Paulin de Périgueux

PAULIN DE PERIGUEUX

 

LA VIE DE SAINT MARTIN - LIVRE IV

livre 3 - livre 5

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

PAULIN DE PERIGUEUX

 

Paulinus Petricordiensis

 

 

LIBER QUARTUS.

Finierat sumptum translatio coepta volumen

Percurrens sancti pura exemplaria libri,

Cum subito oblata est obstrusae gloria nobis

Historiae, nostri stimulans molimina voti,

Non ut de misero melius claresceret ore

Quod tam perspicui signasset pagina cordis.

Cum vis verborum viva virtute coruscans

Perderet ingenitum metro mollita vigorem.

Sed quia non omnes liquidi penetralia fontis

Interius scrutanda petunt, pars magna petentis

Saepe bibit proprios neglecto frigore rivos.

Nos quoque qui dignum nil possumus edere doctis,

Turbida non longe purgemus pocula libris,

Saepe et clangentum voces aequare tubarum

Emissa implicito conantur sibila libro.

Et quae sub celsa suevit requiescere pinu,

Interdum vilis penetrat virgulta salicti.

Tu quoque qui gratis malles succedere lucis,

Si longe amoti nemoris via forte fatigat

Comminus oblatum properans irrumpe frutectum.

 

LIVRE QUATRIÈME.

J'étais à la fin du volume que j'avais entrepris de traduire, j'avais parcouru tout le saint livre, toutes ses pages d'un langage si pur, quand soudain une relation de nouveaux faits, non moins belle, mais qui m'était inconnue, me tomba entre les mains, et me piqua du désir de poursuivre mon travail. Certes, je ne prétends pas que mes pauvres vers ajoutent quelque clarté à ce récit, marqué par le génie d'une empreinte si lumineuse : au contraire, ce style énergique, qui brille d'un vif éclat, perd sa vigueur originale et s'énerve sous les lois de la mesure. Mais tout le monde ne va pas fouiller le sein de la terre pour puiser à sa source une onde limpide : le plus grand nombre boit souvent au ruisseau voisin qui coule au soleil, et néglige la fraîcheur de la source. Comme je ne puis rien offrir aux hommes instruits qui soit digne de leur attention, je m'adresse à la foule paresseuse, je lui présente un breuvage un peu trouble, mais qui reste à sa portée. Souvent, d'ailleurs, l'aigre son qui s'échappe du grossier chalumeau essaye de rivaliser avec la voix éclatante de la trompette ; et tel qui aime à se reposer sous le pin élevé, se plaît quelquefois à s'enfoncer sous les humbles rameaux du saule. Toi aussi, lecteur, tu aimerais mieux parcourir un bocage agréable ; mais le bois est loin, la route est longue et pénible : entre donc sans hésiter dans le taillis qui s'ouvre devant loi.

 

Pergebat sanctus benedicti ad limina templi

Ut solita aeterno ferret mysteria Christo.

Ecce autem tremulus glaciali frigore pauper

Collidens miseros nudanti vertice dentes

Admotasque manus malis pallentibus aptans

Captabat tenuem flatu aspirante teporem.

Durabat crebros concrescens stiria flatus,

Vox quoque non toties resonans lacrymabile verbis

Flebilibus praecisa sonis gemituque locuta

Signabat totam causa clamante querelam.

Haec quamvis durum mollissent forte rigorem

Ne dum Martini pietas jam mota valeret

Dissimulare istam miseri plangentis erumnam.

Protinus astanti diacono quem more priorum

Antistes sanctae custodem legerat arcae,

Imperat ut Domini sumptu nummisque coemptam

Aptaret properans algenti in corpore vestem.

Ergo haec quae fieri voluit quasi facta reliquit.

Exin secretae penetrans habitacula cellae

Quae progressurum sacra ad mysteria sanctum

Hic quoque vicinis suerat se jungere turbis,

Excipiens monachum mox emissura ministrum.

Sed quid non penetrent miseri quos cogit erumna

Attritae expositum frontis vulgare pudorem?

Quod nec presbyteris patuit, perrumpit egestas

Allegans querulam dilato munere causam.

Tum vero invasit totum miseratio sensum,

Nec placuit rursum mandati afferre periclum.

Amphibalo caput occulit tum teste remoto,

Subtraxit laetus paulatim ad membra lacertos,

Collectam excutiens adclini pectore vestem,

Nec patuit nudum vestito paupere corpus,

Tam propere exterior spoliatum texit amictus,

Ut votum anticipans festini pauperis, ipsum

Ignarum facti faceret, quem munere laetum

Fecerat occulto, testi manifestus egenti.

Dicite qui spreti calcantes gaudia mundi

Abjecto vitam voluistis quaerere censu,

Quis nudum proprio texit nudatus amictu?

Quis quod ferre alium doluit non ipse refugit?

Quis miser esse volens miserum miserando refecit?

Vicisti veterum, Martine, exempla virorum,

Tuque ipsum mirandus eras tum paupere tecto,

Vel cum divisae remaneret portio vestis,

Cede tibi antiquam geminasti hoc munere palmam.

Interea, quod moris erat, solemnibus horam

Esse monet diaconus conventu in plebis agendis.

Ille ait, implenda est sancti doctrina prophetae:

Praecedat missam miseratio, gratior haec est

Hostia, mandatum faciens prius obtege nudum.

Egressus paulum quaesito paupere rursum

Suggerit absentem, nec largitione repertum.

Prome age, sanctus ait, munus: non deerit egenus.

Tum vestem octava solidi vix parte coemptam

Nodosis textam setoso vellere filis

Ante pedes sancti stomachatus projicit ille,

Amoto paulum diacono pretiosa coarctat

Congaudens propere tam vili tegmine membra.

Sic altare petens et multo comptior heros

Hoc habitu, qualis regi post bella reverso

Occurrit madidus sudore et pulvere miles,

Pulchrior hoc titulis, quo membris turpior horret.

Nam speciem virtutis opus praecedit, ut altae

Radicis robur foliorum tempora transit.

Nec dubia hoc votum mox conjectura probavit.

Nam dum solemni cumulat pia dona rogatu

Prosequiturque sacris vota immortalia verbis,

Effulsit rutilans claro de vertice flamma

Splendorem capiti infundens innoxia crini

Perspicuo sursum porrecta atque edita tractu

Ignifluo liquidum perrumpens aera sulco.

Perge age continuo titulorum impulsa rotatu

Gloria, sic facili virtutum concita cursu

Ut penitus laxis currens in gladia frenis

Incipienda prius subeas quam clausa relinquas.

 

Le saint se dirigeait un jour vers le temple sacré pour célébrer, en l'honneur du Christ éternel, les mystères accoutumés. Il rencontre un pauvre tout tremblant, glacé de froid, la tête branlante ; ses dents claquaient à faire pitié. Il rapprochait ses deux mains de ses lèvres pâlies, et, du souffle de son haleine, il essayait de leur rendre un peu de chaleur ; mais cette haleine humide se séchait à mesure, amoncelée et durcie en glaçons. Sa voix, étouffée par les larmes, entrecoupée de sanglots plaintifs, n'exhalait que des sons inarticulés ; mais ces gémissements, ces cris perçants de sa douleur, avaient un langage qui faisait comprendre toute l'étendue de sa misère. Ce spectacle, qui aurait attendri le cœur le plus dur, pouvait-il ne pas toucher Martin, dont la charité déjà s'était fait connaître, et ne pas l'intéresser à la détresse, aux larmes de ce malheureux ? Il aperçoit le diacre, auquel, suivant l'usage des anciens évêques, il avait confié la garde du trésor de l'église. Il lui ordonne aussitôt de procurer au plus vite, avec l'argent et aux frais du Seigneur, un vêtement convenable à ce corps transi ; puis, comptant bien qu'il suffisait que sa volonté fût exprimée pour être accomplie, il se retire. Il gagne le secret réduit de la cellule où il a coutume, avant de célébrer les sacrés mystères, de se recueillir loin de la foule : il y entre moine, il en sortira ministre de Dieu. Mais où ne pénètrent pas les malheureux, contraints par la misère de prostituer la pudeur de leur front endurci ? Cet asile, interdit même aux prêtres, le pauvre en force l'entrée ; il se plaint qu'on diffère de soulager sa détresse. Alors le sentiment de la compassion s'empare de l'âme entière de Martin ; mais il ne veut plus s'exposer à donner encore un ordre inutile. Il rejette son amphibale[1] par-dessus sa tête ; puis, tandis que le pauvre se tient à l'écart, il baisse les bras, penche la poitrine et retire doucement sa tunique qu'il secoue et qui tombe. Il la ramasse, il en revêt le malheureux, qui n'a pas eu le temps de voir la nudité de son bienfaiteur, tant Martin a su promptement rabattre son amphibale et recouvrir ses membres dépouillés. Devançant ainsi les vœux impatients du pauvre, il laisse ignorer son action à celui-là même qu'elle soulage et console : il se cache au témoin, il ne se montre qu'a l'indigent. Dites, vous qui, méprisant et foulant aux pieds les jouissances du monde, avez rejeté les richesses pour vivre simplement, qui de vous s'est mis à nu pour couvrir de son propre vêtement la nudité d'un autre ? Qui n'a pas refusé d'accepter pour lui-même le sort qu'il déplorait dans autrui ? Qui de vous, en voulant la pauvreté, s'est appauvri charitablement pour un pauvre ? Tu as surpassé, Martin, les beaux modèles de l'antiquité ; tu t'es surpassé toi-même. Quand, pour couvrir un malheureux, tu coupas en deux ton manteau, tu fis un trait admirable, même en gardant l'autre moitié ; mais ce nouveau bienfait l'emporte, et ajoute un titre de plus à ton ancienne gloire. Cependant, selon l'usage, le diacre avertit l'évêque que l'heure est venue de célébrer l'office devant le peuple assemblé : « Il faut d'abord, répond Martin, accomplir le précepte du saint prophète : avant la messe, la charité ! Il n'est pas d'offrande plus agréable au Seigneur que l'observation de ses commandements : couvre donc, avant tout, celui qui est nu. » Le diacre sort, cherche un instant le pauvre, et rentre bientôt en disant qu'il n'est plus là, et qu'il n'a rencontré personne à secourir. « Apporte toujours le vêtement, dit Martin, le pauvre se trouvera. » Alors le diacre s'en va, pour la huitième partie d'un sou, acheter une cape grossièrement tissue d'une laine rude et noueuse, et la jette, avec colère, aux pieds du saint. Celui-ci le fait éloigner un instant, et, ravi de joie, s'empresse d'envelopper ses membres précieux de ce vil accoutrement. Il marche à l'autel sous ce vêtement qui embellit encore sa noblesse héroïque, comme le guerrier qui, trempé de sueur et de poussière, se présente à son prince au retour des batailles. L'éclat de sa gloire brille d'autant plus que les haillons de son corps sont sales et hideux. Car, après la beauté de l'œuvre, le mérite de la vertu subsiste, comme la profonde vigueur de la racine après l'éphémère durée des feuilles. C'était l'espoir de Martin ; un présage certain le confirma sur l'heure. En effet, au moment de l'invocation solennelle, pendant qu'il multiplie les offrandes pieuses et qu'il adresse au ciel, dans les termes consacrés, les vœux immortels, un jet de flamme rayonne tout à coup au sommet de sa tête, qu'il éclaire d'une vive lueur sans atteindre sa chevelure ; puis il s'allonge en traînée lumineuse, monte et s'envole en traçant dans l'espace limpide un léger sillon de feu. Marche, avance toujours, ô généreux évêque ! tourne, sans te lasser dans ce cercle de gloire ! cède à la noble impulsion des vertus qui l'entraînent. Point de frein à ton zèle, poursuis le cours de les bienfaits, recommence sans cesse et ne t'arrête point après le succès.

