Paulin de Périgueux

PAULIN DE PERIGUEUX

 

LA VIE DE SAINT MARTIN - LIVRE VI

livre 5

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

PAULIN DE PERIGUEUX

 

Paulinus Petricordiensis

 

 

LIBER SEXTUS.

Invitas nostram revocanda ad murmura curam

Dum vitam virtute paras, non clause sacerdos

Lege obitus, carnique tuae sine carne superstes

Cerneris, expeteris, contingeris, atque teneris.

Dum largiris opem praesentem, ostendis honorem,

Quaerenti assistens, et nunquam absconse precanti,

Quam bene vicinus propter complectitur artus

Spiritus, et sanctum perfundit gratia saxum.

Nil longe est pulsante fide: clamantia corda

Allegant proprias sine voce et murmure causas.

Mentis verba legit qui sensum introspicit, et cor

Visit, et arcanum percenset pectoris antrum.

Quinque prius recolens signavi gesta libellis,

De multis vel pauca legens, quota portio nobis

Comperta est tantis titulis quos contigit unus?

Exiguum quanta pensat mercede laborem?

Indigno rursum tanta ad praeconia sensu

Quanta sinit, fert vota rei bonitate patroni.

Praecedit meritum pia gratia, palma tenetur,

Nec sentitur onus: nondum libata laboris

Cura mihi est, quod velle jubet jam muneris arrhaest.

O quantas potuit major facundia linguas

Hoc operis decorare bono, consueta repelli

Carmina non patitur, credit bona quae sua novit.

Nam certum jussisse ipsum quae missus ab illo

Interpres tentanda putat sociatus et haerens,

Et semper tanti revehens praecepta magistri

PERPETUUS felix docto victurus in aevo.

Non famae incertum narrat, nec credulus aurae

Rumorem attentas properat vulgare per aures.

Coram visa probat, testis fidissimus astat,

Inspectae assertor fidei miracula prodit

Luminibus oblata suis, et tradita votis.

 

LIVRE SIXIEME.

MIRACLES DE SAINT MARTIN CONTEMPORAINS DU POETE.

Tu me forces de me remettre à l'œuvre et de reprendre la parole : car, pour nous, saint prélat, toujours vivant par tes miracles, tu n'es point enchaîné par les lois du trépas. Dépouillé de ta chair, tu survis à ta dépouille, et nous pouvons encore te voir, t'approcher, te toucher, te tenir. Tu es toujours là pour nous dispenser tes secours et manifester ta puissance, assistant celui qui t'implore et ne te dérobant jamais à nos prières. Avec quel amour l'esprit qui t'animait se rapproche encore de tes membres et circule dans leur voisinage ! Comme la grâce inonde encore le saint marbre qui les enferme ! La foi qui vient heurter n'attend jamais longtemps. Les cris partis du cœur savent se faire entendre, et leur éloquence n'a besoin ni de la voix ni de la parole. Le langage de l'âme est compris de celui dont le regard pénètre au dedans de l'homme, découvre les sentiments du cœur, et sonde les secrets replis de la conscience. Jusqu'ici j'ai recueilli et raconté en cinq livres les faits peu nombreux que j'ai choisis entre beaucoup d'autres. A mon tour j'ai eu ma part de tant de bienfaits ; il ne m'en a été accordé qu'un seul, mais qu'il était grand, et qu'il m'a largement payé de mon faible travail ! Aujourd'hui encore il donne au poète indigne la force d'acquitter, autant que sa pauvreté le permet, le vœu qui l'engage, et de célébrer de nouveau les louanges du divin patron dont il connaît l'indulgence. La sainte grâce de Martin m'arrive avant que mes efforts l'aient méritée : ma main reçoit la palme avant la victoire, et ce n'est point un fardeau pour elle. Je ne suis pas encore sans inquiétude sur les difficultés de ce nouveau travail, mais il m'ordonne de l'entreprendre, c'est me promettre son appui. Quelle heureuse fortune qu'un pareil ouvrage pour une muse plus éloquente ! Pour un grand écrivain, quelle source de gloire ! Mais Martin est accoutumé à mes vers, il ne veut pas s'en séparer ; il les croît bons parce qu'il est sûr qu'ils sont à lui. N'est-ce pas Martin lui-même, en effet, qui m'ordonne d'écrire, et qui m'engage à tenter cet essai, par l'organe et les conseils de ce docteur qui lui est si fidèle et si attaché, qui répète sans cesse les préceptes du saint maître, et dont l'heureux nom doit vivre à perpétuité dans l'avenir ! Les récits de ce prélat ne sont point des bruits incertains, de vagues rumeurs qu'une bouche crédule s'empresse de révéler à des oreilles complaisantes. Les faits qu'il raconte, il les a vus, il en a les preuves, il en est le témoin vivant et sincère. Spectateur et historien véridique, il publie les miracles présentés à ses regards et accordés à ses prières,

 

Huc ex diversis certatim partibus orbis

Agmina conveniunt, numerosas millia causas

Multiplicant, iterantque preces: dat gratia velox

Optatae pietatis opem, laetantur ovantes

Emensi fructum celerem se ferre laboris.

Jam vero obsessos furioso daemone sensus

Huc vocat auxilium, rapit huc curatio velox.

Sistuntur, trepidantque rei, confessio clamat

Extorta imperio: sub judice poena salubris

Cernitur, et proprias alieno in corpore voces

Edere pervasor captivo ex ore jubetur.

Sentitur judex, nec cernitur : impius hostis 45

Exsul ab erepta properat discedere praeda,

Inter et instantes fugiens vanescere pœnas.

Aeria innexum constringunt vincula corpus,

Quos rebare vagos, nexos miraberis artus.

Firmabunt inspecta fidem : quem pœna ligavit, 50

Tormenta implicitis prodit constrictior ulnis,

Pulsat et adfixis objecta obstacula membris.

Quid quum sidentes cancelli in tramite gressus

Aerium sustentat iter ? nutantia currunt

Corpora, et impositum cava subvehit aura volatum. 55

Quin etiam in puteum , qui templo clausus in ipso

Fonte salutiferas éructat concavus undas ,

Corpora praecipiti jaciuntur concita saltu,

In pronum cogente reo, qui vertice presso

Praegressum sua membra caput detrudit in altum 60

Gurgitis, et cerebrum membrorum mole perurget.

Sed quis non videat, quum corpora mersa resurgant,

Extentos patuisse sinus , et fulcra favoris

Molliter exceptis ulnas reserasse ruinis ?

Artus prsedo gravat, vitam clementia servat ; 65

Plus opis apparet studium, quam pœna latronis.

Quisque flde nutante labas , attende, resurgunt

Corpora, et ad vitam , Martino orante, trahuntur.

Absorbet tantum miserorum membra profundum,

Nec puteus patulo conclusos ore perurget. 70

 

