Partie III
Œuvre numérisée par Marc Szwajcer
EN SYRIE, EN PALESTINE, EN EGYPTE, EN ARABIE ET EN PERSE,
PENDANT LES ANNÉES DE L'HÉGIRE 437 — 444 (1035 — 1042)
PUBLIÉ, TRADUIT ET ANNOTÉ
PAR
CHARLES SCHEFER
MEMBRE DE L'INSTITUT,
PREMIER SECRÉTAIRE INTERPRETE DU GOUVERNEMENT,
ADMINISTRATEUR DE L'ÉCOLE DES LANGUES ORIENTALES VIVANTES
PARIS
ERNEST LEROUX, ÉDITEUR
LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ ASIATIQUE
DE L’ECOLE DES LANGUES ORIENTALES VIVANTES, ETC.
28, RUE BONAPARTE, 28.
1881
Lorsqu'à l'époque de la crue, le Nil atteint la hauteur désirée, qui est celle de dix-huit guez au-dessus de son niveau pendant l'hiver, et qu'il conserve depuis le dix du mois de Chehriver jusqu'au vingt de Abaumâh de l'ancien calendrier, à ce moment, les digues qui ferment les canaux grands et petits, dans toute l'étendue de l'Egypte, sont encore intactes. Le sultan monte à cheval pour assister en personne à la rupture de la digue du Khalidj qui, ayant sa prise d'eau à Misr, passe par le Caire et fait partie du domaine du souverain.
Ce jour-là, on rompt dans toute l'Egypte les digues des canaux grands et petits et c'est pour les habitants la plus grande de leurs fêtes. On l'appelle la cavalcade de l'ouverture du Khalidj.[1]
Lorsque l'époque de cette cérémonie approche, on dresse pour le sultan, à la tête du canal, un très grand pavillon en satin de Roum, couvert de broderies d'or et semé de pierreries. Tous les meubles qui se trouvent dans l'intérieur sont recouverts de cette même étoffe. Cent cavaliers peuvent se tenir à l'ombre de ce pavillon ; il est précédé d'un passage formé par des étoffes de bouqalemoun, et à côté de lui se trouve une tente ouverte.
Avant la cérémonie, on bat, trois jours durant, dans les écuries du sultan, des timbales et de gros tambours et on sonne de la trompette, afin d'habituer les chevaux à ce grand bruit.
Lorsque le sultan monte à cheval, il y a dans son cortège dix mille chevaux avec des selles en or, des colliers et des têtières enrichis de pierres précieuses. Tous les tapis de selle sont en satin de Roum et en bouqalemoun qui, tissé exprès n'est, par conséquent, ni coupé ni cousu. Une inscription portant le nom du sultan d'Egypte court sur les bordures de ces tapis de selle.
Chaque cheval est couvert d'une cotte de mailles ou d'une' armure. Un casque est placé sur le pommeau de la selle, et d'autres armes sont fixées sur la selle elle-même.
On conduit aussi un grand nombre de chameaux portant des litières richement ornées, et des mulets dont les bâts sont incrustés de plaques d'or et de pierreries ; toutes les couvertures sont brodées en perles. Si je voulais décrire toutes les richesses déployées dans cette journée de l'ouverture du Khalidj, mon récit serait considérablement allongé.
Ce jour-là, toutes les troupes du sultan sont sur pied. Elles se disposent en compagnies et en détachements distincts. Chaque corps de troupes a un nom et une appellation particulière.
Le premier est celui des Ketamy, venus de Qaïrouan avec Mouizz lidin illah ; ils sont, m'a-t-on dit, au nombre de vingt mille cavaliers. Le second est celui des Bathily. Ce sont des gens du Maghreb fixés en Egypte avant l'arrivée de Mouizz lidin illah. Ils sont à cheval et leur nombre s'élève à quinze mille hommes. Le troisième est celui des Maçmoudy. Ils sont noirs, originaires du pays de Maymoud. Ils sont vingt mille, me fut-il assuré. Les Mechariqah ou Orientaux sont Turcs ou Persans. Ils ont reçu le nom d'Orientaux, parce qu'ils ne sont pas d'origine arabe, bien que la plupart d'entre eux soient nés en Egypte. Ils sont au nombre de dix mille et ils ont un aspect imposant. Il y a ensuite le corps des Abid ouch Chira, ou esclaves achetés à prix d'argent ; leur nombre est évalué à trente mille. Un autre corps est formé de Bédouins du Hedjaz. Ils sont cinquante mille cavaliers tous armés de lances. Les Oustad forment une troupe de trente mille hommes ; ce sont des esclaves noirs et blancs, achetés pour vaquer à différents services.
Les Seraiy (serviteurs attachés aux palais) sont des gens de pied, venus de tous pays. Ils ont un chef particulier chargé de leur entretien. Chacun d'eux combat avec les armes en usage dans sa patrie. On en compte dix mille. Les Zendjs (Nègres) combattent tous avec le sabre. Ils sont, dit-on, au nombre de trente mille.
Toutes ces troupes sont à la solde du sultan et chaque homme reçoit, selon son grade, des rations et une paye mensuelle. Jamais le fisc ne donne d'assignation, même pour un dinar, ni sur les fonctionnaires, ni sur les sujet », car les percepteurs versent d'année en année au fisc les sommes prélevées dans le pays, et le Trésor donne, à des époques déterminées, l'argent nécessaire pour leur solde, et leur entretien. Les fonctionnaires et les populations n'ont donc nullement à souffrir des exigences des soldats.
Il y avait aussi une troupe composée de fils des souverains et de princes des différents royaumes de la terre qui étaient venus en Egypte ; ils n'étaient point considérés comme faisant partie de l'armée. Ces princes étaient originaires du Maghreb, du Yémen, du pays de Koum, de celui des Slaves, de la Nubie et de l'Abyssinie. Il y avait parmi eux les fils du Khosrau de Dehly, dont la mère s'était fixée au Caire avec eux, ceux des princes de Géorgie, des émirs Deïlémites et les enfants du Kha-qan du Turkestan.
On voyait également figurer dans le cortège du sultan d'autres classes de personnages ; les gens de lettres, les savants, les poètes étaient fort nombreux et tous étaient pensionnés par le sultan.
Aucun des princes dont je viens de parler ne touchait moins de cinq cents dinars de pension ; quelques-uns recevaient deux mille dinars maghreby. Ils n'avaient d'autre devoir à remplir que celui de se rendre à l'audience du vizir et de le saluer, après quoi ils regagnaient leur domicile.
Je reviens au récit de la rupture de la digue du Khalidj.
Le matin du jour où le sultan se rend à cette cérémonie, on engage dix mille individus pour conduire par la bride les chevaux de main dont j'ai parlé plus haut. Ils s'avancent par groupes de cent hommes et ils sont précédés de gens qui sonnent du clairon, battent du tambour et font résonner de grandes trompettes ; une compagnie de soldats marche derrière eux. Ils conduisent ainsi jusqu'à la tête du canal les chevaux qu'ils vont prendre à la porte du palais et qu'ils ramènent avec le même appareil. Chacun de ces hommes reçoit trois dirhems. Après les chevaux viennent les chameaux chargés de palanquins et de litières ; ils sont suivis par les mulets bâtés ainsi que je l'ai expliqué plus haut.
A une grande distance en arrière des soldats et des chevaux s'avançait le sultan ; c'était un jeune homme d'une belle prestance et d'une figure agréable et dont l'origine remonte au prince des fidèles Hussein, fils d'Aly, fils d'Abou Thalib.[2] Il avait les cheveux rasés, et montait un mulet dont la selle et la bride étaient de la plus grande simplicité et n'avaient aucun ornement en or on en argent. Il était vêtu d'une robe blanche que recouvrait une tunique ample et longue, comme la mode l'exige dans les pays arabes. Cette tunique porte en persan le nom de Dourra'ah et la robe s'appelle Dibaqy. Le prix de ce vêtement est de dix mille dinars. Le sultan portait un turban formé d'une pièce d'étoffe blanche enroulée autour de la tête, et il tenait à la main une cravache d'un grand prix. Devant lui marchaient trois cents hommes du Déilem, tous à pied. Ils portaient un costume de brocart de Roum ; leur taille était serrée par une ceinture. Les manches de leurs robes étaient larges, à la mode égyptienne. Ils avaient à la main des demi-piques et des haches ; [3] leurs jambes étaient entourées de bandelettes.
Le porte-parasol du sultan se place auprès de lui ; il a sur la tête un turban d'une étoffe d'or enrichie de pierreries ; son costume représente la valeur de dix mille dinars maghreby. Le parasol qu'il porte est d'une grande magnificence et couvert de pierres précieuses et de perles. Cet officier est le seul qui soit à cheval à côté du sultan que précèdent les Deïlémites.
A droite et à gauche, des eunuques portent des cassolettes dans lesquelles ils font brûler de l'ambre et de l'aloès. L'étiquette exige qu'à l'approche du sultan le peuple se prosterne la face contre terre, et appelle sur lui les bénédictions divines.
Le Vizir, le Qadhi oul Qoudhat et une troupe nombreuse de docteurs et de hauts fonctionnaires suivent le sultan. Ce prince se rend ainsi à la tête du Khalidj, c'est-à-dire à la prise d'eau du canal et il reste à cheval, sous le pavillon qui y est dressé, pendant l'espace d'une heure. Puis, on lui remet une demi-pique pour qu'il la lance contre la digue. Les gens du peuple se précipitent aussitôt et attaquent la digue avec des pioches, des hoyaux et des pelles, jusqu'à ce qu'elle cède sous la pression exercée par l'eau qui fait alors irruption dans le canal.[4]
Toute la population de Misr et du Caire accourt pour jouir de ce spectacle et elle se livre à toutes sortes de divertissements. La première barque, lancée dans le canal, est remplie de sourds-muets appelés en persan Koung ou Lal. On leur attribue une heureuse influence et le sultan leur fait distribuer des aumônes.
Le sultan possède vingt et un bateaux qui sont remisés dans un bassin creusé non loin du palais. Ce bassin a deux ou trois meïdan de superficie. Tous les bateaux ont cinquante guez de long sur vingt de large et sont richement décorés en or, en argent et en pierres précieuses ; les tentures sont en satin. Il faudrait, pour en faire la description, écrire un grand nombre de pages. La plupart du temps, ces bateaux sont placés dans le bassin l'un à côté de l'autre, comme des mulets dans une écurie.
Le sultan possède, à deux fersengs de la ville, un jardin appelé Aïn ech Chems (la source du Soleil) et qui doit son nom à une source d'une eau excellente. Ce jardin a été, dit-on, celui de Pharaon : non loin de là je remarquai un édifice avec quatre grandes pierres droites s'élevant comme des minarets, et dont la hauteur était de trente guez. Des gouttes d'eau suintaient de leur sommet et personne ne pouvait donner la raison de ce fait.[5]
C'est dans ce jardin que croît l'arbre qui produit le baume. Les ancêtres du sultan en ont apporté la graine du Maghreb et l'ont semée en ce lieu. On ne trouve cet arbre dans aucun autre pays du monde et on ne le signale même pas dans le Maghreb. Dans quelque endroit que l'on en sème les graines, elles ne lèvent pas et si elles donnaient naissance à un arbre, il ne produirait point d'huile. Le baumier ressemble au myrte ; lorsqu'il a atteint toute sa croissance, on fait aux branches des incisions avec un instrument tranchant et on attache au-dessous d'elles des bouteilles pour recueillir la matière grasse qui s'en échappe et qui ressemble à de la gomme. Lorsqu'elle a complètement coulé, l'arbre se dessèche. Les jardiniers en portent le bois à la ville et le vendent ; l'écorce en est épaisse : on l'enlève et on la mange ; elle a le goût de l'amande. L'année suivante, des rejetons sortent des racines et l'on pratique sur eux la même opération.[6]
La ville du Caire est divisée en dix quartiers que l'on appelle Harèh.
Voici leurs noms Haret Berdjouan[7] (le quartier de Berdjouan), Haret Zoneilèh,[8] Haret el Djouderyèh,[9] Haret oul Oumera,[10] Haret ed Dialimèh,[11] Haret er Roum,[12] Haret el Bathilyèh,[13] Qaçr ech Chauk,[14] Abid ech Chira, Haret el Meçamidèh.[15]
La ville de Misr est bâtie sur un terrain élevé ; une chaîné de montagnes peu hautes se trouve du côté de l'est ; ce sont plutôt des collines formées de pierres. La mosquée de Touloun est bâtie sur une éminence, à la lisière de la ville. Elle est entourée de deux murailles extrêmement solides ; je n'en ai vu de plus belles qu'à Amid et à Meïafarékïn. Cette mosquée a été construite par un émir qui a gouverné l'Egypte au nom des khalifes Abbassides.[16] Sous le règne de Hakim bi amr illah, aïeul du sultan actuel, les descendants de l'émir Touloun se présentèrent devant ce prince et lui vendirent cette mosquée pour la somme de trente mille dinars ; puis, au bout de quelque temps, ils entreprirent la démolition du minaret. Hakim leur envoya dire : « Vous m'avez vendu la mosquée, comment se fait-il que vous la démolissiez ? » « Nous n'avons point vendu le minaret », répondirent-ils. Hakim leur fit payer, pour le racheter, une somme de cinq mille dinars. Pendant le mois de Ramazan, le sultan fait, les vendredis, la prière publique dans cette mosquée.
Pour mettre la ville de Misr à l'abri des eaux du Nil, on l'a bâtie sur une éminence qui était autrefois couverte de grands et gros blocs de pierre. On les a brisés pour égaliser le sol, et les endroits nivelés portent aujourd'hui le nom d'Aqabah (montée, passage entre deux rochers).
Lorsqu'on regarde de loin la ville de Misr, on croit voir une montagne. Il y a des maisons qui ont quatorze étages, d'autres qui en ont sept. J'ai entendu dire, à une personne qui mérite toute confiance, qu'un particulier avait fait un jardin sur la terrasse d'une maison à sept étages. Il y avait fait monter un veau que l'on y avait nourri jusqu'à ce qu'il fût devenu un bœuf. Il avait établi une roue hydraulique qui, mise en mouvement par ce bœuf, élevait l'eau sur la terrasse où il avait planté des orangers à fruits sucrés et amers, des bananiers et d'autres arbres fruitiers. Il y avait également semé des fleurs et des plantes odoriférantes de toutes sortes. Un négociant notable m'a assuré qu'il y a, à Misr, un grand nombre de maisons ou l'on trouve des chambres à louer. La superficie de ces maisons est de trente ârech carrés, et chacune d'elles peut contenir trois cent cinquante personnes. Certains marchés et certaines rues sont constamment éclairés par des lampes ; ils servent de passage et, comme ils sont couverts, ils ne reçoivent pas la lumière du ciel.
Misr possède sept grandes mosquées, sans compter celles qui sont au Caire : leur nombre s'élève à quinze pour ces deux villes. Tous les vendredis, on y récite la khouthbèh et on y fait la prière.
Au milieu du bazar (de Misr) s'élève une mosquée qui porte le nom de Bab oul Djewaïni'[17] ; elle a été construite par 'Amr, fils de 'Ass, lorsqu'il était gouverneur d'Egypte au nom de Moawièh. Cet édifice est soutenu par quatre cents colonnes de marbre. La muraille où se trouve le mihrab est entièrement recouverte de plaques de martre blanc sur lesquelles on a gravé, en caractères élégants, le texte entier du Coran. En dehors de la mosquée et sur ses quatre faces, s'étendent les bazars sur lesquels s'ouvrent les portes de la mosquée. Dans la cour de cette dernière se tiennent continuellement des professeurs et des lecteurs du Coran ; c'est le lieu de réunion des habitants de cette grande ville, et l'on n'y voit jamais moins de cinq mille personnes réunies, étudiants, étrangers, écrivains publics qui rédigent des lettres de change, des contrats et autres actes.
Hakim a également acheté cette mosquée aux descendants de 'Amr, fils de 'Ass. Ceux-ci s'étaient présentés devant lui et lui avaient dit : « Nous sommes pauvres et ruinés ; cette mosquée a été bâtie par notre ancêtre ; si le sultan nous y autorise, nous la démolirons et nous en vendrons les pierres et les briques. » Hakim leur fit donner cent mille dinars, et il prit toute la population de Misr à témoin de l'achat qu'il venait de faire. Dans la suite, il fit ajouter à la mosquée un grand nombre de belles constructions. Il fit faire également une lampe en argent à seize pans dont chacun avait un ârech et demi de largeur ; la circonférence était donc de vingt-quatre ârech. Dans les nuits saintes, on y allumait plus de sept cents luminaires. Le poids de cette grande lampe était de vingt-cinq qanthars d'argent ; chaque qanthar vaut cent rathls, et chaque rathl cent quarante-quatre dirhems d'argent. Lorsque la lampe fut achevée, on ne put, à cause de sa grandeur, la faire passer par aucune des entrées de la mosquée. Pour l'introduire dans l'intérieur, on fut obligé de démolir une des portes qui fut ensuite rétablie.[18] Il y a toujours, étendues sur le sol de la mosquée, dix nattes à dessins de couleurs superposées l'une sur l'autre. Toutes les nuits, il y a plus de cent lampes allumées.
