Saadi

SAADI (Muslih-ud-Din Mushrif ibn Abdullah)

سعدی

 

LE PARTERRE DE ROSES.

CHAPITRE II. Touchant les mœurs des derviches.

chapitre I - chapitre III

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Miniature de Paul Zenker illustrant une édition de 1942 du Jardin des roses (Wikipédia)

 

 

 

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CHAPITRE II.

Touchant les mœurs des derviches.

 

 

PREMIÈRE HISTORIETTE.

Un grand dit à un religieux : « Que dis-tu de tel dévot, au sujet duquel les autres ont proféré des paroles de blâme? » — « Je ne lui vois pas de défaut apparent, et je ne connais pas ce qui est caché dans son cœur. »

Distique. — « Reconnais pour un religieux et suppose honnête homme chaque personne à laquelle tu vois le vêtement d'un religieux. Si tu ne sais pas ce qu'il y a dans son cœur, que t'importe? Quelle affaire le lieutenant de police peut-il avoir dans l'intérieur des maisons? »

DEUXIÈME HISTORIETTE.

J'ai vu un derviche qui avait placé la tête sur le seuil de la Kaaba, frottait son visage contre terre et gémissait en disant : « O Être clément et miséricordieux! tu sais quelle chose proviendra de l'homme injuste et ignorant, qui puisse te convenir. »

Distique. — « J'apporte des excuses pour l'imperfection de mon hommage ; car je n'espère point en ma dévotion. Les désobéissants font pénitence de leur faute, les contemplatifs demandent pardon pour leur culte. »

« Les dévots demandent la récompense de leur culte, les marchands le prix de leurs denrées. Quant à moi, faible esclave, j'ai apporté des espérances, non de la dévotion ; je suis venu pour demander l'aumône, non pour trafiquer. Fais envers moi ce dont tu es digne, et non pas ce dont je suis digne (c'est-à-dire : Traite-moi conformément à ta générosité, et non conformément à mes mérites). »

Vers. « Soit que tu me tues, soit que tu me pardonnes ma faute, je place ma tête et mon visage sur ton seuil. L'ordre n'appartient point à l'esclave. Tout ce que tu ordonneras, je m'y soumettrai. »

Distique. — « J'ai vu sur la porte de la Kaaba un mendiant qui disait, en pleurant beaucoup : « Je ne dis point : Accueille mon culte ; » mais bien : « Tire la plume du pardon sur ma faute. »

TROISIÈME HISTORIETTE.

Abd-Alkadir Guilâny[142] ayant placé son visage sur du gravier, dans le sanctuaire de la Kaaba, disait ces mots : « O Seigneur! pardonne-moi; et si je suis digne de châtiment, du moins rends-moi aveugle au jour de la résurrection, afin que je ne sois pas honteux devant les bons. »

Distique. — » Le visage sur la poussière de l'impuissance, je dis chaque matin, lorsque le vent arrive : « O toi que je n'oublierai jamais ! aucun souvenir ne te vient-il de ton serviteur? »

QUATRIÈME HISTORIETTE

Un voleur entra dans la maison d'un religieux. Quoiqu'il cherchât, il ne trouva rien et il en fut chagrin. Le religieux eut connaissance de son désappointement. Il jeta sur le chemin par où devait passer le voleur un tapis de feutre, sur lequel il était couché, afin que l'autre ne s'en retournât pas frustré.

Distique. — « J'ai entendu dire que les hommes de la voie de Dieu (les contemplatifs) ne rendent point chagrin le cœur de leurs ennemis. Comment donc ce degré d'avancement dans la spiritualité te serait-il accordé, puisque tu es en contestation et en guerre avec tes amis? »

L'amitié des hommes purs, soit en votre présence, soit derrière votre dos, n'est point telle qu'ils critiquent vos défauts par derrière, tandis que devant vous ils mourront (c'est-à-dire, ils protesteront de mourir pour votre service).

Vers. — « Devant vous ils sont doux comme la brebis, par derrière ils déchirent les hommes comme le loup. Celui qui a rapporté et énuméré devant toi les défauts des autres, portera sans aucun doute tes défauts devant les autres. »

CINQUIÈME HISTORIETTE.

Quelques contemplatifs (on soufis) étaient associes pour leurs excursions, et compagnons de fatigue et de repos. Je voulus les accompagner, mais ils n'y consentirent point. Je dis : « Il est contraire à la générosité de caractère des grands de détourner le visage de la société des malheureux, et de refuser son propre avantage; car je me connais assez de force et de vitesse pour être, au service de mes compagnons, un ami actif, et non un fardeau pour leur esprit. »

Vers (arabe). — Si je ne monte pas les bêtes de somme, je courrai pour vous, portant les housses des coursiers.[143] »

L'un d'eux dit : « N'aie point le cœur chagrin de cette parole que tu as entendue, car, ces jours derniers, un voleur est survenu sous l'extérieur des derviches, et s'est fait agréger dans notre société. »

Vers. — « Comment les hommes sauraient-ils ce qu'il y a sous le vêtement? L'écrivain seul connaît ce qu'il y a dans la lettre. »

« A cause que la simplicité forme le caractère distinctif des derviches, on ne soupçonna point sa sottise, et on l'accueillit en qualité d'ami. On a dit :

Vers. — « Le signe extérieur de la profession des contemplatifs, c'est le froc. Suffit-il donc que le corps (litt. la face) soit recouvert d'habits rapiécés? Fais des efforts pour pratiquer les bonnes œuvres, et revêts tout ce que tu voudras. Place une couronne sur ta tête et une étoffe brodée sur ton épaule. La renonciation aux biens de ce monde, à la convoitise et à la concupiscence, constitue la vie de religieux, et non pas uniquement l'abandon du vêtement ordinaire. Il faut que l'homme vraiment digne de ce nom soit couvert de la cuirasse. Mais à quoi servent les armes de guerre sur un mignon? (litt. un bardache)? »

« En somme, un jour nous avions marché jusqu'à la nuit, et le soir nous nous étions endormis au pied d'une forteresse. Le voleur, abandonné de Dieu, emporta l'aiguière de son compagnon, en disant : « Je vais faire mes ablutions. » En réalité, il allait au pillage. »

Vers. — « Un homme indigne qui a placé sur lui un froc, a fait de la couverture de la Kaaba la housse de l'âne. »

« Aussitôt qu'il eut disparu aux regards des derviches, il monta sur une tour et enleva un écrin. Lorsque le jour parut, cet homme au cœur plein de noirceur avait parcouru une certaine quantité de chemin, et ses compagnons innocents étaient encore endormis. Le matin on les conduisit tous au château, et on les mit en prison. Depuis cette époque, nous avons prononcé la renonciation à la société, et nous avons pris la voie de la retraite, car le salut est dans une vie solitaire. »

Distique. — « Lorsque dans une troupe quelqu'un a fait un acte d'ignorance, il ne reste de dignité ni aux petits ni aux grands. Ne vois-tu pas que dans un pâturage un bœuf malade suffira pour gâter tous les bœufs du village? »

Je dis : « Dieu soit remercié de ce que je ne suis point resté frustré des avantages des derviches, quoique j'aie été séparé de leur société. J'ai tiré profit de cette histoire, et ce conseil sera utile à mes pareils durant toute leur vie. »

Vers. — « Pour un seul homme impoli dans une société, le cœur de beaucoup de sages sera dans l'affliction.

Si l'on remplit un bassin d'eau de race et qu'un chien vienne à y tomber, il le souille. »

SIXIÈME HISTORIETTE.

Un religieux fut un jour invité chez un roi. Lorsqu'ils s'assirent à table, il mangea moins qu'il n'aurait voulu. Quand ils se levèrent pour la prière, il la fit plus longue qu'il n'en avait l'habitude, afin que l'on augmentât l'opinion que l'on avait de sa vertu.

Vers. — « O Arabe du désert, je crains bien que tu n'arrives pas à la Kaaba, car ce chemin que tu suis conduit dans le Turkestan. »

Lorsqu'il revint dans sa demeure, il demanda la nappe[144] afin de manger. Il avait un fils doué de pénétration, qui lui dit : « O mon père ! n'as-tu pas pris de la nourriture au festin du sultan ? » Il répondit : « Je n'ai rien mangé en sa présence qui me profitât. » Le fils reprit : « Accomplis donc aussi la prière, car tu n'as rien fait qui te profitât. »

Distique. — « O toi qui as placé tes mérites sur la paume de ta main et qui as pris tes défauts sous ton aisselle (c'est-à-dire, qui les as cachés), vois, homme plongé dans l'illusion,[145] quelle chose tu achèteras, le jour de la détresse, avec de l'argent de mauvais aloi? »

SEPTIÈME HISTORIETTE.

Je me souviens que dans mon enfance j'étais) fort pieux. Je me levais la nuit, et j'étais très adonné à la dévotion et à l'abstinence. Une nuit j'étais assis auprès de mon père ; toute la nuit je n'avais pas fermé l'œil, et j'avais pris l'illustre Coran dans mon giron (afin de le lire). Plusieurs personnes étaient endormies autour de nous. Je dis à mon père : « Pas un de ceux-ci n'élève la tête pour s'acquitter de deux génuflexions. Ils sont tellement endormis, que tu dirais qu'ils sont morts. » Il répondit : « Ame de ton père, si toi aussi tu étais endormi, cela vaudrait mieux que de tomber sur la peau des autres. »

Distique. — « Le présomptueux se voit que lui-même, car il a devant les yeux le voile de l'orgueil. Si on lui donnait l'œil qui voit la Divinité, il ne verrait personne plus faible que lui. »

HUITIÈME HISTORIETTE.