Ici, des diverses parties du monde, accourent en foule des milliers de malheureux accablés d'infirmités sans nombre ; ils adressent à plusieurs reprises leurs vœux au ciel. La grâce de Martin leur envoie sans retard le charitable secours qu'ils implorent ; ils se félicitent avec transport d'obtenir un résultat si subit et si heureux de leur pénible pèlerinage. C'est ici que l'espoir du remède aulne ceux qui ont l'esprit obsédé des fureurs du démon ; c'est ici que les attire le besoin d'une prompte guérison. Les coupables comparaissent, ils tremblent ; un pouvoir souverain leur arrache l'aveu de leurs fautes, Le Juge leur inflige un châtiment salutaire, il commande à l'esprit envahisseur de faire sortir sa propre voix du corps étranger où il s'enferme, de parler par la bouche qu'il captive. Le juge fait sentir sa force sans être vu. L'ennemi sacrilège s'enfuit à la hâte, abandonnant sa proie qui lui échappe, et s'évanouit vaincu et chassé par les tortures. Le corps des possèdes est retenu dans l'air par des liens invisibles ; vous croyez que leurs membres sont libres, et vous êtes surpris qu'ils restent enchaînés, vos yeux vous prouveront cette vérité. Quiconque est condamné à subir ces entraves se trahit par les souffrances qu'il endure en cherchant à délivrer ses bras de leurs étreintes qui se resserrent, en luttant sans succès contre les obstacles qui gênent ses membres attachés. Voyez ces énergumènes poser leurs pieds sur l'extrémité des grilles de la basilique et voyager ainsi à travers l'espace : ces corps vacillants s'élancent, et leur vol pesant se balance dans le vide. Bien plus, ils se jettent au fond du puits renfermé dans l'enceinte du temple, où jaillit de sa source une onde salutaire. Entraînés par le démon qui les agite, ils se précipitent en avant d'un saut rapide, et, la tête la première, ils engloutissent leur corps tout entier dans les profondeurs du gouffre, où leur chef s'enfonce écrasé sous le poids de leurs membres. Mais ne voyez-vous pas aussi, quand ces corps submergés sortent de l'abîme, que ses étroites cavités se sont élargies pour ne point les blesser, et que la grâce divine leur ouvrit ses bras pour les soutenir et les recevoir mollement dans leur chute ? Le ravisseur pèse sur leurs membres, la clémence du ciel leur sauve la vie ; la faveur qui les préserve apparaît mieux encore que la peine du larron. O toi, dont la foi chancelle et succombe, ouvre les yeux ; contemple ces corps relevés et ramenés à la vie par les prières de Martin. Les membres de ces infortunés plongent seulement dans l'abîme, et le puits ne referme pas sa large ouverture pour les engloutir à jamais.

 

Sed quid ego e puteis? fluvius testatur alumnus

Mirandae virtutis opus, qui, mœnibus urbis

Junctus, contiguis adlambit saxa fluentis.

Hic medius cellam discriminat atque sepulchrum,

Divisisque locis diffusum interserit aequor, 75

Naviger, inque freti speciem se gurgite vasto

Dissiciens , longeque suis divortia ripis

Instituens, oculos visu ulteriore fatigat,

Et, quanquam validos, lassât tranando lacertos.

Hunc fluvium a templo , quod sanctos continet artus , 80

Et laudi seternae felicia membra réservat,

Insanus petiit misero cum corpore daemon,

Mersurus raptam vicino in gurgite praedam.

Verum nil palitur miseratio tanta cruentum ,

Atque adimit diro saevissima jura tyranno. 85

Duratum calcatur iter, solidata rebellat

Gressibus, et passus properos non adluit unda.

Trans fluvium siccas stupuerunt agmina vestes,

Et gaudens hominem purgandum cella recepit,

Quae dudum angeliese felix fuit hospita vitae. 90

Nec quidquam gestum turbatae tempore mentes

In semet reduces sensu tenuere recepto.

Chunorum plerumque sonos fractaque minantum

Murmura, et incisas fera per compendia voces.

Auxilium sub teste pateos nescivit adeptus, 95

Muneris ignarus, tantoque e munere salvus.

Plerumque indexas aliéna ad murmura linguas

Possessor miseri rapiebat spiritus oris,

Ut Gratis fluerent Gallorum verba loquelis,

Et fando exprimèrent genlem, nec noinine notam. 100

Quisquamne hune sensu proprio putet esse loquutum,

Qui fatur non nota sibi ? de pectoris antro

Mugit , et edomitam flectit possessio linguam,

Ut chordae id resonant, motus quod plectra pererrant,

Imperioque manus nervorum fila loquuntur. 105

 

Mais pourquoi parler d’un puits ? il est un fleuve qui peut attester la merveilleuse influence de la vertu du saint ; c'est le fleuve nourricier qui touche aux murs de la ville et de ses eaux caresse les remparts. Il passe entre la cellule et le tombeau de Martin ; puis, après s'être ouvert ainsi un passage entre ces deux monuments qu'il sépare, son courant navigable étend au loin comme une vaste mer sa nappe immense, et prolonge sa marche en détournant ses rives. Le regard ne peut sans peine mesurer sa largeur, et le bras le plus robuste ne saurait le traverser sans fatigue. Un jour, après avoir enlevé un possédé du temple qui renferme les restes du saint et conserve pour la gloire éternelle ses membres bienheureux, le démon forcené se dirigea vers ce fleuve avec le corps de sa victime. Arrivé sur le bord du gouffre, le ravisseur croyait y plonger sa proie ; mais la miséricorde infinie ne souffrit point le meurtre et arracha au tyran cruel ses redoutables armes. L'onde se durcit sous les pieds du malheureux ; sa solide surface résista et le soutint, sans le mouiller, dans sa course rapide. Quand il parvint à l'autre rive, ses vêtements, à la grande surprise de la foule, n'étaient point humides. Il se retira dans la cellule de Martin, heureuse de purifier cet homme de ses souillures, après avoir été si longtemps l'asile fortuné d'une vie angélique. Rentrés en eux-mêmes, ces énergumènes, après avoir repris leurs sens, ne gardaient aucun souvenir du désordre de leur conduite aux jours de leur égarement. Ils ne se doutaient point de leur guérison, évidente pour tout le monde ; ils profilaient du bénéfice de leur délivrance, sans avoir la moindre idée d'un tel bienfait. Souvent, pliant leur langue à son gré, quand il était maître de ces pauvres fous, l'esprit du mal exhalait par leur bouche un langage étranger : des mots grecs coulaient alors des lèvres de ces Gaulois, qui parlaient ainsi l'idiome d'un peuple dont le nom même leur était inconnu. Souvent c'étaient les sons brisés et les éclats de voix des Huns menaçants, ces accents brefs et saccadés d'une prononciation sauvage. Peut-on croire que ces Insensés s'expriment de leur propre mouvement dans un jargon qui leur est inconnu ? non : c'est l'esprit ravisseur qui mugit ainsi du fond de leur poitrine, qui dompte et assouplit leur langue à sa volonté : ils parlent comme la corde résonne sous le plectre que la main dirige, comme le fil de la lyre répond au doigt qui l'interroge.

O quoties, urgente Deo, ventura fatentur !

Et quorum objectant semper mendacia fraudem,

Extortum a Domino coguntur dicere verum,

Quae pœna est manifesta loqui ; praeceptio vocem

Elicit, et cedit mandato oppressa voluntas. 110

Illustrera virtuto virum, sed moribus almis

Plus clarum, magnumque fide, qua celsior exstat,

Egidium, hostilis vallaverat agmine multo

Obsidio, objectis quae mœnia sepserat armis,

Auxilia excludens et clausos viribus urgens, 115

Ut minus obsessis faceret divisio robur,

Nec jungi ad bellum socialia castra liceret.

Verum praesidio Domini dejecta fugantur

Millia, et egressum portis bipatentibus agmen

Restaurat solidas, securo principe, vires. 120

Interea trepido vicinia mœsta pavore

Pallebant tanti proceris discrimine, et omnis

Anxia pendebat populorum cura paventum,

Dum se quisque putat similem perferre procellam,

Inque uno nutat quidquid consistit in uno. 125

Ergo aliquis forte ex Mis, quos tetrior ira

Traxerat ad votum sorbendi in caede cruoris,

Praecipiti ad nutum Domini quasi turbine raptus,

Praecedensque citos trans flabra et nubila ventos,

Gestorum seriem captivo e corpore prompsit, 130

Proclamans isdem momentis, tempore eodem,

Obsidione urbem, Martino orante, solutam,

Atque ipsi donasse Deum populumque ducemque.

Mox patuit manifesta fides , seriemque probavit ;

Ipse dies, eadem hora fuit, nihil ordine verso , 135

Invitumque hostem non fallere pœna coegit.

Ut Balaam , cupiens Domini maledicere plebem,

Extorquente Deo cœtum benedixit ovantem ;

Haud alio penitusque ipso rerum ordine venit

Nuntius, illam urbem, tanta obsidione solutam, 140

Praecipitem Rhodanum molli quae ponte subegit,

Et junxit geminas, connexo tramite, ripas,

Ut siccum praeberet iler, quod puppibus instat

Desuper, et presso nulans via pendet in amne.

