HEAUTON
TIMORUMENOS
DIDASCALIA
INCIPIT HEAUTON TIMORUMENOS TERENTI ACTA LuDIS MEGALENSIBUS L. CORNELIO
LENTULO L. VALERIO FLACCO AEDILIBUS CURULIBUS EGERE L. AMBIVIUS TURPIO L.
ATILIUS PRAENESTINUS MODOS FECIT FLACCUS CLAUDI ACTA I TIBIIS INPARIBIS DEINDE
DUABUS DEXTRIS GRAECA EST MENANDRU FACTAST III M' IUVENTIO TI. SEMPRONIO COS.
PERIOCHA C. SVLPICI APOLLINARIS
In militiam proficisci gnatum Cliniam
amantem Antiphilam conpulit durus pater,
animique sese angebat facti paenitens.
Mox ut reversust, clam patrem devortitur
ad Clitiphonem. Is amabat scortum Bacchidem.
Cum accerseret cupitam Antiphilam Clinia,
ut eius Bacchis venit amica ac servolae
habitum gerens Antiphila: factum id quo patrem
suum celaret Clitipho. Hic technis Syri
decem minas meretriculae aufert a sene.
Antiphila Clitiphonis reperitur soror:
hanc Clinia, aliam Clitipho uxorem accipit.
PERSONAE
(PROLOGUS)
CHREMES SENEX
MENEDEMUS SENEX
CLITIPHO ADULESCENS
CLINIA ADULESCENS
SYRVS SERVOS
DROMO SERVOS
BACCHIS MERETRIX
ANTIPHILA VIRGO
SOSTRATA MATRONA
(CANTHARA) NUTRIX
PHRYGIA ANCILLA
(CANTOR) |
L'HÉAUTONTIMORUMÉNOS
DIDASCALIE
Voici l'Héautontimoruménos de
Térence, qui fut donné aux jeux Mégalésiens, sous les édiles
curules L. Cornelius Lentulus et L. Valerius Flaccus, par les troupes de
L. Ambivius Turpion et L. Atilius Proenestinus. La musique était de
Flaccus, esclave de Claudius; la première partie en fut exécutée avec
des flûtes inégales, le reste avec deux flûtes droites. C'est une
pièce grecque de Ménandre. C'est la troisième pièce de l'auteur. M.'
Juventius et Ti. Sempronius étaient consuls.
SOMMAIRE DE C. SULPICIUS APOLLINAIRE
Un père impitoyable a réduit son fils
Clinia, amant d'Antiphila, à s'engager comme soldat; mais il se repent
de sa dureté et se tourmente l'esprit. Bientôt le fils revient, et, en
cachette de son père, il descend chez Clitiphon, lequel était l'amant
de la courtisane Bacchis. Clinia, brûlant de revoir Antiphila, la fait
venir; elle se présente, déguisée en esclave, avec Bacchis qu'il fait
passer pour sa maîtresse. Cette feinte avait pour but de tromper le
père de Clitiphon. Par les artifices de Syrus, Clitiphon dérobe au
vieillard dix mines pour sa courtisane. On découvre qu'Antiphila est la
soeur de Clitiphon. Clinia l'épouse, et Clitiphon consent à se marier
d'un autre côté.
PERSONNAGES DE LA PIÈCE
PROLOGUE.
CHRÉMÈS, vieillard (père de Clitiphon).
MÉNÉDÈME, vieillard (père de Clinia).
CLITIPHON, jeune homme (amant de Bacchis).
CLINIA, jeune homme (amant d'Antiphila).
SYRUS, esclave (pédagogue de Clitiphon).
DROMON, esclave (de Ménédème).
BACCHIS courtisane
ANTIPHILA, jeune fille.
SOSTRATA, matrone (femme de Chrémès).
(CANTHARA), nourrice.
PHRYGIA, servante.
LE CHANTEUR. |
PROLOGUS
Ne quoi sit vostrum mirum quor partis seni
poeta dederit quae sunt adulescentium,
id primum dicam, deinde quod veni eloquar.
Ex integra Graeca integram comoediam
hodie sum acturus Heauton timorumenon, 5
duplex quae ex argumento facta est duplici.
Novam esse ostendi, et quae esset: nunc qui scripserit,
et quoia Graeca sit, ni partem maxumam
existumarem scire vostrum, id dicerem.
Nunc quam ob rem has partis didicerim paucis dabo. 10
Oratorem esse voluit me, non prologum:
vostrum iudicium fecit, me actorem dedit.
Sed hic actor tantum poterit a facundia,
quantum ille potuit cogitare commode
qui orationem hanc scripsit quam dicturus sum. 15
Nam quod rumores distulerunt malevoli,
multas contaminasse Graecas, dum facit
paucas Latinas: id esse factum hic non negat
neque se pigere, et deinde facturum autumat.
Habet bonorum exemplum, quo exemplo sibi 20
licere id facere quod illi fecerunt putat.
Tum quod malevolus vetus poeta dictitat,
repente ad studium hunc se adplicasse musicum,
amicum ingenio fretum, haud natura sua,
arbitrium vostrum, vostra existumatio 25
valebit. Qquare omnis vos oratos volo,
ne plus iniquom possit quam aequom oratio.
Facite aequi sitis; date crescendi copiam,
novarum qui spectandi faciunt copiam
sine vitiis. Ne ille pro se dictum existumet, 30
qui nuper fecit servo currenti in via
decesse populum: quor insano serviat?
De illius peccatis plura dicet, quom dabit
alias novas, nisi finem maledictis facit.
Adeste aequo animo; date potestatem mihi, 35
statariam agere ut liceat per silentium,
ne semper servos currens, iratus senex,
edax parasitus, sycophanta autem impudens,
avarus leno adsidue agendi sint seni
clamore summo, cum labore maxumo. 40
Mea causa causam hanc iustam esse animum inducite,
ut aliqua pars laboris minuatur mihi.
Nam nunc novas qui scribunt nil parcunt seni:
si quae laboriosast, ad me curritur;
si lenis est, ad alium defertur gregem. 45
In hac est pura oratio. Experimini
in utramque partem ingenium quid possit meum.
Si numquam avare pretium statui arti meae,
et eum esse quaestum in animum induxi maxumum,
quam maxume servire vostris commodis: 50
exemplum statuite in me, ut adulescentuli
vobis placere studeant potius quam sibi.
|
PROLOGUE
Comme vous pourriez vous demander
pourquoi le poète a confié à un vieillard un rôle que l'on attribue
d'ordinaire à un jeune homme, je vais vous en donner la raison d'abord,
puis je dirai ce qui m'amène. Nous allons vous jouer
l'Héautontimoruménos, une comédie nouvelle, tirée d'une comédie
grecque qui n'a pas encore été traduite. L'intrigue en est simple,
bien que le sujet soit double (01). J'ai
montré que c'est une pièce nouvelle et ce qu'elle est. Je vous dirais
maintenant qui l'a écrite et de qui est l'original grec si je n'étais
persuadé que vous le savez presque tous. Je vais à présent vous
expliquer en deux mots pourquoi l'on m'a chargé de ce rôle. C'est en
qualité de défenseur, non de Prologue que je me présente; l'auteur
vous prend pour juges et moi pour avocat. Mais le débit de l'avocat
tirera toute sa valeur de celle des idées justes que l'auteur a mises
dans la harangue que vous allez entendre. De méchantes langues ont
répandu le bruit qu'il avait compilé beaucoup de comédies grecques
pour en faire un petit nombre de pièces latines : il ne se défend pas
de l'avoir fait, il n'en a aucun regret et il déclare qu'il
recommencera. Il a pour lui l'exemple d'excellents auteurs, qui le fonde
à croire qu'il a le droit de faire ce qu'ils ont fait. Quant à ce que
va répétant le vieux poète jaloux (02),
qu'il s'est avisé tout à coup de cultiver la muse comique, comptant
plus sur l'esprit de ses amis que sur son talent naturel, il s'en
rapporte à vous : c'est votre jugement qui fera autorité. Aussi je
vous en prie tous, ne vous laissez pas influencer par les propos des
envieux; écoutez plutôt les juges impartiaux. Faites en sorte d'être
justes; favorisez l'essor de ceux à qui vous devez la faveur de voir
des pièces nouvelles sans défauts. Mais qu'il n'aille pas croire que
je parle de lui, celui qui naguère représentait le peuple s'écartant
pour laisser passer un esclave qui courait dans la rue. Pourquoi
prendrait-il fait et cause pour un fou? Il vous en dira plus long sur
les bévues de cet auteur, quand il donnera d'autres pièces nouvelles,
s'il ne met fin à ses injures. Prêtez-moi une attention bienveillante;
faites que je puisse représenter dans le silence une pièce d'un
caractère tranquille, que je n'aie pas toujours à jouer un esclave qui
court, un vieillard en colère, un parasite vorace, un sycophante
impudent, un avide marchand d'esclaves, tous rôles qui exigent de
grands cris et me mettent sur les dents. Par égard pour moi, trouvez
bon qu'on allège un peu mon fardeau; car ceux qui composent aujourd'hui
des pièces nouvelles ne ménagent pas ma vieillesse. Une comédie
est-elle fatigante, c'est à moi qu'on s'adresse; est-elle facile à
jouer, on la porte à une autre troupe. La pièce que nous allons donner
consiste en simples dialogues (03). Essayez
mon talent dans l'un et l'autre genre. Si mon art n’a jamais été
pour moi l'objet d'une avide spéculation, si j'ai toujours regardé
comme le profit le plus enviable l'honneur de contribuer de toutes mes
forces à vos plaisirs, faites un exemple en ma personne, afin que les
jeunes s'appliquent à vous satisfaire, vous, plutôt qu'eux-mêmes. |
ACTUS I
SCENA I
CHREMES, MENEDEMUS
CHREMES
Quamquam haec inter nos nuper notitia admodumst,
inde adeo quod agrum in proxumo hic mercatus es,
nec rei fere sane amplius quicquam fuit, 55
tamen vel virtus tua me vel vicinitas,
quod ego in propinqua parte amicitiae puto,
facit ut te audacter moneam et familiariter
quod mihi videre praeter aetatem tuam
facere, et praeter quam res te adhortatur tua. 60
Nam pro deum atque hominum fidem, quid vis tibi aut
quid quaeris? Annos sexaginta natus es
aut plus eo, ut conicio; agrum in his regionibus
meliorem neque preti maiori' nemo habet;
servos compluris: proinde quasi nemo siet, 65
ita attente tute illorum officia fungere.
Numquam tam mane egredior neque tam vesperi
domum revortor quin te in fundo conspicer
fodere aut arare aut aliquid ferre. Denique.
nullum remittis tempus neque te respicis. 70
Haec non voluptati tibi esse satis certo scio. At
enim dices : « quantum hic
operis fiat paenitet. »
Quod in opere faciundo operae consumis tuae,
si sumas in illis exercendis, plus agas.
MENEDEMUS
Chreme, tantumne ab re tuast oti tibi, 75
aliena ut cures ea quae nil ad te attinent?
CHREMES
Homo sum: humani nil a me alienum puto.
Vel me monere hoc vel percontari puta:
rectumst ego ut faciam; non est, te ut deterream.
MENEDEMUS
Mihi sic est usus; tibi ut opus factost face. 80
CHREMES
An quoiquamst usus homini se ut cruciet?
MENEDEMUS
Mihi.
CHREMES
Si quid laborist nollem; sed quid istuc malist?
Quaeso, quid de te tantum meruisti?
MENEDEMUS
Eheu!
CHREMES
Ne lacruma atque istuc, quidquid est, fac me ut sciam.
Ne retice, ne verere, crede inquam mihi: 85
aut consolando aut consilio aut re iuvero.
MENEDEMUS
Scire hoc vis?
CHREMES
Hac quidem causa qua dixi tibi.
MENEDEMUS
Dicetur.
CHREMES
At istos rastros interea tamen
adpone, ne labora.
MENEDEMUS
Minime.
CHREMES
Quam rem agis?
MENEDEMUS
Sine me vocivom tempus ne quod dem mihi 90
laboris.
CHREMES
Non sinam, inquam.
MENEDEMUS
Ah, non aequom facis.
CHREMES
Hui tam gravis hos, quaeso?
MENEDEMUS
Sic meritumst meum.
CHREMES
Nunc loquere.
MENEDEMUS
Filium unicum adulescentulum
habeo. Ah, quid dixi habere me? immo habui, Chreme;
nunc habeam necne incertumst.
CHREMES
Quid ita istuc?
MENEDEMUS
Scies. 95
Est e Corintho hic advena anus paupercula.
Eius filiam ille amare coepit perdite,
prope iam ut pro uxore haberet: haec clam me omnia.
Ubi rem rescivi, coepi non humanitus
neque ut animum decuit aegrotum adulescentuli 100
tractare, sed vi et via pervolgata patrum.
cotidie accusabam: « Hem tibine haec diutius
licere speras facere me vivo patre,
amicam ut habeas prope iam in uxoris loco?
Erras, si id credis, et me ignoras, Clinia. 105
Ego te meum esse dici tantisper volo,
dum quod te dignumst facies; sed si id non facis,
ego quod me in te sit facere dignum invenero.
Nulla adeo ex re istuc fit nisi ex nimio otio.
Ego istuc aetatis non amori operam dabam, 110
sed in Asiam hinc abii propter pauperiem, atque ibi
simul rem et gloriam armis belli repperi. »
Postremo adeo res rediit: adulescentulus
saepe eadem et graviter audiendo victus est;
putavit me et aetate et benevolentia 115
plus scire et providere quam se ipsum sibi:
in Asiam ad regem militatum abiit, Chreme.
CHREMES
Quid ais?
MENEDEMUS
Clam me profectus mensis tris abest.
CHREMES
Ambo accusandi; etsi illud inceptum tamen
animist pudentis signum et non instrenui. 120
MENEDEMUS
Ubi comperi ex is qui ei fuere conscii,
domum revortor maestus atque animo fere
perturbato atque incerto prae aegritudine.
Adsido: adcurrunt servi, soccos detrahunt;
video alios festinare, lectos sternere, 125
cenam adparare: pro se quisque sedulo
faciebant, quo illam mihi lenirent miseriam.
Ubi video, haec coepi cogitare : «
Hem, tot mea
solius solliciti sunt causa ut me unum expleant?
Ancillae tot me vestient? sumptus domi 130
tantos ego solus faciam? Sed gnatum unicum,
quem pariter uti his decuit aut etiam amplius,
quod illa aetas magis ad haec utenda idoneast,
eum ego hinc eieci miserum iniustitia mea!
Malo quidem me dignum quovis deputem, 135
si id faciam. Nam usque dum ille vitam illam colet,
inopem, carens patria ob meas iniurias,
interea usque illi de me supplicium dabo,
laborans parcens quaerens, illi serviens. »
Ita facio prorsus: nil relinquo in aedibus, 140
nec vas nec vestimentum: conrasi omnia.
Ancillas, servos, nisi eos qui opere rustico
faciundo facile sumptum exsercirent suom,
omnis produxi ac vendidi. Inscripsi ilico
aedis mercede. Quasi talenta ad quindecim 145
coegi: agrum hunc mercatus sum: hic me exerceo.
Decrevi tantisper me minus iniuriae,
Chreme, meo gnato facere dum fiam miser;
nec fas esse ulla me voluptate hic frui,
nisi ubi ille huc salvos redierit meus particeps. 150
CHREMES
Ingenio te esse in liberos leni puto,
et illum obsequentem, si quis recte aut commode
tractaret. Verum nec tu illum satis noveras,
nec te ille, hoc qui fit, ubi non vere vivitur.
Tu illum numquam ostendisti quanti penderes, 155
nec tibi illest credere ausus quae est aequom patri.
Quod si esset factum, haec numquam evenissent tibi.
MENEDEMUS
Ita res est, fateor: peccatum a me maxumest.
CHREMES
Menedeme, at porro recte spero, et illum tibi
salvom adfuturum esse hic confido propediem. 160
MENEDEMUS
Utinam ita di faxint!
CHREMES
Facient. Nunc, si commodumst,
Dionysia hic sunt hodie: apud me sis volo.
MENEDEMUS
Non possum.
CHREMES
Quor non? Quaeso tandem aliquantulum
tibi parce: idem absens facere te hoc volt filius.
MENEDEMUS
Non convenit, qui illum ad laborem in<pe>pulerim, 165
nunc me ipsum fugere.
CHREMES
Sicine est sententia?
MENEDEMUS
Sic.
CHREMES
Bene vale.
MENEDEMUS
Et tu.-
CHREMES
Lacrumas excussit mihi
miseretque me eius. Sed ut diei tempus est,
<tempust> monere me hunc vicinum Phaniam,
ad cenam ut veniat: ibo, visam si domist.- 170
Nil opus fuit monitore: iamdudum domi
praesto apud me esse aiunt; egomet convivas moror.
Ibo adeo hinc intro. Sed quid crepuerunt fores
hinc a me? Quinam egreditur? Huc concessero. |
ACTE
PREMIER
SCÈNE I
CHRÉMÈS, MÉNÉDÈME
CHRÉMÈS
Quoique notre connaissance ne date que depuis peu, juste du moment où
tu as acheté cette propriété: près de la mienne, et que nous n'ayons
guère eu d'autres rapports, néanmoins ou ton mérite ou le voisinage,
qui est, à mon avis, un lien assez semblable à l'amitié, m'engagent
à te dire ce que je pense avec une franchise amicale : c'est que tu en
fais plus que ton âge ne le comporte et que ta position ne le demande.
Car, au nom des dieux et des hommes, que veux-tu? quel est ton but? Tu
as soixante ans ou plus, à ce que je conjecture. Il n'y a pas dans ce
canton de terre meilleure et qui vaille autant que la tienne Tu ne
manques pas d'esclaves; mais c'est comme si tu n'en avais pas, tant tu
mets d'application à faire toi-même leur ouvrage ! Je ne sors jamais
si matin, je ne rentre jamais si tard au logis que je ne te voie dans
ton champ, bêchant, labourant, ou portant quelque chose. Enfin tu ne te
donnes aucun relâche, tu n'as nul égard à toi-même. Et ce que tu en
fais, ce n'est pas pour ton plaisir, j'en suis sûr. Tu me diras que
l'ouvrage qui se fait chez toi ne te satisfait pas. Or si tu prenais à
faire travailler les autres la peine que tu prends à travailler toi-même,
tu obtiendrais plus de résultats.
MÉNÉDÈME
Chrémès, tes affaires te laissent-elles assez de loisir pour que tu
t'occupes de celles des autres, et de ce qui ne te regarde aucunement?
CHRÉMÈS
Je suis homme, et rien de ce qui touche l'homme ne me paraît indifférent
Prends que je te conseille ou te questionne, ce que je veux, si tu fais
bien, t'imiter; si tu fais mal, t'en détourner.
MÉNÉDÈME
J'ai besoin, moi, de faire ce que je fais; libre à toi de faire ce qui
te convient.
CHRÉMÈS
Y a-t-il un homme qui ait besoin de se mettre à la torture?
MÉNÉDÈME
Oui, moi.
CHRÉMÈS
Si tu as quelque chagrin, j'en suis désolé. Mais quel est ton mal?
Qu'as-tu fait, je te prie, pour te punir si cruellement?
MÉNÉDÈME
Hélas !
CHRÉMÈS
Ne pleure pas, et, quoi que ce puisse être, apprends-le moi. Ne le
cache pas, ne crains pas, aie confiance en moi, te dis-je. Je te
consolerai et t'aiderai de mes conseils ou
de ma bourse.
MÉNÉDÈME
Tu tiens à le savoir?
CHRÉMÈS
Oui, par la raison que je viens de te dire.
MÉNÉDÈME
Tu le sauras.
CHRÉMÈS
Mais en attendant dépose au moins ce hoyau; épargne-toi cette fatigue.
MÉNÉDÈME
Pas du tout.
CHRÉMÈS
Que veux-tu faire?
MÉNÉDÈME
Laisse-moi; je ne veux pas me donner un seul instant de repos.
CHRÉMÈS
Non, te dis-je, je ne te laisserai pas.
MÉNÉDÈME
Ah ! ce n'est pas bien.
CHRÉMÈS
Oh ! un hoyau si lourd, je te le demande !
MÉNÉDÈME
C'est ce que je mérite.
CHRÉMÈS
Parle à présent.
MÉNÉDÈME
J'ai un fils unique, un tout jeune homme. Ah! que dis-je, j'ai un fils?
J'en avais un, Chrémès; mais aujourd'hui, l'ai-je ou non? je ne sais.
CHRÉMÈS
Qu'est-ce à dire?
MÉNÉDÈME
Tu vas le savoir. Il y a ici une vieille femme venue de Corinthe, qui
est fort pauvre. Mon fils devint éperdument amoureux de sa fille, au
point de la traiter déjà comme sa femme, tout cela à mon insu. Dès
que j'en fus instruit, au lieu de le prendre par la douceur et de
traiter ce jeune coeur malade comme il aurait fallu, j'eus recours à la
violence et aux procédés habituels des pères. Tous les jours je le
prenais à parti. « Ah çà ! crois-tu pouvoir longtemps continuer un
pareil train, du vivant de ton père, et mettre presque ta maîtresse
sur le pied d'une épouse? Tu t'abuses, si tu crois cela, et tu ne me
connais pas, Clinia. Je veux bien qu'on t'appelle mon fils, tant que tu
te conduiras comme tu le dois; sinon, j'aurai vite fait de trouver ce
que je dois faire à ton égard. Oui, tout cela ne vient que de trop
d'oisiveté. Moi,à ton âge, je ne songeais pas à faire l'amour. Me
voyant pauvre, je quittai ce pays pour aller en Asie, et là, dans le métier
des armes, je trouvai à la fois honneur et fortune. » Enfin les choses
en vinrent au point que mon jeune homme à force d'entendre les mêmes réprimandes
et de se voir traiter durement, n'y tint plus. Il pensa que l'âge et la
sagesse me faisaient voir plus clair et mieux comprendre ses intérêts
que lui-même. Il s'en est allé en Asie, Chrémès, pour s'enrôler au
service du roi.
CHRÉMÈS
Que me dis-tu là?
MÉNÉDÈME
Il est parti sans m'en rien dire, et voilà trois mois qu'il est absent.
CHRÉMÈS
Vous avez tort tous les deux. Cependant sa détermination prouve qu'il a
de l'honneur et ne manque pas d'énergie.
MÉNÉDÈME
Instruit de son départ par ceux qu'il avait mis dans sa confidence, je
rentre chez moi navré, bouleversé, éperdu de chagrin. Je tombe sur un
siège. Mes esclaves accourent, m'ôtent mes chaussures. J'en vois
d'autres qui s'empressent, mettent des coussins aux lits, préparent le
dîner. Chacun faisait de son mieux pour adoucir ma peine. Voyant cela,
je me pris à penser : « Eh quoi ! tant de gens occupés de moi seul,
pour contenter mes seuls désirs ! tant de servantes pour mes vêtements
! Je ferais en ma maison tant de dépenses pour moi seul ! Et mon fils
unique, qui devrait jouir de ces biens autant et plus que moi, puisqu'il
est plus en âge de les goûter, je l'ai chassé d'ici, le pauvre
enfant, par mon injustice. Je me croirais digne de tous les maux, si
j'en usais de la sorte. Tant qu'il mènera cette vie de privations, éloigné
de son pays par mes rigueurs, aussi longtemps je me punirai moi-même
pour le venger : je travaillerai, j'amasserai, j'économiserai, je me dévouerai
pour lui. » Et je l'ai fait à la lettre : je n'ai rien laissé dans ma
maison, ni meuble, ni étoffe; j'ai tout enlevé. Servantes, esclaves,
hormis ceux qui, en travaillant aux champs, pouvaient facilement couvrir
leur dépense, je les ai tous menés au marché et vendus, après quoi
j'ai mis un écriteau à ma maison. J'ai ramassé par là une quinzaine
de talents et j'ai acheté ce domaine où tu me vois peiner. J'ai pensé
que mes torts envers mon fils seraient moins grands, Chrémès, si je me
condamnais à souffrir, et que je n'avais pas le droit de goûter aucune
jouissance, tant qu'il ne serait pas revenu ici pour la partager avec
moi.