Le tribunal du Qadhi oul Qoudhat se trouve dans cette mosquée.[19] Du côté du nord, s'étend un marché qui porte le nom de Souq el Qanadil (le marché des Lampes).[20] On n'en connaît pas de pareil dans aucun autre pays, et on y trouve des objets rares et précieux apportés de toutes les parties du monde. J'y ai vu'des ouvrages en écaille tels que coffrets, peignes, manches de couteau etc. J'y ai remarqué aussi du cristal de roche de toute beauté et artistement travaillé par des ouvriers pleins de goût. Il avait été apporté du Maghreb, mais on disait que récemment, on en avait reçu de la mer de Qoulzoum, d'une qualité plus belle et plus transparente que celui du Maghreb. J'ai vu des défenses d'éléphant provenant de Zengbar et, parmi elles, il y en avait qui pesaient plus de deux cents men. On avait également apporté d'Abyssinie une peau de bœuf qui ressemble à celle du léopard et dont on fait des pantoufles.[21] De ce même pays provenait un oiseau domestique de très grande taille ; son plumage est tacheté de points blancs et il a sur la tête une aigrette pareille à celle du paon.
L'Egypte produit en abondance du miel et du sucre Le troisième jour de Deimàh de l'ancien style, en l'année persane 416 (18 décembre 1048) je vis en un seul et même jour, les fruits et les plantes dont je vais citer les noms : roses rouges, nénuphars, narcisses, oranges amères, oranges douces, citrons, pommes, jasmins, melons, destenbouïèh, bananes, olives, myrobolans frais, dattes fraîches, raisin, cannes à sucre, aubergines, courges, raves, navets, céleris, fèves fraîches, concombres, badrengs, oignons frais, aulx, carottes, et betteraves.[22] Quand on se demandera comment on peut trouver réunis des fruits et des plantes dont les uns viennent en automne, les autres au printemps, en été et en hiver, on ne voudra pas admettre une pareille assertion. En rapportant ce fait, je n'ai l'idée de tromper personne et je n'écris que ce que j'ai vu. Quant à ce que j'insère dans ma relation d'après ce que l'on me raconte, je n'en accepte pas la responsabilité. L'Egypte, en effet, est une contrée d'une vaste étendue qui produit les fruits des pays froids et ceux des pays chauds. On apporte dans la capitale les produits de toutes les provinces, et on en vend la plus grande partie dans les marchés.
On fabrique à Misr de la faïence de toute espèce ; elle est si fine et si diaphane que l'on voit à travers les parois d'un vase, la main appliquée à l'extérieur. On fait des bols, des tasses, des assiettes et autres ustensiles. On les décore avec des couleurs qui sont analogues à celles de l'étoffe appelée bouqalemoun ; les nuances changent selon la position que l'on donne au vase.[23] On fabrique aussi un verre transparent et d'une grande pureté qui ressemble à l'émeraude ; on le vend au poids. J'ai entendu dire à un marchand mercier, qui méritait toute confiance, que le poids d'un dirhem de cordon coûtait trois dinars maghreby (trois dinars maghreby valent trois dinars et demi de Nichapour). Je m'informai, à Nichapour, du prix du meilleur cordon que l'on pût trouver, et on me répondit que le prix de la plus belle qualité était de cinq dirhems.
La ville de Misr s'étend en longueur sur le bord du Nil. Il y a, sur la rive du fleuve, un grand nombre de kiosques et de pavillons de plaisance d'où l'on peut, à l'aide d'une corde, puiser de l'eau dans le Nil qui fournit toute celle que l'on emploie dans la ville. Elle est transportée par des saqqas dans des outres, soit à dos de chameaux, soit sur leurs épaules.
J'ai vu des vases en cuivre de Damas contenant chacun trente men d'eau ; ils ont un éclat si brillant qu'on les prendrait pour de l'or. On m'a raconté qu'une femme possède cinq mille de ces vases et qu'elle en loue journellement, chacun à raison d'un dirhem par mois. Quand ils lui sont rendus, il faut qu'ils soient en bon état.
En face de Misr, au milieu du fleuve, et du côté de l'occident, est une île sur laquelle on avait autrefois bâti une ville.[24] On y voit une mosquée où l'on fait la prière du vendredi, et des jardins. C'est un rocher s'élevant au milieu du Nil qui se divise là en deux branches dont chacune, d'après mon estimation, a la largeur du Djihoun ; mais le courant est ici beaucoup plus tranquille et plus lent. Misr est reliée à cette île par un pont formé de trente-six bateaux. Une partie de la ville est située sur la rive opposée du fleuve : elle porte le nom de Djizèh ; on y voit une mosquée où l'on fait la prière du vendredi, mais il n'y a pas de pont, et on passe le Nil, soit en bateau, soit à l'aide d'un bac.[25] Il y a plus de barques à Misr qu'à Bagdad ou à Baçrah.
Les marchands vendent à prix fixe ; si l'un d'eux trompe un acheteur, on le fait monter sur un chameau, on lui met à la main une clochette qu'il agite, tandis qu'on le promène par la ville, et il crie à haute voix : « J'ai trompé et je suis puni ! que le même châtiment atteigne tous ceux qui mentiront ! »
Dans le bazar, les baqqals, les droguistes et les quincailliers fournissent eux-mêmes les verres, les vases en faïence et le papier qui doivent contenir ou envelopper ce qu'ils vendent. Il n'est donc pas nécessaire que l'acheteur se préoccupe de ce qui doit contenir ce qu'il achète.
On extrait des graines de la rave et de la navette une huile à brûler qui porte le nom de zeït harr (huile chaude). Le sésame est peu abondant en Egypte et l'huile en est chère ; l'huile d'olive se donne à bon marché.[26] Les pistaches sont d'un prix plus élevé que les amandes ; dix men d'amandes dépouillées de leur écorce ne valent pas plus d'un dinar.
Les négociants et les marchands se rendent de leurs maisons au bazar, et du bazar à leurs maisons, montés sur des ânes sellés. On trouve, à l'entrée de chaque rue et de chaque marché, des ânes avec de jolies selles. On peut les monter à volonté pour une faible rétribution. Il y en a, dit-on, cinquante mille qui, tous les jours, peuvent être loués par le public. Les militaires et les gens attachés à l'armée sont les seuls qui aillent à cheval. Les marchands, les paysans, les artisans et les gens de plume vont à âne. J'ai vu un grand nombre d'ânes pie comme les chevaux, mais ils étaient beaucoup plus agréables que ces derniers.
A l'époque où je me trouvais à Misr, les habitants jouissaient d'une très grande aisance. En l'année 439 (1047), le sultan eut un fils et il donna l'ordre de faire des réjouissances publiques pour célébrer cet heureux événement. On décora la ville et les bazars. Si je faisais la description de ces fêtes, bien des personnes ne voudraient point ajouter foi à mon récit et me taxeraient d'inexactitude. Les boutiques des merciers, celles des changeurs et autres marchands étaient tellement remplies d'or, de bijoux, de monnaies, de marchandises, d'étoffes de brocard et de qaçab que l'on n'y pouvait trouver place pour s'asseoir.
Tout le monde avait la plus grande confiance dans le sultan et personne ne redoutait ni les espions ni les délateurs. On était assuré que le prince ne se livrerait à aucun acte de violence envers qui que ce soit, et qu'il ne convoiterait jamais le bien de personne.
J'ai vu, à Misr, des richesses si considérables que si je tentais de les énumérer et de les décrire, on n'accorderait, en Perse, aucune créance à mes paroles. Il m'a été impossible d'en faire le dénombrement et l'estimation.
Je n'ai connu aucun pays jouissant de plus de tranquillité et de sécurité que l'Egypte. J'ai vu un chrétien qui était une des personnes les plus riches de Misr. On ne pouvait dire le nombre des barques qui lui appartenaient, ni estimer ses biens et la valeur de ses propriétés. Le vizir du sultan le fit appeler et lui dit : « L'année n'est pas bonne et les souffrances du peuple font peser un poids sur le cœur du sultan. Quelle quantité de blé peux-tu fournir, soit en le vendant, soit en le donnant à titre de prêt ? » Le chrétien répondit : « Grâce à l'heureuse fortune du sultan et du vizir, j'ai sous la main du blé en telle quantité que je puis fournir du pain à Misr pendant six ans. » Cette ville avait, à cette époque, une population cinq fois plus considérable que celle de Nichapour, en la portant au plus haut. Celui qui est habile dans la science des évaluations arithmétiques peut se rendre compte de la fortune d'une personne qui possède une telle quantité de blé. De quelle sécurité jouissait le peuple ! Quel esprit de justice devait animer le souverain, pour qu'en de tels temps on pût voir de pareilles situations et de semblables fortunes ! En effet, le prince ne se rendait coupable d'aucun acte d'injustice et de tyrannie, et ses sujets ne cachaient et ne dissimulaient rien de ce qu'ils possédaient.
Je vis à Misr un caravansérail appelé Dar el Vézir dans lequel étaient établis des marchands de qaçab : au rez-de-chaussée se trouvaient des tailleurs et à l'étage supérieur des ravaudeurs. Je demandai au régisseur à quel chiffre s'élevait le revenu des locations de ce caravansérail. Il me répondit qu'il rapportait chaque année vingt mille dinars maghreby, mais qu'actuellement une partie en était tombée en ruines et qu'on la reconstruisait ; que, cependant, on percevait encore mille dinars par mois, soit douze mille dinars par an. On m'assura qu'il y avait dans la ville deux cents caravansérails, les uns plus grands, les autres aussi grands que celui-ci dont je viens de parler.
Le sultan offre, selon l'usage établi, deux festins par an, à l'époque des deux fêtes. Il invite les hauts fonctionnaires et le peuple. Les repas, auxquels il convie les personnes de la cour, ont lieu en sa présence ; ceux qu'il donne aux gens du peuple sont servis dans de grands édifices publics ou dans d'autres lieux.
J'avais beaucoup entendu parler de la salle de ces repas d'étiquette[27] ; je désirai donc la voir.
J'avais fait la connaissance d'un des secrétaires du sultan et je m'étais lié d'amitié avec lui. Il vint me faire visite et je lui dis : « J'ai vu la cour de quelques-uns des princes étrangers, telle que celle du sultan Mahmoud de Ghaznèh et celle de son fils, le sultan Massoud. Je voudrais voir aujourd'hui la manière dont reçoit le prince des croyants. » Il fit part de mon désir à un huissier que l'on appelle ici Sahib es sitr (maître de la portière).
Le dernier jour du mois de Ramazan de l'année 440 (7 mars 1049) on avait disposé la salle dans laquelle, le lendemain jour de la fête, devait se rendre le sultan, pour assister au festin après avoir fait la prière. Je franchis la porte du palais et je vis une suite de bâtiments, de terrasses et de salles, dont la description, si je tentais de la faire, grossirait mon ouvrage.
Il y avait douze pavillons contigus les uns aux autres et tous de forme carrée. Quand on entrait dans l'un, on le trouvait plus beau que celui que l'on venait de quitter. Chacun d'eux avait une superficie de cent ârech carrés, à l'exception d'un seul qui n'en avait que soixante. Dans ce dernier était dressé un trône occupant toute la largeur de la salle ; il avait quatre guez de haut et autant de large. Trois de ses faces étaient en or et on y avait représenté des scènes de chasse, des cavaliers faisant courir des chevaux et d'autres sujets ; on y remarquait également des inscriptions tracées en très beaux caractères. Les tapis et les tentures de cette salle étaient en satin de Grèce et en bouqalemoun tissés expressément sur la mesure de la place où ils devaient être posés. Une balustrade en treillage d'or entourait le trône dont la beauté défie toute description. Derrière le trône, du côté du mur, étaient posés des degrés en argent. Ce trône était si merveilleux qu'un volume tout entier ne suffirait pas à le décrire dans tous les détails. Cinquante mille men de sucre sont assignés, me fut-il dit, pour la décoration de la table du sultan. J'y vis un arbre ressemblant à un oranger dont les branches, les feuilles et les fruits étaient en sucre ; on y avait disposé mille statuettes et figurines également en sucre.[28]
Les cuisines particulières du sultan se trouvent en dehors du palais ; cinquante serviteurs y sont constamment employés. Un passage souterrain conduit du palais aux cuisines. Il est de règle de livrer, tous les jours, à l'office du sultan quatorze charges de chameau de neige. La plupart des grands officiers et des dignitaires en reçoivent des rations déterminées. On en donne aussi aux personnes de la ville qui en réclament pour le soulagement des malades. On distribue également au palais des sirops et des potions à ceux qui en ont besoin et qui en sollicitent le don. Il en est de même pour les onguents tels que l'huile de baume etc. On ne les refuse jamais à qui en a besoin et en fait la demande.
La sécurité et le calme sont si grands à Misr que les merciers, les changeurs et les bijoutiers ne ferment pas les portes de leurs boutiques. Ils se contentent d'étendre devant elles un filet et personne n'a l'audace de dérober quoi que ce soit.
Il y avait un joaillier juif qui approchait la personne du souverain ; il était fort riche, et on avait en lui la plus entière confiance pour l'achat des pierreries. Un jour, des soldats du sultan fondirent sur lui et le massacrèrent.[29] Ce meurtre commis, ils redoutèrent la colère du prince. Ils montèrent à cheval, se réunirent au nombre de vingt mille sur la place du Meïdan et gagnèrent la plaine. Cette démonstration remplit de terreur la population de la capitale. Les soldats restèrent à cheval jusqu'au milieu du jour. Un eunuque du sultan sortit du palais et, se tenant sur la porte, leur cria : « Le sultan vous demande si vous lui obéissez, oui ou non ? » Ils répondirent tout d'une voix : « Nous sommes des esclaves soumis, mais nous avons commis un crime ! »
L'eunuque du sultan leur dit alors : « Le sultan vous donne l'ordre de vous retirer. » Ils partirent aussitôt.
Ce juif qui avait été tué portait le nom d'Abou Sayd. Il avait un fils et un frère et ses richesses étaient si considérables que Dieu seul pouvait les connaître. On rapporte qu'il y avait, sur la terrasse de sa maison, trois cents vases en argent dans chacun desquels était planté un arbre. Le grand nombre de ces arbres, tous chargés de fruits, donnait à cette terrasse l'apparence d'un jardin.
Le frère d'Abou Sayd[30] écrivit une lettre qu'il fit parvenir au sultan et dans laquelle, à cause de la frayeur qu'il éprouvait, il proposait de verser immédiatement au trésor la somme de deux cent mille dinars maghreby. Le sultan renvoya cette lettre et la fit déchirer en public, puis il fit dire au frère d'Abou Sayd : « Soyez sans inquiétude et retournez chez vous, car personne n'a rien à démêler avec vous, et moi je n'ai besoin de l'argent de qui que ce soit. » Il donna des lettres de sûreté au frère et au fils d'Abou Sayd.
Dans toutes les villes et dans tous les villages, depuis la Syrie jusqu'au Qaïrouan où je suis allé, des intendants nommés par le sultan payent les dépenses des mosquées pour l'huile, les nattes fines et grossières, les tapis de prières, les salaires et les gages des sacristains, des gens chargés de l'entretien des tapis, des muezzins et autres employés.
Une année, le gouverneur de la Syrie écrivit que l'huile était peu abondante. Si nous en recevons l'ordre, mandait-il, nous fournirons aux mosquées du zeït harr. C'est le nom de l'huile que l'on fabrique avec les graines des raves et des navets. On lui répondit : « Tu dois exécuter les ordres et non pas les donner. Il n'est pas permis d'apporter la moindre modification ni le moindre changement à tout ce qui a trait à la maison de Dieu. »
Le Qadhi oul Qoudhat reçoit, tous les mois, un traitement de deux mille dinars maghreby. Chaque qadi est payé en proportion, selon le rang qu'il occupe, afin qu'il ne soit point tenté de s'emparer du bien des particuliers, et que ces derniers n'aient point à souffrir d'injustices de sa part.