Quidam vir locuples Evanitus in licet istis

Astrictus mundi per vincla tenacia curis,

Attamen illaesae fidei cordisque benigni

Conservans purum terreno a crimine sensum,

Exesis penitus vehementi febre medullis

Concutiens crebro trepidantia viscera flatu

Et singultanti rumpens suspiria pulsu,

Supplex arentis confuso murmure linguae

Et plectrum vocis siccati glute palati

Impendens, fractis enisus saepe loquelis

Affectum signare suum rogat ocius ad se

Adventum sancti obtineat miseranda precantum

Ambitio, si quae stimulet vel cura doloris,

Vel pietatis amor quaerens fomenta salutis,

Hunc adeat solum renovandae ad tempora vitae,

Martini aspectum cunctas superare medelas.

Nec tarda injustum saltim dilatio votum

Credidit, oblatis divino munere signis,

Hanc satis esse fidem mox et res ipsa probavit.

Vix dum vel medii transcursa parte laboris

Restabat pars magna viae, praevenit euntem

Gratia, praemisit speratae dona salutis

Praecedens tardos virtus pernicior artus.

Occurrit validus medico: gratantur uterque

Corpore sanato transfusam in corde salutem,

Dum fidei meritis crescit curatio carnis.

 

Un homme riche, Evantius, attaché, il est vrai, par des liens puissants aux affaires de ce monde, avait sa pourtant conserver une foi sans tache, une âme honnête, et pore des vices de la terre. Consumé par une fièvre violente qui lui dévore les entrailles, la poitrine brisée par les secousses répétées d'une respiration pénible et haletante, il pousse, à travers les sanglots, des soupirs convulsifs ; il veut parler, mais sa langue desséchée ne rend que des sons confus ; la salive glutineuse qui s'attache à son palais aride étouffe le timbre de sa voix. Enfin, après mille efforts pour rassembler quelques mots entrecoupés qui expriment son désir, il demande au plus tôt la présence du saint, il vent qu'on obtienne cette faveur de sa pitié par les sollicitations et les prières. S’il est un cœur qui s'intéresse à ses souffrances, ou qui l'aime assez pour chercher les moyens de le sauver, qu'il s'adresse à Martin : lui seul peut rendre la vie au malade, car la présence de Martin est le plus efficace de lois les remèdes. Son espoir était fondé, il ne tarda pas à se réaliser. Il vivait cru aux signes apparents de la bienfaisance divine : cette foi lui suffit, l'événement le prouva, Martin avait à peine franchi la moitié du chemin, une grande distance lui restait encore à parcourir, mais la grâce le précède ; sa puissance, plus agile, a devance les pas tardifs du saint homme, et porté avant lui au malade le salut désiré. Evantius, qui a repris ses forces, accourt au-devant du médecin ; tous deux se félicitent de cette guérison du corps, opérée par le salut de rame, car les mérites de la foi avaient hâté le rétablissement de la santé.

Ergo ut sublata est cunctarum causa morarum,

Confestim remeare volens cuncta prece victus

Praestitit unius spatia exorata diei.

Sed breve quod fuerat spatio, virtutibus amplum est,

Arctum compensat non arcta operatio tempus.

Nam puerum quem forte malus lethaliter ictum

Perculerat serpens infectum felle veneni,

Cum jam liventes virus distenderet artus

Atque ipsis etiam penitus vitalibus haustum

Serpentis ferale malum quasi morte peracta

Solveret inferno marcentia lumina somno:

Ipse herus inflectens justo pia corda labori

Pertulit ad veri vestigia sancta patroni,

Non dubitans meritis per tot documenta probatis

Quod praesens possit tactu depellere virus,

Qui veniens morbos solo terrore fugasset.

Nec mora, contactum dextra medicabile vulnus

Purgavit tetro figentia membra veneno,

Et quacunque manus per corpus sancta cucurrit

Mors fugit, sed vita redit; remeavit ad unum

Mox pestis collecta locum. Tum vulnere solo

Stipavit jussum confestim erumpere virus,

Et puer intrepido firmans vestigia nisu

Gressibus impavidis domino gaudente cucurrit.

Hac dives mercede redis, haec munera sumis

Adjectae munerans felicia dona salutis.

Quod tempus vacuum virtutibus egit in ipso?

Quae via non coelum petiit licet hospita terris?

 

Martin, qui n'avait plus de motif pour prolonger son séjour, voulut repartir aussitôt ; mais, vaincu par les instances d’Evantius, il consentit, sur sa demande, à rester encore un jour ; espace bien court si on compte les heures, mais bien long si on considère les œuvres. La brièveté du temps fol compensée par la grandeur du miracle. Un esclave avait été ru or tellement blessé par un serpent ; l'acre venin du dangereux reptile s'était glissé par tout le corps, et gonflait déjà les membres livides : les sources mêmes de la vie étaient infectées de ce fiel homicide ; la mort semblait venue, un sommeil infernal avait fermé déjà les paupières flétries. Le maître de l'esclave, Evantius, se prêtant avec un zèle charitable à l'accomplissement d'un noble devoir, le porta lui-même aux pieds sacrés du véritable patron des malades, comptant sur ses mérites tant de fois éprouvés, et ne doutant pas que Martin, par sa présence et son toucher, ne pût éloigner ce venin, lui qui, du seul effroi de son approche, avait, la veille, dissipé tant de maux. Aussitôt, en effet, son contact salutaire guérit la blessure et purgea de ce noir poison les membres glacés. A mesure que la sainte main se promène sur chaque partie du corps, la mort recule, la vie reparaît ; Martin ramène ainsi peu à peu toute la masse du venin sur un seul point, la presse et la fait jaillir aussitôt par l'ouverture même de la piqûre. Affermi sur ses jambes, l'esclave se lève hardiment, et, d'un pied sûr et leste, se met à courir devant son maître, ravi d'un tel prodige. Ce fut le prix de la journée, ce fut ta récompense, ô Martin ! Tu pars après cela, heureux de compter un homme de plus sauvé par tes bienfaits. Et sur les routes même, quelle heure ne fut pas marquée par tes miracles ? quel chemin ne t'a pas mené au ciel, bien que voyageant sur la terre ?

Lustrabat caulas commissi pastor ovilis

Queis pia rurestrem claudebat Eclesia plebem,

Ne furum fortasse doli rabiesve luporum

Incautas pecudes raperent custode remoto,

Interea sociis paulum fortasse relictis

Carpebat praegressus iter qua publicus agger

Porrigit erectam per plana jacentia molem.

Ut via constratis solidata atque edita saxis

Vergeret effusos in concava subdita nimbos

Et gravis in duro non sideret orbita colle,

Mersaque ne luteum sorberent plaustra profundum

Sed summae vix dorsa viae vertigo rotarum

Raderet, haud ullo signans vestigia sulco.

Sed procul impacti tinnitu prodere ferri,

Hoc Martinus iter paulum praegressus agebat,

Cum subito ingenti properantem turbine rhedam

Obvius aspexit, tumidos quae forte vehebat

Militiae terrore viros: non ordo furorem,

Non ratio insanam poterat componere mentem

Ambitio, ebrietas, clamor, furor, ira, tumultus,

Miscebant variis incondita pectora monstris,

Exanimesque inter mulas trepidosque magistros,

Verbera caedentum resonabant verba clamantum,

Nec standi lex ulla inerat, nec cura pericli

Tardabat celerem per plana, per ardua cursum.

Talibus ergo viris habitu diversus et ore,

Obvius occurrit sanctus, timuere verendam

Jumenta adversi faciem, cessere trementes

Aggere de medio mage sano pectore mulae

Innexae implicitis trepidantia corpora loris;

Ut quondam sanctae vetitum maledicere plebi

Lectio fert asinam Dominum tempsisse profanum

Elisam adclini pressantem corpore plantam.

Tum vero insano suffusi corda veneno

Desiliunt, spes est voti data causa furendi,

Ausi et sacrilegas in sanctum extendere dextras,

Verberibusque pium certatim elidere corpus.