CHRÉMÈS
Je suis persuadé que tu es naturellement doux pour tes enfants, et que
ton fils eût été plein de déférence, si on l'avait traité avec
l'indulgence qui convient. Mais tu ne le connaissais pas assez et lui ne
te connaissait pas davantage; c'est ce qui arrive quand on se conduit
sans franchise. Tu ne lui as jamais laissé voir combien tu tenais à
lui, et lui n'a pas osé se confier à toi, comme un fils le doit à son
père. Si vous l'aviez fait, jamais tout cela ne te serait arrivé.
MÉNÉDÈME
C'est vrai, je l'avoue; les plus grands torts sont de mon côté.
CHRÉMÈS
Allons, Ménédème; j'ai bon espoir pour l'avenir, et j'ai confiance
qu'il te reviendra sain et sauf au premier jour.
MÉNÉDÈME
Que les dieux t'entendent !
CHRÉMÈS
Ils m'entendront. Aujourd'hui, si tu le veux bien, comme c'est le jour
des Dionysies je t'invite chez moi.
MÉNÉDÈME
Impossible.
CHRÉMÈS
Pourquoi? Ménage-toi enfin quelque peu, de grâce; ton fils absent le désire
comme moi.
MÉNÉDÈME
Il ne convient pas que, l'ayant jeté dans la peine, je m'y dérobe
moi-même.
CHRÉMÈS
Tu es bien décidé?
MÉNÉDÈME
Oui.
CHRÉMÈS
Adieu donc.
MÉNÉDÈME
Adieu. —
CHRÉMÈS (seul).
Il m'a arraché des larmes, je suis touché de son chagrin. Mais à
l'heure qu'il est, il faut que je rappelle à mon voisin Phania qu'il
vienne dîner. Je vais voir s'il est chez lui. (Il
frappe chez Phania.) Il n'a pas eu besoin d'être rappelé à
l'ordre : il y a déjà un moment qu'il est chez moi au rendez-vous, me
dit-on. C'est moi qui fais attendre mes convives. Allons, entrons. Mais
on ouvre ma porte. Qui donc sort de chez moi? Mettons-nous à l'écart. |
SCENA
II
CLITIPHO, CHREMES
CLITIPHO
Nil adhuc est quod vereare, Clinia: haudquaquam etiam cessant 175
et illam simul cum nuntio tibi hic adfuturam hodie scio.
Proin tu sollicitudinem istam falsam quae te excruciat mittas.
CHREMES
Quicum loquitur filius?
CLITIPHO
Pater adest, quem volui: adibo. Pater, opportune advenis.
CHREMES
Quid id est?
CLITIPHO
Hunc Menedemum nostin nostrum vicinum?
CHREMES
Probe. 180
CLITIPHO
Huic filium scis esse?
CHREMES
Audivi esse in Asia.
CLITIPHO
Non est, pater:
apud nos est.
CHREMES
Quid ais?
CLITIPHO
Advenientem, e navi egredientem, ilico
abduxi ad cenam; nam mihi cum eo iam inde [usque] a pueritia
fuit semper familiaritas.
CHREMES
Voluptatem magnam nuntias.
Quam vellem Menedemum invitatum ut nobiscum esset amplius, 185
ut hanc laetitiam necopinanti primus obicerem ei domi!
Atque etiam nunc tempus est.
CLITIPHO
Cave faxis: non opus est, pater.
CHREMES
Quapropter?
CLITIPHO
Quia enim incertumst etiam quid se faciat. Mdo venit;
timet omnia, patris iram et animum amicae se erga ut sit suae.
Eam misere amat; propter eam haec turba atque abitio evenit. CHREMES
Scio. 190
CLITIPHO
Nunc servolum ad eam in urbem misit, et ego nostrum una Syrum.
CHREMES
Quid narrat?
CLITIPHO
Quid ille? Miserum se esse.
CHREMES
Miserum? Quem
minus crederest?
Quid relicuist, quin habeat quae quidem in homine dicuntur bona?
Parentis, patriam incolumem, amicos, genus, cognatos, ditias.
Atque haec perinde sunt ut illius animus qui ea possidet: 195
qui uti scit, ei bona; illi qui non utitur recte, mala.
CLITIPHO
Immo ills fuit senex inportunus semper, et nunc nil magis
vereor quam nequid in illum iratus plus satis faxit, pater.
CHREMES
illene? Sed reprimam me: nam in metu esse hunc illist utile.
CLITIPHO
Quid tute tecum?
CHREMES
Dicam. Utut erat, mansum tamen oportuit. 200
Fortasse aliquanto iniquior erat praeter eius lubidinem.
Pateretur; nam quem ferret, si parentem non ferret suom.
Huncin erat aequom ex illius more an illum ex huius vivere?
Et quod illum insimulat durum id non est. Nam parentum iniuriae
unius modi sunt ferme, paullo qui est homo tolerabilis: 205
scortari crebro nolunt, nolunt crebro convivarier;
praebent exigue sumptum; atque haec sunt tamen ad virtutem omnia.
Verum ubi animus semel se cupiditate devinxit mala,
necessest, Clitipho, consilia consequi consimilia. Hoc
scitumst, periclum ex aliis facere, tibi quod ex usu siet. 210
CLITIPHO
Ita credo.
CHREMES
Rgo ibo hinc intro, ut videam nobis quid in cena siet.
tu, ut tempus est diei, vide sis nequo hinc abeas longius. |
SCÈNE
II
CLITIPHON, CHRÉMÈS
CLITIPHON (à
Clinia qui est resté dans la maison).
Tu n'as pas encore sujet de t'alarmer, Clinia; jusqu'ici ils ne sont pas
du tout en retard et je suis sûr qu'elle va t'arriver aujourd'hui avec
ton messager. Chasse cette vaine inquiétude qui te tourmente.
CHRÉMÈS
A qui mon fils parle-t-il?
CLITIPHON
Voici mon père, que je désirais voir. Abordons-le. Mon père, tu
arrives à propos.
CHRÉMÈS
Qu'y a-t-il?
CLITIPHON
Tu connais Ménédème, notre voisin?
CHRÉMÈS
Fort bien.
CLITIPHON
Tu sais qu'il a un fils?
CHRÉMÈS
J'ai entendu dire qu'il était en Asie.
CLITIPHON
Il n'y est plus, mon père, il est chez nous.
CHRÉMÈS
Que dis-tu?
CLITIPHON
Il vient d'arriver, et, au moment même où il débarquait, je l'ai
emmené à dîner; car depuis notre enfance nous avons toujours été
grands amis (04).
CHRÉMÈS
Cette nouvelle me fait grand plaisir. Combien je voudrais avoir insisté
davantage auprès de Ménédème, pour qu'il fût des nôtres
aujourd'hui ! Je lui aurais fait le premier chez moi une agréable
surprise. Mais il est encore temps.
CLITIPHON
Garde-t'en bien : il ne le faut pas, mon père.
CHRÉMÈS
Pourquoi?
CLITIPHON
Parce qu'il est encore incertain de ce qu'il doit faire. Il vient
seulement d'arriver. Il craint tout, la colère de son père et les
dispositions de sa maîtresse à son égard. Il l'aime à la folie, et
c'est à cause d'elle qu'ils se sont brouillés et qu'il est parti.
CHRÉMÈS
Je le sais.
CLITIPHON
Il vient de l'envoyer chercher à la ville par un petit esclave, que
j'ai fait accompagner de notre Syrus.
CHRÉMÈS
Et que dit-il?
CLITIPHON
Ce qu'il dit? Qu'il est malheureux.
CHRÉMÈS
Malheureux ! C'est le dernier qu'il faille tenir pour malheureux ! Que
lui manque-t-il de tout ce que les hommes regardent comme des biens,
parents, patrie intacte, amis, naissance, famille, fortune? Il est vrai
que ces avantages sont comme l'esprit qui les possède ce sont des biens
pour qui sait en user, des maux pour qui en use mal.
CLITIPHON
Oui, mais ce vieux bonhomme a toujours été intraitable, et maintenant
je ne crains rien tant qu'une chose, mon père, c'est que la colère ne
le porte à quelque violence regrettable contre son fils.
CHRÉMÈS
Lui?... (Bas). Mais taisons-nous, il n'est
pas mauvais pour le père que son fils le craigne.
CLITIPHON
Que murmures-tu à part toi?
CHRÉMÈS
Je dis que malgré tout il aurait dû rester. Peut-être Ménédème
a-t-il été un peu dur au gré du jeune homme. Il n'avait qu'à prendre
patience; car qui supportera-t-il, s'il ne supporte pas son père? Était-ce
au père à vivre au gré du fils, ou au fils au gré du père? Et quant
à ce reproche de dureté, c'est moins que rien. Tous les torts des
parents, pour peu qu'ils soient raisonnables, se réduisent à peu près
à un seul : ils ne veulent pas qu'on passe son temps à courir les
filles de joie et à faire bombance, et ils serrent les cordons de leur
bourse; mais tout ce qu'ils en font, c'est pour le bien de leurs
enfants. Lorsqu'au contraire on s'est laissé enchaîner par une
mauvaise passion, on ne peut prendre, Clitiphon, que de mauvaises résolutions.
Il est sage de profiter de l'exemple d'autrui pour apprendre ce qui peut
t'être utile.
CLITIPHON
Je le crois aussi.
CHRÉMÈS
Je rentre pour voir ce que nous avons à souper. Toi, vu l'heure qu'il
est, vois, je te prie, à ne pas trop t'éloigner d'ici. |
SCENA
III
CLITIPHO
CLITIPHO.
Quam iniqui sunt patres in omnis adulescentis iudices!
Qui aequom esse censent nos a pueris ilico nasci senes,
neque illarum adfinis esse rerum quas fert adulescentia. 215
Ex sua lubidine moderantur, nunc quae est, non quae olim fuit.
Mihin si umquam filius erit, ne ille facili me utetur patre;
nam et cognoscendi et ignoscendi dabitur peccati locus,
non ut meus, qui mihi per alium ostendit suam sententiam.
Perii, is mi, ubi adbibit plus paullo, sua quae narrat facinora! 220
Nunc ait : «
Periclum ex aliis facito tibi quod ex usu siet »:
astutus. Ne ille haud scit quam mihi nunc surdo narret fabulam.
Mage nunc me amicae dicta stimulant :«
Da mihi » atque «
adfer mihi »:
Quoi quod respondeam nil habeo; neque me quisquamst miserior.
Nam hic Clinia, etsi is quoque suarum rerum satagit, attamen 225
habet bene et pudice eductam, ignaram artis meretriciae.
Meast potens, procax, magnifica, sumptuosa, nobilis.
Tum quod dem ei «
recte » est; nam nil esse mihi religiost dicere.
Hoc ego mali non pridem inveni neque etiamdum scit pater. |
SCÈNE
III
CLITIPHON
CLITIPHON
Comme les pères sont toujours injustes à l'égard des jeunes gens ! Il
faudrait, d'après eux, que, dès le berceau, nous fussions d'emblée de
vieux barbons, sans aucune attache aux plaisirs du jeune âge. Ils
veulent nous régler d'après l'humeur qu'ils ont maintenant, et non
d'après celle qu'ils ont eue autrefois. Pour moi, si jamais j'ai un
fils, il peut être sûr qu'il aura en moi un père commode : il pourra
m'avouer ses folies et compter sur mon indulgence. Je ne ferai pas comme
le mien, qui a recours à l'exemple d'autrui pour m'étaler sa morale.
Ah ! malédiction ! quand il a bu un coup de trop, comme il m'en raconte
sur ses prouesses ! Et maintenant il vient me dire : « Profite de
l'exemple d'autrui pour apprendre ce qui peut t'être utile. » Avec sa
finesse, il ignore certainement combien je suis sourd à présent à ce
qu'il me chante. Je suis plus sensible à ces mots de ma maîtresse : «
Donne-moi, apporte-moi », auxquels je ne sais que répondre, et l'on
n'est pas plus malheureux que moi. Car mon ami Clinia, quoiqu'il ait ses
ennuis, a du moins une maîtresse bien et pudiquement élevée, et qui
ne connaît point la rouerie des courtisanes. La mienne est impérieuse,
exigeante, magnifique, dépensière, une princesse ! Demande-t-elle
quelque chose : « Bien ! » dis-je; car j'hésite à lui avouer que je
n'ai pas une obole. » n'y a que peu de temps que je me suis mis cette
épine au pied, et mon père n'en sait rien encore. |
ACTUS
II
SCENA I
CLINIA, CLITIPHO
CLINIA
Si mihi secundae res de amore meo essent, iamdudum scio 230
venissent; sed vereor ne mulier me absente hic corrupta sit.
Concurrunt multae opiniones quae mihi animum exaugeant:
occasio, locus, aetas, mater quoius sub imperiost mala,
quoi nil iam praeter pretium dulcest.
CLITIPHO
Clinia.
CLINIA
Ei misero mihi!
CLITIPHO
Eiam caves ne videat forte hic te a patre aliquis exiens? 235
CLINIA
Faciam; sed nescioquid profecto mi animu' praesagit mali.
CLITIPHO
Pergin istuc prius diiudicare quam scis quid veri siet?
CLINIA
Si nil mali esset, iam hic adessent.
CLITIPHO
Iam aderunt.
CLINIA
Quando istuc erit?
CLITIPHO
Non cogitas hinc longule esse? Et nosti mores mulierum:
dum moliuntur, dum conantur, annus est.
CLINIA
O Clitipho, 240
timeo.
CLITIPHO
Respira: eccum Dromonem cum Syro una: adsunt tibi.
|
ACTE
II
SCÈNE I
CLINIA, CLITIPHON
CLINIA
Si tout allait bien pour mon amour, ils seraient certainement arrivés
depuis longtemps. Mais je crains qu'on ne l'ait corrompue ici pendant
que j'étais à l'étranger. Tant de présomptions se réunissent pour
accroître mon inquiétude, l'occasion, le lieu, l'âge, une coquine de
mère dont elle dépend et qui n'aime plus rien au monde que l'argent !
CLITIPHON
Clinia !
CLINIA
Ah ! que je suis malheureux !
CLITIPHON
Prends donc garde qu'on ne t'aperçoive ici, si l'on venait à sortir de
chez ton père.
CLINIA
Je vais y prendre garde. Mais, en vérité, j'ai le pressentiment de
quelque malheur.
CLITIPHON
Pourquoi t'entêtes-tu à juger ainsi, avant de savoir ce qu'il en est.
CLINIA
S'il n'y avait pas quelque anicroche, ils seraient déjà ici.
CLITIPHON
Ils y seront dans un moment.
CLINIA
Quand viendra-t-il, ce moment?
CLITIPHON
Tu ne songes pas que c'est assez loin d'ici. Et puis tu connais les
habitudes des femmes : pour s'apprêter, pour se mettre en route, il
leur faut une année.
CLINIA
Ah ! Clitiphon, je tremble.
CLITIPHON
Respire : voici Dromon avec Syrus, qui viennent à toi.
|
SCENA
II
SYRUS, DROMO, CLINIA, CLITIPHO
SYRUS
Ain tu?
DROMO
Sic est.
SYRUS
Verum interea, dum sermones caedimus,
illae sunt relictae.
CLITIPHO
Mulier tibi adest; audin, Clinia?
CLINIA
Ego vero audio nunc demum et video et valeo, Clitipho.
DROMO
Minime mirum, adeo inpeditae sunt: ancillarum gregem 245
ducunt secum.
CLINIA
Perii : unde illi sunt ancillae?
CLITIPHO
Men rogas?
SYRUS
Non oportuit relictas: portant quid rerum!
CLINIA
Ei mihi!
SYRUS
Aurum vestem; et vesperascit, et non noverunt viam.
Factum a nobis stultest. Abi dum tu, Dromo, illis obviam.
Propera: quid stas?
CLINIA
Vae misero mi, quanta de spe decidi! 250
CLITIPHO
Quid istuc? quae res te sollicitat autem?
CLINIA
Rogitas quid siet?
Viden tu? ancillas, aurum, vestem, quam ego cum una ancillula
hic reliqui, unde esse censes?
CLITIPHO
Vah, nunc demum intellego.
SYRUS
Di boni, quid turbaest! Aedes nostrae vix capient, scio.
Quid comedent! quid ebibent! quid sene erit nostro miserius? 255
Sed video eccos quos volebam.
CLINIA
O Iuppiter ! ubinamst fides?
Dum ego propter te errans patria careo demens, tu interea loci
conlocupletasti te, Antiphila, et me in his deseruisti malis,
propter quam in summa infamia sum et meo patri minus sum obsequens:
quoi(u)s nunc pudet me et miseret, qui harum mores cantabat mihi, 260
monuisse frustra, neque eum potuisse umquam ab hac me expellere.
Quod tamen nunc faciam; tum quom gratum mi esse potuit nolui.
Nemost miserior me.
SYRUS
Hic de nostris verbis errat videlicet
quae hic sumus locuti. Clinia, aliter tuom amorem atque est accipis:
nam et vitast eadem, et animuste erga idem ac fuit, 265
quantum ex ipsa re coniecturam fecimus.
CLINIA
Quid est ? obsecro. Nam mihi nunc nil rerum omniumst
quod malim quam me hoc falso suspicarier.
SYRUS
Hoc primum, ut ne quid huius rerum ignores: anus,
quae est dicta mater esse ei antehac, non fuit; 270
ea obiit mortem. Hoc ipsa in itinere alterae
dum narrat, forte audivi.
CLITIPHO
Quaenamst altera?
SYRUS
Mane: hoc quod coepi primum enarrem, Clitipho;
post istuc veniam.
CLITIPHO
Propera.
SYRUS
Iam primum omnium,
ubi ventum ad aedis est, Dromo pultat fores; 275
anus quaedam prodit; haec ubi aperuit ostium,
continuo hic se coniecit intro, ego consequor;
anus foribus obdit pessulum, ad lanam redit.
Hic sciri potuit aut nusquam alibi, Clinia,
quo studio vitam suam te absente exegerit, 280
ubi de inprovisost interventum mulieri;
nam ea res dedit tum existumandi copiam
cotidianae vitae consuetudinem,
quae quoiusque ingenium ut sit declarat maxume.
Texentem telam studiose ipsam offendimus, 285
mediocriter vestitam veste lugubri,
eius anuis causa, opinor, quae erat mortua;
sine auro; tum ornatam ita uti quae ornantur sibi,
nulla mala re esse expolitam muliebri;
capillus pexus, prolixus, circum caput 290
reiectus neglegenter. Pax.
CLINIA
Syre mi, obsecro,
ne me in laetitiam frustra coniicias.
SYRUS
Anus
subtemen nebat. Praeterea una ancillula
erat; ea texebat una, pannis obsita,
neglecta, inmunda inluvie.
CLITIPHO
Si haec sunt, Clinia, 295
vera, ita uti credo, quis te est fortunatior?
Scin hanc quam dicit sordidatam et sordidam?
Magnum hoc quoque signumst dominam esse extra noxiam,
quom eius tam negleguntur internuntii.
Nam disciplinast isdem munerarier 300
ancillas primum ad dominas qui adfectant viam.
CLINIA
perge, obsecro te, et cave ne falsam gratiam
studeas inire. Quid ait ubi me nominas?
SYRUS
Ubi dicimus redisse te et rogare uti
veniret ad te, mulier telam desinit 305
continuo, et lacrumis opplet os totum sibi,
ut facile scires desiderio id fieri [tuo].
CLINIA
Prae gaudio, ita me di ament, ubi sim nescio
ita timui.
CLITIPHO
At ego nil esse scibam, Clinia.
Agedum vicissim, Syre, dic quae illast altera? 310
SYRUS
Adducimus tuam Bacchidem.
CLITIPHO
Hem, quid? Bacchidem?
Eho, sceleste, quo illam ducis?
SYRUS
Quo ego illam? Ad nos scilicet.
CLITIPHO
Ad patremne?
SYRUS
Ad eum ipsum.
CLITIPHO
O hominis inpudentem audaciam!
SYRUS
Heus,
non fit sine periclo facinus magnum nec memorabile.
CLITIPHO
Hoc vide: in mea vita tu tibi laudem is quaesitum, scelus? 315
Ubi si paullulum modo quid te fugerit, ego perierim.
Quid illo facias?
SYRUS
At enim...
CLITIPHO
Quid "enim"?
SYRUS
Si sinas, dicam.
CLINIA
Sine.
CLITIPHO
Sino.
SYRUS
Ita res est haec nunc, quasi quom...
CLITIPHO
Quas, malum, ambages mihi
narrare occipit?
CLINIA
Syre, verum hic dicit: mitte, ad rem redi.
SYRUS
Enimvero reticere nequeo: multimodis iniurius, 320
Clitipho, es neque ferri potis es.
CLINIA
Audiundum hercle est, tace.
SYRUS
Vis amare, vis potiri, vis quod des illi effici;
tuom esse in potiundo periclum non vis: haud stulte sapis,
siquidem id saperest velle te id quod non potest contingere.
Aut haec cum illis sunt habenda, aut illa cum his mittenda sunt. 325
Harum duarum condicionum nunc utram malis vide;
etsi consilium quod cepi rectum esse et tutum scio.
Nam apud patrem tua amica tecum sine metu ut sit copiast.
Tum quod illi argentum es pollicitus, eadem hac inveniam via,
quod ut efficerem orando surdas iam auris reddideras mihi. 330
Qid aliud tibi vis?
CLITIPHO
Siquidem hoc fit.
SYRUS
Siquidem? experiundo scies.
CLITIPHO
Age, age, cedo istuc tuom consilium: quid id est?
SYRUS
Adsimulabimus,
tuam amicam huius esse amicam.
CLITIPHO
Pulchre: quid faciat sua?
An ea quoque dicetur huius, si una haec dedecorist parum?
SYRUS
Immo ad tuam matrem abducetur.
CLITIPHO
Quid eo?
SYRUS
Longumst, Clitipho, 335
si tibi narrem quam ob rem id faciam : vera causast.
CLITIPHO
Fabulae!
Nil satis firmi video quam ob rem accipere hunc mi expediat metum.
SYRUS
Mane, habeo aliud, si istuc metuis, quod ambo confiteamini
sine periclo esse.
CLITIPHO
Huius modi, obsecro, aliquid reperi.
SYRUS
Maxume :
ibo obviam; hinc dicam ut revortantur domum.
CLITIPHO
Hem, 340
quid dixti?
SYRUS
Ademptum tibi iam faxo omnem metum,
in aurem utramvis otiose ut dormias.
CLITIPHO
Quid ago nunc?
CLINIA
Tune? Quod boni...
CLITIPHO
Syre, dic modo
verum.
SYRUS
Age modo: hodie sero ac nequiquam voles.
CLINIA
Datur, fruare dum licet; nam nescias.... 345
CLITIPHO
Syre inquam!
SYRUS
Perge porro, tamen istuc ago.
CLINIA
Eius sit potestas posthac an numquam tibi.
CLITIPHO
Verum hercle istuc est. Syre, Syre inquam, heus, heus, Syre!
SYRUS
Concaluit. Quid vis?
CLITIPHO
Redi, redi!
SYRUS
Adsum: dic quid est?
Iam hoc quoque negabis tibi placere.
CLITIPHO
Immo, Syre, 350
et me et meum amorem et famam permitto tibi.
Tu es iudex: ne quid accusandus sis vide.
SYRUS
Ridiculumst istuc me admonere, Clitipho,
quasi istic minor mea res agatur quam tua.
Hic siquid nobis forte advorsi evenerit, 355
tibi erunt parata verba, huic homini verbera.
Quapropter haec res ne utiquam neglectust mihi;
sed istunc exora ut suam esse adsimulet.
CLINIA
Scilicet
facturum me esse : in eum iam res rediit locum
ut sit necessus.
CLITIPHO
Merito te amo, Clinia. 360
CLINIA
Verum illa nequid titubet.
SYRUS
Perdoctast probe.
CLITIPHO
At hoc demiror, qui tam facile potueris
persuadere illi, quae solet quos spernere!
SYRUS
In tempore ad eam veni, quod rerum omniumst
primum. Nam quendam misere offendi ibi militem 365
eius noctem orantem; haec arte tractabat virum,
ut illius animum cupidum inopia incenderet
eademque ut esset apud te hoc quam gratissimum.
Sed heus tu, vide sis ne quid inprudens ruas.
Patrem novisti, ad has res quam sit perspicax; 370
ego te autem novi, quam esse soleas inpotens;
inversa verba, eversas cervices tuas,
gemitus, screatus, tussis, risus abstine.