Il est de règle de lire, le quinze du mois de Redjeb, dans les mosquées de l'Egypte, un rescrit du sultan conçu en ces termes : « O communauté des Musulmans ! l'époque du pèlerinage est proche ; la caravane du sultan sera organisée selon l'usage ; elle aura les soldats, les chevaux, les chameaux et les vivres indispensables. » On fait la même proclamation pendant le mois de Ramazan, et on commence à sortir de la ville le premier jour du mois de Zil Qa'adèh. On campe dans un endroit désigné d'avance et on se met en marche au milieu du mois de Zil Qa'adèh.[31] La dépense journalière pour les soldats et pour les fourrages est de mille dinars maghreby, sans compter les vingt dinars qui forment la paye de chaque soldat. On met vingt-cinq jours pour arriver à la Mekke où l'on séjourne pendant dix jours ; on en met également vingt-cinq pour revenir. On dépense pour les vivres, pendant ces deux mois, soixante mille dinars, sans compter les frais imprévus, les gratifications, la solde de la troupe et le prix des chameaux qui sont mis hors de service.[32]
En l’année 439 (1047), on lut en public un ordre revêtu du sceau du sultan et dont voici la teneur : « Le prince des croyants dit qu'il est inutile que le pèlerinage soit accompli cette année ; la disette et la famine règnent présentement dans le Hedjaz, et un grand nombre d'hommes ont péri. Je donne cet avis par sollicitude pour les musulmans. » Les pèlerins restèrent donc en Egypte.[33]
Le sultan fit partir, comme d'habitude, le voile de la Ka'abah qu'il envoie deux fois par an à la Mekke. Il fut expédié, cette année-là, par la voie de Qoulzoum, et j'accompagnai ceux qui étaient chargés de le porter. Je quittai Misr le premier du mois de Zil Qa'adèh (18 avril 1048) ; le huit nous arrivâmes à Qoulzoum. Notre navire mit à la voile et, après quinze jours de traversée, nous abordâmes à la ville de Djar, le vingt-deuxième jour du mois de Zil Qa'adèh. Nous atteignîmes Médine après quatre jours de marche.
Médine est une ville située sur la lisière d'une plaine ; le sol est humide et imprégné de sel ; il y a des cours d'eau, mais ils sont peu considérables. La ville est entourée de plantations de dattiers et la qiblèh est orientée du côté du sud. La mosquée du Prophète est aussi grande que le Mesdjid el Haram. L'enclos ou se trouve le tombeau de Mohammed est placé à côté du minber. Lorsqu'on a la face tournée dans la direction de la qiblèh, on a le tombeau à gauche, et quand le khatib, du haut du minber, prononce le nom du Prophète (sur qui soit le salut !) et appelle sur lui les bénédictions divines, il se tourne à droite et il désigne du geste le tombeau.
La mosquée a la forme d'un pentagone ; l'espace entre les piliers, qui sont au nombre de cinq, est rempli par des murs. A l'extrémité de cet édifice, se trouve une espèce d'enclos qui renferme le tombeau, et que l'on a entouré d'une grille, afin que personne ne puisse en approcher. On a tendu un filet au-dessus de la partie qui n'est point couverte (par un toit), afin d'empêcher les oiseaux d'y pénétrer. Entre le tombeau et le minber est un espace semblable à une cour ; il se trouve en contrebas et est dallé en marbre. On l'appelle Raudhah et on prétend que c'est un des jardins du paradis, car le Prophète a dit : « Entre mon tombeau et mon minber se trouve un jardin qui est un des jardins du paradis. » Les chiites prétendent que Fathimèh la pure (que le salut soit sur elle !) est aussi enterrée en cet endroit.[34]
La mosquée a une seule porte. Au sud de la ville, s'étend une plaine où se trouve un cimetière qui renferme-le tombeau du prince des croyants Hamzah, fils d'Abdoul Mouthallib ; ce cimetière porte le nom de Qoubour ech Chouheda (les tombeaux des Confesseurs de la foi).
Nous restâmes deux jours à Médine, puis, comme nous avions peu de temps devant nous, nous nous remîmes en chemin.
La route se dirigeait vers l'Orient. A deux stations de Médine, nous rencontrâmes des montagnes et une vallée étroite semblable à un défilé ; elle portait le nom de Djouhfèh. C'est là qu'est le Miqat des pèlerins du Maghreb, de la Syrie et de l'Egypte ; on donne le nom de Miqat aux lieux où l'on revêt l'ihram pour faire le pèlerinage. On dit qu'une année, une multitude de pèlerins y était campée ; un torrent faisant tout à coup irruption les fit tous périr. C'est il cette circonstance que ce lieu doit son nom de Djouhfèh.[35]
La Mekke est à cent fersengs de Médine ; on marche constamment sur un terrain rocailleux. Nous franchîmes cette distance en huit jours. Le dimanche six du mois de Zil Hidjèh (24 mai), nous arrivâmes à la Mekke et nous logeâmes près de Bab es Safa. La famine désolait la ville ; quatre men de pain coûtaient un dinar de Nichapour. Les Moudjavir émigraient, et d'aucun pays, il n'était venu de pèlerins.
Le mercredi, nous nous acquittâmes à l'Arafat, avec l'assistance de Dieu, des cérémonies prescrites pour le pèlerinage ; puis, nous séjournâmes pendant deux jours à la Mekke. La disette et la misère forçaient un grand nombre de gens de s'enfuir de tous côtés, loin du Hedjaz. Je ne parlerai point maintenant, en détail, des cérémonies du pèlerinage ; je ne ferai point ici la description de la Mekke ; mais je la donnerai plus loin, lorsque je rendrai compte de mon dernier voyage, car, à cette époque-là, je séjournai dans cette ville pendant six mois, en qualité de Moudjavir.
Nous reprîmes le chemin de l'Egypte, et après soixante-quinze jours de voyage nous arrivâmes à Misr. Trente-cinq mille personnes s'étaient, cette année-là, réfugiées du Hedjaz en Egypte. Le sultan leur fit distribuer des vêtements et des subsides pendant toute l'année, car tous étaient arrivés nus et affamés. Plus tard, la pluie étant tombée, les vivres devinrent abondants dans le Hedjaz ; le sultan fit, alors, donner à chacun des réfugiés, des habits et de l'argent et il les renvoya dans leur patrie.
Au mois de redjeb de l'an 440 (décembre 1048), on lut une seconde fois au peuple un rescrit du sultan rédigé en ces termes : « La famine désole le Hedjaz et il est inutile que les pèlerins fassent le voyage ; qu'ils s'en dispensent et qu'ils se conforment aux commandements de Dieu. » Le pèlerinage n'eut donc pas lieu cette année-là, mais le sultan ne manqua pas de faire partir ce qu'il était de son devoir d'envoyer, le voile de la Ka'abah, les pensions des serviteurs et des employés du temple, ainsi que celles des émirs de la Mekke et de Médine. Le traitement et la gratification du gouverneur de la Mekke s'élèvent à la somme de trois mille dinars par mois. Ces pensions, ainsi que des chevaux et des vêtements d'honneur, lui sont envoyées deux fois par an.
Un personnage appelé le Qadhi Abdoullah qui avait autrefois exercé les fonctions de juge à Damas, fut chargé de remettre ces pensions et de porter le voile de la Ka'abah. Je l'accompagnai et nous prîmes la route de Qoulzoum. Cette fois, notre navire aborda à Djar le dernier jour du mois de Zil Qa'adèh (6 mai). Le moment du pèlerinage était fort rapproché et le temps nous pressait. Un chameau se louait cinq dinars. Je fis donc le voyage avec la plus grande hâte. J'arrivai à la Mekke le huit du mois de Zil Hidjèh (15 mai) et je m'acquittai, avec l'aide de Dieu, des cérémonies prescrites. Une très nombreuse caravane de pèlerins était venue du Maghreb ; les Arabes exigèrent d'eux injustement, cette année-là, aux portes de la noble ville de Médine, un droit de passage à leur retour de la Mekke. Il s'ensuivit un combat dans lequel plus de deux mille Maghrébins perdirent la vie, et beaucoup d'autres ne revirent pas leur patrie.
Dans ce même pèlerinage, une compagnie de gens du Khorassan venue par la voie de la Syrie et de l'Egypte, avait traversé la mer pour se rendre à Médine. Le six du mois de Zil Hidjèh, il leur restait encore cent quatre fersengs à franchir pour arriver à l'Arafat. Ils dirent : « Nous donnerons chacun quarante dinars à ceux qui, dans les trois jours que nous avons devant nous, nous feront arriver à la Mekke de façon à pouvoir nous acquitter du pèlerinage. » Des bédouins se présentèrent à eux et réussirent à les mener à l'Arafat en deux jours et demi. Ils avaient reçu l'argent d'avance ; ils avaient attaché chacun de ces pèlerins sur des dromadaires de course et ils les avaient ainsi fait partir de Médine et arriver jusqu'à l'Arafat. Deux d'entre eux avaient expiré en route, et étaient restés attachés sur les dromadaires ; les quatre autres vivaient encore, mais ils n'avaient plus qu'un souffle de vie. Nous assistâmes à leur arrivée au moment de la prière de l'après-midi ; ils étaient dans un tel état qu'ils ne pouvaient ni se tenir debout, ni proférer une parole. Ils nous racontèrent qu'ils avaient, à maintes reprises, dit à ces Bédouins : « Nous vous abandonnons la somme en or que nous vous avons donnée ; laissez-nous, car nous sommes à bout de forces. Ils ne nous écoutèrent pas, ajoutaient-ils, et ils continuèrent à presser le pas de leurs montures. » Bref, ces quatre individus purent s'acquitter du pèlerinage et s'en retourner par la voie de la Syrie.
Après avoir accompli mon pèlerinage, je revins à Misr, car j'y avais mes livres et je n'avais pas l'intention de retourner à la Mekke.
L'émir de la Mekke se rendit cette année-là à Misr, car il avait à réclamer du sultan une somme qu'on lui payait tous les ans en sa qualité de descendant de Hussein, fils d'Aly.[36] Je fis la traversée jusqu'à Qoulzoum sur le même-navire que lui, et nous voyageâmes ensuite ensemble jusqu'à Misr.
En 441 (1049), année pendant laquelle je me trouvais à Misr, on y reçut la nouvelle que le gouverneur d'Haleb s'était révolté. Il était le vassal du sultan et son père avait gouverné cette ville. Le sultan envoya, pour le combattre, un eunuque qui portait le titre d'Oumdet oud Daoulèh. Cet eunuque, qui était le chef des Mouthalib, possédait de grands biens et une immense fortune.[37] On appelle Mouthalib les gens qui se livrent, dans les montagnes, à la recherche des trésors et des dépôts qui y sont enfouis.[38] Il en vient de tout le Maghreb, de la Syrie et des provinces de l'Egypte ; ils supportent de grandes fatigues et dépensent beaucoup d'argent pour leurs recherches dans les montagnes, dans les rochers et les carrières. Beaucoup d'entre eux trouvent des richesses enfouies, mais d'autres dissipent de grosses sommes sans rien découvrir. On dit que les trésors de Pharaon sont cachés dans ces lieux. Lorsque l'on en met un au jour, on en abandonne le cinquième au sultan et on garde le reste. Le sultan fit donc marcher contre Haleb cet eunuque ; il lui conféra un rang très élevé et lui donna des tentes, des pavillons et tout ce qui constitue les attributs de la grandeur. Lorsqu'il arriva près d'Haleb, il fut tué dans un combat. Ses richesses étaient si considérables qu'il fallut deux mois pour les transporter de son trésor dans celui du sultan. Il possédait trois cents filles esclaves dont le plus grand nombre étaient d'une rare beauté ; quelques-unes avaient partagé sa couche. Le sultan donna l'ordre de leur rendre la liberté, et il autorisa toutes celles qui le désirèrent à choisir un époux. Celles qui ne voulurent point se marier conservèrent tout ce qu'elles possédaient et purent se retirer dans leurs maisons ; on n'exerça sur elles ni pression ni contrainte.
Le prince qui gouvernait Haleb, craignant qu'après la mort d'Oumdet ed Daoulèh le sultan ne fit marcher une nouvelle armée contre lui, fit partir sa femme accompagnée d'un fils âgé de sept ans. Il leur remit de riches présents pour les offrir au souverain et solliciter son pardon pour ce qui s'était passé. Lorsque sa femme et son fils arrivèrent en Egypte, ils durent s'arrêter pendant plus de deux mois, en dehors de la capitale. Il ne leur fut pas permis d'y entrer et leurs cadeaux furent refusés ; mais les imams et les qadis intercédèrent tous en leur faveur auprès du sultan et le supplièrent de les recevoir. Ils furent, à la fin, admis en sa présence et autorisés à s'en retourner après avoir reçu un diplôme et des vêtements d'honneur.[39]
Entre autres particularités de Misr, on doit signaler celle-ci : quiconque veut se créer un jardin peut réaliser son désir en quelque saison que ce soit. Il est possible de se procurer et de planter en tout temps, soit des arbres chargés de fruits, soit des arbres d'agrément. Il y a des gens qui sont les courtiers de ce genre de commerce et qui fournissent immédiatement tout ce qui leur est demandé. Ils ont des arbres plantés dans des bacs, sur les terrasses de leurs maisons qui ressemblent pour la plupart à des jardins. Ces arbres sont, en général, couverts de fruits, oranges sucrées ou amères, grenades, pommes et coings. Ces courtiers ont aussi des rosiers, des basilics et des plantes odoriférantes.
Lorsqu'on le désire, des porte-faix vont prendre ces caisses avec les arbres qu'elles contiennent ; ils les attachent à des perches et les transportent à l'endroit qu'on leur indique et, après avoir vidé les caisses, ils plantent les arbres qui n'éprouvent aucun dommage. Je n'ai vu cet usage pratiqué dans aucun autre pays du monde et je n'en ai entendu parler nulle part ailleurs ; je dois ajouter qu'il est fort agréable.
Je fis au Caire la prière de la fête des sacrifices, et le mardi, quatorze Zil Hidjèh 441 (10 avril 1050), je m'embarquai à Misr pour continuer mon voyage par la route du Saïd el Aaly. Cette province se trouve au sud et est traversée par le Nil ; elle relève du gouvernement de Misr et c'est à elle qu'est due, en grande partie, l'abondance qui règne dans cette ville. On voit sur les deux rives du Nil un grand nombre de villes et de villages ; les décrire allongerait mon récit dans des proportions considérables.
Nous arrivâmes à une ville appelée Assiouth. On y fabrique l'opium qui est produit par un pavot à graines noires. Lorsqu'il a atteint toute sa croissance, et que la tête de la plante est formée, on la brise et il en coule un suc laiteux que l'on recueille et que l'on conserve ; c'est l'opium. Les graines de ce pavot sont aussi menues que celles du cumin. On fabrique à Assiouth une étoffe en laine pour turbans qui n'a point sa pareille dans le monde entier. Les fines étoffes de laine que l'on apporte en Perse et que l'on appelle Misry proviennent toutes de la haute Egypte, car à Misr, on ne tisse pas la laine. Je vis à Assiouth une foutah de laine telle que je n'en ai trouvé de pareille ni à Lahavour, ni dans le Moultan ; à son aspect, on l'aurait prise pour un tissu de soie.[40]
D'Assiouth nous allâmes à Qous où il y avait d'immenses édifices construits en pierres d'une telle grandeur qu'en les voyant, on était plongé dans la stupéfaction. Qous est une antique cité entourée d'une muraille en pierres.[41] Presque tous les édifices sont construits avec d'énormes blocs de pierre dont chacun pèse de vingt à trente mille men. Ce qui est merveilleux, c'est qu'il n'y a ni montagnes ni carrières jusqu'à une distance de dix ou de quinze fersengs, et on se demande d'où l'on a pu extraire ces blocs. De Qous nous nous rendîmes à Ikhmim, ville bien peuplée et florissante. On y voit un grand concours de monde : le château est bien fortifié. Ikhmin est entourée de plantations de dattiers et d'un grand nombre de jardins.[42] Nous y séjournâmes pendant vingt jours.
De là, nous pouvions suivre deux routes ; l'une qui traverse un désert sans eau, l'autre qui est celle du fleuve ; nous hésitions au sujet de celle que nous prendrions. Nous nous déterminâmes, à la fin, à remonter le Nil, et nous arrivâmes à la ville d'Assouan. Au sud d'Assouan, des montagnes forment une gorge que traverse le Nil. Les barques, me fut-il dit, ne peuvent pas remonter plus haut, parce que l'eau coule à travers un espace fort étroit et semé de gros rochers. A quatre fersengs de la ville, commence la Nubie dont tous les habitants sont chrétiens. Les rois de ce pays envoient, depuis longtemps, des présents au souverain de l'Egypte, et ils ont conclu avec lui des traités et des conventions pour mettre leur pays à l'abri des invasions et des ravages des troupes égyptiennes.
Assouan est une ville grande, bien fortifiée et qui pourrait résister avec succès à une attaque des Nubiens. Elle est toujours occupée par une garnison chargée de la défendre.[43] En face de la ville, au milieu du Nil, est une île plantée, comme un jardin, en dattiers, oliviers et autres arbres ; on y voit aussi des champs cultivés. L'eau nécessaire à leur irrigation est élevée au moyen de roues hydrauliques. Cette île est remarquable par la quantité d'arbres qui la couvrent.[44] Notre séjour à Assouan se prolongea pendant vingt et un jours. Nous avions à traverser un vaste désert de deux cents fersengs, avant d'arriver au bord de la mer. Nous étions à l'époque où les pèlerins revenaient à Assouan, montés sur des chameaux et nous attendions leur retour pour en louer lorsqu'on les ramènerait.