Insontem solum, mitem, placidum, patientem,

Irati, instabiles, multi, tumidi, furiosi,

Obvia verberibus prorsus nec verba ferentem

Impellunt, retinent, elidunt: ora madescunt

Sanguine, confusum rumpunt spiramina pectus,

Liventer fracto nigrescunt gutture fauces.

Languentesque oculi solo de lumine Christi

Praesentes pensant tenebras caligine noctis,

Deficit aspectus, sed spes in pectore lucet.

Talem igitur socii postquam aspexere magistrum

Exanimes, viso pallescit turba patrono,

Extendens humiles ad sustentacula dextras,

Blandaque sanguineis affigens oscula membris.

Tum properant dirae loca tristia linquere caedis.

Subditus excepit venerabile pondus asellus

Assuetum vecturus onus. Sed corpore flexo

Nutat semianimis acclinis sarcina membris,

Et dubios casus jamjam lapsura minatur.

Interea expleto satiati corda furore

Ad rhedam rediere viri, pernicius inde

Praecipiti cogunt jumenta erumpere saltu.

Ut quidquid fuerat funesta in caede morarum,

Confestim celeris pensarent turbine cursus.

Verum haec frustra adhibent molimina, fixa rebellant

Imperio jumenta truci: riguere ligatae

Arbitrio domini statuarum in imagine mulae.

Tum vero insano propius calet ira tumultu.

Nil voces, nil flagra valent: contusa resultant

Ilia, vicinas rapiunt ad verbera silvas,

Saxa, sudes, fustes, stimulos, quod cuique repertum

Rimanti telum ira facit, consumit in ictus.

Nec tamen haec possunt nervos laxare rigentes

Aut fixos mutare artus, frigentia credas

Aera, vel expressas saxis riguisse figuras.

Tandem consumpto penitus fractoque furore

Admisit sanum vecors dementia sensum,

Ut scirent nexas inter tot verbera mulas

Judicio torpere Dei, causamque morarum

Non sine divino miseris contingere nutu.

Cum demum admoniti monstris, positoque furore

Peccati memores quaerunt, quisnam ille verendo

Corpore sacrilegos pulsantum exceperit ictus.

Ecce autem audito Martini nomine proni

Accurrunt laceros turpati pulvere crines,

Rorantesque genas lacrymarum fonte rigantes

Innectunt humiles plantis felicibus ulnas,

Poscentes veniam pariter, pariterque fatentes.

Nec sane dilata diu est miseranda precantum

Ambitio, exclusit longos clementia fletus,

Et veniae donum praevenit vota rogantum.

Nec mora libertas abeundi reddita, verbo

Laxavit celeri jussarum frena morarum.

Dicite quid vestri velox evectio regis

Efficiat tardante Deo, conferte coruscas

Gemmarum radiis frontes, et tegmina setis

Hispida, virtutum titulos, pompasque jubentum;

Tum saltim edocti meritorum pondere sancti

Imperium vestro melius praeponite regi.

 

 

Le saint pasteur visitait un jour les brebis confiées à ses soins, les bergeries où l'Eglise avec amour tenait renfermé son peuple des campagnes, pour soustraire, en l'absence du gardien, ces troupeaux sans défiance aux pièges de l'ennemi et à la rage des loups ravisseurs. Il avait laissé ses compagnons à quelque distance ; il marchait en avant, au milieu du grand chemin qui étendait au loin sa haute et droite chaussée au-dessus de la plaine. Cette voie bombée, solidement assise sur des couches de pierre, rejetait les eaux pluviales dans les ravins : la roue pesante ne pouvait pas s'enfoncer sur cette dure levée, et les chariots ne risquaient pas de s'engloutir et de s'embourber dans les profondeurs de la vase ; au contraire, le char, en roulant, rasait à peine le dos de la route, qu'il effleurait sans tracer de sillon, et s'annonçait de loin par le cliquetis du fer qui heurtait les cailloux. Martin, qui devançait un peu ses compagnons, suivait donc ce chemin, quand tout à coup il voit venir à loi, tourbillonnant avec une. vitesse impétueuse, un chariot qui portait des soldats. Fiers de la terreur inspirée par les armes, ces hommes ne savaient pas modérer, par le calme et la raison, les vains transports d'un bouillant caractère. L'amour-propre, l'ivresse, les cris, la colère, la rage, le tumulte, tout se réunissait pour égarer ces esprits désordonnés. Les mules étaient hors d’haleine, leurs guides redoublaient d'ardeur ; le fouet à grand bruit frappait et les bouches juraient tout ensemble. Rien n'arrête ces forcenés : la crainte même du péril ne saurait ralentir leur course rapide, qui brave les pentes et les montées de la route. C'est devant de tels hommes, dont il diffère entièrement de maintien et de visage, que se présente le saint évêque. Son aspect vénérable effraye les mules, qui, toutes tremblantes et mieux inspirées que leurs maîtres, se détournent du milieu de la chaussée, et s'embarrassent épouvantées dans les courroies de leur attelage. Telle autrefois, selon l'Ecriture, une ânesse refusa d'obéir à son maître profane qui, malgré la défense du Seigneur, allait maudire le peuple sacré, et lui écrasa le pied en serrant son corps contre la muraille. Le cœur gonflé de bile et de rage, les soldats sautent à terre : ils ont trouvé ce qu'ils désiraient, l'occasion d'exercer leur furie. Ils osent porter sur le saint leurs mains sacrilèges ; ils accablent de coups redoublés ses adorables membres. Il était seul, inoffensif, plein de douceur, de cal « ne, de patience ; ils étaient plusieurs, ivres de colère, de vin, d'orgueil et de fureur. Il supportait les coups sans se plaindre ; ils le poussent, le pressent, le déchirent. Le sang coule de son visage, sa poitrine brisée respire avec peine ; une noire empreinte marque son cou livide et sa gorge meurtrie ; ses yeux languissants sont fermés au jour, la lumière du Christ les éclaire seule encore ; au sein de la nuit qui les enveloppe, la vue lui manque, usais l'espoir luit dans son cœur. Ses compagnons arrivent ; en voyant leur maître, leur saint patron dans cet état, ils pâlissent à demi morts d'effroi. Ils se baissent, tendent leurs mains pour le soutenir, appliquent les plus tendres baisers sur ses membres ensanglantés. Puis ils se hâtent de quitter ces tristes lieux, témoins d'un si cruel massacre. Ils placent le vénérable fardeau sur un âne, sa monture ordinaire ; mais ce corps plié, ces membres défaillants penchent et chancellent, et, dans cette position mal assurée, menacent à chaque instant de perdre l'équilibre. Cependant, satisfaits d'avoir assouvi leur rage, les soldats reviennent près du chariot. Ils veulent forcer les mules à reprendre leur élan, à repartir au plus vite, afin de racheter, par l'impétueuse rapidité de leur marche, le temps qu'ils ont perdu à ce crime odieux, mais ils déploient en vain tous leurs efforts : les mules, immobiles, résistent à leur brutal commandement, elles restent, par la volonté du Seigneur, enchaînées à leur place comme des statues. Leur folle colère s'échauffe alors jusqu'au plus stupide emportement. Les cris, les coups sont impuissants ; le fouet retentit sans succès sur le flanc meurtri des mules ; ils arrachent même, pour les frapper, les arbres d'une forêt voisine. Les pierres, les bâtons, les pieux, les épines, tout ce qu'ils trouvent sous leurs mains, leur colère s'en fait une arme, un instrument de torture. Mais rien ne peut détendre les muscles roidis des mules, ou déplacer leurs pieds attachés à la terre : on dirait des simulacres d'airain, des images de marbre sans chaleur et sans vie. Leur fureur enfin se lasse et s'épuise, et leur esprit égaré revient à la raison. Ils comprennent que, si les mules ne bougent pas, malgré les coups, c'est la justice de Dieu qui les tient en arrêt, et que le retard qu'ils éprouvent leur est infligé, pour leur malheur, par un décret d'en haut. Eclairés alors par ce prodige, ils abjurent leur colère, et, songeant à leur forfait, ils demandent quel est le personnage dont le corps vénérable a reçu les atteintes de leurs mains sacrilèges. A peine ils ont entendu le nom de Martin, qu'ils accourent et se prosternent, traînant leurs cheveux épars dans la poussière, inondant d'un torrent de larmes leurs visages éplorés : ils enlacent humblement de leurs bras les pieds du bienheureux, implorant leur pardon et confessant leur faute. Il ne résista pas longtemps à leurs supplications, à leurs lamentables prières ; sa clémence leur épargna l'affront d'un plus long repentir, et le don de leur grâce avait devancé leur demande et leurs vœux. Il leur accorde aussitôt la permission de s'en aller : d'un mot, et sur l'heure, il détruit l'obstacle forcé qui s'opposait à leur départ. Dites, maintenant, à quoi bon les coursiers rapides que vous fournit votre empereur, si Dieu vous arrête ? Comparez ces fronts de prince, où l'éclat des diamants étincelle, avec ce hideux accoutrement de poils de chèvre, les glorieuses vertus de l'évêque avec le faste de vos maîtres ; et apprenez enfin, en pesant les mérites, à préférer sagement l'autorité du saint à celle de votre empereur.

Perge, age, continuo virtutum stemmata tractu

Historiam pangendo refer, via versa sacerdos

Ingeniumque meum, tu cordis plectra vel oris

Auxilio continge tuo, vesana loquentes,

Dementes rapiant furiosa ad pectora Musas.

Nos Martinus agat, talis mutatio sensus,

Grata mihi est, talem sitiunt mea viscera fortem,

Castalias poscant lymphatica pectora lymphas,

Altera pocla decent homines Jordane renatos.

Marche, avance, poursuis la brillante carrière ouverte à tes miracles : déroule-nous, ô pieux évêque, les pages de ton histoire. Grâce à toi, j'ai changé de route et d'inspiration : seconde les accents de mon âme et de ma voix. Que les chantres profanes empruntent à des muses maniaques les transports d'un fol enthousiasme ; pour moi ; je veux que Martin soit mon guide : c'est une nouveauté qui plaît à mon esprit ; c'est à cette source que mon cœur aspire à se désaltérer. Que des imaginations vagabondes recherchent les vagues de Castalie ; il faut un autre breuvage aux hommes régénérés par le Jourdain.