CLITIPHO
Laudabis.
SYRUS
Vide sis.
CLITIPHO
Tutemet mirabere.
SYRUS
Sed quam cito sunt consecutae mulieres! 375
CLITIPHO
Ubi sunt? Quor retines?
SYRUS
Iam nunc haec non est tua.
CLITIPHO
Scio, apud patrem, at nunc interim.
SYRUS
Nihilo magis.
CLITIPHO
Sine.
SYRUS
Non sinam inquam.
CLITIPHO
Quaeso, paullisper.
SYRUS
Veto.
CLITIPHO
Saltem salutem.
SYRUS
Abeas, si sapias.
CLITIPHO
Eo.
Quid istic?
SYRUS
Manebit.
CLITIPHO
[O] hominem felicem!
SYRUS
Ambula. 380
|
SCÈNE
II
SYRUS, DROMON, CLINIA, CLITIPHON
SYRUS
Vraiment?
DROMON
C'est comme je te le dis.
SYRUS
Mais pendant que nous taillons des bavettes, elles sont restées en arrière.
CLITIPHON
Ta maîtresse arrive : tu entends, Clinia?
CLINIA
Oui, j'entends, je vois et je respire enfin, Clitiphon.
DROMON
Il n'y a là rien d'étonnant, encombrées comme elles le sont. Elles mènent
avec elles un troupeau de servantes.
CLINIA
Je suis perdu. D'où lui viennent ces servantes?
CLITIPHON
C'est à moi que tu le demandes?
SYRUS
Nous n'aurions pas dû les laisser en arrière. Elles entraînent, des
affaires !
CLINIA
Malheur à moi !
SYRUS
Des bijoux, des robes. Et puis il se fait tard et elles ne connaissent
pas le chemin. Nous avons fait une sottise. Retourne donc au-devant
d'elles, Dromon. Hâte-toi. Tu es encore là !
CLINIA
Ah ! malheureux que je suis ! De quelle haute espérance je suis tombé
!
CLITIPHON
Que veux-tu dire? Qu'est-ce qui t'inquiète encore?
CLINIA
Tu le demandes? Ne le vois-tu pas? Des servantes, des bijoux, des robes,
elle que j'ai laissée ici avec une unique petite servante ! D'où
crois-tu qu'elle tient tout cela?
CLITIPHON
Ah ! je commence à comprendre.
SYRUS
Dieux bons, quelle cohue ! Notre maison aura peine à la contenir, c'est
sûr. Vont-ils manger ! Vont-ils boire ! Notre bonhomme va être le plus
malheureux des hommes. Mais voici ceux que je cherchais.
CLINIA
O Jupiter, à qui se fier en ce monde? Pendant que j'errais à cause de
toi comme un insensé, loin de ma patrie, tu t'enrichissais, Antiphila,
et tu m'abandonnais à mon malheureux sort, toi pour qui je me suis déshonoré,
pour qui j'ai désobéi à mon père. Je ne puis penser à lui sans
honte et sans regret. M'a-t-il assez prévenu des moeurs de ces créatures?
m'a-t-il assez averti? et pour rien; car il n'a jamais pu me détacher
d'elle. Je vais pourtant le faire aujourd'hui; et lorsqu'on aurait pu
m'en savoir gré, je ne l'ai pas voulu. On n'est pas plus malheureux que
moi.
SYRUS (à part).
C'est évidemment ce que nous venons de dire qui l'a induit en erreur. (Haut.)
Clinia, tu te méprends sur le compte de ta maîtresse; car sa conduite
n'a pas changé et ses dispositions à ton égard sont les mêmes
qu'autrefois, autant que nous avons pu en juger sur les faits mêmes.
CLINIA
Quels faits, je te prie? Car il n'est rien que je souhaite plus en ce
moment que de l'avoir soupçonnée à tort?
SYRUS
D'abord, pour que tu n'ignores rien de ce qui la con-cerne, la vieille
qui passait pour être sa mère ne l'était pas. Elle est morte. Je l'ai
appris par hasard en chemin, tandis qu'elle le racontait à l'autre.
CLITIPHON
Quelle autre?
SYRUS
Attends. Laisse-moi d'abord achever ce que j'ai commencé; après,
j'arriverai à ta question.
CLITIPHON
Fais vite.
SYRUS
Premièrement, quand nous sommes arrivés à son logis, Dromon frappe à
la porte. Une vieille femme se présente. A peine a-t-elle ouvert la
porte que celui-ci se précipite à l'intérieur; je le suis. La vieille
pousse le verrou et retourne à sa laine. C'était l'occasion ou jamais,
Clinia, de savoir quel genre de vie elle a mené en ton absence, puisque
nous tombions chez elle à l'improviste. Ceci nous a mis à même de
juger de ses habitudes journalières; ce sont ces habitudes qui font le
mieux connaître le naturel d'une personne. Nous la trouvons appliquée
à tisser sa toile, simplement vêtue, en habits de deuil, sans doute à
cause de cette vieille qui est morte. Elle n'avait aucun bijou et elle
était vêtue comme une femme qui ne s'habille que pour elle-même; sur
les joues point de ces fards dont s'embellissent les femmes, la
chevelure peignée en longues tresses ramenées négligemment derrière
le cou. (A Clitiphon.) Patience !
CLINIA
Mon bon Syrus, je t'en conjure, ne me jette pas dans une fausse joie.
SYRUS
La vieille maniait la navette. Il y avait aussi là une petite servante
qui l'aidait à tisser, vêtue de haillons, négligée, sale et
crasseuse.
CLITIPHON
Si cela est vrai, Clinia, comme je le crois, qui peut être plus heureux
que toi? Entends-tu? une servante sale et d'une tenue malpropre. C'est
encore un bon signe que la maîtresse est honnête, quand la chambrière
est si négligée. Car c'est la règle d'acheter d'abord la servante,
quand on veut arriver jusqu'à la maîtresse.
CLINIA
Continue, je te prie, et garde-toi bien de mentir pour gagner mes bonnes
grâces. Qu'a-t-elle dit, quand tu as prononcé mon nom?
SYRUS
Quand nous lui avons dit que tu étais de retour et que tu la priais de
venir te trouver, à l'instant la toile lui tombe des mains et son
visage se remplit de larmes. Il était facile de voir que, si elle
pleurait, c'est qu'elle languissait de te voir.
CLINIA
Quelle est ma joie, grands dieux ! Je ne sais plus où j'en suis, tant
j'ai eu peur !
CLITIPHON
Je savais bien, moi, Clinia, que tu n'avais rien à craindre. Maintenant
à nous deux, Syrus. Dis-moi quelle est cette autre?
SYRUS
Ta Bacchis, que nous amenons.
CLITIPHON
Hein ! quoi? Bacchis ! Or çà, coquin, où a mènes-tu?
SYRUS
Où je la mène? Chez nous, apparemment.
CLITIPHON
Chez mon père?
SYRUS
Chez lui-même.
CLITIPHON
Quelle audace impudente !
SYRUS
Hé ! dis-moi, peut-on rien faire de grand et de mémorable sans courir
de risque?
CLITIPHON
Prends garde à ce que tu fais, coquin; c'est aux dépens de mon repos
que tu vas chercher de la réputation. Pour peu qu'une de tes
combinaisons échoue, je suis perdu.. Que prétends-tu faire ainsi?
SYRUS
Eh ! mais...
CLITIPHON
Quoi, mais?
SYRUS
Si tu me laisses parler, je te le dirai.
CLINIA
Laisse-le parler.
CLITIPHON
Soit.
SYRUS
Il en est à présent de cette affaire comme si...
CLITIPHON
Que diantre a-t-il besoin de commencer par ces circonlocutions?
CLINIA
Il a raison, Syrus : laisse tous ces détours, reviens au fait.
SYRUS
Réellement je ne peux plus y tenir. Tu es par trop injuste, Clitiphon,
et tu te rends insupportable.
CLINIA
Par Hercule, il faut l'écouter; tais-toi.
SYRUS
Tu veux avoir une maîtresse, tu veux la posséder, tu veux qu'on te
procure de quoi lui donner, et tu ne veux rien risquer pour en venir à
ces fins. C'est une sagesse qui n'est pas sotte, s'il est vrai qu'il y
ait de a sagesse à vouloir ce que tu ne peux avoir. Il faut accepter
les inconvénients avec les avantages ou renoncer à ceux-ci pour éviter
ceux-là. De ces deux alternatives, vois celle que tu préfères. Au
reste le plan que j'ai conçu est, j'en réponds, sage et sûr ; car il
te donne la facilité d'avoir ta maîtresse avec toi, chez ton père,
sans rien craindre. Il me donne aussi le moyen de trouver l'argent que
tu lui as promis, cet argent que tu m'as tant prié de te procurer, au
point de m'assourdir les oreilles. Que veux-tu de plus?
CLITIPHON
Si tu dois réussir.
SYRUS
Si je dois? Fais-en l'expérience, tu le sauras.
CLITIPHON
Allons, allons, voyons; ce plan, quel est-il?
SYRUS
Nous ferons croire que ta maîtresse est celle de Clinia.
CLITIPHON
Bien; mais dis-moi, que fera-t-il de la sienne? Dira-t-on aussi qu'elle
est à lui, comme si une seule ne suffisait pas à le compromettre?
SYRUS
Non; mais on l'emmènera chez ta mère.
CLITIPHON
Pourquoi chez elle?
SYRUS
Il serait trop long, Clitiphon, de t'expliquer pourquoi; mais j'ai de
bonnes raisons.
CLITIPHON
Chansons ! je ne vois rien là d'assez sûr pour que j'aie avantage à
en courir le risque.
SYRUS
Attends; si ce moyen te fait peur, j'en ai un autre, qui, vous le
confesserez tous les deux, ne présente aucun danger.
CLITIPHON
Oui, je t'en prie, trouve-m'en un comme cela.
SYRUS
Très volontiers, je vais à leur rencontre et leur dis de retourner
chez elles.
CLITIPHON
Hein ! que dis-tu?
SYRUS
Je vais te délivrer de toute crainte : tu pourras dormir tranquillement
sur les deux oreilles.
CLITIPHON
Que faire à présent?
CLINIA
Toi? Ce que ta bonne étoile...
CLITIPHON
Syrus, dis-moi seulement la vérité.
SYRUS
Décide-toi seulement; dans la journée, ce sera trop tard et inutile.
CLINIA
On t'offre, profites-en, tandis que tu le peux; car tu ne sais pas...
CLITIPHON (à Syrus qui s'éloigne).
Syrus écoute.
SYRUS
Continue, je ne laisse pas d'aller mon chemin.
CLINIA
Si tu le pourras plus tard, ou même jamais.
CLITIPHON
Par Hercule, tu as raison. Syrus, Syrus, écoute. Holà ! hé! Syrus!
SYRUS (à part).
Il a eu chaud. (Haut.) Que veux-tu?
CLITIPHON
Reviens, reviens.
SYRUS
Me voici. Voyons, qu'y a-t-il? Tu vas dire que cela non plus ne te
convient pas.
CLITIPHON
Non, Syrus. Je remets en tes mains ma personne, mon amour, ma réputation.
Je t'en fais l'arbitre; tâche de ne pas t'attirer de reproche.
SYRUS
Tu me fais rire avec ton conseil, Clitiphon, comme si dans cette affaire
je ne jouais pas aussi gros jeu que toi. Si le hasard nous ménage
quelque contretemps, il y aura des remontrances en réserve pour toi,
pour celui qui te parle, des coups; aussi n'ai-je ici rien à négliger;
mais obtiens de Clinia qu'il fasse passer Bacchis pour sa maîtresse.
CLINIA
C'est entendu : je le ferai. Au point où en sont les choses, je ne peux
refuser.
CLITIPHON
Tu mérites bien l'affection que j'ai pour toi, Clinia.
CLINIA
Mais elle, ne bronchera-t-elle pas?
SYRUS
On lui a bien fait la leçon.
CLITIPHON
Mais il y a une chose qui m'étonne, c'est que tu aies pu si facilement
la décider, elle qui en rebute tant d'autres tous les jours !
SYRUS
Je suis arrivé au bon moment, ce qui est en toutes choses le point
capital. J'ai trouvé chez elle un militaire qui la pressait ardemment
de lui accorder une nuit. Elle amusait habilement son homme pour allumer
ses désirs en se refusant, et pour s'en faire auprès de toi le plus
grand mérite possible. Mais toi, attention, veille bien, je te prie, à
ne pas te précipiter dans quelque étourderie. Tu connais ton père; tu
sais comme il est perspicace dans ces sortes d'affaires. Et moi je te
connais, je sais combien tu es d'ordinaire peu maître de toi. Mots à
double entente, cous penchés, soupirs, crachements, toux, rire, ne te
permets rien de tout cela.
CLITIPHON
Tu seras content de moi.
SYRUS
Veilles-y, je te prie.
CLITIPHON
Tu en seras étonné toi-même.
SYRUS
Mais comme les femmes nous ont vite rattrapés !
CLITIPHON
Où sont-elles? Pourquoi me retiens-tu?
SYRUS
A partir de ce moment, la tienne n'est plus à toi.
CLITIPHON
Oui, je sais, chez mon père; mais ici, en attendant...
SYRUS
Pas plus ici que là-bas.
CLITIPHON
Permets.
SYRUS
Non, te dis-je.
CLITIPHON
Je t'en prie, un moment.
SYRUS
Je le défends.
CLITIPHON
Qu'au moins je la salue !
SYRUS
Va-t'en, si tu es sage.
CLITIPHON
Je m'en vais. Et lui?
SYRUS
Il restera.
CLITIPHON
L'heureux homme !
SYRUS
Va donc.
|
SCENA
III
BACCHIS, ANTIPHILA, CLINIA, SYRUS
BACCHIS
Edepol te, mea Antiphila, laudo et fortunatam iudico,
id quom studuisti, isti formae ut mores consimiles forent;
minimeque, ita me di ament, miror si te sibi quisque expetit.
Nam mihi quale ingenium haberes fuit indicio oratio;
et quom egomet nunc mecum in animo vitam tuam considero, 385
omniumque adeo vostrarum volgus quae ab se segregant,
et vos esse istiusmodi et nos non esse haud mirabilest.
Nam expedit bonas esse vobis; nos, quibuscum est res, non sinunt:
quippe forma inpulsi nostra nos amatores colunt;
haec ubi immutata est, illi suom animum alio conferunt: 390
nisi si prospectum interea aliquid est, desertae vivimus.
Vobis cum uno semel ubi aetatem agere decretumst viro,
quoius mos maxumest consimili'svostrum, hi se ad vos adplicant.
Hoc beneficio utrique ab utrisque vero devincimini,
ut numquam ulla amori vostro incidere possit calamitas. 395
ANTIPHILA
Nescio alias: mequidem semper scio fecisse sedulo
ut ex illius commodo meum compararem commodum.
CLINIA
Ah,
ergo, mea Antiphila, tu nunc sola reducem me in patriam facis;
nam dum abs te absum, omnes mihi labores fuere quos cepi leves,
praeter quam tui carendum quod erat.
SYRUS
Credo.
CLINIA
Syre, vix suffero. 400
Hocin me miserum non licere meo modo ingenium frui!
SYRUS
Immo ut patrem tuom vidi esse habitum, diu etiam duras dabit.
BACCHIS
Quisnam hic adulescens est qui intuitur nos?
ANTIPHILA
Ah, retine me, obsecro!
BACCHIS
Amabo, quid tibist?
ANTIPHILA
Disperii, perii misera!
BACCHIS
Quid stupes,
Antiphila?
ANTIPHILA
Videon Cliniam, an non?
BACCHIS
Quem vides? 405
CLINIA
Salve, anime mi.
ANTIPHILA
O mi Clinia, salve.
CLINIA
Ut vales?
ANTIPHILA
Salvom venisse gaudeo.
CLINIA
Teneone te,
Antiphila, maxume animo exspectatam meo?
SYRUS
Ite intro; nam vos iamdudum exspectat senex.
|
SCÈNE
III
BACCHIS, ANTIPHILA, CLINIA, SYRUS
BACCHIS
Par Pollux, ma chère Antiphila, je te loue et t'estime heureuse de t'être
appliquée à rester aussi sage que belle, et, les dieux m'en sont témoins,
je ne suis pas du tout surprise que chacun te recherche. J'ai jugé ton
caractère à ta conversation. Pour moi, quand je songe à la vie que tu
mènes et que mènent toutes celles qui tiennent à l'écart la foule
des galants, je ne suis pas surprise que vous soyez ce que vous êtes,
et nous, le contraire. C'est votre intérêt d'être honnêtes; nous,
ceux à qui nous avons affaire ne nous le permettent pas; car c'est pour
notre beauté que nos amants nous courtisent; dès qu'elle décroît,
ils portent leur fantaisie ailleurs. Si dans l'intervalle nous ne nous
sommes pas ménagé quelques ressources, nous vivons dans l'abandon.
Vous autres, une fois que vous avez décidé de passer votre vie avec un
seul homme dont les goûts sont entièrement conformes aux vôtres, il
s'attache à vous, et ce doux lien vous enchaîne véritablement l'un à
l'autre, en sorte qu'aucun malheur ne peut s'abattre sur votre amour.
ANTIPHILA
Je ne connais pas les autres; mais je sais que, pour moi, j'ai toujours
eu à coeur de faire mon bonheur du bonheur de Clinia.
CLINIA (sans être vu ni entendu
d'Antiphila).
Ah ! aussi, chère Antiphila, est-ce toi seule qui me fais revenir
aujourd'hui dans ma patrie. Tant que j'ai été séparé de toi, tous
les maux que j'ai soufferts m'ont paru légers, sauf le chagrin d'être
privé de toi.
SYRUS
Je le crois.
CLINIA
Syrus, je n'y tiens plus. Je suis bien malheureux de ne pouvoir jouir,
comme je le voudrais, d'un coeur comme le sien.
SYRUS
Loin de là : de l'humeur dont j'ai vu ton père, il t'en fera voir de
dures encore longtemps,
BACCHIS
Quel est donc ce jeune homme qui nous regarde?
ANTIPHILA
Ah ! soutiens-moi, de grâce.
BACCHIS
Qu'as-tu? dis-moi.
ANTIPHILA
Je me meurs, je défaille, hélas !
BACCHIS
D'où vient ce saisissement, Antiphila?
ANTIPHILA
Est-ce Clinia que je vois, ou n'est-ce pas lui?
BACCHIS
Qui vois-tu?
CLINIA
Salut, ma chère âme.
ANTIPHILA
O mon Clinia, salut.
CLINIA
Es-tu en bonne santé?
ANTIPHILA
Je te revois sain et sauf, je suis heureuse.
CLINIA
Est-il vrai que je te tiens dans mes bras, Antiphila, toi que mon coeur
a tant souhaitée?
SYRUS
Entrez, il y a déjà un bon moment que le bonhomme vous attend.
|
ACTUS III
SCENA I
CHREMES, MENEDEMUS
CHREMES
Luciscit hoc iam. Cesso pultare ostium 410
vicini, primum e me ut sciat sibi filium
redisse? etsi adulescentem hoc nolle intellego.
Verum, quom videam miserum hunc tam excruciarier
eius abitu, celem tam insperatum gaudium,
quom illi pericli nil ex indicio siet? 415
Haud faciam; nam quod potero adiutabo senem.
item ut filium meum amico atque aequali suo
video inservire, et socium esse in negotiis,
nos quoque senes est aequom senibus obsequi.
MENEDEMUS
Aut ego profecto ingenio egregio ad miserias 420
natus sum, aut illud falsumst, quod volgo audio
dici, diem adimere aegritudinem hominibus;
nam mihi quidem cotidie augescit magis
de filio aegritudo, et quanto diutius
abest, mage cupio tanto et mage desidero. 425
CHREMES
Sed ipsum foras egressum video; ibo, adloquar.
Menedeme, salve. Nuntium adporto tibi,
quoius maxume te fieri participem cupis.
MENEDEMUS
Num quid nam de gnato meo audisti, Chreme?
CHREMES
Valet atque vivit.
MENEDEMUS
Ubinamst, quaeso?
CHREMES
Apud me domi. 430
MENEDEMUS
Meus gnatus?
CHREMES
Sic est.
MENEDEMUS
Venit?
CHREMES
Certe.
MENEDEMUS
Clinia
meus venit?
CHREMES
Dixi.
MENEDEMUS
Eamus, duc me ad eum, obsecro.
CHREMES
Non volt te scire se redisse etiam, et tuom
conspectum fugitat: propter peccatum hoc timet,
ne tua duritia antiqua illa etiam adaucta sit. 435
MENEDEMUS
Non tu illi dixti ut essem?
CHREMES
Non.
MENEDEMUS
Quam ob rem, Chreme?
CHREMES
Quia pessume istuc in te atque in illum consulis,
si te tam leni et victo esse animo ostenderis.
MENEDEMUS
Non possum: satis iam, satis pater durus fui.
CHREMES
Ah,
vehemens in utramque partem, Menedeme, es nimis, 440
aut largitate nimia aut parsimonia:
in eandem fraudem ex hac re atque ex illa incides.
Primum olim potius quam paterere filium
commetare ad mulierculam, quae paullulo
tum erat contenta quoique erant grata omnia, 445
proterruisti hinc. Ea coacta ingratiis
postilla coepit victum volgo quaerere.
Nunc quom sine magno intertrimento non potest
haberi, quidvis dare cupis. Nam ut tu scias
quam ea nunc instructa pulchre ad perniciem siet, 450
primum iam ancillas secum adduxit plus decem,
oneratas veste atque auro. Satrapes si siet
amator, numquam sufferre eius sumptus queat,
nedum tu possis.
MENEDEMUS
Estne ea intus?
CHREMES
Sit rogas?
Sensi; nam unam ei cenam atque eius comitibus 455
dedi; quod si iterum mihi sit danda, actum siet.
Nam, ut alia omittam, pytissando modo mihi
quid vini absumsit « sic hoc » dicens; « asperum,
pater, hoc est: aliud lenius, sodes, vide ! »
Relevi dolia omnia, omnis serias; 460
omnis sollicitos habui<t>, atque haec una nox.
Quid te futurum censes, quem adsidue exedent?
Sic me di amabunt, ut me tuarum miseritumst,
Menedeme, fortunarum.
MENEDEMUS
Faciat quidlubet:
sumat, consumat, perdat, decretumst pati, 465
dum illum modo habeam mecum.
CHREMES
Si certumst tibi
sic facere, illud permagni referre arbitror,
ut ne scientem sentiat te id sibi dare.
MENEDEMUS
Quid faciam?
CHREMES
Quidvis potiusquam quod cogitas:
per alium quemvis ut des, falli te sinas 470
techinis per servolum; etsi subsensi id quoque,
illos ibi esse, id agere inter se clanculum.
Syrus cum illo vostro consusurrant, conferunt
consilia ad adulescentes; et tibi perdere
talentum hoc pacto satius est quam illo minam. 475
Non nunc pecunia agitur sed illud quo modo
minimo periclo id demus adulescentulo.
Nam si semel tuom animum ille intellexerit,
prius proditurum te tuam vitam, et prius
pecuniam omnem quam abs te amittas filium, hui, 480
quantam fenestram ad nequitiem patefeceris,
tibi autem porro ut non sit suave vivere!
Nam deteriores omnes sumus licentia.
Quod quoique quomque inciderit in mentem, volet,
neque id putabit pravom an rectum sit: petet. 485
Tu rem perire et ipsum non poteris pati:
Dare denegaris; ibit ad illud ilico
qui maxume apud te se valere sentiet:
abiturum se abs te esse ilico minitabitur.
MENEDEMUS
Videre vera atque ita uti res est dicere. 490
CHREMES
Somnum hercle ego hac nocte oculis non vidi meis,
dum id quaero tibi qui filium restituerem.
MENEDEMUS
Cedo dextram: porro te idem oro ut facias, Chreme.
CHREMES
Paratus sum.
MENEDEMUS
Scin quid nunc facere te volo?
CHREMES
Dic.
MENEDEMUS
Quod sensisti illos me incipere fallere, 495
id uti maturent facere: cupio illi dare
quod volt, cupio ipsum iam videre.
CHREMES
Operam dabo.
Paullum negoti mi obstat: Simus et Crito
vicini nostri hic ambigunt de finibus;
me cepere arbitrum: ibo ac dicam, ut dixeram 500
operam daturum me, hodie non posse is dare:
continuo hic adero.