Hanc quoque praesenti sociatus, sancte, patrono 145

Eripis, et cogis trepidum tua vota fateri,

Quae nolletdonata tibi; reus adstat, et Euro

Ocior amissa optatae specularia caedis.

Haec quoque discussis patefecit calculus horis,

Ipso, ut res docuit, compléta et prodita puncto. 150

 

Que de fois Dieu les contraint de confesser l'avenir ! Ces démons, dont la malice ne se plaît qu'au mensonge, le Seigneur leur arrache l'aveu de la Vérité, et les force, pour les punir, de s'exprimer sans détours. Il ordonne, et la parole leur échappe, et leur volonté vaincue obéit à ses commandements. Un héros célèbre par son courage, mais plus illustre encore par la pureté de ses mœurs, et par la grandeur de sa foi qui dépassait tous ses autres mérites, Egidius était assiégé dans une ville que les bataillons d'un ennemi nombreux enveloppaient de toutes parts. Les lignes serrées de cette armée, qui cernait la place et l'enfermait d'une étroite ceinture, n'y laissaient pénétrer aucun secours, et privaient les assiégés d'une partie de leurs ressources en les séparant de leurs alliés, en rendant avec eux toute jonction impossible. Mais l'aide du Seigneur renverse et met en fuite des milliers d'ennemis. Les portes s'ouvrent, la garnison sort de la place, et, sûrement guidée par son général, renouvelle ses forces et rétablit sa sécurité. Cependant les cités voisines tremblaient effrayées des périls dont ce puissant chef était assailli ; toute la population était dans l’attente, incertaine, inquiète : chacun se croit menacé d'une calamité semblable : tout s'ébranle au danger d'un seul homme, car tout repose sur un seul. Alors un de ces esprits du mal qu'avaient attirés dans la ville une sombre fureur et l'espoir de s'abreuver de sang et de carnage, emporté tout à coup au gré du Seigneur comme par un tourbillon rapide, et devançant dans son vol le souffle des vents et la vitesse des nuages, s'en vint révéler à ces peuples, par la bouche d'un possédé, toute la suite des événements, criant à haute voix qu'à l'instant même où il parlait les prières de Martin avaient fait lever le siège de la place, et que Dieu avait accordé à Martin le salut du peuple et de son chef. On reconnut bientôt la sincérité de ce langage ; on vérifia le jour et l'heure, et on eut la preuve que tous les faits s'étaient passés dans l'ordre indiqué : le démon avait été contraint, malgré lui et pour son châtiment, de ne point mentir. Ainsi, quand Balaam voulut maudire les enfants du Seigneur, Dieu lui arracha des paroles de bénédiction pour son peuple triomphant. C'est donc juste au moment et dans l'ordre même où les événements avaient lieu, qu'on reçut la nouvelle de la levée de ce terrible siège, et de la délivrance de cette ville qui dompta sous un pont léger le cours précipité du Rhône, et rattacha l'une à l'autre ses doubles rives par une longue file de bateaux enchaînés, formant ainsi un chemin sec qui domine le fleuve, une voie flottante et suspendue sur l'onde subjuguée. Et toi aussi tu sauves cette ville, ô saint évêque, intime compagnon du patron qui nous assiste j. tu forces le possédé tremblant de déclarer l'objet de tes vœux : le démon ne voudrait pas qu'ils fussent exaucés, et cependant il arrive plus prompt que l'Eurus, et la vue du carnage qu'il désirait est perdue pour lui. Ici encore le calcul a démontré l'exactitude de ses révélations ; les heures ont été vérifiées, et l'événement a prouvé que tes vœux s'étaient accomplis au moment même où il les fit connaître.

Jam vero erga omnes curatio quanta medelas

Non medicante manu, non succo adlata salubri,

Nec ferri perpessa aciem , nec graminis haustum,

Ulcere nec raptum resoluti sulphuris ignem ,

Sed verbo medicante fluens, recteque probata 155

Prcecipiti virtute fide, quae comminus adstans

Omnibus, invitat tepidos dum sanat adeptos!

Hic caeci ignotae stupuerunt munera lucis,

Hic alacrem cursum vegetato corpore claudi,

Hic nova collalae vocis discrimina surdi : 160

Quot causae attulerint cladem, tot dona salutem

Restituunt, semper poenis numerosius adstat

Praesidium, praesensque fugat tutela periclum.

Experla est tantam paralytica virgo medelam,

Namqae omnem membrorum usum violentia morbi

Abstuleral, cunctisque simul praemortua nervis

Exanimos penitus stratis rejecerat arlus,

Et solo vivens gemitu, spiramine fesso

Et flatu exiguo stomachum quatiebat anhelura. 170

Haec sancti ad ineritum manibus delata parentum

Propter vicinum jacuit miseranda sepulchrum;

Alterno nunc ora rigant rorantia fletu,

Inque vicem effuso lacrymarum flumine certant.

Permovit sanctum clementia : vix levis artus 175

Attigerat miseros benedicli taclus olivi,

Exsiluere pedes, nervi sumpsere vigorem,

Et valida optatos senserunt brachia motus,

Erectaeque manus digitis lusere solutis.

Gaudia confestim miseri votiva capessunt, 180

Et vix tam trepidi credunt quae credere malont,

Mutatur rursus facies, meliore sereno,

Et nova perspicui rapiunt miracula vultus.

Attamen haud longa hoc meritum servavit honestas.

Qui nunc adsiduis onerabant limina votis, 185

Spondentes celerem post praemia tanta recursum,

Atque inopum sumptum mox largitione levandum,

Munifice quos sanctus alit vestique sacerdos,

Consuetam devotus opem dum praestat egenis,

Expensisque suis ditescit prompta voluntas, 190

Anguis ut antiqui dirum rapuere venenum,

Atque idem serpens , qui quondam suaserat Evam,

Hos quoque consilii similis livore coegit

Neglectam calcare fidem, dum prava voluntas

Consiliis addicta malis diversa volentum 195

Paruit infelix fœda ad mendacia verbis,

Immemor inspecti penitusque oblita favoris.

Idolicos petiit, vesano pectore, ritus ,

Dispositum mutavit iter, vegetamque puellam

Auctori vitae abripuit, diroque latroni 200

Dedidit, ingratus fidei, sed subditus hosti.

Verum ubi Tartarei feralia busta tyranni

Eminus adspexit deceptae virginis error,

Concidit, et dono tanti spoliata patroni,

Addicta est propriis, eliso corpore , morbis ; 205

Douée sauatam dono anleriore puellam

Mors raperet duplicata malis, et débita pœnis ,

Quain nielius tantae recolentem dona medelae

Ad vitam aeternam vel praesens vita vocasset,

Jure ut evangelici meminisset credula verbi, 210

Quo jussum est Domini sanatum munere servum

Peccatum vitare suum, ne rursus in ipsum

Pergeret, et culpam pœna graviore piaret.

Interdum injustos justo terrore coegit

Virtutem senlire Dei ; nam saepe rebelles 215

Si nondum praecepta regunt, vel verbera cogunt.