Je fis, à Assouan, la connaissance d'un personnage nommé Abou Obeïd illah Mohammed ibn Felidj. C'était un homme pieux et vertueux qui avait quelque connaissance de la logique. Il me vint en aide pour louer des chameaux et pour me mettre en rapport avec les gens qui devaient m'accompagner dans mon voyage. Je louai un chameau pour le prix d'un dinar et demi. Nous partîmes d'Assouan le cinq du mois de Reby oul evvel 442 (29 juillet 1050). La route que nous primes se dirigeait vers le sud-est. Après avoir parcouru huit fersengs nous atteignîmes une station appelée Dheïqah.[45] C'était, dans ce désert, une gorge bordée de chaque côté par une montagne s'élevant comme une muraille, et dont la largeur était de cent ârech. On y avait creusé un puits qui fournissait abondamment une eau d'un goût peu agréable. Après avoir dépassé ce lieu, on doit marcher, pendant cinq jours dans le désert sans trouver d'eau ; chacun de nous se munit d'une outre pleine. Nous reprîmes notre route et nous arrivâmes à une station nommée Haudh (bassin, réservoir). C'est une montagne rocheuse dans laquelle se trouvent deux excavations d'où s'échappe une eau qui va remplir une fosse. L'eau était douce et pour la puiser, il fallait entrer dans l'excavation d'où l'on rapportait de quoi abreuver les chameaux. D y avait sept jours que ces animaux n'avaient ni bu, ni mangé de fourrage, car on n'avait rien pu trouver. Une fois toutes les vingt-quatre heures, on s'arrêtait pour camper, depuis le moment où le soleil devenait trop ardent jusqu'à l'heure de la prière de l'après-midi.
Les stations où l'on fait halte sont toutes connues et déterminées ; on ne peut s'arrêter partout, car on ne trouverait rien pour faire du feu. On ramasse, aux stations, de la fiente de chameau que l'on brûle pour faire cuire les aliments.
On aurait dit que les chameaux se rendaient compte qu'en ralentissant leur marche, ils s'exposaient à périr de soif. Ils avaient une allure telle qu'il était inutile de les pousser et ils prenaient d'eux-mêmes, dans le désert, la bonne direction ; car bien qu'on ne remarquât ni traces ni signes pouvant indiquer la route, ils marchaient en se dirigeant vers l'est. Souvent, il fallait franchir quinze fersengs pour rencontrer un peu d'eau saumâtre, et quelquefois on faisait trente ou quarante fersengs sans en voir.
Le vingt Reby oul evvel 442 (2 août 1050) nous arrivâmes à la ville d'Aïdhab. Notre voyage, à partir d'Assouan, avait duré quinze jours, et la distance qui sépare ces deux villes peut être estimée à deux cents fersengs. Aïdhab est située sur le bord de la mer ; elle possède une mosquée où l'on fait la prière du vendredi, et sa population mâle s'élève à cinq cents âmes. La ville est placée sous la dépendance du sultan d'Egypte.
On y perçoit des droits de douane sur les marchandises provenant d'Abyssinie, du Zengbar et du Yémen et qui arrivent par la voie de mer ; après les avoir débarquées, on les transporte à Assouan par le désert que nous venions de traverser. Là, elles sont mises dans des barques qui descendent le Nil et vont aborder à Misr.[46] Lorsque, à Aïdhab, on se tourne dans la direction de la qiblèh, on a, à sa droite, des montagnes derrière lesquelles s'étend un vaste pays plat couvert de pâturages, et occupé par un peuple nombreux qui porte le nom de Boudjah. Les Boudjah n'ont ni culte, ni croyance religieuse ; ils ne suivent les préceptes d'aucun prophète, ni d'aucun guide spirituel. La raison en est qu'ils sont éloignés de toute civilisation, et qu'ils habitent un désert qui a plus de mille fersengs de longueur sur trois cents de largeur. Sur toute cette étendue de terre, on ne rencontre que deux petites villes : l'une est Bahroun Ni'am[47] (la mer des Autruches) et l'autre Aïdhab. Ce désert s'étend, du nord au sud, depuis Misr jusqu'à l'Abyssinie et dans sa largeur, de l'ouest à l'est, il va de la Nubie à la mer de Qoulzoum ; il est habité par les Boudjah qui n'ont point un caractère méchant, et ne se livrent ni au vol ni au pillage, mais s'occupent uniquement de leurs troupeaux. Les musulmans et d'autres peuples enlèvent leurs enfants et les conduisent, pour être vendus, dans les villes de l'Islamisme.
La mer Rouge est un canal qui se détache de l'Océan à la hauteur de la province d'Aden et se prolonge au nord jusqu'à la petite ville de Qoulzoum. Cette mer prend un nom différent selon les villes qui s'élèvent sur ses bords ; ainsi, elle s'appelle tantôt mer de Qoulzoum, tantôt mer d'Aïdhab, ou bien enfin mer de Bahr oun Ni'am. On assure qu'elle renferme plus de trois cents îles ; de quelques-unes d'entre elles partent des barques chargées de beurre et de kechk.[48] Ces îles où l'on trouve, à ce qu'on dit, des bœufs et des moutons en abondance, sont habitées par des musulmans. Elles dépendent les unes de l'Egypte, les autres du Yémen.
On ne trouve dans la petite ville d'Aïdhab ni eau de puits, ni eau de source, mais seulement celle de la pluie : si celle-ci vient à manquer, les Boudjah en apportent et la vendent. Pendant les trois mois de notre séjour, une petite outre d'eau coûtait un dirhem, et nous donnâmes, même pour une seule, le prix de deux dirhems. Notre séjour se prolongea dans cette ville parce qu'aucun navire ne pouvait mettre à la voile. Le vent du nord régnait, et il nous fallait le vent du sud.
Quand les habitants d'Aïdhab me virent arriver, ils me proposèrent d'être leur khatib. J'accédai à leur désir et je m'acquittai de cet office jusqu'à l'époque de la mousson. Les navires partirent alors dans la direction du nord, et je m'embarquai pour Djouddah.
On dit que l'on ne trouve nulle part des chameaux de meilleure race que ceux du désert des Boudjah. On les exporte en Egypte, dans le Hedjaz et dans le Yémen. A Aïdhab, une personne digne de foi m'a raconté qu'un navire était parti de cette ville pour la côte du Hedjaz, ayant à bord des chameaux destinés à l'émir de la Mekke. « J'étais, me dit-il, à bord de ce navire ; un chameau vint à mourir et fut jeté à la mer. Un poisson l'avala à l'instant ; une des jambes du chameau était encore hors de sa gueule, quand un autre poisson fondit sur lui, et l'engloutit sans qu'il en restât la moindre trace. Ce dernier poisson, ajouta-t-il, porte le nom de qarach.[49] » Je vis à Aïdhab des peaux de poisson que, dans le Khorassan, on appelle chafaq.[50] Nous croyons, dans le Khorassan, que cette peau provient d'une espèce de lézard, mais je pus m'assurer à Aïdhab que c'était celle d'un poisson, car elle était encore garnie de toutes ses nageoires.
J'avais contracté des liens d'amitié, pendant mon séjour à Assouan, avec un homme dont j'ai déjà cité le nom ; il s'appelait Abou Obeïd Mohammed ibn Felidj. Lorsque je partis pour Aïdhab, il écrivit à son agent dans cette ville une lettre conçue en termes affectueux pour moi. « Donnez à Nassir, disait-il, tout ce qu'il vous demandera et prenez de lui un reçu que vous porterez dans vos comptes. » Au bout de trois mois de séjour à Aïdhab, j'avais dépensé tout ce que je possédais. Contraint par la nécessité, je remis la lettre à cet individu qui m'accueillit avec bonté. « Par Dieu, s'écria-t-il, Abou Obeïd a chez moi beaucoup de choses ! Que souhaitez-vous que je vous donne contre votre reçu ? » Je fus étonné de la générosité de Mohammed Felidj qui, sans avoir eu avec moi de relations antérieures, me traitait avec tant de bienveillance. Si j'avais été un homme sans scrupules et si je l'avais voulu, j'aurais pu, avec cette lettre, me faire donner une somme importante. Je ne demandai à cet homme que cent men de farine, quantité représentant à Aïdhab une valeur considérable et je lui remis une reconnaissance qu'il envoya à Assouan ; avant mon départ, il reçut de Mohammed Felidj une réponse dans laquelle celui-ci lui disait : « Quelle que soit la valeur de ce que Nassir demande, donne-le lui sur ce que tu as à moi : tout ce que tu donneras en surplus de ce qui m'appartient, te sera remboursé par moi, car le prince des fidèles Aly, fils d'Abou Thalib, a dit : le croyant ne doit être ni orgueilleux, ni intéressé. »
J'ai rapporté cet incident pour que le lecteur sache que les hommes généreux ont confiance dans leurs semblables, que la libéralité se rencontre partout et qu'il y aura toujours des gens de cœur.
Djouddah est une grande ville située sur le bord de la mer et entourée d'une forte muraille. Sa population atteint le chiffre de cinq mille habitants mâles. Elle se trouve dans la partie nord de la mer Rouge. Les bazars sont beaux ; la qiblèh de la grande mosquée est tournée dans la direction de Test. On ne voit en dehors de la ville aucun bâtiment, à l'exception d'une mosquée qui porte le nom de Mesdjid er Ressoul (mosquée du Prophète).[51]
La ville a deux portes, l'une, à l'orient, s'ouvre sur la route de la Mekke, l'autre, à l'occident, donne sur la mer. Si on part de Djouddah et si l'on suit le bord de la mer, on arrive à la ville de Sa'adah dans le Yémen. Cette ville se trouve à la distance de cinquante fersengs. Si, au contraire, on se dirige vers le nord, on arrive à la ville de Djar qui fait partie du Hedjaz.
On ne voit à Djouddah ni arbres ni végétation ; tout ce qui est nécessaire à la vie est apporté des villages voisins On compte douze fersengs de Djouddah à la Mekke. Le gouverneur de Djouddah était un esclave de l'émir de la Mekke ; celui-ci portait le nom de Tadj el Me'aly ibn Aboul Foutouh[52] et il était également le maître de Médine. Je me rendis auprès du gouverneur de Djouddah qui me reçut avec bienveillance et m'exempta de l'impôt que j'aurais dû acquitter ; je pus ainsi passer les portes sans rien payer. Il écrivit un billet pour me recommander à la Mekke et pour faire observer que j'étais un savant, et qu'il ne fallait exiger de moi aucune taxe.
Le vendredi, à l'heure de la prière de l'après-midi, je partis de Djouddah et j'arrivai à la porte de la Mekke le dimanche, dernier jour du mois de Reby oul akhir (20 septembre). Un grand nombre d'habitants du Hedjaz et du Yémen y étaient déjà arrivés pour s'acquitter de l’Oumrah[53] le premier du mois de Redjeb. L'Oumrah est une fête solennelle aussi importante que celle de la rupture du jeûne. Ces mêmes gens viennent à l'époque du pèlerinage et le voyage étant pour eux court et facile, ils se rendent trois fois par an à la Mekke.
Description de la ville de la Mekke (que Dieu lui conserve sa noblesse !).
La Mekke est bâtie entre des montagnes élevées ; de quelque côte que l'on s'approche de cette ville, il est impossible de l'apercevoir de loin. La montagne d'Abou Qoubeïs[54] qui a la forme arrondie d'une coupole, est la plus haute de toutes celles qui l'entourent. Si, du pied de cette montagne, on lançait une flèche, elle en atteindrait le sommet. Elle s'élève à l'est de la ville, et lorsqu'on est dans l'enceinte du Mesdjid el Haram, au mois de Dey (décembre), on voit le soleil se lever au-dessus de la montagne. Sur le point le plus élevé d'Abou Qoubeïs est une tour en pierres dont la construction est attribuée au prophète Ibrahim.
L'espace qui s'étend au pied des montagnes est occupé par la ville qui, en longueur et en largeur, n'a pas plus de deux portées de flèche.
Le Mesdjid el Haram s'élève au centre de la vallée et tout autour de lui s'étend la ville avec ses rues et ses bazars. Partout où se trouve une gorge étroite dans ces montagnes, elle a été fermée par une solide muraille percée d'une grande porte.[55] On ne voit point d'arbres dans l'intérieur de la ville, excepté près de la porte située à l'ouest du Mesdjid el Haram, et qui est appelée Bab Ibrahim (la porte d'Abraham). Là, près d'un puits, se trouvent quelques grands et beaux arbres.
Un grand bazar part de la façade orientale du Mesdjid el Haram et s'étend dans la direction du sud au nord ; à l'extrémité méridionale, s'élève la montagne d'Abou Qoubeïs sur la pente de laquelle est le lieu appelé Safa. On désigne sous ce nom d'énormes gradins creusés dans la montagne et formés de pierres disposées régulièrement.[56] C'est là que les fidèles se rendent pour réciter des invocations pieuses. La cérémonie que l'on appelle Safa et Merwèh consiste à se rendre de Safa à Merwèh, à l'extrémité nord du bazar ; Merwèh est une colline peu élevée, située au centre de la ville et sur laquelle on a construit un grand nombre de maisons ; on doit franchir, en courant, le bazar d'une extrémité à l'autre.
Lorsqu'on arrive de loin, et que l'on veut s'acquitter de l'Oumrah, on trouve tout autour de la Mekke, à la distance d'un demi-ferseng, des tours et des chapelles où l'on revêt l'ihram.[57] Prendre l'ihram consiste à se dépouiller des vêtements cousus, à se ceindre d'une pièce d'étoffe ou d'un voile, à se couvrir avec une autre la partie supérieure du corps et à crier à haute voix : « Lebbeik Allahoumma, Lebbeik » (me voilà à ton service, ô mon Dieu, me voilà à ton service !) ; puis on se dirige vers la Mekke.[58] Si, à la Mekke, on veut accomplir l'Oumrah, on se rend à une de ces tours dont j'ai parlé, on y revêt l'ihram, on y prononce le Lebbeik et on rentre dans la ville avec l'intention de remplir ce devoir pieux. On se dirige vers le Mesdjid el Haram et on s'approche de la Ka'abah, dont on fait le tour en commençant par la droite et en ayant soin que le côté gauche soit tourné vers la Ka'abah. Lorsqu'on arrive à l'angle de la pierre noire, on la baise, puis on s'éloigne et on continue à tourner dans le même sens et on baise une seconde fois l'angle de la pierre noire. Cette action constitue un Thewaf. On fait ainsi sept Thewaf, trois en courant très vite et quatre en marchant lentement. Lorsqu'ils sont achevés, on se rend au Maqam Ibrahim (station d'Abraham) qui fait face à la Ka'abah ; on s'arrête derrière le Maqam, de façon à l'avoir entre soi et la Ka'abah ; on fait alors une prière de deux rikaat qui s'appelle Namazi Thewaf (prière du Thewaf). On entre ensuite dans le pavillon du puits de Zemzem ; on y boit ou on s'y lave le visage. On sort du Mesdjid el Haram par la porte de Safa, ainsi nommée parce qu'elle s'ouvre dans la direction de cette montagne où l'on se rend et où l'on se place sur les gradins pour réciter des invocations pieuses, le visage tourné vers la Ka'abah. Le texte de ces invocations est connu de tous.[59]
Après s'être acquitté de ce devoir, on descend et on se rend à Merwèh en traversant le bazar dans la direction du sud au nord. Lorsque l'on passe devant les portes du Mesdjid, on se tourne de leur côté. Dans ce bazar, on franchit, sur une longueur de cinquante pas, l'espace où le Prophète a couru et a accéléré sa marche et où il a recommandé de suivre son exemple. Il y a en ce lieu quatre minarets. Ils sont placés deux par deux de chaque côté du chemin. Lorsque, venant de Safa, on atteint le milieu de l'espace qui les sépare, on se met à courir jusqu'à ce que l'on soit arrivé entre les deux minarets qui s'élèvent plus loin dans le bazar, alors on gagne à pas lents le mont Merwèh : là, monté sur les gradins, on récite les invocations dont le texte est connu, puis on s'éloigne et on rentre dans le même bazar.
On se rend ainsi quatre fois de Safa à Merwèh et trois fois de Merwèh à Safa, en traversant sept fois le bazar.[60]
Au pied du mont Merwèh se trouve un bazar contenant vingt boutiques placées l'une en face de l'autre ; elles sont toutes occupées par des barbiers qui rasent la tête des pèlerins. Lorsque la cérémonie de l'Oumrah est terminée, on s'éloigne de cette vallée sacrée et on entre dans le grand bazar qui est à l'orient et qui porte le nom de Souq el Aththarin. Il est bien bâti et uniquement occupé par des parfumeurs et des droguistes.
Il y a, à la Mekke, deux bains ; le pavé en est formé de ces pierres vertes dont on se sert pour repasser les couteaux.
D'après mon estimation, il n'y avait pas, à la Mekke, plus de deux mille habitants mâles nés dans la ville ; le reste de la population se composait de cinq cents étrangers ou Moudjavir.
La disette régnait, à cette époque, dans cette ville ; seize men de blé coûtaient un dinar maghreby. Un grand nombre d'habitants avaient émigré.
On voit, à la Mekke, de grandes maisons destinées à recevoir les gens des villes du Khorassan, de l'Iraq, de la Transoxiane et d'autres contrées. A l'époque où j'y étais, la plupart de ces bâtiments tombaient en ruines.