MENEDEMUS
Ita quaeso. - Di vostram fidem,
ita conparatam esse hominum naturam omnium
aliena ut melius videant et diiudicent
quam sua! An eo fit, quia in re nostra aut gaudio 505
sumus praepediti nimio aut aegritudine?
Hic mihi nunc quanto plus sapit quam egomet mihi!
CHREMES
Dissolvi me otiosus operam ut tibi darem.
Syrus est prendendus atque adhortandus mihi.
A me nescioquis exit: concede hinc domum 510
ne nos inter nos congruere sentiant.
|
ACTE
III
SCÈNE I
CHRÉMÈS, seul;
puis MÉNÉDÈME
CHRÉMÈS
Il commence à faire jour. Allons tout de suite frapper à la porte du
voisin, afin d'être le premier à lui annoncer le retour de son fils.
Je sais bien que le jeune homme ne le désire pas; mais quand je vois ce
malheureux père se tourmenter ainsi de son absence puis-je lui cacher
un bonheur si inattendu, surtout quand le fils n'a rien à craindre de
mon indiscrétion? Je m'en garderai bien, et je prêterai au vieux père
toute l'aide que je pourrai. Comme je vois mon fils se mettre au service
d'un cama-rade de son âge et le seconder dans ses desseins, nous aussi,
vieillards, nous devons venir en aide aux vieillards.
MÉNÉDÈME (à part)
Ou vraiment, par le caractère que m'a donné la nature, je suis spécialement
voué au malheur, ou l'on se trompe, quand on dit, comme je l'entends répéter
sans cesse, que le temps emporte les chagrins; car pour moi, je sens
chaque jour augmenter le chagrin que me cause l'absence de mon fils; et
plus elle se prolonge, plus je le désire et plus je le regrette.
CHRÉMÈS
Mais le voici lui-même qui sort de chez lui, je vais lui parler.
Bonjour, Ménédème. Je t'apporte une nouvelle, celle que tu attends
avec le plus d'impatience.
MÉNÉDÈME
As-tu appris quelque chose de mon fils, Chrémès?
CHRÉMÈS
Il vit et se porte bien.
MÉNÉDÈME
Où est-il donc, je te prie?
CHRÉMÈS
Chez moi, dans ma maison.
MÉNÉDÈME
Mon fils?
CHRÉMÈS
Oui.
MÉNÉDÈME
Il est revenu?
CHRÉMÈS
Certainement.
MÉNÉDÈME
Mon Clinia est revenu?
CHRÉMÈS
Comme je te dis.
MÉNÉDÈME
Allons, conduis-moi près de lui, je t'en conjure.
CHRÉMÈS
Il ne veut pas que tu saches son retour, et il s'applique à éviter ta
présence. Sa faute lui fait craindre que ta dureté d'autrefois n'ait
fait que s'accroître.
MÉNÉDÈME
Tu ne ut as donc pas dit dans quelles dispositions j'étais?
CHRÉMÈS
Non.
MÉNÉDÈME
Pourquoi, Chrémès?
CHRÉMÈS
Parce que ce serait la pire façon de servir ses intérêts et les tiens
que de lui laisser voir que tu es si adouci et prêt à capituler.
MÉNÉDÈME
Je ne peux pas; c'est assez, oui, c'est assez de rigueur pour un père
CHRÉMÈS
Ah ! tu exagères dans les deux sens, Ménédème : trop de prodigalité
ou trop de parcimonie. D'un excès, comme de l'autre, tu auras les mêmes
mécomptes. D'abord, autrefois, plutôt que de laisser ton fils fréquenter
une pauvre fille qui se contentait alors d'un rien et qui était
reconnaissante de tout, tu l'as chassé à force de menaces. Alors elle
s'est vue contrainte, en dépit qu'elle en eût, de se livrer à la débauche
pour vivre. Aujourd'hui qu'on ne peut l'avoir sans qu'il en coûte les
yeux de la tête, te voilà prêt à donner ce qu'on voudra. Il faut en
effet que tu saches comme elle a proprement appris à ruiner son monde.
Elle a commencé par amener avec elle plus de dix servantes chargées de
robes et de bijoux. Eût-elle pour amant un satrape, jamais il ne
pourrait suffire à ses dépenses; à plus forte raison toi.
MÉNÉDÈME
Est-ce qu'elle est chez toi?
CHRÉMÈS
Si elle y est? Je m'en suis aperçu. Je ne lui a donné u'une fois
à dîner, à elle et à sa suite; un second repas de ce genre, et je
serai ruiné. Ainsi, pour ne pas parler du reste, que de vin elle m'a
bu, rien qu'en le dégustant ! « Celui-ci n'a rien de trop,
disait-elle; celui-là est âpre, père; vois, s'il te plaît, si tu
n'en as pas de plus doux. » J'ai débouché tous mes tonneaux, toutes
mes cruches. Elle a mis tout le monde sur les dents, et ce n'est là
qu'une seule nuit. Que deviendras-tu, dis-moi, toi qu'elles vont gruger
sans relâche? Les dieux m'en sont témoins, Ménédème, j'ai tremblé
alors pour ta fortune.
MÉNÉDÈME
Qu'il fasse ce qu'il voudra. Qu'il prenne, qu'il dépense, qu'il
dissipe, je suis résolu à le souffrir, pourvu que je l'aie avec moi.
CHRÉMÈS
Si tu as résolu d'en user ainsi, il est, à mon avis, de la dernière
importance qu'il ne se doute pas que tu sais pour quel usage tu lui
donnes tout cet argent.
MÉNÉDÈME
Que faire?
CHRÉMÈS
Tout plutôt que ce que tu te proposes. Donne par l'entremise d'un
autre, quel qu'il soit; laisse-toi tromper par les fourberies d'un méchant
esclave. J'ai déjà flairé quelque tour de ce genre : on s'en occupe,
on se concerte mystérieusement à ce sujet. Syrus et votre Dromon
chuchotent ensemble et communiquent leurs machinations aux jeunes gens;
et il vaut mieux pour toi perdre un talent (05)
de cette façon qu'une mine de l'autre. Car ce n'est pas d'argent qu'il
s'agit à cette heure, mais de la manière de le donner au jeune homme
avec le moins de danger. S'il vient à se douter de tes dispositions,
que tu sacrifieras ton existence et ta fortune tout entière plutôt que
de te séparer de lui, ah ! alors, quelle porte ouverte à la
dissipation ! la vie désormais te deviendrait à charge; car la licence
conduit infailliblement à la dépravation. Tous les caprices qu'on peut
avoir, il les aura, sans s'inquiéter si ses exigences sont déraisonnables
ou sensées, et toi, tu ne pourras plus supporter qu'il perde ton
patrimoine, et qu'il se perde lui-même. Refuseras-tu de le satisfaire?
il aura aussitôt recours au moyen qu'il saura infaillible sur ton
esprit : il te menacera de partir sur-le-champ.
MÉNÉDÈME
Je crois que tu as raison et que tu vois la chose comme elle est.
CHRÉMÈS
Par Hercule, je n'ai pas fermé l'oeil de la nuit, tant j'étais préoccupé
des moyens de te rendre ton fils !
MÉNÉDÈME
Ta main, Chrémès. Achève, je t'en prie, ce que tu as commencé.
CHRÉMÈS
J'y suis tout disposé.
MÉNÉDÈME
Sais-tu ce que je désire que tu fasses à présent?
CHRÉMÈS
Parle.
MÉNÉDÈME
Puisque tu t'es aperçu qu'ils ont dessein de me duper, tâche qu'ils se
hâtent. Je désire lui donner ce qu'il veut, je désire le voir lui-même
tout de suite.
CHRÉMÈS
Je vais m'en occuper. Une petite affaire m'en empêche pour le moment :
Simus et Criton, nos voisins, sont en contestation sur des limites : ils
m'ont pris pour arbitre. Je vais aller leur dire que, malgré ma
promesse de m'en occuper, je ne le puis aujourd'hui. Je reviens à
l'instant.
MÉNÉDÈME
Oh oui ! je t'en prie. (Seul.) Dieux du
ciel, nous sommes donc ainsi faits que nous voyons et jugeons toujours
beau-coup mieux les affaires d'autrui que les nôtres ! Cela ne tient-il
pas à ce que, quand il s'agit de nous-mêmes, l'excès de la joie ou du
chagrin nous aveugle? Combien ce Chrémès, en mon affaire, entend mieux
mes intérêts que moi-même!
CHRÉMÈS (revenant).
Je me suis dégagé pour avoir le loisir de m'occuper de toi. Il me faut
d'abord prendre Syrus à part et lui faire la leçon. Mais on sort de
chez moi. Rentre au logis, de peur qu'ils ne se doutent que nous sommes
de connivence.
|
SCENA
II
SYRUS, CHREMES
SYRUS
Hac illac circumcursa; inveniundumst tamen
argentum; intendenda in senemst fallacia.
CHREMES
Num me fefellit hosce id struere? Videlicet
ille Cliniai servos tardiusculust; 515
idcirco huic nostro traditast provincia.
SYRUS
Quis hic loquitur? Perii. Nmnam haec audivit?
CHREMES
Syre !
SYRUS
Hem.
CHREMES
Quid tu istic?
SYRUS
Recte equidem; sed te miror, Chreme,
tam mane, qui heri tantum biberis.
CHREMES
Nil nimis.
SYRUS
« Nil
» narras? Visa verost, quod dici solet, 520
aquilae senectus.
CHREMES
Heia.
SYRUS
Mulier commoda et
faceta haec meretrix.
CHREMES
Sane.
SYRUS
Idem visast tibi?
Et quidem hercle forma luculenta.
CHREMES
Sic satis.
SYRUS
Ita non ut olim, sed uti nunc, sane bona;
minimeque miror Clinia hanc si deperit. 525
Sed habet patrem quendam avidum, miserum atque aridum,
vicinum hunc: nostin? At quasi is non ditiis
abundet, gnatus eius profugit inopia.
Scis esse factum ut dico?
CHREMES
Quid ego ni sciam?
Hominem pistrino dignum!
SYRUS
Quem?
CHREMES
Istunc servolum 530
dico adulescentis.
SYRUS
Syre, tibi timui male!
CHREMES
Qui passus est id fieri.
SYRUS
Quid faceret?
CHREMES
Rogas?
Aliquid reperiret, fingeret fallacias,
unde esset adulescenti amicae quod daret,
atque hunc difficilem invitum servaret senem. 535
SYRUS
Garris.
CHREMES
Haec facta ab illo oportebant, Syre.
SYRUS
Eho quaeso laudas qui eros fallunt?
CHREMES
In loco
ego vero laudo.
SYRUS
Recte sane.
CHREMES
Quippe qui
magnarum saepe id remedium aegritudinumst.
Iam huic mansisset unicus gnatus domi. 540
SYRUS
Iocone an serio ille haec dicat nescio;
nisi mihi quidem addit animum quo lubeat magis.
CHREMES
Et nunc quid exspectat, Syre? an dum hic denuo
abeat, quom tolerare illius sumptus non queat?
Nonne ad senem aliquam fabricam fingit?
SYRUS
Stolidus est. 545
CHREMES
At te adiutare oportet adulescentuli
causa.
SYRUS
Facile equidem facere possum si iubes;
etenim quo pacto id fieri soleat calleo.
CHREMES
Tanto hercle melior.
SYRUS
Non est mentiri meum.
CHREMES
Fac ergo.
SYRUS
At heus tu, facito dum eadem haec memineris, 550
si quid huius simile forte aliquando evenerit,
ut sunt humana, tuos ut faciat filius.
CHREMES
Non usus veniet, spero.
SYRUS
Spero hercle ego quoque,
neque eo nunc dico, quo quicquam illum senserim;
sed si quid, ne quid. quae sit eius aetas vides; 555
et ne ego te, si usus veniat, magnifice, Chreme,
tractare possim.
CHREMES
De istoc, quom usus venerit,
videbimus quid opus sit; nunc istuc age.-
SYRUS
Numquam commodius umquam erum audivi loqui,
nec quom malefacere crederem mi inpunius 560
licere. Quisnam a nobis egreditur foras?
|
SCÈNE
II
SYRUS, CHRÉMÈS
SYRUS (à
part).
Courons de-ci, courons de-là : il faut à toute force trouver de
l'argent : tendons un piège au bonhomme.
CHRÉMÈS (à part).
Me suis-je trompé, quand j'ai dit que c'était cela qu'ils machinaient?
Sans doute cet esclave de Clinia est un lourdaud; c'est pour cela que le
nôtre a été chargé de la commission.
SYRUS
Qui parle ici? Malheur ! m'aurait-il entendu?
CHRÉMÈS
Syrus!
SYRUS
Hein !
CHRÉMÈS
Que fais-tu là?
SYRUS
Rien. Mais, en vérité, je t'admire, Chrémès, d'être debout si
matin, après avoir tant bu hier.
CHRÉMÈS
Je n'ai pas fait d'excès.
SYRUS
Pas d'excès, dis-tu? C'est-à-dire, selon le mot du proverbe, que tu
nous a montré ce qu'est la vieillesse de l'aigle (06).
CHRÉMÈS
Allons donc !
SYRUS
C'est une femme aimable et spirituelle que cette courtisane.
CHRÉMÈS
Oui.
SYRUS
C'est ce qui t'a semblé aussi? Et avec cela, elle est, par Hercule,
d'une éclatante beauté.
CHRÉMÈS
Oui, elle est assez bien.
SYRUS
Ce n'est pas une de ces beautés comme il y en avait autrefois; mais
pour le temps présent, elle est vraiment bien, et je m'étonne pas du
tout que Clinia en soit fou. Mais il a un père avare, ladre, sec; c'est
notre voisin. Ne le connais-tu pas? Bien qu'il roule sur l'or, il a
contraint son fils à s'exiler en lui coupant les vivres. Sais-tu que
cela s'est passé comme je te dis?
CHRÉMÈS
Comment ne le saurais-je pas? C'est un homme à envoyer au moulin.
SYRUS
Qui?
CHRÉMÈS
Je parle de ce pauvre esclave du jeune homme...
SYRUS (à part).
J'ai eu bien peur pour toi, Syrus.
CHRÉMÈS
Qui a laissé faire tout le mal.
SYRUS
Que pouvait-il faire?
CHRÉMÈS
Ce qu'il pouvait faire? Il devait trouver quelque expédient, imaginer
quelques ruses pour procurer au jeune homme de quoi donner à sa maîtresse,
et sauver, en dépit de lui-même, ce vieillard incommode.
SYRUS
Tu plaisantes.
CHRÉMÈS
Voilà ce qu'il aurait dû faire, Syrus.
SYRUS
Oh ! oh ! tu approuves, dis-moi, ceux qui trompent leurs maîtres?
CHRÉMÈS
A l'occasion, oui, je les approuve.
SYRUS
Fort bien !
CHRÉMÈS
C'est souvent, en effet, le moyen de remédier à de grands chagrins.
Notre voisin, par exemple, aurait gardé chez lui son fils unique.
SYRUS (à part).
Plaisante-t-il, ou parle-t-il sérieusement? Je ne sais trop. En tout
cas, il m'encourage et me donne encore plus d'envie de le tromper.
CHRÉMÈS
Et maintenant qu'attend-il, Syrus? que le jeune homme s'en aille une
seconde fois, faute de pouvoir subvenir aux dépenses de sa belle? Ne
songe-t-il pas à forger quelque machination contre le bonhomme?
SYRUS
C'est un lourdaud.
CHRÉMÈS
Eh bien ! tu devrais l'aider dans l'intérêt du jeune homme.
SYRUS
C'est une chose que je peux faire facilement, si tu l'exiges; car je
suis passé maître dans la manière dont on s'y prend.
CHRÉMÈS
Tant mieux, par Hercule.
SYRUS
Je ne sais pas mentir.
CHRÉMÈS
Mets-toi donc à l'oeuvre.
SYRUS
Mais hé ! toi, tâche de te souvenir de ce que tu viens de dire, si un
beau jour ton fils, — c'est dans l'ordre des choses humaines, —
vient à en faire autant.
CHRÉMÈS
J'espère bien que je n'aurai pas besoin de m'en souvenir.
SYRUS
Je l'espère bien aussi, par Hercule; et ce que j'en dis, ce n'est pas
que je me sois aperçu de quelque chose; mais s'il arrive que... ne va
pas... Il est bien jeune, tu le vois, et ma foi, le cas échéant, je
serais capable de te servir un magnifique plat de mon métier.
CHRÉMÈS
A cet égard, quand le moment sera venu, nous aviserons au parti à
prendre; pour l'instant, occupe-toi de ce que tu as à faire. —
SYRUS (seul).
Jamais, non, jamais je n'ai entendu dans la bouche de mon maître des
maximes si accommodantes, et je ne croyais pas avoir licence de mal
faire avec autant d'impunité. Qui donc sort de chez nous?
|
SCENA
III
CHREMES, CLITIPHO, SYRUS
CHREMES
Quid istuc, quaeso? Qui istic mos est, Clitipho? Itane fieri oportet?
CLITIPHO
Quid ego feci?
CHREMES
Vidin ego te modo manum in sinum huic meretrici
inserere?
SYRUS
Acta haec res est: perii.
CLITIPHO
Mene?
CHREMES
Hisce oculis, ne nega.
Facis adeo indigne iniuriam illi qui non abstineas manum; 565
nam istaec quidem contumeliast,
hominem amicum recipere ad te, atque eius amicam subigitare.
Vel here in vino quam inmodestus fuisti !
SYRUS
Factum.
CHREMES
Quam molestus!
Ut equidem, ita me di ament, metui quid futurum denique esset!
Novi ego amantium animum: advortunt graviter quae non censeas. 570
CLITIPHO
At mihi fides apud hunc est nil me istius facturum, pater.
CHREMES
Esto; at certe concedas aliquo ab ore <eo>rum aliquantisper.
Multa fert lubido: ea facere prohibet tua praesentia.
Ego de me facio coniecturam: nemost meorum amicorum hodie
apud quem expromere omnia mea occulta, Clitipho, audeam. 575
Apud alium prohibet dignitas; apud alium ipsius facti pudet,
ne ineptus, ne protervos videar: quod illum facere credito.
Ssed nostrum est intellegere utquomque atque ubiquomque opus sit obsequi.
SYRUS
Quid istic narrat!
CLITIPHO
Perii.
SYRUS
Clitipho, haec ego praecipio tibi?
Hominis frugi et temperantis functu's officium?
CLITIPHO
Tace, sodes. 580
SYRUS
Recte sane.
CLITIPHO
Syre, pudet me.
SYRUS
Credo, neque id iniuria; quin
mihi molestumst.
CLITIPHO
Pergin ?
SYRUS
Hercle, verum dico quod videtur.
CLITIPHO
Nonne accedam ad illos?
CHREMES
Eho, quaeso, una accedundi viast?
SYRUS
Actumst: hic prius se indicarit quam ego argentum effecero.
Chreme, vin tu homini stulto mi auscultare?
CHREMES
Quid faciam?
SYRUS
Iube hunc 585
abire hinc aliquo.
CLITIPHO
Quo ego hinc abeam?
SYRUS
Quo lubet. Da illis locum;
abi deambulatum.
CLITIPHO
Deambulatum? quo?
SYRUS
Vah, quasi desit locus.
Abi sane istac, istorsum, quovis.
CHREMES
Recte dicit, censeo.
CLITIPHO
Di te eradicent, Syre, qui me hinc extrudis, Syre!
SYRUS
At tu pol tibi istas posthac comprimito manus.- 590
Censen vero? quid illum porro credas facturum, Chreme,
nisi eum, quantum tibi opi'sdi dant, servas castigas mones?
CHREMES
Ego istuc curabo.
SYRUS
Atqui nunc, ere, tibi istic adservandus est.
CHREMES
Fiet.
SYRUS
Si sapias; nam mihi iam minu' minusque obtemperat.
CHREMES
Quid tu? ecquid de illo quod dudum tecum egi egisti, Syre, aut 595
repperisti tibi quod placeat an non?
SYRUS
De fallacia
dicis? est: inveni nuper quandam.
CHREMES
Frugi es. Cedo quid est?
SYRUS
Dicam, verum ut aliud ex alio incidit.
CHREMES
Quidnam, Syre?
SYRUS
Pessuma haec est meretrix.
CHREMES
Ita videtur.
SYRUS
Immo si scias.
Vah, vide quod inceptet facinus. Fuit quaedam anus Corinthia 600
hic: huic drachumarum haec argenti mille dederat mutuom.
CHREMES
Quid tum?
SYRUS
Ea mortuast: reliquit filiam adulescentulam.
Eea relicta huic arraboni est pro illo argento.
CHREMES
Intellego.
SYRUS
Hanc secum huc adduxit, ea quae est nunc apud uxorem tuam.
CHREMES
Quid tum?
SYRUS
Cliniam orat sibi uti id nunc det: illam illi tamen 605
post daturum: mille nummum poscit.
CHREMES
Et poscit quidem?
SYRUS
Hui,
dubium id est? Ego sic putavi.
CHREMES
Quid nunc facere cogitas?
SYRUS
Egon? Ad Menedemum ibo: dicam hanc esse captam ex Caria
ditem et nobilem; si redimat magnum inesse in ea lucrum.
CHREMES
Erras.
SYRUS
Quid ita?
CHREMES
Pro Menedemo nunc tibi ego respondeo 610
« Non emo. » Qquid ages?
SYRUS
Optata loquere.
CHREMES
Qui?
SYRUS
Non est opus.
CHREMES
Non opus est?
SYRUS
Non hercle vero.
CHREMES
Qui istuc, miror.
SYRUS
Iam scies.
CHREMES
Mane, mane; quid est quod tam a nobis graviter crepuerunt fores?
|
SCÈNE
III
CHRÉMÈS, CLITIPHON, SYRUS
CHRÉMÈS
Qu'est-ce que cela, je te prie? Quelles manières as-tu donc, Clitiphon?
Est-ce ainsi qu'il faut se conduire?
CLITIPHON
Qu'ai-je fait?
CHRÉMÈS
Ne t'ai-je pas vu tout à l'heure glisser ta main dans le sein de cette
courtisane?
SYRUS
Notre affaire est à l'eau; je suis perdu.
CLITIPHON
Moi?
CHRÉMÈS
Je t'ai vu de mes yeux; ne dis pas non. C'est manquer indignement à ce
jeune homme, de ne pas retenir tes mains. C'est lui faire un véritable
outrage que de recevoir un ami chez soi et de lutiner sa maîtresse. Et
hier encore, à table, as-tu été assez inconvenant !
SYRUS
C'est vrai.
CHRÉMÈS
Assez importun ! Comme j'ai eu peur, par tous les dieux, de la manière
dont tout cela pouvait finir? Je connais les amants : ils attachent de
l'importance à des choses qu'on croit futiles.
CLITIPHON
Mais il a confiance en moi; il sait que je ne ferai rien de ce que tu
supposes, mon père.
CHRÉMÈS
Soit. Mais tiens-toi du moins à l'écart et ne sois pas toujours sur
leurs épaules. La passion comporte une foule de privautés que ta présence
leur interdit. J'en juge d'après moi-même. Aujourd'hui encore il n'est
pas un de mes amis à qui j'oserais dévoiler toutes mes pensées secrètes,
Clitiphon. Avec l'un, c'est sa gravité qui me retient; avec l'autre,
c'est la honte de ce que j'ai fait : je ne veux passer ni pour un sot ni
pour un effronté. C'est le sentiment de Clinia, tu peux m'en croire.
C'est à nous de discerner comment et quand nous devons déférer aux désirs
de nos amis.
SYRUS
Tu entends ce qu'il dit?
CLITIPHON
Je suis perdu.
SYRUS
Sont-ce là les conseils que je te donne, Clitiphon? Est-ce la conduite
d'un homme rangé et réservé?
CLITIPHON
Tais-toi, de grâce.
SYRUS
C'est bien, ma foi !
CHRÉMÈS
J'en ai honte pour lui, Syrus.
SYRUS
Je le crois, et tu n'as pas tort. Moi-même, j'en suis scandalisé.
CLITIPHON
As-tu fini?
SYRUS
Par Hercule, je dis ce que je pense.
CLITIPHON
Ne dois-je plus les approcher?
CHRÉMÉS
Eh ! je te prie, n'y a-t-il que cette manière de les approcher?