Rursus iter gressus venerabile sanctus agebat

Carnotina jacent patulis qua moenia campis.

Ergo hic fecundi dum praeterit avia ruris,

Vicinum implevit justa admiratio vicum.

Innumeri passim coeunt et sexus et aetas,

Omnes denudat vacuos cultoribus agros

Gloria tanta viri; minor est jam cura domorum,

Martinum vidisse sat est, hoc nomen et ipsi

Pro laudis titulo recte stupuere profani.

Et quanquam nec dum fidei virtute recepta

Ad famam tanti raptim affluxere magistri.

Stipabat densum populis rurestribus agmen.

Texerat expositos justa admiratio campos,

Quem fructum tantae segetis satione salutis

Commissis cupidos gauderes condere claustris,

Respiciens vacuos granorum pondere culmos.

Cum subito exanimum nati complexa cadaver

Mater adest, pulsans cassos ad viscera rictus,

Et querulum immergens labris glacialibus uber

Allegans tremulas inter suspiria voces,

Pallentesque rigans lacrymarum flumina malas.

Persensit mens plena Deo vicina faventis

Dona Dei: purum vegetavit gratia sensum

Fideret ut tantum divina ad praemia plebem

Perspecta saltim Domini virtute vocandam.

Ergo ut defuncti funus miserabile nati

Supplex imposuit matris felicibus ulnis,

Attacti nutare artus, reserata patere

Lumina, et infusam paulatim assuescere lucem,

Et plectrum humentis collidens lingua palati

Faucibus expressam verbis distinguere vocem,

Brachiaque innexo gaudens suspendere collo

Martiniam plexus neglecta matre poposcit.

Pande sinus patulos populis ditata receptis,

Adjectamque tibi gaudens amplectere plebem

Sponsa Dei, totum rapiens ad viscera mundum.

Vos vero in miseris dudum fetentia bustis

Idola, gaudendos tandem lugere triumphos.

 

Dans un autre voyage, le saint dirigeait ses pas vénérables vers les vastes campagnes où sont assis les remparts des Carnutes. Comme il traversait une plaine fertile, éloignée de la route et voisine d'un village, l'envie si naturelle de l'admirer attira de tous côtés une foule innombrable. Tout le monde accourt, sans distinction de sexe ni d'âge : la grande célébrité d'un tel homme dépeuple les campagnes ; les habitants ne songent même plus à la garde de leurs demeures : s'ils voient Martin, ils sont contents. A ce nom, en présence de tous ces titres de gloire, les païens eux-mêmes sont frappés d'un juste respect ; et quoiqu'ils n'aient point reçu encore les dons de la foi, ils se précipitent en masse au bruit de l'arrivée d'un si grand maître. Autour de lui se pressent les rangs épais d'une population agricole dont la curieuse affluence couvre au loin la campagne : riche et belle moisson à recueillir après la semence du salut ! et qu'il aurait de joie à l'enfermer dans les greniers confiés à ses soins, s'il pouvait, comme il le désire, féconder ces chaumes dont les épis sont vides encore ! Soudain se présente une mère serrant entre ses bras le cadavre de son fils expiré : elle pousse vainement contre son sein la bouche ouverte de l'enfant, et plonge sa mamelle entre ces lèvres glacées ; elle gémit, les sanglots étouffent sa voix tremblante, un torrent de larmes inonde son pâle visage. L'âme pleine de Dieu comprend aussitôt la faveur que la main de Dieu lui envoie ; la grâce lui inspire une noble pensée, l'espoir et la confiance d'appeler tout ce peuple à participer aux célestes récompenses en lui montrant un exemple de la puissance du Seigneur. A peine la mère suppliante eut déposé entre les bras du bienheureux les restes inanimés de son pauvre enfant, que soudain, à ce contact, les membres tressaillent, les yeux se rouvrent et s'accoutument par degrés à la lumière qui leur est rendue ; la langue, frappant le timbre du palais qui se mouille, traduit en paroles les sons qui, s'échappent du gosier. L'enfant, suspendu au cou de son sauveur, l'enlace de ses mains, et recherche les embrassements de Martin sans songer à sa mère. Ouvre ton large sein pour recevoir ces trésors nouveaux, heureuse épouse du Seigneur, accueille en ton giron ce peuple conquis à ton amour, qui attire à soi le monde entier. Et vous, qui croupissez depuis si longtemps dans vos sépulcres maudits, pleurez, idoles, pleurez ces triomphes qui font notre joie !

Quae non corda tibi cedebant, sancte, docenti?

Quae feritas non mitis erat? cum semper in ipsis

Regibus oppositum contra tua vota rigorem

Praevia molliret Domini clementia Christi?

Sed mage trux reliquis vitioque tumoris, et irae

Terribilis solum Valentinianus agebat.

Quem cum saepe ducem supplex Martinus adiret

Difficilem allegans duro sub principe causam.

Tam jugi offensus rex ambitione precantis

Ne saepe obstructas pulsaret quaestibus aures,

Arceri foribus sanctum jubet. Ille repulsus

Deserit infensi penetralia turbida regis

Mallens aeterni pulsare ad limina Christi,

Atque illam penetrare aulam quae regibus ipsis

Jus tribuit, certis concludens tempora metis,

Astringens validis licet ora rigentia frenis.

Ergo ad consuetum remeat mens tota vigorem

Affligens tenuem defesso in corpore carnem.

Exesam stimulans setoso tegmine pellem,

Jejunando diem ducens, vigilando tenebras,

Continuo et fletu connectens tempus utrumque.

Ac si quando brevi cessissent lumina somno,

Nuda humus ad tenuem sat erat subjecta soporem,

Donec moestitiam sancti miserantis alumni

Christus ad afflictum solatia misit amicum

Alloquio delata pio: nam lapsus ab alto

Angelus haec Domini mandati verba profatur:

Perge, age, ut obstructam penetres securus ad aulam.

Nil septum est, miserante Deo, cui regia coeli

Oranti patuit, terrena haec claustra patebunt.

Nec mora: divini tanto sponsore favoris

Certa fides; petit intrepidus penetranda tyranni

Limina, concessit tumidi custodia regis,

Armaque ad excubias dirarum objecta minarum.

Quem postquam solio subito rex vidit ab alto,

Obstupuit visu attonitus, torvumque trementes

Aspexit minitans regali a sede ministros.

Interea ut spreto caperet solatia sancto,

Cominus astantem nullo dignatus honore

Immotis pressit subjecta sedilia membris.

Ecce autem rapido crepitantis turbine flammae

Ignis atrox vindex divino munere missus

Involvit solium regis partemque sedentis.

Tum demum celeri linquens incendia saltu

Excussis fixit trepidus vestigia membris

Extortum redhibere pio gratatur honorem,

Et blando affectu causam removere precandi

Subdens praeceptis immitia pectora sanctis,

Et flectens dociles ad verba jubentia mores.

Quin et larga satis regali dona paratu

Ingressit. Sed nil de mundi sumere censu

Mens opulenta Deo voluit, terrena relinquens

Praemia, at aeterni recondens munera Christi.

 

Quels cœurs ne cédaient pas, ô saint homme, à tes remontrances ? Quelle rudesse alors ne se changeait pas en douceur ? Quand les empereurs eux-mêmes voulaient s'opposer à tes désirs, la clémence du Seigneur Jésus te préparait les voies et fléchissait leur rigueur. Un seul pourtant se montra plus intraitable, ce fut Valentinien, terrible, surtout par son arrogance dédaigneuse et son penchant à la colère. Pendant qu'il occupait le trône, Martin se présenta plusieurs fois à sa cour pour essayer d'aplanir, par ses prières, les obstacles que lui suscitaient les dures volontés de ce prince. Ennuyé des instances d'un solliciteur si opiniâtre, et ne voulant pas écouter ses plaintes qui lui blessaient les oreilles, l'empereur lui fit défendre l'entrée du palais. Le saint, repoussé, quitte la demeure tumultueuse de ce prince ennemi ; il aime mieux frapper aux portes de l'éternel séjour du Christ, et pénétrer dans cette cour qui donne aux rois eux-mêmes leur autorité, marque et prescrit des bornes à leur durée, et serre d'un frein puissant leur bouche impatiente. Son âme tout entière reprend son énergie accoutumée : il fatigue son corps en macérant sa faible chair ; il pique sa peau flétrie des aiguillons du cilice ; il passe le jour dans le jeûne, et la nuit dans les veilles ; en tout temps, à toute heure, coulent ses larmes intarissables. Si parfois un sommeil léger vient lui fermer les yeux, la terre nue lui suffît pour prendre un instant de repos. Le Christ fut louché de la douleur de son pieux disciple : il fit porter à cet ami désolé de tendres et consolantes paroles. Un ange du Seigneur descendit du ciel, et lui transmit en ces termes les ordres d'en haut : « Lève-toi, marche, et pénètre avec assurance dans ce palais qui t'est fermé ; il n'est point d'obstacles devant la grâce du Seigneur. Puisque la cour céleste s'est ouverte à tes prières, ces barrières humaines tomberont devant toi. » Martin n'hésite pas ; et, comptant sur la faveur divine dont il a un garant certain, il se dirige hardiment vers le palais pour en franchir le seuil. La garde du tyran superbe lui livre passage et abaisse ces armes qui veillaient pour exécuter de cruelles menaces. L'empereur était sur son trône ; en apercevant Martin, il pâlit frappé de surprise, et lance du haut de son siège impérial un regard terrible et menaçant sur ses officiers épouvantés, Cependant il affecte, pour se consoler, de mépriser le saint qui était debout en face de lui, et, ne daignant pas lui faire honneur, il demeure immobile et assis. Mais voici que la flamme pétille en tourbillons rapides ; un feu vengeur, envoyé par la justice divine, enveloppe le trône et le corps de l'empereur. Valentinien s'élance avec vitesse en bas du siège pour échapper à l'incendie ; il s'empresse en tremblant de secouer ses membres, et reste malgré lui sur ses pieds, forcé ainsi de rendre hommage au pieux évoque, il s'en félicite alors, il lui épargne, par de douces prévenances, tout sujet de plainte ou de prière ; et, soumettant son cœur farouche aux sacrés commandements, il plie docilement son orgueil aux volontés de Martin, bien plus, il le charge, avec une royale magnificence, de dons et de largesses ; mais l'Ame que Dieu enrichit de ses trésors ne veut point des libéralités du monde ; elle refuse les présents des hommes, et se réserve pour les récompenses du Christ éternel.