 

Que de fois des infirmités de tout genre ont été miraculeusement guéries, non par le secours d'une main savante ou la vertu d'un breuvage salutaire, non par le tranchant du fer ou le suc d'une plante, non par l'application du feu et les brûlures déchirantes du soufre fondu, mais par la douce influence de la foi, par le remède de sa parole, par son action vive et puissante éprouvée par le succès ! Présente au chevet de tous les malades, la foi convie ceux qui doutent encore en sauvant ceux qu'elle a gagnés. Ici les aveugles étonnés ont reçu le bienfait du jour inconnu à leurs yeux ; ici les boiteux ont vu leurs pieds redressés reprendre une allure facile ; ici les sourds ont appris les différents tous de la voix, nouveaux pour leurs oreilles. Autant de fois le mal fit sentir ses atteintes, autant de fois la grâce a rendu la santé : elle est toujours là mesurant ses secours au nombre des souffrances, et sa présence tutélaire écarte le danger. C'est ainsi qu'elle opéra la guérison d'une jeune fille paralytique, qui depuis longtemps était un sujet de chagrin pour ses pauvres parents. La violence de la maladie l'avait privée de l'usage de tous ses membres ; tous ses muscles ensemble étaient frappés de mort : étendue sans mouvement sur sa couche, elle ne donnait d'autres signes de vie que des gémissements, sa respiration épuisée fatiguait d'un faible et dernier souffle sa poitrine haletante. Pour la mettre sous la protection du saint, ses parents l'emportèrent dans leurs bras et déposèrent cet objet de pitié près du sépulcre voisin de leur demeure ; et là, baignant tour à tour leur visage de pleurs, ils versaient à l'envi des torrents de larmes. La clémence du saint fut touchée de leur douleur : aussitôt qu'une légère onction d'huile bénie eut effleuré les membres de la pauvre fille, ses pieds tressaillirent, ses muscles reprirent de la vigueur, ses bras plus forts retrouvèrent les mouvements désirés, et ses mains détendues firent jouer librement les ressorts de leurs doigts. Ses parents désolés naguère, voyant leurs vœux exaucés, jouissent avidement de leur bonheur ; ils n'y croient pas sans peine ; ils tremblent encore, tout en voulant y croire. Le calme et la sérénité reparaissent sur leurs visages ; leurs traits s'éclairent, ravis de la nouveauté de ce prodige. Cependant ils n'eurent pas la vertu de garder longtemps la mémoire de ce bienfait. Ces païens, qui prodiguaient sans fin les promesses au seuil du tombeau de Martin, qui juraient, pour prix d'un tel service, de revenir promptement de leur erreur, de subvenir bientôt par des largesses aux dépenses des indigents nourris et vêtus, avec un dévouement libéral, aux frais d'un saint évêque accoutumé à secourir leur détresse et toujours prêt à s'enrichir en leur donnant son bien, ces païens s'enivrèrent avec une nouvelle ardeur des funestes poisons de l'antique serpent. Ce reptile jaloux, qui jadis avait su se faire écouter d'Eve, leur parla le même langage, et les força de négliger la foi, de la fouler aux pieds. Entraînée par de mauvais conseils dans une voie contraire, leur conscience dépravée céda aux viles séductions d'une bouche menteuse : tout souvenir de la faveur révélée à leurs yeux s'effaça de leur esprit. Le père reporta ses folles pensées vers les rites idolâtres, se détourna du chemin qu'il s'était tracé, arracha sa fille guérie à l'auteur de son salut, pour la livrer au larron, son bourreau. Ingrat envers la foi, il se fit l'esclave de son ennemi. Et quand la vierge, abusée par l'erreur, aperçut de loin les lugubres sépulcres du tyran des enfers, elle tomba défaillante, et son corps meurtri, privé de l'appui de son divin patron, redevint la proie de la maladie. Bientôt enfin cette fille, qu'un premier don de la grâce avait sauvée, fut enlevée par le trépas ; elle mourut de la double mort réservée aux méchants pour leur supplice, elle qui pouvait, si plus sage elle eût songé à l'insigne faveur de sa guérison, être appelée, par sa vie d'ici-bas, à la vie éternelle : car alors, écoutant sa nouvelle croyance, elle n'eût point oublié ce précepte de l'Evangile qui ordonne au serviteur qu'un bienfait du Seigneur a guéri, de renoncer à ses péchés, de ne point retomber dans le vice, et de ne point encourir ainsi un châtiment plus grave pour l'expiation de ses fautes. Cependant sa mort inspira une juste terreur à ses injustes parents, et leur fit comprendre la puissance de Dieu : car souvent, si la persuasion ne réussit pas à corriger des esprits indociles, la force qui frappe a sur eux plus d'empire.

Quum subito pavefacta metu, graviore periclo,

Auxiliatores paterelur Gallia Chunos,

Nam socium vix ferre queas, qui durior hoste

Exstet, et adnexum fœdus feritate repellat, 220

Horum unus, stimulis furiosi daemonis actus,

lrrupit sacram Domini, praedo improbus, aedem;

Inde altare Dei gressu temerare profano

Ausus, et intuilus furialia vota sequutus,

Abripuit sanctam dextra vellente eoronam, 225

Quae meritum sancti propter conjuncta docebat,

Effigiam illam , quam Christo judice sumpsit,

Fulgentem astrigera cœli sublimis in arce ;

Sed sensere oculi culpam, quod nuntia cordis

Lumina perspectam voluerunt condere prœdam. 230

Intuitu peccavit ovans, nec cernere quivit

Quae rapuit, liquitque oculos subtracta voluptas;

Obsessos gemuil visus quasi nocte diurna,

Et circumfusae quaerens solatia lucis

Vicinum doluit tenebris densescere solem. 255

Quid stupet adspectum subita caligine clausum?

Jam lune caecus erat, maie quum rapienda videbat.

Verum ubi quaerenli crimen detexit amico,

Et percontanti nudavit gesta sodali,

Praegressum ceu nocte ducem cogente sequutus 240

Dissimili petiit benedicta altaria voto,

Edomitus jam clade sua, propiorque saluti,

Confessus commissa reus, seque ipse salubri

Judicio damnare volens, meruisse videtur

Hinc veniam, quod se pœnam meruisse fatetur. 245

Compensat plectenda dolor, pervasa reformat.

Amissa ut capiat, sumit sua ; quae tulit, offert.

Mens perversa habuit pœnam, conversa medelam.

 

La peur soudaine d'un péril avait jeté la Gaule dans un péril plus grave : elle avait appelé les Huns à son aide, et ces auxiliaires lui étaient à charge. Le moyen, en effet, de supporter sans peine un allié qui se montre plus cruel que l'ennemi, et qui méconnaît, dans sa férocité, les traités convenus ? Un de ces barbares, poussé par l'aiguillon d'un démon forcené et par la foreur du pillage, était entré de force dans le temple sacré du Seigneur : il osa profaner de son pied sacrilège l'autel du Très-Haut ; bien plus, cédant à l'ardente convoitise de ses regards, il porta la main sur la sainte couronne qui rappelait les mérites de Martin, et l'arracha du tombeau où elle était déposée comme une image de cette couronne resplendissante que le saint avait reçue de la justice du Christ en montant au palais étoile du ciel. Mais ses yeux comprirent leur faute ; interprètes de son âme, ils ne voulurent plus voir le butin qui les avait séduits. Dans son délire, il avait péché par la vue, et il ne put contempler l'objet ravi : cet objet, dont l'aspect l'avait charmé, fut perdu pour ses yeux. Il sentit avec douleur ses regards en plein jour obscurcis par la nuit : il voudrait, mais en vain, jouir encore de la douce lumière qui l'environne ; d'épaisses ténèbres lui dérobent le soleil qui l'éclairé. A-t-il le droit de se plaindre et de s'étonner qu'une ombre soudaine ait voilé sa paupière ? n'était-il pas déjà frappé d'aveuglement à l'heure où, dans cette couronne, il ne vit, l'insensé, qu'une proie à ravir ? Interrogé par un ami, il lui révéla son crime ; à la prière de ce frère d'armes, il mit à nu toute sa conduite : et bientôt, dirigé par ce guide comme au sein d'une nuit profonde, il le suivit, avec des intentions meilleures, jusqu'au pied des sacrés autels. Là, corrigé déjà par le malheur, prêt à entrer dans la voie du salut, il confesse la faute qu'il a commise, il s'accuse et se condamne volontairement lui-même : repentir salutaire, car, en reconnaissant qu'il a mérité sa peine, il semble avoir mérité son pardon. Son regret rachète son crime et guérit son infirmité : il donne ce qu'il a pour recouvrer ce qu'il a perdu ; il rend ce qu'il a enlevé ; sa perversité lui avait attiré un châtiment, sa conversion l'en délivre.