On louait un grand personnage dans une assemblée et l'on mettait un zèle exagéré à célébrer ses belles qualités. Il leva la tête, et dit : « Je suis celui que je sais bien. »

Vers (arabe). — « Puisses-tu être préservé du mal, ô toi qui énumères mes bonnes qualités ! Telle est l'apparence chez moi, mais tu ne connais pas ce qui est caché dans mon cœur. »

Distique. — « Ma personne est belle aux yeux des hommes, mais à cause de la méchanceté de mon cœur, ma tête est tombée sur ma poitrine en signe de honte. Les hommes louent le paon à cause des dessins et des peintures qu'il étale sur sa queue, tandis qu'il est honteux de ses vilains pieds. »

NEUVIÈME HISTORIETTE.

Un des religieux de la montagne du Liban, dont les degrés d'avancement dans la vie contemplative et les actions miraculeuses étaient connus et célèbres dans tout le pays des Arabes, entra dans la mosquée principale de Damas. Il faisait ses ablutions sur le bord du bassin de la Callaceh;[146] tout à coup, son pied fit un faux pas, et il tomba dans le bassin. Il se tira de cet endroit avec beaucoup de peine, et commença sa prière. Lorsqu'il l'eut achevée, un de ses disciples lui dit : « Il m'est survenu une difficulté. » Le cheikh demanda : « Quelle est-elle? » Il répondit : « Je me souviens que tu marchais sur la surface de la mer Occidentale (c'est-à-dire de la Méditerranée), et que ton pied n'était point humide, tandis qu'aujourd'hui peu s'en fallut que tu ne périsses dans cette eau, dont la profondeur ne dépasse pas une brasse. Quel mystère y a-t-il en cela? » Le cheikh enfonça la tête dans le collet de la réflexion. Après de longues méditations il la releva, et dit : « N'as-tu pas appris que le maître du monde, Mohammed l'élu, a dit : « Il y a pour moi avec Dieu des moments dans lesquels ni ange favori ni prophète ne l'emporte sur moi. » Et il n'a pas dit : « Il y a continuellement. » Dans des moments tels que ceux dont il a parlé, il ne s'occupait pas de Gabriel ni de Michel, et dans d'autres il s'accommodait d'Hafsah et de Zeïneb. Car la vue de Dieu dont jouissent les justes[147] est mêlée de manifestation et de disparition : il paraît et disparaît.

Vers. — « Tu montres ton aspect, et tu t'éloignes ; tu achalandes à la fois ton marché et tu attises notre feu (le feu qui nous dévore). »

Distique (arabe). — « Je contemple sans intermédiaire celui que j'aime; mais une chose me survient et je perds mon chemin. Il allume un feu, puis il l'éteint avec un peu d'eau. C'est pourquoi tu me vois brûlé et submergé tout à la fois. »

DIXIÈME HISTORIETTE (rimée).

Quelqu'un demanda à cet homme qui avait perdu son fils (c'est-à-dire à Jacob) : « O vieillard ! à l'esprit éclairé, intelligent, tu as senti l'odeur de sa chemise en Egypte;[148] pourquoi ne l’as-tu pas vu dans le puits de Chanaan ? » Il répondit : « Ma situation est comme l'éclair rapide. Un instant il est manifeste, et un autre instant il est invisible, Tantôt je m'assieds sur la voûte élevée des cieux ; tantôt je ne vois pas mon cou-de-pied. » Si le derviche restait dans une même extase, il renoncerait aux deux mondes[149] (celui-ci et l'autre).

ONZIÈME HISTORIETTE.

Dans la mosquée principale de Baalbek, je disais quelques paroles, en guise de prédication, à une troupe d'hommes glacés, dont le cœur était mort, et qui n'étaient pas parvenus du monde extérieur à celui de la spiritualité. Je vis que ma parole ne s'imprimait point dans leur esprit et que le feu brûlant de mes discours ne produisait point d'effet sur le bois humide de leur cœur. Je regrettai de faire l'éducation de pareils animaux et de porter des miroirs dans le quartier de semblables aveugles. Et cependant la porte de la réalité était ouverte et la chaîne de la parole était tendue sur l'explication de ce verset-ci : « Nous sommes plus près de lui que la veine jugulaire ne l’est du cou.[150] » J'avais amené le discours à un point où je dis :

Distique. — « L'ami (Dieu) est plus près de moi que moi-même, il est donc plus étonnant que je sois éloigné de lui. Que ferai-je, et à qui peut-on dire qu'il (c'est-à-dire Dieu) est dans mon sein, tandis que je suis séparé de lui? »

J'étais enivré du vin de ce discours, et j'avais le reste de la coupe dans ma main, lorsqu'un voyageur[151] passa à côté du lieu de notre réunion. Le dernier coup bu à la ronde[152] fit impression sur lui. Il poussa un tel cri, que les autres jetèrent des clameurs en société avec lui, et que les hommes inexpérimentés de l'assemblée s'agitèrent vivement, je dis : « Dieu soit loué ! les hommes éloignés, mais intelligents, sont en ma présence, et les hommes proches, mais sans perspicacité, sont éloignés. »

Distique. — « Lorsque l'auditeur ne comprend point le discours, ne cherche pas la force de l'esprit dans celui qui parle. Apporte la vaste étendue de l'hippodrome de la volonté (c.-à-d. dispose-toi à écouter de bonne volonté), afin que l'homme éloquent pousse la balle. »

DOUZIÈME HISTORIETTE.

Une certaine nuit, dans le désert de la Mecque, il ne me resta plus la force de marcher, par l'excès de l'insomnie. Je posai ma tête sur le sable, et dis au chamelier : « Laisse-moi. »

Distique. — « Comment le pied du pauvre piéton marchera-t-il, puisque le chameau a été fatigué de porter sa charge? En attendant que le corps d'un homme gras devienne maigre, un homme maigre sera mort de fatigue. »

Il me dit : « O mon frère ! le sanctuaire est devant toi, et le voleur de grand chemin derrière. Si tu marches, tu sauves ton âme ; si tu t'endors, tu meurs. »

Vers. — « Sur le chemin du désert, il est doux de s'endormir la nuit du départ sous le moghaïlân,[153] mais il faut alors prononcer la renonciation à la vie. »

TREIZIÈME HISTORIETTE.

J'ai vu sur le bord de la mer un religieux qui avait reçu une blessure d'une panthère, et n'était soulagé par aucun remède. Il fut quelque temps malade de cela, et de moment en moment il rendait des actions de grâces à Dieu très haut, et disait : « Dieu soit loué de ce que je suis éprouvé par une affliction et non par un péché. »

Distique. — « Si ce cher ami me livre, misérable, à la mort, garde-toi bien de dire que dans ce moment-là j'aie le moindre souci de ma vie. Je dis : « Quelle faute a émané du malheureux esclave, pour que l'ami ait été mécontent de moi? Voilà quel est mon souci. »

QUATORZIÈME HISTORIETTE.

Un besoin survint à un derviche, et il enleva un tapis de la maison d'un ami. Le juge criminel ordonna qu'on lui coupât la main. Le propriétaire du tapis intercéda en faveur du condamné, disant : « Je lui abandonne cet objet. » Le juge répondit : « Je ne négligerai point pour ton intercession les prescriptions de la loi. » Le derviche reprit : « Tu as dit vrai; mais si un individu ravit quelque portion de l'argent du wakf,[154] il n'est point nécessaire de lui couper la main. Car le pauvre ne possède rien et n'est point possédé. Tout ce qui appartient aux derviches est le wakf des nécessiteux. » Le juge pardonna au coupable ; puis il se mit à lui faire des reproches en disant : « Le monde était donc devenu bien étroit pour toi, puisque tu n'as exercé le vol que dans la maison d'un pareil ami. » Il répondit : « O Seigneur! n'as-tu pas entendu que l'on a dit : « Balaye la maison de tes amis, et ne frappe pas à la porte de tes ennemis. »

Vers. — « Lorsque tu restes dans la détresse, ne t'abandonne pas à l'impuissance; arrache à tes ennemis leur peau, à tes amis leur pelisse. »

QUINZIÈME HISTORIETTE.

Un certain roi dit à un religieux : « Te souviens-tu jamais de nous? » Il répondit: « Oui, certes, toutes les fois que j'oublie Dieu. »

Vers. — « Celui que Dieu chasse de sa porte court de tout côté, tandis que celui qu'il appelle ne court[155] à la porte de personne. »

SEIZIÈME HISTORIETTE.

Un dévot personnage vit en songe un roi dans le paradis et un religieux dans l'enfer. Il demanda : « Quel est le motif des degrés d'élévation de celui-là, et quelle est la cause des degrés d'abaissement de celui-ci? Car nous pensions le contraire de cela. » Une voix se fit entendre, qui lui répondit : « Ce roi est dans le paradis à cause de son amitié pour les derviches, et ce religieux est dans l'enfer à cause de la fréquentation des rois.[156] » Les sages ont dit :

Distique. — « A quoi te servent le froc, le chapelet et l'habit rapiécé? Conserve-toi pur de toute action blâmable. Il n'est pas besoin que tu aies un bonnet de peau d'agneau. Aie les qualités d'un derviche et porte un bonnet de Tartare. »

DIX-SEPTIÈME HISTORIETTE.

Un piéton, la tête et les pieds nus, sortit de Coufah avec la caravane du Hedjaz et fut notre compagnon de route. Il marchait en se carrant, et disait :

Vers. — « Je ne suis ni monté sur un chameau, ni traînant un fardeau comme le chameau ; je ne suis ni maître de sujets, ni esclave d'un monarque. Je n'ai ni souci de ce qui existe, ni trouble de ce qui manque.[157] Je respire en repos et je passe une vie tranquille. »

Un homme monté sur un chameau lui dit : « O derviche! où vas-tu? Reviens; car tu mourrais dans la détresse. » Il ne l'écouta pas, plaça le pied dans le désert et partit. Lorsque nous arrivâmes à Nakhla Mahmoud,[158] l'instant fatal survint pour le riche (c'est-à-dire pour l'individu monté sur un chameau), et il mourut. Le pauvre vint auprès du lieu où il reposait, et dit : « Nous ne sommes point morts dans la détresse et tu es mort sur ton chameau. »

Vers. — « Une personne se lamenta toute la nuit au chevet d'un malade ; lorsqu'il fut jour, elle mourut et le malade vécut.[159] »

Distique. — « Oh ! combien de chevaux à la course légère sont restés en arrière, tandis que l'âne boiteux est arrivé vivant à la station! Combien a-t-on enseveli d'hommes sains et bien portants, tandis que l'homme blessé n'est point mort ! »

DIX-HUITIÈME HISTORIETTE.