 

Nunc quia plebeis vilissima carmina verbis

Irrupere humili praecelsa palatia versu,

Contiguo, ut Christus dederit, sermone loquemur

Subdita sanctarum meritis fastigia rerum.

Postquam, ut transcursi signavit pagina libri,

Maximus impositi purgavit crimina regni,

Jugibus officiis coeptum servare favorem

Prudenter studuit: nam sic arcessere sanctum

Gaudebat cupiens divini flumine verbi

Irriguam potare fidem, de fonte beati

Oris nectareum doctrinae haurire liquorem,

Discere sanctorum titulos et gesta piorum,

Quae decertantes sudarent praelia, quaeve

Praemia victores caperent, quae gloria justos

Excipiat, quae poena reos clementia Patris

Ut foveat, quantum afficiat sententia regis.

Talia quaerenti congaudens singula sanctus

Pandere, et ejectis lumen revocare tenebris.

Ac non inferior tanto regina marito

Devota obsequiis vincebat sedula regem,

Pendens sanctifico semper narrantis ab ore,

Et largo propter spargens vestigia fletu.

Illius aequabat meritum quae crine beato,

Lota prius lacrymis Domini vestigia tersit.

Verum haec parva putat speciali accincta seorsum

Affectu servire parans, ut sola remotis

Instrueret mensas felix regina ministris.

Nec prius adjuncto contendens saepe marito

Destitit a precibus, quam sanctum cedere crebros

Continuans fletus jugi ambitione coegit.

Apponit mensam, sellam locat, ingerit ultro

Lintea siccandis manibus lymphasque lavandis.

Et quas obsequio congaudens coxerat escas

Ipsa in perspicuis properat deferre canistris.

Et quanquam officiis nunquam defessa vacasset,

Supplebat jugem standi virtute laborem,

Pro tanti mercede operis venerabile munus

Micarum fragmenta legens, quibus esca fidei

Esuriem sanctam tactu pretiosa repleret.

O felix virtute tua regalibus istas

Anteferens gazas opibus, servire beato

Mallens, quam toto penitus praecellere mundo,

Ad famulae nomen referent regnantis honorem.

Non tibi sidereis radiantia tempora gemmis

Mutavere animum, rutilisque rigentia filis

Serica, contextoque aurum pretiosius austro.

Aequasti merito tantae, regina, fidei

Illam quae similis solii sublimis honore

Venit ab extremis Salomonem agnoscere terris,

Auditu captans docili quod mente retentans

In se quod tenuit longe progressa petivit:

Talia subjecti calcati obstacula mundi

Femina priscorum titulis aequata virorum.

Nam saepe invictos multo in certamine reges

Sola jugum renuens funesta superbia vicit.

Recte igitur sancti donum speciale tulisti

Ut tibi mollito paulum positoque rigore

Mitia siderei cordis secreta paterent.

Quam multos licet exiguo laxata sereno

Frons pia clementer jussit considere fluctus,

Quantas sedavit moderatior aura procellas,

Et breviter rutilans licet inter nubila sudum!

Quam tristes haec mensa reos, quae vincula solvit

Libertas permissa parum, quantasque catenas

Discussit laxans proprium brevis hora rigorem!

Nam tempus, persona, locus sapientibus astant

Consiliis, subitaque animum ratione gubernant;

Nec mihi feminei praetendas nomina sexus

Invide, non artis meritum sed corda parabunt.

Nec minor est natura humani F homini] cum gratia par sit,

Nec distet merito fidei gens, sexus, et aetas,

Vir, mulier, servus, liber, peregrinus, et haeres.

Credentis meritum praestat, non gloria carnis.

 

Maintenant, puisque le langage plébéien de mes pauvres vers s'est glissé humblement dans les superbes palais, je dirai de suite, et dans les termes que Jésus daignera m'inspirer, comment la grandeur des rois s'est abaissée devant les mérites des saints. Quand Maxime se fut disculpé, connue je l'ai raconté dans les pages du livre qui précède, du crime d'avoir accepté l'empire, il s'étudia sagement à conserver par une suite de bons offices, l'amitié naissante de Martin. Ainsi, il se plaisait à l’appeler près de lui, avide de s'abreuver des eaux de la foi au torrent de cette divine parole, de puiser à sa source le nectar de la science qui coulait de ces lèvres bénies, de connaître les vertus des saints et les œuvres des fidèles, les rudes combats à soutenir par les défenseurs du Christ, les récompenses accordées aux vainqueurs, la gloire réservée aux justes, la peine infligée aux méchants, les tendres sains de la clémence du Père, les terribles effets le la sentence du Roi. Le saint répondait volontiers aux questions de Maxime, lui expliquait tout avec complaisance, et chassait ainsi les ténèbres de son esprit on il ramenait la lumière. De son côté l'impératrice ne le cédait point à son noble mari ; elle surpassait même le dévouement de l'empereur par l'assiduité de ses hommages. Toujours suspendue aux lèvres du saint pour entendre ses récits elle arrosait de ses larges pleurs les pieds de Martin, égalant ainsi en mérite cette pécheresse qui, après avoir baigné de ses larmes les pieds du Seigneur, était heureuse de les essuyer avec ses cheveux. Mais ce n'était rien encore : par une attention toute particulière, elle veut le servir elle-même ; elle veut, seule et sans le secours des serviteurs du palais, lui faire les apprêts d'un festin : l'humble souveraine met là tout, son bonheur. Elle réunit ses instances à celles de son mari pour implorer cette faveur du saint évêque, qui, vaincu par ses larmes sans fin et ses continuelles sollicitations, fut contraint de se rendre. Elle approche une table, place un siège, présente l'eau pour laver les mains, le linge pour les essuyer, et les mets que, joyeuse de remplir en tout son devoir, elle a fait cuire elle-même, elle s'empresse aussi de les apporter elle-même sur de riches corbeilles. Elle s'acquitta de ces fonctions sans prendre aucun repos, sans jamais céder à la fatigue ; elle ajouta même à ces pénibles travaux par sa constance à se tenir debout : et pour récompense d'un si beau dévouement, elle ne demande que la grâce de recueillir les miettes de la table, restes précieux qu'une main vénérable a touchés, nourriture toute chrétienne dont la sainte reine apaisera sa faim. Heureuse femme, dont la vertu préfère de tels trésors aux richesses impériales, qui aimes mieux servir un saint homme que commander au monde entier, et rabaisses au nom de servante ton titre de souveraine ! Rien n'a pu changer ta détermination, ni ton front qui rayonne étoile de pierreries, ni tes parures où les fils étincelants du métal rendissent les tissus de la soie, où l'or mêlé à la pourpre en relève l'éclat. Grâce au mérite d'une foi si vive, tu marches l'égale, ô reine, de cette autre femme élevée, comme toi, aux honneurs du rang suprême, et qui vint des extrémités de la terre pour connaître Salomon. Prêtant l'oreille aux saints discours qui restent gravés dans ton âme, tu prodigues les trésors de ton cœur par amour pour la parole du sage : l'autre n'était venue de si loin que pour demander l'explication de ce qu'elle avait dans l'esprit. En foulant ainsi aux pieds les obstacles et les préjugés du monde, ô femme, tu rivalises de gloire avec les héros de l'antiquité : car bien souvent des rois invincibles dans les batailles ont été vaincus par un seul ennemi, par l'orgueil, qui ne sait point fléchir. Tu as bien mérité que le saint, par une faveur toute spéciale, adoucît un peu et désarmât pour toi sa rigueur, qu'il laissât paraître les secrètes bontés de son âme céleste. Que de vagues soulevées se sont aplanies à l'aspect de ce front pieux et riant, pendant la courte durée de cette sérénité passagère ! Que d'orages se soit calmés sois la douce influence de cette brise caressante, devant ce par rayon qui ne brilla qu'une heure à travers les nuages ! Que de pauvres acensés ce repas a sauvés, que de captifs délivrés par cette condescendance d'un moment ! Que de chaînes Martin a fait tomber en se relâchant, pour un instant si court, de son austérité ! La raison du sage doit toujours considérer le temps, le lieu, la personne, et, diriger sa conduite d'après les circonstances qui se présentent. Que l'envie ne vienne pas nous objecter le sexe de l'impératrice : ce n'est point avec son corps, mais avec son cœur, que cette femme a gagné la bienveillance de Martin, D'ailleurs, la femme n'est point inférieure à l'homme par sa nature, si elle est pourvue autant que lui des mérites de la grâce. Nul n'est exclu du bénéfice de la foi par la naissance, par le sexe ou par l'âge ; qu'on soit homme ou femme, libre ou esclave étranger ou indigène, c'est la ferveur de la croyance qui nous distingue, et non les qualités de la chair.

Denique quid sexum hunc studio meruisse fideli

Compererim brevibus cupiens perstringere signis,

Hoc quemcunque dabit Christus sermone retexam.

Dum progressus iter carpit venerabile sanctus

In noctem vergente die, vicina petivit

Tecta, et gaudentis susceptus culmine vici

Expetiit properans sancti penetralia templi.

Atque hic ut semper benedicti liminis hospes

Permisit fessum paulum requiescere corpus,

Laxans exiguo marcentia lumina somno,

Ut renovata brevi saltim modicoque sopore

Sufficerent jugi tenuissima membra labori,

Et ferrent vigilem per sustentacula mentem.