Ast alius, cœdem sitiens, violenlior ira,

Dœmone fervidior, qui capto in corpore clausus 250

Tartareo miserum furiosus jure premebat,

Perculit obsessum funesto a dœmone corpus,

Hospite taon diro tanto crudeliter hostis,

Sanguineumque ensem perfosso in peetore mersit.

Verum persistens insania vel furor idem 255

Spumantem gladium, roranlem et sanguine dextram,

Vertit in auctorem sceleris, vix cœde peracta,

Et latebras tanti sceleris mucrone resolvit,

Ac facinus maie conceplum per viscera quaerit.

Quam cito judicium velox vindicta probavit, 260

Et se cum tali admisso propera ultio junxit !

Nec quisquam dura ista putet, quum pauca timorem

Signa acuunt, pœna exterret, formido medela est.

 

Un autre, altéré de meurtre, emporté par la colère, enflammé de la rage d'un démon qui s'était enfermé dans son corps et le tenait asservi sous ses lois infernales, frappa le corps d'un malheureux, possédé comme lui par un démon funeste : inspiré par son mauvais hôte, il agit envers son semblable avec la cruauté d'un ennemi, et il enfonça de part en part dans la poitrine du pauvre fou son glaive ensanglanté. Puis, poussant plus loin encore la fureur et le délire, il tourna contre lui-même cette épée rouge d'écume, et de sa propre main ruisselante de sang il s'immola lui-même, lui l'auteur du meurtre, après avoir accompli son crime ; la pointe du fer perça l'enveloppe qui recelait des sentiments si dépravés et sut atteindre le mauvais germe au fond du cœur. La justice du ciel fit éclater promptement sa vengeance, et l'expiation suivit de près le forfait. Qu'on ne dise pas que cet arrêt fut trop sévère : quand d'autres moyens sont impuissants pour inspirer la crainte, la vue du châtiment épouvante, et la terreur est un remède.

Ornatum sanctis altaribus addere gaudens,

Certatim populos studio properabat ovantum. 265

Verum quum pulchras molitio tanta columnas

Tentaret sancti transferre ad limina templi,

Quidam tam properis cœcato corde rebellans

Obvius ire parat, vel talia cœpta morari,

Instinctu impulsas furiosi dsemonis, audet : 270

Insuper uxori minitans quod fletibus ejus

Expletum pensaret opus, quum forte propinquo

Rure habitans qaaesita operi instrumenta dedisset.

Nec mora, et in parvi vada perlucentia rivi

Prœcipiti dejectus equo, non reppulit ullas 275

Quae possent pronum corpus demergere lymphas.

Mergendus quœsivitaquas, tenuique fluento

Incubuit moriens; quas presserai, hausit arenas;

Naufragium sine puppe rapit, sine flumine gurges :

Agnoscunt elementa Deum ; nil casibus inde 280

Mentiri licuit, quod jussio sola peregit.

Non illas certe lacrymas tua funera flenti

Prœmissœ movere minœ; sed plangit, ut ante

Ominis exosi vates, ventura canebas.

Praecedis nostras jam non prohibendo columnas, 285

Nec rapis ornatum templo, rapiende sepulchro.

Sed populus, majore fide dévolus et instans,

Praecipuum celeravit opus ; virtute probata

Judicium emicuit, praesens devotio crevit.

 

Heureux d'ajouter un nouvel ornement aux sacrés autels, le peuple, en sa joyeuse ardeur, se livrait au travail avec un zèle empressé. Tous les efforts s'étaient réunis pour transporter d'élégantes colonnes à l'entrée du saint temple. Un seul homme voulut, dans l'aveuglement de son cœur, résister à l'entraînement général ; il osa s'opposer à cette tentative, et, cédant à l'impulsion d'un démon furieux, il résolut d'arrêter la marche de l'entreprise : il alla jusqu'à menacer sa femme, disant qu'elle lui paierait avec ses larmes la part qu'elle avait prise au succès de cette œuvre, parce qu'elle avait tiré d'une habitation rurale qu'ils avaient près de là les divers instruments nécessaires à l'opération. Sans plus attendre, il lance en avant son cheval, mais il tombe renversé dans le courant limpide d'une petite rivière, où il n'aura pas même à repousser l'eau qui pourrait le submerger dans sa chute. Il cherche vainement dans ce faible ruisseau les flots qui devraient le noyer ; il n'avale que du sable et succombe étouffé sur ce lit de gravier. Il périt ainsi, naufragé sans navire, englouti dans un gouffre sans eau. Les éléments obéissent à Dieu : l'illusion ici n'est point possible ; ce n'est pas un jeu du hasard, c'est la volonté d'en haut qui seule a tout conduit. Tu meurs, et ta femme verse des larmes : était-ce ces larmes-là que tes menaces avaient prédites ? non certes ; mais tu disais vrai, sinistre prophète ; elle pleure, et ton présage s'accomplit. Te voilà donc en route avant nos colonnes, mais non plus pour arrêter notre marche ; tu ne raviras pas au temple sa parure, tu vas être ravi par le sépulcre. Le peuple, persévérant avec plus d'ardeur et de dévouement dans sa foi, s'empressa d'achever sa pieuse entreprise : le ciel avait manifesté sa puissance et fait éclater sa justice aux yeux des fidèles ; ce spectacle doubla leur ferveur.

Jam posito terrore legens correcte periclis, 290

Munera praecipui numerabis blanda patroni,

Et post percussum victo serpente venenum,

Nectarei primum succo gaudebis olivi ;

Quod quoties sancti vicinia juncta sepulcbri

Comminus excepit, mutavit vera liquorem 295

Gratia, etadvexit properas festina medelas.

Perlatum oblulerat felix antistes olivum

Incunctante fide, quod spiritus ille rigaret,

Et nova contigui perfunderet aura favoris,

Perpetuus, Domini non solum nomine cultor, 300

Et progressa pii sectans exemple magistri.

Hanc quum veilet opem veneratus ferre saluti,

Experturaque bonum cunctis adhibere medelis,

Abrasus propere benedicto e marmore pulvis,

Admixtus sancto vires duplicavit olivo ; 305

Ut sic resperso virtus geminata liquori

Augeret contacta fidem, sociata salutem.

Verum ubi vel modicam sensit vicinia micam,

Gratia contaclum velox suspendit olivum,

Et tumor exundans efferbuit, auxit abundans 310

Copia, quod coram, prolato munere, crevit.

Celsior ore suo diffusio claustra rigavit,

Et tamen exundans non fecit gratia damnum,

Et subjecta fluens, et semper plena repletis,

Non maculat unquam madidas haec gloria vestes. 315

Majorem haec retinent inspecta Siloa nitorem,

Quae tantum lestantur opus; non abluat ullus,

Quae virtus tanto indicio perscripta notavit.

 

Bannis désormais toute crainte, ô lecteur ! après ces redoutables corrections infligées à l'homme au sein des périls, la bonté de l'illustre patron va te prodiguer des bienfaits plus doux ; après la défaite du serpent et les coups portés à son venin, voici d'abord le nectar de l'olive qui fera ton bonheur et ta joie. Chaque fois qu'on la dépose dans un endroit voisin du tombeau sacré, l'efficacité de la grâce transforme cette liqueur et lui prête aussitôt une énergie active et salutaire. Un vase d'huile avait ainsi été présenté à ce tombeau par le bienheureux évêque Perpétuas, pour être imprégné de l'esprit du saint et inondé du souffle de sa faveur qui régénère tout ce qui l'approche : car, dans la ferme conviction de sa foi, Perpetuus ne se contente pas d'adorer de nom le Seigneur, il aime à suivre les leçons et les exemples de son pieux prédécesseur, objet de sa vénération. Et comme il voulait faire de cette huile un remède infaillible, et employer ce baume éprouvé à soulager toutes les souffrances, il gratta légèrement le marbre du sépulcre, et, versant dans le vase, cette raclure bénie, il doubla les forces de l'huile sainte : car, en l'arrosant de cette poussière, il communiquait à ce liquide deux vertus nouvelles ; le contact rendait la consécration plus parfaite et plus sûre, le mélange était un gage de plus pour la guérison. L'huile eut à peine senti l'approche d'un faible grain de cette poudre, que, par l'action rapide de la grâce, elle monte aussitôt, s'enfle et se soulève en bouillonnant ; son volume augmente et s'accroît visiblement sous cette bienfaisante influence : sortant du vase qui l'enferme, elle déborde et s'épanche au dehors. Mais, en se répandant ainsi, la sainte liqueur ne cause aucun dommage ; elle coule toujours et la fiole est toujours pleine, et, par un glorieux privilège, elle mouille les vêtements sans les tacher ; au contraire, les étoffes qu'elle pénètre en conservent plus d'éclat : c'est un brillant témoignage de la grandeur du prodige. Que nul ne s'avise d'essuyer ces vêtements où une vertu merveilleuse imprime ainsi les traces de sa puissance.