Un roi manda un religieux ignorant. Celui-ci dit en lui-même : « Je prendrai une médecine afin d'être faible. Peut-être la bonne opinion que l'on a de moi augmentera-t-elle. » On rapporte qu'il prit une drogue mortelle et mourut aussitôt.

Distique. — « Celui que j'ai vu tout moelle comme la pistache est devenu peau sur peau comme l'oignon. Les religieux qui ont le visage tourné vers les créatures font la prière le dos tourné à la kiblah. »

Vers. — « Lorsque le serviteur invoque son Dieu, il faut qu'il ne connaisse que Dieu. »

DIX-NEUVIÈME HISTORIETTE.

Des voleurs battirent une caravane sur le territoire des Grecs, et enlevèrent des richesses incalculables. Les marchands firent des lamentations, poussèrent des gémissements, et invoquèrent Dieu et le Prophète comme intercesseurs. Cela fut inutile.

Vers. — « Lorsque le voleur à l'âme noire a été vainqueur, quel souci a-t-il des lamentations de la caravane? »

Le sage Lokman était dans cette troupe. Un des hommes de la caravane lui dit : « Adresse à ces gens-là quelques paroles de sagesse et d'admonition. Il se peut faire qu'ils rendent une partie de notre argent ; car ce serait dommage que de telles richesses fussent perdues. » Lokman répondit : « Ce serait dommage de leur dire des paroles de sagesse. »

Distique. — « Un fer que la rouille a dévoré, on ne peut en enlever la rouille avec le polissoir. Quel profit d'adresser des exhortations à un homme au cœur noir? Un clou de fer ne s'enfonce pas dans la pierre.[160] »

Autre. — « Au jour de la tranquillité, assiste ceux qui sont dans la détresse; car consoler le cœur du malheureux détourne l'affliction. Lorsque le mendiant te demande quelque chose avec des gémissements, donne-le lui, sinon l'homme injuste te le prendra de force. »

VINGTIÈME HISTORIETTE.

Quoique le cheikh Chems-Eddin Aboulfaradj[161] ben-Djaouzy m'ordonnât de renoncer à entendre de la musique, et me conseillât la solitude et la retraite, la fleur de ma jeunesse l'emportait, et la passion et la concupiscence me poursuivaient. Je marchais malgré moi quelques pas contre l'avis de mon maître, et je prenais part à la musique et aux conversations. Lorsque je me rappelais le conseil de mon professeur, je me disais :

Vers. — « Si le cadi s'assied avec nous, il applaudira ; si le lieutenant de police boit du vin, il excusera l'homme ivre. »

Enfin, une nuit j'arrivai au campement d'une tribu, et je vis parmi elle un musicien.

Vers. — « Tu aurais dit que ses modulations discordantes déchiraient la veine de l'âme ; sa voix était plus désagréable que la nouvelle de la mort d'un père. »

Tantôt le doigt de ses compagnons était enfoncé dans leur oreille, à cause de lui, et tantôt placé sur leurs lèvres, semblant dire : « Tais-toi. »

Vers (arabe). — « On se dirige en hâte vers le bruit des chansons, à cause de leur agrément; mais toi, chanteur, si tu es muet, tu plais. »

Vers. — « Personne ne voit d'agrément à t'entendre, si ce n'est au moment du départ, parce qu'alors tu retiens ton souffle. »

Distique. — « Lorsque ce joueur de luth s'est fait entendre, j'ai dit au maître de maison : « Pour l'amour de Dieu, mets-moi du mercure dans l'oreille, afin que je n'entende pas, ou bien ouvre-moi la porte, afin que je sorte. »

En somme, je me conformai à ce qu'exigeaient les égards dus à mes amis, et je passai cette nuit-là jusqu'au jour dans une telle mortification.

Distique. — « Le muezzin a poussé un cri hors de saison. Il ne sait pas quelle portion de la nuit s'est écoulée. Demande à mes paupières la longueur de la nuit; car le sommeil n'est point descendu un seul instant dans mes yeux. »

Au matin, en guise de présent, je détachai mon turban de ma tête et je tirai mes pièces d'or de ma ceinture ; je les plaçai devant le chanteur ; je le pris dans mes bras et lui rendis beaucoup d'actions de grâces. Mes compagnons jugèrent ma bonne volonté à son égard contraire à la coutume, l'imputèrent à la légèreté de mon intelligence, et ils en rirent en cachette. Un d'eux allongea la langue de l'opposition, et commença à me faire des reproches, disant : « En agissant ainsi tu n'as point fait une action conforme à la manière d'être des hommes sages. Tu as donné le froc des cheikhs à un pareil musicien qui, durant toute sa vie, n'a point reçu un dirhem dans sa main, ni une rognure d'or[162] dans son tambour de basque. »

Mesnévi. — « C'est un musicien (puisse-t-il être loin de cette demeure fortunée !) que personne n'a vu deux fois dans un même lieu. Vraiment, lorsque sa voix est sortie de sa bouche, les cheveux des hommes se sont dressés sur leur tête. L'oiseau du portique s'est envolé, à cause de l'épouvante qu'il lui inspirait; il a enlevé notre cervelle et a déchiré son propre gosier. »

Je dis : « Ce qui convient c’est que tu raccourcisses la langue de l'opposition, par la raison qu'un acte miraculeux de cette personne m'est apparu. » Il répondit: « Informe-moi de la manière dont cela s'est passé, afin que nous recherchions tous sa faveur et que nous lui demandions pardon des plaisanteries qui ont eu lieu. » Je répliquai : « C'est à cause que le cheikh m'avait ordonné à plusieurs reprises de renoncer à écouter la musique, et m'avait adressé des avertissements éloquents. Je ne les avais point accueillis, jusqu'à ce que cette nuit-ci, mon astre fortuné et mon auguste bonheur m'aient conduit dans ce lieu, de sorte que j'ai fait pénitence entre les mains de ce musicien, en disant : Désormais je ne rechercherai point l'audition de la musique, ni le commerce des hommes. »

Distique. — « Une voix agréable dans un palais, une bouche et sur des lèvres douces, séduit le cœur, soit qu'elle fasse des modulations, soit qu'elle n'en fasse pas ; tandis que même les modes Oucchhâk, d'Ispahan et du Hedjaz ne conviennent point au gosier d'un chanteur odieux. »

VINGT ET UNIÈME HISTORIETTE.

On dit à Lokman : « De qui as-tu appris la politesse? » Il répondit ? « Des gens impolis : Tout ce que j'ai jugé désapprouvable de leur part, je me suis abstenu de faire et de dire cela. »

Distique. — « On ne dit pas un mot, même par manière de plaisanterie, dont l'homme intelligent ne tire un conseil. Mais si l'on récite cent chapitres de sagesse devant un ignorant, ils entrent dans son oreille comme autant de plaisanteries. »

VINGT-DEUXIÈME HISTORIETTE.

On rapporte d'un certain religieux qu'il mangeait en une nuit dix livres de nourriture et faisait jusqu'à l'aurore une lecture complète du Coran. Un sage apprit cela, et dit : « S'il mangeait la moitié d'un pain et qu'il dormit, il vaudrait beaucoup mieux. »

Distique. — « Aie le corps vide de nourriture, afin que tu y voies la lumière de la connaissance de Dieu. Tu es vide de sagesse, par la raison que tu es plein de nourriture jusqu'au nez. »

VINGT-TROISIÈME HISTORIETTE.

La miséricorde divine tint la lampe de l'assistance céleste sur le chemin d'un homme égaré par les plaisirs défendus, de sorte qu'il entra dans la troupe des vrais sages des soufis). Par l'heureuse influence de la société des derviches et de leur âme sincère, ses mœurs blâmables furent changées en qualités louables, et il renonça à la passion et à la concupiscence. La langue des médisants s'allongea à son égard, et ils disaient : « Il est encore dans ses premiers errements, et son abstinence et sa piété ne méritent aucune confiance. »

Vers. — « Par l'excuse de la pénitence on peut se délivrer des châtiments de Dieu, mais on ne peut se délivrer de la langue des hommes. »

Il n'eut pas la force de supporter l'injustice de leurs discours, et porta sa plainte devant le supérieur de l'ordre, en disant : « Je souffre de la langue des hommes. » Le cheikh pleura, et dit : « Comment pourras-tu acquitter la reconnaissance que t'impose ce bienfait-ci : tu es meilleur qu'on ne le pense? »

Vers. — « Jusques à quand diras-tu : « Le malveillant et l'envieux recherchent mes défauts, à moi, mis semble ? » Soit qu'ils se lèvent pour répandre ton sang, soit qu'ils s'asseyent pour te souhaiter du mal,[163] il vaut mieux être bon et appelé méchant par les hommes, que d'être méchant et regardé comme bon. »

Et cependant regarde-moi, moi, dis-je, à l'égard de qui la bonne opinion de tous est à son comble, tandis que je suis au comble de l'imperfection !

Vers. — « Si j'avais fait ces choses que je disais, je serais un homme d'un bon caractère et un religieux. »

Vers arabe. — « Certes je me dérobe aux yeux de mes voisins, mais Dieu connaît ce qu'il y a en moi de secret et de manifeste. »

Distique. — « La porte est fermée sur nous, à cause des hommes et afin qu'ils ne répandent pas le bruit de nos défauts. A quoi sert la porte fermée? L'être qui connaît les choses mystérieuses sait ce qui est caché et ce qui est manifeste. »

VINGT-QUATRIÈME HISTORIETTE.