Les khalifes de Bagdad ont fait, dans cette ville, de grands travaux dans un but charitable et y ont élevé de nombreux et superbes édifices. Lors de notre arrivée à la Mekke, les uns étaient en ruines, les autres avaient été convertis en propriétés particulières.
L'eau des puits de la Mekke a un goût si saumâtre et si amer qu'il est impossible de la boire. On a creusé un grand nombre de vastes bassins et on a bâti d'énormes réservoirs ; on a dû dépenser la somme de dix mille dinars pour la construction de chacun d'eux. Ils sont alimentés par l'eau de pluie qui se précipite des gorges des montagnes ; ils étaient à sec à l'époque de notre séjour.
Un aqueduc souterrain qui amène l'eau dans cette ville a été construit par un émir d'Aden, appelé le fils de Chad Dil ; il a dépensé, pour faire exécuter ce travail, des sommes considérables. On employait à l'Arafat cette eau pour arroser les cultures et les champs qui étaient sur ses bords ; elle était arrêtée au moyen d'un barrage que l'on y avait établi et autour duquel se trouvaient des jardins potagers ; il n'en parvenait qu'une petite quantité près de la Mekke, tandis que le reste n'arrivait pas dans l'intérieur de la ville.[61] Cette eau était recueillie dans un bassin situé en dehors de la ville. Les saqqas allaient en puiser pour l'apporter et la vendre à la Mekke.
A la distance d'un demi-ferseng, sur la route qui conduit à Bourqah, se trouve un puits appelé Bir ez Zahid (le puits du Religieux) ; on voit également une belle mosquée en cet endroit. L'eau fournie par le puits est agréable au goût. Les porteurs d'eau vont en chercher pour l'apporter à la Mekke et l'y vendre.
Le climat de la Mekke est extrêmement chaud : à la fin du mois de Behmen Mâh (janvier) de l'ancien calendrier, j'y ai vu des concombres, des badrengs et des aubergines nouvelles.
Pendant mon quatrième voyage, je résidai dans cette ville comme Moudjavir depuis le 1er du mois de Redjeb 442 (10 novembre 1050) jusqu'au 15 de Zil Hidjèh (3 mai 1051).
Le 15 du mois de Ferverdin (mars—avril) je vis apporter de la campagne du raisin mûr qui fut vendu au marché ; le 1er jour d'Erdbihicht (avril—mai) les melons étaient abondants. Pendant toute la durée de l'hiver, on a des fruits en grande quantité et jamais ils ne viennent à manquer.
Lorsque, partant de la Mekke, on se dirige vers le sud, on atteint, au bout d'une journée de marche, le Yémen, qui s'étend jusqu'au bord de l'Océan. Le Hedjaz et le Yémen sont limitrophes et sont, tous deux, des pays de langue arabe.
Le Yémen est désigné, dans le style relevé, sous le nom de Himyar et le Hedjaz sous celui d'Arab. Ces deux contrées, entourées de trois côtés par la mer, forment une presqu'île bornée à Test par la mer de Baçrah, à l'ouest par le canal dont j'ai déjà parlé et qui porte le nom de mer de Qoulzoum, et au sud par l'Océan. Cette presqu'île a, depuis Koufah jusqu'à Aden, du nord au sud, une étendue de cinq cents fersengs, et en largeur, de l'est à l'ouest, d'Oman à Djar, quatre cents fersengs.
Le territoire arabe comprend l'espace situé entre Koufah et la Mekke, et celui de Himyar s'étend de la Mekke à Aden. Le pays des Arabes, c'est-à-dire le Hedjaz, est peu cultivé ; les tribus qu'il renferme habitent les plaines du désert ; elles possèdent des bêtes de somme et vivent sous la tente.
Le pays de Himyar est divisé en trois provinces. L'une, appelée Tihamèh, est située à l'ouest le long du bord de la mer de Qoulzoum. Elle est très bien cultivée et on y trouve un grand nombre de villes parmi lesquelles Sa'adah, [62] Zebid[63] et Sana'a[64] qui sont bâties dans des plaines. Les princes qui gouvernent cette province sont vassaux du roi d'Abyssinie. Le fils de Chad Dil, dont j'ai déjà mentionné le nom, était l'un de ces princes.
La deuxième province de Himyar est le Nedjd, pays montagneux où l'on trouve beaucoup de sites abruptes, de localités dont la température est froide, et un grand nombre de vallées et de châteaux-forts.
La troisième province est sise à l'est : elle renferme un grand nombre de villes parmi lesquelles je citerai Kheïwan, Aththar et Beïchèh.[65] Elle est morcelée en districts, gouvernés chacun par un seigneur ou un chef.
Il n'y a point de sultan ou de souverain ayant une autorité absolue. Les habitants forment des tribus indépendantes, qui se livrent pour la plupart au vol, au meurtre et au pillage. Cette province a une étendue de deux cents fersengs sur cent cinquante. Elle renferme une population nombreuse, formée de races diverses.
Le palais de Ghoumdan se trouve à Sana'a, dans le Yémen ; ce qui en subsiste aujourd'hui ressemble à une butte qui s'élève au milieu de la ville. Le prince qui l'a construit a, dit-on, été le maître du monde ; on assure que cet amas de décombres recèle, dans ses flancs, un grand nombre de trésors et de dépôts enfouis, mais personne, ni prince ni particulier, n'ose y porter la main.[66]
On travaille à Sana'a la cornaline que l'on apporte des montagnes ; on la met sur le feu dans une poêle, après l'avoir entourée de sable ; on l'expose ensuite dans le même état au soleil, puis on la met en œuvre avec la roue. J'ai vu à Misr un sabre destiné au sultan et qui avait été apporté du Yémen. La poignée et la garde étaient formées d'un seul morceau de cornaline dont la couleur rappelait celle du rubis.[67]
J'ai déjà dit que la Ka'abah s'élève au milieu du Mesdjid el Haram et que le Mesdjid est au centre de la ville. Le Mesdjid s'étend, en longueur, de l'est à l'ouest et, en largeur, du nord au sud. La muraille qui l'entoure n'a point la figure d'un rectangle régulier ; les angles qui sont peu saillants ont une forme à peu près arrondie, car lorsque l'on fait la prière dans l'intérieur, il faut, quel que soit l'endroit où l'on se trouve, avoir la face tournée vers la Ka'abah. La plus grande longueur de la cour du Mesdjid se trouve entre Bab Ibrahim et Bab Béni Hachim ; elle mesure quatre cent vingt-quatre ârech ; sa plus grande largeur, depuis Bab en Nadwèh au nord, jusqu'à Bab es Safa au sud, est de trois cent quatre ârech. L'enceinte étant presque circulaire, la cour parait, à certains endroits, plus étroite et à d'autres plus large.
Trois galeries, couvertes d'un toit en bois soutenu par des colonnes en marbre, règnent autour du Mesdjid. Le milieu de ces constructions forme un carré. Quarante-cinq arceaux supportent la toiture dans le sens de sa longueur et dans la partie faisant face à la cour, et vingt-trois dans le sens de la largeur. Toutes les colonnes dont je viens de parler ont été, dit-on, transportées de Syrie par la voie de mer, conformément aux ordres des khalifes de Bagdad. Quand elles eurent été apportées à la Mekke, on vendit les cordages ayant servi à les attacher dans les navires, et les cabestans qui étaient en pièces ; cette vente produisit la somme de soixante mille dinars maghreby. Parmi les colonnes, il y en avait une en marbre rouge qui a été placée à Bab en Nadwèh ; elle fut payée au poids de l'or et on estime qu'elle pèse trois mille men.
Le Mesdjid el Haram a dix-huit portes surmontées d'arceaux appuyés sur des colonnes de marbre.
Du côté de l'est, il y en a quatre ; ce sont, à partir de l'angle du nord, Bab en Neby (la porte du Prophète), avec trois baies fermées ; dans la même muraille, dans la direction de l'angle du sud, il y a une porte appelée également Bab en Neby.[68] Elles sont séparées l'une de l'autre par une distance de plus de cent ârech. Cette seconde porte qui est double est surmontée de deux arceaux, et lorsqu'on la franchit, on entre dans le marché des parfumeurs ; la maison du Prophète se trouvait dans cette rue, et celui-ci passait par cette porte pour entrer dans le Mesdjid et y faire sa prière. Quand on la dépasse, on trouve, percée dans cette même muraille de l'est, la porte d'Aly, sur qui soit le salut ! Le prince des croyants la franchissait pour aller prier dans le Mesdjid. Elle est surmontée de trois arceaux. Un peu plus loin, à l'angle du Mesdjid, se trouve un minaret dominant le Say et qui n'est pas le même que celui qui s'élève près de la porte des Béni Hachim ; il indique l'endroit jusqu'où il faut courir. Je l'ai déjà mentionné, lorsque j'ai parlé des quatre minarets, disposés en carré, qui sont entre Safa et Merwèh.
Il y a sept portes dans la muraille méridionale, c'est-à-dire celle qui s'étend dans le sens de la longueur du Mesdjid. La première se trouve dans l'angle à moitié arrondi de l'enceinte ; elle porte le nom de Bab ed Daqqaqin (la porte des Marchands de farine) et elle est à deux baies, surmontées chacune d'un arceau. On rencontre, en s'avançant un peu dans la direction de l'ouest, une autre porte double appelée Bab el Fessanin. Un peu plus loin est Bab es Safa avec cinq arceaux ; c'est la plus considérable de toutes les portes. La baie du milieu est plus grande que celles qui se trouvent des deux côtés. Le Prophète sortait par là du Mesdjid pour se rendre à Safa et y faire ses invocations. Le seuil de la baie centrale est formé par une grande pierre blanche ; il y avait là, autrefois, une pierre noire que le Prophète foulait de son pied béni, dont l'empreinte y demeura fixée. Cette partie de la pierre noire fut coupée et encastrée dans la pierre blanche, de telle façon que la marque des doigts se trouve dans l'intérieur du Mesdjid. Les pèlerins y posent les uns la face, les autres le pied pour participer aux bénédictions qui y sont attachées. Pour moi, je considérai qu'il était plus digne et plus méritoire d'y appliquer mon visage.
Si, de Bab es Safa, on se dirige vers l'ouest, on trouve, à peu de distance, Bab es Sathwy qui est double ; [69] puis, un peu plus loin, Bab et Tammarin[70] (porte des Marchands de dattes) qui a aussi deux arceaux ; après avoir dépassé celle-ci, on arrive à Bab el Meamil, également double. En face de cette porte s'élève la maison d'Abou Djehel, aujourd'hui convertie en latrines.
Le mur occidental qui se développe dans le sens de la largeur du Mesdjid, est percé de trois portes. La première, qui se trouve à l'angle du sud, est appelée Bab Oumrah ; elle est double.[71] Au centre de la muraille est Bab Ibrahim, sur qui soit le salut ! Elle a trois baies surmontées chacune d'une arcade.
Quatre portes s'ouvrent dans le mur qui est dans le sens de la longueur du Mesdjid. Bab el Wesith, [72] couronnée par un arceau, se trouve dans l'angle de l'ouest ; plus loin, à l'est, Bab el Adjalèh qui est simple ; puis, au milieu de la face du nord, Bab en Nadwèh à deux baies ; au-delà est Bab el Mouchawerèh qui est simple, et enfin, dans l'angle nord-est, Bab Béni Cheïbah.[73]
La Ka'abah s'élève au centre de la cour du Mesdjid ; elle a la forme d'un carré allongé dont la longueur s'étend du nord au sud, et la largeur de l'est à l'ouest. Elle a trente ârech de long sur seize de large La porte regarde l'orient. En entrant dans la Ka'abah, on a le Roukn Iraqy (angle de l'Iraq) à sa droite et l'angle de la pierre noire à sa gauche ; l'angle du sud-ouest porte le nom de Roukn Yemany (angle du Yémen) et celui du nord-ouest est appelé Roukn Chamy (angle de Syrie).
La pierre noire est enchâssée et fixée dans une grande pierre placée dans l'angle de la muraille, de manière à être au niveau de la poitrine d'un homme de bonne taille se tenant debout devant elle. Elle a une palme et quatre doigts de long sur huit doigts de large, et sa forme est ronde.[74] Elle est séparée de la porte par une distance de quatre ârech, et cet espace a reçu le nom de Moultezem. La porte de la Ka'abah se trouve à quatre ârech au-dessus du niveau de la cour ; ainsi un homme de bonne taille, debout sur le sol, en atteint le seuil. On a fabriqué un escalier en bois que l'on roule devant la porte lorsque cela est nécessaire, et on en franchit les marches pour entrer dans la maison de Dieu. La largeur de cet escalier permet à dix personnes de monter et de descendre côte à côte. Le sol de la Ka'abah est surélevé de la hauteur dont nous avons déjà fait mention.
La porte de la Ka'abah est en bois de sadj ; elle est à deux battants et elle a six ârech et demi de hauteur. Chaque battant a un guez et trois quarts de large, ce qui donne, pour les deux, trois guez et demi. Les plats de la porte et la plinthe sont couverts d'inscriptions, de cercles et d'arabesques en argent incrusté. Les lettres des inscriptions sont en or et en argent niellé ; on lit, en entier, le verset qui commence par ces mots : « Le premier temple fondé pour les hommes est celui de Bekkèh[75] ».
Deux grands anneaux en argent, envoyés de Ghaznèh, sont fixés sur les battants à l'aide de clous solides, également en argent. Ils sont placés à une hauteur telle que l'on ne peut les atteindre avec la main. Deux autres anneaux, également en argent, mais de plus petite dimension, sont posés plus bas, de façon à pouvoir être saisis. Un grand cadenas en argent, passé dans ces anneaux, sert à fermer la porte qui ne peut être ouverte que lorsqu'on l'a enlevé.[76]
La largeur, c'est-à-dire l'épaisseur des murs de la Ka'abah est de six palmes. Le sol est dallé en marbre blanc ; [77] on remarque dans l'intérieur de la Ka'abah trois petits khalwet ou réduits ressemblant à des estrades.[78] Le premier se trouve en face de la porte, les deux autres sont du côté du nord. Les piliers placés à l'intérieur et qui soutiennent le plafond sont tous en bois de sadj ; [79] ils sont carrés, à l'exception d'un seul qui est rond. Dans la partie nord de la Ka'abah on voit, posée sur le sol, une plaque de marbre rouge de forme allongée ; on assure que le Prophète priait en cet endroit, et tous ceux qui sont instruits de cette particularité s'efforcent de faire leurs prières à la même place. Les murs de la Ka'abah sont tous revêtus de marbres de différentes couleurs. Du côté de l'occident, il y a six mihrabs en argent fixés à la muraille par des clous ; chacun d'eux a la hauteur d'un homme ; ils sont ornés d'incrustations en or et en argent niellé, d'une teinte noire foncée. Ces mihrabs sont placés au-dessus du sol. Les murailles sont, jusqu'à la hauteur de quatre ârech au-dessus de terre, dans leur état primitif ; à partir de cette hauteur, elles sont, jusqu'au plafond, recouvertes de plaques de marbre ornées d'arabesques et de sculptures dont la plus grande partie est dorée. Au-dessus des trois khalwet dont j'ai parlé plus haut, et dont l'un se trouve dans le Roukn Iraqy, l'autre dans le Roukn Chamy et le troisième dans le Roukn Yemany, on voit, dans chaque coin, deux planches fixées au mur par des clous d'argent, et qui proviennent, assure-t-on, de l'arche de Nouh (Noé). Chacune d'elles a cinq guez de longueur et un de largeur. Au-dessus du khalwet qui est derrière la pierre noire, on a disposé une tenture de satin rouge.
Lorsque l'on sort de la Ka'abah, on voit dans l'angle à droite de la porte, une construction carrée de trois guez de superficie ; on trouve là une petite porte en argent, à un seul battant, par laquelle on passe pour monter sur le toit. Elle porte le nom de Bab er Rahmèh (porte de la Miséricorde) et est fermée au moyen d'un cadenas en argent.[80] Lorsque l'on arrive au toit, on rencontre une trappe semblable à celles qui donnent accès sur les terrasses. Cette trappe est recouverte de plaques d'argent sur les deux côtés.
Le plafond de la Ka'abah est formé de poutres entièrement couvertes par du satin qui en cache la vue. On voit sur le mur de la façade, au-dessous des poutres, une inscription en or fixée dans la muraille ; on y lit le nom du sultan d'Egypte, el Aziz li din illah, qui a pris possession de la Mekke, après l'avoir enlevée aux khalifes de Bagdad.[81] Il y a aussi quatre plaques en argent, placées l'une en face de l'autre et fixées aux murs au moyen de clous d'argent : sur chacune d'elles est inscrit le nom d'un des sultans d'Egypte dont chacun a, pendant son règne, envoyé une de ces plaques. Dans les intervalles qui séparent les piliers, sont suspendues trois lampes en argent.