Nec clausa est laus ista loco ; sectata fideles

Gratia sublimes titulos et in aera misit. 320

Ipsae etiam sancti meritum sensere procellae,

Grandinis et terror densatis nubibus haesit,

Vastandisque locis clementior ira pepercit.

Quidam, confidens veram se ferre salutem

Si quidquam e sancti licuisset limine templi 325

Ad propriam deferre domum, benedicta salubris

Congaudens famulus suscepit praemia cerae.

Experta est gavisa fides, quod pectore toto

Senserit auxilium : spes exspectata revixit.

Evasit protectus ager jacula illa liquoris 330

Saxea, et adstrictae glacialia verbera lymphae,

Ac fructus satione tegens, quae condita terrae

Extendit patulos votiva ad tegmina ramos.

Indultum stupuit vicinia cuncta favorem,

Et patuit veris virtus jam cognita signis. 335

 

La gloire de Martin ne reste pas enfermée dans son tombeau ; sa grâce accompagne les fidèles et ses mérites sublimes s'élèvent au loin dans les airs. Les ouragans eux-mêmes ont senti le pouvoir du saint : la grêle terrible demeura suspendue dans l'épaisseur des nuages, et sa rage vaincue épargna les champs qu'elle allait dévaster. Un homme était persuadé qu'il aurait avec lui un préservatif certain contre ce fléau, s'il pouvait emporter à son logis quelque chose du saint temple. Pour l'obliger, on fit don à ce fervent serviteur d'un peu de cire bénie qu'il reçut avec grand plaisir. Sa foi lui porta bonheur : il éprouva bientôt les effets du secours dont son cœur avait deviné l'étendue ; son espoir se réalisa au gré de son attente. Son champ protégé put échapper aux traits de cette onde glacée, aux coups meurtriers de ces frimas que le froid durcit comme la pierre. Semée sur le sol, la cire préserva ses jeunes plants, et, s'enfonçant au sein de la terre, développa la sève de leurs tiges touffues, qui se couvrirent des fruits désirés. Tout le voisinage admira la faveur que cet homme avait obtenue, et ces signes manifestes et vrais d'une puissance déjà bien connue.

Non ego centenis possem haec praeconia linguis

Cuncta loqui, aut tantas virtutum evolvere palmas :

Nec mibi raendacis pulsanda oracula Phœbi,

Nec confictarum plectra exspectanda sororum.

Nos alter repleat tantae ad praeconia laudis 340

Spiritus, et nostro det verba et gaudia cordi.

Ut verum cantare queat mea musa, patronus

Me foveat, vegetetque meom sua gratia sensum,

Ne vincar splendore operis, neu lumine tanto

Obrutus, instabiles oculos a luce reflectam, 345

Perspicuoque canam celsa et cœlestia sensu.

Crede Deo, lecture, pio, quae credere nobis

Ambigis, et Cbristo cuncta haec proclivia nosces,

Quae dedit, et sancti titulis adcrescere jussit.

 

Non, quand j'aurais cent langues, je ne pourrais redire toutes ces merveilles, ou dérouler les palmes de tant de triomphes. Loin de moi l'idée d'emprunter les accents d'un Apollon menteur ; je n'attends rien des neuf sœurs et de leurs lyres fabuleuses. Un autre esprit m'anime, et, pour célébrer ces glorieux prodiges, doit donner l'éloquence et la joie à mon cœur. C'est la vérité que veut chanter ma muse ; mais il faut que Martin me soutienne, que sa grâce échauffe ma verve, car je succomberais vaincu par l'éclat d'une si belle œuvre, écrasé par tant de lumière, et je détournerais de ces vives clartés mes regards éblouis ; qu'il éclaire mon génie, et je pourrai chanter ses hautes et célestes vertus. Crois au Dieu saint lecteur, qui hésites à me croire : tu sauras que tous ces miracles sont faciles au Christ, qui permit au bienheureux de les accomplir et voulut les ajouter à ses titres de gloire.

Obsequium solemne pio deferre quotannis 350

Adsuevit populus, reducis quum circulus anni

Instaurat renovans sanctae mysteria Paschae;

Invitat properos veneratio plurima cellae,

Quae tam praecipuo patuit, fida hospita, sancto,

Angelico possessa viro : prona ora madescunt 355

Fletibus et lacrymis, sancti vestigia quaerunt,

Quae loca contigerit psallens, quae presserit orans.

Hinc meminisse volunt in quo libaverit escas,

Immensa exiguo laxans jejunia gustu ;

Cœlesti auxilio excubiis quse cella quietem 360

Foverit, atque brevem membris largita soporem

Sublimem vigili recréant imagine mentem.

Huc populum congaudet ovans perducere pastor.

Transfretat exceptum numerosis puppibus agmen

Et fluctus sub classe latent : hue sexus et aetas 365

Omnis adest, vacuœ résident custodibus aedes,

Et cunctis alterna fides penetralibus adstat.

Interea infusus mortis vel crirainis auctor

Invidiae livore suae, conatibus istis

Obvius ire parat; navemque adgressus onustam, 370

Fluctibus in mediis vastoque in gurgite mersit,

ïnvolvens alto simul omnia rapta profundo,

Implicitumque trahens decursu iluminis agmen.

Quam cladem exspectabat ovans, quantoque triumpho

Optata innumerae numerabat funera mortis, 075

Divulsos rapiens nutricum a pectore parvos,

Dispergensque vagas super invia cœrula clades !

Ast alios cernens nexu cervice gravata

Mergere depressum, quod strinxerat ulna, cadaver,

Hos madida jam veste trahi, sed quserere cœlum 380

Lumine, et infusas vel murmure pellere lymphas.

Interea concors Martini in nomine clamor

Auxilium cœleste ciet , prosternitur omne

Vulgus, et humentes fletu perfundit arenas.

Debebat tam laeta dies specialia mœstis 385

Gaudia, et eximium solemni in tempore munus.

Adfuit in mediis confestim mitior undis

Spiritus, et dirae rapuit jura improba morti.

Suspendit vaga membra liquor; solidata saluti,

Lympha artus subvexit aquis ; non icta natatu, 390

Nec permutatis sulcata et saucia palmis,

Immotum gestavit onus , ripisque revexit

Gaudia, et advectam numeravit laeta salutem.

Agnovit natum genitrix, infantia matri

Haesit, et amplexu genitor sua pignora fovit. 395

Frater, mater, herus, famulus, inatrona, propinquus,

Collato coiere gradu; gratesque resultans

Vox cecinit, sanctisque Deum laudavit in hymnis.

Vix audet quisquam confestim credere visis.

Consulit et dubio trepidantia lumina voto,

Nec fracta est terrore fides, properatur ad amnem;

Ocius instaurat vegetas nova gratia vires,

Non habitum mutare placet, cum vestibus hisdem

Exsultant, madidoque fides non alget amictu.

Sic ripa ulterior tanto gavisa triumpho,

Cantemus Domino laeta et credula, dixit ( sic ),

Praeda illaesa canit, submersus praedo remansit.