Je me plaignis devant un des principaux cheikhs, en disant : « Un tel a porté témoignage de ma méchanceté. » Il répondit : « Rends-le honteux par ta bonté. »

Vers. — « Sois d'un bon caractère, afin que le malveillant ne trouve pas le moyen de parler à ton désavantage. Lorsque le luth tient bien l'accord, comment recevrait-il un châtiment de la main du musicien? »

VINGT-CINQUIÈME HISTORIETTE.

On demanda à un des cheikhs de la Syrie : « Quelle est la réalité de la doctrine des soufis? » Il répondit : « Avant elle il y avait dans le monde une troupe d'hommes troublés en apparence et recueillis en réalité. Aujourd'hui il y a une troupe d'hommes recueillis extérieurement et troublés intérieurement. »

Distique. — « Lorsque à toute heure, ton cœur va loin de toi dans un lieu différent, tu ne trouves point de tranquillité dans la solitude. Tu as beau posséder de l'argent, un rang élevé, des champs ensemencés et un négoce, dès que ton cœur est avec Dieu, tu es assis dans la solitude. »

VINGT-SIXIÈME HISTORIETTE.

Je me souviens que nous avions marché toute la nuit, au milieu d'une caravane, et qu'au matin nous nous étions endormis sur la lisière d'un bois. Un malheureux qui était notre compagnon dans ce voyage poussa un cri, prit le chemin du désert et ne trouva point de repos un seul instant. Lorsqu'il fut jour, je lui dis : « Quelle est cette extase? » Il répondit : « J'ai vu des rossignols qui avaient commencé à pousser des plaintes du haut des arbres, ainsi que le faisaient des perdrix sur la montagne, des grenouilles au fond de l'eau et des animaux dans la forêt. J'ai pensé en moi-même qu'il ne convenait point que tous fussent occupés à célébrer les louanges du Seigneur, et que moi seul je fusse endormi dans la négligence. »

Vers. — « La nuit dernière, vers l'aurore, un oiseau se lamentait. Il m'enleva l'intelligence, la patience, la force et la sagesse. Par hasard ma voix parvint aux oreilles d'un de mes amis sincères. Il dit : « Je ne croyais pas que le cri d'un oiseau te mit tellement hors de toi. » Je répondis : « Il ne serait pas conforme à l'humanité que l'oiseau récitât les louanges de Dieu et que je fusse silencieux. »

VINGT-SEPTIÈME HISTORIETTE.

Une troupe de jeunes gens sages étaient un jour mes compagnons dans le voyage du Hedjaz. De temps en temps ils chuchotaient et récitaient quelques vers mystiques. Dans le chemin un dévot désapprouvait la conduite des derviches, ignorant de leur douleur, jusqu'à ce que nous fussions arrivés aux palmiers des Bènou-Hilâl.[164] Un jeune garçon de couleur noire sortit du campement des Arabes, et poussa un cri qui aurait fait descendre l'oiseau du haut des airs. Je vis le chameau du religieux qui se mit à danser,[165] renversa son cavalier, et prit le chemin du désert. Je dis : « O cheikh ! la musique a fait impression sur un animal et elle n'en fait aucune sur toi. »

Vers. — « Sais-tu ce que m'a dit ce rossignol du matin : « Quel homme es-tu donc, puisque tu es sans aucune connaissance de l'amour? Le chameau est plongé dans l'extase et dans la joie par des vers arabes. Si tu n'as point de plaisir, tu es un animal d'un caractère tortueux. »

Vers. — « Lorsque l'agitation et l'allégresse remplissent la tête du chameau, si l'homme ne les ressent pas, c'est un âne. »

Vers arabe. — « Lorsque les vents soufflent sur les champs, ils courbent les rameaux du bân (saule musqué), non les roches dures. »

Mesnévi. — « Tout ce que tu vois est dans l'agitation pour célébrer les louanges de Dieu. Un cœur qui entend sait bien le sens caché de cela. Le rossignol ne récite-t-il pas ses louanges sur la rose, puisque chaque épine a une langue pour le louer ? »

VINGT-NEUVIÈME HISTORIETTE.

La durée de la vie d'un certain roi parvint à sa fin, et il n'avait point de successeur. Il ordonna ce qui suit : « La première personne qui, le matin, se présentera aux portes de la ville après ma mort, que l'on place la couronne royale sur sa tête et qu'on lui confie le royaume. » Lorsque le roi fut mort, la première personne qui entra dans la ville, ce même jour, était) par hasard, un mendiant qui, durant toute sa vie, avait amassé des bouchées et cousu ensemble des haillons. Les grands de l'empire et les principaux de la cour exécutèrent la dernière volonté du roi. Ils remirent au mendiant les clefs des forteresses et des trésors, et il exerça l'autorité royale pendant un certain temps. Quelques-uns des chefs de l'empire rejetèrent le joug de son obéissance, et les rois des contrées voisines se levèrent de tous côtés pour lui chercher querelle, et équipèrent des troupes afin de lui tenir tête. En somme, l'armée et le peuple furent dans la confusion, et une partie des provinces sortit de son pouvoir. Le mendiant, c'est-à-dire le nouveau roi, était affligé de cet événement. Sur ces entrefaites, un de ses anciens amis, qui avait partagé sa pauvreté, revint de voyage, le vit dans une telle dignité et lui dit : « Grâces soient rendues à Dieu de ce que la fortune élevée t'a secouru, et la félicité t'a dirigé; de sorte que pour toi la rose est venue de l'épine ; l'épine est sortie de ton pied, et tu es arrivé à ce degré. Certes, après la difficulté, la facilité. »

Vers. — « Tantôt la fleur est épanouie, et tantôt elle est flétrie ; tantôt l'arbre est nu, tantôt il est couvert de feuilles. »

Le derviche-roi répondit : « O mon frère! adresse-moi des compliments de condoléance, car il n'y a pas lieu-de me féliciter. Lorsque tu m'as vu, j'étais en peine de me procurer du pain, et aujourd'hui j'ai l'embarras d'un monde entier à gouverner. »

Vers. — « Si les biens du monde nous manquent, nous sommes malheureux, et si nous les possédons, nous sommes enchaînés par l'amour qu'ils nous inspirent. Il n'y a point de malheur plus fâcheux que les richesses de ce monde, parce qu'elles font le tourment du cœur, soit qu'on les possède, ou qu'on en soit privé. »

Vers. — « Si tu veux l'opulence, ne cherche pas autre chose que la modération des désirs, qui est une richesse agréable (litt. de facile digestion). Si le riche verse de l'or dans la robe d'un pauvre, ne considère cependant pas avec envie quelle sera sa récompense dans l'autre monde. Car j'ai souvent entendu dire à de grands personnages : La patience du pauvre est préférable à la libéralité du riche. »

Vers. — « Si Behrâm[166] fait rôtir un onagre pour le donner aux pauvres, ce ne sera pas autant qu'une patte de sauterelle de la part d'une fourmi.[167] »

TRENTIÈME HISTORIETTE.

Quelqu'un avait un ami qui remplissait un emploi dans la trésorerie. Pendant un certain temps l'occasion de le voir ne se présenta pas. Quelqu'un lui dit : « Y a-t-il longtemps que tu n'as vu un tel? » Il répondit : « Je ne veux pas le voir. » Par hasard, un des gens du fonctionnaire, qui était présent, dit : « Quelle faute a-t-il commise, pour que tu sois ennuyé de le voir? » « Je ne lui connais point de faute, reprit-il; mais on peut voir un ami fonctionnaire de la trésorerie, une fois qu'il aura été destitué, et il ne me faut pas porter mon repos au milieu de sa peine et de ses occupations. »

Vers. — « On ne songe pas à ses amis, dans la grandeur, dans la puissance, ni dans un emploi; mais, au jour de la détresse et de la destitution, on porte l'affliction de son cœur devant ses amis. »

TRENTE ET UNIÈME HISTORIETTE.

Abou-Horaïrah[168] venait chaque jour présenter ses hommages à Moustafa (l'Élu, surnom de Mahomet). Celui-ci lui dit : « O Abou-Horaïrah, visite-moi rarement, mon amitié pour toi en augmentera; c'est-à-dire, ne viens pas chaque jour, afin que mon amitié s'accroisse. »

Plaisanterie. — « On a dit à un sage : « Malgré cette « beauté que possède le soleil, nous n'avons pas entendu, a dire que quelqu'un l'ait pris pour ami. » — « C'est, répondit-il, parce qu'on peut le voir chaque jour, excepté « dans l'hiver, où il est voilé et par suite aimé. »

Vers. — « Ce n'est pas un défaut d'être exposé à la vue des hommes ; mais cependant il ne faut pas l'être si longtemps, qu'ils disent : « C'est assez ». Si tu te fais un reproche à toi-même, il ne faut néanmoins entendre les reproches de personne. »

TRENTE-DEUXIÈME HISTORIETTE.