Le sol de la terrasse de la Ka'abah est dallé en un marbre du Yémen, ayant l'éclat et la transparence du cristal.[82]
La Ka'abah est éclairée par quatre croisées placées aux quatre angles ; chacune d'elles est fermée par des feuilles de verre qui laissent passer le jour et empêchent la pluie de pénétrer dans l'intérieur.[83] La gouttière est placée au centre du mur du nord Elle a une longueur de trois guez et elle est entièrement couverte d'inscriptions en lettres d'or.[84] Le voile qui recouvrait la Ka'abah était blanc et rayé de deux bandes d'un guez de large. La hauteur de l'étoffe entre ces deux bandes était d'environ dix guez, et les parties qui se trouvaient au-dessus et au-dessous des bandes avaient la même dimension : grâce à cette disposition, la Ka'abah paraissait, dans le sens de sa hauteur, divisée en trois parties ayant chacune, d'après mon estimation, environ dix guez. Sur les quatre faces du voile on voyait des mihrabs tissés en soie de couleur et des dessins en fil d'or. Il y a trois mihrabs en broderie sur chaque face ; celui du milieu est le plus grand ; les deux autres placés de chaque côté, ont des proportions moindres. On voit donc représenté douze mihrabs sur les quatre murs de la maison sainte.[85]
On a construit, en dehors de la Ka'abah et dans la direction du nord, un mur d'une hauteur d'un guez et demi et dont les extrémités aboutissent aux deux angles de la Ka'abah. Il a la forme d'un arc de cercle dont le sommet est séparé de la Ka'abah par une distance de quinze guez ; ce mur, ainsi que le sol qui s'étend jusqu'à la maison de Dieu, est recouvert de plaques de marbre de couleur ornées de sculptures. Cet endroit est désigné sous le nom de Hidjr. C'est là que tombe toute l'eau qui coule de la gouttière au-dessous de laquelle est placée une pierre verte ayant la forme d'un mihrab ; elle est assez longue et assez large pour qu'un homme y puisse faire sa prière.[86]
Le Maqam d'Ibrahim (station d'Abraham) est à l'est de la Ka'abah : on donne ce nom à une pierre sur laquelle on voit l'empreinte des pieds d'Ibrahim. Elle est enchâssée dans une autre pierre, entourée elle-même d'une caisse en bois de forme carrée, ayant la hauteur d'un homme et du travail le plus beau que l'on puisse imaginer. Elle est recouverte de plaques d'argent et très solidement fixée à la pierre au moyen de chaînes. On y a mis un cadenas afin que personne ne puisse porter la main sur la pierre. Le Maqam est séparé de la Ka'abah par une distance de trente ârech.
[1] Makrizy a décrit, avec les détails les plus minutieux, les tentes que l'on dressait pour les cérémonies qui avaient lieu le jour de la rupture de la digue du Khalidj, à l'époque des khalifes Fatimides. Son récit est conforme à celui de Nassiri Khosrau. Topographie de l’Egypte et du Caire, tome Ier, pages 470—479. On trouve aussi une description abrégée du cortège des khalifes dans les Annales d'Aboul Mehassin, tome II, page 480.
[2] Le khalife Abou Temim Ma'add Mostansser billah avait dix-neuf ans en l'année 439 (1047) lorsque Nassiri Khosrau arriva en Egypte. Il avait succédé à son père ed Dhahir li izaz din illah le dimanche 15 Cha'aban 427 (14 juin 1036). Il était alors âgé de sept ans et vingt-sept jours. Aboul Mehassin, Noudjoum ez Zahirèh, Manuscrit de la Bibliothèque nationale, suppl. arabe 816, f° 167.
[3] Les manuscrits portent des flèches. Je crois qu'il faut substituer à ce mot celui de hache, arme nationale des habitants des provinces du nord de la Perse, le Thabarestan et le Déilem.
[4] Makrizi, dans sa Topographie de l’Egypte et du Caire, pages 468 et 469 de l'édition de Boulaq, et Aboul Mehassin, dans ses Annales de l’Egypte, tome II, pages 480—481 de l'édition de Leyde, 1855, nous ont donné un tableau des cérémonies qui avaient lien à l'occasion de la rupture de la digue du canal.
[5] Les auteurs orientaux ne font mention que de deux grands obélisques qui se trouvaient à Héliopolis. Makrizy a réuni, dans l'article qu'il a consacré à Aïn ech Chems, la description de ces monuments par Ibn Khourdadbèh et le récit de Mohammed ibn Abdour Rahim, auteur du Tohfet oul Elbab. Cette notice a été traduite et insérée par M. de Sacy, dans ses Notes sur la relation de l’Egypte, par Abdallatif, pages 225—227.
[6] Tous les médecins et naturalistes orientant anciens, Abdoul Lathif, Ibn Beïthar, Qazwiny, ont indiqué les propriétés du baume et décrit l'arbre qui le produit.
Prosper Alpin, qui passa trois ans au consulat de Venise au Caire (1580—1584), a publié sous le titre de : De Balsame dialogus. In quo verissima balsami planta, opobalsami, carpobalsami et xilobalsami cognitio plerisque antiquorum atque juntorum medicorum occulta nunc elucescit. Venetiis 1591, un traité qui a été traduit par Antoine Colin de Lyon et inséré dans la deuxième partie de son Histoire des drogues, espiceries et de certains médicaments simples qui naissent en Indes et en Amérique. Lyon 1612.
Pierre Pomet « marchand espicier et droguiste à Paris », a publié, en 1694, une Histoire générale des drogues, dans laquelle il donne la description de l’arbre qui produit le baume. La planche qui y est jointe représente un baumier gardé par un janissaire et aux branches duquel sont fixés des flacons de verre.
[7] Le quartier de Berdjouan doit son nom à l’eunuque Berdjouan qui fut surintendant des palais sous le règne du khalife Aziz billah. Berdjouan fut ministre de Hakim bi amr illah avec le titre de Wassithah (intermédiaire) et de Moudebbir oud Daoulèh (ordonnateur de l’Etat) et il eut la direction des affaires de l’Egypte de la Syrie, du Hedjaz et du Maghreb (388 [998]) ; sur l’ordre de Hakim, il fut tué dans le palais du Caire par le porte-parasol de ce prince, l’Esclavon Aboul Fadhl Raïdan (Reby oul akhir 390 [mars 1000]).
[8] Zoueïlèh est le nom d’un gros bourg de la province de Qaïrouan et celui d’un faubourg construit près de la ville de Mehdjèh par Abdallah el Mehdy. Les soldats de l’armée de Djauher, qui étaient originaires de ces localités, donnèrent au quartier qu’ils bâtirent sur l’emplacement qui leur fut accordé, le nom de leur patrie.
[9] Le quartier de Djouderyèh tirait son nom des Djoudery qui formaient un corps de quatre cents hommes, commandés primitivement par Djouder, officier au service de Mehdy. Ce quartier était habité par des Juifs. Le khalife Hakim bi amr illah apprit que, dans des réunions secrètes, ils chantaient des chansons satiriques ; une nuit, il fit fermer les portes de ce quartier et donna l’ordre de l’incendier, il défendit aux Juifs de s’y établir de nouveau.
[10] Le nom de Haret el Oumera fut, à l’époque de Salah ed-Din, changé en celui de Derb Chems oud Daoulèh, lorsque Melik el Mouazhzham Touran Chah Chems oud Daoulèh quitta la Syrie pour venir se fixer au Caire.
[11] Ce quartier reçut ce nom lorsque les Deïlémites, qui accompagnaient Heftekin et les enfants de Mouizz oud Daoulèh, se réfugièrent au Caire en 360 (970), après la mort de ce prince.
[12] Haret er Roum était habité par les Grecs : il était divisé en quartier haut et quartier bas. Hakim bi amr illah le livra au pillage et le fit raser le 17 du mois de Zil Hidjeh 399 (10 août 1009).
[13] Le nom de Bathilyèh fut donné à des soldats de Djauher qui, lors de la fondation du Caire, vinrent réclamer des terrains pour y construire un quartier : on leur dit qu'ils avaient tous été distribués. « Nous nous en retournons déçus et frustrés », répondirent-ils. (Roubhna bil'bathil.) Ce nom leur resta et fut donné au quartier qu'ils habitèrent.
[14] Qasr ech Chauk était un palais construit sous le règne des khalifes Fatimides. Il fut réparé après la chute de leur dynastie et rasé en 811 (1408) par l'émir Djémal ed-Din Youssouf el Oustadar. Il s'élevait entre l'hôtel des monnaies (Dar ed Dharb) et le vieil hôpital (Maristan el Atiq).
[15] Le quartier des Maçmoudy (soldats qui formaient, dans l'armée égyptienne, un corps de troupes important) fut ruiné pendant les désastres du règne de Mostansser billah. Il fut reconstruit, après avoir reçu une nouvelle délimitation, sous el Amir bi ahkam illah (515 [1121]). Il s'étendait en dehors et sur la gauche de Bab el Djedid jusqu'au bord de Birket el Fil (l'étang de l'Éléphant). Je n'ai pu trouver aucun renseignement sur le quartier occupé par les Abid ech Chira, ou esclaves achetés à prix d'argent. Les maisons ou cabanes devaient y être fort chétives.
[16] L'émir Aboul Abbas Ahmed ibn Touloun construisit la grande mosquée qui porte son nom sur la colline appelée Djebel Yechkour. Cet édifice, commencé en 263 (876), fut achevé en 265 (878). Cf. Topographie de l’Égypte, tome II, pages 265—269. F. Coste, Architecture arabe ou Monuments du Caire mesurés et donnés de 1817 à 1826. Paris 1837 — 1839, in f°, pages 31—33 et planches III, IV, V et VI. M. Taco Roorda a publié sur la vie d'Ahmed ibn Touloun une thèse portant le titre de Specimen historico-criticum exhibens vitans Amedis Tulonidis cum ex mss. codicibus bibliothecae L. B., tum ex libris historicis compositam etc. Lugduni Batavorum 1825, in-4°.
[17] Il faut lire, au lieu de Bab oul Djewami' (la porte des mosquées), Tadj oul Djewami' (la couronne des mosquées). La mosquée de Misr, qui porte aussi le nom de Djami el 'Atiq (la mosquée vieille), fut construite en l'an 21 (642) par 'Amr ibn el 'Ass; elle couvre, au dire de Makrizy, une superficie de quarante-deux mille coudées anciennes d'Egypte. Les galeries qui l'environnent sont soutenues par trois cent soixante-dix-huit colonnes. Les voûtes de ces galeries étaient incrustées de mosaïques qui furent détruites en l'année 387 (997) et remplacées par une couche de chaux. Treize portes donnaient accès dans la mosquée. L'une s'ouvrait du côté de la qiblèh : elle était réservée au Khatib; quatre autres regardaient le nord, quatre l'est et quatre l'ouest.
Makrizy, auquel j'emprunte ces renseignements, donne le détail des travaux que Hakim bi amr illah fit exécuter dans cette mosquée. Topographie de l'Egypte et du Caire, tome II, pages 246—256. Yaqout, Moudjem, tome III, pages 898—901.
[18] Makrizy confirme ce fait et nous apprend qu'en l'année 403 (1012) le khalife fit fabriquer une lampe d'argent pour laquelle on employa cent mille dirhems d'argent Pour la faire entrer dans la mosquée, on dût abattre, en présence d'une foule énorme de spectateurs, les jambages d'une des portes. Topographie de l’Égypte et du Caire, tome II, page 250.
[19] Makrizy nous apprend en effet que le Qadhi oul Qoudhat, présidait le tribunal situé dans cette mosquée deux fois par semaine, le mardi et le jeudi.
[20] Makrizy donne à ce marché le nom de Zoqaq el Qanadil (rue des Lampes). Il longeait l'enceinte de la mosquée et le palais d'Amr.
[21] Yaqout nous apprend que la peau de la girafe était employée aussi dans le Fars pour faire des pantoufles. On allait la chercher à Djoubb, localité située dans la province de Beibera, dans le pays des Zendj, Yaqout, Moudjem, tome II, page 17. C’est à Berbera que se réunissent encore aujourd’hui les Somaly et les tribus de l’intérieur de l’Afrique pour y faire leurs échanges.
[22] Abd el Lathif dans sa Relation de l’Egypte, a décrit les productions végétales de l’Egypte, Kitab ez Ziarat, f° 44.
Aly el Herewy, qui s'y trouvait, comme Abd el Lathif vers la fin du XIIe siècle de notre ère, a été, ainsi que Nassiri Khosrau, frappé de la diversité des fleurs, des fruits et des légumes qu’il vit dans une même saison la terre d’Egypte et le Nil, dit-il, produisent bien des choses qui doivent exciter l’étonnement. J’y ai vu, dans une même saison, des roses de trois couleurs, des jasmins et des nénuphars de deux nuances, distinctes, des jonquilles des basilics, le lotus appelé khabry, des violettes des giroflées, les fruits du lotus, des oranges amères, des citrons, des oranges douces, des dattes à peine formées et d’autres arrivées à maturité, des bananes, des figues de sycomore, du verjus et du raisin, des figues fraîches, des amandes, des courges, des melons, des pastèques, des aubergines, des fèves fraîches, des pois, des lupins frais, de la laitue, de la mauve, des grenades, des asperges et des cannes à sucre.
[23] On a trouvé, dans le cours de ces dernières années, lorsque l'on a rasé les buttes formées par les décombres qui entourent le Caire, de nombreux débris de poteries à reflets métalliques. Sur ces fragments on distingue des figures d'hommes et d'animaux et des inscriptions arabes.
[24] L'île de Raudah était désignée sous les khalifes Fatimides sous le nom de Djezirèh, de Djeziret Misr (l'île de Misr), ou Djeziret el Hisn, (l'île du Château).
[25] La ville de Djizèh était considérée sous les Fatimides comme un faubourg de Misr. Il s'y tenait tous les dimanches un marché qui attirait un grand concours de monde. On conservait dans la mosquée, appelée Mesdjid et Taubèh (la mosquée du Repentir), la caisse en bois dans laquelle Moïse fut placé par sa mère, lorsqu'elle l'abandonna au courant du Nil. On montrait aussi dans cette ville le dattier au pied duquel la vierge Marie allaita son fils. Makrizy, tome Ier, page 206.
[26] L'huile d'olive porte en Egypte le nom de zeït thayb (bonne huile); celle que l'on extrait du sésame s'appelle siridj (huile à éclairer), celle du carthame, zeït helou (huile douce), enfin celle de la graine de lin ou des graines de raves et de navets, zeït harr (huile chaude). Cf. Mémoires des missionnaires du Levant, tome II, pages 135—136.
[27] Makrizy a donné la description des banquets d'apparat qui étaient donnés par les khalifes Fatimides aux différentes grandes fêtes de l'année et notamment à celle de la rupture du jeûne. Ces festins avaient lieu dans la partie du palais qui portait le nom de Qa'at ez Zeheb (la salle d'Or). Makrizy nous donne la liste des personnages qui y étaient admis, et celle des mets qui étaient servis dans des plats d'or, d'argent et de porcelaine de Chine. Le khalife ne prenait pas part au festin : il jouissait du coup d'œil de la salle, assis derrière une fenêtre grillée. Topographie de l'Egypte, tome Ier, pages 387—388. Aboul Mehassin, tome II, pages 476—479.
[28] Makrizy mentionne ces figurines. Au mois de Rawazan 380 (990) elles furent fournies, ainsi que les autres sucreries, par Ianos es Saqlaby (l'Esclavon), préfet de la basse-justice, et par le lieutenant de police, Aly ibn Sa'ad. Topographie de l’Egypte, tome Ier, page 387.
[29] Abou Sayd Sahl ibn Haroun était un marchand juif originaire de la ville de Touster, dans la province d'Ahwaz. Il avait vendu au khalife ed Dhahir Hizaz din illah, l'esclave qui fut la mère de Mostansser billah. A l'avènement de son fils, cette princesse fit venir au Caire Abou Sayd et en fit son intendant et son conseiller. Abou Sayd fut massacré par des soldats turcs à l'instigation de Fakhr el Moulk Abou Nasr Sadaqah el Felahy, juif converti à l'Islamisme et auquel il avait fait donner la charge de vizir.
[30] Abou Nasr, frère d'Abou Sayd, avait été mêlé à toutes les intrigues du palais et avait provoqué la chute du vizir Hassan ibn el Anbary (Moharrem 440, juin 1048).
[31] L'endroit où se rassemblent les pèlerins, avant de se mettre en marche, porte aujourd’hui le nom de Birket el Houdjadj (l'étang des Pèlerins). On l'a successivement appelé Djoubb Omeïrah (puits de Omeïrah), parce qu'il était le lieu du campement de cette fraction de la tribu des Benou Temim, et Ardh el Djoubb (le canton de la Fosse). Les khalifes et, après eux, les sultans d'Egypte s'y rendaient pour se divertir. Ibn Moueysser nous apprend que, tous les ans, le khalife Mostansser allait en partie de plaisir à Birket el Houdjadj avec ses femmes et les officiers de sa maison. Il était suivi de chameaux chargés de grandes outres pleines de vin dont il faisait faire des distributions. Makrizy, Topographie de l'Egypte, tome II, page 163.