Ecce iterum Dominus scissi Jordanis hiatu

Divisum patefecit iter, populumque per amnem

Praegressae jussit se jungere cominus arcae,

Ad fontem remeans vertit sua flumina gurges,

Et sistens cursum refluus properavit ad ortum,

Haec loca calcatis populus protrivit arenis

Navita quae trepidus, remo veloque cucurrit.

 

Le peuple est dans l'usage de rendre à Martin, tous les ans, un hommage solennel, quand le retour de l'année ramène la célébration des mystères de la sainte Pâque. Pleins de vénération pour sa mémoire, les fidèles nombreux se dirigent avec empressement vers cette cellule qui ouvrit une retraite hospitalière et sûre à la majesté d'un tel homme, qui fut habitée par ce prélat angélique : les visages s'inclinent, mouillés de larmes et de pleurs ; on recherche les traces du pieux évêque, les lieux où il se plaçait pour chanter les psaumes, où il s'étendait pour prier. On veut se rappeler l'endroit où il prenait quelques aliments pour interrompre par un faible repas la longue durée de ses jeûnes, la partie de la cellule où la bonté du ciel, au milieu de ses nuits vigilantes, lui ménageait quelque repos, et dispensait à ses membres un léger sommeil pour distraire par de douces images son âme sublime qui veillait encore. Le pasteur est heureux et fier de conduire son peuple vers cette cellule. Des bateaux nombreux reçoivent la foule pour traverser le fleuve, et le courant disparaît sous cette flotte. Tout sexe et tout âge y sont admis : les maisons restent vides et sans gardiens ; chaque logis demeure sous la protection de la foi commune. Cependant l'auteur du crime et de la mort de l'homme, enivré du venin de sa haine jalouse, tente de s'opposer à cette entreprise. Il attaque un bateau chargé de fidèles, le plonge dans un vaste gouffre au milieu du fleuve, enveloppe sous les vagues amoncelées la barque et les passagers tout ensemble, et, les entraînant en désordre, les abandonne à la dérive. Que de victimes il espérait déjà ! avec quelle joie il triomphait d'avance en comptant les innombrables coups que la mort allait frapper au gré de ses désirs ! Quel plaisir d'arracher les enfants du sein de leurs nourrices, de semer les funérailles sur cet abîme où tout secours est impossible, de voir les uns dégager leur cou des, étreintes d'un ami, et repousser dans l'eau son cadavre qu'ils tenaient embrassé, mais dont le poids les perdrait eux-mêmes ; les autres, que déjà leurs vêtements mouillés entraînent, chercher en vain le ciel de leurs derniers regards, et rejeter en grondant l'onde qui les suffoque ! Cependant un cri unanime implore au nom de Martin la divine assistance : toute la foule se prosterne et arrose de ses larmes le sable humide de la rive. Un si beau jour devait aux affligés une consolation toute particulière, une faveur éminente et digne de la solennité de Pâques. Tout à coup un vent plus doux souffla sur le fleuve et ravit à l'impitoyable mort son injuste puissance. Les corps épars demeurent suspendus sur les flots, dont la surface plus solide les soutient et les porte pour les sauver. Sans être frappée par les bras des nageurs, sans que leurs larges mains, s'avançant tour à tour, la coupent et la déchirent, l'onde retient son fardeau qui surnage immobile, et ramène la joie au rivage, heureuse de lui rendre autant de corps vivants qu'elle eût compté de victimes. La mère reconnaît son enfant, l'enfant s'attache à sa mère, et le père réchauffe sur son cœur les gages de son amour. Frère, mère, maître, serviteur, épouse, parent, tous se rapprochent et s'embrassent. Toutes les voix éclatent en actions de grâce et louent le Seigneur dans leurs sacrés cantiques. C'est à peine si, d'abord, on ose en croire ses yeux ; on tremble de se tromper, on consulte longtemps son regard incertain. Mais la terreur du danger n'a point abattu la foi : on retourne vers le fleuve ; le pouvoir de la grâce a raffermi les cœurs et leur inspire une ardeur nouvelle : ils ne veulent point changer leurs vêtements ; ils sont fiers de les garder : un habit mouillé ne peut refroidir la foi qui les embrase. L'autre rive, en les revoyant, fut ravie d'un si grand triomphe, et ses échos joyeux et chrétiens répétèrent longtemps : « Louanges au Seigneur ! » La proie chante, elle est sauvée ; le ravisseur est resté sous les flots. C'est ainsi que le Seigneur renouvela le miracle qu'il avait jadis opéré quand il divisa les eaux du Jourdain et ouvrit à travers ce fleuve un chemin à son peuple pour le rapprocher de l'arche qui marchait devant lui. Refoulant ses ondes en arrière, le fleuve suspendit son cours et recula en remontant avec rapidité vers sa source. Alors le peuple de Dieu put appuyer son pied sur le sable, là où le navigateur tremblant ne courait qu'aidé de la voile et des rames.

Quas terrae, pontique vias non nominis hujus

Gloria pernici penetravit concita saltu,

Aequoreas egressa vias, et pervia nautis,

Vasti dorsa maris validis abrepta procellis?

Puppis in ignotum longe delata profundum

Extra hominum classisque vias torpore ligatum

Turbinis impulsu praeceps irruperat aequor.

Egressum spes nulla dabat. Nam glute liquoris

Immota absistens pontus tabulata tenebat

Obsidione maris cupientes vota procellae.

Verum nulla datur miseris exire potestas

Naufragium tam segne tenet sine motibus ullis

Quae natat in pelago non enatat, haeret in undis

Detestanda quies pontus quod sustinet obstat,

Nec vehit impulsu puppem, nec sorbet hiatu.

Effugii via nulla patet, nam servat in undis

Fluctibus astrictam torpens custodia praedam.

Spes est una Deus, solus quaecunque creavit,

Et regit, imperium servant elementa creantis,

Ad nutum Domini raptim commota quiescunt,

Insuetos motus propere torpentia discunt,

Dispositisque prius rebus dat jussio legem.

Quidam rumorem sensu meliore secutus

Martini titulos fama vulgante per orbem

Compererat, plenaque piis miracula gestis,

Hic cogente malo solam ratus esse salutem

Ad verum clamare Deum, sic forte precatus,

Ad coelum visus lacrymarum fonte rigatos

Erigit, atque oculis cordis penetralia jungens

Aspice, ait, miseros spes una et vera salutis,

Martini miserere Deus, qui tanta per illum

Sparsisti in populis divini signa favoris,

Et meritum virtute probans extendere terras

lussisti titulos etiam trans aequora claros.

Ille suis solvat vel laxet vincula puppis

Saffragiis, cogat divisas cedere lymphas,

Et tantum fluctum rarescere gurgite ponti.

Nec mora, et allapsi propere vis maxima venti

Expulit arreptam discisso gurgite navem,

Et vexit facili super invia caerula flatu,

Moxque exoptata portus statione refovit,

Nomine Martini vectus simul atque revectus.