J'avais pris en dégoût la société de mes amis de Damas; je m'avançai dans le désert de Jérusalem, et je me familiarisai avec les animaux, jusqu'à ce que je devinsse le prisonnier des Francs. On me fit travailler à la terre, avec des juifs, dans les fossés de Tripoli. Enfin, un des principaux d'Alep, avec lequel j'avais eu d'anciennes relations, vint à passer, me reconnut et me dit : « Quelle est cette situation, et de quelle manière passes-tu ta vie? » Je répondis :

Vers. — « Je fuyais loin des hommes sur la montagne et dans la plaine, parce que je n'étais plus occupé d'un autre que Dieu. Imagine quelle est ma situation en ce moment où il faut me faire à une bande de gens qui ne sont pas même des hommes. »

Vers. — « Il vaut mieux avoir le pied à la chaîne devant ses amis, que d'être dans un verger avec des étrangers. »

Il eut compassion de mon état, me délivra des liens des Francs, au moyen de dix pièces d'or, et m'emmena avec lui à Alep. Il avait une fille, qu'il me fit épouser, avec une dot de cent dinars. Quelque temps s'étant écoulé, la fille devint d'un mauvais caractère, querelleuse et désobéissante. Elle commença d'allonger la langue et d'attrister ma vie, ainsi qu'on a dit :

Vers. — « Une femme méchante dans la maison d'un homme de bien est son enfer, même en ce monde. Garde-toi d'une compagne méchante, garde-t'en; préserve-nous, mon Dieu, du supplice du feu ! »

Une fois, ayant allongé la langue de l'injure, elle dit : « N'es-tu pas celui que mon père a racheté des fers des Francs, pour dix ducats? » Je répondis : « Oui, il m'a racheté pour dix pièces d'or, et il m'a fait ton captif moyennant cent autres dinars. »

Vers. — « J'ai appris qu'un grand personnage délivra une brebis de la gueule et de la griffe d'un loup. La nuit il lui enfonça un couteau dans le gosier. Au même instant[169] la brebis se plaignit à lui en disant : « Tu m'as retirée de la griffe du loup, lorsque je vois enfin que tu es un loup pour moi. »

TRENTE-TROISIÈME HISTORIETTE.

Un roi demanda à un religieux : « Comment se passent tes moments précieux? » Il répondit : « Toute la nuit se passe à prier, le matin à demander les choses nécessaires, et tout le jour à songer à mes dépenses. » Le roi comprit le sens de la réponse du derviche. Il ordonna qu'on lui assignât des moyens de subsistance, afin que le fardeau de l'entretien de sa famille fût enlevé de dessus son cœur.

Vers. — « O toi qui as le pied enchaîné par la pensée de ta famille, n'imagine plus désormais de liberté. Le souci des enfants, du pain, des vêtements et de la nourriture t'empêche de marcher dans la vie spirituelle. Je prends tous les jours la résolution de m'occuper de Dieu pendant la nuit. Mais la nuit lorsque je m'acquitte du devoir de la prière, je me demande : que mangera mon fils au matin? »

TRENTE-QUATRIÈME HISTORIETTE.

Un des dévots de la Syrie pratiquait le culte de Dieu depuis des années dans une forêt, et se nourrissait de feuilles d'arbres. Le roi de ce pays se rendit auprès de lui pour le visiter, et dit : « Si tu le juges convenable, nous préparerons pour toi dans la ville un logement où le loisir de vaquer aux exercices de piété te sera plus facile qu'ici, et où les autres profiteront des bénédictions de vos paroles et prendront exemple sur vos saintes actions.[170] » Ce discours n'agréa pas au religieux; mais les principaux de l'empire lui dirent : « Par égard pour les intentions du roi, il est convenable que tu viennes quelques jours à la ville et que tu connaisses l'état des lieux. Ensuite, si la pureté du temps des gens respectables est altérée dans la société des étrangers, le choix vous restera. » On rapporte que le religieux entra dans la ville, et qu'on disposa pour lui le jardin du palais particulier du roi. C'était un lieu ravissant le cœur et reposant l'âme.

Vers. « Ses roses rouges étaient comme la joue des belles, ses jacinthes comme la boucle de cheveux des amantes. Par la crainte du froid des derniers jours de l'hiver, elles étaient comme l'enfant qui n'a pas encore sucé le lait de sa nourrice. »

Vers (arabe). — « Sur les rameaux étaient des grenades, comme un feu suspendu aux arbres verts. »

Le roi envoya à l'instant au religieux une jeune fille d'une belle figure.

Vers. — « Une exquise beauté, qui séduit les dévots, une figure d'ange, aussi éclatante que le paon. Elle était telle qu'après l'avoir vue, il n'y avait plus de patience possible pour les religieux. »

Il envoya aussi derrière elle un jeune esclave, admirable par sa grâce, agréable par ses proportions, et tel que la force du poing de sa beauté aurait brisé le bras de la piété, et lié derrière le dos la main de la patience des sages.

Vers (arabe). « Les hommes mouraient de soif auteur de lui : c'était un échanson qui montrait la boisson et ne désaltérait pas. »

Vers. — « L'œil ne se rassasiait point de sa vue, de même que la soif de l'hydropique n'est pas apaisée par l'eau de l'Euphrate. »

Le religieux se mit à manger des mets savoureux, à revêtir des habits élégants, à trouver de la douceur et de la jouissance dans les fruits et les parfums, et à considérer la beauté du page et de la jeune fille. Les hommes sensés ont dit : « La boucle de cheveux des belles est une chaîne pour le pied de l'intelligence et un filet pour l'oiseau léger. »

Vers. — « J'ai sacrifié mon cœur et ma religion, avec toute ma science, pour l'amour de toi. En réalité je suis aujourd'hui l'oiseau léger et tu es le filet. »

En somme, le bonheur de son temps de recueillement arriva à sa fin, comme on a dit :

Vers. — « Tout ce qu'il y a de docteurs de la loi, de supérieurs spirituels, de disciples et d'orateurs à la parole pure, lorsqu'il s'est abaissé pour obtenir les biens de ce monde méprisable, ressemble à la mouche dont la patte reste dans le miel.[171] »

Un jour le roi désira voir le saint homme. Il le trouva transformé,[172] devenu rouge, blanc et gras, et s'appuyant sur un coussin de soie. Le page à la figure de péry (fée) se tenait au-dessus de sa tête avec un éventail de plumes de paon. Le monarque se réjouit de son état prospère; et ils s'entretinrent de toutes sortes de choses jusqu'à ce qu'à la fin le roi parlât ainsi : « J'aime ces deux classes d'hommes[173] : « Les savants et les religieux. » Un vizir philosophe et qui avait vu le monde était présent, et il dit : « O roi ! l'obligation de l'amitié, c'est que tu fasses du bien à chacune de ces troupes : donne de l'or aux savants, afin qu'ils lisent davantage,[174] et ne donne rien aux religieux, afin qu'ils restent tels. »

Vers. — « Il ne faut aux religieux ni drachme, ni dinar (pièce d'or) : lorsqu'un religieux reçoit quelque chose, procure-t-en un autre. »

Vers. — « Celui qui a de bonnes mœurs et une intimité avec Dieu est religieux, sans pour cela qu'il reçoive le pain des fondations pieuses et la bouchée de l'aumône. Le doigt d'une belle et le lobe de l'oreille d'une charmante personne sont beaux sans pendant d'oreille et sans anneau de turquoise. »

Vers. — « Dis : Qu'il n'y ait pas de fard, ni de peinture, ni d'anneau de turquoise pour la princesse douée d'une belle figure et d'un caractère pur. (Elle n'en a pas besoin.) Dis : Qu'il n'y ait pas de pain de monastère ni de bouchée de l'aumône pour le derviche de bonnes mœurs et d'un heureux jugement. »

Vers. — « Tant que je possède et qu'il me faut encore autre chose, si l'on ne m'appelle pas religieux, cela convient. »

TRENTE-CINQUIÈME HISTORIETTE.

Conforme au discours précédent.

Une affaire importante survint à un monarque, et il dit : « Si la fin de cette affaire arrive selon mon désir, je donnerai tant de drachmes aux religieux. » Lorsque la chose qu'il désirait eut réussi et que le trouble de son esprit fut dissipé, l'accomplissement de son vœu selon les conditions devint nécessaire. Il donna donc une bourse de drachmes à un de ses serviteurs, afin qu'il les employât pour les religieux. On dit que c'était un esclave intelligent et prudent ; il tourna de côté et d'autre pendant tout le jour et revint à la nuit. Il baisa les drachmes, les plaça devant le roi, et lui dit : « Quoique j'aie cherché des religieux, je n'en ai pas trouvé. » Le roi répondit : « Quel est ce rapport? Je sais qu'il y a dans cette ville quatre cents religieux. » L'esclave reprit : « O seigneur du monde! celui qui est vraiment religieux ne recevra pas cet argent, et celui qui le recevra n'est pas un religieux. » Le roi se mit à rire, et dit à ses courtisans : « Quoique j'aie de la bonne volonté à l'égard des adorateurs de Dieu et que je confesse leurs mérites, cet être effronté a pour eux de l'inimitié et nie leurs vertus; et cependant le bon droit est de son côté. »

Vers. — « Le religieux qui a reçu des drachmes et des dinars, choisis une personne plus pieuse que lui. »

TRENTE-SIXIÈME HISTORIETTE.

On demanda à un certain savant très profond : « Que décides-tu au sujet du pain des legs pieux? » Il répondit : « Si on le reçoit pour recueillir son esprit et vaquera ses dévotions, cela est licite; mais si l'on s'assied en homme recueilli pour avoir du pain, cela est illicite. »

Vers. — « Les sages ont pris le pain pour pouvoir se retirer dans le coin de l'adoration; ils n'ont pas choisi celui-ci pour avoir du pain. »

TRENTE-SEPTIÈME HISTORIETTE.

Un derviche parvint à un lieu de station. Le maître de cet édifice avait une âme généreuse, un bon caractère, et une troupe d'hommes distingués et éloquents vivaient dans sa société. Chacun d'eux disait des bons mots et des plaisanteries, comme c'est la coutume des gens d'esprit. Le derviche avait traversé les chemins du désert, il était fatigué et n'avait rien mangé. Un homme de cette réunion lui dit, par manière d'amusement : « Il te faut dire aussi quelque chose. » Le derviche répondit : « Je n'ai point de mérite ni d'éloquence comme les autres, je n'ai rien lu : contentez-vous donc d'un seul vers de ma part. » Tous dirent avec empressement : « Parle. » Il dit :

Vers. — « Moi, affamé, ayant en face de moi une table couverte de pain, je suis comme le célibataire sur la porte du bain des femmes. »

Les compagnons se mirent à rire; ils approuvèrent son adresse et étendirent une nappe devant lui. L'amphitryon dit : « Ami, attends un instant; mes serviteurs font rôtir le hachis. » Le derviche leva la tête, et répondit :

Vers. — « Dis : Ne sois pas sur ma table, ô hachis ! le pain sec est un hachis pour quiconque est brisé de fatigue.[175] »

TRENTE-HUITIÈME HISTORIETTE.

