed commissa Deo coelo conclusit in alto, Ut modo captivos duris laxantia poenis, Liminibus exclusa piis donata redemptis, Servarent admissa fidem, contempta rigorem.
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Si, par la seule vertu de son nom, quand sa personne était éloignée et complètement inconnue, Martin eut le bonheur d'obtenir de si brillants succès, faut-il s'étonner que sa foi, dont la protection de Dieu voulait prouver la force, ait eu tant de pouvoir, alors que livré tout entier à ses saintes veilles, à ses ferventes prières, le bienheureux lui-même adressait au Seigneur ses vœux toujours propices ? Et cependant, prête à redire encore un singulier prodige, ma page émerveillée recule et tremble de ne pouvoir élever son humble style à la hauteur d'un si grand miracle : car ce n'est plus un seul homme, c'est une maison tout entière que l'intercession salutaire de Martin parvint à guérir. Cet acte eut pour témoin Lycontius qui s'était illustré dans les hautes fonctions d'une vice-préfecture : c'est lui qui, dans sa reconnaissance, révéla ce bienfait. Une seule maladie, étendant ses ravages et multipliant ses atteintes, avait frappé toute sa maison : des corps livides et mourants, couchés çà et là dans ce logis désolé, étalaient de tous côtés leurs membres abattus. Partout une morne douleur, des sanglots redoublés, des larmes sans fin, des gémissements exhalés du fond des entrailles ; une respiration pénible qui arrache la poitrine ; des vomissements continuels ; la peau desséchée ; un feu cache qui circule dans les veines et brûle l'estomac où fermentent les bouillons de la fièvre. Les uns, à demi morts, sont étendus, pâles et consternés, à côté du cadavre d'un parent ; affligeante image, qui, pour cette foule mourante, ajoute les douleurs de l'âme à l'effroi du trépas. D'autres voudraient toucher du moins leurs amis expirés, mais ils tremblent de répandre et de propager, par cet excès d'empressement et de zèle, les germes contagieux du terrible fléau. Si la crainte défend à ceux-là d'accomplir un pieux devoir, d'autres en sont empêchés par la souffrance, dont les angoisses multipliées ferment leur âme à tout sentiment humain. Mais s'il en est qui osent ensevelir les cadavres et les conduire à leur dernier asile, ils ne tardent pas à périr d'une mort pareille : car ils ont rapporté le même mal avec eux dans leur triste demeure. Rien ne peut les sauver, ni l’art des médecins, ni ces plantes dont.les sucs souverains ont opéré bien souvent la guérison des malades. Confondu par tant de désastres et comptant peu sur ses propres prières, le maître de la maison essaya d'apaiser le Seigneur par l'intercession et les mérites du saint patron, et d'adresser ses plaintes au ciel par l'organe de Martin. Il avait tant de fois offensé son juge, que sa cause n'était pas facile à défendre. Martin sentit le fardeau dont il allait se charger : cependant il accueillit avec bonté, avec un charitable intérêt, la demande et les vœux inquiets de Lycontius. Il s'applique aussitôt à fatiguer ses membres de tortures continuelles, à macérer son corps desséché dont la sève s'épuise, à le meurtrir en le roulant avec efforts sur un terrain pierreux, à doubler, par un surcroît d'abstinences pénibles, ses jeunes accoutumés, à refuser à ses jeux le sommeil le plus léger, à percer sa chair amaigrie des pointes du cilice ; il ne s'abstint de ces mortifications que lorsqu’enfin le Seigneur, touché de la sollicitude de son bien-aimé mit un terme à sa vengeance, et, déposant sa colère, rendit à ces infortunés, par un don de sa grâce, la santé désirée. Le maître, au comble de ses vœux, reçut les embrassements de ses nombreux serviteurs, empressés de lui témoigner avec effusion toute leur allégresse, et il leur raconta les actes glorieux de l'illustre patron, dont les prières avaient dissipé le fléau. Impatient lui-même de reconnaître par un présent le service qu’il avait reçu de Martin, il apporta au logis du saint homme cent livres d'argent : offrande bien minime en retour d'un si grand bienfait ; mais par ce faible prix, du moins, il constatait les mérites du médecin, et prouvait l'ardeur de sa gratitude par un gage de sa munificence. Ravi de cette libéralité d'un ami qui lui est cher, le saint ne refuse pas ce témoignage d'affection d'un cœur dévoué. Bien qu'il pense, avec raison, que cet argent est une dépense pour celui qui le donne, toutefois, puisqu'on lui envoie ce présent, il l'accepte pour qu'il rapporte et profite à la foi. Mais il ne Te ni ploiera pas à son usage ; le désir des richesses ne souillera point la pureté de son âme : il confie cet argent à Dieu, il l'enferme dans les hauteurs du ciel, pour qu'il serve aussitôt à soulager les dures souffrances des prisonniers il lui ferme le seuil de sa pieuse demeure, il le consacre au rachat des captifs ; il l’a reçu dans l'intérêt le la foi, et repousse dans l'intérêt de sa vertu.
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Perge igitur praemissa sequens, promissa reposcens Antistes claram coeli sublimis ad arcem Astrigeram sortite domum, rutilamque coronam Qui cunctam rabiem diri totumque furorem Daemonis in parvam potuisti astringere muscam. At nos praesentes semper venerabimur artus Donec ad aeternam redeas cum corpore vitam. Sanctorum adnexus tumulis, jungende coronis. Vix solum a nobis potuisti abscondere vultum Nobiscum pietate manens; te saepe frequentes Invisunt oculi, coram curatio vivit. Adsunt optatae confestim dona salutis. Verba silent sed signa nitent; sic corpore paulum A visu abstraheris, praesens virtute videris, Quam precor ut misero manifesto corde petitam Semper adesse velis, ut cum meditatio carmen Finierit, teneat transcripta oratio laudem.
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Va, maintenant suis les modèles qui t'ont précédé, réclame ce qui t'est promis, monte, prélat sublime, vers les splendides palais du ciel ; tu es digne du séjour étoilé de la couronne lumineuse : car tu as su comprimer toute la rage, toute la fureur du démon cruel, et le réduire à la taille du moucheron. Pour nous, ici-bas, nous ne cesserons d'adorer tes membres présents, jusqu'à l'heure où tu reviendras avec ton corps à la vie éternelle. Rangé dans les tombeaux des saints, pour prendre place un jour dans le cercle des bienheureux, tu n’as pu nous cacher que ton visage ; la vertu nous est restée. Souvent nos populations te visitent en foule : la puissance, qui te survit, est toujours là pour les guérir et leur rendre sans retard la santé désirée. A défaut les paroles, les signes éclatent ; et si ton corps est soustrait aux regards, ta vertu merveilleuse est présente et lisible. Permets, je t'en conjure, qu'elle se manifeste et se révèle sans cesse dans le cœur du pauvre poète, afin qu'un jour, quand la méditation aura terminé ces chants, l’écriture conserve à ma parole une gloire durable. |