[32] Ce chiffre de soixante mille dinars est le même que celui qui est donné par Makrizy. La dépense totale de la caravane des pèlerins d'Egypte s'élevait à cent vingt mille dinars, dont la moitié était employée à acquitter le droit de passage réclamé par les Arabes, à distribuer des aumônes, à louer des chameaux, à solder la paye et l'entretien des soldats, du chef de la caravane et des domestiques et à creuser des puits sur la route. Sous l'administration du vizir el Yazoury, ces dépenses augmentèrent tous les ans et elles atteignirent deux cent mille dinars. Topographie de l’Egypte, tome I, page 492.
[33] Les historiens orientaux nous apprennent qu'il n'y eut point de pèlerinage en l'année 439. La famine et la peste désolèrent la Mésopotamie, l'Iraq et le Hedjaz. Aboul Mehassin, cité dans sa chronique un passage du Mirât ouz Zeman, d'Ibn Sibth el Djauzy : « On reçut à Bagdad, dit cet auteur, une lettre de Mossoul annonçant que l'on y avait mangé des cadavres; trois cent mille habitants avaient péri et il ne s'était trouvé une fois, dans la grande mosquée, que quatre cents fidèles pour assister à la prière publique du vendredi. On vendit une grenade deux qirath, une bulbe de nénuphar deux qirath et un concombre un qirath. » Ibn el Athir, Kamil fit tarikh, tome IX, page 370. Aboul Mehassin, manuscrit de la Bibliothèque nationale, suppl. arabe, n° 816, f° 98 v°.
[34] Aboul Hassan Aly ibn Abdillah el Semhoudy a écrit sous le titre de Khitacet oul wefa bi akhbari dari'l Moustafa (Histoire très sincère de la demeure de l'Élu) une description de la mosquée de Médine et du tombeau de Mohammed. Cet ouvrage a été imprimé au Caire en 1285 (1868).
M. Wüstenfeld a traduit les chapitres relatifs au sanctuaire, en négligeant, avec juste raison, ceux que l'auteur a consacrés aux traditions, aux légendes fabuleuses, aux cérémonies dont les pèlerins doivent s'acquitter en visitant le tombeau, et aux mérites qui y sont attachés. Geschichte der Stadt Medina. Im Auszuge aus dem Arabischen des Samhûdi, von F. Wüstenfeld, Göttingen 1860, in-4°.
Burckhardt nous a donné une description de Médine fort détaillée « C'est près de l'angle du sud-est, dit-il, que se trouve le fameux tombeau, il est éloigné de vingt-cinq pieds du mur du sud et de quinze de celui de l'est. Une grille de fer peinte en vert et dont la hauteur atteint à peu près le tiers de celle des colonnes, entoure la tombe et renferme un espace irrégulier d'environ vingt pas carrés dans la galerie, dont elle enveloppe plusieurs colonnes par la base… Selon l'historien de Médine, la tenture couvre un édifice carré de pierres noires, soutenu par deux colonnes et dans l'intérieur duquel sont les sépultures de Mahomet et de ses plus anciens disciples et successeurs immédiats, Abou Bekr et Omar … On dit que celui de Mahomet est placé le premier, puis celui d'Abou Bekr un peu plus haut à gauche, enfin celui d'Omar, dans la même position et la même direction relativement à ce dernier. Celui de Mahomet est le plus grand. L'enceinte qui renferme ces tombeaux est appelée Houdjrèh. La dénomination de Raudah appartient strictement au seul espace compris entre la chaire et le Houdjrèh, quoique toute la galerie méridionale au nord de la cloison soit souvent désignée par cette appellation. C'est à cause de ce nom de Raudah ou jardin que les colonnes renfermées dans son enceinte sont peintes, jusqu'à une hauteur de cinq ou six pieds, de fleurs et d'arabesques, afin d'aider ù l'imagination qui ne serait pas disposée à découvrir la moindre ressemblance entre ce lieu et le jardin d'Eden. » Voyages en Arabie contenant la description des parties du Hedjaz regardées comme sacrées par les Musulmans, traduits par J. B. B. Eyriès. Paris 1835, tome II, pages 59—66. Les opinions sont partagées au sujet de savoir si la dépouille mortelle de Fathimèh repose dans le Houdjrèh ou dans le cimetière de Baqy' en dehors de la ville.
Ludovic Varthema est le premier Européen qui, ayant visité Médine en 1503, nous en ait donné une description. Elle concorde avec celles des écrivains orientaux et des voyageurs plus modernes. Je crois que le lecteur me saura gré de donner ici le chapitre relatif à la mosquée de Médine.
De l’église et sépulture ou est enterré Mahomet et ses compagnons.
« La mezquite, c'est-à-dire l'église, est carrée et a environ cent pas de long et quatre vingtz de large. Il y a deux portes ; autour de trois coustez la couverture est toute voltée et dedans, il y a plus de quatre cens pilliers de pierre cuytte tous blancz. Il y a environ trois mille lampes toujours ardentes. Et du cousté des voltes, a main droicte, au bout de la dicte mesquite, il y a une tour carrée ayant environ cinq pas de large. Et a chascun carré de la dicte tour est toute environnée d'ung drap de soye. Et a deux pas près, y a un beau treillis de cuyvre par dedans lequel les pèlerins regardent la dicte tour. Et du cousté a main gauche dudict treilliz, il y a un petit guichet et pour aller a la dicte tour, il y a ung petit huys. Et de l'ung des coustez dudict huys, il y a environ vingt livres et de l'autre cousté vingt cinq, lesquels livres sont ceulx de Mahomet et de ses compagnons. …. Dedans le dict huys, il y a une sépulture dessoubz terre ou fut ensepulturé et mis Mahomet, Haly, Abou Baquar, Othman, Aumar et Fatoma. » Le Viateur, traduit par Dabra de Ranconis, manuscrit de la Bibliothèque nationale, n° 5640, f° 12 v° et 13 r°.
[35] Dans cette vallée s'élevait autrefois un village riche et florissant appelé Mahy'ah ; il fut détruit par un torrent qui grossit subitement. Ce lieu reçut alors le nom de Djouhfèh qui signifie : « un torrent impétueux balayant tout devant lui ». Cette catastrophe eut lieu sous le règne du khalife Abd el Melik ibn Merwân, en l'année 80 (699). Un grand nombre de pèlerins y perdit la vie. Aboul Welid Mohammed el Azraqy, dans son Histoire de la Mekke, donne quelques détails sur ce désastre et sur les mesures ordonnées par le khalife pour le réparer. Geschichte und Beschreibung der Stadt Mekka, herausgegeben von J. Wüstenfcld. Leipzig 1858, page 395. Djouhfèh est à quatre étapes de Djar, à six de Médine et à quatre de la Mekke. L'étang de Khoumm (Ghadir Khoumm) se trouve à la distance de deux milles.
[36] L'émir de la Mekke était le chérif Tadj oul Me'aly Choukr dont il sera question plus loin.
[37] Les trésors enfouis dans le sol de l'Egypte sont désignés sous le nom de Methalib et ceux qui se livrent à leur recherche sont appelés Mouthalib. Cf. Massoudi, Les Prairies d'or, tome II, page 414 — 420.
[38] L'eunuque Aboul Fadhl Rifq reçut le commandement d'une armée de trente mille hommes pour marcher contre Mouizz ed Daoulèh Thimal qui s'était révolté à Haleb. Il campa à Mechhed Djouff, non loin de la ville, les habitants l'attaquèrent et mirent son armée en déroute. Rifq fait prisonnier fut enfermé dans le château où il mourut des blessures qu'il avait reçues dans le combat. Rifq avait été l'esclave du khalife Aziz billah.
[39] Cette princesse était fille de Weththab ibn Sabiq en Noumeïry, seigneur de Harran, elle portait le nom d’Alwyèh et le surnom de Seyydèh. Elle fut accompagnée, dans le voyage qu'elle fit en Egypte, par Cheikh ed Daoulèh Aly ibn Ahmed ben el-Eisser qui fut en 443 (1051) envoyé à Constantinople pour porter le tribut que Mouizz ed Daoulèh devait payer à l'empereur. Kemal ed-Din Abou Hafç Omar donne, dans son histoire d'Haleb, tous les détails de l'audience que le khalife accorda a cette princesse. Zoubdet oul haleb fi tarikh Haleb, manuscrit arabe de la Bibliothèque nationale, ancien fond, n° 728, fos 72—73. Elle offrit au khalife, outre de magnifiques présents, une somme de quarante mille dinars. Mostansser lui remit un diplôme dont elle avait elle-même dicté les termes et qui confirmait Mouizz ed Daoulèh dans le gouvernement d'Haleb et de ses dépendances. Il envoya également des robes d'honneur à ce prince et à ses cousins.
[40] « Assiouth, dit Yaqout, est une grande et belle ville située sur la rive occidentale du Nil dans la province du Saïd. Un chrétien qui en était originaire m'a rapporté que ses coreligionnaires, qui forment une grande partie de la population, y possèdent soixante-quinze églises. A Assiouth, dit Hassan, fils d'Ibrahim el Misry, il y a des métiers pour tisser les étoffes appelées Enneny et Dabiqy Moucellés; on y fabrique différentes espèces de sucre que ne produit aucune des contrées soumises à l'Islamisme ou aux infidèles. Les coings y sont plus abondants que dans tout autre pays. Assiouth produit l'opium que l'on extrait des feuilles du pavot noir et de la laitue… Cette ville était un des séjours de plaisance de Khoumarouièh, fils d'Ahmed ibn Touloun. Moudjem, tome Ier, page 272.
Le mot foutah désigne un pagne, une pièce d'étoffe employée pour faire un turban ou une grande serviette. » Dozy, Dictionnaire des noms des vêtements chez les Arabes, Leyde 1845, pages 339—343.
[41] M. Quatremère a inséré dans ses Mémoires géographiques sur l’Egypte, (tome I, pages 192 et suivantes) la traduction des passages de Makrizy et de Khalil ed Dahiry relatifs a la ville de Qous.
[42] Ibn Haukal, Ibn Djobaïr, Yaqout, Aboulféda et Makrizy ont donné la description de la ville d'Ikhmim et de l'ancien temple qu'elle renferme. Ce dernier auteur dit que les blocs de granit que l'on avait fait entrer dans sa construction mesuraient cinq coudées de longueur et deux coudées et demi d'épaisseur. Les murs étaient couverts de peintures faites avec de l'azur et autres couleurs; elles étaient dans un si parfait état de conservation que l'on pouvait croire que l'artiste venait d'y mettre la dernière main. La ville d'Ikhmim renfermait deux églises; la première portait le nom d'église de Sotir (du Sauveur) et était placée sous l'invocation des martyrs; elle était très révérée par les chrétiens. L'autre était celle de Saint-Michel. Suivant un usage reçu parmi les chrétiens du pays, le dimanche des Rameaux de chaque année, pendant la célébration de l'office, les prêtres et les diacres sortaient en procession de ccb deux églises, portant avec eux les encensoirs, les parfums, les croix, les livres des Évangiles et des cierges allumés. Ils s'arrêtaient devant la porte du qadi et l'encensaient durant quelques moments. Ensuite, ils lisaient un chapitre de l'Évangile et chantaient des antiennes à la louange de ce personnage. Ils faisaient la même chose à la porte de chacun des principaux d'entre les musulmans. Makrizy : Topographie, tome Ier, pages 239—240. Quatremère : Mémoires historiques sur l’Egypte, tome Ier, pages 449—450.
[43] Cf. Quatremère : Description de la ville d'Assouan dans les Mémoires géographiques sur l’Égypte, tome II, page 4.
[44] L'île d'Assouan ou île Eléphantine.
[45] Dheïqah, dit Yaqout, est une station éloignée de dix fersengs de la ville d'Aïdhab. Moudjem, tome III, page 484. La distance qui sépare Dheïqah de Aïdhab, d'après Yaqout, est inexacte si l'on s'en rapporte au récit de Nassiri Khosrau.
[46] Voyez Appendice III.
[47] Cette ville est mentionnée par Ibn Djobaïr dans la relation de son voyage (page 66); mais l'orthographe en est fautive.
[48] Le mot kechk désigne du lait caillé que l’on a fait dessécher.
[49] Le qarach est le requin. Cf. Specimen arabicum, ex libro Ahmedis Teï-faschii, éd. St. Ravius. Trajecti ad Rhenum 1784, page 65. Relation des voyages faits par les Arabes et les Persans dans l’Inde et à la Chine, etc. Paris, 1845, tome II, pages 84—86.
[50] Les manuscrits portent les mots (chafaq, sefen) qui me paraissent avoir été transcrits fautivement par les copistes. Il faut leur substituer celui de saghry qui désigne une peau de poisson préparée, et dont nous avons fait chagrin.
[51] Djémal ed-Din Aboul Feth ibn Yakoub el Dimichqy, connu sous le surnom d’Ibn el-Moudjavir, a composé un traité de géographie qu’il a placé sous le patronage du khalife Abbasside Abou Djafir Mansour Mostansser billah (623—640. A D 1226—1242) On y trouve les détails les plus curieux sur les provinces et les villes de l’Arabie. Il a donné une description et une histoire de Djouddih qui renferme de très intéressantes particularités Tarikh Mostanssery, manuscrit de mon cabinet, pages 46—68
Je possède également un opuscule historique composé pour le chérif Daoud ibn Souleyman, l’auteur, le khatib Abdoul Qadir ibn Ahmed ben Faradj, donne une description de Djouddah ou Djeddah, selon la prononciation vulgaire, de ses murailles, de ses mosquées et de ses monuments et un court aperçu historique qui s étend jusqu'à l'année 951 (1544) Cet ouvrage porte le nom de Es Silah ouel ouddah fi tarikh bender Djouddah (l'épée et la cuirasse concernant l’histoire du port de Djouddah) La bibliothèque Impériale de Vienne en conserve un exemplaire Flugel, The arabischen, persischen und türkischen Handschriflen der k. k. Hofbibliothek zu Wien, 1805, tome II, page 119 Cf. Isthakhry, page 19, Mouqaddessy, page 79 et le Moudjem oul bouldân de Yaqout, tome II, page 41 ibn Djobaïr (page 72—73) donne des détails intéressants sur cette ville Burckhardt est, parmi les voyageurs modernes, celui qui en a donné la description la plus étendue (Voyage en Arabie, tome Ier, pages 1—71 de la traduction de M. Eyriès)
[52] L'émir de la Mekke, Tadj el Me'aly Choukr, fils d'Aboul Foutouh Hassan ben Dja'fer el Alewy, appartenait à la famille des Benou Moussa descendants d'Aly qui gouvernaient la Mekke et Médine depuis l'année 350 (961). Aboul Me'aly qui avait succédé à son père en 430 (1038) fut le dernier prince de cette maison; il mourut en 453 (1061). Aboul Me'aly était un protecteur des savants et un poète distingué. Ibn el Athir nous a conservé un quatrain composé par ce prince:
« Plie tes tentes pour abandonner une terre où tu ne serais point estimé à ta juste valeur; fuis le mépris, car il est de ton devoir de l'éviter. Eloigne-toi de ta patrie, si tu n'y jouis pas de la considération qui t'est due. L'aloès, dans le pays qui le produit, n'est considéré que comme un morceau de bois. » Kamil fit tarikh, tome X, page 12.
[53] On donne le nom d'Oumrah à la visite des lieux saints des environs de la Mekke, et à l'accomplissement des cérémonies du Sa'y (course entre Safa et Merwèh) et du Thewaf qui consiste à faire sept fois le tour de la Ka'abah.
[54] La Mekke est construite dans la vallée fermée à l'est par le Djebel Abi Qoubeïs et à l'ouest par la montagne qui porte le nom de Qou'eïqan.
[55] Les murailles qui protégeaient les extrémités de la Mekke étaient au nombre de trois; l'une était bâtie on travers de la vallée, à la rue Ma'allah; l'autre protégeait le quartier de Choubeikah, et la troisième coupait la vallée de Masfalèh. Les historiens de la Mekke, Azraqy et Qouthb ed-Din, nous apprennent que ces murs furent réparés pour la dernière fois en 816 (1413) et en 826 (1422).
[56] A peu près à cent cinquante pieds du côté sud-est de la mosquée, sur un terrain en pente douce, s'élèvent, au-dessus de trois larges marches de pierre, trois petites arcades ouvertes et réunies par une architrave. C'est ce qu'on nomme la colline de Safa. Burckhardt, Voyages, tome Ier, page 127.
[57] Ces stations ou Miqat ont été désignées par le Prophète lui-même; ce sont Zoul Houleïfah pour les pèlerins de Médine, Djouhfèh pour ceux de la Syrie, Zat oul Irq pour ceux de l'Iraq, Qaren pour ceux du Nedjd et Yalamlam pour ceux du Yémen.