Assiduaque fide dona exorata canentes,

 

Est-il, sur la terre ou sur l'océan, une seule place où n'ait pas pénétré dans son vol agile la gloire du nom de Martin ? Détourné des routes accoutumées que sillonnent les matelots sur le dos de la vaste mer, un navire avait été entraîné par la violence de la tempête sur des flots inconnus, éloignés du passage ordinaire des hommes et des vaisseaux. Un calme profond enchaînait cette mer où l'avaient poussé des tourbillons impétueux, et rien ne lui donnait l'espoir d'en sortir, tant sa carène immobile était prise dans les entraves de cette onde tenace et engourdie ! Ainsi captifs au milieu des flots qui les enserrent, les matelots implorent le vent, dût-il leur apporter l'orage, car ses bourrasques furieuses leur viendraient en aide : au sein de l'océan, leurs vœux appellent la tempête ; mais nul pouvoir n'est donné aux malheureux d'échapper au péril : c'est un naufrage par défaut d'air et de mouvement. Le vaisseau flotte et ne vogue pas, un calme maudit l'attache sur l'onde : la mer, qui le soutient a sa surface, s'oppose à son départ, et refuse de se détendre pour le faire avancer ou d'entrouvrir ses vagues pour l'engloutir. Toute issue est fermée, la fuite est impossible : l'abîme assoupi le presse et ses étreintes et gardera sa proie. Son unique espoir est en Dieu, qui seul a créé, qui seul gouverne toutes choses : les éléments sont assujettis a l'empire du Créateur : à la voix du Seigneur, les éléments agiles s'apaisent, les éléments endormis s'éveillent agités à leur tour de mouvements inconnus ; l'ordre établi de la nature obéit aux lois contraires que la volonté de Dieu lui impose. Un matelot, guidé par sa raison, avait prêté l'oreille aux bruits répandus par la renommée dans tout l'univers ; il connaissait les mérites de Martin, et ses pieuses actions pleines de prodiges. Cet homme, en ce péril extrême, pensant que l'unique moyen de salut pour l'équipage était de recourir au vrai Dieu, s'avisa de lui adresser sa prière. Il élève vers le ciel ses yeux noyés de larmes, et l'élan de son cœur monte avec ses regards : « Vois notre peine, s'écrie-t-il, ô toi notre seul et véritable espoir de salut, Dieu de Martin, aie pitié de nous ! Si par lui tu as semé chez tous les peuples les signes éclatants de ta faveur divine ? si, prouvant ses mérites par des miracles, tu as voulu étendre au-delà des terres et les mers ! splendeur de sa gloire, permets qu'aujourd'hui son intercession nous délivre, qu'elle détache les liens qui nous retiennent, qu'elle force la mer à s'ouvrir, à diviser la masse de ses flots inertes, à leur rendre, en les dilatant, la souplesse et la vie. » Aussitôt un vent impétueux s'abat sur l'abîme, déchire les vagues, arrache le vaisseau qu'il emporte, et d'un souffle complaisant le fait voler sur la plaine azurée. Le port tant désiré les recueillit bientôt, délassa leurs fatigues ; conduits et ramenés par le nom de Martin, ils s'affermirent dans la foi et chantèrent les bienfaits qu'ils avaient obtenus.

Quis tandem haec sensu capiat; quis carmine pingat

Quis numerare queat, quis promere? vincitur omne

Ingenium, cohibent pressas praeconia linguas.

Attamen inferior titulis quos gloria comit,

Quae comperta mihi toties vel scripta relegi

Cum fari ut dignum est, nequeam, vel tangere nitar.

Quidam de sancto repetens sua limina templo

Praesidium domui credens afferre salutis

Detulerat secum sanctam ad penetralia ceram,

Detulerat secum sanctam ad penetralia ceram,

Fidens quod tanti benedictio juncta patroni

Tam justae fidei meritis virtutis adesset.

Et jam tempus erat prodi documenta favoris.

Forte per elapsum serpens incautius ignem

Flamma vorax vires augens per pabula ligni

Urgebat jam clade domum. Vapor undique in auras

Plurimus undantem glomerabat turbine molem,

Arida sorbebat rapiens atque obvia lambens,

Et solas linquens de tanta clade favillas.

Nec spes effugit propius flagrante periclo.

Sepserat incumbens propter penetralia terror,

Et tam contiguam vicina pericula praedam.

Ad sanctum rediere preces, clamore fideli

Poscitur, atque iterant crebrae nomina voces ( sic ),

Ipse herus accensae rutilantia lumina cerae

Unguine felici blandam fundentia lucem

Praetrepida velox rapit ad penetralia dextra,

Atque inter medias statuens flagrantia flammas

Ignis praesidiis ingentem reppulit ignem.

Haesit turbo furens, vastator protinus hostis

Terga dedit, rabiemque ignis scintilla fugavit.

Non ita si totos jecissent nubila nimbos

Desuper infusae possent prodesse procellae.

Aut si certanter rapuissent flumina coetus,

Quilibet haec quirent exhausto flumine fontes

 

Quel esprit serait capable de concevoir de telles merveilles ? quelle poésie saurait les peindre ? qui pourra les compter ? qui pourra les décrire ? Le génie impuissant renonce à les louer, la langue enchaînée reste muette. Cependant, si je ne puis m'élever à la hauteur de ces actions que la gloire couronne, si je ne puis dignement redire ces faits qu'on m'a tant de fois racontés ou que j'ai recueillis dans mes lectures, j'essayerai du moins d'effleurer un si noble sujet. Un homme, sortant du saint temple pour retourner à son logis, avait rapporté chez lui un peu de cire des flambeaux sacrés : il pensait que cette cire serait pour sa demeure un préservatif assuré, car il était convaincu que la bénédiction du grand patron seconderait une foi si méritoire, et l'assisterait de sa puissance miraculeuse ; et presque en même temps éclatèrent les preuves de cette faveur divine. Une main négligente ayant laissé tomber du feu dans ce logis, la flamme dévorante, alimentée par le bois qui double ses forces, déploie aussitôt ses ravages et menace déjà la maison tout entière. Les tourbillons d'une épaisse fumée déroulent de tous côtés leur masse ondoyante au milieu des airs. L'incendie s'attache aux corps secs et les consume ; sa langue de feu absorbe tout sur son passage, et ne laisse d'un tel désastre qu'un monceau de cendres. Surpris par les progrès des flammes qui les entourent et leur ferment toute issue, les habitants n'ont plus d'espoir ; abattus sous le poids de la terreur, ils tremblent d'être bientôt la proie du danger qui s'approche et va les atteindre. Ils adressent au saint leurs prières, leurs cris fervents l'implorent, et leurs voix réunies répètent son vénérable nom. Le maître allume alors la cire bénie qu'il possède ; cette grasse substance répand partout, en brûlant, une douce clarté. Aussitôt, d'une main diligente, il remporte en courant au fond de son logis, la place tout enflammée au milieu des flammes et oppose ce feu tutélaire à la marche du feu qui s'avance. Les tourbillons furieux s'arrêtent, l'ennemi dévastateur recule ; une étincelle a repoussé la rage de l'incendie. Non, tous les torrents des nuages, précipités par l'ouragan du haut des deux, n'auraient pu si bien l'éteindre ; une foule empressée aurait apporté là les eaux des fleuves, elle aurait épuisé tous les flots de leurs sources, que ce secours aurait été moins efficace et moins prompt que celui de la véritable puissance. Le feu tremblant fuit la cire, son aliment ordinaire ; sa nature redoute cette substance qu'elle aime et qui la nourrit ; et, par sa vertu sacrée, la cire anéantit la flamme, dont son nectar onctueux, odorant et limpide, entretient la lumière.

Tam celeri praestare bono quam vera potestas

Ignis praetrepidans refugit sua pabula ceras

Alterosque favos consors natura pavescit.

Virtute interimit flammam quam lumine nutrit

Nectare perspicuo redolens pinguedo liquores.

Haec paucis ausus propere percurrere verbis

Signavi indoctus populo relegenda fideli,

Firmavere humilem tam grandia gaudia vocem,

Quae quaeris descripta parum mirabere gesta,

Sufficit ut carmen temnens praeconia laudis

Nil morti licuisse, palam cum vita probetur.

Perpetuum urbs Turonum Martino antistite gaudet.

 

Tel est le sujet que j'ai osé parcourir à la hâte et resserrer en quelques pages. Ces faits, que j'ai retracés sans art, le peuple des fidèles pourra du moins les lire. La grandeur de ces heureux prodiges a donné plus de force à mes humbles accents. Tu peux blâmer, lecteur, la sécheresse de mes récits ; mais tu seras forcé d'admirer tes actes du saint. Méprise le poète, il y consent, pourvu que tu loues son héros. Sur ce héros la mort n'a point d'empire, il prouve aux yeux de tous qu'il n'a pas cessé de vivre : la ville de Tours jouit à perpétuité de Martin, son évêque.