Un disciple dit à son précepteur : « Que ferai-je? Car je suis incommodé par les créatures, à cause du grand nombre d'hommes qui viennent pour me visiter, et par les allées et venues desquels mes moments précieux sont troublés. » Le précepteur répondit : « Prête à tous ceux qui sont pauvres, et demande quelque chose à tous ceux qui sont riches, afin que désormais ils ne tournent plus autour de toi. »

Vers. — « Si un mendiant était le général de l'armée de l'islamisme, l'infidèle s'en irait jusqu'en Chine, par crainte des demandes. »

TRENTE-NEUVIÈME HISTORIETTE.

Un docteur de la loi dit à son père : « Aucun de ces discours ravissants des prédicateurs ne fait impression sur moi, parce que je ne vois pas en eux une conduite conforme à leurs paroles. »

Vers. — « Ils enseignent aux hommes le renoncement aux biens du monde, eux-mêmes amassent de l'argent et des grains. Un sage qui possède la parole et rien de plus, tout ce qu'il peut dire ne fait impression sur personne. Celui-là sera sage, qui ne fera pas le mal ; il ne prêchera pas la morale à l'homme sans la pratiquer lui-même. »

Vers. — « Le savant qui pratique le plaisir et la sensualité est lui-même égaré : qui donc guidera-t-il ? »

Le père dit : « O mon fils ! il ne convient pas, seulement sur cette vaine imagination, de s'éloigner des instructions des bons conseillers, de prendre le chemin de l'oisiveté, de taxer d'erreur les savants et de rester privé des avantages de la science, en cherchant le savant irréprochable, comme cet aveugle qui tomba une nuit dans un bourbier, et dit : « O musulmans ! tenez une lampe sur ma route. » Une femme de mauvaise vie l'entendit, et lui dit : « Toi qui ne vois pas la lampe, que verrais-tu avec elle? » La salle de la prédication est comme l'échoppe des marchands fripiers. Ici, tant que tu ne donnes pas d'argent, tu ne reçois pas de marchandises. Là, tant que tu ne portes pas une bonne intention, tu n'en rapportes pas de bonheur.

Vers. — « Écoute la parole du savant avec l'oreille de l'âme, lors même que sa conduite ne ressemblerait pas a ses, discours. Elle est vaine cette parole d'un présomptueux : « Comment un endormi réveillera-t-il un autre endormi? » Il faut que l'homme écoute le conseil, fut-il écrit sur une muraille. »

QUARANTIÈME HISTORIETTE (rimée).

Un sage vint du monastère au collège, et rompit son pacte de société avec les gens de l'ordre (les soufis). Je dis : « Quelle différence y a-t-il entre le savant et le religieux, pour que tu choisisses cette société-ci de préférence à celle-là ? » Il répondit : « Celui-ci (le religieux) sauve des flots son propre manteau, et cet autre (le savant) fait des efforts pour saisir le noyé.[176]

QUARANTE ET UNIÈME HISTORIETTE.

Un homme était couché ivre à l'extrémité d'un chemin, et les rênes du libre arbitre lui étaient échappées de la main. Un religieux passa près de lui, et jeta un regard sur son honteux état. Le jeune homme leva la tête, et dit : « Lorsqu'ils passent auprès de ce qui est vil, ils passent en hommes généreux.[177] »

Vers arabes. — « Quand tu vois un pécheur, sois indulgent et doux. O toi qui blâmes mon vice, que ne passes-tu en homme généreux? »

Vers. — « O religieux ! ne détourne pas ton visage du pécheur; regarde-le avec miséricorde ; si je ne suis pas honnête dans ma conduite, passe auprès de moi à la manière des hommes bien élevés. »

QUARANTE-DEUXIÈME HISTORIETTE.

Une troupe de débauchés se mirent à blâmer un derviche, lui dirent des paroles inconvenantes et le tourmentèrent. Il porta plainte devant le supérieur de l'ordre, en disant : « Une telle affaire s'est passée. » Le supérieur répondit : « O mon enfant! le froc des derviches est la robe de la résignation : quiconque sous cet habit ne supporte pas un déplaisir est un imposteur, et le froc lui est interdit. »

Vers. — « La mer immense ne sera point troublée par une pierre ; le soufi qui se fâche est encore une eau peu profonde. »

Vers. — « S'il te survient un dommage, supporte-le, parce que par l'indulgence tu te purifieras de tout péché. O mon frère ! puisque notre fin dernière c'est la poussière, sois poussière[178] avant que tu deviennes poussière. »

QUARANTE-TROISIÈME HISTORIETTE (rimée).

Écoute cette histoire : Une dispute eut lieu dans Bagdad entre l'Étendard et le Rideau (de la porte d'entrée d'un appartement). Le premier, à cause de la poussière du chemin et de la fatigue des marches guerrières,[179] dit au second sur le ton du reproche : « Nous sommes tous deux compagnons d'esclavage : nous sommes serviteurs de la salle d'audience du sultan. Je ne me suis pas reposé de mon service un seul instant; j'étais en chemin matin et soir. Toi, tu n'as enduré ni fatigues, ni sièges, ni traversée de déserts, ni tourbillons, ni poussière. Mon pied est plus avancé par ses efforts. Pourquoi donc ta considération est-elle plus grande? Tu es auprès des esclaves à face de lune, avec des jeunes filles qui sentent le jasmin. Moi je suis tombé entre les mains des valets; en voyage j'ai le pied enchaîné et la tête livrée au vertige. » Le Rideau répondit : « J'ai la tête sur le seuil, je ne l'ai pas comme toi au-dessus du ciel. Quiconque élève le cou avec orgueil, se jette lui-même sur son cou.[180] »

QUARANTE-QUATRIÈME HISTORIETTE.

Un sage vit un athlète qui était fâché et courroucé et qui rendait de l'écume par la bouche. Il dit : « Qu'est-il donc arrivé à cet homme? » Quelqu'un répondit : « Un tel lui a dit des injures. » « Cet homme vil, reprit le sage, porte un poids de mille livres, et il n'a pas la force de supporter une parole. »

Vers. — « Laisse là tes vanteries de la force de ton poignet et tes prétentions au courage. O toi qui as une âme faible et qui es vil, qu'importe que tu sois homme ou que tu sois femme ? Si tu le peux, adoucis la langue[181] d'autrui : le courage ne consiste pas à donner un coup de poing sur une bouche. »

Vers. — « Quand bien même il déchirerait le front d'un éléphant, celui-là n'est pas un homme dans lequel il n'y a pas d'humanité. Les enfants d'Adam tiennent leur nature de la poussière; s'ils ne sont pas humbles, ils ne sont pas de vrais enfants d'Adam. »

QUARANTE-CINQUIÈME HISTORIETTE.

On interrogea un grand personnage touchant la conduite des frères de la pureté.[182] Il répondit : « Le moindre d'entre eux est celui qui préfère le désir du cœur de ses amis à ses propres avantages; car les sages ont dit : « Le frère qui pense à lui-même n'est ni frère, ni parent. »

Vers. — « Le compagnon de route, s'il se hâte, n'est pas ton vrai compagnon de route. N'attache pas ton cœur à une personne qui ne t'est pas attachée de cœur. »

Vers. — « Lorsque ton parent n'a ni religion ni piété, il vaut mieux briser les liens du sang que de lui porter l'amitié d'un parent. »

Je me souviens qu'un présomptueux contredit mes paroles contenues dans ce dernier vers, en disant : « Dieu a défendu dans son glorieux livre (le Coran) de rompre les liens du sang, et nous a prescrit l'amitié envers nos parents. Ce que tu as dit est le contraire de cela. » Je répondis : « Tu t'es trompé, c'est conforme au Coran. Dieu a dit : « S'ils (tes père et mère) t'engagent à m'associer ce que tu ne connais pas, ne leur obéis point.[183] »

Vers. — « Mille parents qui sont étrangers à Dieu, qu'ils servent à racheter une seule personne étrangère qui est amie de Dieu. »

QUARANTE-SIXIÈME HISTORIETTE (en Vers).

A Bagdad, un vieillard jovial donna sa fille en mariage à un cordonnier. Le petit homme au cœur de pierre mordit tellement la lèvre de la jeune fille, que le sang en coula. Au matin, son père la vit ainsi; il se rendit près de son gendre, et lui parla en ces termes : « O homme vil! quelles sont ces dents? Combien de temps mâcheras-tu sa lèvre? ce n'est pas du cuir. Je n'ai point dit ceci par manière de plaisanterie : laisse le badinage et prends-en le sérieux. Une mauvaise habitude qui s'est implantée dans le caractère de quelqu'un, n'en sortira qu'au jour de la mort. »

QUARANTE-SEPTIÈME HISTORIETTE.

Un jurisconsulte avait une fille très laide et arrivée à l'âge nubile. Malgré son trousseau et son argent, personne n'avait le désir de l'épouser.

Vers. — « Une étoffe de soie[184] et de brocart sera vilaine lorsqu'elle se trouvera sur une épouse sans beauté. »

En somme, par raison de nécessité, on la maria avec un aveugle. On rapporte que dans ce temps-là un médecin qui rendait la vue aux aveugles arriva de Sérendîb (Ceylan). On dit au jurisconsulte : « Pourquoi ne fais-tu pas traiter ton gendre? » Il répondit : « Je crains qu'il ne voie clair, et qu'il ne répudie ma fille. »

Hémistiche. — « Il est préférable que le mari d'une femme laide soit aveugle. »

QUARANTE-HUITIÈME HISTORIETTE.