Verum ubi transegit tenebras et nocte refulgens

Lux operum cunctis propere solemniter actis,

Rursus iter festinus agit, tum vero fidelis

Turba puellarum Domino quas sancta sacrarat

Virginitas carne intactas, et corde pudicas,

Me festinantem coeli ad sublimia mentem

Ad terram premeret fragilis corruptio carnis,

Irrumpit sanctae gaudens penetralia cellae

Hospitio benedicta pio, flatusque recentes

Haurit, et insectas absorbet anhelitus auras.

Tunc humili obsequio solium doctoris adorat

Officio docto raptim loca singula signant

Quae tetigere pedes stantis, quae membra jacentis,

Quae sancto benedicta cibo, quae pressa sedili,

Vel quae prostratis oranti subdita membris.

Ut vero aspectu benedicti stramine lecti

Tantavere pio tepefactum corpore fenum,

Certat ad inventam violenta modestia praedam;

Dum partem sibi quaeque rapit, sinibusque repletis

Laevia densati compungunt pectora culmi,

Atque arcent tenues stimulato pectore vestes;

Quid non vera fides faciat? sorte una cohortis

Virgineae, nec corde minus quam corpore casta,

Cum quemdam miserum violento jure retentans

Cogeret in furias daemon prorumpere jussas,

Excutiens sanum captivo a pectore sensum,

Auxilio confisa Dei, meritoque patroni,

Particulam aptae sapienter prodiga praedae

Faucibus innectit miseri colloque furentis

Suspendit pressum benedicto corpore fenum.

Nec mora, et attactu confestim territus hostis

Arentes stipulas saeva ut incendia fugit,

Impar contactis Martini corpore culmis.

 

Ce sexe, par l'ardeur de son zèle et de sa foi, obtint encore d'autres avantages : ce que j’en sais, je me contenterai de le retracer en quelques lignes, et dans le simple langage qui me sera dicté par le Christ. Martin s'était mis en route pour accomplir un pieux voyage. Le jour étant sur son déclin, il se dirige vers un village voisin qui le recuit avec allégresse. Il entre dans l'église et se relire aussitôt dans la sacristie, son asile accoutumé. Là, l'hôte du saint lieu accorde quelques instants de repos à son corps fatigué, et permet un léger sommeil à ses yeux qui se ferment. Ce calme réparateur, malgré sa courte durée, rendra du moins à ses membres affaiblis la force de continuer leur pénible labeur ; cette pause d'un moment ranimera l'activité de son âme. Mais dès que la lumière eut dissipé les ténèbres et remplacé la nuit, li s'acquitte avec empressement de ses devoirs de chaque jour, et reprend aussitôt son chemin. Il y avait dans ce bourg une foule de pieuses filles qui avaient consacré au Seigneur leur sainte virginité ; elles avalent voulu conserver la pureté de leur corps et la chasteté de leur cœur, afin que leur âme pût s'élever dans les hautes régions du ciel, sans être retenue sur la terre par la corruption d'une chair fragile. Elles se précipitent joyeuses au fond de la sainte cellule que le séjour du pieux évoque a rendue si vénérable : elles respirent les émanations qu'il y a laissées, et hument l'air imprégné de son haleine. Elles adorent avec une sainte dévotion le siège où s'est tenu le docteur, leur bouche lèche avec transport les différents endroits où ses pieds se sont fixés dans leur marche, où son corps s'est reposé, la place bénie où il a pris sa sainte nourriture, celle où il s'est assis, et le sol où il étendait ses membres pour prier. Mais en voyant le lit où le bienheureux s'était couché, en touchant la paille encore tiède de la chaleur de ce corps sacré, elles font violence à leur modestie ; elles se jettent à l'envi sur ce butin, chacune en veut sa part : elles emplissent leur sein de ces tiges de chaume qui déchirent leur peau délicate, elles écartent leurs légers vêtements pour enfoncer ses aiguillons dans leur poitrine. Que ne peut une foi véritable ? Une de ces vierges, dont le corps était aussi chaste que son âme était pure, aperçut un malheureux que le démon retenait sous ses lois tyranniques, et poussait à des accès de rage qu'il forçait d'éclater, après avoir chassé de cet esprit dont il était maître le sens et la raison ; elle s'arma de confiance dans l'aide de Dieu et les mérites du saint patron ; et, sagement prodigue de la portion de butin qu'elle avait recueillie, elle l'attacha au gosier du possédé, et suspendit au cou de ce forcené la paille ou le corps béni s’était reposé. Aussitôt ce contact épouvante l'ennemi : il fuit cette paille sèche comme une flamme dévorante ; il est sans force devant ces brins de chaume que le corps de Martin a pressés.

Et tamen elisus toties totiesque fugatus

Audes mutatis demens occurrere formis

Expertum tentare virum, coramque verendos

Ferre oculos, speciemque tegens monstrare furorem?

Nam pecudis dorso insidens furiisque petulcum

Concutiens animal seseque in viscera mergens,

Naturam pecudis funesta excusserat ira.

Vel cum captivae praesistit terga juvencae

Ferret ut impositum non solum corpore monstrum.

Explens infusum per membra obsessa furorem,

Atque ministerium bacchantis motibus aptans

Sanguineum spargens concusso vertice rorem,

Laevia dum rubrae percurrunt cornua guttae,

Igneaque iratam praecedunt cornua frontem,

Efflat, et alternas vix creber anhelitus auras,

Pulvereamque ciet curvato poplite nubem,

Et tenues sursum tremulus pes spargit arenas.

Nempe inter profugas passim bacchata catervas

Mitis ad aspectum sancti cessore fugato,

Astitit, atque onere abjecto sed mente recepta

Agminibus sociis gaudens se bucula junxit

Desine nunc saltim gregibus te mergere Christi

Postquam nec pecudum sanctus tibi jura reliquit.

 

Et cependant, après avoir été tant de fois vaincu, tant de fois mis en fuite, tu oses encore, insensé, te présenter à lui en changeant de forme ; tu veux braver ce héros éprouvé, supporter en face les regards redoutables, et lui montrer ta fureur en cachant ton visage ! En effet, le voilà qui s'assied sur le dos d'une vache, qui agite de sa furie le pétulant animal, qui se plonge jusque dans les entrailles de la bête, et la livre aux transports d'one funeste rage. Car ce l'est point assez pour toi de peser sur le dos de cette pécore que tu maîtrises, et de la contraindre à porter le monstre posé sur sa croupe : tu verses tes feux dans tous ses membres que ta fureur obsède ; tu asservis tous ses organes aux emportements de ton délire : elle répand, en secouant la tête, une écume sanglante ; des taches rougeâtres sillonnent l’ivoire de ses yeux ; son front menaçant brandit ses cornes enflammées ; sa poitrine haletante ne peut sans peine attirer l'air et le repousser tour à tour ; son jarret cambré soulève on nuage de poudre, et son pied tremblant fait voler au loin l'arène légère. Mais cet animal, dont les emportements fougueux épouvantaient la foule, se calma sur l'heure en présence du saint. À sa vue, le cavalier disparaît, la monture s'arrête : délivrée de son fardeau, la vache reprend ses sens et retourne avec joie se mêler à la troupe de ses compagnes. N'essaye clone plus, ô démon, de te glisser parmi les brebis du Christ, puisque, même sur les troupeaux, Martin ne te laisse aucun empire.

Cedimus, exsuperat trepidantia verba loquentis

Gloria virtutum, claris magis edita factis

Quam linguae prodenda sonis obscura poetae

In lucem fando expediant, nos lumine laudis

Vincimur, et tanto oppressi splendore latemus.

Atque utinam nostram paulum rarescere noctem

Gloria tam clari faciat contecta patroni,

Ne lucem historiae tenebroso corde tegamus,

Et titulum laudis minuant peccata loquentis.

Quod cor non placidum sancto, quaeve ira rebellis,

Quae feritas non mitis erat? Sensere molossi

Imperium cum venatu transcursa parentum

Aequora camporum quateret lasciva juventus,

Corripiens celeri vel prona vel ardua saltu,

Cornipedes propere multo sudore madebant,

Et patulis tenues efflabant naribus auras.

Ungula terrifico resonabat concita pulsu,

Linquens pulveream cita post vestigia nubem.

Nec sat erat volucrum tam velox cursus equorum:

Pendula sic pronas aequabant pectora frontes

Ut mora cornipedum tardaret vota sedentum,

Vectorum et cursum transiret motus agentum.

Certabant alacres ventos aequare molossi,

Vincendi et studio spectantum explere furorem,

Pendentesque procul reserato gutture linguas

Flatibus alternis tremulus quatiebat hiatus.

Hic tantus labor, hic sumptus quo, proh dolor! exit?

Quis fructus, quaeve utilitas prensare fugaces

Bestiolas, leporumque fuga gaudere paventum?