SYRUS (à part).
C'en est fait : il va se trahir avant que j'aie réalisé l'argent.
(Haut.) Chrémès, je ne suis qu'un sot; mais veux-tu m'en croire?
CHRÉMÉS
Que dois-je faire?
SYRUS
Dis-lui de s'en aller ailleurs.
CLITIPHON
Et où faut-il que je m'en aille?
SYRUS
Où il te plaira. Laisse-leur la place. Va te promener.
CLITIPHON
Me promener? Où?
SYRUS
Bah ! comme s'il manquait d'endroits ! Prends par ici, par là, par où
bon te semblera.
CHRÉMÈS
Il a raison; je suis de son avis.
CLITIPHON
Que les dieux te confondent, Syrus, toi qui me chasses d'ici !
SYRUS
Et toi, par Hercule, tiens tes mains à l'avenir. — Que t'en semble,
Chrémès? Que crois-tu qu'il fera plus tard, si tu n'uses pas de toute
l'autorité que les dieux te donnent sur lui pour le surveiller, le
morigéner, l'avertir?
CHRÉMÈS
J'y prendrai garde.
SYRUS
Or c'est dès à présent, maître, qu'il faut que tu aies l'oeil sur
lui.
CHRÉMÈS
Je l'aurai.
SYRUS
Et tu feras sagement; car moi, il m'écoute de moins en moins.
CHRÉMÈS
Mais toi, Syrus, où en es-tu de l'affaire dont je t'ai parlé tantôt?
As-tu quelque idée qui te plaise, ou rien encore?
SYRUS
Tu parles de notre ruse; j'en ai trouvé une tout à l'heure.
CHRÉMÈS
Tu es un brave garçon. Voyons ce que c'est.
SYRUS
Je vais te le dire; mais comme une chose en amène une autre.
CHRÉMÈS
Quoi, Syrus?
SYRUS
C'est une grande coquine que cette courtisane.
CHRÉMÈS
Je le crois comme toi.
SYRUS
Et encore si tu savais !... Tiens, vois ce qu'elle machine. II y avait
ici une vieille femme de Corinthe à qui elle avait prêté mille
drachmes d'argent.
CHRÉMÈS
Après?
SYRUS
Cette femme est morte, laissant une toute jeune fille, qui est restée
à la courtisane en nantissement du prêt.
CHRÉMÈS
Je comprends.
SYRUS
Elle l'a amenée ici avec elle, et c'est cette jeune fille qui est à présent
chez ta femme.
CHRÉMÈS
Après?
SYRUS
Elle prie Clinia de lui compter à présent cette somme, promettant de
lui donner la jeune fille en échange. Elle demande ces mille drachmes.
CHRÉMÈS
Elle les demande vraiment?
SYRUS
Oh ! peux-tu en douter? J'ai donc songé...
CHRÉMÈS
Que comptes-tu faire à cette heure?
SYRUS
Moi ? Je vais aller trouver Ménédème; je lui dirai que cette jeune
fille a été enlevée en Carie, qu'elle est riche et de bonne famille,
et qu'en la rachetant. il fera une bonne affaire.
CHRÉMÈS
Tu t'abuses.
SYRUS
Pourquoi?
CHRÉMÈS
Je vais te répondre à la place de Ménédème : « Je n'achète pas.
» Qu'est-ce que tu vas faire?
SYRUS
Tu réponds juste ce que je désirais.
CHRÉMÈS
Comment?
SYRUS
Il n'est pas nécessaire qu'il le fasse.
CHRÉMÈS
Il n'est pas nécessaire?
SYRUS
Non, par Hercule.
CHRÉMÈS
Comment cela? tu m'étonnes.
SYRUS
Tu vas le savoir.
CHRÉMÈS
Attends, attends. D'où vient que notre porte s'ouvre si bruyamment?
|
ACTUS IV
SCENA I
SOSTRATA, CHREMES, NUTRIX, SYRUS
SOSTRATA
Nisi me animus fallit, hic profectost anulus quem ego suspicor,
is quicum expositast gnata.
CHREMES
Quid volt sibi, Syre, haec oratio? 615
SOSTRATA
Quid est? Isne tibi videtur?
NUTRIX
Dixi equidem, ubi mi ostendisti, ilico
eum esse.
SOSTRATA
At ut satis contemplata modo sis, mea nutrix.
NUTRIX
Satis.
SOSTRATA
Abi nunc iam intro atque, illa si iam laverit mihi nuntia.
Hic ego virum interea opperibor.
SYRUS
Te volt: videas quid velit.
nescioquid tristis est: non temerest: timeo quid sit.
CHREMES
Quid siet? 620
Ne ista hercle magno iam conatu magnas nugas dixerit.
SOSTRATA
Ehem, mi vir.
CHREMES
Ehem, mea uxor.
SOSTRATA
Te ipsum quaero.
CHREMES
Loquere quid velis.
SOSTRATA
Primum hoc te oro, nequid credas me advorsum edictum tuom
facere esse ausam.
CHREMES
Vin me istuc tibi, etsi incredibilest, credere?
Credo.
SYRUS
Nescio quid peccati portat haec purgatio. 625
SOSTRATA
Meministin me esse gravidam, et mihi te maxumo opere edicere,
si puellam parerem, nolle tolli?
CHREMES
Scio quid feceris:
sustulisti.
SYRUS
Sic est factum: domina ego, erus damno auctus est.
SOSTRATA
Minime; sed erat hic Corinthia anus haud inpura: ei dedi
exponendam.
CHREMES
O Iuppiter, tantam esse in animo inscitiam ? 630
SOSTRATA
Perii: quid ego feci?
CHREMES
Rogitas?
SOSTRATA
Si peccavi, mi Chreme,
insciens feci.
CHREMES
Id equidem ego, si tu neges, certo scio,
te inscientem atque inprudentem dicere ac facere omnia:
tot peccata in hac re ostendis. Nam iam primum, si meum
imperium exsequi voluisses, interemptam oportuit, 635
non simulare mortem verbis, re ipsa spem vitae dare.
At id omitto: misericordia, animus maternus: sino.
quam bene vero abs te prospectumst quod voluisti cogita:
nempe anui illi prodita abs te filiast planissume,
per te vel uti quaestum faceret, vel uti veniret palam. 640
Credo, id cogitasti: « Quidvis satis est dum vivat
modo. »
Quid cum illis agas qui neque ius neque bonum atque aequom sciunt,
melius, peius, prosit obsit, nil vident nisi quod lubet?
SOSTRATA
Mi Chreme, peccavi, fateor: vincor. Nunc hoc te obsecro,
quanto tuos est animus [natu] gravior, <eo sis>ignoscentior, 645
ut meae stultitiae in iustitia tua sit aliquid praesidi.
CHREMES
Scilicet equidem istuc factum ignoscam; verum, Sostrata,
male docet te mea facilitas multa. Sed istuc, quidquid est,
qua hoc occeptumst causa loquere.
SOSTRATA
Ut stultae et misere omnes sumus
religiosae, quom exponendam do illi, de digito anulum 650
detraho, et eum dico ut una cum puella exponeret;
si moreretur, ne expers partis esset de nostris bonis.
CHREMES
Istuc recte: conservasti te atque illam.
SOSTRATA
Is hic est anulus.
CHREMES
Unde habes?
SOSTRATA
Quam Bacchis secum adduxit adulescentulam...
SYRUS
Hem !
CHREMES
Quid illa narrat?
SOSTRATA
Ea lavatum dum it, servandum mihi dedit. 655
Animum non advorti primum; sed postquam aspexi ilico
cognovi, ad te exsilui.
CHREMES
Quid nunc suspicare aut invenis
de illa?
SOSTRATA
Nescio nisi ex ipsa quaeras unde hunc habuerit,
si potis est reperiri.
SYRUS
Interii: plus spei video quam volo.
Nostrast, si itast.
CHREMES
Vivitne illa quoi tu dederas?
SOSTRATA
Nescio. 660
CHREMES
Quid renuntiavit olim?
SOSTRATA
Fecisse id quod iusseram.
CHREMES
Nomen mulieris cedo quid sit, ut quaeratur.
SOSTRATA
Philterae.
SYRUS
Ipsa est. Mirum ni illa salvast et ego perii.
CHREMES
Sostrata,
sequere me intro hac.
SOSTRATA
Ut praeter spem evenit! Quam timui male,
ne nunc animo ita esses duro, ut olim in tollendo, Chreme! 665
CHREMES
Non licet hominem esse saepe ita ut volt, si res non sinit.
nunc ita tempus est mi ut cupiam filiam: olim nil minus.
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ACTE
IV
SCÈNE I
SOSTRATA, CHRÊMES, LA NOURRICE,
SYRUS
SOSTRATA
Si ma mémoire ne me trompe pas, c'est bien l'anneau que je soupçonne,
celui qu'avait ma fille, quand elle fut exposée.
CHRÉMÈS
Que signifie ce langage, Syrus?
SOSTRATA
Qu'en dis-tu? Crois-tu que c'est celui-là?
LA NOURRICE
Je t'ai dit tout de suite, quand tu me l'as montré que c'était celui-là.
SOSTRATA
Mais peut-être ne l'as-tu pas bien regardé tout à l'heure, nourrice.
LA NOURRICE
Je l'ai bien regardé.
SOSTRATA
Rentre à présent, et, si elle a fini, de prendre son bain, viens me le
dire. — Pendant ce temps, j'attendrai ici mon mari.
SYRUS
C'est à toi qu'elle en a. Vois ce qu'elle veut. Elle est triste; je ne
sais pourquoi; mais ce n'est pas sans raison, et j'appréhende ce que ce
peut être.
CHRÉMÈS
Que veux-tu que ce soit? Tu peux être sûr, par Hercule, qu'elle va
faire de grands efforts pour me dire de grandes sottises.
SOSTRATA
Hé ! mon mari.
CHRÉMÈS
Hé ! ma femme.
SOSTRATA
C'est toi que je cherche.
CHRÉMÈS
Que veux-tu? Parle.
SOSTRATA
Je te prie avant tout de ne pas croire que j'aie osé rien faire contre
tes ordres.
CHRÉMÈS
Tu veux que je croie cela, bien que ce soit incroyable. Je le crois.
SYRUS
Cette manière de se justifier suppose je ne sais quelle faute.
SOSTRATA
Te souviens-tu, quand j'étais grosse, que tu me déclaras formellement
que, si j'accouchais d'une fille, tu ne voulais pas qu'on l'élevât?
CHRÉMÈS
Je suis sûr de ce que tu as fait : tu l'as élevée.
SYRUS
Elle l'a fait, et me voilà moi, avec une maîtresse nouvelle, et le
patron avec une nouvelle charge.
SOSTRATA
Pas du tout; mais il y avait ici une vieille Corinthienne, personne
recommandable : je lui remis l'enfant pour l'exposer.
CHRÉMÈS
O Jupiter, tant de sottise peut-elle entrer dans une cervelle?
SOSTRATA
Hélas ! qu'ai-je fait?
CHRÉMÈS
Tu le demandes?
SOSTRATA
Si j'ai mal fait, mon Chrémès, c'est sans le savoir.
CHRÉMÈS
Pour cela, tu aurais beau le nier, j'en suis convaincu, c'est sans le
savoir et sans y penser que tu dis et fais toutes choses. Tu as commis
fautes sur fautes en cette occasion. D'abord, si tu avais bien voulu exécuter
mes ordres, il fallait la tuer, et non prononcer contre elle un faux arrêt
de mort qui lui laissait en réalité l'espoir de vivre. Mais laissons
cela de côté : la pitié, le sentiment maternel... passons. Mais quel
beau chef-d'oeuvre de prévoyance tu nous as donné ! Quel était ton
but? Fais-y réflexion. Tu as livré, corps et âme, ta fille à cette
vieille, et tu l'as réduite à se prostituer ou à être vendue en
place publique. Voici, j'imagine quelle était ta pensée : tout ce
qu'on voudra, pourvu qu'elle vive. Que faire avec des gens qui ne
connaissent ni le droit, ni le bien, ni la raison? Bien ou mal, utile ou
nuisible, ils ne voient rien que ce qui leur plaît.
SOSTRATA
Mon Chrémès, j'ai eu tort, je l'avoue, je me rends. Mais maintenant,
je t'en prie, montre-toi d'autant plus indulgent que ton esprit est plus
réfléchi, et que ma sottise trouve quelque recours en ta justice.
CHRÉMÈS
Sans doute je te pardonnerai cette faute, Sostrata, bien que ma
faiblesse t'encourage à commettre bien des sottises. Mais quoi qu'il en
soit de cette histoire, explique-moi pour quelle raison tu l'as entamée.
SOSTRATA
Nous sommes de pauvres sottes superstitieuses, nous autres femmes. En
remettant ma fille à la vieille qui devait l'exposer, je retirai de mon
doigt un anneau et je lui dis de l'exposer avec l'enfant, afin que, si
la vieille venait à mourir, notre fille eût au moins quelque part à
notre héritage.
CHRÉMÈS
Sage précaution : tu as ainsi calmé tes scrupules et sauvé ta fille.
SOSTRATA
Cet anneau, le voici.
CHRÉMÈS
D'où le tiens-tu?
SOSTRATA
La jeune fille que Bacchis a amenée avec elle...
SYRUS
Hein?
CHRÉMÈS
Que raconte-t-elle?
SOSTRATA
En allant au bain, m'a donné cet anneau à garder. Je n'y ai pas fait
attention d'abord; mais au premier regard, je l'ai reconnu tout de
suite, et je suis accourue vers toi.
CHRÉMÈS
Que soupçonnes-tu maintenant? As-tu trouvé quelque chose qui la
concerne?
SOSTRATA
Rien; mais on pourrait lui demander à elle-même de qui elle tient cet
anneau; peut-être le trouverons-nous.
SYRUS (à part.)
Mes affaires vont mal. Je vois plus d'espoir que je n'en voudrais. C'est
notre fille, s'il en est ainsi.
CHRÉMÈS
La vieille à qui tu l'avais donnée, vit-elle encore?
SOSTRATA
Je ne sais pas.
CHRÉMÈS
Que t'a-t-elle rapporté dans le temps?
SOSTRATA
Qu'elle avait fait ce que je lui avais dit.
CHRÉMÈS
Son nom, quel est-il? Dis-le, afin qu'on la cherche.
SOSTRATA
Philtéra.
SYRUS (à part.)
C'est bien cela. Je serais bien surpris si cette enfant n'était pas
sauvée, et moi perdu.
CHRÉMÈS
Sostrata, suis-moi, rentrons.
SOSTRATA
Quel changement inespéré ! J'avais une terrible peur de te trouver à
présent aussi impitoyable que tu le fus jadis, quand il s'agit d'élever
l'enfant, Chrémès.
CHRÉMÈS
L'homme ne peut pas toujours être ce qu'il voudrait; les circonstances
l'en empêchent souvent. Aujourd'hui je me trouve en position de désirer
une fille; je ne désirais rien moins alors.
|
SCENA
II
SYRUS
SYRUS
Nisi me animus fallit multum, haud multum a me aberit infortunium:
ita hac re in angustum oppido nunc meae coguntur copiae,
nisi aliquid video ne esse amicam hanc gnati resciscat senex. 670
Nam quod de argento sperem aut posse postulem me fallere,
nil est; triumpho, si licet me latere tecto abscedere.
Crucior bolum tantum mi ereptum tam desubito e faucibus.
Quid agam? aut quid comminiscar? Ratio de integro ineundast mihi.
Nil tam difficilest quin quaerendo investigari possiet. 675
Quid, si hoc nunc sic incipiam? Nilst. Quid si sic? Tantundem egero.
At sic opinor. Non potest. Immo optume. Euge, habeo optumam.
Retraham hercle, opinor, idem illud ad me fugitivom argentum tamen.
|
SCÈNE
II
SYRUS
SYRUS
Ou je me trompe fort, ou le châtiment qui m'attend n'est pas loin,
tant, par suite de cette découverte, mes troupes sont acculées à
l'étroit ! C'en est fait, si je ne trouve un moyen pour empêcher le
vieux d'apprendre que la courtisane est la maîtresse de son fils. Quant
à compter sur l'argent ou prétendre que je puisse le tromper, c'est
fini. Ce sera déjà un triomphe, de pouvoir me retirer le flanc
couvert. J'enrage qu'un si beau morceau m'ait été si subitement
enlevé de la bouche. Que faire? Qu'inventer? C'est un plan nouveau à
dresser. Il n'y a rien de si difficile qu'on ne puisse trouver à force
de chercher. Voyons ! si je m'y prenais comme ceci? Non. Et comme cela?
je n'en serai pas plus avancé. Mais je crois que de cette façon...
Impossible. Au contraire, c'est parfait. Bravo ! je tiens un excellent
moyen. Par Hercule, je le rattraperai malgré tout, j'espère, cet
argent qui voulait m'échapper. |
SCENA
III
CLINIA SYRUS
CLINIA
Nulla mihi res posthac potest iam intervenire tanta,
quae mi aegritudinem adferat, tanta haec laetitia obortast.
Dedo patri me nunciam, ut frugalior sim quam volt.
SYRUS
Nil me fefellit: cognitast, quantum audio huius verba.
Istuc tibi ex sententia tua obtigisse laetor.
CLINIA
O mi Syre, audisti obsecro?
SYRUS
Quidni? qui usque una adfuerim.
CLINIA
Quoi aeque audisti commode quicquam evenisse?
SYRUS
Nulli. 685
CLINIA
Atque ita me di ament ut ego nunc non tam meapte causa
laetor quam illius, quam ego scio esse honore quovis dignam.
SYRUS
Ita credo. Sed nunc, Clinia, age, da te mihi vicissim;
nam amici quoque res est videnda in tutum ut conlocetur,
nequid de amica nunc senex.
CLINIA
O Iuppiter!
SYRUS
Quiesce. 690
CLINIA
Antiphila mea nubet mihi.
SYRUS
Sicin mi interloquere?
CLINIA
Quid faciam? Syre mi, gaudeo; fer me.
SYRUS
Fero hercle vero.
CLINIA
Deorum vitam apti sumus.
SYRUS
Frustra operam, opinor, hanc sumo.
CLINIA
Lquere: audio.
SYRUS
At iam hoc non ages.
CLINIA
Agam.
SYRUS
Videndumst, inquam,
amici quoque res, Clinia, tui in tuto ut conlocetur. 695
Nam si nunc a nobis abis et Bacchidem hic relinquis,
senex resciscet ilico esse amicam hanc Clitiphonis;
si abduxeris, celabitur, itidem ut celata adhuc est.
CLINIA
At enim istoc nil est mage, Syre, meis nuptiis advorsum.
Nam quo ore appellabo patrem? Tenes quid dicam?
SYRUS
Quidni? 700
CLINIA
Quid dicam? Quam causam adferam?
SYRUS
Qui nolo mentiare:
aperte ita ut res sese habet narrato.
CLINIA
Quid ais?
SYRUS
Iubeo:
illam te amare et velle uxorem, hanc esse Clitiphonis.
CLINIA
Bonam atque iustam rem oppido imperas et factu facilem.
Et scilicet iam me hoc voles patrem exorare ut celet 705
senem vostrum?
SYRUS
Immo ut recta via rem narret ordine omnem.
CLINIA
Hem !
Satis sanus es et sobrius? Tu quidem illum plane perdis :
nam qui ille poterit esse in tuto, dic mihi?
SYRUS
Huic equidem consilio palmam do: hic me magnifice ecfero,
qui vim tantam in me et potestatem habeam tantae astutiae, 710
vera dicendo ut eos ambos fallam, ut quom narret senex
voster nostro istam esse amicam gnati, non credat tamen.
CLINIA
At enim spem istoc pacto rursum nuptiarum omnem eripis;
nam dum amicam hanc meam esse credet, non committet filiam.
Tu fors quid me fiat parvi pendis, dum illi consulas. 715
SYRUS
Quid, malum, me aetatem censes velle id adsimularier?
Unus est dies, dum argentum eripio; pax ! nil amplius.
CLINIA
Tantum sat habes? Quid tum quaeso si hoc pater resciverit?
SYRUS
Quid si redeo ad illos qui aiunt ; «
Quid si nunc caelum ruat? »
CLINIA
Metuo quid agam.
SYRUS
Metus'? quasi non ea potestas sit tua 720
quo velis in tempore ut te exsolvas, rem facias palam.
CLINIA
Age, age, transducatur Bacchis.
SYRUS
Optume ipsa exit foras.
|
SCÈNE
III
CLINIA, SYRUS
CLINIA
Non, il ne peut plus rien m'arriver d'assez fâcheux pour m'apporter du
chagrin, tant est grand le bonheur qui vient de m'échoir ! Désormais
je me livre à mon père, et je serai plus rangé qu'il ne le demande.
SYRUS (à part).
Je ne me suis pas trompé. Elle a été reconnue, si j'entends bien ce
qu'il dit. (Haut.) Tout a réussi au gré
de tes désirs : j'en suis enchanté.
CLINIA
Cher Syrus, tu le sais donc?
SYRUS
Naturellement, puisque j'ai toujours été là.
CLINIA
As-tu jamais ouï dire qu'un pareil bonheur soit arrivé à quelqu'un?
SYRUS
Non, jamais.
CLINIA
Que les dieux m'aiment, aussi vrai que j'ai moins de joie pour moi que
pour elle; car je la tiens digne de tous les respects.
SYRUS
Je le crois. Mais maintenant, Clinia, écoute-moi à ton tour. Il faut
songer aussi à mettre en sûreté les affaires de ton ami. Il faut empêcher
que le vieux ne se doute que sa maîtresse...
CLINIA
O Jupiter !
SYRUS
Calme-toi.
CLINIA
Mon Antiphila sera ma femme.
SYRUS
M'interrompras-tu toujours?
CLINIA
Que veux-tu, mon cher Syrus? C'est la joie. Souffre-moi.
SYRUS
C'est vraiment ce que je fais, par Hercule.
CLINIA
Nous allons mener la vie des dieux.
SYRUS
Je perds ma peine, à ce que je vois.
CLINIA
Parle, je t'écoute.
SYRUS
Mais dans un instant tu auras la tête ailleurs.
CLINIA
Non, je t'écouterai.
SYRUS
Je disais donc, Clinia, qu'il faut aussi songer à mettre en sûreté
les affaires de ton ami. Car si tu quittes à présent notre maison et
que tu y laisses Bacchis, notre bonhomme comprendra tout de suite
qu'elle est la maîtresse de Clitiphon. Si tu l'emmènes, on ne s'en
doutera pas plus qu'on ne s'en est douté jusqu'ici.
CLINIA
Mais ce que tu me proposes-là, Syrus, est tout ce qu'il y a de plus
contraire à mon mariage. De quel front aborderai-je mon père?
Comprends-tu ce que je te dis?
SYRUS
Sans doute.
CLINIA
Que lui dire? Quel prétexte alléguer?
SYRUS
Mais je ne te demande pas de mentir. Raconte-lui la chose franchement,
telle qu'elle est.
CLINIA
Que dis-tu là?
SYRUS
Ce que je veux que tu fasses : dis-lui que tu aimes l'une et que tu veux
l'épouser, que l'autre est à Clitiphon.
CLINIA
Voilà un commandement parfaitement bon et juste, et facile à exécuter.
Et naturellement tu vas me demander d'obtenir de mon père qu'il
n'en dise rien à votre bonhomme.
SYRUS
Au contraire, qu'il aille tout droit lui conter l'affaire d'un bout à
l'autre.
CLINIA
Ah çà ! tu es fou ! tu es ivre ! C'est toi qui le perds sans retour.
Car comment pourras-tu le mettre en sûreté, dis-moi?
SYRUS
Et moi je prétends que mon plan mérite la palme et que j'ai droit à
être porté aux nues, pour avoir en moi de telles ressources, une telle
puissance d'astuce qu'en disant la vérité je fais deux dupes à la
fois. Votre bonhomme aura beau dire au nôtre que cette courtisane est
la maîtresse de son fils, on ne l'en croira pas pour cela.
CLINIA
Mais par ce moyen-là tu m'arraches encore une fois tous mes espoirs de
mariage. Car tant qu'il croira que c'est ma maîtresse, il ne me donnera
pas sa fille. Mais peut-être que tu ne t'embarrasses guère de ce que
je deviendrai, pourvu que tu serves les intérêts de ton maître.