[58] Le rituel dit qu'avant de prendre l'ihram, le pèlerin doit se purifier par une ablution, puis, après s'être revêtu des deux pièces d'étoffe sans coutures, il doit se parfumer avec du musc ou d'autres aromates, et faire une prière de deux rikaat, en récitant, au premier rikaat, le premier et le 109e chapitre du Coran, et le 112e au second; puis il récite la prière suivante: « Me voici à tes ordres, ô mon Dieu ! me voici à tes ordres, toi qui n'as pas d'associé! Me voici à tes ordres, les louanges te sont dues, les bienfaits viennent de toi! La toute-puissance t'appartient, tu n'as pas d'associé ! »
[59] M. Mouradjea d'Ohsson a énuméré en détail toutes les prescriptions que doivent accomplir les pèlerins musulmans lorsqu'ils visitent la Ka'abah et lorsqu'ils font le Sa'y. Tableau de l’Empire ottoman. Paris 1780, tome III, pages 55—79.
[60] Cette cérémonie a été conservée par Mohammed, en commémoration de Hadjar (Agar) qui, voyant son fils Ismaïl sur le point de mourir de soif, parcourut sept fois, en proie à l'agitation la plus grande, le Bathn el Wady, jusqu'au moment ou l'ange Gabriel fit jaillir du sol la source de Zemzem. Les Mennasikh oul Hadj ou Guides du pèlerin donnent toutes les prescriptions auxquelles on doit se soumettre, et le texte des prières et des invocations que l'ou doit réciter. Voici celles que le pèlerin doit faire à Safa et à Merwèh:
« Il n'y a de Dieu qu'Allah, le seul, l'unique ! Nul ne peut lui être associé. Il est le maître de l'univers ! Louange à lui ! Il vivifie et il fait mourir. Il est le Dieu vivant et éternel. La félicité suprême est entre ses mains : sa puissance s'étend sur tout. Il n'y a de Dieu qu'Allah : n'adorez point d'autre que lui. Observez ses lois et ses commandements et ne vous laissez pas pervertir par les paroles mensongères des infidèles. »
[61] Cet aqueduc fut construit par Zobeïdèh, la femme du khalife Haroun er Rachid, pour amener dans l'intérieur de la Mekke les eaux du ruisseau de Aïn Na'aman qui prend sa source dans le Djebel Qoura. A de très nombreuses reprises, il a été réparé par les ordres des khalifes ou aux frais de différents souverains musulmans.
[62] Sa'adah, située à soixante fersengs de Sana'ah et à seize de Kheïwan, jouissait d'une grande prospérité. Son principal commerce était celui des cuirs tannés et des peaux de bœufs préparées pour faire des sandales.
[63] Le nom primitif de Zebid, capitale de la province de Tihamèh, était Hosseïb. Elle est située dans la vallée de Zebid dont le nom a fini par faire oublier celui qui lui avait été donné par son fondateur. Cette ville fut bâtie sous le règne du khalife Mamoun par Mohammed ibn Zyad (203 [818]). Zebid, au rapport de Mouqaddessy, était la capitale des gouverneurs du Yémen. La beauté de ses édifices lui avait fait donner le surnom de Bagdad du Yémen. Elle était entourée d'un mur en terre percé de quatre portes. Son commerce était très actif. La nourriture des habitants consistait principalement en millet et en maïs. Mouqaddessy, page 84. Yaqout, tome II, pages 915—916.
[64] Sana'a est la ville la plus grande, la plus riche et la plus industrieuse du Yémen : ses manteaux rayés, ses étoffes de soie et ses broderies jouissaient de la plus grande réputation. Abrahah, fils de Sabah, y avait fait construire, pour le Nedjach d'Abyssinie, une église qui portait le nom de Qouleïs; pour la décorer, il avait prodigué l'or, l'argent et les pierres précieuses. Elle devait, dans son idée, détourner les tribus arabes du pèlerinage de la Ka'abah. Cette église fut souillée par un Arabe de la tribu des Benou Kenanèh, et cette profanation détermina Abrahah à entreprendre son expédition malheureuse contre la Mekke. Niebuhr a donné un plan de cette ville dans son Voyage en Arabie et en d'autres pays circumvoisins, Amsterdam 1776, tome Ier, planche LXX.
[65] Ces trois villes n'offrent pas d'intérêt particulier. Kheïwan se trouve à trois journées de marche dans une vallée qui lui a donné son nom. Aththar, dit Mouqaddessy, est le nom d'un district agréable qui est gouverné par un prince indépendant. La ville d'Aththar est florissante et elle est le port de Sana'a et de Sa'adah. Le marché est beau, la grande mosquée bien bâtie. L'eau nécessaire à la consommation des habitants est apportée de loin. Les bains sont sales. Beïchèh ou Beïch ne présente aucune particularité digne de remarque. Cette ville appartenait aux chérifs de la dynastie des Benou Souleyman, descendants de Husseïn ; elle avait reçu le surnom d'Abou Tourab (la Poudreuse), à cause des tourbillons de poussière et de sable fin que le vent y soulève constamment. La demeure du prince était contiguë à la grande mosquée.
[66] « Le palais de Ghoumdan avait été construit par le prince Himyarite Yahhçab : c'était un édifice carré à sept étages, haute chacun de douze coudées. Ses quatre faces étaient d'une couleur différente, rouge, blanche, verte et jaune. Les plafonds étaient formés d'une seule plaque de marbre. A l'étage supérieur était une vaste salle lambrissée de marbres et garnie de verres de couleur; lorsqu'elle était éclairée, on l'apercevait à la distance de trois milles. Les auteurs orientaux parlent aussi de statues de lions qui, placés aux angles, étaient disposés de façon à être frappés par le vent et à faire entendre des rugissements. Le palais de Ghoumdan fut détruit par Osman, bien que ce khalife eût été prévenu qu'une tradition affirmait que celui qui y porterait la main, périrait de mort violente. Cf. Yaqout, tome III, page 811. Behdjet ouz zemen fi akhbar il Yemen (Histoire du Yémen), par le cheikh Zhya oud Din Abdallah ibn Abd il Medjid, f° 6.
[67] Teïfachy a donné, dans son traité sur les pierres précieuses, quelques renseignements sur les différentes qualités de cornalines du Yémen et sur la valeur de la cornaline rouge, mais il ne fournit aucun détail sur la façon dont elle est travaillée. Ant. Raineri, Fior di pensieri sulle pietre preciose di Ahmed Teifascite. Firenze 1818, page 34 du texte arabe, et pages 44—45 de la traduction.
[68] Ces deux portes sont appelées aujourd'hui Bab es Selam (la porte de la Paix) et Bab el Djenaïz (la porte des Convois funèbres).
[69] Bab es Sathwy, ahuri que l'appelle Nassiri Khosrau, portait autrefois le nom de Bab el Adjiad; elle s'appelle aujourd'hui Bab ech Cherif.
[70] Bab et Tammarin (la porte des Marchands de dattes) est connue aujourd'hui sous le nom de Bab er Rahmèh (la porte de la Miséricorde) ; Bab el Meamil (la porte des Métiers) désigne le Bab Qouthnèh (porte des Flocons de coton) de l'époque moderne.
[71] Bab el Oumrah : le texte persan porte fautivement Bab el Ourwèh. La troisième porte qui s'ouvre dans cette muraille est Bab el Wida' (la porte des Adieux).
[72] Bab el Wessith ou el Bassith (la porte du Milieu ou la porte large), Bab el Adjalèh (la porte de la Roue), Bab en Nadwèh ou Dar en Nadwèh (la porte de la Maison des délibérations), Bab el Mouchawerèh (la porte du Conseil) et Bab beni Cheïbah (la porte des Benou Cheïbah) sont désignées aujourd'hui sous les noms de Bab el Atiq (la Vieille porte), Bab el Koutouby (la porte du Bibliothécaire), Bab Ziadèh (la porte des Propylées) et Bab Doureïbèh (la porte de la Ruelle).
[73] Les portes du Mesdjid el Haram de la Mekke ont été, à différentes époques, désignées sous des noms différents. Mouqaddessy, Ibn Djobaïr, Azraqy, Qouthb ed-Din et les autres historiens de la Mekke constatent ces changements. Burckhardt en a donné un tableau dans la relation de son voyage au Hedjaz, tome Ier, pages 204, 205.
La seule particularité intéressante à noter est, à mon sens, celle qui est relative aux portes des Benou Cheïbah, d'Abbas ibn Abdil Mouthallib et des Benou Hachim. Elles avaient chacune trois baies séparées par deux colonnes ; ces baies étaient surmontées d'arceaux de dix coudées de haut. La façade était décorée de mosaïques et on y avait percé une fenêtre grillée, en bois de sadj sculpté et doré. Les jambages de la porte étaient revêtus de marbre blanc et rouge. On descendait quatre marches à la première, et sept aux deux autres, pour entrer dans la cour Azraqy, page 324.
[74] Je ne rapporterai point ici les légendes musulmanes au sujet de la pierre noire qui aurait été emportée du paradis par Adam, lorsqu'il en fut chassé, puis cachée par les anges dans la montagne d’Abou Qoubeïs au moment du déluge, et enfin remise par Gabriel à Abraham pour être, selon l'ordre de Dieu, placée à l’angle nord est de la Ka’abah
« La pierre noire, dit Aly Bey, est minéralogiquement un bloc de basalte volcanique, parsemé dans sa circonférence de petits cristaux en points pailletés et rhombes de feldspath rouge de tuile, sur un fond noir très foncé, comme du velours ou du charbon, à l’exception d'un des muscles ou proéminences qui est aussi un peu teint en rouge. » Aly Bey, Voyages en Afrique et en Asie, Paris 1814, tome III, page 348
« La pierre noire, au rapport de Burckhardt, est de figure ovale irrégulière, à peu près de sept pouces de diamètre, elle a une surface ondulée, composée d'une demi-douzaine de petites pierres de dimensions différentes, bien jointes ensemble par une quantité de ciment et parfaitement polie, son aspect ferait croire qu’elle a été brisée par un coup violent en plusieurs morceaux, puis réunie de nouveau. »
Pendant l'incendie qui endommagea la Ka'abah du temps d'Abdallah ibn Zobeïr, la violence du feu fit fendre la pierre en trois morceaux qui furent réunis et maintenus par une bordure d'argent qu'Haroun er Rachid fit renouveler. En l'année 317 (930), le chef des Qarmathes, Abou Thahir pilla le Mesdjid et la Ka'abah et transporta la pierre noire à Lahhsa. Les Qarmathes la rendirent après sa mort en 339 (950) pour une somme de vingt-quatre mille dinars. En 413 (1022), un Égyptien envoyé, dit-on, par Hakim bi amr illah asséna sur la pierre trois coups d'une massue en fer. Il fut poignardé sur l'heure par un habitant du Yémen ou de la Mekke; vingt cavaliers qui devaient protéger sa fuite furent massacrés et la caravane d'Egypte fut pillée. Aboul Mehassin donne le signalement de cet individu dont le corps fut mis en pièces et brûlé. Aboul Mehassin, f° 139 v° et 140 r°. De Goeje, Mémoire sur les Carmathes du Bahreïn, Leyde 1862, pages 42-43, 64-55.
[75] Coran, chapitre III, V. 90.
[76] Azraqy, dans son Histoire de la Mekke, donne une description de la Ka'abah qui concorde avec celle de Nassiri Khosrau. « La hauteur de la porte, dit-il, est de six coudées et dix doigts, et la largeur d'un jambage à l'autre de trois coudées et dix-huit doigts. Les jambages, le seuil et le linteau sont couverts de plaques d'or sur lesquelles on a gravé des arabesques. Les deux battants sont en bois de sadj, ayant chacun une largeur d'une coudée et dix-huit doigts et une épaisseur de trois doigts. Dans chacun des jambages de la porte sont fixées sept anneaux qui servent à maintenir le voile de la Ka'abah. » Suivant Azraqy, l'inscription serait celle-ci: « Au nom du Dieu clément et miséricordieux ! Nous t'avons vu tourner ton visage de tous les côtés du ciel ; nous voulons que tu le tournes dorénavant vers une région dans laquelle tu te complairas. Tourne-le donc vers le point où est le Mesdjid el Haram. En quelque lieu que vous soyez, tournez-vous vers ce point. Ceux qui ont reçu les Écritures savent que c'est la vérité qui vient du Seigneur, et Dieu n'est point inattentif à leurs actions. » Coran, chap. II, v. 139, « Mohammed est l'envoyé de Dieu. »
Les plaques d'or et d'argent furent appliquées dans la Ka'abah et sur la porte sous le règne du khalife Mohammed Wathiq billah. Le khalife Dja'fer Moutewekkel billah envoya en 241 (855), de Bagdad à la Mekke, plus de trente orfèvres sous la conduite de Ishaq ibn Schimèh pour en placer de nouvelles. Azraqy, Histoire de la Mekke, texte arabe, publié par M. Wüstenfeld. Leipzig 1858, pages 216 et 217 et passim.
[77] Le khalife Mohammed Mostansser billah, lorsqu'il n'était encore qu'héritier désigné, envoya de Bagdad à la fin de l'année 240 (854), cent blocs de marbre qui furent sciés à la Mekke par des ouvriers venus de l'Iraq et posés sur le sol de la Ka'abah, pour remplacer les dalles primitives qui avaient été rompues. Azraqy, page 209.
[78] Ces espèces d'estrades sont désignées par les écrivains arabes par le mot de kerassy (sièges); elles sont en bois de sadj, hantes d'une coudée et demie, larges d'une coudée et demie et revêtues de plaques d'or. Elles sont recouvertes de satin et elles reposent sur des dalles de marbre rouge. Azraqy, page 204.
[79] Les piliers avaient été entièrement couverts de plaques d'or en l'année 330 (950) par Loulou, esclave de Seyydèh, mère du khalife Mouqtadir billah et par l'ordre de ce prince. Des lampes en argent, attachées à des chaînes de même métal, étaient suspendues à des barres de fer qui allaient d'un pilier à l’autre. Azraqy, page 205.
[80] Cette porte qui a, au rapport d'Azraqy, trois coudées et demie de haut et une coudée et demie de large, était dans l'origine en bois de sadj, sans aucun ornement en or ou en argent. Le khalife Moutewekkel y fit appliquer des plaques d'argent et y fit mettre un cadenas de même métal au mois de Moharrem 237 (juillet 851). La trappe ou porte posée à plat est également en bois de sadj : elle a deux coudées et demie de long sur deux coudées du large.
[81] Cette inscription fut remplacée en 550 (1155) par une autre qui portait le nom et les titres du khalife Abbasside Abou Abdillah Mohammed el Mouqtafy bi amr illah Ibn Djobaïr en donne le texte. Travels, page 90.
[82] La terrasse de la Ka’abah était antérieurement couverte de mosaïques exécutées par des mosaïstes byzantins, envoyés à la Mekke par le khalife Welid Les pluies les ayant complètement gâtées, elles furent remplacées après l’an 200 (815) par des plaques de marbre transparent envoyées de Sana’a.
[83] D après le témoignage d'Aboul Welid, rapporté par Azraqy, les quatre lucarnes était nt couvertes dune plaque d un marbre transparent qui laissait passer la lumière du jour. Ce marbre du Yémen est désigné en arabe sous le nom de Balaq. Ibn Djobaïr qui était à la Mekke en 579 (1183), nous apprend que l’intérieur de la Ka’abah était éclairé par cinq lucarnes ou fenêtres. L’une qui était percée dans le plafond n’était point apparente et les quatre autres étaient placées aux quatre angles toutes étaient garnies de vitres de l'Iraq couvertes d’élégantes arabesques gravées. Ibn Djobaïr, page 81.
[84] Cette gouttière (mizab) est placée au milieu de la façade qui regarde le Hidjr entre le Roukn ech Chamy et le Roukn et Yraqy. L'eau tombe au centre du Hidjr. Cette gouttière a quatre coudées de long et huit doigts de diamètre. Elle est revêtue intérieurement et extérieurement de plaques d'or; ce travail a été fait par l'ordre de Welid, fils d'Abd el Melik (86—96 = 705—715). Azraqy, page 204.
[85] Le Kiswèh ou voile destiné à couvrir la Ka'abah était blanc lorsqu'il était envoyé par les Fatimides et noir sous la dynastie des Abbassides. Cependant, Ibn Djobaïr dans la description de celui qu'il vit en 579 (1183), assure qu'il était d'un tissu vert dont la trame était en coton, et qu'on y voyait, tissés dans l'étoffe, des mihrabs et une inscription portant le nom du khalife Nassir li din illah et le 136e verset du chapitre II du Coran. Les Kiswèh étaient fabriqués à Tounèh et à Chata, villages des districts de Tinnis et de Damiette. L'étoffe dont ils étaient faits portait le nom de Qabaty. Ibn Djobaïr, page 81. Mémoires historiques et géographiques sur l’Égypte, tome Ier, pages 335—338.
[86] Le mur qui environne le Hidjr est appelé Hatym. Le Hidjr fut bâti par les Qoreïchites; il fut réuni ensuite à la Ka'abah par Hadjadj et séparé de nouveau par Abdallah ibn Zobeïr. Il est regardé comme faisant partie de la maison sainte, et il est aussi méritoire de prier là que dans l'intérieur de la Ka'abah.