Tempsisti talem, prudens Martine, furorem,

Insontis tristem casum miseratus, hiantum

Ora canum, et trepidos faciens torpescere gressus

 

Je succombe sous la grandeur du sujet ; mon timide langage le saurait atteindre à la hauteur de ces miracles ; de telles œuvres parlent trop bien par elles-mêmes pour permettre aux accents de la voix de les redire. Les chants du polie feront luire une vive clarté sur des faits obscurs ; mais ces actions merveilleuses ont un éclat qui m'accable ; tant de splendeur m'anéantit et m'écrase. Ah ! si l'Illustre Martin voulait éclaircir un peu les ténèbres de notre esprit au contact de sa gloire ! la nuit de notre âme n'obscurcirait pas du moins l'éclat de son histoire, et les vices de l'écrivain ne rabaisseraient pas la majesté de ses louanges. Quel cœur n'a pas fléchi devant le saint ? quelle colère lui a résisté ? quelle férocité ne s'est pas changée en douceur ? Les chiens eux-mêmes ont senti son pouvoir. Une jeunesse folâtre, emportée par l'ardeur de la chasse, ébranlait sous ses pas l'immense étendue des plaines, et franchissait d'un élan rapide les vallées et les collines. Les agiles et coursiers étaient baignés de sueur ; leurs larges naseaux exhalaient une fumée légère ; leurs pieds retentissants frappaient le soi avec un bruit terrible et laissaient sur leurs traces un nuage de poussière. Mais cette vitesse extrême, ce vol impétueux ne suffit pas aux chasseurs ; le corps suspendu sur le front incliné des chevaux dont l'allure est trop lente au gré de leurs désirs, ils les pressent encore, et la fougue impatiente des cavaliers devance l'essor de leurs coursiers. Les chiens lancés, aussi prompts que le vent, se précipitaient dans l'espoir de vaincre et de combler l’avide attente de leurs maîtres. De leurs gosiers ouverts tombent leurs langues pendantes qu'un souffle haletant agite sans cesse dans leurs gueules tremblantes. Et tant de fatigues et de dépenses, dans quel but ? ô douleur ! Le beau profit, le bel avantage vraiment, que de prendre de pauvres animaux sans défense ! Le beau plaisir que de mettre en fuite des lièvres timides ! Tu devais, dans ta sagesse, ô Martin, combattre une telle démence : touché de triste sort d'un lièvre inoffensif, tu engourdis la gueule béante des chiens, tu enchaînas leurs pieds agiles.

Jam si continuum laxasset fronte rigorem,

Quo sale verborum sociorum absolvere curas,

Attentasque aures paulum refovere solebat,

Cum gravitate catus, cum relligione facetus,

Virtutem cordis respergens flore leporis.

Pellicea cernens obtectum veste bubulcum,

En, ait, alter Adam tales velavit amictus

Nudati obvolvens algentia membra parentis,

Atque novo praestans solatia parva pudori,

Cum post tartarei virus lethale veneni

Lubrica deceptum persensit sibila corpus.

At nos exutos penitus penitusque sepultos

Peccato veteri rursum nova gratia velet.

Idem detractis detonso vellere lanis

Arridens respexit ovem, tum protinus inde

Ordine de facti sumens exempla docendi,

Cernite mandatum vilem complesse bidentem,

Vestibus e geminis poscenti tradidit unam

Succrescente alia nolens retinere priorem.

Ast homines brutae pecudi cessisse pudendum est

Si mage munifico vincat nos prodiga censu.

At parte ex alia pratorum dorsa patebant

Dissimili distenta situ, pars una voraces

Pertulerat suffossa sues, viridemque colorem

Perdiderant glebis nigrantia dorsa supinis.

Ast aliam adroso detonsam cespite tristi

Nudarant armenta fame, proneque sucrantum

Ora boum abstulerant late telluris amictum.

Roscida dum patulo carpuntur gramina morsu

Curvatae ad fauces attracta aspraedine linguae

Praevia quae teneras adlambens colligit herbas,

Ut densata avidi succigant pabula dentes.

Nec minus impresso protriverat ungula cornu

Elidens crebro viridantia germina pulsu:

Partem aliam illaesi vernantem cespite campi

Ornabat vario comens natura decore.

Undabat tenui viridantia gramina flatu,

Impulsasque levis motabat spiritus herbas.

Insuper innumeri per plana jacentia flores

Distincta insertis pingebant aequora gemmis.

Hos roseo inficiens tingebat purpura fuco,

Ast alii niveo insignes candore nitebant,

Inter quos croceis distinguens gramina signis

Aurea flavorum rutilabat gratia florum.

Curvant purpureae gemmantia germina guttae,

Flectebantque herbas humentis succina roris

Blandus odor gratum certans aequare colorem,

Permiscens paribus concordia gaudia formis,

Pascebat specie visum, spiramine nares,

Praebebant rarae pergrata umbracula frondes,

Caerulaque implexis nutabant brachia ramis,

Certabant tectae foliis vernare volucres

Musica dulcisonis moderantes sibila linguis.

Purus vicinas pascebat rivulus herbas

Graminaque allapso stringens humore fovebat.

Perspicui subter visu penetrante lapilli

Crispabant vitreas per blanda obstacula lymphas.

Nec poterat mersum ex oculis auferre decorem

Pervia luminibus species et gurgite tecta.

Quid rudibus conor formas signare loquelis?

Expromi haec verbis nequeunt, quae munere Christi

Effigians melius naturae gratia pinxit.

Hanc igitur speciem distinctam dispare forma

Aspiciens Martinus ait. Conferre parumper

Depasti, effossi, illaesi loca singula prati

Scortorum sceleri, vel justo foedere nupti

Conjugibus, vel virginibus quae corpora Christo

Sancta vovent rosei gemmis ornata pudoris.

Ut suffossa illic species non permanet agri,

Oblita sic vitiis Christi non fulget imago.

Ut radix hic silva manet, sed gramine secto,

Sic nuptis est tuta fides sine flore pudoris.

Ut color atque nitor florenti reddet in agro,

Gloria sic purae fulgebit lucida carnis,

 

Si parfois Martin se relâchait de sa rigueur accoutumée, il aimait alors à distraire les soucis de ses compagnons, à divertir pour un moment leurs oreilles attentif es par quelques saillies spirituelles, où la finesse se mêlait à la gravité, l’enjouement à l'austérité du chrétien. Il parait de fleurs gracieuses l'énergique vérité de sa pensée. Voyant un jour un boulier couvert d'une casaque de peau. Voici, dit-il, un autre Adam. Un vêtement pareil enveloppa les membres transis de notre premier père et voilà sa nudité, prêtant un faible secours à sa pudeur naissante, quand il ressentit la mortelle influence du poison infernal, et comprit qu'un langage pervers avait abusé ses sens. Mais nous, qui avons été entièrement dépouillés, entièrement ensevelis par le péché originel, sachons renaître sous une nouvelle parure, sous le voile de la grâce. » Un autre jour, apercevant une brebis dont on avait tondu la laine et enlevé la toison, il se prit à rire, et saisît aussitôt l'occasion que lui offrait ce spectacle pour en tirer une leçon. « Vous le voyez, dit-il, cette humble bête a rempli le précepte de l'Evangile : elle avait deux vêtements, elle en a donné un qu'on lui demandait, ne voulant point garder celui-ci quand un autre déjà commençait à croître. Quelle honte pour nous, si nous restions au-dessous d'un être sans raison, si cet animal généreux nous surpassait en munificence ! » Ailleurs s'étendait une prairie dont la superficie présentait des aspects divers. Une partie avait été souillée par des pourceaux voraces ; le sol retourné avait perdu ses vertes couleurs et n'offrait aux yeux qu'une surface noirâtre. Dans une autre partie, les bœufs, tourmentés par la faim, avaient brouté et tondu le gazon ; promenant leur mufle penché sur la prairie, ces animaux rongeurs avaient dépouillé la terre de sa riante parure ; leurs larges mâchoires avaient coupé l'herbe humide de rosée, attirée aussitôt par les aspérités de leur langue qui se recourbe pour l'introduire dans le gosier, après s'être allongée d'abord pour ramasser, en les lapant, les tendres herbages, épaisse lippée hachée ensuite sous leurs dents avides. La corne de leurs pieds n'avait pas été moins nuisible ; de ses nombreuses et profondes empreintes elle avait écrasé les pousses verdoyantes. Une troisième partie de ce pré était restée intacte ; dans sa fraîcheur printanière, elle avait conservé les agréments divers dont l'avait ornée la nature. Ses verts herbages ondoyaient mollement au souffle du zéphire : leurs tiges s'agitaient, bercées par la brise légère. Des fleurs sans nombre, semées sur ce tapis déployé dans la plaine, l'embellissaient de l'émail brillant et varié de leurs couleurs. Les unes se peignent des teintes vermeilles de la pourpre ; les autres se distinguent par le pur éclat de leur blancheur ; d'autres enfin, nuançant les gazons des reflets du safran, étalent avec grâce les blonds rayons de leur corolle d'or. Les perles d'une eau limpide courbent les pousses purpurines ; les herbes s'inclinent sous l'ambre humide de la rosée. Le doux parfum des fleurs rivalise avec leur frais coloris : cette délicieuse odeur s'unit, par un heureux mélange, aux formes charmantes qui en sont dignes ; l'œil se repaît de leur beauté, et l'odorat de leur senteur. Un clair feuillage offre çà et là d'agréables ombrages, sous des arbres verdoyants qui balancent leurs bras entrelacés. Cachés sous la ramée, les oiseaux, à l'envi, célèbrent le printemps, et leurs langues mélodieuses modulent d'harmonieux concerts. Un ruisseau limpide nourrit les herbes de ses rives, et son onde alimente la sève des gazons qu'elle effleure. L'œil, qui pénètre à travers son cristal, distingue dans le fond des cailloux polis, légers obstacles qui plissent mollement la nappe transparente. Cette agréable image fixée au sein des eaux ne peut se soustraire à la vue : elle resté accessible aux regards, sous l'abri des flots qui la couvrent. Mais pourquoi ma parole impuissante essaierait-elle de décrire de si rares beautés ? Le langage ne saurait reproduire ces tableaux si bien dessinés par la nature, enrichie des dons du Seigneur. Martin, remarquant les aspects divers que présentait cette prairie : « Vous pourriez, disait-il, comparer les trois parties de ce pré, défoncé, tondu, intact, aux débauches du libertinage, aux liens réguliers d'un mariage légitime, et enfin à la virginité de ces pieuses filles qui consacrent au Christ leurs corps parés des boutons vermeils de la pudeur. Bouleversée par les pourceaux, la verdure a disparu de ce côté : c'est ainsi que l'image du Christ se flétrit sous les souillures du vice. Ici la racine reste encore, mais l'herbe est coupée : ainsi, chez les époux, la fidélité subsiste, mais non la fleur de l'innocence. Plus loin, au contraire, la plaine riante a gardé son coloris, son éclat, sa fraîcheur : ainsi brille la chasteté glorieuse d'une chair immaculée. »

Talia perspicui dantes documenta vigoris

Attenti et semper divina ad praemia cordis.