SYRUS
Que diable ! penses-tu que je veuille faire durer cette méprise pendant
un siècle? Il ne me faut qu'un jour, le temps de lui soutirer l'argent.
Patiente un peu : je n'en demande pas davantage.
CLIMIA
Tu auras assez d'un jour? Mais, dis-moi, si mon père vient à découvrir
ta ruse?
SYRUS
Mais si.. Autant avoir affaire à ceux qui disent : « Si le ciel
tombait? »
CLINIA
J'ai peur de ce que je vais faire.
SYRUS
Tu as peur ! Comme si tu n'étais pas maître de te tirer d'affaire
quand tu voudras, en dévoilant tout.
CLINIA
Allons, soit; qu'on fasse passer Bacchis chez nous.
SYRUS
Juste à point la voilà qui sort.
|
SCENA
IV
BACCHIS, CLINIA, SYRUS, DROMO,
PHRYGIA
BACCHIS
Satis pol proterve me Syri promissa huc induxerunt,
decem minas quas mihi dare pollicitust. Quodsi nunc me
deceperit, saepe obsecrans me ut veniam, frustra veniet; 725
aut quom venturam dixero et constituero, quom is certe
renuntiarit, Clitipho quom in spe pendebit animi,
decipiam ac non veniam, Syrus mihi tergo poenas pendet.
CLINIA
Satis scite promittit tibi.
SYRUS
Atqui tu hanc iocari credis?
Faciet, nisi caveo.
BACCHIS
Dormiunt. Ego pol istos commovebo. 730
Mea Phrygia, audisti modo iste homo quam villam demonstravit
Charini?
PHRYGIA
Audivi.
BACCHIS
Proxumam esse huic fundo ad dextram?
PHRYGIA
Memini.
BACCHIS
Curriculo percurre: apud eum miles Dionysia agitat:
SYRUS
Quid inceptat?
BACCHIS
Dic me hic oppido esse invitam atque adservari,
verum aliquo pacto verba me his daturam esse et venturam. 735
SYRUS
Perii hercle. Bacchis, mane, mane. Quo mittis istanc quaeso?
Iube maneat.
BACCHIS
I.
SYRUS
Quin est paratum argentum.
BACCHIS
Quin ego maneo.
SYRUS
Atqui iam dabitur.
BACCHIS
Ut lubet. Num ego insto?
SYRUS
At scin quid sodes?
BACCHIS
Quid?
SYRUS
Transeundumst nunc tibi ad Menedemum et tua pompa
eo transducendast.
BACCHIS
Quam rem agis, scelus?
SYRUS
Egon? Argentum cudo 740
quod tibi dem.
BACCHIS
Dignam me putas quam inludas?
SYRUS
Non est temere.
BACCHIS
Etiamne tecum hic res mihist?
SYRUS
Minime: tuom tibi reddo.
BACCHIS
Eatur.
SYRUS
Sequere hac. Heus, Dromo.
DROMO
Quis me volt?
SYRUS
Syrus.
DROMO
Quid est rei?
SYRUS
Ancillas omnis Bacchidis traduce huc ad vos propere.
DROMO
Quam ob rem?
SYRUS
Ne quaeras. Ecferant quae secum huc attulerunt. 745
Sperabit sumptum sibi senex levatum esse harunc abitu.
Ne ille haud scit hoc paullum lucri quantum ei damnum adportet.
Tu nescis id quod scis, Dromo, si sapies.
DROMO
Mutum dices.
|
SCÈNE
IV
BACCHIS, CLINIA, SYRUS, PHRYGIA,
DROMON
BACCHIS
Par Pollux, ce Syrus ne manque pas d'impertinence, de m'avoir amenée
ici sous la promesse de me donner dix mines. S'il me manque de parole
aujourd'hui, il peut venir me supplier cent fois de venir; il en sera
pour ses pas. Ou bien je promettrai de venir et fixerai un rendez-vous;
puis, quand il en aura rapporté l'assurance et que Clitiphon languira
dans l'attente, je lui ferai faux-bond, je ne viendrai pas. C'est le dos
de Syrus qui me le paiera.
CLINIA
Elle te fait là d'assez jolies promesses.
SYRUS
Crois-tu qu'elle plaisante? Elle fera comme elle le dit, si je n'y mets
bon ordre.
BACCHIS
Ils dorment. Par Pollux, je vais les secouer. Ma chère Phrygia, as-tu
entendu cet homme nous indiquer tout à l'heure la campagne de Charinus?
PHRYGIA
Oui.
BACCHIS
La première à droite de cette propriété, n'est-ce pas?
PHRYGIA
Je m'en souviens.
BACCHIS
Cours-y tout d'une traite. C'est chez lui que mon soldat célèbre les
Dionysies.
SYRUS (à part).
Que mijote-t-elle?
BACCHIS
Dis-lui que je suis ici bien malgré moi, qu'on me garde à vue, mais
que d'une manière ou d'une autre je leur en donnerai à garder et que
je vais venir.
SYRUS (à part).
Par Hercule, je suis perdu. (Haut.) Un
moment, Bacchis, un moment. Où envoies-tu cette fille, je te prie?
Dis-lui d'attendre.
BACCHIS
Va.
SYRUS
Mais l'argent est prêt.
BACCHIS
Mais je ne m'en vais pas.
SYRUS
On va te le donner.
BACCHIS
A ton aise. Est-ce que je te presse?
SYRUS
Mais sais-tu une chose, dis-moi?
BACCHIS
Quoi?
SYRUS
Il faut à présent que tu passes chez Ménédème et que tu y amènes
tout ton train.
BACCHIS
Qu'est-ce que tu machines là, coquin?
SYRUS
Moi? Je bats monnaie pour te payer.
BACCHIS
Me crois-tu femme à me laisser jouer?
SYRUS
Je ne parle pas en l'air.
BACCHIS
Est-ce que là j'aurai encore affaire avec toi?
SYRUS
Pas du tout : je te rends ce qui t'appartient.
BACCHIS
Allons.
SYRUS
Suis-moi par ici. Holà ! Dromon.
DROMON
Qui m'appelle?
SYRUS
Syrus..
DROMON
Qu'y a-t-il?
SYRUS
Conduis toutes les servantes de Bacchis ici chez vous. Fais vite.
DROMON
Pourquoi?
SYRUS
Pas de questions. Qu'elles emportent ce qu'elles ont apporté avec
elles. Le bonhomme se flattera que leur départ allégera ses dépenses.
Il ne se doute pas, ma foi, de ce que lui coûtera ce léger profit.
Pour toi, Dromon, si tu as de l'esprit tu ne sais pas ce que tu sais.
DROMON
Tu pourras dire que je n'ai point de langue.
|
SCENA
V
CHREMES, SYRUS
CHREMES
Ita me di amabunt, ut nunc Menedemi vicem
miseret me tantum devenisse ad eum mali. 750
Illancin mulierem alere cum illa familia!
Etsi scio, hosce aliquot dies non sentiet,
ita magno desiderio fuit ei filius.
Verum ubi videbit tantos sibi sumptus domi
cotidianos fieri nec fieri modum, 755
optabit rursum ut abeat ab se filius.
Syrum optume eccum.
SYRUS
Cesso hunc adoriri?
CHREMES
Syre.
SYRUS
Hem.
CHREMES
Quid est?
SYRUS
Te mihi ipsum iamdudum optabam dari.
CHREMES
Vdere egisse iam nescioquid cum sene.
SYRUS
De illo quod dudum? Dictum [ac] factum reddidi. 760
CHREMES
Bonan fide?
SYRUS
Bona hercle.
CHREMES
Non possum pati
quin tibi caput demulceam; accede huc, Syre:
faciam boni tibi aliquid pro ista re ac lubens.
SYRUS
At si scias quam scite in mentem venerit.
CHREMES
Vah gloriare evenisse ex sententia? 765
SYRUS
Non hercle vero, verum dico.
CHREMES
Dic quid est?
SYRUS
Tui Clitiphonis esse amicam hanc Bacchidem
Menedemo dixit Clinia, et ea gratia
secum adduxisse ne tu id persentisceres.
CHREMES
Probe.
SYRUS
Dic, sodes.
CHREMES
Nimium, inquam.
SYRUS
Immo si scias. 770
Sed porro ausculta quod superest fallaciae:
sese ipse dicit tuam vidisse filiam;
eius sibi conplacitam formam, postquam aspexerit;
hanc cupere uxorem.
CHREMES
Modone quae inventast?
SYRUS
Eam:
et quidem iubebit posci.
CHREMES
Quam ob rem istuc, Syre? 775
Nam prorsum nil intellego.
SYRUS
Vah, tardus es.
CHREMES
Fortasse.
SYRUS
Argentum dabitur ei ad nuptias,
aurum atque vestem qui... tenesne?
CHREMES
Comparet?
SYRUS
Id ipsum.
CHREMES
At ego illi neque do neque despondeo.
SYRUS
Non? Quam ob rem?
CHREMES
Qam ob rem? Me rogas? Homini ?
SYRUS 780
Ut lubet.
Non ego dicebam in perpetuom ut illam illi dares,
verum ut simulares.
CHREMES
Non meast simulatio.
Ita tu istaec tua misceto ne me admisceas.
Egon quoi daturus non sum, ut ei despondeam?
SYRUS
Credebam.
CHREMES
Minime.
SYRUS
Scite poterat fieri; 785
et ego hoc, quia dudum tu tanto opere iusseras,
eo coepi.
CHREMES
Credo.
SYRUS
Ceterum equidem istuc, Chreme,
aequi bonique facio.
CHREMES
Atqui quam maxume
volo te dare operam ut fiat, verum alia via.
SYRUS
Fiat, quaeratur aliquid. Sed illud quod tibi 790
dixi de argento quod ista debet Bacchidi,
id nunc reddendumst illi: neque tu scilicet
illuc confugies: « Quid mea?
Num mihi datumst?
Num iussi? Num illa oppignerare filiam
meam me invito potuit? »
Verum illuc, Chreme, 795
dicunt: « Ius summum saepe summast
malitia. »
CHREMES
Haud faciam.
SYRUS
Immo aliis si licet, tibi non licet:
omnes te in lauta <esse> et bene a<u>cta parte putant.
CHREMES
Quin egomet iam ad eam deferam.
SYRUS
Imo filium
iube potius.
CHREMES
Quam ob rem?
SYRUS
Quia enim in eum suspiciost 800
translata amoris.
CHREMES
Quid tum?
SYRUS
Quia videbitur
mage veri simile id esse, quom hic illi dabit;
et simul conficiam facilius ego quod volo.
Ipse adeo adest: abi, ecfer argentum.
CHREMES
Ecfero.
|
SCÈNE
V
CHRÉMÈS, SYRUS
CHRÉMÈS (à
part).
Vraiment, je me sens plein de pitié pour Ménédème, en voyant un
pareil fléau s'abattre sur sa maison. Avoir à nourrir cette femme avec
toute sa séquelle ! Je sais bien que les premiers jours il n'y fera pas
attention, tant il languissait de revoir son fils ! Mais quand il verra
qu'on fait tous les jours sous son toit de pareilles dépenses et que
cela n'aura pas de fin, il souhaitera encore une fois le départ
de son fils. Voici fort à propos Syrus.
SYRUS (à part).
Pourquoi nu l'entreprendrais-je pas tout de suite?
CHRÉMÈS
Syrus!
SYRUS
Hein?
CHRÉMÈS
Quelles nouvelles?
SYRUS
Il y a un bon moment que je désirais te voir.
CHRÉMÈS
Tu m'as l'air d'avoir déjà fait de la besogne avec le bonhomme.
SYRUS
A propos de ce que nous disions tantôt? Aussitôt dit, aussitôt fait.
CHRÉMÈS
Sérieusement !
SYRUS
Sérieusement.
CHRÉMÈS
Par Hercule, je ne puis me tenir de te caresser la tête. Approche ici,
Syrus. Je te ferai du bien pour cela, et de grand coeur.
SYRUS
Ah ! si tu savais la jolie rusa qui m'est venue à l'esprit?
CHRÉMÈS
Bah ! ne ta vantes-tu pas, quand tu prétends avoir réussi?
SYRUS
Non, par Hercule je dis la vérité.
CHRÉMÈS
Conte-moi ce qui en est.
SYRUS
Clinia a dit à Ménédème que cette Bacchis était la maîtresse de
ton fils Clitiphon, et qu'il l'avait fait passer chez lui pour que tu ne
doutes de rien.
CHERMÈS
Bien.
SYRUS
Qu'en dis-tu, s'il te plaît?
CHRÉMÈS
Plus que bien, te dis-je.
SYRUS
Et si tu savais tout? Mais écoute encore la fin de la tromperie. Lui-même
dit qu'il a vu ta fille, qu'il a été enchanté de sa beauté, au
premier regard, et qu'il désire l'épouser.
CHRÉMÈS
Celle qui vient d'être retrouvée?
SYRUS
Elle-même, et il va te la faire demander.
CHRÉMÈS
Pourquoi cela, Syrus? Je ne comprends pas du tout.
SYRUS
Ah ! tu es lent à saisir.
CHRÉMÈS
C'est possible.
SYRUS
On lui donnera de l'argent pour la noce, pour les bijoux, pour les robes
qu'il lui faudra... Comprends-tu?
CHRÉMÈS
Acheter.
SYRUS
Précisément.
CHRÉMÈS
Mais moi, je ne lui donne, ni ne lui promets ma fille.
SYRUS
Non? Pourquoi?
CHRÉMÈS
Pourquoi? Tu le demandes? Un garçon qui...
SYRUS
Comme il te plaira. Je ne te disais pas de la lui donner tout de bon,
mais de faire semblant.
CHRÉMÈS
La feinte n'est pas dans mes habitudes. Arrange tes affaires sans m'y mêler.
Moi, j'irais promettre ma fille à, un homme à qui je ne veux pas la
donner !
SYRUS
Je le croyais.
CHRÉMÈS
Pour cela, non !
SYRUS
C'était un joli moyen qu'on pouvait employer. Et moi, si je me suis
embarqué dans cette affaire, c'est parce que tu m'en avais tantôt si
instamment prié.
CHRÉMÈS
C'est vrai.
SYRUS
Au reste, Chrémès, je ne puis qu'approuver ce que tu dis.
CHRÉMÈS
Néanmoins je te demande plus que jamais de tâcher d'aboutir, mais par
une autre voie.
SYRUS
Soit. Cherchons autre chose. Mais quant à ce que je t'ai dit de
l'argent que ta fille doit à Bacchis, il faut le lui rendre
aujourd'hui; et tu ne vas pas, j'espère, te retrancher derrière des prétextes
comme ceux-ci : « Que m'importe? Est-ce à moi qu'on l'a donné? Est-ce
moi qui l'ai commandé? La vieille pouvait-elle mettre ma fille en gage
sans mon consentement? » On a raison de dire, Chrémès, que la justice
extrême est souvent une extrême méchanceté.
CHRÉMÈS
Je n'userai pas de prétextes.
SYRUS
J'ajoute que si on pouvait le passer à d'autres, on ne te le passerait
pas à toi. Tout le monde te croit dans une situation riche et prospère.
CHRÉMÈS
Allons ! je vais lui porter l'argent moi-même.
SYRUS
Non, charges-en plutôt ton fils.
CHRÉMÈS
Pourquoi?
SYRUS
Parce que c'est lui qui passe désormais pour l'aman de Bacchis.
CHRÉMÈS
Et après?
SYRUS
Et que la chose paraîtra plus probable encore, si c'est lui qui lui
donne. Et du même coup, j'arriverai plus facilement à mes fins. Le
voilà justement qui vient. Va chercher l'argent et rapporte-le.
CHRÉMÈS
Je le rapporte à l'instant.
|
SCENA
VI
CLITIPHO, SYRUS
CLITIPHO
Nullast tam facilis res quin difficilis siet, 805
quam invitus facias. Vel me haec deambulatio,
quam non laboriosa, ad languorem dedit.
Vec quicquam mage nunc metuo quam ne denuo
miser aliquo extrudar hinc, ne accedam ad Bacchidem.
ut te quidem omnes di deaeque quantumst, Syre, 810
cum istoc invento cumque incepto perduint!
Huius modi mihi res semper comminiscere,
ubi me excarnufices.
SYRUS
Is tu hinc quo dignus es?
Quam paene tua me perdidit protervitas!
CLITIPHO
Vellem hercle factum, ita meritu's.
SYRUS
Meritus? Quo modo? 815
Ne me istuc ex te prius audisse gaudeo
quam argentum haberes quod daturu'siam fui.
CLITIPHO
Quid igitur dicam tibi vis? Abi<i>sti; mihi
amicam adduxti, quam non licitumst tangere.
SYRUS
Iam non sum iratus. Sed scin ubi sit nunc tibi 820
tua Bacchis?
CLITIPHO
Apud nos.
SYRUS
Non.
CLITIPHO
Ubi ergo?
SYRUS
Apud Cliniam.
CLITIPHO
Perii.
SYRUS
Bono animo es: iam argentum ad eam deferes
quod ei pollicitu's.
CLITIPHO
Garris. Unde?
SYRUS
A tuo patre.
CLITIPHO
Ludis fortasse me?
SYRUS
Ipsa re experibere.
CLITIPHO
Ne ego sum homo fortunatus. Deamo te, Syre. 825
SYRUS
Sed pater egreditur. Cave quicquam admiratus sis
qua causa id fiat; obsecundato in loco;
quod imperabit facito; loquitor paucula.
|
SCÈNE
VI
CLITIPHON, SYRUS
CLITIPHON
II n'y a pas de chose si facile qui ne devienne difficile, quand on la
fait à contre-coeur. Ainsi cette promenade, si peu fatigante qu'elle
ait été, m'a excédé; et je ne crains rien tant à cette heure que d'être
encore une fois, hélas! chassé d'ici, pour que je n'approche point de
Bacchis. Que tous les dieux et toutes les déesses te confondent, Syrus,
avec tes machinations et tes projets! Voilà les tours que tu inventes
toujours pour me mettre au supplice.
SYRUS
Va-t'en au diable, c'est ta place. Tu as failli me perdre avec tes manières
effrontées.
CLITIPHON
Par Hercule, je voudrais l'avoir fait, tellement tu l'as mérité !
SYRUS
Mérité? Comment? Je suis bien aise, ma foi, de t'en-tendre parler
ainsi, avant que tu aies entre les mains l'argent que j'allais te
donner.
CLITIPHON
Que veux-tu donc que je te dise? Tu t'en vas, tu m'amènes ma maîtresse,
et je n'ai pas le droit de la toucher!
SYRUS
Allons ! je ne suis plus fâché; mais sais-tu où est à cette heure ta
Bacchis?
CLITIPHON
Chez nous.
SYRUS
Non.
CLITIPHON
Où donc?
SYRUS
Chez Clinia.
CLITIPHON
Malheureux que je suis !
SYRUS
Rassure-toi : tu vas lui porter tout à l'heure l'argent que tu lui as
promis.
CLITIPHON
Tu veux rire. Qui me le donnera?
SYRUS
Ton père.
CLITIPHON
Tu te gausses de moi, sans doute.
SYRUS
Tu vas le savoir par expérience.
CLITIPHON
Ma foi, je suis un homme heureux. Syrus, je t'adore.
SYRUS
Mais voici ton père qui sort. Garde-toi bien de t'étonner de quoi que
ce soit et d'en demander la raison. Seconde-moi à propos. Fais ce qu'il
te dira, et parle peu.
|
SCENA
VII
CHREMES, CLITIPHO, SYRUS
CHREMES
Ubi Clitipho hic est?
SYRUS
«
Eccum me » inque.
CLITIPHO
Eccum hic tibi.
CHREMES
Quid rei esset dixti[n] huic?
SYRUS
Dixi pleraque omnia. 830
CHREMES
Cape hoc argentum ac defer.
SYRUS
I. Quid stas, lapis?
Quin accipis?
CLITIPHO
Cedo sane.
SYRUS
Sequere hac me ocius.
Tu hic nos, dum eximus, interea opperibere;
nam nil est illic quod moremur diutius.-
CHREMES
Minas quidem iam decem habet a me filia, 835
quas hortamentis esse nunc duco datas;
hasce ornamentis consequentur alterae;
porro haec talenta dotis adposcunt duo.
Quam multa iniusta ac prava fiunt moribus!
Mihi nunc relictis rebus inveniundus est 840
aliquis, labore inventa mea quoi dem bona.
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SCÈNE
VII
CHRÉMÈS, CLITIPHON, SYRUS
CHRÉMÉS
Où est mon Clitiphon?
SYRUS
Réponds : « Me voici. »
CLITIPHON
Me voici, mon père.
CHRÉMÈS
Lui as-tu dit de quoi il s'agit?
SYRUS
Je le lui ai dit en gros.
CHRÉMÈS
Prends cet argent et porte-le.
SYRUS
Va. Pourquoi restes-tu là comme une borne? Prends donc.
CLITIPHON
Oui, donne.
SYRUS
Suis-moi vite par ici. (A Chrémès.) Toi,
attends-nous ici jusqu'à ce que nous revenions; car nous n'en avons pas
pour longtemps dans cette maison. —
CHRÉMÈS (seul).
C'est déjà dix mines que ma fille a de moi. Mettons que je les ai données
pour sa nourriture. Dix autres suivront pour sa toilette, qui exigeront
en outre deux talents pour sa dot. Que d'injustes et absurdes pratiques
autorisées par l'usage ! Il me faut maintenant laisser là mes affaires
pour trouver quelqu'un à qui donner les biens que j'ai amassés à
grand'peine.
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SCENA
VIII
MENEDEMUS, CHREMES
MENEDEMUS
Multo omnium nunc me fortunatissimum
factum puto esse quom te, gnate, intellego
resipisse.
CHREMES
Ut errat!
MENEDEMUS
Te ipsum quaerebam, Chreme.
Serva, quod in te est, filium, me ac familiam. 845
CHREMES
Dic quid vis faciam?
MENEDEMUS
Invenisti hodie filiam.
CHREMES
Quid tum?
MENEDEMUS
Hanc uxorem sibi dari volt Clinia.
CHREMES
Quaeso, quid tu homini's?
MENEDEMUS
Quid est?
CHREMES
Iamne oblitus es
inter nos quid sit dictum de fallacia,
ut ea via abs te argentum auferretur?
MENEDEMUS
Scio. 850
CHREMES
Ea res nunc agitur ipsa.
MENEDEMUS
Quid narras, Chreme?
Erravi? Actast res? Quanta de spe decidi! 851a
Immo haec quidem quae apud me est Clitiphonis est
amica: ita aiunt.
CHREMES
Et tu credis omnia.
Et illum aiunt velle uxorem ut, quom desponderis,
des qui aurum ac vestem atque alia quae opus sunt comparet. 855
MENEDEMUS
Id est profecto: id amicae dabitur.
CHREMES
Scilicet
daturum.
MENEDEMUS
Ah, frustra sum igitur gavisus miser.
Quidvis tamen iam malo quam hunc amittere.
Quid nunc renuntiem abs te responsum, Chreme,
ne sentiat me sensisse atque aegre ferat? 860
CHREMES
Aegre? Nimium illi, Menedeme, indulges.
MENEDEMUS
Sine:
inceptumst: perfice hoc mi perpetuo, Chreme.
CHREMES
Dic convenisse, egisse te de nuptiis.
MENEDEMUS
Dicam. Quid deinde?
CHREMES
Me facturum esse omnia,
generum placere; postremo etiam, si voles, 865
desponsam quoque esse dicito.
MENEDEMUS
Em, istuc volueram.
CHREMES
Tanto ocius te ut poscat, et tu, id quod cupis,
quam ocissime ut des.
MENEDEMUS
Cupio.
CHREMES
Ne tu propediem,
ut istanc rem video, istius obsaturabere.
Sed ut uti istaec sunt, cautim et paulatim dabis 870
si sapies.
MENEDEMUS
Faciam.
CHREMES
Abi intro. Vide quid postulet.
Ego domi ero, si quid me voles.
MENEDEMUS
Sane volo;
nam te scientem faciam quidquid egero.
|
SCÈNE
VIII
MÉNÉDÈME, CHRÉMÈS
MÉNÉDÈME (à
son fils qui est dans la maison).
Je me regarde comme le plus heureux des hommes sans comparaison, mon
fils, maintenant que je te vois rentré dans le bon chemin.
CHRÉMÈS (à part).