Un monarque regarda d'un œil de mépris une troupe de derviches. Un d'eux comprit cela par sa pénétration, et dit : « O roi ! nous te sommes inférieurs en puissance[185] dans ce monde; mais nous menons une vie plus agréable que la tienne, nous sommes tes égaux au moment de la mort, et nous vaudrons mieux que toi à la résurrection. »

Vers. — « Qu'il s'agisse d'un conquérant tout-puissant, ou bien d'un derviche qui manque de pain, à l'heure ; redoutable où tous deux mourront, ils n'emporteront de ce monde autre chose qu'un linceul. Puisque tu feras ton paquet pour quitter le royaume, la pauvreté te vaudrait mieux que la souveraineté. »

Les marques extérieures de la profession du derviche, ce sont une robe composée de pièces et une chevelure rasée; mais les véritables qualités du derviche sont un cœur pieux (litt. vivant) et une concupiscence éteinte (litt. morte).

Vers. — « (Le derviche) n'est pas celui qui s'assied sur la porte de la prétention à l'égard du peuple, et qui, si on lui fait une contrariété, se lève pour le combat. Si une meule de moulin roule du haut d'une montagne en bas, celui-là n'est pas un contemplatif qui s'écarte du chemin de la pierre. »

Les devoirs des derviches, ce sont la prière, les actions de grâces, le service de Dieu, l'obéissance, la bienfaisance, la modération, la croyance à un seul Dieu, la confiance en lui, la résignation, la patience. Quiconque est doué de ces qualités est véritablement derviche, quoiqu'il soit revêtu du kaba.[186] Mais l'homme qui dit des paroles futiles, qui ne fait pas de prières, qui est esclave de sa concupiscence, qui satisfait ses désirs, qui passe les jours jusqu'à la nuit dans des pensées de débauche et les nuits jusqu'au jour dans le sommeil de la négligence, qui mange tout ce qu'il trouve et dit tout ce qui lui vient sur la langue, est un vaurien, quand même il serait revêtu de Yaba.[187]

Vers. — « O toi, dont le cœur est dépouillé de piété et qui as sur toi la robe de l'hypocrisie, ne laisse pas pendre à ta porte le rideau peint de sept couleurs, toi qui dans ta maison ne possèdes que des nattes. »

QUARANTE-NEUVIÈME HISTORIETTE (écrite en vers).

J’ai vu quelques poignées de roses fraîches, attachées[188] sur un dôme avec de l'herbe. Je dis : « Quelle est cette herbe sans valeur, pour qu'elle se place ainsi sur le même rang que la rose. » Le gramen pleura et dit : « Tais-toi ! l'homme généreux n'oublie pas les droits de la société : si je n'ai ni beauté, ni couleur, ni parfum, ne suis-je pas au moins l'herbe de son jardin? » Je suis l'esclave de Sa Majesté généreuse, je suis le nourrisson de ses anciens bienfaits. Que je sois sans mérite ou que j'en aie, j'espère en la bonté de mon maître. Quoique je n'aie point de marchandises, n'ai-je pas pour capital mon obéissance. Lui seul connaît le remède à l'affaire de son esclave, lorsqu'il ne lui reste aucun autre moyen. C'est l'usage que ceux qui ont le pouvoir d'affranchir délivrent le vieil esclave. O grand Dieu ! ornement du monde, pardonne à ton vieil esclave. Sadi, prends le chemin de la Kaaba de la résignation ; ô contemplatif ! prends le chemin qui conduit à Dieu. Malheureuse la personne qui détournera sa tête de cette porte-là, car elle n'en trouvera point d'autre.

CINQUANTIÈME HISTORIETTE.

On demanda à un sage laquelle était préférable, de la munificence ou de la bravoure. Il répondit : « Celui qui a de la munificence n'a pas besoin de la bravoure. »

Vers. — « Il est écrit sur le tombeau de Behram-Goûr : La main de la libéralité vaut mieux que le bras de la force.[189] »

Vers. — « Hâtim Thaiy[190] n'est plus, et cependant jusqu'à la fin des siècles, son grand nom restera célèbre pour sa bonté. Donne la dixième partie de ton bien, car lorsque le jardinier coupe les branches parasites de la vigne, celle-ci donne plus de raisin. »

suivant


 

[142] Le manuscrit 593 et l’éd. de Bombay font parler Sadi comme s'il avait été témoin du fait qu'il raconte, ce qui ne peut être exact, puisque le célèbre soufi dont il est ici question (Abou-Mohammed-Abd-Alkâdir, fils d'Abou-Sâlih) mourut au mois de rébi 2e 561 (février 1166 de J. C). Il était né dans le Guilân, ou comme prononcent les Arabes, Djilân (ce qui lui valut le surnom d'Aldjily ou Aldjilâny), dans l'année 470(1077-8), et s'établit à Bagdad. Il professait la doctrine hanbalite; le collège, ainsi que le monastère qu'il fonda, jouirent d'une grande réputation dans la capitale des Califes. (Voyez Ibn-Alathir, Chronique, édit. Tornberg, t. XI, p. 213.) Il fut enterré à Bagdad, où son tombeau est encore visité comme un lieu de pèlerinage ; et il a reçu des musulmans le surnom de sultan des gens de bien, sultan assâlihin. Le plus ancien des ordres religieux existants en Algérie est placé sous l'invocation de Sidi Abd-Alkâdir. Voyez le curieux ouvrage de M. E. de Neveu, Les Khwan, ordres religieux chez les musulmans de l'Algérie, 2e édition, p. 15, et p. 23-31, où on lit peu exactement el-Djelali, au lieu de Djilâny. Cf. Ricaut, Hist. de l'état présent de l’Empire ottoman, édit. de 1696, p. 349 et suiv.; Mouradgea d'Ohsson, Tableau gén., t. IV, p. 622 et Niebuhr, Voyage en Arabie, etc. t. II, p. 242.

[143] Actuellement encore les palefreniers persans portent sur l'épaule, lorsque leur maître est à cheval, une housse appelée zin poûch, dont ils recouvrent la selle, toutes les fois qu'il met pied a terre. Voyez l’Hist. des Khans mongols du Turkestan el de la Transoxiane..., par C. Defrémery; Paris, impr. Impér., 1853, p. 108, note.

[144] Le mot soufreh, que j'ai rendu par nappe, désigne à proprement parler un morceau de cuir qui sert, lorsqu'il est replié et fermé, de sac aux provisions, et, lorsqu'il est étendu, tient lieu de nappe. Par la suite il a été employé pour signifier toute espèce de nappe. A la cour des Sôfis il y avait un officier appelé Soufretchi Bachi « chef de ceux qui estendent la nape devant le roy ; car ici, comme l'on mange à terre devant le roy..., l'on estend de grandes napes en estofe d'or, d'argent et de soye, comme sont les brocatelles de Venise, sur lesquelles l'on mange. « Estât de la Perse, manuscrit de la Biblioth. imp., n° 10534-5, p. 35, 36.

[145] Au lieu de ce mot, l'édition de Tabriz porte Kallâb « faux monnayeur. »

[146] Sur la partie de la grande mosquée de Damas ainsi nommée, on peut consulter les détails donnés par M. Quatremère, Hist. des sultans Mamlouks, t. II, 1ère partie, p. 287-288; et les Voyages d'Ibn-Djobaïr, publiés par M. W. Wright; Leyde, 1852, p. 269. Au lieu de Callaceh, l'édition de Bombay porte fautivement Calâb.

[147] Au lieu de « les justes, » le manuscrit 66 Saint Germain porte « les lumières ».

[148] Allusion aux versets 93 et 94 du chapitre XII du Coran.

[149] Litt. : il secouerait les doigts sur les deux mondes.

[150] Coran, L, v. 15.

[151] Ou un contemplatif, car réwendeh a les deux sens.

[152] Je n'ai pas trouvé d'autres termes pour rendre daour, qui signifie littéralement « une coupe, que les convives se passent de main en main. » On voit que Sadi continue la métaphore de la phrase précédente : M. Sémelet a donc eu tort de traduire daour par ondulation, vibration de l'air produite par la parole.

[153] Dans son Bostân (édition de 1828, p. 70), Sadi raconte l'histoire d'un pèlerin qui marchait avec tant d'ardeur, qu'il ne retirait pas de ses pieds les épines du moghaïlân. Le scoliaste persan traduit ce dernier mot par baboûl, nom d'une espèce de mimosa, qui produit la gomme arabique. Khondémir, dans son Habib-Assiyer, mentionne à deux reprises différentes un édifice ou retranchement (tchéhârdivâry) que l'on avait construit avec les branches épineuses du moghaïlân (t. III, f° 21, r°. et v°). Hafiz a employé le terme moghaïlân, dans son ode 41e, vers 7. (Édition Brockhaus, t. I, p. 166.)

[154] On appelle ainsi, comme chacun sait, les sommes provenant de legs pieux ; le mot wakf par lui-même signifie un legs fait pour de pieux usages, et par suite, les biens consacrés aux temples ou à des établissements de charité et d'instruction.

[155] Le verbe déwaniden a souvent le sens neutre de « courir, » quoiqu'il ait la forme du verbe transitif. Voyez M. Quatremère, Hist. des Mongols, p. 346,348, note.

[156] Cette historiette est la source de la fable de la Fontaine intitulée : Le Songe d'un habitant du Mongol (l. XI, iv). Notre immortel fabuliste en a eu connaissance, selon M. Walckenaër (Œuvres de la Fontaine, édit. Lefèvre, 1827, t. II, p. 245, note), par le moyen de la traduction d'André du Ryer, sieur de Malezair ; Paris, Ant. de Sommaville, 1634, p. 88. Dans sa fable, la Fontaine, avec sa bonhomie ordinaire, a mêlé les idées grecques aux idées orientales, et fait intervenir les Champs Élysiens, Minos et les dieux. Notre historiette présente aussi quelque similitude avec un fragment de fabliau, comprenant 95 vers, et publié par feu le baron de Reiffenberg, Bulletin du bibliophile, février 1847, p. 61-63. Cf. M. Victor Le Clerc, Hist. littéraire de la France, t. XXIII, p. 118.