Quidam adiit monachus neglecto hoc nomine ademptus

Militia, qui post lituos et classica belli

Malluerat veri signis se dedere regis,

Magna crucis sanctae melius vexilla secutus.

Quin et consortem thalami ad collegia vitae

Alliciens, sociam sanctis praeceperat esse

Virginibus, thalami vel carnis jura remittens.

Verum ubi lascivum rursum rediviva voluptas

Occoepit stimulare animum, penitusque medullis

Indere contempti mortalia saecula mundi,

Vix praelibatum cupiens laxare rigorem,

Rursus in amplexus nuptorum et vota recurrens

Post monachi titulos nomen revocare mariti.

Quin et doctorem crebro pulsare tumultu

Aggreditur tales precibus miscendo querelas.

Si mihi conjugii Christus solatia praestat,

Dignatus thalamis diversum adnectere sensum,

Quis rapiet mihi dona Deo? quis jure novello

Audebit priscam Domini convellere legem?

Talia praecipiti frangentem murmure sensum

Mitius aggreditur sancti medicina patroni.

Dic, age, praeteritae recolis si tempora vitae,

An collata acie saevo conflixeris hosti?

Quod quia percrebro factum reminisceris idem

Respice num lituos inter vel classica belli,

Pilaque terrificis pugnantum intenta lacertis,

Districtosque enses, accepto et turgida flatu

Serica, serpentum spiras imitata vel iras,

Bellica femineus turpaverit agmina sexus?

Quis scutis ad pensa locus, quis ad arma puellis?

Laevia nam decuit respersio pulveris ora?

Quod si terrenis non sunt haec congrua castris,

Quidquam ut femineum deceat vexilla virorum:

Num tibi continuo bellum sudore gerenti

Non mage turpis erit spreti permixtio sexus

Tempore desidiae, talem lasciva voluptas

Inveniat ridenda chorum. Cum vero viriles

In campos properant acies, ferrataque lucent

Agmina, femineas defendant moenia turbas,

Divisaeque armis studeant se claudere portis.

Qui vero ad bellum properat, solatia temnat.

Talibus effrenae sanavit gaudia mentis

Compositoque dedit rursum nova gaudia cordis,

Pugnacemque virum cum pace ad bella remisit.

 

Telles étaient les leçons données par Martin, avec l'autorité et les lumières d'un esprit ferme et toujours tourné vers les récompenses éternelles. Un jour se présente à lui un homme qui avait quitté le service militaire pour la vie monastique. Las des clairons et des trompettes guerrières, il s'était rangé de préférence sous les enseignes du roi de vérité, et suivait, dans une voie meilleure, le grand étendard de la sainte croix. Il avait même engagé la compagne de sa couche à imiter son exemple, et l'avait décidée à entrer dans la société des vierges saintes, renonçant ainsi aux droits du mariage et de la chair. Mais bientôt l'aiguillon de la volupté ranima dans son cœur les désirs des sens, et réveilla au fond de ses entrailles la soif des périssables jouissances d'un monde méprisé. Il avait à peine un avant-goût de la solitude, qu'il aspirait à en adoucir les rigueurs : entraîné de nouveau vers les convoitises et les plaisirs de l'union conjugale, il voulait, après avoir adopté le titre de moine, reprendre le nom d'époux. Bien plus, il s'attaque à grands cris au docteur qui lui résiste, et mêlant la plainte aux prières : « Si le Christ m'a permis les consolations du mariage, s'il a daigné accorder à ma couche un sexe différent du mien, qui peut me ravir ces dons que Dieu m'a faits ? qui osera, en vertu de je ne sais quelle autorité nouvelle, annuler l'antique loi du Seigneur ? » A ces éclats de colère, à ces violents murmures, le saint patron oppose avec douceur un raisonnement salutaire : « Dis-moi, si tu te rappelles encore les jours de ta vie passée, as-tu jamais, en bataille rangée, lutté de près avec un redoutable ennemi ? Oui certes, et souvent même, tu t'en souviens ; eh bien, écoute-moi : au milieu des clairons et des trompettes guerrières, quand les combattants brandissaient l'épieu d'un bras terrible, quand les glaives étaient tirés, quand les vents enflaient en s'engouffra nt la soie des étendards qui figurent aux yeux les spirales et les fureurs des serpents, as-tu vu des femmes déshonorer de leur présence les cohortes belliqueuses ? La place des quenouilles est-elle avec les boucliers, et celle d'une fille au milieu des armes ? Un visage délicat ira-t-il décemment se couvrir de poussière ? Non. Si donc une pareille compagnie ne convient point aux soldats du siècle, si tout ce qui est femme est déplacé sous les enseignes des héros, ne serait-ce pas, à plus forte raison, une honte pour toi, qui as des luttes continuelles à soutenir, que de mêler à ton rude labeur ce sexe méprisé ? Pour amuser ses loisirs, la mollesse voluptueuse peut rechercher ce ridicule entourage ; mais quand les mâles armées s'avancent dans la plaine, quand brille le fer des batailles, la troupe des femmes doit se tenir à l'abri des remparts, se garder du tumulte des armes et s'enfermer avec soin dans la ville. Celui qui marche d'un pied ferme au combat sait dédaigner de telles consolations. » C'est ainsi que Martin guérit cet esprit malade et révolté, sut le ramener à des sentiments plus calmes, lui fit goûter un bonheur nouveau, et renvoya l'énergique lutteur, en paix avec toi-même, combattre encore pour le Christ.

Jam vero hoc quisnam digne percurrere possit

Tam docilem ornarit patientia quanta leporem?

Forte inter sanctas et corde et carne puellas

Perpetui semper pretiosas flore pudoris,

Innuba quas Domino sociarat dedita Christo

Virginitas, nexu mentis, non foedere carnis,

Virtutum quaedam studio praecesserat omnes,

Hoc speciale decus titulis addendo pudoris,

Quod semel ex oculis cunctorum amota virorum

Servabat coeptum constanti corde rigorem,

Nec levis instabili nutabat femina sensu

Vincens ingenitum virtutis pondere sexum,

Et praegressorum via rara exempla virorum.

Hujus propositi justa admiratio sanctum

Perpulit, ut talem recte veneratus adiret,

Illectus tanto virtutum flore puellae:

Verum ita constanti defixa in pectore mansit

Jam Domino devota fides: ut claustra pudoris

Septa viris clarae titulos servantia palmae

Nec tanti posset meritum reserare patroni.

Nec tamen erubuit votivam ferre repulsam

Proposito gavisa fides: sed cuncta benignus

Quae spem contulerant proprium numeravit honorem,

Plus lucra attendens animae quam gaudia carnis.

Quam tibi quam sancto rabies de pectore partem,

Ambitio insani ventis afflata tumoris,

Jam penitus prostrata jacet, nil Christus habere

Cum vitiis commune potest: qui laude tumescunt

Extolli semet cupiunt. Satis approbat ille

Qui latuisse cupit, mundi et fastigia temnit,

Quam soli Domino tribuat quem vitat honorem.

Sed qui laudato malles vilescere Christo

Hoc quoque judicium titulis addendo beatis,

Quam vitando fugis laudem, vitando mereris.

 

Qui pourrait dignement redire tout ce qu'il y avait de patience dans la belle âme de ce prélat aimable et débonnaire ? Parmi les saintes filles, pures d'esprit et de corps, toujours parées de l'inestimable fleur d'une chasteté perpétuelle, qui avaient voie leur virginité sans tache au Seigneur, et s'étaient attachées au Christ par les liens du cœur et non par les étreintes de la chair, il en était une qui surpassait toutes les autres par son application à la vertu. Au mérite de la chasteté, elle ajoutait encore une gloire toute spéciale : depuis le jour ou elle s'était soustraite aux regards des hommes, elle observait invariablement la loi qu'elle s'était imposée de n'en plus voir un seul. Ce n'était pas une femme inconstante et légère : jamais elle n'avait chancelé dans sa résolution, triomphant ainsi, par la force de sa vertu, des faiblesses naturelles à son sexe, et surpassant même les exemples si rares des anachorètes, ses premiers modèles. Une telle fermeté inspira au saint un juste sentiment d'admiration ; cédant au charme de tant de vertus, il voulut honorer cette vierge de sa visite, pour lui rendre un hommage qu'elle méritait si bien. Mais elle l'avait promis au Seigneur ; elle demeura inébranlable et fidèle à sa rigoureuse détermination. Ce cloître, où loin des hommes s'était enfermée sa pudeur, ou se conservait glorieuse et pure la palme de sa victoire, ne s'ouvrit même pas devant les mérites d'un patron si vénérable. Martin ne rougît point de ce refus : la vierge obéissait à un vœu sacré, il se réjouit de cette persévérance. Tous les motifs allégués pour déjouer son espoir, sa foi bienveillante en tient compte à la vierge et s’en fait honneur ; car il attache plus de prix au profit de l'âme qu'au plaisir des jeux. Quelle part sera pour toi, quelle part pourras-tu prendre en cette âme sainte, vaine ambition toute gonflée des bouffées d'un fol orgueil ! Reste à jamais vaincue, à jamais anéantie ! le Christ ne peut rien avoir le commun avec le vice. L'homme enflé par la vanité ne cherche que sa propre gloire ; mais celui qui aspire à vivre ignoré, qui méprise les grandeurs de la terre, démontre assez, en évitant les honneurs, qu'il ne les attribue qu'an Seigneur, à lui seul. Et toi, Martin, qui as laissé méconnaître ta dignité pour conserver le respect dû au Christ, ta sagesse ajoute ainsi un titre de plus à ta sainte gloire : tu veux éviter la louange, tu la fuis, et c'est en la fuyant que tu sais la mériter.


 

 

 

[1] Espèce de manteau très ample qu’on prenait pour paraître en public et qui enveloppait tout le corps.