Comme il s'abuse !
MÉNÉDÈME
C'est toi que je cherchais, Chrémès. Sauve-nous, tu le peux, mon fils,
moi, ma maison.
CHRÉMÈS
Voyons, que veux-tu que je fasse?
MÉNÉDÈME
Tu as retrouvé aujourd'hui ta fille.
CHRÉMÈS
Eh bien?
MÉNÉDÈME
Clinia demande sa main.
CHRÉMÈS
Ah çà ! Quel homme es-tu donc?
MÉNÉDÈME
Que veux-tu dire?
CHRÉMÈS
As-tu déjà oublié ce que nous avons dit entre nous d'une supercherie
par laquelle on veut te soutirer de l'argent?
MÉNÉDÈME
Je m'en souviens.
CHRÉMÈS
C'est justement ce qu'on est en train de faire en ce moment.
MÉNÉDÈME
Que dis-tu là, Chrémès? M'a-t-on abusé? En est-ce fait? De quel
espoir je suis déchu (07) ! Mais non, la
femme qui est chez moi est la maîtresse de Clitiphon : ils l'affirment.
CHRÉMÈS
Et tu crois tout? On te dit aussi que ton fils veut se marier, pour que,
quand tu l'auras fiancé, tu lui donnes de quoi acheter des bijoux, des
robes et le reste.
MÉNÉDÈME
C'est cela sûrement : il donnera l'argent à sa maîtresse.
CHRÉMÈS
Certainement oui.
MÉNÉDÈME
Ah ! c'est donc en vain que je me réjouissais, malheureux. Et
cependant, je suis maintenant résigné à tout plutôt que de perdre
mon fils. Quelle réponse dois-je lui faire de ta part, Chrémès? Je ne
veux pas qu'il découvre qu'il est découvert; cela lui ferait de la
peine.
CHRÉMÈS
De la peine ! Tu es trop bon pour lui, Ménédème.
MÉNÉDÈME
Laisse-moi faire. J'ai commencé. Aide-moi, ChrémèS, à aller jusqu'au
bout.
CHRÉMÈS
Dis-lui que tu m'as vu, que tu m'as parlé de ce mariage.
MÉNÉDÈME
Je le lui dirai. Et après?
CHRÉMÈS
Que je suis disposé à tout faire, que le gendre me plaît; enfin,
ajoute même, si tu veux, que je promets ma fille.
MÉNÉDÈME
Ah ! c'est ce que j'aurais voulu.
CHRÉMÈS
Pour qu'il te demande de l'argent d'autant plus vite, et que toi, juste
comme tu le désires, tu lui en donnes au plus vite.
MÉNÉDÈME
C'est en effet mon désir.
CHRÉMÈS
Sois sûr qu'avant peu, du train dont je vois que vont les choses, tu
auras de lui par-dessus la tête. Dans la situation où tu es, donne
avec précaution et peu à la fois, si tu es sage.
MÉNÉDÈME
C'est ce que je ferai.
CHRÉMÈS
Rentre chez toi; vois ce qu'il demande. Pour moi, je resterai à la
maison, si tu as besoin de moi.
MÉNÉDÈME
Oui, j'ai besoin de toi; car je veux te tenir au courant de tout ce que
j'aurai fait.
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ACTUS V
SCENA I
MENEDEMUS, CHREMES
MENEDEMUS
Ego me non tam astutum neque ita perspicacem esse, id scio;
sed hic adiutor meus et monitor et praemonstrator Chremes 875
hoc mihi praestat: in me quidvis harum rerum convenit
quae sunt dicta in stulto, caudex, stipes, asinus, plumbeus;
in illum nil potest: exsuperat eius stultitia haec omnia.
CHREMES
Ohe, iam desine deos, uxor, gratulando obtundere,
tuam esse inventam gnatam, nisi illos ex tuo ingenio iudicas, 880
ut nil credas intellegere nisi idem dictumst centiens.
Sed interim quid illic iamdudum gnatus cessat cum Syro?
MENEDEMUS
Quos ais homines, Chreme, cessare?
CHREMES
Ehem, Menedeme, advenis?
Dic mihi, Cliniae quae dixi nuntiastin?
MENEDEMUS
Oomnia.
CHREMES
Quid ait?
MENEDEMUS
Gaudere adeo coepit, quasi qui cupiunt nuptias. 885
CHREMES
Hahahae.
MENEDEMUS
Quid risisti?
CHREMES
Servi venere in mentem Syri
calliditates.
MENEDEMUS
Itane?
CHREMES
Voltus quoque hominum fingit scelus.
MENEDEMUS
Gnatus quod se adsimulat laetum, id dicis?
CHREMES
Id.
MENEDEMUS
Idem istuc mihi
venit in mentem.
CHREMES
Veterator.
MENEDEMUS
Mage, si mage noris, putes
ita rem esse.
CHREMES
Ain tu?
MENEDEMUS
Quin tu ausculta.
CHREMES
Mane; hoc prius scire expeto, 890
quid perdideris. Nam ubi desponsam nuntiasti filio,
continuo iniecisse verba tibi Dromonem scilicet,
sponsae vestem, aurum atque ancillas opus esse, argentum ut dares.
MENEDEMUS
Non.
CHREMES
Quid? non?
MENEDEMUS
Non, inquam.
CHREMES
Neque ipse gnatus?
MENEDEMUS
Nil prorsum, Chreme.
Magis unum etiam instare, ut hodie conficiantur nuptiae. 895
CHREMES
Mira narras. Quid Syrus meus ? Ne is quidem quicquam?
MENEDEMUS
Nihil.
CHREMES
Quam ob rem, nescio.
MENEDEMUS
Equidem miror, qui alia tam plane scias.
Sed ille tuom quoque Syrus idem mire finxit filium,
ut ne paullulum quidem subolat esse amicam hanc Cliniae.
CHREMES
Quid agit?
MENEDEMUS
Mitto iam osculari atque amplexari: id nil puto. 900
CHREMES
Quid est quod amplius simuletur?
MENEDEMUS
Vah.
CHREMES
Quid est?
MENEDEMUS
Audi modo.
Est mihi ultimis conclave in aedibus quoddam retro:
huc est intro latus lectus; vestimentis stratus est.
CHREMES
Quid postquam hoc est factum?
MENEDEMUS
Dictum factum huc abiit Clitipho.
CHREMES
Solus?
MENEDEMUS
Solus.
CHREMES
Timeo.
MENEDEMUS
Bacchis consecutast ilico. 905
CHREMES
Sola?
MENEDEMUS
Sola.
CHREMES
Perii.
MENEDEMUS
Ubi abiere intro, operuere ostium.
CHREMES
Hem !
Clinia haec fieri videbat?
MENEDEMUS
quidni? mecum una simul.
CHREMES
Fili est amica Bacchis. Menedeme, occidi.
MENEDEMUS
Quam ob rem?
CHREMES
Decem dierum vix mi est familia.
MENEDEMUS
Quid istuc times quod ille operam amico dat suo? 910
CHREMES
Immo quod amicae.
MENEDEMUS
Si dat.
CHREMES
An dubium id tibist?
Quemquamne animo tam com[mun]i esse aut leni putas
qui, se vidente, amicam patiatur suam... ?
MENEDEMUS
Quidni? Quo verba facilius dentur mihi.
CHREMES
Derides merito. Mihi nunc ego suscenseo. 915
Quot res dedere ubi possem persentiscere,
ni essem lapis! Quae vidi! Vae misero mihi!
At ne illud haud inultum, si vivo, ferent!
Nam iam...
MENEDEMUS
Non tu te cohibes? Non te respicis?
Non tibi ego exempli satis sum?
CHREMES
Prae iracundia, 920
Menedeme, non sum apud me.
MENEDEMUS
Tene istuc loqui!
Nonne id flagitiumst te aliis consilium dare,
foris sapere, tibi non posse te auxiliarier?
CHREMES
Quid faciam?
MENEDEMUS
Id quod me fecisse aiebas parum.
Fac te patrem esse sentiat; fac ut audeat 925
tibi credere omnia, abs te petere et poscere,
ne quam aliam quaerat copiam ac te deserat.
CHREMES
immo abeat multo malo quovis gentium,
quam hic per flagitium ad inopiam redigat patrem.
Nam si illi pergo suppeditare sumptibus, 930
Menedeme, mihi illaec vere ad rastros res redit.
MENEDEMUS
Quot incommoditates in hac re capies, nisi caves!
Difficilem te esse ostendes et ignosces tamen
post, et id ingratum.
CHREMES
Ah ! nescis quam doleam.
MENEDEMUS
Ut lubet.
Quid hoc quod rogo, ut illa nubat nostro? nisi quid est 935
quod mage vis.
CHREMES
Immo et gener et adfines placent.
MENEDEMUS
Quid dotis dicam te dixisse filio?
Quid obticuisti?
CHREMES
Dotis?
MENEDEMUS
Ita dico.
CHREMES
Ah.
MENEDEMUS
Chreme,
nequid vereare, si minus: nil nos dos movet.
CHREMES
Duo talenta pro re nostra ego esse decrevi satis; 940
sed ita dictu opus est, si me vis salvom esse et rem et filium,
me mea omnia bona doti dixisse illi.
MENEDEMUS
Quam rem agis?
CHREMES
Id mirari te simulato, et illum hoc rogitato simul,
quam ob rem id faciam.
MENEDEMUS
Quin ego vero quam ob rem id facias nescio.
CHREMES
Egone? ut eius animum, qui nunc luxuria et lascivia 945
diffluit, retundam, redigam, ut quo se vortat nesciat.
MENEDEMUS
Quid agis?
CHREMES
Mitte: sine me in hac re gerere mihi morem.
MENEDEMUS
Sino.
Itane vis?
CHREMES
Ita.
MENEDEMUS
Fiat.
CHREMES
Ac iam uxorem ut accersat paret.
Hic ita, ut liberos est aequom, dictis confutabitur.
Sed Syrum...
MENEDEMUS
Quid eum?
CHREMES
Egone, si vivo, adeo exornatum dabo, 950
adeo depexum ut, dum vivat, meminerit semper mei,
qui sibi me pro deridiculo ac delectamento putat.
Non, ita me di ament, auderet facere haec viduae mulieri
quae in me fecit.
|
ACTE
V
SCÈNE I
MÉNÉDÈME, CHRÉMÈS
MÉNÉDÈME (seul).
Je ne suis ni bien fin ni bien perspicace, je le sais; mais ce Chrémès,
mon directeur, mon régisseur, mon souffleur, l'est encore moins que
moi. On peut m'appliquer tous les noms que l'on donne à un sot : bûche,
souche, âne, gourde; à lui, aucun : sa sottise les dépasse tous.
CHRÉMÈS
Hé ! cesse enfin, ma femme, d'assourdir les dieux de tes remerciements
pour avoir retrouvé ta fille. Peut-être juges-tu de leur intelligence
par la tienne, et crois-tu qu'ils ne comprennent que quand on leur a répété
cent fois la même chose. (A lui-même.)
Mais cependant pourquoi mon fils s'attarde-t-il si longtemps avec Syrus?
MÉNÉDÈME
Qui s'attarde, dis-tu, Chrémès?
CHRÉMÈS
Ah ! te voilà, Ménédème? Dis-moi, as-tu fait part Clinia de ce que
je t'ai dit?
MÉNÉDÈME
De tout.
CHRÉMÈS
Qu'a-t-il répondu?
MÉNÉDÈME
Il s'est mis à sauter de joie, comme un homme enchanté de se marier.
CHRÉMÈS
Ha ! ha ! ha !
MÉNÉDÈME
Pourquoi ris-tu?
CHRÉMÈS
C'est que les roueries de mon esclave Syrus me reviennent à l'esprit.
MÉNÉDÈME
Vraiment?
CHRÉMÈS
Le coquin va jusqu'à façonner à son gré la physionomie des gens.
MÉNÉDÈME
Mon fils fait semblant d'être joyeux, est-ce cela que tu veux dire?
CHRÉMÈS
Oui.
MÉNÉDÈME
La même idée m'est venue à l'esprit.
CHRÉMÈS
Le vieux renard !
MÉNÉDÈME
Tu en serais encore plus persuadé, si tu le connaissais davantage.
CHRÉMÈS
Tu crois.
MÉNÉDÈME
Écoute plutôt.
CHRÉMÈS
Attends un peu. Je voudrais d'abord savoir ce qu'il t'en a coûté. Car
dès que tu as eu rapporté à ton fils que je lui promettais ma fille,
Dromon a dû aussitôt te faire entendre que la fiancée avait besoin de
robes, de bijoux, de servantes, et qu'il fallait financer.
MÉNÉDÈME
Non.
CHRÉMÈS
Comment, non?
MÉNÉDÈME
Non, te dis-je.
CHRÉMÈS
Ni ton fils non plus?
MÉNÉDÈME
Pas davantage, Chrémès. La seule chose qu'il demande plus instamment
que jamais, c'est que son mariage s'achève aujourd'hui.
CHRÉMÈS
Ce que tu me dis là me surprend. Et mon coquin de Syrus? Il ne t'a rien
dit non plus?
MÉNÉDÈME
Rien.
CHRÉMÈS
La cause? Je ne la vois pas.
MÉNÉDÈME
Vraiment je ne te reconnais pas là, toi qui vois si clair dans les
affaires d'autrui. Mais ce même Syrus a si bien façonné ton fils
aussi qu'on ne se doute pas le moins au monde que cette femme est la maîtresse
de Clinia.
CHRÉMÈS
Que veux-tu dire?
MÉNÉDÈME
Je ne parle pas des baisers ni des embrassades : je compte cela pour
rien.
CHRÉMÈS
Après cela, que reste-t-il à feindre?
MÉNÉDÈME
Ah!
CHRÉMÈS
Quoi?
MÉNÉDÈME
Écoute seulement. J'ai au fond de ma maison une pièce retirée; on y a
porté un lit, qu'on a garni de couvertures.
CHRÉMÈS
Et après cela?
MÉNÉDÈME
La chambre à peine prête, Clitiphon s'y est réfugie.
CHRÉMÈS
Seul?
MÉNÉDÈME
Seul.
CHRÉMÈS
Je tremble.
MÉNÉDÈME
Bacchis l'y a suivi aussitôt.
CHRÉMÈS
Seule?
MÉNÉDÈME
Seule.
CHRÉMÈS
J'étouffe.
MÉNÉDÈME
Une fois dedans, ils ont fermé la porte.
CHRÉMÈS
Ah ! et Clinia les voyait faire?
MÉNÉDÈME
Bien sûr, puisqu'il était avec moi.
CHRÉMÈS
Bacchis est la maîtresse de mon fils. Ménédème, c'est fait de moi.
MÉNÉDÈME
Pourquoi?
CHRÉMÈS
Ma maison en a pour dix jours à peine.
MÉNÉDÈME
Hé quoi ! tu t'effrayes parce qu'il sert son ami?
CHRÉMÈS
Dis plutôt son amie.
MÉNÉDÈME
Si réellement il la sert.
CHRÉMÈS
Tu en doutes? Crois-tu qu'il y ait un homme assez accommodant, assez débonnaire
pour souffrir que, sous son nez, sa maîtresse...?
MÉNÉDÈME
Pourquoi pas, si c'est pour m'en imposer plus facilement?
CHRÉMÈS
Tu te moques de moi, et tu as raison. Je suis en colère contre moi-même.
Que d'occasions ils m'ont données de deviner la vérité, si je n'avais
pas été une buse ! Que n'ai-je pas vu? Ah ! malheureux que je suis !
Mais, je le jure, ils ne le porteront pas loin, si le ciel me prête
vie. Car je vais...
MÉNÉDÈME
Ne saurais-tu te contenir et avoir égard à toi-même (08)
? Mon exemple ne te suffit-il pas?
CHRÉMÈS
Je ne me possède plus de colère, Ménédème.
MÉNÉDÈME
Toi tenir un pareil langage ! N'est-tu pas honteux ne conseiller les
autres et d'être sage hors de chez toi, quand tu ne peux t'aider toi-même?
CHRÉMÈS
Que faire?
MÉNÉDÈME
Ce que tu me reprochais de n'avoir pas fait. Fais en sorte qu'il sente
qu'il a en toi un père, qu'il ose te confier tous ses secrets, qu'il
s'adresse à toi pour tout ce qu'il désire et demande, qu'il ne cherche
pas de ressources ailleurs et qu'il ne te quitte pas.
CHRÉMÈS
Eh bien, non. J'aime cent fois mieux qu'il s'en aille où il voudra que
de le voir ici réduire son père à l'indigence par ses débauches;
car, si je continue, Ménédème, à fournir à ses dépenses, il ne me
reste plus qu'à prendre la bêche pour tout de bon.
MÉNÉDÈME
Que d'ennuis tu te prépares ainsi, si tu n'y prends garde ! Tu te
montreras d'abord difficile et tu n'en pardonneras pas moins plus tard,
et l'on ne t'en saura aucun gré.
CHRÉMÈS
Ah! tu ne sais pas ce que je souffre.
MÉNÉDÈME
Comme il te plaira. Cependant que dis-tu de mes projets de mariage entre
ta fille et mon fils? Mais peut-être as-tu un parti qui t'agrée
davantage?
CHRÉMÈS
Non, le gendre et la famille me plaisent.
MÉNÉDÈME
Et la dot, à combien la fixes-tu? Que dois-je en dire à mon fils? Tu
ne réponds pas?
CHRÉMÈS
La dot?
MÉNÉDÈME
Oui.
CHRÉMÈS
Ah!
MÉNÉDÈME
Ne crains rien, Chrémès, si tu donnes peu : la dot est le moindre de
nos soucis.
CHRÉMÈS
J'ai pensé que, vu ma fortune, c'était assez de deux talents. Mais si
tu veux nous sauver, moi, mon fils et mon patrimoine, il faut dire que
je donne en dot à ma fille tout ce que je possède.
MÉNÉDÈME
Quel est ton dessein?
CHRÉMES
Fais semblant de t'en étonner, et demande-lui en même temps pourquoi
j'agis de la sorte.
MÉNÉDÈME
Mais c'est qu'en vérité je ne comprends pas moi-même la raison de ta
conduite.
CHRÉMÈS
La raison? Je veux mater cet étourdi qui se noie dans la débauche et
le libertinage, et le réduire à ne plus savoir où donner de la tête.
MÉNÉDÈME
Que vas-tu faire?
CHRÉMÈS
Laisse, et trouve bon qu'en cette circonstance j'en fasse à ma tête.
MÉNÉDÈME
Soit ! Tu es bien décidé?
CHRÉMÈS
Oui.
MÉNÉDÈME
Fais donc.
CHRÉMÈS
Et maintenant que ton fils se prépare à venir chercher sa femme. Pour
le mien, je vais l'admonester, comme il est juste qu'on admoneste ses
enfants. Quant à Syrus...
MÉNÉDÈME
Que lui feras-tu?
CHRÉMÈS
Je me charge, si le ciel me prête vie, de l'arranger de telle sorte et
de le peigner si bien qu'il se souviendra de moi toute sa vie; je lui
apprendrai à me prendre pour son jouet et son plastron. Non, de par
tous les dieux, il n'oserait pas faire à une pauvre veuve ce qu'il m'a
fait.
|
SCENA
II
CLITIPHO, MENEDEMUS, CHREMES, SYRUS
CLITIPHO
Itane tandem quaeso, Menedeme, ut pater
tam in brevi spatio omnem de me eiecerit animum patris? 955
Quodnam ob facinus? Quid ego tantum sceleris admisi miser?
Volgo faciunt.
MENEDEMUS
Scio tibi esse hoc gravius multo ac durius,
quoi fit; verum ego haud minus aegre patior, id qui nescio
nec rationem capio, nisi quod tibi bene ex animo volo.
CLITIPHO
Hic patrem astare aibas.
MENEDEMUS
Eccum.
CHREMES
Quid me incusas, Clitipho? 960
Quidquid ego huius feci, tibi prospexi et stultitiae tuae.
Ubi te vidi animo esse omisso, et suavia in praesentia
quae essent prima habere neque consulere in longitudinem,
cepi rationem ut neque egeres neque ut haec posses perdere.
Ubi, quoi decuit primo, tibi non licuit per te mihi dare, 965
abii ad proxumum tibi qui erat; ei commisi et credidi.
Ibi tuae stultitiae semper erit praesidium, Clitipho,
victus, vestitus, quo in tectum te receptes.
CLITIPHO
Ei mihi!
CHREMES
Satius est quam te ipso herede haec possidere Bacchidem.
SYRUS
Disperii: scelestus quantas turbas concivi insciens! 970
CLITIPHO
Emori cupio.
CHREMES
Prius, quaeso, disce quid sit vivere.
ubi scies, si displicebit vita, tum istoc utitor.
SYRUS
Ere, licetne?
CHREMES
Loquere.
SYRUS
At tuto.
CHREMES
Loquere.
SYRUS
Quae
istast pravitas,
quaeve amentiast, quod peccavi ego, id obesse huic?
CHREMES
Ilicet.
Ne te admisce: nemo accusat, Syre, te: nec tu aram tibi 975
nec precatorem pararis.
SYRUS
Quid agis?
CHREMES
Nil suscenseo
neque tibi nec tibi; nec vos est aequom quod facio mihi.--
|
SCÈNE
II
CLITIPHON, MÉNÉDÈME, CHRÉMÈS,
SYRUS
CLITIPHON
Mais enfin, Ménédème, est-il vrai, dis-moi, qu'en si peu de temps mon
père ait dépouillé à mon égard tout senti ment paternel? Qu'ai-je
donc fait? Quel si grand crime ai-je commis, malheureux? Tout le monde
en fait autant.
MÉNÉDÈME
Je conçois que le coup te paraisse beaucoup trop rude et trop dur, à
toi qui es frappé; cependant je n'en suis pas moins affligé, moi qui
ne sais ni ne comprends rien dans cette affaire, sinon que je m'intéresse
à toi de tout mon coeur.
CLITIPHON
Tu disais que mon père était ici.
MÉNÉDÈME
Le voilà.
CHRÉMÈS
De quoi m'accuses-tu, Clitiphon? Tout ce que j'en ai fait, je l'ai fait
en vue de tes intérêts et pour prévenir tes folies. Quand j'ai vu que
tu te laissais aller, et que tu sacrifiais tout aux plaisirs du moment,
sans songer à l'avenir, j'ai pris des mesures pour t'empêcher de
tomber dans l'indigence et de dissiper notre patrimoine. C'est à toi,
le premier, que revenaient mes biens : ta conduite ne m'a pas permis de
te les laisser. Je me suis tourné vers tes plus proches parents : je
les leur ai confiés et remis. Dans tes folies, Clitiphon, tu trouveras
toujours chez eux une ressource, la nourriture, le vêtement, un toit où
reposer ta tête.
CLITIPHON
Malheureux que je suis !
CHRÉMÈS
Cela vaut mieux que de te léguer mes biens, pour qu'ils passent entre
les mains de Bacchis.
SYRUS (à part.)
C'est fait de moi. Misérable que je suis, quels orages j'ai soulevés
sans le savoir !
CLITIPHON
Je voudrais être mort.
CHRÉMÈS
Apprends d'abord, s'il te plaît, ce que c'est que de vivre. Quand tu le
sauras, si la vie te déplaît, tu pourras recourir à ce moyen.
SYRUS
Maître, puis-je parler?
CHRÉMÈS
Parle.
SYRUS
Mais en toute sûreté?
CHRÉMÈS
Parle.
SYRUS
N'est-ce pas déraison, n'est-ce pas folie de lui faire payer, à lui,
la faute que j'ai commise, moi?
CHRÉMÈS
Arrière. Ne te mêle pas de nos affaires. Personne ne t'accuse, Syrus;
tu n'as que faire de chercher ni autel ni intercesseur.
SYRUS
Que veux-tu faire?
CHRÉMÈS
Je ne vous en veux, ni à toi, ni à toi.. Vous non plus, vous ne devez
pas m'en vouloir de ce que je fais. —
|
SCENA
III
CLITIPHO, SYRUS
SYRUS
Abiit? Vah, rogasse vellem...
CLITIPHO
Quid?
SYRUS
Unde mi peterem cibum:
ita nos alienavit. Tibi iam esse ad sororem intellego.
CLITIPHO
Adeon rem rediisse ut periclum etiam a fame mihi sit, Syre! 980
SYRUS
Modo liceat vivere, est spes.