[157] C'est-à-dire, je n'ai pas le souci des richesses, ni l'inquiétude que cause l'indigence.

[158] « Nakhla-Mahmoud, dit l'auteur du Mérâssid-Alitthilâ, est une localité du Hedjaz voisine de la Mecque, et où se trouvent des palmiers et des vignes. C'est la première station où s'arrête celui qui revient de la Mecque. » Lexicon geographicum, édit. Juynboll, 8e livraison; Leyde, 1854, p. 204.

[159] Sadi raconte le trait suivant, dans son Boston : Une nuit un villageois ne dormit pas, a cause d'une douleur qu'il ressentait dans le côté. Un médecin se trouvait dans ce canton et il dit : « Puisque dans cette plaine ce malade avait l'habitude de manger des feuilles de vigne, je serais bien étonné s'il passait la nuit ; car avoir la pointe de la flèche des Tartares enfoncée dans la poitrine vaut mieux que de manger un aliment qui ne convient pas à notre tempérament. Si, à cause d'une seule bouchée, une crampe se fait sentir dans l'estomac (litt. dans les intestins), toute la vie de l'ignorant se verra réduite à rien. » Par hasard, le médecin mourut cette même nuit ; quarante années se sont écoulées depuis lors, et le villageois est encore en vie. » 5e chapitre, vers 80 à 84.

[160] Le manuscrit Ducaurroy et l'édition de B. ajoutent ici : « Vraisemblablement la faute est de notre côté, car on a dit : »

[161] Aboulfaradj Abd-Arrahmân, fils d'Aly, fils d'Aldjaouzjr, de la secte des Hanbalites, était un prédicateur de Bagdad, qui se rendit célèbre par ses ouvrages. Il naquit, selon Ibn-Alathir, l'année 510 de l'hégire (1116-1117 de J.-C), et mourut au mois de ramadhan 597 (juin 1201). Chronicon quod perfectissimum inscribitur, édit. Tornberg, vol. XII, p. 112. Voyez aussi les. auteurs cités par M. Dozy, Commentaire historique sur le poème d'Ibn-Abdoûn, etc., p. 24 et note 2.

[162] Koradha. Sur l'usage des rognures d'or employées comme menue monnaie, on fora bien de consulter Silvestre de Sacy, Chrestomathie arabe, 2e édition, t. I, p. 247, 248.

[163] Le manuscrit 292 et l’édit. de Bombay donnent de ce vers une leçon différente et qui doit se traduire ainsi : « Tantôt ils se lèvent pour répandre mon sang, tantôt ils s'asseyent pour me souhaiter du mal. »

[164] Nakhlaï-Beni-Hilâl. Au lieu de ces mots, le manuscrit Ducaurroy a le nom de Nakhla-Mahmoud, localité dont il a été question ci-dessus.

[165] L'influence qu'exerce sur les chameaux le chant de leurs conducteurs est un fait attesté par plusieurs voyageurs, et notamment par Frescobaldi, et Thévenot (ci-dessus). Voyez aussi deux anecdotes rapportées par M. Grangeret de Lagrange, dans son Anthologie arabe, p. 123 et 124. Notre auteur a dit dans le Bostân : « Ne vois-tu pas comment, au chant d'un Arabe, le chameau se met à danser et à se réjouir? Puisque le désordre de la joie se fait jour dans la tête du chameau, si l'homme y échappe, c'est un âne. » Édit. de 1828, p. 110, vers 306 et 307. Ce dernier vers se trouve reproduit plus bas, avec une légère variante.

[166] Nom d'un célèbre roi de Perse, de la dynastie des Sassanides, lequel régna de 423 à 440 de J.-C. Sa passion pour la chasse des onagres lui valut le surnom de Goûr, mot par lequel on désigne en persan cet animal.

[167] Ce passage présente une allusion a la légende d'après laquelle Salomon aurait daigné accepter l'hommage d'une patte de sauterelle qui lui fut offert par une fourmi. Notre auteur a dit, dans son Bostân : « Chaque personne porte un fardeau proportionné à sa force: la patte de la sauterelle est pesante devant (c'est-à-dire pour) la fourmi. » Édit. de 1828, p. 73, vers 173 du ch. II.

[168] Ce personnage était au nombre de ces individus que l'on appelle les gens du banc, parce qu'ils se tenaient le plus souvent sur un banc qui entourait la mosquée attenante à la maison de Mahomet. Il est cité parmi les plus célèbres traditionnaires, ou rapporteurs de paroles sorties de la bouche de Mahomet. Voyez M. Caussin de Perceval, Essai sur l'hist. des Arabes, t. III, p. 334, 335 ; et la vie de Mohammed, par Aboulféda, p. 95, 98 et 110. Cf. encore Nawawy, The Biographical Dictionary, édit. Wüstenfeld, p. 760. Le nom de ce personnage était Abd-Arrahmân, et il fut surnommé Abou-Horaïrah, parce qu'il possédait une petite chatte (horaïrah, diminutif de hirrah, chatte), qu'il portait ; Mahomet l'ayant vu dans cette posture, lui dit : « Tu es le père de la petite chatte. » Il devint célèbre sous ce sobriquet et aimait à être appelé ainsi. Il a rapporté d'après Mahomet cinq mille trois cent soixante-quatorze traditions. Il mourut à Médine l'année 57 (de J.-C. 676-677), à l'âge de soixante-dix huit ans. Manuscrit 292, folio 89 verso. M. Sémelet a mal à propos attribué au calife Omar le surnom d'Abou-Horaïrah.

[169] Les manuscrits D. et 292, les éditions T., E, B. portent rewân, « l'âme » (de la brebis).

[170] Cette irrégularité de tou « toi » et chouma « vous » dans la même phrase est à remarquer. Sadi, qui était lui-même un religieux, a probablement pour relever sa profession, fait tutoyer les rois par les dévots qui leur parlent, tandis qu'ici il met le pluriel dans la bouche d'un monarque parlant à un dévot.

[171] Litt. : Restera dans le miel, comme la mouche.

[172] Litt. : Changé de sa première forme.

[173] L'édition de Bombay donne ainsi cette phrase : Personne au monde ne chérit autant que moi, etc.

[174] La même édition a encore ici une variante : « afin que les autres hommes étudient les sciences. »

[175] Dans le second hémistiche de ce vers, Sadi joue sur le mot coûfteh, pris dans le double sens de « hachis » et de « brisé, fatigué. »

[176] Mahomet a dit : « Le savant l'emporte sur le dévot autant que je suis au-dessus du moindre d'entre vous. » Pend Nameh, p. 34.

[177] Citation empruntés au Coran, ch. XXV, verset 72.

[178] C'est-à-dire, humble comme la poussière.

[179] Litt. : de l'étrier.

[180] C'est-à-dire, qu'il est la cause de sa propre chute.

[181] Litt. : « une bouche ».

[182] Suivant Aboulfaradj, cité par Silvestre de Sacy (Notices et extraits des manuscrits, t. IX, p. 407), on appela ainsi une société de savants qui se forma à Bassora, vers la fin du quatrième siècle de l'hégire, et dont les membres, liés par une amitié très sincère, s'exhortaient mutuellement à la pratique d'une vie pure et irréprochable.

[183] Coran, chapitre XXXI, verset 14 ; voyez aussi le chapitre XXIX, verset 7.

[184] Le mot dabiky vient de Dabîk, nom d'une petite ville ou d'un bourg du territoire de Damiette, entre Farama et Tinnîs, où l'on fabriquait des robes tissues d'or, des turbans de lin de diverses Couleurs et une étoffe à fleurs d'or, spécialement nommée dabiky. Voyez M. Quatremère, Mémoires sur l'Egypte, I, 340 ; le Mérâssid, I, 390. Dans les Annales d'Aboulféda, (t. IV, p. 232), il est fait mention de cinq pièces des étoffes dites marsoûcy et dibaky. Au lieu de ce dernier mot, il faut lire dabiky.

[185] Litt. : « en armées. »

[186] Le kaba est une tunique ouverte entièrement par-devant, et que les Persans portent par-dessus la chemise. Elle descend jusqu'à mi-jambe. Chardin en a donné une description assez détaillée (t. IV, p. 148, 149), ainsi que Tavernier (Voyage de Perse, t. V, ch. XIV, t. I, p. 698, de l'édition de 1692.) Voyez aussi Reinhart Dozy, Dictionnaire: détaillé des noms des vêtements chez les Arabes, p. 360-362.

[187] On appelle ainsi une sorte de manteau court, ouvert sur le devant et dépourvu de manches. C'est l'habit caractéristique des bédouins à presque toutes les époques; il est aussi porté .par les derviches. Voyez un curieux article dans le savant ouvrage de M. Dozy, cité à la note précédente, p. 292, 297.

[188] Au lieu de ber, « sur, » le manuscrit 593 porte tchoûn, « comme. » En adoptant cette leçon, il faudrait traduire : « liées en forme de dôme, de globe. »

[189] L'édition de M. Sprenger (p. 105) ajoute ici un vers dont voici le sens : « Nous avons conquis le monde par notre courage et notre force, mais nous ne l'avons pas emporté avec nous dans le tombeau ».

[190] Sur ce personnage, si souvent cité par les poètes arabes et persans comme un incomparable modèle de libéralité, on trouve de longs et intéressants détails dans l'ouvrage de M. Caussin de Perceval, Essai sur l'histoire des Arabes, etc., t. II, p. 607 à 628, et p. 120, 121. — Dans son Bostân, Sadi a raconté plusieurs traits de générosité de Hâtim. Voyez ch. II, vers 271 et suivants.