CLITIPHO
Quae?
SYRUS
Nos esurituros satis.
CLITIPHO
Inrides in re tanta, neque me consilio quicquam adiuvas?
SYRUS
Immo et ibi nunc sum, et usque id egi dudum dum loquitur pater;
et quantum ego intellegere possum...
CLITIPHO
Quid?
SYRUS
Non aberit longius.
CLITIPHO
Quid id ergo?
SYRUS
Sic est: non esse horum te arbitror.
CLITIPHO
Quid istuc, Syre? 985
Satin sanus es?
SYRUS ego dicam quod mi in mentemst: tu diiudica.
Ddum istis fuisti solus, dum nulla alia delectatio
quae propior esset, te indulgebant, tibi dabant; nunc filia
postquamst inventa vera, inventast causa qui te expellerent.
CLITIPHO
Est veri simile.
SYRUS
A tu ob peccatum hoc esse illum iratum putas? 990
CLITIPHO
Non arbitror.
SYRUS
Nunc aliud specta. Matres omnes filiis
in peccato adiutrices, auxilio in paterna iniuria
solent esse: id non fit.
CLITIPHO
Verum dicis. Quid ergo nunc faciam, Syre?
SYRUS
Suspicionem istanc ex illis quaere, rem profer palam.
Si non est verum, ad misericordiam ambos adduces cito, 995
aut scibis quoius sis.
CLITIPHO
Recte suades: faciam.-
SYRUS
Sat recte hoc mihi
in mentem venit; nam quam maxume huic visa haec suspicio
erit <vera>, quamque adulescens maxume quam in minima spe situs
erit, tam facillume patris pacem in leges conficiet suas.
Etiam haud scio anne uxorem ducat: ac Syro nil gratiae!
Quid hoc autem? Senex exit foras: ego fugio. Adhuc quod factumst, 1000
miror non continuo adripi iusse. Ad Menedemum hunc pergam.
Eum mihi precatorem paro: seni nostro fide nil habeo.
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SCÈNE
III
CLITIPHON, SYRUS
SYRUS
Il est parti? Ah ! j'aurais voulu lui demander...
CLITIPHON
Quoi?
SYRUS
Où je trouverai ma pitance; car il nous a bel et bien rejetés de sa
maison. Pour toi, c'est chez ta soeur, si je comprends bien.
CLITIPHON
Faut-il que j'en sois là, Syrus, de risquer même de sac manquer de
pain?
SYRUS
Pourvu qu'on puisse vivre, il y a de l'espoir.
CLITIPHON
Quel espoir?
SYRUS
Que nous ne manquerons pas d'appétit.
CLITIPHON
Peux-tu bien rire dans une circonstance si grave, au lieu de m'aider de
tes conseils?
SYRUS
Je m'en préoccupe au contraire, et je n'ai fait que cela tout le temps
que parlait ton père, et, autant que je puis comprendre...
CLITIPHON
Quoi?
SYRUS
Je ne suis pas loin...
CLITIPHON
De quoi donc !
SYRUS
J'y suis. Je crois que tu n'es pas leur fils.
CLITIPHON
Qu'est-ce que tu dis-là, Syrus? Es-tu fou?
SYRUS
Je vais te dire ce que j'ai dans la tête, tu en jugeras. Tant qu'ils
n'ont eu que toi, qu'ils n'ont pas eu d'autre affection qui les touchât
de plus près, ils te gâtaient, ils ne te refusaient rien. Maintenant
qu'ils ont retrouvé une fille qui est vraiment leur enfant, ils ont
trouvé un prétexte pour te mettre à la porte.
CLITIPHON
C'est vraisemblable.
SYRUS
Crois-tu que ta peccadille soit la cause de sa colère?
CLITIPHON
Je ne le pense pas.
SYRUS
Considère encore ceci. Toutes les mères, quand leurs fils sont en
faute, prennent leur parti, elles les soutiennent contre l'injustice des
pères : rien de tel ici.
CLITIPHON
C'est vrai. Que faire à présent, Syrus?
SYRUS
Éclaircis avec eux ce soupçon. Dis-leur franchement ta pensée. Si je
me suis trompé, tu auras vite fait de les porter tous les deux à la
compassion, ou tu sauras de qui tu es le fils.
CLITIPHON
Ton conseil est bon; je le suivrai. —
SYRUS (seul).
C'est une assez bonne idée que j'ai eue là. Car plus ce soupçon paraîtra
juste à notre jeune homme et plus il se verra dénué d'espoir, plus il
sera disposé à faire une paix avantageuse avec son père. Je ne sais
s'il n'ira pas jusqu'à prendre femme; et l'on n'en saura aucun gré à
Syrus. Mais qu'y a-t-il? C'est le bonhomme qui sort de chez lui; moi, je
me sauve. Après ce qui est arrivé, je m'étonne qu'il ne m'ait pas
fait empoigner sur l'heure. Je vais aller de ce pas chez Ménédème
pour me ménager son intercession; car je ne me fie pas du tout à notre
vieux.
|
SCENA
IV
SOSTRATA, CHREMES
SOSTRATA
Profecto nisi caves tu homo, aliquid gnato conficies mali;
idque adeo miror, quo modo
tam ineptum quicquam tibi venire in mentem, mi vir, potuerit. 1005
CHREMES
Oh pergin mulier esse? Nullamne ego rem umquam in vita mea
volui quin tu in ea re mi fueris advorsatrix, Sostrata ?
At si rogem iam quid est quod peccem aut quam ob rem hoc facias,
nescias,
in qua re nunc tam confidenter restas, stulta.
SOSTRATA
Ego nescio?
CHREMES
Immo scis, potius quam quidem redeat ad integrum eadem oratio. 1010
SOSTRATA
Oh !
iniquos es qui me tacere de re tanta postules.
CHREMES
Non postulo iam: loquere: nihilo minus ego hoc faciam tamen.
SOSTRATA
Facies?
CHREMES
Verum.
SOSTRATA
Non vides quantum mali ex ea re excites?
Subditum se suspicatur.
CHREMES
« Subditum » ain tu?
SOSTRATA
Sic erit,
mi vir.
CHREMES
Confitere?
SOSTRATA
Au te obsecro, istuc inimicis siet. 1015
Egon confitear meum non esse filium, qui sit meus?
CHREMES
Quid? Metui'sne non, quom velis, convincas esse illum tuom?
SOSTRATA
Quod filia est inventa?
CHREMES
Non: sed, quo mage credundum siet,
id quod consimilest moribus,
convinces facile ex te natum; nam tui similest probe; 1020
nam illi nil vitist relictum quin siet itidem tibi;
tum praeterea talem, nisi tu nulla pareret filium.
Sed ipse egreditur, quam severus! rem, quom videas, censeas.
|
SCÈNE
IV
SOSTRATA, CHRÈMÈS
SOSTRATA
Sûrement, si tu n'y prends garde, Chrémès, tu seras cause de quelque
malheur pour notre fils, et je m'étonne vraiment qu'une idée si
absurde ait pu te venir à l'esprit, mon mari.
CHRÉMÈS
Ah ! tu es toujours bien femme. Ai-je de ma vie formé un seul projet
que tu n'aies contrecarré, Sostrata? Et aujourd'hui même, si je te
demandais en quoi consiste ma faute et pourquoi tu agis ainsi, dans
cette affaire où tu me résistes si hardiment, tu ne saurais le dire,
sotte que tu es.
SOSTRATA
Moi, je ne saurais le dire?
CHRÉMÈS
Si, si, tu le saurais. J'aime mieux dire comme toi que. d'avoir à
recommencer la même discussion.
SOSTRATA
Ah! tu es injuste d'exiger que je me taise dans une circonstance aussi
grave.
CHRÉMÈS
Je ne l'exige plus : parle. Je n'en ferai pas moins à ma tête.
SOSTRATA
Tu n'en feras pas moins?
CHRÉMÈS
Non.
SOSTRATA
Ne vois-tu pas le mal que tu causes par là? Il craint d être un enfant
supposé.
CHRÉMÈS
Supposé, dis-tu?
SOSTRATA
Oui, tu le verras, mon mari.
CHRÉMÈS
Avoue-le lui.
SOSTRATA
Ah ! de grâce, donne ce conseil à nos ennemis. J'avouerais, moi, qu'il
n'est pas mon fils, quand il l'est réellement !
CHRÉMÈS
Quoi ! crains-tu de ne pas pouvoir prouver, quand tu le voudras, qu'il
est ton fils?
SOSTRATA
Parce que j'ai retrouvé ma fille (10)?
CHRÉMÈS
Non, mais par une raison plus plausible. Étant donné la ressemblance
de vos caractères, tu prouveras aisément que tu es sa mère : il est
tout ton portrait. On ne lui trouvera pas un seul défaut qui ne soit
aussi le tien. Enfin il n'y avait que toi au monde pour donner le jour
à un tel fils. Mais le voilà qui sort. Quel air grave ! Mais c'est la
réalité qu'il faut voir, pour se faire une opinion.
|
SCENA
V
CLITIPHO, SOSTRATA, CHREMES
CLITIPHO
Si umquam ullum fuit tempus, mater, quom ego voluptati tibi
fuerim, dictus filius tuos vostra voluntate, obsecro, 1025
eius ut memineris atque inopi' nunc te miserescat mei,
quod peto aut quod volo, parentes meos ut conmonstres mihi.
SOSTRATA
Obsecro, mi gnate, ne istuc in animum inducas tuom
alienum esse te.
CLITIPHO
Sum.
SOSTRATA
Miseram me, hoccin quaesisti, obsecro?
Ita mihi atque huic sis superstes ut ex me atque ex hoc natus es; 1030
et cave posthac, si me amas, umquam istuc verbum ex te audiam.
CHREMES
At ego, si me metuis, mores cave in te esse istos sentiam.
CLITIPHO
Quos?
CHREMES
Si scire vis, ego dicam: gerro iners, fraus, helluo,
ganeo's, damnosus. Crede, et nostrum te esse credito.
CLITIPHO
Non sunt haec parentis dicta.
CHREMES
Non, si ex capite sis meo 1035
natus, item ut aiunt Minervam esse ex Iove, ea causa magis
patiar, Clitipho, flagitiis tuis me infamem fieri.
SOSTRATA
Di istaec prohibeant!
CHREMES
Deos nescio: ego, quod potero, sedulo.
quaeris id quod habes, parentes; quod abest non quaeris, patri
quo modo obsequare, et ut serves quod labore invenerit. 1040
Non mihi per fallacias adducere ante oculos... pudet
dicere hac praesente verbum turpe: at te id nullo modo
facere puduit.
CLITIPHO
Eheu, quam nunc totus displiceo mihi,
quam pudet! neque quod principium incipiam ad placandum scio.
|
SCÈNE
IV
CLITIPHON, SOSTRATA, CHRÉMÈS
CLITTPHON
S'il a jamais été un temps, ma mère, où j'aie fait ta joie, quand
votre volonté commune me faisait passer pour ton fils, je te supplie de
t'en souvenir et de prendre ma détresse en pitié. Je ne demande, je ne
désire qu'une chose, c'est que tu me fasses connaître mes parents.
SOSTRATA
Je t'en conjure, mon fils, ne te mets pas en tête que tu es un étranger
chez nous.
CLITIPHON
Je le suis.
SOSTRATA
Malheureuse que je suis ! Me faire une pareille question ! Ah !
Puisses-tu nous survivre à ton père et à moi, comme il est vrai que
tu nous dois la naissance. Garde-toi désormais, si tu m'aimes, de répéter
jamais devant moi une semblable parole.
CHRÉMÈS
Et moi, si tu me crains, garde que je ne te voie garder ces habitudes.
CLITIPHON
Lesquelles?
CHRÉMÈS
Tu veux le savoir? Je vais te le dire. Tu es un badaud, un fainéant, un
fourbe, un libertin, un débauché, un dissipateur. Crois-le, et crois
aussi que tu es notre fils.
CLITIPHON
Ce n'est pas là le langage d'un père.
CHRÉMÈS
Non, fusses-tu sorti de mon cerveau, comme on dit que Minerve sortit du
cerveau de Jupiter, je ne souffrirais pas pour cela que tu me déshonores
par tes débauches.
SOSTRATA
Nous en préservent les dieux !
CHRÉMÈS
Je ne sais ce que feront les dieux; mais moi, j'y mettrai bon ordre, et
j'y emploierai tous mes soins. Tu cherches ce que tu as, des parents; et
tu ne cherches pas ce qui te manque, le moyen de plaire à ton père et
de garder ce qu'il a amassé par son travail. Amener devant mes yeux par
tes subterfuges une...! j'aurais honte de prononcer devant ta mère ce
mot honteux. Mais toi, tu n'as eu aucune honte à le faire.
CLITIPHON
Ah ! comme je me déplais tout entier à cette heure ! Comme j'ai honte
! Et je ne sais par où m'y prendre pour l'apaiser.
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SCENA
VI
MENEDEMUS, CHREMES, SOSTRATA,
CLITIPHO
MENEDEMUS
Enimvero Chremes nimis graviter cruciat adulescentulum 1045
nimisque inhumane. Exeo ergo ut pacem conciliem. optume
ipsos video.
CHREMES
Ehem, Menedeme, quor non accersi iubes
filiam et quod dotis dixi firmas?
SOSTRATA
Mi vir, te obsecro
ne facias.
CLITIPHO
Pater, obsecro mi ignoscas.
MENEDEMUS
Da veniam, Chreme;
sine te exorem.
CHREMES
Egon mea bona ut dem Bacchidi dono sciens? 1050
Non faciam.
MENEDEMUS
At id nos non sinemus.
CLITIPHO
Si me vivom vis, pater,
ignosce.
SOSTRATA
Age, Chreme mi.
MENEDEMUS
Age quaeso, ne tam offirma te, Chreme.
CHREMES
Quid istic? Video non licere ut coeperam hoc pertendere.
MENEDEMUS
Facis ut te decet.
CHREMES
Eea lege hoc adeo faciam, si facit
quod ego hunc aequom censeo.
CLITIPHO
Pater, omnia faciam: impera. 1055
CHREMES
Uxorem ut ducas.
CLITIPHO
Pater...
CHREMES
Nil audio.
SOSTRATA
Ad me recipio:
faciet.
CHREMES
Nil etiam audio ipsum.
CLITIPHO
Perii!
SOSTRATA
An dubitas, Clitipho?
CHREMES
Immo utrum volt.
SOSTRATA
Faciet omnia.
MENEDEMUS
Haec dum incipias, gravia sunt,
dumque ignores; ubi cognoris, facilia.
CLITIPHO
Faciam, pater.
SOSTRATA
Gnate mi, ego pol tibi dabo illam lepidam, quam tu facile ames, 1060
filiam Phanocratae nostri.
CLITIPHO
Rufamne illam virginem,
caesiam, sparso ore, adunco naso? non possum, pater.
CHREMES
Heia ut elegans est! credas animum ibi esse.
SOSTRATA
Aliam dabo.
CLITIPHO
Immo, quandoquidem ducendast, egomet habeo propemodum
quam volo.
CHREMES
Nunc laudo, gnate.
CLITIPHO
Archonidi huius filiam. 1065
SOSTRATA
Perplacet.
CLITIPHO
Pater, hoc nunc restat.
CHREMES
Quid?
CLITIPHO
Syro
ignoscas volo
quae mea causa fecit.
CHREMES
Fiat.
CANTOR
Vos valete et plaudite!
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SCÈNE
V
MÉNÉDÈME, CHRÉMÈS, CLITIPHON, SOSTRATA
MÉNÉDÈME
Franchement Chrémès maltraite ce jeune garçon avec trop de rigueur,
trop d'inhumanité. Aussi je sors pour les réconcilier. Fort à propos
les voilà.
CHRÉMÈS
Hé ! Ménédème, pourquoi n'envoies-tu pas chercher ma fille et ne
ratifies-tu pas ce que j'ai promis comme dot?
SOSTRATA
Mon cher mari, ne fais pas cela, je t'en conjure.
CLITIPHON
Mon père, je te supplie de me pardonner.
MÉNÉDÈME
Fais-lui grâce, Chrémès, laisse-toi fléchir à leurs prières.
CHRÉMÈS
Moi que je donne sciemment mes biens à une Bacchis ! Jamais !
MÉNÉDÈME
Mais nous-mêmes ne le souffririons pas.
CLITIPHON
Si tu veux que je vive, mon père, pardonne-moi.
SOSTRATA
Allons, mon Chrémès.
MÉNÉDÈME
Allons, Chrémès, je t'en prie, ne sois pas si obstiné.
CHRÉMÈS
Je ne dis plus rien. Je vois bien que je ne puis plus aller jusqu'au
bout de mon dessein.
MÉNÉDÈME
Tu fais bien ainsi.
CHRÉMÈS
Mais j'y mets une condition, c'est qu'il fera ce que je me crois en
droit d'exiger de lui.
CLITIPHON
Tout ce que tu voudras, mon père; ordonne.
CHRÉMÈS
Tu vas te marier.
CLITIPHON
Mon père !
CHRÉMÈS
Tu ne me donnes pas de réponse?
SOSTRATA
Je prends la chose sur moi : il se mariera.
CHRÉMÈS
Je ne l'entends toujours pas répondre lui-même
CLITIPHON (à part).
C'est fait de moi.
SOSTRATA
Est-ce que tu hésites, Clitiphon?
CHRÉMÈS
Allons qu'il choisisse entre les deux.
SOSTRATA
Il fera tout ce que tu voudras.
MÉNÉDÈME
Cela paraît dur au commencement et quand on ignore ce que c'est; une
fois qu'on le sait, ce n'est plus rien.
CLITIPHON
J'obéirai, mon père.
SOSTRATA
Par Pollux, je te donnerai, mon fils, une femme charmante, que tu
n'auras pas de peine à aimer, la fille de notre voisin Phanocrate.
CLITIPHON
Cette rousse aux yeux verts, à la figure pleine de taches, au nez
crochu? Impossible, mon père.
CHRÉMÈS
Ouais ! comme il est difficile ! On croirait qu'il fait métier de
connaisseur.
SOSTRATA
Je t'en donnerai une autre.
CLITIPHON
Non, puisqu'il faut que je me marie, j'ai à peu près mon affaire.
SOSTRATA
Très bien, mon fils.
CLITIPHON
C'est la fille du voisin Archonide.
SOSTRATA
Elle me plaît tout à fait.
CLITIPHON
Il ne reste plus qu'une chose, mon père.
CHRÉMÈS
Laquelle?
CLITIPHON
Je voudrais que tu pardonnes à Syrus ce qu'il a fait pour l'amour de
moi.
CHRÉMÈS
Soit.
LE CHANTEUR
Vous, portez-vous bien, et applaudissez.
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NOTES SUR L'HÉAUTONTIMORUMENOS
(01)
Il y a dans le prologue de l'Héautonlimoruménos
des choses qui choquent le lecteur. Le vers 3 Id primum dicam, deinde
quod veni eloquar annonce qu'Ambivius va d'abord dire pourquoi il a
été chargé du rôle de Prologue, et qu'ensuite il dira pourquoi il
est venu sur la scène. Or c'est l'ordre inverse que le poète a suivi.
Puis le vers 6 Duplex quæ ex argumento facta est simplici ne
peut s'expliquer qu'en admettant avec Mme Dacier que Térence a doublé
l'intrigue et le nombre des personnages. Enfin rien n'est plus étrange,
au premier abord, que cette façon d'annoncer la pièce (vers 5-9), sans
dire le nom du poète grec, ni celui du poète latin, quoique ce fût
l'usage de le faire.
Reprenons chacun de ces trois points. Pour la contradiction qui existe
entre l'ordre annoncé par le vers 3 et l'ordre suivi par le poète, les
uns l'ont attribué à la négligence de l'écrivain; les autres, comme
Dziatzko, ont essayé d'y remédier en transposant les vers 11 à 15,
où Ambivius explique pourquoi il remplit le rôle de Prologue, après
le vers 3; M. Fabia en changeant de place les deux adverbes primum
et deinde du vers 3, qui se trouve libellé de cette façon
singulière :
id deinde dicam, primum quod veni eloquar.
C'est la manière la plus simple d'éliminer la difficulté. Elle se
trouve déjà dans une scolie du Bembinus.
Pour le vers 6, nous avons traité la question dans l'Introduction, p. 7
et proposé de lire, après plusieurs autres : Simplex quia ex
argumenfo facta est duplici, assertion qui s'applique à la fois à
l'original et à la copie latine, et qui signifie que, en dépit de ses
deux sujets, c'est-à-dire des amours de Clinia et des amours de
Clitiphon, la pièce n'en a pas moins une parfaite unité.
Quant aux vers 7 à 9, qui contiennent une pronuntiatio tituli si
énigmatique, Dziatzko les suppose empruntés au premier prologue de l'Hécyre,
et il a essayé de les y réintégrer. Au contraire M. Fabia en défend
l'authenticité. L'échec de l'Hécyre, dit-il, avait tellement
affecté le poète qu'il n'osa plus donner son nom, lors de la
représentation de l'Héautontimoruménos, de peur d'en
compromettre le succès, et, comme d'ordinaire dans la pronuntiatio
tituti, les deux noms du poète grec et du poète latin étaient
associés, il ne donna pas non plus le nom de Ménandre (Voir la thèse
de M. Fabia, p. 123 et suiv.). La solution de M. Fabia est ingénieuse,
tellement ingénieuse même qu'on a quelque peine à y donner les mains.
Est-il vraisemblable que l'auteur de l'Eunuque, dont le succès
avait été si éclatant qu'on l'avait redemandé, ait été abattu à
ce point par l'échec de son Hécyre, dû non pas à la médiocrité de
l'ouvrage, mais à une circonstance extérieure, qu'il ait cru devoir
cacher son nom, à la représentation de sa nouvelle pièce, et qu'il
se soit dérobé derrière l'acteur Ambivius? Cela révélerait chez
Térence une âme singulièrement impressionnable et timide. La chose
n'est pas impossible évidemment; mais, étant donné le désordre qui
règne dans ce prologue, on peut croire aussi que les vers 7 à 9 n'y
sont pas à leur place, et viennent d'un prologue écrit pour la reprise
d'une pièce que nous ne connaissons pas.
(02)
Le vieux poète jaloux est
Luscius Lanuvinus qui avait critiqué déjà l'Andrienne et l'Eunuque.
(03)
Simptes dialogues : tel est
le sens de pura oratio par opposition aux cris, aux courses, au
mouvement des autres pièces. L'autre interprétation : le style de
cette pièce est pur, ne va pas avec le contexte.
(04)
On est un peu surpris que
Clinia et Clitiphon soient des amis d'enfance, alors que l'un demeurait
à la ville et l'autre à la campagne, et que leurs pères ne se
connaissaient pas avant que Ménédème fût venu s'établir près de
Chrémès
(05)
Le talent attique valait
5.894 francs, et la mine 98 fr. 23.
(06)
On donne deux explications de ce proverbe : 1° Il s'applique aux
vieillards qui aiment à boire, d'après une tradition suivant laquelle
l'aigle vieilli ne peut plus déchirer la chair avec son bec devenu trop
crochu, et ne vit plus que du sang de sa proie. 2° Il est synonyme de
« verte vieillesse » à cause de la vigueur que l'aigle garde dans sa
vieillesse. C'est en ce sens, qu'il faut interpréter ici l'expression,
car Syrus veut évidemment en faire un compliment à son maître.
(07)
Ce vers (851a) : M'a-t-on abusé? En est-ce fait? De quel
espoir je suis déchu! est omis par beaucoup d'éditeurs, parce
qu'il n'est pas dans le Bembinus.
(08)
Ménédème reprend les propres paroles
que Chrémès lui a dites au vers 70.
(09)
Ni à toi, Syrus, ni à toi, mon fils.
(10)
Cette réplique de Sostrata est énigmatique. Mme Dacier dit à ce
propos : « Je crois que Sostrata veut dire que Chrémès prétend qu il
`lui sera aisé de faire voir que Clitiphon est son fils, puisque sa
fille est retrouvée, parce que le frère ressemble à la sœur. La
suite fait voir que cela est fondé sur cette ressemblance, car
Chrémès lui répond : « Non, mais c'est parce qu'il vous ressemble
». Il vaut mieux entendre : Dis-tu cela, parce que j'ai su prouver
qu'une fille depuis longtemps perdue était bien ma fille?
|